AHMED
BERROUHO
BONHEURS EN BRINS
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Liseron Dans le centre suranné de la ville encombrée, Qui s’étire, dans ses boulevards, Ehontée comme une putain bête, Offrant ses appâts aux passants dégoûtés, Un vieux treillis de roseaux pourris, habille Un vieil et noir enclos plein de morgue, Où des gerbes de ronces échevelées Envoient au regard indiscret des injures Qui arrêtent le geste et bloquent le pas, Qui assiègent le trottoir comme des chiens, Qui griffent les joues étourdies et les mollets. Mon cœur gît là, désaccordé, désaffecté, Au fond de ce jardin abandonné, Où des squelettes de frênes morts Affrontent le vent comme des épouvantails, Dessus la brande sauvage et débraillée Où courent parmi les crapauds apeurés Des arpèges de chatons insouciants. Au centre de cette ville prostituée qui remue, Au fond de cet aveugle jardin écoeuré Qui se tait, dort souvent et rêve parfois, Entre ces hauts murs hérissés de tessons, Entre ces haies noircies par la pluie, Il est une demeure orpheline et moribonde, Une croulante et vieille aïeule esseulée, Dont la gorge est un hall rauque que l’écho hante, Dont l’antique escalier tournant tombe en syncope ; Où, dans les chambres en deuil, fuient des souris, Où des haines de graines rongent le plancher ; Où des nœuds de solitudes lézardent les murs.
C’est un cœur aigri de vieille demeure déçue, Qui se rappelle encore les enfants bruyants, Qui entend encore les jeunes rires turbulents, Qui revoit encore les couples enlacées, 2 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
Qui contemple encore les ancêtres, silencieux, Qui veillent, lares inutiles, sur des souvenirs morts ; Pourtant, au milieu de la terrasse immense, Sous le ciel qu’un soleil débonnaire illumine, Entre les cimes chauves des arbres tristes, Tremble au vent du soir, tel un regret, A même les cloques de poussière gonflée, La tige épanouie d’une minuscule et belle ipomée Qui vit chaque heure et chaque seconde, Qui frissonne et jouit de l’azur et de l’espoir, Qui se moque de cette maison et de sa mélancolie !
Spleen Dans cette ville occupée qui gémit sous le joug, la terre saccagée pleure ses printemps adolescents. D’inconsolables tourterelles, sur les arbres poitrinaires maquillés de suie, brisent la croûte des heures qui bouchent le ciel vide, comme des plaies nécrosées. Le dernier rejeton de l’antique bonheur est mort, et l’interminable théorie des jours tristes et muets, tissent, disgracieuses, de grossières toiles écrues que des ténèbres souillent, et des larmes. Dans ce désert de cœur désolé que boudent les pluies, se lamentent, stériles, des vents imbéciles. Des dunes de nuits insanes obstruent comme des geôliers scélérats, tes prunelles et asphyxient tes espoirs frêles et poussifs. L’aurore te catapulte, pourtant, sur l’esplanade de terre battue, qui rougit comme un crâne chauve, où l’air revivifié te suit et te fête. Le peuple humble et décimé de l’herbe se réfugie, sur les tempes, le long des clôtures. Dans l’éblouissement du matin frais qui porte là sa chemise de brume fine, loin des spectres du sommeil imposteur, qui te séquestraient, tu patauges, pareil à un gamin amusé, dans la mare sensuelle que le soleil péremptoire emplit. Pourquoi arborer ce visage de linceul fruste, cet air incongru d’animal pessimiste et atterré ? Vois comme le matin fraîchi s’ablue dans sa plus belle rosée pour t’accueillir ! Dans l’ample horizon où tu marches, les arbres retiennent la fougue de leurs feuilles et le ramage des oiseaux qui les entent comme des fruits vivants et colorés. La poussière ellemême refuse de t’éclabousser. Une escouade de poubelles géantes te prodiguent leurs parfums subtils. De loin, les pierres à moitié enterrées sont des stèles constamment profanées qui écoutent religieusement le rythme de tes pas. 3 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
Ciel patient Comme un ciel nu sortant rebelle Du noir manteau qui le charge, Le cœur meurtri rejette la marne Funèbre, le marbre qui l’oppresse ; Le souffle qui étouffe opprimé Là-bas rampe et s’insurge ; Dans la clairière chamarrée, Cabriolent des désirs éventés Et de menus plaisirs furtifs ; L’âme immobile, abandonnée N’est pas encore morte ; L’enthousiasme qui s’étire moribond Sous la croisée, respire encore ; Une brise bienveillante le ranime ; Dans les éboulis obscurs où elle traîne, Une fleur saxifrage rompt comme une injure Le roc du chagrin qui l’enserre. Sur les ruines de la prison, Renaît la bourrache du cœur !
Après-midi Le soleil d’août reluit ce matin avec une splendeur péremptoire ; au fond de mon gourbi, des ombres effrayantes rampent encore ; l’âme négligée est couverte de cette poussière infâme qui lui ôte toute confiance l’hésitation, un mouchoir noué sur la tête, fait les cents pas devant le grabat. Des relents âcres et douteux parlent à tue-tête ; la fenêtre refuse de débarrasser cette anfractuosité qui me sert de logis, des miasmes qui la peuplent et me soulèvent le cœur. Un autre jour se lève et la détresse lasse s’assoupit, me laissant un répit ; le soleil encore costaud mais déjà un peu essoufflé, résiste à une folle envie de faire la sieste ; comme un cerf aux bois impressionnants, au brame 4 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
redoutable et aphrodisiaque, il continue à sévir contre le ciel lui-même qui n’en peut plus et qui blêmit de colère, contre les plantes qu’il dessèche, contre les hommes qu’il fusille comme des condamnés. La longue, l’interminable après-midi vient à peine de commencer ; la chair rôtie, affaiblie cherche l’ombre et le repos ; les langues s’alourdissent, la tête défaille et les yeux démangent.
Manne du soir La foule lasse s’égaille en bâillant, Abandonnant la ville qui a dansé, Depuis l’aube, comme une damnée, Les loques pelées des jardins encerclent Les pavés éveillés et les galets silencieux Du square qui s’étend, déçu et fourbu ; Sur la chaussée bleue du boulevard, Les voitures rapides, étoilées sont rares ; Rares les promeneurs qui déambulent Encore sur les trottoirs déserts. Les lampadaires haut plantés et voûtés, Les arbres rassérénés, empoussiérés Sont glauques comme des algues géantes, Les sombres massues de la nuit tombée, Cassent l’ardoise oublieuse du crépuscule Et creusent un vaste cratère de bonheur splendide Où saignent des guirlandes de luisants madrépores. Le vent ivre court sur les dalles noircies Et comme un enfant turbulent, il agite Ce diadème de souvenirs somnolents et jolis Et bouscule le passant qui erre pantois, Dans cette manne de beau corail retenu !
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Anecdotiques Des semaines et des mois de proses claudicantes effarouchèrent les pas furtifs qui venaient, qui s’attardaient, et qui s’en revenaient ; je perdis la peau du visage qui ne me servait plus à rien ; le torse qui restait en retrait, qui ne faisait plus front, fléchissait comme une souche mal enracinée ; il se tordait, s’abîmait dans les limbes d’une réalité positive qui méprisait l’air et le ciel et le soleil. Tard, le matin, je me réveillais fatigué, le visage gris, cadenassé ; les êtres, les objets, la boisson, la nourriture, tout était aveugle, insipide, incolore ; la maison s’obscurcissait au soleil torride de l’été ; la chair des choses devenait incandescente, se liquéfiait ; la mort était impériale, tentaculaire ; comme une pieuvre, elle obturait l’œil, muselait la bouche, endurcissait le cœur. Les heures mal reçues, mal entretenues, à peine gravides, avortaient fatalement, péniblement. Des chenilles monstrueuses les grignotaient, les rongeaient ; le beau désir qui donne force, qui rend optimiste, se faisait attendre ou s’esquivait ; le rire brutal et franc qui secoue la branche et libère les fruits encore accrochés, les fruits coincés qui rêvent de libre gravité, devenait asthmatique ; le souffle, buffle embourbé piétinait, irrémédiable et court. Lorsque je dépouillais ce vêtement de portes et de murs, la rue répandait son eau tiède qui bientôt bouillait , blanche, échevelée ; le commerce licite ou clandestin y tonitruait ; dans les figures éblouies des passants, la lumière devenait un supplice, le corps mal retenu, s’en allait en colère et en sueur. La canicule de midi avait le fracas d’une canonnade, l’impudence d’une insurrection. Ne sortaient des terriers, des repaires que les misères affriolées, les ambitions insatiables, battant l’or par tous les temps. L’air plein de hargne et belliqueux, coulait, redoutable effusion de lave ; les rues en étaient encombrées ; partout, dans l’entonnoir des rues comme dans l’intense canyon du ciel devenu laiteux, l’acier, exacerbé, incandescent, asphyxiait. L’été, de sa voix de Stentor, clamait à ceux qui voulaient le défier, qu’il fallait pour l’éviter, chercher un abri ; que l’heure où l’on pouvait le narguer, en baguenaudant par les rues, n’était pas encore arrivée. Son chœur insoutenable et noir, derrière les paupières obnubilées, gonflait puis déferlait semblable à un tsunami ; il ébranlait les cerveaux détraqués et les sens anxieux, séisme violent qui ravageait jusqu’à la raison même. Sur ce rocher calciné, blanchi, les éléments existaient de nouveau et reprenaient leur souveraineté avec fracas, surtout pour ceux qui s’étaient accoutumés à les nier, à considérer le monde comme un décor de théâtre 6 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
presque virtuel qu’on utilisait quand il fallait jouer quelque scène social mais qui devait disparaître quand on n’en avait plus besoin de sorte que si le sirocco se permettait de bousculer le bourgeois préoccupé, il était houspillé comme un goujat. Le soleil inexorable, formidable bombait son torse incandescent audessus de la ville assiégée, vaincue ; ses faisceaux de feu brûlaient l’asphalte et le dos des passants ; dans le silence du supplice, il envoyait ses tornades tonitruantes sur le juste et l’injuste ; ses baffles lâchaient mille décibels sur les spectateurs récalcitrants, ses rages effrénées les abasourdissaient. Pris dans une telle inondation de laves insupportables, les passants étaient sommés de trouver de l’ombre. Certains, cependant, résistaient parce qu’ils étaient capables de braver, tête nue, la canicule ; ils pouvaient même se livrer à des tâches éprouvantes et ingrates ; comme des dromadaires, ils étaient pourvus d’un corps fonctionnel, adapté à la chaleur ; le squelette était léger ; les os étaient sveltes sous les muscles finement étirés, discrètement fuselés ; la graisse inutile était absente. La peau transpirait peu et, à la dernière minute, lorsqu’un effort important l’exigeait, ce corps déjà sec décourageait l’ardeur, évitant ainsi les coups de chaleur et la déshydratation qu’ils provoquaient. La pluie n’était pas tombée depuis six mois. Sous l’ardeur du soleil, la ville entière chauffait, se craquelait et s’effritait. Les murs, les carreaux du trottoir, la peinture des voitures, tout se transformait en poussière que la fumée pulvérulente des moteurs fatigués, hélait dans une ronde effrénée que le vent tourbillonnant attisait. Les détritus que l’on jetait partout s’en mêlaient ; les papiers surexcités cherchaient amoureusement de beaux culs à torcher ; à défaut de chair boudinée, ils se rabattaient sarcastiquement sur les visages prétendument propres qu’ils nettoyaient de leur morgue. Les sacs de plastique brillaient et s’entortillaient en claquant dans l’air remuée comme des sistres dionysiaques.
Jungle Les ténèbres qui ont rongé tes flancs comme des sangsues, Se répandent dans les rues où elles sautent et gambadent, Entre les arbres effrayés qui se retroussent comme des péquenots, Et brandissent, à tout hasard, dans la nuit qui les éblouit, Comme un gourdin vagabond, leur longue perche chevelue ; Et, dans le soir brumeux et solitaire, qui inonde, comme le Styx, 7 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
Le trottoir pervers, ta bave tisse d’affreux ivrognes qui se battent Et des épaves de femmes squelettiques et poivrées Qui menacent, comme des crottes, les ombres attardées ; Et sur la chaussée graisseuse et bosselée qu’encrassent Des mares de racaille éhontée qui serpentent et fuient, Des limousines pimpantes relèvent leurs traînes scandalisées, Et des passants bizarres, disséminés te croisent, Arborant à la place du visage que le sommeil arase, De grosses fesses, appétissantes et bien fondues Que paraphent, comme un cachet de crasse noire, Un pubis sur exhaussé et des touffes de poils fols ; Sous l’interminable voûte des ficus ridicules, élagués, Tu bats de ta semelle morte l’impossible seuil du Château, Et l’horrible nuit kafkaïenne déferle sur le boulevard Où les huées assourdissantes des réverbères t’accueillent, Comme un revenant frêle et cultivé qui polit ses insultes, Qui, un moment, les distrait, des fantômes glaireux et barbares Qui enfourchent, comme une marée, le charnier des ivrognes.
Abandon Au coeur de cette métropole tumultueuse et bondée, les hommes accaparés par d’interminables affaires, se bousculent dans un chemin large mais embourbé qui abolit la fatigue, les heures et les jours, qui les propulse dans la lumière grise d’une fallacieuse éternité qui les ensorcelle, d’où ils ne sortent que morts ou détraqués. Au cœur de cette métropole bruyante et bondée qui transforme les hommes en bêtes à l’instar de l’antique Circé, il est une mer inexplorée qu’habitent, muselées, des sirènes, où flotte une île perdue qu’aucun pied humain n’a encore foulé, où je suis depuis longtemps confiné. Il est un territoire intérieur et secret que ses richesses épuisent, où je meurs lentement, fatalement, dans une opulence qui ne m’est d’aucun secours, où je me morfonds, triste et prostré, parmi les trésors tus de la sagesse et de la santé.
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Il est une demeure inamicale qui me prend et ne me lâche plus et un tabernacle perverti que je transporte partout où je vais et qui me rattrape comme une longe, chaque fois que je veux rompre le sortilège, chaque fois que je veux briser les murs de la solitude. Ma langue inhibée gargouille en vain dans ma bouche vide et mes mains qui gesticulent, consolident les cloisons qui m’emprisonnent. Mes jambes vont et viennent et tracent indéfiniment, comme dans un cauchemar, les mêmes empreintes de la même trajectoire, du même chemin funeste qui déraille.
Ode à la mer Tout au long de ce ruban chaud et crevassé de route qui épate l’été et le chaume dressé et paysan, le vent sculpte inlassable, la gueule chevaline de la voiture ; conteur émérite, il narre comme un amant jamais rassasié, les soubresauts de la mer dont il porte les effluves dans la grande jarre des champs ; la brise saumâtre qui sort la tête et insiste devant la rive qui accourt et jappe, écume et bruit : N’est-ce pas frissonnante, éveillée, l’âme exhaussée que le filet tendu du sable tiède chatouille ? Chaudes retrouvailles des pieds nus avec l’algue et la mousse et le sel, fraîches épousailles avec la mer déshabillée et offerte comme une hétaïre ! Que vaste est l’épiderme de la dune qui s’étoile au soleil de l’après-midi, que fraîche et mouillée est la frange de sable saupoudrée de thalles roux, de thalles noirs ! Comme une ruée de crabes rouges, l’âpre polypier incessant et agité, court, saute, joue sur la mosaïque millénaire de la plage ; la mer aussi se traîne, avance, recule sans une attention pour les pieds, pour les corps qu’elle éclabousse,Mer toujours coquette, drapée dans sa nudité sous le grand dôme du ciel qui resplendit lointain, olympien, mer illuminée, haute et fêtée, allongeant comme une langue de lézard rêche, ses tentacules visqueux, ses ventouses rauques, mer qui appelle telle une amie sous le vaste charme de ses frises d’ondes et d’écailles, mer sournoise qui cache ses écueils, qui apprête ses trappes ! Quand ton corps n’en peut plus sous les langues de feu qui le fouettent et l’oppressent, dans ce hammam de sable stérile, tu t’en vas tâter la chair liquide, chamarrée qui s’étale, qui t’appelle ; l’eau d’abord te brûle et tu as envie de repartir, tu t’élances mais la vague qui fait le gros dos, te gifle, un dilemme supplicié t’écartèle entre le feu insupportable et l’eau glacée, le ciel t’assomme, trop blanc, trop lourd, et l’écume t’électrocute, envahissante, spasmodique, arctique ; elle accourt, en vagues, pour te lécher comme un cheptel de caniches, tu avances, recules, tangues, avide de fraîcheur, craignant le frisson lancinant qui te menace là ; le flot grossi, 9 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
aminci, qui afflue puis reflue, chorégraphie un beau ballet qui te bouscule puis s’esquive puis revient à la charge puis tâte tes lombes qui frissonnent, effleure ta poitrine qui manque d’air. Tout d’un coup, une vague aveugle te gifle impudemment. Alors, les jambes rompues fléchissent ; tu tombes dans l’écume où l’algue te chatouille, espiègle. Décontenancé, étourdi, tu défailles de fraîcheur. Tu te relèves vite décidé à rebrousser chemin. Mais le charme te retient ; tu encornes la levée de vague agressive qui t’affronte à plusieurs reprises jusqu’à ce que le corps trempé s’habitue à l’ironie de l’eau. Le corps porté, allégé est un athlète vainqueur qui perd peu à peu, tel un sucre mouillé, ses plis et ses contours. Tu n’es plus qu’une volupté dissoute dans ce vaste pan d’océan qui te congratule, un pressentiment de gaieté diffuse où le temps trompé t’accorde une trêve. Nager dans cette eau truculente et trouble, est un jeu infini de dauphin désoeuvré qui enfonce, remonte et tourne, dans l’aire conquise qui l’applaudit. Les bras gigotent, détendus, les jambes pédalent, libérées, la bouche s’ouvre et se ferme, le souffle se retrempe, audacieux, effrayé comme un enfant indocile. Le corps tout à l’heure réticent souhaite maintenant ne plus jamais en sortir ; l’eau saumâtre où des hardes de vagues débridées jouent à saute-mouton, est une peau nouvelle qui t’enclot. Tu es si souple, si étendu que tu touches l’Amérique au loin.
Leçon particulière La cité qui a longtemps semé le stress, Se traîne, ivre, sur le trottoir en terre battue Où des doigts furtifs sondent des poches engourdies ; Elle épand, soûle, sa peau et sa panse encrassée, Comme de vieux parchemins mal écrits et mal lus Qu’abluent, piètres scoliastes, des jets d’urine soutenue. Et tu calligraphies en vain tes métaphores inutiles Qui agonisent refroidies, désenchantées, Sous les semelles sourdes des souliers illettrés. Les piétons lancent des brandons d’hyperboles, Aux gorges surélevées qui les narguent, Aux hanches chavirées qui les frustrent, Sous les arbres émondés du parc qui somnole, Où des lampadaires incontinents inondent les allées 10 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
D’âcres flaques bleues où Narcisse ivre se mire, Sur les lattes agacées des bancs qui les dérangent, Des couples de poètes encroués s’entre lisent. Sous les parasols oscillants et les vélums tendus Qui claquent au vent cinglant et déchaîné, Des corolles rouges de tables tapageuses, Attirent les bourdons comme des dionées citadines, L’heure turbulente que le soir irrite et ennuie, Trotte et sautille sous les jupes qu’elle mordille.
De mer Ton corps que des lustres ont érodé comme des colères de torrent, gît, irrémédiable et prostré, sous les sabots lâchés de la rue qui cavale, sous les babouches des orants qui t’assiègent et te piétinent, ton corps qui surplombait la ville ignoble telle une acropole, gît naufragé sur cette rive émigrée comme un deuil de cachalot, où tu roules, solitaire et dépouillé, sur la grève répudiée qui se vautre et racole en vain la foule des fantômes envolés, que les bordées du vent assoiffé, soûlent. Comme une peau de souvenir inepte, tu abdiques et abandonnes le fil des phrases encore tendues qui te repêchent. Dans le gouffre du cauchemar, où tu dévales, la mer jeune, perdue, te hèle; la mer immémoriale qui épouvante l’enfant crédule, qui fascine l’adolescent silencieux et solitaire, la mer qui se délasse et travaille, belle, animale, qui te caresse longtemps comme un derme de dauphin poète, qui râle et se tait, insouciante, éveillée, gaie, endeuillée, dans ses fous rires d’idiot et de bègue et dans ses tics d’aveugle perdu que la lumière obsède ; la mer rageuse, terrifiante, hurlée, comme une bête de drame cannibale ; la mer au cri rauque, aigu à la fois incompréhensible et angoissant ; la mer qui rejoue encore et toujours ses farces rédhibitoires et dinosaures.
Debout ! Cadavre amnésique, piégé, que les tombereaux du sommeil laminent et liquéfient, qui enfonces et coules dans la fosse de noir abysse qui efface tout les parchemins de la mémoire, qui t’emporte comme Styx et Léthé, qui te saisit, le soir, gré de caillou et te lâche, le matin, sable inepte et délié, qui te déleste de tes vertèbres, qui te dérobe jusqu’aux volutes de l’âme. 11 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
Debout ! Rêve glissant, avorté que les longes de chanvre et de jours hargneux, étouffent et branlent dans ce ciel de manège obsolète et complice ! Debout ! Jambes de périple matinal brisées ! Debout ! Fleur de route fanée, qui te couches trop tôt dans la tyrannie de l’ornière. Dans cet arc d’arène que les touristes délaissent, que reconquièrent les courlis, salue comme un sain augure, les retrouvailles de la mémoire exondée et de la mer repentante et revenue, au fond de tes prunelles où les regards émoussés se délassent comme des vieillards fatigués, au seuil de la mort. Redresse ce corps que l’échec a voûté ; marche les souvenirs rapatriés et les chatouillis des rires restaurés. Retrouve le sentier que le sable a longtemps écrit, dans les pages envolées de tes yeux, dans les marges étriquées de ta lointaine jeunesse. Comme une meute de loups avisés, mets tes pas dans les pas du zéphyr qui te précède en jappant. De la plante des pieds, lis les runes des mouettes qui ont noté leurs beaux conciliabules sur le sable de la nuit. Parcours les longues odes ondulées du sirocco qui te fête en te châtiant.
Fatum Dans l’isolement absolu où tu te trouves acculé, dans les sables muets et bosselés où le verbe décapité ne chante plus, à présent que ta paresse a grossi rendant tout effort onéreux, à présent que la tombe ironique t’attire comme un aimant, ralentissant les constellations qui t’entourent et t’éclairent, à présent que de toutes parts, des stratus d’ombres menaçantes viennent joncher l’horizon gris de tes yeux, à présent qu’il bruine des larmes dans ce recoin de solitude que tu squattes encore ; à présent que la rivière furieuse qui passe, veut t’emporter jusqu’au Styx, tu changes de chaise et de couche pour tromper l’œil exorbité qui te fixe ; pour les vastes ailes rapaces qui te surveillent en planant, tu es la proie irritante qui se dérobe. L’appétit enfle dans les gésiers macabres. A quand la saignée ?
Remugle de vieille chaumière La grange qui fait face à la maison, reste toujours ouverte sous ses tresses de chaume. Quand j’y pénètre, me saisit, à bras le corps, comme un lutteur embusqué, l’odeur faisandée de bouse et de crotte qu’édulcore la paille corrompue. Aucun crépi ne déguise le grain rêche des murs en argile ocre. Au fond du bouge, ma mère allume le feu qui prend dans la paille jaune. Des rafales de fumée se précipitent sur mon nez incommodé. Passant outre, j’aperçois des larmes sur le visage légèrement noirci de ma mère. Sans 12 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
discontinuer, elle souffle sur la paille tout en présentant au feu rebelle, des bouquets de bois sec. A côté, un pot de terre à demi rempli d’eau et une assiettée de fèves concassées, sont posés à l’écart, sur un tronçon de souche, devant quelques navets et un chou ébouriffé.
Effusion Sur l’humble fièvre du cœur que la ville répudie, À regret, tombe, arachnéenne, une trame de bruine Qui module, grise et suave, en silence, une élégie Où, dans l’oubli de la faute que tu expies, Des prémisses d’arc-en-ciel arrondi, taisent La grâce d’une promesse qui s’approche. Sous le vélum du jour chagrin qui s’ennuie, Où, en bel embrun, s’exhale la mélancolie, Une secrète aurore veille, dans le fossé, Sous les sistres criards de la nostalgie. Et dans l’air saturée du matin maussade, Que des chevilles affouillent, comme une révolte, Songe, imperceptible, le sonnet d’une joie Que des pieds délicats et divins te dédient.
Dialogue avec l’écume Au bout de la route rapide qui longe la côte, s’approchant tantôt de la mer, tantôt lui tournant le flanc, entre les cités balnéaires qui dépècent comme des charognards la belle frange de plage et la campagne dénudée, calcinée par d’interminables foyers de journées brûlantes, parfois franchement caniculaires, où l’herbe est depuis longtemps partie en fumée, où les seules plantes encore vertes, sont des acacias fatigués qui narguent les véhicules , des buissons clairsemés de lauriers roses qui célèbrent l’été inhospitalier et torride de leurs mille fleurs rondes et blanches, des rideaux tremblants de roseaux coiffés de plumets blancs. Au bout de la route pleine de chaleur et de poussière, où l’air gai de la campagne fait vite oublier les relents viciés de la métropole polluée, lorsqu’on a traversé les marais desséchés où les joncs rêches et brunis sont 13 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
pareils à la barbe piquante et drue d’un bagnard en fuite, après avoir rasé les dunes que fixent des bois d’eucalyptus rachitiques et malvenus qui penchent dangereusement vers la chaussée, leurs cimes clairsemées, dénonçant le sable meuble qui leur refuse une assiette normale, au bout de tout ce chemin, la plage est là. Derrière le parking, des voix anonymes, imprévues, proposent presque machinalement, une tente, une table et des chaises, sinon un simple parasol à louer. Par delà les offres ainsi jetées, quel plaisir de fouler ce tapis de sable jaune sous la lumière aveuglante du soleil qui reste insupportable à trois heures de l’après-midi. Même si le mur des tentes et des parasols, vous dérobe la vue de la mer, d’âpres effluves chatouillent vos narines. Loin de la cohue qui s’agglomère autour de la longue chaise des maîtres nageurs, à une centaine de mètres à droite, les parasols se raréfient laissant libre cours aux épousailles du sable et des vagues. La mer est là toujours la même et toujours différente ; elle vous reçoit avec la belle hospitalité d’un hôte généreux ; mais si vous ne prenez garde, la fête deviendra rapidement un cauchemar ; aussi, devant la mer proche et lointaine, la mer parée comme une épousée et acariâtre comme une gorgone, la mer tendre telle une mère, criminelle comme une horde de Huns, le regard affriolé s’élance et les jambes apeurées traînent. Débute alors un dialogue charnel entre le corps rédimé et la mer omniprésente et multiple qui, de sa langue polymorphe et fraîche, comme un cachalot immense et débonnaire, lâche sur le corps minuscule ses frétillantes papilles mobiles. Ici s’agrègent, pareils à des lutteurs, le galbe et la paume, l’insecte et le pollen ; les sens qui étaient dehors subordonnés à la vue, se rebellent et se libèrent ; désormais, une myriade de sensations peuplent le réceptacle de la chair tentée par les caprices, par la magie de l’eau qui abolit les distances, qui brasse les volumes, qui permute à loisir les directions et les pôles. Les flots chevelus, comme un galop de joies et de chiens, molestent et raclent la motte fébrile de tes mollets enfants.
Un four Longtemps, les comédiens ont brûlé les planches, Les visages refaits ont ri, les bouches épicées ont aimé, Ce bras levé a trouvé une muse dans ces cris, Cette bravoure a savouré son écho dans ce bruit ; Puis, l’étoffe élimée du spectacle s’est déchirée, Les rides tarabiscotées ont repercé les joues, 14 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
De l’escarpolette mal arrimée, le rêve est tombé Et se traîne, plein de douleurs et d’ecchymoses. Le rideau cramoisi meurt comme un pendu ; De sinistres accessoires encombrent la scène, Des lumières échappées et crues s’acharnent Sur les masques figés qui jonchent le plancher Où des bottes font la nique à des escarpins, D’invisibles musiciens épient dans la fosse. Sur les strapontins ivres, à moitié culbutés, Gloussent des faunes hirsutes et dionysiaques, Où parmi les fauteuils dignes mais éméchés, Roulent des rumeurs de spectateurs disparus, Et d’implacables rancoeurs de parfums rances Rôdent, furieuses, dans les allées faisandées, Sur des vestiges mal emballés de bonheurs aplatis. Vissée sur sa chaise, la tristesse mal maquillée, Regarde mourir vaguement la fête consumée !
Dépoétisation La terre se cache comme une houri dans ces loques d’argile et de calcaire où elle se tait, où elle attend le chevalier à l’âme libre qui la courtiserait ardemment, pieusement ; longtemps, elle reste invisible sous les beaux décombres qui lui pèsent, elle reste intangible aux bras avides et laborieux qui veulent lui vider la poitrine et le ventre ; il arrive un jour où l’heure de la délivrance sonne. Pareille à un rorqual qui se débat et plonge pour se débarrasser des piqûres de parasites qui le démangent, elle s’ébroue, brise le corset de pierre qui la cerne de toute part et l’oppresse ; elle se couvre de cadavres et de débris qui lui sont ainsi sacrifiés ; la violence, la mort, le chagrin répandent partout leur thrène. Comme une chenille qui a longtemps espéré le printemps, elle s’éveille, se pare de fleurs et de chant. En ville, la nature verte a disparu presque complètement ; il n’en reste çà et là que des bribes poussiéreuses et vieillies qui attendent, pâlies, désabusées, si discrètes, si effacées que le vent oublieux passe sans leur jeter un coup d’oeil. Il me faut une langue de gros lézard pour accrocher, comme des libellules, ces rets écrus d’araignées suspendues, ces meneaux de lumière pudique et de chants farouches, ces fantômes de joies éparses qui craignent 15 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
le boucan. Il me faut des bras versatiles et souples, comme des vagues d’écume, pour mouiller, à loisir, les fruits secs du jour que le soleil de midi calcine et tord. Il me faut une peau fine et olfactive qui scannerait le rire souterrain de la terre. Trop d’hommes s’ingénient à la couvrir de gros cubes de briques qui lui pèsent et l’enlaidissent ; trop de corsets de macadam, de baleines d’asphalte, de bretelles de bétons ligotent les rares jardins et les faubourgs en friche. Pour le citadin, la prison est partout. Pris au piège dans ce pénitencier ambulant, il porte un collier infamant qui le flétrit. Un invisible boulet entrave son esprit comme son corps, dévorés par la fatigue, l’incrédulité, le désenchantement. Maté par les murs qui l’oppressent, par l’ornière des habitudes qui le happent et le remettent dans le manège quand il se rebelle, il devient son meilleur geôlier. Tous ses sens, devenus inutiles, s’éteignent ; ses pensées aiguillées constamment vers le gain, prennent un tour positif, pragmatique qui leur ôte les ailes peu à peu comme des volatiles qui n’ont pas de prédateurs. Dans son âme ainsi recluse, une lueur de colère froide et d’orage subsiste pareille à un vestige ; l’odeur du souffre indispose encore plus le bagnard libre qui sans pouvoir briser le joug qui est trop lourd à porter et impossible à briser, se sent plus malheureux encore à cause de ce scrupule qui l’ulcère, comme un calcul ravage les reins. Néanmoins, il lui reste l’air, même vicié, qu’il respire. Comme le fantôme d’un ami qui vient en vain le conseiller, l’encourager, il tourne constamment autour de son corps qui semble déconnecté. Il essaie de le toucher, de le rudoyer parfois mais il le trouve étourdi, absent, lointain comme s’il s’était enfui et avait laissé son corps à garder à une brute insensible. Ne pouvant tirer ce compagnon de cette somnolence, il l’abandonne à son sort non sans grever davantage encore le triste ennui où il le trouve, par l’espèce d’atmosphère de désillusion silencieuse que laisse un ami qui est obligé de lâcher prise, découragé par l’entêtement aveugle de celui qui oppose une résistance absurde. Néanmoins, il lui reste le ciel qui dénonce les laideurs de la ville prosaïque et servile. Il lui reste ce dôme original et poétique qui se montre toujours le même et toujours différent, qui s’exprime dans une langue qui comporte mille nuances, qui dans sa tristesse, fait preuve de goût et d’invention. Il lui reste la grandeur, la profondeur, la liberté qui y sont inscrites. Dans l’horreur de sa prostration, il lui suffirait de lever les yeux pour se dégager de cette bourbe.
Impératif 16 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
Pris, comme un brochet, dans les rets du temps, tu renonces à te débattre, offrant un col résigné à l’invisible bourreau qui te guette. Tu froisses les pages maculées de tes journées oisives, et tu jettes aux chiens errants, le gibier de ton âme ; dans le frêle roseau qui te soutenait comme un espalier, tu tailles pour les enfants incrédules, des syrinx désaccordées. Sur la couche inepte où tu t’abats et qui ment, tu vomis peur et désespoir. Relève ce front que l’horreur fronce, redresse cette échine que le destin écrase. Dans ta poitrine libre et dilatée, sens battre la terre que tu oublies. Laisse jouer, devant tes yeux dessillés, la gloire du ciel bleu. Accueille comme une aubaine, le soleil qui resplendit et donne à l’air humble qui te suit comme la mort, une poignée de main émue.
Influence Je passe une fois, puis deux, puis trois et la même carrière de ciel me regarde et me nargue avec la frivole condescendance d’un jeune dieu adolescent qui trônerait dans son empyrée en prenant une attitude dédaigneuse; le céleste éphèbe se laisse admirer sans rien dire, m’abandonnant à ma confusion ; des mots viennent dans mon essoufflement, qui sont si vagues, si communs, qu’il ne peuvent évoquer cette merveille de couleur, de transparence, de profondeur. Je ne puis trouver d’autre adjectif que bleu. Seul un excellent peintre peut représenter fidèlement cette beauté tranquille, futile même, qui se prodigue là, sans aucun effort, dans une indifférence gratuite qui n’exige même pas qu’on la regarde. A travers la sueur qui trempe cet infernal manège, le parc de midi est tranquille et beau ; les rares enfants qui jouent dans le sable, ne dérangent rien comme s’ils étaient des oiseaux. Je passe et repasse, dans la fièvre de l’essoufflement, et pour oublier la fatigue qui devient douloureuse, j’essaie de parler de ce ciel qui s’éboue comme un poulain, dans sa baignoire turquoise, entre les hautes cimes du parc, les hibiscus et les bougainvillées. De tels paysages ont une beauté époustouflante, impérieuse, insigne qui me saisit et me secoue comme un guet-apens. Leur spectacle formidable a un impact mystérieux et muet qui me fascine et m’excite alors même qu’il me rend pitoyable et ridicule. Quand je m’efforce de mettre des mots sur ce que je vois, je découvre mon ineptie, ma maladresse. Ces épiphanies me déconcertent en me comblant. Elles ravivent la flamme presque morte de la beauté, revigorent la foi vacillante qui s’estompe dans le marasme d’une existence vide et laide. En frustrant ma veine poétique, elle me flagelle. Je deviens un soufi mal loti qui se croirait 17 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
coupable de l’éclipse Dieu. De telles rencontres me lancent, aussi, un si grand défi et me demandent un effort si prométhéen que le coup qu’ils portent subitement, m’assomme. Le drame de la situation me foudroie et me paralyse.
Rédemption L’heure vespérale décline, mélancolique, Sur cette butte de banlieue perdue Qui surplombe comme une corniche, L’immense panse de la ville hétaïre Se vautrant là-bas, sur la grève obscène. L’Orient naïf qui a palpité tout le jour, se tait, Et, dans la poussière rétive qui te bat, qui te gifle, La rocaille hérissée s’ébroue et aboie, Tandis qu’une balle gonflée qui saute et court, Dans ce terrain vague, hostile et chaviré, Joue avec deux grappes de mioches aimantés ; Moi qui chemine, fourbu, dans cette thébaïde Ornée de plastiques liants et volatils, Jonchée d’authentiques ordures parfumées, Où des bourdons de mouches butinent, J’écoute, les narines fermées, dans l’îlot de ma nuit, Ce roulis de mer puérile qui s’en va puis revient, Comme une valse de moineaux siphonnés ; Et j’oublie la butte, ses rochers et ses boues, Et, dans l’air du soir qui me salue, goguenard, L’Orient effondré retrône dans cette butte. La terre rachetée brille comme une promesse Et le destin fauve et surpris ravale ses griefs, Quand, voilier immémorial, à l’étrave levée, Tu avances, irrésistible chair remodelée, Transfigurée comme une aurore de Baudelaire !
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Réminiscences
Quelle fête dionysiaque resplendit là, quand d’impalpables aurores parent la mer ensommeillée qui se délasse, sereine, dans la candeur du matin ! Bientôt le vent forban prendra d’assaut la grève ; le long de la syrte insomniaque, des pêcheurs alentis, traînent, bélier récalcitrant, la baie têtue et scandalisée qui se rebiffe en gémissant. Debout, souvenir ! Debout, sillage embrumé ! La muse généreuse t’éveille et t’émoustille ; et tu mues, peau de serpent vieilli et tanné, carapace de haine raide et froide dont le carcan t’étrangle ; et tu lances, émues, tes chevilles, vers cette langue de lézard glauque qu’endigue, entre la jetée servile et le haut promontoire farouche, le beau matin de l’été. Et tu marches l’antique enchantement adolescent qui s’arrache encore du désespoir fauve de la pauvre couche où l’asthme menace, où frétille la joie loqueteuse et hâve d’un poème déchiqueté. Dans le zéphyr du matin salubre où tu flottes, tes pas timorés que l’angoisse talonne, chassent les quartiers pauvres où des chiens errants et des chats borgnes fouillent des restes d’ordures oubliées où luit la pulpe des melons. Ils battent le boulevard rogue où te huent des façades acariâtres. L’asphalte que salit la rosée, est un toboggan qui te catapulte jusqu’à la plage. Tu te détournes et fuis le vaste abcès crevé du port bruyant, corrompu dont le pus s’écoule jusqu’au môle. Là-bas, à l’Orient, t’attend une gazelle de sable ingénu. Et tu es sable chaste et veuf que le désir brûle. Tu regardes trembler, lointain, hanté, un rêve. Et tu foules, ivre et ravi, l’arène tingitane qui entend toutes les langues. L’été cruel et gai enterre la saison froide qui a vomi toute sa bile ; il drape d’un lé pailleté le sable menacé ; il féconde la mer où dort Aphrodite. Il fête l’or et l’azur et, sur la rive enchantée, il lâche un sérail de blancs appas que l’écume fascine. Ton cœur lève alors et tes pieds fourmillent et l’herbe de ton pré replet, vibre comme une poitrine inspirée, comme un regret qui démange. Tes talons fidèles quoique oublieux, retraversent la lisière lointaine où déferlent, comme des hallucinations, de vielles écumes qui se disputent avec de vieux siroccos. Tes plantes tôt agacées et tes orteils durcis rebattent la mince lisière de sable rêveur, entre la mer et la falaise qui menace à l’est comme un murmure d’insurrection.
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Humiliation Dans ces partouzes de verrières arrondies et d’acier contendant, Qu’ébranle le vacarme des moteurs en rut qui brament, La terre branlée, tout le jour, comme la conque d’une prostituée, Se vautre à même la honte bruyante et le cauchemar ! Le soir qui voulait saluer le matin, se réveille en sursaut ; Il se lève, naïf ; chaste, il court, encore ensommeillé; Hélas ! Il ne croise que des grelots las et des tics vespéraux ; L’image du jour puissant, auréolé, ondulant dans le silence moulu, Etouffe dans ce fumier d’insultes, comme un chœur de suppliciés ; Sous les bottes du destin qui le renversent et l’écrasent, Il râle et ses mains tremblent, orphelines et humbles, Et ses jambes désarçonnées ruent, dans la peur qui les fauche ; Comme il oublie de quereller, ravalant sa colère ignominieuse ! Et dans ses yeux fermés que l’horreur investit, Des reflets pourpres courent entre les paupières meurtries ; Et dans sa bouche pleine de terre hostile que l’angoisse blesse, Les vocables ont fui comme un gibier épouvanté, Aussi le soir couvert et gris qui rôde anxieux, comme un vagabond, Lâche-t-il sa piètre complainte, dans le brouhaha des rires, Dans l’insolence des portes claquées, des moteurs qui ironisent ; Elle croît comme un abcès, comme une croulante épouvante, Elle court et tombe dans la route hostile qui la méprise ; Elle reçoit des gifles puériles qui la font valser, Et l’humour, imbécile, insouciant, lui jette des pierres ;
Pièce de boulevard Dans cet immense boudoir de rues étranglées et de boulevards belliqueux où les odalisques du soir vénal, déambulent, en larges sarraus de cotons, en sandales de chanvre, l’astre implacable déverse ses derniers tombereaux de poussière poivrée où les véhicules nomades rouillent debout telles des catastrophes sculptées. Sous les couches de loess oublieux et de
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haines crétacées qui les habillent, les passants tracent librement des cercles infernaux que Sisyphe raille. Le plancher vacille, infâme, dans le vaste et immonde salon de la ville ; la croûte à peine anoblie, dédaigne la vieille argile rouge qui sommeille, en bas, tout près, qui jaillit comme une volaille vociférée, dès que le sol citadin est écorché. Mince, s’efface le revêtement cultivé de ciment mort et le vernis snob du macadam essoufflé. La cité ébranlée plie, incrédule, comme un Colisée ; les murs troués, lézardés où s’accrochent d’affreux nids de néons écarquillés, comme des orbites de chouettes, arborent leurs loques de peinture fendillée et leur serge de vieille misère. Les trottoirs, chaque année plus étroits, que l’oisiveté furieuse ravine comme une marée, où des générations de mendiants remaquillés, s’accroupissent, le vendredi matin, pour harceler la conscience courte des bourgeois qui, tout de blanc vêtus, s’en vont faire la prière, à même le trottoir, pendant que la police paît le troupeau des voitures. Et les orants mal prosternés savourent d’avance, sous les décibels prêchés, le monticule de couscous rituel, garni d’un bouquet de légumes versatiles, où veillent, toujours brûlant, des quilles de potiron rouge et épars. Sur la route du retour, ils passeront chez le laitier pour prendre les deux litres de babeurre.
Tropes Tes prunelles ouvertes et tôt hantées, Qu’agace ce désert de cris et de cohue, Erigent un dôme de tremblante attente, Dans le soir amer et sceptique Où les toits accablés, les murs résignés Eblouissent comme des remords ! Sur la scène fatale, horrifiée Une main folle éparpille ces miettes ; Aux passants aliénés qui les ignorent, Une main ironique, obsolète, Jette ces feux rares de métaphores. 21 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
Dans le fracas du séisme qui secoue la ville, Tes rêves rauques gisent, fracassés, Sous les éboulis sourds qui les écrasent ; D’effroyables psylles envoûtent la foule Aveugle et absente, qui se trémousse, Telle une haridelle d’apocalypse couchée. Ici, sous ce ciel qui se cache pour pleurer, Où la course du soleil ne passionne plus Que le peuple bénévole des moineaux, Tout est mort, âme oisive, vieillie, Qui te tais, prostrée, au bord du chemin, Cœur parcheminé qui t’épuises et sèches, Comme une synecdoque inepte et caduque.
Rien Brocanteur enroué, le matin épuisé passe son chemin ; par dessus la butte de midi où, dans le gazon pelé, se vautrent, au soleil pâle de novembre, les chiens errants du quartier, saute le joyeux après-midi tandis qu’arrive, claudicant et rêveur, le soir insouciant qui marche un moment, s’arrête pour suivre une idée, s’assied pour prendre une pose, se relève pour attraper un air qui fuit, s’enfonce dans un long silence, un silence si prolongé que la pauvre journée oubliée que des soucis ménagers appellent, commence à montrer de l’humeur ; d’un coup, le ciel versicolore devient jaune, orange, rose, pourpre, puis, perdant la tête et le buste, étourdi, confus, il se couvre le visage de suie. Les rues s’emplissent de pas, de cris, de klaxons ; des torrents de voitures charrient des éboulis d’hommes, comme un fleuve en colère humilie des arbres incongrus. Des portées d’enfants à peine éclos, réinventent l’espace libre, malaxent des jeux qui semblaient sclérosés ; ils 22 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
s’interpellent, courent, sautent, se lancent des insultes, échangent et savourent de grosses obscénités qui leur écorchent le gosier, avalant d’un trait ce rhum des rues que les parents interdisent, que les pédagogues flétrissent. « Sans doute, pour en accaparer le monopole », pensent tout haut, ces mioches quand ils se retrouvent entre eux. Pour eux, la rue est une amie par trop méprisée, par trop dénigrée, dont il faut profiter, tout en faisant attention aux piquants et aux puces.
Féerie Le gouffre immonde bâfre des épaves, Dans la cité engloutie qui rouille comme un Léviathan, Des hordes d’immeubles désoeuvrés errent Dans les rues silencieuses, dans les rues insomniaques. Des chiourmes de vagues noires d’où venues, Narguent les piétons allégés et fouettent le fer gourd. Au fond de cet océan gris que la vase assiège, Que dédaignent depuis longtemps les foudres du soleil, D’éternels passants sillonnent dans leur rêve d’acier Le pavé humide où la détresse sème ses longs ficus ; Dans les fenêtres crevées des façades qui dorment, Des hordes de démons tourbillonnent et brouillent Le silence et la gîte où patrouillent des requins marteaux, Tandis que des boucles de rescapés s’affairent, Dans la boue des fonds, à même l’écume de la mort, Dans les rafales d’ombres qui accourent puis s’égaillent. Je marche, unique cadavre soucieux et flétri, Parmi la mousse insane qui me chatouille et me raille, Et, dans cette énorme gueule qui n’en finit pas de baver, Je sombre et j’étouffe comme une pieuvre maudite, Et l’emphase d’asthme et de grimaces qui m’essore, Aguiche comme une parodie d’orgasme épileptique Les valses sinistres et lascives des raies bouclées ;
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Et sous les flots qui la brident et la tyrannisent, La ville égueulée ronfle, comme un Léviathan, Dans la mer sournoise qui la piège et l’asphyxie !
Pays natal Le passé le hèle des collines où il vécut ses premières années. Pourquoi les aime-t-il tant depuis qu’il les quitta pour s’enterrer dans la bicoque branlante de la ville ? Le bonheur a pour lui le goût des figues mûres qui brunissent sur le toit de la maison abandonnée. Le bonheur ne peut être que vert et une ample tonnelle d’arbres festonnés de lierre ou de pampre, est son meilleur refuge. Son coeur, rassuré, se dilate de gratitude, quand des massifs d’arbustes, parmi les cris de la basse-cour qui s’y réfugie, lui envoient d’aigres senteurs de groseilles dures. Quelle fête frétille dans ses jambes quand des effluves de thym et de menthe l’abordent de butte en blanc et flattent son nez et son palais ! Le rêve, alléché, quitte le jour offusqué et s’enfonce dans ces halliers obscurs ; il rattrape l’ânon du passé qui, bas sur pattes, trotte menu. Les voitures anachroniques disparaissent, les immeubles difformes et encombrants, enfoncent leur caboche dans le sable inepte. L’enfant ressuscité rejoint le pays aimé. Il arpente, pendant que le cœur pépie de satisfaction, la terre rocailleuse et rêche. Les demeures patriarcales l’accueillent joyeusement tout en réprimandant les chiens accourus qui ont cessé d’aboyer mais qui jappent encore, incapables de se retenir. Il repalpe, de ses pieds extasiés, les deux cours pavés de pierres chavirées qui le bousculent. Il embrasse, de ses yeux fidèles, les troncs bosselés des figuiers centenaires dont les ramures descendent jusqu’à terre. Puis, il retrouve le petit pont de bois qui enjambe la ravine profonde, séparant les deux demeures. Entre les haies touffues des maisons qui dorment sous leurs tuiles et leur chaume, la ruelle de terre ocre, parsemée de pierres, où d’énormes écueils attendent accroupis, serpente, rétrécissant ici, s’élargissant là. Quand elle atteint la vasque surmontée de pierres plates, où coule une source invisible, infime, il la salue puis la contourne. Il jette un coup d’œil curieux, à droite puis à gauche, dans les grands jardins laissés à l’abandon, entre leurs hautes parois d’oponce dissuasif. 24 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
Deux couloirs appellent alors l’enfant qui fait la sourde oreille car il redoute ces boyaux couverts de hauts eucalyptus, ces rubans guillochés de plaques glissantes de lichen, qui empestent la moisissure. De sombres réminiscences qui vacillent, floues dans la lie de sa mémoire, l’arrêtent car elles redoutent ces retraites pleines de silence et d’ombres. Même le jour, sous le soleil éclatant de l’après-midi, il ne se risque pas sans appréhension dans cette brande sèche, sous ces pins surélevés qui sentent fort comme des boucs barbus. Il lui arrive de les retrouver, la nuit, dans ses cauchemars, où quelque monstre innommable se devine et où l’horreur attisée, comme un vent de sirocco, éteint en tourbillonnant le falot de la conscience. Le malaise indélébile qui le pourchasse au réveil, lui suggère, comme un mystère périlleux, insoutenable, la rencontre refoulée d’un sphinx épouvantable qu’il faut ignorer et fuir. Quand le soir tombe, la peur se transforme en terreur. L’enfant appelle au secours.
Déroute Dans ce damier de dogmes compacts, Les rues assonancées se désagrègent Et le soir subversif insinue ses brumes Dans l’après-midi ensoleillée qui s’achève, La Terre, muette, pulvérisée, s’effrite dans le ciel Cruel qui emmêlent ses immenses toiles ! Et dans les boulevards largués où meurent des adieux, Tu marches, pauvre chair épouvantée, fourbue ; Froide, te regarde l’immensité hautaine, Qui force, comme une allégresse, ton cœur qui bat !
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Dans la ville ahurie que le sommeil assiège, La nostalgie soudain est ce bras qui rompt, Qui éparpille la place incrédule, effarouchée. Des années d’affreuses ténèbres, s’ouvrent Comme des trappes fauves dans ton âme ; Et tu regardes la ronde somnambule des passants, Et les bras qui se saisissent, sont un leurre, Et les regards qui tournent, tendres et proches, Sont des bribes de galaxies écartelées ! Que spacieux, que triste est cet infini Qui froisse, saccage, et effarouche le soir, Où des trous d’angoisse tourbillonnent, Qu’habitent des nostalgies térébrantes, Dans ces boulevards qui somnolent, Dans ces parcs que le serein gagne, Comme l’embrun d’un poème secret.
Charme Tandis que tes jours mal élevés, sortent en courant, heurtent les passants qui se récrient, débouchent dans un boulevard dont ils investissent la chaussée ; tandis qu’ils se chamaillent comme des parias, dans une voie puis dans l’autre, entre les klaxons enragés, toi, tu t’assieds comme un enfant sage, sur un banc de bois où s’impriment tes fesses incommodées, au bout de ce parc qui rayonne comme une femme heureuse. L’automne finissant ment comme un arracheur de dents et novembre, triste rapin, ne trouve plus ses tons jaunes, ses ocres déliquescents ; ici, une joie de printemps jeune et tendre, joue sous ces ficus qui changent à tout bout de champ de linge. Dans un cercle de sable qu’encadre un vieil aréopage de caoutchoucs centenaires, des éclats d’enfants s’égrènent en accords et en arpèges, sous les merles qui les sifflent. L’herbe est si frêle, si belle que le soleil la ménage, que le matin la pare de rosée pour lui faire oublier les terreurs de la nuit.
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Buisson ardent Quand tes yeux que souille une encre indélébile, Ne voient partout qu’un dégoût de désert effroyable Où le sable sobre et insane fouaille les falaises, Où un vent belliqueux opprime les dunes veules ; Quand tes paumes abluées, palpent, désenchantées, D’affreux massifs de méchantes cactées redoutées ; Quand le feu de la solitude étreint tes savanes, Où derrière la fuite stupide des gnous informes, Galopent des tourbillons d’hyènes sarcastiques ; Quand par dessus les halliers de crotales crêpelés, Montent, à l’affût, des hontes d’acacias noirs, Surgit, miraculé, dans la ville fécondée qui se tait, Où les vastes volées du ciel bleu et faste sourient, Où te drape, comme une mer, un ample lé de brise, A même le sol libéré qui se repose et rêve ; Surgit ton visage illuminé comme une comète, Et me voilà, pèlerin, sur les routes ouvertes De ton corps libre, de ton oasis offerte Que la terre éblouie couvre d’herbe tendre, Où tes pas impondérables étalent l’humeur de leur marée, Parmi le jour d’hiver lumineux qui roule dans le gazon, Où la chair rassérénée parodie l’allégresse du cœur humble Que la brise enhardie encense de soucis voluptueux ; S’éveille, pleine et distante, insoutenable spasme de rire, L’heure même enlaidie, l’heure même tordue et vieillie, Qui loue la terre et la vie et le souffle qui les soulève ; Et dans le désert à peine rédimé qui veille comme un yogi, Le plaisir qui me démange et me désaltère, est un bouquet De bruyère qui t’accroche comme une douleur austère.
Marâtre Dehors, la nuit s’éveille, boisée de pins parfumés ; Vêtue de belle et frêle attente, elle se promène, 27 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
Coiffée de feutre secret et d’imperceptible duvet, Où, comme enchanté, le plaisir avance et glisse, Partout naissent et grandissent des charmes mordorés Que les rares passants admirent, muets et fascinés ; Cythérée y sème un manteau de trouble brouillard, Qui répand sur les eucalyptus ahuris son fol effluve ; Elle insuffle aux fougueux, aux noirs satyres sourds, Le désir cabré et l’irrésistible ébène de sa noire chevelure ; Tandis qu’aveugle, élagué dans ce corps émasculé, Je tourne, errant, égaré comme une chienne en rut,
Et ma vie estropiée est un puits profond, enfoncé, Aux parois purulentes et raides, émaillées de sangsues, Où, comme des menstrues, saignent des moisissures ; Et ma détresse est une hydre sanguinaire qui entame La peau de solitude flasque et ridée où je me réfugie. Tombe un bout audacieux de corde forcenée et salutaire, Où mes bras même résignés, même rompus, pendront, Comme deux branches sacrifiées de figues pourries !
Monologue La forêt qui disparaît, qui n’est plus que regret dans l’œil insatisfait du dilettante, bien qu’elle opprime l’œil rabroué, les sens bousculés et le cœur voltigeur qui a un appétit insatiable, reste verte et proche ; elle offre au regard qu’elle restreint et frustre, des gerbes de surprises voluptueuses qui le distraient. C’est une forteresse de belle architecture, grouillant de formes et de couleurs, qu’une main divine a généreusement bâtie, a luxueusement meublé. Ici, les murs grisonnants et mal fagotés, sécrètent le spleen, instillent, indélébile, l’ennui. Rares sont les tonalités vives et fraîches qui ne versent pas dans le ridicule ou la grossièreté ; ce qu’on trouve beau mais qui n’est que cher, brille comme un sou neuf et parle uniquement à ceux qui ont de l’appétit pour la pierre informe et le fer bavard ; malgré la chape et les 28 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
barreaux de l’hypocrisie, brillent seuls comme des joyaux, des appas magnifiques qu’ un merveilleux levain pétrit, dans le silence et le mystère ; sans visage et sans main, il y façonne comme un démiurge, d’irrésistibles collines duvetées et des canyons où la raison perd son turban, glisse et se casse le nez. Dans la clairière étriquée qui estropie la rue où des cercles d’immeubles se penchent pour chuchoter quelque vilaine manigance, l’air un peu étourdi qui dormait, comme un clochard, dans quelque coin borgne, s’éveille, bâille et s’étire ; de ses doigts encore engourdis, de ses doigts désoeuvrés et nobles, qui n’ont guère travaillé, il secoue la vilaine poussière qui reste collée à ses loques puis il reprend sa marche, passant sous le nez des promeneurs et des marchands qui le bousculent. Moderne Diogène, il affiche son miteux mépris devant les façades blasées que rien n’étonne. Que feras-tu, dehors, où tu n’as pas de place parmi les barbares, où nul interlocuteur n’éclaire ta thébaïde, toi qui sèches sur pied comme un tuteur trahi ? Voué au silence comme à un boulet, tu interpelles le vent furtif qui te salue sous cape ; vous vous entendez comme larrons en foire ; quand il lance un quolibet au pauvre eucalyptus qui se desquame comme un lépreux, tu l’exhortes à la clémence et au respect ; les arbres qui font le pied de grue et qui reçoivent tant d’insanités sur la figure, sont des philosophes pleins de force qui n’oublient pas les dures lois de la gravité; c’est pourquoi ils croissent jour et nuit ; c’est pourquoi ils ont toujours une pensée pour les oiseaux qui les épouillent. Trouvent-ils insupportable leur infinie immobilité, ils confient leurs songes au jabot des moineaux, comme un naufragé lance une bouteille à la mer.
Poussières Sous le baldaquin colossal qui tend sa mousseline, Dans ces avenues spongieuses aux irrésistibles fesses, La ville voluptueuse savoure ses fulgurants orgasmes, Dans les draps pacifiés des ténèbres complices, Où des milliers de bittes dures fouillent des vulves ravies. Le monde enfin meublé, est si beau, si stable, si sûr, Que les ordures même se pâment, sous la lune qui les flatte. Toi seul, Orphée infortuné, tu erres et doutes et te désoles Et l’angoisse qui t’assiège et te tourmente, comme une hyène, Lacère les loques de ta chair frustrée, qui se détourne De l’insigne Sodome où chantent le désir et le plaisir. 29 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
L’angoisse fauve déchiquette ton cerveau ramolli Et brûle, comme l’étoupe, les doums de ton cœur. Tu trembles comme une feuille décontenancée, Orphée enfoiré, que la peur mord, que tord la colique ; Dans les rues dépaysées de la cité dévergondée, Où se déhanchent des rires gras et lubriques, Des hordes paniques de fourches te pourchassent ; Dans ce boulevard évacué qui grelotte sous sa peau obscène, Sous les huées de la nuit hallucinée qui tend ses toiles, Grouillent des griefs de mygales hargneuses et affamées ; Et tu cours et trébuches et tombes, parmi les carreaux crevassés Qui oublient ivres leur assise, qui se trémoussent dans la terreur Qui enfle comme une lame, qui, flot, déferle et t’inonde ! Tu trembles comme une feuille dépareillée qui tangue, Fol Orphée, qui te dresses sous les moellons poignants, Qui regardes le plancher pervers bâiller comme une goule, Qui t’élances vers le ciel lointain et fixe qui t’ignore, Et l’horreur qui t’atteint, qui brûle, feu vorace, La graisse de ton cœur remué qui bat la chamade, Te consume et le monde luit et fuit, comme un tamis insane, Où, malgré l’ataraxie des troupeaux qui y paissent, Tu te démènes et te dilapides en cris et en contorsions ! Laisse-là ces craintes irraisonnées, fantôme d’Orphée, Ombre tordue et effacée ! Caricature hallucinée ! Tends une foi rassurée au monde où le cauchemar menace ! Et vaincs, comme Antée ce vertige qui te désarçonne ! La terre maternelle et glauque te porte comme un giron ; Les piliers, hauts et forts, sont arrimés au ciel qui les aime, Les pierres bien assises adorent la vie et redoutent le vide. Les hommes comblent les fissures quand le silence délire.
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Avortements Suis-je si bien damné que des remparts de haineuses cactées poussent comme des châtiments autour de ce corps effondré, autour de cette conscience de vieille cruche ébréchée ? Suis-je si mal luné que tous mes pas tournent dans un stérile labyrinthe ? Suis-je si mort, si éteint que là où j’appelle, le ciel se tait et le vent continue à me narguer comme un rire fardé de fantôme ? Dehors, mes jambes parlent une langue étrangère. Dehors, j’avance, tronqué comme un texte aveugle et les quolibets du monde traversent comme des projectiles, le creux si vulnérable de ma poitrine insane. Me fatigué-je en vain sur ce trottoir qui me dédaigne, au bord de cette chaussée fortunée où des âmes avancent, vernies et transfigurées ? Que j’aime ces sentiers lumineux, s’ouvrant dans les chairs clairsemées qui se ferment à mon approche ! Ces routes auréolées qui se lèvent, ces aurores oubliées qui chatoient, ces prunelles insoutenables dont l’éclair me traverse sans s’arrêter et me brûle comme une injure ! Ces voies rêveuses, improvisées qui s’ouvrent comme des porches impromptus, ont-ils jamais vu ce crabe raclant, mal famé, les pavés du par ? Ces cantiques irisés ont-ils jamais fixé cet histrion réduit à embrasser, mâts salutaires, les froids lampadaires où la lumière est une buée suave qui joue dans la brise vespérale ? Ah ! Quelle lèpre effilochée de sourde tristesse m’ensevelit quand les mots s’étranglent, dans ma gorge remplie de rocaille, quand mes yeux vaincus défaillent, clos et éteints, au fond de mes orbites inutiles, quand mes pas insoupçonnés trébuchent au seuil du paradis ! La comédie s’achève alors comme un conte de fée ! Dans ce théâtre où mes semelles résonnent comme une complainte, l’amertume est un manège effréné qui tourne et tourne et donne le tournis à la mort qui me ressaisit et me replonge sous son linceul sinistre !
Schisme Ta figure bègue rouille, cadenassée, Et ta langue babille, turbulente et puérile, Dans l’enclos de ta bouche désaffectée, Tandis que tu glisses comme une rosse triste, Le long de la route ensorcelée qui bavarde, Qui opprime la vie et le tendre sourire de la vie, Tandis que tu avances en pays étranger, A même les grimaces de l’immuable hiver, 31 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
Au masque de bure, barbouillé de pus, Qui durcit, croûte de plaie sourde, Qui s’étoile de haine gluante et de lichen, Où ricanent, profondes, des rides courroucées. Armé de pals avares et de gourdins béotiens, Le jour gronde, jaune et acariâtre, Et bougonne comme un vieil Harpagon. Le vent s’esclaffe, violent et forcené, Au nez du poète timide qui recule. Du ciel blême et rogue, coulent un jour frelaté Et des ruisseaux de sarcasmes sur Sodome Qui tangue, pète et rote, à moitié détruite.
Rengaine Ce monde est honni et cadenassé ; des gueules de requins y écrasent l’argile engourdie des sens ; d’invisibles piranhas rognent les ailerons de la terre damnée ; la verte pelouse des prunelles s’effrite, douloureuse et close. Sur les lèvres gercées, la soie volatile des versets ensorceleurs que le vent immémorial fête, s’effiloche dans la fumée béotienne ; des pelotons de ténèbres saccagent les buissons du jour rare que des mastodontes d’acier obscène, broutent à qui mieux mieux. Sous l’infernale rotonde où les hommes tournent comme des forçats, de menaçantes détresses défilent à même le caniveau, cependant que, devant les portes murées du ciel rancunier, s’entrechoquent des processions d’aveugles désespoirs qui noircissent en silence. Moi, ma besace est plate et grise ; n’y trépignent que des volutes de mots aériens qui s’ennuient. Sorcier inepte, j’avance comme un épileptique secoué d’imprécations ; je sillonne les routes, blanc et transparent, comme la brise ; mes jambes fatiguées, mes omoplates tristes et mes talons douloureux désapprennent la langue des oiseaux et des arbres. Sur les carreaux du trottoir, je lâche en vain les rênes du rire que l’écho ramène. Les pinceaux des regards vides, dans cette prison de ville quadrillée, n’ont pour t’écrire, bonheur infortuné, que l’encre abyssal de la seiche. Faut-il tourner le dos au fumier stérile et forcené ? Au bout des pentes raides où grimacent d’affreux gouffres, tu erres, comme Dédale, dans ce carrousel fastidieux. Des regards inhabités te 32 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
traversent, te bousculent et te donnent le tournis, pareils à des salves d’insultes. Là où tes pas désenchantés vibrent comme des portes, l’indifférence des passants creuse une absence que vomit le cauchemar. Tels, s’évanouissent, aux dépens de la pierre qui y tombe, les orbes d’un étang dérangé. Nul serpent de rancune n’infecte, néanmoins, ce cœur. L’oubli est une auréole qui te flatte et tu pardonnes.
Retour Depuis l’aurore, la journée est ardente et gaie; Elle se réveille, pleine de sève et de force, Elle gambade, comme un faon dans un pré ; Elle hausse la voix, aimant l’éclat et la colère, Elle danse sans crainte ni souci, Elle nargue toute faiblesse, toute tristesse ; L’après-midi, elle commence à se fatiguer Et son teint fané étonne comme une infamie ; Voilà qu’elle rêve, barbouillée de chuchotis épars ! Voilà qu’elle regarde l’allégresse vaincue décliner ! Voilà qu’elle écoute, troublée, le silence qui la hèle ! Pris dans ces filets, comme un dauphin infortuné, Je me démène et m’entortille davantage encore. Voyez comme je marche, brouillé, dans ce Styx qui s’étire ! Voyez comme le bourgeon de mon regard tombe et sombre ! Voyez comme je m’assoupis, automate, en marchant, Où le flot battu des âmes, fond comme fleur au soleil ! Et la solitude que je fuis, me harponne et me rattrape, Dans le spacieux amphithéâtre de la cité géante, Qui rampe, se crispe et rétrécit, comme le croup ! Quel ironique élixir de foi jeune, instillée, Ressuscitera le vieux jour rendu qui abdique Dans ce cœur que le chagrin froisse et corrode ? Quel orbe hardi de courage cambré, redressera, Impossible et céleste dôme d’eucalyptus certain, 33 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
Le spleen voûté que la poussière absurde courtise ?
Souvenir réfrigéré Dans le froid du matin, le ruisseau continue à murmurer bien qu’il ait cessé depuis longtemps de pleuvoir. Fasciné, l’enfant, les pieds mouillés dans des babouches ouvertes et perméables, patauge là juste devant la porte de la ferme ; dans ce cube de bure écrue qui le travestit, il frissonne. Sous les méplats de sa figure grasse, les muscles paraissent grippés. L’air glacial du matin érode comme l’acide ses orbites encore hantées par le sommeil. Mais la curiosité le retient dans cette ruelle encombrée de crottin et de bouse de vache. Le dernier troupeau de chèvres émancipées, vient de passer. Il l’entend descendre là-bas la côte raide entre deux fossés où le ruisseau grossit. La lumière du jour a peu à peu ressuscité ; la moindre brindille d’herbe s’en trouve illuminée. Admirable est la délicatesse de l’eau qui s’étire sur les pierres attentives. A côté de la haie d’un vert dur, une plaque de verglas flotte à la surface d’une minuscule flaque ; elle attend là une averse sœur qui la remettrait dans ce filet de chant rocailleux qu’elle écoute amoureusement. L’enfant aux doigts enflés et gourds, ne peut s’empêcher de toucher cette merveille qui craque et disparaît.
Rets Sur cette page de soir coupable, Des promesses feuillues affleurent ; Le parc ahane et joue sur les pavés, Où souffrent des arbres fiers et négligés, La mer maternelle qui les portait, Comme un dos de cheval infini, S’est depuis longtemps retirée, Et, sur la poussière sale et sourde, Agonisent, sacrifiées, les daurades ; Un vent âpre trace une marelle, Dans l’œil surpris des passants Qui vaguent comme des revenants, Autour de la fontaine illuminée Qui répète ses infatigables gammes !
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Entre les cerceaux qui enserrent la place Où brament de grossiers appétits, S’éveillent des voluptés splendides Que souillent d’affreuses salives. Dans la brume des hydrocarbures, Les figuiers sont malheureux ; La joie enrouée ne chante plus, Et l’art aigri rapatrie ses ramiers.
Sauvage Dans ce jardin débraillé qu’aucune binette ne coiffe, l’enfant esseulé joue, oubliant l’heure et le monde ; l’herbe encore verte et haute, le morigène ; elle pique ses pieds nus, agace ses mollets, sous sa djellaba retroussée ; les arbres de la haie le regardent avec tendresse et condescendance, le comparant à son père quand il avait le même âge. L’unique chêne qui porte au cou une écharpe de vigne à peine bourgeonnée, broie du noir, dans ce coin qu’il n’aime guère ; placé entre le jardin et la porte d’entrée, il subit de fréquentes agressions ; tous les chiens le reniflent en passant puis l’humectent d’un jet bref d’urine âcre qui irrite ses yeux assombris. L’enfant joue dans l’herbe folle, si heureuse de faire l’école buissonnière. Il construit on ne sait quoi, avec les pierres lisses, ramassées dans le ravin rauque qui l’effraie, où des bêtes invisibles disparaissent avec des bruits de râpes rapides. Des bribes d’histoires essaiment dans sa bouche ; il rêve solitaire et chante à voix basse. Il est timide, farouche. Tout d’un coup une voix grave retentit au loin, montant, modulant, interpellant. Elle le réveille comme une gifle. L’angoisse le reprend. Là-bas entre ce mur de pierres frustes, l’école appelle.
Fatalité Je parcours en trébuchant, aveugle et grotesque Œdipe, Ces vallons ingrats de syrte inféconde et mercenaire, Où ma chair veuve et frustrée, tâtonne sans fin. Et mes pieds infortunés que des griefs heurtent, Sèment, dans les sables qui les brûlent et les bafouent, Des clous purulents et rouillés de cors impénitents, Parmi des rébus de runes et des hiéroglyphes mal lus.
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Au bout de mon buste que l’angoisse oppresse, Mes bras mélancoliques sont démesurément allongés, Et mes mains dépouillées, qui dégoulinent de doutes, Tentent en vain d’attraper les basques ou les bretelles Du temps ensauvagé qui saute et fuit comme un cabri. Et mes yeux condamnés que le délire affole, Attendent encore et toujours l’insigne lumière exilée, Qui s’est envolée un soir comme une colombe. Et je suis la plaie de cette syrte décadente et damnée Où mes remords errent comme des caravanes perdues, Et je suis la plaie de cette syrte triste que la glace fige, Que cingle le sirocco, que le soleil rissole ; Et mes courages qui fondent comme des corolles, Escaladent, simulacres d’Orients sans fin ballottés, La falaise inclément et abrupte des visages clos Où le crépuscule hisse, sur ses ignobles créneaux, Des aigles sanguinaires qui me déchirent; Et mes lassos inhabiles, sans cesse relancés, N’accrochent, hélas, que des parois de rires lisses, Dans ce cœur calciné où les deuils abondent, Où l’implacable détresse d’Oedipe, tourmente Un cercueil mal scellé où bâille la mort immonde !
Mépris Depuis les premières lueurs de l’aube, les ramiers et les passereaux qui ont grelotté toute la nuit, sur les tuiles des corniches, sur les branches étalées des ficus, saluent le jour nouveau en chants et en danse ; parce qu’ils pressentent que la matinée sera lumineuse quoique fraîche, ils se réjouissent et célèbrent bruyamment la chance qui leur échoue là. Sans ménager le sommeil des hommes insensibles et aliénés qui dédaignent le matin, ils piaillent et roucoulent ; les moineaux écument le figuier, s’agrippant, sautant, se chamaillant, survolant la canopée comme s’ils habitaient une forêt ; les pigeons se lissent les plumes aux premiers rayons du soleil généreux ; ils volettent alentour puis reviennent se poser sur leur lit de faïence. Ils roucoulent comme pour remercier le jour enfin revenu. Dans les brumes roses de la ville encore assoupie, le peuple des oiseaux est heureux. Puis les immeubles sursautent aux cris des réveils impitoyables qui les giflent comme des cauchemars. Ils s’étirent et mettent pied à terre. Les
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avenues accueillent, dans la cour, toute la marmaille de fer. Avant d’entrer en classe, les mioches vernis, crient, toussent, se querellent sous l’oeil sévère de la chouette fluorescente qui les dévisage à l’entrée du rond point. Le jour bâtit là un chapiteau cyclopéen où s’engouffre l’hiver frigorifié qui a oublié le fouet de ses pluies. Dans le ciel bleu clair, le soleil plastronne comme un jeune premier. L’air invisible, discret, revêt en vain sa plus belle arène. Comme personne ne le regarde, il fomente une tourmente qui aveugle ces mauvais spectateurs. Des scènes de farce facile sont dilapidées ; les anecdotes ressassées ne piquent plus. La beauté banale et simple qui arbore ses redites, rebute le public infidèle, versatile. D’autres comédies automobiles accaparent les esprits bornés. Le regard déjà rougi par la colère, ne s’arrête guère que sur ce feu rouge qui fait le mariole. Les piétons soucieux marchent les yeux fermés, ignorant la tirade du vent, la réplique du soleil. Las et désabusés, les acteurs regagnent précipitamment les coulisses. Ni applaudissements ni sifflets ! L’indifférence rend ce silence atroce dans la grotte des places qui répercute le brouhaha des convoitises grossières et beuglées. Le soir est un gangster qui sème sa terreur noire sur les arbres qui rappellent en criant leur progéniture grouillante et piaillante.
Tombeau pour Antonine Trente années ont passé sur la ville froide Où l’adolescent a langui jadis, comme une cactée, Où ton regard ami a illuminé ses tristes jours, Où ta main délicate l’a sauvé du bourbier. Trente années ont passé depuis que, dispersés, Nos deux quilles timides et vermoulues Ont flotté puis tremblé, aveugles et ballottées, Dans la haineuse odyssée qui nous a emportés ! Trente années ont passé, sur cet océan infâme, Sans que s’effilochât l’écharpe bleue de ton regard, Sans que ta voix un peu rauque, se tût, Sans que s’éteignît l’or de tes paroles. Trente années de silence ont passé, Et sur l’immonde toile interrogée, qui bavarde, Parmi les cadavres des dauphins et des mérous, Une page banale annonce, froide, ton décès ; 37 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
Et la mort immonde et obscène qui t’a harponnée, Me donne en passant une ruade qui me désarçonne ! Et la voie lointaine et ouverte qui a longtemps brillé, N’est plus qu’impasse borgne que l’Averne avale !
L’adolescent sous l’adulte Le jour vieilli s’effrite dans tes yeux disgraciés comme les murs d’un ksar que les flancs de la montagne poussent chaque nuit vers l’abîme assoiffé ? Une dernière lueur vacille à contre cœur dans ce sein désabusé que des décombres oppriment. Les saisons hâtives et arides, les années hostiles et stériles couvrent de terre noire et morte, l’unique fenêtre qui se souvient encore de la vague et du vent. Dans la chambre muette qui t’enchaîne comme une geôle, tu es une source enrouée que le cauchemar ensevelit. Quel bouton d’adolescent éveillée et naïf, du gouffre éteint qui lui sert de tombe, viendra rallumer ce cœur déçu ? Quel regard insensé d’adolescent perdu déblayera comme un soleil d’été ces soirs ridés que la mort courtise ? Au fond de quel gouffre éteint, dépéris-tu, jeune tombe ? Dans quelle oubliette de la mémoire, te morfonds-tu ? Les collines qui te portaient comme des vagues écumantes et libres, ont été apprivoisées ; accoutrées de peaux de béton, elles font le pied de grue, guindées, comme des juments de bois. Sur l’ample blouse de goudron qui les ceint comme une camisole, des murs ont germé, semblables aux cactus où nichent d’étranges termites. Ces chemins de l’aube qui t’exaltaient, parmi les rares immeubles que flanquaient des haies, gisent désormais sous des bennes d’ordures et de nuit. L’Orient généreux qui t’attendait juste au-dessus de la combe encore assoupie, a depuis longtemps émigré. La montagne noire là-bas et hirsute, a oublié le poète et sa beauté et flirte à présent avec de volumineux bunkers.
Présent L’hiver assommé dort encore sous un pont. Dans le filet de l’angoisse qui te persécute, A travers cette geôle de ville qui t’enchaîne, Dont les murs t’étreignent, hère reclus, Tu es l’âpre fièvre qui tourbillonne, 38 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
Qui rabâche ses haineuses rengaines.
Le matin lumineux arbore un grand sourire Sur le massif du parc ami qui t’accueille, Les merles sifflent dans ta poitrine étroite Où ton cœur las roucoule comme une tourterelle. Tu poursuis les ficus vastes et véloces Qui se hâtent, sautent la haie et se cachent, Dans la bonne terre humide et maternelle. La sueur qui t’offusque, est un miroir Où s’admire, espiègle, le ciel juvénile ; Le soleil d’Orient qui te sait poète, Darde ses spots sur l’arbre esseulé Où ton cœur, fatigué, saigne, crucifié, Le chemin que tu arpentes en soufflant, Est un bourreau qui t’arrime et te roue ; Mais le Léviathan écaillé du parc débonnaire Qui s’étale sur l’herbe festonnée du matin, T’arrête enfin comme l’ombre d’une grotte.
Misère Dans l’aire dépouillée de la chambre, que des rondes répétées ont écumé, tes pieds fourbus ont labouré une glèbe endolorie. Tes mains inhabiles ont semé des graines de strophes pourries. Tes yeux affectueux ont sarclé des tiges crûes puis versées, que tes regards soutenaient comme des espaliers. La journée s’est allongée tout un hiver. Le printemps et l’été ont accouru, piétinant les humbles épis que tu soignais comme des handicapés. Lorsque le soir fatidique les a moissonnés, lorsque le cœur démuni les a glanés, une mince gerbe ridicule gisait comme un reproche parmi les chaumes clairsemés. Sur l’aire du poème qui attend, tendue de belle bouse et de paille moulue, les fléaux restent désoeuvrés au pied des myrtes nains. 39 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
Dans l’unique van inemployé, un repas frugal de purée de fèves grumeleuse et froide, t’attend, toi qui rêvais de chants illuminés et de fiers banquets.
Catastrophe Au loin, le monstre assoupi s’est ébroué dans son sommeil, et ses soubresauts ont effrayé la mer bouleversée qui s’est ruée comme une levée de gnous aveugles et exacerbés sur les grèves, les falaises, sur les îles et les presqu’îles, sur les maisons humbles de bois, sur les cabanes des pêcheurs, sur les bungalows cossus et sur les hôtels, pavoisés, achalandés. Quelque Méduse de Tartare oublié, foudroie des pans de vies innocentes. Quelque Géant joue là une blague démesurée de trouble fête, lançant des vagues de titans sur les promeneurs, écumant, noyant toute la fourmilière. Les lames ont déferlé sur les côtes, submergeant, emportant hommes et bétail. Toutes ces côtes ravagées, toutes ces familles décimées, toutes ces larmes versées, qui peut les saisir dans la paume complaisante d’une vérité, comme on saisit un fruit même empoisonné, dans le creux de la main ? Ce saccage inhumain qui a frappé de manière aveugle, la terre, les biens, les bêtes, les hommes, quel regard traître et pervers peut les survoler comme un aréopage de vautours infâmes, pour les filmer, les noircir et les monter, pour les présenter aux spectateurs affriolés comme un cadeau de Noël ? Aux yeux des survivants avides de spectacles de choc, quel main homicide et mercantile, les émasculant, peut, sans vergogne, les dédouaner, oubliant, ne serait-ce qu’un instant, l’horreur immonde, innommable qui a éclaté là, qui, longtemps aux aguets, s’est éveillée d’un coup et, sans discrimination, a frappé tout et partout ? Qui tentera de monnayer ces hurlements d’horreur qui fusèrent, ces anathèmes gutturaux et brefs qui maudirent la mer meurtrière, ces pleurs de rescapés dépouillés qui geignent encore dans la trêve absurde, livrés au désespoir ? Quelle foi pétrie d’audace, décapitera comme un couperet cette affreuse suspicion qui obsède et évide les cœurs mordus ? Quel baume surnaturel, inappelé comprendra, justifiera ces déportements d’une nature travestie, ces affres d’une idylle mensongère qui se révèle là, insoutenable et sadique ? Quel flegme de dogme glacial regardera froidement ces spasmes de Léviathan haineux ? Quelle vision complaisante les considérera comme des bavures ? La terre en colère trépigne, et la mer secouée se précipite pour noyer l’espoir et la vie, semant des stigmates de terreur, de détresse que le temps estompera mais qu’il ne pourra pas effacer. De l’Orient où la douleur explose jusqu’à l’Occident où la catastrophe nous remue, un même cri de révolte unit, dans un deuil 40 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
planétaire, par delà les frontières, les religions et les cultures, des hommes blessés qui fraternisent.
Complainte Lorsque la vile mer repue relâche Ces flancs meurtris de côtes ravagées, Ces membres d’îles basses, fracassées, Ces sables de villes trucidées qui agonisent, Des versets sinistres de cadavres enflés Bafouillent dans langue infecte et morte, Où des charognes, violées, désabusées, Pourrissent comme des cauchemars ! Dans ce gouffre d’Enfer mal fermé, D’éloquentes plaintes d’enfants massacrés Déchirent les pamphlets et les griefs Où vibre, inconsolée, la fibre utérine, Où, se démène comme une fièvre filiale ! Sur cette chair de terre saccagée, Quelle hydre criminelle, oubliée, Surgie des ténèbres de la mer, A investi ce terreau de cœur paisible ? Quelle gueule d’hydre goinfre Telle une goule jalouse et noire, A lancé ces mille ventouses, Sur ces joies d’Orient démuni ? Quelle haine d’hydre démesurée, Assaut inattendu d’orque tueur, A planté ses dents de requin affamé, Dans ce tuf tendre de phoque désarmé ? O mer aux spasmes délétères et sournois, 41 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
Qui as vomi là ta colère brusque et forcenée, Sur des peuples innocents et meurtris, Quelles affres de délices savoures-tu là ? Quel vin corrosif de détresse et de larmes, Rabotent là comme un poison, ton gosier ?
L’ennemi Aujourd’hui, las et désorienté, tu t’arrêtes sur ce seuil ingrat qui t’ignore. Après tant de gestes qui coûtent, après tant d’efforts qui épuisent, tu veux te reposer. Le pied sur la marche froide, tu t’enfonces dans un songe. Sur la demeure apprivoisée, ton œil, cherchant dans la lumière offerte une raison de durer, erre, vague, brouillé, comme un lac envasé où les têtards étouffent. De tes paumes mal jointes, la vie rare fuit. Les heures, les jours, les saisons se cachent pour mourir. La longe occultée se rapproche, implacable, de ta nuque, comme un couperet. Le ciel et la terre jouent la sempiternelle comédie de l’amour et de la haine. Tu oublies le temps qui t’épie comme un rétiaire, tu négliges le cri de chouette, macabre et bref qui racle tes oreilles étourdies ; tu oublies les fauves invisibles qui s’apprêtent à te dévorer. N’es-tu qu’une proie oublieuse et stupide, qui rêves et spécules ? L’horreur embusquée te trame une fin triste !
L’âme Dans le désert hideux qui te séquestre comme un corsaire, Où tu traînes, dépouillé et honni, comme un bâtard galeux, Où la sinistre lyre de tes côtes, égrène son ignoble thrène, Où se vautre, décimé, le troupeau de tes jours hagards, T’attendent, dans le soupir de cette femme qui passe, Dans la vénusté esclaffée de l’arbre qui s’ébroue, Dans l’invective du vent espiègle qui te malmène, Dans le silence murmuré du cœur embourbé 42 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
Qui se débat dans sa cage et te houspille, Là t’attendent, dans ce seuil intangible mais proche, Que ton regard mal avisé traverse et dépasse, Que ton cœur mal aiguillé, écarte comme un intrus, Que tes pieds mécréants piétinent et profanent, Que perdent, ajourées, tes phrases danaïdes, Là te fêtent des compagnes patientes et fidèles, Qui dilapident, sous tes pieds, des trésors ignorés, Des ciels sobres et d’inextinguibles lumières, Des sources suggérées et des heures pleines et graves, Qui t’enroberaient comme une tunique extasiée, Qui désaltèreraient les gosiers de ta forêt attentive !
Ironie des éléments Dans les fumiers épars des immenses charniers qui empestent au soleil, où des fantômes d’antiques fléaux rôdent comme des fauves, se jetant ici sur une mère éplorée qui a perdu sa progéniture, accrochant là sans vergogne, un enfant seul et déprimé qui redoute un monde ennemi. Les jours toujours neufs, toujours insensibles s’emplissent et se vident comme des clepsydres absurdes. Le soleil lointain, indifférent verse sa fougue incandescente et incongrue sur les chairs putréfiées qui se liquéfient sur les routes, dans les fossés, sous les arbres, dans la boue, dans l’herbe et dans le sable. Le ciel stupide arbore toujours sa plus belle toge outre mer et la mer coupable qu’aucun scrupule ne tourmente, continue à surfer sur le rivage, attendant sans doute que ses victimes hagards l’applaudissent.
Malentendu Ces pieds qui me précèdent, trottinent dans ce boulevard comme des caniches. Les phares qui blanchissent l’asphalte rectiligne, s’attardent, maussades et rares. Les rangées de ficus enchevêtrés forment deux profondes
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nefs sur le trottoir. Comme d’antiques péristyles, ils s’emplissent de songe et de philosophie. Cependant malgré le soir et le samedi, je croise peu de promeneurs. Des étudiants vont et viennent d’un café à l’autre ; les téléphones sollicités sonnent dans les cabines, sous les arbres drapés de lierre, dans les mains posées sur les tempes, comme des tics suicidaires. Que m’importe ! Depuis longtemps, j’ai rompu avec le monde qui me rejette, qui ne m’envoie que des injures à subir ou des factures à expier.
Lumières de la ville La ville musarde aujourd’hui parée comme une catin. Parmi les avenues sévères qui les surveillent, des bordées de rues juvéniles et propres, vagabondent. Les malabars de fer ripoliné qui font une haie d’honneur à la chaussée, portent sur leurs épaules nues, des guirlandes d’ampoules qui scintillent dans la nuit distendue. Le brouillard frétille au vent froid qui le bouscule et l’entraîne. Les voitures qui rutilent dans l’écume du soir, se suivent, sans s’énerver ni fuir, et s’agglomèrent et dansent des rondes qui donnent le vertige. Des flaques de familles grumeleuses mouillent les franges de la chaussée et les carreaux du trottoir, improvisant des marelles. Poissons multicolores et venimeux, des marchands furtifs, hérissés de ballons gonflés, irritent les parents avares qui jettent là quelques pièces. Sur l’écran festonné du boulevard, des pantalons aguicheurs moulent de belles chairs offertes et fuyantes au grand dam des garçons mal habillés et désargentés qui pétillent de vain désir mais qui n’ont pas droit au chapitre, dans cet étal où tout se vend.
Auréole Dans cette chambre déliquescente où les années impitoyables m’ont traîné, comme un léopard hisse l’impala sur les hautes branches d’un acacia perdu, les illusions courtoises qui me flattaient et me soutenaient comme des espaliers, se sont lassées de ma carcasse mal dressée qui ne les intéresse plus. Mes idées elles-mêmes qui sont nées et grandies sous mes yeux indulgents, préfèrent prendre la clé des champs, disparaître dans ce monde grossier. La solitude rancunière que j’ai quelquefois bradée pour des plaisirs mercenaires, m’a saisi et jeté dans le plus triste de ses donjons dont elle allonge indéfiniment les remparts. Du ciel encore ouvert comme une blessure mortelle, descend un spectre hideux que j’ai souvent et étourdiment évoqué mais que je n’ai guère fréquenté et qui approche implacablement,
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impitoyablement son effroyable tronche qui mérite la palme de l’horreur et que le chancre de la rancune, de l’envie et de la jalousie, a rongée comme le sable du désert remonté mine les flancs de la falaise. Elle avance et grimace obséquieusement comme la gueule d’un fauve affamé qui conte méchante fleurette à la chair par trop pudique de la gazelle inutilement voilée qu’il a abattue. Le spectre redouté, honni, descend tel un infect vautour et tournoie au dessus de mon cœur refroidi. J’ai une peur atroce de cette mort qui me circonscrit, qui me circonvient. Et cette peur se transforme en épouvante qui m’ôte tout viatique de la bouche, qui tourne en chicotin mes plus douces chimères. Mes populations terrorisées fuient et se réfugient dans les montagnes austères de l’intérêt proche et positif.
Pose Pourquoi cet air de fin du monde ? Tu dors comme on se noie. Tu te réveilles en sursaut pour aller soulager ta vessie. Pendant les quelques minutes qu’il te faut pour te rendormir, d’étranges griffes te rongent l’estomac vide et fragile. A côté, une voix familière, devenue méconnaissable et somnambule, refuse bruyamment d’entrer de force dans un rôle trop étroit qui l’oppresse. Elle hurle comme une bête qu’on égorge. Elle va vite sortir de ce mauvais pas ! Non ! Comme si elle était consentante, elle continue à se plaindre, mêlant les cris de colère grave aux trilles aigus du désespoir ! Le matin, de petites occupations domestiques te détournent de ton nombril. Tu oublies de te chatouiller, de poser. Puis l’oisiveté rentre jetant sur toi et sur le monde, un froid que l’introspection, comme un mauvais augure, rend plus vif encore ! Mal venu, démuni, tu es constamment la proie d’une déception d’autant plus sournoise que rien ne l’appelle. Ton amertume n’est en effet qu’une marotte dans cette vie qui t’a placé à l’écart, presque dans les coulisses, où tu t’ennuies sur tes fesses flasques. Que sont devenues toutes tes années depuis que tu joues cette comédie ? Tu te crois sans doute investi d’une mission dont l’inaccomplissement te désenchante. Quel orgueil mal fondé te tourmente là, toi qui as toujours été faible, terne et médiocre ?
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Tu es persuadé qu’il faut en rabattre ! Tu courbes l’échine et acceptes l’arrêt terrible du temps passé qui t’a placé sur la marge. Dehors, l’air frais ravive ton désappointement. Quand tu remets les pieds chez toi, la même désillusion insupportable t’étrangle comme une mauvaise nouvelle. Tu dilapides les heures désoeuvrées qui te restent. Puis tu t’étends comme un condamné pour dormir.
Dehors Souvent, une fièvre péremptoire t’agite quand tu te retrouves dans ce bouge qui te confine, où rien ne pourra t’arriver qui puisse te tirer de la léthargie qui menace, où personne ne dissipera l’anxiété qui t’assiège. Un ressort dressé te jette sur la route. Une espérance inexplicable te porte ici ou là. L’attente s’installe. Un crédit illimité est accordé à l’optimisme. Derrière cette rue, dans l’embouchure de ce boulevard, parmi ces silhouettes que le flot de la promenade emporte, quelqu’un a besoin de toi ; une main tendue languit de ne pas voir la tienne. Un cœur conquis se désespère de ton absence. Les chemins battus t’emplissent l’oreille de ces appels. Tu les écoutes se perdre dans le vacarme de la cohue qui les piétine et les couvre. Tu es sûr que les signes approchent, que la cloison qui vous sépare devient de plus en plus mince et perméable. Une porte est dissimulée ici ou là qu’il faut pousser ! Néanmoins, les heures passent, la poussière du chemin te prend à la gorge comme un prélude à la déception qui reste à l’affût. La contestation qui avait été muselée, commence à remuer dans les bas-fonds. Les pieds fatigués commencent à traîner. Le soir s’en va et la nuit inamicale menace. Les promeneurs tombent l’un après l’autre comme de vieux arbres sous la cognée. Des démarches louches, des figures engluées, des regards ciblés te disent la place prise et l’heure indue. Et le chagrin reflue comme un deuil indélébile dans ton cœur veuf.
Cécité Dans ton corps revigoré, le monde fracassé qui agonise presque sur ton seuil pessimiste, ressuscite miraculeusement à l’entrée de ce boulevard silencieux que les voitures épargnent. Venue de l’Orient lointain, sautant des montagnes, traversant des mers et des déserts, la voix mal entendue du vent accroche tes basques. Tu tangues comme un esquif dont se joue la vague. La secousse jette bas la taie grise qui souille le monde ; certes, la nuit étale ses redoutables haillons sur le parc qui mâche, sous ses fortes molaires de dattiers séculaires, des grappes de jeunes footballeurs qu’il ne peut digérer.
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Certes, des couples mis en appétit, s’enlacent pour mieux se déprendre. Certes, une grande noria bariolée et hétéroclite s’épuise dans la carrière casablancaise. Mais, tes yeux frappés de strabisme saisissent, tout à coup, la joliesse de l’heure qui s’étale là. Tu maudis le démon qui gâche la vie dans ces corps tordus par l’alcool. Tu abhorres ces haleines de bennes fermentées ; tu redoutes ces gesticulations hyperboliques et contagieuses qui sont jetées dans ces coulisses sombres où des tragédies ridicules se répètent chaque soir.
Le monde est devenu fou ! De cette vulve spongieuse de mer suave, monte une gorgone hideuse qui veut tout pétrifier, de cette mer enjouée qui se déhanche en molestant les rochers, en caressant le rivage rêveur et figé, des écumes de haine et d’horreur ont surgi, s’acharnant sur les bateaux endormis sur cet oreiller instable qui roule comme une cordée de danseurs ivres, désarçonnant les surfeurs débordés, happant les baigneurs stupéfaits, agressant les badauds imprudents qui se hasardent sur la plage, s’en prenant aux cabines sans défense, aux bungalows qui somnolent entre sable et ville, puis se ruant comme une horde de Huns sur les routes, les voitures, les passants, attaquant les quartiers, enlevant, projetant, fracassant tout ce qui vit, noyant tout ce qui respire, détruisant les cabanes des pêcheurs, les maisons en bois des paysans, ébranlant les immeubles et les ponts, projetant dans la campagne ensanglantée tout un ruban de route, tout un rail de train lourd. Sont-ce là des pâtés de poux agglutinés qui infestent son torse et son cuir chevelu, pour qu’elle lance ses bras de mer, par delà les épaules, dans les tas, pour que ses doigts rageurs fourragent le rivage, pour ses ongles acérés saignent la vermine nocive qui tombe, se blesse, suffoque et meurt dans la douleur et l’épouvante ? Puis retirant ses serres criminelles, sans remords, elle reflue sans hâte, achevant d’étouffer ceux qui ne sont pas encore tout à fait morts. Comme un dandy, elle se rassied ensuite dans ce fouillis de cadavres et de ruines. Elle repose ses bras sur ses flancs de sable. Elle se recouche sur son lit de corail et de laminaires. Nulle trace de crime ! N’étaient ces innombrables corps, jeunes et vieux, intacts ou déglingués, que les poissons revenus becquettent à qui mieux mieux, comme une manne, dans ce désert salé d’eau polluée. La terre est devenue hystérique !
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Gratitude Quand tu t’arraches à regret à l’humble grabat Où te soutient un cercle d’habitudes complaisantes, Où le désespoir te défie comme un matamore, Où la tristesse te caresse comme une dulcinée, Quand, à contrecœur, tu quittes ta couche Où des illusions te servent de matelas, Où le poème est un oreiller à qui tu confies Les secrets et les peines d’un cœur inconsolé, Quand tu franchis le seuil sévère et sombre Qui te sermonne vertement tel un censeur, Où l’ombre qui se réfugie dans ton recoin, T’écoute et te protège comme une vieille amie, Quand tu abandonnes, pour quelques heures, La demeure acquise qui chante tes mérites, Où, sur les mers qui crachent des monstres, Dans les déserts que des crotales écument, Tu ne cesses de combattre d’invisibles chimères, Quand Don Quichotte sans lance ni coursier, Vestige désenchanté de Gulliver détrompé, Tu atterris dans les rues glaciales et dessillées Qui te brocardent et te jettent des pierres, Dans les voiles pourpres du crépuscule silencieux, Le vent vieux qui t’a vu naître sur la colline, T’embrasse sur le trottoir comme un ami, Et, de ses bras revigorés qui t’assènent des bourrades, Il te présente à tous les arbres qu’il connaît ! Sur les routes réquisitionnées qui vagabondent, Où des ombres hostiles te traversent sans te voir, Désormais, tu n’es plus seul, dans le soir qui accourt, Sous le vieux ciel moqueur que tu boudes, Parmi les troncs musclés des arbres qui rient.
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La sentence Dans la cité populeuse qui grouille comme une mer, une large baie aère la chambre lumineuse où tu grelottes sous l’avalanche de la journée d’hiver qui déraille, froide mais ensoleillée. Le cauchemar comme une pieuvre entêtée, englue tes jambes. Dans le vestibule démantelé de ton âme mal arrimée, des gueules mercenaires grimacent qui t’emplissent d’angoisse. Le sarcasme prédateur tâte tes omoplates, et ton corps épouvanté tremble comme une feuille détachée et morte qui supplie encore la branche de la retenir. Dans la cité fermentée où des ventres retournés gargouillent, où s’égosillent mille désirs honnis et obscènes qui s’affirment là, dans les infolios des boulevards, ta langue frigorifiée demeure collée au palais silencieux et austère où la foule des mots qui se pressent au gosier, trouvent porte close, dans cette bouche muselée. Qui te tirera comme un noyé de cette bourbe fatale ? Dans le ciel du soir indifférent dont le regard blanc te traverse, un milan mandaté trace, en hauts orbes funestes, au dessus de ta carcasse prédestinée, les lettres terribles de la sentence.
Vampire Moi qui me perds, dilacéré comme une fiente de mouette, qui disparais, pollen disséminé d’hibiscus. Le soleil me traverse, boule éparpillée de braise et d’encens qui m’évapore. Quel remède de regard libéral me guérira de ce ciel ennemi qui roue mes phénix ? Je suis une grappe arrachée qui s’égrène, une chair minée, subvertie qui explose, qui bâille de toutes parts comme une treille. Dans ce corps solitaire qui se dresse comme un bluff, les corbeaux de la nuit pondent leurs ignobles cauchemars ; les effluves de la lune maléfique éveillent, loups-garous, d’épouvantables puzzles de crabes carnivores. Sur les souvenirs écaillés des oreillards qui s’agrippent et grouillent, par dessus les meules de guanos où s’affolent les cafards, le soleil tortionnaire pose ses tenailles incandescentes tandis que le vent nu comme un gladiateur pousse son épée cruelle et folle.
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Malentendu Ces pieds qui me précèdent, trottinent dans ce boulevard comme des caniches. Les phares qui blanchissent l’asphalte rectiligne, s’attardent, maussades et rares. Les rangées de ficus enchevêtrés forment deux profondes nefs sur le trottoir. Comme d’antiques péristyles, ils s’emplissent de songe et de philosophie. Cependant malgré le soir et le samedi, je croise peu de promeneurs. Des étudiants vont et viennent d’un café à l’autre ; les téléphones sollicités sonnent dans les cabines, sous les arbres drapés de lierre, dans les mains posées sur les tempes, comme des tics suicidaires. Que m’importe ! Depuis longtemps, j’ai rompu avec le monde qui me rejette, qui ne m’envoie que des injures à subir ou des factures à expier.
La haute fontaine Le village haillonneux s’accroche comme une chèvre aux flancs rocailleux de la colline fracassée. Y gisent, dénivelés, des éclats d’argile pulvérulente et rouge, qui sèche au soleil de midi. Parmi la lèpre d’herbe durcie, vacillent des oliviers dégénérés qu’une cime presque chauve couvre à peine. Tout le monde est au champ, même les femmes. La moisson du maïs les mobilise. Les enfants qui restent au village vont à l’école coranique jusqu’à midi, puis ils rentrent manger quelque croûte avant d’y revenir. Le jeudi et le vendredi matin, ils sont libres. Aussi en profitent-ils pour organiser quelque randonnée. Ce jour-là, ils décident d’aller se baigner à la Résurgence. Ils quittent le village et escaladent le sentier abrupt qui traverse le bois de chênes-lièges. Sur l’esplanade, un chemin plus large serpente entre des haies vives et des murs de pierres sur lesquels ils montent pour cueillir des baies d’arbousiers ou des dattes. Ils traversent ensuite des bois de pins et d’eucalyptus dont l’effluve âcre et généreux les enivre comme une course. Dans le silence de la campagne que les cigales respectent, l’écoulement du ruisseau les réjouit. Sur la route, ils rencontrent un homme à la djellaba troussée, une houe sur l’épaule, qui surveille la rigole qui irrigue aujourd’hui son jardin.
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En effet depuis que la source existe, l’eau est distribuée selon des règles ancestrales. Les quotas diffèrent d’une famille à l’autre. Certains bénéficient de journées entières, d’autres n’ont qu’une heure pour profiler de ce filet précieux. Plus loin, la paroi de la colline devient plus escarpée. Des massifs de broussaille et de fougères marquent les limites de la zone habitée. En haut, la contrée est sauvage. On entend siffler des oiseaux rapaces qui planent au dessus des collines. Ils arrivent enfin non sans angoisse à la Résurgence. Les bergers ont une sinistre réputation ici. Du flanc éventré de la montagne, sort avec fracas un flot d’eau qui se divise en deux tresses. L’une se précipite dans un gouffre où des villages la recueillent et la partagent. L’autre suit un chemin sinueux et verdoyant qui descend une pente beaucoup plus douce jusqu’ au pied de la colline où elle s’épuise après avoir abreuvé à tour de rôle des vergers et des jardins maraîchers. Arrivés devant la gueule effrayante et froide de la source, les enfants fatigués et assoiffés se désaltèrent longuement avant de prendre un bain bruyant et enjoué, sous le jet d’eau puissant qui les distrait en les faisant frissonner comme un citron aigre.
Sidéral Debout, dans cette place où des bâtiments bas Ecoutent, comme un public mûr de mélomanes, Le chant immense de la nuit épouvantée ; Debout, sous cet ample turban d’Orient grandi Qui rêve sous les corymbes d’étoiles extasiées, Où s’enfoncent des jours et des années Qui scintillent puis s’éteignent dans l’abîme Où, macabre, une moue arrête le rire futile ; Debout, dans cette clairière que les fléaux épargnent, Qui passent au loin comme des freux scélérats, Sous la voûte fermée d’où s’échappe une plainte ;
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Debout, dans ces espaces égarés où s’agglomèrent Des haines sourdes de joueurs belliqueux, Parmi des spasmes de quasars qui se lamentent, Derrière un théâtre de galaxies réjouies et bondées Qui dansent dans ce hall mal apprivoisé Où des étoiles cauchemardesques et violées Accouchent de météores friables et prématurés ; Debout, sur la place diserte et rase où se couchent Des pavillons tendus, dans le gazon mouillé, Sous la ritournelle de la fontaine idiote et colorée Où des parents pervers jettent leurs enfants Aux corbeaux affreux de la nuit affamée ; Adossé au lampadaire sidéral qui t’enjôle, Qui te saisit et te lance dans l’éternité ignoble Qui grimace telle une gueule de loup, tu rêves, Debout, dans les loques de ce corps ensanglanté Qu’emportent les rafales affamées de l’Enfer, Et sur le seuil qui te salue ô voyageur perdu, Un sanglot noue ta gorge qu’un fil saigne ; Et, dans le bal des réverbères qu’offusque Une apocalypse, les promeneurs hypnotisés Bâtissent d’ignobles murs qui t’enferment Dans les griffes du silence qui te surplombe ; Et l’angoisse entame ta chair aveugle Qui tâtonne comme une planète mal aimée.
Moisson Au mois de septembre, l’adolescent est encore à la campagne, dans un champ maïs où il passe une grande partie de la journée à couper des épis qu’il met dans un grand couffin. 52 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
Les moissonneurs sont immergés dans les tiges droites et hautes. Une poussière blanche particulièrement volatile et pénétrante se dépose sur les parties découvertes du corps où elle provoque des démangeaisons. Pendant l’implacable canicule de la journée, elle dérange la respiration. Les poumons incommodés sécrètent une glaire qui lui bloque les bronches. La poitrine se met à siffler. Ces champs se trouvent à plus de dix kilomètres du village. Dans ces étendues désolées, plusieurs jours se passent dans une solitude absolue. La nuit, l’adolescent a peur car des histoires de meurtre reviennent dans la conversation. Après le crépuscule tombe, les ténèbres remplissent vite la vallée silencieuse. Même les oiseaux sont rares ici. Des champs s’étendent en pleine garrigue où naissent des mamelons couverts de doums et d’arbustes épineux. Dans la voûte du ciel noir, scintillent d’innombrables étoiles qui rendent plus grave encore l’isolement. Les heures s’écoulent si lentement comme si elles tiraient le filet des astres amarrés par des cordes invisibles. Pour ne pas être exposé au serein, chaque dormeur construit une minuscule hutte de tiges encore debout que l’on recouvre d’une manière de toit où s’engagent la tête et le haut du buste. A l’aube, tout le monde se réveille grelottant et mouillé. Un peu d’eau pour se laver les mains et le visage et le travail reprend jusqu’à l’aurore. La campagne silencieuse et pâle reste étriquée et triste. Peu à peu, elle commence à s’étirer dans la lumière qui monte comme une marée puis la boule jaune du soleil se hisse au dessus de l’étang vert. La journée devient agréable quand elle tiédit. La faim grandit vite et se met à gargouiller dans l’estomac vide. Il y a là des gens qui sont habitués à des repas frugaux et fort espacés. De plus, ils attendent ce matin-là qu’on leur apporte un repas chaud du village lointain. L’adolescent ressent une véritable fringale. Quand des heures plus tard, la terrine de couscous aux légumes arrive, il a si faim et les commensaux mangent si vite et de si bon appétit que la nourriture disparaît avant qu’il ait eu le temps de tromper la pieuvre qui lui mange le flanc. Dans l’après-midi, les immenses besaces pleines de maïs sont hissées sur les mulets. Le chemin du retour est long jusqu’à l’aire de battage qui a été aménagé dans le jardin de la ferme.
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Impératif Pris, comme un brochet, dans les rets du temps, tu renonces à te débattre, offrant un col résigné à l’invisible bourreau qui te guette. Tu froisses les pages maculées de tes journées oisives, et tu jettes aux chiens errants, le gibier de ton âme ; dans le frêle roseau qui te soutenait comme un espalier, tu tailles pour les enfants incrédules, des syrinx désaccordées. Sur la couche inepte où tu t’abats et qui ment, tu vomis peur et désespoir. Relève ce front que l’horreur fronce, redresse cette échine que le destin écrase. Dans ta poitrine libre et dilatée, sens battre la terre que tu oublies. Laisse jouer, devant tes yeux dessillés, la gloire du ciel bleu. Accueille comme une aubaine, le soleil qui resplendit et donne à l’air humble qui te suit comme la mort, une poignée de main émue.
Danger Tu tressailles comme un gibier craintif, Devant la meute sourde qui te talonne, Devant la horde des jours qui te pourchassent, Sur la route idiote qui te trahit, Où tu fuis et cours, épouvanté,
Tu creuses, vieilli, désillusionné, Dans le manteau rapiécé de tes heures, Un terrier obscur où le bonheur étouffe, Où les habitudes rudes et sobres s’ennuient, Où parmi les souris qui te persiflent, Le grillon ingrat refuse de chanter. Mais sur les mers libres qui se révoltent, Sur les routes cabrées des océans, Des cénacles d’invisibles pasteurs Sifflent furieux comme des démons Et paissent d’affreux flancs de cachalots liquides Que les catamarans défient comme des taureaux, Sous les yeux attendris des satellites ; 54 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
Mais dans les vieux parchemins du Sahara, S’inventent des épisodes fantastiques, Sur les sables hallucinés qui rêvent de la mer, Où des mains de simouns sculptent, Dans la houle des dunes qui tanguent, D’irrésistibles hanches de houris Qui aguichent des motards insomniaques Et des automobilistes acrobates et soûls.
Charme Quel charmeur pervers attire ces bâtisses handicapées qui rampent pour l’écouter ? Dans l’immense trompe qui râle comme une conque, son verbe déchaîné les dénigre. La foudre de ses yeux exorbités les hypnotise. Les grands immeubles des quartiers surpeuplés écrasent les petites bicoques qui reposent dans leur minuscule verger d’orangers et de néfliers. Accourent de partout des caisses blindées qui cherchent un augure sur les lèvres épaisses barbouillées d’écume du one man’s show aux gestes amples. Dans le brouhaha de la place nouée, les spectateurs s’entre dévorent comme des vagues meurtrières. La foule fascinée avance insensible et pétrifiée ; les rares noyers qui ont depuis longtemps donné congé à leurs oiseaux, étouffent dans cette mêlée de roc et de fer. Seule, l’ordure cultivée y va parfois de son chant infect qui tombe et se perd comme un ruisseau essoufflé dans le gosier enroué de la mer.
Guignol L’après-midi s’écoule froide et ensoleillée Sur la cité béotienne qui compte ses deniers, Qui exhibe avec fierté ses immeubles vitrés Qui reflètent les croupes rebondies des limousines Que draguent de beaux bolides en rut, Sous les regards fascinés des galériens qui rament, A même les carreaux fracassés qui les haïssent ; Une dernière bassine de crépuscule pourpre, Cingle les façades ahuries de la place agenouillée Qui tremblent sous le fracas des moteurs pressés 55 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
Dont l’âcre fumée asphyxie, sur le trottoir, Deux jeunes figuiers trapus et siamois qui toussent Et des bougainvillées en colère dont les longs doigts Embroussaillés accrochent les passants furtifs ;
Dans le vaste amphithéâtre de la ville hypocrite Flambe l’œil unique du lucre incendiaire Qui cache ses griffes sous l’oraison des manches ; Et des automates raidis et des pantins ensorcelés, Qu’affublent de vieilles fables mercantiles, Jouent bien mal un carnaval inepte et goitreux ; Et des flamines soudoyés et simoniaques Déclament des dithyrambes boursiers, Devant la cohue constipée des boulevards ! Loin des cabotins à jamais embarqués, Du public vissé aux tables des terrasses, J’avance imperméable et désoeuvré, Comme un renard de cave abandonnée ; Et le soir impondérable qui rit, me tutoie, Sous le ciel sublime qui m’enchante, Qui me montre les eucalyptus mal atterris Et l’écheveau des moineaux assourdissants Qui affolent deux files de ficus émondés !
La kasbah Tu traverses la vieille ville constellée de souks où la rue des deux cinémas t’offre une omelette aux fèves et des pancartes aguichantes. Tu grimpes la pente raide qui te mène jusqu’au fort, face à la mer qui fait la roue parmi les miasmes qui te saisissent. Tu descends à quatre pattes le sentier de chèvre. Tu verses dans l’étroit ruban de sable rêche qui longe la falaise. Des tumulus nus bronzent au soleil tandis que la langue sensuelle de la mer chatouille le rivage où des écueils velus restent de marbre, dans une 56 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
désapprobation hautaine. La mer libre qu’aucune digue ne protège, fait peur aux enfants qui jouent, pataugent et plongent. Les vagues viennent camouflées dans de vastes manteaux d’écume qui s’effilochent sous les pieds. Tu te baignes entre les rochers où tes plantes inhabiles glissent. Etendu sous le mur, tu as froid et le sable remué te sert de couverture. Là, tout près, des enfants font de grands plongeons du sommet d’un roc qui ne tremble pas, assis dans l’eau jusqu’à la ceinture. Tu accours pour faire de même mais la vague fourbe décide de battre en retraite et te voilà le crâne dans le sable dur. Trente six chandelles bravent l’eau de la mer pour te faire fête. La tête secouée fait mal et les vertèbres cervicales se lamentent à tuetête. Accablé de douleur, de colère et de honte, tu as de la peine à escalader la falaise pour rentrer.
La chute Mes nombreuses années encanaillées se divertissent à mes dépens. Elles me jettent à terre comme un cul-de-jatte pour jouer. En vain, je les rappelle et les réprimande. Elles gloussent, pareilles à des poules hystériques. Elles dansent quelque tarentelle lubrique. Elles me clouent le bec en m’effrayant. Sautant en gymnastes endurcies, les unes sur les autres, comme des gouapes éhontées, elles s’emmêlent, s’entassent jusqu’à former une haute souche qui menace de s’écrouler. Je ne sais comment je me retrouve tout en haut de la pyramide branlante, moi que les hauteurs épouvantent. Sur ces chairs souillées que la diarrhée macule, que l’urine mouille, je m’assieds de guerre lasse. La ville qui m’indiffère, radote, en bas, sans fin, sa ritournelle qu’amplifient comme des baffles, les caisses au hoquet vireux des violoneux. Qui m’aidera à descendre le vertige que la ligue des années haineuses a tramé pour me perdre ?
Déliquescence Pendant que la ville brade ses ilotes Sur les étals pollués des abattoirs Où elle étrangle, égorge, écorche, étripe Des gerbes de cauchemars mal incarnés Qui expient là leurs vaines hyperboles,
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Que bouffent des robots mastodontes, Pendant que d’aveugles bras de grues Jettent dans des fosses enténébrées, Des tombereaux d’illusions perdues, Pendant que des pelles affamées épient Des appétits boudinés de chairs déjà mûres Qui se gorgent de noires amours cannibales, Sur d’avides et sanguinaires palimpsestes, Tu rampes comme un soudard moribond Sur l’infâme rebord de la falaise Où glisse et casse l’allègre farce du soir, Où même le soleil formidable hésite Puis plonge dans l’abîme vorace qui l’avale ; Tu t’arrêtes alors comme un cobra fasciné Devant la gueule d’abîme qui grimace, Où dans le miroir froid de l’angoisse, Qui déglingue tes branlantes vertèbres, Des orbites sinistres de chouettes néfastes, T’instillent une mort insidieuse et glacée.
Fable Déchire, ridicule naufragé renfrogné que tout afflige, comme un vain masque, cette moue de chagrin austère qui déforme ta figure, qui gâte tes traits. Regarde sur ce toit en plein ciel, cette herbe que la bise de l’hiver a exilée si loin de la bonne et basse terre, si loin de ses congénères ! Dans la vasque tremblante du crépuscule, elle butine, comme un papillon, la buée qui monte de la ville muette semblable à un rire bas de fantômes. La nuit, elle ressent une vague anxiété qui la retourne. Elle se blottit alors contre le mur stoïque et craquelé qui n’a jamais peur et la soutient. Dans le mystère vertical des ténèbres qui touillent dans leur marmite on ne sait quel philtre panique, elle servira un jour de rare et subtil ingrédient. Mais les heures de la nuit fraîchissent toujours plus. Elle devient triste, écarquille les yeux en grelottant de peur et de froid. Le vent indélicat la taquine et lui jette ses seaux à la figure. Ces moments pénibles passent comme elle le souhaite pourtant. L’aube arrive en tressaillant et dès l’aurore, la frayeur de la nuit est 58 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
oubliée. L’herbe rassasiée que l’arôme du matin vivifie, retrouve sa jeunesse et sa gaieté. Elle se prépare à recevoir les insectes qui l’amusent. Les bourdons la chatouillent et la font rire. Elle adore le jour, la splendeur incomparable du jour. Sa courte vie qui déborde, constitue son unique bonheur. Sois, comme elle, total et simple. Aime la vie ! Que veux-tu ? Le soir intense et patient ouvre comme une armée de mineurs, une carrière transfigurée que la destinée anesthésiée adoucit, où des lutins amusés t’entourent, tirent tes basques et te bousculent en se poursuivant comme des enfants surexcités. Oui, tu as un cœur qui bat à l’écart et tes paroles pleines d’amandes et de miel, se corrompent dans leur panier solitaire ! Chaque regard qui te croise, se barricade comme une impasse ! Les gens se défendent en vain contre le souci cannibale qui les abat et les dévore. Le monde est ainsi fait que ton besoin doit surmonter le besoin ! Détourne ton regard du film insipide. Regarde comme la terre est belle, comme partout éclate la nature, une et généreuse. Au cœur pollué de la ville qui n’en finit pas de fumer, le ciel pose sans rancune sa coupe de baccara ; dans les tripes nauséabondes des boulevards bondés qui rotent et empestent , les ficus croissent, robustes, les lauriers roses prolifèrent et le gazon ose marcher sur les pieds du caniveau ! Le vent arrive comme un éboueur gai, saisit la fumée, éparpille la poussière puis il court vite apporter un bol d’air humide et salin du large pour parfumer cette antichambre de l’Enfer. Sois comme la nature, intègre et simple ! Aime la vie même, futile, même humble !
Le chant des sirènes Cela fascine comme le chant des sirènes et atterre comme une agression redoutable à laquelle rien ne prépare. Une mue vous dépouille fatalement, implacablement des habitudes douillettes qui adoucissent l’existence. Une main impérieuse vous saisit pour vous détacher du ponton où vous êtes amarré. Le cœur d’abord secoué, se rebelle un peu, puis il se résigne. L’esprit se retourne, étonné, pour rebrousser chemin. Néanmoins, très vite, la musique du désespoir l’envoûte ; il jette bas toutes ses barrières critiques. Il détache lui-même la longe qui le rattachait à la vie ; ainsi s’opère cet éloignement paradoxal qui lance le front sur la paroi. Dans les profondeurs refoulées où vous acquiescez à l’appel du désert, les choses cessent de vous interpeller, de vous concerner. 59 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
Parangon Imagine une fleur des prés, qui jouisse toute une semaine de la pluie du printemps. Imagine qu’elle place sa serviette au sommet du tertre pour prendre un bain de soleil, s’offrant, nuit et jour des séances de massage. Si le vent mal élevé la rudoyait un brin, elle se récrierait un tantinet. Les enfants qui passeraient parfois derrière le muret, chargés de leur cartable, l’agaceraient. Certains auraient envie de la cueillir. Elle sentirait, elle verrait leurs doigts frétiller du plaisir que leur procurerait l’idée de lui briser le cou pour aspirer son arôme, l’idée de froisser sa corolle, l’idée de jeter les lambeaux feutrés des pétales sous les semelles des adultes anesthésiés. Imagine cette pâquerette brûlant d’un bonheur de plusieurs jours, savourant une extase de tous les instants, sous les pattes velues des abeilles, sous le torse bigarré des guêpes, sous l’abdomen massif des gros frelons bien mâles. Imagine qu’elle tressaille sous l’élan lourd des coccinelles, qu’elle gémisse, comme une amante, à l’atterrissage forcé du rhinocéros, qu’elle savoure le miasme capiteux des bousiers. Imagine cette immortelle, au bout de sa semaine prise d’angoisse et de regret. Imagine qu’elle glisse dans le souci. Imagine qu’elle perde la gaieté, la sérénité et le sommeil à cause de la terrible échéance. N’est-ce pas gâter ses dernières heures, hâter de façon stupide la joie qui lui serait impartie ? N’est-ce pas précipiter son malheur ? Imagine qu’elle se rebelle contre la brièveté de la saison, qu’elle s’en plaigne comme d’une fatalité hideuse. Imagine qu’elle refuse de devenir laide, qu’elle refuse de se faner. Imagine qu’elle se mette en grève, qu’elle dénonce la loi injuste qui la voue à la mort rapide. Imagine qu’elle se rebelle contre ce maître du temps qui la dessèche, qui la tue. Cela ne se peut. La fleur bourgeonne, éclot et s’épanouit ; une fois fécondée, elle jouit de toutes les secondes, de toutes les heures, de tous les jours qui lui échoient. Ensuite, elle fléchit sous son poids devenu trop lourd ; elle meurt, alors, lentement, calmement, silencieusement comme pour se recueillir et saisir une dernière nuance de vérité arachnéenne que le fracas et la frénésie de la vie égoïste, recouvrent immanquablement. Si elle avait de la chance, avant de disparaître, elle serait initié au dernier et inaccessible arcane où se perd le secret de la vie, où s’évanouit le mystère du bonheur ! Regarde-là, imite-là et goûte au plat frugal de l’âge mûr sans aigreur, sans amertume !
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Deuils Dans les limbes désolés de la cité dénaturée Que des chancres rongent comme la lèpre, Où d’innombrables trappes bâillent, hagardes, Comme les cercles ensorcelés de l’Enfer, Les citadins se sont évanouis comme des rêves ; Et les silhouettes des bâtisses inoccupées Sermonnent leurs jeunes seuils qui s’ennuient, Derrière les rues insatisfaites qui quittent la ville, Roulant comme des camelots leurs charrettes déglinguées ; Sur les tristes chaussées snobs et embrumées Qui lissent nerveusement leurs méandres infinis, Comme des anneaux fringants et nacrés d’anacondas, Des cortèges hallucinés de remords funèbres avancent, Silencieuses marches cauchemardesques et lourdes Qui envoûtent et glacent l’âme hâve et abasourdie ! Sur les fils emmêlés des trottoirs mutilés Qui se tordent parmi les murs crucifiés, Il n’y a plus ni terreur de badauds roués Ni paniques d’arbres ni tresses d’oiseaux Ni souvenirs de vrais ciels versatiles ! Dans l’ample désert de la ville devenue inutile, L’été a fui depuis longtemps comme un fils prodigue ; Et, dans les cendres durcies des places stériles, Niche, comme un cobra, le plus traître des hivers Qui arbore des masques goguenards et superposés, Qui imite, gai protagoniste insidieux et bronzé, Un frêle et pâle printemps grimé, galvaudé, Sur les planches effeuillées des journées nues, Où sont perchées des colonies de chagrins rapaces Qui surveillent cette apocalypse comme une carcasse ; Sur l’esplanade inhabitée des nuits qui ne cessent de ciller, Le torrent fou du temps creuse des rigoles ironiques ; Et la belle lumière de la journée frivole et coquette, Se calfeutre dans sa caverne, au bord de l’Océan,
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Et refuse de venir salir la traîne de sa robe immaculée, Dans l’ignoble bourbe de la cité condamnée Où des troupeaux de démons déposent leurs crottes ; Sur la place démantelée de la ville triste et désolée, Des simulacres de joies amusées passent sans s’arrêter Pendant que des chagrins saltimbanques vieillis et ridés Plantent des tentes qui grouillent de ténèbres fauves Qui happent de très jeunes mimes d’allégresses hagardes.
Dés C’est la fête aujourd’hui ! La lumière resplendit dans ces deux âmes transfigurées. La chaleur du soleil clément affermit les noeuds des mains saisies qui ne se lâchent plus. La grâce ranime les pieds qui démangent et chantent. Celle qui te dédaignait comme un chemin de terre battue, voilà qu’elle s’arrête, qu’elle te sourit, insigne chance ! Voilà qu’elle t’aborde même, comme une audacieuse brise ! Dans la chair caressée qui boit à longs traits, le plaisir apaisé, des bourgeons fragiles de fine félicité, se penchent à la fenêtre encore incrédule ; la poitrine chatouillée entonne un rire franc. Dans l’âme qui attend depuis si longtemps, des prémisses de printemps éclatent. Les lèvres craignent la salive aveugle qui monte dans le visage que le plaisir rougit ; les yeux brillent comme frétille la queue d’un chien comblé.
Métamorphose Lorsque les filins obstinés de la détresse te ligotent, Tu t’affales comme un vain fardeau sur ta couche fade Où des ténèbres rapaces dépècent tes désirs délicats, Où les lycaons affamés de l’ennui fouillent ta poitrine oppressée, Où les vautours du sommeil létal nettoient ta charogne blette ; Aussi, quand les cloches du réveil sonnent et te giflent, Tu sursautes épouvanté comme un bagnard condamné ; Et les heures et les jours et les années s’étirent péniblement Dans ce désert de sable et de roc, qui n’en finit pas de hurler ; 62 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
Puis brusquement et comme une averse inopinée qui s’abat Sur la cohue reptile des campagnes désespérées, durcies, altérées, Du fond insondable de ta chair revigorée qui ressuscite, Des rafales fortes et subites chassent les odeurs infectes ; Un ballet de plaisirs décidés gratte et emporte La poussière maussade et les ordures décomposées Qui souillent, comme des flibustiers, le logis de ton cœur ; De nouveau, dans l’aire poncée de tes yeux rallumés, La joie soyeuse et subtile déploie ses espoirs volatils ; Et dans ce palais que les aigreurs ont longtemps ravagées, De minuscules pousses de vert appétit s’entêtent A croître et trembler dans la bise des rires pessimistes ; Bientôt, les derniers remparts du vieux ksar s’écroulent, Bientôt, le dernier refus de la dernière impasse borgne, Tombe comme une haine de cactus déraciné ; Et, sur le parvis libéré de l’ancestral oubli, Un éphémère bonheur presque clandestin féconde L’âme fermente, énamourée, qui reste patiente !
Cycle Dans la fournaise de midi, les ombres se terrent dans les fourrés ; les chênes crépitent, vaincus ; les feuilles métallisées des eucalyptus sonnent comme des sistres. Dans la vaste tignasse du figuier qui plastronne sur les dalles chavirés de la cour, des arpèges infinis d’âcres et enivrants remugles, jouent des sonates que personne n’écoute. Sur les routes où la poussière outrancière a lâché ses meutes, des oliviers dégénérés, accroupis au bord du précipice, parodient les vieux villageois hypocrites et guindés qui palabrent tard le soir sur le parapet de la place. Midi le despote plante ses pals incandescents dans la campagne opprimée qui gémit, rendue, écartelée ; des rafales de sirocco assiègent en hurlant les arbres qui se dandinent et souffrent à moitié déracinés. L’air chaud circule et brûle les poumons. Longtemps, le cadavre du jour pendu sèche comme une morue aux fourches sadiques de l’impatience. L’aprèsmidi renâcle comme un calvaire. Puis, la branche qui se croyait éternelle, casse et le soir tombe étonné.
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La tête encore brûlante mais énorme et décapitée du soleil mortellement blessé, jaunit, enfle à l’horizon abasourdi, puis glisse dans le gouffre ensanglanté ; la campagne désolée panique. Hommes et animaux lancent d’émouvantes complaintes que les grottes répercutent. Dans le ciel mélancolique qui a perdu Orphée, des yeux noirs pleurent et l’embrun éparpillé rafraîchit les arbres fatigués. Les paysans enténébrés rentrent au village; la voix des femmes flageole dans la cours qui fume ; une odeur alléchante de crêpes interpelle le retardataire qui rêve sur l’âne minuscule ; les poules se chamaillent dans leurs perchoirs. Dans le sentier sinueux, les dernières cruches reviennent ivres de la fontaine enchantée. Des haies complices s’ouvrent, des garçons sortent en cachette. Leur ruisseau coule lentement jusqu’au fossé qu’ils traversent. Ils se faufilent sous des souches de vieux cactus et se retrouvent dans un jardin abandonné que l’oponce sauvage enferme et protège. La nuit est clémente, belle et fraîche. Elle drape la campagne émerveillée dans sa robe de soie intense et bleue. Le ciel et la colline sont ornés de colliers d’étoiles qui étincellent. S’y fraient d’innombrables chemins d’amours qui clignent, silencieux et furtifs. Peu à peu, les voix chuchotées des astres amoureux, s’appesantissent ; pis la conversation des astres rassasiés, languit. Dans le vaste firmament que la lune a dédaigné, les yeux d’Argus s’emplissent de sable et pâlissent quand l’aube les surprend. Les oiseaux comme des poètes alchimistes remplissent toutes les cornues du ciel, de chants infiniment répétés, comme des incantations. Quand le soleil apparaît à l’horizon derrière son cortège de nuages pourpres, la campagne tout entière applaudit. Les bergers font danser leur cheptel, les coqs lancent des cocoricos aux poules qui pondent, les paysans sortent dire bonjour aux jardins et aux champs et les femmes cherchent à la fontaine l’eau encore fraîche qui dormira toute la journée dans de grandes cruches goudronnées. La matinée joue au toboggan comme une folle sur la colline. Puis Midi arrive dans un vacarme de rocs dévalant la falaise. Il déplore ces mœurs dissolues et décrète une diète générale.
Saltimbanque Tu es assis dans ce fauteuil ample et hospitalier, Pendant que ton frère content te prépare un café, Une idée folle traverse ton esprit fragile et fatigué ; Comme poussé par un ténébreux ressort, 64 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
Tu te dresses et t’élances vers la fenêtre ouverte Qui t’appelle comme une gueule de fauve ; Tu t’arraches à la peur qui leste tes pieds effarés, Tu secoues les bras invisibles et amis qui te retiennent ; Tu piétines le plaisir et l’amour et l’espoir qui accourent, Qui t’enjoignent, qui te supplient de rebrousser chemin ; Ni la terreur qui s’accroche, comme un épouvantail, Au rebord de la fenêtre perverse qui t’appâte et bâille, Ni l’infâme vertige contempteur qui ôte le filet Ni l’horreur fracassée qui gît très bas sur le trottoir, Ni la mâchoire écrasée qui arbore un triste rictus, Ne ralentissent la marche fatale et le saut impromptu. Dans la lumière mordorée de l’après-midi qui s’épuise, Dans le ciel de Bruxelles que septembre rougit et pollue, Au bout de l’été septentrional où les souvenirs agonisent, Tu t’envoles tel un aigle transfiguré qui s’arrache Au corps postiche que le désespoir alourdit, Comme s’évade d’une chenille un beau machaon ; Et le bref instant foudroyé qui croît, qui s’étire, Qui s’enfonce comme une flèche dans le crépuscule, Calcine cette chair glorieuse et métamorphosée Que l’âpre, que l’irréductible courage rachète ; Et ta poussière qui flotte comme une métaphore Dans le soir médusé de mes yeux incrédules, Et ta mort héroïque soufflant, effaçant l’ignominie Qui embrumait ton esprit, qui ulcérait ton cœur, Tuent, dans l’œuf, cette folle et funeste émotion Qui, comme Circé, t’asservissait, frère enfin libre !
Pédagogie Ce qui s’éveille là dans tes yeux égarés qui fixent l’horizon, Lorsque la sirène oubliée donne congé aux élèves turbulents Qui s’agitent, se bousculent, rient et s’interpellent sans pudeur,
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Devant l’institutrice inquiète et triste qui les regarde partir, Dans les bras du soir accouru qui s’empresse de les reconduire, Devant l’institutrice solitaire et chagrine qui les couve, Qui leur offre un amour ridicule et une sagesse surannée, N’est-ce pas cette jeune géhenne qui te préserve De l’affreuse panthère qui est à l’affût et qui t’attend, Qui se terre dans sa tanière où elle se couche, ronfle et dort, Qui se poste invisible sur le seuil de la salle qui se vide ; Puis le jour qui te distrait, se retire, las et somnolent ; S’éloignent les élèves insupportables qui te donnent la migraine, Qui allongent indéfiniment les secondes, les minutes et les heures, Qui transforment la classe en arène où les fauves te déchirent, Qui rejettent à voix haute et désapprennent ce butin précieux Que tu leur prépares, que tu prodigues comme un viatique, Ces enfants opiniâtres, écervelés, qui se raidissent et ruent Quand tu les regardes avec une tendresse qui s’afflige, S’envolent ces jours chahuteurs enfin délivrés, Ces graines de jours tôt grandis qui se querellent, Ces jours ingrats que tu irrites et qui te menacent Ces jours forcis, émancipés, à présent, disparus, Que tu adores pourtant plus que ta chair décatie, Dont tu aimes les colères, les cris, les algarades, Dont tu chéris jusqu’à l’entêtement, jusqu’aux lubies ! Car ce sont là les derniers remparts qui te cachent la mort !
Victime Les larmes montent et les sanglots cassent dans la gorge obstruée. Il fait un tel chagrin que l’air insouciant est stupéfait par ce gel qui brise l’œil et la bouche. Des chevaux fougueux m’écartèlent sous les rênes de la nostalgie qui les conduit. Le passé m’aspire comme un mirage. Je bute en reculant sur la porte blindée du temps. Je ne puis me fier à cet embryon de l’avenir. Entre les remparts austères qui me tiennent reclus, la vie se dévide comme un cocon de songe flétri. La façade de la beauté baragouine un 66 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
dialecte qui m’atterre. Les embruns de l’amour tombent continuellement dans les syrtes. Les jours débâtés cabriolent sur ce dos voûté et les mois malotrus se culbutent sans honte sur ce ventre comme des chats en rut. N’appelez- point le courage qui est parti, irrité, ni la volonté excédée que mes rechutes déboussolent. Je suis perdu. Qui aura assez de charité pour me donner le coup de grâce ?
Délices de la mort Comme une baleine franche qui plonge dans les abysses, Je m’enfonce dans les arcanes de cette chambre maudite Où l’air salutaire manque, où, sans grelots, la joie A claqué la porte, comme un maîtresse trompée, A fui et n’a plus donné souffle ni signe de vie A ce piètre corps déchu et amoché qui s’ennuie, Qui brasse, en apnée, les aigreurs du jour fourbe Qu’assassinent les innommables terreurs de la nuit, Où parmi les raies fantastiques et mantas qui planent, Surviennent des cauchemars de requins blancs Qui rôdent et tracent, autour de ma carcasse noire, Des cercles incantatoires et de furieuses ellipses Qui m’immobilisent, comme des entraves de fer, Qui m’hypnotisent, au dessus des polypiers inutiles Qui m’observent de leurs prunelles aveugles. Comme un mégaptère alenti que les fonds fascinent, Qui lit sans cesse les belles ballades et les grands récits De la démesure sombre et liquide qui effraie les dauphins, Je descends au creux de cette chambre qui étouffe, Qui gît, méconnue, sous des tonnes d’éboulis, Où mes suppliques sonnent comme dans une grotte, Où du silence sournois qui rase les parois et se cache, Sortent on ne sait comment d’ignobles crocs d’orques Qui saisissent mon corps, comme un phoque imprudent. Comme un désastre de baleine à bosse, incrusté De beaux écrins de crustacés fulgurants et nacrés, Qui déteste les surfaces de l’océan rasséréné, 67 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
Qui recherche, avide, des frissons de calmars géants, Tapis parmi des corsets de méduses empoisonnées, Dans les ténèbres impénétrables des fosses abyssales ; Comme un fort cachalot téméraire, borgne et tatoué, Je crève sur ce plancher qui me hait comme un pirate Où le bonheur échaudé ne songe même plus à nicher ; Et lorsque les mains du soir charitable qui me regarde De la fenêtre profonde et hostile comme un hublot inondé, Que mon interminable noyade hallucinée attriste, Lorsque les bras du soir s’élancent pour me sauver, Bravant l’eau empuantie et les requins scélérats, Une fausse honte stupide et butée me saisit et me retient, Et comme une mère scandalisée qui insulte un satyre, Elle lance des injures courroucées au soir pitoyable Qui rougit, confus, qui hésite, qui bat en retraite, Qui m’abandonne à ce fauve qui me mange les flancs ; Et je me replonge derechef dans la détresse affreuse !
Vert et noir Dans les ruelles perdues de la mémoire envoûtée que les fantômes d’un passé familier mais disparu, hantent, tu te risques parfois, malgré la faiblesse de tes yeux amnésiques, malgré la sombre presbytie de ton cœur que le malheur a tanné, comme une peau d’esclave. Tu suis les cabris de tes jours puérils dans le fossé qui coupe le village en deux quartiers de citrons amers. Parmi la ribambelle des peurs qui défraient ton âme encore friable, parmi les fagots des punitions que l’école sévère procure, brillent encore de belles heures qui sont vêtues de lumière, haltes fortunées, pleines d’arbres robustes, au dessus de l’herbe vivante qui frissonne au vent, où des sources fraîches adoucissent les ardeurs de l’été, où des feux larmoyants de brande raniment le bonheur reptile et gelé. La colline hospitalière est un baptême qui t’accueille et t’initie aux mystères volatils de la nature. Ici, l’allégresse préfère aux bois et aux taillis escarpés, les champs qui ondulent, déployés comme des rémiges de condor,
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où des joies d’alouettes enchantées volettent, s’arrêtent et chantent, rassasiées de soleil blanc et de poussières libres. Le printemps est une fête. La pluie clémente y épouse de beaux aprèsmidi clairs et ensoleillés. Les femmes disparues sarclent la mer du blé encore enfant. Des présents infinis arrivent sur les ailes des hirondelles qui viennent squatter le toit ouvert du vestibule où nous nous envolons, ma sœur cadette et moi, sur une balançoire qui s’accroche, naufragée, aux poutres pourries. Dans le mur, une marmite garde un maigre déjeuner de pois chiches et de pommes de terre qui se crispent sur leur sauce froide. Le pain d’hier rudoie le minuscule appétit que l’exercice nous donne. Dans les vergers qui renaissent, les vrilles colorées et velues des courges encore en fleur sont un délice pour les yeux éveillés. Les rainettes qui clapotent dans la vasque sombre de la fontaine, donnent plus de douceur encore à cette eau ressuscitée. Derrière les immenses eucalyptus qui bardent comme des molosses, des jardins clos et interdits embaument le choux généreux et frisé, le thym discret et cette menthe aux feuilles larges et rêches dont l’arôme enivre. Ma mémoire presque poncée, est aux anges ! Puis, la campagne tant aimée, meurt. Elle est enterrée dans un quartier populaire et affreux qui sent le crottin d’âne et l’ordure. Les maisons vieilles, mal rafistolées tiennent à peine au dessus des sommeils d’enfants innocents. Partout la misère passe et, de sa cravache infâme, elle cingle les hommes qui fuient ; elle s’acharne sur les femmes qui se courbent, stoïques et passives. Elle châtie les petites créatures qui sont sans défense. Elle les habille de loques et de froid ; elle leur fait siroter des bols de faims envenimées. Elle passe de temps à autre le balaie de la mort qui débarrasse le plancher de cette engeance prolifique qui s’y trouve à l’étroit, suscitant une folle débandade où les grands piétinent et tuent les petits. Dans les masures insalubres et moisies où tout manque jusqu’à l’air, jusqu’à l’eau, l’enfance étouffe. Dans les yeux que les tisons du malheur brûlent, l’imagination effarouchée s’enfuit vers des quartiers mieux lotis. L’espérance mal nourrie succombe. Les rêves esseulés meurent à leur tour comme des oisillons qui ont perdu leurs parents.
Sécheresse Voilà plusieurs mois que l’hiver a débarqué mais personne ne l’a encore vu ; les chiens errants qui le redoutent n’aboient pas la nuit parce qu’ils ne sentent ni sa peau d’argile faisandée ni ses oripeaux moisis et nauséabonds. 69 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
Les averses sont déjà lasses quand elles nous rendent visite ; au lieu d’arroser le citoyen dévoyé, elles préfèrent passer en souriant comme si elles traversaient une scène de comédie grotesque et insensée. Aussi, se gardentelles de s’arrêter ou de glousser franchement. Sans éclats ni fou rire, elles nous survolent convaincues que ces pieds plats qui s’enferrent dans l’horreur du ridicule, ne méritent aucune larme bienfaisante du ciel, aucune ondée émotive qui les mouillerait, qui les consolerait de la misère irréparable où ils traînent continuellement. Du ciel indifférent qui se drape dans sa lointaine noblesse, ne nous parvient qu’une transparence immaculée de diamant inhumain, une beauté bleue et sublime accablant les poètes et les peintres qui se contentent de la regarder et de se taire. Ils sont persuadés que leur langue imprudente ne pourrait que bafouiller si elle voulait tailler un bustier à ce sein érotique et divin. Ils se sentent prostrés à cause de cette vénusté sidérale et sublime qui est prodiguée là sans fin, à cause de ces aurores surnaturelles qui se renouvellent chaque matin, qui comblent les yeux comme une ambroisie, qui dilatent les cœurs que l’exil atterre, dans la ville affairée et borgne. Ils sont tristes à cause des soirs frais et inouïs qui resplendissent comme des lustres mystiques, où, dans l’amphithéâtre incrédule, la reine du crépuscule ivre de beauté et de volupté offre aux regards désoeuvrés et béotiens, les vertigineuses pentes nacrées de son corps irrésistible et nue où le brouillard connaisseur et feutré du soir gratte un interminable palimpseste. Ces hauts faits les désespèrent dès lors qu’ils sont voués à chômer dans une oisiveté qui les tue, qui n’est pas un simulacre de farniente qui fâche le philistin, qui n’est pas une ironie désinvolte qui révolte le bourgeois pugnace et sérieux, toujours prêt à en découdre dès que l’exercice du lucre et menacé. Il ne s’agit pas d’une pose de vieille bohème qui donnerait au vulgaire le droit de honnir les poètes, le doit de maudire les poètes. Toute religion tarie, toute culture sclérosée, toute morale étriquée trouvent là un prétexte pour rompre les os à cette engeance dangereuse. Ces exploits silencieux d’une nature belle comme la mer, hautaine comme le désert, stérile comme la femme dont le cœur est préservé de l’amour, ces exploits onéreux que le ciel dilapide là comme un dandy, sont autant de soufflets pour le pauvre poète humble, démuni qui ne peut se réduire à lâcher l’unique pièce d’or qui lui échoit, qui constitue son unique bouclier contre les rigueurs de l’hiver, qui réchauffe comme un feu son cœur frustré. L’hiver est là, incognito, se baladant dans les rues bavardes et imbéciles, dans cet habit de lumière qui est réservé au seul été.
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Dernier rite Quand l’ardeur de l’été immodéré tanne le cœur Mal rasséréné par les brefs répits des matins Que des nuits campagnardes, fastes et étoilées Prodiguent aux jours maudits de la cité emboîtée ; Quand les sbires cruels de la canicule en colère Se roulent, comme des ânes, dans la poussière, Quand, ils fomentent, déchaînés, une tempête enragée Qui enfle, qui grandit, qui rugit, inapaisée ;
Quand les Géants calcinés s’évadent du Tartare Et s’abattent, comme un fléau, sur la ville dépouillée Où parmi les arbres émondés des ruisseaux encroûtés Bradent, impudents, leur crasse et leur pestilence, A la cohue mal famée des trottoirs souteneurs Qui surveillent les noires chaussées couchées ; Quand les souffles démentiels de l’été acharné Qui pullulent dans les rues comme des sauterelles, Qui vrombissent comme essaims de mouches, Qui burinent les boulevards sales et impuissants De térébrantes ornières vicieuses, incomblées Et d’irrémédiables foudres de migraines.
Quand les transfuges de l’automne incertain Cambrent leur taille, plastronnent et bluffent Comme les dieux désuets de l’été défunt, Puis trébuchent, bafouillent, portant sur leur visage Les stigmates de l’hiver subreptice et abject ; Quand l’hiver souffle sur les maisons blêmes, Une bise glaciale qui gèle jusqu’aux haleines, Quand il joue, comme un musicien pervers, Des accords lubriques et des arpèges homicides, Sur les xylophones horrifiées de nos côtes ; Quand ils lâchent ses meutes de loups affamés Sur la volaille qui glousse, enthousiaste, écervelée ;
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Quand les rumeurs mensongères du printemps Transforment les rues incultes en prés feints, Quand, sur le prurit du compost philistin, Eclosent des chancres, comme des chrysanthèmes, Dans les corps vaincus qui se vautrent, abâtardis ; Quand le printemps, hâbleur, désenchanté, Serine des ballades idiotes et mortes Que la racaille émasculée gobe comme des goujons, A même la bourbe des mares et des amours ; Quand l’été excédé qui hait le gâchis, s’emporte Contre ces saisons androgynes et timorées Qui n’ont ni gouaille ni humour ni mordant, Qu’il saisit, qu’il renverse d’un revers de manche, Plantant son tisonnier dans leurs yeux désabusés ; Alors, les poètes blessés, renversés qui succombent, Que les poussières illettrées du jour enterrent, Dans le fossé des mille ornières recreusées, Dans le tombeau des mille habitudes retracées, Ils se dépouillent, comme de jeunes cobras qui muent, De leurs dernières paroles devenues volubiles et vaines ; Comme des guerriers Sioux, ils plongent leur ultime chair Solitaire, inentendue, dans le bûcher glacé du silence.
Evasion Voilà des années que ma chair étrécie me démange comme une peau trop étroite ! Voilà des années que mon corps que l’habitude appesantit, que le temps inculte, opprime et obscurcit, est devenu une cellule de prison pour mes désirs frustrés ! Voilà des années que ma couche me rejette comme une marâtre, qu’elle me répugne comme un nid de serpents ! Ma vie désenchantée veut quitter ce logis étriqué où l’asthme asphyxie. Comme un jeune toucan enfermé dans un tronc d’arbre, je veux sortir pour respirer, déployer ces ailes qui ont forci et que je bats en vain dans cet air enfumé. La maison m’a hébergé et s’est habituée à ma présence comme à un fœtus qui bouge dans son sein. Elle m’adore comme une mère et refuse de me lâcher ; elle pleure et me retient elle veut que je termine mes jours ici. Elle désire faire de ma vie une mort et de ma mort un semblant de vie.
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Le corps qui a si souvent souffert, qui a appris à prévoir le danger pour l’éviter, qui préfère l’esquive salutaire à l’affrontement stressant et périlleux, me déconseille de sortir. Après tant d’années de luttes et de fatigues qui lui ont permis de construire cet abri qu’il ne cesse de renforcer, il n’est pas question de l’abandonner désormais pour se remettre dans une nudité précaire, douloureuse et inutile ; il ne s’exposera pas de nouveau aux dangers pour m’accompagner. Mon âme aussi se montre réticente à l’égard de ce projet si extravagant. Certes, elle éprouve une vague tentation, une velléité de briser la monotonie d’une existence fastidieuse. Mais la curiosité ne vainc pas la prudence qui se récrie. Cependant, moi, je veux sortir ; je veux m’affranchir de ces liens qui m’entravent et m’appauvrissent. Je veux aller dans la forêt retrouver le souffle et ses promesses ; je veux descendre au fleuve dont le flot me porterait M’y attend l’or d’un jour mystérieux et nouveau, accueillant et comblé, parmi les écailles rêches et les affreuses mâchoires des crocodiles qui toujours grossissent et grandissent comme des cauchemars.
Grotte des Calanques Dans cette piaule abandonnée qui somnole et s’ennuie, L’angoisse dépravée démantèle les meubles, Froisse et déchire, dans ses colères embrasées, Les tentures qui blêmissent, les rideaux qui tremblent : Et tu tressailles comme une poussière oubliée, Sur la natte amincie des années accumulées Qui salissent le plancher hagard et amnésique, Où se fane le taillis des rires et le lichen des larmes, Où tombent les murs comme des molaires cariées ; Et tu grelottes comme un spasme de moribond, Sur le tapis élimé des années rompues, décaties, Où les dernières forêts sont tombées sous les cognées, Où, dans le tuf ingrat des prés, sèchent, méprisés, De fiers pissenlits et des laîches ridicules, Parmi les excréments crétacés des bouledogues, Et tu rapetisses, comme un écueil que le sac afflige, Dans cette cambuse désaxée qui débloque sans cesse, Où les cloisons farouches se déplacent matin et soir, 73 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
Où le plancher ivre mort n’en finit pas de tanguer ! Et ton âme désaffectée habite, désoeuvrée, Ces loques de vieux corps avare et fatigué Où traînent des ustensiles noircis et encrassés Où des bras s’affairent dans leur outre tannée, Où l’estomac qui crie toujours famine Indispose l’intestin grêle et plaintif, et bousille Le vaste côlon encombré, les reins scrupuleux Et la vessie qui gonfle comme un potiron ; Ame imbécile qui doutes, jaunie, dégénérée, Dans cette camisole de chambre bègue Où te nouent et t’agrippent des cordes solitaires, Où des rets de tristesses perverses t’étouffent ; Où tu tâtonnes, comme un souffle pusillanime, Dans cette hideuse brande aride, embroussaillée Que les chiens déboussolés ne marquent plus, Où la détresse soûle couve son vin frelaté, Où tu grignotes, comme un bâtard abandonné, Des miettes sourdes, des vocables furtifs et moisis, De vieux pâtés miteux, des phrases fermentées, Des quignons haineux et des pensées lasses et rassises ; Ame sotte et courte que l’esbroufe aplatit, Malgré le vent salutaire qui apporte des colis de joie, Malgré le soleil barbu qui se couche dans sa gandoura, A même ton fruste granit que sa splendeur ponce ! Ame bosselée et criblée comme une termitière, Dans cette brousse que des gnous piétinent, Où, des hyènes surexcitées saignent des charognes, Sous l’œil sacré d’un aréopage de vautours chauves ! Ame polluée, qu’écartèlent des requins blancs, Où, sur des guéridons de banquises gargantuesques, Des ours guettent des phoques et des morses ! Où, dans l’eau froide et limpide d’un golfe arctique, D’imposants mégaptères se régalent de plancton ; Ame exilée que les océans cruels déchiquettent, 74 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
Qui parcours les houles déchaînées du Sud, Parmi les îles éparses et les atolls effarouchés, Où des baleines à bosses te lancent, débonnaires, Des fleurs impromptues d’écume ensemencée !
Ame millénaire, qui rôdes, dans la mer turquoise, Qui plonges contre la paroi jusqu’à la grotte Où t’accueille un labyrinthe de boyaux et de nefs Qu’une gigantesque jungle liquide a investi De mille flots d’écume, de mille lianes d’épines, Où, sur les murs courbes et gonflés qui dorment, Des chasseurs et des chamans intrépides, entrés à pied, Voilà plus de trente mille ans, dans la ténèbre panique, Ont tracé, comme des poèmes, des peintures fabuleuses !
Cosmos Quand le jour rétréci se recroqueville sous l’averse des météorites qui tombent et l’écrasent comme une vigne déchiquetée, Quand le jour fracassé disparaît sous les décombres qui envahissent le ciel indifférent et la terre résignée, Quand le jour tronçonné n’est plus qu’une paume impuissante d’où nulle lumière ne s’épand, Quand le jour crépusculaire est condamné à attendre encore, à subir les chutes, à recevoir les coups, Quelle informe brume de soir chamarré que des myriades d’yeux clignés fascinent, attendrira ce cœur détaché que les redites ennuient, Où un cheptel de mornes fatigues glanent un lichen glauque, à même les pierres mal élevées qui se battent dans le pré meurtri ? Quelle efflorescence de lointaine galaxie calquée puis chuchotée, courtisera ce cœur blasé, que des haies hirsutes murent, comme des molosses ? Quelle sonate bourdonnée de sphères discrètes et illuminées emblavera comme une pluie de vieille marne inspirée, ce jardinet aride et frileux où même les toiles d’araignées ont été abandonnées ? Quel spasme de madrigal énamouré, loin des regards curieux qui l’épient, loin des regrets robustes et fauves qui molestent le poème maigrelet, réfugié dans les coins, Engrossera l’enclos mal équarri du cœur déserté, où des poulets étiques périssent sous les crocs des renards, où dans le fumier desséché, aplati, s’enfoncent les stukas du soleil ?
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Quelle brûlante extase de quasar toujours retondu, ressuscitera le cœur mort que des pelletées d’oubli recouvrent ? Quel tentacule d’amour sidéral repêchera ce cœur engouffré où la lumière étouffe, où grogne un chant rauque de raies somnambules qui tournent en dormant, Ce cœur empierré qui gît sur le sable trouble où pourrissent des monologues alanguis de galions enfiellés qui ont perdu la foi, Où des bancs de cnidaires patients ébauchent des bourgeons puis des doigts puis des branches où se cachent des hippocampes ?
Poison Pendant que t’étrangle le nœud coulant du vent pollué, Dans ce ventre flatulent de ville avide et goinfre Où le cruel cyclope, paissant ses quartiers de béton, T’enferme comme Ulysse dans la caverne noircie ; Pendant que sous les murs moites de ta geôle, Où tes rêves déracinés pourrissent et tes gencives, Tu remets chaque nuit sur le métier qui grince, La toile de Pénélope que le jour incrédule défait ; Des vagues inflexibles emportent des fugitifs froids, Des vagues sombres et démesurées plastronnent Parmi le peuple glouton des requins myopes, Des vagues immémoriales et inapprivoisées Renversent les radeaux et retournent les barques Parmi le sel érodée et l’écume ivre et gonflée, Des escadrons aveugles de vagues informes Battent les flancs moisis des chalutiers bredouilles, Et chatouillent comme des haies de fans acquis, Les quilles lubriques des splendides catamarans Qui sillonnent les détroits, les mers et les océans, Où s’embarquent sous les spots et reviennent Des rires fragiles et des tripes à peine fécondées !
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Solitude Que de fois tu es passé comme un vent aveugle devant ce figuier solitaire qui se désole, presque dépouillé à l’écart de ses congénères qui restent constamment groupés et couverts. Sur le gazon teigneux que criblent des salves de footballeurs désoeuvrés, il pousse son tronc délicat d’où partent vers le ciel des membres timorés qui hésitent et se tourmentent. Les branches clairsemées où les rafales gesticulent, sont avares de feuilles larges qui tremblent, vertes et rares.
Remède Tu écris pour que la vie ait du charme, pour que le plus humble, le plus démuni, le plus désespéré des hommes puisse retrouver face à la terre et à lui-même, la grâce gratuite du temps qui s’écoule ; tu écris pour entamer une muette et immobile aventure toujours neuve et toujours décevante. Tu écris pour recentrer désespérément, indéfiniment l’aiguille de la balance ; tu écris des phrases aériennes, lumineuses et impondérables pour empêcher le fléau de s’affoler. Tu écris pour porter l’éphémère et pour racheter le temps qui tue. Tu écris pour amadouer la mort intraitable et austère.
Eclair Cette étincelle qui jaillit sur l’émeri du cœur désappointé, sur l’âme racornie, qu’une allumette frottée de mots exhumés, prodigue, comme du silex, cette étincelle fruste et brutale qui chatouille les yeux, qui stupéfie la nuit, sauve comme un baume de la dérive où mène une trop longue solitude, où règne un silence profond qui pèse comme la meule du cyclope.
Libellules Il a plu, la terre a bu. Dans ce coin perdu où les passants ont l’habitude de se soulager, l’eau infiltrée trempe puis engrosse les graines endormies qui se réveillent Des pousses têtues, jouant des coudes, se frayent un chemin jusqu’à la lumière où elles lavent leur jupe tendre dans la rosée ; les racines se nourrissent du suc de la terre ; les tiges grandissent ; les feuilles prennent 77 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
des bains d’or et de fleurs. Les jours beaux comme des gigolos leur coulent des gracieusetés dans l’oreille qui les font pâmer. Des abeilles et des papillons apportent des billets doux qui les fécondent. Les fleurs durcies se remplissent de graines sèches et de duvet gris ; les enveloppes éclatent ; des akènes volent dans le vent ami comme des libellules.
Sépulcre J’ai vu la maladie ronger comme une hyène, ton corps toujours plus décharné ; j’ai assisté au naufrage de ton âme qui glissait dans l’abîme et ne remontait plus ; j’ai déploré ces tortures dernières et vaines ; le bourreau s’acharnait sur une loque de misère innocente. Il lacérait les restes de ton absence. J’ai pleuré, inutile, l’holocauste de ta chair désertée où avait habité une âme droite et juste, où avait trôné sans partage, une foi inébranlable. Plus encore que dans cette tombe blanchie que les pins de la montagne surplombent, où vingt ans de mauvaise terre t’enferment comme une trappe solitaire, tu bouges, triste et rescapé, dans ces yeux fils que tu as aimés, ô père !
Fard Regarde comme cette beauté est trompeuse ! Regarde comme le ciel est immaculé ! Regarde comme la splendeur que le soleil d’hiver déverse sur la ville, transforme les loggias en écrins et les vitres en joyaux ! Regarde comme le temps fourbe s’arrête au coin de la rue où des adolescents se chamaillent et interpellent les filles qui passent ! Quel bonheur tisse sa toile de soie imperturbable dans le haut métier de l’air qui ne tient pas en place, qui va comme une navette experte, d’un trottoir à l’autre ! Regarde comme les yeux émus s’emplissent de larmes, comme le cœur qui repose épargné, se prend à palpiter ! Comme l’angoisse de sa voix de Stentor appelle du fond du puits où elle est tombée ! Pourtant, les sinistres roues de la nostalgie crissent sur l’écume qui l’inonde ; pourtant, au fond de cette vénusté, sommeille un malheur !
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Temple Les loques décousues de la cité apaisée te drapent comme des prières maternelles, dans le bel horizon tordu et strié comme les colonnades d’une nef intense, où les machines déconnectées se taisent, où les passants somnambules gesticulent comme des grues en pariades. Des trombes de lumière limpide se perdent en cascades silencieuses dans les rues chamarrées qui étrennent leur gourme, sous un ciel si vaste et si voûté qu’il vacille comme pris de vertige, sous la prunelle écarquillée et clémente du soleil d’hiver qui rayonne comme une myriade de Phryné impeccables et nues. Le temps qui a trop bu, oublie de passer et s’affale sur quelque seuil de granit froid pour dormir ; de très loin, une brise oubliée s’insinue juste dans ton cœur et dérange ces feuilles où se mire indéfiniment ton visage absurde de Narcisse. Réveille-toi, ouvre tes yeux à la beauté fugitive qui longe les murs et s’esquive ! Ouvre ton cœur à l’amorce parfumée du bonheur futile et humble qui te salue et s’en va !
Jardinet Dans le minuscule jardin du cœur aigri que l’insolence des hauts murs mitoyens menace, la dernière touffe d’herbe qui n’a pas émigré, se meurt, jaunie, durcie, ridée, comme la peau anachronique d’un vieil éléphant. Dans le cube empierré du cœur que l’été impitoyable a roussi, l’unique buisson de jasmin vassal implore le regard amical l’ombre suzeraine de l’oranger malingre et chauve qui s’appuie, affaibli, sur la haie dépouillée. Dans ce carré de cœur stérile, l’argile gît comme un naufragé sur la rive du soleil implacable qui y place son creuset, où il coule tout le jour des lingots de feu haineux ; l’argile gît sous les pierres pointues qui l’ulcèrent comme des chancres douloureux. Le vent brutal et hargneux y essaie ses fléaux, soulevant des flots de poussières qui toussent et suffoquent ; dans le boîtier infime du cœur qui reste ouvert comme une huître morte, l’âme est une perle qui veille ; la joie fait bonne figure. Sur la marche courbe de l’attente qui tourne comme un manège, le souvenir de la nuit étoilée apporte un répit et le crépuscule qui lentement bascule dans le ciel flamboyant, est un prodige infiniment muet où le cœur se ressource !
Comme un vol de grues Du ciel épanoui qui se courbe comme un éphèbe, Sur le sein de la terre où des pissenlits palpitent, 79 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
Que marquent des rangées d’abcès pustuleux ; Du ciel olympien comme un bel et aveugle Orion Que coiffe un feutre de soleil opiniâtre et fauve ; Du ciel liquide comme une corolle de neige éblouie, T’appelle un vol subtil de cirrus lointain, Loin des quartiers désoeuvrés de la cité abâtardie, Qui s’étend, nonchalante, comme une odalisque, Où sonnent des orgues d’immeubles rogues, Où sèchent d’innombrables routes poussiéreuses, Où s’entrecroisent mille langues de Babel, Loin des lacis essoufflées des rues phtisiques Où moisissent des lambeaux de mélancolie, Loin des derniers poteaux de bois tatoués Que des générations de mioches burinent, Loin des camions immobilisés, des pelleteuses obèses Qui ébranlent les bicoques centenaires et cariées, Loin des rompt points qui souffrent et se plaignent De la coulée de fer qui n’en finit pas de coaguler, Tu veux prendre ton essor et planer dans ce bleu Où tournoient d’amples cercles de mouettes Qui surfent sur l’air chaud et fuselé, qui montent Et survolent cette charogne de ville nauséabonde ; Tu veux t’extirper de ces pierres apprivoisées, T’éloigner de ces couloirs qui puent, secouer Cette camisole de rue imbécile qui te sourit, Qui te salue au tournant comme un chien, Tu veux enlever la chemise déchirée du jour Qui bavarde sur le seuil comme une rombière, Tu veux expirer de tes poumons cet air qui te pèse, Tu veux muer comme une chenille hideuse et velue, Tu veux prendre ton essor et planer dans ce bleu, Comme filent des triangles hautains de grues pressées Qui sentent de si loin l’algue et le sel et la lagune !
Ubiquité Quand les chauves-souris des nuit acariâtres 80 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
S’envolent loin des stalactites de ton cœur aigri ; Quand sur ces pics où nichent des cauchemars, Un vent précurseur sème dans les vallons frustrés Des fioritures prématurées de crocus intrépides Qui fendent la glace comme des saxifrages ; Quand sur les dunes qui avancent dans le simoun Comme des valses pansues de dromadaires, Une brume de mer égarée désaltère les vipères Parmi les cactées et les acacias enracinés Qui résistent comme des bisons rupestres ; Quand les squales voraces de la nuit hostile Abandonnent ta carcasse ramollie qui dérive Sur la lame de l’océan vaste et solitaire ; Quand les implacables vautours de la nuit Sombrent dans le gouffre qui les engloutit ; La chambre brille chamarrée comme une rascasse Où le soleil allègre éparpille ses arums immaculés, Où la journée se déhanche comme une Aphrodite, Où les plaisirs s’amusent et les mots enfiévrés, Sur des croupes de feuilles belles, enfin fécondes Et l’extase fond comme un épervier sur ton cœur Dont le torrent déchaîné démantèle les remparts Qui te dépouillent, qui te ligotent et t’emprisonnent ; Et dans l’innombrable dune stellaire et tendue, Où traînent des débris d’angoisses vaincues, Où la nostalgie blanchit comme un ossuaire, Se déploie l’ample polyphonie du monde décuplé ; Et dans le champ fertile et infini de haute luzerne Qui festonne les massifs dilatés de ton cœur, Des myriades d’étoiles transfigurées étincellent Tels des rets fleuris de joies crissantes et vibrantes.
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Palabres Dans le labyrinthe des ruelles calmes et bien élevées Où s’étalent nonchalamment les appas du corps, Les épines de l’esprit et les gales odieuses de l’âme, Où les poings assenés ont l’air de se congratuler, Où l’argent fier et souverain ose danser nu Comme un rite sanglant de flamine obscène. Partout, des corps de sumos aguerris se heurtent ; Des bustes de bouquetins cambrés s’affrontent Des peaux rabotées exhalent leurs parfums empuantis, Effluves pénétrants et infects que les narines savourent. Derrière des braguettes souriantes et ouvertes, Parmi des valses lentes de jambes entrelacées, D’aveugles quidams goinfres et surexcités lancent Leur langue prompte et rêche de gecko turgescent, Dans des grottes fauves et moites qui languissent, Sous un mince rideau de faille fardée qui acquiesce ; Des bras jaillissent comme des queues d’entelles Se frayant des chemins fourbes dans ce dédale hypocrite ; Et des mains liantes comme des figuiers étrangleurs Saisissent, audacieuses, de gros bourgeons qui gonflent Comme des fêtes rondes et récompensées de gui mûr, Sur de curieuses loggias de chair imbibée d’onguent ; Et des kyrielles de mots assagis jouent comme des mioches Devant les portes bondées des maisons énamourées Qu’un liséré de cerise rouge souligne comme un paraphe, Où brille une rangée de dents carnassières qui épient Sous les cerceaux d’un gros python agile et embusqué ; Tandis que dans le lourd cachot jaloux qui me séquestre, Où gît un cercle farouche de douleurs frustrées qui boudent, Où veille une chiourme de questions tortueuses et sarcastiques, 82 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
Condamnées à croupir dans cette geôle perpétuelle,
Des bagarres brutales et absurdes grondent et éclatent Parmi les matons hargneux et complices qui se taisent, Qui lâchent, sur ces gladiateurs de l’ombre et du silence, De terribles molosses de temps que la faim tenaille Et qui dévorent mes viscères, ma langue et ma cervelle !
Cendres Le jour tournoie comme un ara chamarré Autour de la vieille chambre anesthésiée Qui broie du noir parmi ses meubles démodés ; Par les vitres récalcitrantes qui gauchissent, La jeune lumière qui entre, belle et diaphane, Joue à la marelle sur les murs abasourdis ; Comme une hirondelle, elle sort par la fenêtre Rejoint le beau ciel de velours où elle enfile De fières cascades et d’allègres loopings. Dans la véranda de l’âme maussade et vide Que l’amour a plaquée comme un gigolo, Noircissent les dernières braises de la passion. Le beau soir arrive, habillé comme un dandy, Lance son salut parfumé au miroir flatté, Et repart dans les rumeurs appâtées de la ville. Tes jours éclopés, disgracieux jettent dehors Le souvenir des lointaines heures attifées ; La nostalgie ensanglantée plante son coutelas Dans ta chair déliquescente qui vacille et doute. Dans le tumulte des ténèbres qui te lacèrent, Comme une horde goinfre de griefs fauves, La clepsydre déverse ton dernier sable sceptique. Et le cristal miraculeux et vivant explose soudain, 83 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
Dans cette chambre qui bâille comme une tombe, Où des fantômes pervers préparent un requiem.
Oasis Dans ce désert de solitude que tu ne cesses de parcourir, quelle chance de perdre la voie froide qui ment ! Quelle joie de tomber sur les prémices d’une oasis amie, dans ce calvaire stérile qui s’allonge indéfiniment! Au bout de la course douloureuse où le désespoir t’érode comme un profil de rocher perdu, qu’il est doux de plonger tes yeux altérés dans le ruisseau frais d’un regard qui te reconnaît, qui t’embrasse, où, parmi les doutes fatigués qui s’assoupissent, tes os désenchaînés se détendent, où la surface fluide de ton âme désenclavée, reflète le ciel impavide, comme une source ; dans le van déplié de ta chair rédimée, qu’il est doux de se reposer, d’abandonner quelques instants au rêve éthéré, avant de reprendre la traversée !
Chance Dans ce chaos de pierres sourdes qui grimacent, Déroute tourbillonnante d’un univers immémorial, Quelle chance de s’éveiller motte de terre bleue, A même l’immensité ténébreuse et glacée ! Parmi ces myriades explosées d’étoiles embrasées, Quelle chance de voir la matière d’habitude indocile, Parmi ces amas errants de rochers et de poussières, Offrir un nid pantelant, à la vie imprévue qui s’essaie, Comme les flancs fécondés d’une mère attentive ! Quelle chance de voir, côte à côte, comme des amants, Le sens hâtif embrasser la lumière tentaculaire Qui ose pénétrer jusqu’à l’antre élu qui s’ouvre Et l’accueille, qui ose éclairer, comme une lampe, Le vaste chaos des pierres sourdes qui grimacent !
Capharnaüm Dans les entrailles encombrées de cette nouvelle Sodome, 84 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
Des socs tenaces de bolides lubriques et insanes, Labourent à longueur de jour, comme un supplice, Les mornes sillons du macadam triste et stérile, Où des graines humaines, dénaturées éclatent et germent. Dans ce nid de fer jaloux et clos qui les enferme, Il naissent et croissent, comme des plantes vireuses, Parmi des tentacules infinis d’avenues qui s’emmêlent. Au fond des sarcophages pollueurs et bruyants, Des désespoirs de momies emmaillotées pourchassent Les plantes humbles et piétonnes qu’elles abhorrent. Dans ce capharnaüm qui idolâtre la douleur et la mort, Un beau losange vert s’étale, entre deux trottoirs sages, Sous des figuiers encroués qui regrettent le vallon vert, Qui se souviennent de la corniche enchantée et de la mer proche Dont la brise humectait ces lèvres innombrables et végétales. Dans cette géhenne qui blasphème la vie simple et frêle, Un beau et fol parterre négligé se dore au soleil, Où gambade une ribambelle de cressons infimes Que le vent chatouille, comme une paume qui s’égare !
Effroi Dans la lumière tamisée du crépuscule qui esquisse, comme un cabotin farceur, des gestes lents et grandiloquents, tes yeux secs mais émus ouvrent, dans la fenêtre large et indifférente, un ravin profond plein de souvenirs accrochés et de galets casse-cou, où grondent les flots démontés du temps qui s’en fout, qui enrage comme un taureau, qui s’élance et joue à heurter ces parois vivantes et blessées qui souffrent, ces paupières ridées qui se froissent, ces goulots de frayeurs qui se figent comme des souches. Dans la lumière voilée du soir apeuré qui se cache dans les vastes basques du ciel obombré, tes larges yeux lucides et sceptiques regardent cette engeance de temps cruel qui bat et rebat les petites nappes qui frissonnent, humbles, dans le cœur qui vieillit, que squatte, comme une loutre, un triste et infect ennui qui casse tout, qui crache sur tout.
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Rescapée Quand dans la savane des routes meurtries, Où rôdent des tourbillons de ténèbres voraces Qui valsent, affamées, comme des vautours, Des hyènes ont saisi, tué puis dépecé ton corps, L’âme abattue qui se morfond, affaiblie, Que les charognards repus dédaignent, Renaît dans la terre bâillonnée qui s’insurge, Où rampe, aveugle, un peuple de racines,
Où des arbres amusés sèment des sansonnets, Dans les fous rires du vent qui s’esclaffe, Parmi les mouettes bruyantes et mal élevées Qui nichent dans les pins secs et silencieux.
Endeuillé De la fenêtre largement ouverte où le vent s’engouffre, impétueux, derrière la toile beige qui s’inquiète comme une âme tourmentée, au dessus de la ville qui s’étend là à perte de vue où des immeubles insolents montent brusquement comme des pétards dans l’ample vague de brume qui déferle, tu regardes la vaste scène rétrécir sous l’ombre du ciel qui a disparu, l’horizon ramper comme une armée d’envahisseurs, la pluie s’abattre, régulière et forte, comme un lourd rideau de cataracte géante, le soir désenchanté, arborer le deuil prématuré de ce soleil moribond et destitué qui se morfond, loin de la ville calamiteuse et de l’océan amère et brouillée qui l’apostrophe et le plaint.
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Bonheur en brin Que lourd, que laid est le jour qui s’ennuie Dans les bras jaloux de la chambre disgraciée Où pourrissent mes graines semées et mes sens ! Lorsque je m’arrache et franchis ce seuil Pour me retrouver dehors comme un bagnard, Comme je respire ! Combien j’exulte ! Dans les entrailles remuées de la Ville fétide Où plastronne la bêtise, où l’ordure rutile, Je marche dans la brume qui me submerge ; Et sous le goudron noir et la pierre muette, La terre patiente qui rit, embusquée, me parle Du vent truculent et puéril qui l’assaille ; Elle me montre les beaux figuiers exotiques Qui bavardent sous l’œil vague des réverbères, Elle applaudit les palmiers massifs et rugueux Qui se promènent sur le trottoir comme des rastas ; Et, dans la vasque rutilante du soir ressuscité, Tombe, comme un bonheur, la cascade du ciel Qui lave mes graines étonnées et mes sens ; Et dans les méandres de la cité hypocrite Qui noircit, qui enlaidit, à jamais corrompue, Je suis l’unique brin d’herbe libéré qui tremble, Dans l’horizon écarquillé de la terre nue !
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Adieu Vois, sur ce lointain promontoire perdu dans la brume et la nuit, Où n’arrivent plus ni l’herbe des phrases ni le lichen des mots, Où rampent seuls et s’ennuient les gros phoques du silence, Vois, au bout des landes sèches et des grèves immergées, Ce roc crevé, ce roc ajouré de noir basalte vieux et haineux, Où d’antiques tombes bercent d’antiques jours momifiés, Vois, quand l’océan du temps qui déferle, aveugle et remué, Comme une rage ensanglantée d’affreux requins marteaux, Assaillant, écumant, encornant, enfourchant le promontoire, Vois, sur la crête blême et embrumée que l’embrun bat, Où se querellent, pillards, des goélands cauchemardesques, Vois, comme un arc-en-ciel de palimpseste poncé, Vois comme mon ombre blafarde et improbable Qui se dresse et s’étire sur le pic sinistre et brouillé, S’efface peu a peu comme l’encre timide d’une seiche !
Ecoute Comme une bribe de phrase abandonnée qui rôde Dans l’indifférence enjouée du soir écarlate Qui enjôle, énamouré, la brise nue et fessue, J’erre, solitaire, inaudible, impondérable, Parmi les regards mûrs qui se fécondent, Vers la belle rotonde timide qui me recueille ; Et le vent bestial qui me porte et me bouscule, Froisse les accents étonnés de mes lexèmes ; Comme un éclat de rire dépareillé qui vogue, Dans le beau carnaval du soir pourpre, 88 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
Où les sistres et les tambourins me giflent, J’avance affaibli, comme une foi qui vacille, Vers ce pavillon d’oreille attentive que j’aime !
Mars précoce Ce jeune mars naïf et vigoureux Se prend sans doute pour juin : Voilà qu’il conjure comme un fantôme Le froid invétéré qui le hante ! Voilà qu’il chasse cette bise indiscrète Qui squatte sa chair hallucinée, Comme il nettoie à coups de torchons Le vieux ciel maussade et encrassé ! Quels manteaux de lierre splendide Il jette sur les épaules des arbres ! Il coiffe de nids doux les palmiers Où des moineaux fiévreux chahutent ! Il redresse le lampadaire du soleil Qu’un orage sacrilège a renversé !
Pasteur Mes années jouent comme des enfants calmes Dans l’humble et vaste maison ravie Que la terre maternelle porte comme un nid
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Où le ciel en passant jette un peu d’azur, Où la lumière du soleil s’étale comme un pré. Mes vieilles années raidies se reposent A l’ombre des vieux chênes qui bougonnent, Dans la modeste et vaste maison émue Où la solitude ondule à perte de vue, Comme une belle kyrielle de griefs, Où mes livres sifflent comme des hirondelles, Où mes rêves volent comme des mouettes, Dessus cette transe de falaise amoureuse Que grisent les sonates incessantes de la mer. Dans l’humble maison attentive et frêle Où mes joies se recueillent, austères, Où, pimpantes, s’ébattent mes peines, Je suis un pauvre et obscur berger désuet Qui paît le beau cheptel de ses jours Dans ce pré de lumière hébétée qui s’étale ; Je suis un piètre poète triste et inutile Qui paît le beau cheptel de ses sonnets, Dans les immenses jachères de l’amour !
Voie Dans ce dédale froid de ville infâme Où des visages se ferment comme des porches, Devant mes foulées appâtées qui approchent, Il suffit que tes battants prodigues s’ouvrent Pour que regerme la vieille graine du jour, A même le flanc stérile du cœur meurtri Où dégringolent le soleil et le vent. Dans cette argile de ville durcie, Que creusent en vain mes pieds, Que fouillent sans fin mes courtilières,
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Il suffit que tes prunelles claires sourient Pour que ma joie pousse comme un bambou, Dans ce dédale aigri de ville viciée, Où mes pas cafouillent, naïfs et nus.
Augures Dans cette vaste arène de cirque improvisé Où s’empoignent des boulevards belliqueux, Où la mélancolie t’étreint comme une marâtre, O Piéton incompris, ô piéton endolori qui passes, Dans l’insigne armistice du soir sublime, Où le silence ressuscite comme un phénix, Où une récréation turbulente d’herbes primesautières Joue et rit, comme une grâce de réminiscence, Parmi les arbres graves qui bavardent debout, Le long du torrent de fer qui continue à rugir, Quel éclair de désir investira comme une marée La grève triste et solitaire de ta chair frustrée ? Sous les hauts palmiers hirsutes qui te fêtent, Où les pavés crissent sous le sable ironique, Quel spasme de sourire brusque rachètera Les prémices dédaignées de ton corps habité? Dans le néfaste palimpseste qui colonise ton in-folio Où des dédains funèbres enterrent tes hiéroglyphes, Quels augures volatils de vocables providentiels Viendront, comme des rapaces, délivrer tes tropes ?
Peur La ville divertie qui grouille et bruit, Où s’ébauchent des fugues impossibles, Où d’emblée ratent d’opiniâtres départs,
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Regarde le soir descendre, comme un rapace, Sur l’âme prostrée qui gémit et s’ennuie, Où les ténèbres perverses qui s’épanouissent, Crèvent l’unique prunelle du soleil vaincu Et souillent la verrière versicolore du ciel, Où la solitude abroge les arbres, les oiseaux, Le murmure des rues et le rire des avenues, Où l’angoisse qui grossit comme une goule, Traque la foule imbécile des paniques !
Fête Dans la ville métamorphosée que le soleil embellit, Les badauds étonnés des boulevards admirent L’esplanade enfin restaurée du parc resplendi, Sous la magnifique après-midi fraîchement abluée Qui étrenne sa robe d’éclair et de lumière, Où le soleil, comme un démiurge, ensorcelle Cet Eldorado imprévu de ville méconnue Où des heures exaltées gambadent et jouent, Dans la mare gonflée par l’averse provisoire, Sous le regard ravi des voitures enthousiastes Qui surfent sur cette houle convulsionnée !
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Table des matières
Liseron----------------------------------------------------------------Spleen-----------------------------------------------------------------Ciel patient-----------------------------------------------------------Après-midi-----------------------------------------------------------Manne du soir-------------------------------------------------------Anecdotiques--------------------------------------------------------Jungle-----------------------------------------------------------------Abandon--------------------------------------------------------------Ode à la mer----------------------------------------------------------Leçon particulière---------------------------------------------------De mer----------------------------------------------------------------Fatum-----------------------------------------------------------------Remugle de vieille chaumière-------------------------------------Effusion---------------------------------------------------------------Dialogue avec l’écume---------------------------------------------Un four---------------------------------------------------------------Dépoétisation--------------------------------------------------------Impératif--------------------------------------------------------------Influence--------------------------------------------------------------93 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
Rédemption-----------------------------------------------------------Réminiscences--------------------------------------------------------Humiliation------------------------------------------------------------Pièce de boulevard----------------------------------------------------Tropes------------------------------------------------------------------Rien---------------------------------------------------------------------Féerie-------------------------------------------------------------------Pays natal---------------------------------------------------------------Déroute------------------------------------------------------------------Charme------------------------------------------------------------------Buisson ardent----------------------------------------------------------Marâtre------------------------------------------------------------------Monologue--------------------------------------------------------------Poussières----------------------------------------------------------------Avortements-------------------------------------------------------------Schisme------------------------------------------------------------------Rengaine-----------------------------------------------------------------Retour--------------------------------------------------------------------Souvenir réfrigéré------------------------------------------------------Rets-----------------------------------------------------------------------Sauvage----------------------------------------------------------------Fatalité-----------------------------------------------------------------Mépris------------------------------------------------------------------Tombeau pour Antonine---------------------------------------------L’adolescent sous l’adulte-------------------------------------------Présent------------------------------------------------------------------Misère-------------------------------------------------------------------Catastrophe-------------------------------------------------------------Complainte-------------------------------------------------------------L’ennemi----------------------------------------------------------------L’âme--------------------------------------------------------------------Ironie des éléments-----------------------------------------------------Malentendu--------------------------------------------------------------Lumières de la ville----------------------------------------------------Auréole------------------------------------------------------------------Pose----------------------------------------------------------------------Dehors-------------------------------------------------------------------Cécité--------------------------------------------------------------------Le monde est devenu fou ! -----------------------------------------Gratitude------------------------------------------------------------------
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La sentence--------------------------------------------------------------Vampire-------------------------------------------------------------------Malentendu----------------------------------------------------------------Lumières de la ville------------------------------------------------------La haute fontaine--------------------------------------------------------Dehors---------------------------------------------------------------------Cécité------------------------------------------------------------------------Sidéral-----------------------------------------------------------------------Moisson----------------------------------------------------------------------Impératif----------------------------------------------------------------------Danger-------------------------------------------------------------------------Charme------------------------------------------------------------------------Guignol------------------------------------------------------------------------La kasbah---------------------------------------------------------------------La chute------------------------------------------------------------------------Déliquescence-----------------------------------------------------------------Fable---------------------------------------------------------------------------Le chant des sirènes-----------------------------------------------------------Parangon-----------------------------------------------------------------------Deuils--------------------------------------------------------------------------Dés-----------------------------------------------------------------------------Métamorphose----------------------------------------------------------------Cycle---------------------------------------------------------------------------Saltimbanque------------------------------------------------------------------Pédagogie----------------------------------------------------------------------Victime--------------------------------------------------------------------------Délices de la mort-------------------------------------------------------------Vert et noir---------------------------------------------------------------------Sécheresse----------------------------------------------------------------------Dernier rite---------------------------------------------------------------------Evasion-------------------------------------------------------------------------Grotte des Calanques---------------------------------------------------------Cosmos-------------------------------------------------------------------------Poison--------------------------------------------------------------------------Solitude-----------------------------------------------------------------------Remède------------------------------------------------------------------------Eclair---------------------------------------------------------------------------Libellule-----------------------------------------------------------------------Sépulcre------------------------------------------------------------------------Fard------------------------------------------------------------------------------
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Temple-------------------------------------------------------------------------Jardinet-------------------------------------------------------------------------Comme un vol de grues------------------------------------------------------Ubiquité------------------------------------------------------------------------Palabres------------------------------------------------------------------------Cendres-------------------------------------------------------------------------Oasis----------------------------------------------------------------------------Chance--------------------------------------------------------------------------Capharnaüm-------------------------------------------------------------------Effroi----------------------------------------------------------------------------Rescapée------------------------------------------------------------------------Bonheur en brin---------------------------------------------------------------Adieu----------------------------------------------------------------------------Ecoute---------------------------------------------------------------------------Mars précoce-------------------------------------------------------------------Pasteur---------------------------------------------------------------------------Voie------------------------------------------------------------------------------Augures--------------------------------------------------------------------------Peur-------------------------------------------------------------------------------Fête---------------------------------------------------------------------------------
Table des matières-----------------------------------------------------------
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