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AHMED BERROUHO
VILLE ABJECTE, ENCHANTEE Createdmhtml:file://E:\personnel\Recueils\Ville%20abjecte,%20enchantée\AHMED%20BER... with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)
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Léger Si ton rire vieillit, si ta joie aigrit, si le cœur crépu t’injurie ; Si la solitude est une geôle qui t’étrangle et t’étouffe ; Si les galets du silence roulent seuls dans ta bouche ; Si les corbeaux qui t’assiègent, s’envolent, Tombent et râlent, dans le bûcher du soleil ensanglanté, Alors, debout, telle une bête blessée, marche toutes les rues froides ! Que tes pas éloquents lacèrent les ténèbres ; Que tes semelles ensanglantées châtient le remords et ses pavés ; Que ton bûcher consume l’oubli, ses buissons et ses épines Et chorégraphie telle une transe, l’âme ineffable du poème ! Secoue la hotte des plaintes, jette bas le cabas des doutes, Brise joug et chaînes, romps les nœuds de la haine ; Flatte, dans le boulevard médusé, sous les fourches glabres Des arbres, l’ineffable soir bleu qui s’épanouit, Dans le brouillard et l’embrun où les réverbères peignent Leur crinière, où la brise s’ébroue comme un caprice !
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Hécatombe Tes yeux vastes et tristes que la lumière Déserte, épandent, fatigués, un pan De soir bleu qui rétrécit, qui noircit, Comme un ravin désabusé, que le torrent a trahi ! Et le ciel crépusculaire et serein où la brise Turbulente et badine, agace le figuier Qui bronche, caresse le palmier qui palpite, Dédaigne cette ville embrumée où des boulevards Gargantuesques engloutissent des bancs de voitures Qui rutilent comme des cercueils ; tandis que Des piétons pâles fuient les immeubles fauves Qui rôdent sur le trottoir étroit ; et tu n’es plus que prose Désenchantée qui chemine, prostrée, dans ce parchemin dément Où des trottoirs borgnes dérivent, où dansent d’insanes poussières ; Et ton frêle souffle expire dans ce calvaire mal équarri ; Et ton abrupt regard doute, parmi de vulgaires refrains Qui bégaient comme des ornières ; et ta chair meurtrie Où palpitent les pores, où râlent les artères, clame En vain sa ballade, dans la ville ivre qui vrombit ! Eden Jadis, les rues sordides aux portes basses, Aux murs lézardés, criblés de salpêtre, Etaient des oasis où le vent riait, Où le ciel resplendissait, où les cris des copains Tressaient belles transes de prunelles noires Et de cheveux crépus. Aujourd’hui, Quand tu romps le croûton de ta solitude, Dans la cité prostituée que le bel hiver vomit,
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Les rues qui bafouillent sont un désert De regards brûlés, de démarches usées Qui s’affaissent, où épient des vipères, Où des scorpions menacent ! La détresse te scalpe et la houle emporte, Ridicule Samson, ta peau de vipère tatouée Qu’accrochent, grises, des plaies de palmiers ; Et tes loques et ta faim amadouent en vain L’enseigne borgne des falaises troglodytes Qui bossuent le trottoir, à l’orée de la chaussée Qui ronfle comme un val, où glissent et vrombissent Des noces d’or et de chair, loin du friable Priape Qu’affolent le délire et l’ordure ; Et des songes crapuleux fouillent Ces noeuds gluants de pieuvres Qui s’incrustent dans les torses des ficus Qui hument l’épouvantable brise polluée ! Eclipse Tu as fui, comme un piège, Ce ciel sournois, triste météore ! Tu es tombé dans le cratère vil De l’obscure solitude, maudit météore ! L’étau d’hostile falaise te brise et la paroi De répugnant granit t’écrase, ange et transfuge ! Et tu appelles, salutaire espoir, la flamme D’un astre hilare, à l’orée de la mort. Aveugle, rabougri est ce ciel Qui titube et tombe dans la fange. Un soleil pâle s’étend las, sur la grève.
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Un vol d’épervier bas pulvérise Tes prunelles. Rogue est la glaise Qui endeuille tes chants. Dans ce carrefour qui braille, Tu te tais, ô triste figuier dépouillé ; Et dans tes côtes le cœur bat et pleure Les figues mortes et les feuilles envolées, O triste figuier qui grelottes Sur ce muret où le soir s’assied, O figuier qui grelottes dans le vent brutal Qui d’injures te bombarde. Absence Ce corps vieilli, avachi est aveugle ténèbre Qui tâtonne et pleure l’ineffable iris d’Orient Qui chatoie à l’horizon ! Ce corps vieilli, voûté Est un figuier martyr au tronc triste, Aux feuilles altérées qui t’appelle, ô folle rosée ! Ce corps vieilli, dévoyé est un champ mal labouré Où le sillon tortueux attend en vain la graine naïve ! Et tes pas fourbus, anesthésiés battent Les méandres sourds du trottoir hâbleur Qui bafouille et louvoie comme une satire ivre ; Et tes pas malchanceux et las en vain, Pourchassent le beau rire lointain De Sodome qui rutile, l’opulent cristal Qui fascine, l’ivoire voluptueux qui resplendit ; Et d’horribles énergumènes tissent alentour D’épais silences et plantent, comme des mâts, D’affreux gibets qui te dénigrent, ô puéril Ahasvérus !
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Primevères Dans ce visage désabusé, le verset du sourire s’efface ; La joie tombe, ratatinée, comme une figue blette ; Le rictus infect burine le pré jeune des joues. Mais le fil du ciel enthousiaste fauche l’âpre ronce Des ténèbres ; mais le dôme d’azur dru trempe Sa corolle dans tes prunelles ; mais la brise, L’extase et ses bluets folâtrent sur tes lèvres amères ; Mais le soir splendide et chaste baigne ses courtisanes Dans tes yeux hallucinés, comme un ciel époustouflé ! Mais la longue fougue des ficus abolit les boulevards, Mais mille moineaux imprévus assiègent tes oreilles, Comme une émeute ! Mais le soleil vespéral S’assoupit dans sa couche glauque ; Bâille et bafouille le ciel rembruni ; La lune effarouchée se blottit Dans l’obscure luzerne des étoiles ; Les routes ne se cabrent plus, dans la ville Qui veille et vagit ; les arbres dansent ronde émerveillée, Sous le regard qui rutile, le sourire qui ensorcelle ! Ombres De noirs bolides trament des toiles de lucre infect, Dans la ville étranglée ; un sirocco brusque éperonne La croupe flapie des avenues, le râble repu des boulevards ; Des tourterelles hallucinées miment inconsolées Les fourches des ficus disparus ; des moineaux grelottent Dans les loques maculées du soir moribond ! Tel un dauphin orphelin, je dérive et j’échoue, Sur cette grève de ville où le râle me garrotte, Où le cauchemar me flétrit ; et ma chair diffuse, disparue,
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Et mes lèvres scellées, effacées, et mes injures mordues, ravalées N’interpellent ni ne secouent les regards qui glissent, Les rires qui fuient, hystériques. Et j’avance avec peine, Et je patauge et sue, au fond de ce ravin de rue, où la nuit Cruelle et sourde, m’assiège et m’écrase ; Mais l’aube imprévue démolit, comme un obus L’ironique cloaque de ce monde rétréci où moisissent mes hivers ; Mais l’aurore crève, comme une braise, la cagoule de nuit Qui ravaude mes lèvres et souffle mes prunelles ! Mais le filet d’ombre mince qui rase les murs, Me réconcilie avec le ciel, le haut ciel faste et gai, Habillé de bleu, comme pour une fête ! Silence Toi qui attends, brûlé, étiolé, comme un chaume égaré, Dans ce vil dédale de fuites, tu rappelles encore, Retourné, déraciné, la terre lointaine qui a trahi, Et, dans le flot infâme où l’humide motte meurt Et les mots emblavés, tu sombres comme un adieu ! Et tu creuses, aveugle, opiniâtre, le sillon âpre Qui t’ensanglante ; et tu pourchasses, Comme Narcisse, le bel églantier qui te déchire ; Et tu tombes dans l’ornière où te brouille L’araignée forcenée ; et tes yeux globuleux Quittent, bouffis, tes orbites effacées ! Et tu glisses, faucon furtif, jusque dans ce lit Endeuillé ; et, comme une douce écharpe, Tu effleures, ô matin volatil, ce front Qui brûle et grelotte ; et l’abjecte sueur S’évanouit et la glace infâme, ô prodige !
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Et, dans ce cœur battu, piétiné comme une figue Orpheline s’éveille enfin la joie Qui biffe la douleur et te comble d’oubli ! Chute Suçant d’affreuses mamelles, ils s’affairent et suent, Vêtus de piètre brouillard ou de soleil écru ; Ils s’empiffrent et s’enivrent et rient Sans entendre jamais le deuil implacable Qui bat la terre affligée, ravagée. Tu es regard imprévu de crue et de nuit, Levé sur ce cadavre triste, ressuscité; Au cœur de la forêt éveillée, par-delà les houx Et les bambous, tu es aurore empourprée Dans la clairière des mots qui s'embrasent, Comme des touffes, dans le pré des yeux Qui brûlent, au seuil du cœur inébranlé Où rampent des arbres liquéfiés, Où, dans le gouffre et les ténèbres, tombent Des faucons heurtés, catapultés. Frêle, le souffle faiblit, et le dernier bonheur Expire, et, sous le tuf gris de l’oubli, frémit, A peine, un fétu de vie qu’étrangle, Comme une dalle, l’ennui, que tourmente, Comme un fouet, le rire rouge des cafards, La fugue sourde des rats qui l’agacent et dansent ! Quelle ombre infâme t’étouffe et te biffe, Clairière en émoi que vêt la lumière ? Quelle mer infâme te dérobe et te noie, Ecume jaculatoire de la vague seule ? O toi qui marches, forçat insomniaque Qu’alourdit, amer, le boulet des rues ; O toi qu’ensanglante, ignoble, la chaîne des rues ;
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L’ennui emporte, mât, ton cœur battu, piétiné ; Et tes mains sont auréolées de cals immaculés. Quolibet D’attentes délicates et bleues, l’horizon tendre barbouille, Comme un peintre puéril, ce tertre d’herbe éveillée Où gesticulent, où s’égosillent des fougues de corolles jaunes Qui narguent, qui taquinent ce cœur de corbeau affligé Où se noue, laid et clos, un deuil de grenouilles anachroniques ! Nul ciel n’offre ses marches bleues, dans ce cœur abasourdi Où toute une halle ahane, où la cohue s’échine et gronde ; Seule, la douleur basse hérisse, de clous et de cris, le vain carrelage ; Seule, la douleur assassine t’épie, te roue et t’étripe ! Ville Mille ronds-points bruissent, comme Des buissons, sous la clameur bleue, voûtée ; Mille pigeons jaillissent, comme Des flèches, des rues sales et reptiles ; Mille projets paniques roulent, comme Des corbillards, sur les boulevards en deuil ; Mille semelles s’ennuient à l’ombre des ficus ; Mille taudis, mille gueux modulent Leurs pénétrantes plaintes, sur des tréteaux incantés ! Tu taquines, brise turbulente, ce lé fripé de chagrin Qui avance, recule, gonfle, qui vacille, qui chancelle, Que blesse la dague bleue du ciel,
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Qu’assiège, qu’étouffe la tignasse barbelée du soleil ! Tu te crispes, âme blessée, tu te recroquevilles, Ame froissée, dans ce puits sourd qui rétrécit, Dans ce sombre silence ligoté ; Et dessus le mur gris où des sapins s’ennuient, Le vent dévoile la gorge du ciel Où, sensuel éclos, un poème sourit ! Et ton indigne lichen que le soleil brûle, souille Les murs et les rues que ta poussière chatouille, Où ton râle fantomal épouvante les grues. Plage Dans ce manoir de falaises meubles, De nuit acariâtre, claquemurée, Où des amorces de sternes meurent, Tu brilles, proche infiniment ; Dans les méandres figées du Styx écoeuré, Où d’incunables douleurs punissent Le sable fade de l’âme grise et vide, Où succombent oppressés des mots prématurés, Tu brilles, proche infiniment ; Et ton ciel d’aube et d’été bleuit et bégaie, Dans ce lé de plage côtelée qui rit, tôt poncée ; Et la mer mugit, épileptique, sur l’ardoise d’or, Son cheptel d’écume et d’écueils qu’esquivent, Comme des pluviers furtifs, les mots timorés. Voile
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Voile, ô soir incarnat, le dôme bleu du vaste été, Le ciel vide, désaffecté qui a perdu ses condors, Où des lances éblouies harcèlent Les platanes muets et les robustes ficus, Où la sueur, comme une averse de feu, Sculpte des loques de corps vaincus, Et lâche sur la ville écoeurée, Une danse échevelée d’hirondelles filantes. Quand refrissonnera la braise du cœur Que le plâtre emprisonne, qu’épouvante le fer ? Quel soubresaut rebranlera les ruines De cette gorge encombrée de rocs Et de regrets que le souffle fuit ? Dessus les fureurs du trottoir qui te guettent Comme des bouledogues, quel mirage suave, Oublié, hantera, comme un suaire de revenant, Les rêves froissés de tes feuilles et l’archipel abscons De tes bogues, ô platane pâle et solitaire Que le soleil despote enchaîne et châtie ! Quel jardinier pervers a semé ces graines De murs crûs ? Quelle infernale araignée a tissé Ce dédale de fer et de béton ? Quel architecte Hérisse de clôtures et de nuits le lac de tes yeux A peine ouverts ? Quel démon abolit le ciel Et bonde d’ombre le sentier défunt ? Quel rire effilé de vent insolent écorchera, mule fourbue, La terre affalée, avilie, qui dépérit, fanée, muette, muselée, Sans rêves d’herbe ni brocards de bois ? Quelle soie nuptiale De brise émue soulagera ton crâne fracassé, O terre gisante, ébranlée, ô squelette déglingué, enseveli ? Quel amical écho calmera tes orbites Que les ténèbres évident et l’épouvante ? Quelle manne prodigue de parole mère Effleurera ton horrible bouche orpheline ?
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Colère Tu hais l’amandier nu, Dans le ciel vaste et placide Où dorment des cigales et des sourires ; Et tu appelles les nuages et les injures, Et les guenilles obscènes, insinuées Du vent hirsute, dépenaillé ; Et tu appelles, brève, la foudre Flambant les douleurs et les cyprès, Les feuilles déchirées et les quenouilles ; Et tu appelles les fresques et les averses S’abattant comme des quolibets Sur le jonc sage et la natte épouvantée Naufrage Amer soupir imperceptible, tu t’étires Et t’évanouis, comme une triste ride, Parmi l’énorme vacarme gonflé Qui gronde étranglé comme une vague Dans les ruelles écaillées qui trépignent, Où tanguent d’ivres reptiles, Où sanglotent de fausses pythonisses ! Sur la place stérile, carrelée, Où des boules de nuit déambulent, Où naissent comme des éclairs, Des guirlandes de lierre hirondelle, Dessus l’abîme qui croît, Où, parmi les huîtres solitaires, scellées, Dérive, prostrée, une étrave inamovible.
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Et tu es détresse grelottée, dans l’oubli Des banlieues ; et tu es étoile éteinte, Frissonnant froide, perdue dans l’abîme Des rues, cherchant, affalée, Un galop de crinières, un râle de galaxie ! Et tes grillons vite éblouis s’enfoncent Comme des taupes, dans l’intime et vaste fossé Où tremble, inconsolable, le feu, Et ton regard solitaire s’étrangle, hagard, Comme un écho égaré dans le brouillard entoilé, Et tes pas incertains craquent, frileux et craintifs, A peine ébruités, sur le dur macadam, Et le lierre de tes mots épuisés embrasse En vain les palmiers impassibles Et l’imprenable ciel des citadelles ! Eau-forte Dans l’océan qui braille, fracassé, tombe La face ensanglantée du soleil décapité, Tandis que, mal entendus, tes pas Rythment des ellipses de chants sinistres, Dans la rue abasourdie, dans le soir interloqué ; Tandis que tes haines creusent, forcenées, D’interminables tunnels solitaires, Dans la graisse des boulevards éberlués Qui titubent, ivres de suie, Que blessent des hélices d’angoisse ; Tandis que tes silences hautains, opiniâtres Tracent denses et aberrantes laisses, Dans la panse crasse des avenues Que des soirs saignent et des vampires,
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Où se ruent, comme des crocs, Des fourches de ténèbres et de souches ! Réveil Sous les pierres empourprées Que flatte le ciel triste où monte Comme une honte le masque du soleil, Ton sommeil vieux pourrit, colère de cadavre, Parmi les briques maquillées et la haine noire Où de très jeunes rêves grelottent et larmoient. Au bout de mon canyon qui croule, Arc-en-ciel, tes mains délicates, avide enfant, Cueillent, odorante argile, ce bouquet De collines que moussent et parsèment Des souvenirs de menthe et d’absinthe. Chair éperdue de terre harassée, Saignant, sanglotant, affaissée, Parmi la forêt des pierres et des ténèbres Qui musellent l’aube et sa clairière, Reviens t’étendre, panthère blessée, Sur la litière de paille et de rêve, A l’ombre du figuier hospitalier, Sous ce toit de tuiles austères ! Lâche Allègre ciel ouvert, tes collines rutilantes, Caracolées, rabrouent, gaies, exaltées,
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Le vent robuste, insolent ; Et tristes, écrasées, hérissées d’angoisses Et de galets, elles narguent l’impondérable forêt, Elles narguent le soleil tressailli, elles narguent Les joies nubiles, comme des torses d’adolescents. Dans la prunelle bleue que brûle le soleil, Resplendis, rire serein, comme une lame dégainée Et, intense, pourfends, vaste et jeune matin, Le taudis déçu, le masque morfondu ! Roule, honte démâtée, roule, plaie simulée, Comme une coque démontée, sur la mer fourbue ; Et, piètre marée, lance, au sable replié, Lance, aux crabes hâtifs, ta plainte écrasée. Bagne L’argile rouge a disparu et l’oubli comble le ravin Où grondait l’averse, ô vieil arbre desséché, Accablé d’abcès, hérissé de regrets, traînant Le boulet du soleil ! Et d’invisibles chaînes Vous arriment, comme des épaves, Aux rocs des bas-fonds ; et de lourdes dalles De détresse et de labyrinthe, vous oppressent, Résignées, mortuaires ; et l’arc triste des rictus, Et l’anneau des chagrins amers rouille, Comme des carcans, au quai de votre cou ! Pluie
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Quand du ciel imperturbable cassent les palais, Les granits et les verrières, tombe, attendri, le chant, Semant transparentes sonates, dans la terre craquelée, Miroir innombrable, essaimé, où des arbustes Goguenards lâchent des grimaces et des facéties. Et dans cette arène de ville pâlie qui a fripé ses arbres, Vous mâchez, vous rabâchez l’écorce du rire amer ; Vous érigez, fiers pharaons, parmi le sable somnambule, Sous le ciel vain, crevé, des mâts d’aveugles pyramides. Beauté Qu’importe la ville pansue, le chagrin qui casse, Le plaisir qui empeste, la farce qui fuse sous la herse ! Pourvu que le lit rechante, que, sous les draps, S’étirent des rêves de coteaux et de joies, Que des buissons bruissent, que des grappes luisent, Dans la paume égarée, dans la campagne enchantée ! Secret Des chaînes de ténèbres barbelées rétrécissent la clairière Où, angoisse incrustée, l’indélébile lichen de la nuit, Aveugle la prunelle triste du ciel. Mais l’aube comme un sabre Fend l’écorce de la nuit, puis l’aigle déployé châtie Les rats du ciel vague, dessus les grabats de la ville laide Et qui ronfle, ivre, inondée, où, funèbre, s’affaisse, Comme un sabbat d’énigmes, la lèpre affreuse des termites. Mais, comme une cascade, éclate l’ineffable vacarme
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Des jeunes corps vigoureux que le jour sculpte, Où monte, irrésistible grâce, le silence des marges. Canicule Comme une plaie miaulée de chat obscène, Rugit, aride, torride, le rut d’été infect, Parmi les trottoirs ahuris Où des gangs de ficus Mirent leur torse de rhinocéros, Dans le Styx d’asphalte, Sous l’inexorable ciel chevelu Qui lustre ses mèches et ses moineaux, Où, comme des comètes, rutilent De brèves tresses d’hirondelles ! Sec L’outre ultime du soleil ayant, folle soif, crevé, Tantale a bu, jusqu’à la lie, la fièvre ainsi ruisselée ; Et des averses enténébrées ont engorgé le cœur et ses ruelles, Ont giflé ses pousses rares, ont écorné ses graines. L’océan du soleil tyrannique ameute Des écumes de ressacs et des colères de requins ; Il bat et rebat les cris qui filent, Dans l’étroite gorge surprise, obstruée, Et les vacarmes qui ronflent, vrombis, et les rumeurs Qui gonflent, obèses, et les klaxons rauques qui se blessent.
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Il ameute ses houles et ses roulis Qui grouillent, comme des serpents tourmentés, Qui assiègent, insatiables squales cruels, Les écueils timides, les rocs timorés, Où tremblent, comme des phoques, Le peuple des mots exsangues ! Revanche Dans le ventre crevé du rempart mort, Derechef bée la brèche où s’engouffre Le vent de braises vêtu, de glaise grimé, Brûlant, jeune, le cœur, barbouillant, Rageur, le verbe ! J’aime que la nuit immense, comme un dôme Sinistre s’effondre et gonfle la gorge infecte Des égouts, dans la ville stupide, assoupie. J’aime que les arbres s’éveillent, tout verts, Tout éblouis, dans la crinière jeune du soleil, Qu’ils lancent leurs moineaux Sur les terrasses et les balcons. Mais la nuit remonte, indélébile, hante, Comme une cohorte de reptiles, Le foyer de ma bouche morte Et l’orbite inepte de mes mots. Quel freux tourbillon a brouillé ton regard bleu Qui a vrillé tant d’années, a la lisière du cœur flou ? Quelle houle, quel roulis a déboussolé les rues,
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A décroché les étoiles, dessus la ville pervertie Qui a bu ses vipères ? Proche Tu t’approches et t’accroches en vain à la longe Désabusée des mots distendus ; et l’ombre ensevelit Ton arbre moribond et des dunes de détresse étranglent tes collines Et des silences de souches, et des cactus proches narguent Tes veines, menacent tes mots ! Et tes désirs crucifiés Sèchent sur un fil, sur la terrasse velue, parmi la lessive Volatile qui brunit au soleil, comme une page émue, Dans un dédale d’immeubles ; Et le fil de la colère tranche, comme un couteau, Les rets de la mélancolie qui te ligotent, ô naïf enfant ! Et les crocs farouches et fauves saignent, comme un cheptel, Ces chagrins de chauves-souris qui t’obsèdent, ô pâle enfant ! Et l’implacable sabre du soleil éblouit l’ignoble bourbier Qui t’aveugle, ô frêle enfant ! Et les brusques braises enthousiastes brûlent, comme un incendie, Ce marasme d’algues pourries qui te souillent, ô enfant ingénu ! Nuit Ce feu qui dansait, resplendi, parmi les flammes, O cœur exalté, et les étincelles criblées, éclatées, N’est plus qu’un souvenir désormais,
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Dans cette fosse froide, muette, dans ce foyer Recroquevillé où les rostres sinistres de la nuit Filent des garrots de doute et des camisoles Où mes figuiers se morfondent déçus Dans ce chagrin d’hiver ; ils se taisent dépouillés Dans ce vaste caveau qui bâille, comme un abîme Dan ce cœur glacé, ranci ; ils agonisent noués Dans ce linceul de glaise durcie ; ils gisent Reptiles inutiles dans ce suaire d’inextricable racines ; Et j’oublie le ciel lointain, et j’oublie la terre ancillaire ; Et je ne souris ni ne bronche quand s’empourpre L’azur de mars, quand le vent bombe son torse d’éphèbe, Quand le soleil plonge ses phalanges d’or Dans les rutilantes tresses des mimosas ! Rets Le soir vaste et rassasié qui étale ses appâts, Dans les rigoles de la ville, te frustre, ô pâle Ahasvérus Qui hales, pêcheur enguenillé, le filet des routes stériles, Qui t’empêtres, pêcheur pitoyable, dans les rets de la mer funèbre, Quand le beau ciel triomphant lui offre son trophée ensanglanté ; Et tu marches et t’épuises, comme un dromadaire égaré, Dans l’erg triste du soir, dans le sable incertain des regards ! Epave Ta vaste mer loquace, exaltée Qui lustrait sa nacre et sa carène, Qui frétillait dans la mousse fourbe, Qui frissonnait dans l’algue fétide,
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Ta vaste mer insomniaque a fui Cette couche de ciel et de sable Où s’effacent les runes des pluviers, Et, comme une sirène offusquée, Elle a glissé dans l’abîme borgne ; Et la forêt qui psalmodiait Essaims rauques de strophes bègues Où galopaient les cavales du vent, Bardées de chênes rêches, Harnachées de liège sourd, Et la forêt prodigue et feuillue Où bourdonnaient des faînes, Où bondissaient des glands, S’est tue comme un pré surpris ; Il te reste une loque d’azur Qu’obscurcissent les ordures du soir ; Il te reste un liséré de route Que pollue la trombe des tôles ; Il te reste la chair avachie Où bâille, aveugle orbite, Une étoile démente et morte Qui clignote et larmoie, Que le sarcasme éteint comme une glace, Que la ténèbre fouille comme une lance ! Soir Sur les places désertes qui s’ennuient, Sur les terrasses indolentes qui somnolent, S’abat, comme une clameur de cataracte, L’ample averse du jour éberlué Qui hurle, qui gesticule, qui râle ; Puis la pluie s’arrête, épuisée, Et, chevelure incandescente,
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Elle s’enlise dans la dune et la nuit Qui s’étirent, qui s’étalent, Malgré la toile des farandoles, Malgré le fil des hirondelles Qui pourfendent, qui persiflent, Telle une transe d’obus, L’horrible pyramide des ténèbres ! Barbare Tu t’enfonces et disparais dans le carnaval immonde Qui te tatoue et te déguise, où les doigts du soir dément Déforment l’argile de ton sourire, où les mains du soir vandale Brouillent l’eau de ton visage, où des loques de nuit noire Etouffent l’enfant lointain où des haillons de nuit infecte, Aveuglent l’adolescent prodigue. Monte, infâme augure, l’épais brouillard empoisonné Du marais pestilentiel qui verrouille le ciel bleu, Qui calcine l’herbe verte ; où l’ogre repu somnole, Où menacent les crocodiles, il monte et encrasse ton corps, Il monte et souille tes yeux ; il bourre de vers ta bouche Et, sur tes moignons qui saignent, il greffe des têtes de vipères ; Et tu reposes sur ce granit qui craque et tremble et se dérobe ; Et le temps lâche d’insidieux rapaces sur ta carcasse lourde ; El l’implacable meute des années pourchasse ta chair fourbue ; Et les crocs te déchirent, comme des injures, Et, comme des rires, les serres te dépècent ; Et tu gis, charogne putréfiée, dans la tourbe aveugle, oubliée Que minent des lièvres pervers, Où la nuit sème des sorciers et des satyres ; Et une piètre patine encense tes plaies, Et une poussière ironique farde tes grimaces ! Et tu glisses dans le gouffre, et tu tombes dans le cauchemar ;
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Et mille angoisses te hachent, et mille horreurs te froissent ; Et tu te fracasses et t’écrases sur le roc lointain et cruel ; Et des gerbes de chair et de sang tracent un thrène funèbre Qui écorche comme une ronce cette gueule de gouffre enténébrée ! Rupestres La mer lointaine, indifférente qui s’étale, Qui s’étire, sur la plage, comme une hétaïre, Qui s’enfle et se pâme, sous les orgues du soleil, Te répudie, t’oublie ; et dans le naufrage vespéral De la cité décadente, le ciel cruel brûle ses cadavres Et la terre se tait, enfouie, amputée ; Tandis que tu marches comme un spectre Dans l’arroi des ombres et des rêves ; Tandis que tu rôdes comme un revenant, Dans ce linceul de sueur et de sang Que raille, en haillons, la poussière ; Tandis que tu dessines, à même les rues Et les avenues, De fastes arabesques de silence : Et, dans le vacarme lourd de la foule, Et, dans le creux brouhaha des voitures, Comme une danse d’hiéroglyphes, Tes pas chancelants, chavirés Ecrivent des odes de sentiers ressuscités Et d’antiques combes de glaise hilare, Qu’acclame l’herbe anachronique, Où ruissellent des feuilles d’eucalyptus, Sur des troncs lisses qui muent, Comme des fuites de couleuvres,
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Sous les filets échevelés des hirondelles Qui tournoient et se fourvoient, Dans ce freux naufrage vespéral, Comme vaticinent, défuntes, les sibylles ! Charme Qu’importe l’ennui des yeux déçus, Le chant gémi, bégayé, La lourde chaîne des jours, Le tourment des pulsions frustes, Le chatouillis des rires oubliés ; Qu’importe la ville, ses bosses et ses récifs, L’étrave du chagrin démâté qui dérive, La parabole des requins qui rôdent, L’abject pugilat des haines et des hontes ; Si, autour d’une bicoque décrépite, Un vieux mur tout lézardé Gourmande en riant comme un gandin La splendide après-midi qui ruisselle et passe, Dans sa robe bleue, sous sa coiffe de pourpre ; Si, par-dessus la haie furieuse, débraillée, Le jeune figuier ressuscité lâche Sa cohorte de paumes et d’effluves Sur le bel été corseté qui embaume. Abandonné Ta solitude est une prison démesurée Où les geôliers du jour obèse Miment des remparts de haine
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Où croupissent tes rires, Où tes cris se morfondent ; Un fracas de condors pervers S’abat sur ton corps reclus Que l’ennui enchaîne, Que le silence muselle ; Comme un incendie vorace, Le désespoir dévore ta carcasse Que le salpêtre souille, Que le lichen barbouille ; Et les corbeaux de la détresse Déchiquettent ta carcasse Et tracent dans le silence Des orbes de déserts noirs ; Et la glaise scélérate Ensevelit ton malheur morcelé ; Et le souvenir de ton cœur Sommeille dans la poussière ; Et le bois pourri de ta langue Regrettent ses mots abandonnés. Fantasmagorie L’heure lasse radote assoupie, sur le haut cadran édenté ; L’après-midi folle bavarde sans fin et gesticule seule, Au bord de la fontaine tarie qu’ont fuie les pigeons blasés ; Dessus l’ardoise des toits, la boule flapie du soleil rouge Flotte comme un ballon léger, au bout de la ficelle invisible Que tiennent des doigts d’enfant ; un démon badin tire des fils, Dans le dos somnambule des badauds, et trament Des blagues grotesques, sur le trottoir hanté, travesti Qui soupire et rêve comme un amoureux ;
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Tandis que bâillent d’antiques abîmes, dans les crevasses De la chaussée où les voitures s’enfoncent et s’évanouissent ; Tandis que les ficus ridicules tournent, émondés, Comme des derviches, dans le ciel du soir à peine assombri Qui tremble comme une transe de poète, où la magouille Des mots goguenards glisse sur le toboggan de la langue. Enigme Quand la nuit gronde et bat comme une bête, Quand elle monte comme une marée, Quand elle avance comme un séisme, Quand elle t’assiège comme un cauchemar, Quand ses ogres dévorent le ciel bleu, Que ses sangliers broutent l’herbe des lampadaires, Quand ses condors tarissent l’air et son rire, Quand sa boue prolifère comme un empire ; Tu frôles comme une ombre ce flanc de falaise Qu’érige, infatuée, la ville imbécile ; Et tu arpentes comme un caveau, ce dédale De visages qui ricanent comme des sphinx ; Et tu t’engouffres dans le labyrinthe Des regards qui épient comme des trappes ; Et tu appelles les tropes des palmiers ; Et tu appelles l’hyperbole des arbres ; Et tu invoques l’hypallage des colombes Et l’inlassable ellipse des hirondelles ! Péril Tu oublies de te lever, quand la tristesse t'étreint, Quand le désenchantement t'aplatit; Tu oublies de vivre quand l'ennui souille tes yeux, Quand le désespoir épuise tes sources.
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Et si tu oses sortir, la ville est un calvaire Que ton ombre fuit; et, dans tes pieds englués Qui traînent alourdis, désormais marche d'autres pieds; Et tes pas qui vacillent ensorcelés, qui bafouillent envoûtés, Comme des lèvres hallucinées, dérivent et tournent, Et tracent comme un cauchemar d'orbes et de vices; Et l'affre d'un souffle fauve horripile ta nuque fébrile; Et, dans ton dos transi, court comme l'écho d'une faux ! Redresse, colère de bambou, ce corps noirci, ratatiné Qui sèche comme une souche; blesse les ténèbres Qui obsèdent le coeur fané, endolori, le coeur endeuillé Qui s'effiloche comme une loque blette; Lance tes loups enhardis sur l'ignoble mélancolie; Restaure les ruines tristes où le rêve pusillanime Bégaie comme une tombe; pourfends ce fracas de ville Et relève le piéton avachi que le vent malmène; Sois un ciel libre et rebelle pour sa poitrine opprimée; Et, dans le soir surpris, creuse un ravin brusque Où le soleil, même condamné, roulerait comme une rivière ! Décadence Dans ces yeux d’enfant, la graine qui attendait, A germé, grandi et fleuri ; des fruits ont illuminé Les fourches de l’arbre vigoureux qui parle et chante.
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Mais le terreau s’épuise ; les yeux fatigués ne portent plus L’arbre du monde qui penche et chavire. Sous les pieds épouvantés, la terre agonise, Dans son linceul de dalles. Le ciel volage Est si détaché, si lointain que les hirondelles Meurent comme des feuilles sevrées. L’océan honteux, dans sa souille de bitume, Bafouille comme un gueux. Et tu traînes, Comme une vielle bourrique fourbue, Le cadavre du chagrin, et tu rechignes Et tournes dans la geôle et le manège ; Et tu trébuches parfois sur une dalle imprévue, Comme un geste oublié, disparu qui émerge Et ressuscite ; et, dans le grès lourd et dans l’ennui, Tressaille comme un sable enfant, Et, dans tes yeux qu’enténèbre le dégoût, S’allume le prisme d’une torche naïve ; Et l’irrésistible éclat du rire jeune Efface les rides du sourire blessé ! Clos Tandis que d’aveugles voitures retracent, impassibles, Inaccessibles, le supplice des routes oublieuses qui se rebiffent Comme des chenilles ; tandis que l’acier sourd et fracassé Aplatit les pythons rebelles des boulevards qui tanguent Et se recroquevillent, sinistres rires d’apocalypse ; Tu déambules, noué, opprimé, comme une bête entravée ; Et l’ornière de ton pas obsolète écrit un oracle clos ! Tandis que le soleil signe la trêve sur la cime des frênes Fatigués et des ficus féroces et costauds; Tandis que les yeux ineptes courent et jappent Comme des chiots devant les passants qui les ignorent !
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Tandis que la langue timorée gigote dans son palais, Ligotée, que l’écho déserte, qu’escorte Comme une honte, une auréole sombre et glacée ! Enfer Le bel Orphée est mort dans cette ville Où, parmi les cadavres d'oiseaux grillés, Traînent de vieilles promesses harassées; Le bel Orphée est mort dans cette géhenne Que vêt, tel un deuil, l'éternel été Qui veloute la morgue des boulevards; Le bel Orphée est mort encore plus qu'Eurydice, Dans la berlue des passants qui glissent, Comme des prières de pantins désarticulés; Le bel Orphée est mort dans le délire des ficus Qui sèchent comme des chagrins chauves, Parmi les silences affaissés des trottoirs ! Le bel Orphée est mort dans le parc crevassé Où des bribes d'herbes folle et fatiguée Tressaillent sous le pas des balayeurs forcenés Qui viennent y sniffer des cauchemars! Dans quel haut torse hirsute de fougueux, D'infâme éphèbe, ressuscitera ta verve haineuse, Ô frêle et fabuleux Orphée ? Quel crotale de foudre ensorcelée décocheras-tu, Tel un fléau, sur cette dérive de foule débandée, Où le rêve aigrit, où s'effiloche l’espoir ? Quel épais cactus de vice sinistre planteras-tu, Comme un fatal écueil, dans cette rouille D'arène pervertie, où de laids chardons bizarres S'effeuillent, comme des chrysanthèmes,
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Ô bel Orphée fruste et déçu ? Gai désert Tes pas candides sifflent l'ode naïve qui frétille Comme un caniche, dans ces boulevards goinfres Qui s'empiffrent de ferraille infecte, dans la souille Où pataugent les lampadaires; ils s'éraillent, biffés, Inentendus, dans les boulevards rogues et ramollis Que le cambouis tatoue, que farde la suie; Ils dédaignent, inaudibles, les trottoirs que mord L'ultime vipère des ronces, qui tanguent Et se gondolent ivres, sous le soleil bègue, Sous le vent insolent; ils bafouillent, concis, Ils bafouillent incompris le long des murailles borgnes Où saignent comme des mensonges mille chardons d'enseignes; Ils ignorent, indicibles, les beaux quartiers maudits Qui narguent le ciel et oublient la mer. Quel lé immaculé d’inhumaine mélancolie s’étire A l’extrême sud de la solitude, quel fagot De nostalgie écartelée s’égaille sur le roc de la falaise ? Quelle averse de buses impromptues croule Sur ton corps festonné, quelles serres de joies irascibles Le saisissent, le lacèrent, le dépècent ? Quel ciel indomptable et bleu tressaille comme une fête D’armes et de dômes dans ces yeux où montent les larmes ? Quel ciel insondable et bleu s’ébroue, comme une ruée D’orques tueurs, dans l’indicible velours de cette mer? Quelle avalanche d’âcres sanglots t’emporte et te tance Et te secoue, et d’implacable extase t’embrase ? Quelle gerbe d’herbes meurtrières te couvre De rires aigus et de cris brefs, quelle insurrection D’aveugles silences, ensorcelle la chair conquise
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Qui palpite et renaît, comme un pré énamouré ? Quelles affres modulées d’arpèges t’éclairent et te sculptent, Comme mue un serpent, comme se cabre un râle de sabre ? Dyslexie Ces bribes de pas déboussolés que trace ta syntaxe démente, Titubent, tremblent et rompent, dans ce boyau de ville ignoble Qui gargouille comme une goule repue, où des bises frustes Et patibulaires, giflent les hauts rires des lampadaires. Ce fouillis subtil d’ellipses pourries que ta semelle désarçonnée Bredouille, barbotent, comme une portée de chiots, Dans ce cloaque de ville putride où des cordées de camions Hoquettent, où des kyrielles de remorques s’ennuient. Ces strophes blessées, ces tropes poussifs, que tes pieds Infatués dilapident, pourrissent dans cette marée d’asphalte Qui gonfle comme un tambour d’abcès, qui s’étire et monte Jusqu’aux toits, qui polluent jusqu’aux rêves des mansardes. Comme un crash d’injure et de météore, rase cette collusion De dalles et d’ordures et comme une fière prunelle, fascine Les remords des rues, et les périls des routes ; Efface les laideurs flapies, les lourdeurs bouffies ; redresse, Foi de foudre filante, le pas branlant et la syntaxe éclopée Des strophes éplorées qui fuient, des tropes effarés qui plient. Nostalgie La cité vaste, s’affale, ivre, incongrue, Sous les chaînes du soir qui l’enserrent ; Elle grimace et rote, barricadée ; Elle t’étrangle et t’étouffe telle une camisole,
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Au creux de ce grabat où tu moisis seul, Où te pourchasse toute une meute de cauchemars ; Et tes semelles somnambules sortent et battent Des guirlandes de rues qui trépignent, Où tournoient des cris et des rires d’enfants ; Elles arpentent, folles, les chaussées bondées Où s’esquivent, ahuries, des files de bolides ; Elles interpellent, démentes, écumantes, Des arcs de passants pressés qui s’écartent ; Tandis qu’au loin, dans les années cinquante, Joue naïf un enfant dans l’herbe rêche, Parmi les moineaux qui jacassent et sautillent, Parmi les abeilles qui bourdonnent et butinent, Au bord d’un ravin silencieux qui s’ennuie, Au flanc d’une colline haute qui veille Sur les tignasses hirsutes des oliviers nains Où le sirocco brusque s’ébroue et rit et se lamente, Dans la poussière ocre des chemins frustes, Comme galope et rue une horde de mulets, A même ta poitrine où brûle, incandescente, la nostalgie ! Charnier La cité enragée fléchit, immense, obèse; Elle s'effondre comme une goule ivre; Elle lâche ses rêves cariés et ses ordures, Dans les rues rétrécies, dans les places affaissées; Elle braille, salie; elle râle, rassasiée; Elle suppure, estropiée, comme une fosse obscène; Comme une foire forcenée, elle gronde et rugit; Elle bat, comme une marée, le ciel et le crépuscule;
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Tandis que ton regard, comme un moineau, s'épuise Dans les longs filets du soir insidieux qui bâille; Tandis que dans l'infâme bure de la nuit qui lève, Ton coeur avarié saigne tel un retable; Tandis qu'agonise, dans les gifles du vertige, Ton souffle ténu que la terreur assiège; Tandis que s'étire une rumeur d'apocalypse, Dans la panse des ténèbres qui gonflent, Où ricanent des chiennes, où des angoisses aboient; Tandis que cassent les derniers rires ; Tandis que chavirent les ultimes chuchotis ; Dessus la toison des ficus où grouillent des névroses, Où, comme des passereaux, paissent d'épais silences ; Parmi l'affreux vent dément qui les secoue, Où se corrompent toutes les charognes faisandées de la nuit! Limbes Ta chair fracassée que l’angoisse hache, Que la détresse calcine, vacille, Telle une fuite d’ellipses et de vertiges, Dans la prunelle sombre du soir qui dérive, Où tu grelottes, comme une fureur froide, Où tu flottes, comme une sueur puérile ; Et, sous la peau criblée qui abdique, Sous le masque brûlé qui ricane, Tremble une vieille saumure qui dort, A même le trottoir flasque, Où aboie la meute des revenants,
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Où danse la ribambelle des spectres ; Et ton sanglot étranglé expire, Sur les dalles gourdes et pâles, Comme s’éraille décapité l’appel, Dans la claque du soir qui ricane, Où ta rancune s’égosille, vaincue, Qu’étouffent des clameurs muettes Et d’infectes racines postiches ; Et tu heurtes des passants disparus Et tu gifles des grimaces de clowns révolus, Et tu sécrètes des lichens de mystère, Où tes talons insanes bâtissent, Dans la folie infâme et fétide, Comme une ronde d’arachnides, De faux couloirs de labyrinthe, De bas arcanes d’apocalypse, Comme, au fond d’un gouffre, Sombre le manège des chaussées vrombies, Croule le galop des piétons qui périssent. Atlantide La ville gonfle, pâle, hydropique, Sous le vent sale qui la fouette ; Elle pète, elle pleure, elle rit, Comme une vieille plaie gangrenée ; Elle ricane et flambe, fourbe, édentée ; Elle se déhanche, énorme et repue, Dans l’asthme crochu des bustiers, Dans les baleines de pierres comédiennes ; Et la pieuvre des dalles veuves et décollées, File des fables et tisse des mensonges, Dans l’emphase du théâtre désenchanté,
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A même l’anus du macadam sournois, Où tu trébuches et tombes et t’engloutis, Pauvre hère ficelé, oublié, reclus ; Et dans cette panse de ville ensanglantée Qui s’ébranle et s’égueule comme une crique, Glousse un tsunami de rocs qui s’écroule, Braille une ferraille de phoques qui déraille, Sous ce masque de fard craquelé, Où tu glisses et tombes et t’évanouis, Pauvre hère, rabroué, reclus, oublié, Comme un cadavre d’antique coryphée, Parmi les rues attroupées qui t’étouffent, Sous les balcons descellés qui te menacent. Détresse Tu es un remords de cachalot qui pourrit, Dans les bas-fonds de la ville abandonnée, Où tes rires saccadés pataugent dans les mares, Où tes cris aigus se blessent aux écueils ; Et, dans le sinistre cloaque de la ville infecte, Tes pas déments de scribe somnambule,
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Qui flageolent et chavirent, fourvoyés, Tracent des délires d’infâmes hiéroglyphes, Que la vermine seule parcourt et lit, Qui rappellent la lointaine mer disparue, La haute mer désinvolte qui a reflué, Dans sa robe d’écume infinie, qui a fui La falaise cariée et la grève désertée Où suppure, échouée, une baleine de boulevard, Près de la place épuisée que rafraîchit L’ombre rare d’un square vert et chevelu, Où gît sur un banc ivre une détresse de cannabis ! Réminiscence Tu souffres et te morfonds dans ce pénitencier Où les geôliers du désespoir te torturent, Où t’oppresse le carcan des murs moisis Où, dans l’invisible marelle des mouches, S’ébauchent des traits de peintre et de salpêtre ; Mais l’âme rajeunie, revigorée, revit, Sous les bleus pygargues du ciel qui brillent, Qui s’étirent, qui planent, qui tournoient, Dessus la cohorte des soleils lourds et belliqueux Qui battent les dalles fêlées, l’asphalte crevé ; Et, dans la vallée libérée de la ville dilacérée, Des hordes hirsutes de gnous ignobles et de vents Piétinent l’herbe drue du cœur libre ; Et, sur le parvis vaste et chamarré de l’oubli, D’antiques rochers ressuscités te fêtent, A l’ombre des figuiers qui étrennent leur treille,
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Qui t’offrent des grappes de figues émues Et des spasmes lucides de mûre ébriété ; Et des chênes vêtus de vieux liège fripé, Hésitent à la lisière de ton âme émerveillée Où éclate, bruyante, la joie des enfants qui jouent ! Naufrage Ta carène illusoire, prostrée fait naufrage, Au fond de cette mer de boue et de honte, Où les dents de la détresse t’embrochent, Où te scalpent les squales de la nuit, Où tes rêves délités tombent et se noient, Où tes effrois glissent et tes vertiges, Sans espoir d’esquif ni amarres de suaire, Dans le jour couard qui doute et abdique, Qui consume le fagot de son ultime folie, Qui s’éteint comme l’aurore d’une forêt fantôme, Dans l’horrible solitude qui aiguise ses crocs, Qui lance ses fauves sur la ville idiote Qui clôt ses halles, ses orbites et ses volets, Où t’entravent les mille lacets de la nuit, Où jusque dans la déroute des larmes, Rampent des routes d’opprobres mercenaires, Dans la lande du cœur infécond Que des massifs de ténèbres obstruent, Qu’hérissent des lances de houx et de sarcasmes, Qu’échevèlent des rires de ronces acariâtres, Où reflue un soleil miraculé, chevelu, Où des averses d’or et de fougères Drapent les troncs d’eucalyptus oubliés Dont les feuilles drus tressaillent,
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Dont les fourches rebelles trépignent, Où les flots impromptus, ininterrompus Lavent les séquelles du chagrin craquelé, Lavent l’écorce du désespoir qui se repent. Drame Dans les loques menties qui la déguisent, Sous le masque de glaise criblée qui l’aveugle, Vagit, abâtardie, la ville dépravée Qui bafouille comme une fable immonde, Tandis que tu t’écroules, lourd et prostré, Sinistre Orphée, Orphée désabusé, Sur ce banc estropié qui rouille, Dans ce square qui veille comme une relique ; Et tu regardes brûler la terre immolée Sur le bûcher qui rougit et noircit ; Et tu regardes la poussière qui vole fière, Qui tombe lasse, qui s’évanouit Dans les viles ténèbres de l’oubli ; Et tu regardes la fable de terre qui bredouille, Qu’assombrit un dédale d’impasses, Qu’étranglent des filets de pieuvres, Où tournent des orbites d’asphalte ensorcelé, Où se fourvoient des joutes d’artères et de routes Où, greffées comme des limaces à leur carcasse d’acier, Filent, amnésiques et lascives, des chairs flétries. Stérile Au bout de la ville monstrueuse qui forcit,
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Qui respire la poussière et la suie, Qui traîne son affreux cheptel de phoques, Sur la grève que l’océan a répudiée, La pierre pousse froide et s’entête, Et la brique sourde pullule et triomphe ; Comme un massif de cactus, elles conquièrent L’antique carrière de la ville éventrée ; Elles piétinent et tuent l’herbe jaunie, Elles étranglent les ficus et les eucalyptus, Elles asphyxient les passants asthmatiques, Sous le ciel serein, sous le ciel souverain, Vêtu de velours et de lumière inaltérée, Qui étire son désert de sable bleu, Où sèchent comme des larmes les cirrus rares Que lui envoie la mer humide et proche. Gouffre Comme une panique de galets déracinés, Tu dévales le sentier abrupt de la honte, Et tu tombes dans cet abîme innommé Où la détresse te presse comme un sépulcre ; Et la ville impossible te vomit comme une ordure Dans ce puits de soir aigri qui rétrécit, Où les trottoirs sont pavés d’injures, Où les chaussées sont hérissées d’angoisses ; Et les lances de l’asthme t’empalent, Et le mortier de l’ennui te pile, Et tu t’ébroues pour esquiver la camisole, Et tu te dresses pour secouer le joug, Et ton front bosselé heurte ensanglanté Le toit ondulé du ciel devenu hostile ;
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Mais la fronde drue des averses, cingle, Telle une catapulte de grêle et de gifles, Cet ignoble cachot de ville chagrine ; Mais l’indélébile rancune d’émeri racle La croupe encrassée des trottoirs gourds, Mais les rafales d’affreux corbeaux Hachent l’hécatombe des murs moisis ; Mais les faucilles effilées des jeunes soleils, Emondent les épines des haines et des haies, Embrasent l’épaisse brousse de la tristesse. Salut Au bout de la gorge triste, empierrée Où sèchent des racines de silence, La bouche est close comme une amphore ; Et, dans le désert glabre du visage, Il ne reste que deux tiges orphelines D’iris noirs qu’un bouc a broutés ; Et les liserons rares du rire se sont fanés Entre le ravin du cœur et le fossé de l’âme ; Et de vieux épis de joies jadis tressées Moisissent au plafond de la chambre sinistre Où les journées capturées s’évanouissent ; Pourtant, de la fenêtre opulente qui rit, Qui donne sur la rue et sur la vie, Tu regardes l’insoutenable tête chevelue D’un jeune soleil splendide, adolescent Qui se hausse sur le mur transfiguré d’en face, Qui brûle, s’esclaffe, danse et chante, Tandis que s’effacent les barreaux et les geôliers,
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Tandis que s’échappe en boitant le chagrin pesant. Echouage Comme un Léviathan qui gît sur la grève, La ville halète, ivre, atterrée, Dans sa robe de pierre dégrafée Où coule un ventre flasque de goule Que le goudron laboure comme un soc, Où bâillent des ravins de boulevards, Où suppurent des plaies gangrenées; Où tu marches comme un fantôme, Où tu déchiffres comme un aruspice, Ces parchemins de tripes qui gargouillent A même les trottoirs déchaussés qui te rabrouent; Et tes pas tristes, amortis qui déchantent, S'estompent comme des phrases désappointées; Et l'écho de ton chant noir, comme une balle, Rebondit sur le pavillon clos des oreilles; Dessous le velours du ciel qui tremble, Dans le soir mûr qui l'incendie, Parmi la file des palmiers qui s'esquivent, Et les ficus défigurés qui fuient. Renaissance Comme un rire de pâquerettes, Dans la rocaille inculte de la colline, L’essaim des joies revenues bourdonne, A l’orée de l’âme étonnée qui palpite ; Quand les cognées hachent la nuit, Quand elles abattent le chagrin et ses chênes ; Quand l’implacable colère des pioches Ebranle la citadelle et le cauchemar ;
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Quand les jeunes pluies à peine nubiles Rosissent et bleuissent dans l’air du soir ; Quand elles meuglent comme des génisses ; Quand elles mouillent les branches sèches ; Quand elles caressent les vieilles ronces ; Quand elles guérissent les balafres endurcies, Quand elles éveillent les nœuds sourds ; Quand elles nourrissent les bourgeons nains Qui frétillent et doutent comme un naissain ; Quand du ciel habité, ressuscité, comme une manne, Le soleil prodigue sourire sensuel et vaste silence, A la souche esseulée qui gît, à même le deuil et l’agonie ; Quand le vent insuffle sous l’écorce Une sève d’espoir ému et d’aubier comblé ; Quand le rêve drape l’arbre qui renaît, Dans un manteau vert d’amour et de mots. Noir Sous la fenêtre disgraciée qui boude, Que drapent des loques de stores surbaissées ; Au pied du mur hébété qui bégaie, Tu dérapes et rouilles, mal arrimé A cette chaise de fer suppliciée, Où ta carcasse dérive comme une étrave ; Dans la chambre noire qu’une marée inonde, Où tes os se couvrent de lichen putréfié ; Et sous le masque de glaise indélébile Qui envoûte ton visage encroûté, Tes yeux endeuillés que le jour a répudiés, S’emplissent de ténèbres qui clapotent ; Et dans ta bouche que la nausée envase,
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Se tordent d’aveugles paquets de vers ; Et vaincues, tes mains de grès incongru Qui tâtonnent, crispées, horrifiées, S’effritent comme des vasques taries, Où ne lèvent que des erreurs de larves, Où s’épuisent comme des grenouilles altérées, Les rêves déçus et les attentes frustrées. Agonie Tu te morfonds, dans ce cachot de corps Où les idées se fanent, où les rêves aigrissent ; Et, dans l’encoignure de ce regard dépoli, La dernière joie est un fruit qui a moisi ; Et, dans ces joues que le chagrin a érodées, La voix cafouille comme un bouquet fripé ; Et, dans le gouffre du cœur abandonné, L’espoir bat de l’aile comme un pigeon blessé ; Tandis que s’ébroue la cité empoussiérée, Comme un cheptel de phoques ondulés ; Tandis que s’esclaffe le soleil décapité Qui roule sur l’immense pelouse du ciel Où le soir tremble comme un deuil bleu, Où pend une vieille guenille d’azur calciné ! Naufrage Toute une escadrille de soleils défile Dans la rue libre qui palpite comme une prairie, Où l’après-midi distille un air frais et subtil ; Et tu t’enlises dans cette chambre hostile
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Qui te méprise et t’exècre comme une geôle ; Et tu dérives crucifié comme un esquif, Et tu râles et coules comme une épave ; Et les rets du silence te ligotent Et l’ennui rôde appâté comme un requin, Autour de ce corps chaviré qui pourrit, Que le désespoir embroche comme un narval ; Dans le recoin carié d’une grotte infâme, La nuit s’éveille et s’ébroue ragaillardie ; Elle jette le couvercle et quitte le cercueil ; Telle une marée de boue cauchemardesque, Elle se lance à l’assaut de la colline en ruines Où les rues perverties apprêtent des sabbats, Où déjà se déchaînent des danses de stupre, Où grouillent velus des loups-garous. Message L’océan accrû, revigoré S’ébroue, gonfle et reflue, Comme une mêlée de lutteurs, Près de la ville troglodyte Qui étale ses alvéoles, Où saignent, empuanties, D’affreuses artères blessées, Où défilent et vrombissent Des ravins de corbillards rauques Qui ruent comme des gnous, Où fulgurent des harems éblouis Sertis de vallons érotiques Qui bourdonnent de sources, A l’ombre des hauts mamelons ;
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Pendant qu’entre ces murs scélérats Le plafond acariâtre t’écrase ; Pendant que, fidèle, te loue Le ciel noble et juvénile Qui rutile comme un saphir, Que, flots d’écoliers fougueux Harcelant la vieille cour, Des orbes d’hirondelles exaltées Agacent, inlassables et gaies ; Pendant que des rafales volatiles Esquissent des promesses de danse, Sur la toile immaculée de ton cœur. Grimoire Comme un parchemin poussiéreux et brûlé, La ville bégaie, grotesque, abâtardie, Où le vent fruste et forcené, Dans les routes barbares qui boitent, Bourdonnantes et bondées comme des brouillons, Trace puis efface des syntagmes de passants Qui traînent, couchés comme des loques obscènes, Où des profils de phrases insanes, Vacillent, bravoures de papier menti, Qui décollent, se gondolent et flanchent, Pendant que dans une période écartelée, Des femelles huppées, hypnotisées, Dérobent, ensorceleuses et lubriques, D’illisibles voyelles et d’infâmes voluptés.
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Sans logis Tes yeux larges et orphelins Qui s’évasent comme des crevasses, N’ont plus de larmes pour pleurer Le logis perdu, dilacéré. Te démange comme un remords La peau morte des sens désuets Qu’accrochent les fourches du corps Hésitant, hébété, comme une falaise. Comme des brebis galeuses, forcenées, Tes pieds qui trépignent, démunis, Paissent les déroutes asphaltées Qui dérivent comme des sirènes. Sous les lampadaires lubriques Qui se déhanchent et dansent, Ton cœur oppressé hoquette, Dans sa cage, comme un serin bègue. Avalanche Quand, dans le terreau de ta chair, Eclot la joie inexpliquée, Comme une pousse de crocus ; Quand l’éclair brûle, comme une braise, Ce nombril de ville saccagée Qui te rejette comme une marâtre ; Quand, dans le square dédaigné, T’accueille un quinconce de ficus Qui te drape d’ombre et de patience ; Quand, du gazon même lépreux,
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Des garnements d’herbes folles Qui s’y roulent et s’étirent, Te tendent comme un bouquet De houx nains et de chardons bleus, Une panique de pierres et d’antilopes Emplit, alors, de vacarme infâme, Le pas de ton âme étonnée ; La ruée des immeubles forcenés Brise, écrase comme un fétu La joie battue et enterrée Qui n’est plus qu’une guigne, Sous les décombres tristes ; Et l’horrible meule du temps sadique Massacre ton cimetière occulte. Eclipse Longtemps, le soleil splendide et jeune A brandi les beaux genêts du jour Et la joie dissipée des palmes raides ; Puis, il est tombé, las et déboussolé, Comme une avalanche de condors blessés, Derrière les vieux remparts de l’horizon ; Comme un regret blet, désuet, Tu restes, inutile, oisif, Sur l’esplanade vaste et nue Où délire une fontaine en ruines ; La nuit jette son manteau loqueteux Sur les rampes des passants vides et froids Qui s’effacent comme des vagues fatiguées, Où ne brille aucun éclair d’écume ;
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Dans la place froide comme une arène Où l’air étouffe sous la cendre, Où des foyers meurtriers incendient la chaussée, Des chœurs de réverbères imbéciles Dansent rondes insipides et borgnes, Autour du silence ignoble et noir. Salut Des orbes d'hirondelles sourdes Erodent comme des fraiseuses La morne falaise du ciel lourd; Le soleil qui a rugi et sévi Tout le jour comme un despote Se couche dans son cercueil rouge; Le soir furtif arrive comme un voleur Et l'horrible masse de la nuit noire Ecrase les quartiers de la ville; Des portées de mioches hâves Resongent dans les ruelles insomniaques L'impossible bonheur du gazon vert; Emerge sur l'esplanade épargnée L'îlot étincelant du chapiteau Qu'érige parmi le phalène et l'anophèle L'arc rouillé des réverbères intègres.
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Table des matières Léger-----------------------------------------------------------------------------------------P.2 Hécatombe----------------------------------------------------------------------------------P.2 Eden------------------------------------------------------------------------------------------P.3 Eclipse----------------------------------------------------------------------------------------P.4 Absence---------------------------------------------------------------------------------------P.4 Primevères-----------------------------------------------------------------------------------P.5 Ombres---------------------------------------------------------------------------------------P.6Silence-----------------------------------------------------------------------------------------P.6 Chute-------------------------------------------------------------------------------------------P.7 Quolibet---------------------------------------------------------------------------------------P.8 Ville--------------------------------------------------------------------------------------------P.8 Plage-------------------------------------------------------------------------------------------P.9 Voile--------------------------------------------------------------------------------------------P.10 Colère------------------------------------------------------------------------------------------P.11 Naufrage---------------------------------------------------------------------------------------P.11 Eau-forte---------------------------------------------------------------------------------------P.12 Réveil-------------------------------------------------------------------------------------------P.13
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Lâche-------------------------------------------------------------------------------------------P.13 Bagne-------------------------------------------------------------------------------------------P.14 Pluie---------------------------------------------------------------------------------------------P.14 Beauté-------------------------------------------------------------------------------------------P.15 Secret--------------------------------------------------------------------------------------------P.15 Sec------------------------------------------------------------------------------------------------P.16 Revanche----------------------------------------------------------------------------------------P.17 Proche--------------------------------------------------------------------------------------------P.17 Nuit------------------------------------------------------------------------------------------------P.18 Rets------------------------------------------------------------------------------------------------P.19 Epaves-------------------------------------------------------------------------------------------- P.19 Soir------------------------------------------------------------------------------------------------P.20 Barbares------------------------------------------------------------------------------------------P.20 Rupestres---------------------------------------------------------------------------------------P.21 Charme------------------------------------------------------------------------------------------P.22 Abandonné--------------------------------------------------------------------------------------P.23 Fantasmagorie----------------------------------------------------------------------------------P.23 Enigme--------------------------------------------------------------------------------------------P.24 Péril-----------------------------------------------------------------------------------------------P.25 Décadence----------------------------------------------------------------------------------------P.26
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Clos------------------------------------------------------------------------------------------------P.26 Enfer----------------------------------------------------------------------------------------------P.27 Gai désert-------------------------------------------------------------------------------------P.28 Dyslexie----------------------------------------------------------------------------------------P.29 Nostalgie---------------------------------------------------------------------------------------P.30 Charnier---------------------------------------------------------------------------------------P.31 Limbes-----------------------------------------------------------------------------------------P.32 Atlantide-------------------------------------------------------------------------------------P.33 Détresse--------------------------------------------------------------------------------------P.34 Réminiscence--------------------------------------------------------------------------------P.35 Naufrage I-------------------------------------------------------------------------------------P.36 Drame-----------------------------------------------------------------------------------------P.37 Stérile------------------------------------------------------------------------------------------P.37 Gouffre----------------------------------------------------------------------------------------P.38 Salut--------------------------------------------------------------------------------------------P.39 Echouage--------------------------------------------------------------------------------------P.39 Renaissance-----------------------------------------------------------------------------------P.40 Noir---------------------------------------------------------------------------------------------P.41 Agonie------------------------------------------------------------------------------------------P.42 Naufrage II------------------------------------------------------------------------------------P.42
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Message----------------------------------------------------------------------------------------P.43 Grimoire---------------------------------------------------------------------------------------P.44 Sans logis---------------------------------------------------------------------------------------P.45 Avalanche--------------------------------------------------------------------------------------P.46 Eclipse------------------------------------------------------------------------------------------P.46 Salut II-----------------------------------------------------------------------------------------P.47
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