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AHMED BERROUHO
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I L’ Archipel du silence
Plénitude Soudain se disloque le pesant fracas Des caveaux veufs.La lumière offusquée Rétracte ses griffes ; le cœur en émoi, Lame de fond ,de son glauque alluvion, Mure la plainte mugissante. Jubile, écumante crête de l’amour, Trop vite, la dérive en grève arénacée Emmaillotera les bris de ton naufrage ! Pourquoi te lamenter, verve esseulée ? L’amour qui te crucifia, corse Comme un poison, la sève mâle De tes veines ; tes audaces ignominieuses Hausseront, par-delà l’hypocrisie, Le haut dédain de tes seins essoufflés. Tu ne cadenasseras jamais plus La vulnéraire et frêle fêlure au bouton Mordoré de doute, filon gainé de ténèbres ; Occulte, ô cœur voyant, l’aurore muselée De ton désespoir ; mine au cœur de la solitude Ta couche d’angoisse prostrée ; Défie la douleur médusée ; de la cendre Livide du cratère, lave soudain parturiente, Un oppressant sanglot t’illuminera, Délice jaculatoire !
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Emoi Soudain, ma solitude fut ébréchée Comme par un gong de splendeur ; La fugueuse plénitude de son aine rose M’effleura, capiteux automne ; Et la sourde et sombre caverne S’ébranla, sous la foudre des sanglots, Orgues auréolées aux spasmes d’Icare ! Marcheur invétéré, secoue Ta matinale amertume ; les feux de l’aurore Erigent sur les ruines des maisons ensoleillées, Le théâtre des herbes folles ; Pélagique passion, qui chevauches La lame des haies échevelées, Tu drapes dans ta sollicitude feuillue, sous le musc De tes huées fleuries, les chaussées enguirlandées. Cœur chenu, engoncé dans ta carapace boursouflée, Cœur pachyderme, ton parchemin craque sous les rides ; L’argent pulvérulent de l’air hâte ta mue ; L’aubier du jour bâille sous la noueuse écorce ; Les branches extrêmes distillent la volupté du soleil. Du fond de la fosse commune, mordant Dans de graveleux quartiers d’angoisse, Etouffant, dans la solitude prostrée, J’implore, ô nuit glacée, une larme de braise, Un regard tavelé d’azur, un rire de tignasses crépues ! J’implore, indomptable nuit, les orages du cœur Qui brisent et désaltèrent le chêne hagard !
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Feu filant O prodige d’Eros, duveteuse et fugitive volée de l’aine, Quand le miel en torrents éblouit, comme l’éclair, Le corps repu et disloqué, quand dans la chair veuve, L’aurore embaume le rire travesti en sanglot ! Quand la joie, comme une coupole de volupté, Tourmente ton visage squameux, Ton cœur résigné, morose ; quand le bleu Du ciel insuffle aux saules la félicité ! Gaine enchanteresse, aire suave du désir forcené, Etanchant la soif érubescente, les tertres solennels, Enguirlandés de menthe et de poivre, Dans l’impétuosité du geste, Insinuent la mélancolie des berges rassasiées ! Où, en quelle rage froide ,enluminée d’ennui, Es-tu embrumé, silence bardé de seins mûrs ? Où, en quel oubli ténébreux, l’eunuque philistin t’a cloîtré ? Où, en quel chagrin asphalté, es-tu solennellement prostitué ? Quelle soif farouche, quel capiteux désir hantent la pruine Du crépuscule, quand un tamis de lumière tance le cœur aigri, Quand la brise ensanglantée du soir érafle le buis filant ? Où, en quel aveugle lampadaire, sacre du bonheur Ratatiné, es-tu pendu, silence aux lèvres blettes ? Le spasme noueux de mon sanglot, Furtif silence, t’offre un refuge extasié ! Descente aux Enfers Tes yeux,souverains rédempteurs,Eurydice, Me délivreront seuls de l’infernale carrière Où m’emmurent le bruit et la présomption ; Bloc, écueil erratique,enchâssé
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Dans la trame crasse du démiurge dément, J’appelle la foudre, l’amour à l’échine rompue, Le bond ivre dans l’épouvante ! Spacieuse voile pâmée,tu bats d’une aile rebelle, La rumeur empoussiérée du stérile labeur ; La plaie vespérale de ta fougueuse impatience Evide le parpaing ampoulé des obésités mercantiles ; Comme des corolles d’impénitence, Ces brèches déflorées, en sardoniques remugles, Envoûtent le reflux des candeurs ébahies. Peut-être aborderas-tu, revenant des méandres urbains, Peut-être défiant le vertige des regards veules, Aborderas-tu, au seuil de la clairière matinale, Dans la spongieuse vulve voûtée de l'ombre, Où ton incrédule frustration pénétrera; Et le rugueux palmier de ta vigueur exultera Sous les effluves des frondaisons farouches!
Recrû J'amarre mon souffle à ton insoutenable Murmure, forêt evanescente ! A l'âme prostrée, Ivre de crépuscule, ta ferveur circonspecte Prodigue des glands de délire recrû. Abrupte ferveur, séismale volupté, comme le sabre Plaintif de l'orgasme, tu éventres le disert Babel. L'aurorale pervenche, soif dionysiaque et hauturière, Dans l'épi masqué des sirènes, ressuscite le minotaure. Souvent contraint d'héberger le chaos, gaine de l'oracle, Pulvérisant d'une grimace narquoise leur vain cosmos, Endossant volontiers le marbre tombal, tu appelles, D'un coeur sarcleur, la grappe des regards sans chaînes;
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Tu appelles, sensuel, l'hymne supplicié des dunes musiciennes! Orbe véhément des stupres fugitifs, exauce le brame De ma bonace hébétée; l'âpre obélisque a soif de l'ouragan De tes affres; apprête la langoureuse pyramide. Ma saxifrage jalouse ta furtive ubiquité, Dans la ville encore assoupie, où les frondaisons Étrennées fêtent le retour opale de l'air, où les murs Métamorphosés lisèrent, de bienveillante soie, La patience dilatée des rues où de rutilants haillons Voilent à peine le coeur aigri.
Promesses Frêne aux yeux de ciel gemme, Tes longues tresses de lierre et d'ébène, Hantent la hampe du rire vertical. Tes nattes égrènent, d'amour volubile, En vigne rameuse, l'enivrant chapelet Des promesses de volupté ;le ressac Des randonnées anonymes, déchiquette Le galbe cristallin de ta vague ferveur, Echouant sur les galets moisis des visages Cadenassés; ton coeur désarçonné, Contre la vipère recroquevillée, Taille dans le roseau saignant, La flûte de la douleur dithyrambique, Syrinx d'espoir ! Vois l'étincelle impénitente Scintiller en vain, dans la détresse des langes ! Vois la nuit pesante et hostile Disloquer le cœur opiniâtre ; Vois,malgré le naufrage, l 'étincelle Sauve et ravie, ultime contorsion de l'orgueil subtil ! Romps cette âme de glace, Efflorescence jaculatoire ! Que la bêche de tes douleurs térébrantes,
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Evide les éclats de son agonie, Etalons d'une mort enivrante et bridée !
Haute beauté je m'agrippe à la traîne de ton amertume dessillée, Malgré la chassie, malgré la cendre De leur désert labyrinhique. Esquivant les parpaings du refus, Ton impudent chrysanthème Qu'effarouche le taureau de la haine, m'abreuve D'une soif distante et diamantée. Au faîte du vertige, oublie La combe d'asphalte que sillonnent les limaces Dans leurs vaiseaux d'argent; oublie, Tandis que t'écartèle la herse de l'angoisse; Oublie le velours du regard complice; Au faîte du désir intolérable, Losque la syncope des sens Brade solitude et détresse, Oublie la fête hirsute de la conjonction, Oublie, virtuose des rencontres fuguées, Oublie l'arpège des pâmoisons échancrées, Oublie l'ourlet poupre d'Aphrodite! Sème dans le maïs régulier de leur regard, Des pivoines rutilantes et inopinées, Hiéroglyphes de plénitude. Intaille dans le granit plat de leurs obsessions, Un palimpseste d'amours écartelées; Instille dans le zéphyr de leur choeur vain, Le typhon vireux du remords; Prodigue au pollen volatil de leur regard pubère, Le faste offusqué des falaises ivres! J'eusse recueilli,sphinx et phare, Au bout de ma patience de liane infinie,
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Ton aurorale rosée sertie de désespoir. J'eusse allongé, baobab au toit stellaire, Mes tentacules assoiffés, par-delà la paroi pudeur, Jusque dans ta fugue farouche, Jusque dans tes langueurs émaciées.
Vertige Ta chute, frère moulu, fracassé, étarque ma plus abrupte, Ma plus rocailleuse ascension! Sisyphe des horreurs virtuoses, Je redoute et j'exalte ta filante et fatale témérité! Tôt sevrée, ta haine farouche, dans la platitude, dans la neige, Fut replantée ; ses pétales, son iris, dédaignant le soleil factice, Comme des courtilières, refluèrent vers le gouffre du cœur, Le vertige de l’âme. Comme un dément, j’arroserai de pleurs L’orchidée d’os et de sang qui n’en finit pas d’éclore, En dépit de la mort, je serai une source de larmes, Dans le cratère de terreur et de cri qui ne cesse d’ébranler La paix et l’oubli, en dépit de la mort.
Egaré dans l’innombrable puits, dans le puits labyrinthique, Où mes sources épuisées bourdonnent encore, Parfois, m’effleure tout un pan de ton regard pénétrant, De ton âpre regard, de ton regard poignant, aigu D’enfant précoce, prédestiné ; alors comme une débâcle, Je ne sais quel cataclysme me dérobe le sanglot Qui nous aurait sauvés, toi, inaccessible vivant, Moi, insoutenable, insolvable gisant!
Prison Citadin des débâcles urbaines, tu coltines La pierre mortuaire et impénitente, cachot De ton âme caduque ! Les terreurs En torrents que verse l’acier meuble Dans ta carcasse insomniaque,
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Les tombereaux de haines sonores Aux troncs caverneux, aux lianes abasourdies, Dans ton rocher, sculptent un vague histrion, Ridicule Sisyphe ! Parmi les néons, Parmi les phares, l’incommensurable nuit T’isole ; dans le fracas, sous l’apocalypse, T’ensevelit une auréole de silence. Cyclopéenne tunique de Nessus, La discorde solitude comme un guignol, Au fond d’un théâtre désert invective Le tréteau et la scène vides !
Néfaste Ville aveugle où prolifèrent les grappes de la détresse, Les stériles essaims médusés de la détresse, Tu es la fleur déliquescente, le jade monumental Que la cendre momifiée ensevelit ; Rutilante et noire Pompéi que les lices volubiles Du mensonge, asphyxient, tu précipites, Dans la démence et l’angoisse, les poètes contempteurs Aux rires sardoniques et rupestres ; Métropole cannibale, dans tes artères labyrinthiques, Le moderne Minotaure se repaît des ferveurs sacrifiées ; Infernal pénitencier que nulle Proserpine ne hante Tu n’es qu’un cirque où le taureau enroué encorne le rêveur distrait ! Fuligineuse citadelle de brouillard, tes donjons de sanie et de rouille, Dans les frimas de nos lombes, essaiment les chardons du chagrin. Arcane navré du temple mégalithe, d’ineffables lézardes de démence Trament des rêves pariétaires au creux de tes artifices. Tes aveugles néons, pourchassant la pourpre des mythes, recèlent Un gouffre sidéré, dérive et naufrage de l’imposture mal assurée. Débris haillonneux de l’illusoire humanité,
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Partout croît et gronde l’ordure ; Partout s’étale le polypier de l’imbécile laideur, Lèpre des cadavres ambulants ; Partout rugit le spectre putride de l’impudente imposture ; Partout s’affûtent les crocs de la bêtise humaine et cannibale ! Sans cesse est piétiné le frêle liseron de l’entente, Dans la jungle des refus noueux ; Dans la sardonique arène bardée de réticences et d’épines, Les paroles aux lèvres bâillonnées, sont éboulis Qu’accumule l’opiniâtre égoïsme, au seuil de l’hostile citadelle. Somnolence Dans le silence de mon dédale, la lave hébétude tisse Son agonie arachnéenne, filtre la vireuse insouciance Et déchiquette, tel un cataclysme, l’archipel hérissé De la haine ; le pampre, granit au silence viscéral, Etrangle l’espoir, obstrue l’issue ; son sarment Tentaculaire et noir bâillonne, liane de détresse Pariétale, enchaîne Tantale et mes tentations ! Et je n’entends plus, scellé, attelé Au tourbillon du manège, je n’entends plus, Roué aux haines, aux rênes domestiques, Enfiévré pourtant de ferveurs Et de frustrations, je n’entends plus La toile arc-en-ciel des paillettes d’encens, Suave rosée dépucelée des sphinx soudain en rut ! Spasme Abâtardi par des tombereaux de rancunes, Noyé sous des trombes de lumière sourde, J’ai soif de tes filets d’écoute, de tes fissures De pollen, de tes éraflures d’espoir ; Ma chair, épave du rire bègue, otage
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Du cliché barbelé, languit des rafales De ta mélancolie, de tes colères saxifrages ; Ma chair, accablée de fétide faconde, regrette Ta grâce redoutable qui brise les monts volubiles, Erige des golfes de nostalgie ! Orphée disséminé dans les avenues De la solitude criarde et échevelée, Candélabre aveugle que cinglent Les lanières de l’ironie, les quolibets du sirocco, Pathétique oponce, aux mille suppliques de chair Epineuse, inoffensive, râle modulé d’un choeur Que le vacarme tombal ensevelit, j’appelle, Je redoute les longues sollicitudes de tes goémons, L’éveil feuillu des joies pulsatives, l’essoufflement Duveteux de ta beauté filante et effrénée ! Qu’importe le méphitique déluge de la courte Et laide jubilation, si l’archipel des larmes Oraculaires, si les pétales rétifs des nénuphars Frayent une divine accrue, apprêtent Une folle alcôve pour l’amour défiguré ! Qu’importe la brise des roses bornées De dédain si ton séismal dépit, Si tes frasques vertigineuses délitent Les galets velus de ma mélancolie ! Tandis que, lointaine, tu pérores, Mon amertume te dépouille du manteau bigarré Arborant la vulgate infatuée, inquiète ; Tandis que, rêveuse, tu boudes, Mon amertume te débarrasse de ta robe moirée Où sont promulguées la geste du mensonge, La mercuriale de la comédie ; Tandis que, frissonnante, tu t’éveilles, Mon amertume te drape dans la sensualité Idolâtre et nue, dans les vêpres carillonnées De l’amour à jamais fastigié !
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II FOUDRES D’APHRODITE Madrigal
Par-delà la haie, par-delà la ronce, par-delà l’oubli, Sur les brisées de ton silence, mon désir enhardi Festonne de lierre et d’effroi, la distante acmé De ta joie, le bourdon d’or de tes mamelons. En pollen de grâce, ton indicible embrun, comme Une traînée de ferveur, émaille glace et falaise. Comme un souffle opiniâtre, il éveille la frileuse Braise, détresse aux abois, que grèvent Des monceaux de cendre et de suspicion ! Comme l’abrupte majesté des voix insoutenables, Envoûtant les fourches prostrées de mes oponces, Comme la ruée éperdue d’une horde de voix mâles Et sereines, bridant soudain ma plaine ensommeillée, Comme une meute fulgurante de voix hargneuses, Tu opprimes et revigores les épines émues de ma nuit ! Mon cœur ivre d’aurore, érige dans ton sillage, Dans ta traîne, loin des dragons de sueur Et de suie, un boudoir de douleur et de corail. Mon cœur ivre de nuit infuse, loin des armures véloces, Sertit de bonheur opalescent, l’azur noir de ta fureur. Mon âme ivre de solitude, loin du trivial asphalte, illumine L’étroit sentier, l’abrupt sentier de ton ineffable enfer ! Soudain est brisé l’invisible carcan ; du cratère naguère hongre Jaillissent des trombes d’amour. Naissent et palpitent Des faucons de rire versicolore, myriade d’azur et d’envergure. Leur souffle oraculaire, telle une volée de délires, Scelle à la terre transfigurée, le cœur ivre et déchaîné.
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En geyser d’amour, en cascade de grâce, exulte ma mélancolie, Quand l’ultime crête franchie, ta grotte circéenne m’héberge ; Comme le myrte de la volupté, ton velours d’attente spacieuse, D’abyssal désir, rassasie l’envoûtement de mon silence exorbité.
Ivresse d’Eros Insatiable, érectile écueil, je défaille sous le blanc dédain De tes impudentes vagues ; la cavalcade de tes croupes Pélagiques me noie, tandis que m’enivrent les hennissements Coralliens de tes crinières, ô irrémissible lame d’Eros, Qui prodigues à mes hippocampes, Les contorsions apeurées des méduses. Désespoir claquemuré, sous le vacarme diluvien, Je chantourne dans la cécité encanaillée, Le sourire anathème de ta grâce almée. Mes papilles de rage épileptique te drapent Dans un linceul de soie et d’écume. Mon souffle tuméfié, turgescent, à la fourche De tes leurres idolâtres, échafaude un gibet ostensoir, Démente relique du plaisir décapité. Silencieuse écharde au flanc du dolmen ahuri, Je taille à même l’insomnie invétérée, je sculpte Entre les crêtes de la douleur, ton immémoriale Bourrasque, ô Vénus de l’angoisse, écoeurant Blasphème lippu. Comme un fouet qui fend La cohue, j’accours à votre rencontre, lacérant L’aveugle suaire des regards, ô lèvres qui frangez L’écume du soir que le deuil illumine encore. Tel un chœur lointain d’échos intermittents, Criblant le haut rempart du cœur ébahi, Les crevasses constellées, tes puits céruléens, Béant dans la rocaille du cœur, tressent L’irrémissible bouquet des supplices extasiés.
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Je me hâte vers vos irrésistibles berges où s’abîme, Audace, le baiser. Ma sereine impatience vous dédie Ce chant sur le bourdon du cœur à l’ancre Où ruissellent les sistres rameux du chêne. Je glisse ma graine exaltée dans ton sillon, dans ta perplexité, Et ma braise velue engrosse ta solitude soudain dilatée. J’apprivoise tes aîtres farouches, et entée sur les bâillons De leurs hécatombes, ma nuit ensorcelée tapisse De rage contenue l’ultime prairie de tes désirs ; Je suis le piège spacieux où librement, indéfiniment Se recompose la verrière de ton visage ! Oui, c’est Dans ta ferveur éclose, inentamée que je trempe Mes dérives, c’est dans les falbalas de ton carrousel, Que je drape mon éperon flammé ;
Dévoilement Sans bave, sans fracas, écarte remords et douleur, Bannis la pieuvre du crépuscule, et comme une fête, Promulgue la grâce. Esquisse sur le cratère, tisse sur l’abîme, Des prémices de danse, des volutes d’insouciance ; Que ton éclat de rire érige un phare dans le Styx et pulvérise Carapace et détresse. Au pied de la citadelle enfin assoupie, Navre de ta grâce herbue ma souche abasourdie que boude Ramure et essaim ; bats de tes ailes de splendeur Le sommeil confus et croupi des stériles et oisives perplexités ; Ravis de tes serres impondérables l’expectative frileuse et pusillanime. Tranche la redite postiche qui encombre la crédule hébétude, Mutile le couplet hâbleur qui ajourne la haineuse avalanche, Saigne, infatuée, l’emphase qui obstrue le faste silence ; Plains le pas aveugle, plains l’élan insolent piétinant Ton amour délité, enjambant ta crue véhémente ; Plains la halte ondulée, plains la hâte dentelée
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Ignorant le brusque déluge de l’hôte dément, la brutale saillie Du cœur déhiscent ; plains le rire, la borne, plains l’œillère, La nausée, dédaignant les souches ingambes des trottoirs ; Vois, géhenne qui me ménages, comme la furie sabre La laine ; comme l’âpre doute affouille la gîte hébétude ; Sois quelquefois le prompt asphodèle épars dans ma rocaille Acuminé ; sois le fulgurant éveil dans l’amaurose aoûtée De mon cœur ; essaime tes grappes flavescentes autour De ma solitaire bergerie ; que tes buissons voluptueux Attendissent mes ergs transis ; que le sourire prodigue De ta manne ensauvage ma gauche reculée ; Ma haine trapue, mon amour impénitent ont soif De tes supplices, ô damnation médusée, ô félicité ! Que les mornes meulières cèdent à l’assaut des tempes Meurtries, que s’écroule, sous la rage tenace, l’hostile tuile ! Que fulmine aux confins du souffle en syncope, Comme un fervent arôme, ton mamelon aréolé d’azur ! Qu’au front culminant de ma nostalgie, rutile la voûte Irisée de ta chair, ô immanent prodige de l’alpe lointaine ! O impétueux torrent de la soif jamais lasse !
A rebours O toi qui t’embusques dans mes réticences, qui arpentes Insolemment mes griefs ; ô toi qui barbouilles de pleurs La faîtière de mon allégresse, qui lâches les limiers de l’asthme Sur la débandade de mes cerfs ; en vain, stylite du simulacre, Je me blottis dans tes reproches ; en vain, funèbre spéléologue, Je m’enfouis dans ton silence, ô proche et distante énigme ! Comme un pervers reclus, je creuse, dans la gaîté édulcorée Le galbe arénacé de tes déserts ; Je fore de farouches fantômes Dans le morfil du rire brusque ; mes mutismes opiniâtres, inopinés, Mes âcres attentes, mes absences furieuses sont garrigues crevassées Pour tes averses fabuleuses, ô divine haine, ô amour écartelé !
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Ascète dépravé, c’est au pal, au pilori, c’est dans le fauve, Le rugissant bûcher, dans l’œil du tison, au bout de l’impasse, Que t’enserrent mes sinueuses tresses d’encens, que te crucifie, Que t’aliène ma filante joie, comme vibre la feuille sous l’âpre aquilon ! Démiurge opiniâtre, je bâtis un songe de distance, de patience, De bosquet, sur les ruines de la hâte, sur les décombres de la plainte ; Orphée invétéré, j’incante, au bout du toboggan, les sirènes du lucre, Les parques de la bourse ; mes stances vireuses sont labyrinthe Et transe envoûtant la sourde hideur, l’infâme uniforme ! Je ne trouble guère, dans le golfe terraqué où t’abandonnent La houle grégaire, l’imperceptible écho de ta voie lactée, Le triste liséré de ton inconsistante écume ; je creuse, Ravalant la fougue de mon promontoire, un isthme d’amour Dans la falaise hostile ; un jour accru, tu déferles, Comme la rumeur de la mer, comme le râle de l’amour ! Je prodigue à ta dune errante parmi la caravane grégaire, Les sept morsures du simoun, et, sur le sable posthume De ton remords, j’érige l’euphorbe aiguë d’une chimère !
Archée Déambulant dans les galeries prostituées De l’inerte et bruyante bêtise, La verge en berne, le long des ruelles du stupre, Je caresse la carène afghane et ombrée, Le profil éventé d’un lévrier fulgurant Dont me hante et m’écartèle, Comme une obsession, la morsure ; Lorsque les premières gouttes cinglent Ma carcasse effondrée, lorsque l’irrésistible Effluve écorche ma lourde léthargie, Un chœur véhément exulte Dans ma nuque acaule ;
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Sur la souche altérée, affleurent Les vigueurs rameuses, résolues ; Je ressuscite, innombrable et seul, Grouillant corail du cœur soudain aigu ! A travers l’écheveau rauque des présomptions filées, Des pastels ampoulés ; à travers l’écheveau crépu Des stériles saillies, des plaintes jugulaires, Luit en retrait, paradoxal filigrane D’extase, ton prodigieux sourire ; A travers l’écheveau goulu des fiévreuses satiétés Scintille, péril amer, ton souverain sourire. Ce collier de frissons et d’azur accroché A ma voûte sidérée est ton regard ; Cette gerbe de détresse au pied De l’impavide éteule, est ton regard ; Cette toison écuyère et pourpre au-dessus De l’étal amer de la ville, est ton regard ; Cette auréole de levante volupté ruisselant Du corsage fripé, est ton regard, Foudre de chaînes et de chair !
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III Corolles des coeurs Transhumance Mon coeur saccagé a perdu jusqu’au sillage, Jusqu’au souvenir du nocturne météore ; Mon coeur brisé glane, entre ravin et torrents, Des épis exaltés de douleur et de fougue ; Mes déserts rageurs, mes solitudes exorbitées Sont carnaval ampoulé où sans cesse je défile seul, Sous l’oeil étoilé de la nostalgie écartelée ; Affublé de mirages épineux, sans cesse je défile, Entre les haies charnues de mon château d’oponce ; Mes traits boursouflés, mes rages rentrées sont haineuses Vipères, sont vipères échevelées, ô redoutable Méduse ! Mon attente transie est faille d’envergure qui insinue Ses naïves rémiges jusque dans l’arcane sceptique, Jusque dans la viduité des vestiges ! Cette rumeur caverneuse que déchire le vent violent, Par-dessus la fourche olivâtre, est sans doute ma voix ; Cette mélancolie indélébile qui rompt et conforte L’infrangible oubli, est alpe diaprée dans le massif De la solitude ; dans la majesté de la solitude, Cette joie fugace et pudique est coruscant enclos Où en sanglot culmine le silence ! Nulle prière jaculatoire, nul rire rameux Et sauvage, nul pleur disert ne ressuscitent, De l’exil effondré, du silence exorbité, La geste ensorcelée de ma couche, Le spasme occulte de l’épouvante ! Jamais, le lac de tes yeux, la plénitude de ton regard Ne comblent les surgeons de mon tronc mutilé ! Quel rêve miraculeux sous la tonnelle étamine
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De mon attente transie, de nouveau me drape D’inextinguible lumière, de nudité vertigineuse, De caresses efflorescentes ?
Cécité Comme une frondaison sur le tronc majestueux, Qui tantôt frissonne, tantôt frémit, sous l’invisible Caresse, sous l’irrésistible rafale, je refoule Chair et peur, et, cierge ébloui, j’érige l’arroi D’une âme ravie, j’épanche la fontaine d’un coeur assouvi ; Un soir goulu, je sarcle d’aimante ubiquité Tes habitudes serviles ; comme un tapis joufflu, Je couvre d’émoi et d’émeraude, Les tendres pousses de ton innocuité ; Si la ronde, si le destin t’emportent loin de mon orbite, A des lustres de ma nuit, si la ronde, si le destin Me dérobent à ta fougue, abrogent mon souvenir, Si la ronde, si le destin ouvrent dans la distance Et l’abîme, un gouffre de doute et de regret, N’oublie pas, semence volatile, que la soif Qui t’habite, que le désir qui t’écartèle, Me prodiguent long exil et prompte moisson ! Que de fois, j’ai glissé dans ton regard triste, Détrempé, et sous l’angoisse nue, sous l’averse drue, Que de fois, j’ai frémi de vertige à l’appel De ton gouffre, à l’appel de ta solitude ; Que de fois, défiant hiver et peur, tu as tissé Ta passerelle entre le rêve et le cauchemar velu ; Que de fois, alcyon, tu as bâti ton bonheur Sur l’incertitude des lames, dans la tempête et l’abîme !
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Vénusté
Depuis que j’ai brûlé mes yeux à ta beauté, à ton soleil, J’erre le coeur aveugle, et la géhenne que j’explore, A tâtons me comble de glace et d’épines ; Quand pourrais-je de nouveau percer Les sept voûtes de mon incrédule chagrin ? Quand pourrais-je de nouveau calciner Mon coeur à ton térébrant zénith ? N’entends-tu pas le soir quand s’assoupit L’automate habitude, n’entends-tu pas le soir, Sous l’auréole et le dôme, à même l’iris du désir, La joute bruyante, l’incessante girandole des plaintes ? Dans ce vaste coeur dallé d’écume, Dans ce vaste coeur scellé d’azur, N’entends-tu pas le soir, Les mugissements sans fin de la mer, L’amer et spacieux étonnement du silence ? Quand pourras-tu, faucon dépareillé de l’âme veuve, Lacérer leurre et pudeur et tremper Tes serres dans l’ivoire de mon visage ? Quand pourras-tu planter ton verbe acéré Dans la glèbe pantelante de ma solitude, Afin qu’exulte, à l’orée des cœurs, le souffle Nuptial du silence exorbité et du poème repu ? J’ai peur que l’insistance de mes branches Ne croisse aux dépens de ta clairière ; J’ai peur que mes moineaux criards N’écument la vasque étale de ton silence ; J’ai peur que la brise lutine ne froisse La marche allègre de ton or en fleur !
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Amer Le bonheur rauque tisse encore l’imperceptible Sanglot, l’immense prison d’une solitude pélagique ; Le chagrin enroué, sur la souche noueuse, Sur la noueuse détresse, sème encore des germes D’abandon, des graines d’amertume ; Le coeur éraillé parmi les racines posthumes Du silence exubérant, inhume De vives douleurs, de lasses douleurs ; Lorsque se dérobe l’escalier fourbe de l’oubli, M’engloutit vite et me déchiquette L’insatiable gouffre de la chute ; Je tressaille alors et la gueule fauve De l’angoisse sans cesse menace de broyer La triste et ridicule débandade De mes vertèbres transies ! Tes griefs inaudibles sont échardes dans ma chair ; Les colombes impromptues que ma crue te dédie, Sont frêles corolles à l’extrême cime du bonheur ; Boursouflée de solitude, ma langue recluse reste A l’étroit dans sa gaine, dans son silence ! Ta vireuse ingratitude me reproche La ferveur hypocrite, la cruauté délibérée Qui te comblent d’exil et de désert te désaltère ; Pour égarer ton plat bonheur, je défigure vergers Et foyers, y frayant d’infâmes solitudes ; Je parsème de méfiance et de précipices, la voie royale De ton coeur et sous les halliers de la candeur, Je camoufle des trappes d’erreurs, Je plante des massifs d’épines et d’épouvante ! Comme le sable et le simoun, ma furie abhorre La fourrure terne de tes rêves ineptes, sédentaires ; Comme un aquilon, je veux lâcher une meute De bonheurs féroces sur ton épouvante en sueur ;
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J’aime que des hordes de loups et de fatigues Déchirent tes joies et tes chairs ; j’aime que L’âpre fiel du bonheur irrigue ton cœur navré, Ton corps revigoré, d’un torrent d’irrémédiable soif ; Je suis un cataclysme pour ce square dallé Que bardent de faux platanes, Que fardent des fleurs courtisanes ; Je suis un fossoyeur pour cette âme rangée Où les soupirs, où les rires même Ont des plis aigris, des plaies invétérées ! J’espère qu’un soir les oubliettes de l’hébétude Te vomiront ; j’espère qu’un soir les geôliers de la joie T éconduiront ; j’espère qu’un soir cette perplexité Parturiente et emphatique que tu redoutes, Sera ton refuge ; j’espère qu’un soir le désarroi Délitera tes viscères, déflorera ta foi ; J’espère qu’un soir, au seuil du repaire, La fureur fauve dépècera ton imbécile cheptel.
Veille Dans la solitude et la cendre, lorsque tu arpentes Le désert avare et la soif crevassée des mains, Tu déplores la myopie des cœurs, L’hypnose cerclée de vertu ; Et dans l’impasse des crânes barbelés, L’adversité hirsute te pend aux regards Patibulaires, t’assène des rires trapus. Brisant le sarcasme de l’escalier vermoulu, Tu fuies gel et échine, O impondérable caresse de lumière, O fulgurant tabernacle de la nuit ! Tu brodes de mousse naïve et de rêves éblouis, L’erg ensorcelé de mon silence Et le sauvage ressac de la solitude,
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O improbable murmure, ô frêle tourterelle ! Tu dévastes col et détresse comme s’évase L’insoutenable volupté, O ardeur retenue, ô cygne des gouffres ! Pendant l’interminable reflux du cœur, Tandis que lichen et rancœur éraflent et veloutent Les récifs escarpés et les noueuses attentes, Pendant l’insondable silence, tandis que des ères De terre lourde oppriment graines et racines, Epands sur tes rêves, sur tes récifs, une aurore Et une mer d’allégresse que retiennent tes flancs, Insinue le chant nocturne des sources Jusque dans le mutisme des graines, Jusque dans les racines de l’attente ! Dans l’inexorable dédale du lucre et du leurre, Dans la nuit de Babel, seul veille ton cœur, Œil et source de nuit, Comme une étoile que boude l’oubli ; Ton cœur seul étend, œil et source de nuit, Comme un banian, comme un baobab, Sa frondaison de pluie, à la fourche des tours Grégaires, dans les racines de la candeur.
Décombres Tu retombes constamment, fatalement, Au fond étouffant du gouffre Où t’ensevelit la cascade des décombres ; Tu tisses, ô muette réserve, la trame d’absence Dans le plâtre insolent, dans la clameur délétère ; Tu bâtis ta sereine clairière, Dans l’orbe exténué de tes martinets. J’ai répudié la gaîté triviale et le cœur ulcéré,
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Reclus, l’âme agrippée aux barreaux du chagrin, Anodin, je boude d’inquiète ardeur, Le vaste pénitencier, l’insipide univers ; Etendu sur le grabat désillusionné, Je redoute, égrotant, j’écoute, râleur sinistre, La goutte de haine et de doute qui lentement, Férocement, me rive à la tombe prématurée. Le cœur, tel un galet ratatiné, la langue Cerclée de silence, je traîne les pythons rebelles, Les pythons prostrés, le long de la pesante angoisse ; J’escalade le roc hérissé, la reddition lasse, Jusqu’au faîte du chaos et je déploies, funèbres trophées, Sous la nuée sombre, les tentacules errants de soif, Les concupiscentes ventouses de Satan ! Abandonné dans cette grotte aiguë, Dans cette angoisse exiguë, tu regardes Intensément les ombres muettes de la place, Et l’œil chaviré, la gorge obstruée A s’étrangler vocifèrent ; nul recours Contre cette dalle de douleur qui t’étouffe ; Contre les lames de l’angoisse, nul bouclier !
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VI Thrace d’Orphée Arpèges
Encense, vent hardi, l’ambulant Olympe Où tanguent les mélèzes, et sur les palmiers, Que le lierre enlace, rassasie les ramiers du cœur ; Loin des fougères rêches, des mornes amères, Illumine, ruisseau d’Eros, la forêt éteinte ; Eveille encore le cœur écru où chatoie, Comme une écharpe, la harpe languide des colombes ; Quand le soleil blanc roue les meules, Ouvre au vent espiègle qui cabriole Dans l’aire et le blé, ouvre ton ombre d’érable Où Vénus sème ses sarments ; Dans ce val que dominent, vespérales collines, Deux lunes illuminées, immole, ô cierge turgescent Tes larmes de transes brèves et tes gais sanglots ; Ensemence tel un pollen, ô souffle pourpre, La délicate crête d’attente où, ascète modeste, s’étiole, Pâle et frêle, une plainte esseulée ; éclaire, rire prompt, Comme une clairière, ce cœur délaissé Où l’automne pleure ses heures grises et mortes ; Rassérène d’herbe drue, l’attente abrupte, Et d’ormes et d’ombres, orne la plaine patiente ; Offre une vasque de marbre et d’ombre, Au rétiaire assiégé, quand les lanciers Du soleil rouent la cité hébétée. Ecume, Indomptable mer, comme une passion démontée, Saillis le récif, taille, dans le cœur, Taille, dans le roc, un éphèbe de corail. Souffle, brusque bourrasque, la poussière qui s’entasse, Et dessine, dans l’œil nu, une fresque ingénue.
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Trace, sur l’abîme vorace qui dévore ton unique colline Et les aulnes de tes années, trace une passerelle Où, comme un rejeton, l’émoi égarera sa grâce ; Invoque le golfe d’ombre, ô sable esseulé, Invoque l’été constellé qui ressuscite les sens Et comble le golfe d’ombre. Glisse dans le silence et l’abysse Où s’éteint l’astre effondré, où s’engouffre la terre démâtée ; Epouse la voix naufragée qui égare l’ultime amer Et solitaire s’enfonce dans l’amorphe mort.
Quitte le gîte travesti et jette haillons et rites ; Comme un fier figuier, brode d’impudiques appâts Et offre au pèlerin égaré le miel en fleur Et l’émoi fasciné. Rejette, cœur solitaire, L’aveugle tempête et châtie le chagrin écru, Fête la lumière timorée, fête le lointain clapotis Qui désaltère telle une fontaine. Lustre ta corolle cambrée dans la solitude, ô voix perdue, Tandis que la voile d’ouragan tangue, dans le ressac, Comme une passerelle. Loin de la rive hétaïre Où erre le rêve, clos ton cœur glauque, ô mer, Et rugis une satire de fureur et d’écume. Ebrèche, naïf Orphée, la toison qui m’ensevelit Et, comme une longue liane, lance ta rutilante folie Dans les noirs Enfers où mon cœur chavire. Romps, Orphée infatué, le grand suaire de soleil las Que nulle ombre n’écume, romps, météore intermittent, Les amarres qui m’enserrent, dans les sarments bleus et solitaires.
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Stances d’Eurydice De la haineuse géhenne s’évade, rétive, la voie et, tel un val extasié, Qu’émaillent l’amour et la menthe, s’éveille, dans le cœur pantois, L’arôme éperdu d’un émoi ; et l’été emporté vêt d’herbe Et d’aromates ton indolente brise, puis lâche, sur la ville éventrée, Une furieuse meute de ruts ; s’ébattent, obstinés, s’allient, complices, Malgré la cécité assassine, la voile blanche et le ciel tremblant et bleu ; Et le désert gangrené qu’égueule le prurit, vomit la nuit, Des Circées lubriques et lisses ; émerge, éperdue, des eaux du désir, Ma carène d’écume, comme surgit, de la mer émue, la belle Aphrodite ; Et ma secrète vénusté coule, comme un flacon, sur ta lyre étonnée, Et tes arbres et tes fauves s’éveillent, désenvoûtés, Et ton regard fulgurant calcine le Rhodope et sa forêt ; Et l’été d’or et de galbe altéré dévore, Orphée auréolé, Mes rires et mes viscères, et midi vomit le mât d’un cobra Qu'abroge le remords ; et le pré et la mort glacent mes mollets, Et je glisse sans larmes dans ce désert de mer, Et j’agrippe le mât et j’agrippe le silence, et le navire d’Orphée Chavire dans la mer et le pré ; et ta sombre élégie et l’averse du soleil Rassasient ta montagne abandonnée ; mais le silence mais le suaire Assombrissent soudain comme une nuée perfide, Ta montagne oubliée ; mais la foudre gueuse Brûle mes tendres flancs, comme l’absinthe vireuse ; Et tu m’emplis d’un ciel ardent, comme une torche ; A mon astre éteint, tu accroches une rutilante treille Et tu prodigues à ma tristesse subtile de voluptueuses grappes de silence.
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Agonie Dans ce séjour où je tremble, comme une fleur nubile, Ton cœur m’oppresse, Orphée mutilé, quand t’écartèle, Sous les chênes inutiles, la nostalgie térébrante ; Et ma lèvre lascive lisère ta rive et empourpre ta mer Comme la sueur du soleil frange ton dernier soir, Où s’étiole, fantomal Orphée, ton figuier solitaire ; Et dans la tristesse effacée, dans la solitude gercée , Ta verve de ciel endiablé et de faucille glacée, plonge, O néfaste Orphée, dans les hauts-fonds de la haine Où expire, obscène, mon plantureux lichen ! Dans ton cœur enclavé où gémit le désert, L’incessante épouvante sévit sans bornes Comme une tarentelle de dunes ; et tu drapes ta mélancolie Dans mes fresques modulées ; et tu rabroues l’oubli, Comme un vent vaillant, loin des toisons frustes ; Et tu te démènes, astre solitaire, dans la trame et la ténèbre ; Et tu râles et brûles, dans le silence torturé, Comme la coque et le corsaire esquivent l’écueil ; Tu t’écartes du cœur, quand retentit le gong ! Ton thrène sauvage, fol Orphée, comme une faux, Saigne la solitude et fend, comme une cognée, La glace et l’écorce qui m’asphyxient au seuil de la mort ; Et ton chant nuptial, néfaste Orphée, est un bouquet rebelle D’inhumaine mélancolie où épient, libres et sombres, Le mystère fatal et le dard d’une vipère qui me violent et m’immolent ! Tes fastes coteaux obstruent la ténèbre enfiévrée Où palpite et luit, comme une gerbe, le chêne salace, exhaussé ; Et ton océan forcené gonfle ses orgues enrouées, Lance ses vagues orgiaques sur mes glabres galets Et parsème d’écume et d’orgasmes mon sable chaud, échancré ! Dans le songe d’ombre fraîche, où tu t’égaies, où tu te rengorges, Tu verses tes délices à mon seuil lascif qui étire son délire,
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Comme un arbre gaillard, par-dessus la rotonde languide ; Et ton blé tremble, ensoleillé, ondule, mûr et nu, Et mes sens enrênés accourent, hordes et loups, S’égarent, prompts et fous, dans ton silence blessé, Dans ton sillon affaissé ! Et ton soir fruste et hostile Hache le ciel versatile, et ton fil funeste érafle L’horizon rare où rompent les lianes, où sombrent les sirènes ; Et ton insolite silence émaille d’ombre émue Et d’ombelles posthumes, l’éblouissante et blette Détresse où tu brûles et fonds, où t’emmurent sept manoirs Que nulle hirondelle ne distrait, où t’ensevelissent sept solitudes Que nulle mer ne monte, où seule ma torche extasiée Brûle l’immonde roue où gémit ton cœur fou, Comme s’essouffle l’azur, dans le soleil cynique, Dans la solitude incandescente !
Méandres Amère t’enivre l’âcre fleur de mer Où s’affole et croule, comme un regard, L’ultime pétale d’écumes et d’éclairs, Au-dessus du val que voile la volupté, Qu’arpente un cheval jusqu’à l’intime combe Où naissent les sources, où jamais Ne s’éteignent l’aréole ni le lustre ; Et mon chaume solitaire tend sa triste corde A ta cigale aiguë, dans le soleil insensé. Trône, dans ton regard dilaté, un belvédère Où un bouquet lubrique éteint au crépuscule, Deux rameuses chimères, dans la forêt invétérée Qui surgit, fugace, ajourée d’oiseaux et de rosée, Où l’âme exaltée, butte qu’épouse le matin, Expire, comme une transe, dans les célestes tresses. Vogue, dans ta moire, la main sidérale Que brûle soudain, tel un fol étalon, Un bûcher d’étoiles dans la chair suave ;
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Bruissent, dans le roc, tes secrètes sources Loin de la soif incandescente ; Sans caresses, sans arabesques, Ta secrète oseraie allume une orchidée orpheline, Dans mon silence lacustre et blessé. Tu largues une aube languide et tremblée, O cœur enroué, par-dessus le désespoir Où fume le crépuscule, où une rose s’irise, Entre sable et mousse, où déambulent, Vides, excédées, sur les berges brûlées, Comme des ombres, deux songes somnambules. Scintille comme l’astre, dans les sables, Dans l’oubli, frissonne, comme une trace, Le plaisir vivace ; et ma joie solitaire Etire sa crinière au cœur de l’ellipse ; Elle flamboie, rétive, hâtive, telle une comète ; Dans la ténèbre étale, elle râle et se pâme ! Hadès Sous l’onéreux automne, aboie, comme Cerbère, La colère d’Eurydice qui camoufle encore Le cruel Hadès où ne versent jamais Ni chant d’Orphée ni nuptial écho ; Tout un sentier hirsute où traîne, Sur le roc et la ronce, le morfil des vipères, Emmêle la nuit échevelée, à l’horizon enfiellé Où, bleu, sombra ton ciel brûlé ; Et ta fougue haineuse, embrasée qui calcine, Comme l’ordure, les funèbres fûts du lucre, Insuffle, goguenarde, à l’apocalypse rase, Une valse hagarde et lasse ; et ta colère fouaille La syrte et le silence, comme hurle et gesticule Le sirocco affolé dans la bruyère hantée ; Et le cruel cauchemar, dans la fosse et la crasse Où, crucifié, putréfié, gît ton cœur, pétrit la honte
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Incandescente et forge des jougs et des naufrages ; Et l’angoisse embrasée exulte, comme une comète, Puis tombe et éclate, comme une poussière stellaire ; Comme une mer démontée, elle se démène, enragée, Elle assiège le tertre, elle menace le saule, elle monte, Comme une tourmente sourde, et éperonne le cœur ; Et le miroir s’étoile, dans le ciel disloqué, Quand s’écroule, vaincu, l’astre descellé Qui empoussière l’aurore de ton corps perdu ; Et ton cœur se terre dans cet obscur caveau Où nul rêve ni rameau ne racolent le soleil ; Et la dernière rose du ciel dédaigne l’océan morose Où la nuit tresse des squales, où, sur un charnier De murènes, se vautre un Léviathan ; Et dans l’ombre, dans l’oubli, la mélancolie, Comme un ouragan, comme une furie, Outrage les nuages et saccage les songes avachis ; Et, comme un reproche, tu erres, cauchemardesque, Parmi les rochers guillochés, tandis que l’angoisse Crépite, comme une tempête, dans les arbres rares, Tandis que s’élance, dans l’abîme pâmé, La monture terraquée, auréolée d’azur et de glace ; Et ton vaisseau éclaté explose, comme un sanglot, Dans la gorge écorchée, dans la terre effritée ; Et ta plainte obsède l’oubli, dans la terre trépassée ; Et dans la solitude assassine, torves, se désolent Les déserts ; et d’hostiles simouns enfièvrent Le cœur veuf et poudreux ; et d’abjects scarabées Pétrissent des tristesses stercoraires ; et des sorciers Fourvoyés se fanent comme des bouquets résignés, Dans le soir funèbre où s’écorchent des cris aigus, Où une hirondelle érafle la brune mélancolie.
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Emphase Comme une tunique pudique, tombe l’attente Froissée, au pied du silence impatient ; monte, Comme une marée mordorée, la chair prodigue Et solaire ; telle une source, tel un désert, Elle brûle et désaltère le sphinx cabré, extasié. S’entassent, comme des reproches, dans le cœur Rance, des épaves de silence ; s’élève, muette et sévère, Dans le ciel pâle, la brume drue et suspecte. Quel panache de palmiers assouvira, O ferveur solitaire, la ravine bridée De ton oasis assiégée où ton bref azur Féconde le cœur terrassé, où des racines Soudain tapissent la solitude crevassée, Où un myrte miraculeux trempe Ses rameaux dans ta belle orbite ? Ton ruisseau rutilant fouette les arbustes De ma rugueuse savane, et, telle une sève, Lustre mes fugues d’herbe. Tes hardis Promontoires assiègent, de toutes parts, La chair immergée, mais où s’engouffre, Tel un ciel incandescent, le soir naufragé, évanescent. A l’aveugle épave qu’encroûte comme une taie La plate anecdote, tu arrimes, hâtif, ton disert esquif, Quand menace l’océan, quand sévit le silence. Des yeux dépucelés s’épanche une cascatelle, Comme émerge, du lac immense et complice, Deux fiers nénuphars ; comme deux oeillets infatués Qui tremblent, clairs et nus, dans le blé mobile et blond, S’épanchent du corset terrassé le ruisseau et le plaisir !
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V Rages et arpèges Aubade Brise et prose arrosent et grisent ton arche, Ta démarche ; vers et vents assaillent Et forcent ton silence, ton indolence ; Gai bond pudibond, fouille, bredouille, L’orée de Cythérée ; gaie rive, fugitive, Esquive le feu, le faune. Cambrure et échancrure, suggèrent, Exagèrent luxure et architecture ; Danse et élégance bercent, Renversent charme et chair. Lèvre ivre brode galbe et grève ; Lèvre fervente, de peau, de pente, Scande une transe. Peur et pudeur prônent puéril exil ; Plis et repli musellent le zèle Et comblent d’ombre la terre promise ; Splendeur et chair ont la ferveur Du sable, du désert ; ferveur et chair Ont la splendeur des vagues, de la mer : Naufrage et fléau menacent La soif et son vaisseau.
Charmes
La tristesse secrète amortit l’élan, bride la brute, Ajourne la fête, la chute ; la lèvre enfiévrée Tâte, flatte la superbe glèbe qu’envoûte l’attente,
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Que l’ode féconde ; la soif défriche, entre cheville Et hanche, le massif d’extase ; La longue voie Accore, inouïe prodigue le déduit à la langue, Au dilettante ; rutile la volupté qu’un liséré de rêve corsait ; Brûle la lampe qu’un filet de nuit fêlait ; lampe, volupté, A feu doux, flattent, enchantent, le silence hébété, Le soupir ivre et fou ; comme un étalon, comme une fougue, La main errante, velours ou airain, folâtre et étreint Figues et fleurs ; L’aveugle chemin, sur le pigment, Sur la grève, tâtonne et rêve ; sous la couronne noire, La ligne est une épure où, hautaine, souveraine, La gorge se pavane ; les plantureuses crêtes, Comme une fête, comme des comètes, Avancent, susurrent, sous la lèvre mûre.
Pétulance
Enfin se déchaîne, longtemps refoulé, le chant exubérant ; Enfin se démène, longtemps ravalé, le vent véhément. Les souffles, l’éloquence, t’enlacent, t’agacent ; Les strophes te tancent, t’encensent. Endure fiel et rafales, savoure miel et louanges. L’allègre lumière rosit, bleuit tertre et matin. La sereine cavale dételle, aile le cœur solitaire. La languide vigueur enchante le bouge Où s’épanche le songe ; la brise dissipe brouillard Et langueur ; le souffle s’engouffre dans l’âme muette Où moisit le souvenir, où se fane l’avenir ; l’âme comblée, Corolle et girandole, prodigue à l’effroi des gerbes de joies. L’ardente mer qu’enivrent et atterrent l’amour, le dépit, Sans cesse clapote, sans cesse glapit ;
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La mer sans fin s’élance, étreint ; sans fin Gonfle la vague, sans fin égrène l’églogue.
Fêlure
Dans la ville et l’exil où la coque et l’étrave Heurtent cryptes et épaves, la joie furtive Est chétif esquif qu’assiègent et menacent La haine et l’écueil ; le silence hardi, Comme un incendie dévaste la ville ; Hôte impromptu et despote, il investit La rue, épouvante la cohue ; comme Une cohorte, il brise truismes et arêtes, Pulvérise l’insane vacarme ; dans la clairière, Croît la pierre qui conquiert et enterre ; Le séisme du poème ouvrira la clairière, A la chimère, au mystère, à l’âpre douleur. Dans la gangue bègue du colossal soleil, Je m’entête et halète ; m’embrasse et m’oppresse, Comme un aveugle vitrail, le marbre rogue du soleil ; Comme une faucille, ton souffle incise La fournaise obèse ; comme un sourire, Il resplendit dans le parpaing de verre. En vain, vers et socs labourent garrigues et regards ; En vain, l’éperon du verbe sillonne silence et insolence ; En vain, rêves et sèves festonnent, d’épis et de poèmes, Canicule et désert ; en vain, retentit l’appel, au-dessus Des remparts, loin des cœurs sourds e reclus.
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Divine dune
Tu dissimules, rive mûre, ta dune d’extase, Sous le moellon et l’anathème ; Tu dérobes, dune enchantée, ta source d’emphase Au regard égaré, à la soif désemparée ; Tu restes sourde, divine dune, A l’océan débridé, à la passion démontée Qui balbutie sur ton seuil impavide. Tu braves rostres et éperons, et jardin et arcane, Tu émailles de pleurs et de nacre, La grappe des sourires, l’arpège des soupirs ; Enfance et fragrance, hymne et lilas, Défiant suie et bruit, sur tes figuiers, Sur tes aulnes, frétillent et rutilent, Entre l’âme et le mystère. Tu dépouilles, chair ferme et mûre, Diadème d’or et voile de pourpre ; Tu oublies, cep de soleil et de satin, Croupe de soie et de matin, volupté et bruine ; Tu évases inlassablement, chair ferme et mûre, Comme le chant des sirènes, la baie ébahie du silence. Mes doigts perdus dans ta bruyère Tressent et serrent tes rênes et ta crinière ; Mes nuits démontées envoûtent Tes lacs écarquillés et traquent, comme Orion, Ton aurore de cailles et de velours ; Mes orages débridés illuminent tes steppes Et désaltèrent tes vaux et tes rivières.
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Présent
Cet îlot d’arbres et d’ombres où jamais ne sévissent Les cymbales du soleil, est ton émoi et ton sérail ; Ce farouche castel de saules et de cils où jamais ne grondent Les orgues du soleil, est ton émoi et to sérail. Loin des rives grégaires, la solitude hauturière Est ta demeure amère, ô faste félicité ! Loin des allées dociles, la solitude sublime, Est ton aire altière, ô auguste félicité ! Entre deux orages, entre deux saccages, Je t’offre une éclaircie d’écume et de lumière, Je t’offre une trêve de songe et de mésanges ; Après la transe, après la revanche, Je t’offre un répit de mousse et de ronce, Je t’offre une halte de fraises et de faïence. Les syrtes prostrées de la stérile solitude, Dans ta colère en délire me vomirent, O sensuel océan ! Et ton âme extrême Fut ambre et diadème ; et mes sens Embrasés furent pléiade de plaisirs.
Sédition
Dans ce ciel pâli, dans ce cœur avili où la mélancolie Barbouille le crépuscule, de plaintes et de violettes, Lance dans l’indifférence, des pavés de rage, Des salves de nuages, prodigue à l’oubli qui bâille, Des diadèmes de doutes, des préludes de quête, Sans foi, sans faille, piétine sable et rocaille, Sous le feu, sous la nuée ; pèlerin idolâtre,
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Ereinte égoïsme et dogme ; nargue les ambulantes Allées de cierge et de houx où soleil et scélératesse Griment l’épine et l’épouvante ; le pas dans les avenues De la goule, lâche ton arche de dédain, Sur la houle somptueuse, sur la foule parvenue ; Et loup et Lucifer, de la cascade des croupes, Lève, sous l’œil las et esseulé, les sept voiles Du mirage, les sept masques du désert. Puisque Enfer et ferraille, dans le Léthé, S’écoulent et s’éraillent, dans les limbes, S’écroulent et s’écaillent ; puisque fer et rempart, De tresses et de détresse, emmurent savanes et platanes ; Puisque marasme et sarcasme, tels des loups, Souillent et rabrouent tes moires et tes chimères ; Ménage coûte que coûte, dans la vigne rétive, Dans l’ivresse oisive, un havre de doute et d’attente. Vois comme l’insane essor, tel un sycomore, Etarque sa cime velue ; entends comme le désir ailé Module sa plainte ensorcelée ; sens comme fourmille, Telle une joie feuillue, le plaisir rogue et aigu.
Abattement
Dans ce désert, dans cette lande où les boulevards Sans cesse rugissent et menacent, nulle brèche Ne s’ébauche, dans la fébrile indifférence, Dans la falaise du zèle défunt ; nul échalas, Nul espalier, dans ce désert, dans cette lande, n’offre De réconfort à l’enfant naïf et volubile ; Dans ce désert, dans cette lande où soleil et acier, Larrons et complices, jusque dans le cauchemar, Incrustent des haines stridentes, de cinglantes Cigales, essaiment démence et démesure,
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Fourbissent d’intolérables râles ; la ronde immonde, Chaos et délire, abîme le monde ; l’abjecte joute, De gageure et de gain, dépeuple la forêt, Mutile la voûte ; seul le fiel rebelle défie L’affreux gouffre, donne chair à la terre Et d’arcs-en-ciel envoûte les routes.
Solitude
La chair désenchantée que la solitude Désarçonne, n’est que branlante dépouille Que nulle ramée ne veloute, que nulle âme n’émeut ; Seul l’étire et l’atterre la poignante épouvante. Soudain fourbe, la solitude est ignoble exil Où sans âme ni larmes, tu gis dans une fosse ; Le désespoir fauve te renverse et te saigne ; La hyène détresse te suce et te déguste. Comme la vague, comme le vent usent Les lustres réticents, tu rognes le roc accore Et dans le désert et le désarroi, Tu fores des puits, tu apprêtes des ravins ; Qu’importe si la nue te fuit, qu’importe Si le torrent t’éconduit, la fière mélancolie Et l’aride chagrin, de poèmes et d’échos, Combleront ton cœur gros. L’aile lasse, ta ferveur rêvasse, tristement Lâche, entre bruit et mépris, des bouquets D’ombelles, des guirlandes d’hirondelles ; Le ciel tari, ta ferveur endolorie aiguise Ses griefs sur l’émeri, sur le mépris, Déracine le laurier, égorge l’espoir.
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Métamorphose
Quand le roc du désespoir grève tes rêves, Quand ta vie est une lande où prolifèrent Bruyère et bruit ; quand d’ignobles fougères Hantent tes dégoûts et tes colères, mure alors Tes clémences ; et au cœur de la démence, Erige une galère de galets et de cailloux, Une arche bourrelée de silence. Lorsque tu rompras le thrène des ornières, Lorsque, n’inhumant plus tes faux jours, Tes faux atours, sous l’opulence, sous le marbre, Tu jetteras aux vautours tes richesses Et tes charognes qui grèvent sottises et solitudes, La fulgurante douleur, comme une ruée de gnous, Ravagera ta savane ; l’insigne douleur ornera d’ormes Et de larmes le delta exondé de ton âme ! Entends-tu geindre, dans ce silo de platitude, Ta graine esseulée, ton âme étiolée ? De tes griffes, de tes griefs, creuse dans la peine, Creuse dans la haine, une galerie d’enthousiasme Et de rêve. Le corps ensanglanté, mais le cœur vif, Enfouis ta graine, enfouis ton âme dans le tuf Et, sur le bourgeon raide et ravi, verse, Comme une fontaine, un filet de frisson et d’émoi, Epands, comme une voûte étoilée, Une rutilante poussière d’effroi.
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Prédation
Au terme de l’infernale randonnée, A présent, l’enthousiasme fourbu, Tu regrettes la grâce et le frisson Des bains d’ombre, dans le lac, Dans le bosquet ; à présent, te dérobent, Loin des allées du cœur, les noires ruelles De l’œil hostile ; t’affligent, à présent, Dans le joug du regard, l’insatiable rut Du désert qui peuple les impasses De virulentes vermines et de scélératesse mesquine ! Comme l’arrête du doute, la mâle mélancolie T’étranglera, te brûlera ; la joie impromptue, Comme la foudre, égaillera ta carapace ; L’âcre bonheur fondra sur ta carcasse, Comme un rapace ; l’âcre bonheur hachera, Comme un glaive, ton cœur bref ; Comme une tornade, l’ultime bonheur Dispersera l’archipel de tes rêves !
Prodige Thaumaturge forcené, tu emblaves d’amour et d’humus Le délire hagard des rues ; tu éparpilles semences et poèmes, Dans la glèbe, dans le goudron, sous le fracas béotien, Sous le pas pharisien ; dans la rue éberluée, tu arroses, De tes sources taries, le silence des pousses ; et, d’une main Emue, tu cueilles un délicat bouquet de fleurs et de félicités. Tu fuies l’infect carnaval, le charnier fatal Où sous l’uniforme, sous le masque, pourrit le corps Mutilé, croupit l’âme ratatinée ; où l’horrible sanie, Sinistre virtuose, rompt son pâle archet, Sur le violon de tes côtes ; où l’ignoble Gangrène, sinistre virtuose, brise ses phalanges,
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Sur le clavier de tes vertèbres, tu secoues manteau Et mensonge ; tu sculptes, comme Procuste, Comme Pygmalion, dans le marbre informe, Dans l’infâme dépouille, une vigueur rétive Et obscène, une nuit robuste et saine Où pendent des pommes d’or et d’erreur. Si l’incendie t’étreint, si la passion t’embrase, Enfouis ta relique, sertis ta châsse dans le cœur, Dans le tabernacle ; de fuite en chute, l’abrupte Pente t’entraîne dans la cécité, dans le silence ; La farce t’évacue, piètre comparse, ombre Et accessoire, élaguent ton corps, murent ton miroir !
Corps et âme
Ce corps est une maison, bondée de plaintes, Cette âme, une prison repue de disputes ; Quand âme et maison se dilatent, Des guirlandes de silence, d’espace Fleurissent et s’épanouissent, soudain, La prison et le corps, hymne et diadème, Chantent l’entente ; tant d’hôtes me hantent, Telle l’interminable meute ; tant d’hôtes Feulent et hurlent, désertent heur et demeure, Quand faveurs et clameurs brament et meurent ; Tant d’hôtes s’échinent, s’acharnent sur des figues Bègues, pourchassent et assiègent des empans de chair. Ton âme d’élite apprivoise le plaisir, Ta réserve sereine amortit et freine Le bond ivre, le fauve délire ; Sens et pétales cueillent ce météore, Ame et corolle pulvérisent cet or ; Délices et constellations rebondissent Longtemps, amour et rumeur, Entre rive et mer, entre âme et chair !
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Sacre
Quand le soleil transperce la chair Et disperse poèmes et chimères, La luxuriante mélancolie Offre au poète ombre et abri ; Quand le soleil châtie la chair, La sereine mélancolie octroie Sombre songe et traître toit A l’âme altérée, au cœur ulcéré. Enfin agonisent le manège et le jour, Amarres et devoirs se relâchent ; De l’échine moulue, glisse L’écrasant supplice ; l’oppressant Sanglot et la plainte incertaine Piétinent, enlacés, le dégoût Et l’ordure, le fumier et l’injure. La solitude est une citadelle Où toujours rôde et bavarde Le cœur reclus et rebelle ; La solitude est un bagne D’où jamais ne s’évadent L’âme volatile ni le cœur fade ; Brèches et tunnels sont mirages Qui rendent âpres et amers Réveils et remparts. Quand s’achève, Dans le cœur désert, l’aveugle chagrin, L’hôte souverain rompt soudain l’exil, Investit le cœur chagrin ; flot et bonheur Dispersent coque et cohue, L’astre suzerain illumine la mélancolie, Ennoblit et sacre le cœur ! A l’orée du désir, au cœur du désert, Tu trembleras comme la flamme,
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Comme l’anxiété, sous l’ouragan, Sous le brame ; au faîte du désir, A l’orée du plaisir, tu vibreras, Comme le rire, comme la rosée, Sous la braise, sous la grêle : Au faîte du plaisir, par-dessus le menhir, Tu planeras, comme la caresse, Comme le condor sur les vergues de ma vigueur !
Flamme éphémère
Dans l’humble tristesse où les soirs t’acculent, T’annulent, l’âme solitaire est éveil, L’âme solitaire est attente, dans l’irrémissible Impasse où les jours rétrécissent, s’effacent ; Avec colère, avec dégoût, la flamme attentive, Ame désabusée, brûle l’infamie, calcine l’ordure. Nuit à peine éclose, la cascade d’azur, Chevelure et cavalcade, déferle sur l’esplanade ; La bourbe des lampadaires où s’enferre La horde grégaire, éclabousse basques et frasques ; Le jour sournois, foudroyé pend des bribes, des quolibets A la lèvre éculée, à la gouttière ensorcelée. Le tyran, l’ouragan arrachent la branche Où le lierre parasite accroche et abrite Arrogance et insouciance ; la feuille tremblante Et morte connaît vertige et chute, roule Sur le roc et le doute, saigne sur la ronce.
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Ressac
Un soir esseulé, dans le songe, dans l’abîme, L’angoisse égueulée terrasse l’âme ; Comme un érable vulnérable que l’autan Assiège, saisit, de saisons, d’horizons transie, L’âme atterrée, trouble gémit et tremble. Souci et obsession, comme le ressac, Creusent et brisent sable et hamac ; L’angoisse tenace, comme un pic, Comme un soc, ébranle terre et roc Entre désir et avenir ; avec ses crocs, Avec ses meutes, le temps attend, Comme une émeute, que défaille La chair, que s’épuise le sang. Dans les interstices du soir où béent Précipices et silences, l’insidieux Simoun, comme une nuée de sauterelles, Décime et consume ton corps ; Sac et ressac, vent et vagues assaillent Et disséminent l’âme et la flamme. Comme le fiel, ciel et prunelle scellent Cloche et reproche, vrillent voûte et doute, Dans la ville sénile ; le soleil veille, Attise malaise et braise, Dans le foyer captif, dans le cœur rétif. Temps et patine, de suie et d’hiver, Abîment et altèrent corps et carrare ; Patine et ruines, d’enflure et d’injures, Couvrent et occultent idole et aurore ; Ruines et misère apprêtent un suaire D’indolentes saisons, de pesantes prisons ! La grâce frelatée s’ébroue en morsures, S’égaille en cactus ; l’hymne languide
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Que l’insulte rabroue, à perte de rêve, S’enroue dans l’épinaie aride.
Sévices Comme un forcené, marche et bronche, Loin de la meute qui te torture, qui te hante ; Comme un forcené, fuis et cours, loin des cris, Loin des sanglots qui saccagent, Qui secouent tes rêves et tes viscères. Tu es un château hautain mais hanté, Loin de la terreur, loin de la forêt ; Dans le jour inculte, dans la dérision Et l’insulte, tu lâches soudain Des vampires de cruautés et de peur, Des loups-garous de sang et de sueur. Ton cœur parfois, las et lucide, largue Les amarres, déserte port et imposture ; Ton cœur parfois ivre et grave fuit havre Et mirage ; corsaire ou don quichotte, Il enfourche parfois la mer éphémère, Brise sabre et doute sur l’airain et la mort ! Otage du désert, déploie à présent ; Comme un mirage, dans le sable, Dans la fable, un haineux menhir, Un douloureux délire ! Pressens-tu la semence, la graine souveraine Qui se morfond dans le silence entre doute Et détresse ? D’amour et d’aiguail, Le miracle éclot et ton âme s’éveille, Mire soif et désir, dans la flaque d’azur !
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La mort de la terre
Terre que le cœur épouse, tes plaintes, Tes plaies sont lèpre dans le lucre ; Terre que le cœur vénère, tes vallées, Tes rivières errent amères entre bagne et galère ; Terre que le cœur idolâtre, l’hérésiarque pleure Ton agonie et, concis, pleure le bonheur ! Halte à la haine, halte à la guerre Contre la mère, contre la terre, Halte au viol, halte au vitriol, La terre se meurt, la femme est en pleurs ; Renonce à l’avarice, renonce aux sévices Qui souillent ton âme et massacrent La terre qui est amour et mère ! Indigne troglodyte, insigne parasite, Tes sinistres sirènes éteignent les chants de la terre ; Sous ta vorace cognée, se démènent frênes et chênes, Plaines subjuguées, montagnes éventrées Gémissent et pleurent ! Indigne parasite, Cette terre que tu lacères sera bientôt Ton calvaire, ta tombe et ton ossuaire !
Ethique
Apprends résistance et endurance ; défie typhon Et torrent ; romps laisse et glace ; architecte tenace, Dans le détroit et la détresse, dispose des golfes De fugue et de fougue ; ménage, dans la peur et l’erreur, Des labyrinthes de prouesses et d’allégresses ! Rétracte ton cœur aux dépens de tes savanes ; Tourne ton regard vers les plaines hagardes ;
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Raille faux et camarde qui épouvantent la moisson ; Serre la longe qui rétrécit et s’allonge ; d’esbroufe Et de serres, grève le doute et larde la terreur. Epuise en faux jour, épuise en tours hypocrites, L’insondable nappe de ta gaîté ; dilapide En grâce lasse, dilapide en turpitudes fades, L’inépuisable fontaine de ta gaîté ; consume En feu et en faille, consume en chaume Et en paille, la flamme et la fougue de ton chagrin !
Lamentation Au frère fracassé
L’âme désolée et le songe désert Eveillent l’épouvante d’une descente aux enfers ; Mon âme est ce toboggan où sans cesse tu hurles, Que sans cesse tu dévales, où sans fin tu appelles et te plains ; Mon âme est ce gouffre où, brisé, écrasé, tu palpites Et souffres, sous la gerbe pourpre, ô rêve en dérive ! Lorsque, vile et putride, d’angoisse et de suie, M’ensevelit la nuit ; ta gerbe rebelle, horreur, M’effleure ; et des loups et des insultes étranglent Ta verve fracassée ; et des ruées de cauchemars Torturent nos peurs et nos pâleurs ! Parce que toujours méandres et détours, Parce que toujours lenteurs et déroutes Répugnent à ton cœur ; parce que toujours Agonisent l’air et la rue, parce que toujours Saigne l’issue, tu dépouilles solitude Et détresse, tu dépouilles mère et sagesse ; Météore furtif, tu te drapes dans l’avalanche Du jour ; astre fugitif, tu t’effaces Dans la valse de la nuit ; le couteau de ton cri, Le brasier de ta chute, criblent de regrets La terre navrée, la terre illuminée, la terre endeuillée
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Table des matières I L’archipel du silence Plénitude Emoi Feu filant Recrû Promesses Haute beauté Vertige Prison Néfaste Somnolence Spasme
II Foudres d’Aphrodite Madrigal Ivresse d’Eros Dévoilement A rebours Archée
III Corolle des coeurs Transhumance Cécité Vénusté Amer Veille Décombres
IV Thrace d’Orphée Arpèges Stances d’Eurydice Agonie
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Méandres Hadès Emphase
V Rages et arpèges Aubade Charmes Pétulance Fêlure Divine dune Présent Sédition Abattement Solitude Métamorphose Prédation Prodige Corps et âme Sacre Flamme éphémère Ressac Sévices La mort de la terre Ethique Lamentation Table des matières
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