Comme Des Tessons Qui Brillent Sur Le Mur

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AHMED BERROUHO

COMME DES TESSONS QUI BRILLENT SUR LE MUR

Décembre 2005

Le Départ La maison qui est restée claquemurée pendant des années s’est ouverte aux retrouvailles et à l’été. Des cris et des larmes ont salué le retour de la famille regroupée. Des jours et des nuits ont presque fatigué le bonheur. Puis l’échéance du départ est arrivée. La dernière soirée est encore joyeuse mais déjà une anxiété perce. Les rires se taisent dans la maison longtemps vide qui a retrouvé l’air libre, le soleil franc et la parole mêlée aux éclats de voix. Entre les murs réticents où naissent d’étranges cauchemars, cette nuit sera la dernière pour la famille que le temps a dispersée ; même ceux qui rentreront chez eux dans un autre quartier de la ville, ressentent une tristesse irrésistible. Mais les autres qui vont prendre le car, le train ou l’avion pour partir loin, sont encore plus graves et plus silencieux. Pour retrouver leurs quartiers d’hiver, ils sont obligés d’extirper violemment ces racines douloureuses qui les collent au reste de la famille. Hélas, pour eux, l’hiver ne dure pas deux ou trois saisons, comme partent et reviennent les cigognes mais des lustres et des décennies à l’instar de ces cigles du Texas qui restent dix-sept ans en terre avant de sortir muer, se reproduire et mourir, laissant des larves qui devront se terrer longtemps encore avant de revoir le jour à leur tour.

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Ici flotte un parfum pervers qui colle à tout et suscite un tremblement d’angoisse et d’épouvante comme si l’abîme du temps avait bâillé, odeur pénétrante et indélébile rôdant comme une hyène enragée autour des ces proies faciles, guettant un moment de solitude rêveuse pour mordre et instiller le venin qui tuerait ces êtres profondément troublés. Comment en effet ouvrir sans risque la boîte de pandore du passé, au fond de cette grotte de cyclope, qui s’emplit pendant des mois et des années de rancœur endolorie où les joies s’effritent et tombent, où le malheur seul reste debout dans son masque hiératique et tragique ? Le retour est certes une joie qui dilate le cœur, qui ablue le regard morne et empoussiéré, qui rend momentanément caduque l’armure de l’ennui et la carapace de la résignation qui ont été si précieuses dans les traverses de la nostalgie et le coupe-gorge de la solitude. Les retrouvailles éclatent et chantent une fête que tout le monde goûte à plein gosier. Cependant une fois avalé, ce breuvage âpre tant attendu, tant désiré, laisse en passant, une trace amer comme si dans l’allégresse insouciante et légère, veillait, comme un mauvais augure, l’inquiétude du temps qui vole. L’angoisse inscrit son sinistre coin dans le rire le plus franc, dans le bavardage le plus futile. Tout ici devient grave et les morts ont une présence qui oppresse.

Morgue Comme un frère cher longtemps attendu qui arrive et s’en va, le monde que tu as depuis toujours épousé, prend inexorablement congé ; il se dresse, lance un adieu à la cantonade puis s’arrache brutalement des mains éplorées qui le retiennent. De sa longue foulée insouciante et jeune, il part, sourd aux plaintes inaudibles qui le rappellent. Les yeux mêmes le perdent soudain. Désormais, ta solitude est une forteresse moite et froide où des détresses foulent ta poitrine opprimée qui geint, où une meute déchire ton cœur vulnérable qui se souvient.

Bref comme un coin Je regarde le jour brûlant qui s’affaisse ; Chagrin et angoisse me sautent à la gorge ; 2 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)

Dehors, épie un monde pressé qui me répugne ; Ce que j’aime comme un songe, s’éloigne et fuit ; Quelle nostalgie calcine ce cœur vieux et rassis ?

Exaltation Une interminable après-midi papillote et radote, Comme une grand-mère naïve, tombée en enfance, Devant le vitrail de la fenêtre ouverte qui resplendit, Sous le baiser encore incandescent du soleil solennel Qui te saisit, te tâte et te secoue, parmi les arcades fugitives Des hirondelles sonores et promptes qui écrivent, Dans la mare ahurie du ciel apprivoisé qui halète, D’inintelligibles paraboles larges et sifflées, où l’amour Est un rêve d’enfant qui sans cesse se noue et se dénoue ; Par la baie superbe et spacieuse qui tressaille et rit, Où les volutes de la ville s’effilochent, matées, avilies, Tu contemples la formidable lame de l’univers illimité Qui ondoie, lourde et fière, jusque dans tes côtes Où ton cœur couché bat de bonheur muet et infini, Par-dessus les rumeurs et les mensonges translucides Des compatriotes indifférents qui travaillent et courent, Qui mangent, coïtent et rotent, au fond de la grotte salie !

Il suffit

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Tu es seul et triste et désoeuvré, devant ce monde étranger que tu vomis ; de très loin, des souvenirs te brûlent les yeux, pareils à des braises incandescentes ; ce que tu aimes, se dérobe derrière des falaises plus hautes que l’Himalaya, toi qui attends, seul et debout, dans cette grotte d’ombre humide et moisie où tes ardeurs refroidies s’éteignent, où tes désirs déçus s’évaporent, où la trame ténue de tes illusions se rompt ; il suffit, ô toi qui sèches, las et ramassé, comme un fagot orphelin, au fond de ce trou de solitude ingrate et jalouse où d’affreuses cordes te ligotent, il suffit, comme une comète sale et glacée, sillonnant inlassablement les immensités vides et perdues, qui entre sur scène, propre et maquillée, et donne la réplique au soleil ; il suffit que, dans le roc recroquevillé, une porte inopinée s’ouvre, que des arbres, comme des héros, se penchent et te sourient, que le vent qui hennit si loin, ressuscite le poulain de ton enfance, que le jour pourpre couvre de son éclat le bonheur inattendu qui te flatte ! Une femme ivre Marcheur improbable, tu arrives, comme un rêve, dans cette avenue boisée qui te plaît, où des figuiers apprivoisés s’alignent, main dans la main, comme des écoliers, devant tes yeux amusés ; ils miment ainsi une course folle d’arcades profanes où la nuit cache ses haines et ses ivrognes. Sur l’asphalte cycliste qui s’étire, grenu, que gonflent des aphtes, tes chaussures raclent le sable rebelle qui crisse. Derrière l’édicule silencieux,souvent fermé, où poireaute quelquefois un uniforme fripé qui s’ennuie, dorment des massifs sombres que d’énormes dattiers surveillent, tandis que,dans les clairières imberbes, se démènent des coureurs débridés et des footballeurs fougueux. Engoncée dans sa djellaba scandalisée, une femme à l’haleine brûlante, jette des insultes puis pète et rote et titube sur ses courtes pattes, comme une bête entravée, devant les ballons bariolés qui sautent, retenus, dans le vent gai du soir.

Le désert Tu nais et grandis dans la vallée qui t’accueille et te nourrit, Où, parmi les jours mornes qui tournent comme un manège, Tu humes, insouciant, le parfum des heures gaies et claires ;

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Puis le printemps claque la porte et s’en va je ne sais où ; Des journées ennuyeuses, biscornues sont prises de délire ; Des faux mal intentionnées émondent les rares arbres Et rasent alentour les peaux de pelouses étriquées ; Ensuite le désert arrive qui décharge les dromadaires Et s’installe, lourd, comme une flambée de coups de soleil; Dans mes terres dures et craquelées, il déploie Ses hordes perverses de corsaires fous qui saccagent Et renversent et brûlent mes arbustes chétifs et humbles ; Et, dans le creux fumant de mon val mort et calciné, Il plante d’inextricables dédales d’oponces hostiles. Ecran stérile

La chambre fatiguée jette dehors le jour cabotin, baisse bruyamment les stores qui crient et se barricade dans un silence ennuyé et boudeur. Elle s’emmitoufle dans son peignoir doucereux et s’allonge sur la banquette pour rêver et dormir. Mais les hauts parleurs diaboliques se réveillent et vomissent sur les murs sourds qui somnolent, des chants bruyants qui se croisent et s’entrechoquent. L’unique lampe effrayée implore un regard que tu lui refuses. Sur l’écran complaisant où des pages t’épient, qui défilent, où sursautent comme des chauves-souris, des images alléchantes qui t’agacent, tu déroules une pelouse d’herbe blanche et acquise qui attend. Mais les phrases que tu courtises refusent ce pique-nique improvisé et te laissent seul devant cette fenêtre vénale qui te trompe. Dans tes oreilles, une radio espagnole lâche une partition diabolique qui effarouche les jeunes chevreaux nés avant terme et qui attendent dans une pouponnière insane. Silence Les os refroidis, les muscles engourdis, tu te recueilles dans ce coin morne ; les murs complices s’écartent brusquement ; tu te retrouves étalé sur la terrasse vermoulue qui continue à rêver dans la nudité humide de la nuit. D’une voix aride et caverneuse, le ciel te gourmande 5 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)

comme un père en colère. Dans la nuit drue qui tremblote comme une mer apaisée, le berger poète rameute le troupeau hilare des étoiles et des galaxies. Des pelotons de silences autistes et sceptiques, viennent ourdir une trame fatale dans ton âme impuissante et conquise où la sécheresse a presque tari les sources du val enclavé qui ne sourit plus, que le sirocco saccage. Public Ne peux-tu faire un pas dehors sans te donner en spectacle ? Ton âme est un puits noir et tari où aucune eau ne chante depuis longtemps ! Ta plaque est en train de dériver irrévocablement en plein océan ! Ecrirais-tu pour les squales béotiens et sourds ? La solitude qui n’existe pas, te bouffe comme un cachalot sans que se rompe le fil ténu qui te relie à autrui et qui te serre la gorge à t’étrangler ! La solitude D’un pas lourd et disgracié, je déambule en battant d’une semelle inutile le trottoir pauvre et vil. Je n’en finis pas d’errer autour de ces forteresses ambulantes qui grondent et rotent dans l’air du soir revigoré. Je m’en vais je ne sais où, l’œil égaré et terne, traînant derrière moi, ce corps lézardé, décati que rabrouent pareil à un mendiant la vie qui passe et la gaieté qui fuit. Je suis un promontoire friable et maudit que l’océan avale ; je suis une Atlantide moderne et ridicule qui se détache du continent indifférent et s’enfonce, délitée et perdue, dans les sables sadiques et sourds qui la kidnappent, dont l’âpre ironie la ponce et la tatoue. Je suis une vieille demeure ensauvagée qui se tait devant les camps enfumés, devant les haies d’oponce coruscant qui flamboient au soleil clément du matin. Mais les routes d’enfuient, mais les arbres plongent dans l’oubli, mais les oiseaux qui tournoient encore, disparaissent dans un nuage blanc et effilé qui tue. Dans les limbes désolés que j’habite comme un anachorète, je suis une chenille qui mue et mes sens libérés se lèvent pour me quitter. Ma bouche perd ses mots les plus familiers et dans mes yeux les rêves sont rouges et hallucinés. Ne suis-je plus qu’une lamentation infinie de vieux désert insatiable et solitaire que tout déplaît ; quand le simoun s’en mêle, mes dunes fustigées, écartelées lancent un chant de douleur qui hante l’immensité. Ami, il n’y a plus ni grâce d’Orient ni cendre d’Occident ! Dans ton âme déracinée que les distances ébranlent, où la vérité haineuse se tait 6 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)

comme une marâtre, où l’espoir dégénéré chante faux, des châteaux de pisé ancestral montent et tombent comme un chassé-croisé de vagues têtues, récalcitrantes que l’océan vomit. Une minuscule promesse de poésie Des jours quelconques s’égrènent, identiques, au seuil anesthésié de ton âme vide et frustrée, où, dans l’azur désenchanté de ton triste cloître,des vautours de saisons rapaces planent et plongent et emportent la nichée des soirs étourdis. Au pied du lit qui regrette ses oliviers dégénérés, un aréopage d’années charognards lorgne ta chair faisandée qui glissera bientôt dans le ravin cynique qui ricane. Comme un rêve ralenti où des clowns hyperboliques rabâchent des gags indolores, tu vis, sombre et assis, sur ce banc ingrat d’heures revêches qu’emporte un délire frénétique qui t’éclabousse, toi qui ne rougis même plus devant les meubles pantois et les murs scandalisés. Dans ton théâtre délabré, sur la scène négligée qui se fend, misanthrope, des chats de gouttières achèvent leur repas putride. Et tu regardes, dans la coulisse déconnectée, marcher sans arrêt, sur le plancher qui gémit, un vieil acteur abîmé qui scande inlassablement des loques ineptes d’inintelligibles phrases maladroites où étouffe une minuscule promesse de poésie.

Recel

La nuit maternelle et fragile tombe sur un monde fripé qui s’effrite. Sous les coups amortis de tes semelles iconoclastes, il s’en va en poussière. N’entends-tu pas l’écho dispersé d’une plainte solitaire qui gémit ? Sous le vaste paletot de la nuit dont la trame usée s’étoile dans la brume hallucinée, entre les deux larges trottoirs qui somnolent déjà, une chaussée maudite reste bêtement, scandaleusement étalée sur le dos comme une putain, tandis que des bolides frénétiques et pervers l’enfourchent et la transpercent. Dans les oripeaux des ténèbres incertaines et lâches, tu promènes des yeux secs et ton cœur coriace répudie ce théâtre triste. Là-bas, sous la tente de la nuit, entre la double rangée des figuiers encroués, sur ce ventre de prostituée noire que marque une longue traînée de sperme indélébile, ton double ridicule et dément, le regard fixe, les bras tendus comme des ailes, avance sur in fil imaginaire tendu à même l’asphalte, 7 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)

s’efforçant de préserver un équilibre instable, entre deux éclairs de voitures rares et irritées. Dans la fraîcheur du soir qui rigole et fume, il joue au saltimbanque sous ce chapiteau désert où le feu, sur sa fourche sinistre, continue à darder sa lumière versicolore. La détresse secoue comme un tourbillon ton âme décontenancée. D’affreux sarcasmes montent à l’assaut de ton esprit que la surprise affaiblit. Quelle nostalgie investit soudain ton âme prostrée, quels tourments la dépècent quand tu marches sur le fil du rasoir comme un damné au milieu des avertisseurs qui te torturent et t’écartèlent ? Le malheur noir qui te saisit pour ne plus te lâcher ; le malheur qui lâches les chiens de la haine sur ta chair qui trébuche, folle, au bout du chemin ; le malheur sans nom qui te dépouille, qui te déshabille, qui te livre ligoté à la foule stupide des lyncheurs ; le malheur rapace qui te déchiquette, te libère étrangement puis tu ressuscites incontestablement. La nuit tombée fume sous les projecteurs bleus que le ciel sombre exalte ; le vent est un ami immémorial qui se souvient, qui accourt t’embrasser, au pied des arbres apprivoisés qui parlent l’unique langue belle et sonore que tu caches et chéris et que les hommes ont oubliée.

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