Aphorismes

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Ahmed Berrouho

Aphorismes

La mort, en dérobant certains de nos proches, nous les donne définitivement, tandis que la vie nous prend ceux qui survivent.

Il l’aima follement, passionnément, l’espace d’une semaine, avant de la regarder.

La fréquentation prolongée de certaines personnes nous transforme en fauve.

L’onanisme à deux devenait à la longue, lassant.

Il affûtait quotidiennement le fil de sa solitude à l’émeri de la foule.

Parmi la myriade des visages que sa promenade lui présentait à la fin de la journée, il ne reconnaissait que les arbres qui étaient proches, fidèles et rassurants.

Les passants qui le dévisageaient, n’avaient pas d’oreilles pour son silence tonitruant.

Une trop longue promiscuité éloigne irrémédiablement.

Si tu ne chasses pas la poussière qui couvre le prochain, elle s’entassera et l’engloutira. 1 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)

Le malentendu qui est infime au départ, grossit chaque jour et devient énorme.

Ceux qui meurent restent au port près de nous ; les autres font une courte escale et reprennent le large. Il avait beau changer de comédie et d’acteurs, il assistait encore et toujours à la même fable insipide et féroce !

Il s’oubliait parfois jusqu’à vouloir monter sur l’estrade pour prêcher mais il se rappelait à temps qu’il n’avait rien d’un modèle.

Que d’énergie vainement dilapidée ! Pourtant Eros restait misérable !

Tous les instincts se sont tus sauf Priape qui mendie, qui psalmodie toujours !

Avec une aune de peau brillante et satinée et quelques bluffs de bosses, la nature nous tend un piège irrésistible.

Il faut être excellent acteur pour devenir mendiant passable et crédible.

Les seules personnes que j’estime infiniment et pour qui j’écris, ne peuvent me lire et cela me désole mortellement.

Nous vieillissons et petit à petit nous sommes écartés, évacués : Protagonistes d’abord, simples figurants ensuite, accessoires inutiles et gênants enfin !

Au bout du regard intense qui ne cille pas, le bonheur peut être le silence, la syncope, la mort.

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Jeunes, nous avons fait de grands efforts pour nous arracher à notre famille, à nos amis et depuis nous sommes sans racines et nous voguons, faute de gouvernail, oubliés, inconnus, anonymes.

La mort nous sauve de l’éternité d’un monde qui nous ignore, où nous n’avons aucune place parmi des êtres et des actes qui nous répugnent.

Désabusé, il lui arrive parfois de perdre patience ; alors l’ultime exode le tente comme une délivrance.

Que ne donnerait-il pour entrer dans l’âme de son frère benjamin quand elle se trouvait entre le quatorzième étage et le camion sur lequel le corps a porté ?

Il aimait la pourchasser, comme le loup traque la biche, avec des éclairs cannibales dans les yeux.

Dans l’étal des boulevards, des bustiers symboliques moulent des chairs succulentes qui accrochent des appétits ambulants.

Dans cette farce galante où les rôles sont souvent intervertis, que de frais vainement dilapidés, que d’accessoires inutiles ! Qui tirent les ficelles dans ce théâtre de rue où des guignols peinturlurés paradent comme des Peaux-rouges ? La pudeur bride le regard mais l’obscénité brûle la langue ! Un silence autoritaire et braillard couvre un dialogue intime et secret sur cette scène hypocrite.

La poésie est-elle morte et enterrée ? Les poètes actuels sont-ils donc des embaumeurs et des fossoyeurs ?

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Nous sommes orphelins de la parole haute qui dit, qui enrichit, qui chante, qui rassasie !

Les saturnales sont terminées. Que chacun reprenne son rôle !

L’échec des tentatives réitérées pour amender l’homme et réaménager la société, était-il inévitable ?

La liberté a été longtemps considérée comme un péril et un mal qu’il fallait étouffer dans l’œuf.

Selon qu’elle est vue du dehors ou du dedans, la liberté n’a ni le même prix ni le même poids !

La liberté est le grain de sable qui détraque toutes les machines politiques et despotiques.

Toute civilisation bâtit pour durer. Or rien de solide ne peut être bâti sur l’homme.

Les générations qui se succèdent sont des chaînons qui ne forment pas nécessairement une chaîne. Cela rend difficile, voire impossible le choix d’un cap sûr pour une civilisation même avertie.

Celui qui goûte à la perfection ne serait-ce que l’espace d’un instant, est vouée ensuite à traîner sa carcasse dans un morne désert.

La vie comme la cuisine veut qu’on varie les ingrédients, qu’on mélange les saveurs.

Nous sommes tous à la poursuite d’un bonheur qui nous serait fatal. Nous ne pouvons en supporter ni l’intensité ni l’aridité.

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La vie sur les sommets est d’une monotonie infinie ; il y manque l’attrait de la diversité, les ruades de l’humour et gare à l’asthme pour ceux qui ont le souffle court !

Fou est ce poète qui érige un palais et couche chaque nuit dans une chaumière.

La poésie est-elle devenue un miracle de prouesses funambulesques et le poète, un apprenti équilibriste. Paradoxe de la poésie : forger, dans les ténèbres et l’abîme un ouvrage simple, fier, fort et clair, au point d’éblouir les aveugles.

Quel artiste, approchant l’homme de trop près, garderait intacte la ferveur qui le soulève.

Le silence ressemble à la mer qui pousse le nageur vers le large pour le perdre inexorablement. Dans la solitude, la liberté nous pèse ; nous aspirons à l’amour et à l’amitié qui, nous l’oublions, ne peuvent qu’abolir toute vraie liberté.

L’inspiration jaillit d’une plaie vive qui exige un remède pour guérir mais qui devient stérile en se cicatrisant.

On existe si peu à marée basse ; le doute et le découragement y sont tellement nocifs qu’on se demande si ce qu’on écrit a un sens.

L’on se plaint si souvent, si naïvement de l’habitude ! Et si l’habitude était la pauvre nounou qui nous permet de rester libre et disponible ?

L’herbe, l’arbre et le ciel perdent sens et beauté lorsque le poète qui les estampille, est frappé de cécité.

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A l’étiage du cœur, seuls conviennent le silence, le sommeil et la mort.

Dès qu’on a soif, l’outre tout à l’heure pleine, devient plate !

Quelle ironie ! Attendre si longtemps pour pouvoir croître et mûrir et devoir si vite sécher !

Dans le travail de l’oubli, la mort est déjà à l’œuvre !

C’est une gageure que de lutter contre l’oubli ! Comment escalader la pente d’une dune qui s’écroule !

Constance, fidélité, sincérité jaunissent et tombent comme des figues blettes.

La pornographie devient une mystique, celle des porcs !

Adolescent, pendant des heures, il feuilletait les grands volumes des boulevards à la recherche d’une jolie phrase qui se dérobait.

Quand il passait dans la rue, comme une comète venue des confins du système solaire, il laissait derrière lui un sillage de silence et de glace.

Quoique bien portant, il craignait tout regard, tout contact, comme un grand blessé.

Sa sensibilité exacerbée l’accompagnait partout comme une cour de pitres, trahissant ses désirs, dénonçant ses secrets.

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Les autres mûrissent vite ; lui escalade encore et toujours la pente ironique comme une tortue.

Comme une planète obscure, il suivait rageusement le même trajet dans ses promenades.

Il était si riche quand il marchait, il devenait si pauvre quand il se replongeait dans sa page acariâtre et vierge.

Les tomes qu’il écrivait en marchant dans la rue, s’évanouissaient comme des songes quand il affrontait une page blanche.

Très vite, une carapace le cadenassait et pour retrouver sa verve, il fallait à chaque fois souffrir et se flageller.

Chaque pas dans cette route qu’il devait à nouveau tracer, lui coûtait.

Les autres se contentent de battre les sentiers hospitaliers tandis qu’il doit comme un mineur démuni trouver son filon dans les flancs sourds du granit.

Autrui glisse parfois une graine dans notre cœur où elle germe et prend racine. Quelle torture si l’on vient à l’extirper !

La graine tombée dans ton cœur, est devenue une plante ligneuse que tu ne peux arracher sans plainte.

La frêle pousse que le regard sème, grandit dans ton cœur qu’elle investit où elle devient l’arbuste qui suce tous les sucs.

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Quel or peux-tu extraire de cette falaise de grès empesé où tu creuses une grotte qui te méprise ?

Dans ce cul-de-basse-fosse où tu te retrouves enfermé, plus démuni qu’un cul-de-jatte, l’étoffe de tes mots suffit à peine à cacher tes affreux moignons.

Des scènes de la vie animale nous montrent combien il est difficile, quand on a flirté avec les sommets, de redescendre sur terre et de reprendre le cours d’une existence terne.

Les éphémères, les saumons, les calmars nous prouvent combien il est difficile de survivre à l’amour.

Qui est cet espion invisible et sournois qui reste tapi dans un recoin obscur de mon âme pusillanime, qui se réjouit chaque fois que je tombe, qui rit chaque fois que je me salis ? Ce traître qui s’arme d’arguments graves et spécieux pour m’inviter au renoncement, qui me gave d’antiques sophismes pour m’acculer à la résignation ? Cet horrible transfuge qui n’a cure de mon destin, que mon amour-propre écorché indiffère, qui accepte de bon cœur que je me résolve à ne rien faire, qui applaudit mes paroles amères, qui préfère me voir en proie à l’oisiveté et au sommeil ? Ce sinistre individu qui est entré comme par effraction dans mon esprit affaibli, qui me regarde avec plaisir régresser comme un crabe, qui attaque promptement mes velléités, qui décourage, comme un arracheur de dents, mes résolutions ? Ce méchant personnage qui ne sourit que lorsque j’ai les larmes aux yeux, qui couvre de boue mes enthousiasmes, qui grippe mes rouages afin que s’immobile la machine, qui vide de force et de ressources, toutes mes batteries ? Ce bourreau qui m’habite, qui me ligote et m’aliène, qui me connaît comme moi-même et m’inhibe comme un ennemi ?

Ces garçons intelligents et robustes pour qui rien n’était impossible, qui excellaient dans tous les jeux, où sont-ils à présent ? La vie a commencé par les gâter puis elle les a rabroués et frustrés ! Aussi croupissent-ils depuis longtemps dans une médiocrité obscure.

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Pour les meilleurs, la pente est facile et brève, ils l’escaladent d’une traite et se placent sur un rocher pour se moquer de nous, retardataires, qui peinons, massifs et adipeux, comme des phoques.

Cette écriture ressemble à la plongée en apnée ; chaque séance est une épreuve et un supplice pour celui qui a le souffle court !

J’ai tout parié sur la communication et j’ai tout perdu.

Comment s’échauffer sur les flancs fades et plats d’une page même vierge ?

On arrive tôt ou tard dans les relations conjugales à une espèce de service minimal.

Souffrir de la solitude ! Quelle bêtise !

Il vaut mieux être bien pendu que mal marié.

Le tigre préserve jalousement sa solitude qu’il ne rompt qu’à contre cœur et pour quelques jours seulement !

Aimant l’amour, il regarde au loin, par delà la ravine hérissée de scorpions et de vipères où il trébuche et tombe.

Triste est le jour où l’on voit sa fille, jolie, rester seule, sans prétendant, dans cette foire bruyante où le goût manque, où les jeunes gens n’ont aucune sensibilité esthétique.

Notre regard tendu vers la crête de l’avenir est un sentier escarpé de montagne que nous escaladons lentement, difficilement, où nous pince l’air froid 9 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)

de la solitude, où nous assiègent les peines et les doutes. Quel bonheur de pouvoir, avant de tomber, de se fracasser sur le rocher de la mort inévitable, serrer une main jeune encore mais déjà enthousiaste, qui saisirait le relais et continuerait la montée glaciale et austère vers les sommets !

Sans doute, est-ce le vestige d’une vieille ironie que d’appeler amour cet acte de prédation caractérisée.

Où qu’on se trouve, dès qu’on est deux, la lutte pour le pouvoir éclate, comme dans le règne animal. Les vieux réflexes s’imposent, fuir ou faire front !

Parce que des réussites vous ont donné un peu d’assurance, vous vous prenez pour un héros épique. La liberté brise les entraves qui tombent. Vous piaffez de courage. L’enthousiasme qui avait les ailes rognées, revient, enhardi. Vous vous sentez optimiste. Des semaines s’écoulent ; d’autres occupations vous détournent de la muse et là voilà qui se venge en vous rabrouant. Vous ne trouvez rien d’intéressant à laisser sur la page qui n’est que souillée comme une fille, à chaque essai. Hier, vous jubiliez, vous vous considériez comme un héros. Les miracles vous étaient promis. Aujourd’hui, vous êtes dégrisé ; la tête vous fait mal ; sur la route à prendre, il n’y a que doutes et ténèbres. Pour ne pas verser dans la détresse et le spleen, vous vous raisonnez ; vous retardez l’heure du jugement ; vous remettez l’exploit à tout à l’heure, après dîner ; vous vous débarrassez de l’étroite camisole pour baguenauder dans la quotidienneté indulgente ; vous évitez le tête à tête ; vous vous lancez dans une longue promenade qui vous donnera des idées, qui agitera des émotions, qui vous réconciliera avec l’inspiration.

Un horrible démon vous possède, qui est entré, comme un voleur, dans le fief de votre cœur pour détrôner la beauté qui y a toujours régné. Au lieu de splendeur et d’auréole, il l’encombre de laideurs, il l’emplit de ténèbres, il y sème l’ordure, la déroute et le doute. Il y insinue la rancœur contre la cécité des coteries qui n’ont d’yeux que pour les contorsions des bateleurs se démenant dans le cercle étroit de la scène que le projecteur éclaire. Dans l’esprit qu’il trouble, il lâche ses sophismes extrêmes ; il démantèle à grands coups le ksar d’argile que tu as érigé loin des regards ; il parodie la candeur qui trébuche sur le réel qu’elle ignore ; pareil à un bienfaiteur, il vous conseille en aparté le

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compromis ; il vous enseigne le prix de la flagornerie, la grâce de la complaisance ; il vous suggère patiemment, sans ciller, le vrai, l’immémorial, l’indispensable plagiat qui nourrit et sauve !

Quelle humilité te donnent ces paniers de mots que tu ne cesses de tresser et qui te narguent comme des blagues danaïdes en montrant leur trame inepte et perméable qui ne parvient pas à retenir la belle eau du ciel ouvert et de la terre hospitalière !

Bien extravagant est ce Sisyphe amnésique qui s’efforce en vain d’amadouer le présent nocturne par l’essor appelé d’une très compromise aurore à venir !

Que de fois, le pied victorieux d’un réel qui nous écrase, nous force à mordre la poussière, emplissant notre gosier pessimiste de maximes nihilistes et creuses !

Désarçonné, l’âme gorgée d’amertume, tu jettes bas l’échelle inutile ; tu conspues le beau ; tu injuries l’idéal ; Un seul vocable flatte ton palais et te rassasie : jouir, jouir !

Que pèse l’oriflamme pâle et solitaire qui tremble dans le ghetto du coeur désenchanté devant la lourde artillerie du lucre clinquant et riche !

Lorsque le silence seul déferle et te gifle, tu t’interroges, perplexe et scandalisé : « Entends-je des voix ou sont sont-ils sourds ? »

Curieux destin que celui de cet individu toujours si tard venu, qui est obligé d’affronter, avec un corps en pièces détachées, une âme que le doute ronge, semblable à une pellicule de film détérioré, une société ferrée à glace, un réel plus aussi compact que le granit et une Histoire parfaitement achevée qui n’a besoin ni de cet épisode ni de cet épigone.

Peut-on se prendre au sérieux sans mentir quand on se trouve en porte à faux au dessus d’une réalité ironique qui nous refuse toute assise ? 11 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)

A défaut de bâtir sa vie, on échafaude un vrai roman autobiographique !

Beaucoup n’appartiennent pas à ce monde imposteur et hâbleur ; Ils le traversent en silence ; leur âme retournée porte une vérité scandalisée et leurs yeux intenses et sombres parlent une langue à jamais étrangère ! Haineux, comme un trou noir, est ce regard incandescent qui fixe le bourreau levant sa faux au dessus du col nu ! Insondable est ce regard tendu qui traverse le tyran brandissant sa massue au dessus du crâne découvert ! Poignant, comme un bris de sanglot, est ce regard pendu au bras du despote qui condamne et exécute ! Tragique est ce regard détaché qui quitte ces yeux perdus pour naviguer dans la nuit inhabitée !

Ment-il, comme un charlatan, ce poète humble et dépouillé qui multiplie les miracles, qui dispense d’une main prodigue les trésors qu’il ne possède pas ?

Cruel destin que celui du poète qui sèche de chagrin dans sa chaumière pendant que ses lecteurs invités sont en fête !

Pendant que des œuvres sublimes qui ne tolèrent que les larmes, deviennent de simples strates sédimentaires dans l’accumulation géologique de la culture, penser que des riens sont régulièrement exhumés, nettoyés et fêtés par des mains nécrophores et béotiennes : cela vous assomme comme un coup de massue !

Un poème n’est qu’une graine confiée par une main impuissante au vent qui l’emporte ; elle peut tomber dans le bec d’un oiseau analphabète qui la gobe ; elle peut glisser dans un trou de rocher indifférent où elle est condamnée à pourrir sous la pluie ; elle peut atteindre un coin de terre déjà colonisée où elle n’a aucune chance de germer. Désespérément mince est la probabilité de rencontrer un terreau fertile et hospitalier!

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Parmi les traits miraculés de joaillerie sublime qui orne ce poème, la plupart n’ont d’oreilles que pour l’accent berceur et puéril de la mélodie.

Bientôt, les hommes n’auront de goût que pour cette beauté qui interpelle directement l’ignoble Priape !

Est-il aveugle et pervers ce poète anachronique qui lâche à intervalles réguliers sa charge de plomb, troublant bien mal à propos le long et paisible sommeil des justes ?

Quel public sensible et clairvoyant de boas et de taupes !

Un pas à faire encore et la vase des marais vaudra de l’or !

Bientôt il faudra bégayer pour ne pas être pris pour un imbécile !

La plupart des artistes pygmées calomnient rondement ce qui les dépasse !

Ces esthètes de la bourbe prônent une beauté mièvre et médiocre où ils se reconnaissent, et qui les flatte !

Un homme intègre et libre ne peut tenir même couché dans une fourmilière !

Ce monde qui rétrograde de jour en jour deviendra bientôt impropre au rire !

Tu es si seul, si démuni, si triste que les larmes elles-mêmes te fuient comme des vierges effarouchées !

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Ton deuil à jamais inconsolable perfore la vie comme un roc, comme un menhir, comme un promontoire sourd au sac des vagues !

Dans le bazar grouillant et bruyant où d’incessantes impasses te désavouent, quel sidéral silence de désert abyssal!

Chaque jour de ta longue vie inconfortable, tu es allé à la rencontre de la comète qui tardait ; aurait-elle changé d’avis et rebroussé chemin ?

Dans ce théâtre d’ombres, même le rire sonne creux !

Unique remède au mal, l’humour qui repousse et secoue !

Peut-on lutter contre la glace avec un cœur qui gèle ?

Sur les yeux sombres et déçus, l’irrésistible lassitude descend comme le soir !

A quoi bon pleurer ? A quoi bon rire ? A quoi bon vivre ?

A cet ultime désert qui bâille comme un cirque insane, il ne manque qu’un…

La tentation du satyre cynique, profaner l’humanité !

En ces temps pragmatiques et impies, sommes-nous d’aberrants prototypes de prophètes ?

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Pire que l’ironie qui nous repêche, est la cruauté de l’humour qui nous afflige.

L’ironie est un exercice violent qui donne des courbatures, qui laisse des ecchymoses ! Entre les artistes dispersés par le déluge du temps sur un immense archipel, quels beaux, quels vrais dialogues de sourds !

J’éprouve une telle horreur pour ce simulacre bruyant de communication que j’idolâtre le vrai dialogue, celui des sourds.

Deux sourds qui discutent campent âprement sur des positions imprenables et sûres.

Qui peut sortir de soi sans devenir renégat, sans passer, chez l’ennemi ?

En vain, ébranlent-ils, du matin au soir, le vieux métier à tisser !

Beaucoup d’espèces d’araignées ne croient plus à l’efficacité de la toile.

L’homme moderne est-il en passe de devenir une mauvaise araignée ?

C’est un réseau de détraqués où tout le monde parle mais où personne n’écoute !

Si le merle et la tourterelle recolonisent la ville où ils trouvent le gîte et le couvert, le silence migrateur qui a passé l’hiver au Sahara, survole un moment cette tour assourdissante de Babel et repart.

Quel poète imbécile peut encore jeter sa poignée de maïs aux pigeons lubriques et urbains qui méprisent l’herbe et le ciel, l’air et l’arbre ?

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Qu’importe l’attitude ignoble ou digne quand les crocs du temps déjà vous déchiquettent !

Un poème est une bouteille à la mer jeté par un naufragé sceptique.

Miracle d’une chrysalide, l’avènement d’un public de dilettantes.

Mais, ceux-là mêmes qui vivent comme s’ils étaient éternels, ne font plus rien qui dépasse l’horizon confiné où ils se sont enfermés, tout ce qu’ils tentent, est destiné à celui-ci ou celui-là.

Ce poème prodigieux est pour lui pure billevesée ! Que me chaut le grand chelem qu’il prépare depuis des mois !

Le monde est ainsi fait qu’on passe sa vie avec des gens qui ne vous apprécient guère.

Nous resterons inconnus parce que nos contemporains n’ont d’yeux que pour l’or et la chair.

Lorsque l’inflation frappe d’inanité la valeur fiduciaire, le poème volatil et gratuit retrouve des auditeurs et des lecteurs.

L’apprenti poète est obligé d’explorer sans fin les territoires de l’âme et du monde comme il doit constamment tendre jusqu’au torticolis cet arc de la langue pour lui donner souplesse et résonance.

Face à cette vie qui vous attache toujours plus solidement aux fluctuations du marché des biens et de la bourse, seul un forcené peut invoquer l’écriture !

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Le poète donne raison au philistin quand il se met à douter du poème !

Vulnérable est ce poète qui décolle à peine parmi les as du ciel qui menacent de le jeter bas !

Combien de patience et de ténacité doit avoir un poète pour continuer son calvaire sous les crachats de la cohue !

Visiteur farouche et secret qui ne vient pas quand on l’invite ! Mais quelle joie, quand il arrive et quelle grâce !

Une heure de pure lumière aveuglant les yeux trop fureteurs du jour !

La femme vint le réconcilier avec la part la plus glorieuse de lui-même !

Comme des phalènes, beaucoup sont brûlés par le désert du monde tandis que d’autres sont eux-mêmes ce désert !

Ferais-je un plaidoyer pour la vie, moi qui n’ai jamais été qu’un embusqué ?

Jeune, je n’ai jamais réellement joué que d’un œil ! Pendant que mes copains prenaient des risques et apprenaient à vivre, je me contentais de les observer.

J’ai toujours vécu dans le fatalisme et l’expectative, restant à l’écart et sur mes gardes, n’osant jamais rien !

Mon enfance a été handicapée par une sensiblerie des plus grotesques. J’avais une boule d’émotion chaude dans mon corps qui me tourmentait, me ligotait, m’inhibait.

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Devant mes camarades qui étaient partout à l’aise, qui savaient exactement comment ils devaient réagir, j’étais constamment travaillé par une lave jamais refroidie de peur, de honte, de timidité.

J’ai mis beaucoup de temps à grandir et mûrir, aujourd’hui encore j’ai l’impression de n’avoir pas quitté l’adolescence.

En poésie, excepté une sensibilité native qui m’a permis d’écrire quelques jolis poèmes à la fin des années soixante, je n’ai guère été précoce, au contraire, il a fallu que je dépasse largement la trentaine pour commencer à avoir un peu la main.

Je sais que la poésie ne me mène nulle part mais je suis résolu à lui rester fidèle.

J’ignore si la poésie pourra dans l’avenir reconquérir les faveurs d’un large public ; néanmoins, je plains ce public de passer devant une discipline aussi utile.

La poésie interpelle à la fois le cœur et l’esprit de l’homme.

La poésie raccorde l’homme oublieux et déraciné à la terre et à l’univers.

La poésie redonne à l’homme la place miraculeuse et infime qu’il occupe dans la création.

La poésie se veut forte, dure et lucide quand elle défend à l’homme toute fuite dans l’idéal mensonger.

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La poésie montre à l’homme que sa vraie grandeur réside dans la contingence de sa condition.

Son mérite n’est si grand que parce qu’il possède cette vie du corps et de l’âme qui reste dérisoire, éphémère et tragique.

L’homme ne brille tant que parce qu’il est appelé très vite à sombrer.

Le vent qui accourt te lécher le visage comme un chiot, éveille de tels souvenirs en toi qu’il t’arrive de trébucher.

Tu salues en passant le petit figuier au double tronc qui était encore nu il y a quelques jours et qui se couvre peu à peu de bourgeons verts qui achèvent les branches emmêlées.

A la fin de l’après-midi qui a été si belle et si chaude, parmi les arbres hantés et le vent musicien, que c’est dur que devoir entendre à demi mots ce paysage de chair couverte, de sable sublime et de belle dunes passant devant ton désir effaré.

Quelle courte et frustrante censure qu’une robe jetée sur ce paysage en transe !

Que de spectacles effrayants et laids dans cette ville ; la misère gonfle comme un abcès ; les nerfs sont à fleur de peau ; qu’un caissier tire un couteau contre un passager clandestin et qu’on se contente de faire descendre ce dernier sans presque rien reprocher au détenteur de l’arme blanche, me stupéfie.

Quel tour de plus en plus hard prend la mendicité !

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Les mendiants pourchassent les gens juste dans l’autobus en marche. Le passager voit tout l’art, toutes les ficelles dont on use ici. Mais il y a parfois des spectacles insoutenables ; Je viens d’assister à un épisode si surprenant que j’en reste oppressé ; imaginez un handicapé mental arborant le visage caractéristique du trisomique hideusement maculé de salive qui fait le savant et qui y va de son verset et de son hadith sauf qu’il est incapable de les prononcer, si bien que, parmi des bribes claires de phrases en arabe classique, s’enlisent des morceaux entiers dont on ne perçoit que la mélodie comme le babil d’un enfant ! J’ai été tout le temps mal à l’aise, tiraillé entre la fureur et le rire car la mimétique était inepte et intenable !

Dire qu’il y a derrière toute cette misère des éboueurs éhontés qui l’exploitent !

Ce pauvre handicapé mental qui reprenait sa leçon si mal apprise, devait craindre le bâton du dresseur qui le tenait à l’œil !

Le bonheur n’est semble-il qu’une question de tenue et d’assiette.

Redevenir perméable et poreux comme une jarre de terre, voilà sans doute le secret de la plénitude.

Quand l’homme incurieux oublie de laver ses sens comme des vêtements sales, sa vie devient une loque crasseuse et abstraite.

Dans l’homme, les sens sont régulièrement inondés mais la raison veille, qui garde la tête hors de l’eau, qui tantôt endigue tantôt irrigue.

Quelle source limpide et nourricière que l’émotion ! Quel branle-bas de débâcle néfaste que l’émotion !

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La même eau qui te désaltère, te tue !

Dans ce vaisseau de pirates débordant de violence et de vie, préserver soigneusement le pavillon souverain de la raison !

L’homme a voulu purger la terre des grands fauves, des serpents venimeux et des scorpions. Quelle effroyable et sinistre bourde ! Il sera bientôt presque trop tard pour changer d’attitude et d’avis.

Dans le désert inhospitalier de quelque autre planète, même un cafard devient un ami sinon un parent.

Nous souffrons de la promptitude comme de la lenteur du temps ; j’ignore ce que l’éternité nous réserve, si elle existe ; il m’est difficile d’imaginer une félicité éternelle ; en revanche, rien ne m’effraie autant qu’une torture interminable !

Au début du chemin, l’enfant avance plein d’impatience ; l’homme mûr commence à ralentir le pas quand il se trouve tout près d’arriver !

Tu vis dans un aujourd’hui que tu méprises et tu écris et chéris un improbable demain.

Tu es un simple individu qui ne dispose que d’une aune de vie qui t’est prêtée et qui te sera reprise, et cela quelles que puissent être tes prouesses !

Les citadins ignorent que le printemps est de retour ou ils me le cachent ; heureusement que les figuiers et les érythrines me le murmurent en bourgeons capiteux ! Et je ne parle pas du carrousel des hirondelles ni du tapage des mimosas qui lissent leurs longues tresses blondes au soleil !

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Les beaux jours marchent à la queue leu leu si bien qu’on est blasé et qu’on regrette fort les belles et violentes averses qui lavent le ciel et le cœur.

Pourtant, belle est la lumière qui entre comme par effraction dans la forteresse bourrue des ténèbres !

Que représente le printemps dans une ville au climat semi aride ? Un vert parterre de fête éphémère que les sabots du soleil piétinent vite.

Nous vivotons dans un pays aride et assoiffé où la pluie est un présent précieux du ciel irrégulier.

Beaucoup de poètes idolâtrent la nuit gravide qui porte plus d’un jour dans son sein !

La nuit inspire et fascine tant qu’elle annonce, comme une délivrance, le matin !

Il était si assoiffé de lumière qu’il abhorrait les lunettes noires.

La lumière qui flamboie abolit le temps et offusque l’éternité.

Du bois vert de la vie étriquée, faire un feu prodigue qui se propage partout et donne !

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Pour brûler et devenir lumière que de sacrifices, que de douleurs et que de contorsions !

Cruelle est cette échéance de repétrissage et de rebrassage qui ne ménage rien ni personne.

Tout devient matériau de construction dans la nature qui fait la vermine avec la cervelle d’un génie et les lèvres d’une vénus.

L’indifférence et la prodigalité de la nature sapent toute utopie hédoniste et millénariste.

Quel esprit de justice rédemptrice pourrait encore s’aventurer sans ridicule dans cette jungle abandonnée où ne triomphent que la force et la violence ?

En se détachant des illusions qui le lestent et le rassurent, l’individu se sent comme abandonné dans quelque archipel désert et frigorifié de la Désolation.

Dans ce règne du hasard, il ne saurait être question de laisser faire comme il est criminel d’attenter à la liberté si chèrement et si durement conquise ; ceux qui voient le péril doivent tout faire pour avertir les nouveaux débarqués ; or, l’éducation périclite, qui était le remède ; que reste-t-il à tenter pour sauver l’humanité de l’extinction ? Tragique est la détresse qui nous saisit face à ce dilemme ! Il faut laisser l’enfant flirter sur la corniche avec le précipice parce qu’il a droit à la liberté et en même temps et de manière paradoxale et absurde, nous devons lui tenir à distance et sans les toucher, ces mains tant aimées !

Nous redécouvrons encore et toujours combien l’éducation est don de soi, amour unilatéralement offert et dilapidé ; nous redécouvrons la valeur suprême de l’amour au moment où il faut en dénoncer le triste impact, où il faut le brider, le doser et le mesurer ; nous découvrons que ceux que nous adorons comme la 23 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)

prunelle de nos yeux, aiment ailleurs et regardent autre part, là où notre myopie nous arrête et nous désavantage.

N’idolâtrons pas l’amour dès lors qu’il peut devenir un poids et un frein. Jeune goéland gâté, tu risques de finir dans la gueule du requin qui guette.

Quelle quantité d’amour peut nourrir l’enfant sans le rendre obèse ?

Privé d’amour, l’enfant périt de malnutrition.

Dans une même progéniture, celui-là est tenté par l’anorexie tandis qu’un autre a trop d’appétit ; la bonne mère régalera le premier de peur de le voir s’éloigner de la vie, et frustrera le second pour le libérer de la dictature du lait. A la fin, nous sommes obligés de renoncer à informer cet avenir dangereux qui ne peut sonner que comme une sanction ; nous sommes obligés de lâcher prise, de laisser l’enfant à la porte de l’école et de partir avant même qu’il franchisse la porte avec la transe d’angoisse qui tournoie comme un courant dévastateur au fin fond de notre cœur.

Oui, il faut de loin et sans coercition, les armer contre ce péril et les laisser traverser seuls la voie qui les appelle ; il faut leur faire confiance et ne pas sous-estimer leur sens des responsabilités !

Dès lors que l’univers fait la roue et que le temps ne cesse de s’étirer comme un clown contorsionniste, nous sommes la proie de la nostalgie qui nous écartèle et de l’angoisse qui nous hache menu.

Pour y remédier, il nous reste l’oubli qui régénère et le sommeil qui nous abolit.

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Mon corps reste dangereusement vulnérable et mon âme qui semble aguerrie et racornie, s’affole comme un incendie de brousse dès que le sirocco de l’émotion se permet à sévir. L’émotion, comme la pluie sur une terre aride, redonne de la vie et de la voix à toutes les herbes frustrées, écrasées, qui ont là l’occasion de relever la terre de façon opiniâtre et drue. Cela nous désarçonne et nous irrite comme une révolte anachronique et ironique. L’habitude est une bonne gouvernante qui nous prépare tout et nous facilite la vie ; aussi, dès qu’elle s’absente, nos instincts bridés se réveillent pour mettre le logis sens dessus dessous. Il faut avoir beaucoup de discernement, d’aplomb et de volonté pour ne pas être déséquilibré par le choc de l’imprévu qui nous ôte nos repères, nous remplit d’une émotion qui nous brouille l’esprit et nous met le cœur en émoi. Nous nous prenons souvent pour des âmes intègres et élevées ; la raison qui se croit souveraine, palabre comme une vieille rombière. Pourtant, il suffit d’un coup dans le creux du ventre pour que le corps oublié se mutine et prenne la place prépondérante et démesurée qui est la sienne. L’honnêteté est l’habit de tous les jours pour la plupart des gens qui en changent aux jours de fête. Le sacré est devenu si transcendant, si pâle et si abstrait que le péché ne coûte presque rien, surtout s’il reste secret. Est-il possible de faire de Lui, un triste philistin tatillon et rogue qui se montre très regardant sur le budget de la vie, qui ne passe pas une seule éjaculation sans la noter ? Qui rabaisse à son image l’absolu jusqu’à en faire un pédant et un procureur vengeur et haineux ? N’avait-il pas raison celui qui prétendait que la morale était appelée à se dépasser ? La spiritualité vraie se purifie au creuset de la raison et de la solitude ; sur ce seuil là, il me semble qu’aucun saint ne prétend à une quelconque récompense ici ou ailleurs. La foi n’est-elle pas le poids qui écrase et la manne qui comble et régénère. L’oscillation qui tourmente la vie profonde du cœur écartelé entre l’exil et le pays, entre la stérilité et la plénitude, entre la douleur de brûler, la douleur d’aimer, la douleur de voir la foule des hommes tâtonner dans le désert sans même le savoir, cela constitue une vie riche de 25 Created with novaPDF Printer (www.novaPDF.com)

toutes les affres de la joie, de toutes les transes de l’angoisse ; ce serait exécuter deux fois un criminel innocent que de vouloir lui faire subir encore l’épreuve de l’au-delà. Quand cet autre avait réuni comme un couple impossible l’homme surmonté et le retour éternel du même, cela constituait pour lui le défi extrême et celui qui y était exposé, devenait un grand saint et un grand criminel. Beaucoup de ceux qui ont pris la cognée pour abattre cet arbre où il avait vu un gibet, découvrent à présent qu’ils ont jeté bas un monument qui donnait de l’ombre à l’âme qui venait méditer à ses pieds. A présent, la chair a tout évacué et l’on ne voit partout que souilles et phacochères. Oui, les saints ont le droit de ruer dans les brancards, de pester et de blasphémer car le nœud qu’ils ont constamment dans la gorge, les étrangle à chaque instant telle une boule incandescente et sombre. Il faut essayer d’imaginer que l’angoisse, la solitude, la nuit augmentent à mesure qu’ils s’engagent dans le grand désert de l’esprit. Que de courage, de sang-froid, de détermination, il a fallu aux grands explorateurs de la Renaissance pour ne pas succomber à la terreur et rebrousser chemin ? Les libres penseurs croient qu’il est facile de supporter la vie et de boire le calice de la douleur et de la mort quand on est sur le radeau de la foi et qu’un bon courant vous mène vers le havre. Il n’en est rien ; la grande passion est exigeante et solitaire et elle ne bénéficie d’aucun népotisme. Le destin y reste pesant et monumental. Seuls, les tièdes qui ne portent rien et que nulle écharde ne gêne, croupissent dans le bonheur.

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