Table Ronde Discours (em Francês) - Pêcheux, Rancière, Roudinesco

  • Uploaded by: Tania Montandon
  • 0
  • 0
  • May 2020
  • PDF

This document was uploaded by user and they confirmed that they have the permission to share it. If you are author or own the copyright of this book, please report to us by using this DMCA report form. Report DMCA


Overview

Download & View Table Ronde Discours (em Francês) - Pêcheux, Rancière, Roudinesco as PDF for free.

More details

  • Words: 11,290
  • Pages: 14
T able ronde discours histoire-langue avec

Antoine Culioli, Jean-Pierre Faye, Jacques Ranciere, Elisabeth Roudinesco

Michel PECHEUX Je vous propose lité : on pourrait peut

d'entrer

aller vers I'idée

limite

que le discursif

sur ce point

serait

idée que I'on a presque teur

structure

de dire

entendue

du

discours,

historique, historique

les questions

par une question

», conjoint

produirait

de Ia matérialité

hier sous Ia forme c'est

une autre

parce

que

sur le discursif.

« le discours

position,

?

apparemment,

une bonne

»,

est produc-

selon

laquelle,

sont

s'il

pris dans

de détermination

Est-ce que ce partage

sUr le discours

; Ia position-

que de discours

les discours

au sens ou il y a des effets

actuelles

sur Ia matéria-

à celui de discours,

: « il n'y a de matiere

». Mais on peut soutenir

de réel

y a matérialité matérialité

dans le débat

dire que le mot « matérialité

vous parait

Ia

de Ia refléter

Jean-Pierre FA YE On a, au moins tant qu'il

que je récuse n'y

qu'au

a pas d'intérêt

préalable

sommes que

sur un terrain

gage. A partir dans

à partir

épistémologique le discours

ou le rapport

d'ailleurs,

comme

de cet espace,

on a affaire

Ia transformation

Je dois dire pour-

antithétiques, du fait

car je pense

du discours

expérience

social est, d'entrée

en insistant

sans

soei ale. Nous

de jeu, langage.

Ce

sur te fait de Ia transformation

en valeur est ce processus

I'histoire,

antithese.

mise en scene de positions

on ait constitué

Marx souligne

Ia transformation passe,

cette

fondamental

à un probleme

en valeu r « comme

:

qui est lié au lanclef

: eomment

langage

gut wie die Sprache »1. Cette question dessine tout autrement mies posées. Hors de eette question il n'y a aucun sens à traiter

(1) MARX, K., Das Kapita!, I, Kap. I, B, 4 (Dietz Verlag, Berlin, p. 79-80).

se

» ? « So

les antinoisolément

1/11

179

chainc discursive, un document, c'est-à-dire un fragment de matérialité : Ia matiere signifiante, écrite ou orale, un discours de Robespierre ou de Danton ...

1111"


En ce qui concerne Ia Révolution française, cette matiere signifiante est énoncée sur le terrain du rapport social qui est déterminé par ce moment ou le vocable « lutte de classes» émerge, ce qui n'est pas sans importance. A partir de ce terrain, le probleme qui va nous intéresser, c'est I'effet de ce fragment signifiant sur le réel social et politique. La terreur est « à I'ordre du jour », au moment étudié en particulier par Jacques GUilhaumou2, ou I'abre Royer énonce I'expression « Ia Terreur mise à I'ordre du jour », à Ia fin d'aoOt 1793. Par ailleurs, à I'autre bout de Ia chaine idéologique, on trouve un certain Adolf Hitler dans une brasserie de Munich le 9 novembre 1923. En train de dire : « La Révolution Nationale est commencée ». Ouel est I'effet de cet énoncé sur le réel, surtout quand on sait qu'à ce moment-Ià il n'y a nationale du tout, puisque tout se termine, pour tout le monde, au commissariat ? Mon hypothése, c'est de prendre au mot les chaines d'énoncés, et

.pas de Révolution

\.

pas seulement au s~l1s d'une théorie del'éno_~ciation, mais comml!.narration, comme rapport dê ce qui se passe~ 11 'Y'-a"une contraction narrative d
, i.

"I 1..

, I

i \

~

à demander Ia tête du roi, vous allez voir toutes les têtes qui vont s'enchafner, on ne pourra pas en refuser d'autres. La Terreur est en train de construire sa syntaxe, cette syntaxe qui est une stratégie. Alors que Robespierre demandait seulement à propos du roi « une cruelle exception ». Nous sommes là tout pnls d'un problême théorique, qui a préoccupé Ia discussion linguistique; Ia sémantique n'est pas Ia structure syntaxique profonde. 11 y a d'une part cette syntaxe de Ia Terreur et d'autre part cette sémantique abolitionniste de Ia peine de morto Pour comprendre Ia Révolution française, il faut rentrer dans ce paradoxe à partir de Ia matérialité du discours. La perspective Ia plus riche dans ce genre de travail, c'est celle qui dégage les niveaux de ~ríçia~e~--,~ursdifférences et leurs rapports internes. Michel PECHEUX

~ation de rappor~narratifs àyartir dequelques_ nar~~~s .il1_~t~~~~~_guÜa .c9J}~tr~ire un c~.~_rnPsimsc~~~~_e~ ~aill_de!~~~i~l_e~ sur le réel social, de redessin-er-sans cessé" dês rapports de position, compiexes et changeants, qui placent le porte-parole, tel que I'entend Bernard Conein. Tantôt comme porte-parole d'une secte raciste, d'un groupuscule enkysté dans I'idéologie de I'extrême-droite ; tantôt comme porte-parole de Ia gauche de I'extrême droite ; tantôt comme porte-parole de Ia droite de Ia droite, dans le conservatisme qui se donne comme te!. .. C'est(JaTc~qu'il y a tout ce dépl!.c..efJ]eat narratif dans ces rapports de position, que l'effet"Ritle-;::-ãiJlie-ü d'être un couac, comme en 1923, devient une masse redoutable d'effets matériels au seuil de I'année 1933 ; ceci sans qu'il soit nécessaire d'évoquer en lui un « génie démagogique », etc ... \I existe par ailleurs dans ces exemples un décalage entre le niveau sémantique et Ia « syntaxis 1>, I'enchainement du discours. Si I'on prend

Je voudrais ajouter une remarque à ce qui vient d'être dit : à partir du moment ou on parle du langage comme production de valeur et qu'on développe cette métaphore, peut-on échapper à une question qui a de toute évidence un fonctionnement politique, mais dont il n'est pas évident qu'elle ait un sens linguistique ou discursif : Ia question de Ia fausse-monnaie. Y a-t-il des fausses monnaies ? Comment circuleraient ces fausses monnaies ? On retrouve cette question dans le travail de Jacques Ranciére « de Pelloutier à Hitler » (Révoltes logiques, N° 4, 1977). Une partie du mouvement ouvrier français au nom de ses propres valeurs, des valeurs de Ia tradition ouvriêre française et de nécessités historiques à perpétuer et à sauver, s'est trouvée progressivement basculer du « mau vais côté », mauvais côté avec tout ce que cette expression suppose. De ces moments de bascule, qu'estce que les historiens ont à dire ? Dans les traditions historiques, marxistes ou non, il y a une difficulté concernant le langage. Pour un historien, il y ales processus historiques « réels », et le reste, c'est des mots. Y a-t·il une nécessité, dans une analyse matérialiste du réel des processus historiques à être aveugle sUr les modalités matérielles d'existence des discours ?

(2) « La formation d'un mot d'ordre : Ia mise à f'ordre du jour de Ia Terreur (13 juillet~iscptembre 1193) » Révoltes logiques.

Enfin, j'ai une derniere question, sur les positions de Ia linguistique et celles de Ia psychanalyse, concernant Ia trahison. Si on associe autour de ce mot de « trahison », on dit et on entend « se trahir » au sens de « faire le contraire de ce qu 'on croyait faire » (( être trahi par ses propres mots ») ou bien « laisser voir ce qu'on fait vraiment ». Ou'est-ce que ça suppose du

de s~ rapporter, il.est rapport du rapporflout'un-éhamp-maténéi de-aiscurvité se forme, de tlllle sorte que I'énonciation hitlérienne du 9 novembre 1923, on va en voir les effets simplement en janvier 1933. C)s!setteJntri.'

,\

,

le cas de Robespierre, on peut dire que son projet sémantique, c'est I'abolition de Ia peine de mort (alors que le projet corrélatif des fascistes sera son rétablissement) ; Robespierre va le redire au moment même ou il demande Ia mort du Roi. La syntaxe de son discours est ainsi une mise en place de Ia syntaxis de Ia Terreur au détriment de ce qu'il en sait et en signifie lui-même au niveau « sémantique ». En face de lui, certains de ses_adversaires du « côté droit » - de Ia Gironde - lui lancent un défi : Si vous commencez

.-

.<

180

181

point de vue linguistique, qu'on puisse ainsi (Ie sachant ou pas) passer d'une posítion à une autre ? Et du point de vue de Ia psychanalyse, qu'est-ce que ça signifie que Ia trahison passe ainsi essentiellement à travers des mots ? Jacques RANCIERE

Deux mots introductifs, puisque tu te réferes à un article qui est pour moi un peu vieux, à propos du theme de Ia trahison et de I'efficace des mots. D'abord, en ce qui eoneerne I'effieace des mots, quelque ehose me gêne chez Jean·Pierre Faye, non pas dans son tres intéressant travail, mais plutôt dans ce qu'il en dito Si I'on prend I'exemple de I'article de « Pelloutier à Hitler » il y a un lexique anarcho-syndicaliste qui va fournir matériel à auto-justifieation de Ia fraetion des syndicalistes qui avec tout un tas de nuances se met au serviee <:leVichy, ou franehement de I'Allemagne. Effec-· ,c'""

~=:.~pt~.

~ement, on peut décrire ce p~o~e~~us à travers 11 y a auto-intoxicatióii; -on 'assiste- à 'Un 'certãín affolement dês -mots ; les mêmes mots et tes mêmes phrases peuvent servir à ce retournement. Lorsque j'avais écrit cet article, le point central était une citatioll d'un journal collaborationniste, une phrase extraite d'une pétition de typographes nantais de 1830-40 sur les rapports à établir entre patrons et ouvriers : f'idée de Ia révolution comme rapport d'égalité entre patrons et ouvriers, c'est un grand theme ouvrier des années 1830-1840. 11 fallait repenser toute une masse de discours ouvriers de cette époque, que (avais interprétés quelques années auparavant eomme lipiens (Lipl. mais qui renvoie aussi au discours pétiniste. On peut donc faire « coller » un même diseours avec toutes sortes de stratégies, de prises de position par rapport à des événements. C'est une maniere possibte de décrire un processus. Ce qui me gêne dans ce que dit Jean-Pierre Faye, c'est qu'il tend à produire en même temps que cette description, une idéologie de cette description, une espece de modele, ou ce qu'i! décrit (ces jeux de langages, ces déplacements) constituerait une espece de physique, une physi:que de I'idéologie. A travers des métaphores militaires, topologiques ou _ci:une arithmétiques, il _y__a_quelque-chose.deJ:ordre-d'uO!LdélJ1()f1~t~!io~, phvsique d'un effet.des mot~. -Pour cet article, « de Pelloutier à Hitler », on peut emplover cette description, mais c'est une interprétation parmi d'autres ; ce qu'a fait JeanPierre Faye est aussi une description parmi d'autres_ J'ai suivi le fil rouge de ce discours anarcho-svndicaliste et de ses transformations. Q.n peutaussL faire I'histoire de cette période d'autre maniere : il y a des aSPElcts.g~ej~1li sacrifiés completement : on peut montrer que ce n'est pas.n:irT)poI!e qui.•_9..ui utilise le discours anarcho-svndicaliste au service de t'ordrenouveilLJ ÕU de,la collaboration, que c'est une catégorie tres déterminée de gens qui déjà étaient liés à une fraction de Ia droite, du patronat, à travers des themes planistes. Done Ia rencontre de choses completement différentes : des gens qui

étaient déjà allés du côté du patronat moderniste, planiste, rattrapent le discours anarcho-syndicaliste. Ces gens ne sont pas portés par un mouvement de perversion, de gangrene intérieure. 11 y a bien des manieres pour décrire un processus d'adhésion à une idéologie : ce qui me gene c'est de le penser, de le produ ire, sous Ia forme d'une physique de I'idéologie, décrivant des processus de langage qui, effectivement, ont une sorte d'efficace comme production matérielle de ce processus d'adhésion. Je trouve à ce propos le rapport de Jean-Pierre Faye au discours de Ia Terreur un peu embarrassé. 11 y a dans tout un discours actuel sur Ia Terreur, une maniere de rendre immédiatement opératoire un ensemble de discours. Jean-Pierre Faye s'en est tiré d'une certaine maniere, en disant, (je caricature) : il y a une syntaxe de Ia Terreur et une sémantique. Robespierre fait Ia Terreur en voulant I'aboIition de Ia peine de morto Là je ressens malgré tout I'éeho d'un vieux discours du genre : « nous ne voulons pas Ia guerre mais ... », « nous sommes pour que ça se termine, mais tant que tous les ennemis n'auront pas été abattus ... ». Bernard

CONEIN

Les deux corps d'exemples qui ont été présentés n'ont pas du tout te même statut du point de vue de Ia matérialité discursive. Les cas cités par Jean-Pierre Fave, aussi bien te cas de Robespierre que celui d'Hitler, sont des exemples d'énoncés qui n'ont pas de « domaine de mémoire », ce sont des cas d'émergence de discours. Or le cas cité par Jacques Ranciere est tout autre, puisqu'it s'agit d'un cas de répétition : I'exemple des syndiealistes collaborateurs suppose un domaine de mémoire, le eorporatisme anarcho-syndicaliste ou syndicaliste-révolutionnaire de Ia fin du XIXe siecle en France. 11 n'v a pas de domaine de mémoire dans les exemples de JeanPierre Faye, car il n'y a pas d'antériorité au discours de Ia Terreur, com me _ il.n~'y,__ a_~s d'antériorité_au terme « totalitaire avant Ia formation des discours fascistç.·t nazi. L'exe~eleci~é~lJar_~acque_~ Ranciere est un exempie de répétiti-j'énoncés, car il s'agit d'une sortende.{:ommémoratiôn d'un passé ouvrier par les svndicalistes vychistes ; même s'il y a partiellement transformati()nd'énoncé, cela reste un exempte de répéiition. »

Jean-Pierre

FA YE

1\ faut essaver effectivement de saisir les points d'émergence ; mais ce qui est important ce sont les traversées longues de Ia mémoire dans le long terme. -, Non seulement il y a dix ans entre 1923 et 1933, mais ces dix ans.sup, posent 150 ans d'histoire post-révolutionnaire, post-Révolution française. Le mouvement allemand est un contre-mouvement, il se donne comme le « contre-mouvement » des « idées de 1789 }). Mais dans eertaines descriptions, ee contre·mouvement fait face au mouvement révolutionnaire - dans Ia figure du « fer à cheval ».

1f17

183

Soit un autre exemple : le discours ({hébertiste )}, si ce mot a un senso Hébert redevient tout à coup contemporain au milieu du XIXe siecle, quand parart en 1859 un petit livre de Charles Brunet, qui passe d'abord inaperçu. Ensuite un certain nombre d'étudiants du Ouartier latin pensent et parlent le langage hébertiste, ils préparent un numéro du Pere Duchesne, nO x (ce serait le 355e au moins) et, tels Raoul Rigault, Eugene Vermeersch, Maxime Vuillaume, ils vont se retrouver contemporains d'un certain langage, à travers une sorte de mise en fiction de I'histoire. Pour répondre à Michel Pécheux et Jacques Ranciere sur le terme de ({ métaphore » : dire que telle description est ({ métaphorique » est exact dans le cas du ({fer à cheval » idéologique de 1930-32. Mais ce qui importe, c'est que ces métaphores soient celles des native-speakers, c'est le boa ba d'une approche sobre du point de vue épistémologique que de prendre son

__

objet chez les native-speakers, les locuteurs ({autochtones ». Uy ~ des sortes d'({ indigenes » de I'idéologie, qu'il nous faut aller chercher là ou ils sont. Ce que je me suis efforcé de faire, c'est de capter ces énoncés métaphoriques comme ils ont été prononcés, sans leur substituer des métaphores impro-visées .

'_~ __ "_-:-_

0_'

"

'--

.

_,

o-

_'0

d_.

-.--,

ou arbitraires. li, n'y ~gasº-ulll.s~!lption qui ne soit Ras_~~,~ap_h!Jr.ique.Nous n'avons jamais le rapport social ({en-persOllne -lI,· dans lequel parlent Hébert ou Anaxagoras Chaumette à I'Hôtel de Ville au milieu du peuple des sansculottes. Nous avons afiaire,.toujours, à desciloineLsignifianti!s .et à des métaphore;:-O~parle en ter~es t~p-;graphiques, on a des i~dicãtlOns -ãu-·secohôaegré : on utilise des métaphores topographiques, présentées dans les énoncés eux-mêmes, et qui nous donnent des rapports de rapports. Quand les Néo-conservateurs (Ies Jung-Konservative) allemands (à I'extrême-droite de Ia droite allemande) nous disent que les Nationaux-révolutionnaires sont une sorte de ({gauche » (de Ia droite) il faut écouter ce type d'énoncés, par ce qu'ils nous instruisent sur certaines relations dans les rapports de position. L'emploi, par les Nationaux-révolutionnaires, d'un vocabulaire ({de classe» est un bon exemple, de ce point de vue, de fausse-monnaie. 11 existe un livre publié vers Ia fin des années 1920, qui est uri condensé de I'idéologie des Nationaux-révolutionnaires, un livre de Ia contre-révolution manifeste, mais J'accuse ! lI). qui nous réserve des surprises, des son titre : Ich klage an Les textes les plus radicaux sont ceux de Martin Bormann, futur chef de Ia chancellerie du IIle Reich, et de Joseph Goebbels. Un de leurs textes s'appelle Klassenjustiz, ({justice de classe lI ... 11 accuse Ia justice de Ia République de Weimar d'être une({ justice de classe». 11 est évident qu'entendre parler de ({ justice de classe II dans un tel contexte laisse une étrange gêne et amene à regarder de plus preso Ainsi Gari Schmitt (ami d'Ernst Jünger, qui pour sa part est présent dans le volume en question) va énoncer de toutes autres propositions dans un autre lieu, celui de l'Association des Intérêts de Ia Westphalie, des propriétaires du charbon et de I'acier. 11 y dira Ia nécessité urgente d'une ({économie saine dans un état fort lI, c'est-à-dire d'un État total - d'un Totale Staat. 11 va donc s'agir pour lui de ({conserver révolutionnairement » (ce qui signifie violemment) des intérêts économiques

!({

bien déterminés. l-es propositions nous donnent une série d'équivalences ; et c'est finalement le Führer qui finira par énoncer Ia proposition de base Ia plus simple : « Je suis le révolutionnaire le plus conservateur du monde ». C'est par I'analyse de ce proces de circulation des énoncés qu'on peut tenter de reconstruire une sorte d'économíe narratíve de Ia fausse-monnaie. Mais il faudra se demander comment cette fausse monnaie dans le langage produit des effets sur le réel économique. Si I'on essaie d'explorer Ia fameuse Ankurbelung, le « miracle II de Schacht - comment il va faire ({démarrer » "économie allemande sous le regne d'Hitler - on constate que ce n'est pas avec une manivelle que cela se fait... Mais par Ia relation entre une série de procédés économiques et une fausse ({narration I) des données et des enjeux : on peut y observer comment tout cela finit par s'inscrire dans le réel de Ia machine économique allemande. On feint de raconter le Sofort-Programme et ses « Logements sociaux 11, et on inscrit en sous-main Ia charne d'écritures bancaires qui mettent en route le réarmement secret par I'entremise d'une entreprise-fiction, d'une Scheinfirma : Ia Mefo ... Alaín LECOMTE J'aimerais poser une question aux participants de cette table ronde relativement à ce qui, dans plusieurs interventions du colloque, a été désigné comme absence de métalangage. En particulier, dans ma communication, c'était ce que j'avais essayé de dire sous Ia forme: « I'énoncé dit ce qu'il dit » et en même temps ({ dit qu 'il le dit 11, et aussi sous Ia forme de I'exclusion radical e d'un énoncé ou d'un nom qui serait le pur représentant de quelque chose d'extérieur à lui et qui le désigne l...l. Cela me parart poser Ia question générale de Ia représentation, y compris Ia représentation formelle ou mathématique de quelque chose, en I'occurrence du fonctionnement de Ia langue et du discours. Je poserai en particulier cette question à Antoine Culioli dans Ia mesure ou cette position critique vis-à-vis de Ia représentation me parart contradictoire avec un certain usage du mot « formalisation II en linguistique. Comment saisir, dans ce qui ne saurait être autre chose qu'un fait de discours, même s'il est mathématique. le rapport entre le discours et un hypothétique extérieur à lu i, qui s'y manifesterait sous I'aspect de notions telles que, par exemple, situation d'énonciation ou sujet d'énonciation ? Jean-Jacques COURTlNE La discussion a été centrée jusqu 'à présent sur Ia question historique et on a oublié Ia langue. II faudrait recentrer le débat de ce point de vue. Ouand on dit : « circulation des mots, des énoncés, des formules, des discours... 11, quand on parle d'effets latéraux. de rapport de narration à narration, de métaphore, on_ toucheà des questions de langue. J'aimerais demande r à Antoin'eCulioli sous quelles formes selon lui un Iinguiste peut réagir aux problemes que pose Ia constitution historique de I'énoncé telle que les histo-

l11tJ

ricns I'cnvisagent, lui demander comment ces questions travaillent dans Ia linguistique ... cela ouvre peut-être trois possibilités de réponse. qui sont partois avancées : - une non-réponse : I'impossibilité d'en dire quoi que ce soit, ce qui viendrait comme une confirmation de Ia c1ôture de Ia problématique de Ia langue ; - quelque chose de I'ordre du bris de Ia théorie linguistique, de son éclatement dês que de tels problêmes se posent à I'intérieur d'elle-même ; - Ia possibilité de faire fonctionner Ia Iinguistique comme métaphore de Ia circulation discursive, le Iinguiste risquant fort dans ce cas d'y perdre son objeto Antaine CULlOLl 1I faut dissiper un premier malentendu concernant ce qu'on entend par linguistique. 11me semble que si on prend au sérieux le terme de « matérialité », le terme de « discours », j'avoue que je ne sais pas trop quoi en dire ... sinon que le linguiste n'a pas à s'accaparer le discours, ni d'ailleurs le langage en tant qu'objet d·étude.~~i.s_cequipeut,être distingue le linguiste. c'est qu~~º-cçupe~ Ia relil!l911entreJe langage et les langues. lI.y_.aune. matéria.!i!~_~u sen.s.oÜ on'n'e peut pas faire comme si les langues n'existaient pas et comm~eusi le recoursau terme d'activité de langage suffisait à régler le pro· blême (... ). I! y a par ailleurs une autre questiono 11me semble qu'il n'y a pas eu jusqu'à présent de distinction entre énonciateur et locuteur. C'est-à-dire que derriêre des termes com me sujet, porte-parole. on confond I'énonciateur et le locuteur. 1I y a également sur le terme d'énonciation une tres grande ambigui·té. Três souvent Ia situation d'énonciation est considérée dans Ia conception empirique d'une situation qui serait historiquement descriptible. A ce moment-Ià. te terme de situation d'énonciation est une maniêre d'essayer de récupérer tout ce qui est du domaine empirique, le vécu. I'expérience ...• on met tout cela dans le terme de « situation d'énonciation ». 11 existe aussi une autre confusion : celle qui est souvent faite entre I'événement phénoménal - à supposer qu'on y ait accês - et I'événement construit. Je maintiens que lorsqu'on s'occupe de problêmes d'activité énonciative, on doit, en tant que linguiste. travailler à I'intérieur d'un cadre de réflexion qui cherche à avoir des rêgles d'homogénéité. et. parce qu'on travaille dans des domaines hétérogênes. se donner des rêgles de passages. J'ai cherché à faire Ia distinction entre événement phénoménal et événement construit en parlant d'un côté de valeurs référentielles, et de référent de I·autre .... ~~9ccupe des valeurs référentieUes_cAIÇ.l.!.@~~~_à_partir de ces agencements de marqueurs d'opérations que sont les énoncés. les énoncés étant des construits théoriques. O'un autre côté. Ia référence ou le référent. se présente comme le réel extérieur, auquel éventuellement on pourrait avoir accês.

185

A propos de Ia métaphore de Ia circulation, I'ennui c'est que cela semble indiquer - c'est le cas également de Ia métaphore du jeu d·échec. qui n'est pas ce qu'on a fait de mieux - qu'une fois que les piêces sont là et que les rêgles sont données. ça va fonctionner. On instaure Ia scêne, les décors sont posés, on n'attend plus que les gens qui vont prendre Ia parole. prononcer les textes. improviser éventuellement. OrJJ.éI._~ifficul):~._c·est que. au fur ~_!~ltSU [e-que .nous_ulÍ.nonlt-QlJs._nous-cons1~lJ.i.~~~_u.r1.._.e.space .énonc iati f, c'est·à-dire que no~s sOfllmes en mêm.e temp~_efl_Jrain._de __pgserJesrêgles d~ jeu. lI,váfa\loir que I'autre s'ajuste,.I1PlJ§ ..ajlJ.s!E!L9_u~~!_~e_geJ.e_f
187

lf.l6

certain

rôle,

alors

que tout

se fait ce processus Encore ~'

le reste va pratiquement

? 11me semble

un point

ceux qui ne parlent

être éliminé.

que c'est extrêmement

: comment

I'historien

Comment

Jacques RANCIERE

important.

s'y prend-il

lorsqu'il

a affaire

à

Qu'est-ce

que tu veux savoir au juste ?

pas ? Bernard CONEIN

Elísabeth ROUDINESCO Une réponse J'ai envie de répondre à Ia fois à cette derniêre de Ia trahison par un détour, et un peu autrement. que

quelque

chose

psychanalytique parler

.1 ~

que

là-dessus.

parlent

pas,

parler.

Si on veut

simple,

on a I'impression

précis

interroger

de I'histoire

témoignages

d'un

savaient

certain

ce que

on ne peut

pour

iI est absolument I'histoire

qu'ils

histoire

pas ce qu'ils

pensent.

impossible

sera racontée

qui,

elle, s'est

trElS

En voulant

raconter

un paint

de se passe r de

de façon

des idées et des doctrines,

des analystes,

ont peur de

de maniêre

faire

unilatéra-

en n'obtenant

justement

effectuée

par

un secret,

temps

que,

disaient

Alain

les gens ne voulaient

Antoine a affaire

alors qu'en

si j'avais

et qu'ils

Manier

cette

réalité

n'avaient

donner

juste

Un premier

deuxiême

exemple C'est

rapporté

de I'enquête qui s'identifient

D'ou

porte-parole, mnts d'ordre.

dans une P'Jurquoi

qui veulent

aussi

c'est

: arriver

et histoire

à une parole

ce qui est de I'ordre

11existe,

en

que j'ai lus pour' effectivement je su

à leur histoire.

I'historien

s'occupe

Ia rencontre

qui ne

que je ne un

peu

place

trop

avec le problême

sur I'espace

privilégié

du

accordé

certaine visée Iiant celui-ci à Ia construction est-C'~ finalement un domaine privilégié pour

lier linguistique

ne

qui se

», d'ou

à ceux

premiêrement

qui fonctionne

Je pense

; d'autre

part une espêce

qu'il y a une fascination

du brut,

de I'irruption

au des ceux

?

Pour moi je discerne deux choses, qui sont en rapport avec cette sion de Ia matérialité discursive. D'une part une volonté de rendement

qu'ils

chose

que

parler

par rapport

pas, je dirai

les interrogations

ce qui est de I'ordre

quelque

à propos

que fait I'historien

de Ia circulation

d'abstrac-

de I'historien

de Ia parole,

et de I'émergence.

obsesmaxipour

donc

Si je prends

tout

les textes

0110que, qui faisaient le lien entre histoire et discours, par ce privilêge d'une parole efficace et de Ia

i, frappé

à un certain

qui est donnée

à Ia Révolution

dans

Le premier,

et repérable

disant

de juillet,

». C'est

des propriétés des ouvriers

illustrent

cette

française

et un

le cas des sansdans

le discours

ouvriers

« Je suis

qui spécifie

que

du 1ge siecle ?

puisqu'on

du 1ge

», dans cette

« ce journal

différents

identiques,

au début

ouvrier

la peu une

Jacques d'archives, parle

est écrit Ranciere peut-on

de mouve-

des historiens

question

difficile certaine

type

de sujets

parlants.

En gros iI y a deux

, 'certaines j;domaine.

en ce momento

de I'identification

ça m'est

un

d'y répondre, parce que je travaille dans un esprit différent. époque, j'ai travaillé sur les mots d'ordre, sur les archives

A de

police, sur les propos facilement interpréter

i:des bêtes

de porte-parole.

un problême

des cas aussi

c'est

uniquement

le cas de certains

par un écrit,

qui

faim três forte

lorsqu'il

pas ?

historiques,

et dans I'énoncé

c'est

des ouvriers

à ces collectifs

ment ouvrier

qui a trait

sous Ia monarchie Comment,

: qu'est-ce

exemples

repérée

exemple,

ouvriere par

porte-parole.

tout

qui, à mon avis, concerne

une question

au 1ge siêcle.

judiciaire,

presse

bien.

deux

exemple

une figure

siecle,

uniquement

et deuxiêmement de « faire

je me suis aperçue

par rapport

pas et qui n'écrivent

qui a trait

culottes.

donner

de poser de I'archive

à ceux qui ne parlent

questiono

conna!t

historien

n'écrivent

objets pour Ia linguistique historique : Ia rhétorique des discours politiques (Ia rhétorique des gens qui parlent, qui savent parlerl et puis une espece de brutalité circulante de Ia parole populaire, qui correspond à une espêce de du statut

le deuxiême

pas

frénétiquement

qui

de Ia rhétorique.

,ien à en dire.

des analystes

Culioli.

de ce que fait un historien

et à ceux

tion

impression,

a dit sur Ia débilité,

: le crétinisme

Culioli vient

Je vais

suis

le problême

pas

pas dire ce qu'ils

Bernard CONEIN

aussi le problême

Sur parlent

mum que

posée par Antoine

Jacques RANCIERE

pas faire

des gens qui ne

pas parce

à Ia question

du mouvement

question

de cette

par exemple

des textes,

ne pas trahir

à cet endroit

passe

écrites,

j'imaginais

pas ce qu'ils

reprenant

secrête,

de cette

ne disent

parce que sinon

une analyse

pour

bout

histoire

des témoins

analytique,

oraux,

A ce propos, au

une

à propos

qu'i1s

non

rien sur Ia formation transmission orale. pensaient

C'est

Donc

de I'histoire

il y a aussi les gens qui ne parlent

des archives

le à travers

à propos

constaté

en France.

les gens

chercher

j'ai

question et à Ia question Ce qui a été dit lã m'évo-

phrases

du côté pour

de I'archive,

rapportés, et je me suis rendu compte qu'on pourrait cela, le décoder, définir des rêgles d'usages, utiliser ouvrier

», de rationalité C'est

et Ia question

et populaire

et de discursivité

et constituer « infra

ça que je me suis intéressé

. :;du genre correspondance

ouvriêre,

Iittérature

une sorte

d' « âme

», qui recouvrirait

à un autre

et écriture

type

ouvrieres,

ce

d'archives, c'est-à·dire

',au rapport que des gens établissent avec une langue, qu'ils apprennent par des d'ouvriers avec Ia Iittéravoies détournées. Je me suis intéressé à Ia rencontre ture

à travers

ce dont

parlait

des processus Bernard

d'apprentissage

Conein,

et d'auto-didactisme.

« je suis un ouvrier

qui écrit

Je crois que », c'est tout

un

lUB

189

, proce_ssus_d'jdentité_SlLJi_pas~l:Lpar_une

formid<jble

s'est_passéav
dén~gati~I1,.d~.,!~~t

ces gl!ns avec cette "0



0_

ouvriers chansonniers pour faire de Ia propagande. 11 est clai r que chez ces chansonniers on fait facilement des chansons sur Ia société saint-simonienne.

ce qui

langue, qui est du

----

••••

-.-

•••

-

•••

On est mis à Ia place

y a un tas de descriptions assez curieuses de I'ouvrier de I'époque, de celui qui, apres, a essayé de devenir poete ou journaliste. C'est toute une premiére rencontre avec le papier noirci. IIs veulent tous faire des

de sous·directeur

à Ia propagande

dans un quartier

ou·

vrier. Les autres ouvriers viennent et posent des questions sur Ia doctrine et dans ses mémoires un ouvrier chansonnier décrit les difficultés de cet autre

.. 11

rapport.

faire des vers », devient Ia question : ils savent qu'il y a une verso « Comment régularité, mais ils n'arrivent pas à saisir laquelle. 1I existe toute une série de

Jean-Pierre FA YE

descriptions qui sont curieuses sur « SQ..mmenLoD~!:lY!Là_compreodr.e_oC:E)ne régularité ». Certains ont commencé apres avoir lu Esther et Athalie, à cause deschreurs : ils ont pu se raccrocher à cela pour déboucher sur I'alexandrin.

fait

C'est surtout ce type cent à écrire, autant

gue naturelle ». Le Pere Duchesne, com me journal, se pose comme parlant Ia langue des sans-culottes. Face aux Girondins des Cordeliers qui lui deman-

se débarrasser quinze

ans,

d'archives au niveau

qui m'intéresse. Comment les gens commende Ia calligraphie qu'au niveau du comment

des barbarismes. I'écriture

vient

On voit comment

à se conforme

fil des années des barbarismes parole efficace, je serais plutôt langue.

Effectivement

c'est

Je voudrais

sur une période

r et en même

temps

de dix à

comment

s'épurent. J'ai une certaine réticence pour ce qui est de I'ordre de I'entrée

cela qui me gêne dans une certaine

allusion

dent

au

: pourquoi

parler

pour Ia dans Ia

le latin,

Hébert,

j'

des

écrivez-vous mais

langue

de vérifier

qualifiée

00

socialement

pour

Bernard CONEIN

j

locutions,

?

ment

Jacques RANCIERE Non, je le mettrais

de I'autre

une

partie en

côté.

parle Cette

ouvriers écrivains que de Ia prose?

précision.

écrivent

Tu as I'air de dire

plus facilement

que dans

ou plus spontanément

ce cas-Ià,

les

de Ia poésie

Jacques RANCIERE C'est chansons

tres

avant

que I'on tient, tion de I'ouvrier alors une autre

net,

beaucoup parler

commencent

par apprendre

: « Je sais

« langue

cette

se donne

curieux.

pouvaient

remonter

Ia signi"~ation,

René naturel-

com me parlée.

des résultats

vocables,

». Or

Jacques

J'ai

Certaines jusqu'à

soit dans les Diction-

parlée

du bas-Iangage au Québec.

politique, référence

de !'époque

Ce même

dans un référendum à Ia question

des Lumieres,

uuébec qui pose

de Ia langue,

et Ia

ou se joue actuelleIa question

dans

son

de Ia

rapport

au

de ce qui me concerne, le langage. le code commun à un peuple ». relation entre langue naturelle et puissance du langage est en relation Ia question

de Ia souveraineté

politique.

Ce n 'est pas un hasard

si le

pere Duchesne est le rival politique le plus acharné de Barére, qui est I'homme des décrets de Thermidor an li, sur Ia langue nationale et I'écrasement des dialectes vivants.

des vers et des

en prose et donc de tenir ce type de discours,

on dit : « je suis ouvrier,

je vais vous exprimer

». 11 y a des gens, qui forcément forme

? I1 répond

car I'auteur,

nullement

ce qui m'a donné ou

« lan-

Rolande HLACIA

de savoir quand

n'emploie

j'en ai trouvé

à quoi j'ai

comme

est celle de Ia sans-culotterie

bien que rapportée,

Ia langue

actuellement

souveraineté

avec une

abominables

naturelle

termes

d'autres

s'affirme

d'une langue que I'on parle, mais d'une langage. I) ne s'agi~_p"~~ seulement langue qui esten même.tempsle pouvoir de langage du citoyen politique. 11 "existe un trés be~u texte d'un palhe du Québec, Miron, qui affirme : « Je

Elisabeth ROUDINESCQ Je voudrais

du langage politique,

de langage

naires du bas-Iangage des années 1808, soit dans les lexiques du parler de Ia : Ia langue de Ia Beauce Québéquoise. 11 y a une sorte de triple temporalité langue

efficace

naturelle,

certains

pré-Renaissance,

Et ça n 'est pas une parole

chaine

ces feuilles

ma langue

ce rapport,

Rabelai.:. Jt pour écrire et pour parler de moi comme ouvrier ». parce que je suis une personne droit d'écrire

Cette

dans sa vie quotidiennp.,

le ». Cette essayé

c'est I: _~ro(;essus qui aboutit à cet effet d'identification, qui dit « j'ai le qUi. e.st.prése.o nt..e iCo.i..Pou~ m,oicequi est intéressant dans le travail d'archives,

sur une des chaines

langue nature/le est une langue rapportée,

cette

thématique,

revenir

précédemment.

d'identification.

Ia situa-

écrivent moins, ils créent Les Saints-simoniens utilisaient des

Je voudrais mation

française,

La recherche rés comme étudie

poser

une question

qui consiste

à Antoine

à appréhender

Culioli,

Ia langue

concernant

Ia défor-

par le biais des mots.

française donne toujours I'impression que les mots sont structudes notions. Cette déformation apparait nettement lorsqu'on

d'autres

tangues,

comme

les langues

africaines.

Les linguistes

qui

191

1!IO

travaillent sur Ia transcription des langues sont tres conscients de ce type d'erreur. Est-ce que les linguistes africains sont eux-mêmes conscients de ce genre d'erreur ? Antoine CULlOLl C'est un probleme qui nous écarte du sujet, qui est marginal par rapport aux questions du colloque. Rolande HLACIA Non, pas du tout. Antoine CULlOLl

// ~

En tout cas, il est difficile d'y répondre en cinq minutes. En Afrique, il existe peu de linguistes qui travaillent sur leurs propres langues, sauf si ce sont des pays techniquement développés. Grossiérement, on pourrait établir une relation entre le développement de Ia Iinguistique et le produit national bruto La Iinguistique est un véritable luxe pour ces pays-Ià et ce sont des gens de I'extériel'", dans Ia grande majorité des cas, qui viennent s'occuper des langues parlées africaines. Parfois cela va même plus loin, j'ai une fois entendu dans un colloque du C.N .R.S. quelqu'un qui, lorsque j'avais dit que je voulais former des Iinguistes africains, m'a répondu que c'était une erreur, car ils risquaient de Taire de I'introspection ! C'est effectivement une position caricaturale, mais significative. En ce qui concerne le niveau lexical, on pourrait citer le texte de Freud sur I'ambivalence dans les mots primitifs, qu'~mile Benveniste a repris, en soulignant que Karl Abel, I'inspirateur du texte de Freud, avait dit des bêtises sur Ia langue, ce qui est vrai. Reste que le probhlme posé par Freud est un probleme réel. __-,>~ On peut montrer qu'à I'intérieur d'une langue fondée sur des représen./ tations de type alphabétique, il ne se passe pas du tout Ia même chose qu'avec les systemes idéogrammatiques. Par ailleurs lorsque vous lisez dans un certain -. ordre, Çà' n'est pas Ia même chose si vous avez un espace organisé de haut en bas, de droite à gauche, ou de gauche à droite. Ce que je maintiens sur ces questions, c'est Ia nécessité de prendre conscience de ces déformations inévitables, car dépendantes de réseaux de formes culturelles. Ces déformations qu'on subit, quelquefois on les reproduit, car on a recours à une théorie spontanée de I'analyse du discours, qui est biaisée, par rapport à ce qu'elle pourrait et devrait être, si elle prenait en compte I'existence de ces déformations.

Elisabeth ROUDINESCO Quand vous avez cité cette énormité, que si on formait des linguistes africains, ils feraient de I'introspection, vous ne croyez pas qu'on méconnaissait là completement le statut de I'inconscient par rapport à Ia langue naturelle? Antaine CULlOLl Dans ce cas, je crois qu'on a affaire à une forme de positivisme, lié à une certaine conception de Ia matérialité, pour en revenir à ce terme ; car on me propose de parler des matérialités discursives, alors je suis bon éleve, je réintroduit le sujet. On peut concevoir Ia matérialité comme un phénomene, à Ia limite physique, susceptible d'une analyse spatio-temporelle. D'un autre côté on peut aussi Ia concevoir, pour continuer ce geme de métaphore, comme une sorte de bloc incontournable, à partir duquel on peut reconstruire quelque chose. Mais on peut aussi songer à une autre conception de Ia matérialité, selon laquelle I'énoncé est un construit théorique, c'est-à-dire un agencement de représentants, de symboles naturels, phoniques, ou graphiques, mais en même temps un représentant à I'intérieur d'un systeme de représentation, puisque les langues elles-mêmes sont des systémes de représentation. A ce moment-Ià, iI faudrait distinguer deux termes dans I'énoncé : I'énoncé-token et I'énoncé-type. Nous aurions alors Ia phrase, qui serait un type, et I'énoncé qui serait I'occurrence matérielle : chaque fois que I'on produit un énoncé, il est unique, et il n'y aura jamais plusieurs énoncés identiques. Ma position c'est de considérer I'énoncé en tant qu'agencement de représentants, construit théorique. Ce serait un autre emploi de « matériaIité » : non pas matiére (préexistant de toute façon comme unité physiquel mais forme. Cette forme ne serait pas amorphe, mais produite par tout un ensemble d'opérations, constitutives de toute activité symbolique humaine. Prendre en compte I'inconscient, suppose qu'il y a toujours cette activité. Lorsque cette personne avait peur de l'introspection, je crois qu'il y avait autre chose : elle se disait que quelqu'un qui ne connaft rien à une langue et qui I'aborde avec des critéres quasi-mécaniques, comme les procédés de communication, va finalement obtenir de meilleurs résultats que celui qui, Ia connaissant, risquerait de faire des tours de passe-passe sémantiques ou phénoménologiques. C'est évidemment naff comme position .: cela peut marcher pour toute Ia parti e c1assificatoire de I'analyse, mais Ia question est de savoir si c'est ça Ia linguistique ! J'ai eu des débuts de frissons en entendant parler de typologie des discours. Est-ce que c'est le but de Ia linguistique, de faire du classificatoire ?

193

10/'

Flisa/)clh

Bernard CONE/N

ROUD/NESCO

Moi, je crois que cette

position

n'était

pas du tout

naive

Vous

!

faites

Antoine

Antoine étant

Iinguiste

et pas

psychanalyste,

j'ai

: en tant que psychanalyste,

y a-t-il pour

Je répondrai propos

de cette

avez mis I'accent tique,

une langue 11 se pose

pour

-

quelqu'un

en psychanalyse

dans

il serait

en permanence.

valable

une

africains,

sa langue toujours

maternelle.

leur langue question,

maternelle,

qui n'est

parce

que cette

qu'il

à fait Ia

faire une analyse

Mais j'ai connu

par ses parents personne

il s'agit,

de Ia linguis-

pas tout

mieux pour

un cas de contre-exemple,

: il fallait

Ce dont

- et vous

maternelle.

vaut toujúurs

essentiellement

poursuivi

c'est

avec les moyens

que dans une autre langue. le français

C'était

décrire

: on dit qu'jj

maternelle

et non

était

de Ia langue temps

qui s'est posée à

que Ia question

de Iinguistes

puissent

qui est en même

qui a appris

dans celle-ci

I'idée

qu'ils

mais qui Ia rejoint

dans sa tangue

! Parce

non

de formation

dessus

de les former

quelque

une question

chose

d'analyse

de dit sur cette concerne

en analyse du discours. discours, on s'intéresse

évidemment histoire

c'est

le ,JS de

faire une analyse avait I'impression

en que

et qu'il serait observé

et effectivement

Ia raíson

fasse son analyse

en fran-

çais.

et idéologiques.

écrites

?

?

du discours,

questiono I'existence

J'ai le sentiment à une question

On prend

un texte

mais tout

Enfin

à I'heure

il y a eu

si ça n'a pas été dit, ça aurait

de typ%gies

et de classifications

que dans le domaine de \'analyse du d'abord pour des raisons politiques

comme

une configuration

spécifique

qui

peut être considérée comme irréductible et porteuse de propriétés singuliéres ; mais d'un autre côté, on essaye de r,laintenir un discours général à son propOSo J'ai

!'impression

-- ce que je veux

dire va peut-être

apparaitre

comme

une agression et je ne voudrais pas que cela en ait I'air - que l'analyse du discours oscille toujours entre, d'une part, des analyses qui se tournent singularité

et qui tiennent

un discours

de générali-

vers I'histoire

en

t;1

té mi"imale,

et,

l"

généralisation res, c'est-à-dire

et qui va ainsi nécessairement vers des dispositifs c1assificatoides typologies ; mais des typologies sans objectif ! Ou moins

"'IC

le part,

un discours

qui prétend

avoir

une

force

de

j'avoue que je ne vois pas bien I'objectif : est-ce un objectif interventionniste ? ... Ce que je comprendrais parfaitement, si I'objectif était d'aider à une prise de conscience politique (par exemple démasquer les forfaitures, les trahisons ... ). J'aimerais en savoir un peu plus : parce que je me demande si on n'a pas affaire

Antoine

ici ou des choses en général

CULlOLl

pu être dit ! Ma question

E/isabeth ROUD/NESCO

donnée

dites

de discours

un autre C'est

Puis-je vous poser une question vous des phénoménes nai"fs ?

français

posée à I'analyse

CULlOLl

Vous savez, moi, rapport à Ia nai"veté.

même

à des cnoses

référence

C'est une question

à de simples

juxtapositions

de discours ...

CULlOLl Miche/ PECHEUX

Ça rappelle

un peu Wolfson. 11 faut

E/isabeth ROUD/NESCO Qui, et un analyste

trop

orthodoxe

type : parce que c'est un dogme, naturelle ... maternelle plutôt.

I'idée

aurait

pu refuser

une analyse

de faire une analyse

de ce

tout

dans sa langue

d'abord

que I'expression

par Antoine

Culioli

pour

« typologie

les besoins

de discours

cela ne s'est pas tellement

fait iei dans les trois jours de ce colloque.

CULlOLl

CULlOLl Bien, alors pourquoi

J'aimerais nade, concernant

bien qu'on

réponde

le classificatoire

à Ia question

et Ia typologie

est-ce que cela ne s'est pas fait ici ?

que j'ai posée à Ia cantondes discours.

»

de Ia discussion.

1I y a bien des gens qui croient en effet que faire de I'analyse de discours, c'est travailler dans I'espace de latypologie du discours. Mais le fait est que

Antoine Antoine

dire

n'a pas été construite

Michel PECHEUX Oans le processus

historique

par lequelles

diverses

entreprises

d'analyse

I !)lI

195

de discolJlS se sont constituées depuis une quinzaine d'années, qu'elles n'ont cessé de s'éloigner d'une perspective typologique.

il apparaft

Antoine CULlOLl Je suis d'accord. Michel PECHEUX On peut citer, pour donner un peu de concrétude à I'allusion que tu faisais, I'exemple de I'opposition entre discours polémique et discours didactique, censée expliquer ce qui s'est passé au Congrês de T ours en 1920. Or I'idée que Ia question de I'analyse de discours serait le lieu de généralités minimum à J'intersection d'un certain nombre de disciplines (idée directement liée à cette perspective typologique) a été mise en cause dês I'ouverture de ce colloque. Ces trois jours de travail ont privilégié une autre perspective : celle du rapport d'hétéragénéité matérielle de zones textuelles en disjonction (dans Ia perspective, par exemple, de Michel Foucault) et celle des contradictions inégalisant les rapports entre ces ZOnes. 11 ne s'agit jamais d'un espace plat, égal, susceptible de se voir affecter une structure au sens pseudo-mathématique du terme et d'être ensuite manipulé à travers des catégories typologiques. Herbert BOSCH J'aimerais poser une question qui touche à Ia liaison entre I'analyse du discours et I'intervention politique : ce qui me frappe, c'est qu'il n'y a pas d'analyse discursive de Ia droite en France, alors que c'est ce problême qui nous intéresse nous en Allemagne. Jean-JacquesCOURTlNE C'est une question importante car elle permet de pointer les effets politiques repérables dans le champ de I'analyse du discours en France : en effet, depuis Ia constitution de cette discipline, Ia grande majorité des corpus étudiés ont été des discours de gauche, avec une fixation qui fait retour sans cesse, une sorte d'insistance à produire des distinctions entre le discours du Parti socialiste et celui du Parti communiste, et ceci sous diverses conjonctures (Congrês de Tours, Front Populaire, Libération ... Pour tenter de répondre à Ia question posée, un détour est nécessaire par Ia conjoncture politique françai~e depuis I'inauguration de I'analyse du discours com me discipline. Cette conjoncture est dominée en effet par I'alliance politique nouée par les partis de I'Union de Ia Gauche, qui aboutit, en 1972, à un « événement discursif » d'importance : Ia signature d'un programme commun de

l.

gouvernement. Comment ne pas remarquer que, dans Ia conjoncture même ou le Parti socialiste et le Parti communiste confondent leurs discours en un « langage commun », ne serait-ce que le temps d'un programme, apparaissent justement dans le domaine de I'analyse du discours un grand nombre de travaux qui se proposent d'effectuer I'analyse contrastive du discours communiste et du discours socialiste, en s'attachant à repérer, dans leur lexique ou dans les opérations linguistiques qu'í!s mettent en ceuvre, les marques de leur individuation ; en les rangeant sous des typologies qui opposent leurs caractêres (discours polémique/discours didactique ; discours en je/discours en nous ... ). L'apparition massive en analyse de discours de travaux contrastifs qui se donnent pour but Ia caractérisation différentielle du discours socialiste et du discours communiste produit donc dans le domaine de cette discipline un effet de contrepoint à I'égard de 1'« événement discursif » qui domine Ia conjoncture politique. On peut voir là, au sein de I'analyse de discours, un cffet directement politique des contradictions qui caractérisaient, sous le « langage commun » d'un programme, I'alliance des principales forces de Ia gauche française : Ia nature contradictoire de cette alliance a en effet produit, com me I'un des « effets discursifs » liés à cette conjoncture, I'oscillation incessante entre le rappel du sens commun des mots et I'interprétation divergente que chacun pourrait en faire. Encore un mot sur Ia question des typologies : on ne peut pas I'évacuer aussi facilement. Si les typologies produites font parfois sou rire, il ne faut pas oublier que I'on a reconduit le probillme des typologies à travers I'emploi de Ia notion de « formation discursive }).Ce que, par contre, montrent des pratiques d'analyse plus récentes qui ont pris le parti de I'hétérogénéité et de Ia contradiction - des formes d'inconsistance du discours - c'est qu'on repêre surtout (mais cela ne sera pas une découverte pour les historiens) des choses qui sont de I'ordre de Ia circulation, mais aussi du retournement et de Ia torsion. Au point ou nous en sommes, j'aimerais bien renvoyer Ia question suivante : pourquoi de I'analyse du discours en France ? Parce que, si on regarde Ia scêne internationale de ce point de vue, on s'aperçoit qu'on a affaire à une spécificité française. On peut considérer I'analyse du discours en bien ou en mal, on peut Ia considérer (c'est parfois le cas) comme une linguistique du pauvre, une demi-linguistique ou une demi-histoire ; toujours est-il que cela s'est constitué en France. Pourquoi Ia linguistique en France s'est-elle adjointe cette espêce de supplément d'âme, de mauvaise conscience historique ? J'aimerais avoir votre réaction à ce propos. Antaine CULlOLl 11 y a plusieurs réponses, qui d'ailleurs ne s'excluent pas. 1I y en a une naturellement, qui est I'intérêt idéologique, politique ... : réponse tellement

I!II;

iJ;]llilleque je n'v insiste pas. 1I V a aussi d'autres réponses. Premierement : je pense qu'il V a une obsession française de Ia signification (Jacques Bouveresse insiste souvent sur le manque d'intérêt total en France pour tout ce qui concerne le langage tel qu'on I'appréhende dans les pavs anglo-saxonsl ; il me semble que les analvstes de discours français ont trouvé là un moven d'aborder des problémes de signification en sautant à pieds-joints sur les problêmes de forme, tels qu'ils peuvent se poser d'un point de vue strictement Iinguistique et logique. Deuxiêmement : en France on a rattaché três tôt Ia linguistique à Ia sociologie, on le voit historiquement. Alors qu'en Grande Bretagne il vavait toute une formation technique au XVllle siêcle qui faisait que I'on étudiait les langues en tant que langues, pour pouvoir former de bons missionnaires en France on s'intéressait à Ia relation entre langage et idéologie, et il me semble que cela est resté. C'est pour cela - et j'attire I'attention là-dessus qu'il me semble qu'il serait désastreux que I'analvse du discours soit ce que vous disiez qu'elle risque d'être : une linguistique du pauvre, une demi-linguistique ou une demi-histoire. C'est-à-dire qu'elle doit effectivement se donner les movens d'affronter I'articulation entre des domaines hétérogênes ; sinon, à mon avis, elle ne sera qu'une espêce de discours redoublé. Troisiemement : Ia France est un des pavs ou Ia littérature a joué un três grand rôle, et on peu~ ~e demander si I'analvse du discours r'~st pas une maniêre, sur ce point, de relayer I'explication de texte en tant qu'exercice scolaire, et comme I'exercice qui apprenait aux gens à lire. Avec cet ensemble de facteurs, on a déjà une amorce de réponse à Ia question : pourquoi cela c'est fait en France ? C'est-à-dire que c'esl au fond un substitut de Ia relation entre linguistique et sociologie ; c'est un substitut de Ia relation entre Iittérature et langage, et c'est une tentative pour chercher à réagir devant des textes d'une maniêre complexe et réelle ... ou bien au contraire, pour chercher à éviter de répondre au probléme ! Ce dont il s'agit, c'est de Ia relation entre, d'un côté, les formes énonciatives, et d'un autre côté, les valeurs significatives qu'on peut donner à ces textes. Ce qui a été dit tout à I'heure à propos des tvpologies discursives opposant les textes du Parti communiste et du Parti socialiste était extrêmement intéressant : finalement tout tourne entre le P.C.F. et le P.S. autour du problême de Ia bonne et de Ia fausse monnaie ; ce point de vue-Ià me semble catastrophique ; on a des mots, on s'imagine que les mots ont un sens et on dit : « mes mots ont un sens, vos mots n'ont pas le même sens que les miens » ; alors que I'on peut montrer que ce n'est pas ainsi que ça fonctionne ... Elisabeth ROUDINESCO Je souhaiterais revenir sur une question déjà posée. Ceux qui ont fait de I'analyse de discours se sont intéressés soit au discours de Ia Révolution

197

française, soit au discours des partis de gauche, du P.S. et du P.C.F. Les discours de droite, Ia pensée de droite ont été três peu analvsés. Jean-Pierre Fave a été I'un des rares à bien ana1vser les différences entre les divers discours de droite. Je suis três souvent frappée, car j'ai un peu étudié Ia pensée de droite en France, par I'amalgame que Ia gauche fait entre des courants de droite completement différents. On ne s'aperçoit plus, aprês, d'ou viennent certains discours. Par exemple, ce que raconte Alain de Benoist, c'est quelque chose qui est entré depuis des années dans Ia vie politique française, et on met I'étiquette « droite » dessus, un point c'est tout ! Jean-Pierre FA YE Le point de départ, ce fut pour moi le choc reçu par Ia brusque flambée d'un langage d'extrême droite, en France, autour de Ia configuration qui a donné naissance en 1958 à Ia Cinquiême République. C'est une période ou pour une fois il V a eu une sorte d'unification de Ia langue fasciste, d'un fascisme « français », autour de pôles de pouvoir. Une tentative qui a été à Ia fois réussie et manquée de façon assez curieuse. La prétendue « Révolution du 13 mai » (1958) était effectivement une sorte de « révolution d'extrêmedroite » avec des homologies de vocabulaires três surprenantes, três proches de Ia langue de Ia Nationale Bewegung de 1928-1930 en Allemagne, en particulier dans toutes les connotations du mot « systême », ce systême qui était tantôt les mendésistes, tantôt le P.C.F., tantôt simplement le Parlement. I1 V a une préhistoire de Ia droite à faire autour des années 1958, dont nous supportons les structures sous les formes de Ia Ve République, sorte d'épiphénomene dérivé de cette « révolution » fasciste qui n'a pas eu lieu. D'autre part pour revenir aux objectifs fondamentaux qu'il peut V avoir derriêre ce tvpe d'analvse - et c'est là qu'Antoine Culioli met le doigt sur Ia plaie et le centre de nos interrogations -, quel intérêt y a-t-il à faire tout cela? En ce qui me concerne, je dirai que c'est une tentative pour introduire un renversement quasi-copernicien dans Ia science de I'histoire, là ou celle-ci est aujourd'hui dans une curieuse impasse. Je dirai que Ia Nouvelle Histoire est partie d'un postulat assez proche de celui du matérialisme historique ; elle se voulait une sorte de transcription française du matérialisme historique au niveau de I'institution universitaire. D'ou, tout d'abord, des analyses de longue durée à partir des infrastructures, des mouvements de prix, des mouvements de salaires, en abordant, par exemple, Ia Révolution française de três loin. Démarche et détour excellents - jusqu'au moment ou cette nouvelle histoire tourneboule sur elle-même et nous dit: ces longues durées, réflexion faite, ce n'est pas cela qui est important, ce n'est pas le mouvement des prix, mais des tendances historiques beaucoup plus (' profondes » par exemple Ia tendance à Ia centralisation ... De cette façon, entre les Capétiens et les Bonaparte, on finit par évacuer « I'épisode » de Ia Révolution française, dont on était parti com me d'une référence centrale.

19S

Apres une eoneeption soeiologisante de I'histoire, on a done une histoire « eoneeptuelle )l ••• Pour moi, ee qui m'intéresse, dans ee « retour à Toequeville », s'il faut le nommer, - retour qui se présente eomme une grande révolution épistémologique -, e'est le retour à une petite proposition, à un énoneé qui n'est pas de Toequeville, mais de Louis Napoléon Bonaparte au lendemain de son 18 Brumaire, e'est-à-dire de son 2 déeembre. Louis Napoléon Bonaparte y énonee déjà ee que François Furet découvre maintenant : « les révolutions ont surtout pour heureux effet d'aboutir dans notre pays à une eentralisation de I'autorité ». Autrement dit, il définit lui-même ee qu'est une « révolution eonservatriee ». Avee 70 ans d'avance sur Ia Konservative Revolution allemande. Le point concluant est, me semble-t-il, que cela, que nous essayons de décrire par des biais différents, c'est une histoire « approchée », au sens bachelardien. Ce qui précisément pour I'historien n'est pas entierement pensable dans Ia mesure ou, s'il réunit tous les documents, à Ia limite, il doit penser qu'il en a fini avec son objet, qu'il a « trouvé » son objeto Alars qu'à ce moment·là tout reste à faire, parce qu'il s'agit de montrer eomment s'agencent, camment s'effectuent les opérations et les abjets. Et cela ne peut se faire qu' à travers les opérations effeetives que le langage naus laisse entrevair, camme trame même des rapports sociaux médiats et immédiats.

La frontiere absente"-

(un bilan)

Le pari du col/oque était d'ouvrir un espace de confrontation entre les disciplines se définissant par des champs radicalement hétérogimes (Ia langue, /'histoire, l'inconscient) mais qui toutes ont affaire avec du discours, ce terme étant à entendre non pas seulementcomme « document » ou sont déposés les germes d'une science ou Ia trace des existences, mais aussi comme Ii monument» (pour reprendre I'opposition de Foucault), objet singulier de langage, singularité d'une situation historique, singularité d'une existence. ftablir un compte-rendu, c'est faire les comptes et ordonner un récit, c'est-à-dire se condamner à Ia figure rhétorique du theme. Mais Ia forme axuménique du theme ne doit pas dissimuler Ia singularité des figures qui structurent le dise" 'r~ des intervenants, ou les questions posées : Ia spécificité de ce col/oque i semble consister dans Ia maniere dont ces figures et questions revienl7ent et insistent dans tout ou partie des interventions (au départ relativement hétérogenes les unes par rapport aux autres), définissant ainsi autant de Ii points d'attaque» d'un titre délibérément fIou (li Matérialités discursives», c'est plus un index qu'un concept} et une certaine position discursiv<;, théorique et sans dou te politique. 1. Le discours : du même pris dans I'autre Des années de structuralisme relayées par /'analyse de discours, mais aussi Ia conception de I'individuation d'une science par clôture d'un domaine propre, nous avaient habitués à considérer le discours cnmme un intérieur (Iieu du dicible et du sens) bordé par un extérieur (Iieu de l'indicible et du non-sens). Une des figures majeures organisant Ia réflexion des intervenants a été de penser /'extérieur d'un discours non plus comme /'au-delà d'une frontiere, mais comme un en-deça sans frontiere assignable, comme Ia présence-absence efficace de I'autre dans le même sens .- remise en cause de I'opposition discursiflextra-discursif, comme deux espaces hétérogenes, par Ia reconnaissance de Ia production discursive de I'extradiscursif (E. Laclau) ; - indicibles du discours, de Ia syntaxe, de Ia linguistique ou de Ia logique (sous Ia forme de ce qui n'y est pas représentable, de ce qui brise Ia consistance de son écriture), comme effet de ce dont ils ne veulent rien savoir (P. Kuentz, F. Gadet, A. Lecomte) ; - débris discursif, inconsistance d'une formation discursive (J.J. Courtine), parole de I'autre dans sa propre parole (J. Authier) ; - irréductible de Ia langue dans le discours d'un systeme conceptuel (J.M . • Ce titre est emprunté à Ia communication

d'A. Lecomte.

200

Rey) ; - dominance idéologique comme effet de rinterdiscours dans l'íntradiscours .Ia loi d'un discours (ce qui domine et organise un discours) n'est pas dans les régularités de ce discours, mais dans un extérieur immanent à celui-ci (J.J. Courtine, J.M. Marandin). D'ou un espace de questions qui réferent à. Ia problématique de I'hétérogénéité et de Ia contradiction : a) comment concevoir celfes-ci, s'il ne s'agit ni d'un simple réseau d'oppositions, de décentrements dans un référentiel globalement homogime (ce que je dis, c'est ce qui me dífférencie de ce que dit I'autre sur le même sujet), ni d'une circulation quasi-brownienne (finalement, on dirait n'importe quoi ...) de lambeaux plus ou moins complexes de signifiants, de langues et de discours? b) comment concevoir celfes-GÍ, s'il ne s'agit pas d'une limitation radicale (Ie miroir ultime de Ia finitude humaine : /'indicible, I'impensé ou Ia mort) mais d'une matérialíté efficace ? c} comment concevoir celfes-ci, s'il s'agit non pas de ce qui emoêcherait de déterminer un champ de contradictions, mais de ce qui au contraire contraint à en spécifier les dissymétries ? 2. La lecture : un ~.avail de trituration L'autre figure récurrente concerne Ia pratique de travaí! sur les discours : non plus définie comme lecture ou se mêlent le voir et I'entendre (d'un sens au travers d'une séquence textuelfe) mais travail au sens de travail philosophique (Wittgenstein commenté par P. Henry) : I( Ia philosophie n'a rien à dire, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de travail phi/osophique ». Ce travail est Ia mise en eeuvre de Iaposition définie ci-dessus, qui conduit à faire place à /'ínconcevable, en un double geste : - concevoir clairement le concevable pour montrer I'inconcevable, c'est-à-dire régler un systeme et un intradiscours; - détruire I'homogénéité imaginaire des systemes et des intradiscours. Ce theme a été repris dans Ia référence contrastée à des écritures littéraires : chez Borges et chez Joyce se jouent deux pratiques syntaxiques, I'enchâssement et Ia déliaison (M. Pécheux), à des écrítures conceptuelfes : comparaison de Freud et de Nietzsche (J.M. Rey), ou une réflexion sur ce que Ii déconstruire Ia syntaxe » peut supposer comme construction de celfe-ci (F. Gadet). Ce travail théorique définit un discours qui ne dit rien, n'interprete pas (qui ne place pas de systeme en position de locuteur à Ia place de lui qui énonce /e discours, produisant ce que I'autre ne voyait pas qu'í! disaiO, mais qui montre, qui ouvre une perspective pour discerner ce qui résiste à se dire dans le dire même. Une pratique qui sort du ressassement, de I'assomption dans le sens, pour interrompre le cercle de Ia répétition et des paraphrases :

201

une contribution

à un éloge de Ia débilité (A. Manier).

3. Le probleme de I'émergence:

le discours comme effet

Dans une problématique privilégiant le même conçu comme ressassement référé à un domaine de mémoire ou s'assure I'homogénéité d'une formation discursive et comme répétition horizontale, en expansion dans le discours ou s'instaurent un Ii sujet p(ein de son discours » et un univers du discours ou le sens se stabilise par le jeu des paraphrases et des reformulations, plusieurs intervenants, ainsi que les participants de Ia Table Ronde, ont posé le probli3me de I'événement discursif. Penser le discours comme événement suppose de concevoir comment du discursif peut arrêter un processus, rompre une répétition, le ressassement. De ce point de vue, I'événement est fondamentalement une interruption et une émergence : - /'ínterruption par et dans une parole : . Ia parole prophétique comme maUonction du discours, mal-diction (O. Vida!) dans laquelle /'autre d'un discours orthodoxe s'articule prophétiquement. De ce point de vue, Ia parole est porteuse de vérité intempestive, perpétuelfement menacée de s'ensevelir dans le silence; . Ia rencontre, moins comme reconnaissance que comme choc, dans lequel Ia répétition verticale vient trouer le ressassement discursif de Ia répétition horizontale (J.M. Marandin) et consacrer I'effet de hasard en /e produisant comme nécessité. Par ces deux biais, Ia parole apparaít comme /'ínstance de I'Autre dans le discours, à /'íntérieur du champ même du langage, comme ce qui troue I'ordre du discours et annule tout métadiscours. Simultanément, Ia paro/e apparaít comme un jeu de langage au bord du silence: Ia parole intempestive intervient comme passage aphorístique, eeuvrant dans le discours philosophique à en déconstruire le dogmatisme (P. ce qui est important, c'est ce Henry) : I'énoncé wittgensteinien selon lequel qui ne peut être dit », désigne que le travail phi/osophique à affaire au langage sous Ia forme d'une question paradoxale : comment parler de ce dont on ne peu t pa rler ? Ce paradoxe atteint son point maximum au moment ou, le symbolique faisant défaut, /e visible d'un geste ou d'une image vient hanter I'absence de toute parole (J.M. Gaudil1i3re, A. Manier). La question est alors de savoir si, dans I'espace de Ia psychose, roreil/e cede véritablement Ia place à I'eeil, et avec quelfes conséquences théoriques (par rapport à Ia théorie /acanienne du Signifiant)et pratiques (par rapport à Ia question du regard psychiatrique) : - I'émergence dans une pratique discursive d'un énoncé ou d'une place énonciative. J. Guilhaumou et D. Maldidier reperent /'émergence d'une place «

énonciative prise par Henri Fiszbin, dans un appareil et un discours qu'il répête mais déplace du ta;t même de /e repéter dans une p/ace autre. IIs montrent

202

comment cette émergence détermine I'affrontement de stratégies discursives autour d'une formule (<< A Paris nous avons mis en CEuvre I'orientation du XXlle Congres avec difficultés J», affrontement repéré comme un brouillage ou un déplacement de frontif}res autorisant simultanément l'inclusion et I'exclusion de Ia Fédération de Paris par rapport au « nous » de Ia Direction Communiste. Un autre exemple historique d'intervention discursive, constitutrice d'événement, conceme /'apparition de Ia place énonciative du porte-parole au cours de Ia Révolution Française (8. Conein): /'événement fonctionne ici comme l'intervention d'un sujet refoulant l'irruption Par ces deux biais, le probleme posé est celui de Ia production f'histoire par les discours (E. Laclau).

du réel ou de

4. La syntaxe : entre l'impossible et l'interdit La possibilité de grammaire d'une langue se fonde de f'opposition entre ce qui peut être dit et ce qui ne le peut pas, soit une référence à l'impossible, distingué de I'interdit et condition de celui-ci: existe-t-il autrement qu'en référence à Ia regle, trop rapidement confondue avec le régulier ? (J.M. Marandin, F. Gadet). L'oubli du lieu de production du discours grammatical (de I'école à /'université) tend à aveugler les linguistes sur leur pratique et sur leur objet (P. Kuentz). Cette référence décisive à l'impossible-condition de Ia langue est approchée sous Ia forme de pa r Ia Grammaire Générative Transformationnelle f'opposition entre grammatical et agrammatical. Cette dichotomie conduit plusieurs intervenants à s'interroger sur Ia forme de Ia frontiere entre ces deux termes, pour insister sur son caractêre inassignable, pour montrer qu'elle sépare deux objets qui sont fondamentalement de même nature (F. Gadet), pour souligner son lien à l'impossible par le fait qu'elle ne sépare de rien (P. Henry), que I'extérieur est tout autant à I'intérieur (J.J. Courtine). 5'il n'y a pas de métalangage, rien ne permet de dire l'impossible du langage. La question de Ia représentation de Ia langue à travers Ia grammaire se pose dans les limites de celle-ci, soit sur des points grammaticaux précis (J. Authier), soit par Ia nécessité, pou'r traiter certaines questions, de faire in tervenir un savoir extra-grammatical (M. Pécheux). La question de Ia syntaxe est ainsi reliée par divers biais à I'opposition traversant par ailleurs f'ensemble du Col/oque entre intradiscours et interdiscours, en tant que condition de production du sens autour d'une frontiere inassignable (J.J. Courtine, A. Lecomte) ou du sens se produit dans le non-sens. Tout ceci conduit à s'interroger sur I'autonomie de Ia syntaxe, non pas à travers sa remise en cause sociolinguistique, mais en référence à Ia discursivité. Les organisateurs.

BIBLIOG RAPHIE

Related Documents


More Documents from "diah handayani"

Gibran_filhos
May 2020 12
Ffb6330bd01
May 2020 3
May 2020 2
May 2020 4
Pens An Do
May 2020 4