Sociologie Des Medias

  • November 2019
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Sociologie des médias

Université Paris III – Sorbonne Nouvelle

Dina El Kassas

Année 2007 – 2008

La société égyptienne de la fermeture à l’ouverture numérique 1.

Introduction Dans la présente étude, je mène une réflexion personnelle sur l'évolution de la

société égyptienne au contact de la télévision en me basant sur mon vécu en tant qu'une personne appartenant à la classe moyenne supérieure. Selon Reporters sans frontières, l'Egypte est classé 143ème sur 167 pays en ce qui concerne la liberté de presse. Comment ce climat est-il vécu en Egypte ? La presse télévisée subit-elle le même sort ? Comment la situation a-t-elle évoluée au cours des trente dernières années ? La télévision est-elle entrain de changer le vécu des populations arabes ? Quel était le contact de la famille, la mienne, avec la télévision ? Comment avons-nous vécu l'introduction de la télévision satellitaire ? Et comment vivons-nous l'introduction de l'ordinateur et de l'Internet ? En me basant sur mon expérience personnelle et sur des observations sur mon entourage direct, je vais réfléchir sur ces questions en survolant l'histoire de l'écran en Egypte. Puis, je vais montrer comment ma famille a vécu l'introduction de l'écran au sein de notre foyer. A travers ce travail, nous allons découvrir comment la société égyptienne a passé d'un monde régi par une télévision nationale dont la seule source d'information est le gouvernement à un monde de pluralité médiatique. Je vais mettre en exergue la dimension transnationale du paysage audio-visuel arabe et montrer comment le téléspectateur s'est transformé d'un utilisateur passif à un utilisateur actif de la

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télévision et comment il réagit avec les téléshows à dimension sociale. Je vais aussi montrer, brièvement, comment le militantisme passe à travers l'écran de l'ordinateur (les blogs) et le téléphone mobile (les sms) sous le joug d'autorités répressives.

2.

Histoire de l’écran en Egypte 2.1 De 1960 jusqu’aux années 80 : deux chaînes nationales La télévision égyptienne compte parmi les plus larges et effectives télévisions

des pays sous-développés en Afrique et en Asie grâce à son importante industrie des films et les services radio qui était déjà en place avant son inauguration. Cependant, le développement de la télévision a été toujours entravé par des facteurs culturels et sociaux. La télévision égyptienne a été inaugurée le 21 juillet 1960 à la suite d'un accord signé avec Radio Corporation of America (RCA). Jusqu’à la fin des années 80, il n'y avait que deux chaînes nationales diffusant environ 15 heures par jour chacune. Dès son inauguration, la télévision égyptienne était perçue comme la voix du gouvernement et du parti politique régissant. En effet, le directeur de l'Union de la Radio et Télévision Egyptiennes (ERTU de l'anglais) est nommé par le ministère de l'information. La dimension culturelle de la télévision était évidente après la défaite de 1967 contre Israël. Immédiatement après la guerre, la chaîne 3 sur laquelle étaient émis les programmes étrangers essentiellement anglo-saxons a été annulée. Il était jugé inacceptable d'importer des programmes télévisés de pays avec qui les relations diplomatiques ont été rompues. Presque toutes les émissions de l'époque mettaient en exergue le sentiment de nationalisme ou focalisaient sur l'éducation et la religion.

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Les émissions de la télévision étaient marquées par une forte stabilité et une répétitivité monotone : − Le feuilleton égyptien de 19h sur la chaîne 1. − Le feuilleton non arabe (généralement américain au moins depuis les années 80) à 21h sur la chaîne 2. − Des émissions de soirée hebdomadaires fixes : chansons étrangères le mercredi sur la 2, film égyptien le jeudi sur la 1, pièce de théâtre comique le vendredi encore sur la 1, film américain le samedi sur la 2. 2.2 La fin des années 80 et le début des années 90 : sept chaînes régionales La fin des années 80 a témoigné de l’inauguration de deux chaînes satellitaires transmises par le satellite Arabesat lancé par l'Arabie Saoudite (ESC diffusant en arabe et Nile TV diffusant essentiellement en anglais) et de six chaînes publiques régionales couvrant les différents gouvernorats de l'Egypte (seul le gouvernorat de la Grande Caire "Al Qahira Al Kobra" reçoit la totalité des chaînes) : -

la chaîne 3 couvrant le Gouvernorat de la Grande Caire : Al Qahira, Al

Giza et Al Qalyoubiya -

la chaîne 4 couvrant le gouvernorat d'Ismaïlia et Canal de Suez

-

la chaîne 5 couvrant Alexandrie, Béhéra et Matruh

-

la chaîne 6 couvrant Tanta et la Delta central

-

la chaîne 7 couvrant Al Minya, Al Fayoum, Bani Suwaif et Assiut

-

la chaîne 8 couvrant Aswan, et le sud de la Haute Egypte

Il s’agit de chaînes au service de l’environnement et du développement social. N’étant pas mises en place dans un esprit compétitif, ces chaînes offraient peu de choix additionnels et je me permets de dire que vingt ans plus tard elles n’ont pas

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toujours réussi à avoir du public, sauf les gens qui ne peuvent pas se permettre de s’offrir des récepteurs satellites et dont le nombre diminue. Toutes ces chaînes, satellitaires ou terrestres, sont supervisionnées et sous le contrôle de l'Etat qui en est le propriétaire. Le début des années 90 a été marqué par l'inauguration du satellite Arabsat offrant une douzaine de chaînes arabes. Les antennes paraboliques commencent à frayer leur chemin sur les toits égyptiens mais il faudra attendre quelques années avant que le service ne soit démocratisé. Ces chaînes offraient une variété intéressante au niveau de divertissement mais il a fallu attendre encore quelques années avant de voir naître la presse télévisée arabe. 2.3 Les années mi-90 : le lancement du satellite égyptien En Juillet 1996 a été créée l’entreprise des chaînes numériques égyptienne Nilesat. En Avril 1998, le satellite Nilesat 101 est lancé d’Arianne 4 de la Guinée française. C’est le début de l'explosion numérique. La télévision satellitaire fait son introduction dans les foyers égyptiens. A l’époque, seuls les milieux aisés pourraient se permettre de s’offrir des antennes paraboliques et les services des chaînes câblées. Le Nilesat comprend 12 transpondeurs digitaux dont chacun est capable de transmettre un groupe de chaînes télévision et radio. Le Nilesat couvre l'Egypte, le moyen Orient et des pays avoisinants (comme la Turkie et l'Iran) en plus de quelques pays méditerranéens et africains. En août 2000 est lancé le satellite Nilesat 102 fournissant des chaînes additionnelles. En septembre 2005, Nilesat et Eutelsat (le fournisseur de bases satellites français) signe un accord permettant la diffusion des chaînes du satellite Hot Bird sur Nilesat 103. L'accord est entré en application en 2006.

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Nilesat a permis le lancement de plus de onze chaînes nationales spécialisées : la chaîne Nile Drama diffusant essentiellement des films et des feuilletons, la chaîne Nile Variety spécialisée en divertissements (concerts, musique, talk show, etc.), la chaîne familiale, la chaîne d'information, la chaîne de la culture, la chaîne tanweer spécialisée dans la culture générale, la chaîne du sport ainsi que les chaînes d'éducation (primaire, préparatoire, secondaire, médical, langues, université ouverte). Toutes ces chaînes sont sous la houlette du ministère de l'Information. Comme les autres chaînes nationales (satellitaires et terrestres), elles ne sont pas maintenues dans un esprit de compétitivité. Dix ans après leur lancement, elles n'ont pas encore réussi à attirer un large public. Mais en parallèle, Nilesat accueille des chaînes étrangères et environ 150 chaînes arabes. 2.4 Le XXIème siècle et l’ouverture numérique Le XXIème marque l’avènement d’une nouvelle ère. C’est la pleine explosion des chaînes numériques gratuites et câblées. Des chaînes spécialisées dans la diffusion des films, d’autres de la musique, des chansons, des danses, la mode, la cuisine, des chaînes de formation, d’information, des chaînes religieuses. Des chaînes de tous les pays arabes. La télévision satellitaire n’est plus l’apanage des riches, même les chaînes payantes. Une centaine d'agences se chargent de pirater les chaînes câblées et de les diffuser dans les foyers égyptiens pour un très modeste abonnement mensuel. Des milliers de foyers ont recours aux services de ces agences. Voici ce que raconte une jeune femme de ménage à l’hebdomadaire Al Ahram : « Il y a quelques années, je me contentais de regarder ces chaînes chez une famille aisée pour qui je travaillais comme femme de ménage. Je ne pensais pas qu'un jour, je pourrais accéder à ce

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privilège. Il était hors de question de me payer une antenne parabolique à 700 L.E. et un décodeur à 1500 L.E., sans compter l'abonnement mensuel qui dépasse les 100 L.E., pour avoir accès aux chaînes cryptées. Je n'en avais pas les moyens ». Nous assistons là à un phénomène en pleine explosion, face à la monotonie et au caractère trop officiel de la télévision égyptienne, on cherche les chaînes numériques et cryptées. Malgré le caractère illégal de cette activité, qui transgresse le droit de la propriété intellectuelle dont l'Egypte a pourtant ratifié la convention, il s'agit là d'un commerce lucratif, surtout dans les milieux non favorisés et les quartiers populaires. Ces agences en offrant les chaînes numériques et cryptées aux foyers en échange d’abonnement dérisoire font démocratiser un service qui était jusque là l’apanage des riches. Bouleversement phénoménale, nous verrons comment cette ouverture est en train de modifier l’esprit et le comportement d’une société en ébullition (dû fort probablement à cette ouverture numérique et au caractère critique de certaines émissions qui affichent clairement leur réprobation de la situation en dégradation de la société égyptienne, la corruption du gouvernement et dénoncent ouvertement les responsables, tout en encourageant les mouvements activistes). Nous parlerons d'abord de la chaîne qatari Al Jazeera qui à notre avis a bouleversé la presse télévisée arabe puis des chaînes privées égyptiennes lancées au cours des dix dernières années. 2.4.1

La chaîne Al Jazeera et le début de la presse télévisée arabe

La presse télévisée arabe à caractère non nationale a vraiment pris naissance en 1996 avec le lancement de la chaîne Al Jazeera financé par l'Emir du Qatar, Sheikh Hamad bin Khalifa. La chaîne basée à Doha au Qatar et dont le nom signifie littéralement L'île a démarré avec de l'ex-personnel de BBC World Services arabe à

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cause des demandes de censure exigés par le co-propriétaire saoudien. La chaîne est largement diffusée au Proche-Orient, en Europe et actuellement aux Etats-Unis et au Canada. En Occident, Al Jazeera est considérée par certains comme la voix des islamistes car elle offre d'autres vues sur l'actualité du monde arabe que celles des grands médias européens et nord-américains. Par contre, elle est parfois considérée dans les pays arabes comme une chaîne pro-américaine. A mon avis et selon des discussions avec mon entourage, Al Jazeera est perçue comme une chaîne internationale qui interroge le comportement des autorités dans les différents pays sur des questions d'actualité et tente de donner l'occasion à chaque parti pour présenter son point de vue. La chaîne est aussi accusée de sensationnalisme dans le but d'accroître son audience. Actuellement, elle est largement appréciée par les populations arabes qui la considèrent comme une source d'information fiable et active. En tout cas, que l'on soit pour ou contre cette chaîne, on ne peut pas nier que sa création a marqué incontestablement un tournant dans l’histoire de la presse arabe grâce à son côté transnational politiquement diversifié et son positionnement original qui permet une certaine liberté d'expression. La création d’Al Jazeera a contribué à la naissance d’un pluralisme et à l’émancipation de la presse vis-à-vis des pouvoirs politiques et de la censure. Elle a été un facteur d’émulation dans la région (création d’Al Arabiya en 2003). Elle est le fruit d'une volonté de créer une voix alternative aux chaînes américaines qui inondent le Moyen Orient. Comme le dit avec pertinence, Maati Kabal dans les jeudis de l'IMA, "Ce face-à-face médiatique est bénéfique dans la mesure où il introduit une pluralité dans le traitement de l’information". Une pluralité tout à fait naissante dans le spectacle de l'audio-visuel arabe.

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La première victoire internationale d'Al Jazeera sur le terrain médiatique a été la diffusion d'un enregistrement vidéo de Ben Laden lors de l'intervention américaine contre les talibans en Afghanistan en octobre 2001. Les locaux de la chaîne ont été bombardés par les États-Unis à deux reprises : la première fois en Afghanistan et la deuxième en Iraq. Un journaliste, Tarik Ayyoub, est mort à Bagdad à cause du bombardement. Sami al-Haj, un journaliste-cameraman soudanais est enfermé à la prison de Guantanamo. Actuellement, Le groupe Al Jazeera comprend plusieurs chaînes spécialisées : Al Jaseera live lancée en 2005, trois chaînes de sport lancées en 2003/2004, une chaîne pour enfants lancée en 2005, une chaîne documentaire lancée en 2007, en plus de sa chaîne en anglais lancée en 2006. Elle dispose aussi de quatre sites Internet : deux sites pour la chaîne Al Jazeera (en arabe et en anglais), un site pour Al Jazeera Sport et un site pour Al Jazeera Children. Le groupe a dû changer d'hébergeur à plusieurs reprises à cause de ses orientations et des pressions politiques. Fin mars 2003, au cours de la guerre contre l'Iraq, les moteurs de recherche ont reçus trois fois plus de requêtes relatives à Al Jazeera. Sur Google, le nombre de requêtes avec le mot Al Jazeera avait connu la plus grande croissance lors de la dernière semaine de mars 2003. Puis, première semaine d'avril, cette requête est passée de la 3ème place à la première. Al Jazeera lance alors une version anglaise pour faire face à la demande croissante d'internautes occidentaux qui voient la chaîne comme une vision alternative aux informations délivrées par les médias occidentaux et anglo-saxons pendant la guerre contre l'Iraq. Aujourd'hui le site d'Al Jazeera est le site le plus visité dans le monde arabe et est classé 222 sur l'échelle internationale. Chaque jour, le site est visité par plus de 3,3 millions de personnes. En 2007, la chaîne arabe d'Al Jazeera

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dépasse sa rivale BBC avec une audience de plus de 40 million. De sa part, Al Jazeera Anglais atteint environ 100 millions maisons. Cette chaîne a changé la cartographie de la télévision arabe. Avant son arrivée, les populations n'avaient accès à l'information que par le biais de chaînes nationales censurées. Elle introduit un niveau de liberté d'expression inconnue dans le monde arabe. Elle s'intéressait à présenter les points de vues controversés contre les systèmes et les gouvernements arabes. L'équipe d'Al Jazeera comprend en plus des exprofessionnels du BBC, un nombre important de journalistes de renommés dans le monde arabe. Devant ce souffle de liberté et face aux accusations de censure, la télévision égyptienne commence à son tour, au début des années 90, de diffuser sa première émission de presse télévisée "Les discussions à la ville", Hadithu Al Madina, qui couvre des sujets d'actualité de la société égyptienne. L'émission à dimension sociale, n'abordant pas des questions politiques et ne mettant pas en cause les pouvoirs de l'Etat, est appréciée par la société sans provoquer l'aversion du gouvernement. Selon mes connaissances, c'était la première émission de la télévision nationale égyptienne s'intéressant aux soucis et aux actualités de la société égyptienne sans se pencher à des questions d'ordre internationale. Les années qui ont suivies ont témoignées de la diffusion de plusieurs émissions de ce type. Plus tard, Hamdi Qandil, journaliste et intellectuel égyptien très célèbre, fait son entrée à la télévision nationale avec son émission "Editeur en chef", Ra'is Tahrir, commentant et analysant l'actualité en se basant sur les articles de journaux. Sous la pression de la censure, Hamdi Qandil quitte la télévision et l'Egypte pour s'installer en Emirats Arabes. Actuellement, son émission hebdomadaire est diffusée sur la chaîne Dubai TV.

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Pour faire face à Al Jazeera, un groupe d'investisseurs saoudiens lance en 2003 la chaîne d'information Al Arabiya. La chaîne réussit à gagner une audience assez importante, elle est aussi controversée et sévèrement critiquée par les autorités américaines et compte aussi un journaliste tué. De son côté, le gouvernement américain, lance en 2004 sa chaîne "La libre", Al Hurra. Perçue comme un outil de propagande diplomatique, la chaîne ne peut pas diffuser aux Etats-Unis sous réserve de la loi Smith-Mundt Act. Soulignons que l'Iran avait déjà lancé en 2003 sa chaîne d'information arabe Al-Alam. La Russie lance aussi en 2007 sa chaîne d'information arabe Rusiya Al-Yaum, une traduction de Russia Today TV inaugurée en 2005. La France lance France 24, le BBC vient de lancer sa chaîne arabe en mars 2008 et Euronews compte aussi créer une chaîne d'information, sans oublier CNBC arabia et CNN. La Chine, l'Inde, la Turkie et l'Allemagne ont aussi leur chaîne d'information en anglais et en langue nationale. On assiste aussi au lancement de chaînes d'information partîtes surtout au Liban (Al Manar, Future, LBC). L'Emirats Arabes et le Kuwait lancent leurs bouquets de chaînes spécialisées incluant une chaîne d'information. L'explosion des chaînes d'information continue avec des déclarations d'autres groupes de lancer leurs chaînes d'information arabes. Par ailleurs, plusieurs groupes multimédias proposent une version arabe de leur site. En effet, les dix dernières années ont été témoins d'un passage secouant des sociétés arabes de l'information diffusée par les chaînes nationales censurées à un monde compétitif où les points de vue les plus controversés réussissent à se faire entendre. Al Jazeera demeure la source d'information qui a la plus forte audience et la chaîne qui offre les émissions les plus attirantes. Serait-il toujours le cas avec la compétitivité croissante ? En tout cas, on a – ou au moins moi et mon entourage – de plus en plus confiance à la fiabilité d'un écran offrant l'information de sources

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diverses et permettant par conséquent aux différents partis de se faire entendre. En plus, le sentiment d'injustice et d'impuissance face à la manière jugée erronée dont est traité le monde arabe dans les médias "occidentaux" a largement diminué. Je termine la sous-section avec ces questions posées par Maati Kabal : Dans quelle mesure ces chaînes ont-elles augmenté la liberté d’expression ? Constituentelles un nouvel espace d’expression libre en gestation ? L’image aura t-elle eu le pouvoir de créer une communauté arabe plus unie ? D'autre part, à quel point sommes-nous – intentionnellement ou pas – sélectifs dans notre source d'information ? Ecoutons-nous vraiment tous les points de vue ou seulement ceux qui suivent nos convictions ? Interprétons-nous correctement l'information ? La confiance que nous avons dans une chaîne donnée biaisera-t-elle notre appréciation de l'information ? Serons-nous prêts à se laisser convaincre par tout ce qu'elle diffuse ou réussirons-nous à être analytiques et sélectifs parmi ces grandes offres du paysage médiatique ? 2.4.2

Les chaînes privées égyptiennes

En novembre 2001 a été lancé le premier groupe de chaînes de télévision privées Dream TV, 1 et 2, dont le propriétaire est l'homme d'affaire Ahmed Bahgat. Un an plus tard, Dr. Hassan Rateb et l'Union de la radio et télévision Egyptiens lancent la chaîne El Mehwer. Ensuite, l'homme d'affaire Anis Sawires sponsorise la chaîne OTV. D'autres chaînes sont prévues dans les prochains mois. Ces chaînes privées jouissent d'une liberté considérable mais elles doivent quand même respecter certaines limites. Par exemple, selon l'institut des Droits de l'Homme du Caire (Cairo Institute for Human Rights), pendant les dernières élections présidentielles, les chaînes, nationales et privées, ont accordé beaucoup plus de temps

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à la couverture de la campagne d'élection de Moubarak qu'à celle des neuf autres candidats. Je vais me concentrer sur les deux chaînes en compétition Dream et Al Mehwer qui sont entrain de gagner une forte audience. Leur originalité réside, à mon avis, dans le fait qu'elles offrent une presse télévisée fortement ancrée dans la réalité de la société égyptienne contemporaine. En 2004, la Chaîne Dream 2 lance son programme "10 heures du Soir", Alachéra masa'an, animé par Mona El Shazli. Un an plus tard, Ahmed Bahgat annonce que Dream 1 et 2 seront des chaînes terrestres, autrement dit accessibles pour toute la population égyptienne. L'émission fait foire. En 2005, la télévision nationale lance son émission "Fais comme chez toi", El beit beitak, animée essentiellement par Mahmoud Saad et Tamer Amin. En 2006, El Mehwar lance son émission "90 minutes", 90 daqiqa, animé par Mo'taz El Démerdash. Avant ces émissions, le groupe de chaînes privées Orbit avait déjà lancé sa célèbre émission "Le Caire aujourd'hui", Al Qahira Al yom, animé par Amr Adib. Ces cinq talk show diffusés en direct vont bouleverser la presse télévisée égyptienne. Il s'agit d'une sorte de journal télévisé analytique animé par des débats, diffusé 5 jours par semaine presque à la même heure entre 21h du soir et 1h du matin. Les cinq émissions abordent des questions sur l'actualité égyptienne et les débats animant la société : nouvelles lois, le parlement, la crise économique, les réclamations des différents secteurs, les manifestations protestataires, situations humanitaires, etc. Les émissions traitent aussi des questions concernant la famille égyptienne : les examens du bac, la santé, les drags sur mobile, etc. Chaque talk show possède plusieurs numéros de téléphone et une adresse e-mail. L'interactivité est assez puissante avec ces émissions. Le téléspectateur n'est plus un utilisateur passif mais un

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utilisateur actif des médias : il suggère des sujets, intervient en direct dans l'émission et la commente sur les forums. L'interaction avec l'écran s'accroît et la prise de conscience du multi-devices (écran de télé, écran d'ordinateur et écran de mobile) est de mieux en mieux exploiter pour entendre et faire entendre la voix des téléspectateurs. On est loin du journal du soir de la télévision nationale, qui n'émet des informations que sur l'actualité internationale face à un téléspectateur passif. La compétition est assez puissante entre ces cinq émissions qui essayent chacune d'attirer l'audience en traitant les sujets de l'actualité nationale et parfois régionale touchant le plus la population. D'autre part, le téléspectateur égyptien assiste à l'émergence de programmes animés par des journalistes. Ainsi, en 2007, à l'instar du programme de Hamdi Qandil sur Dubaï TV, Dream TV lance son émission "la première impression", Al taba alulaa, qui propose une lecture synthétique des articles jugés intéressants des journaux égyptiens (nationaux et privés qui eux aussi sont entrain d'exploser en nombre). La lecture est accompagnée de commentaires et d'interviews. Quelques mois plus tard, El Mehwer lance une émission homologue intitulée "La dernière page", Al safha alakhira. En effet, entre les deux chaînes, la compétition est importante. Les deux essayent d'attirer l'audience en proposant des émissions qui se veulent captivantes. La diffusion d'un nouveau programme sur une chaîne est fréquemment accompagnée par la diffusion d'un programme semblable sur l'autre. On note aussi le recours de plus en plus fréquent à des journalistes pour animer les programmes. Ces chaînes sont financées par des milliardaires. Le gouvernement est parfois réticent quant à la perte de ces investisseurs. Subissent-ils des pressions de la part des autorités ? Les animateurs reçoivent-ils des avertissements ?

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Il y a un an, "10 heures du soir" a été interrompue pour une semaine. Avec sa rediffusion, on remarquait le ton assez réservé de l'animatrice. Récemment, on parlait des avertissements qu'ont reçus les animateurs de ces cinq émissions. Même si cellesci abordent en direct -d'où l'impossibilité de censure- des sujets délicats, les animateurs adoptent un ton réservé et assez neutre, laissant la parole à des invités présentant des opinions opposés. Comme limite, on notera qu'il est toujours délicat de critiquer le parlement, la police ou les jugements de la loi. Dans une société de plus en plus en ébullition, les journalistes et les professionnels des médias font leur travail dans des conditions relativement difficiles avec le risque d'être arrêté pour "diffamation" ou "atteinte à la sécurité nationale". Le bouquet de chaînes gratuites diffusées sur le Nilesat comprend aussi un nombre accroissant de chaînes de divertissement spécialisées en musique et chansons, films (classiques, récents, comiques, etc.), téléréalité, shopping, etc. Les chaînes proposent des contenus arabes, américains, européens, chinois, turques et récemment indiens. Les chaînes de vidéo clips arabes suscitent une large réprobation à cause du caractère trop conversé des images diffusées. Néanmoins, ces chaînes assez déconnectées de la réalité des populations arabes réalisent de fortes audiences. Le nombre des chaînes de religion augmentent aussi offrant un panorama audio-visuel vaste et diversifié des différentes orientations. On note aussi quelques chaînes spécialisées en sciences, technologie, économie, santé, culture générale, etc. Ces chaînes réalisent une faible audience. Cela signifie-t-il que le téléspectateur arabe se désintéresse de la culture et la science ou bien ces chaînes n'offrent pas des émissions attirantes ? Cette évolution de l'audio-visuel est accompagnée par le développement très rapide du secteur d'Internet qui a permis aux Egyptiens de conquérir un vaste espace

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d’expression dans une interactivité fortement puissante avec l'écran, surtout depuis l'introduction du Web 2, bien dynamique avec ses réseaux sociaux. Par le biais de la télévision, de l'ordinateur et du mobile (grâce aux sms), la population communique, se manifeste, fait partager sa joie mais aussi sa frustration et ses besoins. Grâce à la communication, on devient plus fort, on déclare hautement notre insatisfaction et réclamant des changements. Grâce à l'écran de ces multi-devices, on est devenu plus solidaires et grâce à cette solidarité, on se sent plus protégés face aux répressions. On réussit à prendre des décisions en commun. En avril dernier, l'appel à la grève a circulé de la bouche à l'oreille à grand échelle grâce à ces moyens de communication. Il n'a pas été annoncé par la télévision nationale, et cependant, il a été une réussite. Le Web a permis aux blogueurs et aux journalistes égyptiens de traiter tout ce qui est susceptible d'être censuré dans la presse écrite ou à la télévision. Ainsi en 2007, pour la première fois depuis vingt ans, deux policiers (fonctionnaires d'Etat) ont été emprisonnés à cause d’une vidéo publiée sur Internet et qui montrait les tortures infligées à certains prisonniers durant leur détention. La vidéo avait été postée sur un blog, puis a circulé par mail et sur les téléphones mobiles. Face à une population choquée et en colère, la condamnation des deux policiers était inévitable. Le jugement avait même été annoncé à la télévision. Les gouvernements arabes sont bien conscients de l'impact de cette communication et essayent de freiner cette montée en puissance de la liberté d'expression. Selon le rapport annuel sur l'Egypte de l'année 2007 diffusé par Reporters sans frontières (RSP), la réforme du code de la presse promis par le président Moubarak et engagée en 2006 ne s’est révélée être qu’un "effet d’annonce". Les professionnels des médias égyptiens ont rapidement déchanté face aux nombreuses restrictions introduites par de nouveaux amendements. Pendant l’année,

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au moins sept journalistes ont été interpellés tandis que plusieurs dizaines d’autres ont été menacés ou agressés. Les propositions du Syndicat des journalistes égyptiens, prônant la dépénalisation de tous les délits de presse, n’ont pas été prises en compte par le Moubarak. Ce dernier a déposé, le 28 juin 2006, de nouveaux amendements devant les deux chambres du Parlement. De nombreux médias privés se sont aussitôt élevés contre ce nouveau texte, organisant sit-in et grèves. Le 10 juillet, l’Assemblée du peuple a tranché et voté en faveur du projet du Président qui comprend 35 délits de presse passibles de peines de prison. Seuls les délits de diffamation envers les fonctionnaires ont été dépénalisés, mais, en contrepartie, les amendes à payer ont doublé. Les journalistes égyptiens risquent donc désormais jusqu’à cinq ans de prison pour la "publication de fausses informations", la "diffamation" du Président ou de chefs d’Etat étrangers, ou encore pour toute "atteinte aux institutions nationales" telles que le Parlement ou l’armée. Par ailleurs, plusieurs équipes de télévision ont été harcelées, menacées ou battues par les forces de l’ordre. Les autorités égyptiennes font preuve d’une rigidité particulière vis-à-vis des journalistes de la chaîne qatarie Al Jazeera. Ainsi le 27 avril 2006, Hussein Abdel Ghani, directeur du bureau d’Al-Jazeera au Caire, a été arrêté alors qu’il réalisait un reportage sur une série d’explosions dans le sud du Sinaï. Accusé d’avoir diffusé des "informations erronées de nature à nuire à la réputation du pays", il a été le seul journaliste déféré devant le parquet de la sécurité de l’Etat alors que la même information avait été publiée par de nombreux organes de presse égyptiens et étrangers. Hussein Abdel Ghani a été relâché après avoir payé une lourde caution. Cependant, au 1er janvier 2007, il était toujours sous le coup d’une interdiction de sortie du territoire. Les autorités font ainsi pression sur les journalistes égyptiens travaillant pour des médias étrangers. Howayda Taha, toujours de la chaîne

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de télévision satellitaire Al-Jazeera, a été condamnée à six mois de prison et à une amende de 20 000 livres (soit 2 600 euros). La journaliste avait été brièvement placée en garde à vue alors qu’elle achevait un reportage sur le recours à la torture dans les commissariats égyptiens. En février dernier, lors d'un sommet des ministres des médias arabes et dans le cadre de la ligue arabe a été adoptée une charte d'honneur médiatique largement critiqué par les professionnels de l'audio-visuel à cause de son caractère répressif. On se demande qui est la cible de cette charte qui donne aux gouvernements la possibilité de fermer les chaînes de télévision ne la respectant pas : les chaînes d'information ? Les talk show ? Les chaînes de chansons à caractère controversé ? Ou encore certaines chaînes de religion ? Y aura-t-il des confrontations ? Les professionnels des médias se tiendront-ils à cette charte ? Les autorités réussiront-ils à les bâillonner ? Enfin, le pouvoir égyptien a fait preuve d’un certain autoritarisme en matière de contrôle d’Internet et la blogosphère égyptienne. En juin 2006, une nouvelle loi sur la régulation d’Internet a été adoptée. Elle donne la possibilité aux autorités de "bloquer, suspendre ou fermer tout site Internet susceptible de représenter une menace pour la "sécurité nationale". Depuis, au moins sept cyberdissidents ont été incarcérés. En fait, depuis début 2007, le gouvernement a renforcé la surveillance de la Toile pour lutter contre le terrorisme et des officiers sont chargés de veiller au trafic des informations sur le Web. Les cybercafés doivent obtenir une licence du ministère des Télécommunications sous peine de fermeture. Les internautes et les bloggeurs cèderont-ils aux mesures répressives ? La situation était-elle toujours en ébullition ou bien est-ce récent ? Les nouvelles technologies ont-elles donné de nouveaux moyens d'expression à des

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populations protestataires ou bien les nouvelles technologies et la globalisation ont délié les langues ? Les Egyptiens présentent-ils un peuple pacifiste qui déteste le changement ou bien étions-nous instrumentalisés par un média national qui voulait propager cette idée et la faire ancrer dans les esprits afin de freiner l'envie de changer ? En se basant sur mon expérience personnelle et sur mes contacts dans mon entourage, je pense que les Egyptiens sont devenus des téléspectateurs actifs, ou plus précisément, ils commencent à entretenir un rapport interactif avec l'écran que ce soit l'écran de la télévision, de l'ordinateur ou du mobile. Au contact de l'écran, les Egyptiens sont entrain de devenir solidaires et essayent de faire évoluer la situation du pays. Ils se manifestent plus explicitement et l'atteinte contre une personne ne passe plus inaperçue. En effet, selon RSP, l'Egypte compte six millions internautes et la blogosphère y est l'une des plus actives du Moyen Orient. L'information circule rapidement par le biais des chaînes privées et par Internet. Par exemple, comme nous le venons de le dire, la grève du 6 avril avait été annoncée par les médias privés et encouragés par les internautes qui ont lancé plusieurs appels à la grève, notamment sur le réseau social Facebook. Toujours selon RSP, le groupe “6 avril” comptait 64 000 membres à la veille des manifestations, son créateur, Ahmed Maher, un ingénieur de 27 ans, a été battu par la police de la ville de Mahalla pendant douze heures afin d’obtenir les identifiants du groupe pour que les autorités puissent l’effacer. Ce n'est pas la première fois que les autorités renforcent la censure sur Internet. Malheureusement, je pense que ce courant répressif va s'accroître surtout avec la croissance du taux de pénétration d’Internet qui demeure jusqu'à maintenant faible.

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3. Place de l’écran au sein de la famille égyptienne : une société parabolée L'usage de la télévision satellitaire s'est largement démocratisé. Même sur les toits des maisons les plus démunis, il est courant

de

voir

des

antennes

paraboliques. Avec les agences de piratage des chaînes cryptées, c'est toute la télévision satellitaire qui fait son entrée dans la société égyptienne. La société égyptienne dans sa grande majorité vit une situation économique des plus difficiles. Cela se traduit, entre autre, par un manque d’accès aux moyens de divertissements qui sont quasiment tous payants. La télévision est ainsi considérée comme LE moyen de divertissement gratuit, une façon de voyager ou d’échapper à un quotidien pénible, mais aussi de réagir au sein d’une société fermée. Toute la famille se rassemble autour de la télévision pour suivre un feuilleton. La plupart des familles prennent le repas devant la télévision. C’est tout à fait normal de trouver une mère de famille qui allume la télévision dès son réveil. La télévision a donné ainsi un coup à la conversation en famille.

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Dina El Kassas Il est aussi bien fréquent de voir les cafés offrant les services de la télévision satellitaire gratuitement à sa clientèle. Ainsi, les hommes préfèrent par exemple voir les matchs de football entre eux sur un café au lieu de le voir à la maison.

Se basant sur mon expérience personnelle, je vais parler de l'évolution de la place de la télévision au sein de ma famille au cours des trente dernières années. J'appartiens à une famille de la classe moyenne assez aisée. Mon père est professeur des universités. Jusqu'à l'âge de 10 ans, j'avais l'habitude de passer la plupart de mon temps chez mes grands-parents maternels. Comme c'est le cas partout en Egypte, les enfants, garçon ou fille, ne quittent la maison familiale qu'à leur mariage. Vivaient alors encore à la maison de mes grands-parents ma tante et mon oncle pas encore mariés. Nombre de postes par maison A l'époque (entre 1975 et 1990), il n'y avait qu'une seule poste à la maison. De mauvaise qualité, celle-ci tombait fréquemment en panne au malheur de la famille. Avec le temps, les choses ont évoluées. Etant donné qu'il n'existe pas de taxe de redevance sur la télévision, les familles qui ont les moyens s’offrent plusieurs postes de télévision. Chacun regarde sa télévision dans son coin. Chacun est tout seul avec son écran. Si la télévision se place dans la salle de séjour, par contre l’ordinateur occupe généralement une place plus intime dans la chambre à coucher. D’habitude, l’ordinateur est réclamé par le fils ou la fille comme nécessité pour ses études. Dans ma famille, actuellement, la situation est la suivante :

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Ma sœur et son mari possède trois postes (un poste par chambre) et un ordinateur portable. Omar et Ali, leurs garçons, ont respectivement 4 et 2 ans. Mon oncle possède deux postes de télévision, un PC et un ordinateur portable. Ils sont six à la maison : lui, son épouse, ses deux garçons (23 et 19 ans) et ses deux filles (21 et 16 ans). Je possède deux postes de télévision, un PC et un ordinateur portable. Nous sommes trois à la maison : ma mère, ma sœur (27 ans) et moi. Et nous possédons tous chacun son téléphone portable. Qui regarde Quoi ? Mon grand père aimait suivre le journal télévisé de 9h. C'était fréquemment un sujet de dispute car à la même heure, la chaîne 2 diffusait l'émission américaine que mes tantes et moi aimaient suivre. Mes oncles n'avaient pas l'habitude de suivre la télévision, d'ailleurs ils rentraient tard à la maison. Généralement, c'est mon grand père qui gagne ou moi. Par respect à mon grand père, ma tante attendait la fin du journal télévisé. C'était moi, la première petitefille de la famille, qui demandait ou plutôt exigeait du grand-père de changer de chaîne. Voilà pourquoi je préférais rester chez mes grands-parents maternels. C'était moi la reine –jusqu'à 9h du soir – après, je n'avais pas le droit de regarder la télévision d'où le problème du feuilleton de 9h et le conflit qu'il provoquait entre grand-père qui veut suivre le journal télévisé, ma tante qui veut suivre le feuilleton et moi qui ne veut pas dormir et veut voir le feuilleton avec ma tante. Il n'y avait qu'un seul poste de télévision et quelqu'un devrait imposer ses goûts. Les programmes de télévision La télévision émettait essentiellement des émissions de divertissement et très peu d'émissions d'information. Il y avait aussi les émissions religieuses adressées aux

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musulmans, le discours de la prière du vendredi (le jour férié) émis d'une grande mosquée. Lors des grandes occasions nationales et religieuses, le Président de l'Etat ou le Premier Ministre assistait à la prière. Je ne me rappelle pas avoir suivi une émission scientifique ou culturelle intéressante, à part peut-être l'émission "La science et la foi" (Al ilmu waliman) qui jouissait d'une forte audience parmi toutes les tranches d'âge de la société égyptienne. L'émission présentait des documentaires commentés par l'animateur largement estimé, Dr. Mostafa Mahmoud. Le but de l'émission était de mettre en exergue un thème scientifique et de le lier à la foi. L'émission était captivante, toute la famille la suivait. On était tous d'accord là-dessus. Le programme hebdomadaire du Sheikh Cha'arawi commentant des versets coraniques était lui aussi largement plébiscité, sauf parmi les plus jeunes qui éprouvent des difficultés à suivre son discours soutenu en arabe classique et non pas dialectal. Je compare ce programme avec ceux proposés actuellement par les chaînes de religions satellitaires, diffusés en dialectes et par conséquent plus accessibles. Si les émissions religieuses de l'époque discutaient de sujets détachés de notre réalité, par contre, actuellement, la dimension sociale est bien prise en considération par des émissions qui essayent de proposer des solutions pour les maux sociaux en s'inspirant de l'islam. Quant aux émissions de divertissement de la télévision nationale, leur qualité était et demeure – à mon avis – médiocre sauf pour les feuilletons diffusés au mois de Ramadan (le mois de jeûne musulman). Enfin, je ne me rappelle pas avoir suivi d'émission pour enfants intéressante. Il y avait une émission pour enfants tous les vendredis à 9h du matin et un feuilleton d'une durée de 15 minutes tous les jours à 20h du soir. Rien à comparer avec les

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chaînes satellitaires d'aujourd'hui dédiées aux enfants et qui offrent une large gamme d'émissions pour tous les goûts. Qui détient la commande ? La commande est fréquemment sujette de dispute au sein des familles qui ne possèdent qu’un seul poste de télévision. Nous n'avons pas de problème de ce genre étant donné que nous possédons plusieurs postes. Mais avant quand nous avions un seul poste, c’était ma mère qui décide des émissions dont il est permis de suivre. A son retour du travail, c’est mon père qui détient la commande. Je ne me rappelle pas avoir disputé avec mes sœurs ou mon frère par rapport à la télévision, sauf pour les matchs de football que mon frère et mon père aimaient suivre au grand damne du reste de la famille. Dans la maison de mon grand-père, l'hiérarchie devant la télévision est comme suit : d'abord moi, puis grand père, ensuite mon oncle et ma tante et finalement ma grand-mère pour laquelle les feuilletons de 7h du soir sont sacrés. Elle avait continué à les suivre pendant 30 ans. A l'époque des chaînes de télévision nationales, le poste n'était ouvert que pour regarder une émission précise. On n'allumait pas la télévision pour chercher une émission. On savait ce qu'on voulait voir. La médiocrité de la qualité des émissions faisait que l'on ne passait pas toutes nos soirées devant la télévision. On avait l'habitude de se réunir le soir en famille sur le balcon ou encore chacun dans son coin lisait un livre. La maison était moins bruyante mais il y avait beaucoup plus de communication en famille. L'introduction des chaînes régionales a légèrement modifié la situation. Il fallait attendre le lancement d'Arabsat et le début des chaînes satellitaires pour que la télévision réussisse à se faire de l'audience. Entre temps, le magnétoscope et la

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console vidéo font leur entrée à la maison. Le magnétoscope était utilisé uniquement pour visualiser des films de cinéma en version intégrale (voir infra, la censure parentale). Il faudra attendre la seconde moitié des années 90 pour voir démocratiser les services des antennes paraboliques avec l'inauguration de Nilesat. Actuellement, la télévision satellitaire diffuse environ 400 chaînes et le nombre promet d'accroître à l'avenir. On passe plus de temps devant la télévision. Celle-ci n'est uniquement allumée pour voir une émission précise, il arrive que la télévision soit allumée dans le but de passer du temps à chercher parmi les chaînes une émission intéressante : de Rotana à Melody, de LBC au Future à MBC, ou encore à la découverte de nouvelles chaînes. L'introduction des chaînes arabes a largement modifié les centres d'intérêt des membres de la famille, surtout au cours des cinq dernières années. Ma mère avait par exemple l'habitude de suivre des feuilletons égyptiens, maintenant elle suit aussi des feuilletons syriens, koweitiens, turques avec un doublage en dialecte libanais. Ma sœur a aussi pris l'habitude de suivre ces feuilletons avec elle. J'ai découvert que les feuilletons en doublage libanais font foire, beaucoup de mes amis les suivent. Les dialectes des pays du Golf méconnus il y a une décennie deviennent de plus en plus compréhensibles. Quand j'ai essayé de regarder un épisode en famille, ma mère et mes sœurs m'expliquaient les expressions des dialectes arabes qui m'échappaient. J'ai découvert qu'elles suivaient l'épisode beaucoup plus facilement que moi. Une autre preuve de la dimension transnationale de la télévision satellitaire sur Nilesat est la télé-réalité. Les candidats des émissions de télé-réalité arabes viennent des différents pays. On regarde des candidats venant de pays différents dialoguant chacun dans son dialecte mais qui réussissent à se faire comprendre. On regarde des histoires d'amour, des solidarités, des rivalités et des conflits qui lient et délient les

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candidats. On réussit à comprendre aisément leurs dialectes et on ne perçoit pas de grandes différences entre les candidats. Grâce à la télévision, on a de plus en plus conscience de la dimension arabe de notre identité. On suit sur les différentes chaînes, la situation interne de chaque pays. Je connais les différents partis du Liban, les familles royales du Golf, etc. Je peux suivre les dernières informations de chaque pays : la langue ne présente pas de barrière. Cette ouverture n'était pas possible il y a dix ans avant le lancement des chaînes satellitaires. Mais maintenant, elle l'est grâce à la télévision. L'introduction de l'Internet accroîtra cette dimension communicationnelle. Sur les forums, les blogs et les différents réseaux sociaux, on lit et communique en arabe quelque soit notre nationalité. La censure parentale : de la télé à l'ordinateur passant par le télé-satellite Les chaînes arabes à des échelles différentes exercent une censure sur le contenu des feuilletons et films diffusés (arabes ou étrangères). L'interdiction couvre les connotations sexuelles, politiques et les scènes d'horreur et de violence. Mais, on peut remarquer une allégeance dans ces interdictions sur les chaînes satellitaires. L'information était parfois aussi omise ou biaisée. Les gens nourrissaient une méfiance vis-à-vis du journal télévisé des chaînes nationales qui ne diffusaient que le point de vue du gouvernement. Je me rappelle de mon grand-père et de mon père essayant de caper les chaînes de radio étrangères pour s'assurer de connaître l'information véridique. Je vais plutôt m'intéresser à l'évolution de la censure exercée par les parents plutôt que celle exercée par le gouvernement. Quand j'étais enfant – dans les années 80 – mes parents n'estimaient pas avoir besoin de contrôler les émissions que je regardais à la télévision. Par contre, ils examinaient de près les films vidéo que

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j'amenais. Je me rappelle que j'avais envie de voir un film égyptien intitulé Darb El hawa (La rue de l'amour) qui a passé au cinéma uniquement pour deux semaines avant d'être censuré. Certaines de mes copines à l'école l'ont vu mais ma mère me l'a sévèrement interdit. Vingt ans plus tard, j'ai vu passer le film sur la chaîne satellitaire Rotana cinéma à midi. Ma mère n'a pas jugé nécessaire interdire à mon neveu de le voir. Ma cousine âgée de 15 ans a vu le film sans que mon oncle ne le lui interdise non plus. Pour quelles raisons ce film qui racontait la vie de deux prostituées ne choquait plus ma mère ni mon oncle ? Est-ce que le sujet traité ne les choque plus ? Ou bien en comparaison avec le contenu des émissions de certaines chaînes musicales arabes qui n’arrêtent pas de réchauffer le paysage audiovisuel arabe avec des vidéoclips aux images très osées, les scènes des films sont jugés réservées et ne sont plus contestées comme auparavant ? Est-ce que la télévision est entrain de modifier les normes de la société, notre culture et notre attitude ? Je pense que oui : la télévision a largement évoluée et fait évoluer la société égyptienne. 4.

Sitographie  Dina Darwish, "Pirates des ondes ", Al Ahram Hebdo, http://hebdo.ahram.org.eg/arab/ahram/2003/9/10/soci0.htm

 Dina El-Khawaga et Alain Roussillon, Du bon usage des feuilletons télévisés égyptiens, Archives du Monde diplomatique, mai 1995, http://www.mondediplomatique.fr/1995/05/EL_KHAWAGA/1442

 The museum of broadcast, Egypt, http://www.museum.tv/archives/etv/E/htmlE/egypt/egypt.htm

 Rapport annuel (2007) du ministère de la télécommunication, Les médias en Egypte, http://www.sis.gov.eg/Ar/Pub/yearbook/egypt2007/110105000000000007.htm

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 Rapport annuel (2005) du ministère de la télécommunication, Les médias en Egypte, http://www.sis.gov.eg/Ar/Pub/yearbook/Year2005/110102000000000006.htm

 Reporters Sans frontières, Rapport annuel 2008 sur l'Egypte, http://www.rsf.org/article.php3?id_article=25298  Reporters Sans frontières, Rapport annuel 2007 sur l'Egypte, http://www.rsf.org/article.php3?id_article=20677 

Reporters Sans frontières, Les ennemis d'Internet :

Egypte, http://www.rsf.org/article.php3?id_article=26108&Valider=OK  Qui sont les Murdoch des Chaînes satellitaires arabes ! http://www.babnet.net/festivaldetail-8330.asp

 « Le nouveau paysage médiatique arabe », Al Jazeera, Al Arabiya, LBC, Al Manar : contre-pouvoir médiatique ou voix du peuple ? http://www.imarabe.org/perm/actualites/20050224_jeudisima.html

 « du bon usage des feuilletons télévisés égyptiens » : http://www.monde-diplomatique.fr/1995/05/EL_KHAWAGA/144

 Egyptian Radio and Television Union http://www.ertu.org  La chaîne "Al Jazeera" www.aljazeera.net  La chaîne "Al Jazeera" sur Wikipedia http://en.wikipedia.org/wiki/Al_jazeera#Network

 L'émission "Al Qahira Al Youm" http://www.alqaheraalyoum.net/  L'émission "10h du soir" http://elsandrala-elshazly.the-talk.net/  La

télé

de

la

globalisation

http://www.geocities.com/magdy_sarhan98/khaled.html

 Liste des sites de chaînes arabes : http://eyoon.com/1/431/index.html  Un journaliste de la télévision interpellé pour avoir dénoncé la torture http://www.amnesty.org/fr/library/asset/MDE12/016/2007/fr/dom-MDE120162007fr.html

Qui sont derrière ces chaînes arabes MBC : Cheikh Walid Ibrahim Al Ibrahim (photo), lieu de transmission : Dubai 27

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Al Jazeera : Gouvernement de Qatar 1996 – Doha qatar. Le conseil d’administration d'Al Jazeera est composé de 5 qataris en plus du directeur général du groupe Wadah Khanfar (38 ans, photo) et Mahmoud Al-Shamam L’écrivain opposant et politologue libyen qui a été l’éditeur en chef de l’édition arabe de Newsweek magazine. LBC : 60% Al Walid Ibn Talal, 40% Pierre Daher, Beyrouth Al Mostakbel-Zine (future TV): Défunt Rafik Hariri- Beyrouth Al Majd: Société Ala Najd –Arabie Saudite, Studio à Dubai, Riyadet Amman Al Fajr : Cheikh Wajdi Ben Hamza Ghazaoui & Association de Princesse Saraa Al Angar et Groupe Mhisni Iqraa : Goupe ART TV , De Cheikh Salah Kamel. Présidée par MedAbda Yamani- Jeddah Arabie saoudite Infinity : Cheikh Hazaa Ben Zaied Al Nahyan- Abu Dhabi EAU Al Ray : La famille « Boudy » Koweit, affiliée au quotidien Al Ray du Koweit- Koweit Al Horra : Radio Sawa, Horra Iraq, VVsmile. Congrès américain, (propagande américaine) ART : Cheikh Salah Kamel. Au début de l’année a changé de base de Rome à Oman Orbit : Prince Bandr Bin Mhammed Bin Saoud Al Kebir Al Manar: Hizb Allah Libanais- Hassan Nasrallah- Sud Liban Al Rissala : Dr Tarek Swiden (Koweit), affiliée à Rotana Rotana : Prince Al Walid Ibn Talal, Plus grande société de production musicale (plus de 150 artistes). Basée à Beyrouth. Rotana Cinéma et Rtana Zaman sont basées en Egypte Noujoum : Noujoum Al Khalééj Music de l’Emirati SouhailAl Abdoul époux de Diana Haddad. Basée à Dubaï Media center Mazzika : Société Alam Al Phan, Mohsen Jaber- Le Caire ETV : Affiliée à la chaine nbn, Mouvement Amel Chiite – Nabih Barri – Beyrouh 28

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Al Fourat : Conseil Supérieur de la révolution islamique – Beit Al Hakim , Irak Al Fayhaa : Propriété de Mohamed Taii Al Charqiyq : Saad Al Bazaaz, le même propriétaire de Dar Azzamen Londres Al NAdi : Saadi Kaddafi New TV : Tahssine Khayyat – Beyrouth Al Mostaqbel : Beit Al Hariri – Beyrouth Hannibal TV : Hannibal TV appartient à Tunimedia, SARL au capital d'un million de dinars tunisiens, détenue à hauteur de 90 % par Larbi Nasra, les 10 % restants étant détenus par deux membres de sa famille (Saloua et Najet Nasra) MTV- Lebanon Beit Al Morr- Beyrouth NBN : Mouvement Amel – Nebih Barri- Beyrouth Nessma TV : Nessma appartient au groupe publicitaire tunisien Karoui & Karoui World. Les locaux de la chaîne se situent entre Paris et Tunis. Al Alem Iran service Arabe- Téhéran One TV Sama Dubai, Dubai, Dubai Sport, Gouvernement de Dubai Chaam Yasser Al Adama- Damas Syrie ANB : Salah Safdi, Oman, Jordanie ANN : Rifaat Asaad Sahar : Tv Iran arabe- Téhéran

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