Saint Paul : Un juif parfait ? par Pierre Féderlé M.Afr.
Sources d’information (fiables ou non) On peut d’abord se demander d’où viennent nos sources d’information ? Elles proviennent surtout des Actes des Apôtres de saint Luc, écrits entre 80 et 90, (bien que pas toujours fiables !) et des épîtres de saint Paul, écrites entre 20 et 30 ans avant les Actes. Il est évident que les 13 épîtres n’ont pas été toutes écrites par lui. Sept lettres seulement sont habituellement reconnues par la plupart des chercheurs (1 Th, 1 et 2 Co, Ga, Ph, Rm et Phm) et les 6 autres sont appelées « épîtres contestées » (2 Th, Col, Ep, 1 et Tm et Tt), bien qu’elles soient proches ou apparentées des autres épîtres, mais composées dans les années 70-100, donc après la mort de Paul. Par contre, on est unanime aujourd’hui pour affirmer que la lettre aux Hébreux, pourtant insérée dans le Nouveau Testament après la lettre à Philémon, n’est pas de Paul. Il a certainement écrit bien d’autres épîtres, dont certaines sont perdues ou parfois intégrées dans des lettres connues (il a écrit au moins 4 épîtres aux Corinthiens et nous n’en avons que 2). Nous trouvons aussi des informations sur Paul et son milieu de vie dans les Antiquités juives de Josèphe Flavius, un historien juif du Ier siècle (pas toujours fiable) et de Strabon, un géographe historien, aussi du 1er siècle. Clément de Rome (fin du 1er siècle) nous parle dans son épître de la mort de Paul, ainsi que Eusèbe de Césarée, un écrivain grec chrétien (265-340). On trouve aussi des informations dans Suétone, un biographe latin (70-128), dans Justin Marcus, un apologiste chrétien (100-165), dans Épiphane de Salamine (315-403), et aussi dans l’Évangile de Judas du Codex Tchacos (fin du 3e s.), découvert en 1970, mais seulement restauré en 2006. Même saint Jérôme (347-420) peut nous donner des indications. L’archéologie nous aide à connaître le milieu de vie du temps de Paul, les villes avec leur description, les habitations, les lieux de prière avec les divers cultes païens. Et finalement, les nouvelles méthodes d’analyse littéraire (en particulier la méthode d’analyse narrative) permettent de mieux comprendre sa vie, sa théologie et sa spiritualité, sa stratégie d’apôtre. Nous avons en fait davantage de renseignements sur Paul que sur Jésus. Malgré tout, ce sont des connaissances assez limitées dans leur ensemble. Parfois réduits à des approximations ou à des hypothèses nous restons alors dans l’ignorance sur ce qui s’est passé ou écrit.
Présentation de Paul On présente parfois Paul comme le fondateur du christianisme et le théologien du message de Jésus. On le dit aussi misogyne. On lui reproche d’être contre le dialogue interreligieux puisque qu’il affirme que seuls les baptisés seront sauvés. On lui reproche encore d’être un collaborateur de l’ordre établi en demandant aux esclaves d’obéir à leur maître. On l’accuse de manquer d’humilité et d’avoir un caractère difficile puisque Marc se sépare de Paul et que Paul se sépare d’un ami de longue date, Barnabé, qui était pourtant le chef de mission du premier voyage missionnaire de Paul. Il manquerait de diplomatie et de respect envers l’autorité, surtout par rapport à Pierre. Et finalement on se pose même la question : est-ce que Paul et Jésus proclament la même religion ? Qu’en est-il ? Que fautil croire ?
Paul se présente lui-même comme « juif de Tarse en Cilicie, citoyen romain » (Ac 9,11). Il est contemporain de Jésus qui est plus âgé d’une dizaine d’années au moins que Paul. L’an 8 de notre ère comme année de sa naissance est un choix approximatif entre 5 et 10 ans, en sachant que Jésus est né au moins 6 années avant la date indiquée par notre calendrier actuel.
Un juif parfait Il se présente comme juif, un juif parfait, et il le restera jusqu’à la fin de sa vie. Il insiste sur ses origines pharisiennes : « Hébreu, fils d’Hébreux pour la Loi, j’ai été un pharisien » (Ph 3,5). Pharisien, fils de pharisien, il appartient à une famille pieuse et instruite. Il est différent des 12 Apôtres présentés comme « des hommes quelconques et sans instruction » dans Ac 4,13. Il a été formé par Gamaliel, un rabbin qui était le plus libéral et le plus respecté des maîtres de son temps. Les pharisiens, en fait peu nombreux de son temps (6 000), étaient populaires, respectés, très fort en Bible, mais intransigeants sur le plan des questions morales et devenus petit à petit moins aimés du peuple. Tarse, sa ville natale, était un haut lieu d’éducation et de philosophie, dépassant en renommée Athènes et Alexandrie, et comptait environ 300 000 habitants (une ville turque actuelle de seulement 100 000 habitants) ; mais Jérusalem est la ville de ses études universitaires. Doué d’une intelligence vive, il y reçoit une solide formation de juriste qui ferait de lui aujourd’hui un bon avocat. Il acquiert un enseignement encyclopédique et des connaissances linguistiques. Ac 28,24 dit : « Tu es fou, Paul. Tes multiples études t’ont tourné la tête jusqu’à la folie. » De fait, Saul, doué en langues, parle l’hébreu et l’araméen ainsi que le grec, la langue commune internationale, appelée la « koinè » (le grec biblique) utilisée dans tout l’Empire. Il connaît les poètes grecs, acquiert aussi quelques rudiments de médecine (Ac 28,9-10 : lors de l’escale de Malte il aide à soigner les malades) et connaît le sport (cf. ses allusions aux courses, à l’effort, etc.) ainsi que l’armée. Paul est l’homme de la cité, du droit, des jeux du stade et de la discipline militaire. Il allie le raisonnement, l’imagination, l’analyse et la synthèse. Il creuse toutes les questions les plus fondamentales qui hantent l’homme : ses origines, sa destinée, le péché et le mal, l’univers, le temps, l’histoire, la grâce et la liberté, la souffrance et la mort, la vie sociale et la vie familiale. Mais ce n’est pas un théoricien, bien qu’il connaisse la rhétorique grecque, ni même un théologien au sens strict : il n’y a aucun plan préétabli dans ses écrits qui répondent seulement « à chaud » à des problèmes de ses communautés. Jésus, par contre, est un villageois. Il donne des images de la nature dans ses paraboles et allégories : les champs, la vigne, le laboureur, les troupeaux.
Paul citoyen romain Paul a le privilège d’être un citoyen romain de naissance, héritant de cette honorable distinction méritée par l’un de ses ancêtres, probablement son grand-père. C’est un titre acquis soit comme chef de la communauté juive qui a participé à l’une des guerres civiles où Tarse a joué un rôle important dans la bataille et la victoire d’Octave à Actium en 31 avant J.-C., soit qu’il eut reçu ce titre donné aux riches familles, artisans et entrepreneurs de textile, ayant contribué à la prospérité de la ville. Les juifs étaient très nombreux dans la diaspora (une dizaine de millions contre un million seulement à Jérusalem et en Palestine). Certaines communautés existaient depuis le 9e siècle avant J.-C., mais d’autres ont pris naissance surtout au 3e et 2e siècle avant J.-C. où l’on déporta les prisonniers de guerre (le cas pour la famille de Paul, selon saint Jérôme dans son traité Des hommes illustres), sans doute revendus ensuite comme esclaves, ce qui expliquerait les nombreuses allusions à l’esclavage : esclave du péché, esclave de Dieu (Rm 6,6,17) et la requête de libération d’Onésime, un esclave (le considérer « non plus comme un esclave… mais comme un frère très cher » en Phm 1,16). Par contre, en Eph 6,5, Paul dit : « Esclaves, obéissez à vos maîtres d’ici-bas ». Ce n’est pas
considéré par beaucoup comme de la bonne théologie. Mais on peut l’excuser d’une certaine façon en affirmant qu’il ne pouvait s’attaquer au problème social de son temps où il y avait deux esclaves pour un homme libre. Il voulait seulement enseigner qu’à l’intérieur de la communauté chrétienne l’appartenance au Christ transforme les rapports maîtres-esclaves en relations fraternelles. Quels sont les privilèges accordés ? On devient surtout un vrai citoyen romain. On a le droit de porter la toge blanche, d’avoir voix aux élections et être dispensé de certaines peines corporelles, et avoir le « droit d’appel » pour être jugé par le tribunal impérial (Ac 25,10-12) et en cas de condamnation à mort, la crucifixion est remplacée par la décapitation (ce qui fut le cas pour Paul). Il y a aussi des devoirs : impôt, service militaire, culte aux divinités de l’Empire, mais il y avait souvent exemption pour les juifs. Shaoul avait un prénom hébreu qui signifie « désiré » « celui qui est demandé à Dieu » (en grec, on prononce Saoulos). Il avait au moins une sœur, selon Luc, mais on ne connaît pas le nom de famille. Paulus sera son nom romain (ou Paulos en latin grécisé). La coutume du double nom, hébreu et romain, est courante. Si ses parents étaient vraisemblablement des riches négociants en textile (import-export), ce qui permit à Paul, au cours de ses voyages, d’avoir des relations faciles avec les artisans et commerçants du textile (comme Lydie, marchande de pourpre à Philippe), tisserands à Corinthe, teinturiers et marchands de laine à Éphèse, il exerce lui-même le métier de fabricant de tentes (Ac 18,5), mais probablement il s’agit plutôt de tissage d’étoffes très rugueuses en poils de chèvre de Cilicie (cf. les cilices du passé pour faire pénitence !). Il exprimera toujours sa plus haute estime pour le travail manuel. Lui-même a toujours été un ouvrier salarié pour ne pas être à charge des communautés où il passait (sauf à Philippe parce qu’il était en prison).
Paul était-il marié ? Ce n’est pas impossible, et c’est même plutôt probable. Pour quelles raisons ? Les rabbins n’ont jamais apprécié le célibat, jusqu’aujourd’hui, et rares étaient les « contrevenants ». S’il était membre du Sanhédrin à Jérusalem (Luc le laisse entendre en parlant de son « suffrage » Ac 26,910), il devait être marié, car les célibataires n’étaient pas admis à cette haute fonction. Par contre, vers les années 53-54, alors âgé de 45 ans, en rédigeant d’Éphèse la première lettre aux Corinthiens, il est manifestement « sans femme » (1 Co 7,7-8) lorsqu’il fait une brève apologie du célibat, sans pour autant en faire un « modèle » qui s’imposerait à tous. « Sans femme » peut signifier que sa femme est déjà décédée et il serait alors ‘veuf’, ou que sa femme est restée dans son village, ou même que sa femme l’a quitté en rompant le mariage. Les trois solutions sont possibles, mais on ne sait rien de certain.
Portrait de Paul Souvent, Paul parle d’une maladie, d’un corps infirme (Ga 4,13). Ailleurs, il dit avoir « une écharde dans la chair » (2 Co 12,7-9). On a souvent expliqué cette expression comme étant une maladie et on a proposé une centaine d’hypothèses. En fait, il s’agit très probablement des ennemis d’Israël, des adversaires et des rivaux qui contestent sa prédication. On l’a imaginé petit, malingre à cause du terme « avorton » (1 Co 15,8) où il s’agit en fait d’une image spirituelle. On a une seule description physique de lui dans les Actes de Paul et de Thécla (un document apocryphe écrit vers 165 de notre ère et contenant certaines hérésies… Thécla qui baptise le lion qui allait la dévorer) : « Homme de petite taille, à la tête chauve, aux jambes arquées, vigoureux, aux sourcils joints, au nez légèrement crochu, plein de charme. Car tantôt il paraissait un homme, tantôt il avait l’air d’un ange ». (On trouve les mêmes descriptions pour Auguste ou Héraklès : taille courte, jambes arquées, sourcils
joints). Le même document rapporte que les hommes le chassaient de leurs villages parce que toutes les femmes venaient à lui. Il est certain qu’il devait avoir une constitution plutôt robuste pour supporter tous ses voyages et mauvais traitements (Marc, beaucoup plus jeune que Paul, le quitte lors du premier voyage missionnaire, fatigué, épuisé ou à cause du caractère difficile de Paul… Barnabé se sépare aussi plus tard de Paul). Paul, toujours discret, doit se défendre et faire son apologie pour répondre aux accusations faites lors du troisième voyage missionnaire (voyage non mentionné par Luc dans les Actes). Voici ce qu’il dit en 2 Co 11,23-28 : « Travaux, emprisonnements, coups. Souvent j’ai été à la mort ; 5 fois j’ai reçu des Juifs les 39 coups de fouet ; 3 fois j’ai été battu de verges ; une fois lapidé ; 3 fois j’ai fait naufrage », sans compter les dangers mentionnés dans d’autres textes où il ne faut certainement pas voir une exagération.
Vocation, conversion ou ravissement de Paul Nous avons 4 récits de cet événement sur le chemin de Damas présenté habituellement comme une conversion. On le situe actuellement de façon arbitraire à Daraya au nord de la Syrie. Luc en donne 3 récits avec beaucoup de renseignements, mais rédigés 30 ans plus tard. Certaines situations avaient changé et les présentations édifiantes demandent prudence pour en connaître la valeur historique. Paul est discret et sobre sur ce qui s’est passé. Il déclare avoir vu « le Seigneur » (1 Co 9,2 et 15,8) comme une révélation (Ga 1,16 et 2,2) et revendique le titre d’apôtre en assimilant cette apparition du Ressuscité à celle des apôtres. Luc distingue cette révélation des apparitions pascales et la vocation particulière de Paul du témoignage des apôtres. La vocation (ou ravissement) de Damas est le tournant de la vie de Paul. Pourquoi est-il allé à Damas ? Luc, dans les Actes (26,10), laisse entendre que Paul siège au Sanhédrin pour juger les chrétiens et participer à des condamnations à mort. Ce n’est pas certain. Ponce Pilate n’aurait pas permis de telles exécutions sommaires et le Sanhédrin n’avait aucun pouvoir de jurisdiction hors de la Judée. Paul n’est pas le chef d’un commando ou un commissaire traqueur mandaté officiellement. Lui-même dit en Ga 1,22 : « J’étais personnellement inconnu des Églises de Judée ». Paul est plutôt actif dans les régions où les Hellénistes se sont réfugiés et ont commencé à prêcher. Son rôle officiel en route vers Damas doit se limiter à celui de messager pour informer les synagogues du danger que représentent les Hellénistes convertis au christianisme. Les contrevenants aux directives des autorités juives sont punis des 39 coups de bâtons. Paul désignera plus tard cette action comme une persécution (Ph 3,5-6 : « quant au zèle, un persécuteur de l’Église »). Il veut simplement exprimer qu’il était un zélateur de Dieu, actif et passionné. Damas est une expérience pascale où Paul reçoit sa mission prophétique (il reprend en Ga 1,15-17 les termes de la vocation de Jérémie 1,5, le prophète qui a le plus souffert, et aussi celle d’Isaïe 49,1-3, le Serviteur Souffrant, deux prophètes dont Jésus s’est inspiré pour sa propre spiritualité). Il s’estime être un authentique témoin du Christ vivant, ressuscité, au même titre que les autres apôtres. C’est une expérience mystique, un ravissement, une nouvelle création. On peut seulement parler d’une conversion si on comprend l’événement comme une illumination intérieure qui change son cœur, son regard, le cours de sa vie et non le passage d’une religion à une autre (la rupture entre le judaïsme et le christianisme n’est pas encore effective à cette époque). Paul n’a jamais renié son appartenance au peuple juif. Paul découvre le Vivant, Jésus, le juste qui a assumé le péché et la mort de l’homme. Désormais, tout est grâce, tout est don gratuit et l’homme est libéré de la loi, de la mort et du péché. On ne mérite rien de soi-même. Et ce Christ vivant est présent au cœur de tout homme, juif et païen, qui
l’accueille dans la foi. Dieu fait de tous une créature nouvelle. Paul découvre la gratuité de l’amour de Dieu. Chacun doit faire de la place dans son cœur (une désappropriation, une dépossession, un détachement, une kénose) pour devenir disciple du Christ (Ph 3, 4-16) pour posséder le Christ… devenir chrétien. Cette révélation le transforme en missionnaire (« pour que je le proclame chez les païens » Ga 1,16). Paul est investi d’une mission, il est envoyé chez les païens pour les nations. L’universalité est une des caractéristiques essentielles de la mission de Paul. Il est le premier et le plus grand missionnaire.
Bibliographie (récente) sur saint Paul (Dans le prochain Petit Écho, nous continuerons cette bibliographie en français et nous y en ajouterons une en anglais, préparée par Guy Theunis à Jérusalem.) Badiou Alain : Saint Paul, la fondation de !’universalisme, PUF 1997 Baslez Marie-Françoise, Saint Paul, artisan d’un monde chrétien, Fayard 2008 Becker Jürgen, Paul, l’apôtre des nations, Cerf/Mediaspaul 1995 Bony Paul, Saint Paul… tout simplement, Ed. de l’Atelier - Publications Chemins de Dialogue 2008 Burnet Régis, Paul, Desclée de Brouwer (DDB) 2000 Collectif, Paul le converti, apôtre ou apostat, Bayard 2003 Collectif, Paul, une théologie en construction, Labor et Fides 2004 Cothenet Etienne, Petite vie de saint Paul, DDB 2004 Debergé Pierre, Saint Paul, Source de vie 2005 Decaux Alain, L’avorton de Dieu, une vie de saint Paul, DDB 2005 Emériau Jean, Guide des voyages de saint Paul, DDB 2007 Guillet Jacques, Paul, l’apôtre des nations, Bayard 2002 Legasse Simon, Paul apôtre, Cerf 2000 Legrand Lucien, L’apôtre des nations ? Paul et la stratégie missionnaire des Églises apostoliques, Cerf 2001 Le Monde de la Bible, Paul de Tarse, le voyageur du christianisme (Hors série, printemps 2008) Marguerat Daniel, Paul de Tarse, un homme aux prises avec Dieu, Moulin 1999 Murphy O’Connor Jerome, Histoire de Paul de Tarse, Cerf 2004 Poucouta Paulin, Paul, notre ancêtre, Presses de l’UCAC, 2001