Pourquoi et comment entrer en Bourse ? L'introduction en Bourse séduit de plus en plus. Mais les entreprises françaises se sentent peu préparées devant la multitude de choix qu'implique cette décision. Jadis réservée à une petite minorité d'entreprises, l'introduction en Bourse séduit de plus en plus. En 1996-1997, hors privatisations, 86 entreprises se sont introduites sur les premier et second marchés, pour un total de 10,4 milliards ; 38 introductions ont été réalisées sur le nouveau marché, pour un total de 2,9 milliards. Bien que ces chiffres soient en nette progression par rapport au passé, le nombre d'entreprises cotées et d'introductions en Bourse reste faible en France par rapport aux pays anglo-saxons. Beaucoup d'entreprises françaises n'ont encore qu'une idée vague de l'intérêt d'une introduction en Bourse. Elles en mesurent mal les coûts. Et elles se sentent peu préparées devant la multitude de choix qu'implique une décision d'introduction : Quand s'introduire ? Combien vaut l'entreprise ? Comment déterminer le prix d'introduction à partir d'une estimation de la valeur ? Sur quel marché s'introduire (second marché, nouveau marché, Easdaq, Nasdaq... ) ? Quel intermédiaire et quelle procédure sont les mieux adaptés à l'entreprise ? Nous présentons ici un aperçu rapide de nos réponses à ces questions fondamentales (1). Pourquoi une introduction ? Le désir de notoriété figure au premier rang des motivations affichées par les entreprises s'introduisant en Bourse. La publicité faite autour d'une opération d'introduction est importante et la présence d'une entreprise à la cote lui assure une visibilité permanente. Entre autres avantages, la notoriété donne à l'entreprise une plus grande crédibilité par rapport à ses partenaires commerciaux et par rapport à ses salariés, actuels et futurs. Une entreprise non cotée aura plus de mal à attirer des collaborateurs de haut niveau, ou à entrer dans des relations de long terme avec de grandes entreprises. Ce gain de notoriété a d'autant plus de valeur que la société introduite en Bourse est jeune et se trouve dans un secteur de pointe. Par exemple, l'introduction d'Omnicom au nouveau marché en juillet 1997 a renforcé son statut d'acteur incontournable sur le marché des télécommunications. Reste qu'une introduction en Bourse est avant tout une opération financière. Les avantages financiers de l'introduction dépendent de sa motivation. Trois situations se présentent : - l'entreprise souhaite financer des projets d'envergure qui dépassent la capacité de financement de ses bailleurs de fonds habituels (actionnaires actuels et banquiers) ; - l'entreprise souhaite réduire son endettement ; - l'entreprise souhaite liquidifier la position de certains de ses actionnaires et leur permettre de « sortir », soit à l'introduction soit par la suite. Dans les deux premiers cas, l'essentiel des actions proposées lors de l'introduction sont des actions nouvelles. Dans le dernier cas, l'introduction se traduit surtout par la vente d'actions anciennes. Lorsque l'introduction correspond à un placement d'actions nouvelles, elle transforme la relation de l'entreprise avec son banquier ; ce qui se traduit concrètement par une baisse du coût du crédit après introduction. Une étude récente réalisée en Italie suggère que cette baisse
se situe en moyenne entre 0,4 % et 0,7 %. Une partie de cette baisse est directement attribuable à l'assainissement de la structure financière due à l'apport d'argent frais, mais, pour une portion non négligeable (de 0,3 % à 0,55 %), elle est liée au simple « effet d'introduction en Bourse ». La cotation rassure le banquier, qui devient moins exigeant, mais l'introduction permet surtout d'acquérir une meilleure position de négociation, en faisant jouer la concurrence entre les banques. L'introduction en Bourse facilite aussi la mise en place d'un système d'intéressement des salariés à fort potentiel de résultat, par exemple sous la forme de stock-options. Certes, rien n'interdit à une entreprise non cotée de distribuer des stock-options à ses salariés, mais l'absence d'un prix de marché clair et la difficulté de céder les titres en diminuent l'intérêt pratique. Enfin, l'introduction en Bourse est l'occasion d'une mutation dans le système de « corporate governance » de l'entreprise. Elle implique au minimum une transparence des comptes de l'entreprise, et plus largement un effort de communication financière dirigé vers des investisseurs externes, actuels ou potentiels. Elle conduit aussi à la mise en place de systèmes modernes de contrôle interne et à une professionnalisation des instances d'administration et de surveillance. Ces mutations sont parfois vécues, à court terme, plus comme un coût que comme un avantage de l'introduction. A long terme, elles ne peuvent que conforter la solidité de l'entreprise. Les coûts L'introduction en Bourse engendre un ensemble de coûts pour l'entreprise, certains immédiats, d'autres récurrents. Au moment de l'introduction, les intermédiaires financiers assurant le placement des actions parmi les investisseurs perçoivent une commission. Son montant varie suivant le type d'entreprise, la taille de l'opération et la procédure. En moyenne, sur le nouveau marché, les commissions perçues par les intermédiaires depuis 1996 se situent dans une fourchette de 5 à 7 % des fonds levés, suivant la taille de l'opération (aux Etats-Unis, elle est typiquement de 7 %). La commission rémunère plusieurs services fournis par les intermédiaires : le montage, la garantie et le placement. D'autres intermédiaires ou conseils interviennent aussi, dont, au minimum, un audit externe, un conseil en communication et un conseil juridique. Outre ces coûts directs et visibles, l'introduction mobilise pendant plusieurs mois l'attention des dirigeants de l'entreprise. La négociation des termes de la transaction avec les intermédiaires peut être une affaire de longue haleine. La mise en place de systèmes de contrôle plus sophistiqués requiert un effort managérial important. Tous ces coûts ne sont cependant pas à mettre sur le compte de l'introduction en Bourse : celle-ci est plutôt l'occasion d'un effort nécessaire d'amélioration de la gestion dont toute entreprise, cotée ou non, bénéficie. La plus grande transparence d'une entreprise cotée a pour corollaire une perte de confidentialité, tant vis-à-vis de ses concurrents que de ses clients et fournisseurs. Il est probable que ce coût indirect d'une cotation dissuade certaines entreprises. Reste qu'aux EtatsUnis, tous secteurs confondus, on observe beaucoup d'introductions en Bourse, en dépit des exigences de transparence draconiennes incombant aux entreprises cotées. C'est dire que, pour beaucoup d'entreprises, les avantages d'une cotation l'emportent très largement sur les inconvénients.
A quel moment ? La fluctuation des marchés boursiers laisse souvent perplexes les chefs d'entreprise, et, pour ceux qui ont décidé d'introduire leur entreprise en Bourse, les amène à se demander si certaines périodes sont meilleures que d'autres pour une introduction. La réponse à cette question dépend de l'objectif de l'opération. Soit l'entreprise souhaite maximiser son prix d'introduction, soit elle préfère laisser une marge pour une progression du cours après l'introduction. Pour atteindre le premier objectif, il faudrait que l'entreprise sache repérer le moment où le marché la surévalue, et choisisse alors de s'introduire. Cet objectif pourrait apparaître comme une gageure à l'heure des marchés financiers modernes : quelle que soit son excellence dans son domaine d'activité, une entreprise a peu de chances de battre des « traders » aguerris à leur propre jeu, qui est justement de dénicher les titres sous-évalués et d'éviter d'acheter des titres surévalués. Et pourtant, plusieurs études récentes suggèrent que certaines périodes dites « fenêtres d'opportunité » - permettent aux entreprises d'obtenir de meilleurs prix. Elles coïncident en général avec les périodes où le ratio market/book du secteur (valeur de marché/valeur comptable) est élevé, et le volume d'introductions en Bourse fort. L'autre manière de maximiser le prix d'introduction en Bourse consiste à optimiser la date d'introduction par rapport à la performance économique. Si l'entreprise vient de vivre une période faste, c'est un bon moment pour vendre : les performances exceptionnelles ne se renouvellent pas éternellement. On observe effectivement que souvent l'introduction en Bourse correspond à un sommet : elle est précédée par une forte progression des performances économiques, et suivie par des résultats qui, s'ils restent supérieurs à la moyenne du secteur, se situent en deçà de ce que pouvait laisser espérer une extrapolation naïve de la performance pré-introduction. L'évaluation de la société Mais l'entreprise s'introduisant en Bourse n'a pas forcément intérêt à maximiser le prix d'introduction. Le plus souvent, les entreprises n'ouvrent qu'une portion limitée de leur capital lors de leur première cotation et projettent de faire appel au marché quelques mois ou années plus tard, à l'occasion d'une augmentation de capital. La performance passée de l'action sera, pour les investisseurs futurs, l'un des déterminants de son attractivité. Il peut donc être sage de ne pas viser, au moment de l'introduction, le plus haut prix possible. Pour l'entrepreneur envisageant une introduction en Bourse, l'évaluation de son entreprise est souvent une pierre d'achoppement dans ses négociations avec les intermédiaires. Il existe deux grandes approches de l'évaluation d'entreprise. L'approche intrinsèque identifie la valeur de l'entreprise avec la valeur actualisée de ses flux de trésorerie futurs : elle requiert l'estimation des flux futurs, fondée sur l'appréciation de la défendabilité de l'avantage concurrentiel qui sous-tend sa stratégie ; et le choix d'un taux d'actualisation reflétant le niveau de risque de l'entreprise. L'approche comparative s'efforce d'identifier des sociétés cotées comparables à l'entreprise qu'on cherche à évaluer. On calcule pour ces sociétés des « multiples », c'est-à-dire des ratios entre valeur de marché (capitalisation boursière ou valeur totale) et des mesures de performances (résultat net ou résultat d'exploitation). On applique ensuite ces multiples à la performance de la société à évaluer.
En dépit de sa simplicité apparente, l'approche comparative présente cependant de nombreuses difficultés, qu'il s'agisse de la constitution de l'échantillon de comparaison ou du choix des exercices pertinents pour le calcul des multiples. Ces difficultés sont magnifiées dans le cas de sociétés à introduire en Bourse. Pour des sociétés innovantes (les « concept stocks »), il est souvent difficile de trouver une valeur cotée de comparaison. C'était par exemple le cas de la société Amazon.Com - qui vend des livres sur le Web - introduite sur le Nasdaq au printemps dernier. De plus, on a vu plus haut que les sociétés s'introduisant en Bourse, et cherchant à maximiser le prix de vente, vont choisir des périodes où leur performance récente a été faste. Elles peuvent d'ailleurs « aider » quelque peu cette performance, en faisant un effort particulier l'année de l'introduction. Autant dire que la performance précédant l'introduction ne se prête pas à l'extrapolation implicitement faite par l'approche comparative. L'approche intrinsèque, utilisée à bon escient, permet d'éviter le piège de l'extrapolation. Elle n'est pas une panacée, mais oblige à poser la question centrale : la rentabilité et la croissance dégagées jusqu'ici par l'entreprise sont-elles pérennes ? Comment entrer en Bourse ? Une fois arrêté le principe d'une introduction en Bourse, l'entreprise doit encore se poser une multitude de questions, dont la réponse varie suivant les motivations de l'introduction : - Quelle fraction de l'entreprise vendre ? Même si la motivation principale est le désengagement d'un actionnaire, la vente d'une portion importante d'actions anciennes lors de l'introduction est perçue comme un signal négatif par le marché, et pèsera sur le prix. Mieux vaut la reporter après l'introduction. - Quel marché choisir ? Le marché boursier américain offre sans doute une meilleure valorisation pour certains secteurs de pointe, comme la biotechnologie. Mais les coûts d'introduction aux Etats-Unis sont supérieurs aux niveaux européens, et le Nasdaq a été récemment au centre d'un scandale concernant des pratiques douteuses de cotation des valeurs. - Quel intermédiaire financier choisir ? L'intermédiaire apporte sa réputation, sa technicité, sa garantie et sa capacité de placement. Le choix de l'intermédiaire peut donc être déterminant. - Quelle procédure d'introduction choisir ? La Bourse de Paris a la particularité d'offrir plusieurs procédures d'introduction possibles : l'offre à prix minimum (OPM), une procédure d'enchères ; le placement global garanti (PGG) ; et l'offre à prix ferme (OPF), qui vient le plus souvent compléter un placement garanti préalable à la première cotation. L'OPM permet en principe d'optimiser le prix d'introduction. Le PGG, lui, permet de cibler très finement la structure du nouvel actionnariat de l'entreprise et d'améliorer sans doute la liquidité du titre en créant un marché de blocs. L'introduction en Bourse est une opération complexe mais potentiellement très bénéfique pour l'entreprise, ses actionnaires et ses salariés. Une introduction réussie implique une réflexion préalable approfondie sur les objectifs recherchés, la valeur de l'entreprise, le timing de l'introduction, la procédure et le prix. *
(1) Les idées de cet article découlent d'une étude en cours financée par la Fondation HEC et sont développées dans notre séminaire HEC Management « Pourquoi, quand et comment s'introduire en Bourse », 9 et 10 septembre 1998. La fluctuation des marchés boursiers laisse souvent perplexes les chefs d'entreprise. Ceux qui ont décidé d'introduire leur société en Bourse se demandent si certaines périodes sont plus adaptées que d'autres. (C) Pascal Nieto/REA FRANCOIS DEGEORGE est directeur de la recherche au Groupe HEC et professeur au département finance. Ses recherches portent sur la finance d'entreprise. BRUNO HUSSON est directeur associé de Oddo et Cie, en charge du département Corporate Finance. Egalement professeur affilié au Groupe HEC, il est l'auteur de plusieurs ouvrages et articles portant notamment sur le diagnostic financier et l'évaluation d'entreprise. MICHEL SANTI est professeur de stratégie et politique d'entreprise au Groupe HEC et coauteur de « Strategor » et « Fortune faite ». Administrateur de plusieurs sociétés, il intervient essentiellement sur les problématiques de croissance et de développement. LesEchos.fr Mercredi 10 Septembre 2008