Les mineurs de Carmaux
[…] 2. L'évolution du genre de vie des mineurs A la veille de la première guerre mondiale, plus d'un tiers des mineurs sont propriétaires de leur maison. Transformation du régime alimentaire : hausse (multiplication par six) de la consommation de viande, liée à la généralisation du service militaire (Weber). Le budget moyen des mineurs correspond à la fameuse loi d'Engel : le premier poste est le poste alimentaire (60 %), puis le logement (9 %) et l'habillement (20 %). Démographie : les mineurs de Carmaux respectent la norme des mineurs : forte natalité alors qu'ils sont déchristianisés. En 1910, le taux de natalité est de 24, 8 pour mille contre 18, 5 en France. Sentiment de prolétarisation à partir des années 1880, car le salaire est devenu leur seule source de revenu. Les liens avec le monde rural ont été coupés par la politique de la compagnie et les changements d'horaire. III. Le mouvement revendicatif 1. La défense du salaire Beaucoup de grèves à Carmaux : la plus importante est celle de 1892. Ici comme dans le reste de la France, elles ont pour conséquence une hausse des salaires (Perrot). Cette tendance a été compliquée par la politique de la compagnie, qui a voulu diviser pour régner, en multipliant le nombre de catégories salariales. Les grèves les plus dures (1883, 1892) correspondent à la conjonction d'une hausse des prix pour des raisons locales et une chute du salaire. Les mineurs sont payés à la tâche et leur salaire dépend donc du bon vouloir de la direction. En 1883, ils revendiquaient un salaire minimum capable de couvrir les frais du ménage, en vain. La lutte salariale était très vive en raison de l'intransigeance de la compagnie. Elle y est représentée par un directeur, généralement sur le terrain, qui s'appuie sur le personnel d'encadrement. Au-dessus sont les administrateurs de la compagnie (la famille de Solages) et les actionnaires. Les premiers ont été plus intransigeants que les seconds, car la famille veut asseoir son influence politique. 2. La défense des conditions de travail Depuis 1869, les mineurs avaient le privilège de la journée de 8 heures, confirmé en 1892. A partir de 1890, les luttes ont porté sur l'arbitraire du personnel d'encadrement, essentiellement des Porions, qui sont recrutés parmi les partisans électoraux du marquis de Solages et facilite la carrière des jeunes aides du marquis. La famille veut dominer politiquement la région. En 1891, le direction avait menacé de renvoyer les mineurs qui avaient chômé le 1er mai, et n'avaient été réintégrés qu'à la suite d'une grève menée par leurs camarades. En mai 1892, un mineur, Calvignac, est élu à la mairie de Carmaux. Il est aussi le chef du syndicat des mineurs. La direction avait adopté un règlement réaffirmant son autorité, et le 2 août 1892, la compagnie renvoie Calvignac pour absences non autorisées et esprit d'indépendance. La grève dure deux mois et demi, du mois d'août à celui de novembre, et est marquée par des incidents violents : les mineurs envahissent la maison du directeur, deux d'entre eux sont condamnés par le tribunal d'Albi. La Chambre des députés allait mettre à l'ordre du jour un arbitrage du Président du Conseil : l'armée a été envoyée à Carmaux pour occuper le bassin. Elle a des conséquences sur le maintien de l'ordre dans le département. Le marquis et son beau-père, le baron Reille, acceptent l'arbitrage du Président du Conseil Emile Loubet : le 14 octobre, le marquis de Solages démissionne de son siège de député en signe d'apaisement. Une élection partielle en 1893 amène Jaurès au Palais Bourbon. Arbitrage : réintégration de Calvignac, puis mise en congé immédiate. Les mineurs condamnés par le tribunal d'Albi sont exclus. Les mineurs rejettent l'arbitrage, et la compagnie impose sa loi : Calvignac est mis en congé, et le travail reprend en 1892. La grève a coûté 2 800 000 de francs. La compagnie a voulu affirmer son autorité. L'autre source de conflit est le statut des Caisses de Secours (la Sainte-Barbe) : elles versaient des indemnités en cas d'accidents du travail et des indemnités de retraite. La compagnie assure le prélèvement des cotisations sur le salaire des mineurs, mais il existe des querelles entre les mineurs et la compagnie sur deux points : la retraite est fixée à Carmaux à 50 ans, mais les dernières années sont problématiques ; les accidents du travail : caractère antisocialiste des médecins locaux. Grâce à l'intervention de Jaurès, le parlement adopte en 1894 une loi dont il est le rapporteur et qui permet aux mineurs de gérer les caisses de secours, mais qui fixe l'âge de la retraite des mineurs à 55 ans. En 1898 seulement est votée la loi sur la responsabilité patronale.
Le grand apport de Carmaux aux mouvements revendicatifs est d'avoir permis à Jaurès de prendre place au Palais Bourbon, et d'avoir fait voter une loi qui institue l'arbitrage facultatif de l'Etat en cas de conflit du travail. Il est rendu obligatoire en 1917 grâce à Albert Thomas. Carmaux était une ville exceptionnellement revendicative, puisque les mineurs pouvaient compter sur la solidarité des verriers. Postérité politique et historiographique. En 1896 a été ouverte la verrerie ouvrière d'Albi, ce qui explique l'échec de Jaurès en 1898 pour ne l'avoir pas installée à Carmaux. IV. Syndicalisme et socialisme 1. La syndicalisme 4 800 mineurs, deux syndicats : l'un rouge, l'autre jaune. Le premier est socialiste, dirigé par Calvignac, délégué à la fédération des mineurs. Il a été dissous en 1898 pour collectivisation de ses activités au nom de la loi Waldeck-Rousseau, puis recréé sous le nom de SOMT, Syndicat des Ouvriers Mineurs du Tarn, ce syndicat a été membre entre 1901 et 1908 de la Fédération d'Union Socialiste du Tarn, mais en 1908 il l'a quittée pour pouvoir adhérer à la CGT au nom des principes contenus dans la Charte d'Amiens, qui réaffirme l'hostilité de la CGT envers tout parti politique. Le second est un syndicat chrétien inspiré par les principes de l'encyclique Rerum novarum. Ce syndicat n'a été crée qu'en 1903. Il est aidé par la compagnie, pour une collaboration de classe, il demande à l'État d'exercer son droit d'arbitrage, mais il a participé à des grèves sur la retraite des mineurs. Un noyau dur de 600 syndiqués chez les rouges, 400 chez les jaunes. La mouvance syndicaliste à Carmaux s'explique par la volonté d'emprise de la famille de Solages sur les mineurs. 2. Le socialisme a. La lutte contre l'emprise religieuse de la compagnie Elle porte sur trois points : l'enseignement, la pratique religieuse et l'assistance obligatoire aux messes. Le marquis soutient l'activité des Maristes qui ouvrent la seule école de garçons en 1856 de Carmaux, puis soutien une congrégation qui ouvre en 1875 une école de filles. Laïcisées de force en 1886. Les religieux ont recréé les écoles libres ; leurs élèves avaient priorité à l'embauche. La pratique religieuse est faible : le taux des pascalisants est de 12 % chez les hommes et 28 % chez les femmes. 20 % de funérailles civiles de mineurs, derrière le drapeau rouge. L'anticléricalisme précède le socialisme. Il a deux causes : une cause exogène, l'influence du Sud-Ouest et de la Dépêche, radicale et anticléricale ; une cause endogène : la compagnie exerçait des pressions cléricales et demandait pour avoir des primes qu'on assiste à deux messes. En 1891, le drapeau a été aboli pendant la messe et a fait cesser la tradition. b. L'adoption du socialisme Le sentiment républicain augmente à partir de 70, et en octobre 77, le candidat soutenu par la compagnie a été battu aux législatives, ce qui est relativement banal, mais il y a eu après des rétorsions, notamment au niveau du salaire. Si les mineurs deviennent de plus en plus socialistes, ils se méfient des opportunistes. En 1883, ils avaient déposé un projet de loi sur les Caisses de Secours, qui a mis onze ans pour être voté. Jusqu'en 92, gauche et camp républicain peuvent être assimilés ; mais les républicains restent conservateurs socialement. De nombreux orateurs socialistes sont venus à Carmaux en 1880, mais le détonateur est 1889, avec la candidature du marquis de Solages, lancé avec le soutien d'un comité de 77 mineurs. Sa victoire a deux conséquences : d'une part, la création d'un cercle d'études sociales à Carmaux dès 1892, d'autre part, l'élection de Calvignac comme maire de Carmaux en mai 1892. La grève de 1892 a laissé des traces profondes. Le compromis n'est alors pas à l'avantage des mineurs, qui auraient voulu l'élection d'un des leurs comme députés. Jaurès a été adopté avec réticence : ce sont ses talents d'orateurs qui lui ont permis de dépasser ces réticences. c. La bataille politique pour la défense du socialisme Les élections de 1892 et 93 ont été des succès socialistes. Ces trois succès ont entraîné sur le plan local une alliance entre conservateurs et républicains modérés, qui correspond au progressisme. Le marquis de Solages n'est rallié qu'en 1897, après une audience avec Léon XIII lui-même. Réussite socialiste limitée en raison des idées du marquis, qui ne reconnaissait au syndicat qu'un pouvoir : la capitalisation pour racheter des actions de la compagnie. La deuxième difficulté est le manque de candidats sérieux face à Jaurès, qui a obtenu des voix d'électeurs catholiques. Il n'était pas franc-maçon, et plus modéré face aux congrégations que certains de ses collègues. Le marquis a pu soutenir contre Jaurès des radicaux. Néanmoins, en 1898, le marquis de Solages l'a emporté face à Jaurès. Il a perdu les voix des verriers de Carmaux, puisqu'il avait appuyé la création de la verrerie socialiste à Albi. « Jaurès la misère », « Jaurès la ruine », ainsi que trahisons du socialisme local. Jaurès réélu en 1902 et
1914. Dans les textes, on parle de conquête « révolutionnaire ou parlementaire des pouvoirs publics », ce qui permet de penser qu'il existait une pratique réformiste à Carmaux (lié au développement du nombre de propriétaires ?). L'Union Sacrée et la mobilisation ont été acceptés. Mme. Tempé distingue deux périodes : –1850-1892 : prolétarisation des mineurs, émergence d'une conscience de classe, adoption progressive du socialisme. –1892-1914 : conséquences politiques de l'adoption du socialisme, et adoption d'un réformisme qui correspond à l'ensemble des mineurs français avant la guerre. Pour Mme. Tempé, la conscience de classe est liée à la dureté des conditions de travail et au capitalisme, ainsi qu'à un sentiment profond de solidarité entre les mineurs. En 14, ils vivaient mieux qu'en 50 et étaient plus éduqués. Dans leurs revendications : augmentation du salaire pour logement, vêtements et loisirs. Leurs salaires croissent moins vite que les bénéfices de la compagnie, mais ils en ont conscience, grâce à une meilleure éducation politique. En 14, le gros des mineurs est divisé idéologiquement, mais il évolue vers des opinions politiques modérées.