Le Minotaure ? ?
Le regard serti de quelque maladresse Que je pose sur ce visage creusé, Taraudé par un mal, une détresse, Que je ne comprends pas, et délaissé, Nos silences avoisinant la tendresse – Ses yeux ont depuis longtemps aide refusé. ***
Lui, Mai 2000
Les plis du drap forment un gisant délicat ; La voilà réduite à un parcours sinueux Sur un lit qu’elle n’a pas souhaité d’hôpital. Ses traits déformés autant par la maladie Que par les traitements présagent du pire. Cas Typique d’une mourante au regard vitreux. On n’avait pas encore trouvé de nom au mal Que déjà celui-ci emportait au paradis. On aurait voulu plus de temps, moins de souffrance ; Et l’on n’arrivera plus à se dessaisir De ces membres desséchés, hâves, las et rances ; A jamais verra-t-on le déclin s’y inscrire. On vient vous dire d’attendre ailleurs, dans le couloir. Attendre, on se rend compte qu’on n’a fait que ça : Quand la maladie donnait des coups de boutoirs, Quand les symptômes ne certifiaient pas le glas. Alors on attend. On ressasse les constats Des médecins, on se persuade de l’espoir, On calcule des probabilités de foi, Puis on se souvient du mal souillant dans le noir De ce corps autrefois caressé, embrassé. Dans la chambre il n’y a plus qu’un être passé. On ne soutient plus ce regard qui sait la fin Proche, si proche que demain lui semble loin. On rassemble ses forces pour glisser un mot Dans ces oreilles qui déjà n’entendent plus, Qui ne reconnaissent plus les accents connus,
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Qui ne perçoivent plus que les coups abyssaux De ce cœur qui s’affaiblit sous les sombres maux Du renégat habitant les sphères charnues. On veut donner, d’une caresse maladroite, De l’espoir, du réconfort, mais la main est moite, Et l’on sent le gisant parcouru de frissons. D’amour ou de mort on ignore la raison. La main apeurée cherche l’épaule fragile, Trouve apaisée la main noueuse. Oui, on aime. Et l’on aimerait croire que rien n’est futile Alors que l’organisme n’est plus qu’un phonème. On en veut à la terre entière et on en pleure. On se dit que ce qui tue est sans aucun doute Cette bête recluse appelée Minotaure, Et on parvient à comprendre ce qu’on redoute. Ce barbare qui jour et nuit taraude et ronge, Colosse corrompu rampant même en les songes, Taille sa route de malheur et dans son sillage Se nourrit des chairs et ne quitte qu’un carnage. *** Elle, Octobre 1998
Cela fait maintes marées maintenant, Bien des nuits et bien des jours sans repos, Que nous avons pris pied en cette terre Hostile qui toujours combat la mer. C’est dans ce lieu battu par mille vents Que j’ai trouvé la force qu’il me faut. ***
Lui, Avril 2001
Jour de peine éclos avec les premiers bourgeons. On cherche des yeux l’espoir dans l’iris de l’oeil. On voit partout des symptômes de bons auspices, Mais le minotaure a l’évidence aruspice. ***
Le Minotaure,
Tout comme quotidiennement les lourdes vagues
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Juin 1999
Inlassablement se brisent et viennent rogner Les falaises ainsi moi, le minotaure, élague Avec tant de hargne que l’on m’entend grogner ; L’acharnement à vouloir détruire, détruire, Disloquer ce corps qu’après je calcinerai, Je n’en connais la source mais le sent jaillir Du plus profond de mon estomac. J’irai Jusqu’à trancher, brûler, dévorer ces parois Faites de sang et de chair, d’os et de tendons. Je sais simplement être au-delà du pardon, Moi qui n’a jamais causé que le désarroi. J’étiole les chairs et comprime les artères : L’enfermé faisant subir ses propres enfers. ***
Lui, Décembre 2000
On est désemparé ; y a-t-il eu un choix A faire ? Qui en fut l’auteur, le commanditaire ? On ne connaît que celle qui porte la croix ; On ne connaît que l’instrument de son calvaire. A défaut de nom on l’appelle Minotaure. A défaut de remède on le prend à bras le corps. ***
Elle, Décembre 2000
Du dehors on pourrait penser que je capitule – Les années enseignent à réprimer la colère, A faire confiance aux traitements, aux pilules, A espérer, à moins redouter l’avenir, A défier le monstre tapi en dedans, A affronter la mort et le délaissement. Mort – mot-abcès qui instinctivement s’absente Du langage de tous les jours, mais qui présente Au fur des mois et des examens, perfide, Un corps douteux, acquérant une consistance, Une matérialité infâme et avide, Une silhouette inconquise, cornue et dense ; Une brutalité contemplée sur des fresques – Double labiale dégorgée, vomie presque. Mon corps-dédale s’est fait ruine, décombres, On n’attend plus rien que le sombre de la tombe
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Puis parfois la vie, la vie ! nous étreint soudain, On la sent sourdre quasiment inépuisable, Comme un soleil réchauffant intarissable Qui ondule et vibre, qui irrigue et maintient Chacune de mes cellules gangrenées, et Rend possible toutes les envies ; Elle est flamme, Elle purge et insuffle une ardeur à mon âme, Elle ouvre mes yeux sur un monde empli de paix. Elle se change en promesse de guérison, Attrapée à bras le corps donne l’occasion D’une promenade qui sent bon le passé. – Le soir tombe et s’abîme dans l’obscurité. La lourdeur reprend possession de mon corps, La torpeur nimbe mes esprits qui avaient cru, Un instant, au guérir prédit par le dehors ; Les muscles retrouvent leur atonie déchue, L’hilarité laisse sa place à la tension – Celle qui fait craindre que la nuit ne s’achève Sur ce que certains appellent un abandon, Sur la victoire du minotaure sur le rêve. *** Lui, Septembre 2002
Un râle, un halètement, et les yeux s’ouvrent, S’inquiètent, traquent l’anomalie du cathéter, Le battement manquant, le souffle lent et gourd. On a oublié les tentations de l’éther, Oublié la tauromachie en supprimant Le corps qui l’abrite, en coupant ce cordon… Le sommeil, que l’on ne courtise plus vraiment Il viendra, plus tard, après…après, sans un son, Parachever la victoire du minotaure. La colère est là, palpable comme la mort, Comme ce bras atrophié perdu du mouvoir Dans le treillis des seringues et poches vides, Comme cet œil tant aimé devenu livide, Voilé par la bête rétive ivre de pouvoir, Sapant soigneusement les fondations du corps Son pain quotidien, son unique échappatoire, Qui l’a vu naître, le cache et le verra mort. On perçoit la souffrance, l’instable pupille
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Qui se dilate, le froncement des sourcils, Le poing fermé comme agrippé à un fusil Alors qu’il n’arrive à saisir que la béquille, Jusqu’au blanchissement des articulations. La peau saturée de sueur et de tavelures, De bleus ; le cheveu sec ; la peau de parchemin ; L’ankylose des membres qui souffre la station ; Les lèvres arides aux allées de gerçures ; Et l’on assiste, impuissant, à ce déballage de haine. Le monstre, lui, patiemment, gagne du terrain. Suivi des yeux jaunis par les nuits de souffrir, L’esprit subsiste alors que le corps vit à peine : Son corps, lui, sombre, mais renâcle à dépérir – Les nuits calmes de l’espérance voient des jours Sereins se lever, des accalmies prophétiques D’analgésiques, de pilules, d’onguents salvateurs ; L’isolement fut pourtant la meilleure entrave au mal. La mer offre une vision d’espoir sans pareille : Elle a porté les explorateurs, aidé les cachectiques. Elle a porté sur son sein ceux qui portaient voile ; Ceux qui, déçus par les offres de la terre, vermeils Voulurent leurs inaccessibles horizons se teindre. Malgré tout l’homme est né et demeure marcheur Et a besoin de terre pour y apposer son empreinte. – *** Elle, Mai 1980,
Cette créature, d’où vient-elle? Quel recoin d’ombre a donné naissance A cette bête immense et sauvage Qui ravage ses chairs? Elle a comme aterri au beau milieu De ce rêve aux accents de cauchemars, Cette masse ondulant son bas-ventre velu Entre ses cuisses. Elle se sent violée mais prend du plaisir A sentir les muscles puissants Activer l’étreinte. Elle l’entend gémir près de son oreille, Souffler comme un boeuf sous le joug; Ses mains pétrissent ses fesses.
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Elle aussi explore ce corps qui a faim. Elle sait que ni ses cornes ni ses sabots usés Ne l’empêchent de s’acquitter de sa besogne. Elle sent son sexe glisser dans le sien Et une étrange impression de râpe La fait frissonner. Lui pense que c’est de plaisir. Il redouble d’ardeur. Elle s’agrippe à son dos, A ces poils drus recouverts de minuscules grains. Comme si elle passait ses mains le long D’une paroi friable. Elle sent le plaisir monter, Mais ne veut pas que cela prenne fin. Elle ne veut pas être enceinte. Pas comme ça. Pas lui. Elle voulait simplement s’amuser. Faire l’amour lui faisait tellement de bien. Mais là...cette brute sans vergogne... Pourtant ce n’était qu’un rêve. Ce sexe énorme qui n’aurait d’ordinaire Jamais pu la pénétrer, elle le voulait. Pas mal, non. Mais...pas normal. Un peu honte, un peu sale. Tout ceci serait évanoui au petit matin. *** Roi Minos, 1895 avant J.C.
Une île telle celle-ci ne suffit qu’un temps, (13) Car ce que l’homme recherche : c’est l’espace. Une île n’est qu’un exil forcé, un ban Que l’on contourne – sur lequel on s’échoue A la rigueur – qu’on habite contraint mais d’où L’on regarde autrement le continent. Ile que l’on quitte au premier auspice De mort. Une île, ce n’est bon que pour Y enfermer l’origine d’un mal, que pour Y reclure une soif de félonie. Une île, N’est et n’est pas que des pierres et du sable, Ne peut qu’être l’endroit où tout s’achève, Pour peu que l’on y veuille voir grevé là La pire des afflictions humaines somnolant Parfois, parfois ordonnant son tribut de chair fraîche. Une île comme celle-ci hésite longtemps au bord du rêve. La gangrène qui l’habite aime ces vierges, Aime ces cœurs, ces foies, ces muscles tendres
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Qui lui permettent de supporter l’attente sèche, De subsister malgré l’ostracisme et la dépression – Car rien autour de ce bagne flottant n’émerge – Malgré le ressentiment de l’excommunication. Alors le désir de voir la lumière se fait plus grand A chaque bouchée et l’on veut dévorer la clarté Qui s’échappe de ces peaux fermes, de ces fins ligaments ; Engloutir le monde si advient la nécessité – L’humanité, ces rivages, cette île, ce labyrinthe. Car dans les ténèbres du dédale qui se veut contrainte Le minotaure fou recherche la sortie, Veut exposer sa face inhumaine et haïe, Saccage os et viscères dans un seul but : Qu’on le reconnaisse et qu’à son tour on l’abatte. Pour que cesse enfin cet assourdissant tumulte Dans ses oreilles, qu’on étouffe la fournaise Qui dévore sa poitrine, ces vastes braises Qui lèchent l’intérieur de ses orbites et lui Commandent la soif de sang, font trembler ses pattes. Oui, il connaît bien la bête tapie en traître Dans les boyaux, de ce sinistre labyrinthe. Cette monstruosité, il l’a vue naître, Et l’a cachée. *** Le Minotaure, Juin 2000
A l’intérieur de la femme il déroule sans bruit, Méticuleusement, sa pelote de fil, Solidement amarrée autour de son cœur. Son courroux est immense et découle du fil Et il ignore pourtant pourquoi. Il sent les affres palpiter alentour, Fibriller jusqu’à la moindre artère, La moindre veinule sous sa langue. Ce corps, il le rendra exsangue. Ce corps, il l’aime et il le déteste, De toute son âme malepeste. Se nourrir pour survivre et mourir : Il ne voit aucune justice là-dedans, Rien qui rachète ce subir si grand. Il n’y a que ce constat qui l’accable : Rien sur cette terre n’est fiable.
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Ce serpent qui se mord la queue et s’empoisonne, Mais qui se sustente de ses chairs et devient, Voilà ce qu’est devenu le monde des hommes. Vois là disséquée la honte des humains. Aimer à détruire ce qu’on aime. Voilà la sentence du minotaure. Ce brasier, ce brasier en son for ! – *** Elle, Janvier 2000
Des jours, encore, on acquiert une confiance Démesurée en la science et ses progrès – On a plus de preuves à l’appui qu’on ne pense – Des pulsations folles, inimaginables – Une hilarité jusqu’à en être engourdie, La crispation en un rictus de dents serrées, S’effilochant au fil des mois abominables, S’abîmant dans la laideur de la maladie, Dans la déliquescence des tissus, La raideur des ligaments, les rides, Les palpitations – Qui se font – hid- – euses, – crues. ***
Lui, Mars 2002
Les symphonies ne lui font rien, Tout au plus cinq minutes de bien ; Le mal progresse, l’âme tendue Comme une corde d’alto aiguë ; Et pourquoi ce cruel châtiment, L’ultime châtiment, l’anathème ? Quelle faute héritée sinistrement ? De qui ?...Pourquoi ? En lambeaux tombée, Réduite en charpie de l’intérieur même, Mise en pièce sans merci, lacérée – Le ressac a eu certains effets apaisants, les premiers temps. Les pins, le sable, les récifs, le phare. Le clapotis tranquille et régulier de la pluie sur la mer,
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Sur les tôles ondulées du garage. Encore une boîte de bandes de plâtre De fichue. Il aurait dû prendre le temps De réparer cette canalisation âcre. La rouille a tout fait imploser – et Maintenant le placard est inondé. Mais du coup par ce froid elle a les mains si bleues, Les veines saillantes, si précisément bleues Sur cette peau blanchie, si intolérablement tendue. Il s’est laissé dépasser par les événements. Elle est étendue sur le canapé, les mains crispées Sur son bas-ventre, agrippant ces crampes Insidieuses et formidables, les mâchoires Contractées, à marmonner, à maudire Le monde et la faiblesse de nos organes. Colmater une brèche, changer un joint : Tout cela est si facile…et on ne le fait pas. Soigner une plaie dans un corps humain Avant qu’elle ne se multiplie Et ne devienne mille plaies… On le voudrait, mais ne le peut. Cela est du ressort de la foi. Magnifique machine insauvable. – *** Elle, Juillet 2002
On se figure que la douleur n’a de sens Que parce qu’elle est éphémère et saine comme On la souffre généralement. On en fait des sommes, Sur un morceau de carton on l’évalue en échelle, Ou en palier. Présentée comme une expérience Commune à tous. Alors qu’elle est individuelle. Alors qu’elle n’est mesurable, chiffrable, dicible. Elle vrombit, d’abord sourdement, un simple Bourdonnement, en lente spirale sous le nombril, Puis la voilà moins diffuse, elle devient métallique, Le vrombissement s’intensifie, s’accote aux côtes, S’ancre entre les hanches, tourne comme Une hélice, gronde, fait trembler chaque os, Chaque viscère, s’amplifie jusqu’au bout des doigts, Des oreilles, des sourcils, de la langue, Comme un diapason de malheur, Comme un orgue de barbare.
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La douleur est une dague qui sans cesse Se retourne, qui à chaque inspiration Incise une plaie nouvelle et tangue et Roule et reflue et recharge dans les chairs Plus loin, plus promptement, distinctement, Saisit la gorge, bleuit les ongles, broie Et calcifie les os et les combustions crépitant Ruinant tout faisant bouillir le sang Et la coupure sur la coupure sur la coupure Le cœur pantelant de la douleur Ombre dans une ombre dans une ombre, Comme un cri jusqu’à s’érailler la voix Et plus rien ne compte que le calvaire, Régisseur des hommes, Que ce sang qui s’épaissit d’heure en heure. – *** Le Minotaure, Novembre 2001
Le monde du dehors, on le verra Lorsque ce corps, élimé jusqu’à l’épiderme, Le montrera diaphane et accompli. Les nerfs sont la seule préoccupation actuelle, Ces rhizomes tranchés dans le vif, à même Les fibres. Il ne doit rien rester de vivant. Et ce n’est pas une mince affaire. Car tout concourt à vivre, à se régénérer ; Lui doit se battre contre ce réflexe, cet instinct Qui pousse à remonter à la surface Quelques secondes avant que l’on ne vienne A manquer d’air. Ce corps, il en viendra à bout Dut-il s’user les crocs à rogner ces veines – ***
Lui, Avril 2001
Thalassa ! avait-elle crié. Les mouettes acrobates Dégringolaient dans les bourrasques, Les vagues écumaient les brisants en mille paillettes, Le soleil dansait en longs traits avec les nuages. La guérison fut pensée proche, imminente voire. Lorsqu’après un an rien ne vint L’on perdit un peu de sa confiance, de son cran : Le futur semblait soudain s’approcher Avec des bottes de sept lieues.
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A présent, nous devons vivre au jour le jour tout en Espérant des années ; tout en comptant Les mois égrenés par des croix sur le calendrier. Ces chapelets de croix, ces cimetières bancales à page ouverte Donnent des ailes et plombe l’esprit : Il y a des jours où une croix noire Perdue au beau milieu des cases indique Que le voyage aurait pu toucher à sa fin, Qu’en la mer il y a les profondeurs benthiques. Mais le navire a continué sa course – Ne serait-ce qu’une erre. L’équipage, prêt à bondir au moindre Signe de tempête, voit bien que les vivres S’amenuisent, que le rhum se fait rare, Que le capitaine, ayant abandonné la barre, Ne quittera plus sa cabine. Il a, peut-être, perdu le cap – *** Elle, Octobre 2000
Ne sait ce qu’est la douleur Qui n’a eu ses viscères pétris À même l’abdomen. Les os pris dans un étau. Le cerveau marqué au fer rouge – ***
Le Minotaure, Décembre 1999
Certains diront que c’est tricher, Mais en même temps qui n’a jamais eu L’envie immanquablement forte De couper à travers le labyrinthe ? D’arracher ces thuyas, ces murs de mortier ? D’aller toujours tout droit ? De jouer les passe-murailles ? La magie des détours et des contours, L’aura de mystère nimbant le chemin tortueux, Le défi à relever de sortir de ce lacis : Tout cela se perd dans l’ennui. Et puis le temps presse : l’autre insensé, Celui qui est censé l’abattre au sein Même du monument, avec ses grands bras De guerrier et son épée d’or,
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Se doit de venir et de le tuer. Tout est une question de minutage. Tuer ou être tué, tel est l’adage. Mordre la vie à pleines dents Et tailler dans le vif du sujet : Voilà les noirs desseins du minoen. – *** Elle, Août 2002
On oublie pourquoi on doit rester en vie, Mais on se veut lichen sur la pierre, Lierre sur l’arbre. On s’agrippe avec la force Du désespoir, cette force qui fait gravir Des montagnes et visiter l’enfer. – ***
Lui, Mars 2000
La nudité a disparut, depuis des lustres. – ***
Le Minotaure Juillet 2002
Couper ce nerf et puis après remonter dans le cœur Par l’artère – ***
Elle, Octobre 2001
Encore un spasme, convulsion tectonique Des muscles. Les pensées affluant dans un maelström De voies inconnues, de cris insondables – ***
Lui, Septembre 2001
L’intimité a souffert l’impatience, A un temps courtisé l’amour, Puis elle s’est vue agoniser, puis mourir Dans la gueule noire de la maladie. L’amour seul s’en est sorti, mais pas indemne. Ce ne pouvait plus être le même. Le mal avait déformé les traits d’innocence, Avait spolié la beauté des regards. Replié cette silhouette fière, Comme écrasée en la paume d’une main. Les seins avaient perdu leur galbe,
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La peau son éclat et son élasticité. L’amour souvent faisait appeler la mort, Espérer l’achèvement de l’agonie, Vouloir que la mascarade des perfusions Cesse enfin, que les sirènes d’ambulance Se perde dans la brume marine, que cette Ame jadis aussi étincelante que le soleil Trouve en fin de compte le repos mérité. S’il le fallait, il irait en personne Trouver le minotaure Pour lui administrer l’onction Ou le ramener à la raison. – *** Elle, Décembre 1998
A demi aveugle, sourde, enrhumée Les trois-quarts du temps, clouée au fauteuil Roulant – quoi de plus repoussant ? Celui qui masse les muscles Pour vaincre l’esquarre Ne peut être celui qui vous fait l’amour. Le toucher est vicié, le regard trahi. L’acte d’aimer est ennemi de l’acte de soigner. Son squelette fragilisé à l’extrême N’aurait de plus supporté l’étreinte. D’un accord tacite ils avaient Changé leur amour de la chair En amour de vitrail. Elle aussi regrettait. Mais son corps ne lui laissait le choix. Mais la maladie ne souffrait le partage. Elle en avait assez de somnoler, De partager sa lucidité entre la veille Et le sommeil. De le tromper Avec cette bête infernale Qui mastiquait ses entrailles, Comme un minotaure Mâchonnant un membre. Elle voulait cesser le combat. Déclarer forfait. Mettre bas de la mort Mettre la mort à bas. Mettre là-bas la mort.
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La mort maître Du minotaure. Voilà que les divagations reprenaient. Que les visions les plus insensées Refaisaient surface, comme Trop longtemps retenues sous L’eau. Souvenirs confus du Piranèse. Piranhas cannibalisant les hypogées fragiles. Il devrait être prévenu. Une fois de plus, Il s’inquièterait. – *** Le Minotaure, Mai 2002
La mort est un labeur de longue haleine. On s’y reprend à plusieurs fois, On revient sur ce qu’on croyait avoir occis, On vérifie la moelle, l’hémoglobine, Que le poison a bien pris. On s’assure des dégâts, on expertise La mort à plus ou moins long terme, On jette un coup d’œil au dehors Et jour après jour il devient plus net. Lorsqu’il sera capable de discerner Les contours de chaque objet dans cette Chambre, alors il aura ce qu’il cherche. – ***
Elle, Février 2001
Le suicide, on y a pensé, réfléchit même. On a écarté la voie de la faiblesse. Mais parfois elle apparaît comme la voie De la force, comme celle du courage face A l’abandon manifeste de Dieu. – ***
Lui, Août 2000
Le jour du verdict fut long ; Si long en fait qu’on a l’impression Qu’il n’a jamais réellement pris fin. Il aura fallu de la persévérance Pour se convaincre du bien-fondé Du diagnostique, de l’absurdité De la connaissance. On sait que l’on
© Copyright Rodolphe Blet 2009
Va mourir parce que l’on a appris Que l’homme est mortel, Qu’il y a un paradis et qu’il N’est pas fait pour les chiens. Hormis cela on ne sait presque rien. Mais on apprend également Que l’homme est faillible. C’est la même chose et c’est différent. Un diagnostique vous rappelle A la réalité du terrain : L’homme n’est pas éternel. Vaincre le temps est impossible. L’Heure avec sa grande hache tranche Le fil de votre conservation. – *** Le Minotaure, Février 2001
Rien n’est éternel, et surtout pas lui, Le minotaure. Ce qu’il voit, c’est la déchéance. Ce qu’il ressent, c’est la souffrance. Ce qu’il exécute, c’est la volonté de Dieu. Car qui d’autre que le Grand Architecte Pour édicter vie et trépas ? On ignore Si c’est du courroux ou une stratégie. Il n’a pas de temps à perdre à ces questions. D’autres que lui trouveront les réponses – ***
Elle, Janvier 2001
On attend. Il n’y a que cela à faire, de toute façon. Attendre. Des analyses, un diagnostique, une sentence. La sensation de s’élimer, de devenir fin, De devenir transparent au fur des symptômes. De muer sans que la peau ne se renouvelle. Décharnée. Elle l’a entendu le dire à sa mère. Il croyait qu’elle dormait. Elle faisait toujours Croire qu’elle dormait pour écouter, pour savoir Ce qu’il pensait, s’il perdait espoir – ***
Lui, Janvier 2001
Décharnée. Ne pas pleurer. Comment l’humain Peut-il survivre à de telles épreuves ?
© Copyright Rodolphe Blet 2009
La pugnacité, la volonté de vivre Lui arrache une lucidité qui lui coûte cher. On n’apprend pas à aller de l’avant, personne N’apprend cela ; pourtant l’humanité perdure, Elle avance envers et contre tout. Surtout contre tout. Et l’amour, dans toute cette fureur aveugle, Il le sentait encore dans ses veines, mais fatigué, Gourd, comme après une course effrénée – Tout cela n’avait servi à rien. – *** Roi Minos, 1895 avant J.C.
Le minotaure, en son enfance, Pas plus grand qu’un pourceau, Cherchait escarmouche Avec les farouches ; Se querellait avec tout ce qui passait A portée de croc ou de corne. Mais sa monstruosité Trouva la sinuosité Du cœur humain. C’est dans l’anatomie Qu’il planterait l’ignominie : Venger le déshonneur, les frustrations, Les quolibets, les clous plantés dans ses mains, Les brimades, les poisons juste pour jouer, Les traîtres épées de la nuit, Celles qui ne touchèrent point son échine, Les crachats de ceux qui moururent, Les refus hystériques des femmes, puis l’exil ! Hantant l’île aride, Il pourrit les entrailles des hommes. Dévorés de l’intérieur Par lui, le minotaure, le fléau avide. – ***
Elle, Septembre 2002
N’y a-t-il vraiment plus d’issue ? Le minotaure est-il inéluctable ? Pourquoi l’homme toujours doit-il s’écrier : Si j’avais su ! pourquoi diable ? Pourquoi doit-on mourir pour être heureux ? –
© Copyright Rodolphe Blet 2009
*** Le Minotaure, Mars 2002
A vaincre sans péril on triomphe sans gloire, A dit un homme qu’une autre bête fit succomber. A vivre sans douleur on n’acquiert pas le voir, Dit le minotaure, la gueule de sang nimbée – ***
Dédale, 1899 avant J.C.
L’Ankou nécessaire rôdant dans les limbes Erodant les esprits, leur arrachant des plaintes – ***
Lui, Juillet 2002
L’extraordinaire résilience De son organisme m’effraie. Peut-on volontairement repousser Les limites de la souffrance Jusqu’à dépasser celle de la mort clinique ? Ses cellules sont mortes et pourtant elle vit. – ***
Le Minotaure, Septembre 2002
La gueule humide de sang Et ivre de tourments, Tout à coup, Il voit. – ***
Lui, Juin 2002
Le silence du minotaure ne dit rien qui vaille. L’impression ruminante d’une imminente bataille. Deux jours qu’elle dit ne plus rien sentir, Ne plus avoir mal. Je crains le pire. C’est peut-être pour bientôt. Pour elle, enfin, le repos. Pour le minotaure, La mort. ***
Le Minotaure,
Il se souvient vaguement d’un relent d’odeur fauve,
© Copyright Rodolphe Blet 2009
Novembre 1999
D’une peau scabieuse, d’un pelage terni par les ténèbres ; D’une incroyable capacité à respirer, A se sentir bien les deux pieds au sol. Il se remémore de vieux murs râpeux Et poussiéreux, anguleux et sans fins entre eux, Que des siècles d’arpentage effritèrent. ***
Pythie de Delphes ?
Mémoire héritée de générations Entières vouées à la destruction, Plus souvent qu’intentionnellement, A revivre éternellement les mêmes Gémonies que le catalyseur, Celui qui d’un geste, d’un mot Plus souvent qu’infortuné, Mit en branle le cycle infernal, Lui le Tantale à tête de taureau Et à corps d’homme aux pieds fendus, La racine d’une malédiction amorcée Des générations auparavant, se ramifiant Telle celle des Œdipes ou des Atrides, Dévastant tout ceux qui de près ou de loin Auront commerce avec ce rameau funeste. Le mal traverse les siècles sur l’échine des hommes. Inéluctablement, l’autre N’aura que la tristesse de se jeter A corps perdu dans la noire voilure. A vouloir braver la mort pour se faire un nom, Il le perdra dans les flots de l’opprobre et verra Chacune de ses victoires teintées d’échecs. L’un ira noyer son chagrin dans une mer éponyme, L’un perdra ses ailes, l’un sa liberté, L’une son fils, son amour et la vie, A l’instar de cent autres qui perdront tout. Tout ça pour un prématuré impulsif et infidèle Qui finira ses jours misérable, honni, Dans les noirs abysses d’un précipice. La justice du mal est parfois plus lente Que celle du bien ; c’est uniquement Pour être plus impitoyable, plus complète.
© Copyright Rodolphe Blet 2009
*** Lui, Septembre 2002
On se demande ce que l’on fera après. Si le ciel sera plus ou moins bleu, Le temps plus ou moins clément. On se demande si l’on perdra Le goût à la vie totalement, Ou si l’on ouvrira les yeux De soulagement. ***
Le Minotaure, Octobre 1997
S’extirper d’un labyrinthe pour pénétrer Dans un autre plus sinueux encore. ***
Lui, Mars 2001
La vie a un prix lorsque celle-ci flambe – La vie n’a qu’un moyen De se défendre contre le minotaure : la foi – En soi ; en Dieu ; en la force de son amour ; En sa capacité d’accomplissement Car en l’absence de choix, il ne subsiste que La volonté d’aller plus loin. Et la capacité d’agir, avec plus ou moins d’allant. ***
Roi Minos, 1897 avant J.C.
Elle, Août 2002
Combien de labyrinthes avec une seule allée Rectiligne bordée de part et d’autre de mirages ? Le labyrinthe du minotaure, quant à lui, Est charpenté de chair et de sang, Les seuls éléments à même de nous convaincre. *** Il n’y a pas de plus grande illusion que celle de vivre. Sinon peut-être celle de voir au-delà des murs. L’existence, auréolée de vitres grandes comme des astres, Assure sa subsistance par à-coups de pluie battante, De vrai-semblants durs comme les pierres des cathédrales. ***
© Copyright Rodolphe Blet 2009
Le Minotaure 1896 avant J.C.
Les murs s’effritent sous la main, Les goulets se creusent à la foulée, Et pourtant le dédale semble neuf A chaque passage, à chaque fois que le sommeil Ferme ces yeux, les ferme malgré lui, Malgré les immenses efforts déployés Qui auraient suffi à faire taire la grande mort. ***
Elle, Septembre 2002
Nous traversons la vie déguisés en fantômes, Avec un drap percé de deux trous pour y bien voir, La démarche mal assurée sous la toile blanchie à la javel. ***
Elle, Octobre 2001
Et puis on finit par le prendre en affection, Ce minotaure des catacombes humaines. Son cœur odieux battant à l’unisson du sien ; Les mêmes palpitations dans les mêmes veines ; Le même désir de vivre aux dépens de l’autre. Car dès lors que les hostilités sont déclenchées Il est interdit de reculer, de s’esquiver ; Pas d’autre issue que le soupir d’une patenôtre. ***
Le Minotaure, 1902 avant J.C.
Quelle hamartia sertie en son front, ou alors Dans son talon, au plus chaud de ses entrailles, Dans sa cervelle bouillonnante le condamne ? ***
Lui, Juillet 1999,
Elle avait connu nombre d’hommes avant Et tous avaient comptés, quoi qu’elle en dise, Puisqu’ils avaient partagé sa couche, Goûté sa peau, ses lèvres, saisi l’intimité De ses chairs. Elle s’était « amusée ». Lui appelait ça autrement. Parfois répugné, Fasciné parfois. Il y avait quelque chose De sale, de malhonnête, de bestial Qui ne ressemblait pas à l’être humain. Elle était allée trop loin dans son « amusement »,
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Elle s’était bafouée croyant se respecter, Elle s’était offerte sans honte et ne voyait Toujours pas le mal. Pas même maintenant. Ses gestes avaient teinté son esprit, avaient obscurci son âme alors qu’elle se cherchait. Elle avait confondu amour et comédie, Pris l’un pour l’autre et l’avait piétiné, Belle supercherie des sentiments, Contrefaçon du réel, travestissement De ce que les humains peuvent faire de mieux. Dégoûté oui de cette abêtissement, De cette bassesse. Trop égoïste pour lui. Prendre, prendre, prendre. Ne pas donner Par peur de recevoir ou pire, de se sentir Redevable. Et puis les sentiments, ça fait trop mal, autant ne pas en avoir. S’en débarasser au pied du lit, dans L’anonymat et la brutalité d’une étreinte Nocturne. On croit ne rien donner et en fait on perd un peu de soi, à chaque fois, on s’effrite. On s’amuse. On n’a qu’une vie. Justement. Il ne supportait pas cela chez elle. Cette nonchalance vis-à-vis du sexe. Elle s’était comportée comme la dernière des salopes. Celle qui chauffe dans les boîtes de nuit et dont on se demande comment on va faire pour l’amener dans son lit. Alors qu’elle a décidé depuis le début qu’elle irait. À écarter les jambes au premier venu. Pas tant une libido exacerbée qu’une volonté de se perdre, de s’annihiler, de s’abrutir et de ne pas voir la réalité en face. Lâcheté vis-à-vis de soi-même, des relations humaines. Elle s’était cachée derrière une déception amoureuse. Pitoyable et nécessaire. Cette faiblesse le ferait vomir – mais elle ne méritait pas ce qui lui arrivait. *** Lui, Octobre 2002
Imaginer le pire, un sombre cauchemar Qui plonge les corps dans un bain de douleur,
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Bain aux parois de métal noir et noir, Aux parois qui s’élargissent à vue d’œil, A la ligne de flottaison bien au-dessus des nuages, Bien au-delà des sept mers et des albatros, Comme la terre s’enfuyant Alors que l’on s’envole de la falaise Et que tout d’un coup le vent fouette le visage, Et l’immensité blanche et bleue devenue tableau sans cadre Exaltant une liberté recherchée depuis toujours Un instant qui n’est qu’un instant pour les vivants qui regardent Mais qui est l’éternité pour celui qui vole, Pour celui qui emprunte le chemin du condor Dans les plus hautes sphères, sans un battement d’aile, A parcourir le monde aux distances infinies, Ce globe vaporeux cerclé d’astres et de satellites Où le froid règne en monarque despote Et la nuit et le jour ne veillent plus mais coexistent Sans heurts. Il nous faut prendre notre essor Sans quoi notre salut de pacotille, mais salut tout de même, Ne sera qu’une fierté arrogante d’hubris. Nous resterons des hommes au destin d’hommes, Des succédanés de réincarnation, Des métempsychoses avortées, Des statues antiques aux couleurs perdues. Voulons-nous véritablement être cela ? *** Elle, Mars 2001
Une poignée de main épineuse et sans envergure Ouvrant une brèche comme une porte d’église Ou le pli d’une aisselle l’un de ces chauds étés, D’un homme tordu comme un sarment Aux doigts de treille et aux ongles de lierre, Ou ridiculement recouvert de guano. Manque de sérieux manifeste. Dans un pays rongé par la satiété Où les miroirs jaunissent les mûres sauvages Des yeux des enfants qui naîtront malades de guerre. Il pleuvra tôt ou tard sur ce pays-là des averses De bons porteurs de compréhension aveugle Qui feront pâlir d’envie maint oiseau de proie, Radicaux libres dans une solution saline d’odeur de sainteté.
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*** Elle, Juillet 2002
Il n’y a pas plus de solution dans l’homme Que dans son pouvoir décisionnaire. Tout n’est qu’illusion au pays des bas de plafond. Rien n’est valable au pays des quatre-murs. Le minimum social d’espoir requis, quadrature du siècle, Ne permet qu’un paraphage de la vie en bonne et dûe forme. Splendide armature de vide intersidérale Que la sensation de choix d’existences formatées : Tout culmine dans l’octaèdre de sapin, fait sur mesure, Du petit, moyen ou grand modèle, différents habillages, Différentes couleurs. Blackpool de modèles dont la seule matrice prévaut, Malgré tout, et nous pouvons nous estimer heureux Que le minotaure vienne comme un chien dans un jeu de quilles Déranger ces habitudes de charentaises. Nous avons droit à une mort de neige noir et blanc, Lorsque le programme ne dit plus rien, Que la didascalie onirique du petit écran de nos vies S’éteint, en soupirant d’impuissance. Une fois de plus, elle se fera distancer. Mordra la poussière. Et nous aussi. Quoi que nous fassions. ***
Lui, Septembre 2002
Il y avait peut-être un peu de lassitude Au fond de ce regard ; de la peine aussi. Et lorsque la pesanteur moribonde est parvenue A cette pièce liminale de dolmen marmoréen Pour accrocher ce cœur à l’essieu de son char, Alors nous sûmes que le minotaure A la lumière blafarde du dehors, Entrait dans le champ élysée tant convoité De la légende. Il ne laissait derrière lui Que des ruines fumantes, qu’un désastre stérile D’un corps que le mektoub lui avait imposé. Il n’y avait là que des traces de lutte. Là une griffure, là une plaie, Là un hématome, là un os mal ressoudé, Là un muscle atrophié et comme une brume Matutinale nimbant chaque organe Une langueur flétrissante, un allongement du temps,
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Une insoutenable lourdeur des membres, Une catatonie de l’esprit qui imprégnait tout, Même la plus infime étincelle de volonté. Il ne restait plus qu’à mourir. Il ne restait que ce monument à la gloire du minotaure. *** Le Minotaure, Août 2002
Il resterait bien quelque recoin insouillé ; Mais le cœur n’y est plus vraiment ; Et le sabot lourd et les cornes lasses Cognant aux parois étroites des artères vespérales, Il arpente le lieu, son œuvre à ses yeux globuleux Moins dantesque que vaine, en attendant ce fabuleux Moment où l’organisme tendu Comme une corde de pendu Cède, lâche sous la contrainte de l’effort de survie, Celui qui draine inexorablement l’ultime force. Alors il retrouvera le goût de vivre. En attendant, le dégoût dans sa bouche Lui raye les crocs et la bave rousse Qui coule sur sa poitrine puissante Colle ses poils en nattes obscènes. ***
Elle, Juillet 2001 (?)
Autoroutes bleues de l’extrémité digitale Au cou nervuré de stries rageurs, Sillonnant ces bras raides comme des branches D’arbre, comme des xylèmes fatigués Et des phloèmes phlegmatiques, Lacets étendus au rythme des compresses, Comme en filigrane entre le derme rougi par l’air Et le muscle qui a oublié ce pour quoi il est fait. Le corps est une honte, une disgrâce Que l’on traîne en boulet de renégat Entre un lit escarrifié et un déambulateur Qui n’aura servi que le temps de l’espoir. Mieux vaut mourir vite et bien pour ne pas laisser Aux vivants l’opportunité de se glorifier de sa sanité. ***
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Lui, Août 2002
S’accrocher à des bribes de frissons, Ceux qui parcourent parfois certaines parties De son être fatigué. Il n’y a plus que cela. Tout s’écoule comme un lac qui se vide Dans la mer pour ne jamais revenir. Comme une dernière grande marée Dont le ressac serait plus violent que le sac. Un roulement de galets qui s’atténuerait Dans le morbide de la nuit, Pour, au fur et à mesure des heures turpides, Ne paraître plus qu’un écho résonnant en acouphène. Sentir son énergie vitale par le bas suinter, Par les pores de cette peau parcheminée Se perdre dans la moiteur exécrée des draps propres. ***
Roi Minos, 1897-1898 avant J.C.
De toute façon, au vu de nos antécédents, Nous avons vécu par le taureau, Nous mourrons par lui – ou plutôt Ce que notre folie d’homme en a fait. Le tribut ? Je le paye parce que ni moi Ni mon peuple n’ont su arrêter La folie de mon épouse et de Zeus, Personne ne pourra donc arrêter la mienne. Le monde entier doit payer. ***
Lui, Janvier 2001
Le sol jonché de Sopalin Rapidement les alvéoles s’imprègnent de sang – Image rétinienne de haïku – Figé à la vitesse de la lumière – Souvenir gravé dans l’obscurité – ***
Elle, Septembre 2002
Le grand sommeil, voilà ce qu’il me faut. Ce dont mon corps a le plus besoin. Pourtant il ne vient pas, se fait prier Comme on prie Dieu dans la détresse. Comme de l’eau jusqu’aux genoux Dans un marécage qui n’en finit pas.
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Enigmatique. L’oubli est à portée de paupière. *** Lui, Octobre 2002
On cherche des yeux là où son corps jadis reposait. Distinguable dans la pénombre de la pièce murée, Les plis des draps chiffonnés sinuer une forme Comme une silhouette dans une fosse énorme, Un trou béant creusé à la cassure d’ongle, A l’usure de dents, à l’élimage de peau. Elle était là, elle n’y est plus. Faute à qui. Faute à quoi. Faute de rien. Faute d’ombre. Faute de lumière. Faute de silence, de mots. On cherche un coupable parce qu’il le faut, Et soudain tout nous apparaît comme ce qui Devrait être pris en compte par les jurés. Chaque atome a concouru à tuer. Rien ni personne n’est innocent, Pas même la lune, pas même le vent. Face à la mer plus rien ne compte que la falaise. Face à l’horizon plus rien n’a d’importance, Pas même les albatros ou le crépuscule de braise. On laisse baller ses mains au petit malheur la chance. ***
Lui, Après
Exister en dehors des jours, des gens, Respirer malgré la brume et l’encens, Serrer les mains des inconnu(e)s de passage, Changer son coeur d’endroit, Parce qu’à l’envers il n’y a plus de marge: Il doit revenir au bout des doigts. Contempler ces planches de sapin verni, Voir à travers ce corps enfin au repos, Pleurer enfin, se laisser aller sans déni, Saluer d’un geste ce gisant sur le dos, Reposant éternellement face à la voûte. Ne plus s’étonner de ce qu’il coûte De vivre. Saluer la pugnacité du Minotaure À infliger coûte que coûte souffrance et mort.
© Copyright Rodolphe Blet 2009
*** Elle, Septembre 2001, Note sur un livre.
– comme si la mort rattrapait le temps perdu, Quand on ne s’apercevait pas qu’elle n’était pas là –
© Copyright Rodolphe Blet 2009