UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES Faculté de philosophie et lettres Langues et littératures françaises et romanes
LA FÉMINISATION Sexisme et féminisation
JOUKOVSKY Valentine
Travail réalisé dans le cadre du cours : Grammaire descriptive II (Roma-B-304)
ANNÉE ACADÉMIQUE 2007-2008
1 Introduction Féminisation, voilà un mot qui cache bien son jeu. Si nous ouvrons un dictionnaire, quelle définition trouvons-nous? « Action de féminiser1 », c'est-àdire « faire du genre féminin2 ». Mais depuis quelques décennies, le terme féminisation n’est plus seulement une action grammaticale, il est devenu le cheval de bataille d’une lutte constante au XXe siècle, toujours d’actualité, la lutte contre le sexisme.
En Europe occidentale, comme dans beaucoup de sociétés de par le monde, nous avons longtemps vécu (et vivons encore ?) dans ce que l'on appelle un système patriarcal. C'est-à-dire un système social où l'homme au sens « être humain mâle3 », possède le pouvoir et où, accessoirement, la femme n'en possède aucun.
Le pouvoir se retrouve dans tous les rapports de la vie quotidienne : à la maison (le rapport parent/enfant), à l’école (le rapport professeur/élève), sur lieu de travail (le rapport patron/employé) et son instrument est la parole. Cette dernière est le réel acteur du pouvoir, qui ne s'exercerait pas sans elle. Il est donc logique que la langue ait évolué autour du modèle masculin.
Mais il n’y a pas que la langue qui évolue, les mentalités aussi doivent changer. Il n’est plus possible de nier une évidence : la femme est l’égale de l’homme.
Depuis des années déjà, de nombreuses linguistes et féministes comme Marina Yaguello, Edwige Khaznadar, Patricia Niedzwiecki, Pierrette VachonL’Heureux et beaucoup d’autres, tentent d’expliquer les mécanismes linguistiques 1
Alain Rey, Le Robert micro, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1998, p.548 Ibid. 3 Ibid. 2
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qui nous habitent et d’effacer le sexisme de la langue française. À travers ce travail, nous essayerons de réunir et de synthétiser leurs recherches autour de trois grands points : la perception négative du féminin, la féminisation des noms de métiers et le masculin générique.
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2 Analyses 2.1 La perception négative du féminin D’où provient donc cette perception négative indéniable du féminin dans la langue? Elle nous provient de l’histoire, assurément. La femme égale de l’homme est un concept qui date du XXe siècle. Jusque là les femmes étaient considérées comme des êtres déraisonnés, incapables, passifs et surtout inférieurs.
Vaugelas affirmait en 1647 que « le genre masculin étant le plus noble, il doit prédominer chaque fois que le masculin et le féminin se trouvent ensemble4 ». Quelques années plus tard le grammairien Nicolas Beauzée vint compléter cette affirmation par : « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin, à cause de la supériorité du mâle sur la femelle5 ».
« Le genre nourrit les représentations de l’inconscient collectif. Il répond au profond besoin de rationalisation qui habite tous les hommes6. » D’où le reproche à la classification en genre et aux créations linguistiques de continuer à rabaisser, dans l’inconscient collectif, l’image de la femme.
2.1.1 La coïncidence genre/grandeur Citons
simplement :
chaise/fauteuil,
lampe/lampadaire,
mer/océan,
auberge/hôtel, etc. Même s’il s’agit de coïncidences, le féminin continue à être associé à la petitesse et le masculin à la grandeur.
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Claude Favre de Vaugelas, Remarques sur la langue française, 1647 Nicolas Beauzée, Grammaire générale, 1667 6 Marina Yaguello, Les mots et les femmes, Paris, Éditions Payot & Rivages, 2002, p.130 5
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2.1.2 Les diminutifs La plupart des suffixes féminins utilisés en français créent soit des termes à caractère péjoratif, soit des diminutifs. Un camion devient une camionnette, un brin, une brindille, un amour, une amourette, du vin, de la vinasse, etc. On ne peut sciemment nier la réelle implication de ces mécanismes dans la reproduction de schémas sexistes. On dira plutôt il est maigre comme une brindille que il est maigre comme un brin ou alors, on dira c’est le grand amour et ce n’est qu’une petite amourette de rien du tout.
2.1.3 La dévalorisation de dénominations féminines S’il y a bien un domaine où l’affirmation de M. Beauzée peut se constater concrètement, c’est celui de la dévalorisation de dénominations féminines par leur pendant masculin. On parlera d’un directeur de mémoire mais d’une directrice d’école, d’un secrétaire d’État mais d’une secrétaire d’administration.
Ceci nous force, effectivement, à constater que « les féminins continuent à être rejetés pour des raisons de prestige social7 ».
2.2 La féminisation des noms de métier 2.2.1 Le véritable débat La vague de féminisation des noms de métiers, grades, titres ou fonctions qui a eu lieu dans les années nonantes n’est pas seulement le produit de gouvernements soucieux de respecter le principe d’égalité homme-femme. Elle 7
Fabienne Baider, Edwige Khaznadar, Thérèse Moreau, « Les enjeux de la parité linguistique », Nouvelles questions féministes, 26/3 (2007), p.6
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traduit, aussi et surtout, une réalité quotidienne : l’accession des femmes au pouvoir.
En effet, le XXe siècle voit se dérouler une extraordinaire évolution des mœurs. Depuis 50 ans, l’homme, le sexe mâle, a perdu ses pleins pouvoirs et assiste à l’incroyable ascension sociale et politique de la femme. Cette dernière a quitté ses fourneaux et son rôle de reproductrice pour participer activement à toutes les sphères de la vie quotidienne et a investi les métiers « d’homme ».
Dans cette perspective, la féminisation des noms de métiers, grades, titres ou fonctions est tout simplement une demande de reconnaissance. La reconnaissance de leurs droits, de la parité mais surtout du combat mené pour se libérer du joug de la dominance masculine.
Toute femme désire être considérée pour ce qu’elle est, et ce qu’elle est devenue et non pas pour ce que les stéréotypes (à propos desquels Marina Yaguello nous rappelle « [qu’]ils sont loin de correspondre à la réalité car c’est justement la fonction des stéréotypes d'occulter la réalité en opérant des simplifications confortables8. ») du passé continuent à véhiculer.
2.2.2 La réception des textes législatifs Les textes législatifs, assez similaires dans leurs propos, ont eu des impacts très différents sur les locuteurs francophones du Québec, de France et de Belgique
En effet, s’ils sanctionnent uniquement les textes administratifs, les réactions des trois populations francophones vont de l’enthousiasme le plus démonstratif au pessimisme le plus cynique.
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Marina Yaguello, Les mots et les femmes, p. 144
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Le Québec, région pionnière de la féminisation des noms de métiers, prend dès 1979 des mesures constitutionnelles sur la question. Depuis, nous pouvons constater un réel usage des termes féminisés dans la population.
Poursuivant ses travaux, l'Office de la langue française met sur pied un comité en faisant appel à toutes les forces innovatrices de la société, autant du milieu universitaire, syndical que gouvernemental, qui sont réunies autour de Henriette Dupuis. Les travaux furent la base des deux publications de référence que l'Office propose pour guider les Québécoises et les Québécois qui souhaitent s'initier à cette nouvelle pratique d'écriture9. Au Québec, la féminisation des titres est maintenant en voie de généralisation et elle traduit une réalité sociologique incontournable : c’est la conclusion qui ressort du bilan10 proposé par les spécialistes de la question en l’an 200011.
La Belgique, elle, publie en 1993 un décret relatif à la féminisation des noms de métiers, grades ou titres. Moins conservateurs que les Français mais beaucoup moins créateurs que les Québécois, les Belges s’autorisent « une liberté beaucoup plus grande de dérivation12 ». Malgré la publication d’un guide de féminisation, on ne peut pas encore affirmer que la féminisation touche réellement les locuteurs belges.
En France, dès 1984, une Commission de terminologie est chargée par le gouvernement, d’étudier la féminisation des titres et des fonctions. Mais il faudra attendre 1998, quatorze ans plus tard, pour voir se concrétiser un texte de loi imposant la féminisation des titres dans les documents officiels. En effet jusque là, il fallait la bénédiction de l’Académie française, institution suprême en la matière, pour
accréditer
toutes
créations
linguistiques.
Cette
dernière,
prônant
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Pierrette Vachon-L’Heureux, « Quinze ans de féminisations au Québec : de 1976 à 1991 », Recherches féministes, 5/1, p.140 10 Le Service de la langue française de la Communauté française de Belgique a consacré son n°10 de Langage et société à la féminisation des noms de métiers, fonctions, grades ou titres au Québec, en Suisse romande, en France et en Communauté française de Belgique. 11 Pierrette Vachon-L’Heureux, « Féminisation des titres et des textes », Correspondance, 10/2, p. 12 Marina Yaguello, Les mots et les femmes, p. 175
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« l’immobilisme linguistique13 », a d’ailleurs eu une réaction très critique à l’égard de cette initiative gouvernementale, renforçant ainsi sa position :
On peut craindre que, ainsi définie, la tâche assignée à cette commission ne procède d’un contresens sur la notion de genre grammatical, et qu’elle ne débouche sur des propositions contraires à l’esprit de la langue. […] Seul maître en la matière, l’usage ne s’y est d’ailleurs pas trompé. Quand on a maladroitement forgé des noms de métier au féminin, parce qu’on s’imaginait qu’ils manquaient, leur faible rendement (dû au fait que le cas non marqué contenait déjà dans ses emplois ceux du cas marqué) les a très vite empreints d’une nuance dépréciative : cheffesse, doctoresse, poétesse, etc. On peut s’attendre à ce que d’autres créations non moins artificielles subissent le même sort, et que le résultat aille directement à l’encontre du but visé14.
2.3 Le masculin générique ou genre non marqué […] Il convient en effet de rappeler qu’en français comme dans les autres langues indo-européennes, aucun rapport d’équivalence n’existe entre le genre grammatical et le genre naturel. Le français connaît deux genres, traditionnellement dénommés « masculin » et « féminin ». Ces vocables hérités de l’ancienne grammaire sont impropres. Le seul moyen satisfaisant de définir les genres du français eu égard à leur fonctionnement réel consiste à les distinguer en genres respectivement marqué et non marqué. Le genre dit couramment « masculin » est le genre non marqué, qu’on peut appeler aussi extensif en ce sens qu’il a capacité à représenter à lui seul les éléments relevant de l’un et l’autre genre. Quand on dit « tous les hommes sont mortels », « cette ville compte 20 000 habitants », « tous les candidats ont été reçus à l’examen », etc., le genre non marqué désigne indifféremment des hommes ou des femmes. Son emploi signifie que, dans le cas considéré, l’opposition des sexes n’est pas pertinente et qu’on peut donc les confondre. En revanche, le genre dit couramment « féminin » est le genre marqué, ou intensif. Or, la marque est privative. Elle affecte le terme marqué d’une limitation dont l’autre seul est exempt. À la différence du genre non marqué, le genre marqué, appliqué aux êtres animés, institue entre les sexes une ségrégation15. […]
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Marina Yaguello, Les mots et les femmes, p. 175 Déclaration de l’Académie française du 14 juin 1984 suite à la création de la Commission de terminologie, créée à l’initiative du Gouvernement (décret du 29 Février 1984). 15 Déclaration de l’Académie française du 14 juin 1984 suite à la création de la Commission de terminologie, créée à l’initiative du Gouvernement (décret du 29 Février 1984). 14
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Cette définition du masculin générique ou genre non marqué de l’Académie française peut laisser perplexe. Qui n’a jamais rencontré de problème de sémantique en utilisant le masculin générique ?
Voici deux applications des règles d’accord grammatical : 1. Les étudiants romanistes de BA3 sont des étudiants studieux 2. Les étudiants de BA3 ont tous réussi leur examen.
Il en résulte deux constatations : dans le premier exemple, un locuteur étranger est incapable de savoir que la filière de philologie romane est composée de plus de 75 pourcents de filles ; l’exemple suivant laisse sous-entendre que seuls les garçons de BA3 ont réussi leur examen.
Cette mise en pratique démontre deux choses : le masculin générique procède à une dévalorisation et une « invisibilisation16 » du genre féminin.
En effet, « […] le genre et perçu et vécu, au moins jusqu’à un certain point, par les locuteurs, comme renvoyant à l’ordre naturel des choses, et ce, en dépit des incohérences, des classifications le plus souvent arbitraires de ce qu’on a appelé genre grammatical par opposition au genre naturel.17»
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Patricia Niedzwiecki, Femmes & langage, Bruxelles, Commission européenne, 40, p.1 Marina Yaguello, Les mots et les femmes, p. 113-114
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Conclusion Le combat pour l’égalité homme-femme, malgré sa longévité, est loin d’être terminé. Ce combat passe, en tout premier lieu, par la langue.
Encore aujourd’hui, les êtres humains continuent, volontairement ou involontairement à utiliser une langue remplie de stéréotypes sexistes.
Les mentalités évoluent à trois vitesses : 1. Ceux et celles qui participent activement à cette évolution, c’est-à-dire qui appliquent chaque jour le principe de féminisation et d’égalité de la langue. 2. Ceux et celles qui voudraient participer à cette évolution, c’est-à-dire qui adhèrent au concept de féminisation de la langue mais qui n’appliquent pas concrètement les règles. 3. Ceux et celles qui refusent cette évolution, c’est-à-dire qui restent profondément accrocher à l’idée de pureté de la langue et qui renient le sexisme linguistique.
La langue est le miroir de la société. Le féminin doit cesser d’être perçu comme un genre secondaire, dérivé du masculin afin que l’on arrête de considérer la femme comme inférieure de l’homme.
Tout comme le racisme, il existe un sexisme quotidien, c’est-à-dire latent et souvent inconscient qui mine les efforts et le travail fournis par ceux et celles qui osent s’approprier la langue, car on oublie bien souvent que la langue nous appartient, qu’elle est notre richesse à tous
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Bibliographie BAIDER Fabienne, KHAZNADAR Edwige, Moreau Thérèse, Les enjeux de la parité linguistique , Nouvelles questions féministes, 26/3 (2007), p.4-12 CALLAMARD Agnès, « Droits de l'homme » ou « Droits humains » : le sexisme à fleur de mots, Le Monde Diplomatique, (mars 1998), p. 28 COMMUNAUTÉ FRANÇAISE DE Belgique, Service de la langue française, Décret du 21 juin 1993 relatif à la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre, Bruxelles, 1993 France, Premier Ministre, Commission de terminologie et de néologie, Rapport sur la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre, Paris, 1998 MICHARD Claire, Genre et sexe en linguistique: les analyses du masculin générique, Mots : les langages du politique, 49/1 (décembre 1996), p. 29-47 NIEDZWIECKI Patricia, Femmes & langage, Les Cahiers de Femmes d'Europe, Bruxelles, Commission européenne, 40 (août 1993), 97 p. REY Alain, Le micro Robert, Paris, 1998, Dictionnaires Le Robert, 1508 p. VACHON-L'HEUREUX Pierrette, Féminisation des titres et des textes, Correspondance, 10/2 (novembre 2004) VACHON-L'HEUREUX Pierrette, Quinze ans de féminisation au Québec : de 1976 à 1991, Recherches féministes, 5/1 (1992), p. 139-142 YAGUELLO Marina, Les mots et les femmes : essai d'approches sociolinguistique de la condition féminine, Paris, 1982, Payot (Coll. « Petite bibliothèque Payot » n°8), 202 p.
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Table des matières 1 Introduction...........................................................................................................2 2 Analyses ................................................................................................................4 2.1 La perception négative du féminin.................................................................4 2.1.1 La coïncidence genre/grandeur ...............................................................4 2.1.2 Les diminutifs .........................................................................................5 2.1.3 La dévalorisation de dénominations féminines.......................................5 2.2 La féminisation des noms de métier ..............................................................5 2.2.1 Le véritable débat....................................................................................5 2.2.2 La réception des textes législatifs ...........................................................6 2.3 Le masculin générique ou genre non marqué ................................................8 Conclusion .............................................................................................................10 Bibliographie..........................................................................................................11 Table des matières..................................................................................................12
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