UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES Faculté de philosophie et lettres Langues et littératures françaises et romanes
LA FÉMINISATION La féminisation des noms de métiers dans le secteur de l’audiovisuel
LEFEVRE Claire
Travail réalisé dans le cadre du cours : Grammaire descriptive II (Roma-B-304)
ANNÉE ACADÉMIQUE 2007-2008
Introduction Le secteur de l’audiovisuel occupe un espace prépondérant dans notre société actuelle grâce à l’évolution des techniques de communication et à l’importance du facteur technologique. Ce secteur en pleine expansion est historiquement très jeune (apparition du journalisme au 19è siècle), et les professions sont nées avec le développement des techniques médiatiques. Contrairement à des mots comme médecin ou juge, ces noms de profession n’ont pas derrière eux un long passé linguistique et social. Leur procédé de formation (importance de l’aspect technique et industriel qui engendre des suffixes tels que – eur>-trice, comme vu au cours) et l’influence de l’anglais dans plusieurs cas, témoignent de leur apparition tardive. On peut donc se demander si la féminisation, en tant que phénomène récent, se serait appliquée plus aisément dans la langue d’un secteur encore jeune et en constante évolution. Peut-être des noms de professions plus récentes seraient davantage « malléables » et féminisables que ceux de professions séculaires.
Pour tenter de répondre à cette question, nous avons axé l’exercice sur l’observation d’un corpus dans un premier temps, et sur une perspective sociologique dans un deuxième temps. Nous nous sommes aussi demandée si les conclusions tirées du corpus trouvaient un écho dans la réalité sociale du secteur. Parmi les noms de professions médiatiques, nous avons observé ceux qui étaient sujets à une féminisation. Le corpus ainsi constitué réunit divers types de sources, sans avoir recours à la presse ou à des documents officiels. La deuxième partie du travail porte sur les aspects sociologiques que recouvre le problème du genre dans l’audiovisuel. Ces considérations ont été inférées de l’observation du corpus et de la lecture d’ouvrages de sociologie des médias. Dans l’ensemble du travail, nous n’avons pas opéré de distinction entre la Belgique et la France, car les secteurs audiovisuels des deux pays se ressemblent fort et les noms de profession sont identiques.
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1. Constitution d’un corpus 1.1. Les sources utilisées Notre recherche s’est étendue à deux types d’ouvrages. Les premiers consistent dans des guides descriptifs de métiers de la radio, de la télévision et du cinéma. Ils sont destinés à toute personne intéressée par ces professions. L’intérêt de ce type de livres réside dans leur visée de vulgarisation : leur objectif étant d’offrir une approche du métier qui soit comprise de tous, ils reflètent l’état de langue du plus grand nombre, sans recourir à du jargon ou des termes spécialisés. Leur fonction descriptive présente un deuxième intérêt : ils restent à un niveau de discours très factuel, non orienté par une thèse ou hypothèse de travail à faire admettre. Les éléments du corpus ont été majoritairement tirés de ce type de source. Le deuxième type d’ouvrages consultés comprend des articles ou études scientifiques rédigées par des spécialistes, des professionnels du secteur, ou des universitaires. Ils comportent donc une réelle recherche de fond, contrairement aux premiers. Toutefois, nous avons noté que leur propos est le plus souvent orienté par une hypothèse ou un constat de départ. Ainsi, les revues émanant d’organismes féministes ou d’associations de professionnelles, ou les ouvrages traitant de la place des femmes dans la société, auront tendance à user d’une féminisation « soutenue », afin d’appuyer leur propos, et de faire correspondre la forme et le fond. Parfois aussi, (par exemple dans les simples descriptions sociologiques), la féminisation est tout à fait absente. Nous avons également utilisé le Guide de féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre de la Communauté française, car il reflète une certaine norme, et donne les possibilités de formation du féminin telles que pensées par des linguistes.
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1.2. La sélection des éléments du corpus Nous avons relevé les noms de profession féminisés apparaissant au moins une fois. Les ouvrages descriptifs ont pour cela constitué un apport essentiel, parce que la description de chaque métier est accompagnée du témoignage d’un professionnel. C’est dans les témoignages de professionnelles que nous avons relevé le plus grand nombre de noms féminisés1. Nous avons aussi été attentive aux passages ayant pour sujet une femme, ou évoquant la situation des femmes dans le secteur. Enfin, les trois branches du secteur de l’audiovisuel : télévision, cinéma, radio ont été traitées ensemble, tout simplement parce que bon nombre de métiers « bases » existent autant à la télévision qu’au cinéma (par exemple : régisseur, programmateur, journaliste, producteur).
1.3. Le corpus et les types de féminisation trouvés 1.3.1. Le corpus - actrice - accessoiriste - animatrice - assistante - assistante de production -attachée de presse - bruiteuse - cadreuse - cameraman (employé avec elle) - cinéaste
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Pour avoir une idée du nombre de témoignages féminins par rapports aux masculins, nous avons calculé la proportion des deux. Dans Les métiers de l’audiovisuel (1987) : 9% ; dans Les métiers de l’audiovisuel (2006) : 24% ; dans Les métiers du journalisme (2003) : 28 % des professionnels interrogés sont ds femmes.
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- chargée de communication, - chargée de production - chargée de réalisation - chef de l’agence (employé avec elle) - chroniqueuse - conseillère artistique - correspondante de presse - costumière - directrice associée - directrice de la photographie - directrice de production - directrice générale, directrice déléguée, - documentaliste - doubleuse - éclairagiste - figurante - habilleuse - ingénieure - journaliste - journaliste-femme - journaliste reportère d’images, ou journaliste reporter d’images-femme - maquilleuse - monteuse - opératrice - perchiste - preneuse de son - productrice - présentatrice - réalisatrice - rédactrice - rédactrice en chef, rédactrice en chef-adjointe
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- régisseuse - femme-reporter ou reportère - scripte ou script-girl - scénariste -speakerine -standardiste -secrétaire de production - secrétaire de rédaction - technicienne
1.3.2. Les types de formes féminisées rencontrées Sur les 55 noms de métier féminisés, nous avons relevé :
* Des épicènes : 10 formes. L’emploi de ces mots n’est pas problématique puisqu’il suffit de l’accompagner de l’article « la/une » pour le féminiser.
* Des féminins obtenus par suffixation : - ajout du –e à la forme masculine : 13 formes - eur >-euse : 8 formes - teur > -trice : 13 formes - eur >- ine : de l’anglais « speaker > speakerine » *L’ajout de « femme » au nom de la profession : journaliste-femme, femmereporter.
* Les formes exclusivement féminines ou masculines : régisseur, chef de l’agence, assistante.
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1.4. Observations et remarques sur le corpus Dans les ouvrages présentant les métiers, les descriptions se trouvaient quasi-systématiquement au masculin. Il s’agit effectivement de descriptions générales du métier en question. L’usage du masculin comme genre « neutre » nous a donc semblé assez normal. Pourtant, s’agissant de quelques métiers, l’usage s’est révélé hésitant. Notamment, lorsqu’il est question de la répartition hommes/femmes dans la profession, ou lorsqu’on précise que la profession est exclusivement masculine ou, au contraire, qu’elle tend à être exercée par un nombre croissant de femmes. Dans ces cas-là, nous avons relevé des formes féminisées ou l’utilisation de suffixes entre parenthèses. Ces formes demeurent minoritaires et ponctuelles. De même, dans les témoignages de professionnelles, le propos restait parfois entièrement au masculin, ou bien une forme féminisée apparaissait et tout le reste gardait le masculin. La féminisation manquait de cohérence et d’uniformité dans son application. Voici quelques observations particulières sur l’apparition des formes féminisées dans les textes :
1.4.1. Les féminisations hésitantes * régisseuse : n’apparaît que dans le Guide de féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre. Dans tous les autres ouvrages, le mot apparaît toujours au masculin, même s’il s’agit d’une femme. « Béatrice C., régisseur général »2 * reporter : Nous l’avons trouvé plusieurs fois au féminin, mais l’usage manquait de cohérence au sein même de l’ouvrage. « il y a de plus en plus de femmes grandes reportères », « à propos de femmes reporters », « elle devient reporter et journaliste »3. 2
Sabine fosseux, Marie-Lorène giniès, et Laetitia Person, Les métiers de l’audiovisuel : cinéma, télévision, radio, s.l., Studyrama, 2006, p. 81. 3 Évelyne Serdjénian et al. (dir.), Femmes et médias, Actes du XVè Congrès de l’union professionnelle féminine (Toulon, 4-8 octobre 1995) , Paris, L’Harmattan, 1997, pp. 34, 102, 75.
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1.4.2. Les formes doubles Il s’agit de professions exercées fréquemment par des femmes, qui justifient l’usage de préfixes entre parenthèses. * emploi des deux formes : « …le costumier/ costumière […]il/elle prépare les costumes »4. * emploi d’un suffixe entre parenthèses : « le rôle d’un attaché(e) de presse […] il ou elle[…] »5.
1.4.3. Les professions apparaissant spontanément au féminin Ce sont les métiers majoritairement exercés par des femmes. Dans ce casci, même lorsque le sujet n’est pas précisé, nous n’avons relevé que des formes féminines. * la secrétaire de production, de direction * l’assistante de production6
1.4.4. Les professions apparaissant systématiquement au féminin Aucune occurrence masculine n’a été relevée pour : * speakerine * scripte
Dans le cas de « scripte », la profession semble n’être exercée que par des femmes. De plus, le –e s’impose pour éviter la confusion avec « script », mot qui désigne habituellement le scénario à la télévision ou au cinéma. 4
Céline Van Rompaye, Les métiers du cinéma, Bruxelles, publication du S.I.E.P., 2002, p.99. Ibidem, p. 111. 6 L’emploi du féminin est justifié par des propos comme : « il y a des métiers qu’on décline au féminin,[…]celui-ci est plutôt déserté par les hommes. ». Dans Sabine Fosseux, Marie-Lorène Giniès, et Laetitia Person, op.cit., p.79. 5
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1.4.5. Les noms de profession en anglais Contrairement à notre a priori nous n’avons relevé que très peu d’occurrences en anglais. La plupart des anglicismes ont en effet disparu des usages au profit d’un équivalent en français pour lequel la féminisation n’est plus problématique. Ainsi, « perchman » devient « preneur de son » ou « perchiste », mot épicène, mais dont nous n’avons trouvé aucune mention au féminin. De même, « cameraman » est remplacé par « cadreur »7.
Nous avons également relevé « speakerine » et « script-girl », auxquels on préfère désormais « présentatrice » et « scripte »8.
1.4.6. Les cas de contournement de la féminisation Le procédé n’est évidemment pas spécifique au secteur de l’audiovisuel mais nous l’avons rencontré à plusieurs reprises. Il consiste à mentionner le métier plutôt que le professionnel. Cela permet d’éviter l’adéquation problématique entre le genre du nom de la profession et le sexe de la personne qui l’exerce. Nous avons rencontré beaucoup de formulations comme « la réalisation est assurée par A et B » ou « au montage, se trouvent X et Y».
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Les mots « cadreuse » et « preneuse de son » apparaissent dans le Guide de féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre, p.22, car il recommande de féminiser à partir de la forme française. Ces mêmes mots restent systématiquement au masculin dans toutes les autres sources consultées. On y trouve « cameraman » ou « cadreur » à propos d’une femme. Les deux mot anglais on été trouvés dans Caroline Bironne et Yael Wolmark, Les métiers de l’audiovisuel: radio, télévision, cinéma, Paris, Bordas, 1987. C’est la seule source où l’on trouve ce terme. Le dictionnaire du cinéma préconise quant à lui l’abandon du terme « script-girl ». Jean-Loup Passek (dir.), Dictionnaire du cinéma, Paris, Larousse, 2000, vol.2, s.v. scripte.
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1.5. Interprétation du corpus Globalement, les noms des professions de l’audiovisuel ne présentent pas une féminisation méthodique et généralisée. Les formes féminines apparaissent uniquement lorsqu’on évoque nommément des femmes ou lorsqu’on décrit des « métiers de femmes ». Ainsi, les mots « habilleuse, maquilleuse ». À ce titre, un exemple parmi d’autres nous a semblé révélateur de certains stéréotypes autour de ces métiers9. La majorité des sources consultées s’accordent sur plusieurs points. Tout d’abord, les métiers exercés par des femmes restent minoritaires. Il s’agit essentiellement de postes de secrétaire, d’assistante, de scripte, de maquilleuse, etc. Par contre, les métiers plus techniques du son et de l’image semblent être surtout l’apanage des hommes. Dans ces domaines, les techniciennes constituent des exceptions pour lesquelles la forme féminisée n’est, la plupart du temps, pas utilisée10. Dans des cas plus rares, on utilise le féminin pour souligner cette exception11.
Nous avons quand même remarqué une évolution dans le temps en comparant les guides des métiers de 2003 ou 2006, à celui de 1987, où les féminins étaient absents. Dans les plus récents, les formes féminisées sont présentes et les témoignages de professionnelles sont proportionnellement plus nombreux. En outre, ces ouvrages indiquent plus ou moins explicitement que les
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Exemple : « les invités passent par la loge de la maquilleuse [..] c’est un moment de détente et de bavardage. C’est le syndrome de la coiffeuse : entre les mains d’une femme on se laisse aller aux confidences. » Dans Sabine Fosseux, Marie-Lorène Giniès, et Laetitia Person, op.cit., p.110. 10 Ainsi, « ingénieur » reste au masculin : « On commence à voir des femmes dans les postes techniques[…]elles sont ingénieurs ». Dans « Le centenaire du cinéma : l’épopée des femmes dans le septième art en Europe » , Les cahiers de femmes d’Europe n°43,mars 1996,p.13. Il n’apparaît féminisé que dans le guide de féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre, p.22. 11 « directrice de la photographie », « chef-monteuse ». Dans« Le centenaire du cinéma […] » p.21.
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professions décrites sont accessibles autant aux femmes qu’aux hommes12, ce qui laisse à penser que les femmes sont de plus en plus nombreuses à travailler dans ces secteurs.
Pourtant, ces métiers n’incarnent pas une position de prestige comme c’est le cas pour « avocat » ou « médecin », réputés résistants à la féminisation malgré un nombre important de femmes dans la profession. Dans ce cas-ci, la rareté de la féminisation des noms de professions serait plutôt due à l’action combinée du nombre restreint de professionnelles dans le secteur, et d’une résistance davantage idéologique que linguistique, qui s’incarne dans plusieurs clichés13. Nous allons brièvement nous attarder sur ce point dans la deuxième partie.
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Parfois, cette information est présente en guise d’avertissement, ce qui permet aussi d’épargner l’usage de formes féminines dans toutes les descriptions de métiers. Dans Sandra Caltagirone et Fabienne Heirwegh, Les métiers du journalisme, Bruxelles, publication du S.I.E.P. , 2003, p.33 13 Un exemple relevé parmi d’autres : « On l’a longtemps appelée la script-girl […] toujours discrète, penchée sur son relevé, un stylo à la main, elle est facile à repérer. A priori, elle n’a rien à dire sur l’aspect artistique. » Dans Sabine Fosseux, Marie-Lorène Giniès, et Laetitia Person, op.cit., p.93.
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2. Perspective sociologique 2.1. Liens avec le problème du genre L’observation du corpus a révélé l’existence d’une volonté de féminisation des noms de métier manquant d’efficacité. Les possibilités offertes par la langue existent pourtant (dans le Guide de féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre), mais elles ne sont que rarement présentes dans les ouvrages propres à l’audiovisuel. Nous constatons donc un écart entre une féminisation complète et idéale et les usages qui la révèlent parcellaire et peu cohérente. Par ailleurs, toutes les sources semblent indiquer la rareté des professionnelles. On pourrait déduire un lien entre ces deux observations: si le genre féminin paraît peu présent dans les noms de profession, c’est parce que le sexe féminin est peu présent dans les métiers. Cette réalité linguistique s’ancre donc dans une réalité sociologique où un double constat s’observe : d’une part peu de femmes, d’autre part un problème d’ordre idéologique : la persistance de certains stéréotypes. Parfois c’est précisément la volonté de contrer ces stéréotypes qui indique leur présence implicite14 et révèle la dimension idéologique du langage, qui consiste à refuser, en même temps que le féminin, un statut professionnel égal. L’utilisation du masculin ainsi que les clichés véhiculés maintiennent une subordination symbolique15 qui se traduit par une subordination parfois effective (salaire plus bas). Dans des métiers ouverts aux femmes depuis peu, ce frein idéologique limite les possibilités de leur intégration plus massive. Nous avons examiné la présence (ou absence) de ce double constat dans les études sociologiques qui, parmi nos sources, concernent la situation des professionnelles au sein des médias.
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Par exemple, un avertissement en début d’ouvrage : « …égalité des chances entre les filles et les garçons, tous les métiers […] s’adressent aussi bien aux femmes qu’aux hommes ». Sandra Caltagirone et Fabienne Heirwegh, op.cit., p. 33. 15 Benoîte Groult, « Le féminin entre crochets » dans Évelyne Serdjénian et al. (dir.), op.cit, p.103-108.
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2.2. Situation des femmes dans l’audiovisuel L’ensemble des ouvrages présentent cette situation comme une réalité préoccupante. Le déséquilibre numérique et représentatif (symbolique) entre les deux sexes est considéré comme un problème majeur16. La plupart des ouvrages établissent une corrélation directe entre le nombre réduit d’employées, leur mauvaise image, et leur présence peu visible (à l’écran, dans les génériques de films, etc). Ceci, autant dans les ouvrages développant un propos orienté par une thèse que dans les ouvrages plus neutres17. Initialement tout à fait fermé aux femmes, le secteur évolua beaucoup dans les années 1980-1990, pour arriver finalement à une quasi-égalité numérique, surtout dans le secteur de la radiotélévision18. Toutefois, si de plus en plus de femmes entrent dans la profession, cela ne concerne que quelques postes (présentatrice, habilleuse, animatrice, maquilleuse, standardiste, assistante). Métiers qui sont précisément les seuls à faire l’objet d’une féminisation fréquente. En revanche, les postes « cadres », de direction, ainsi que les métiers techniques du son et de l’image restent majoritairement masculins19. Le secteur du cinéma connaît cependant une exception pour la profession de réalisatrice. Malgré le fait qu’il soit lié à un certain prestige, ce métier est désormais exercé par les deux sexes et son titre se féminise chaque fois qu’il s’applique à une femme20. Quant au secteur des radiotélévisions, les professionnelles occupent essentiellement des postes de secrétariat, 16
L’article « De l’absence des femmes dans les J.T. européens parle d’ « hypoféminisation des télévisions » pour qualifier cette situation. Tina Penolidis « De l’absence des femmes dans les J.T. européens » , Études de radio-télévision, N° 37, 1987, p.107. 17 Monique Rémy, Comment les femmes sont vues : images et statuts des femmes dans les médias, s.l., Groupe d’études et de recherche Femmes et société, Université Libre de Bruxelles, 1994, p.59. Rémy Rieffel, Sociologie des médias, Paris, Ellipses 2005, p. 120, parle d’un « secteur misogyne ». 18 Au début des années 1990 (1993), environ 30% de femmes travaillent comme présentatrices ou journalistes. Á la fin des années 1990 (1999), la proportion est montée jusqu’à 40-45%. (Belgique et France confondues). Rémy Rieffel, op.cit., p.121. 19 Environ 4 à 6 % de ces professions sont exercées par de femmes. Ididem,, p. 121. 20 Ce paradoxe d’un métier de prestige aisément féminisé s’explique notamment par le fait que les premières réalisatrices apparurent dans les années 1950-60, en même temps que les importants mouvements féministes. Elles ont souvent inclus dans leurs films une revendication de type féministe pour ensuite, une fois reconnues, se tourner vers d’autres propos. Dans« Le centenaire du cinéma […] » p.13.
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d’administration, ou d’employées d’agences de publicité, ainsi que les métiers cités plus haut. Elles sont également animatrices ou présentatrices, surtout dans des émissions domestiques, culturelles ou de santé21. Quant aux journalistes, leur nombre augmente (autant à la télévision qu’à la radio), mais la plupart d’entre elles travaillent comme assistantes, et se voient rarement confier la direction d’une équipe, ou d’un sujet de premier ordre. Leur intégration est quand même notable puisqu’elles représentent environ un tiers des journalistes.
Pourtant, malgré cet avancement, plusieurs études soulignent la différence entre cette réalité numérique (de plus en plus de femmes travaillent dans l’audiovisuel) et la représentation de celles-ci (c’est-à-dire leur présence à l’écran, la mention souvent oubliée de leur profession dans les génériques d’émission, dans les interviews). Le décalage entre la visibilité et la présence réelle des femmes continue à donner de l’audiovisuel l’image d’un secteur masculin et favorisant peu l’égalité des chances. À part les clichés et la faible visibilité des professionnelles, d’autres éléments expliquent cette sous-représentation. Ces éléments sont de deux types. D’une part, la hiérarchisation importante qui structure les secteurs de la télévision et du cinéma. Elle installe une forme de prestige dans le milieu et s’est mise en place dès les débuts du journalisme, époque où le métier était exclusivement l’apanage des hommes. Nous avons effectivement constaté que la distribution des postes de direction évoluait peu. Cette hiérarchie constitue donc un facteur de conservatisme, maintient des codes et des enjeux de prestige qui sont en décalage par rapport à la réalité actuelle, et se retrouve dans les clichés persistant (pas seulement propres à la profession) dans l’imaginaire collectif. Par exemple, plusieurs professionnelles évoquent les arguments qu’on leur a opposés pour justifier un salaire moindre ou un horaire réduit (les charges de famille, l’éventualité d’une maternité qui constituent des « handicaps »). Ces raisons invoquées par les employeurs semblent justifier la présence majoritaire de femmes dans les postes administratifs ou de secrétariat, du fait de leurs horaires fixes et de journée. Un autre argument s’appuie sur 21
Répartition des employées dans le secteur télévisuel. Dans Tina Penolidis, loc. cit., p.
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l’émotivité ou la sensibilité qui seraient typiquement féminines, et constituent une entrave à une pratique journalistique objective. Ce deuxième argument engendre beaucoup de stéréotypes plus propres au secteur audiovisuel (mauvaise maîtrise des outils technologiques, de l’électronique, difficulté de résister à la pression d’un horaire variable, à des conditions de tournage éprouvantes).
2. 3. Les mesures favorables à l’égalité dans le secteur Afin de contrer la tendance à l’immobilisme, plusieurs moyens ont été mis en œuvre depuis le milieu des années 1990. La plupart du temps, ce sont d’abord des associations féminines, ou de professionnelles, ou des linguistes, qui ont adressé leurs revendications aux pouvoirs législatifs et aux organismes médiatiques ou linguistiques. Les études insistant sur la sous-représentation des professionnelles concluent toutes qu’une augmentation de la proportion de femmes (notamment dans les postes de décision) donnerait à celles-ci une meilleure visibilité22. Cependant, d’aucuns soulignent qu’un changement des pratiques de recrutement devrait également s’accompagner d’actions à long terme émanant des organismes de radio-télévision eux-mêmes. Ils possèdent effectivement une influence réelle sur leurs employés et sont plus à même de désamorcer les clichés circulant parmi les professionnels, grâce à des mesures concrètes ou des textes légaux. Pour s’assurer d’une action efficace de la part de ces organismes, plusieurs pays ont mis en place un cadre légal et des commissions23 qui ont fourni des rapports et des recommandations24 spécialement 22
Monique Rémy, op. cit., p. 60-62. La revue Femmes d’Europe, que nous avons utilisée, est une de ces initiatives, elle émane du Conseil de l’Europe, et vise la promotion de l’activité professionnelle des femmes dans divers pays. 24 Par exemple, la « Charte sur l’égalité des chances pour les femmes à la radio-télévision », 1995, France. Dans Évelyne Serdjénian et al. (dir.), op.cit, p.153. Commande d’études sur la répartition hommes/femmes du secteur par la C.E.E. Dans Monique Rémy, op.cit., p. 74. Création d’un comité directeur « Femmes et télévision », chargé de planifier des décisions en 23
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adressées au secteur de l’audiovisuel. L’entreprise de féminisation systématique des noms de métier participe de ce mouvement vers davantage d’égalité. Comme la dimension langagière est intimement liée à la représentation mentale, la féminisation apparaît dès lors comme une étape indispensable25 du processus visant à changer les aspects trop conservateurs de certains secteurs.
vue de changements dans les secteurs médiatiques. Dans « Les femmes et la télévision en Europe », Les cahiers de femmes d’Europe, n°28, septembre 1988. 25 Un exemple de ce lien : l’étude Femmes et médias, inclut un article (celui de Benoîte Groult) sans rapport apparent avec les professionnelles de l’audiovisuel, entièrement dédié à l’historique de la féminisation.
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Conclusion Avec ce dernier point, nous constatons que les usages linguistiques sont symptomatiques d’une réalité sociale. Les observations et interprétations du corpus se trouvent corroborées par les faits exposés dans les ouvrages scientifiques consultés dans la deuxième partie du travail. Dans une perspective embrassant à la fois la réalité sociale et linguistique, nous remarquons que les déductions au sujet d’un usage (la rare féminisation) ne constituent que le pan d’un problème préoccupant, si l’on en croit le ton de certains ouvrages sur le sujet. Ainsi, l’inégalité des sexes se révèle effective (nombre de femmes employées moindre), symbolique (les stéréotypes), et linguistique (la volonté d’utiliser le masculin même lorsqu’on évoque une femme).
Néanmoins, les progrès semblent amorcés puisque des mesures concrètes sont prises, et ce, à divers niveaux (légal, linguistique). De plus, la pratique de certains métiers paraît désormais parfaitement concevable au féminin (par exemple le métier de journaliste, de réalisatrice, même si elles demeurent peu nombreuses). Il resterait à voir si les féminisations utilisées dans les livres le sont aussi à l’oral. Dans cette optique, une enquête orale de plus grande ampleur permettrait aussi d’approfondir le lien langage-représentation symbolique (le nom comme affirmation d’une identité), la dimension humaine étant plus perceptible à l’oral. Pour s’en tenir à notre propos initial, nous pouvons conclure que malgré son caractère moderne et évolutif, le secteur des médias montre un certain conservatisme au même titre que d’autres domaines professionnels plus anciens. Ce conservatisme rend assez ardue l’application d’un changement comme la féminisation, surtout dans certains métiers techniques et de direction.
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Bibliographie Bruxelles, Communauté française de Belgique, Conseil supérieur de la langue française, Mettre au féminin : guide de féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre, 2è éd., Bruxelles, Service de la langue française, 2005, 79 p. BIRONNE Caroline et WOLMARK Yael, Les métiers de l’audiovisuel: radio, télévision, cinéma, Paris, Bordas, (coll. « L’étudiant pratique »), 1987, 180 p. CALTAGIRONE Sandra et HEIRWEGH Fabienne, Les métiers du journalisme, Bruxelles, publication du S.I.E.P., (coll. « Formation métiers »), 2003, 225 p. DALLENOGARE Laurence, « Ne dites pas trop vite il n’y a pas de femmes » : comment assurer la visibilité des femmes dans les médias ?, Mémoire de licence en information et communication, Bruxelles, Université Libre de Bruxelles, 1997, 115 p. FOSSEUX Sabine, GINIÈS Marie-Lorène, et PERSON Laetitia, Les métiers de l’audiovisuel : cinéma, télévision, radio, 6e éd., s.l., Studyrama (coll. « Métiers »), 2006, 276 p. FOUGÉA Jean-Pierre, Écoles, métiers : cinéma, technologies, Paris, s.éd., 2003, 367 p.
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18
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Table des matières Introduction..............................................................................................................2 1.1. Les sources utilisées......................................................................................3 1.2. La sélection des éléments du corpus .............................................................4 1.3. Le corpus et les types de féminisation trouvés .............................................4 1.3.1. Le corpus................................................................................................4 1.3.2. Les types de formes féminisées rencontrées ..........................................6 1.4. Observations et remarques sur le corpus.......................................................7 1.4.1. Les féminisations hésitantes...................................................................7 1.4.2. Les formes doubles ................................................................................8 1.4.3. Les professions apparaissant spontanément au féminin ........................8 1.4.4. Les professions apparaissant systématiquement au féminin..................8 1.4.5. Les noms de profession en anglais.........................................................9 1.4.6. Les cas de contournement de la féminisation ........................................9 1.5. Interprétation du corpus ..............................................................................10 2. Perspective sociologique....................................................................................12 2.1. Liens avec le problème du genre.................................................................12 2.2. Situation des femmes dans l’audiovisuel ....................................................13 2. 3. Les mesures favorables à l’égalité dans le secteur.....................................15 Conclusion .............................................................................................................17 Bibliographie..........................................................................................................18 Table des matières..................................................................................................20
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