Médecine et maladies infectieuses 39 (2009) 57–60
Cas clinique
Deux hépatites fulminantes survenues au cours d’un traitement curatif par l’association artésunate–amodiaquine Two cases of fulminant hepatitis during a curative treatment with an artesunate–amodiaquine combination E. Guévart a,∗ , A. Aguémon b b
a Ambassade de France, 01 BP 966, Cotonou, Bénin Service de réanimation, centre national hospitalo-universitaire Hubert-K.-Maga, Cotonou, Bénin
Rec¸u le 6 mai 2008 ; accepté le 30 septembre 2008 Disponible sur Internet le 13 novembre 2008
Résumé Deux femmes jeunes, jusque là en bonne santé, ont souffert d’une hépatite rapidement mortelle après traitement d’un accès fébrile par l’association artésunate–amodiaquine aux doses recommandées. La suspicion d’imputabilité du traitement pour l’hépatite a reposé sur la chronologie (fièvre, association médicamenteuse, atteinte générale brutale, hépatite mortelle en quelques jours) et sur l’absence d’autre cause évidente d’hépatite. Des hépatites sévères sous traitement prolongé par l’amodiaquine, rapportées depuis 1985, ont un risque estimé à 1/15 500 traitements, les symptômes apparaissant en dix à 160 jours. Les recommandations internationales actuelles préconisent de traiter l’accès palustre simple en première intention par une association à base d’artémisine, notamment avec l’amodiaquine. L’utilisation itérative d’amodiaquine pourrait représenter le même risque qu’un traitement prolongé, les mécanismes de toxicité supposés étant l’accumulation de métabolites ou un phénomène immunoallergique. La notification de tous les effets indésirables s’impose. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Two previously healthy young women presented with a lethal hepatitis a few days after the onset of an artesunate–amodiaquine combination at the recommended doses for a bout of fever. Nothing proved the fever was due to malaria, the toxic cause of hepatitis, or to the drugs used. Imputability was based on chronology (fever, drug combination, sudden onset of severe fatigue, hepatitis lethal in a few days) and on the absence of any other evident cause for hepatitis. Severe hepatitis under prolonged amodiaquine treatment has been reported since 1985, the risk is estimated at 1/15 500 treatments and the symptoms usually appear within 10 to 160 days. The current international recommendations are to promptly treat uncomplicated malaria access, with an artemisinin-based combination therapy, especially with artesunate–amodiaquine. The risk of iterative amodiaquine use could be the same as prolonged treatments, given that the suspected toxicity mechanisms are metabolite accumulation or an immunoallergic phenomenon. All adverse effects must be reported. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Hépatite fulminante ; Artésunate–amodiaquine Keywords: Lethal hepatitis; Amodiaquine–artemisinine combination
∗ Auteur correspondant. Ambassade de France à Cotonou (Bénin), service de la valise diplomatique, 128 bis, rue de l’Université, 75351 Paris 07 SP, France. Adresses e-mail : guevart
[email protected] (E. Guévart),
[email protected] (A. Aguémon).
0399-077X/$ – see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.medmal.2008.09.024
Connue depuis 1946, l’amodiaquine (AQ) a été largement prescrite en prophylaxie antipaludique et dans le traitement de diverses maladies inflammatoires. Sa toxicité sur les lignées granulocytaires et sur les hépatocytes est connue depuis 1953, les premiers décès ayant été notifiés en 1957. Depuis 1985, de nombreuses observations d’hépatites ont été publiées [1], dont près
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de la moitié mortelles, notamment sous chimioprophylaxie antipaludique, jusqu’au retrait de cette indication prophylactique en 1988. Depuis 2002, l’extension des chloroquinorésistances à la plupart des pays africains a amené l’Organisation mondiale de la santé (OMS) [2] à recommander le traitement de première intention du paludisme simple par les associations à base d’artémisine, parmi lesquelles l’association artésunate–amodiaquine (ASAQ). Deux observations d’hépatites fulminantes, survenues au troisième jour du traitement curatif d’un accès fébrile par l’association ASAQ, amènent à discuter la responsabilité de l’AQ et appellent à améliorer la pharmacovigilance. 1. Les deux observations Mme A. Mou. . ., âgée de 32 ans, d’origine congolaise, a vécu au Cameroun de 2001 à 2005 puis en Côte d’Ivoire. Mère d’un enfant né en 2001 et de jumeaux nés en 2004, elle était infirmière, sans emploi depuis 2005, ne se connaissait aucun antécédent pathologique marquant, ne prenait habituellement aucun médicament mais signalait avoir souffert de nombreux épisodes de fièvre « banale ». En mars 2006, une association d’artésunate (AS) (Arsumax® ) et d’AQ lui a été prescrite en raison d’un épisode de fièvre durant depuis 24 heures, avec recherche de Plasmodium à la goutte épaisse « +++ » sans numération de la parasitémie. Elle n’était pas enceinte. Deux jours plus tard (j3), elle a été hospitalisée pour une asthénie intense avec anémie à 9 g/100 ml. Le lendemain (j4) est apparu un ictère avec élévation des transaminases (ASAT = 215 UI/l, ALAT = 483 UI/l). À j5, alors que s’installaient des troubles de la conscience et une anurie, la cytolyse hépatique s’était accentuée (ASAT = 880 UI/l, ALAT = 1 600 UI/l). Le taux de prothrombine était alors à 20 %. Le décès est survenu le même jour dans un tableau de défaillance multiviscérale associant à la cytolyse hépatique des hémorragies diffuses, un coma aréactif, un œdème pulmonaire, une insuffisance rénale anurique et une anémie à 6 g/100 ml. Les sérologies d’hépatites A, B, et C et de VIH étaient négatives. Mme H. Ba. . ., 44 ans, d’origine nigérienne, mère de quatre enfants de deux à dix ans, ne se reconnaissant aucun antécédent pathologique marquant, vivait au Bénin depuis dix mois. Médecin de profession, elle signalait avoir souffert de nombreux épisodes de fièvre « banale », ne prenait de fac¸on habituelle aucun médicament ni aucune contraception et n’était pas enceinte. En octobre 2007, à l’occasion d’un épisode de fièvre, elle s’est vu prescrire à titre présomptif, sans examen biologique, une association fixe ASAQ à la dose de 4 mg d’AS et 10 mg d’AQ par kilogramme par jour pendant trois jours. Un malaise généralisé, survenu au troisième jour, a évolué vers une asthénie intense justifiant l’admission en clinique le lendemain. Un ictère est apparu à j5 et le diagnostic d’hépatite a été posé à j6 sur l’association d’une cytolyse (ASAT = 7800 UI/l, ALAT = 15 000 UI/l) et de troubles de la coagulation (TP = 60 %). La créatininémie était alors à 200 Mol/l. À j7, l’apparition de troubles de conscience a justifié le transfert dans un service de soins intensifs : le score de Glasgow était alors à 12, mais passait à 8 dès le lendemain (j8), alors
que s’installait une défaillance multiviscérale : hémorragies aux points de ponction, œdème aigu du poumon et encombrement bronchique, insuffisance rénale anurique, puis coma aréactif, suivi du décès en quelques heures malgré les mesures symptomatiques de réanimation. À ce moment les transaminases étaient mesurées à : ASAT = 683 UI/l, ALAT = 5600 UI/l et la créatininémie à 500 Mol/l. Les sérologies d’hépatites A, B, et C, et de VIH étaient négatives. Au total, ces deux jeunes femmes préalablement en bonne santé, non enceintes et ne prenant habituellement aucun traitement, ont été traitées par ASAQ à dose curative pour un paludisme probable (premier cas) ou suspecté (second cas). Dans les deux cas, une asthénie intense survenue au troisième jour de ce traitement a précédé le diagnostic d’hépatite cytolytique, mortelle en six et huit jours dans un tableau de défaillance multiviscérale. En l’absence de structures et de procédures réglementaires à l’époque, ces effets indésirables n’ont pas été notifiés au niveau national. Aucune notification de pharmacovigilance n’a été établie à l’intention des entreprises de fabrication ou de commercialisation des produits suspectés. 2. Discussion Ces deux observations d’hépatite cytolytique fulminante ont été prises en charge dans un environnement initialement peu équipé, ce qui explique l’absence de numération de la parasitémie et même de recherche d’hématozoaire pour le second cas. Le manque d’équipement, puis l’urgence expliquent également le peu d’examens complémentaires réalisés pour confirmer l’hépatite et documenter son étiologie. En particulier, l’autopsie n’a pas pu être réalisée. Néanmoins une asthénie intense et un ictère évoluant vers le coma et la défaillance multiviscérale associés à l’élévation franche des transaminases et à la diminution du taux de prothrombine permettent de retenir le diagnostic d’hépatite, dont le caractère fulminant n’est pas contestable. Le diagnostic de paludisme n’a pas été confirmé dans le second cas. Dans le premier cas, la mise en évidence d’hématozoaires à la « goutte épaisse », banale en zone d’endémie, peut être sans rapport avec la fièvre. Dans les deux cas, en l’absence d’observation clinique détaillée et d’examens complémentaires, rien ne permet d’établir le diagnostic différentiel d’un ictère fébrile ou d’une pathologie associée au paludisme. Rien ne permet d’affirmer la nature toxique de l’hépatite, mais aucun argument ne peut être retenu en faveur d’une autre cause : ces deux jeunes femmes en bonne santé, professionnelles de la santé, n’exerc¸aient pas d’activité de soins et n’étaient donc pas soumises au risque d’accidents d’exposition au sang ; elles n’étaient pas toxicomanes et n’avaient rec¸u aucune injection dans les mois précédents ; les sérologies d’hépatite virale étaient négatives et aucun argument clinique ou épidémiologique ne permettait d’évoquer une infection à cytomégalovirus (CMV), à Epstein-Barr Virus (EBV), ou une leptospirose ; leur vaccination antiamarile était à jour ; il n’y avait ni intoxication alcoolique, ni prise de médicament hépatotoxique, en particulier pas de contraceptifs.
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Si la nature toxique de l’hépatite est évoquée, il faut discuter la responsabilité de l’AS, de l’AQ, de leur association, d’impuretés si le médicament avait été acheté sur le marché parallèle ou enfin de l’association avec un autre produit. Dans les deux cas, ces professionnelles de santé avaient pris soin d’acheter l’association en officine pharmaceutique reconnue, sous conditionnement d’origine, et de la prendre aux doses prescrites et recommandées : la première sous forme de comprimés d’AS à 50 mg et de comprimés d’AQ à 200 mg et la seconde sous forme combinée (Coarsucam® , Sanofi Synthélabo dosé à 100 mg AS et 270 mg AQ par comprimé). Elles n’avaient pris aucun antipyrétique, notamment ni aspirine ni paracétamol. Aucune observation d’hépatotoxicité de l’AS n’a été rapportée à ce jour. Au contraire la toxicité de l’AQ est connue depuis 1953, au cours de traitements prolongés dans le cadre de maladies inflammatoires, puis de prophylaxies antipaludiques et s’est manifestée par des agranulocytoses (un cas sur 2100 traitements) [3] et des hépatites [1](un cas sur 15 650 traitements, dont la moitié mortelles). Sur 249 effets secondaires sévères des antipaludiques déclarés en Côte d’Ivoire en 2005, 45 étaient attribués à l’AQ, parmi lesquels cinq hépatites toxiques [4]. Une série de 22 hépatites fulminantes mortelles survenues sous prophylaxie en cours de grossesse a été rapportée, sans qu’on puisse les attribuer à l’AQ. La dernière hépatite fulminante documentée, publiée en 2007, était survenue après 13 semaines de traitement prophylactique par AQ : elle a été traitée par une transplantation hépatique en urgence [5]. Les bases de données franc¸aises de pharmacovigilance ne mentionnent pas l’AQ dans la mesure où les indications de ce produit ont été sévèrement restreintes depuis 1986. Seules trois publications rapportent la survenue d’une hépatite après la prise d’ASAQ, en traitement court : contrairement à nos deux observations où elle était précoce, l’hépatite est survenue dans ces trois cas plusieurs semaines après l’exposition à l’AQ. En 2001, chez une jeune femme en bonne santé, soumise à un essai thérapeutique de phase 3, les transaminases se sont élevées significativement 48 jours après la prise séquentielle d’AS puis d’AQ, sans autre cause d’hépatite, et avec un retour à la normale en 124 jours [6]. En 2007, deux hépatites ont été décrites 34 et 42 jours après la prise de deux cures d’ASAQ séparées par la prise d’efavirenz (EFV) [7]. Les transaminases se sont normalisées respectivement en 102 et 154 jours. Les dosages d’AQ et de son métabolite déséthylé laissent penser que l’EFV, qui n’est pas réputé hépatotoxique, a pu favoriser l’expression de la toxicité de l’AQ. La toxicité de l’AQ est établie mais ses mécanismes ne sont pas encore clairement définis. On met en cause l’accumulation de métabolites cytotoxiques éventuellement favorisée par certains variants du cytochrome CYP2C8 ou par des interactions médicamenteuses [8]. La présence d’anticorps spécifiques chez des patients ayant présenté des effets secondaires de type hypersensibilité laisse penser à un mécanisme immunoallergique comme le font aussi suspecter les récidives précoces de cytolyse hépatique après tests de réintroduction de l’AQ. Un tel mécanisme pourrait être évoqué dans les deux cas présentés ici au vu de l’apparition rapide et de l’évolution fulminante de ces deux hépatites.
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Aucune série prospective [3,9] ne pourrait mettre en évidence un risque estimé à un cas pour 15 650 traitements. Les études méta-analytiques [10] concluent à l’absence d’augmentation des risques de granulopénie ou d’atteinte hépatique ou de tout autre effet indésirable sévère. Les deux principales associations recommandées actuellement par l’OMS et les programmes nationaux sont l’artésunate–luméfantrine et l’ASAQ, financièrement beaucoup plus accessible [2]. Ces recommandations pourraient aboutir, en zones hyperendémiques, à l’utilisation répétée de l’association ASAQ, conduisant aux risques d’accumulation du médicament ou de ses métabolites, d’interactions médicamenteuses, ou de sensibilisation de nature immunoallergique car rien ne permet aujourd’hui d’éliminer formellement le risque toxique des cures thérapeutiques courtes [1]. 3. Conclusion L’observation de deux hépatites fulminantes survenues au troisième jour d’un traitement par l’association ASAQ a permis de rappeler la réalité du risque toxique de l’AQ et sa gravité même si rien ne permet de lui imputer les deux observations rapportées. L’utilisation de cette association risque d’être de plus en plus fréquente, ce qui invite à redoubler de vigilance et à notifier tous les accidents observés pour pouvoir alimenter et documenter les bases de données de pharmacovigilance. Loin de remettre en question les recommandations actuelles, qui n’ont guère d’alternative, les présentes observations invitent plutôt le prescripteur à la surveillance des patients sous ASAQ et à procéder systématiquement, en cas de suspicion d’hépatite survenant sous AQ, à une notification bien documentée aux systèmes d’information sanitaire et de pharmacovigilance à tous les niveaux de la pyramide sanitaire. 4. Remerciements Remerciements aux docteurs Marie-Claire Henry et JeanFranc¸ois Faucher pour la relecture. Références [1] Taylor WR, White NJ. Antimalarial drug toxicity: a review. Drug Saf 2004;27:25–61. [2] World health organisation (WHO). Guidelines for the treatment of malaria. World Health Organization, 2006 ISBN 978 92 4 154694 2. WHO/HTM/MAL 2006;1108:253 p. [3] Dorsey G. Questions about the antimalarial amodiaquine. Lancet 2003;361:1229–30. [4] Die-Kacou H, Kamagate M, Kakou KA, Balayssac E, Yavo JC, Daubret PT, et al. Adverse drug reactions related to amodiaquine reported and health authorities decision. Drug Saf 2005;28:959. [5] Markham LN, Giostra E, Hadengue A, Rossier M, Rebsamen M, Desmeules J. Emergency liver transplantation in amodiaquineinduced fulminant hepatitis. Am J Trop Med Hyg 2007;77: 14–5. [6] Orrell C, Taylor WR, Olliaro P. Acute asymptomatic hepatitis in a healthy normal volunteer exposed to two oral doses of amodiaquine and artesunate. Trans R Soc Trop Med Hyg 2001;95:517–8.
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