Bulletin de la Société Archéologique du Finistère Tome CXXXII, 2003
Monuments et objets d’art du Finistère Par Louis CHAURIS
ROSCOFF - Église Notre-Dame de Kroaz-Batz Large appel à des granites insulaires À l'invitation de M. l'abbé Hervé Caraës, recteur de Roscoff, nous avons examiné les pierres de l'église paroissiale, en vue de préciser leur nature et leur provenance. Ce superbe édifice a été commencé vers 1520 par la nef, poursuivi au cours du 16 ème siècle par le porche occidental, puis, vers 1605, par le chœur à chevet plat. Le clocher (1575-1576) est de type Renaissance, à deux galeries et à deux étages de cloches amortis par un dôme couronné de deux lanternons superposés ; de chaque côté s'élève une tourelle - celle du sud renferme les escaliers d'accès à la première galerie. La sacristie, adossée au chevet, est de 1639 ; le mur de l'enclos, de la même période. Il n'y a pas de porche méridional ; deux petites portes permettent d'accéder aux collatéraux nord et sud 46.. Les données archivistiques sont fort peu nombreuses ; les comptes de la construction de l'église ne sont pas connus (seuls ceux de la sacristie nous sont parvenus 47). Devant ces lacunes, il est apparu que seule l'étude lithologique du bâti pouvait apporter des informations sur les matériaux utilisés.
1. L’essentiel des parements vus, en pierres de taille soigneusement façonnées, des élévations du corps de l'église,
a fait appel à un granite de nuance légèrement grisâtre, à grain fin, souvent recoupé par des filonnets de pegmatite blanchâtre 48, de faible épaisseur 49, parfois entrecroisés. La fréquence de ces filonnets - jusqu'à quatre veines dans une seule pierre - confère à l'édifice un aspect des plus singuliers simulant des balafres. Parfois, ces pegmatites sont recoupées, à leur tour, par de minces veinules de tourmalinite noir-bleuté-50. Localement, le granite des élévations est plus clair, presque blanchâtre. Il renferme alors des amas pluri centimétriques de tourmaline poeciloblastiquesl, un peu en relief par suite de l'érosion de l'encaissant moins résistant. Pour se former, la tourmaline, minéral boré, capte le fer de la roche où elle cristallise : cette déférisation entraîne un net blanchiment de ladite roche. Le granite gris clair à filonnets pegmatitiques a été également employé pour les piliers, le porche occidental, la sacristie (en association avec le faciès à nids de tourmaline), le mur de l'enclos, ainsi que - pour partie - dans le clocher et pour le dallage. L’observateur familiarisé avec la géologie régionale aura immédiatement reconnu, dans ces deux variétés granitiques, les roches qui affleurent à l’île de Batz et dans les récifs situés entre cette île et Roscoff. Les rivages de Batz présentent une impressionnante succession de perrières abandonnées; les vestiges de ces anciennes exploitations, au nombre d'une cinquantaine au moins, s'échelonnent presque tout au long de la côte. Leur grand nombre compense, en quelque sorte, la faible dimension individuelle des chantiers. En fait, les rompeurs - ancien nom des carriers - attaquaient la pierre partout où elle paraissait offrir des garanties de qualité et où elle pouvait être extraite sans difficulté majeure 52. L’extraction de ces pierres insulaires remonte loin dans le passé, comme le confirme, dans l'île elle-même, les ruines de la chapelle Sainte-Anne (début du xi' siècle, peut-être même fin du 5ème siècle ?) ; sur le continent, la pierre de Batz a été utilisée à la fin du 15ème siècle et au début du 16ème siècle pour la reconstruction de l'église Saint-Melaine à Morlaix, comme l'attestent les observations in situ, confirmées par les archives : «Le 18 janvier 1490, deux batelées de grosses pierres de Batz... remontent la rivière du Dossen» jusqu'au pied du chantier. Pour l'église de Roscoff, les données archivistiques relatives à l'emploi des granites de l'île de Batz concernent uniquement la construction de la sacristie dans la première moitié du 17ème siècle. Comme les deux variétés granitiques utilisées pour cette partie de l'édifice sont absolument identiques à celles employées antérieurement pour le reste de l'église, une même provenance insulaire paraît pleinement assurée. Depuis leur mise en oeuvre dans l’église de Roscoff, les granites de Batz, soumis aux vicissitudes du climat océanique, -subissent, au moins localement, des altérations assez prononcées. En certains points, la pierre s'effrite superficiellement sous la main ; ou bien présente des desquamations, se détachant en plaquettes. Plus grave, la fissuration est sans doute due aux effets de surcharge. 2. Les granites de l’île de Batz ne sont pas les seules roches employées dans l'église de Roscoff.
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À la base des contreforts du porche, de grosses plaques de gneiss, disposées horizontalement, atténuent la montée de l'humidité dans le bâti : du fait de sa schistosité, formant une succession de lits parallèles, les gneiss contrarient la progression de l'eau vers le haut. De tels gneiss affleurent au débouché de l'anse de Laber, en particulier dans le récif de Roc'h-ar-Gored, où ils ont été exploités. Sans que l'on puisse assurer avec une certitude absolue que les gneiss de l'église proviennent dudit récif, leur origine- est indubitablement très proximale. Par ailleurs, des gneiss, sous forme de médiocres moellons, ont été aussi utilisés dans l'ajout abritant la porte latérale sud. Quoique cette roche affleure largement non loin de l'église, le granite de Roscoff (sensu stricto) - bien caractérisé par ses feldspaths porphyroïde 53 trapus - reste extrêmement rare dans les élévations du bâti (transept nord). Le refus de cette pierre toute proximale s'explique par les difficultés de son façonnement. Dans l'escalier en vis de la tourelle, le granite de Batz est dominant. Toutefois, un peu avant d'atteindre la première galerie, deux marches sont façonnées dans le granite de l'île Callot, en baie de Morlaix, aisément identifiable par sa nuance ocre rose, son grain grossier, l'abondance du mica noir 54... Le granite de Callot a été très recherché, pendant des siècles, dans toute la région morlaisienne ; aussi, la rareté de son emploi pour l'église de Roscoff, ne laisse pas de surprendre. Sur la façade occidentale du clocher, dans les niches (sans statues) situées un peu au-dessous de la première galerie, apparaît également un peu de granite ocre rose. ai. Toutefois, cette zone ne pouvant être observée de près, il s'avère impossible de préciser s'il s'agit encore ici du granite de l'île Callot. Cette incertitude repose aussi sur le fait qu'au niveau de la première galerie du clocher, le granite de l'île de Batz est associé à un autre granite - rappelant à première vue par sa teinte, mais uniquement à distance -, la pierre de l'île Callot. Examiné de près, ce granite s'en distingue par son grain fin et par ses feldspaths légèrement porphyriques, de teinte rose-rougeâtre, mis faiblement en relief par l’érosion. En l'occurrence, il s'agit d'un des faciès du célèbre complexe granitique de l'Île Grande dans le Trégor 55. Ledit granite est ici largement utilisé dans la chambre des cloches, le couronnement de la balustrade et de la tourelle d'accès... L’association granite Île de Batz-granite Île Grande se retrouve également au niveau de la seconde galeries 56. La présence d'une pierre aussi distale que le granite de l'île Grande dans le clocher de Roscoff s'explique, au moins en partie, par son excellente aptitude au façonnement, bien supérieure à celle des pierres de Batz. En fait, ces acheminements à distance sont très anciens : le granite de l'Île Grande était déjà utilisé à Tréguier pour la construction de la cathédrale aux 14ème et 15ème siècles ; il a été également recherché à Morlaix pour l'église Saint-Melaine dans la première moitié du 16ème siècle, et pour l'église Saint-Mathieu dans la seconde partie de ce même siècle-57 Par ailleurs, la voie d'eau diminuait singulièrement le coût des acheminements 58. Une part importante du dallage de l'église (19ème siècle) est formée de grands éléments, bien façonnés dans un granite de teinte assez sombre, remarquable par l'abondance des feldspaths porphyroïdes blanchâtres, plus ou moins alignés. Selon le Répertoire des carrières de pierre de taille exploitées en France en 1889, cette roche a été extraite dans le massif de Cléder. Lors des travaux de restauration du clocher (début du 20 ème siècle ?) au niveau de la première galerie, appel a été fait localement, pour le couronnement de la balustrade, au granite du Huelgoat, bien caractérisé par l'abondance de ses gros cristaux de cordiérite. Il est regrettable que les granites de Batz ou de l’île Grande n'aient pas été utilisés dans ce but... Le temps était venu où les granites continentaux (Cléder, Huelgoat) allaient supplanter les granites insulaires (Batz, Callot, Île Grande 59).
Louis Chauris
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46 - R. COUFFON et A. LE BARS, Diocèse de Quimper et de Léon. Nouveau répertoire des églises et chapelles, Quirnper, 1988, 552 p 47 - Dépouillés par le regretté abbé Feutren qui fut recteur de Roscoff. 48 - Les pegmatites se présentent en filons, qui offrent la même composition minéralogique que le granite, mais le grain est singulièrement plus fort ; elles sont souvent riches en tourmaline, en cristaux allongés noir-bleuté. 49 - Fréquemment de l'ordre de quelques centimètres seulement. 50 - La tourmalinite est une roche essentiellement composée de tourmaline. 51 - C'est-à-dire développés dans des minéraux préexistants. 52 - L.. CHAURIS, «Quand l'île de Batz extrayait son beau granite gris», Le Courrier du Léon - Progrès de Cornouaille, 9, 16 et 23 janvier 1993. 53 - À savoir de forte dimension par rapport au fond de la roche. 54 - L.. CHAURIS, «L’extraction du granite rose de l'Île Callot et son emploi dans le pays de Morlaix», Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest, t. 102, n* 1, 1995, p. 7.34.
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55 - À l’île Grande et dans les îlots voisins affleurent trois granites différents : gris, blanc et rose bistre : c'est à ce dernier type qu'appartient la pierre du clocher de Roscoff. Se reporter à L. CHAURIS, «Carrières au bord de la mer. île Grande et îlots voisins (Côtes-du-Nord)», 115' Congrès national des sociétés savantes, Avignon, Colloque «Carrières et constructions», Paris, C.T.H.S., 1991, p. 305-321. 56 - La nature pétrographique de la partie sommitale du clocher n'a pu être précisée, faute de moyen d'accès. Toutefois, l'examen aux jumelles suggère l'absence de granite rose. 57 - L.. CHAURIS, «Cinq siècles d'histoire inscrites dans la p;erre : les trois églises paroissiales du vieux Morlaix», Revue archéologique de l'Ouest, n* 12, 1995, p. 159-170. 58 - L’enclos renferme deux ossuaires. Le premier au 16ème «siècle, situé dans l'angle sud-ouest, a fait appel à la pierre de Batz. Le second, du début du 17ème siècle, dans l'angle nord-ouest, associe, comme dans le clocher, les granites de l'île de Batz (avec filonnets de pegmatites et avec nids de tourmaline) au granite rose bistre de Ille Grande. 59 - Sur la porte intérieure du perche apparaît une niche en calcaire jaunâtre profondément altéré, dont la provenance, indéterminée, est certainement très distale, puisque située en dehors du Massif armoricain.