L 19766 - 616 H - F: 6,50 € - RD
DECEMBRE 2018 N°616 / 6,50 € / MENSUEL BEL 7,15 € SUISSE 11,30 CHF LUX 7,15 € PORTUGAL CONT 7,40 € CAN 11,30 $ CAN / ITA 7,40 € DOM 7,40 € N CAL (S) 975 XPF POL (S) 1090 XPF ESPAGNE 7,40 € ILE MAURICE 7,40 €
Edito
Des caisses de blanc On dit se faire des cheveux blancs, on débat blanc bonnet et bonnet blanc, on cite arme blanche, nuit blanche, page blanche, voix blanche, le blanc des yeux, examen blanc et carte blanche, Laurent Blanc et Tony Joe White, mariage blanc, saigner à blanc, blanchir de l’argent, avoir un blanc au théâtre, balle à blanc, noir sur blanc, blanc comme neige, faire chou blanc, cousu de fil blanc, fromage blanc, chèque en blanc, de but en blanc, blanc comme un cachet d’aspirine, souvenons nous du rectangle blanc, bière blanche et verre de blanc, bulletin blanc, bois blanc et... ce White Album, Double Blanc en français, qui nous occupe aujourd’hui, 50 ans après sa parution. Mais blanc, c’est comment ? Michel Pastoureau, historien, écrit dans “Le livre Des Couleurs” : “Le blanc possède un symbolisme solidement ancré dans le temps et quasi universel avec l’innocence, la lumière divine ou la pureté. Le monde contemporain y a simplement ajouté l’idée du froid. Enfin, le blanc représente le cycle de la vie. Dans notre univers mental commun, l’enfance (le berceau) et la vieillesse (cheveux blancs, la sagesse) sont associés au blanc.” Début et fin de vie, donc. Et l’album du début de la fin pour les Beatles. Les photos d’eux, avant et celles d’après ce Double Blanc, sont plus nombreuses. Ici, elles sont rares. Et le photographe choisi, Don McCullin, un reporter de guerre ! Comme un signe. Visiblement, difficile de faire bonne figure. Ou semblant. Ils s’entendent moins bien. Leur pays, c’est plus l’amour. On parle là de Beatles qui deviennent, au moment de cet album, leurs propres patronymes. On ne dira plus Paul et John, on dira désormais Lennon et McCartney. On ne dira plus George mais Harrison. On continuera de dire Ringo. Alors ce choix du blanc, attribué à Paul McCartney et au graphiste Richard Hamilton, en opposition à la luxuriance riche en symboles de “Sgt. Pepper”, n’est-il qu’artistique ? Certainement pas. On peut y voir, en vrac et en se trompant, l’évocation du blanc du deuil porté en Inde d’où reviennent les Beatles et qu’ils s’apprêtent, peut-être inconsciemment, à vivre dans leur amitié. On peut y voir cette lumière blanche décrite par ceux qui reviennent de parmi les morts dans les “Nouvelles Extraordinaires” de Pierre Bellemare. On peut y voir l’absence d’idée, un désaccord entre les quatre fantastiques ou l’envie de ne rien dévoiler des intentions du disque. On peut également y voir une saloperie envers Yoko. Le blanc évoquant aussi la mort au Japon. Mais au fond, qu’importe que ce soit celle-ci qui fut choisie. Bleu, vert, jaune, taupe, les intentions seraient décortiquées de la même manière et les interprétations iraient bon train car on parle des Beatles. Qu’importe car, comme le pense Whoopi Goldberg : “Les Beatles n’avaient pas de couleur”. Elle parlait de leur peau. Et directement de l’universalité de leur musique. Bleu, vert, jaune, taupe, qu’importe donc, puisque c’est le blanc qui fut retenu. VINCENT TANNIERES
DECEMBRE 2018 R&F 003
Sommaire 616 Parution le 20 de chaque mois
Mes Disques A Moi Christophe Ernault
PHILIPPE MANŒUVRE 12
Tête d’affiche
Basile Farkas
BILL RYDER-JONES 16 SEASICK STEVE 18 JOHN GRANT 20
Jérôme Reijasse
Olivier Cachin
52 Bobbie Gentry
In memoriam Thomas E. Florin
TONY JOE WHITE 22 En vedette
PIERRE TERRASSON 26 THE GOOD, THE BAD & THE QUEEN 30 GHOST 34 MARK KNOPFLER 38 COCTEAU TWINS 42 BOB DYLAN 46 BOBBIE GENTRY 52 Isabelle Chelley
Olivier Cachin
Jonathan Hume
Benoît Sabatier
Alexandre Breton
Charles Ficat
Nicolas Ungemuth
En couverture Jérôme Soligny
THE BEATLES 58
La vie en rock
www.rocknfolk.com Patrick Eudeline
PALACE, BAINS DOUCHES & ROSE BONBON 66
COUVERTURE PHOTO : DR GRAPHISME : FRANK LORIOU
58 The Beatles
RUBRIQUES EDITO 003 COURRIER 006 TELEGRAMMES 010DISQUE DU MOIS 071DISQUES 072 REEDITIONS 080REHAB’084 VINYLES086DISCOGRAPHISME 088 QUALITE FRANCE 090 HIGHWAY 666 REVISITED 092 BEANO BLUES 094 ERUDIT ROCK 096 FILM DU MOIS 098 CINEMA 099 SERIE DU MOIS 101 DVD MUSIQUE 102 BANDE DESSINEE 104 LIVRES 105 AGENDA 106 LIVE 110 ROCK’N’ROLL FLASHBACK 113 PEU DE GENS LE SAVENT 114 Rock&Folk Espace Clichy - Immeuble Agena 12 rue Mozart 92587 Clichy Cedex – Tél : 01 41 40 32 99 – Fax : 01 41 40 34 71 – e-mail :
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Courrier des lecteurs Ça pourrait s’appeler “Let’s Imagine” ou un truc comme ça
Illustrations : Jampur Fraize
L’archange noir du T-shirt
Hey Rock&Folk, merci pour cette belle image de Vince Taylor qui porte (on le devine) un tee-shirt vintage de... Vince Taylor ! Quand on a la classe... GILLES
Du Schmoll
En ces temps moroses, heureusement que Mr Eddy Mitchell est là pour nous faire bien rire, malgré lui. Ainsi, selon Mr Moine, David Bowie ne serait qu’un “escroc” du rock, tout juste bon à arriver “avec une plume dans le cul et des cheveux en pétard”. Sans commentaire ! MATHIEU LECLERC
Dans la vraie vie
“The Donkeys and the Elephants, The Beatles and The Stones/ everybody’s on their phones (...) : our senses have been numbed, we can’t enjoy the taste/ cuz everyone’s been digitized but no one will be saved” postule King Tuff dans “Circuits In The Sand”, confirmant là notre profonde perplexité face à l’économie d’incarnation du monde numérique moderne. Justifiant ce verdict : à l’époque d’iTunes, de Snapchat, de WhatsApp, de Netflix, de la 4G, des émissions en replay, eh bien les grands cataclysmes rock n’existent plus, pour tous ceux qui de nos jours pensent être là sans y être et en même temps être là-bas alors qu’ils n’y sont pas physiquement... L’audience se sédimentant à l’insu du être-ensemble, de l’élan simultané, comme un programme que chacun suivrait mais dans des pièces et des états différents, pour ne pas dire opposés. Difficile d’envisager dans ces conditions la constitution d’une nouvelle
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nation rock, lieu d’incarnation, de proximité et de communion. La saveur de l’instant elle-même fait les frais d’un déclassement culturel... Et, à mon avis, ce n’est pas dans le bois de ce dilettantisme parfaitement contre nature que cette expérience collective (Bowie et les Spiders, aussi importants que l’homme marchant sur la Lune, sur le plateau de Top Of The Pops en 1972...) est à même de perdurer. Découvrira-t-on un autre Bowie ou un autre Prince dans un avenir proche ? Pas sûr. Parce que tout est plus ouvert, qu’“on est moins accroché à une idéologie” (et donc plus du tout à des figures tutélaires fortes ?) comme le rapportait Bertrand Burgalat le mois dernier. Ainsi, le rock de nos jours, c’est un chapiteau souterrain (chez le disquaire, à la médiathèque, dans un concert, sur un site web ou dans ce journal, peu importe) où tout un chacun cultive le pré carré de son érudition. Et c’est là, dans ce ghetto, que s’exercera sans doute pour
toujours le rayonnement par exemple de Ty Segall, d’un John Dwyer : on n’y peut rien, c’est comme ça (on s’éprendra de la même façon plus volontiers de PNL de nos jours que de PIL, de The Voice que de The Voidz, de Lartiste que de The Artist, il faut l’accepter ; et si le son et l’imagerie du rock sont conviés, c’est par le biais d’un détournement dans la pub et la mode, eh, eh ; ou dans la rue...). La saveur du moment s’est dissipée au nom de cette avidité qui suggère que le meilleur est toujours ailleurs ou que le meilleur est toujours à venir. Balivernes. Ceci ne s’appelle pas exactement savourer l’instant... Ça n’est pas compatible avec le rock. En définitive, si le rock n’est plus, déplorons-le, une institution pour le plus grand nombre, “le rock’n’roll, son importance, artistique et sociétale, déjà en train de s’estomper” (édito de novembre), c’est peut-être parce que l’institution suprême aujourd’hui c’est internet, c’est pourquoi nous avons là un vrai problème, à la fois
culturel (transmission de relais) et éthique (de l’insatisfaction qui fédère, du cérémonial). L’internet a reconfiguré la notion même de sol commun en institutionnalisant l’absence, ainsi rien de tel aujourd’hui qu’un festival pour le vérifier, s’en persuader. Rien de tel qu’un festival, dans la vraie vie, pour se sentir seul au milieu des autres ; Bob Mould : “De nos jours, on assiste rarement à un concert avec cette sensation d’ignorer si on va en ressortir vivant, ou même simplement différent, un peu chagé”. Et donc pour se demander, à l’heure où la documentation prend le pas sur l’expérience propre, si ces gens autour, équipés de leur smartphone, sont ce qu’ils sont censés être ou bien leur propre avatar... Quoi qu’il soit, la réception semble parasitée, ce parasitage massif remettant en cause le fondement même de la grand-messe rock’n’roll, son esprit, sa spiritualité. L’époque s’entiche de la réalité uniquement pour la fétichiser avec son téléphone. Il semble par conséquent impossible d’exister à ses yeux. Le rock, pas plus qu’un autre. Sans cette adhésion, cette disponibilité suffisante et nécessaire, c’est très simple : il n’y a pas de mouvement. Le cataclysme est désamorcé, caduc. L’internet, “force la plus sombre qu’ait jamais rencontré l’humanité” (dixit Ray Davies), “c’est le cancer, internet” (Melody Prochet, oui, cet internet-là a probablement certifié l’exode de la musique à la périphérie, en en automatisant l’accès comme à un livre ouvert. En la parant d’un don d’ubiquité qui n’est qu’un repoussoir à fantasmes, une entrave à sa qualité de narratrice, à la musique, un obstacle à sa capacité de jaillir, de surgir là, en se jouant du vide, afin précisément de le remplir. Tel un cataclysme. Mais ainsi vont les choses. Et non, vous ne vous étonnerez pas que ce courrier soit envoyé depuis un ordinateur, R&F, pas vous ! Car au-delà de cette seule idée du progrès pour le progrès, il ne s’agit pas de se tirer une balle dans le pied non plus... Mais juste de faire la part des choses ; Neil Young : “A mes débuts, ce n’était pas pareil : les gens de devant étaient les fans de musique, les vrais, ils connaissaient chaque chanson par cœur. Les portables et les richards qui peuvent se payer les meilleures places me déconcentrent : j’ai l’impression d’être une pièce dans un musée. Ce n’est pas bon pour la musique, qui très souvent se nourrit de l’énergie dégagée par la salle”. Ou ce qu’il fallait démontrer à propos de ce fameux sol commun. RUDY RIODDES
Le bruit blanc et la grâce
“J’ai toujours fantasmé sur ce que ça ferait de se trouver pile en dessous de ce pic d’énergie, de deux types qui entrecroisent leurs guitares, deux dieux du tonnerre en pleine crise de narcissisme et de cette puissante forme d’intimité qui ne peut qu’être atteinte sur scène, devant d’autres personnes, qui est celle de la fraternisation masculine”. De toute évidence, Kim Gordon ne s’est pas réveillée un beau matin frappée d’une conscience féministe, mais l’a élaborée au fil du temps... Voilà, au regard de notre époque, rattrapée subitement par un accès de conscience féministe, l’un des messages forts de “Girl In A Band”, titre des mémoires de la bassiste de Sonic Youth (à relire de toute urgence dans le contexte !). “Cette nana sait des trucs que je ne sais pas”, écrira le critique Greil Marcus à propos de Kim. En effet. Et en matière de féminisme, à proprement parler, qui aurait pu penser que le groupe soit un tel révélateur : “Un groupe, c’est l’essence même du dysfonctionnement, observe Kim, mais plutôt que d’exposer des motivations ou de discuter de ses problèmes, on fait de la musique pour les exorciser via l’adrénaline”. Mais quel rapport avec le féminisme me direz-vous ? Le rapport, c’est que la scène représente précisément un pas supplémentaire au cœur de ce cheminement : “Un espace à combler avec ce qui n’a pu être exprimé ou obtenu ailleurs.”
Génial, alors. Ainsi, contrairement à une pratique contemporaine qui voit le féminisme en être réduit parfois à des slogans, à des inepties susceptibles de remporter tous les suffrages lors du concours de l’Eurovision ou dans les charts, ou à un bashing incessant sur la toile, Kim Gordon, marchant dans les pas de ses propres aînées, “stoïques, endurantes, sans peur ni reproches”, nous conforte dans l’idée que la question féministe dans le rock méritait d’être plus finement traitée, en effet. Kim Gordon (qui n’est certainement pas Courtney Love ou Lana Del Rey à cet égard, sans même parler des Spice Girls...) pénètre ainsi au cœur d’une mécanique séculière, infiniment plus complexe. Comment ? En visualisant rétrospectivement ses propres prédispositions à l’asservissement, s’agissant des rapports entre homme et femme. Le fameux schéma. “La femme codépendante, l’homme narcissique : des mots éculés, révèle-telle, volés à la thérapie, mais auxquels je pense beaucoup ces jours-ci malgré tout. Cette dynamique que j’ai instaurée avec les hommes a sûrement commencé avec Keller [son frère] (...), il m’a convaincue de dormir dans une petite chambre à côté de la sienne, étouffant ainsi chacune de mes tentatives de trouver ma propre place dans le monde.” Elle ajoute, lucide : “Culturellement, on ne permet pas aux femmes d’être aussi libres qu’elles le voudraient, car ce serait effrayant : celles qui s’y essaient, on les fuit, ou alors on les traite de folles.”
Et on est véritablement au cœur de notre sujet, là. Mais, justement, voilà. Plutôt que de décider mordicus d’infléchir cette boucle infernale, eh bien Kim, non sans génie, ne dénigre pas son rayonnement au genre masculin, bien au contraire, cherchant un moyen d’y être légitimée. Bien consciente, là encore, que sans cet interagir, le combat est caduc. Inspiration géniale, oui. “Les mecs faisaient de la musique, relate Kim, et la musique, j’adorais ça. Je voulais m’approcher le plus possible de ce qu’ils ressentaient lorsqu’ils se retrouvaient ensemble sur scène (...). Maintenant que j’y pense, c’est pour ça que j’ai intégré un groupe : pour entrer dans cette dynamique masculine, ne plus être à l’extérieur à les observer par une vitre fermée, mais me trouver à l’intérieur, avec eux.” En conséquence de quoi, tout le récit est imprégné en filigrane de ce girl power qui consiste, une fois encore, devinez quoi... à dire “non”. Ici en l’occurrence au “marketing des femmes” : elle l’a fait en conservant une identité en tant qu’individu au sein du groupe. Même si, au fond, on en revient toujours à ce constat alarmiste : “Au début de Sonic Youth, je me suis vraiment appliquée pour devenir plus punk, pour perdre mon image féminine, liée à la classe moyenne de l’ouest de LA”. De l’art de repousser les limites donc, mais “repousser les limites implique aussi de laisser entrevoir des facettes moins désirables de soi. Au bout du compte, on attend d’une femme qu’elle porte le monde, pas qu’elle le détruise”. Et le combat de continuer. “Aujourd’hui encore, je me pose la question ‘suis-je émancipée’ ? Si vous devez cacher votre hypersensibilité, êtes-vous vraiment une femme forte ?”. Là-dessus, par contre, il n’y a pas “l’ombre d’un doute”. Car, sans en faire l’étalage, Kim Gordon a finalement conquis un territoire au milieu de ces hommes : le sien. Un lieu où elle peut se mettre en rogne, être quelqu’un d’autre. Et si, comme elle le précise, faisant allusion aux musiciens anglais, “le rock’n’roll est surtout un moyen de surmonter les hiérarchies sociales du pays, de briser les barrières de leur naissance.” Fondamentalement, c’est vrai aussi pour le féminisme. Le rock’n’roll n’aimant rien tant, en effet, que voir en son sein un individu qui se transcende. Et Kim d’interroger : “Peut-être qu’un concert, ça n’a jamais été que ça au fond : un baiser sans fin.” Adage de circonstance : et qui sait jusqu’où un baiser peut vous mener ? Si on renverse les choses, peut-être que, in fine, ces garçons qui lui demandaient sans cesse “qu’est-ce que ça fait d’être une fille dans un groupe ?” étaient “terrifiés par les femmes” ? “Girl In A Band” ne traite, selon moi, pas d’autre chose au fond que de cette gêne occasionnée par ces “rôles prédéterminés qu’on endosse”... Mais c’est la manière dont il suture le silence assourdissant qui résulte de cette gêne, avec le bruit blanc, qui confine l’état de grâce. ELEONORE
Sentiers battus et rebattus
Suite à la chronique de l’album de Beak>, il me semble justement que notre vénérable magazine Rock&Folk n’a jamais aussi été pertinent que quand il sortait de ses sentiers battus. Quand je vois la couv’ de ce mois, je suis quasiment sûr que ce n’est pas R&F qui m’a fait découvrir les Who, mais plutôt un ensemble de sources (autres magazines, télévision, radio, amis... ). Par contre, je me souviens très bien d’un temps où la musique électronique trouvait une place mensuelle. Pour le coup, sans R&F, je n’aurais jamais découvert un album qui m’a tellement accompagné depuis : le “Consumed” de Plastikman. Merci d’avoir pensé aux rockers (demi) pur jus ! BRUNO SWINERS
Ressemblance partielle
Bonsoir à tous, le gars à moustache dans les Parcels, ce n’est pas George Harrison ? Musicalement. G
Larmes de caïmans
Il promenait son blues tanné comme le cuir, racé, au milieu du bayou et des caïmans. Loin des crocodiles et autres cuirassés du rock. It’s “Stormy Weather” today... Pas vrai Tina ? Adieu Tony Joe White. DOMINIK FUNK
Imaginable
David Bowie n’est plus là. John Lennon non plus. Ces gars-là ont sorti de sacrés disques et leur absence est fort dommageable car l’époque en manque. Alors, puisqu’ils sont si balèzes, je conseille à Yoko Ono et Nile Rodgers de collaborer pour nous livrer un truc de la trempe des susdits. Ça pourrait s’appeler “Let’s Imagine” ou un truc comme ça. Et on tiendrait là enfin un des grands albums de la décennie. Merci à eux, donc, d’y penser et de se mettre au boulot. BEN KENNEDY
Ecrivez à Rock&Folk, 12 rue Mozart 92587 Clichy cedex ou par courriel à
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Télégrammes PAR YASMINE AOUDI
ALICE IN CHAINS
ETIENNE DAHO
Les vétérans grunge annoncent une date unique en France, le 28 mai à l’Olympia (Paris). Ils partageront l’affiche avec Black Rebel Motorcycle Club.
Le dandy continue d’afficher partout complet : il passera au Silo (Marseille) le 23 novembre, au Paloma (Nîmes) le 24, du 27 au 2 décembre à l’Olympia (Paris), le 4 au Métropole (Lausanne)... Le 14 décembre, il éditera un 45 tours deluxe avec en face A : “L’Etincelle” et en face B “Chambre 29”.
Le groupe de Sheffield publiera fin novembre un 45 tours “Tranquility Base Hotel & Casino”, avec en face B un inédit “Anyways”. En amont, “Warp Speed Chic”, court métrage réalisé par Ben Chappell lors de l’enregistrement du dernier album des Britannique en France, a été mis en ligne.
LES AVENTURIERS Du 12 au 20 décembre aura lieu la 14ème édition de ce festival sis à Fontenay-sous-Bois (94). Au programme, Vox Low, Zombie Zombie, Pogo Car Crash Control, Delgres, Astereotypie, Concrete Knives, Agathe Da Rama, Peroke, General Elektriks…
JOSH FAUVER L’ancien bassiste (2004 à 2012) de Deerhunter est décédé à l’âge de 39 ans. Les raisons de sa mort ne sont pas encore connues. Il était, aussi, membre des groupes Electrosleep International, SIDS et avait monté son label, Army Of Bad Luck.
Josh Homme
LEO FERRE
JOSH HOMME
MASSIVE ATTACK
A l’initiative de son fils Mathieu, un coffret de 14 CD, “Léo Ferré La Vie Moderne 1944-1959” incluant plus de 200 titres dont une cinquantaine inédits ou rares, sera disponible le 7 décembre.
“Cruel, Cruel World” est le nouveau titre du patron des Queens Of The Stone Age, tiré de la BO du jeu vidéo “Red Dead Redemption 2”. Ballade acoustique écrite par Daniel Lanois.
Les pionniers du trip-hop font une tournée pour les 20 ans de l’album “Mezzanine”, ils passeront au Zénith de Paris les 11 et 12 février 2019, à celui de Nantes le 13 et à l’Arkea Arena de Bordeaux le jour de la Saint-Valentin.
HARDY FOX
IMARHAN
Homme à l’identité énigmatique dans un groupe, les Residents, qui lui même cultive l’énigme au rang d’art depuis 1969, le claviériste et compositeur principal du collectif américain a succombé le 30 octobre à un cancer du cerveau. Il avait 73 ans.
Les Touaregs de Tamanrasset sont de retour les 21 et 22 novembre au Hasard Ludique (Paris) et le 23 au Temps Machine (Tours), pour distiller leur blues du désert empreint de rock et de groove.
IAN BROWN Le chanteur des Stone Roses revient avec “Ripples”, septième album solo, prévu pour le 1er mars.
RODOLPHE BURGER L’infatigable chanteur de Kat Onoma poursuit sa tournée solo. Il sera le 22 novembre à la Scène Nationale (Aubusson), le 23 au Centre Culturel Agora (Boulazac), le 11 décembre au MC2 (Grenoble), et le 24 janvier accompagné de Serge Teyssot-Gay à la scène Nationale (Niort)...
CHASSOL Le compositeur français investira la Cité de la Musique (Paris) le 30 novembre et le 2 décembre, et le Nouveau Relax (Chaumont) le 6 décembre prochain.
COLDPLAY Le documentaire “Coldplay : A Head Full Of Dreams”, consacré au groupe de Chris Martin, sera disponible le 7 décembre. Il retrace plus de 20 ans de carrière du groupe, incluant des images de la dernière tournée. En parallèle, deux disques, “Live In Sao Paulo” et “Live In Buenos Aires”, verront le jour.
010 R&F DECEMBRE 2018
Photo Kristen Welsh-DR
ARCTIC MONKEYS
MICHAEL JACKSON JAMPUR FRAIZE Notre illustrateur participera à l’exposition collective “La Gazette Du Rock” et jouera le soir du vernissage le 29 novembre à 19h avec Les Minutes (Mezzo à la basse) au Forum de Vauréal. A découvrir jusqu’au 15 décembre.
Le King Of Pop est à l’honneur au Grand Palais (Paris) du 23 novembre au 14 février 2019. L’exposition “Michael Jackson : On The Wall” explore l’impact culturel de l’artiste et de son œuvre des années 80 à aujourd’hui à travers des créations de David LaChapelle, Jeff Koons...
STEVE GUNN L’ancien guitariste de The War On Drugs et des Violators de Kurt Vile fera son retour le 18 janvier avec “The Unseen In Between”, son dixième album solo.
JOHNNY HALLYDAY “Mon Pays C’est L’Amour”, 51ème album du chanteur, s’est vendu à 631 473 exemplaires en 3 jours et s’approche aujourd’hui du million.
KAISER CHIEFS Le 8 juin prochain, au stade d’Elland Road, le quintette célébrera le centenaire de Leeds United, légendaire club de foot de sa ville, aux côtés de The Vaccines, The Sherlocks et, peut-être, de Marcelo Bielsa.
MILES KANE Le Liverpuldien a dévoilé un morceau inédit, l’énergique “LA Five Four (309)”, accompagné d’un clip.
MUDHONEY Mark Arm et ses hommes feront escale à Paris le 27 novembre au Trabendo.
PRINCE 4U : A Symphonic Celebration Of Prince, premier concert symphonique consacré au chanteur de Minneapolis. Aux commandes, Questlove (batteur des Roots) a choisi et fait les arrangements orchestraux de nombreux tubes de la star disparue. Passage le 26 novembre prochain au Palais des Sports (Paris).
LEE RANALDO “Electric Trim Live” est le prochain live du cofondateur de Sonic Youth. Il a été enregistré à Londres en octobre 2017. Le guitariste planche sur un nouvel album.
RAZORLIGHT Le quartette londonien vient de sortir un nouvel album “Olympus Sleeping”. Il le défendra sur scène au Bataclan le 2 février, après un Café de la Danse complet le 10 novembre.
“Les gens qui chantent en geignant combien leur vie est difficile, c’est tellement ennuyeux” THOM YORKE RENDEZ-VOUS L’Expanding Corruption Tour de la relève rock française débarquera le 30 novembre à la Souris Verte (Epinal), le 2 décembre à la Vapeur (Dijon), le 7 à la Tangram (Evreux) pour faire découvrir son post-punk “Superior State” sorti fin octobre. Les rockers californiens reviennent avec “Feral Roots” le 25 janvier prochain. Ils enchaîneront par une tournée française le 8 février au 106 (Rouen), le 9 au Bataclan (Paris), le 10 à la Sirène (La Rochelle) et le 25 au Transbordeur (Lyon).
AXL ROSE Très remonté contre l’actuel locataire de la Maison Blanche, le leader des Guns N’Roses a signifié à Donald Trump son interdiction de diffuser des chansons de son groupe au cours de rassemblements politiques.
Photo Allaan Ballard/ Scope Features/ Dalle
RIVAL SONS
Stray Cats
STRAY CATS
TOY
Les Londoniens débouleront le 14 décembre à l’Elysée Montmartre (Paris) pour transporter leur très rageur premier album “Songs Of Praise”.
En 2019, le trio rockab composé de Brian Setzer, Lee Rocker et Slim Jim Phantom fêtera ses 40 ans d’existence. Les Cats sont en studio à Nashville pour enregistrer un nouvel album après 25 ans de silence. Une tournée est prévue pour célébrer l’évènement.
Deux ans après “Clear Shot”, les Londoniens ont partagé quelques nouvelles chansons, annonciatrices de leur quatrième album. “Happy In The Hollow” sortira le 25 janvier. Le groupe sera à la Route Du Rock (SaintMalo) le 21 février 2019.
BRUCE SPRINGSTEEN
SUPERSUCKERS
Attendu le 8 décembre, l’album “Springsteen On Broadway” reprend le contenu des spectacles donnés régulièrement par le Boss au Walter Kerr Theatre depuis 2017.
Eddie Spaghetti et son combo seront aux côtés des Lullies et des Sonic Preachers le 22 novembre au Secret Place (Saint-Jean de Védas).
SHAME
Photo Steve Gullick-DR
TRANSMUSICALES DE RENNES Rendez-Vous, Cyril Cyril, Eut, Komodo, Madam, Robert Finley, The Psychotic Monks, The Surrenders, et bien d’autres participeront à la 40ème édition du festival rennais, du 5 au 9 décembre.
Condoléances THOMAS DIAZ (chanteur de The World Is A Beautiful Place And I Am No Longer Afraid To Die), JOSH FAUVER, SONNY FORTUNE (saxophoniste et flûtiste de jazz américain), HARDY FOX, PHILIPPE GILDAS (journaliste, animateur), ROY HARGROVE (trompettiste américain), OLI HERBERT (guitariste de All That Remains), FRANCIS LAI (compositeur français), WAH WAH WATSON (Melvin Ragin, guitariste Motown), TONY JOE WHITE
Toy
DECEMBRE 2018 R&F 011
Mes disques à moi
“Beatles ou Stones ?”
PHILIPPE MANŒUVRE Pas totalement inconnu de ces pages, le critique rock vient de publier ses mémoires. Idéale occasion de l’inviter dans une rubrique qu’il a d’ailleurs créée. RECUEILLI PAR CHRISTOPHE ERNAULT - PHOTOS WILLIAM BEAUCARDET COMMENT PRESENTER PHILIPPE MANŒUVRE AUX LECTEURS FIDELES DE ROCK& FOLK ? On citera, dans un premier temps, pour faire marbre, Edmond Rostand : “C’est un roc ! C’est un pic ! C’est un cap ! Que disje ? C’est un cap... C’est une péninsule !” En effet, de tous ces gens qui ont permis de découvrir, de comprendre, d’apprécier cette musique appelée rock’n’roll dans ce vieux pays de ce vieux continent, revêche à tout rythme hors musette, il est sans doute l’un des plus convaincants, et, surtout, l’un des plus goguenards. Inlassable pourvoyeur de découvertes, inépuisable banquiste de la bonne cause sur tous les supports connus ou à connaître (comme on dit dans les contrats Universal) et, enfin, imperturbable hommesandwich capable de placer en prime-time le mot “Stooge” en plein PAF, Manœuvre, malgré une vraie-fausse retraite méritée, est bel et bien là, fidèle à la cause, depuis 40 ans. Ce que nous rappelle sobrement, comme lui, ses mémoires, parus chez Harper & Collins et intitulés “Rock”, où défilent des souvenirs brillamment filtrés et méthodiquement (il l’est) organisés. Trêve de louanges, et, surtout, de grosses têtes, il faut passer à la caisse du canal historique.
Mamamouchis pop
ROCK&FOLK : C’est vous qui créez cette rubrique en 1990 pour Rock& Folk, est-ce que vous pensiez que, 28 ans plus tard, vous en seriez l’invité ? Philippe Manœuvre : Pas du tout. Mais j’avais déjà cette idée que le rock était moins puissant à cette époque qu’en 1973, et qu’il faudrait aller voir la discothèque de ces gens pour qui le rock était important sans que ça soit forcément leur vie, quoi... Ça pouvait être un présentateur télé comme Antoine de Caunes, le premier à l’avoir fait, une romancière comme Virginie Despentes... Cette rubrique, elle permettait d’aller loin très vite avec les gens... Avec ce questionnaire de baby boomers pour baby boomers : “Premier disque acheté ?”, “Beatles ou Stones ?”, “Qu’estce que vous pensez du rap ?”, etc. R&F : C’est aussi dans ces années que tout le business de la réédition éclot, avec les Beatles en CD, les remasters de Led Zeppelin, les best of à foison... C’est le grand réassort ! Philippe Manœuvre : Je me souviens de cette époque, d’un dîner
avec Pierre Lescure et Henri de Bodinat (alors patron des disques CBS France). Et Lescure lui dit : “Là, vous compilez les années 60, 70 mais quand on va arriver aux années 90 vous ferez quoi ?” De Bodinat a eu un éclair de génie et a répondu : “On fera la compile des compiles !”... En 1995, tout le monde y allait : la compile des compiles (rires). On voyait bien qu’il y avait des gens qui n’étaient pas là pour le rock’n’roll mais pour vendre le rock’n’roll. Aujourd’hui, ça continue... On réédite. Un bon album simple, c’est devenu 6 CD avec des choses superfétatoires... Quand “Anthology” des Beatles est sorti, c’était le début de ça, genre, on ouvre la crypte... Très vite on s’est dit : “A part Soligny, est-ce que quelqu’un va réécouter ça ?” Est-ce qu’on a besoin de 6 CD pour apprécier “Nevermind” de Nirvana ? La question se pose. Pour les majors, c’est tout vu : c’est moins cher de faire de la réédition que de signer des nouveaux artistes. R&F : Pour en revenir au livre, on en apprend quand même pas mal sur votre enfance... Philippe Manœuvre : Récemment, je faisais la tournée des Fnac et j’ai retrouvé des vieux copains de lycée qui me disaient : “Quand on voulait écouter du rock on allait chez Manœuvre.” C’était notoire. Ma chambre était une cocotte-minute avec des Teppaz qui chauffaient à toute heure, des gens qui venaient écouter la face B du nouveau 45 tours des Tartempions, et on discutait des heures sur : “Est-ce que Johnny Winter va répondre ?” (rires). R&F : Bon, retour aux fondamentaux : premier disque acheté ? Philippe Manœuvre : Les Equals, “Baby Come Back”, j’ai 14 ans. C’est un groupe mixte, il y a trois Blacks et deux skinheads. Et moi, ça m’excite... Je rencontre leur chanteur Eddy Grant en 1982, lors d’une émission de radio, j’avais mon petit 45 tours et il refuse de me le signer ! “Vous êtes ridicule ! ‘Baby Come Back’ ? Ahahaha”... C’était devenu une immense star du reggae, à l’égal de Bob Marley. R&F : Le premier crush pour les Rolling Stones c’est la pochette de “Between The Buttons”, l’album préféré de ceux qui n’aiment pas les Rolling Stones... Philippe Manœuvre : Il n’y a même pas leur nom... Mais je les vois là-dessus, mystérieux... Je me dis : “Qui sont ces gens ? Si il y a une bande, je suis avec eux”. C’est le début du psychédélisme aussi, mais à Châlons-sur-Marne, le LSD n’est pas encore arrivé... On voit bien sur toutes ces pochettes, des couleurs, des attitudes nouvelles qui nous interpellent... Mais les Beatles sur la pochette de “Sgt. Pepper”,
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PHILIPPE MANŒUVRE ils sont habillés en mamamouchis pop, et moi je n’ai pas envie de me déguiser... Les Stones, eux, sont en tenue de ville, c’est ça qui est génial pour des petits comme nous... C’est le premier groupe qui n’a pas de costumes... R&F : Alors : Beatles ou Stones ? Philippe Manœuvre : J’ai toujours été Stones. Mais je n’avais pas baissé le rideau de fer ! Quand, par exemple, le Double Blanc sort, nous, les petits, on était là : “Oh putain !” C’est le premier album des Beatles que j’ai eu, un méga cadeau de Noël ! Cela dit, à l’époque, il y a tellement d’autres trucs quasiment oubliés aujourd’hui... R&F : Genre ? Philippe Manœuvre : John Mayall, Captain Beefheart, Zappa... On ne se souvient plus à quel point ils ont été importants... Pas un numéro de Rock&Folk qui ne décortiquait ces trois-là. Aujourd’hui, c’est plus grand-chose ! Pareil, l’autre jour, je fais une émission à RTL dans un studio où j’avais vu les New York Dolls... Et l’interviewer me dit : “Qui ça ?”... Personne ne connaissait. R&F : Autre chose sur ces temps lointains, vous racontez à quel point il est alors difficile de trouver le premier album du Velvet Underground. Philippe Manœuvre : Oui. C’est Paul Alessandrini dans Rock&Folk qui avait écrit là-dessus... Alessandrini, qui est un universitaire, en parle comme d’un truc artistique, incontournable... Mais qu’on ne peut pas écouter parce qu’indisponible... On allait en vacances studieuses en Allemagne, en Angleterre : rien ! Ça n’avait pas été pressé en Europe. Juste des imports rarissimes... En 1971, il y a une compile qui sort, un mélange des trois premiers albums et là on tombe par terre. On avait attendu 3 ans et, quand c’est arrivé, c’était encore mieux que ce qu’on avait imaginé... R&F : En 1971, vous partez aux Etats-Unis pour un voyage linguisitique... Philippe Manœuvre : Mes parents voyaient que j’essayais de me perfectionner en anglais. J’allais acheter des songbooks à l’Open Market : les textes du Jefferson Airplane, de Jimi Hendrix, des Doors... Je prenais mon dico et toute la nuit je traduisais en écoutant mes disques au casque... Mais il y avait plein de trucs que je ne comprenais pas ! J’y suis donc allé 3 mois pour apprendre l’anglais. Ce qui était une rareté en France à cette époque. Le premier mot que les filles de la famille où j’étais m’ont appris c’est to rap. C’est quoi ça ? C’est parler, c’est discuter, c’est pas dans les dicos... Je me dis, ils inventent des mots ! Alors que nous on a nos mots depuis le Moyen Age ! Génial ! R&F : Même époque, vous vous procurez “LA Woman” des Doors. Philippe Manœuvre : La musique des Doors, c’est incroyable. Elle l’est encore, là, aujourd’hui... Qui réécoute la musique du Jefferson Airplane ? Expliquez-moi ce qu’on y entend ? Une époque. Alors, on dit : “Fallait y être !”, “On fumait des trucs !”. Mais les Doors, ils sont là (il tape sur la table). Hier, j’ai réécouté “Riders On The Storm”, c’est dingue... Un jour, j’avais les trois survivants devant moi et je leur ai demandé pourquoi ça tenait encore. Ils m’ont dit : “Parce que nous, on jouait pas faux”. On tombe facilement sur Jim Morrison mais, pour moi, c’est le chanteur de rock. Tout le monde l’a pillé. Julien Clerc le premier (rires) !
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R&F : Et Iggy Pop aussi, dont vous parlez beaucoup. A commencer par ce courrier que vous envoyez à Rock&Folk en 1973, pour défendre “Raw Power”. Philippe Manœuvre : J’estime alors qu’il a été faiblement chroniqué ! Je dis : “Vous ne vous rendez pas compte que pendant dix ans, tout le monde va jouer comme James Williamson” ! Et c’est exactement ce qui s’est passé... Brian James des Damned, Steve Jones des Sex Pistols... Tout le punk est parti de là... R&F : Vous finissez par rentrer à Rock&Folk, vous chroniquez des disques, dont le désormais papier culte concernant le premier Ramones, que vous dézinguez... Philippe Manœuvre : Ben ouais, j’étais choqué... Je me disais : ça ne peut pas être les remplaçants des Stooges. C’est des comiques. “Beat On The Brat” contre “Search And Destroy”. Ça frôlait le ridicule. Si c’est ça les sauveteurs du monde, c’est foutu... Et puis après, deuxième album, c’est bien parce qu’ils n’essaient pas de changer, contrairement à ce que je pensais. Troisième album, ils insistent. Alors, tous les critiques qui avaient adoré le premier, commencent à dire : “Ça suffit !” Quatrième album, toujours pareil, là, je trouve ça génial et tout le monde trouve ça à chier (rires). Et puis, quand tu les voyais sur scène, tu comprenais... C’étaient des gamins qui essayaient de refaire le feu avec deux silex, c’est ça que je n’avais pas compris. Mais il y avait un côté sales gosses aussi...
Si c’est dans les poubelles ça m’intéresse
R&F : En parlant de sale gosse, il y a un chapitre sur Gainsbourg, dont vous avez été très proche, ce que l’on sait peu... Philippe Manœuvre : Je ne l’avais jamais raconté, mais j’ai eu cette chance d’assister à la naissance de Gainsbarre à l’époque de “Aux Armes Et Cætera”, que j’adorais... Pour moi, ado, il était un peu à part. J’avais acheté le 45 tours “Elisa”. On le voyait un peu comme un dandy. Ça se confirme quand je le rencontre : il avait un frigo avec une porte transparente qu’il s’était fait faire fabriquer spécialement par Saint-Gobain (rires). R&F : Album préféré ? Philippe Manœuvre : “Aux Armes Et Cætera...”. “Histoire De Melody Nelson”, on l’écoute une fois par an, en sortant les bougies. R&F : Autre Frenchy évoqué, JeanPhilippe Smet... Philippe Manœuvre : J’ai eu une chance incroyable, ces mecs me voyaient arriver dans la pièce, leur cœur de cible. Un jeune qui venait demander des comptes ! On leur avait tellement dit, tout au long de leur carrière, que ça allait s’arrêter... Johnny était un fanatique de rock, limite musicologue, il connaissait tous les 45 tours Sun... R&F : Il pouvait aussi faire des trucs archi douteux... Philippe Manœuvre : Oui. “Mon Anneau D’Or”. Antoine m’a dit qu’il n’aurait jamais fait “Les Elucubrations” sans celle-là (rires).
“Il y avait un côté sales gosses” R&F : Rayon soul, on sait votre passion pour James Brown, mais vous parlez surtout de vos rencontres lunaires avec Michael Jackson et Prince. Philippe Manœuvre : J’étais un fanatique de funk. En 1981, j’ai un article dans Libération, où j’écris : “Le funk arrive les mecs ! Je viens d’en voir un, Prince, au Palace vous allez voir ce que vous allez voir.” Je parle de Chic, aussi... R&F : Attendez, comment on passe de “Raw Power” à Chic ? Philippe Manœuvre : Quand j’entends Chic, j’entends de la musique... L’album “Risqué”, c’est pas un album rigolo du tout... Et puis, à cette époque, le rock bad boys, s’épuise, pendant 5 ans plus rien... Chic, j’entends le Roxy Music noir. J’en fais 6 pages dans Rock&Folk. Jackson et Prince ne sont pas grand-chose, alors... Sur le funk, j’étais là... R&F : Est-ce que vous écoutez d’autres genres de musique : jazz, classique, country ? Philippe Manœuvre : En jazz, “The Dealer” de Chico Hamilton et “Kind Of Blue” de Miles Davis... En classique “Les Concertos Brandebourgeois” de Bach qui restent dans leur plastique. En country, maintenant que je vis à la campagne, Dolly Parton, que mon fils de 6 ans adore. “The Ride” de David Allan Coe, Waylon Jennings... Des bonshommes qui racontent de vraies histoires. J’ai aussi eu la chance de rencontrer Keith Richards ou Neil Young qui m’ont donné envie de ça. Neil Young, quand j’ai essayé
de lui faire commenter la mort de Prince, m’a répondu : “Vous êtes bien gentil de me parler de Prince alors qu’on pleure Merle Haggard, merde.” R&F : Autre chose, vous pouvez parfois défendre des choses très spéciales comme : Iron Butterfly, Copperhead, Hawkwind, Pink Fairies, Blue Öyster Cult... Cette espèce de psyché-metal sorti des radars... Ne serait-ce pas le vrai Manœuvre qui s’exprime alors ? Philippe Manœuvre : Oui. C’est là où la musique est la plus intéressante. Il y a un moment, entre 1969 et 1971, où le psychédélique cède la place au hard rock. C’est le premier Led Zeppelin, tout le monde durcit le propos. C’est une musique probante, qui vient du pays du rêve... Il y avait cette qualité : si ça n’a jamais été fait, il faut qu’on essaie, qui a bien disparu après. On est là pour défricher, pour inventer, pour partir dans l’au-delà... Il y a ce moment où tous les disques sont intéressants, je ne sais pas pourquoi... Que ce soit les Savoy Brown, Foghat, des conneries incroyables mais il y a toujours un truc intéressant... Des groupes comme Killing Floor, par exemple, aussi bien que le premier Zeppelin ! J’aime bien quand c’est un truc non-filtré par l’industrie qui dit : “Ohlala, calmez-vous les jeunes !”... Il y a des moments brutaux, comme pour le punk, où il y a des épiphanies en studio. R&F : Et tous ces groupes restent encore, aujourd’hui, des outsiders de l’industrie... Et du bon goût. Philippe Manœuvre : Oui, c’est de la seconde zone, de la série B. Mais dès le début, Lester Bangs nous donne ce mot d’ordre : “Si c’est dans les poubelles ça m’intéresse”... R&F : Un des derniers papiers que vous faites pour R&F le confirme : c’est une chronique du “Live After Death” d’Iron Maiden... Philippe Manœuvre : Maiden, toujours cassé par la critique. Moi j’ai appris à les découvrir, quand je suis parti sur la route en Amérique du Sud avec eux, j’ai vu ce qu’ils représentaient... C’est des gars qui aiment bien le boulot, c’est des gladiateurs de la route, qui sillonnent la planète... Le moment à Sao Paulo où le public siffle le solo de “Running Free” tu te dis : “Qu’est-ce qu’il se passe là ?” C’est fabuleux. Souvent les mecs les plus drôles les plus gentils c’est les hard-rockers : David Lee Roth, Rudolf Schenker, Nikki Sixx... Des grands frères que j’aurais aimé avoir...
L’ascenseur social s’est cassé
R&F : De récent, vous écoutez quoi ? Philippe Manœuvre : Les Limiñanas, un truc incroyable. Tout ce que fait Tricatel. Kelley Stoltz, Jacco Gardner... Mais j’ai l’impression que l’ascenseur social s’est cassé à ce niveau là. Moi, mon métier c’était d’aller au Gibus, de voir, par exemple, The Police et de dire : “Tiens, ils sont pas mal ceux-là, je vais faire un papier pour R&F” et puis après tu les retrouvais dans des salles plus grandes... Tu favorisais l’ascenseur en disant : “Vous connaissez pas ? Ça va vous plaire !” ce genre de trucs... Là, on arrive, on dit : “Les Limiñanas, c’est super” et on te répond : “Ça ne nous intéresse pas du tout.” Les mecs ont descendu le rideau. Il y a un rejet général du rock. C’est le hip-hop qui tient le haut du pavé... R&F : Ile déserte ? Philippe Manœuvre : (sans hésiter) “Electric Ladyland” de Jimi Hendrix. Ça reste le grand disque. Il fait ce qu’il veut. Il y a tout. Même “Little Miss Strange”, le morceau de Noel Redding, est incroyable. Je me demande souvent ce que ferait Hendrix aujourd’hui... Il jouerait au New Morning ? ★ Livre “Rock” (Harper & Collins)
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Tête d’affiche
“Je devenais trop doux”
BILLRYDER-JONES A West Kirby, sur l’autre rive de la Mersey, l’ancien guitariste de The Coral a enregistré un quatrième album à son image : beau et honnête.
Les non-chanteurs
Rock&Folk : Est-il cliché de dire que vos albums sont comme des journaux intimes ? Bill Ryder-Jones : Il y a du vrai. Je parlais beaucoup de mon enfance dans “West Kirby County Primary” (le précédent, en 2015). Ici, je parle de ma vie actuelle. Mais, dans les textes, j’ai tout de même essayé d’être plus ambigu, cryptique. R&F : On note, à nouveau, un penchant pour l’électricité. Bill Ryder-Jones : Je devenais trop doux. J’ai tendance à faire des mélodies trop jolies. Ici, j’ai voulu être plus abrasif, susciter l’inconfort. Je voulais faire un disque qui demande plus de temps pour être apprécié. J’ai souvent été ce type qui marmonne les notes. Cette fois, j’ai essayé d’être plus vivant, chaotique. Je sais que je peux faire des choses avec une guitare acoustique,
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Une vie de Toffee Bill Ryder-Jones, contrairement à ces anciens camarades de The Coral, supporters des Reds de Liverpool, a toujours soutenu l’autre club de foot de la ville : les Toffees d’Everton, éternels losers de la région : “J’ai quitté Manchester quand j’avais six ans, pour arriver dans le Wirral. Je ne savais pas ce qu’était le football. Ça ne m’intéressait pas. Mais mon meilleur ami qui avait lui aussi déménagé à l’autre bout de Liverpool aimait Everton. J’ai voulu faire comme lui, et j’aime ce club depuis maintenant presque trente ans. Et c’est une douleur permanente...”
entre “je suis minable” et “je suis fantastique”... Une chanson est comme un paysage pour moi. Je commence vraiment une chanson quand je sais que je tiens une bonne mélodie. La mélodie a sa propre logique, tout le reste doit s’y plier, l’accompagner. Quand j’ai cette mélodie, je vais dans mon studio, je fais une maquette. J’enregistre un rythme de batterie et je construis l’instrumentation. Je fais parfois énormément de versions, pour essayer des trucs. Il ne m’est que très rarement arrivé de sortir de ma guitare une chanson d’un seul coup.
L’air qu’on respire mais l’appel des amplis, de la distorsion et de la reverb est irrésistible. C’est quelque chose de spontané. Il y a beaucoup de passages instrumentaux dans le disque, car je veux que les gens puissent avoir du temps pour eux, sans m’avoir tout le temps dans les oreilles. R&F : Quels sont les guitaristes qui vous ont marqué ? Bill Ryder-Jones : A l’adolescence, la découverte de Jimi Hendrix fut quelque chose d’énorme. J’adorais aussi Nick McCabe au début de The Verve. Lou Barlow de Sebadoh, également. R&F : Votre voix est très en avant sur le disque. Plein de non-chanteurs — ce n’est pas une insulte — l’auraient mixée beaucoup plus bas, ou noyée dans la reverb... Bill Ryder-Jones : Nous avons un proverbe en Angleterre qu’il serait grossier de traduire : You can not polish a turd... Je n’ai jamais aimé ma voix, mais il faut assumer ce que l’on est. Si les gens n’entendent pas ce que je raconte, à quoi bon ? Et puis, j’adore les non-chanteurs, Stephen Malkmus, Lou Reed... R&F : Comment la conception d’un album se déroule-t-elle, quand on travaille seul ? Bill Ryder-Jones : C’est compliqué. J’oscille
R&F : Quelle importance l’histoire musicale de Liverpool a-t-elle dans votre vie de musicien ? Bill Ryder-Jones : Les Beatles, bien sûr, font partie de l’air qu’on respire. On apprend leurs chansons à l’école primaire. Puis, forcément, on découvre les autres groupes, les La’s, Teardrop Explodes, Echo And The Bunnymen — qui sont sans doute mes préférés. Une distinction que seuls les locaux comprennent, c’est que nous, les membres de The Coral, ne venons pas exactement de Liverpool, nous vivons sur l’autre rive du fleuve. Et cette différence, les gens de Liverpool nous l’ont bien souvent fait comprendre. Nous n’étions pas assez cools pour eux. C’est pour ça que nous avons commencé à nous intéresser aux groupes gallois... R&F : Tous les musiciens du Merseyside ont une histoire à raconter sur Lee Mavers des La’s. La vôtre ? Bill Ryder-Jones : Désolé, je ne l’ai jamais côtoyé... Je suis sans doute le seul musicien du coin que Lee Mavers n’a pas essayéw de recruter pour reformer les La’s. Il a demandé à tous les autres membres de The Coral... ★ BASILE FARKAS Album “Yawn” (Domino)
Photo Ki Price-DR
Concessionnaire automobile, lobbyiste à Bruxelles, vendeur de poêles anti-adhésives sur les marchés... sont quelques-uns des métiers que Bill Ryder-Jones, 35 ans, n’aurait jamais pu exercer. Un garçon qui, dans ses chansons ou ailleurs, expose ses sentiments les plus intimes avec une brutale honnêteté. Depuis son départ définitif de The Coral, en 2008, pour des problèmes d’anxiété, l’homme du Wirral, cette péninsule encastrée entre Liverpool et le pays de Galles, s’est réinventé. Il fut un musicien pop génial dans le groupe des frères Skelly, “le meilleur guitariste de Liverpool” selon Ian Broudie des Lightning Seeds. Il est, désormais, un singer-songwriter épatant. “Yawn”, nouvel album très électrique, explore, à nouveau, des territoires sombres et personnels. Rencontre parisienne.
Tête d’affiche “J’ai attendu ça toute ma vie”
SEASICKSTEVE
Auréolé d’un inattendu succès, le bluesman barbu à la vie mystérieuse sort son neuvième album. Aujourd’hui, tout semble blues. Jack White, Josh Homme, Zaz... Seasick Steve, Californien à l’âge indécis — sa date de naissance varie selon les sources — lui doit en tout cas beaucoup. On ne sait pas s’il a, une nuit d’été, vendu son âme au diable à un croisement mais, à l’écoute de son nouvel album, “Can U Cook?”, on devine que Robert Johnson n’est jamais très loin. Ici, pas d’artifices, pas de postures, pas de selfies roots, juste un homme à la longue barbe blanche et à la casquette de camionneur défraîchie et quelques chansons proches de l’os et du cœur. L’Américain exilé depuis de longues années en Europe — sa femme est norvégienne — à l’instar d’un Calvin Russell, n’est pas vraiment prophète en son pays (“j’ai déjà acheté le T-shirt, c’est bon, j’ai fait le tour” dit-il, narquois) mais séduit depuis quelque temps la France, et même l’Europe, passant des clubs minuscules aux grands festivals sans prévenir. Avec très peu, sur scène, il donne tout, voire plus, et enflamme une nouvelle génération, qui a trouvé en lui une sorte de grandpère de substitution, de passeur généreux. Seasick Steve appartient à une autre époque, celle de la parole donnée, de l’artisanat de survie, il est un personnage de Steinbeck, un oublié du rêve yankee. Jamais aigri, toujours partant pour transpirer jusqu’à la dernière goutte, ce galérien de longue date goûte depuis peu à une certaine reconnaissance, sans bouder son plaisir, doux euphémisme. Et sans être dupe.
Photo DR
Une bière à la main
ROCK&FOLK : D’où vient ce nouvel album ? Seasick Steve :De Floride, Key West... Au départ, quand je suis allé là-bas, je n’avais pas le moindre
plan en tête. Je comptais juste m’amuser, me reposer, profiter quoi... Il y avait mon pote Vance, qui a bossé sur le disque, on buvait des verres, cool... Dan, mon batteur, nous a rejoints. On a finalement décidé de s’y mettre, à ce disque. Maximum cinq heures par jour, mais plutôt trois, en fait (rires). On l’a enregistré à Londres et mixé à Nashville mais les chansons ont été finalisées à Key West. A chaque fois que j’écoute le disque, je me revois assis sous les palmiers là-bas, une bière à la main, le soleil... R&F : Quand vous parlez de musique, la vôtre ou celle des autres, on vous sent jubiler, comme un môme qui viendrait de découvrir la chose, c’est ça, votre secret de longévité ? Seasick Steve : Il y a trop d’artistes qui se la racontent et qui ratent l’essentiel. Le rock’n’roll, c’est censé être d’abord du plaisir, ce n’est pas un plan de carrière, comme pour un mec de Wall Street... Ma femme m’a avoué l’autre jour qu’elle m’avait toujours vu comme son ticket de loterie. On n’a jamais eu vraiment d’argent, on a élevé cinq gamins, c’était difficile parfois. Mais elle m’a toujours dit que tant que je jouais de la guitare à la maison, j’étais comme un ticket de loterie qui serait peut-être un jour gagnant...
Steve ment tant que ça ?
En 2016, l’écrivain Matthew Wright consacrait un livre à Seasick Steve, “Ramblin’ On”. Qu’y apprenait-on ? Celui qui s’appellerait, dans le civil et selon les versions, Steve Leach ou Steve Gene Wold, a préféré occulter son passé de musicien professionnel au profit de la narration actuelle, plus romantique, du bluesman vagabond. Steve, qui selon l’auteur se vieillit actuellement de dix ans, a joué de la basse dans un groupe psyché à sitar (Shanti), une formation disco (Crystal World) et même été choriste dans Celebration, éphémère projet de Mike Love à la fin des années 70. Les masques, la réinvention ou la légende n’ont jamais empêché un artiste d’être habité par sa discipline. C’est le fameux mentir-vrai d’Aragon. Rien de condamnable, donc, sauf pour Seasick Steve, qui, un rien énervé, qualifie toute l’affaire de “bullshit”.
R&F : Le succès ayant frappé tard à votre porte, craignez-vous de retomber dans l’anonymat ? Seasick Steve : Je m’attends toujours à ce que quelqu’un débarque et me dise que la plaisanterie est terminée (rires). Avant, quand on estimait qu’un artiste était nul, on le virait de la scène à l’aide d’un grand crochet en bois qui se saisissait du cou de l’artiste... Je me souviens de ce concert en France devant 30 000 personnes. Beaucoup de jeunes, pas vraiment venus pour moi au départ... Et à la fin du concert, tout le monde hurlait ! Envahir les cœurs, c’est ça que j’adore ! Ils ne t’ont jamais entendu et tu parviens à les retourner. C’est ça, l’émotion la plus forte ! Je fais un métier de rêve ! Impossible de ne pas être heureux, impossible ! J’ai attendu ça toute ma vie !
Tellement de bêtises
R&F : C’est donc le public qui vous a choisi. Vous n’êtes pas vraiment une sensation médiatique ? Seasick Steve : On a écrit tellement de bêtises à mon sujet... C’est pour ça que j’ai décidé de m’exprimer le moins possible dans la presse, surtout en Angleterre. Je vous donne un exemple : Un jour, on tournait une vidéo dans un club à Londres. Et Amy Winehouse est venue parce qu’elle était mon amie. Elle voulait juste traîner, passer un bon moment... Et il y avait aussi cette journaliste du Times. Le lendemain, elle avait écrit que Lily Allen était venue voir Seasick Steve dans un club londonien pendant le tournage d’une vidéo. On a appelé la journaliste et je n’oublierai jamais sa réponse : “On avait déjà écrit sur Amy Winehouse récemment dans le Times et on s’est dit que ce serait mieux de citer Lily Allen...” Depuis ce jour, j’ai compris... Ces genslà ne s’intéressent ni à la vérité, ni à la musique, ils ne recherchent que le buzz... La seule chose qui compte, c’est que les gens aiment ou pas tes chansons. Le reste n’existe pas. ★ RECUEILLI PAR JEROME REIJASSE Album “Can U Cook?” (BMG)
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Tête d’affiche
“Mon fromage favori, le saint-nectaire”
JOHN GRANT Drôle et lucide comme peuvent l’être les gens qui ont connu une vie de chaos, l’Américain mélange voix grave et synthétiseurs sur son quatrième album.
son groupe de rock alternatif fondé en 1994 à Denver. Sa carrière solo a débuté en 2010, avec l’étonnant “Queen Of Denmark”. Son quatrième album, “Love Is Magic”, part dans une tout autre direction musicale avec un son disco électro vintage. D’un rare éclectisme, Grant est aussi bien capable de coécrire une chanson avec Robbie Williams (“I Don’t Want To Hurt You”, incluse en 2016 sur l’album de Robbie “The Heavy Entertainment Show”) que de discuter lors d’un festival littéraire avec Cosey Fanni Tutti, cofondatrice de Throbbing Gristle, autour de son autobiographie “Art Sex Music”. John a d’ailleurs annoncé la sortie prochaine de sa propre bio, chez le prestigieux éditeur américain Little, Brown & Company. On a rencontré ce chanteur atypique, de passage à Paris pour évoquer ses diverses obsessions : les oiseaux, le fromage, les synthés analogiques et les musiques de films d’horreur italiens.
Dans la ville ensoleillée
ROCK&FOLK : Sur la pochette de votre album, vous faites penser à un tricheur recouvert de goudron et de plumes comme on en voit dans les westerns. John Grant : J’ai cette obsession pour les oiseaux, d’où les plumes et la cage sur ma tête. On a pris la photo à Paris, le design est de Scott King dont j’ai aimé le travail avec Róisín Murphy. Je voulais un visuel impactant et, en plus, c’est un clin d’œil à l’album “Gag” de Fad Gadget, un de mes artistes préférés. En ce moment j’écoute
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Heureusement il y a l’indus
De son vrai nom Frank Tovey, Fad Gadget a été la première signature du label Mute Records, fondé en 1979 par Daniel Miller. “Back To Nature” et “Ricky’s Hand”, ses premiers singles, utilisent les codes de la musique industrielle théorisée par Throbbing Gristle en y ajoutant des mélodies pop. Dès 1984, sur son album “Gag”, il utilise des musiciens et ira jusqu’à enregistrer un album acoustique de protest songs, “Tyranny And The Hired Hand”, en 1989. Peu après avoir assuré les premières parties de ses compagnons de label Depeche Mode, Frank Tovey meurt en 2002 d’une crise cardiaque, à l’âge de 45 ans.
beaucoup sa chanson “Coitus Interruptus” (un titre de son premier album studio sorti en 1980, “Fireside Favorites”). Il est parti trop tôt mais il a laissé un héritage incroyable. J’aime les artistes prolifiques, comme Rainer Werner Fassbinder qui a fait une quarantaine de films en 18 ans de carrière. R&F : Une autre de vos obsessions semble être le fromage... John Grant : Oui, c’est vrai. Surtout ce fromage norvégien de couleur brune que j’évoque dans “Is He Strange?”. Et encore, je n’ai pas cité mon fromage favori, le saint-nectaire. Je dis toujours qu’il a le goût du mois d’octobre... R&F : Vous citez aussi un film italien gore de série Z réalisé par Antonio Margheriti, “Cannibal Apocalypse”. John Grant : J’adore les giallos et les films de cannibale, ils ont des bandes originales incroyables. Celle de “Cannibal Holocaust” par Riz Ortolani est géniale, un mix de grand orchestre et de synthés. J’écoute ça au casque en marchant dans la ville ensoleillée, ça transforme mon environnement, c’est génial.
R&F : Pourquoi cette couleur électro disco pour les musiques de “Love Is Magic” ? John Grant : Ça fait partie de mon ADN musical. J’ai choisi d’aller dans ce studio en Cornouailles, Meme Tune, et de travailler avec Benge, un gars qui a toutes sortes de synthétiseurs à l’ancienne comme le Moog C3, le ARP 2600 et le Yamaha CS-80 utilisé par Vangelis pour la BO de “Blade Runner”, qui coûte aujourd’hui autour de 20 000 euros et qui a une sonorité unique. J’ai voulu créer les sons avant les paroles, je ne voulais pas être confiné dans des structures pop classiques. R&F : Vous écoutez beaucoup de musique quand vous enregistrez un album ? John Grant : Surtout des bandes originales de films, de la musique sans paroles. Là, j’écoutais non stop la compilation “Psycho Morricone” et la BO de David Shire que Coppola n’a pas utilisée pour “Apocalypse Now”. C’est un score au synthétiseur, terrifiant et très sombre.
Le contraire me rendrait malade
R&F : Est-ce que le succès commercial est important pour vous ? John Grant : Je ne suis pas capable de partir à la recherche du succès, je n’arrive pas à penser comme ça. Quand j’étais petit, je me forçais à correspondre à ce que l’on attendait de moi ; je ne veux pas faire ça dans mon art. Je dois être moimême, le contraire me rendrait malade. Comme quand j’essayais de camoufler ma sexualité, de ne pas être gay pour ne pas heurter ma famille et mes amis... Ça ne marche jamais, on finit dépressif quand on essaie de dissimuler qui on est vraiment. En ce qui concerne ma musique, j’ai besoin d’être capable de faire exactement ce que je veux. ★ RECUEILLI PAR OLIVIER CACHIN Album “Love Is Magic” (Bella Union/ Pias) En concert jeudi 22 novembre à la Gaité Lyrique (Paris)
Photo DR
VOILA PLUS DE HUIT ANS QUE JOHN GRANT A QUITTE THE CZARS,
in memoriam
AINSI NAQUIT “POLK SALAD ANNIE”
TONYJOE WHITE 1943-2018
Le natif de Louisiane est mort à 75 ans. Hommage à un musicien renversant, un homme droit qui a passé sa vie à chanter la mythologie du Sud, les marais et la polk salad.
LES POMMETTES CHEROKEES, LA BOUCHE CHARNUE, DEUX YEUX SOMBRES BRILLANT DU FIN FOND DE LEUR ORBITE ET CE MENTON EN GALOCHE REBONDI COMME UN CUL DE BEBE. Rien qu’à voir sa tête, Tony Joe White fleure bon le sang indien, les chevaux appalaloosa, les poissons frits du dimanche et la bassine de moonshine. Mais aucune pose ici. Car TJW, il y a encore quelques semaines de cela, n’avait qu’un mot pour qualifier les choses qui lui plaisaient : real.
Photo Michael Ochs Archives/ Getty Images
La plante toxique La ferme de son enfance se trouvait tout au nord de la Louisiane, sur la rive est du Mississippi, à quelques kilomètres du lac Providence. Cinq sœurs et un frère avaient vu le jour avant lui. Lui, le petit dernier, allait nager avec les gamins vivant dans les cabanes alentour, d’une rive à l’autre du fleuve, afin de camper dans les marais. “Au fond de l’eau, on pouvait sentir des choses bouger.” Souvenir d’enfance. A huit ans, lui et sa famille harmonisaient des gospels sur le porche de leur maison durant les soirées d’automne, après avoir passé leur journée à ramasser le coton. Son père, parfois, chantait seul quelques airs de country, que Tony Joe écoutait, s’interdisant de toucher lui-même à un instrument. Pas de radio, pas de télévision. Pour se divertir, la musique et, parfois, un événement spectaculaire, comme ce jour où ses parents prirent la route d’Eudora afin d’aller voir le diable qu’on venait de jeter en prison. Le temps d’arriver, ce dernier s’était déjà évadé. A la veille de mourir, TJW disait : “Je crois aux fantômes, même si je n’en ai jamais croisé.”
Ce qui lui donna envie de voler la guitare de son père fut un disque de Lightnin’ Hopkins. Caché au fond de la maison, les yeux allant de l’aiguille sur le sillon aux cordes de l’instrument, l’enfant cherche les licks qui le définiront en tant que bluesmen. A ce jeu-là, le petit est doué. Accompagné d’un batteur, TJ les dévoile pour les barbecues et réceptions des fermes des environs. Puis, à 18 ans, il part vivre chez l’une de ses sœurs en Géorgie, où il passe ses journées à conduire des camions pour une société d’autoroute. La nuit venue, il prend sa guitare et cherche sa voix. Il la trouvera par l’intermédiaire de celle d’une jeune fille. En entendant Bobbie Gentry chanter son “Ode To Billie Joe”, celui qui avait grandi à 160 kilomètres de l’endroit où se passe l’action s’exclame : “Mais Billie Joe, c’est moi !” Cette chanson, aux oreilles du gamin du swamp, sonnait vraie. Il lui fallait parler de ce qu’il connaissait. Donc, des alligators, des gens des marais, du HooDoo... Tony Joe posa tout cela sur papier. Ainsi naquit son premier morceau : “Polk Salad Annie”. En 2017, à Tupelo, Mississippi, un vieil homme attend dans une salle faisant face à la cabane dans laquelle a grandi Elvis. Il a 80 ans et prononce ses phrases avec une inflexion évoquant le bruit des pneus s’enfonçant dans la boue. De cette voix, il raconte comment Elvis et lui soulevaient les barbelés pour que Gladys, la génitrice du King, puisse aller cueillir un peu de polk salad pour la famille Presley, les jours de disette. La plante, toxique, nommée en français teinturier ou raisin d’Amérique, nourrit les gens de la région pour peu qu’on sache la préparer. En 1973, quand Tony Joe part une semaine avec sa femme Leann à Las Vegas afin d’assister à l’enregistrement sur scène de sa chanson, il sait qu’Elvis sait. Alors, soir après soir, perlant de sueur, épuisé et heureux, le King appelle Tony Joe dans sa loge pour parler de la vie dans le Sud et apprendre des licks de blues que l’alcool lui fait oublier instantanément.
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TONY JOE WHITE
EN ENTENDANT BOBBIE GENTRY CHANTER SON “ODE TO BILLIE JOE”... A les voir ainsi, côte à côte, le cheveu tombant, les hautes pommettes indiennes et les rouflaquettes de 5 centimètres de large, ces deux-là se ressemblent comme des frères. “Polk Salad Annie” deviendra un hymne, un instantané du Sud. Pour ses histoires de grand-mère mangée par les alligators et de mère enchaînée dans un chain gang. Pour ce phrasé également, qu’Elvis, lui, tentait de masquer derrière ses manières douces. Mais surtout, pour cette guitare, mélange parfait de Delta Blues, licks de rockabilly ; le tout structuré par quelques tourneries soul. “Du blues sur lequel on peut danser” disait TJW. Une fois le morceau composé, Tony Joe quitte sa sœur et la Géorgie pour Houston, avec dans ses bagages “Polk Salad Annie” et “Rainy Nights In Georgia”, son harmonica et ce style qui n’appartient qu’à lui. C’est à ce dernier qu’il doit la rencontre avec sa femme : à peine arrivé au Texas, sa réputation enfle et les femmes viennent voir ce jeune Elvis jouant comme John Lee Hooker. Parce qu’il se sent prêt, Tony Joe prend sa voiture et conduit en ligne droite vers l’est, toute la nuit, jusqu’à atteindre Nashville. Il porte un veston et s’est fait un nœud papillon avec un ruban de satin noir. Dans les magasins de disques de la capitale de la country, il demande quel producteur voudrait bien entendre ses chansons. “Si tu crois que tu peux jouer ton blues dans cette ville, gamin...” Deux jours plus tard, il intègre l’écurie la plus à la marge du son Nashville : Monument Records, maison de Kris Kristofferson, Dolly Parton, Roy Orbison et... Robert Mitchum. Grand architecte du son Monument depuis les sixties, Billy Swan produit, arrange et fignole les albums de la maison. C’est pourquoi sa signature est apposée au dos du premier album de Tony Joe, “Black And White”, qui fait un flop. Jusqu’à ce coup de fil transatlantique d’un certain Pierre Lattès : “Tony Joe ? Votre disque ‘Soul Francisco’ est en haut des charts en France.” Les Français ont porté Tony Joe White au pinacle, inventant, au passage, dans ces colonnes et chez nos confrères, le nom de swamp rock. L’amour de Mark Twain certainement...
Les cow-boys hurlent de plaisir Nouvellement promu star montante, Tony quitte Houston pour Memphis. Il aurait été plus logique de s’installer à Nashville, afin d’écluser quelque bière avec Billy Swan et Kris Kristofferson. Placer des morceaux également. Mais son cœur le portait dans la capitale du blues électrique et de cette soul qui devenait funky. C’est ici et à Muscle Shoals qu’il apporta sa pierre à quelques pépites oubliées du soul rock, son nom se croisant régulièrement dans les notes de pochette en compagnie des suspects habituels du genre : Jim Dickinson, Dan Penn, Jerry Wexler, Mack Rice, Steve Cropper... Signalons l’album “Dismal Prisoner” de Roy Head, le country “Prone To Lean” de Donnie Fritts et ce chef-d’œuvre total, coup de pied en pleine poire, “Eric Quincy Tate” du groupe du même nom. Ces Texans, voisins du 13th Floor Elevators, découverts par TJW, ont été réédités chez Rhino en 2006.
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Pour la légende, Duane Allman a cassé le goulot de sa bouteille de whisky afin d’accompagner d’un peu de slide ces sympathiques garçons. Aussi, Tony Joe se voit convier par Charlie Rich à une super session qui a fait couler un peu trop d’encre : “Southern Roots” de Jerry Lee Lewis, où Al Jackson, Carl Perkins et les Memphis Horns tapent dur pendant que le Killer, en roue libre, grogne, psalmodie et parle de lui à la troisième personne, tout en pissant littéralement de la musique. Parallèlement, Tony Joe enregistre son œuvre, impeccable entre 1969 et 1973. Avec le temps, ses blues se font de plus en plus funky pendant que ses ballades coulent comme du miel. La voix est belle, les guitares sublimes. Son répertoire charme jusqu’à ses confrères qui le reprennent de plus en plus souvent. On lui offre les premières parties des grosses pointures de l’époque : Sly & The Family Stone, Steppenwolf, puis cette tournée européenne avec Creedence Clearwater Revival où, chaque soir, avec Donald Dunn à la basse, les deux Sudistes décident de mettre une pile à ces Californiens qui chantent leur bayou. On essaye, comme pour son ami Kristofferson, d’utiliser son physique avantageux au cinéma. Sans suite. De Monument, Tony Joe passe chez Warner Bros, suivant nombre des artistes de country outlaw dont il ne fait pourtant pas partie. Lié d’amitié à Waylon Jennings, il enregistre avec lui le titre “RedNeck Women” sur l’album “The Real Thang”. “Il était écrit Disco Sucks sur le devant de son T-shirt”, annonce la chanson. Car Tony Joe, si amoureux de musique noire, aimant aller danser le soir avec sa femme, a ouvert grand ses oreilles à la disco et au hip-hop qu’il écoutera jusqu’à la fin de sa vie. Lui qui joue du blues depuis son adolescence, s’attaque, avec la même fraîcheur, aux morceaux “Disco Blues” et “Swamp Rap”. Pendant que tout Harlem sample Chic, lui en recrée les rythmiques, dans un style sudiste, donc très laid back, en studio, tout en rappant sur ces soul brothers qui portent des chapeaux de cow-boy dans leur coupé De Ville. Un live à Austin immortalise White rappant, sa Stratocaster millésime 1965 à la main. Le public n’en croit pas ses yeux. Les cow-boys hurlent de plaisir.
Attraper des serpents C’est à cette époque qu’un autre Joe choisit de débarquer à Hollywood pour enregistrer son premier album américain. Joe l’été indien Dassin fait appel à Tony Joe pour l’album “Blue Country”. Riche idée : la musique, essentiellement issue de séances avec White, serait absolument sublime, si Dassin ne venait y mâcher sa patate devant le micro. N’est pas Nino Ferrer qui veut. Puis, comme pour tous les artistes de sa génération, les années 80 voient White bringuebalé de maison de disques en maison de disques. Sa planche de salut lui sera offerte par une autre artiste de sa région : pour son “Foreign Affair”, Tina Turner lui prend quatre morceaux. Mais technologie numérique oblige, TJW devient une mauvaise version de lui-même, enregistrant des morceaux toujours plus arrangés sur de mauvaises guitares Ovation. Pourtant, les chansons restent merveilleuses. Ce qui ne l’empêche pas de tomber dans la trappe au tournant des années 2000. Signé sur de microlabels, il tourne à nouveau avec un simple batteur, comme à ses débuts, et enregistre des albums avec son fils sur un 16-pistes à bandes posées dans une cabane au bord du Mississippi. Chaque soir, il se rend à la rivière pour y composer des chansons autour d’un feu et d’un pack de six. Le HooDoo n’a pas quitté cet homme vieilli. Ses derniers albums sont truffés d’histoires du vieux Sud, comme ce “Opening Of The Box” racontant le rite pentecôtiste consistant à attraper des serpents par la queue pour prouver sa foi. L’une des dernières chansons sur laquelle il travaillait s’appelait “Raining In The Graveyard”. Le 24 octobre dernier, une crise cardiaque lui évite une mort lente et humiliante. Tony Joe White avait 75 ans. ★ THOMAS E. FLORIN
“La série avec le Nikon F2 a été faite dans mon studio, à la fin de la séance. Je lui ai collé cet appareil dans les mains, parce qu’il m’a dit qu’il avait le même. Cette photo est très piratée, presqu’autant que celle de Che Guevara, enfin j’exagère... On trouve un vinyle à la Fnac avec cette image recadrée et c’est un pur pirate. Il est très doux là-dessus, j’aime beaucoup cette photo pour ça. Et il se tient encore.”
Tête d’affiche “Super, p’tit gars, tu peux faire tes photos”
PIERRE TERRASSON
SERGE GAINSBOURG
De 1978 à 1991, le photographe a régulièrement côtoyé le résident de la rue de Verneuil. Il raconte et commente.
Il appartient à la dernière génération de photographes ayant connu l’époque d’avant les smartphones, où l’image était précieuse, où un lien pouvait s’établir entre artistes des deux côtés de l’objectif. On découvre cette complicité-là dans “Gainbourg Gainsbarre”, deuxième ouvrage de Pierre Terrasson sur le chanteur qui choisit un jour de devenir son propre double sombre.
On aborde toujours avec précaution les livres sur les chanteurs morts. Surtout lorsque, comme Serge Gainsbourg, leur vie a été longue, prolifique, émaillée de provocations et d’encore plus de légendes. Celui-ci n’est ni une hagiographie, ni un ramassis de ragots, mais un album photo largement commenté par Alain Wodrascka et des amis de Gainsbourg. En parallèle de la carrière du chanteur, on suit sa collaboration avec Pierre Terrasson, le lien créé autour de leur amour de la peinture et de l’image. “On s’est tout de suite bien entendus, on s’est revus régulièrement jusqu’à son décès, en 1991. Je l’ai rencontré pour la première fois en 1978 à Mogador, avec Bijou, où il a chanté ‘Les Papillons Noirs’. Je l’ai revu au Palace en 1979, période reggae, mais c’étaient des séances avec d’autres photographes pendant des concerts ou des répétitions. La première rencontre dans mon studio a eu lieu en 1984. J’assistais Jean-Yves Legras, le photographe de Best, mort aujourd’hui. Il n’avait pas de studio, venait du reportage des années 70 et travaillait avec un flash. Il mettait les gens devant un mur et prenait la photo. Il l’a fait avec Madonna ou Mick Jagger, ça s’est sophistiqué dans les années 80. J’avais la chance d’avoir à ma disposition un atelier de la ville de Paris, que j’ai toujours. J’avais fait les Beaux-Arts, je créais mes décors, je peignais mes fonds... Et j’assistais Jean-Yves qui amenait des gens comme Gainsbourg, Indochine, Jagger. Je lui faisais le fond, sa lumière, il prenait ses
photos en couleurs et, à la fin de la séance, il disait à l’artiste : ‘Maintenant, Terrasson va faire du noir et blanc !’ (ou pas, je faisais ma vie). C’est comme ça que je me suis constitué des archives énormes de Gainsbourg.” Gainsbourg, déjà, est devenu Gainsbarre et se tricote, à grands coups de provocations, un personnage incontrôlable qui sème la pagaille sur chaque plateau télé où il passe. Difficile à photographier, le Gainsbarre ? “Il n’était pas compliqué, c’était même un poseur. Il contrôlait un peu tout... Je ne l’ai jamais suivi en soirée mais, en studio, il avait tendance à s’effondrer parce qu’il picolait un peu trop. Il demandait aux photographes de le prendre quand il avait la tête en arrière, pour éviter les plis du cou, l’effondrement, la gravité.” On passe rapidement sur les excès pour, plutôt, évoquer le Gainsbourg caché, celui dont la générosité pouvait surprendre. “Il y a l’histoire du chèque qu’il a fait à mon assistant. Il avait remarqué qu’il manquait une dent au gamin. Il n’était pas à ça près, mais il y a pensé. Quand il faisait des photos, il avait toujours à portée de main son attaché-case qui contenait ses papiers, son chéquier. Ce jour-là, il a demandé à mon assistant combien ça couterait d’aller chez le dentiste. Il a répondu 5 000 et Gainsbourg a fait un chèque du double. Et, comme il était très antidope, il lui a demandé de lui envoyer un mot après l’intervention. A l’époque, on le voyait régulièrement, les photos on les triait. Physiquement.
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PIERRE TERRASSON
SERGE GAINSBOURG
J’allais chez lui, photos sous le bras et je m’installais là deux heures et il me jouait du Chopin. Lulu, son fils, a dormi chez moi avec mes filles, ils avaient le même âge. Elles ont joué avec Arthur, le fils de Bashung. C’était des trucs de famille. C’est comme ça que tu arrivais à avoir la confiance des gens.” Quant aux mauvais souvenirs, c’est simple, il n’y en a pas. “On parlait peinture, photo, jamais de musique. Je lui ai juste demandé comment il avait les droits quand il faisait un album entier sur la musique de Chopin. Il me disait, oh, je suis arrangeur... J’avais du mal à comprendre ça, il y a des passages entiers piqués au classique.
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Il pouvait avoir ses humeurs mais il était content de me retrouver tous les deux ou trois ans pour faire des photos.”
Toujours une mise en scène Le livre s’achève sur la dernière séance et l’appartement de la rue de Verneuil photographié, une pièce après l’autre, à la manière d’un immense cabinet de curiosités. “Bambou m’a demandé de faire ces photos en 1991, elle n’a jamais habité là, elle voulait un souvenir. Je suis sorti très perturbé de cette séance, j’étais seul
avec mon assistant, elle nous avait laissé les clés. C’est incroyable, son intérieur a tellement été pillé de différentes façons... Les gens faisaient les poubelles. On retrouve ses petits carnets Vuitton chez Drouot. Les fans autour de lui... c’est quelque chose de fou. Je n’ai rien touché.” Et la dernière séance avec le propriétaire des lieux ? “Ça doit être la série au commissariat. Ça a toujours été une mise en scène avec lui. J’ai besoin d’être sécurisé dans ce que je fais, même si le hasard, c’est bien aussi en photo.” ★ RECUEILLI PAR ISABELLE CHELLEY Livre “Gainsbourg Gainsbarre” (Hugo Image)
Photos Pierre Terrasson-DR
“C’est une mise en scène, ça se passe au moment où il a sorti une compilation, un best of, à la fin des années 1980. Pour monter ces petits décors, j’étais allé chercher tous ces vinyles dans les poubelles d’EMI, à l’usine. C’était des pressages qui n’allaient pas... On voit son attaché-case à ses pieds.”
“Les premiers qui ont écouté ‘You’re Under Arrest”, ce sont les flics. Cette photo au commissariat d’Aubervilliers, je l’ai entièrement montée. Quand je suis arrivé là, les flics qui m’avaient collé un jour en garde à vue pour violence à agent l’ont fermé en voyant Serge. Le flic de dos, c’est le petit ami de la maquilleuse, on a loué des fringues. Et la Marianne est très présente, c’est Catherine Deneuve et Serge tenait à ce qu’elle soit dans le cadre. J’ai fini par mettre l’appareil sur un pied pour qu’il voie le cadrage, et il m’a fait : ‘Super, p’tit gars, tu peux faire tes photos.’ ”
En vedette
“Si vous trouvez le mot Brexit dans une seule des chansons, je vous donne 50 euros”
THE GOOD, THE BAD & THE QUEEN Damon Albarn, Paul Simonon, Tony Allen et Simon Tong ont réactivé ce curieux projet monté en 2007 : une réunion d’excellents musiciens en goguette, pour un deuxième album qui évoque le Brexit.
Photo Pennie Smith-DR
RECUEILLI PAR OLIVIER CACHIN LEUR PATRONYME FAIT PENSER A UN TRIO, MAIS CES MOUSQUETAIRES-LA SONT QUATRE. The Good, The Bad & The Queen, c’est le band imaginé par Damon Albarn en forme de supergroupe (un piètre terme pour les désigner, comme on le lira ci-dessous). Un ex-Clash (Paul Simonon), le batteur nigérian qui créa l’afrobeat avec Fela Kuti (Tony Allen) et un guitariste virtuose passé par The Verve et, brièvement, Blur (Simon Tong) épaulent le créateur du projet. Onze ans après un premier album aussi riche en surprises que pauvre en hit singles, six ans après le side project Rocket Juice & The Moon (avec Flea des Red Hot Chili Peppers et, déjà, Tony Allen), Damon amorce le grand retour de TGTBATQ avec “Merrie Land”, ode désabusée à une Grande-Bretagne devenue moins great en s’isolant du continent. L’Angleterre étriquée rêvée par les passéistes du Brexit n’est pas celle de ces musiciens d’exception qui frisent le concept album avec cette collection de dix chansons nimbées d’une infinie nostalgie, toutes coproduites par Tony Visconti. Rencontre à trois voix avec Paul, Damon et l’autre Tony.
Photo Pennie Smith-DR
ROCK&FOLK : Pourquoi ouvrir cet album avec un sample du film culte et peu connu de Michael Powell et Emeric Pressburger, “A Canterbury Tale” ? Damon Albarn : On a essayé plein de trucs mais si ça ne tenait qu’à moi, on aurait pu mettre tout l’audio du film et vous n’auriez jamais entendu l’album. C’est une façon de donner le ton, l’ambiance... R&F : Merrie Land, c’est l’Angleterre ? Damon Albarn : Vous ne seriez pas loin de la vérité en disant ça.
Vol TWA 847
Devenu célèbre dès 1968 avec le hit “Rain And Tears” de son groupe Aphrodite’s Child, Demis Roussos (1946-2015) a sorti la chanson “Forever And Ever” en 1973. Ce Grec né en Egypte était en juin 1985 dans le vol Athènes-Rome détourné par le Hezbollah. Son 39ème anniversaire ayant eu lieu durant la prise d’otages, Demis a chanté quelques morceaux pour les pirates de l’air dont “Rebecca”, écrit par Boris Bergman, qui évoque une rescapée juive des camps nazis. Libéré après 5 jours, Demis a tenu une conférence de presse durant laquelle il a remercié ses ravisseurs de lui avoir offert... un gâteau d’anniversaire.
R&F : L’album traite-t-il du Brexit ? Paul Simonon : Si vous trouvez le mot Brexit dans une seule des chansons, je vous donne 50 euros. On n’en parle pas directement mais, en sous-texte, on balance quelques idées. Damon Albarn : Le vote contre l’Europe ne m’a pas plu. J’ai grandi dans une ère multiraciale, multiculturelle, multiconfessionnelle. On m’a élevé en m’apprenant à respecter tous les gens de mon pays, qu’ils viennent du Pakistan, du Kenya où d’où que ce soit dans notre monde postcolonial. Ce n’est pas un hasard si les premiers mots du disque sont “If you are leaving”. Il y a de la passion derrière cette formule. Ça n’est pas un disque politique ni un manuel d’instruction, c’est un appel aux armes pour une réponse émotionnelle. Paul Simonon : Aujourd’hui, on peut trouver du pastis, du bon vin et des croissants à Londres. Vous voyez, je suis à moitié européen.
032 R&F DECEMBRE 2018
R&F : Vous souvenez-vous où vous étiez quand vous avez appris la victoire du Brexit ? Paul Simonon : J’étais dans un hôtel génial à Paris. Déjà en exil ! (rires) J’ai appris la nouvelle devant la télé, j’ai éteint le poste et je suis sorti manger des escargots (en français dans le texte), boire du bon vin, profiter des bonnes choses que la France a à offrir. Je ne m’attendais pas à ce résultat, et, un des problèmes, c’est que des politiciens comme Boris Johnson ont menti aux gens en disant que l’argent de l’Europe irait à la santé. C’était bidon, mais un peu plus de 50% des Anglais y ont cru.
R&F : Pourquoi onze ans entre ces deux albums ? Paul Simonon : Bonne question, je me la pose aussi. En vrai, on a tous plein de choses à faire. Après le premier album j’ai travaillé avec Damon et ses Gorillaz, j’ai également tourné avec Mick Jones... Tout ça prend du temps. Si on n’était pas tous sur autant de projets, ça serait arrivé avant. Damon Albarn : Ça prend longtemps pour faire un bon ragoût. On a beaucoup joué en Afrique aussi, on se voyait, on traînait ensemble. Ça me semble si loin, il s’est passé tellement de choses depuis ce premier album. En 2007, j’avais 39 ans... Tony, toi aussi tu étais plus jeune, pas la peine de rigoler !
THE GOOD, THE BAD & THE QUEEN R&F : A l’écoute des dix chansons, c’est un sentiment de tristesse, de nostalgie qui domine. Damon Albarn : Vous trouvez ? Tout l’album est une déclaration d’amour, mais aussi une lettre d’adieu. On est une famille qui a été coupée en deux par quelque chose qu’on n’a pas vraiment compris. Paul Simonon : Il y a beaucoup d’émotions dans l’album, certaines joyeuses et d’autres plus sombres, plus sinistres. Rien de prémédité, c’était l’ambiance du moment. D’une certaine manière, “Merrie Land” c’est un peu la description de l’Angleterre. C’est une formule victorienne, c’est la façon dont on regarde tous ces gens qui ont la nostalgie d’un passé supposé glorieux, mais qui doivent réaliser que ce temps-là n’est plus. On doit penser à demain, pas se braquer sur le souvenir probablement tronqué d’une époque qui n’a jamais vraiment existé. R&F : Après Danger Mouse pour le premier album, c’est Tony Visconti qui coproduit celui-ci. Quel a été son rôle ? Damon Albarn : Disons qu’il a été là pour nous aider à tailler la route dans cette odyssée, à choisir et à rejeter, à développer les idées qu’on avait. R&F : Vous considérez-vous comme un supergroupe ? Paul Simonon : Tous les supergroupes que je connais font de la musique de merde. Je nous vois plus comme des musiciens de jazz — bien qu’on ne soit pas des jazzmen — qui travaillent ensemble. Si on était un supergroupe on aurait juste besoin de mettre nos nom : Damon Albarn ! Paul Simonon ! Tony Allen ! Simon Tong ! Supergroupe c’est une étiquette ringarde qu’on colle à un projet démodé et ennuyeux. Damon Albarn : Le terme a des connotations très négatives depuis les années 1970 et 1980. J’ai grandi à cette époque, et les albums des
R&F : Une des curiosités du disque, c’est la mention du chanteur Demis Roussos sur le morceau “The Truce Of Twilight”, “And Demis Roussos playing ‘Forever’ on the waterslide”... Damon Albarn : Oui, on m’en parle beaucoup ! Il y avait un Roumain et son fils dans le centre commercial de Southend-On-Sea. Quand je suis passé devant eux, le père jouait de la batterie et le fils, qui devait avoir 14 ans et qui n’était pas à l’école bien qu’on soit un jour de semaine, chantait ce morceau, “Forever And Ever”. Alors j’ai imaginé Demis Roussos habillé en caftan, chantant avec son groupe devant le front de mer à Southend. R&F : La blague préférée de Demis quand il allait au restaurant, c’était de prendre la carte et de dire au serveur : “Donnez-moi la page un, la page deux, la page trois, le café, le livre d’or et l’addition !” Damon Albarn : Ah, c’était un amoureux de la bouffe ? On n’est pas trop comme ça nous, n’est-ce pas Tony ? On n’est pas des vegans non plus, mais on aime les animaux, en Angleterre. En France aussi vous aimez les chiens, allez ! Les Allemands aussi, les Italiens, on aime tous nos fuckin’ dogs ! “The Truce Of Twilight” montre ce qu’on a en commun, pourquoi c’est important de ne pas se quitter. Moi, sinon, j’ai un chat qui s’appelle Fergie, j’ai plein de problèmes avec lui. Tony Allen : Il faut passer du temps avec ses animaux de compagnie, mec. Damon Albarn : Si on leur laisse le temps, ils sont étonnants. Ils vous parlent, vous savez. Tony Allen : Oui, ils lisent en vous. R&F : Paul, au sein du Clash, vous avez très peu composé (“Guns Of Brixton” et “The Crooked Beat”). Vous étiez un peu le George Harrison du groupe... Paul Simonon : Je me suis toujours plutôt vu comme Stuart Sutcliffe.
“Le vote contre l’Europe ne m’a pas plu” supergroupes n’étaient jamais super. C’est un terme qui ne rend pas justice à notre projet, ça fait penser à des musiciens qui veulent retrouver une gloire perdue alors que là, ça part d’une réelle amitié entre nous.
Demis Roussos en caftan
R&F : Tony, vous êtes l’aîné et le seul qui ne soit pas né en Grande-Bretagne. Quel a été votre rôle dans l’album ? Tony Allen : Quand vous construisez une maison, il faut commencer par les fondations, le rythme. On a joué plusieurs fois ensemble pendant une semaine, puis on s’est revus pour faire autre chose, le temps que chacun trouve sa place. Comme disait Damon, ça prend du temps de faire un bon plat. Paul Simonon : Tony écoute la mélodie ou l’idée qu’on a eue, et il conçoit une rythmique à sa guise. Si, par hasard, on lui demande de la changer, il nous dit :“Non, je ne change rien”. Du coup, il faut trouver une autre ligne de basse ou une autre mélodie à la guitare. On doit respecter les aînés. Tony fait ce qu’il fait, point barre, on ne déconne pas avec ça. Soit tu quittes le groupe, soit tu as une autre idée pour faire avancer le morceau. R&F : Comment définir la musique de TGTBATQ ? Paul Simonon : C’est dur à dire, déjà pour le premier album les radios avaient du mal... C’est une combinaison de folk moderne et de dub. Il n’y pas trop de guitare rock’n’roll, mais les guitares de Simon sont fantastiques, façon Joe Meek, dont j’adore les chansons, comme “Telstar” et “Johnny Remember Me”.
Au départ je voulais devenir peintre et, une fois teenager, j’ai décidé de me lancer dans la musique, alors j’ai appris la basse. J’apprends toujours. Ecrire une chanson est un exercice compliqué, comme écrire un livre. J’ai composé des chansons et peint des tableaux mais je suis très exigeant, et c’est difficile.
Notre Majesté
R&F : Vous avez amené votre goût du reggae sur l’album... Paul Simonon : C’est comme ça que je joue, c’est mon son. Si la chanson est punk je peux utiliser un médiator pour plus d’énergie, façon Ramones. Ça dépend du morceau. Mon style est plutôt reggae, mais avec, en plus, quelque chose d’autre. Je n’aurais jamais imaginé jouer une musique comme celle de ce nouvel album à mes débuts. C’est en rencontrant Damon et en parlant de notre background, de notre enfance à Londres et de notre amour pour Anthony Newley (acteur et chanteur anglais) qu’on a développé cette idée incorporant des éléments de musique anglaise, jouée avec un Nigérian. R&F : Au fait, vous êtes quatre mais le patronyme est “The Good, The Bad & The Queen”. Alors y a-t-il deux bons ? Deux méchants ? Ou deux reines ? Damon Albarn : C’est le bon, la brute, la reine et... un chat qui s’appelle Philbert ! Paul Simonon : En fait, ça dépend de notre humeur. Il peut y avoir deux bons, deux méchants et, bien sûr, Notre Majesté la reine d’Angleterre. ★ Album “Merrie Land” (Ada/ Warner Music)
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En vedette
Nouvelle mythologie heavy
GHOST
Depuis 2010, ce groupe doom suédois a cessé de s’adresser aux uniques amateurs du genre pour, désormais, envisager une carrière globale, à la manière de Kiss. Normal, le grand-guignol est une affaire sérieuse pour son leader Tobias Forge. Avant un impeccable concert au Royal Albert Hall, audience avec Sa Sainteté. RECUEILLI PAR JONATHAN HUME EN 8 ANS, Tobias Forge, leader autrefois anonyme de Ghost, a construit de toutes pièces une nouvelle mythologie heavy. L’outrance macabre, l’occultisme de carnaval, les identités secrètes, la musique aguicheuse. Tous ces éléments ont été patiemment accumulés, triés et assemblés dans le but d’atteindre le succès mondial. Passé du stade de curiosité underground à celui de groupe de hard rock le plus excitant de la décennie, Ghost vient d’être annoncé en première partie de Metallica sur sa tournée mondiale. Ce groupe est une entreprise ambitieuse gérée d’une poigne de fer dans le gant de cuir de Papa Emeritus (I, II et puis III), cet alias inquiétant du leader, qui a récemment décidé de se renommer Cardinal Copia. Un avatar plus jeune, plus impétueux, permettant à Tobias Forge de s’épanouir davantage sur scène.
Photo Marcus Robinson-DR
Des chansons de transition
ROCK&FOLK : Quelques mois se sont écoulés depuis la sortie de “Prequelle” et vous avez un peu tourné. Comment l’album passe-t-il le cap de la scène ? Tobias Forge : Plutôt bien. Même si, depuis la sortie de l’album, nous avons uniquement joué des dates en festivals. Je dirais donc que l’album n’a pas été proprement rodé. Le gros des dates a eu lieu en Amérique, juste avant la sortie du disque. Les chansons sont donc passées de totalement inédites en début de tournée à un peu mieux connues vers la fin, puisque l’album était disponible. Et cela a confirmé ce que je pensais quant au fait que certaines chansons s’apprécieraient vraiment sur la durée. “Dance Macabre” a particulièrement marché comme ça. Mais aussi “Rats”, qui s’est non seulement avéré un morceau d’ouverture très efficace mais a aussi bien mieux fonctionné à la radio que nous nous y attendions. A présent, nous commençons à jouer quelques chansons qui ne l’ont pas encore été et dont je ne sais pas vraiment comment elles seront accueillies. Je suppose que “Life Eternal” sera une bonne ballade.
R&F : Qu’est-ce qui fait un bon titre d’ouverture de concert selon vous ? Tobias Forge : C’est une question très difficile... Quand je travaille sur une setlist, je suis très soucieux du fait qu’il peut y avoir des chansons que j’aime mais qui ne sont pas nécessairement exaltantes. “Dance Macabre” est une chanson très exaltante, au même titre que “Square Hammer” ou “Rats”, elles vous donnent le sourire, vous font bouger. A contrario, “Secular Haze” ne marche pas du tout comme ça. Elle est plus heavy, mid-tempo, c’est davantage un morceau de transition. On ne peut pas simplement enchaîner les tubes, ça ne marche pas comme ça. Même une machine à hits comme AC/DC a des morceaux moins immédiats. Prenez “For Those About To Rock” : c’est un putain de tube, mais il est moins immédiat que “Highway To Hell”. Il faut donc positionner ces chansons dans le set en conséquence. Je crois que ce qui fait un bon morceau d’ouverture c’est qu’il permet de rentrer facilement dans le rythme. Je ne pense pas qu’Iron Maiden débuterait un concert par “Phantom Of The Opera”, vous voyez ? R&F : Vous venez de collaborer avec l’artiste électro français Carpenter Brut. Sa version de “Dance Macabre” est qualifiée de remix mais en réalité, à part votre voix, il a tout réarrangé. Comment en êtes-vous venu à collaborer avec lui ? Tobias Forge : Il y a quelques années de ça, peut-être cinq ans, j’ai reçu un e-mail de Franck (Hueso, l’homme derrière Carpenter Brut), j’ignorais qui il était. Il a tenu à se présenter car j’avais exprimé mon admiration pour un des groupes qu’il produisait (il chuchote) ce qui était apparemment un secret. R&F : Deathspell Omega ? Tobias Forge : Tout à fait. R&F : Un excellent groupe de black metal français. Tobias Forge : J’adore. J’avais exprimé cette admiration quelque part et il m’a contacté pour se présenter et me dire qu’il était impliqué dans le groupe et qu’il avait cet autre groupe du nom de Carpenter Brut, il m’a envoyé quelques vidéos que j’ai trouvées extrêmement amusantes.
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“Kiss est un bon exemple” Il m’a donc demandé si je serais intéressé par une collaboration à l’avenir. J’ai répondu qu’en théorie oui, absolument. Au cours des années, l’idée même de collaborations m’a laissé des sentiments plutôt partagés. C’est une chose de vouloir collaborer avec moi, Tobias Forge. Pour ça, je suis partant. Me demander de prêter mes personnages de Ghost à un projet en est une autre. J’ai souvent eu cette demande, mais j’ai toujours dit non, même aux groupes que j’adore car je ne sentais pas que ce serait un mariage harmonieux. R&F : Cela doit être frustrant de dire non à des groupes que l’on adore, non ? Tobias Forge : Oh oui, évidemment. J’ai dû refuser des trucs que j’aurais adoré faire sous mon propre nom. Si on m’avait simplement demandé de venir jouer de la basse, j’aurais dit : “Putain, ouais, ça serait génial !” Dans le cas de Carpenter Brut, j’ai pensé que ce serait suffisamment étrange pour pouvoir fonctionner mais j’avais très peu de temps libre.
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Donc j’essayais de souffler sur les braises de cette idée au fil du temps, de garder le contact en disant que j’étais toujours intéressé. Plusieurs années se sont écoulées et, dans ce laps de temps, Carpenter Brut, dont j’ignorais tout initialement, a explosé. Nous en arrivons donc à “Dance Macabre”. Quand je l’ai écrite, tout le monde (le producteur, le label, moi-même) s’est dit : “C’est une chanson dance, non ?” C’est le cas, et je ne vais pas me dérober. Je me suis dit que si nous voulions explorer cette chanson et voir son plein potentiel, nous pourrions essayer de trouver quelqu’un qui serait intéressé pour en faire un remix. Ils m’ont demandé si j’avais des suggestions. Et le seul nom qui m’est venu en tête était Carpenter Brut. Ce n’était sans doute pas le genre de type qu’ils cherchaient, ils voulaient sans doute quelqu’un de plus commercial comme David Guetta. Mais je suis très heureux de ce qu’a fait Franck, d’ailleurs je n’appellerais même pas ça un remix, je dirais plutôt qu’il a donné sa propre interprétation du morceau.
GHOST Donc, pour moi, faire un double album live signifie que vous avez réussi votre coup. C’est comme un cadeau que vous faites à vous-même. J’en avais donc l’intention depuis des années. J’avais hâte d’avoir enregistré assez de chansons pour pouvoir le faire. Maintenant, nous sommes à l’orée d’un nouveau changement. Nous avons suffisamment changé la manière dont nous présentons notre travail sur scène pour qu’un autre album live soit justifié. Sur “Ceremony And Devotion”, on entend encore les pistes enregistrées que nous ajoutions en live. Depuis des années, je suis très militant quant au fait que nous n’allons pas rester un groupe de six musiciens et que nous allons grandir jusqu’à incorporer neuf membres. Ce n’est pas encore le cas, actuellement nous sommes huit. Mais maintenant que nous avons mis de côté les pistes enregistrées, que nous avons de vrais choristes et que tout est vraiment joué, l’idée de refaire un live fait sens. Peut-être pas un disque d’ailleurs, cela pourrait être un film. Je pense que cela irait parfaitement avec l’idée que je me suis toujours faite de ce que devait devenir Ghost.
Les masques et l’enclume
Genre théâtral par excellence, le heavy metal charrie son lot de groupes masqués ou maquillés. Kiss, Gwar, Lordi, King Diamond, The Locust et évidemment Slipknot. Aucune de ces formations ne fait dans l’intimisme discret. Dans un autre style, Daft Punk et Gorillaz ont réussi à se rendre indissociables de leurs concepts. En revanche pour ce qui est de conserver l’anonymat, c’est une autre limonade. L’évolution des technologies de communication a définitivement détruit cette utopie artistique. Il est aujourd’hui virtuellement impossible d’espérer garder un quelconque mystère plus de quelques semaines. Dernière preuve en date, il aura suffit d’une poignée de semaines pour démasquer Tobias Forge, le leader de Ghost. En revanche personne ne sait vraiment qui est le guitariste Buckethead. Peut-être parce que tout le monde s’en fiche.
R&F : Ghost a débarqué en plein milieu d’une résurgence de groupes de metal rétro, venus notamment de Suède et d’Angleterre, qui voulaient revenir aux racines du stoner, du doom. Cette mouvance existe encore mais la popularité des groupes n’a pas vraiment évolué, exception faite de... Ghost. Tobias Forge : D’un point de vue professionnel, je pense avoir remarquablement réussi. Bien sûr, sur le plan personnel je suppose qu’on peut examiner à la loupe certains aspects de mes choix. Mais c’est personnel, ça ne rentre pas vraiment en ligne de compte. Je pense quasi quotidiennement à la chance que j’ai eue et à la quantité de décisions auxquelles j’ai fait face. Et j’ai également pris beaucoup de mauvaises décisions. R&F : Qui ne l’a jamais fait ? Tobias Forge : Exactement. C’est un peu comme commencer à bâtir un château de cartes. Vous remarquez qu’il tient le coup alors vous vous dites : “et si je rajoutais un étage ?” puis un autre. Chaque fois que j’y songe, je me dis qu’il n’y a aucune garantie, que tout peut s’écrouler. Je crois qu’il est important de garder ça en tête. Il ne faut rien prendre pour acquis, les choses changent. La seule chose que je puisse faire, c’est continuer à faire ce que je fais du mieux possible et essayer de prendre la bonne décision à chaque fois. Et nous verrons bien, si les choses continuent encore un peu, combien de temps nous pourrons les faire durer. Un jour, tout sera terminé et la seule chose sur laquelle compter c’est de pouvoir regarder en arrière en se disant : “Putain, j’ai fait de mon mieux.”
Photo Paul Harries-DR
Sans maquillage R&F : Environ un an avant “Prequelle”, vous avez sorti “Ceremony And Devotion”, un concert enregistré à San Francisco qui sonnait presque comme un best-of. Le signe d’une nouvelle étape pour Ghost ? Tobias Forge : Historiquement, beaucoup des groupes que j’idolâtre ont connu une forme de cycle dans lequel ils font une poignée d’albums suivis d’un live avant de recommencer. J’imagine que cela correspond à une sorte de courbe de croissance. Kiss est un bon exemple. J’adore les trois premiers albums mais ils sont un peu faiblards pour ce qui est de la production. Et “Alive!” est la version définitive de ces disques. Puis, juste derrière, le groupe enchaîne sur “Destroyer” qui est complètement différent. Donc, dans leur cas, oui, cette idée s’applique. En ce qui me concerne, je ne suis pas trop sûr. Je voulais vraiment faire un live car je suis fan de ce type d’albums depuis que je suis tout petit. J’en ai écouté plein quand j’étais gamin : “Alive!”, “Ummagumma”, “Get Yer Ya-Ya’s Out!”, “Got Live If You Want It!”, “It’s Alive” des Ramones, etc.
R&F : Voir les rock stars vieillir affecte la perception qu’on en a. Ce n’est pas la même chose de voir Marilyn Manson en concert aujourd’hui par rapport à 1996. Avec Ghost et le principe d’anonymat, de maquillage, il semble que vous pouvez éviter cela. Tobias Forge : C’était une des idées, oui. Je pensais que ce que j’avais à présenter physiquement, c’est-à-dire moi-même, n’était pas suffisamment intéressant. Peut-être qu’un jour je serais assez ridé pour... R&F : Incarner Papa Emeritus sans maquillage ? Tobias Forge : Voilà. S’il y a toujours de l’intérêt, je serais prêt à me débarrasser de ça. Pas parce que j’ai envie qu’on me voie, mais tout simplement parce que c’est une putain de prise de tête. Peut-être donc qu’un jour, si le public s’intéresse toujours à nous, verrez-vous une version de Ghost où il n’y aura techniquement pas de masque mais qui sera tout aussi effrayante (rires). ★ Album “Prequelle” (Spinefarm/ Universal)
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En vedette
Dans ces années cold wave, personne ne doit s’afficher avec une chemise cowboy
MARK KNOPFLER
Un nouvel album du guitariste ? Certes, mais avec lui, on veut parler de Dire Straits ! Pour comprendre comment ce groupe majeur des années 80 peut rester aussi méprisé.
Photo Paul Natkin/ Wire Image/ Getty Images
RECUEILLI PAR BENOIT SABATIER QUAND LE ROCK AND ROLL HALL OF FAME les distingue, ils accourent tous — Sex Pistols, Stooges, Ramones... Le mois dernier, c’était au tour de Dire Straits d’être intronisé. Mark Knopfler ne s’est pas pointé. Un crachat à la face de l’institution. Il n’a pas fait lire de bafouille : le leader de Dire Straits s’est juste collé sur répondeur, laissant trois de ses anciens musiciens se dépatouiller avec la cérémonie, un grand moment de gêne. Par contre, quand il s’agit de parler à Rock&Folk, le guitariste répond présent : il est là, en face de nous, dans la suite d’un palace parisien, gloussant à notre question — ce camouflet à l’encontre du Rock and Roll Hall of Fame, en fait, c’est vous, le plus punk ? Il temporise : “J’étais dans les finitions de ce nouvel album, ‘Down The Road Wherever’, ce n’était pas le moment de me disperser.” Une autre excuse ! Il hésite. “Ils m’ont expliqué ce que je devrais faire, c’était millimétré, où aller, quand voir la presse, monter sur scène, parler, etc. Je ne suis pas une marionnette et, après tout, je n’ai rien demandé, moi.” Le tout dit sans aigreur, sur un ton sympathique.
Knopfler a 69 ans. Chauve, avec un embonpoint certain. Si l’image d’une rockstar, c’est Keith Richards 1972, Elvis 1956, Paul Simonon 1977, alors Mark, c’est l’exact contraire. Apparu en 1978, en plein post-punk, Dire Straits fait tout de suite tâche. C’est quoi, la honte, à cette époque ? Tout ce que le groupe symbolise. Les punks rejettent la notion d’héritage, vantent les mérites de la jeunesse et du saccage. L’Ecossais va déjà sur ses trente ans, a réellement travaillé (infamie), tenté plusieurs groupes et ne cesse de clamer son admiration pour des veilles lunes complètement passées de mode, de Ricky Nelson à JJ Cale. Il faut être arrogant, les Dire Straits, eux, jouent la carte des modestes artisans, des voisins de palier besogneux. Le post-punk est un mouvement esthétique, le look détermine si vous êtes dans le bon camp. La dégaine des Dire Straits est complètement à la ramasse. Il n’est pourtant pas reproché à Mark Knopfler d’avoir une tignasse trop volumineuse. C’est bien pire : le mec perd ses tifs ! Pendant que Sid Vicious arbore une spike pétaradante, le guitariste tente de planquer un front de plus en plus dégarni. Il ne fait pas son shopping chez Vivienne Westwood, enfilant au choix : un marcel, un T-shirt impersonnel, une chemise repassée. Un plouc. Quand il tente un effort, c’est raté : dans ces années cold wave, personne ne doit s’afficher avec une chemise cowboy. S’il met une veste ? Il retrousse les manches !
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Scott Walker
Le guitariste joue sur “Blanket Roll Blues” (sur l’album “Climate Of Hunter”, 1984). “Une expérience très bizarre, par ma faute : j’ai proposé qu’on enregistre dans la salle de contrôle pour faire quelque chose de lo-fi. Il a accepté, alors que ce n’était pas obligatoirement une bonne idée. Je suis toujours un peu gêné quand je pense à cette collaboration.”
Randy Newman
AVEC BOB, PHIL, RANDY...
Produit les deux tiers de “Land Of Dreams” (1988). “Randy était en train de marteler son piano, il se défoulait, je lui propose d’enregistrer ce truc, qui est devenu ‘Masterman And Baby J’, une sorte de faux rap. Je ne me rappelle même plus du processus pour arriver à ça !”
“Pas obligatoirement une bonne idée”
Bob Dylan
1979 : quand Knopfler participe à “Slow Train Coming”, il est un petit nouveau repéré par le maître — Dylan a craqué sur “Sultans Of Swing”. 1983 : Bob, aux fraises, demande à Mark, l’artiste qui cartonne, de produire “Infidels”. Ils enregistrent ensemble les deux plus grands morceaux du Dylan 80 : “Blind Willie McTell” et “Death Is Not The End”... que Bob ne garde pas sur l’album ! “Quand je m’en suis aperçu, je n’ai pas compris, avoue Knopfler. Le mix final, non plus... Bon, ces deux chansons sont finalement sorties...” Knopfler continuera régulièrement de jouer avec Dylan.
Phil Lynott
Knopfler imprime sa marque sur “King’s Call” et “Ode To Liberty”. “Phil venait souvent à nos concerts, il était ouvert à tout, voulait essayer tous les styles. On est devenus amis, j’ai beaucoup de joyeux souvenirs quand on traînait ensemble.”
Van Morrison
Participe à “Beautiful Vision” (1982). “Quand il veut faire une chanson, elle doit être gravée dans les 5 minutes, pour ne pas laisser passer l’inspiration. C’était l’époque où je me passionnais pour la production, je voulais tout essayer en studio, j’étais donc dubitatif face à cette spontanéité, mais avec le temps, je m’y rallie de plus en plus.” BS
“Je recommande à tout le monde le succès” Un élément vestimentaire le distingue pourtant : Knopfler s’entiche de bandeaux de tennis — au poignet et au front. Pour masquer son début de calvitie ou pour éponger la sueur (puisqu’il se démène sur sa gratte) ? Rien n’excuse un tel accessoire : un rocker se doit d’être le contraire d’un sportif — non à la performance, à l’effort. On en vient donc à la musique : alors que l’époque célèbre une modernité basée sur l’amateurisme, Dire Straits met en avant sa technicité — Knopfler s’exhibe comme virtuose de la guitare. Tous les instruments sont très bavards, il y a plein de notes dans leurs morceaux, qui dépassent les quatre minutes autorisées. Quand vous avez débuté, Mark, cherchiez-vous le décalage par rapport au mouvement à la mode ? Knopfler boit son café, répond par une question : “Quel mouvement ?”. Le post-punk ! Joy Division, Devo, Ultravox ! Il fait semblant de tilter, contrarié. “Je ne savais pas grand chose de ces groupes-là... C’était avant Spotify ou YouTube... On était tout le temps sur la route, on ne faisait que tourner, jouer notre musique, celle qu’on aimait, sans se soucier de nos contemporains. On a joué avec les Talking Heads, Police, Squeeze, on était assez différents, mais on s’entendait très bien. Il n’y avait pas que le post-punk, les groupes les plus populaires, c’était Boston, Kansas... Et Styx, avec qui on a aussi tourné, une catastrophe. Dire Straits était encore plus en décalage avec ces horreurs-là.” Les gardiens du bon goût ne leur ont pas attribué la carte, et leur radiation a perduré, Dire Straits ayant le tort de n’avoir pas été confidentiel — au contraire : des gros vendeurs, synonyme en ce temps-là de vendus. D’autres mastodontes, autrefois considérés comme douteux, au choix Fleetwood Mac, Zappa, Abba, Steely Dan, Billy Joel, ont été disculpés. Aucune formation contemporaine ne cite aujourd’hui Dire Straits comme influence — même pour rigoler. Imaginons Beechwood revendiquer “Making Movies” comme disque fondateur : leur carrière serait coulée sur place. On compte pourtant plusieurs héritiers, et ce ne sont pas les artistes les plus pourris : Timber Timbre, The War On Drugs, Kurt Vile, Jim White... Si la principale faute de Dire Straits a été de débarquer en même temps que The Cure, pourquoi ne pas les imaginer dans une autre décennie ? Quelle serait leur anathème s’ils avaient évolué dans les seventies aux côtés de Ry Cooder, Leon Redborne, Paul Simon, Ronnie Lane ou Dr John ? Que leur aurait-on reproché s’ils avaient débuté en même temps que tous les Tindersticks, Jeff Buckley ou Wilco ? Pourquoi accorde-t-on à Springsteen ou Tom Petty les mérites qu’on refuse à ces péquenauds british ? Mark Knopfler aurait dû être un Traveling Wilburys, mais il y avait un hic : trop ringard, même pour ce ramassis de vieilles légendes décrépies. A ce niveau-là, le déplumé en devient encore plus attachant.
Photo Dderek Hudson-DR
Bombardement visuel Knopfler a aujourd’hui quatre enfants, il est marié depuis 20 ans avec une actrice du réalisateur le plus barbant de tous les temps (James Ivory), et son passe-temps favori, en dehors de ses enregistrements, c’est la lecture. Il a passé une partie de notre rencontre à parler de l’importance “de donner aux bonnes œuvres”. Quand nous lui demandons s’il a été, comme la plupart de ses collègues au milieu des années 80, un avide consommateur de cocaïne, il nous donne enfin du trash : “J’étais en effet addict : au tabac. Mais c’est bon, j’ai décroché de la nicotine il y a 21 ans.” Mark Knopfler n’est pas pour autant un mal-aimé. L’amour du public, il l’a, depuis les débuts de Dire Straits. “J’avais 28 ans quand le succès s’est abattu sur moi. C’est vieux, je l’ai vécu comme un avantage : j’avais la maturité pour le supporter. C’était un tel bonheur ! Je recommande à tout le monde le succès — à tout ceux qui sauront ne pas se faire déchiqueter”. 1977, Knopfler compose un hommage aux musiciens de bar : la démo de “Sultans Of Swing” est matraquée par un programmateur radio. Phonogram signe Dire Straits (raide fauché ou mauvaise passe). 1978, succès du premier album, homonyme. En marge de la guerre disco contre punk, Dire Straits tire son épingle du jeu, en joignant les EtatsUnis (The Band) depuis l’Angleterre (Stackridge). Puis “Communiqué”, avec “Lady Writer”, produit par Jerry Wexler et le boss de Muscle
Shoals : plus Ry Cooder, ricain cool. Knopfler bosse parallèlement avec Dylan, Mavis Staples, Steely Dan, Phil Lynott. 1980, “Making Movies”, avec “Romeo And Juliet” et “Skateaway”, production Jimmy Iovine (Patti Smith), au clavier Roy Bittan (“Station To Station”), des compositions à la fois plus directes et plus élaborées — du Lou Reed démonstratif : un de leurs sommets. Gros virage avec “Love Over Gold” (1982). Les claviers prennent encore plus de place, le combo vaguement roots, terrien, vire vachement lunaire, space — dans l’idéal : “Animals” revu par Neil Young (mais plutôt : Supertramp jouant “Nebraska”). Leur maison de disques se voit refiler un single de 6 minutes 45 où Knopfler parle plus qu’il ne chante — “Private Investigations”, numéro 2 des charts. Parallèlement, le guitariste produit Bob Dylan et Aztec Camera, offre un tube à Tina Turner (“Private Dancer”), bosse avec Scott Walker, Van Morrison et Phil Everly, compose deux BO. Il ne délaisse pas son groupe : l’heure a sonné pour “Brothers In Arms”, 1985 — “Born In The USA” version UK et planante. Un raz-de-marée : 30 millions d’exemplaires vendus. Numéro 1 mondial. Une brouette de records internationaux volent en éclat. Comment le bouseux écossais est-il devenu le roi du game ? Le format CD débarque sur le marché, Dire Straits l’exploite et le popularise. Comment ces types qui ne ressemblent à rien bénéficient-ils d’un tel bombardement visuel ? A cette époque, MTV fait la pluie et le beau temps. “Money For Nothing” est diffusé jusqu’à la nausée. “Le personnage de la chanson est un crétin matérialiste qui fantasme sur le mode de vie attribué aux rock stars, le jet privé, les filles, des passages sur MTV. Son matraquage était tellement ironique...” A la fois hors-norme et parfaitement calibré, “Brother In Arms” est le premier disque dont les synthés sont traités sur ordinateur. Les cul-terreux au top de la technologie, encore un paradoxe. Alors que la pochette exhibe une guitare, Dire Straits, connu pour son guitariste virtuose, s’est mué en groupe largement synthétique. Décalage aussi au niveau du statut de Knopfler : il se place dans la lignée de Hank Marvin et le voilà propulsé pop star des eighties, à côté de Kajagoogoo. Comme pour se laver d’un tel phénomène, Knopfler enchaîne les collaborations, principalement avec des vieilles gloires : Ben E King, Chet Atkins, Bryan Ferry, Tina Turner, Willy DeVille, Randy Newman... Omniprésent toute la première moitié des années 80, Dire Straits disparaît des radars. Une fois la décennie liquidée, Knopfler réapparaît avec un projet roots et médiocre (The Notting Hillbillies) puis relance la machine Dire Straits. Le problème de “On Every Street” (1991) n’est pas qu’il soit, au moment où sort “Smells Like Teen Spirit”, complètement à côté de la plaque — c’est la marque de fabrique du groupe. Plus gênant : son manque d’inspiration. Dire Straits, avec tous ses paradoxes (et ses chansons supérieures), a incarné une face passionnante des eighties. Dans les nineties, il est un vieux mastodonte fatigué.
Jamais dans le coup Mark Knopfler, ensuite, a continué en solo, enregistrant des albums pépères, mi-americana mi-celtiques, sans aucun intérêt, si ce n’est qu’ils contiennent régulièrement de belles chansons (“Redbud Tree”, “Speedway At Nazareth” et, dans le nouveau, “My Bacon Roll”). Avant de le quitter, dernière question : pensez-vous avoir été à la mode à un moment de votre carrière ? Lui qui était resté bonhomme bondit de son siège. “Non, jamais, s’il vous plaît ! Non, non, non ! Dieu merci, je n’ai jamais composé pour être trendy !”. Il n’aurait donc jamais voulu être dans le coup. Ce qui n’est pas obligatoirement passible de châtiment corporel. “Vous avez une liste de tous les principaux fautifs/ De toutes leurs principales erreurs” : c’est dans sa chanson “It Never Rains”, que Knopfler ponctue d’un parfait : “Je suis peut-être coupable, oui, c’est possible/ Mais je mentirais si je disais que j’étais à blâmer”. ★ Album “Down The Road Wherever” (Universal)
DECEMBRE 2018 R&F 041
En vedette
Hermétisme assumé
COCTEAUTWINS De 1981 à 1996, le groupe britannique éleva la mélancolie new wave à des hauteurs nuageuses, avant l’inévitable orage. Une histoire singulière, brièvement commentée par Simon Raymonde. PAR ALEXANDRE BRETON DU FOND DE L’ELYSEE MONTMARTRE blanchie par les nappes de fumigènes où se fondent les corps, la scène semble en apesanteur. Entourée, à sa gauche, de Simon Raymonde à la basse et, à sa droite, de Robin Guthrie à la guitare, Liz Fraser chante les dernières lignes d’ “Aikea-Guinea” en se frappant rythmiquement la poitrine du poing, son regard bleu intense fixant le vide. Applaudissements ; un gamin hirsute réclame “Wax And Wane”. Pas un mot. L’atmosphère, entre chaque morceau, est d’une densité proportionnellement inverse à la grâce aérienne des titres égrenés. Nous sommes en 1990, un soir d’octobre, les Cocteau Twins sont passés comme une apparition, lointains, silencieux, s’effaçant derrière leur musique féconde en rêveries puissantes. Le trio, que son label historique, 4AD, vient de congédier, a publié le somptueux “Heaven Or Las Vegas”, plébiscité par la presse ; il entrait alors dans la phase finale d’une histoire sans temps mort dont le coffret publié par Universal cet automne documente les dernières heures, cauchemardesques, à travers les mal-aimés “FourCalendar Café” (1993) et “Milk & Kisses” (1996).
Photo Dave Tonge/ Getty Images
Soprano vrillée Tout commence sur un coup de tête. S’étant faufilé, malgré les réticences de Liz qui finit par le suivre, dans les loges du groupe de Nick Cave, The Birthday Party, Robin Guthrie, surmontant sa timidité maladive, parvient à tailler la bavette avec le batteur, Phill Calvert. Il faut s’imaginer ces deux gamins qui n’ont pas vingt ans, natifs d’une sinistre cité industrielle de la côte est de l’Ecosse, Grangemouth, au milieu de ces gothiques Australiens ! Avec le bassiste Will Heggie, copain de lycée de Guthrie, les trois viennent de former un groupe, dont le nom n’est pas une référence immédiate à l’auteur des “Enfants Terribles”, mais piqué au répertoire d’un groupe encore confidentiel, Simple Minds. Les deux compères ont récemment trouvé en Liz Fraser, punkette perchée repérée par Guthrie à la discothèque locale, une voix au timbre d’un autre monde. Si bien
que lorsque Phill Calvert, touché par ces gosses audacieux, leur file l’adresse de son label londonien, le tout récent 4AD, il ne leur en faut pas plus pour graver illico sur une simple cassette leurs quelques démos dans la salle à manger de la mère de Guthrie qui, dans la foulée, attrape le train de nuit pour Londres afin de les déposer sur le bureau-même du boss, Ivo Watts-Russell. Parallèlement, une seconde cassette est envoyée à John Peel, le célèbre DJ qui officie sur la BBC. Ivo vient de lancer avec Peter Kent ce label, émanation de Beggars Banquet, dont on sait à quel point, tant musicalement que graphiquement (grâce aux pochettes conçues par Vaughan Oliver), il marquera l’histoire du rock. Depuis l’autoradio, “Speak No Evil” et “Perhaps Some Other Aeon” lui font l’effet d’un éclair, tant la signature musicale est déjà assurée : vagues de riffs distordus noyés de reverb aux harmoniques saisissantes, basse gutturale et boîte à rythme asthmatique, en contrepoint de la voix de soprano vrillée de Liz. Aussitôt signés, il les envoie en studio pour enregistrer ce qui donnera le premier album du groupe, “Garlands”. Sorti en juillet 1982, ce premier acte sombre et minimaliste est d’une cohérence incroyable, avec des sommets de froideur hypnotique comme “Wax And Wane”, “Shallow Then Halo” ou “Grail Overfloweth”. Si le choix de la saison est hardi pour un album aussi peu estival, la période est néanmoins propice. A Londres, où le groupe donnera son premier concert en avril 1982 — en première partie de Birthday Party — émerge la scène gothique, croisement de la flamboyance baroque des Banshees et la raucité martiale de Joy Division. Le point de ralliement est situé en plein Soho où Jon Klein et Olli Wisdom ont ouvert, ce même été, le club The Batcave. Les Cocteau Twins bénéficient de ce climat victorien mais ne partagent guère la théâtralité du mouvement ; à vrai dire, ils s’en moquent, affirmant même lors de rares interviews n’avoir aucune affinité avec qui ou quoi que ce soit. Hermétisme assumé que l’on retrouvera à plusieurs niveaux, par la suite : dans la singularité opaque de la production, dans les titres sibyllins, souvent repiqués à d’autres textes selon un principe d’autocitation, et dans le chant cristallin de Liz Fraser dont les paroles, d’une sidérante beauté poétique, sont délibérément rendus presque incompréhensibles. Enigme pour une presse plutôt favorable, le groupe se trouve un soutien plus qu’enthousiaste chez John Peel, lui aussi conquis par la fameuse cassette de l’automne 1981.
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COCTEAU TWINS
Le groupe subjugue mais se lasse vite du tumulte autour de son premier opus et s’enferme en studio. On les presse de publier, si bien qu’un 3titres, “Lullabies”, mixé par John Fryer, ingénieur du son des premiers Depeche Mode, sort en septembre 1982 ; il est suivi d’un autre EP en mars 1983, “Peppermint Pig”, produit par Alan Rankine, guitariste de The Associates. Dénigré par Guthrie lui-même qui, dorénavant, n’abandonnera plus la console à quiconque, ce titre manquera cependant la première place des charts indépendants à la faveur du “Blue Monday” de New Order. La presse s’emballe, envoûtée par Liz Fraser comparée à Edith Piaf. Rétrospectivement, on y entend surtout les prémices du son des Cocteau Twins, dont l’acte de naissance coïncide avec la sortie de “Heads Over Heels” en août 1983. C’est un tournant, à plusieurs niveaux. D’abord, c’est l’album d’un groupe désormais réduit au couple Fraser et Guthrie, Heggie ayant probablement été viré par la diablesse aux yeux clairs au cours de l’épuisante tournée européenne, en première partie d’Orchestral Manoeuvres In The Dark juste avant la sortie de l’album. En outre, l’écriture et la production y sont plus complexes, la palette vocale de Liz plus riche. Les structures gagnent en espace, comme sur “Five Ten Fityfold” ou le solaire “Sugar Hiccup”. Enfin, la pochette, signée Vaughan Oliver, scelle l’intrigante identité visuelle du groupe. Cette formule est toutefois de courte durée. Fin 1983, Guthrie fait la rencontre décisive de Simon Raymonde. Ce multi-instrumentiste, dont le père pianiste travailla avec Dusty Springfield, est intégré aux séances d’enregistrement du sublime “Song To The Siren”. Publié en octobre 1984 dans “It’ll End In Tears”, première compilation du collectif This Mortal Coil mis sur pied par Ivo Watts-Russell et rassemblant différents groupesmaison tels The Wolfgang Press, Dead Can Dance ou Xmal Deutschland, cette reprise du titre de Tim Buckley est un succès immédiat, adoubé des ondes. Ce succès n’est toutefois pas du goût du groupe, qui redoute qu’il n’éclipse les productions signées Cocteau Twins. A tort, si l’on en juge par la réception très favorable de son troisième album, sorti le même mois. “Treasure”, qui devait initialement bénéficier de la collaboration de Brian Eno, va longtemps incarner l’essence du groupe pour ses fans. Avec son
Si le shoegaze des années 90 — Ride, My Bloody Valentine — est inspiré par les Cocteau Twins, il est clair, à l’écoute de ces deux albums, qu’ils portent aussi en germes le trip hop à venir représenté par Portishead ou Massive Attack avec qui Liz collaborera. Le groupe, qui a pénétré le marché américain avec une impeccable compilation, “The Pink Opaque”, multiplie les projets parallèles comme autant d’appels d’oxygène : Liz collabore avec Felt (“Primitive Painters”), Wolfgang Press ou Harold Budd, pendant que Guthrie prête main-forte aux jeunes AR Kane. En retour, le cinéma, en la personne de David Lynch, commence à les courtiser, sans lendemain pour l’auteur de “Blue Velvet” qui se tournera vers Angelo Badalamenti avec la perspicacité que l’on sait.
Processus de désintégration On est en 1988, le groupe dispose à présent de son propre studio d’enregistrement à Londres et a réussi à imposer son indépendance. Il signe chez Capitol un juteux contrat de distribution internationale qui lui assure une visibilité éminemment accrue, ce que beaucoup de fidèles du groupe prendront pour une compromission. Aussi, à sa sortie en septembre 1988, “Blue Bell Knoll” divise les camps, entre ceux qui adulent la dimension stratosphérique du groupe (“For Phoebe Still A Baby”) et ceux qui lui reprochent la répétition d’une formule devenue soporifique (“Cico Buff”). L’unanimité se produira avec l’ultime chefd’œuvre, en 1990, “Heaven Or Las Vegas”. Le Paradis et la Chute. Tout le monde semble désormais aimer les Cocteau Twins : Robert Smith (dont “Treasure” sera la bande-son de son mariage !), Prince (qui utilisera une boucle de “Fifty-Fifty Clown” sur “Love Thy Will Be Done”), Madonna ou Annie Lennox ne tarissent pas d’éloges à leur sujet. Pourtant, la suite de l’histoire, s’étalant sur six ans et deux LP, ressemble à un invincible crash. Le groupe est au faîte de sa gloire, triomphant des assauts de la seconde génération de groupes de 4AD, Pixies et Breeders en tête, épaulé par la déferlante grunge ; le clip de “Iceblink Luck” tourne sur MTV et CocaCola lui commande un titre ; enfin, la gigantesque tournée est un triomphe.
introït tout en cordes façon Bowie, en contrepoint de la voix aérienne de Liz sur l’épique “Lorelei”, l’album est de bout en bout un chef-d’œuvre. Il vaudra au groupe de recevoir ce compliment exalté de Steve Sutherland du Melody Maker : “Ce groupe est la voix de Dieu.” Or, malgré son classement en tête des charts et l’élection de Liz Fraser en tant que meilleure chanteuse de l’année 1985, le groupe s’entête dans l’auto-sabordage, refuse une invitation à Top Of The Pops et ne tarde guère à considérer “Treasure” comme... son “pire album” ! Moyennant quoi, il sort l’imprononçable et carillonnant “Aikea-Guinea”, début 1985, le vantant comme ce qu’il a fait de mieux. C’est un échec. De “Treasure” à “Victorialand”, sorti en 1986, le groupe opère un virage vers plus d’abstraction dans la production, confortant l’étiquette dream pop dont on l’a affublé. La musique des Cocteau se fait plus amniotique, par les textures instrumentales et le chant de Liz, d’une pureté remarquable. La langue est de plus en plus ésotérique, comme délestée de la contrainte de signifier. Il ne s’agit cependant pas du chant onomatopéique d’une Lisa Gerrard de Dead Can Dance ; la décision, chez Liz, tient davantage de l’incapacité maladive à exposer ses textes. De ce point de vue, “Victorialand”, essentiellement acoustique, radicalisant les principes du précédent opus, marque le tournant ambient du groupe, à nouveau réduit au duo Guthrie-Fraser, Raymonde se consacrant à la seconde compilation de This Mortal Coil, “Filigree & Shadow”.
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Pourtant, il y a quelque chose de pourri. Les toxiques en sont le symptôme qui achèvera le processus de désintégration finale. Le couple, qui vient d’avoir une fille, se sépare juste après la sortie de l’hétéroclite “FourCalendar Café”, en 1993. L’album lui-même est un bel épilogue, patchwork des multiples visages du groupe depuis “Garlands”. Les textes de Liz, qui traverse une profonde dépression nerveuse aggravée par la mort de celui qui fut son amant, Jeff Buckley, y sont singulièrement plus crus, plus réalistes. La magie des précédents opus s’étiole au profit d’une pop majestueuse mais plus académique. Le monde passe à l’heure de Madchester et, pour la première fois, les Cocteau semblent dépassés. Cette impression ne se démentira pas avec le chant du cygne, en 1996, de “Milk & Kisses”. L’album, d’une beauté solaire (“Rilkean Heart”), plus concis et cohérent que le précédent, voit un groupe, définitivement hors de ce monde, retrouver un dernier souffle de créativité, conjurant l’évidence lors d’une tournée somptueuse suivie aussitôt d’un retour en studio... Jusqu’à ce jour de 1998, où Liz Fraser téléphone à ses deux copains d’adolescence affairés à l’enregistrement du prochain album : elle ne reviendra pas au studio. ★ Coffret “Treasure Hiding : The Fontana Years” (Phonogram/ Universal)
Photo Bob Berg/ Getty Images
La presse s’emballe, envoûtée par Liz Fraser comparée à Edith Piaf
SIMON RAYMONDE : “On aurait pu continuer” Retour, entre deux avions, sur ces derniers chapitres de l’histoire du groupe, avec Simon Raymonde, aujourd’hui dirigeant du prolifique label Bella Union, créé avec Robin Guthrie en 1997, un an avant la séparation.
ROCK&FOLK : Quel est votre jugement sur ce chapitre final de l’histoire du groupe ? Simon Raymonde : Il était temps que le
label envisage de faire quelque chose, plus de vingt ans après la séparation du groupe ! Il y a des trésors dans ces albums. Seulement, le groupe sera toujours évalué à l’aune de ce que d’autres estiment être nos sommets, comme “Heads Over Heels” ou “Treasure”. L’affection du public lors des années 4AD s’est volatilisée quand nous sommes allés chez Fontana. Pourtant, ce que nous avons fait tient la route. Etant données les circonstances, je trouve même formidable que ces enregistrements ne sonnent pas plus comme “Metal Machine Music” !
R&F : Pouviez-vous aller plus loin? Simon Raymonde : Bien que j’aurais dû
tout faire pour, vue l’importance de ce groupe et de cette musique pour moi, peut-être aurions-nous dû tout arrêter lorsque Robin et Elizabeth se sont séparés. Qui sait ? Ce qui compte, c’est qu’une fois en studio, tous les problèmes semblaient comme suspendus. Donc, oui, on aurait pu continuer ! Mais ce ne fut pas le cas. R&F : Que s’est-il exactement passé? Simon Raymonde : Un lent déclin des
relations, à l’extérieur comme au sein du groupe, à partir du départ de 4AD. Sans oublier les drogues, les problèmes financiers et affectifs, la peur, les redressements, jusqu’à la prise de conscience qu’il fallait prendre cette décision.
R&F : Que reste-t-il, à votre avis, de Cocteau Twins? Simon Raymonde : Je ne sais pas vraiment.
Nous faisions notre musique d’une manière si peu conventionnelle, qui rétrospectivement paraît à ce point aléatoire et imprévisible, que le seul fait que nous ayons pu produire autant d’albums me laisse perplexe ! R&F : Peut-on imaginer qu’un jour vous publiiez les tout derniers enregistrements ? Simon Raymonde : Impossible. R&F : Et que vous vous reformiez ? Simon Raymonde : Là aussi, impossible.
RECUEILLI PAR ALEXANDRE BRETON
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En vedette “Nombre de gens me disent qu’ils adorent cet album, mais j’ai un peu de mal avec ça. Comment peut-on aimer pareille souffrance ?”
BOB DYLAN
L’intégralité des séances de “Blood On The Tracks” paraît aujourd’hui dans un imposant coffret. Pourquoi cet album est-il si important ? Peut-être parce que le chanteur y atteint un sommet d’écriture et s’y livre comme jamais auparavant.
Photo Barry Fenstein-DR
PAR CHARLES FICAT A PROPOS DE “BLOOD ON THE TRACKS”, LA COUTUME PARLE D’UN RETOUR DE BOB DYLAN APRES UNE DECENNIE D’ERRANCE. Ce disque serait le seul à pouvoir rivaliser avec la trilogie grandiose des années 1965-1966 qui n’a cessé de hanter les mémoires : “Bringing It All Back Home”, “Highway 61 Revisited”, “Blonde On Blonde”. Dès les premières notes, “Blood On The Tracks” s’impose avec évidence comme un disque majeur. “Tangled Up In Blue”, qui l’ouvre, rivalise avec les morceaux de bravoure “A Hard Rain’s A-Gonna Fall”, “Like A Rolling Stone” ou “Desolation Row”. L’homme n’est plus le même, il est entré dans une phase de maturité. Le voilà confronté à un problème existentiel, celui de la séparation d’avec sa femme Sara. L’aura qui entoure “Blood On The Tracks” tend à déprécier tout ce qui s’est passé entre 1966 et 1975. Dylan aurait été rendu à lui-même : le voici à nouveau capable de défier le fantôme de son époque héroïque.
BOB DYLAN
Du sang, de la peine, de la souffrance
Quand il commence à l’été 1974 à écrire sur son petit carnet rouge à spirale les chansons qui figureront sur “Blood On The Tracks”, Dylan est conforté par un succès retrouvé qui déclenche une très forte attente autour de son nom. D’autant que, dans cette ferme du Minnesota, récemment acquise où il passe son été, il est accompagné d’Ellen Bernstein, une cadre de Columbia, qui ne sera sans doute pas étrangère à son retour dans le giron de son label d’origine. Dans la presse, il n’est alors plus question de ces nouveaux Dylan, auxquels on faisait souvent allusion au début des années 1970 dès qu’un nouvel artiste équipé d’une guitare publiait un album : Bruce Springsteen, Elliott Murphy et d’autres ont eu droit à cet épithète. A trente-quatre ans, le vrai Dylan occupe le devant de la scène et plus personne ne peut lui disputer sa couronne. Avec les chansons de “Blood On The Tracks”, le Zim tient un ensemble cohérent, qu’il ne faut pas dénaturer. Au contraire, il s’agit de donner à l’album toute la puissance qu’il mérite et cette question soulèvera bien des tergiversations, jusqu’à aujourd’hui pas tout à fait tranchées, tant sur le plan des textes que des arrangements. Soumises à de nombreuses corrections et variations, les paroles impliquent le plus intime de son être, comme dans “Simple Twist Of Fate” ou “Idiot Wind”. Dans les interprétations live, les textes continueront à varier. Trait assez typique du caractère dylanien, à savoir que, même enregistrée, une chanson continue à évoluer aussi bien dans ses paroles que dans ses sonorités. Toute sa vie le démontre. Après avoir joué quelques morceaux au mois d’août à son vieux complice Mike Bloomfield — le génial guitariste du Paul Butterfield Blues Band qui l’accompagna sur “Highway 61” et lors de la fameuse nuit du festival de Newport en 1965 — sans pouvoir le convaincre de participer, Dylan entre à New York aux studios A&R, anciennement studio A, où il avait enregistré six de ses albums historiques dans les années 1960. Au départ, il compte faire appel à Eric Weissberg et à son propre groupe Delivrance. Cependant, la première séance, le 16 septembre, ne se déroule pas conformément aux souhaits de Dylan, parfois difficile à suivre dans ses exigences. De cette première journée ne survivra sur l’album final que le bluesy “Meet Me In The Morning”. Il retourne au studio du 17 au 19 septembre avec de nouveaux musiciens (Paul Griffin à l’orgue, Buddy Cage à la pedal steel), à l’exception du bassiste Tony Brown qu’il a gardé, et réenregistre les chansons. Au cours de ces sessions, Dylan se laisse aller comme jamais. Sa voix exprime un degré d’émotion rarement atteint. Il est au sommet de son art. Ce n’est plus un artiste qui s’exprime, mais un homme dont le cœur est en train de chavirer et qui communique sa douleur. Il y a du sang, de la peine, de la souffrance dans ces chansons-là. Dylan ne fait pas le
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A trente-quatre ans, Dylan occupe le devant de la scène et plus personne ne peut lui disputer sa couronne malin et va aussi loin que son âme lui permet. Toute cette intensité passionnée se retrouve saisie lors des sessions de septembre 1974, menées sous la houlette de Phil Ramone, et qui font l’objet aujourd’hui d’un nouveau volume des Bootleg Series, après que des extraits ont été distillés depuis une trentaine d’années, où l’on retrouve également les deux titres qui finalement n’ont pas été retenus dans la sélection finale : “Up To Me” et “Call Letter Blues”. Avec des surprises, telle cette présence, dans un studio voisin, de Mick Jagger qui passera une tête et dont la voix fut capturée.
De face et de profil Sitôt les enregistrements achevés, les titres mixés, un test pressing est réalisé que Dylan, de retour à Malibu, fait écouter à Robbie Robertson et quelques proches. Columbia espère sortir l’album avant Noël. Entretemps, la relation avec Ellen Bernstein s’effiloche et Dylan semble tenter une réconciliation avec Sara. Une incertitude demeure quant au destin de l’œuvre. Dylan la fait alors écouter à son jeune frère, David Zimmerman, qui lui suggère de réenregistrer la moitié des titres. Pour quelle raison ? Il craint que le disque rencontre peu d’écho en raison de l’aridité du son et lui propose de l’électrifier. Le 27 et le 30 décembre 1974, il s’occupe de lui trouver des musiciens et de réserver un studio, le Sound 80 à Minneapolis. En fait, Dylan ne fait pas que modifier les arrangements, il en profite encore pour amender les textes. Cinq titres feront l’objet d’un réexamen : “You’re A Big Girl Now” et “Idiot Wind” le premier jour, “Tangled Up In Blue”, “Lily, Rosemary And The Jack Of Hearts” et “If You See Her Say Hello” le second. Les noms des musiciens qui l’accompagnent lors de ces sessions n’apparaîtront jamais sur les éditions successives de l’album. Les voici pour la postérité : Kevin Odegard (guitare), Peter Ostroushko (mandoline), Billy Peterson (basse), Gregg Inhofer (claviers), Bill Berg (batterie). En tout cas, en électrifiant davantage ces titres, Dylan les rendait plus percutants et s’éloignait de ce dévoilement qui mettait son cœur à nu. La suite de l’histoire est connue. Sorti le 17 janvier, l’album est dans l’ensemble très bien accueilli par le public (numéro 1 aux Etats-Unis, numéro 4 au Royaume-Uni), un peu moins par la critique. Jon Landau, dans Rolling Stone, exprime des réserves trouvant l’orchestration “bâclée” — comme d’habitude. Dans le New Musical Express, Nick Kent se montrera plus sévère encore. En revanche, Michael Gray — un des meilleurs dylanologues au monde, auteur de deux sommes indispensables “Song And Dance Man III” et “The Bob Dylan Encyclopedia” — percevra, lui, dans sa critique pour Let It Rock, “l’album le plus remarquablement intelligent des années 1970”. Avec “Blood On The Tracks”, il apparut clairement que Bob Dylan était loin d’avoir dit son dernier mot, que son écriture allait encore surprendre par ses trouvailles. L’homme entrait dans une nouvelle phase de plénitude et de maîtrise. Il en va ainsi pour un des morceaux phares de l’album, sinon le plus important, une de ses meilleures chansons jamais écrites : “Tangled Up In Blue”.
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Cette vue mérite d’être plus que relativisée, car lors de sa retraite consécutive à l’accident de moto de 1966, il enregistre avec le Band les “Basement Tapes”, dont on peut aujourd’hui mesurer, dans leur intégralité, à quel point il s’agit d’un chef-d’œuvre, puis des albums remarquables, “John Wesley Harding” surtout, mais aussi “Nashville Skyline”. Très décrié à sa sortie, “Self Portrait” a fait l’objet d’une réévaluation à la faveur de la sortie du “Bootleg Series Vol 10”. Quant à “New Morning” ou “Pat Garrett & Billy The Kid”, voilà des albums fort honorables — pas aussi flamboyants que ceux du début, mais qu’on aurait tort de rejeter en bloc. On écartera l’album “Dylan” sorti à son insu par Columbia. Il signe avec David Geffen chez Asylum. En 1974, il réussit un coup double avec ses amis du Band : “Planet Waves”, numéro 1 au Billboard à sa sortie, suivi d’une tournée triomphale d’une trentaine de dates aux Etats-Unis et d’un disque live, le premier de sa carrière, “Before The Flood” qui paraît en juin.
BOB DYLAN
Ce n’est plus un artiste qui s’exprime mais un homme dont le cœur est en train de chavirer et qui communique sa douleur Bien sûr, on peut y chercher une interprétation biographique en voulant retrouver des détails de la vie de Dylan ou de ses proches, disséminés sous forme d’allusions ou de réminiscences. Là n’est peut-être pas l’essentiel. C’est dans la narration que s’opère cette révolution (“revolution in the air”). Le narrateur glisse du je au il en racontant sa vie. Le passé et le présent se chevauchent dans un télescopage temporel. Des éléments autobiographiques se mêlent aux sentiments les plus intimes. Au cours d’entretiens, Dylan a pu déclarer qu’il avait composé cette chanson comme on peint une toile. Ce serait, à titre de comparaison, à la manière de Picasso qui représente le visage d’un modèle de face et de profil à la fois. Il convient de rappeler ici l’influence de l’art pictural au cours de l’écriture de “Blood”. Au tout début de l’été à New York, il fait la connaissance de Norman Raeben, un professeur de peinture recommandé par des amis californiens. A un moment où sa vie part en vrille, Dylan trouve en Raeben plus qu’un professeur, un éclaireur qui lui fait prendre conscience d’autres plans de réalité. Dylan a toujours pratiqué la peinture : on se souvient des toiles sur les pochettes de “Music From Big Pink” du Band, de “Self Portrait”, de “Planet Waves”, des dessins de la première édition du recueil “Writings And Drawings”, sans compter ses nombreuses expositions qui continuent encore aujourd’hui. C’est cette influence-là qui s’exprime dans “Tangled Up In Blue” avec différentes perspectives (“from a different point of view”). Comment ne pas y voir des prémonitions
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de ce qu’allait devenir sa vie : “I seen a lot of women”, “You look like the silent type”, “But me I’m still on the road”. On pourrait ainsi multiplier les vers prophétiques de celui qui a perçu des vérités enfouies. Pas étonnant que “Tangled Up In Blue” se soit imposé comme un des classiques de Dylan sur scène. Il s’agit du quatrième titre le plus souvent interprété — après “All Along The Watchtower”, “Like A Rolling Stone” et “Highway 61 Revisited”. A ce jour, on ne compte pas moins de 1700 versions de ce classique, avec de nombreuses et profondes variantes. A noter que le titre a disparu — pour l’instant ? — des setlists de la tournée de l’automne 2018... Au détour d’un vers, il évoque sa partenaire qui ouvre le livre d’un poète italien du treizième siècle. S’agit-il de Dante ? Toujours est-il que dans “You’re Gonna Make Me Lonesome When You Go” — destiné directement à Ellen Bernstein puisqu’il cite même Ashtabula, la ville natale de sa maîtresse — il compare ses amours à celles de Verlaine et de Rimbaud. Encore une allusion poétique dans un océan de sanglots. Car cet album grandiose est aussi une œuvre de tristesse, avec ses “seaux de pluie et ses seaux de larmes”. Dylan avait bien conscience de dévoiler un pan entier de ce qui lui était le plus cher. Une tonalité mélancolique berce tout le disque, malgré le renfort électrique des sessions de Minneapolis, dont aucun outtake ne semble avoir été conservé — s’il y en a jamais eu... Le succès et l’estime suscités par le disque sont même allés jusqu’à embarrasser l’intéressé lui-même. Au micro de son amie Mary Travers (la jolie blonde de Peter, Paul And Mary), il déclarera en mars 1975 dans une rare interview radio : “Nombre de gens me disent qu’ils adorent cet album, mais j’ai un peu de mal avec ça. Comment peut-on aimer pareille souffrance ?” Chez Dylan, la grâce du verbe alliée à la puissance de l’interprétation illumine la douleur la plus noire, le chagrin le plus profond. D’où cette volupté. La délicatesse d’un “If You See Her, Say Hello” repose sur sa simplicité, mais elle touche juste. Jamais Sara n’exprimera d’opinion à l’égard de ces titres. En revanche, leur fils Jakob dira qu’il lui semblait entendre ses parents converser en écoutant l’album. Certaines chansons prennent une autre signification avec le temps. Le 13 octobre 2016, lors d’un concert au Chelsea Theatre de l’hôtel The Cosmopolitan à Las Vegas, le soir de son attribution du prix Nobel de littérature, Dylan ressortit sa Stratocaster — fait de plus en plus rare — sur “Simple Twist Of Fate” : en effet, suite à pareille consécration, il ne pouvait y avoir de plus “simple retournement du destin”.
Un tire-bouchon au coeur “Blood On The Tracks” continue à autant fasciner parce que c’est aussi un album qui traite du temps et de son impitoyable écoulement. “Time is a jet plane”, en amour comme dans tout le reste. Dylan a su le graver dans un classicisme intemporel si bien qu’aujourd’hui avec toutes les versions studio connues datant de ce mois de septembre 1974, on n’aura plus à se demander si l’on préfère les prises acoustiques ou électriques. Reste cette expression “d’un mal qui s’en va qui revient/ comme un tirebouchon au cœur” (“With a pain that stops and starts/ Like a corkscrew to my heart”). En juin 1975, six mois après la parution de l’album, sortait une version très amputée des “Basement Tapes” réalisées avec le Band. Fin juillet, il était déjà en studio, avec d’autres musiciens encore, à enregistrer “Desire”, qui ne paraîtra qu’en janvier de l’année suivante. Il allait lancer la Rolling Thunder Revue et le tournage du film “Renaldo Et Clara”. Si le destin de son mariage avec Sara était scellé dès la composition de “Blood On The Tracks”, le divorce n’interviendra qu’en juin 1977, soit deux ans et demi après la sortie du disque. Tout cela remonte à plus de quarante ans. Le sang et les larmes ont peut-être séché, demeure l’éclatante inspiration d’un artiste adepte des renaissances. ★ Coffret “More Blood, More Tracks — The Bootleg Series Vol 14” (Columbia/ Legacy)
Story
L’histoire d’un jeune homme, Billie Joe, qui s’est suicidé en sautant du pont de Tallahatchie
BOBBIE GENTRY
Un coffret exceptionnel réunit tous les enregistrements de la fille de Chickasaw pour Capitol. Un rêve, tant ses albums légendaires ont été peu ou mal réédités. Retour sur une carrière unique en son genre avant la plus énigmatique des disparitions.
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PAR NICOLAS UNGEMUTH “JE SUIS PROBABLEMENT L’UNE DES SEULES PERSONNES DE MA GENERATION A ETRE ALLEE A L’EGLISE DANS UNE CARIOLE TIREE PAR DES MULES, PUIS A M’ETRE DEPLACEE EN JETS PRIVES.” Quand Bobbie Gentry, née Roberta Lee Streeter en 1942, faisait cette déclaration alors que sa carrière était bien entamée, elle ne mentait pas. Elle, et quelques autres très rares, dont Johnny Cash ou Dolly Parton, sont passés assez rapidement du dénuement le plus absolu à la célébrité globale. Gentry est connue pour être “la fille du comté de Chickasaw”, pas très loin de Woodland, de Tupelo et de Clarksdale, dans la région du Delta du Mississippi (à ne pas confondre avec le delta du fleuve, là où il rejoint la mer). L’Etat du Mississippi, actuellement le plus pauvre des Etats-Unis, et le Sud au sens large auront influencé toutes ses grandioses compositions durant l’intégralité de sa carrière, laquelle est résumée dans un monumental coffret (voir pages Rééditions) alignant
tous ses albums pour Capitol, celui en duo avec Glen Campbell, un live à la BBC qui n’avait jusqu’ici été disponible que durant un Record Store Day, et de nombreux bonus, singles et démos (souvent très proches des versions finies, ce qui en dit long sur son talent et sa confiance en elle). A son sujet, certains parlent de country soul et elle se retrouve d’ailleurs incluse dans les excellentes compilations “Country Soul Sisters” (Soul Jazz), d’autres, de housewife goth, ce genre plein de chansons dramatiques prisées par les femmes au foyer américaines de la fin des années 60, dont l’initiateur pourrait être Roy Orbison, le maître masculin Glen Campbell via ses interprétations magiques des classiques mélancoliques de Jimmy Webb (“Wichita Lineman”, “By The Time I Get To Phoenix”, “Galveston” ou le monstrueux “It’s Only Make Believe” de Conway Twitty), et la prêtresse absolue Bobbie Gentry grâce à son classique morbide et sinistre, “Ode To Billie Joe” (repris chez nous par le louche Joe Dassin).
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BOBBIE GENTRY
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levée par sa grand-mère dans une ferme, elle a plus tard rejoint son père et sa belle-mère dans la pauvre ville du Delta, Greenwood — une région qui a enfanté certains des plus grands bluesmen d’avant et d’aprèsguerre — avant de rejoindre sa mère en Californie, à Palm Springs, richissime lieu de villégiature des stars de Los Angeles, et concentré de desert modernism, architecture aussi épurée que sublime. Là, elle étudie le piano, la guitare et le banjo, et dessine également sa propre ligne de vêtements. Elle se produit sur scène avec sa mère, adopte le pseudonyme de Bobbie Gentry en référence au film “Ruby Gentry”, part étudier la philosophie à Los Angeles avant de rejoindre le Los Angeles Conservatory Of Music où elle étudie l’art de la composition, l’harmonie et les arrangements. Elle lance une ligne de maillots de bains, chante et danse dans des clubs à San Diego et Las Vegas, rejoint la troupe exotica de Johnny Ukulele et continue d’écrire ses propres chansons. Ce n’est pas étonnant que son premier enregistrement soit un duo avec le champion de la chanson tragique : Jody Reynolds a rencontré un succès énorme en 1958 aux Etats-Unis avec le glauquissime “Endless Sleep” qui a lancé la mode des death songs ; il est plus connu en France par les amateurs du Gun Club pour le tout aussi déprimant et gothico-rockab-maniacodépressif “The Fire Of Love”, dont il est l’auteur et le génial interprète. Ensemble, ils sortent un single (“Stranger In The Mirror”/ “Requiem For Love”) sur le label Titan en 1966 sous l’intitulé Jody & Bobbie. Puis, elle rencontre le grand chanteur de blue eyed soul Bobby Paris (vénéré dans le milieu Northern Soul pour son grandiose “Night Owl”), qui lui propose d’enregistrer les démos qui serviront plus tard à l’album “Ode To Billie Joe”. Repérée sur scène par un DJ, elle commence à faire parler d’elle et est rapidement signée par Capitol, à qui elle présente les chansons qu’elle entendait écrire pour d’autres chanteurs : Bobbie Gentry voulait en réalité être une sorte de nouvelle Carole King et, pour “Ode To Billie Joe”, elle avait en tête le chanteur de soul grand public Lou Rawls. Mais, lorsqu’ils entendent sa voix — et quelle voix — les pontes de Capitol décident sur le champ de sortir ses propres versions de “Mississippi Delta” (prévu pour la face A du single) et de “Ode To Billie Joe” (censé se retrouver sur la face B). Arrive le producteur Kelly Gordon, que Bobbie adore : il travaillera avec elle sur trois albums. Puis l’arrangeur Jimmie Haskell, qui a fait des merveilles pour Elvis Presley, Bobby Darin et Fats Domino. Ses arrangements de cordes pour “Ode To Billie Joe” donneront un aspect encore plus dramatique à la chanson (“Le morceau de Bobbie ressemblait à un film, j’ai donc conçu des arrangements de cordes comme pour un film”, expliquera-t-il, et, de fait, lorsque la narratrice explique dans la dernière phrase qu’elle se rend régulièrement sur le pont pour jeter des bouquets de fleurs dans la rivière en hommage au suicidé, on les entend littéralement tomber grâce aux cordes de Haskell : son travail est fantastique). Le résultat est tellement impressionnant que les gens de Capitol décident de sortir le morceau sur la face A du single.
On connaît la suite : en 1967, année de “Sgt Pepper”, le single se retrouve numéro un des charts pop et country aux Etats-Unis, numéro 1 au Canada, numéro 13 en Angleterre, remporte trois Grammies dont celui des meilleurs arrangements pour Haskell, et se vend à des millions d’exemplaires. Du jour au lendemain, Bobbie Gentry devient une star mondiale...
L’ivresse des charts Tout a été dit sur cette chanson étrange, sans refrain, sans montée mélodramatique, tout en épure, à peine portée par les accords syncopés de la petite guitare Martin 5-18 de Gentry (qui, sur tous ses enregistrements, sonne presque comme une guitare espagnole aux cordes en nylon) et baignée dans les cordes flippantes de Haskell. L’histoire d’une jeune fille qui raconte un dîner familial durant lequel tout le monde parle tranquillement d’un jeune homme, Billie Joe, qui s’est suicidé en sautant du pont de Tallahatchie dans la ville de Money (population : 100 habitants ; la ville est connue pour un lynchage et a déjà chantée par les Staple Singers et Bob Dylan) après avoir, la veille, jeté “quelque chose” dans la rivière en compagnie d’une jeune fille (un bébé, peut-être), tandis qu’autour de la table, on redemande “une autre part de tarte aux pommes”. Pourquoi le garçon s’est suicidé, personne ne le sait. “Cela parle de l’indifférence et de la décontraction des gens face aux situations dramatiques”, s’est contentée d’expliquer l’auteur. La chanson reste un mystère sans la moindre résolution, et les critiques, impressionnés par la qualité de la narration, ont convoqué à son sujet les grands héros du genre southern gothic : Harper Lee, William Faulkner, Carson McCullers et Flannery O’Connor. Rien que ça... Encouragée par ce succès phénoménal, Gentry enregistre le reste de son premier album, celui avec la fameuse pochette qui la voit assise sur une barrière, pieds nus avec un jean et sa petite Martin. C’est un début fantastique, qui s’ouvre avec le super soul “Mississippi Delta”, ode à ses origines, enchaînant directement sur la grandiose composition “I Saw An Angel Die”. Ces deux titres résument parfaitement le genre de la dame : d’un côté, des machins moites et funky, de l’autre des ballades pleines de cordes et d’accords de guitare délicats sur des rythmes presque bossa, un harmonica chromatique aux antipodes des clichés du blues et quelques cuivres, sur lesquelles sa sublime voix de chatte enrouée fait systématiquement des miracles. L’album “Ode To Billie Joe” réunit neuf compositions de Bobbie dont plusieurs splendeurs (“Chickasaw County Child”, “Papa, Won’t You Let Me Go To Town With You”, “Hurry Tuesday Child”, “Sunday Best” ou “Niki Hoeky”, qui sonne comme du super Tony Joe White acoustique, un auteur avec lequel elle partage d’ailleurs plus d’un trait) et s’achève sur le tube phénoménal. Son unique. Ce morceau sinistre semble maudit : plus jamais Bobbie ne retrouvera l’ivresse des charts.
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Rien de country ici, juste une tuerie ultra sensuelle
En attendant, avec son bouffant, ses faux cils et son khôl, c’est une southern belle chic et flamboyante qui, de face, ressemble à une Priscilla Presley artiste et plus mûre... Pour la suite, elle envisage un album conçu comme un hommage au Sud qu’elle aime tant. “The Delta Sweete” (dans le patois local, une sweete est une mignonne), qui sort en 1968, est une nouvelle féerie sudiste. Le bal s’ouvre avec le monstrueux “Okolona River Bottom Band” mélangeant une fois de plus ses accords à la guitare acoustique et des cuivres funky tandis que la brune chante comme une dingue en rut. Peut-on parler de country soul ? Il n’y a rien de country ici, juste une tuerie ultra sensuelle, qu’elle réitère un peu plus loin avec le jovial et dément “Reunion”. Mais la merveille de l’album est “Mornin’ Glory”. Un enchantement sonore dans lequel une femme à la voix pleine de sommeil réveille doucement son amant. Un critique inspiré a dit que c’était “comme entendre les rayons du soleil percer peu à peu à travers les rideaux”. De toutes ses compositions, c’est sans doute celle qui affole le plus. Des reprises singulières de “Big Boss Man”, “Tobacco Road” et de “Parchman Farm” dispersent et chahutent un peu son propre songwriting, mais “The Delta Sweete”, musicalement plus diversifié que son prédécesseur sorti la même année, reste l’un de ses meilleurs albums, même s’il marche nettement moins bien, malgré le gentil succès de “Okolona River Bottom Band” dans les charts et la beauté fulgurante de “Jessye’ Lisabeth” ou de “Courtyard”. On ne peut pas dire la même chose pour le suivant, “Local Gentry”...
Chez Capitol, on s’affole : les nouvelles compositions ne se vendent pas comme son premier et mythique single mortifère. Il s’agit désormais de remplir l’album de reprises de chansons à succès, et les statistiques montrent que le processus ne cesse de se développer : sur son premier album, on comptait neuf compositions originales pour dix morceaux, sur le deuxième, huit pour douze, sur le troisième, cinq pour onze, sur le quatrième, trois pour dix, et pour le cinquième, une sur neuf. C’est un drame que les producteurs aient ainsi littéralement bourrés ses nouveaux albums de reprises de succès du moment, tant son talent de compositrice était phénoménal... Pour “Local Gentry”, outre son merveilleux et sexy “Sweete Peony” et le délicieux “Recollection”, ce ne sont pas moins de trois morceaux des Beatles (signés McCartney, son Beatle favori) qui envahissent l’album, et, ni “Here, There And Everywhere”, ni “Eleanor Rigby”, ni “The Fool On The Hill” ne se prêtent réellement à son style sudiste. Le disque est un flop et Capitol décide de tenter le tout pour le tout en lui faisant enregistrer un album de duos avec la superstar Glen Campbell, génial interprète que
BOBBIE GENTRY
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Elle a tout simplement disparu à l’âge de 37 ans. Aucun enregistrement, aucune apparition publique, aucune interview, aucune photo depuis Bobbie apprécie, ce qui est réciproque. Un album inutile et raté tant les nouvelles versions des classiques de Campbell ou de Gentry n’apportent à peu près rien aux chefs-d’œuvre originaux enregistrés individuellement. Elle y chante, d’ailleurs, d’une voix inhabituellement aiguë qui efface tout son charme sensuel (ce qui est flagrant sur la reprise de “My Elusive Dreams”, connue dans sa version chantée par Nancy Sinatra et Lee Hazlewood, comme sur celle totalement absconse du merveilleux “Sunday Morning” de Margo Guryan). En 1969, elle sort “Touch’Em With Love”, qui compte encore de nombreuses reprises Ses versions de “Where’s The Playground Johnny” de Jimmy Webb, de “Son Of A Preacher Man” ou de “I’ll Never Fall In Love Again”, le classique de Bacharach, sont agréables, mais ne valent pas ses rares mais excellentes compositions comme “Glory Hallelujah How They’ll Sing” ou le féerique “Seasons Come, Seasons Go”, sans doute l’une des plus belles chansons du monde... Capitol resserre les boulons pour l’album suivant, “Fancy”, et décide d’enrôler le génial Rick Hall, grand manitou des studios FAME de Muscle Shoals où il a supervisé tant de choses fantastiques. Hall est un fan de Gentry et ses musiciens semblent parfaits pour enrober ses classiques sudistes. L’album, globalement très bon, brille pour “Fancy”, l’une de ses plus grandes compositions : l’histoire d’une mère qui force sa fille à se prostituer, laquelle passe de la pauvreté du Sud à la richesse la plus absolue de New York, mais à quel prix ? C’est, une fois de plus, un chef-d’œuvre narratif et les équipes de Muscle Schoals habillent le tout avec une classe absolue. Suivent de bonnes versions de “Something In The Way She Moves” de James Taylor, de “Rainmaker” de Harry Nilsson, de “Wedding Bell Blues” de Laura Nyro, et une mignonne version de “Raindrops Keep Falling On My Head”, autre classique bacharachien (un single propose une gentille relecture de “In The Ghetto” d’Elvis, mais trop fidèle à l’originale : seul Nick Cave est parvenu à en faire quelque chose). A l’époque, Bobbie vend moins de disques, mais sa popularité reste énorme : elle anime des shows télé aux USA, au Canada, et même pour la BBC anglaise...
Elle est invitée partout, y compris dans l’émission de Tom Jones, qui semble très impressionné (les deux auraient eu une brève aventure), se marie et divorce, et aligne les shows à guichet fermé à Las Vegas. En 1971, elle décide d’enregistrer, écrire et produire son sixième album, “Patchwork”, qui sera aussi son dernier. Entrecoupé d’interludes orchestraux, “Patchwork” est un album touchant, mais trop lisse, trop sage. La Gentry, toujours sensuelle, semble avoir laissé sa sauvagerie au placard, et même si les ballades (“Marigolds And Tangerines”) brillent encore par leur délicatesse, “Patchwork” n’est pas le génial album réunissant de brillantes compositions inédites tant attendu, mais commence à tirer sérieusement vers le style MOR typiquement seventies, dont quelques bricoles rétro façon faux ragtime à claquettes comme il se pratiquait à l’époque. Et c’est ici, en 1971, soit quatre ans seulement après ses débuts fracassants, que s’achève la carrière discographique de celle qui fut l’une des plus grandes chanteuses et auteurs de son temps, véritable styliste inventant un genre musical jamais entendu avant ni après. La suite est un mystère...
Retirée du monde Après la routine des concerts dans les casinos mafieux de Vegas ou du lac Tahoe, Bobbie a chanté une dernière fois en public en 1981, puis s’est rendue à la cérémonie des Country Music Awards un an plus tard. Après quoi, elle a tout simplement disparu, à l’âge de 37 ans. Aucun enregistrement, aucune apparition publique, aucune interview, aucune photo n’a filtré depuis. Elle aurait quitté Los Angeles vers 1984 pour aller vivre dans la mythique ville sudiste de Savannah (Géorgie). Dans les années 90, un postier aurait déclaré avoir livré avec son équipe un piano à une femme qui lui ressemblait énormément sur l’île de Skidaway, toujours en Géorgie. Puis, plus rien. Bobbie Gentry s’est retirée du monde, vivant désormais recluse, comme Hedy Lamarr, Greta Garbo, Marlene Dietrich, Syd Barrett ou JD Salinger avant elle. Aujourd’hui, elle doit avoir 76 ans. Qui sait si elle a écrit des chansons depuis 1971 ? Qui sait si elle révèlera un jour pourquoi Billie Joe McAllister a sauté du pont de Tallahatchie ? ★ Coffret “Bobbie Gentry, The Girl From Chickasaw County” (Capitol/ UMC, Import Gibert Joseph)
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En couverture
“J’ai fait écouter le nouveau mixage à Paul. Pas de force, mais pas loin”
THE BEATLES
IL ETAIT UNE FOIS LEUR REVOLUTION Le 22 novembre 1968, les quatre fabuleux publiaient un neuvième album double et blanc, fourre-tout grandiose enregistré dans une période de tumultes. Mise en perspective, 50 ans après, en compagnie de Giles Martin, responsable sonore de l’imposant coffret anniversaire. SUR LE COUP, DON McCULLIN N’EN EST PAS REVENU. Que John Lennon lui demande d’immortaliser les Beatles avec lui, allongé comme mort, au milieu. Photographe de guerre dont les clichés du Vietnam avaient fait le tour des unes de journaux, McCullin en avaient vu d’autres, mais la suggestion de Lennon, tristement prémonitoire, l’a sidéré. A la fois, il n’était plus à ça près. Sollicité à la mi-juillet 1968 pour shooter le groupe en studio pour la couverture de Life, puis, le lendemain, en vadrouille dans Londres, le photographe n’a jamais su pourquoi les Beatles avaient pensé à lui. Mais voilà, à cette époque, les quatre faisaient leur révolution. Oh, pas celle des étudiants qui, un peu partout, étaient descendus dans les rues pour signifier leur ras-le-bol de ce qu’incarnaient et faisaient les adultes. C’est avec eux-mêmes que les Beatles en décousaient. La mort de Brian Epstein avait provoqué un séisme et si “Sgt. Pepper” avait confirmé la pérennité de leur mise en orbite, “Magical Mystery Tour” avaient laissé apparaître des failles béantes comme des crevasses.
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Le 29 juillet, Don McCullin a utilisé quinze rouleaux de pellicule pour parvenir à cerner, dans un même cadre, quatre garçons dans la bourrasque de leur carrière météorique (leur premier album n’était sorti que cinq ans plus tôt) et déjà finissante : deux egos surdimensionnés (Paul McCartney, un peu chef des opérations, John Lennon, l’esprit considérablement happé par Yoko Ono, l’amour de sa vie), un frustré (George Harrison, parce qu’on n’accordait pas assez d’intérêt à ses chansons) et un autre (Ringo Starr, las des parties d’échecs avec l’ami assistant Mal Evans ou, pire, que Paul joue de la batterie à sa place). Mais, contre toute attente et la légende urbaine, McCullin a photographié un vrai groupe : des types qui étaient véritablement ensemble. Car penser que “The Beatles”, mieux connu sous le nom de White Album (et chez nous, de Double Blanc) s’est fait dans la douleur est une erreur. Certes, Ringo a disparu un moment des séances. Oui, George Martin et Geoff Emerick ont aussi quitté le navire. Effectivement, une partie de l’album a été mise en boîte ailleurs qu’à Abbey Road (en l’occurrence à Trident) ce qui paraissait sacrilège. Il y a bien eu des engueulades, mais n’émaillent-elles pas toutes les vraies aventures humaines ? Aucune conception n’est totalement immaculée. L’enregistrement du White Album, comme la journée de shooting (le fameux Mad Day Out), n’a été un pensum que pour ceux qui n’y étaient pas et ont voulu vendre la peau des Fabs avant 1969.
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RECUEILLI PAR JEROME SOLIGNY
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Du même coup, on a aussi approché les titres avec une certaine témérité et différemment de ‘Sgt. Pepper’. Car les Beatles n’étaient plus les mêmes en 1968. Cette année-là, pour la première fois, ils ont tenu à être présent au mixage stéréo. Ils ont donc été notre référence alors qu’avant, seul le mono les intéressait. Pour être tout à fait honnête, je pensais que travailler sur le White Album serait plus aisé. J’ai été présomptueux de croire qu’après ‘Sgt. Pepper’, tout serait facile (rires). Le son de ce double, aux contours plus flous, est différent de celui des autres et c’est d’ailleurs une partie de son charme. Mais essayer de le faire sonner, en 2018, en respectant ce qui avait été fait cinquante ans auparavant, a été un sacré challenge.”
Modernité farouche Avant d’être finalisées, les chansons du Double Blanc ont été maquettées chez George Harrison et l’édition du cinquantième anniversaire propose pléthore de démos (ainsi que des prises studio alternatives) qui n’ont jamais si bien sonné. Elles permettent de juger de l’ampleur du travail de production : “La simplicité de certaines chansons, ‘I Will’ par exemple, ne sous-entend pas forcément qu’elles ont été faciles à arranger, précise Giles. En studio, faire que ça sonne simple est souvent très compliqué. Le rôle de mon père a parfois paru minimal, mais lorsqu’on compare les démos des chansons à leurs versions finales, on constate qu’il y a un monde entre les deux. Sur les morceaux acoustiques, il est arrivé que mon père ne conseille que d’infimes modifications d’accords, mais elles ont fait toute la différence. Et pourtant, comme vous savez, il n’a jamais tellement aimé ce disque. Il considérait que le groupe faisait marche arrière et surtout, il était incontrôlable, ce qui ne plaisait pas (rires). Moi, j’ai apprécié cette phase de l’évolution des Beatles. Ils avaient arrêté de tourner et avaient besoin de s’exprimer autrement, mais mon père y a indiscutablement laissé des plumes. Il est parti en vacances et ils ont dû faire appel à Chris Thomas qui s’est retrouvé à les produire sans l’avoir cherché (rires).” Trente chansons, trente-et-une si on compte “Can You Take Me Back?”, absente du tracklisting, mais bel et bien incrustée entre “Cry Baby Cry” et “Revolution 9”, le fameux collage sonore concocté par John et Yoko (avec un peu d’aide de Harrison)
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Ce n’est un secret pour personne que les affaires, le business (et non les femmes !) allaient diviser à jamais le plus grand groupe pop de tous les temps, mais durant l’été 1968, au niveau artistique, le courant passait encore. Giles Martin, fils de son père et aujourd’hui en charge, sur le plan sonore, du travail effectué sur les rééditions Beatles, l’a précisé d’emblée lors de l’entretien qu’il nous a accordé à la fin de l’été : “Il est bien trop simpliste et caricatural de considérer le Double Blanc comme une compilation de morceaux des Beatles obnubilés par leur éventuelle carrière solo, c’était encore un vrai groupe. Celui qui avait écrit la chanson y a généralement le plus contribué, mais la plupart d’entre elles ne seraient pas devenues ce qu’elles sont sans la participation des autres. Paul a toujours dit qu’après les Beatles, c’est ce qui lui avait manqué le plus : ce quelque chose apporté par les autres. Il lui est même arrivé de prendre l’exemple de ‘And I Love Her’, qu’il a écrite, mais pas l’intro de guitare, une contribution de George. Pour beaucoup d’amateurs des Beatles, ce morceau, c’est son intro. Chacun des Beatles savait qu’ils avaient besoin des autres pour bien sonner. Si ‘Pepper’ était une tapisserie, le White Album est un patchwork à l’image du poster glissé à l’intérieur.” Pour apporter de l’eau au moulin de Martin, il suffit de rappeler que beaucoup de chansons du disque ont été composées (les paroles et les titres sont parfois venus plus tard) à Rishikesh, en Inde, où les Beatles s’étaient rendus au printemps. De l’avis des témoins privilégiés de ce séjour (Donovan en tête) qui s’est achevé en eau de boudin (le Maharishi Mahesh Yogi en aurait pincé, un peu trop ouvertement, pour une pensionnaire non consentante de son ashram), aurait, dans une certaine mesure, rapproché John et Paul : grosso modo, chacun savait de quoi ou de qui parlait l’autre dans les chansons écrites là-bas et pouvait en tenir compte au moment d’y mettre sa touche. Cela explique en partie la cohérence de l’album malgré sa disparité stylistique : “C’est le disque le plus varié des Beatles, ajoute Martin, le genre que personne n’oserait enregistrer aujourd’hui : ‘Helter Skelter’, ‘Ob-La-Di, Ob-La-Da’, ‘Yer Blues’, ‘Blackbird’ ! Le côté positif, c’est que nous n’avons pas ressenti le besoin de le remixer dans l’ordre des morceaux. Avec le ‘White Album’, j’ai toujours eu l’impression qu’ils avaient tout balancé sur un mur, un peu à la manière de Jackson Pollock, et que le disque, en fait, c’est ce qui est resté collé.
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“Les Beatles n’étaient plus les mêmes en 1968. Pour la première fois, ils ont tenu à être présents au mixage stéréo” qui excède huit minutes et les amateurs de mélodies fines. Selon Ringo Starr (dans le documentaire “Anthology”), il aurait fallu publier deux disques : le “Blanc” et le “Plus Blanc”. Pour George Martin aussi, comme rappelle son fils : “Je ne suis pas d’accord avec ceux qui disent que le White Album aurait dû être un disque simple et notamment mon père : comme tout le monde, je préfère certaines chansons, mais il y en a que j’ai redécouvertes en travaillant dessus. ‘Happiness Is A Warm Gun’, que les Beatles affectionnaient tout particulièrement, est une de mes préférées : je la trouve vraiment cohérente et d’une modernité farouche. Elle a un côté Frank Zappa ! De même, la version surround de ‘Revolution 9’ est totalement ahurissante, elle fait limite peur (rires). Mais, par exemple, je n’étais absolument pas fan de ‘Wild Honey Pie’ et je la respecte désormais car elle m’a livré ses secrets.” Et le producteur de surenchérir à propos de la richesse du disque qu’il est à deux doigts de considérer comme l’œuvre définitive des Beatles : “On vit aujourd’hui dans un monde où tout est formaté et éphémère, même la musique. Le White Album était le contraire de ça.
Ceux qui ont grandi et vieilli avec l’ont apprécié différemment au fur et à mesure qu’ils avançaient dans la vie. Vous pouvez en aimer certaines chansons à quinze ans et d’autres à trente. Avec l’âge, il arrive que celle qu’on déteste sur un disque devienne notre préférée... Et vous savez, il est si moderne que quelqu’un qui enregistre une guitare sèche aujourd’hui rêve qu’elle sonne comme celle de Paul sur ‘I Will’ ou ‘Blackbird’. Même chose pour le piano de ‘Martha My Dear’ ou ‘Lady Madonna’. J’ai fait écouter le nouveau mixage à Paul. Pas de force, mais pas loin, car ce n’est vraiment pas le disque qu’il passe le plus chez lui (rires). Il a tout écouté sans rien dire et à la fin, il m’a fait : ‘C’est dingue comme ça sonne contemporain, ça pourrait être joué par un groupe d’aujourd’hui, non ?’ Et quoi qu’on ait pu en dire, les Beatles ont su trouver le bon équilibre avec cet album mais, à l’époque, on ne leur passait rien. S’ils étaient trop conventionnels, on leur reprochait et s’ils étaient trop avant-gardistes, aussi. Mon père a eu le même problème lorsqu’il s’est frotté à la musique classique.” Suite page 64
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Finalement, George Martin est revenu. Terminer l’album, mis en chantier fin mai, avec les Beatles. Le départ de Geoff Emerick a permis à d’autres ingénieurs du son, parmi lesquels le non moins excellent Ken Scott, de briller. Tant mieux. Et il est sorti en octobre sur Apple, leur label, la même année que le single “Hey Jude”, un monument à part entière qui, à la différence de sa face B (“Revolution”, dans une version différente de celle du 33 tours), n’est pas dessus. “The Beatles” a été commercialisé dans sa fameuse pochette blanche, ouvrante, signée par l’artiste pop Richard Hamilton, sur les conseils de Paul McCartney. Encore lui. Après les personnages en carton amassés par Peter Blake sur celle de “Sgt. Pepper”, les Beatles, en surface, ont fait table rase. A l’intérieur, en plus du poster, quatre photos grand format. Un album, un temps, numéroté : les quatre premiers ont été offerts aux Beatles et Ringo a vendu le sien, en 2015, au profit d’une organisation caritative. Le White Album, un autre succès (numéro 1 des ventes dans dix pays à sa sortie, près de quinze millions de copies écoulées à ce jour, rien qu’aux USA). Le White Album, une mine d’or, une caverne d’Ali Baba grouillante de chansons qui ont toute une histoire et font référence à leur époque sans accuser leur âge. Un disque miroir pour quatre garçons surfant sur le temps, dont cette réédition (cossue dans sa version la plus complète : plus de cent titres dont, au hasard, cette prise de “Helter Skelter” qui frise les treize minutes) va permettre de vérifier, si besoin était, que leur wagon est bien accroché au train de nos vies. Des Beatles blancs pour qu’on apprécie mieux les couleurs de leur musique. Incoercibles comme le génie. A l’état pur. ★ Coffret “The Beatles — 50th Anniversary Box Set” (Universal)
“The Beatles” en quatre chansons Choisir, c’est mourir un peu. Dans le cas du Double Blanc, extraire quatre chansons du lot est véritablement une douleur. Alors, on propose de revenir sur un morceau de l’album par Beatle. “Back In The USSR”
(Lennon-McCartney) De nombreux journalistes et auteurs ont écrit que Ringo Starr avait quitté les séances du White Album suite à un problème de jeu de batterie, survenu sur sa chanson d’ouverture, signée Paul McCartney. Selon Ken Scott, présent aux sessions, Ringo ne s’est effectivement pas présenté, un jour, en studio, mais pas vraiment à cause de “Back In The USSR”. En vérité, le batteur en avait marre d’attendre qu’on ait besoin de lui. Ou pas. L’ingénieur du son qui, certes, n’est pas infaillible, n’a aucun souvenir d’une altercation à propos du jeu de batterie de Ringo. En son absence, Paul a donc tenu l’instrument sur les premières prises (John Lennon était à la basse et George Harrison à la guitare lead), mais son jeu, pour le coup, n’était pas satisfaisant. Une autre piste a donc été enregistrée sur laquelle, les trois Beatles, se répartissant les éléments du kit de batterie, ont joué ensemble. La piste qu’on entend sur la chanson est un montage (et parfois une superposition) des deux qui ont été enregistrées. Lorsque Ringo est revenu à Abbey Road une petite dizaine de jours plus tard, alors que Lennon et McCartney avaient à peine remarqué son absence, Harrison avait eu la délicatesse de fleurir le studio 2 avec plusieurs bouquets et fait tendre une banderole sur laquelle on pouvait lire : “Welcome back, Ringo”.
“Julia” (Lennon-McCartney)
La plupart des chansons du White Album ont été composées à la guitare sèche et plusieurs d’entre elles jouées en arpèges. C’est essentiellement dû à l’influence de Donovan, le troubadour déjà présent avec eux aux bords du Gange chez le Maharishi. A la demande de John Lennon, il lui a carrément enseigné les rudiments de sa méthode de picking. Elle est particulièrement reconnaissable dans “Dear Prudence” et bien sûr “Julia”. Certainement la contribution la plus chargée sur le plan émotionnel de Lennon au White Album, il s’agit bien évidemment d’une ode à sa mère, mais aussi à Yoko Ono (elle est la fameuse “ocean child”). A l’en croire, Yoko était parvenue à apaiser le traumatisme consécutif au décès de Julia. Influencé par le style de Donovan, chopé en regardant par-dessus l’épaule de John, McCartney a écrit “Blackbird” et “I Will”, mais ne s’est pas abaissé à lui demander le moindre cours.
“While My Guitar Gently Weeps”
(George Harrison) A la différence de ce que prétend la légende urbaine, cette chanson n’a pas été écrite en Inde mais, comme l’a déclaré George Harrison dans le documentaire “Anthology”, chez sa mère, à Warrington. “While My Guitar Gently Weeps” est le premier morceau du White Album à avoir été enregistré avec un 8-pistes. Les Beatles sont bien allés à Trident, où ce type de magnétophone était déjà utilisé, mais pas
parce qu’il n’y en avait pas à Abbey Road. En fait, le studio fétiche des Beatles en possédait deux depuis plusieurs semaines, mais ils n’avaient pas encore été mis en service. L’usage à Abbey Road, dès qu’une nouvelle machine y entrait, était de la faire totalement démonter par les techniciens afin de voir ce qu’elle avait dans le ventre et qu’ils soient capables de la réparer en cas de panne. Cette formalité n’avait pas encore été accomplie lorsque les séances du Double Blanc ont démarré.
“Don’t Pass Me By” (Richard Starkey)
Ringo Starr avait beau être davantage proche de John Lennon et George Harrison durant l’été 1968, aucun des deux n’a participé à sa seule contribution au White Album. Pire, Lennon était relativement embarrassé par cette chanson, un peu country sur les bords, qui aurait été une des premières à être éjectée si le disque avait été simple plutôt que double. C’est donc George Martin et Paul McCartney qui sont responsables de l’intro un peu (et volontairement) bordélique de “Don’t Pass Me By”, écrite plusieurs années avant son enregistrement. Comme la batterie de “Back In The USSR”, le piano y est tenu à quatre mains, par Paul et Ringo. Aujourd’hui encore, au même titre que “Octopus’s Garden”, c’est une incontournable du répertoire de Ringo en solo. Jack Fallon, le violoniste de la chanson, était un Américain installé en Angleterre, musicien devenu tourneur. En 1962, il avait fait jouer les Beatles alors qu’ils n’avaient pas encore décroché le moindre hit. J.S.
La vie en rock
Les derniers feux de la fête
PALACE, BAINS DOUCHES & ROSE BONBON
Quatrième et dernier volet d’une série consacrée aux nuits parisiennes : l’évocation de quelques hauts-lieux des années 80. Un ultime âge d’or ? PAR PATRICK EUDELINE JE ME SOUVIENS DE CETTE ANNEE (1975) OU LE BUS PALLADIUM REOUVRAIT, sous l’égide, certes, de Sam Bernett mais pour des nuits aussi vides que la piste de danse. Je me souviens du Gibus pareillement déserté... Entre le glam rock et l’explosion du punk rock, il y eut... Rien. Et la nuit parisienne était à cette image. Oh, il y avait bien l’Elysée Matignon ou l’Aventure, tenue par Dani, des clubs privés où Gainsbourg sirotait son whisky et où les champions de tennis pouvaient discrètement rouler leur joint. Mais c’est à peu près tout. Les seventies ne se sont pas déroulées comme le croient généralement ceux qui n’y étaient pas, mais les racontent quand même et témoignent néanmoins.
Photo Dymant/ Dalle
Anecdote : Jimmy Page, sur son nouveau label, Swan Song, décide de signer ses amis de toujours, les Pretty Things ! Pour l’occasion, fête est donnée. Rue de Sèvres, pas loin du Bon Marché, dans un endroit si éphémère... que je n’ai pu en retrouver l’intitulé. Ni dans ma mémoire, ni ailleurs. J’y étais invité. Comme Philippe Manœuvre ou Nick Kent. Je revois Nick arriver dans son sublime manteau vert Granny (celui qu’il allait revendre à Chris Wilson et que j’allais racheter à Chris Wilson. Intéressant, non ?). Son étonnante démarche de skieur à la Keith Richards était un bonheur, mais nous étions inquiet pour lui. L’affreux John Bonham était là. Et tout le monde savait qu’après quelques verres (euphémisme) le bonhomme était hors de contrôle.
Qu’il avait promis de se faire le pauvre Nick. En raison, ce me semble, d’une critique pourtant plutôt élogieuse de “Presence” (heureusement, il ne savait pas que j’avais voué ledit disque aux gémonies, bien plus encore que l’ami Kent). De plus, il y avait une piscine intérieure dans le fameux endroit où nous étions conviés. Tout se passa comme prévu. Tout le monde but. Beaucoup trop. John Bonham déchira la veste de Nick par surprise (la fente arrière... tchakkk !) et chercha bel et bien à le précipiter à la baille. Sinon... Jimmy Page mourait d’envie de “faire une jam” avec ses amis des Pretty Things. D’accord. Mais Où ? Nous étions en semaine, certes, mais Paris était devenu si mort que... Non vraiment ! Moi, je bouillais. J’avais un harmonica en poche. Et si ? On peut toujours rêver. Tout le monde se retrouve donc, finalement, au Gibus puisque cela semblait être le seul endroit ou de la musique live pouvait se produire. Le Golf était fermé en semaine. Il y avait bien un groupe qui jouait (son nom a disparu dans les poubelles de l’histoire), mais le guitariste jazz rock avait décidé que, non vraiment, il ne pouvait pas prêter sa guitare à n’importe qui. Même si ce n’importe qui s’appelait Jimmy Page. Ou Dick Taylor. Et par le fait, tout le monde est rentré chez soi. Non, en cette morne époque, entre jazz rock et pub rock, il n’y avait, hors les clubs privés susnommés, que le Sept. La boîte de Fabrice Emaer.
J’étais alors un punk en devenir et, donc, comme mes petits camarades, fréquemment vêtu de cuir noir. Bref, nous étions bien reçus au Sept. Certes, le Sept ne passait quasiment que de la disco. Mais l’endroit était superbe, cool et propice aux rencontres.
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Jenny Bel’Air y tient la porte et Pacadis les banquettes, où il s’écroule chaque nuit ou presque que le diable fait Et Fabrice faisait facilement tomber la bouteille à la table des jeunes gens que nous étions. Le 7 rue Sainte-Anne, à coté du Bronx et du Colony, créait le Paris gay. En 1976, le Gibus devint l’endroit incontournable. Le punk l’avait sauvé de l’ennui ! Le Golf Drouot, lui, était toujours ouvert. Il le sera jusqu’en 1981, mais Henri Leproux avait du mal à négocier les nécessaires virages. Même si des groupes affiliés au renouveau punk y jouaient... En fait, ils y ont tous joué. De Bijou à Asphalt Jungle, en passant par Starshooter et Little Bob. Mais le grand événement fut, bien sûr, l’ouverture du Palace. Hormis pour une pièce de David Rochline dont j’ai un souvenir ému, le Palace n’offrait que peu d’attrait. L’endroit était historique depuis la Belle Epoque (il fut l’Alcazar d’Henri Varna, monta nombre d’opérettes pendant la guerre). On y vit Maurice Chevalier comme Mistinguett. Et même nombre d’officiers nazis. Mais depuis les années soixante, ce n’était plus qu’une salle fatiguée, bien que classée monument historique, qui se consacrait au théâtre d’avant-garde ou expérimental. Tout change quand Michel Guy devient ministre de la Culture et offre à Fabrice Emaer l’occasion de racheter l’endroit. Emaer reconstruit littéralement le Palace à l’image de ce qu’il avait été dans les années 30 et cherche à copier en tous points le Studio 54 qui, alors, fait recette à New York. Le 1er mars 1978, le Palace ouvre avec un show de Grace Jones. Sur le chemin qui mène à cette soirée, Pacadis me lance : “On allait quand même pas rester punk toute notre vie !” Parallèlement aux nuits parisiennes, nombre de concerts rock sont programmés au Palace. Des Cramps au Clash. Le Palace est incontournable. Concerts comme boîte de nuit. Boîte de nuit ? Enfin, et plutôt, Palace de nuit : tout y est disproportionné en ces trois étages. Tout y est rouge et vieil or, comme le costume des serveurs/ faux grooms. Tout le monde se retrouve au Palace, des stars en maraude (de Jagger à Bowie) aux couturiers qui y programment des fêtes délicieusement décadentes. Kenzo, Lagerfeld, Claude Montana, Mugler, et tous les autres, jusqu’aux paumés de la nuit. Paumés mais assez lookés et remarquables pour qu’Edwige ou Paquita, de leur porte les laisse entrer. Et y croiser Grace Jones, Morillon, Didier Lestrade, Andy Warhol, la pubère Eva Ionesco, Amanda Lear ou Pierre Bergé. Peut-être même dans ces immenses toilettes où il se passe tant de choses. En bas du Palace, très vite, apparaît le Privilège. Comme une annexe, un restaurant plus privé que le Palace, avec Henri Flesh, ancien chanteur punk, comme DJ résident. Jenny Bel’Air y tient la porte et Pacadis les banquettes, où il s’écroule chaque nuit ou presque que le diable fait. Certains y perdent leur vie et leur temps, voire leurs illusions. Ce sont encore les temps de l’insouciance. Bientôt, très vite, Fabrice Emaer meurt... Dès 1983, la fête est pliée. Même si elle continue plus ou moins aux Bains Douches. En ligne de mire, il y a le sida, le temps qui passe, le chômage galopant.
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En fait, les Bains sont un parfait contemporain du Palace. Ils ouvrent en 1978. Tout se passe comme si le punk avait réveillé une énergie qui s’applique dans tous les domaines, une sorte de résurrection ou plutôt... de réveil avant la fin, comme les derniers feux de la fête. Comme le Palace, les Bains sont faussement privés. Il y un portier (le premier fut Chino ! batteur et saxophoniste d’Asphalt Jungle circa “Planté” !) qui juge au look. Au feeling. Bien sûr, il y a tout le gratin. Qui vaque dans cet appartement improbable (piscine à côté de la piste de danse, restaurant à l’étage). Comme au Palace, les soirées alternent avec des concerts rock. On y voit le meilleur de l’époque, de Suicide à Jason & The Scorchers. L’almanach des eighties en ce qu’elles ont de meilleur. Comme le Palace, l’endroit est dans le collimateur des flics (des stups surtout... C’est l’époque de l’héroïne chic) et ferme parfois quelques jours. Les Bains n’y échappent pas. Il faut dire qu’un temps, le DJ fut Octavio, le cultissime petit camarade des New Dolls et de Johnny Thunders. Je préférais les Bains au Palace. C’est ainsi. Et puis les Bains sont morts de leur belle mort. Oh ! L’enseigne était là encore, bien sûr. Mais ce n’était plus pareil. La nuit à Paris s’endort vers 1983 ou 1984. Avec une certaine idée des eighties naissantes. Celles qu’illustrait si bien Actuel. Bientôt, ce ne sera plus que crise et sida. Comme il me semble l’avoir déjà dit. Parallèlement aux Bains et au Palace, il y a le Rose Bonbon. Qui fut le Nashville, qui fut la Taverne de l’Olympia. Là étaient programmés les groupes Pop 2. Au début des seventies. Ouvert le même mois que le Palace, le Rose Bonbon est à la new wave ce que le Gibus fut au Punk. Tout le monde, de Trust à Indochine y joue. Cela durera quelques années. Jusqu’en 84. Depuis, il y eut le New Moon à Pigalle, pour tenir le flambeau de la boîte rock”. Le New Moon, à la fin, des années 80, abrite tout ce que Paris compte d’alternatifs. Il y eut, en face, le Pigalle, un court temps. Il y eut l’Erotika... Depuis, je n’ai qu’un seul souvenir, ou quasi, de nuits de Paris. Et c’est le Baron. Au Baron, comme au Palace ou aux Bains, on programme des groupes, malgré l’exiguïté de l’endroit (un couloir !). Au Baron, alors que nous vivons depuis les années 90 sous la domination de la techno, les DJ programment de la musique. Enfin, des chansons. Des chansons de danse. Au Baron, il y a du beau monde, des rencontres et des nuits blanches. Le Baron ouvre en 2004, grâce au célèbre André. L’endroit est donc contemporain du boom des baby rockers et d’un certain sursaut...
Depuis... c’est aujourd’hui. Et je ne sors plus. Mais où irais-je ? Hors le Montana, un temps concurrent du Baron, mais trop privé et qui n’a pour lui que son rooftop, sa prestigieuse adresse (rue Saint-Benoît, à côté du Flore) et son histoire (le jazz et Saint-Germain-des-Prés) le Silencio, qui programme concerts et événements, en qui beaucoup d’espoirs, un temps, furent portés... Mon cœur ne balance guère. Tout cela est triste. L’époque est trop grogneuse pour vivre la nuit. L’interdiction de fumer, pour tout arranger, a mis un coup d’arrêt radical et la nuit semble à l’image de l’époque. Certes, on va me citer Chez Moune (club lesbien historique devenu... club), le Carmen (sympatoche un temps, vu la beauté de l’endroit) ou La Mano, rue Papillon, tous sis à Pigalle ou dans sa proche géographie... Et on aura raison. On peut toujours sortir si on en a l’envie. Ecouter de la vraie musique, c’est une autre affaire. Sinon, la nuit à Paris, c’est aujourd’hui le VIP Room, qui a remplacé le célébrissime Queen (formidable endroit, si on est gay ou qu’on aime la techno). Et plus personne ne sort la nuit, sinon les Marseillais de la télévision. Normal... De Saint Laurent à Gainsbourg ou Benoît Poelvoorde (âme destroy du Baron s’il en fut) ils sont tous morts ou fatigués. Normal, il n’y a plus de rock mais il y a internet. Non ? ★
Disque du Mois Excellence rock’n’roll
The“INAr-Kaics THIS TIME” WICK/ DIFFER-ANT
Et si nous proposions, désormais, le sacre des perdants ? On le sait, la crise a frappé, l’argent se fait rare. Dans notre art préféré autant qu’ailleurs, les spécialistes du marketing ont désormais les manettes et dictent les nouvelles règles : la rentabilité avant tout et la prise de risque quasiment bannie. Nous voici donc dans un monde où, pour survivre, les groupes chéris doivent tourner sans relâche tout en alignant les parutions à un rythme effréné. Le label Wick, quelque part, est l’antithèse de cette tendance déprimante. Fondé en 2016 en tant que filiale de la très chic maison Daptone, spécialisée dans la soul, Wick ne promeut que l’exigence musicale, l’excellence rock’n’roll. Ses premières sélections ont été éblouissantes : d’abord les extraordinaires californiens des Mystery Lights, puis l’esthète pop à moustache Michael Rault. Voici donc venir une nouvelle livraison, tout aussi parfaite. D’où sortent ces Ar-Kaics ? On ne le sait exactement. Trois garçons et une batteuse rouquine établis à Richmond, Virginie, mais qui semblent
PISTE AUX ETOILES
avoir traîné leurs bottes un peu partout aux Etats-Unis, ex-disquaires, collectionneurs invétérés de raretés sixties. Des trentenaires normaux, qui ont trimé dur, de premières parties bien choisies (Mark Sultan, Ex-Hex) en festivals pointus (comme le Gonerfest). D’insouciants passionnés, qui ne rêvent que de recréer la lumineuse période des années 1964-1967, célébrée par les légendaires compilations “Nuggets”, “Peebles” et “Back From The Grave”. Ces paladins de l’archaïsme, les diggers actuels les avaient déjà remarqués pour quelques quarante-cinq tours et un unique album de haut vol, frappés de macarons chéris des connaisseurs. Quatre longues années se sont écoulées depuis ce premier effort, le temps pour les Ar-Kaics d’affûter leurs armes, mûrir leur plan et de procéder à une sélection rigoureuse de leurs meilleurs morceaux. La production, idéalement vintage, a été confiée à deux experts : Wayne Gordon (Black Lips, King Gizzard & The Lizard Wizard) et Mikey Post (Reigning Sound). On se délecte donc,
ici, d’un rock garage de très noble lignée, hautement référencé. Le résultat prend la forme de douze compositions taillées comme autant de singles potentiels, qui n’auraient certainement pas déparé parmi les Chocolate Watchband, Music Machine et Standells. Johnny Ward expurge son désespoir amoureux sous des textes souvent un rien misogynes, dans une tradition qui remonte à “Under My Thumb”, avec une morgue menaçante (“Don’t Go With Him”, “You Turn Me Mad”), sémillant doppelgänger vocal de Sky Saxon et Sean Bonniwell. Les guitares se font ombrageuses, grinçantes, ponctuellement enrobées de fuzz épaisse (“What You Do”), striées de solos tranchants. La rythmique se veut rudimentaire, efficace, sans fioriture. De légères touches de cuivres ou de claviers viennent parfois épicer le propos. Les choses imparables s’enchaînent, miraculeusement. On apprécie par exemple l’euphorisante “Sick ‘N’ Tired” (dont les accords rappellent “House Of The Rising Sun”), la tendue
“No Vacancy” ou encore “Distemper”. Ce “In This Time”, qui n’est décidemment pas de notre temps, est globalement une ode à la frustration post-adolescente (“Marre d’être traité comme un animal !”). On y critique le narcissisme dans la narquoise “She’s Obsessed With Herself”, l’indifférence dans l’angoissante murder ballad “Cut Me Down” ou le capitalisme dans la chanson-titre. Une timide douceur ne finit par percer que lors de la délicate “It’s Her Eyes” (“Je me sens si bien dans ses yeux”) et de la brumeuse et nostalgique conclusion “Long Way Down”, ornée d’un pimpant saxophone. Pour accompagner ce disque à la classe sidérante, les Ar-Kaics ont, enfin, glissé un ultime symbole avec cette pochette au style naïf. L’auteur en est Mingering Mike, un artiste décalé qui, rêvant de devenir une vedette du R&B, a peint les illustrations de ses disques, mais sans jamais les graver. Un outsider, tout comme eux, à qui la gloire sourira peut-être un jour.
✪✪✪✪ JONATHAN WITT
✪✪✪✪✪ INCONTOURNABLE ✪✪✪✪ EXCELLENT ✪✪✪ CONVAINCANT ✪✪ POSSIBLE ✪ DANS TES REVES
DECEMBRE 2018 R&F 071
Disques poprock Jacco Gardner
Dead Can Dance Jeff Tweedy “Dionysus”
“Warm”
Jon Spencer
PIAS
PIAS
DBPM/ PIAS
IN THE RED/ DIFFER-ANT
Il manque quelqu’un à l’appel. Plus exactement, quelque chose : la voix de Jacco Gardner. On l’attend, la guette, la désire tout au long de “Somnium”. Mais non. Pas là, aucun chant. Pourquoi ? Peut-être Gardner était-il garé en double file — trop pressé, il a fait une croix sur les sessions vocales. Hypothèse aussi plausible que celle d’une décision artistique réfléchie. Jacco choisissant d’enregistrer un album instrumental ? C’est pourtant dans le format chanson, couplet-pont-refrain, avec chant et mélodies, que le Néerlandais a fait des miracles : en 2010 avec “Year One” (sous le nom The Skywalkers) puis en 2013 avec “Cabinet Of Curiosities”. Deux merveilles remplies de chansons
Neuvième album studio de Dead Can Dance depuis ses débuts en 1981, le deuxième après la séparation de 1998 et “Anastasis” en 2012, “Dionysus” se présente comme une exploration du mythe de Dionysos, le dieu grec du vin et des excès, du théâtre, de l’ivresse, des orgies et de la transe mystique. Le multiinstrumentiste Brendan Perry et la chanteuse Lisa Gerrard s’inspirent des célébrations païennes de la nature, pour proposer un album allégorique autour des différents visages de Dionysos, de son apparition, “Sea Borne”, jusqu’à l’hiver, l’enfer avant la résurrection printanière, “Psychopomp”. La référence à une thématique particulière n’est pas une nouveauté dans la discographie de Dead Can Dance, “Aion” et le Moyen Age, par exemple, ni la première fois qu’il se confronte à la mythologie grecque, “Into The Labyrinth”, “Anastasis” ou aux musiques du monde, “Spiritchaser”. Brendan Perry a construit “Dionysus” comme une pièce classique, en deux actes et sept mouvements. Des instruments empruntés à tous les continents se combinent aux synthés, aux bruits d’abeilles ou d’oiseaux, aux sons de la nature pour former une
Ça devient un peu compliqué de s’y retrouver dans la discographie de Wilco entre les albums de Tweedy tout court (Jeff et son fils Spencer), de Jeff Tweedy reprenant en acoustique du Wilco (l’anecdotique “Together At Last” de 2017) et maintenant de Jeff Tweedy pendant que Wilco est en pause, le batteur ayant passé une année en Finlande à cause d’une bourse de recherche décrochée par son épouse. “Warm” est en fait surtout l’occasion pour le chanteur de mener de bout en bout quelques expériences à sa façon, sans la formidable caisse de résonnance que peut être Wilco (même si le fiston et Glenn Kotche ont assuré au final les parties de batterie). En bref, une collection de faces B ou de inédites,
En plusieurs décennies d’activité, Jon Spencer a monté une poignée de groupes, mais n’avait pas encore fait le coup de l’album solo. Tâche à la fois aisée — où qu’il plante ses boots, il est facilement reconnaissable — et délicate : s’il a autant attendu, n’est-ce pas parce qu’il a besoin de sparring partners pour s’empêcher de tout envahir ? Avec des morceaux dont aucun ne dure deux minutes, on ne l’accusera pas de jouer ici la carte du superflu. Ni de se réinventer, puisque l’album est un concentré d’essence de pur Spencer, guitare fuzz, percussions fracassées, hoquètements façon Elvis Presley ou Lux Interior. On y distingue un thème : l’authenticité, ou plutôt son absence dans la musique et l’Amérique des fausses nouvelles. Ainsi, “Fake” dégouline de vitriol et peut s’adresser à tout petit branleur sévissant dans un groupe de rock sans âme et ressemble parfois aux accusations que la critique a balancé sur Spencer et son Blues Explosion à leurs débuts (“Pourquoi ne fais-tu pas quelque chose de neuf ?”). Il remet ça sur “Beetle Boots” avec une bonne mesure d’humour vache (“Je ne veux pas de ces faux trucs/ Cesse de jouer avec un couteau à beurre”), sur fond de rock garage cracra et de chœurs jubilatoires. La fin de l’album réserve deux belles surprises, entre
“Somnium”
au niveau des ténors de la neopsychedelia, les Nick Nicely, The Legendary Pink Dots, Paul Roland, Martin Newell... Tous les fans de ce Jacco Gardner-là vont tomber de haut avec “Somnium” — comme certains admirateurs des Beatles ont pu s’arracher les cheveux à l’écoute du “Electronic Sound” de George Harrison ou “Strawberries Oceans Ships Forest” de Paul McCartney. Les instrumentaux de “Somnium” n’ont plus grand-chose à voir avec Syd Barrett ou The Dukes Of Stratosphear : désormais, le Hollandais s’inscrit dans la filiation des musiciens seventies d’Outre-Rhin, les Cluster, Michael Bundt, Harald Grosskopf... Dans ce rayon-là, celui des vignettes électroniques surannées, Gardner se révèle également très doué. Evoluant dorénavant dans le domaine de l’ambiance, de l’atmosphère, il n’oublie pas, comme John Carpenter, de glisser des gimmicks mélodiques. Mais si, la prochaine fois, il pouvait choper une place de parking et prendre le temps de poser sa voix...
✪✪✪ BENOIT SABATIER
072 R&F DECEMBRE 2018
imposante masse sonore. Un mur de percussions est omniprésent, martelant les rythmes de la transe sur lesquels se superposent des chœurs aux voix sans parole et quelquefois un soliste, Gerrard ou Perry. Même s’il n’a pas la splendeur de “Spleen And Ideal”, “The Serpent’s Egg” ou “Aion”, “Dionysus” n’en est pas moins un très beau disque. ✪✪✪ 1/2 PHILIPPE THIEYRE
à la fois attachantes et quelque peu bricolées. Il faudra donc dépasser le single de l’album, “Some Birds”, le titre qui sonne paradoxalement le plus comme du Wilco, en moins bon, pour rentrer dans le cœur du disque, où Tweedy combine souvent à une mélodie apaisée jouée à la guitare acoustique des contrepoints discordants (“From Far Away” retrouve même les ambiances de “Yankee Hotel Foxtrot”). Ailleurs, il va à l’inverse empiler les couches de guitares au-delà du nécessaire (“The Red Brick”), ce qui lui permet d’enchaîner les variations en répétant un motif très simple. C’est en fait une collection assez imprévisible, avec aussi bien des hymnes à la Woody Guthrie que des semi-instrumentaux (“How Hard It Is For A Desert To Die”), au final unis par la voix de l’homme au chapeau, qui apporte effectivement assez de chaleur pour tenir plusieurs hivers. Ça ne remplacera pas un album de Wilco, mais c’est au moins un portrait, imparfait et fidèle, de celui qui en est le leader. ✪✪✪ FRANCOIS KAHN
“Spencer Sings The Hits”
l’expérimental barré “Alien Humidity” distordu et fuzzy comme s’il passait sur une vieille radio qui crachote, et “Cape” où Spencer réalise un pastiche, à sa sauce, de Link Wray et des Cramps. Primitif, sale, sexy, “Spencer Sings The Hits” cache, sous ce titre ironique, une authenticité, une sincérité et la passion d’un artiste qui n’a jamais cessé de creuser son sillon. En vraies ou fausses beetle boots.
✪✪✪✪ ISABELLE CHELLEY
The Smashing Pumpkins
“Shiny And Oh So Bright, Vol 1/ LP : No Past No Future No Sun” NAPALM RECORDS
Billy Corgan pensait en avoir fini avec les Pumpkins et, plus grave, avec la guitare électrique. Il avouait récemment que ne plus entendre son instrument de prédilection à la radio avait fini par le démoraliser. Le compositeur se sentait sec et il aura fallu du temps à Corgan pour, enfin, faire le deuil du succès connu dans les années 90. Comme après la sortie de son premier album solo, en 2005, le groupe se reforme et, cette fois-ci, avec Jimmy Chamberlin, mais aussi James Iha ! Si D’arcy Wretzky n’est toujours pas de la partie, ce retour du guitariste originel fait renaître un peu d’espoir chez les fans. Le groupe, d’ailleurs, compte désormais trois
guitaristes avec Jeff Schroeder, arrivé en 2007. Le titre qui ouvre l’album, “Knights Of Malta”, effraie d’abord par son côté trop contemporain et ses chœurs à la “Dark Side Of The Moon”, mais rassure ensuite, dès le premier solo. “Silvery Sometimes” a son charme et rappelle la rythmique et le riff de “1979”, mais “Travels”, beaucoup trop gnangnan, ressemble à du U2 récent. Si “Solara”, premier single assez tiède, n’a pas l’originalité des grandes heures du groupe, le très heavy “Marchin’ On”, pourrait être un inédit de “Mellon Collie...”. En réalité, il ne faut pas trop attendre de cet album qui, comme l’affirme le patron au crane lustré, est plutôt une mixtape de chansons enregistrées pour fêter les retrouvailles. Sur “With Sympathy”, on pense à “Try, Try, Try”. Les guitares semblent suspendues dans l’air et laissent respirer la basse et la batterie pour le meilleur moment du disque : James et Billy chantant à l’unisson pour la première fois depuis vingt ans.
✪✪ BRIAG MARUANI
Thom Yorke “Suspiria”
XL RECORDINGS/ BEGGARS
Si “Suspiria”, giallo sanglant réalisé en 1977 par Dario Argento, est devenu ultime film culte, c’est en partie dû à la BO époustouflante de Goblin, groupe prog rock transalpin devenu maître de l’horreur sonore avec ce score emblématique. Gros pari donc pour Thom Yorke, spécialiste des ambiances lugubres, qui s’attaque ici à un monument. Premier bon point, il joue la carte de la contreprogrammation avec “Unmade”, ballade neurasthénique au piano chantée d’une voix spectrale. Le reste est majoritairement instrumental, avec des interventions du London Contemporary Orchestra And Choir. Le flûtiste Pasha Mansurov intervient sur “Suspirium”, thème principal du film et premier single, qu’on imagine mal illustrant des images choc tant la douceur prévaut au long de ces 3 minutes 20 joliment dépressives. Parfois, le temps d’un interlude (“The Inevitable Pull”, “Belongings Thrown In A River”), on retrouve l’angoisse qui sourdait de la musique composée par Goblin, mais Thom Yorke préfère généralement opposer une indolence inquiétante et répétitive à la trépidation cardiaque des staccatos gothiques de Claudio Simonetti, Fabio Pignatelli et Massimo Morante. Majoritairement enregistrée
avant le film, cette BO a donc été jouée pendant le tournage. A écouter sans le support visuel du remake/ hommage réalisé par Luca Guadagnino, l’album est une curiosité, plutôt conseillé aux fans de Radiohead qu’aux amateurs de films d’horreur. Influencé par le krautrock (“Suspiria” se déroule à Berlin en 1977), Pierre Henry et Vangelis, le chanteur de Radiohead n’a pas choisi la facilité. Ce qui rend, du coup, cet audacieux projet plus intéressant qu’une copie carbone des terrifiants et inimitables instrumentaux seventies de Goblin.
✪✪✪ OLIVIER CACHIN
DECEMBRE 2018 R&F 073
Disques poprock Prodigy
Jay Mascis
TAKE ME TO THE HOSPITAL/ BMG
SUB POP/ PIAS
Londres, 2018. Retour en force des champions, Liam Howlett aux manettes, Maxim et Keith Flint aux vocaux, qui ont survécu à la pression commerciale et aux tumultes internes. S’il paraît inéluctable que certains esprits chagrins reprochent à Prodigy d’avoir toujours la même patte, c’est justement à ça qu’on reconnaît les grands artistes, et nul n’empêche les fâcheux d’aller ronfler à un concert de Kurt Vile. Comme AC/DC, Motörhead ou Suicide, Prodigy a créé son propre genre, avec un son sans concessions, qui s’écoute fort, parfois hystériquement libérateur lorsqu’il monte toujours plus haut, fait saigner du nez, gonfler les enceintes et flipper les parents, conjoints, voisins et même le chat. Pionniers du son rave
Parmi les fiers indolents de l’histoire du rock, quelque part entre Bobby Charles et John Sebastian, trône depuis plus de trente ans la figure indéchiffrable de Jay Mascis. Au fil du temps, avec ou sans le bassiste Lou Barlow, celui-ci a élevé l’absence de renouvellement jusqu’à une sorte d’art. L’âge aidant, l’ancien potache grunge de Dinosaur Jr a pourtant pris depuis quelques albums son virage acoustique. Qu’on se rassure : rien n’a fondamentalement changé. Ici encore, le canevas de chaque chanson est à peu près le même : aux avant-postes, un tapis bonhomme de guitare acoustique, que rejoint bientôt, guère plus pressé, le timbre d’une uniformité trompeuse de Mascis que viennent secourir des assauts électriques toujours inventifs. Malingre mais vaillant (souvent avancée, la comparaison avec Neil Young est lourde à porter), le chant de Jay Mascis a la grâce d’une qualité rare, la retenue. “Elastic Days”, c’est un peu 50 nuances de Lo-fi ; Mascis y laboure un territoire resserré mais insondable, de la douce nostalgie de la chanson éponyme au romantisme très Big Star de “Sky Is All We Had”. Loin d’ennuyer, cet album, qu’il faut prendre comme un bloc, réconforte et rassure, permettant à l’auditeur
“No Tourists”
des hangars des années 90, le trio va constamment de l’avant en restant fidèle à cette vibration de la rue qui gueule. Sorcier des platines, Howlett puise toujours son inspiration chez Afrika Bambaataa & Soulsonic Force et Ultramagnetic MC’s pour proposer une alternative audacieuse, un soulagement réel à l’ennui qui suinte de beaucoup de productions de la dance music actuelle. Loin de tout sentier balisé, Prodigy part en roue libre, déraille direct avec l’incroyable “Need Some1” qui renvoie à “Smack My Bitch Up”, puis enchaîne avec quelques emprunts à la NWOBHM sur “Light Up The Sky”, avant de virer quasiment hardcore sur “Fight Fire With Fire” en compagnie du groupe hip-hop punk Ho99o9. Pas de touristes là où s’enfuit le trio dans son bus à impériale, mais un nouveau fichu bon cru de Prodigy. Pour le divertissement, c’est en concert que ça se passera. ✪✪✪ VINCENT HANON
074 R&F DECEMBRE 2018
“Elastic Days”
de vérifier à son écoute cet antique axiome : il est doux de ne rien faire. A l’occasion, sans crier gare, sans éclats, sans se départir de son pas, Jay Mascis sait même se faire supérieurement émouvant (“Drop Me”). Si “Elastic Days” n’est pas encore son chef-d’œuvre, il aide à imaginer et espérer ce que celui-ci pourrait être. ✪✪✪ VIANNEY G.
The Good, The Bad & The Queen “Merrie Land” WARNER
Ce n’est pas pour chicaner mais, finalement, rien n’indique que The Good, The Bad & The Queen soit vraiment le nom du groupe que Damon Albarn, Paul Simonon, Tony Allen et Simon Tong ont monté en 2004, au Nigeria. Faute de mieux, et puisque c’était le titre de leur premier album paru trois ans plus tard, on a attribué aux musiciens cette désignation (émanant d’un des westerns les plus connus de Sergio Leone) que Warner utilise pour lancer le second. Pourtant, The Good, The Bad & The Queen n’apparaît pas sur la pochette. Bref, ce qui est à l’intérieur (on déconseille d’écouter ce disque autrement qu’en vinyle tant le son
concocté par le groupe et son producteur s’y prête) est plus clair et aussi plus important. Albarn, on ne s’en étonnera pas, a le Brexit en horreur et fait partie de ces Britanniques grand teint qui estiment que la fermer craint. En onze chansons sorties du même tonneau, il aborde le sujet, non pas de plein fouet, mais en contenant sa rage, en serrant les dents et en livrant, avec ses trois acolytes qu’on n’imagine pas moins concernés, une brassée de réflexions longuement mûries dans sa tête défaite. Madness, Kinks, Clash, le meilleur de 2 Tone comptent parmi les influences irréfutables ici, mais si ce disque sonne si moderne, c’est parce qu’un Américain était à la console. Après l’album le plus récent des Damned, Tony Visconti, signe la production et les arrangements de ce “Merrie Land” dont l’humeur du jour incite à porter aux nues les opiniâtres “Gun To The Head” ou “The Truce Of Twilight”, ainsi que la délicate “Ribbons”, grande bénéficiaire, ici, du talent vocal d’un des trois meilleurs chanteurs de sa génération.
✪✪✪
Richard Ashcroft “Natural Rebel” RPA/ BMG
On se souvient de The Verve pour des titres mortels comme “Bitter Sweet Symphony”, “The Drugs Don’t Work”, “Lucky Man” et surtout “Sonnet”, une des plus belles chansons des années 1990. C’était sur “Urban Hymns”, album en apesanteur qui avait d’ailleurs valu à Richard Ashcroft, chanteur et principal auteur du groupe, de remporter une récompense assez prestigieuse en Grande-Bretagne, l’Ivor Novello du meilleur songwriter de l’année. C’était il y a 21 ans... Puis, le groupe s’est séparé, comme beaucoup de cette vague dite britpop, et Richard, comme Jarvis, Damon, Liam et d’autres, a continué en solo. Il a publié quatre albums dont on nous dit qu’ils ont tous marché du feu de dieu. Où ça ? Voici le cinquième, dont il nous assure qu’il est constitué des chansons les plus solides qu’il ait jamais composées. Solides, peut-être. Emouvantes, c’est autre chose... Le mec est fort dans les ballades déchirantes. Comme Ian McCulloch, Jarvis Cocker et quelques autres dotés d’une voix originale et touchante, il semble obsédé par le fait d’être le Scott Walker des temps modernes. Noble ambition. Le fait est qu’il y avait dans ses mélodies un côté psychédélique triste et glissant qu’il a
complètement perdu. Tout est ici trop droit, trop carré, trop prévisible. Américain. Les trois premiers titres, rock et sans grande originalité, ennuient. Au quatrième, “That’s How Strong”, on tend l’oreille. Mais ça n’est pas encore ça. La mélodie a quelque chose de convenu. Ce n’était que le parfum d’une grande chanson. Et le ronron reprend... “That’s When I Feel It”, pas mal, on y croit à nouveau. “We All Bleed”, on y est presque... Mais l’album est fini. On réécoute. Pas mieux. Déception.
✪✪ STAN CUESTA
JEROME SOLIGNY
DECEMBRE 2018 R&F 075
Disques classic Rock Rosanne Cash
Charles Bradley Mark Knopfler “Black Velvet”
“Down The Road Wherever”
Handsome Jack
BLUE NOTE/ UNIVERSAL
DUNHAM/ DAPTONE
MERCURY/ UNIVERSAL
ALIVE
Les longs intervalles entre ses albums y ont sans doute contribué, mais Rosanne Cash n’a jamais été vraiment reconnue à sa juste valeur. Et, à l’âge où son père commençait sa série des “American Recordings” en réaction à ses albums précédents bien trop produits, elle continue de son côté un parcours sans la moindre fausse note. Cash, à ce stade de sa carrière, peut difficilement être encore étiquetée country autrement que par son aptitude à aller droit à l’essentiel. Il se trouve simplement que la NewYorkaise d’adoption ne parle pas juste de couple, de mort ou de religion : elle aborde aussi, avec la même simplicité poignante, des sujets comme les vies broyées par les armes à feu ou les témoignages de femmes agressées,
Pourquoi le monde est-il aussi cruel avec ceux qui montrent la lumière pour en faire un endroit meilleur ? Amy Winehouse, en 2011, puis Sharon Jones cinq ans après et, maintenant, Charles Bradley... Le soulman et showman qui donnait tout à chaque prestation s’est éteint en septembre 2017, à 68 ans, d’un cancer de l’estomac, et nous a laissés avec un trou béant au cœur. Désormais, sa voix et son esprit nous accompagnent dès qu’on murmure son nom. Celui sous lequel il officiait en tant qu’imitateur de James Brown, avant les années de gloire, et une magnifique pochette, que “Black Velvet” a été compilé par les plus proches membres de sa famille, ses amis et son producteur attitré Tommy Brenneck de Menahan Street Band. Le quatrième album de celui qu’on surnommait aussi the screaming eagle of soul, inoubliable interprète de “The World (Is Going Up In Flames)”, célèbre sa vie et son legs. Le groupe est au top sur “Can’t Fight The Feeling”, simple enregistré en 2007 et alors écarté pour d’obscures raisons, lequel ouvre l’ultime bal plus de dix ans plus tard. Sa version torride de “Heart Of Gold”, mythique chanson de Neil Young déjà présente sur son premier album, réapparaît
Personne ne se demande jamais ce que devient Mark Freuder Knopfler, où il en est de sa carrière et de son prochain album (neuf pièces en solo à cette heure). Knopfler arrive toujours sans déranger, se laisse écouter sans déplaisir, repart sans s’imposer et se fait oublier jusqu’au prochain. Ici, ce n’est pas du folk, pas du rock ni de l’americana, mais un peu de tout, en mid-tempo paysager dans ses moments de fureur dévastatrice, Knopfler étant aussi bien partant pour un petit sur-place introspectif sur des ballades graves et dénudées, toujours cool. Il est venu nombreux, avec des musiciens de toutes disciplines et des choristes (dont Imelda May). Pourtant, son album sonne presque dépeuplé. Au nombre des exceptions :
Cream, Experience, Blue Cheer... L’immense classe de ses aînés n’empêche pas Handsome Jack d’adopter l’exigeante formule du power trio. Après “Super Moon” (2011) puis “Do What Comes Naturally” (2014), Jamison Passuite (chant, guitare), Joey Verdonselli (basse) et Bennie Hayes (batterie), originaires de l’Etat de New York, s’imaginent toujours en combo sudiste des années 70, qualifiant leur musique de boogie-soul. Les coiffures, les blousons, la police de caractère choisie pour inscrire le nom et le titre ne laissent aucun doute sur les intentions. Trémolo d’ampli, tempo moite et voix éraillée, le fantôme de Creedence secoue méchamment “Keep On”, première plage de ce disque produit par Ben McLeod de All Them Witches, groupe stoner de Nashville. L’ombre du géant John Fogerty plane également sur la chanson-titre. Plus impressionniste, “City Girls” avec ses guitares en slide, doublées, rappelle les Rolling Stones en visite au Muscle Shoals Sound Studio, quelques jours avant Altamont. Ces ressemblances sont à prendre pour l’expression d’une profonde connaissance, une sincère compréhension de l’idiome rock’n’blues. Ce sont des
“She Remembers Everything”
et elle réussit à bâtir toute une chanson sur la question des ondes et des particules dans la physique. Ça n’est pas George Jones qui aurait pu faire ça. On retrouve toujours à la production John Leventhal (son mari), mais il est ici épaulé par Tucker Martine, qui s’est occupé à Portland de titres plus rock comme l’imparable “Not Many Miles To Go”. Le son est classique, on ne peut plus americana, mais varié, les apparitions de Colin Meloy (The Decemberists), Kris Kristofferson ou Elvis Costello (tous deux sur “8 Gods Of Harlem”) n’empêchent pas Cash de garder la mainmise sur les opérations, alors que l’inspiration ne lui fait jamais défaut. On regrettera, cependant, un séquençage étrange. Alors que la lugubre ballade orchestrale “My Least Favorite Life” clôt l’album sur une note naturelle et contemplative, le disque embraye sur trois titres bonus (édition Deluxe oblige), que l’auditeur aura en fait tout intérêt à replacer ailleurs. ✪✪✪✪ FRANCOIS KAHN
ici, avec son groove titanesque et la bénédiction de cet amour qui tranchait tant dans un monde si froid. “Luv Jones” ou “I Feel A Change” se révèlent, comme d’autres classiques, à ajouter au répertoire déjà riche en hits du défunt interprète. “Black Velvet” fait vibrer l’âme et, grâce à sa musique éternelle, cette légende de la soul moderne n’est pas prête de s’éteindre. ✪✪✪✪ VINCENT HANON
“Just A Boy Away From Home”, le chef-d’œuvre du disque, avec son mouvement final lancinant. Au moment de “Slow Train Coming”, Bob Dylan charriait Knopfler comme son “meilleur imitateur”. Comment ne pas y penser en entendant cet avatar prosodique ? Mais ce Dylan débarbouillé, rendu net et formel par la précision des mélodies, chante bien. On peut dire, aussi, qu’il sait composer et toucher une guitare, ça fera gagner du temps. Que, contrairement à certains confrères jouissant des mêmes aptitudes, qui n’enregistrent plus que pour clamer leur stérilité, lui a encore quelque chose à dire de sa jeunesse, d’où cette nostalgie qui parfume tout l’album. Dire aussi qu’il est très humble, et doit jouer moins de notes dans ces quatorze compositions qu’il n’en joue dans “Sultans Of Swing”. Mais c’est un disque qu’il semble n’avoir composé que pour lui... et on mate sa tocante de temps en temps.
✪✪✪ CHRISTIAN CASONI
“Everything’s Gonna Be Alright”
preuves d’amour. Quand elle s’accompagne de spontanéité, l’approche référentielle s’élève au niveau d’un art noble. Elle multiplie les allusions, volontaires ou non, conscientes ou non. Leur entrelacs constitue une manière de culture que l’auditeur apprécie en fonction de la sienne, se souvenant, peut-être, au fil des morceaux, de James Gang, des Allman Brothers, de Gov’t Mule, etc. De ce faisceau de renvois, de cette collection de parrains, Handsome Jack tire une musique personnelle, sentie, honnête, bien vivante. ✪✪✪ JEAN-WILLIAM THOURY
076 R&F DECEMBRE 2018
Steve Perry
Boney Fields
FANTASY/ CONCORD/ UNIVERSAL
BLUES PROJECT/ SOCADISC
Afin de mieux comprendre l’intérêt suscité par l’arrivée de ce disque, il faut se rappeler qu’il s’agit là de la première livraison solo de Steve Perry depuis 1994. Vingt-quatre ans, ce n’est pas rien pour le fan qui attend le cœur rempli d’espoir en scrutant la page des sorties à venir. Avant cela, l’homme s’était fait connaître après avoir rejoint les rangs de Journey au moment où ce groupe de la baie de San Francisco décide de virer pop rock. Avec le style du nouveau frontman, le pari est gagné, et Journey va connaître une décennie fabuleuse sur le plan du succès. Après, entre quelques apparitions avec Journey, des contributions diverses (dont “We Are The World”) et une paire d’albums en solo, The Voice
Cette voix, cette trompette ! Boney Fields, celui du West Side qui chante et aplatit les pistons, a 60 ans, court entre Paris et Chicago, figure sur un tas d’albums, James Cotton, Lucky Peterson, Allison père et fils, Alpha Blondy, et enregistrait son premier disque il y a 20 ans. “Bump City” est le sixième qui porte son nom, mais sans la mention du band cette fois (The Bone’s Project). Section rythmique exceptée, ce sont pourtant les musiciens qui tournent avec lui en Europe, jusqu’aux cuivres. Eh bien, ce disque est fantastique, de plus en plus inflammable à mesure qu’il tourne, gagne en épaisseur et jubilation une plage après l’autre. L’homme au chapeau melon a toujours détendu son rhythm’n’blues funky sans complexe, avec la volonté d’être entendu plus loin que le cercle des mandarins de la soul et du jazz. Ici, il a fait venir une grosse guitare vindicative (Jo Champ) pour enfoncer le clou et mener cet assaut funk rock trépidant, ménageant des ouvertures vers un jazz explosif (“Around The Corner”), un groove plus pop (“Feelings”), hard blues (“Bow Legs”) voire péplum disco (“More”) sans le 4/4 de grosse caisse à 120 bpm, mais des hachoirs rythmiques, des tourbillons de cuivres, toutes
“Traces”
(surnom partagé) était devenu une denrée rare. Passée la surprise de l’arrivée du disque, son écoute en est une autre. Pour la version 10 titres (une deuxième en contenant cinq de plus semble pour l’instant uniquement réservée au marché américain) la voix de Perry a changé. Désormais plus basse, moins prompte aux envolées mélodiques qui ont fait la renommée du chanteur. Il s’agit de la voix d’un homme de 70 ans qui a envie de raconter des choses graves. Pour la réalisation de ce disque riche en ballades, Perry s’est entouré de musiciens de studio qui ne se sont pas contentés de faire acte de présence tant l’ensemble sonne comme un vrai groupe. A ce sujet, la reprise de “I Need You” écrite par George Harrison pour l’album “Help!” sera le résumé parfait du contenu de “Traces”, un magnifique album au contenu surprenant et qui dépasse par sa profondeur tout ce que Steve Perry a fait auparavant. ✪✪✪ GEANT VERT
“Bump City”
sortes de toupies meurtrières, une énergie carabinée et aussi une bonne dose de sophistication (“I Got The Blues”, Boney Fields semblant chanter une ligne de xylophone). Les deux parties d’harmonica sont arrachées par Charles Pasi, en particulier “Ying Yang”, un titre du grand James Cotton. Voilà le son de Bump City, une métropole imaginaire où la fête ne finit jamais. Le samedi soir à Bump City, on ne farfouille pas à la galerie dans les rayons de la mort. ✪✪✪✪ CHRISTIAN CASONI
DECEMBRE 2018 R&F 077
Disques français The Limiñanas
“I’ve Got Trouble In Mind Vol 2” BECAUSE
“Mon Pays C’Est L’Amour”
En 2014, sortait sur un album le premier volume de cette compilation de raretés et reprises. L’expérience et beaucoup de déceptions, nous ont enseigné la réserve face à ce type d’exercice. Réserve qui ne résiste pas à “The Mirror”, superbe introduction à un album riche en bonnes surprises. Ecrit et interprété par l’auteur Kirk Lake, c’est un spoken word hanté par le thème du reflet, à la mélodie obsédante qui laisse place à “Two Sisters”, chantée par Anton Newcombe, reprise assez fidèle d’une des plus belles chansons des Kinks. D’autres — “Russian Roulette” des Lords Of The New Church ou “Angels And Devils” d’Echo And The Bunnymen — réalisent l’équilibre délicat entre appropriation (la patte
WARNER
psyché du groupe est là) et amour de l’original. Du boulot subtil d’amoureux de musique. Les originaux n’ont rien de fonds de tiroir, comme le lancinant “The Inventor”, tournant en boucle sur un lit de tambourin et de guitares façon tronçonneuse mélodieuse ou “The Gift” droit venu du début des années 1980, qui incitera les nostalgiques de la new wave à enfiler un trench noir pour danser sur place, en secouant sa tignasse crépée. On tombe aussi sur des étrangetés : “La Cavalerie” (Julien Clerc) ou un “Silent Night” où le Père Noël a pris des champignons avant sa tournée, mais on se laisse volontiers embarquer. Pas facile de résister au charme hypnotique du groupe, à cette voix féminine à l’accent frenchy quand elle chante en anglais, à ces couches sonores qui étoffent sans étouffer, à ces morceaux obsédants qui se logent dans un coin de tête sans être trop faciles. On n’ira pas jusqu’à dire que les Limiñanas sont le meilleur groupe français du moment, quoique.
078 R&F DECEMBRE 2018
Johnny Hallyday
L’homme sait que c’est son dernier. Son testament artistique. Et que fait-il ? Il balance deux rock’n’roll de la plus belle eau ! Le rock’n’roll, c’était ça son territoire, sa culture, sa base arrière, son refuge. On l’entend obtenir l’approbation de Little Richard ou Jerry Lee Lewis quand il assène “Mon Pays C’Est L’Amour”, la chanson qui donne son titre à l’ensemble. Celui qui a gravé “Les Rocks Les Plus Terribles” en 1964 n’a rien perdu ni de sa force ni de son enthousiasme. C’est la musique qu’il aime et il sait la servir brillamment. Ce qui se confirme avec “Made In Rock’N’Roll”. Le piano sur une seule note qui vrille le tympan, les solos successifs, saxo puis guitare, cette voix magnifique, ces cris de jouissance, tout est là ! Sous un titre certes un peu balourd se propulse un pur rock’n’roll. Cette adaptation de “Let The Good Times Roll” de JD McPherson (2014) montre que Hallyday, peut-être incité par Yarol Poupaud et Yodélice, restait à l’écoute, intéressé par ce que pouvaient apporter de jeunes musiciens à cet art si difficile. L’album revèle les autres facettes du chanteur, tragédien (“Pardonne-Moi”), porte-parole des taulards (“4m2”,
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vaguement swamp), grand amateur de riffs stoniens (“Back In LA”), attiré par le folk façon Creedence (“L’Amérique De William”)... Le disque ne serait pas complet sans une vibrante et sensuelle déclaration d’amour, “Tomber Encore”. Savant et performant, le mixage effectué par Bob Clearmountain mérite une écoute le volume poussé au maximum, c’est la seule manière de rendre justice à ce monument laissé par Hallyday qui nous quitte avec une grâce infinie, en rocker. ✪✪✪✪
ISABELLE CHELLEY
JEAN-WILLIAM THOURY
Louis Bertignac Minuit “Origines”
“Vertigo”
VERYCORDS/ WARNER
BECAUSE
Pour son nouvel album studio en solo (après sa parenthèse rétro et collective avec Les Insus), Louis Bertignac renoue avec un exercice très prisé dans les années soixante : l’adaptation en français de morceaux anglo-américains. Puisant surtout dans un répertoire fin sixties/ début seventies (avec deux exceptions empruntées à Police et Rod Stewart), il en profite pour livrer les clefs de ses influences musicales, d’où le titre de l’album. Le rock à guitare y est évidemment à l’honneur, avec une prime à Bob Dylan, sollicité trois fois, alors que les Rolling Stones doivent se contenter de deux reprises. Le tout pour un résultat très inégal mais intéressant. La guitare reste le point fort de ces quatorze morceaux et se
L’exemple de Minuit pourrait illustrer un débat sur les avantages et les inconvénients de la filiation dans le domaine artistique. Cinq ans après ses débuts (un premier single et des concerts prometteurs), le quatuor, qui a pour figures de proue Simone Ringer au chant et Raoul Chichin à la guitare, se retrouve en effet sous les projecteurs à l’occasion de la sortie de son premier album. Et c’est peu dire que l’ombre des Rita Mitsouko plane sur leur répertoire : au niveau vocal, c’est souvent frappant, tant dans la tessiture que dans le phrasé (“Exil”, “Harry Tueur”), mais cette parenté se retrouve également dans le style des chansons, dont certaines n’auraient pas déparé sur le premier album des Rita (“Obsession”). Il est des références plus néfastes et seuls les vieux de la vieille pointeront toutes les similitudes qui leur redonneront l’occasion de se replonger dans un bain musical revigorant (“Glacial”). Les autres remarqueront surtout le potentiel d’une voix étonnante et l’inventivité d’une démarche musicale qui agrémente de multiples bidouilleries son mélange plaisant de glam rock et de pop teintée d’échos new wave. D’autant que Simone sait s’écarter de son modèle, par exemple quand elle susurre sur un mode sexy
livre à une démonstration de force, témoignant d’un savoir-faire, d’une aisance et d’un bon goût incontestables. Les parties chantées, en revanche, ne sont pas toujours du même niveau. S’il a une voix agréable, Bertignac est loin d’être un chanteur à coffre et se plante quand il essaie de forcer en s’attaquant à “Won’t Get Fooled Again” des Who (“Ma Gueule”) ou d’adopter une voix de tête (“Au Monde”). Par contre, il parvient à justifier l’opportunité de ce projet très personnel, pour lequel il a écrit tous les textes et joué tous les instruments, lorsque ses qualités d’auteur et de vocaliste délicat délivrent d’étonnantes réussites : deux adaptations fidèles de Dylan (“J’Aime Tout De Toi”, “Jeune A Jamais”), une reprise inspirée d’un morceau des Beatles (“Et Ma Guitare”), une ballade cruelle sous son apparence romantique (“C’Est Fini”, clin d’oeil à Rod Stewart) et une transposition maligne et ironique du “Cocaine” de JJ Cale (“Coquine”).
✪✪✪
à la Bardot (“Paris Tropical”), et que les compositions s’aventurent vers d’autres eaux, comme “Vertigo” boosté par un riff boogie. Particulièrement à l’aise sur les morceaux dansants, tels que le discoïde “Blondie” (influence revendiquée) ou le funky et très Gainsbourg “Moaning For Love”, le groupe se révèle également performant lorsqu’il ralentit le tempo à l’occasion de ballades délicates et nostalgiques (“Cimetière Des Amitiés”). ✪✪✪
H.M.
H.M.
DECEMBRE 2018 R&F 079
Réédition du mois
Photo Chuck Boyd/ Authentic Hendrix-DR
Tout simplement, l’un des plus grands disques de rock
Jimi Hendrix
“ELECTRIC LADYLAND 50TH ANNIVERSARY DELUXE EDITION” Legacy/ Sony Music
La plupart des gens rétifs à l’œuvre d’Hendrix ne l’aiment pas pour de mauvaises raisons : ses nombreux, et si souvent médiocres imitateurs les ont dégoûtés à jamais des solos de guitare électrique, des Stratocaster (alors que ce fut l’engin de prédilection de Dick Dale dans un genre pourtant très différent), du blues, des power trios, de la guitare jouée avec les dents, on en passe et des meilleures. C’est le privilège et le grand désavantage des vrais inventeurs : ils marquent tellement leur temps que leur futur finit parfois par les desservir. Inventeur, Hendrix en était un, au même titre que les plus grands compétiteurs de son époque. Il venait du R&B et du blues ; il en a fait autre chose : de la dynamite. Un truc inédit. Et même ceux qui pensent ne pas pouvoir le supporter devraient pourtant bien admettre que “Electric Ladyland” est non seulement l’un des plus grands chefs-d’œuvre des sixties, mais aussi, et tout simplement, l’un des plus grands disques de rock jamais enregistrés. Ce troisième et dernier album studio de Jimi Hendrix fête aujourd’hui ses 50 ans, et, comme le mois dernier, pour les Kinks de “Are The Village Green Preservation Society” ou ce mois-ci pour le Bob Dylan de “Blood On
The Tracks”, le traitement est carrément hallucinant. Et ne s’adresse, comme d’habitude avec ce genre d’objet, qu’aux fans. Lesquels se délecteront du mastering, des trois CD et du Blu-ray (qui propose, outre le documentaire déjà publié “At Last... The Beginning : The Making Of Electric Ladyland”, une version 5.1 pour ceux qui ont l’équipement idoine et la version stéréo originale en 24-bit, 96kHz). Voici pour les audiophiles. Le reste est constitué de démos, de chutes, de prises alternatives ainsi que du merveilleux “Angel” (voir ce qu’en a fait Rod Stewart), et de “My Friend”, tous deux exclus de la version officielle. Cadeau ultime
pour les fans, le “Live At The Hollywood Bowl” capté le 14 septembre 1968, connu des maniaques, sauf que cette fois-ci, le concert a été directement enregistré depuis la console. Enfin, arrive le beau livret attendu, et la pochette — moche et clairement sous-exposée signée Linda Eastman plus connue sous le nom de McCartney — souhaitée par Hendrix à l’époque mais rejetée par sa maison de disque qui choisit la tout aussi hideuse, mais plus marquante, version avec les bonnes femmes à poil (une autre, présentant son visage de profil avec un grain énorme, n’est guère plus réussie : décidemment, cette merveille n’a pas eu de chance en ce qui concerne ses visuels). Et puis, il reste l’album... Il faut accepter l’effort immense : l’écouter comme si c’était la première fois. “Electric Ladyland” a été majoritairement conçu en 1967, plus précisément entre juillet de cette année et janvier 1968. C’est-à-dire durant la grande année psychédélique. L’album, qui est double (c’était encore peu courant à l’époque) s’en ressent, et le ton est donné dès l’ouverture “...And The Gods Made Love”, immédiatement suivi d’un hommage manifeste à Curtis Mayfield, “Have You Ever Been (To Electric Ladyland)”. Et puis, arrivent les deux véritables entrées en matière : la furie de “Crosstown Traffic”, d’abord, comme de la soul super psychédélique et heavy, pleine d’idées géniales de production, et le manifeste blues de plus de 14 minutes “Voodoo Chile”, mètre étalon du blues électrique post-Chicago qui a engendré tous ces pénibles bâtards voulant rivaliser avec le maître. La suite ne débande pas (“Little Miss Strange” qui sonne comme les Who avec des guitares fluides, “Long Hot Summer”, hyper cool, le très funky “Gypsy Eyes”) mais brille particulièrement pour quelques perles majeures : le féerique et ultra psychédélique “Burning Of The Midnight Lamp”, l’expérience soul jazz de “Rainy Day, Dream Away”, la grande montée psyché tellement 1967 de “1983... (A Mermaid I Should Turn To Be)” (tout comme l’interlude “Moon, Turn The Tides... Gently Gently Away”), et le monument absolu de l’album, la reprise de “All Along The Watchtower”. Bob Dylan lui-même, pas très psychédélique, fut, paraît-il, sur le cul. Sidéré d’entendre ce que Hendrix avait fait de sa belle petite chanson folk : un engin tout en turbo, au moteur surgonflé, dévalant les autoroutes spatiales tous azimuts. Dieu sait que Dylan a été repris des milliers de fois, personne ne l’a transformé de telle manière. La version reste fascinante, avec ses castagnettes, sa guitare acoustique, sa guitare sonnant comme une slide, cette production tellement merveilleuse, ces effets sonores et l’utilisation inédite de la wahwah, ce solo dantesque avec ces progressions en octaves, sans doute son plus mémorable : c’est une perfection absolue. Que faire après cela ? Clore l’album avec “Voodoo Child (Slight Return)”, blues ruisselant de sueur, certes difficile à écouter tant il a été massacré depuis son invention par une armée de péquenauds sans scrupules, mais tout de même monumental, justement infiniment précieux car inégalable. Et c’est ainsi que l’on atteint, finalement, le sommet de cette pyramide psychédélique à laquelle ont participé Jack Casady (Jefferson Airplane), Brian Jones (Rolling Stones), Al Kooper, les Sweet Inspirations et Steve Winwood (Traffic). La messe était dite, il y a un demi-siècle, déjà. NICOLAS UNGEMUTH
Rééditions
PAR NICOLAS UNGEMUTH
Roky Erickson avait trouvé plus fort que lui musiciens de jazz, ne faisait jamais les choses deux fois de la même manière. Ici, les tempos changent, les paroles aussi, parfois, la structure du morceau elle-même (ce qui rend d’ailleurs ses concerts aussi fascinants que périlleux : fut un temps où il aurait été capable de jouer “Mr Tambourine Man” en reggae). Le livret, ou plutôt le livre qui accompagne l’objet monstrueux propose une tonne de photos inédites ainsi que les reproductions des carnets sur lesquels le grand homme écrivit les paroles de ces chansons divines, comme les évangiles des années 70. Ceux qui ont déjà “Blood On The Tracks” dans sa superbe version SACD pourront se contenter de la version simple, complément parfait du disque officiel. Les fanatiques de ce disque capital, authentique chef-d’œuvre, par ailleurs son dernier en date, se feront offrir ce coffret qui compte parmi les meilleurs de la série “Bootleg” (avec le volume 11, “The Basement Tapes Complete” et le volume 12, “The Cutting Edge 1965-1966”). On parle ici de choses très sérieuses...
Bob Dylan
“MORE BLOOD, MORE TRACKS — THE BOOTLEG SERIES VOL 14” Columbia/ Legacy/ Sony Music
Charles Ficat ayant parfaitement dit quelques pages plus haut les conditions mouvementées dans lesquelles “Blood On The Tracks” fut conçu, on se contente de résumer... En 1974, Bob Dylan n’est plus à la fête. Depuis “John Wesley Harding” (1967), génial contrepied au psychédélisme, tout comme l’excellent “Nashville Skyline”, le Zim se retrouvait, après quelques années où il avait régné comme un prophète absolu (“Highway 61 Revisited”, “Blonde On Blonde”, sans parler de leurs prédécesseurs), hors circuit. Une série d’albums ratés (“Self Portrait”, “New Morning”, “Bob Dylan”) rendirent même ses plus dingues admirateurs pour le moins perplexes, même si le sousestimé “Planet Waves”, enregistré avec le Band, devait sauver la mise, lequel fut suivi par une tournée triomphale avec le même groupe, débouchant sur l’album live “Before The Flood”. Mais après ? L’époque était au glam rock, au rock progressif, au hard rock, bref, à la surenchère. Les grands groupes sixties (Who, Rolling Stones) passaient déjà pour des dinosaures et sortaient leurs premiers mauvais albums. Alors Dylan, en plein drame avec la mère de ses enfants, Sarah, avec laquelle il avait passé les meilleures années de sa vie à la campagne, fit une fois de plus, le contraire de ce que son temps aurait exigé. Il partit à New York, enregistra en quatre jours le contenu de “Blood On The Tracks” avec des musiciens globalement anonymes, mais ne fut pas satisfait du résultat, qu’il fit écouter à son frère David, qui acquiesça et lui proposa d’aller réenregistrer le truc dans sa bonne ville
de Minneapolis avec d’autres musiciens tout aussi inconnus. Dylan boucla tout cela en deux jours. En fin de compte, “Blood On The Tracks”, à sa sortie en janvier 1975, était un mélange de ces deux séances. Et l’impossible arriva : ce qui aurait dû sonner comme un album totalement schizophrène se révéla d’une cohérence absolue... Pour beaucoup, c’est son plus grand disque. Son “Exile On Main St” à lui : il n’y a aucun tube, aucun “Like A Rolling Stone”, aucun “I Want You”, aucun “Absolutely Sweet Marie” ou “It’s All Over Now, Baby Blue”, mais une suite de chansons sublimes, majoritairement acoustiques, aux textes mélancoliques, voire fielleux, évoquant de manière assez sibylline l’effondrement de son couple, qui s’enchaînent toutes à la perfection, faisant de l’album un bloc parfait, une véritable charge émotionnelle. On y trouve des beautés à la pelle : “If You See Her, Say Hello”, “Tangled Up In Blue”, “Simple Twist Of Fate”, “Shelter From The Storm”, “Lily, Rosemary And The Jack Of Hearts”, “You’re A Big Girl Now”, entre autres... Et ces musiciens, de New York et de Minneapolis, si loin de la mode des supergroupes et des albums de session men prestigieux de l’époque, font des miracles sur ce chef-d’œuvre d’une simplicité proprement ahurissante, en particulier pour 1975. Ce monument ressort en deux versions : l’une propose en un CD l’intégralité des versions new-yorkaises, très bonnes, que certains fans préfèrent même à celles de Minneapolis. L’autre est le quatorzième volume des “Bootleg Series” et sort le grand chambardement : prises alternatives, répétitions, versions new-yorkaises etc., pour six CD en tout. C’est le genre de bonus qu’on n’écoute généralement qu’une fois avant de les remiser sur les étagères. Mais pas avec Dylan, qui, comme les
Bobbie Gentry
“Ode To Billie Joe”, “Touch’Em With Love” ou “Fancy”, d’autres disques importants (“The Delta Sweete” ou “Patchwork”, son dernier album, sans parler du moyen mais très correct “Local Gentry”), avaient jusqu’ici été peu ou mal réédités, voire pas du tout. On en connait qui vont pleurer. Surtout que le mastering est à tomber : c’est tout juste si on ne voit pas la féline brune apparaître dans son salon.
Philamore Lincoln
“THE NORTH WIND BLEW SOUTH” Epic/ Elemental Music (Import Gibert Joseph)
Oh la beauté inconnue ! Mais qui est donc ce Philamore Lincoln dont la splendeur “The North Wind Blew South” n’était sortie en 1970, qu’aux Etats-Unis, au Japon et au Canada avant de disparaître dans les poubelles de l’Histoire ? Il s’appelait en réalité Robert Cromwell Johnson, batteur de son état ayant joué avec Brian Auger & The Trinity puis Graham Bond. Le gonze prit le nom de Philamore Lincoln durant le boom psychédélique londonien et enregistra cet album épatant sur NEMS, le label de Brian Epstein, bénéficiant,
“THE GIRL FROM CHICKASAW COUNTRY”
UCM/ Capitol (Import Gibert Joseph)
Le nirvana : huit CD compilant ses six albums pour Capitol, le disque de duos avec Glen Campbell, et un live à la BBC qui n’avait été disponible que durant un Record Store Day, un livret démentiel avec un texte impeccable et des photos extraordinaires, des démos splendides, un son grandiose. Tout cela est évidemment indispensable pour les fans de la géniale chanteuse, d’autant que, en dehors de
DECEMBRE 2018 R&F 081
parmi les invités, de quelques pointures comme Jack Bruce, Jim Capaldi (Traffic), John McLaughlin, Herbie Flowers, Graham Bond ou Jimmy Page. L’album fit un flop, et deux ans plus tard, Robert Cromwell Anson/ Philamore Lincoln se retirait définitivement du monde de la musique. “The North Wind Blew South” est une sacrée découverte : pop, psychédélique et magnifiquement orchestré (des cordes d’une beauté étonnante), entre Timebox, Kaleidoscope, Fairfield Parlour et Donovan, c’est un rêve british qui aurait pu sortir trois ans plus tôt, en 1967, d’autant que l’individu était doté d’une voix à la délicatesse exquise. La révélation du mois (remasterisation sublime).
Craig Smith
“MAITREYA KALI – LOVE IS OUR EXISTENCE” Maitreya/ Ugly Things (Import Gibert Joseph)
Au rayon culte et énigmatique, on doit dire qu’on n’avait jamais rien vu de ce niveau. Voyez donc... Craig Smith était un Californien propre sur lui, typique du Los Angles des sixties où les Beach Boys et les Byrds ensoleillaient un pays qui n’en avait pas besoin, et où le Troubadour et le Sunset Strip s’apprêtaient à supplanter le Scotch Of St James et Carnaby Street. Rapidement, l’adolescent se met à la musique, avec succès, joue avec les Good Time Singers, puis les charmants Penny Arkade, dans un genre sunshine pop délicieux. Ses compositions sont reprises par plusieurs ténors, dont Glen Campbell (généralement sourcilleux sur les morceaux qu’il s’apprêtait à adapter), puis Craig Smith s’est intéressé à la méditation transcendantale, a pris de l’acide, a foutu le camp, comme beaucoup de hippies, en Orient (Afghanistan, Iran, Turquie, Népal). Dans l’un de ces coins perdus, probablement vers Kandahar, Smith se serait fait dévaliser, kidnapper, tabasser et violer à plusieurs reprises. Il en est sorti profondément dérangé et abîmé, s’est remis à voyager en Amérique du Sud, a enregistré deux albums hyper cultes
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(“Apache” et “Inca” en 1971 et 1972) sous le sobriquet de Maitreya Kali. Il disait être une réincarnation de Jésus, Bouddha et Hitler, avant de se passionner pour les extraterrestres : Roky Erickson avait trouvé plus fort que lui. Le reste est une longue descente aux enfers : hôpital psychiatrique, prison, puis misère pour finir à la rue SDF et mourir dans son sac de couchage au milieu d’un terrain vague de Los Angeles en 2012. Cette compilation réunit des morceaux enregistrés entre 1966 et 1971, collectés par son frère, et le passionnant et très touchant livret est signé par Mike Stax, journaliste émérite pour le magazine Ugly Things spécialisé dans toutes choses psychédéliques, qui lui a consacré un livre entier qu’on va s’empresser de lire (“Swim Through The Darkness : My Search For Craig Smith And The Mystery Of Maitreya Kali”). Craig Smith/ Maitreya Kali, sans atteindre le génie d’un Neil Young ou d’un Skip Spence, écrivait de belles chansons acoustiques qu’il chantait avec une voix splendide et, la chronologie le montre, devenant musicalement de plus en plus bizarre. La curiosité du mois.
The Barracudas
“DROP OUT WITH THE BARRACUDAS” Music On CD/ Parlophone (Import Gibert Joseph)
Particulièrement populaires en France, les Barracudas sont apparus en 1981 à la grande époque de tous les revivals : revival mod, revival ska, revival rockabilly, revival psychédélique. Revivalistes, ils l’étaient viscéralement — forcément, avec des chansons titrées “(I Wish It Could Be) 1965 Again”— mais leur problème, dès ce premier album superbement réédité et remasterisé incluant rien de moins que onze bonus, c’est qu’ils étaient incapables de décider dans quel revival au juste ils comptaient s’inscrire : surf (“Surfers Are Back”, “Summer Fun”, qui sonne comme les Ramones se prenant pour les Beach Boys, ce qui leur est souvent arrivé), néo-Byrds (“I Can’t Pretend”), garage, gentiment psychédéliques ou mélodiques comme les Flamin’ Groovies de la période
“Shake Some Action”. Le résultat de ce bouillon de culture est un peu bordélique, mais le groupe de Jeremy Gluck et Robin Wills sonne aujourd’hui comme une belle carte postale londonienne de ces années-là, évoquant par ailleurs et par hasard la scène Paisley Underground qui se développait alors de l’autre côté de l’atlantique, et rappellera à beaucoup de lecteurs une adolescence obsédée par ce genre de petits maîtres, jamais géniaux (ces Anglais n’avaient pas le talent ni les compositions des Dogs avec lesquels ils étaient amis) mais toujours charmants. “Now put it all together : Ba-ba-ra-ra-cu-cu-da-das !”
Barry Adamson “MEMENTO MORY” Mute
D’abord Magazine, ensuite les Bad Seeds. En terme de curriculum vitae, on connaît pire (même si Kid Congo Powers a fait encore plus fort et John McGeoch aussi bien). Mais le Britannique, bassiste à l’origine, est également adoré par une multitude de fans appréciant en secret ses nombreux albums solo qui, bien avant que le phénomène ne soit révélé par l’éphémère mouvement désigné sous l’appellation trip hop à la fin des années 90, reposaient lourdement sur la vénération d’Adamson pour les musiques de films, John Barry en tête, mais également Bernard Herrmann ou Lalo Schifrin, voire Ennio Morricone. C’est également
lui qui a largement contribué à développer le concept de musiques de films imaginaires. Pour ceux qui n’oseraient pas se lancer dans l’achat de ses nombreux albums solo, cette compilation est l’engin idéal pour pénétrer son univers hautement cinématographique, même s’il inclue d’authentiques chansons — et la voix de l’artiste est superbe — ainsi que, pour les nostalgiques, “Parade” avec Magazine, et le mythique et très dangereux “From Her To Eternity” avec Nick Cave et les Bad Seeds. Un résumé parfait pour une carrière franchement singulière.
Holger Czukay
“MOVING PICTURES”, “MOVIES”, “ROME REMAINS ROME”, “RADIO WAVE SURFERS”, “DER OSTEN IST ROT”, “FULL CIRCLE”, “CANAXIS” Mute
Les fans du génie de Can ont de quoi passer l’hiver et tenir jusqu’à l’été : plusieurs albums du musicien bidouilleur sortis à l’origine entre 1969 et 1993 sont arrivés dans les bacs. Des disques évidemment expérimentaux, sur lesquels Czukay ouvre les vannes entre bruitisme, musique du monde, collages et répétitions, où percussions délirantes et synthétiseurs en roue libre s’en donnent à cœur joie. L’album “Full Circle”, qui le voit rejoint par son vieux complice Jaki Liebezeit et son élève le plus studieux et le plus notoire, Jah Wobble (qui ne serait rien sans lui) en personne, est une bonne entrée en matière. ❐
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Réhab’ PAR BENOIT SABATIER
Ignorés ou injuriés à leur sortie, certains albums méritent une bonne réhabilitation. Méconnus au bataillon ? Place à la défense.
Le défouloir lubrique (et artistique) de Prince
VANITY6 “VANITY 6” Warner Bros
UNE MAUVAISE BLAGUE SALACE ? Tout le monde a pris ces Vanity 6 comme la provoc’ libidinale d’un proxénète pariant sur l’impact de MTV. Son virage porno, Prince l’a effectué deux ans plus tôt, avec le démentiel “Dirty Mind”. Où le nabot de Minneapolis balance à l’Amérique, en train d’élire Reagan, des histoires de galipettes entre frère et sœur, de pipes extraconjugales, de parties fines à trois et dans la bonne humeur. Le tout avec un Prince qui s’exhibe en petite culotte. Et le voilà qui en remet une couche en 1982, mais cette fois, plus choquant encore, en se planquant derrière des demoiselles en tenue légère, à qui il fait débiter des obscénités sur une musique non moins sexuelle. Le coup de pub d’un détraqué à court d’idées ? La trouvaille d’un girl group, Prince veut la piquer depuis un petit moment à son concurrent de l’époque, Rick James — qui pilote The Mary Jane Girls. Prince Rogers Nelson a rassemblé trois coquines, Susan Moonsie, Brenda Bennett et Jamie Shoop, mais entre la sortie de “Controversy” et la préparation de “1999”, il n’a pas beaucoup avancé sur le projet. Sa rencontre avec Denise Matthews, en janvier 1982, précipite l’affaire. Actrice débutante, Denise accompagne alors une star aux Music Awards. Elle vient avec Rick James... et repart avec le nain. Double larcin pour Prince. Denise gagne le leadership du girl group, remplaçant Shoop au micro et Susan dans le lit de Nelson. Le maquereau, complètement excité par cette comédienne (belle performance érotique dans “Tanya’s Island”), trouve leur nom de scène : Vagina And The Hookers. Denise lui conseille de se calmer. Elle s’appellera Vanity, et le groupe, Vanity 6 — elles sont trois, mais six sonne plus sex, et c’est le nombre de leurs seins. Prince s’empresse de composer une ode à l’orgasme, “Vibrator”, pour que Vanity la chante — ce qu’elle fait à moitié : ce sont plutôt des râles de plaisir. Les chansons cochonnes défilent : “Nasty Girl” (“I can’t control it, I need seven inches more”), “Wet Dream”, “Drive Me Wild”, “If A Girl Answers (Don’t Hang Up)”, etc. Tatillon sur l’artistique, Prince veille également à ce que le code vestimentaire du trio soit parfaitement respecté — une débauche de lingerie fine. Leurs performances et passages sur MTV provoquent immanquablement leur lot d’infarctus. Le défouloir d’un artiste priapique ? Bien plus que ça : l’album “Vanity 6”, gorgé de hits funk synthétiques, s’avère fantastique. Le charisme de Denise n’y est pas pour rien. Dès qu’elle ouvre la bouche, il fait très chaud. Prise pour une marionnette (en porte-jarretelles), elle sait tirer ses propres ficelles, compensant
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un chant limité par un sens de l’entertainment ravageur. Au tour des femmes d’être sexuellement agressives. Son interprétation est cochonne, mais elle, elle a du chien. Et, entre les mains, des compos au top : c’est l’époque “1999”, Prince est touché par la grâce. Planqué sous le pseudo Starr Company, épaulé par The Time, il conçoit un son entre funk, new wave et électro, une pop avantgarde à la fois audacieuse et accrocheuse, expérimentale et commerciale. Disque d’or. Vanity fait la couverture de Rolling Stone avec Prince (photo Richard Avedon), leur couple éblouit. Mais en privé, les projectiles volent, c’est orageux, une tempête de disputes. Alors qu’elle enregistre un nouveau single (“Sex Shooter”) et doit tenir le premier rôle féminin dans “Purple Rain”, elle claque la porte. Incroyable : Prince n’a pas l’habitude d’être largué. La chanteuse en a sa dose d’être sous-payée — 250 dollars par semaine. Nelson lui propose 5000 dollars pour “Purple Rain” alors que l’actrice reçoit une offre de 300 000 pour jouer dans “Le Dernier Dragon”. Et Motown lui soumet un contrat juteux, lui demandant par-dessus le marché d’être leur Miss Audio-Visual, avec à la clé une grosse promo autour de son nouveau disque. Ses deux albums Motown contiennent quelques bonnes chansons, mais Vanity est tombée dans le crack. Et dans le lit du bassiste de Mötley Crüe, Nikki. Vanity par Sixx : “Notre relation n’était basée que sur la consommation de drogue. Un jour, chez elle, des douzaines de roses sont livrées, avec un mot de Prince : ‘Virele. Reviens-moi.’ Peut-être s’envoyait-elle elle-même ces roses ? Mötley Crüe, on avait la réputation d’être des tarés : c’était rien par rapport à elle.” Leur union ne dure pas, contrairement à l’addiction de Denise. Overdose en 1993. Durant son hospitalisation, elle reçoit une visite impromptue : celle de Jésus, qui lui demande d’arrêter les conneries. Elle décide de partir prêcher la bonne parole dans tout le pays, mais souffre d’insuffisance rénale : une greffe s’impose. Ce radin de Prince vient à sa rescousse, publiant le morceau “Orgasm”, avec les gémissements de Vanity époque “Vibrator” — ce qui permet à Denise de toucher quelques royautés. C’est avec un rein tout neuf qu’elle va parcourir les Etats-Unis, montant désormais sur scène pour louer le Christ. Quand il apprend sa mort (le 15 février 2016, deux mois avant la sienne), Prince s’apprête à donner un concert à Melbourne. Il change la setlist et lui dédie un bouleversant “The Beautiful Ones”. Chanter “Nasty Girl” eut été déplacé. ★ Première parution : 11 août 1982
Vinyles PAR ERIC DELSART
La beauté absurde du suicide commercial Rééditions, nouveautés et 45 tours : le point sur les meilleurs microsillons du moment.
Rééditions Diana Ross & The Supremes “Supreme Rarities : Motown Lost And Found (1960-1969)” Third Man
Entre Detroit et Jack White, l’histoire d’amour continue. Toujours aussi décidé à mettre en valeur sa ville natale, le troisième homme vient de mettre la main sur une compilation de raretés du plus célèbre des girl-bands locaux — The Supremes — qu’il vient de faire presser
pour un superbe coffret quatre vinyles. Si Third Man se targue de publier le premier disque Motown jamais pressé à Detroit — les vinyles étaient naguère pressés à Owosso et Nashville — le vrai intérêt de ce coffret concerne évidemment ce qu’il contient : les chansons doo-wop touchantes des débuts (“Tears Of Sorrow”, 1960), des reprises surprenantes (“I Saw Him Standing There”, adapté des Beatles, “Not Fade Away” et “Satisfaction” des Rolling Stones, “MacArthur Park” de Richard Harris) ainsi que des dizaines de versions alternatives. Un régal pour les fans et amateurs de soul en tous genres.
The 4th Movement
“The 4th Movement” Drag City
L’histoire de Death est passionnante : ces trois frangins noirs de Detroit qui balançaient du protopunk dès 1975 ont connu grâce à la publication tardive de leurs premiers morceaux une résurgence aussi inattendue que touchante. L’album exhumé “For The World To See” est d’ores et déjà un classique, et, sans surprise, Drag City fait tous les fonds de tiroirs des frères Hackney pour trouver d’autres pépites. Aujourd’hui sort la réédition de l’album unique de The 4th
Movement, groupe de rock chrétien monté par le trio afin de tourner la page Death. Sorti en 1980, ce disque est une ode à la fuzz autant qu’au Christ et s’avère, sur certains morceaux, tout en ruptures (“Seeking The Life That’s To Be”), à la hauteur du talent des Hackney.
Catherine Ribeiro + Alpes “N°2”, “Ame Debout”, “Paix” Anthology Recordings
Personnage singulier de la chanson française, chanteuse militante héritière de Colette Magny portée sur les
expérimentations progressives, Catherine Ribeiro a publié, au début des années 70, en compagnie des avant-gardistes Alpes quelques-uns des disques les plus radicaux et fascinants sortis de l’Hexagone. A la fois réédités individuellement et dans un magnifique coffret (avec livret photo superbe), les trois albums publiés entre 1970 et 1972 sont indubitablement les meilleurs de cette association, le sommet absolu demeurant “Paix”, disque intense et électrique (moins folk que les précédents), parfois cosmique.
The Beta Band
The Meters
Slim Wild Boar
Music On Vinyl
Kizmiaz
Quand le sujet du funk arrive sur la table, l’évocation du nom des Meters fait peur. Il est question d’albums instrumentaux, de rythmes complexes, de funk cérébral, d’une technicité qui a fait d’eux le groupe funk préféré des musiciens, plus que du public. Avec leur premier album sorti en 1969, les Meters posaient les bases d’un funk langoureux made in New Orleans. Le disque reste connu pour “Cissy Strut”, au groove irrésistible.
Le chanteur folk breton Slim Wild Boar sort un nouveau mini-album en solo sans son compère Forsaken Shadow. Moins rock’n’roll et blues que par le passé, ce disque frappe par son dépouillement et sa noirceur (“Streams Of Ghosts”). Un condensé de mélancolie idéal pour la saison.
“The Meters”
“The Three EPs”, “The Beta Band”, “Hot Shots 2”, “Heroes To Zeroes”
Théâtre
Because
Caméléon/ Samplay
On dit souvent du Beta Band qu’il aurait dû être un des plus grands groupes de sa génération. On oublie aussi que celui-ci s’est sabordé tout seul en publiant un premier album noyé sous les samples et les private jokes. Pourtant, les Ecossais avaient bien débuté avec “The Three EPs”, magnifique (réédité ici dans un joli mais onéreux coffret), ils publièrent même quelques excellents disques (notamment “Hot Shots 2”) mais le train était passé. Restent, aujourd’hui, ces vinyles, réédités pour les 20 ans du groupe, afin de se rendre compte du talent de ces grands fantaisistes et méditer sur la beauté absurde du suicide commercial.
L’histoire de Théâtre est presque ordinaire : un groupe de jeunes gens prend le mouvement punk de plein fouet à la fin des années 70 et décide de monter son propre projet. Quelques concerts mémorables s’enchaînent, des morceaux sont enregistrés, un single sort, les musiciens vont et viennent, le groupe vivote, et puis rideau. Ce qui est moins ordinaire ici, c’est que ces Honfleurais avaient quelques perles (ostréicoles) à leur répertoire (“Dancers”), portés par un son post-punk métallique qui évoque un Magazine lo-fi (“Les Mouches”).
Bryan MacLean “Ifyoubelievein”
“Théâtre”
Nouveautés
Photo Bruno Berbessou
Sundazed
Si on pense souvent à Arthur Lee quand on pense à Love, on oublie souvent l’âme torturée du groupe, le moustachu Bryan MacLean, auteur des immortels “Alone Again Or”, “Orange Skies” et “Old Man”. Quand Lee a viré son groupe après “Forever Changes”, MacLean s’est vu offrir un contrat par Elektra. Malheureusement, ses démos n’ont pas convaincu le label et le chanteur s’est alors détourné de la musique pour se consacrer à la religion. “Ifyoubelievein”, sorti à l’origine en 1997, compile lesdites maquettes (alors écrites avec Love en tête) et dévoile un chanteur folk passionnant. Les fans de Love apprécieront les versions alternatives de classiques, mais le vrai bonheur ici réside dans les inédits (“Kathleen”, “Fresh Hope”).
Heartthrob Chassis “Arrhythmia” Milan
Icône de la scène garage de Detroit des années 90 avec les Demolition Doll Rods, trio glam/ lo-fi qu’elle a mené une décennie durant, l’immense Margaret Doll Rod est de retour avec une nouvelle formation après une escapade solo. Minimaliste au possible (deux guitares sursaturées, une batterie sommaire), Heartthrob Chassis incarne une sorte d’îlot de résistance de la vieille garde de Detroit, bien décidée à préserver l’identité sulfureuse de la scène locale.
“Pure Dust”
45 tours Sleep
“Leagues Beneath” Third Man
Rois du doom, connu pour leurs morceaux à rallonge (dont le légendaire “Dopesmoker” qui dure plus d’une heure), les Sleep ont fait un retour
fracassant cette année en publiant un album et un EP chez Third Man. Au-delà de ses qualités hallucinatoires, “Leagues Beneath” s’avère simplement un beau disque (sans face B, cette dernière étant illustrée d’une gravure horrifique).
The Somethings “Oh Non !” Caméléon
On dit d’eux qu’ils étaient le plus grand groupe de Picardie dans les années 60. Comme de nombreux disques exhumés par Caméléon, les Somethings d’Amiens sont venus au rock par les Animals et les Them. Des influences qu’on entend sur ce magnifique EP chanté en français et sorti à l’origine sur Decca. ❏
Discographisme_14 PAR PATRICK BOUDET
On ne juge pas un livre à sa couverture. Et un album ? Chaque mois, notre spécialiste retrace l’histoire visuelle d’un disque, célèbre ou non.
“Placebo” Placebo
Première parution : 17 juin 1996
D
ès sa formation, le power trio de Brian Molko effectue des tournées incessantes dans les clubs. Cette frénésie révèle une rage insatiable et un désir de se confronter jusqu’à l’épuisement au public, à la route et à soi. Une manière de se construire, mais aussi d’hurler un trop-plein d’angoisses qui tourmente ces musiciens établis à Londres. La pochette de leur premier album est conçue par l’artiste contemporain Saul Fletcher, qui débute, lui aussi, sa carrière. A cette époque, Fletcher pratique surtout la photographie, shootant son quotidien, le paysage rural de son Lincolnshire natal, ses proches, des objets personnels et, plus tard, des installations, souvent minimalistes, composées de morceaux de bois, de feuilles séchées, de ficelles et d’os d’animaux. L’artiste affectionne les scènes où les personnes se sentent piégées dans leur univers et ressentent un isolement profond. C’est exactement le cas ici. Parti travailler à Londres, Fletcher revient chez lui, à Scunthorpe, pour assister à l’enterrement de son cousin, Duane, décédé de myopathie. Le jeune frère de ce dernier, David Fox, 12 ans à l’époque, se laisse prendre en photo par Fletcher qui est touché par la détresse du jeune garçon et l’environnement morbide de la situation.
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Rien n’est vraiment préparé, le photographe saisit son jeune cousin avec son hoodie en polaire rouge et trop grand, devant une palissade en métal rouillé délimitant un jardin. C’est la façon qu’a Fletcher d’évacuer les drames et angoisses de l’existence. Pour la petite histoire, 16 ans après la sortie de l’album, David Fox déclarera dans la presse vouloir intenter un procès au groupe et au photographe, parce que le cliché aurait ruiné sa vie en projetant de lui une image dépréciative, faisant de lui un objet de moquerie dans son collège. D’autres auraient rêvé figurer sur la pochette d’un groupe à la mode. Afin de replacer l’album dans son contexte musical et esthétique, “Placebo” est publié en juin 1996, soit durant les heures de gloire commerciale de la britpop, mouvement mené tambour battant par Pulp, Blur ou Oasis mais dont Placebo ne s’est jamais vraiment réclamé. Les pochettes britpop se jouent habilement des codes esthétiques et sociétaux en ayant recours à des photographes de renom : recadrage et saturation des couleurs d’un cliché de Charles Hewitt pour le “Leisure” de Blur (août 1991) ; pochette de Peter Saville avec le photographe de mode Horst Diekgerdes pour “This Is Hardcore” de Pulp (mars 1998). Quant aux pochettes
d’Oasis, ce sont des nids de références personnelles, musicales, cinématographiques, sportives... que ce soit “Definitely Maybe” (1994) ou “(What’s The Story) Morning Glory?” (1995). On voit chez ces jeunes gens le sens de l’ironie et du jeu qui cadre parfaitement avec leur appréhension musicale postmoderne. Avec Placebo, on ferraille plutôt avec la brutalité des émotions. Pas de relecture du passé musical, pas de pose référentielle, la photo de Fletcher capte un drame qui n’a rien à voir avec la peine vécue par le sujet — et ce sera probablement la source de la confusion de David Fox et la raison de son procès. Ce drame, c’est l’adolescence. Et tout dans ce cliché y renvoie. Si la couleur verte symbolise souvent l’espoir, ici le ton verdâtre, les dégradés de vert dilués par les intempéries, les plaques de métal rongées par la corrosion, révèlent la toile de fond du quotidien adolescent : un sentiment d’enfermement et d’incompréhension du monde adulte devant l’ébullition de son âme, rongée par les tourments symbolisée par le sweat-shirt rutilant. Les manches trop grandes du vêtement forment des entrelacs renvoyant aux chemins tortueux à parcourir, aux affections psychologiques souvent contradictoires, à cette difficulté de trouver un chemin qui libère des angoisses existentielles. Ces plis illustrent aussi les turpitudes des relations amoureuses, les angoisses liées aux séparations, souvent sans tact, comme le chante Brian Molko sur “36 Degrees”. Le vêtement, disproportionné, met en exergue l’inadéquation du corps adolescent avec ce qu’il ressent et ses aspirations sexuelles, tiraillé entre le désir de passer à l’âge adulte pour vivre ses pulsions et le refus de cette transformation incommodante, qui mène on ne sait où. La grimace, où les mains tirent exagérément les traits vers le bas nous fait penser au masque d’Artémis à double expression, utilisé dans le théâtre classique où la joie et le rire côtoient intimement les pleurs et la peine, proximité fréquente à cet âge. Cette expression exagérée de la souffrance est un jeu avec celle-ci, une mise à distance — n’est-ce pas, après tout, ce qu’essaie de faire musicalement Brian Molko ? On peut y voir, sans doute, de l’autodénigrement, car l’adolescent est cet être qui se méprise, qui manque d’estime à son égard, jugeant ses souffrances inavouables. Mais, il y a également cette rage de communiquer ce malaise aux adultes, de la mettre sous leur nez, comme s’ils l’ignoraient effrontément ou l’avait oubliée. Car, c’est aussi un des enjeux du rock de conserver cette fougue adolescente. La puissance du désir naissant et l’impossibilité de le réaliser, l’identité sexuelle et le trouble du choix, le recours à la drogue comme un exutoire factice. Ce malaise, Placebo le parcourt de long en large dans ses textes comme dans sa musique. En grandissant, Brian Molko et Placebo trouveront leur voie et intégreront le monde adulte. Ils assécheront également leur discours, au risque d’être répétitifs ou, sans doute, trop vieux pour exprimer l’angoisse adolescente (“Teenage Angst” est l’un des singles tirés de l’album) avec crédibilité. Placebo, avec le temps et le succès, en a fini avec l’âge ingrat. Conclusion à laquelle David Fox n’est malheureusement pas arrivé. ■
Qualité France PAR H.M.
Ska non-festif Le nom d’un groupe, bien souvent, est révélateur de sa personnalité et de son style musical. Il peut se dissimuler derrière le masque anglophone ou pratiquer une certaine dérision. Ainsi, parmi les
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Originaire de Montbéliard, Two Tone Club ne dévie pas de sa ligne fondatrice avec son quatrième album : les huit musiciens de ce big band cuivré restent fidèles à leur optique rude boy. Le son et l’enregistrement haut de gamme donnent une dimension délectable à leur mélange de ska, rocksteady et reggae propulsé par des orchestrations soignées et un chanteur habité et bilingue. Le résultat est digne des meilleures productions de la vague anglaise 2 Tone de la fin des années 70, quand le ska non-festif avait déferlé tous azimuts (“Don’t Look Back”, Productions Impossible Records, facebook.com/twotoneclub).
Jean Michel Jarret est un trio féminin (de Valence) qui, comme son nom peut l’indiquer, pratique la dérision et excelle, sur son premier EP six-titres (enregistré live par Ray Borneo), dans un électro punk offensif et fun : deux synthés, une boîte à rythmes et trois voix, pour un mélange énergique mais toujours mélodique où, entre deux déflagrations, émerge un petit bijou pop (“See You Soon”). Le trio montre aussi son insolence sur le seul morceau en français : “La paresse, je la caresse du bout des fesses” (“We Are Not Merchandise”, Petrol Chips, facebook.com/people/ Jean-Michel-Jarret).
Déjà remarqué dans cette rubrique, Whodunit (quartette parisien en activité depuis 2003) revient avec un pétaradant quatrième album mixé par Jim Diamond, producteur mythique de la scène garage de Detroit (White Stripes, Bellrays). La maestria sonore va de pair avec l’évolution du groupe qui a ouvert son champ d’action au-delà de ses fondamentaux (Cramps et Gun Club) pour attaquer dans toutes les directions, entre garage, punk rock, blues mutant et rock psyché (“Memories From A Sh*thole”, Beast Records, facebook.com/Whodunit).
Les cinq Suisses de The Rebels Of Tijuana ne craignent pas de bousculer les habitudes : sur leur quatrième album depuis 2008, ces adeptes du rock garage tendance yéyé débutent par une ballade éthérée qui entérine leur virage pop. Ils savent retrouver rapidement leur goût du groove sixties avec “Erotique”, mais pratiquent une diversification féconde qui les entraîne aussi bien du côté d’une néo-bossa nova (“Et Le Blizzard S’Estompe”) que d’une reprise pétrifiée de mélancolie de “Quand J’Etais Chanteur” (“Asile”, Le Pop Club Records/ Echo Orange, facebook.com/TheRebelsOfTijuana).
huit sélectionnés du mois (sur les cinquante-sept arrivages à la rédaction), la moitié se dévoilent plus ou moins ouvertement avant même l’écoute de leur production.
Fondé en 2012 à Uzès par quatre copains de lycée, Miximetry s’est déjà fait les dents sur trois EP avant de sortir ce premier album. Il attaque bille en tête avec un rock à guitares qui dévoile rapidement une certaine dimension pop à travers le goût des refrains et des vocaux plein de fraîcheur, à la limite de la préciosité. Assumant totalement le choix du français, les douze chansons proposées s’illustrent par leur mélange de grâce harmonique et d’efficacité rythmique (“Réalité Diminuée”, M &O Music, miximetry.com, distribution Dom Disques).
Venus de Montpellier, Les Lullies, qui n’existent que depuis deux ans, se sont fait connaître avec un premier EP édité par un label barcelonais et des prestations remarquées dans des festivals. Le premier album, dans la langue du MC5, de ce quatuor est à son image : trépidant, survolté, il remet au goût du jour, sans jamais baisser la garde, une certaine idée du punk rock qui se réclame des Fun Things ou des Real Kids mais évoque également l’énergie dévastatrice du premier album des Saints (“Les Lullies”, Slovenly Recordings, adrenalinfixmusic.com/ les-lullies, distribution Differ-Ant).
En cinq ans, le duo No Money Kids a acquis une solide réputation en multipliant les concerts à l’étranger et en voyant certains de ses titres repris dans des séries ou des films américains. Ce troisième album concrétise l’aboutissement d’une formule reposant sur la complémentarité chant-guitare et basse-machines au service d’un mélange d’électro, de blues et de rock qui cultive un groove séducteur, n’oublie pas son énergie initiale et assume ses racines, au gré de morceaux puissants et souvent accrocheurs (“Trouble”, Roy Music, nomoneykids.com).
En piste depuis 2007, en solo ou avec des groupes, Clelia Vega a déjà sorti deux albums et ce nouvel EP cinq-titres irradie de délicatesse : dotée d’une voix envoûtante et surprenante, cette fille d’un guitariste punk qui officiait avec Nuclear Device s’est démarquée en optant pour une formation de piano classique puis en s’immergeant dans l’indie folk. Entourée d’instruments acoustiques qui constituent l’écrin de ses volutes vocales, elle ensorcelle avec ses mélodies éthérées qui restent en apesanteur (“Slanting Horizon”, Amok, difymusic.com/cleliavega). ❏
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Highway 666 revisited PAR JONATHAN WITT
Groupes hard rock, groupes cultes
Funeste accident de la route
FLOATING BRIDGE BIEN AVANT LE LABEL SUB POP, Nirvana et le grunge, le rock’n’roll avait déjà sa place au nord-ouest des Etats-Unis. Parmi les pionniers, on compte évidemment les Sonics, mais aussi les Wailers. Ces derniers comptaient en leur sein un brillant guitariste, Richard Dangel, qui sera à l’origine de l’un des plus flamboyants attelages heavy psych : Floating Bridge. Tacoma, Etat de Washington. Nous sommes en 1958, et Richard Dangel est le sémillant guitariste de The Night Cops, qui devient très vite The Wailers, l’un des pionniers du rock garage local. L’une de leurs démos atterrit sur le bureau de Clark Galehouse, ponte de Golden Crest Records. Il les enjoint de réenregistrer “Tall Cool One”, un rock’n’roll instrumental de facture très classique, qui rencontre dès sa sortie en 1959 un certain succès et grimpe jusqu’à la 36ème place du Billboard. Pas un mince exploit. Peu après, les Wailers fondent leur propre label, Etiquette. Ils recrutent un chanteur gominé, Rockin’ Robin Roberts, qui apporte une reprise, “Louie Louie”. Les Wailers en gravent une version définitive,
avec saxophone et solo de guitare pétillant signé Dangel. Un DJ local s’éprend de ce titre très réussi, dont l’arrangement sera décalqué par les Kingsmen deux ans plus tard. Après deux albums (dont l’excellent “Wailers!!!! Wailers Everywhere”) et quelques années à faire gigoter les adolescents, Rich se lasse des Wailers dès 1964 : il souhaiterait poursuivre une carrière dans le jazz... Il revient bien vite avec The Rooks puis The Time Machine. Il assemble ensuite Unknown Factor avec quelques vétérans de la scène de Seattle : Joe Johansen à la seconde guitare, Joe Johnson à la basse et Michael Marinelli à la batterie. Johnson a côtoyé Dewey Martin (futur Buffalo Springfield) ainsi que Sneaky Pete Kleinow, tandis que la rumeur affirme que Johansen fut idolâtré par le jeune Jimi Hendrix. Le prometteur attelage se rode avec la chanteuse Patti Allen, et recrute Pat Gossan, claviériste à l’origine, pour tenir le micro. Le désormais quintette devient alors Floating Bridge. Très vite, sa réputation se propage, du circuit des clubs de Seattle jusqu’à la Bay Area. Vault Records propose un contrat, rapidement signé, et dépêche les chevelus en studio pour graver un
premier opus en compagnie du producteur Jackie Mills, ancien batteur de jazz (qui s’occupe alors de Kaleidoscope). Ce premier album révèle une formation superbe, aérienne, étincelante. Ce qui marque, ce sont ces deux guitaristes, Rich Dangel et Joe Johansen, qui virevoltent avec virtuosité, dopés à l’acide, avec une légèreté qui pourra évoquer la paire Mike Bloomfield/ Elvin Bishop, ou bien Tom Verlaine/ Richard Lloyd, par anticipation. Ces fabuleux duellistes sont soutenus par une rythmique idéalement souple et complétés par la voix blanche, légèrement soul, de Gossan. L’inaugurale “Crackshot”, sept minutes au compteur, est constellée de soli brillants, épurés, posés sur un riff de base qui rappelle “Foxy Lady”. “Three Minute & Ten Second Blues” est fermement ancrée dans le psychédélisme viril, tout comme “Brought Up Wrong”, qui bénéficie une nouvelle fois d’un étincelant solo. “You’ve Got The Power” est plus lourde, rageuse. Floating Bridge offre aussi de longues reprises instrumentales : la première est une fluide version de “Hey Jude”, puis l’on découvre un étonnant medley qui associe “Eight Miles High” à “Paint It Black”. Cet impeccable album s’achève sur un blues lent à la structure classique, “Gonna’ Lay Down ’N Die”. La gloire semble proche pour les cinq Floating Bridge. Leurs amplis crépitent en ouverture de mastodontes comme Led Zeppelin, Vanilla Fudge, Moody Blues, BB King ou Johnny Winter. Hélas, Rich Dangel décide de plaquer ses camarades. C’est le début de l’année 1969 et Dangel, père de famille, tient à réussir dans le milieu fermé du jazz. Il est suppléé par Denny McLeod. Floating Bridge prend part aux festivals les plus cotés de la région, comme le Seattle Pop Festival, aux côtés des Doors, Ten Years After ou Chuck Berry, ou le Vancouver Pop Festival, avec Little Richard et Canned Heat. Floating Bridge est renvoyé en studio pour un deuxième effort. Le processus est douloureux, au point que McLeod jette l’éponge. Les choses vont de mal en pis quand le quintette subit un funeste accident de la route, puis se fait dérober l’intégralité de son matériel. Pour parachever le tout, Vault décide de ne pas publier le tant espéré deuxième album (qui reste à ce jour inédit). Une vraie bérézina. Accablé, Floating Bridge se sépare en décembre 1970. Tous ses membres poursuivront d’honorables carrières, à commencer par Rich Dangel, qui monte bientôt Sledgehammer. On retrouvera Marinelli aux côtés de Jerry Garcia et Howard Wales pour le très progressif “Hooteroll” en 1971. Joe Johansen, quant à lui, plongera dans l’héroïne mais participera tout de même à “D&B Together” avec les amis de Delaney & Bonnie. ❏
Beano Blues PAR CHRISTIAN CASONI
A VICTORIA SPIVEY
Photo Michael Ochs Archives/ Getty Images
1906 (Texas) - 1976 (NewYork)
La vie est une bouffée de hasard, l’histoire s’éparpille beaucoup avant qu’on lui trouve un sens. La découpe du blues en tranches n’est nette que dans les livres. Seul un encyclopédiste dira qu’en 1926, une pianiste texane donna, à la complainte des premières chanteuses de blues, une accroche plus lumineuse, plus légère, et l’humeur précoce d’un blues du Nord. Victoria Regina Spivey débute seule au piano mais, dès 1927, se lance dans des duos piano-guitare avec Lonnie Johnson, deux ans avant Carr et Blackwell. La testostérone commence à infester le marché. “Black Snake Blues” (OKeh), son premier disque, c’est sa chanson. Son partenaire Blind Lemon Jefferson la lui barbote et l’enregistre sous son nom chez Paramount, à Chicago (“Black Snake Moan”). Ce mufle revient à la charge quelques mois plus tard, et chez OKeh même, par la grâce d’un adjectif démonstratif : “That Black Snake Moan”. A douze ans, Victoria improvisait au Lincoln Theater de Dallas, jouant derrière les films muets. Peu après, elle se produisait dans toutes les maisons closes et les bars interlopes du Texas avec cet enflé de Blind Lemon. Elle n’était pas une de ces gosses à la dérive tant elle semblait ambitieuse, peut-être même avertie de son destin. Deux de ses sœurs chantaient aussi, dans le style assez lourdingue des matrones du vaudeville, Addie et Elton, dites Sweet Peas et Zazu Girl. Elles s’enlisèrent bien loin du buisson de laurier mais Victoria, avec sa voix espiègle et fraîche, plus naturelle que celle de bien de ses rivales à la noirceur affectée, avait tout pour réussir. Elle était jeune et jolie, savait chanter, jouer, composer, écrire et aguicher. Dans les années 60, elle montrera qu’elle était capable de faire tenir un label debout. Passant par Saint-Louis en 1926, elle était tombée sur le studio volant que la maison OKeh faisait tourner dans la ville. Le 78 tours “Black Snake Blues”/ “No More Jelly Bean Blues” est emballé. Chez OKeh, on pose des additions drôlement sympas. Victoria rempile maintes fois chez eux jusqu’à la crise, à Saint-Louis d’abord puis à New York. “Dirty Woman Blues”, “Hoodoo Man Blues”, “TB Blues”, “Dope Head Blues”, “A Good Man Is Hard To Find”, “Organ Grinder Blues”, elle vole de succès en succès. “My Handy Man” : “When my furnace gets too hot, he’s right there and turns my damper down”. Celles qui l’ont précédée n’y allaient pas avec le manche du couteau pour tartiner du beurre de cuisse, mais Victoria le faisait avec l’innocence d’une vierge, une bonne pointe d’accent texan et quelques r roulés. Ces bordées de lubricité candide ne
l’empêchaient pas de chanter quelques mélos dignes et poignants comme “Blood Thirsty Blues” : “Blood, blood, look at all that blood. Yes, I killed my man, a low down good for nothing clown”, et des petits trucs de fille : “Just give me one more sniffle, another sniffle of that dope” (“Dope Head Blues”). Quand une crise est en train de défoncer le pays, elle manœuvre serré pour rester dans la course, tandis que ses vieilles rivales disparaissent les unes après les autres. Les tandems piano-guitare se mettent à proliférer, elle change de taxi pour rejoindre ses nouveaux pénates new-yorkais, Victor, Vocalion, et sa nouvelle adresse pour toutes les années qui lui restent à vivre. Elle embarque dans les orchestres de Louis Armstrong ou d’Oliver King, et poursuit tant bien que mal sa remise à jour du vaudeville salace sous d’autres parures, à la croisée du dixieland, du swing et du blues, toujours drôle et inventive (“Good Cabbage”). Elle décroche un petit rôle dans la comédie musicale de King Vidor, “Hallelujah” et, maintenant qu’elle est new-yorkaise, court les revues (“Hellzapoppin’ ” en 1938). Elle se dépense ainsi jusqu’en 1951, date à laquelle elle se replie dans une chorale religieuse de Brooklyn pendant dix ans. 1961, branle-bas de combat. On tente de ranimer les mémères survivantes du premier âge, programme de décongélation globalement foireux sauf pour Victoria. Avec son vieux pote des années 20, Lonnie Johnson, elle enregistre un bel album chez Prestige : “Idle Hours”, en partage un autre avec Alberta Hunter et Lucille Hegamin : “Songs We Taught To Mother”, puis fonde Spivey Records avec le musicologue Len Kunstadt, label surtout connu pour avoir recruté le tout jeune Bob Dylan à l’harmonica sur deux titres de Big Joe Williams. Spivey Records sort de la glacière quelques miraculées de la deuxième décennie : Hegamin, Sippie Wallace, Hannah Sylvester, et une fournée de messieurs démodés, trop jeunes ou pas assez ruraux, que les jeunes folkeux américains ne regardent pas encore comme des sujets de dissertation : Big Joe Turner, Otis Spann, Otis Rush, Willie Dixon... Victoria tourne en Europe avec l’American Folk Blues en 1963, chauffe une série de cires maison sous des pochettes affreuses (la touche Spivey), qui renferment quelques vieilles dentelles d’excellente facture : “I Ain’t Gonna Give Nobody None Of My Jelly Roll”, “Grant Spivey”, “Jet”, fait mille choses encore et meurt à 70 ans parce qu’il faut bien que ça finisse un jour.
Erudit rock
PAR PHILIPPE THIEYRE
Cher Erudit, la mort de DANNY KIRWAN, troisième des guitaristes originels de Fleetwood Mac, est un peu passée inaperçue. Quel fut le destin de ce prodige ? PIERRE (courriel) Après avoir côtoyé les sommets, Danny Kirwan connut une vie chaotique, plus tragique encore que celles de Peter Green et Jeremy Spencer. Miné par des problèmes psychologiques, l’abus d’alcool, une incapacité à assumer le rythme des tournées et son statut précoce de guitar hero, à l’âge de dix-huit ans. A l’origine de Fleetwood Mac avec le batteur Mick Fleetwood, les guitaristes Peter Green et Jeremy Spencer vont aussi quitter le groupe de façon prématurée, le premier, en1970, atteint de schizophrénie et de paranoïa après une prise de LSD impromptue à Munich, le second, en 1971, après un difficile trip de mescaline, disparaissant pour rejoindre une secte, les Children Of God. Daniel David Langran
est né le 13 mai 1950 à Brixton, un quartier du sud de Londres, comme David Bowie et Paul Simonon. Plus tard, Daniel prend le nom de son beau-père, Kirwan. Il apprend la guitare en autodidacte à l’écoute de Hank Marvin des Shadows, de Django Reinhardt, puis d’Eric Clapton. En 1967, alors qu’il se produit avec Boilerhouse, un trio blues, il attire l’attention du producteur Mike Vernon, fondateur du label Blue Horizon. Également impressionné, Peter Green décide de prendre en charge la carrière du groupe, mais à condition de changer de bassiste et de batteur. Les auditions s’étant révélées infructueuses, Mick Fleetwood propose donc à Kirwan d’intégrer Fleetwood Mac en août 1968. Fan de Green, ce dernier accepte avec enthousiasme. Le groupe est donc constitué d’un batteur, Mick Fleetwood, d’un bassiste, John McVie, et de trois guitaristes, Jeremy Spencer, à la slide, Peter Green et Danny Kirwan. Les deux premiers albums sur Blue Horizon, “Fleetwood Mac” (1968) et “Mr Wonderful” (1968), étaient des
Photo Michael Putland/ Getty Images
Danny Kirwan, 1975
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disques de blues inspirés par Elmore James, mais l’arrivée de Kirwan va conforter Green dans sa volonté d’élargir son spectre musical, d’autant que Spencer était peu disposé pour jouer sur les nouvelles compositions. En octobre 1968, Kirwan participe à ses premières séances d’enregistrement dont sortira, en novembre, le single à succès “Albatross” avec en face B “Jigsaw Puzzle Blues”, une de ses compositions instrumentales. “Then Play On”, un des grands disques du rock anglais, sort en septembre 1969 sur Reprise. Si Spencer n’y contribue pratiquement pas, Kirwan, dont le style à la Gibson se fond à la perfection avec celui de Green, est bien présent, composant sept des quatorze titres, dont “Coming Your Way”, “Also The Sun Is Shining” et “Like Crying”, du moins sur le pressage anglais, le contenu des diverses versions US proposant des variantes en incluant, notamment, le 45 tours à succès “Oh Well”. Il est suivi par un autre single mémorable, “The Green Manalishi (With The Two Prong Crown)”. Sorti en décembre 1969, le double album “Blues Jam At Chess” a été enregistré en janvier à Chicago dans les studios Chess pour Blue Horizon avec, entre autres, Shakey Horton, Otis Spann, Willie Dixon, Buddy Guy. Kirwan joue sur dix-sept des vingt-deux morceaux. En mai 1970, Peter Green quitte le groupe. Pour “Kiln House” (1970) à l’orientation plus fifties, Kirwan signe “Tell Me All The Things You Do”. Spencer prend une place plus importante mais, en février 1971, il disparaît subitement avant le concert prévu à Los Angeles. Retrouvé quelques jours plus tard chez les Children Of God, il annonce son départ définitif. Ayant déjà contribué à “Kiln House”, la pianiste et chanteuse, Christine Perfect, future McVie, auparavant dans Chicken Shack, devient le cinquième membre de Fleetwood Mac. Le guitariste et chanteur américain Bob Welch, qui avait formé Head West à Paris, remplace Spencer pour “Future Games” (1971) dont la tonalité s’éloigne du blues des débuts pour s’orienter vers une approche plus pop, mais toujours avec de lumineux solos de guitare. Danny Kirwan a écrit trois chansons, dont “Sands Of Times” et la superbe “Woman Of A Thousand Years”. Sur “Bare Trees” (1972), cinq des dix titres sont l’œuvre de Kirwan, notamment “Bare Trees” et “Dust”. Avant un concert de la tournée de promotion de l’album, il boit plus qu’il ne mange, part en vrille, se frappant la tête et les mains contre les murs, fracassant sa Gibson Les Paul avant de refuser de monter sur scène. D’un caractère introverti, fragile et mal à l’aise, perfectionniste jusqu’à l’obsession, il arrivait à Kirwan de pleurer en jouant, tellement son investissement était grand.
Photo DR
Violes de gambe et vielles à roue
Dead Can Dance
Il est viré du groupe en août 1972. Avec Fleetwood Mac, on le retrouve sur de nombreux live, en particulier “Shrine 69” (1999) et “Live At The BBC”, et des compilations d’inédits, “The Vaudeville Years” (1998) et “Show-Biz Blues” (2001). Il participe également, de 1969 à 1974, à des albums d’Otis Spann, de Tramp (dont les meilleurs titres portent sa signature), de Christine Perfect, de Jeremy Spencer et de Chris Youlden, l’ancien chanteur de Savoy Brown (“Nowhere Road”). De 1975 à 1979, il réussit à enregistrer trois albums sous son nom dans un registre pop rock : “Second Chapter” (1975) ; “Midnight In San Juan” (1976) ; “Hello There Big Boy!” (1979) avec Bob Weston qui le remplaça dans Fleetwood Mac. Malheureusement, sortis sans promotion, ces trois bons disques passèrent inaperçus d’autant que, depuis 1974, Kirwan déclinait toute invitation à remonter sur scène. A partir de 1980, sans domicile fixe, il vit dans la rue ou dans des foyers entre deux séjours en clinique. Il meurt le 8 juin 2018 dans un centre de soin londonien.
Cher Erudit, j’aimerais mieux connaître le parcours de DEAD CAN DANCE et sa discographie. MARIE, Dax Considéré au départ comme un groupe de new wave gothique, l’esthétique musicale de Dead Can Dance a parfaitement collé à l’esprit et à l’esthétique picturale du label 4AD, créé en 1980 par Ivo Watts-Russell et Peter Kent. Dead Can Dance en deviendra une des formations emblématiques au même titre que Cocteau Twins. Dead Can Dance a été créé à Melbourne, Australie, en août 1981 autour du duo formé par la chanteuse australienne Lisa Gerrard, née le 12 avril 1961 à Melbourne et le multiinstrumentiste et chanteur anglais Brendan Perry né le 30 juin 1959 à Londres. A leurs côtés, Simon Erikson (basse) et Simon Monroe (batterie). Monroe et Perry à la basse et au chant,
respectivement sous les pseudos de Des Truction et Ronnie Recent firent partie, de 1977 à 1980, avec Johnny Volume et Mike Lezbian, des Scavengers, un des premiers groupes punk néozélandais. Il existe trois compilations des Scavengers, la dernière en 2014, “The Scavengers”. Fin 1979, les Scavengers s’installent à Melbourne où ils prennent le nom de Marching Girls, Perry et Monroe quittant le groupe après la sortie d’un premier 45 tours en 1981. De son côté, à partir de 1978, Lisa Gerrard intègre plusieurs formations figurant sur des compilations de la scène underground de Melbourne comme Junk Logic, Stand By Your Guns, The Go Set et Microfilm avec qui elle sort un 45 tours en 1980. Après avoir gravé une démo parue sur une cassette du magazine Fast Forward, Dead Can Dance se réduit à un duo après son installation à Londres, en 1982. Dès lors, Gerrard et Perry s’entoureront de différents collaborateurs au fil des projets. Le premier album paraît en février 1984 avec, parmi les accompagnateurs, Peter Ulrich aux percussions, James Pinker aux timbales et aux mixes, Simon Rodger au trombone : “Dead Can Dance” (1984). Chantant avec des mots inventés choisis pour leur sonorité, Lisa Gerrard joue également du yangqin, cithare chinoise, proche du dulcimer médiéval, dont les cordes sont frappées à plat. Cette même année, sort le EP, “Garden Of The Arcane Delights”, Gerrard et Perry participent aussi à l’album “It’ll End In Tears” de This Mortal Coil, un collectif de 4AD initié par Ivo Watts-Russell. Le titre du deuxième album, “Spleen And Ideal” est emprunté au premier chapitre des “Fleurs Du Mal” de Charles Baudelaire. Ce disque marque une étape importante dans l’élaboration d’un style singulier, mélange de rock, de world et de musique médiévale, martelé par des percussions sur lesquelles se posent la voix éthérée de Lisa Gerrard et celle grave, profonde de Brendan Perry. Les orchestrations ont souvent recours à des instruments tels que hautbois, alto, violon, trombone, violoncelle. Sur “Within The Realm Of A Dying Sun” (1987), la première face est chantée par Perry, la deuxième par Gerrard ; “The Serpent’s
Egg” (1988), ouvrant par “The Host Of Seraphim” ; “Aion” (1990), les musiques du Moyen Age et de la Renaissance en sont la source d’inspiration, notamment par l’utilisation de violes de gambe et de vielles à roue ; “Into The Labyrinth” (1993), tous les instruments sont joués par Gerrard et Perry, le texte du long “How Fortunate The Man With None” est adapté d’un poème de Bertolt Brecht ; “Toward The Within” (1994), présenté sous forme d’un coffret, un live contenant de nombreux inédits ; “Spiritchaser” (1996), une inspiration plus orientalisante à l’image de “Indus”. Le duo met fin à Dead Can Dance en 1998, se reformant en 2005 pour une série de concerts dont sera tirée une série limitée d’une vingtaine de double CD ainsi que deux coffrets. La reformation de 2012 débouche, elle, sur un nouvel album pour Pias : “Anastasis” (2012) suivi par une tournée, “In Concert” (2013). Nouvel opus en 2018, dans la lignée du précédent : “Dionysus”. Compilations : “A Passage In Time” (1991) ; “Dead Can Dance (1981-1998)”, un coffret de trois CD et un DVD offrant quelques raretés. Lisa Gerrard a sorti quatre albums sous son nom, “The Mirror Pool” (1995), “The Silver Tree” (2006), “The Black Opal” (2009) et “Twilight Kingdom” (2014). Elle a surtout multiplié les collaborations, notamment avec Pieter Bourke, Patrick Cassidy et Klaus Schulze avec qui elle a effectué plusieurs tournées entre 2008 et 2014. Enfin, elle a participé à de très nombreuses musiques de films, plus d’une cinquantaine, que ce soit pour une chanson ou la totalité de la BO. Brendan Perry a réalisé un magnifique premier album solo digne des meilleures productions de Dead Can Dance : “Eyes Of The Hunter” (1999) avec une superbe reprise du “I Must Have Been Blind” de Tim Buckley ; “Ark” (2010). Parmi ses collaborations, on retiendra celles avec Hector Zazou dont “Sahara Blue” (1994), “Lights In The Dark”, et surtout avec Olivier Mellano, “No Land” (2017) très proche dans l’esprit de Dead Can Dance. ❏
DECEMBRE 2018 R&F 097
Le film du mois PAR CHRISTOPHE LEMAIRE
Les habitants de Salem se déchaînent
Assassination Nation DE SAM LEVINSON Comment décrire avec tact cet objet cinématographique punk, destroy, politiquement engagé et à contre-courant total des blockbusters amidonnés ? Ce film de Sam Levinson (fils de Barry, réalisateur de “Rain Man”), recontextualise le fameux fait divers des sorcières de Salem dans l’Amérique de 2018. Rappelons les faits en quelques lignes : en 1692, un mouvement de paranoïa intense coûte la vie à une vingtaine de femmes de tous âges, qui, injustement accusées de sorcellerie, sont pendues. Une affaire terrifiante, au débit d’une Amérique éprise de puritanisme décadent et de religiosité mal placée et qui inspira maints films dramatiques (comme “Les Sorcières De Salem” de Raymond Rouleau) ou horrifiques (le génial “Lords Of Salem” de Rob Zombie en passant par la saison 3 de “American Horror Story”). Une histoire traumatique tellement ancrée dans la mauvaise conscience collective américaine qu’en juillet 2017, les malheureuses victimes eurent (enfin) droit à un mea culpa tardif (325 ans, quand même) sous la forme d’une stèle comportant leurs noms et placée à l’endroit exact de leur exécution dans la ville de Salem, Massachusetts. Mais les mentalités ont-elles changé pour autant ? Surtout dans l’Amérique de ce cauchemar orangé de Trump, où armes à feu, racisme et attentats reprennent de plus belle. Adieu la compassion, bonjour la violence. C’est probablement ce qui a poussé Sam Levinson à repartir vers Salem pour dire que rien n’a vraiment changé... On suit le quotidien de quatre adolescentes dont les vies sont rythmées par les réseaux sociaux. Jusqu’au jour où leurs téléphones portables — puis ceux d’éminents personnages de la ville, le maire, le proviseur du lycée — sont piratés par un mystérieux hacker. Un déferlement de haine, de suspicion et de paranoïa s’abat
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alors sur la ville. Et, puisqu’il faut un coupable, c’est la jeune Lily, l’une des quatre ados, qui est visée. Elle devient la cible d’une populace qui pète les plombs tout en ne faisant plus la distinction entre bien et mal... Certes, le thème d’un quidam (ici une fille) poursuivi à tort par une ville entière a déjà donné quelques classiques du cinéma, comme “Furie” de Fritz Lang ou “Panique” de Julien Duvivier. Sauf que Levinson junior en fait une série B provo, sous influence de culture pop, rock et cinéphile. Que ce soit à travers les jeunes filles, clones des gangs d’adolescentes japonaises des années 70 (comme la superbe série des “Stray Cat Rock”, sortie récemment en DVD et Blu-ray chez Bach Films) jusqu’à l’utilisation du split screen (écran partagé en deux ou trois, technique popularisée par Abel Gance pour son “Napoléon”) jusqu’à une BO concoctée par Ian Hultquist, connu pour son groupe Passion Pit. Sans compter une dernière demi-heure apocalyptique, quand tous les habitants de Salem se déchaînent, à grand renfort de flingues, masques et armes blanches, comme dans la série démocrato-réac (on ne sait plus trop) des “American Nightmare”. Une folie ambiante qui se veut, également, une dénonciation carabinée et semi prophétique (puisque déjà en cours) d’un pays gangréné par les réseaux sociaux, les fake news, le harcèlement sexuel, l’homophobie, emprisonnant les consciences tout en annihilant l’individualité. Dans une gigantesque pagaille de séquences électrisantes, on passe sans sourciller du drame de mœurs au gore outrancier en passant par le rire libérateur et les scènes de violence urbaine. Comme le précise justement un des producteurs de “Assassination Nation” : “J’adore que le film soit construit comme un film d’horreur où le monstre s’avère être Internet.” (en salles le 5 décembre) o
Cinéma PAR CHRISTOPHE LEMAIRE
Groupe rock et culte de la fin de l’Union soviétique High Life
High Life
Suspiria
Claire Denis a pour habitude de faire des films assez immersifs sur les relations humaines tordues. Y compris quand elle transforme Béatrice Dalle en maîtresse cannibale sexuée et vorace dans “Trouble Every Day”, probablement son meilleur film. Mais, en envoyant Robert Pattison et Juliette Binoche se prendre la tête dans l’espace pour des expériences de reproduction, la cinéaste retombe un brin dans le train-train du fameux deux-pièces-cuisine du cinéma français. Essayant de s’approcher — mais de loin ! — de la science-fiction méta à la Kubrick (on y parle vaguement de trou noir), “High Life” s’évertue à rester les pieds sur terre en parlant de survie, de solitude et de relations incestueuses faussement choquantes. Avec le rythme lancinant d’un ancestral vinyle 78 tours passé en 16 tours. Problème de taille : le duo Pattison/ Binoche, aussi professionnel soit-il, ne fait passer ni compassion, ni émotion. Restent quelques beaux plans dont un, sublime, où des cadavres d’astronautes flottent dans l’espace (actuellement en salles).
On peut, à la limite, pardonner certains remakes médiocres de classiques du cinéma d’horreur des années 70. Car, les versions années 2000 de “La Malédiction”, “Fog” ou “Carrie”, au moins, ont été conçues par des passionnés du genre, mais probablement dépassés par les contraintes hollywoodiennes du moment. En revanche, “Suspiria”, version 2018, est impardonnable. Chaque seconde passant, le visiblement pédant réalisateur italien Luca Guadagnino semble vouloir offenser Dario Argento à tout prix. En faisant l’exact contraire de son chef-d’œuvre ! “Suspiria”, version 1977, était un film coloré ; la nouvelle version est terne et cafardeuse. L’original balançait l’horreur à coup de tripes ; celui de 2018 s’autoréfléchit jusqu’à l’abstraction frimeuse. Le cru 1977 emmenait progressivement aux enfers ; le nouveau pousse le spectateur dans un ennui infernal. L’original durait 1 h 38 ; l’actuel comptabilise 2 h 32 (mais pourquoi donc ?). Pour le final, Guadagnino réussit, enfin, à égaler le maître. Hélas, celui du pire de toute sa filmographie ! A savoir “La Terza Madre”,
Paris International Fantastic Film Festival
Pour sa huitième édition, le PIFFF balance, entre le 4 et 9 décembre, pléthore de films de genre inédits dont la plupart, comme d’habitude, sortiront directement en DVD, Blu-ray et VOD. Seule occasion, donc, de découvrir, sur le gargantuesque écran du Max Linder parisien, un film d’épouvante domestique argentin (“Terrified”), le remake d’une série B culte des années 80 (“Puppet Master”) avec une magnifique partition de Fabio Frizzi, compositeur pour les films gore de Lucio Fulci, un horror movie britannique sous influence Cronenberg (“Await Further Instructions”) , une zombie comedy nippone déjantée (“Ne Coupez Pas”), un slasher français dans la lignée de “Vendredi 13” (“Girls With Balls” d’Olivier Afonso)... Et même notre chouchou du mois en avant-première : “Assassination Nation”. Pour plus de renseignements : www.pifff.fr.
DECEMBRE 2018 R&F 099
Leto
Suspiria
film où des sorcières kitsch, hanteuses de ballerines exécutaient un sabbat semblant sortir d’un mauvais spectacle du Châtelet. Mais chez Argento, au moins, ça restait sympathique ! (actuellement en salles)
En traitant de l’émergence de la scène rock en Russie au début des années 80, le cinéaste russe Kirill Serebrennikov joue la carte de la nostalgie, mais aussi celle d’un sentiment diffus de liberté recherchée. Car, c’est en écoutant des vinyles de Lou Reed et de David Bowie, qu’une bande de jeunes gens de Leningrad saisissent instruments et micro pour former Kino, groupe rock phare et culte de la fin de l’Union soviétique. De l’insouciante jeunesse à la maturité, du triangle amoureux à des rêves de vie utopique, le film, tourné dans un magnifique noir et blanc à la Anton Corbijn, est un chouette feel good movie relativement politisé. Celui-ci n’a, du coup, pas été au goût de Vladimir Poutine qui, n’appréciant pas toujours les élans punk de son peuple, a interdit à son réalisateur de se pointer au dernier festival de Cannes (ou le film fut projeté), accusant ce dernier, semble-t-il à tort,
Les Confins Du Monde
pour une histoire de détournements de fonds publics (en salles le 5 décembre).
Les Confins Du Monde Drôle de carrière que celle de Guillaume Nicloux, capable de passer du polar
Leto
0100 R&F DECEMBRE 2018
glauque (“La Clef”), à la comédie libertaire (“Holiday”) en passant par le road trip étrange (“The End” avec Gérard Depardieu en roue libre dans les bois), le biopic catho (“La Religieuse” d’après Diderot) et le huis clos expérimental hilarant (“L’Enlèvement De Michel Houellebecq”). Avec “Les Confins Du Monde”, il réalise son meilleur film. Une sorte de mini-“Apocalypse Now” sur l’errance vengeresque d’un militaire français pendant la guerre d’Indochine. Gaspar Ulliel semble ainsi traîner son âme en deuil dans cette quête morbide, gore et existentialiste où l’ennemi, la plupart du temps invisible, est planqué dans une forêt vorace et vivante, quasiment une métaphore de la folie humaine. Voire de l’enfer. “Les Confins Du Monde” est certes nihiliste, mais aussi terriblement poétique. Du désespoir sublimé sur des sens atrophiés. Le film français du mois (en salles le 5 décembre). ❐
Série du mois PAR CHRISTOPHE LEMAIRE
Une femme hantée par le fantôme d’elle-même
The Haunting Of Hill House La série Netflix du moment — qui a terrifié à peu près toute la planète — est tirée d’un sublime roman de Shirley Jackson publié en 1959 et adapté quatre ans plus tard via l’un des plus grands chefd’œuvre d’épouvante cinématographique : “La Maison Du Diable”. Le grand cinéaste Robert Wise y jouait la carte de l’expérience sensorielle avec des forces occultes en mouvement, mais toujours hors cadre. Comme si sa mise en scène captait la perception d’un monde aussi invisible que terrifiant. Presque l’inverse de “The Haunting Of Hill House” qui, au premier abord, semble se focaliser sur l’épouvante grand public. Voir cette terrifiante séquence où un spectre, allongé en lévitation, flotte à cinquante centimètres d’une femme tétanisée d’effroi sur son lit. Les effets fantomatiques de ce style, le metteur en scène de “The Haunting Of Hill House” les a auparavant bien rodés. Né à Salem (ça ne s’invente pas) il y a quatre décennies, Mike Flanagan a tourné quelques longs métrages obscurs avant de se faire repérer en 2013 avec “The Mirror”, où une jeune femme voit sa vie brisée par un miroir maléfique. Adulé par une bonne partie des fans de fantastique, “The Mirror” était pourtant loin d’être le film d’épouvante de l’année. Idem pour ses deux suivants : “Ne T’Endors Pas” (les cauchemars d’un enfant qui prennent forme quand il dort) et le nettement plus commercial “Ouija : Les Origines” (une petite fille possédée par un esprit maléfique). Deux films qui respectaient, de manière un peu simple, le cahier des charges de l’épouvante californienne. Pour autant, Flanagan y faisait preuve d’une certaine habileté technique. Notamment en évitant les effets faciles (dont les fameux jump scare, changement brutal dans un plan destiné à faire sursauter le spectateur), lie agaçante du cinéma d’horreur contemporain...
Puis, avec “Jessie” (disponible sur Netflix), Flanagan entre enfin dans la cour des grands (Carpenter, Romero, Argento et compagnie) avec cette adaptation au cordeau d’un roman de Stephen King dans laquelle une femme est enchaînée à son amant mort dans un chalet isolé. Mais tout excellent qu’il soit, “Jessie” n’est pourtant qu’un brouillon du fabuleux et totalement immersif “The Haunting Of Hill House”. Dont, finalement, on lui pardonnera aisément sa distanciation avec le chef-d’œuvre de Robert Wise. Tout simplement parce que le projet n’est pas le même. En suivant le parcours traumatique de six frères et sœurs qui, ayant vécu leur jeunesse dans un manoir hanté, sont poursuivis par les fantômes de leur passé (au sens propre comme au figuré), Mike Flanagan rejoint la folie intérieure dévastatrice d’âmes de “Shining” de Stanley Kubrick. Carrément ! Jonglant, via de nombreux allers-retours, entre présent et passé,
y compris dans les mêmes plans (l’étonnant épisode 6, tourné entièrement en plans séquences), faisant bifurquer ses protagonistes dans l’épouvante métaphysique (les fantômes, d’abord effrayants, finissent par faire partie de leur inconscient), s’installant au fil des épisodes dans une émotion absolue (la tristesse et la mélancolie prenant lentement le pas sur l’épouvante glacée), transformant le personnage féminin principal (Carla Gugino, l’interprète de “Jessie”) en une créature gothique à la Bram Stoker/ Jane Austen, novateur dans quelques idées scénaristiques remarquables (une femme suicidaire réalise, au moment où elle meurt, qu’elle était hantée par le fantôme d’elle-même depuis des décennies), “The Haunting Of Hill House” se termine en apothéose avec une vision de la mort assez poétique. Comme si l’au-delà se mêlait aux étoiles, au temps qui passe et à l’éternité... (en diffusion sur Netflix) o
13 Cauchemars De La Hammer (Elephant Films)
L’aspect gothique forcené des décors de “The Haunting Of Hill House” doit beaucoup aux films fantastiques et d’épouvante de la Hammer, mythique compagnie de production anglaise qui, de la fin des années 50 aux années 70, a de nouveau mythifié le genre dans une magnifique somptuosité stylistique (les techniciens de ces films étaient souvent les mêmes que dans les années 30 et 40) et ce malgré des budgets limités. Preuve avec ce magnifique coffret de 13 films, dont les titres résument assez bien les films : “La Fille De Jack L’Eventreur”, “Le Cirque Des Vampires”, “Le Fantôme De L’Opéra”, “La Nuit Du Loup-Garou” ou “Le Spectre Du Chat”. Seul “Les Sévices De Dracula” est un brin mensonger puisque le célèbre comte vampire ne s’appelle pas Dracula mais Karstein.
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DVD musique PAR JEROME SOLIGNY
Vingt-neuf ans après y avoir
David Bowie “GLASTONBURY 2000” Warner
FIN JUIN 1971. David Bowie monte sur scène, seul, lors de la deuxième édition du festival de Glastonbury qui rassemble à peine plus de six mille personnes. La faute à une mauvaise organisation, il n’y chantera qu’un peu avant l’aube, mais sa prestation sera qualifiée de magique par de nombreux spectateurs, parmi lesquels le futur cinéaste Julien Temple (qui n’en croira pas ses yeux) et Mick Farren, écarté des Deviants (les trois autres membres du groupe deviendront les Pink Fairies) et alors sur le point de se consacrer principalement à l’écriture. La femme de Bowie et leur amie chanteuse Dana Gillespie, interviewée pour cette chronique, étaient du voyage : “David, Angie et moi sommes allés à Glastonbury en train. Une fois sur place, il n’y avait personne pour nous amener sur le site et nous avons dû marcher un bon bout de chemin. David et Angie portaient
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des pantalons taille haute, très amples, et donnaient l’impression d’être frère et sœur. Il avait les cheveux hyper longs et, elle, extracourts. Le festival étant terriblement mal organisé, nous avons attendu des heures. Les groupes ont joué en retard, trop longtemps et les techniciens qui travaillaient dans la pyramide étaient tous sous acide ! C’était ambiance peace and love, tout ça, mais, à un moment, on s’est tout de même demandé si la prestation de David n’allait pas être annulée. Finalement, il été contraint de passer le lendemain, vers cinq heures du matin. Au pied de la pyramide, dans la boue, les festivaliers ont commencé à ouvrir l’œil alors que le soleil dardait ses premiers rayons, au son de ‘Memory Of A Free Festival’... Les gens sont sortis de leurs tentes pour accueillir cette nouvelle journée et il chantait, tout seul avec sa guitare.”
joué pour la première fois En fait, David Bowie était programmé le 22 juin, en début de soirée, juste avant Gong, mais à cause du retard, il n’a joué que le lendemain. Il s’est produit sur la Pyramid Stage, copie au 1/10ème de la pyramide de Gizeh, dessinée par Bill Harkin et construite à l’occasion de cette édition du festival. Il s’agissait d’une sorte d’échafaudage entouré de triangles de toile tendue et ouvert côté scène. Bowie n’a chanté que sept chansons ce matin-là, dont “Changes”, pour la première fois en public. A sa grande surprise, une jeune femme, dans un état tertiaire, l’a rejoint sur les planches pour chanter quelques harmonies vocales.
FIN JUIN 2000. Lors de son second passage à Glastonbury, en vedette cette fois, David Bowie va inaugurer la version la plus récente de la Pyramid Stage. Dans une de ses interventions parlées entre les morceaux, il fera allusion à cette choriste de 1971. Quelques mois plus tôt, Earl Slick a reçu le coup de téléphone que, plus ou moins inconsciemment, il attendait. Après les quelques concerts donnés dans la foulée de la parution de “Hours...” en 1999, David Bowie en a accepté une poignée d’autres, l’été suivant, dont un sur la grande scène de Glastonbury, vingt-neuf ans après y avoir joué pour la première fois. Slick, qui n’a plus tenu la guitare lead chez Bowie depuis le Serious Moonlight Tour en1983, va reprendre du service dans un groupe dont le directeur musical, suite au départ de Reeves Gabrels, est Mark Plati. Avant de traverser l’Atlantique, David Bowie et ses musiciens ont répété à New York, notamment des tubes dont les fans ont été privés durant l’essentiel des années 90. Deux concerts de chauffe vont être donnés les 16 et 19 juin à la Roseland Ballroom à New York. Le 25, la petite troupe se rend de Londres au site du fameux festival. En autocar, elle va mettre près de quatre heures à effectuer les deux cents kilomètres de route et, à cause d’une climatisation mal réglée, la moitié des musiciens, dont Bowie, en descendront souffrants. Mais il en aurait fallu plus pour lui entacher le moral : dans une veste longue coupée par Alexander McQueen, et portant ses cheveux aussi longs qu’en 1971, il grimpe sur scène
devant un public de plus de quatre-vingt mille personnes, essentiellement britannique. Dire que David Bowie va donner là un des concerts de sa vie est un euphémisme et ceux qui y ont assisté sont (re)tombés sous le charme du singer-songwriter, humble et conquérant puisque capable d’ouvrir son show avec une ballade comme “Wild Is The Wind” et de le clore par “I’m Afraid Of Americans”, extraite de “Earthling” (aucun titre de “Hours...” n’a été joué ce soir-là). Entre ces deux extrêmes, Bowie, secondé par un groupe impeccable et respectueux des arrangements originaux, s’est donné à fond, ne reculant devant aucun hit (“China Girl”, “Ashes To Ashes”, “All The Young Dudes”) et laissant Earl Slick s’exprimer, notamment sur les titres de “Station To Station” (dont il était, avec Carlos Alomar, l’autre guitariste). Histoire de faire jaser ceux qui mettaient déjà ses années 80 en doute, David Bowie leur a asséné “Under Pressure” (en duo avec Gail Ann Dorsey), “Absolute Beginners” et une version de “Let’s Dance”, telle qu’il la jouera jusqu’à la fin de sa carrière de performer, avec une intro bluesy. Concentré sur son chant (pas d’effets de costume, il n’a tombé la veste McQueen que pour une autre, sombre et terriblement seyante), David a un peu échangé avec le public et, c’était visible, l’émotion l’a gagné à plusieurs reprises.
NOVEMBRE 2018. David Bowie est mort depuis presque trois ans. La major qui distribue ses disques et concerts (enregistrés et donc filmés – à la différence des Rolling Stones, le Bowie Estate met tous ses œufs dans le même panier) vient de publier le coffret “Loving The Alien” et a annoncé la mise en vente du concert de Glastonbury pour le 30 du mois qui précède celui de Noël. Malin. Les Beatles agissaient de la même manière. “Glastonbury 2000” sera disponible en versions vidéo et audio (DVD, CD, vinyle...) et curieusement pas en Blu-ray, le standard actuel. L’artwork en a été confié à Jonathan Barnbrook, designer branchouille des pochettes de “Heathen”, “The Next Day” et “Blackstar”. C’est dire, si tout cela est sérieux et à quel point ceux qui commercialisent les archives du disparu savent choyer les vaches. A lait.
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Bande dessinée
PAR GEANT VERT
Jupitérien Dans la série des petits métiers dont on pense grand bien mais que personne ne souhaite faire, il y a celui exercé par Romain Dutter : coordinateur culturel en milieu pénitentiaire. Après dix ans passés à la prison de Fresnes, il a choisi de raconter son expérience dans “Symphonie Carcérale” (Steinkis) où il explique la difficulté de concilier bonne volonté et règlement administratif. Fan de musique, il raconte les concerts qu’il a réussi à organiser pour changer le quotidien des détenus. Et, à la lecture de ces pages, on comprend assez rapidement combien son sacerdoce est basé sur la confiance mutuelle dans un milieu où ce sentiment n’est pas la sensation ressentie en premier. Sobrement illustrée par le dessinateur Bouqé, cette symphonie culturelle revient sur les grands moments de la musique carcérale comme Johnny Cash à Folsom, Metallica à San Quentin ou les Sex Pistols à Chelmsford. Inspiré à l’auteur d’une expérience acquise en travaillant dans une prison du Honduras auprès de membres d’un gang, ce livre contient nombre de propositions intelligentes qui se doivent d’être lues. Grande découvreuse de pépites oubliées, la maison Délirium frappe fort avec “La Ballade De Halo Jones”, une œuvre de jeunesse du duo Alan Moore et Ian Gibson. Parue chez 2000 AD entre 1984 et 1986, l’histoire ici présentée a surpris à l’époque le lectorat de la revue, car Halo Jones, l’héroïne, est une teenager du futur qui s’ennuie et n’a aucun superpouvoir. Mal reçue à sa sortie, cette histoire qui montre tous les ravages de l’ultralibéralisme prend aujourd’hui tout son sel. Dans cette dystopie, les boulots sont si rares qu’ils sont tirés à la loterie tandis que les perdants restent à glander toute la sainte journée grâce au revenu universel. Ce qui est frappant dans cette nouvelle édition, au-delà de son côté prémonitoire, c’est la dimension incroyable que prend l’histoire maintenant qu’elle a été colorisée par Barbara Nosenzo. Une BD carte postale envoyée d’un monde jupitérien. Plus excessivement hédoniste que l’intégralité d’un peloton cycliste, Fréhel demeure, incontestablement, une championne du destroy. Après avoir influencé le gratin de la chanson réaliste française des cent dernières années, il devenait urgent qu’un dessinateur raconte tout ça. C’est chose faite avec le très beau roman graphique “Fréhel” (Nada) magnifiquement peint à l’aquarelle par Johann G Louis. Dans cette biographie respectueuse des faits, l’auteur reprend la chronologie du chaos qu’à été la vie de l’artiste, depuis sa naissance, d’une mère concierge et prostituée occasionnelle, jusqu’à sa mort solitaire, dans une chambre de bonne de Pigalle. On y croise les chanteurs de l’époque, des amours incroyables et des dépits encore plus grands. Puis, c’est la coke et le yoyo sordide entre la presque rédemption et la rechute annoncée. En moins de 300 pages, l’auteur démontre que l’autodestruction d’un artiste ne peut rien contre la pérennité de son talent. Dans “Ma Vie D’Artiste” (Delcourt), Mademoiselle Caroline détaille avec une grande drôlerie toutes les galères auxquelles on ne pense pas le jour où l’on décide d’entrer dans la carrière de dessinatrice. Au fil des pages, celle-ci fait preuve d’un optimisme indécrottable pour raconter la réalité de son labeur. Ainsi, pour les débuts, et à l’instar des musiciens, il faut produire en masse avant d’attirer l’attention. Le conseil qui émane de certaines planches est de s’accrocher sévère, tant les embruns sont fréquents autour du frêle esquif de la création. Florilège de styles graphiques pour autant de chapitres, l’ouvrage permettra à beaucoup de faire le bon choix au moment décisif. ❏
Le gros plan du Géant Une chose qui est bien indissociable de la musique, c’est la mode. Et rien que pour cela, aucun avocat ne viendra défendre les années 80 ; et certainement pas l’œil inquisiteur de Robert Crumb quand il raconte l’époque dans “Mode O’Day” (Cornélius) à travers les tribulations d’une jeune femme plus qu’à
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l’aise dans ses baskets au sein d’une société égoïste, mégalomane et arriviste. Parues à l’origine dans les pages du magazine Weirdo, dirigé par Crumb et l’ex-égérie des Fugs Aline Kominsky, les aventures de Mode O’Day peuvent être lues comme un catalogue de déviances comportementales de personnes prêtes à tout pour terminer sous les projecteurs.
Livres
Aède édenté
PAR AGNES LEGLISE
Vous êtes au bon endroit. Noël c’est quasiment demain et son cortège d’angoisses existentielles grossit au fur et à mesure que la date se rapproche. Sauf que, ô miracle, vous trouverez ici les cadeaux parfaits, culturels donc chic, pas très chers et carrément beaux. Et tous publics, oui, parce que même votre beau-père a été jeune un jour et a alors secoué sa coupe mulet sur des musiques dont la seule évocation lui rappellera des bons souvenirs et que même votre petit boutonneux de cousin sait que le rock c’est cool, il l’a vu sur Instagram.
Imagine
Bob Dylan, A Year And A Day
E/P/A
Taschen
“Imagine” de John et Yoko est un de ces exemples parfaits de livres qui réjouiront à coup sûr l’heureux récipiendaire. Le cinquantenaire de “Imagine” n’est que dans trois ans mais Yoko Ono, 85 ans elle-même, a, prudemment, préféré sortir maintenant une véritable armada de documents sur l’album mythique. Courts métrages, coffret de CD et beau livre forment donc un ensemble complet et absolument définitif, quoique ce livre soit en fait la clé centrale qui éclaire les autres. C’est Yoko Ono qui a supervisé cette somme et c’est, sans aucun doute, sa patte qui donne à la lecture de ce livre pointilleusement exhaustif, le sentiment prenant d’entrevoir et de partager un peu de la magie de ces journées d’enregistrement et de tournage. C’est aussi l’occasion d’un mea culpa que l’on souhaiterait général car si les amateurs d’art savaient depuis longtemps que Yoko Ono est une artiste à part entière, le monde du rock a, par préjugés racistes et/ ou misogynes, toujours accusé la pourtant brillante Yoko d’avoir détourné Lennon de sa mission et évincé McCartney et, donc, les Beatles de leur vie. On comprend mieux, à lire les multiples témoignages — chaque participant, de près ou de loin, est interviewé ou ses anciens entretiens sont cités — la force du lien qui l’unissait à Lennon, à quel point Yoko Ono est différente des clichés colportés sur elle et l’importance de son influence sur John Lennon et donc sur “Imagine”. “Nous aimerions que l’on se souvienne de nous comme des Romeo et Juliette des années 70” disait Lennon, ce livre, sans aucun doute, y contribuera.
C’est sûrement parce que Bob Dylan est devenu un personnage si énigmatique que “Bob Dylan, A Year And A Day “, ce livre de photos prises en 1964 et 1965, d’un très jeune Bob Dylan est un livre si fascinant. Passer une année à photographier si librement quelqu’un comme Dylan est, bien entendu, une expérience unique pour un photographe mais si, en plus, cette année-là tombe en 1964, c’est-à-dire pile au moment où Dylan va se transformer et transformer sa musique radicalement, on peut dire que c’est une chance exceptionnelle. Chance que ne pouvait, certes, pas imaginer Daniel Kramer, quoiqu’il ait été suffisamment frappé par une apparition de Dylan à la télé, pour le poursuivre longuement avant d’obtenir la permission de le photographier. Ce fut le début d’une longue et très fructueuse collaboration — entre autres, les pochettes de “Highway 61 Revisited” et “Bringing It All Back Home” et cinquante ans plus tard, la couverture du livre “Tarantula” — dont ce livre trilingue (français, anglais, allemand) rend magnifiquement compte. 1964 fut donc l’année charnière pour Bob Dylan qui révolutionna non seulement sa musique mais celle des autres en passant et produisit alors ses œuvres les plus significatives. Ce littéral portrait de l’artiste en jeune homme est d’autant plus touchant que l’on devine sur les clichés à quel point il était déjà l’être complexe que l’on connaît aujourd’hui, tout en discernant aussi clairement le changement profond qui s’opérait alors en lui. Amoureux, rigolard ou profond, sur scène ou en studio, dans des petits hôtels ou des restaus sur la route, concentré ou joueur, c’est un Dylan inhabituel que ces images nous montrent, un Dylan tout aussi intense et mystérieux mais plus romantique, peut-être simplement plus libre.
DANIEL KRAMER
JOHN ET YOKO
TOP 5
LIVRES MUSIQUE (source Gibert Joseph)
01 “Rock : Ma Vie Est Un Roman” PHILIPPE MANŒUVRE (Harper & Collins)
02 “Bruce Dickinson : L’Autobiographie : A Quoi Sert Ce Bouton ?” BRUCE DICKINSON (Talebt Editions) 03 “Led Zeppelin : La Totale” Jean-Michel GUESDON & PHILIPPE MARGOTIN (EPA)
04 “The Flame” LEONARD COHEN (Seuil) 05 “I Am Brian Wilson : Le Génie Derrière Les Beach Boys” BRIAN WILSON & BEN GREENMAN (Castor)
Rock Fictions CAROLE EPINETTE Cherche Midi
Sans images, sans photos, quelle aurait été l’histoire du rock ? Nos jeunes âmes d’adolescents auraientelles été marquées aussi profondément si les musiciens de rock n’avaient pas eu, aussi, les photos pour faire passer leurs messages initiaux de rébellions et de différences assumées ? Le nombre de clichés devenus mythiques prouve leur importance et leur influence est en fait si grande qu’elle dépasse largement le champ de la musique et déborde sur l’art, la mode et même la littérature. Carole Epinette, talentueuse photographe de rock, a, par une sombre nuit d’hiver, eu l’idée pas saugrenue du tout de demander à des auteurs, journalistes et poètes d’écrire des textes autour de ses photos. Ça tombe bien, quelques uns de ces auteurs on les aimait déjà, Thomas Vinau, Thomas VDB par exemple, trouvent
dans ce thème un exercice facile et plaisant, tandis que d’autres écrivent autour de leur passion pour le musicien photographié ou d’autres encore s’en inspirent pour des fictions, ça parle d’amours, de stars qui te piquent ta copine, d’aède édenté — oui, bien sûr, c’est Shane McGowan — de lunettes, de Zack de la Rocha — deux fois — et de mort aussi, celle de nos idoles ou de nos petits rêves, formant ainsi un parfait écrin aux photos intemporelles d’Epinette.
Tricatel Universalis JEAN-EMMANUEL DELUXE Cocorico
Aussi original que son fondateur, le label Tricatel réinvente la musique avec le même esprit de traverse, voire de contradiction que Bertrand Burgalat affiche et explore depuis plus de vingt ans. Compositeur, producteur, arrangeur, c’est sous le couvre-chef — jamais cet élégant ne porterait de casquette — de patron de label que Burgalat, avec l’humour et le recul qui le caractérise, raconte à Jean-Emmanuel Deluxe, les aventures musicales et amicales qui ont construit Tricatel. Aventures musicales partagées avec toutes sortes d’artistes, des musiciens, des vidéastes, des graphistes sinon hors normes, du moins hors mainstream et aventures amicales avec les mêmes, vu que forcément, vivre ce “désastre” comme dit Burgalat, ça crée des liens. Femmes exceptionnelles, comme Ingrid Caven, Valérie Lemercier ou April March ou hommes exceptionnels, Robert Wyatt, Jonathan Coe ou Jean-Jacques Schuhl, les artistes de Tricatel ont toujours en commun l’originalité, la créativité et l’intelligence, ce qui n’a jamais été, paradoxalement, la recette pour gagner de l’argent facilement dans le music-hall mais a quand même permis, vaille que vaille, la survie du label et la sortie d’un paquet de disques formidables. Tricatel était à l’origine le nom d’un affreux industriel de malbouffe dans le chef-d’œuvre qu’est “L’Aile Ou La Cuisse”, ce film où Coluche et de Funès, humour bonhomme pour l’un et manières impeccables pour l’autre, unissent leurs forces par amour du patrimoine culinaire français et fierté de l’ouvrage bien fait et l’on peut se demander maintenant si, plus qu’un nom marrant, ce choix de Tricatel n’annonçait pas, là, en douce le strict cahier des charges pour “une musique... spirituelle, subtile, dosée” qu’il respecte encore et toujours. ❏
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Agenda concerts PAR MARC LEGENDRE
TOP15 VINYLES SEPTEMBRE 2018
Paris NOVEMBRE
20 NOVEMBRE
Warner
02 LADY GAGA & BRADLEY COOPER “A Star Is Born” Universal
03 MYLENE FARMER “Désobéissance” Sony Music 04 DOMINIQUE A “Fragilité” Wagram
05 AMY WINEHOUSE
“Back To Black” Universal
06 RAGE AGAINST THE MACHINE “Rage Against The Machine” Sony Music
07 DAFT PUNK
“Random Access Memories” Sony Music
08 MASSIVE ATTACK “Mezzanine” Universal
09 LOUISE ATTAQUE
“Louise Attaque” Universal
10 LOU REED
“Transformer” Sony Music
11 SHAOLIN SOUL “Episode 4” Warner
12 PINK FLOYD
“Dark Side Of The Moon”
Warner
13 SUPERTRAMP “Crime Of The Century” Universal
21 NOVEMBRE The Breeders (Trianon) ● Bring Me The Horizon (Zénith) ● Eden (Yoyo) ● Garage Dayz (Tribute Metallica) (Casino de Paris) ● Ghost Notes (Badaboum) ● Lauryn Hill (AccorHotels Arena) ● The Holydrug Couple et Hoorsees (Point Ephémère) ● Talib Kweli (Trabendo) ● Ray Lema (Petite Halle) ● Mariama (Café de la Danse) ● Miossec, Terrenoire et WH Lung (Gaîté Lyrique) ● Malina Moye (New Morning) ● Medecine Boy, The Blind Suns et Nebula Glow (Supersonic) ● No One Is Innocent (Cigale) ● Rat Boy (Maroquinerie) ● Ian Scott, Ricky Norton, Egon Kragel et The Rat Pack Orchestra (Théâtre de Ménilmontant) ● Whispering Sons (Olympic Café)
22 NOVEMBRE Bad Fat et Napoleon Maddox (New Morning) ● John Grant, Touts, Queen Zee et Fontaines D.C. (Gaîté Lyrique) ● Kero Kero Bonito (Olympic Café) ● Klone, Kadinja, Uncut et Cloud Cuckoo Land (Gibus) ● Lo-Fang (Pop Up du Label) ● Tom Misch et Barney Artist (Casino de Paris) ● Scout Niblett et Miles Oliver (Petit Bain) ● Lil Pump (Elysée Montmartre) ● Palatine (Maroquinerie) ● Shaka Ponk (Cigale) ● Soom T et Omar Perry (Trabendo) ● Tample (Café de la Danse) ● Zimmer (Badaboum)
23 NOVEMBRE Alice Phoebe Lou (Petit Bain) ● Angèle (Trianon, complet) ● As It Is, Trash Boat, Holding Absence et Courage My Love (Boule Noire) ● The Frights (Supersonic) ● Husky (Maroquinerie) ● My Brightest Diamond et Ian Chang (Trabendo) ● Myth Syzer, Lolo Zouaï, Johan Papaconstantino et Cuco (Gaîté Lyrique) ● Shaka Ponk (Cigale) ● Trepaneringsritualen, Kollaps et Verset Zero (Gibus)
Photo Shelby Duncan-DR
01 JOHNNY HALLYDAY “Mon Pays C’Est L’Amour”
The Cat Empire (Bataclan) ● Barns Courtney (Supersonic) ● Nicolas Fraissinet (Boule Noire) ● Lauryn Hill (AccorHotels Arena) ● Lovebites (Nouveau Casino) ● Halo Maud (Maroquinerie) ● Minuit (Cigale) ● Natalie Prass (Café de la Danse) ● John Smith, Josienne Clake & Ben Walker (Point Ephémère) ● The Sore Losers (Olympic Café)
Brigitte : 14, 15 et 16 décembre salle Pleyel
24 NOVEMBRE Deeboy, Dru Bex, Vituoz et Lil Christ (Boule Noire) ● Geometric Vision et Solveig Matthildur (Supersonic) ● Jethro Tull by Ian Anderson (Salle Pleyel) ● Loud, Krisy, Octavian et Duckwrth (Gaîté Lyrique) ● Lydmor (Olympic Café) ● Merzhin (Maroquinerie) ● Seefeel, Birdpen et Grimlake (Point Ephémère) ● Shaka Ponk (Cigale) ● Lucy Sparggan (Pop Up du Label) ● Trentemoller (Nuits Fauves)
25 NOVEMBRE The Dire Straits Experience (Salle Pleyel)
● Evidence (Bellevilloise) ● Lil Pump (Palace) ● Lene Lovitch Band (Supersonic) ● Marteria & Casper (Trabendo) ● The Rose (Yoyo)
26 NOVEMBRE Jean-Louis Aubert (Théâtre Dejazet) ● Blanco White (Boule Noire) ● Corine (Trianon) ● Sam Fender (Pop Up du Label) ● First Aid Kit (Salle Pleyel) ● Grand Blanc (Cigale) ● Public Service Broadcasting (Backstage) ● Rosedale et Henrik Freischlader (New Morning) ● The Saxophonese et Orouni (Point Ephémère) ● Talos et Christof Van Der Ven (Olympic Café) ● Triptides, 39th & The Nortons et Alma Real (Supersonic)
14 MICHAEL JACKSON
“Thriller” Sony Music
15 TWENTY ONE PILOTS “Trench” Warner
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PrévisionsParis ////////////////////////////////// Uriah Heep : 22/01/19 (Cigale), Basement : 28/1 (Maroquinerie), The Residents : 2/2 (Gaîté Lyrique), Blood Red Shoes : 8/2 (Point Ephémère), Rival Sons : 9/2 (Bataclan), Slash featuring Myles Kennedy & The Conspirators : 22/2 (Zénith), Twenty One Pilots : 11/3 (AccorHotels Arena, complet), White Lies : 19/3 (Trabendo), Dead Can Dance : 10 et 11/5 (Grand Rex), Metallica, Ghost et Bokassa : 12/5 (Stade de France, complet), Archive : 16/5 (La Seine musicale), Rammstein : 13/9 (Paris La Défense)
27 NOVEMBRE
4 DECEMBRE
A-Vox (Point Ephémère) ● Jean-Louis Aubert (Théâtre Dejazet) ● Cabadzi x Blier (Gaîté Lyrique) ● Etienne Daho et Unloved (Olympia) ● Intergalactic et Miegeville (Supersonic) ● Theo Lawrence & The Hearts (Trianon) ● Mudhoney (Trabendo) ● Nervus, Great Wight et Secret Co-Headliner (Olympic Café) ● Scooter (Zénith) ● Seinabo Sey (Les Etoiles)
Amigo The Devil (Boule Noire) ● As I Lay Dying (Maroquinerie) ● The Cadillac Three (Les Etoiles) ● Barbara Carlotti (Gaîté Lyrique) ● Elisapie, Milk & Bone et Mark Berube (Bellevilloise) ● H.E.A.T (Petit Bain) ● Mammal Hands (Cigale) ● Marduk, Archgoat et Vlakyrja (Machine du Moulin Rouge) ● The Musical Box (Salle Pleyel) ● Nina Nesbitt et Lewis Capaldi (Point Ephémère, complet) ● Skepta (Yoyo) ● Vendredi-sur-Mer (Trianon) ● Alan Walker (Olympia)
28 NOVEMBRE Adult (Petit Bain) ● Biffty & DJ Weedim (Cigale) ● Etienne Daho et Unloved (Olympia) ● Chris Garneau (Badaboum) ● The Headhunters (New Morning) ● Kazy Lambist (Trianon) ● Paul McCartney (La Défense Aréna) ● Maren Morris (Maroquinerie) ● Musset et Gilles (Point Ephémère) ● Mavi Phoenix (Pop Up du Label) ● Seasick Steve (Bataclan) ● Sundays & Cybele (Supersonic)
29 NOVEMBRE Jean-Louis Aubert (Théâtre Dejazet) ● Birds In Row, Ken Mode et Coilguns (Petit Bain) ● Etienne Daho et The Pirouettes (Olympia) ● Esben and the Witch (Point Ephémère) ● Interpol (Salle Pleyel) ● Thérapie Taxi (Bataclan) ● George Fitzgerald (Badaboum) ● Odezenne (Trianon, complet) ● River Whyless (Pop Up du Label) ● Tahiti 80 (Maroquinerie) ● Teeers (Boule Noire) ● Jo Wedin (International) ● Wet (Olympic Café)
30 NOVEMBRE Jean-Louis Aubert (Théâtre Dejazet) ● Don Bryant & the Bo-Keys (New Morning) ● Etienne Daho et Unloved (Olympia) ● Mick Harvey (Petit Bain) ● Hippocampe Fou (Trianon) ● Johnny Mafia (Maroquinerie) ● Nothing (Gibus) ● One Shot Lili et Grise Cornac (Manufacture Chanson) ● Talos (Pop Up du Label) ● Thérapie Taxi (Bataclan) ● Ben Ufo (Concrete) ● Vague et Gliese and Kepler (Supersonic)
DECEMBRE 1er DECEMBRE Bakermat (Elysée Montmartre) ● Blitzkrieg, Ares et Beggars (Le Klub) ● The Chasing Monster, A Burial at Sea et Noise Above The Ocean (Supersonic) ● Etienne Daho et Unloved (Olympia) ● Nino D’Angelo (Bataclan) ● Guérilla Poubelle (Trabendo) ● Iam (Salle Pleyel) ● Kindred The Family Soul et Conya Doss (New Morning) ● SG Lewis (Badaboum) ● Molécule, Jeff Mills, Deux Boules Vanille, Nicolas Horvath, Ensemble Links et Renart (Gaîté Lyrique) ● The Night Flight Orchestra et Black Mirrors (Petit Bain) ● Orchestre Orange, Mad Rey aka Quentin Leroy et Hugo LX (Pan Piper) ● L’Or du Commun (Cigale) ● 47ter (Café de la Danse) ● Sir The Baptist & Donald Lawrence (Maroquinerie) ● Ryley Walker et Andrew Tuttle (Point Ephémère)
2 DECEMBRE Beak> (Café de la Danse) ● Boy George & Culture Club (Opéra Garnier) ● Chassol (Philharmonie) ● Etienne Daho et Unloved (Olympia) ● Devotchka (Nouveau Casino) ● Grégory Alan Isakov et Joe Purdy (Maroquinerie) ● Kamaal Williams (Cigale)
3 DECEMBRE Black Stone Cherry (Elysée Montmartre) ● Dimmu Borgir, Hatebreed, Kreator et Bloodbath (Olympia) ● Caleborate et Dillon Cooper (Bellevilloise) ● Daran et Sarah Toussaint-Léveillé-Moran (Maroquinerie) ● Delgres (Café de la Danse) ● Miya Folick (Supersonic) ● Idles (Bataclan) ● Mournful Congregation (Backstage) ● Pardans (Olympic Café)
5 DECEMBRE Calpurnia (Alhambra) ● Wesley Fuller et Dirty Sound Magnet (Supersonic) ● Julia Holter (Petit Bain) ● Ben Howard (Zénith) ● Winston McAnuff & Fixi (104) ● Mac Ayres (Boule Noire) ● Mysticum, Furia et Au-Dessus (Le Flow) ● Otzeki et Corps (Maroquinerie) ● Cosmo Sheldrake (Badaboum) ● Warmduscher (Point Ephémère) ● Charlie Winston (Elysée Montmartre)
6 DECEMBRE Agar Agar (Olympia) ● Bladee (Pop Up du Label, complet) ● General Elektriks (Maroquinerie) ● Jesus Volt (Boule Noire) ● The KVB (Badaboum) ● A Perfect Circle (Zénith) ● Rüfüs Du Sol (Trabendo) ● Spoke’s Beard et Flower Kings (Machine du Moulin Rouge) ● Storm Orchestra (Supersonic)
7 DECEMBRE August Burns Red (Machine du Moulin Rouge) ● Black Box Revelation (Point Ephémère) ● Mariah Carey (AccorHotels Arena) ● Cypress Hill (Zénith) ● General Elektriks (Maroquinerie) ● Long Distance Calling (Backstage) ● Paint (Pop Up du Label) ● Roni Size (Trabendo) ● Sean Nicholas Savage, Aporia et Dick Turner (Supersonic) ● Skeletonwitch et Mantar (Petit Bain) ● UB40 (Olympia)
8 DECEMBRE Lily Allen (Trianon) ● Aura Noir et Obligations (Petit Bain) ● Les Fatals Picards (Elysée Montmartre) ● The Hunna (Les Etoiles) ● Nelick (Maroquinerie) ● Storm Orchestra, The Luna Spark et My Thinking Face (Supersonic) ● Vulcain (Gibus) ● The Wave Pictures et Saintseneca (Point Ephémère)
9 DECEMBRE All That Remains (Glazart) ● Bury Tomorrow, 36 Crazyfists et Cane Hill (Petit Bain) ● Moriarty (Philharmonie) ● Skegss et Dumb Punts (Point Ephémère) ● Uncle Acid and the Deadbeats et L.A. Witch (Maroquinerie)
10 DECEMBRE Bumcello (Maroquinerie) ● Cloves (Les Etoiles) ● Kalmah, Vreid et Slegest (Backstage) ● Moriarty (Philharmonie) ● Jean-Louis Murat (Café de la Danse) ● Sons Of An Illustrious Father (Nouveau Casino)
11 DECEMBRE Caliban, Lionheart et Bad Omens (Trabendo) ● Chase Atlantic (Les Etoiles) ● Ensiferum (Machine du Moulin Rouge) ● Jungle By Night (Petit Bain) ● Jean-Louis Murat (Café de la Danse) ● Fred Nevche et Ali Danel (Point Ephémère)
12 DECEMBRE Brigitte (Salle Pleyel, complet) ● Lio (Café de la Danse) ● Nova Materia (Maroquinerie) ● One Ok Rock (Bataclan) ● Subsonica (Trabendo) ● Whyte Horses (Point Ephémère) ● Zeal & Ardor (Cigale)
DECEMBRE 2018 R&F 107
13 DECEMBRE Hinds (Trabendo) ● Steve Hogarth (Marillion) (Eglise Ste Eustache) ● The Orielles, Boy Azooga et Shopping (Maroquinerie) ● Gaëtan Roussel (Salle Pleyel) ● Le Villejuif Underground, Bryan’s Magic Tears et Sons Of Raphael (Bellevilloise)
14 DECEMBRE Brigitte (Salle Pleyel, complet) ● Bumcello (Maroquinerie) ● Flohio, Wwwater et Lala&ce (Bellevilloise) ● Claire Laffut (Point Ephémère) ● Milk Live Music Curated by Yannis Philippakis (Foals) et Dagga Domes (Maroquinerie) ● New Model Army (Trabendo) ● Pusha-T (Bataclan) ● Shame (Elysée Montmartre) ● 3T (Nouveau Casino)
15 DECEMBRE Jacob Banks (Trianon) ● Brigitte (Salle Pleyel, complet) ● Clutch (Elysée Montmartre) ● Disco Is Not Dead (Boule Noire) ● Kawai Bukkake, McFly & Carlito, Joe La Mouk et PV Nova (Bataclan) ● Manudigital (Trabendo) ● Meridian Brothers, Thomas De Pourquery et Supersonic (Maroquinerie) ● One Night Stand (Philharmonie) ● The Rebels Of Tijuana et Bonne Nouvelle (Supersonic) ● Revocation, Archspire, Soreption et Rivers Of Nihil (Petit Bain) ● Liza Shaddad (1999)
16 DECEMBRE Ash et Indoor Pets (Maroquinerie) ● Brigitte (Salle Pleyel, complet) ● The Rolling Stones Tribute (Supersonic)
17 DECEMBRE Toto Cutugno (Olympia) ● Feng Suave (Pop Up du Label) ● Imminence (Backstage) ● Lulu (Café de la Danse)
18 DECEMBRE Christine And The Queens (AccorHotels Arena) ● Molly Hatchet (Machine du Moulin Rouge) ● Owlle (Maroquinerie) ● Véronique Sanson (Salle Pleyel)
19 DECEMBRE Christine and the Queens (AccorHotels Arena) ● Forever Pavot et Catastrophe (Gaîté Lyrique) ● Kikesa (Maroquinerie) ● Véronique Sanson (Salle Pleyel) ● Jo Wedin (Olympic Café)
Province NOVEMBRE ● Agar Agar : 22, Orléans (Astrolabe) ● 24,
Belfort (Poudrière) ● 29, Nancy (Autre Canal) ● 30, Dijon (Vapeur) ● Bad Tripes : 24, St-Jeande-Védas (Secret Place) ● Flavien Berger : 22, Bruxelles (B, Botanique, complet) ●
108 R&F DECEMBRE 2018
30, Bordeaux (Rock School Barbey) ● Bern Hoft & The Fashion Bruises et Laurence : 28, Lille (Splendid) ● Biga Ranx, OBF, Mungo’s Hi Fi, Horace Andy, Sy & Robbie et Don Letts : 24, Aubervilliers (Docks de Paris) ● The Black Box Revelation et Triggerfinger : 21, St-Nazaire (VIP) ● 24, Montauban (Rio Grande) ● 25, Niort (Camji, avec Birdstone) ● 27, Riorges (salle du Grand Marais) ● 28, Montluçon (Embarcadère) ● 30, Strasbourg (Laiterie) ● Black Roots : 20, Angoulême (Nef) ● 21, Bordeaux (Rock School Barbey) ● 22, Biarritz (Atabal, avec Devi Reed) ● 23, Nantes (Stérolux, avec Roots Ark Trio) ● 24, Brasparts (ferme de Gwernandour) ● Don Bryant & The Bo-Keys : 20, Nice (forum Nice Nord) ● 21, Montpellier (Rockstore) ● 24, La Roche-sur-Yon (Fuzz’Yon, avec Alexis Evans) ● 25, Limoges (Opéra Théâtre) ● 27, Montigny-leBretonneux (Salle Jacques-Brel) ● 28, Reims (Cartonnerie) ● 29, Rouen (106) ● Civil War, Lost In Pain, Scarlet Anger et Abstract Rapture : 24, Esch-sur-Alzette (L, Kulturfabrik) ● Delgres : 30, Clermont-Ferrand (Coopé) ● Endless Boogie : 24, Boulogne-Billancourt (Carré Bellefeuille) ● Ensiferium et Bridear : 24, St-Dizier (Les Fuseaux) ● Nils Frahm : 22, Lyon (Auditorium) ● 22, Nîmes (Paloma) ● The Hi-Lites et Horsebites : 21, Genève (CH, Makhno) ● 22, Metz (Troubadour) ● 23, Besançon (PDZ) ● Idles : 20, Lausanne (CH, Docks) ● 23, Feyzin (Epicerie Moderne) ● 24, Bordeaux (Rock School Barbey) ● Lessen, A Time To Hope, Afar et Exodust : 30, St-Jean-de-Védas (Secret Place) ● The Limiñanas : 20, Esch-sur-Alzette (L Kulturfabrik) ● 21, Strasbourg (Laiterie) ● 22, Lausanne (CH, Romandie) ● 23, Mulhouse (Noumatrouff) ● 24, Dijon (Vapeur) ● 28, Rennes (Etages) ● 29, Brest (Vauban) ● 30, Nantes (Stéréolux) ● Mass Hysteria : 22, Niort (Camji, avec Praetorian) ● 23, Billère (Ampli) ● 24, Mont-de-Marsan (Café Music) ● MellaNoisEscape : 22, Rennes (Antipode, avec Rendez-Vous et It It Anita) ● Melting Potes et Thirty Things : 23, St-Jean-deVédas (Secret Place) ● Minuit : 21, Cognac (West Rock) ● 22, Bordeaux (Rock School Barbey) ● 24, Lille (Splendid) ● 30, Alençon (Luciole) ● Molly Burch : 28, Amiens (Lune des Pirates) ● No One Is Innocent : 23, Montpellier (Rockstore, avec Tagada Jones) ● 24, Marseille (Moulin, avec Tagada Jones et Madam) ● 27, Lyon (Ninkasi Kao) ● 29, Bordeaux (Rock School Barbey) ● Palatine et Sammy Decoster : 30, Strasbourg (Espace Django-Reinhart) ● The Pirouettes : 23, Rennes (Antipode, avec Vendredi-sur-Mer) ● 30, Nantes (Stéréolux) ● Rendez-Vous : 21, Nantes (Stéréolux) ● 22, Rennes (Antipode) ● 23, Le Havre (Tétris) ● 30, Epinal (Souris Verte) ● Rosedale : 30, Longlaville (espace JeanFerrat) ● Sly & Robbie : 22, Caen (Cargo) ● 24, Aubervilliers (Docks de Paris) ● 29, Lille (Aéronef) ● Supersuckers, Les Lullies et The Sonic
PhotoJack Parker-DR
The Warmduscher le 4 décembre au Mc Daid’s (Le Havre) et le 5 au Point Éphémère
Preachers : 22, St-Jean-de-Védas (Secret Place) ● Ultra Vomit et Les Trois Fromages : 30, Brainans (Le Moulin) ● Villagers : 24, Sion (CH, Port Franc) ● Vulcain : 24, Rilleux-la-Pape (O Totem) ● Ryley Walker : 25, Limoges (Phare) ● 26, Lille (Café Bulle)
DECEMBRE ● Agar Agar : 1er, Strasbourg (Laiterie) ●
8, Caen (Cargo) ● 13, Allonnes (salle JeanCarmet) ● 14, La Rochelle (Sirène) ● Aura Noir et Obligations : 10, Nantes (Ferrailleur) ● Flavien Berger : 1er, Biarritz (Atabal) ● 14, La Rochelle (Sirène) ● 15, Poitiers (Confort Moderne) ● Delgres : 1er, Arles (Cargo de Nuit) ● 6, Avermes (Isléa) ● 7, Magny-le-Hongre (File 7) ● 8, Argenteuil (La Cave) ● 9, Ris-Orangis (Plan) ● 13, Fontenay-sous-Bois (espace Gérard-Philipe, avec Elias Dris) ● 15, Châteaulin (Run Ar Puns, avec Call Me Max) ● 16, StAugustin (Grande Ourse) ● 20, Les Lilas (Les Tritons) ● Dr Eggs, Toxitoys, Nwar et Guilhöm : 16, St-Jean-de-Védas (Secret Place) ● Kalah, Vreid et Slegest : 9, Nantes (Ferrailleur) ● The KVB : 3, Jurançon (Ferronerie) ● 4, La Rochelle (Sirène) ● 5, Bordeaux (I.Boat) ● 7, Amiens (Lune des Pirates) ● The Limiñanas : 1er, Vannes (Echonova) ● 12, Annecy (Brise-Glace) ● 13, Marseille (Espace Julien) ● 14, Grenoble (Belle Electrique) ● 15, Perpignan (El Mediator) ● Main:Art, Another Age et Equals Infinity : 1er, St-Jeande-Védas (Secret Place) ● Mass Hysteria : 7, Vauréal (Forum, complet) ● 8, Liévin (Arcen-Ciel) ● 9, Savigny-le-Temple (Empreinte, complet) ● MellaNoisEscape : 1er, Beauvais (Ouvre-Boîte) ● Minuit : 8, Toulouse (Métronum) 12, Lyon (Transbordeur) ● The Night Flight Orchestra et Black Mirrors : 2, Toulouse (Rex) ● 5, Decines (Warmaudio) ● No One Is Innocent et Pineapple : 7, Villiers-le-Bel (espace Marcel-Pagnol) ● Palatine : 7, Grenoble (Bobine) ● The Pirouettes : 5, Nancy (Autre Canal) ● 13, Toulouse (Métronum) ● 14, Cenon (Rocher de Palmer) ● The Psychotic Monks et Mnnqns : 14, Sannois (EMB) ● RendezVous : 1er, Dijon (Vapeur) ● 7, Evreux (Tangram) ● 8, Dunkerque (4 Ecluses) ● Sly & Robbie, Chill Bump, Ondubground, Mungo’s Hi Fi et Sinai Sound System : 1er, Ramonville (Bikini) ● Terrenoire : 1er, Audincourt (Moloco) ● 6, Annemasse (Château Rouge) ● 14, Strasbourg (Laiterie) ● 15, La Rochelle (Sirène) ● 19, Ramonville (Bikini) ● 21, Cognac (Abattoirs) ● Ultra Vomit : 1er, Lyon (Transbordeur, avec Tagada Jones et Les Trois Fromages, complet) ● 7, Calais (Centre Gérard-Philipe, avec Unswabbed) ● 14, Poitiers (Confort Moderne) ● 15, Dijon (Vapeur, avec Tagada Jones) ● 20, Montpellier (Zénith Sud) ● Uncle Acid And The Deadbeats et LA Witch : 3, Lyon (Transbordeur) ● Vulcain : 15, Nantes (Scène Michelet) ● Warmduscher : 4, Le Havre (Mc Daid’s) ● Abigail Williams, Sarkow et Chronus : 24, St-Jean-de-Védas (Secret Place) ● Zeal & Ardor : 9, Lille (Aéronef) ● 11, Le Havre (Tétris) ● 13, Strasbourg (Laiterie)
Festivals ■ Rise and Fall : 21/11 au 2/12, Niort (divers lieux, avec – le 22 : Mass Hysteria et Praetorian – le 23: The Diggerz, Sliders et Bunkum – le 24 : Walnut Grove DC et The Bottle Doom Lazy Band – le 25 : Triggerfinger, The Black Box Revelation et Birdstone – le 26 : Napalm Death et Overclash – le 27 : La Colonie de Vacances – le 28: Datcha Mandala et Little Jimi – le 29 : Presumption et Sycomore – le 30 : Nostromo, Prométhéed et Viktims – le 1er : The Great Old Ones et Ingrina – le 2 : Klone) www.riseandfallfestival.com
■ Riddim Collision : 22 au 24/11, Lyon (divers lieux, avec – le 22 : Glitteroo, Oktober Lieber, Use, La Jungle, Kepa, Voilaaa Sound System, The Mauskovic Dance Band et Ko Shin Moon – le 23 : Wil.8, Dudz, Bob et Mar, Asco, Maltfunk, Jazzy Bazz, Casual Gabberz, Sentimental Rave, Krampf et Voiron – le 24 : Jeanne Added, Corine, Laake, La Mverte, Corps et Ambeyance) www.riddimcollision.org ■ BBMix : 23 au 25/11, Boulogne-Billancourt (Carré Belle Feuille, avec – le 23 : Areski Belkacem, Hyperculte, Art, Borja Flames et The Recyclers – le 24 : Endless Boogie, Pan American, Facs et Von Limb – le 25 : The Mauskovic Dance Band et The Dead Mauriacs) www.bbmix.org ■ Rock In Hell : 2 au 8/12, Colmar (Grillen et Parc Expos, avec – le 2 : Smash It Combo et Zob – le 7 : Princesses Leva – le 8 : Tagada Jones, Black Bomb A, Rise Of The Nothstar, Dope DOD, Knuckle Head et The White Butchers) www.live-concerts.fr ■ Transmusicales : 5 au 9/12, Rennes (divers lieux, avec – le 5 : Nova Materia, Underground System, DJ Whitehot, Nabihah Iqbal, et Sink Ya Teeth – le 6 : The Homesick, Eut et The Cinema Escape, Bafang, The Blind Suns et Choolers Division, Disiz La Peste, Brookline, Robert Finley, Hubert Lenoir, Pongo, Missill, DJ Haze, Chatoune et Marilou, DJ Lag, Black Pumas, Raph Dumas, Candeloros et The Yd – le 7 : Praa, Rexregis, Bigger, Ryder The Eagle, Blanca Li (Elektro Kif), Cie Zombeavers, Cyril Cyril, Ko Shin Moon et Los Orioles, Muthoni Drummer Queen, Cyril Cyril, Ouai Stéphane, Kog and the Zongo Brigade, Gigsta, Nelson Beer, Ben Lamar Gay, Topper Harley, Madmadmad, L’Amateur, Komodo, Big Buddha, Sara Zinger, Underground System, Dox Martin, DJ Crocodile, Nagash Ensemble, Dombrance, Vurro, The Surrenders, Pressyes, Ekiti Sound, Glitter, Atoem et Bruno Belissimo – le 8 : Blanca Li (Elektro Kif) et Cie Zombeavers, Saodaj, Johan Papaconstantino, Fleuves et Initials Bouvier Bernois, Naghash Ensemble et Ajate, et Doodaj, The Psychotic Monks, La Fraicheur, El Vidocq, Fabrizio Rat, Fleuves, La Fleur, Praa, Bodega, Peroke, Al Qasar, Gloria Dave, Indianizer, Natah, DJ Kosmo Pilot, Black Noise, Rexregis, Initials Bouvier Bernois, Madmadmad, Losange, Ajate, X Altera, Champs Libres, Nihiloxica, Repi Del Mundo, Charles Trees, Venice Club, Makeness, Lyzza et Arp Frique – le 9 : Madam, The Correspondents, Wooze et Mister Do) www.lestrans.com ■ Week-End Sauvage : 7 et 8/12, St-Jeande-Védas (Secret Place, avec – le 7 : Les Sales Majestés, Banane Métalik, Charge 69, Brassens Not Dead, Momo Disagree et Kurt – le 8 : Les Rats, Washington Dead Cats, Palavas Surfers et Momo Disagree) www.toutafond.com ■ Festival de Noël : 9, 14 et 15/12, Limoges (CCM John-Lennon, avec – le 9 : Alestorm et Skalmold – le 14 : Les Sales Majestés, The New Roses, Audrey Horne, Loaded Gun et Stray Train – le 15 : Black Bom A, Rise Of The Northstar, Dope DOD, Myciaa et Prison Life)
Les dates de concerts pour la période 20/12 au 31/01/2019 qui ne seront pas parvenues au journal le 20/11 au plus tard ne pourront être publiées. Il est préférable de porter la mention “Concerts” sur l’enveloppe de votre envoi. Merci. L’ensemble des dates et des lieux indiqués l’est sous réserve de changements ultérieurs. Il est préférable de s’informer dans la presse locale ou auprès des organisateurs des changements éventuels de programmation
DECEMBRE 2018 R&F 109
Absolutely live
Mystico-borderline
PAR MATTHIEU VATIN
The Morlocks
6 OCTOBRE, PETIT BAIN (PARIS) L’ambiance est moite pour la venue des bien aimés Morlocks, cheveux longs et cuir noir de rigueur. Leighton Koizumi, sosie capillaire de Joey Ramone, a rassemblé autour de lui un gang d’élite où brille particulièrement le frétillant soliste Bernadette, bien soutenu par une rythmique d’acier dopée par les giclures fuzz de Marcello Salis. Avec humour et bonhomie, Leighton orchestre une performance purement garagerock qui débute par deux reprises létales, “Killing Floor” de Howlin’ Wolf et “Teenage Head” des Flamin’ Groovies, avant de passer en revue la quasi-intégralité du récent et excellent “Bring On The Mesmeric Condition”, avec, en point d’orgue, la très Stooges “High Tide Killer”. JONATHAN WITT
John Carpenter
11 OCTOBRE, SALLE PLEYEL (PARIS) Le maître de l’épouvante dont le génie musical autodidacte n’est plus à prouver, ne pouvait qu’exciter l’imposant public de ses fidèles à qui furent servis plus de quarante ans de thèmes puissamment accrocheurs, sur un montage impeccable des cultissimes “The Thing”, “Assaut”, “Halloween”, “Fog”, “New York 1997”... Las, malgré l’immense admiration pour ce dernier des Mohicans, la déception gagne : la salle ne colle pas ; les lumières sont froides, trop crues ; le groupe — dont son fils Cody assure les synthés mythiques — joue heavy, mais c’est trop gras... La dimension psychique est perdue, les frissons avec. ALEXANDRE BRETON
The Coral
12 OCTOBRE, MOUNTFORD HALL (LIVERPOOL) Vendredi soir dans la ville de briques et de brume, le groupe du Wirral, en pleine tournée anglaise, fait étape chez lui. Accueillis par une salle comble, mais sans effusion excessive, comme on salue les vrais amis, James Skelly et ses las donnent un concert tout aussi loyal. Les chansons avant tout. Celles des deux derniers albums, glam ou psychédéliques, mais toujours accrocheuses. Ces esthètes, bien sûr, piochent également dans leur magique catalogue : “Bill McCai”, “Jacqueline”, “Pass It On”, “Secret Kiss” ou, au rappel, “Goodbye” et “Dreaming Of You”. Quelques autres manquaient
110 R&F DECEMBRE 2018
à l’appel mais, rien de grave, la seconde vie des brillants Coral, déjà en studio en train d’enregistrer de nouvelles choses, ne fait que commencer. BASILE FARKAS
Bloc Party
16 OCTOBRE, ZENITH (PARIS) Six ans après son dernier retour, avec deux nouveaux membres, Bloc Party a décidé de donner sept concerts exceptionnels. Sept grandes villes européennes ont le droit de revivre en live “Silent Alarm”, leur premier album — reconnu comme un des meilleurs des années 2000. Si Berlin ou Amsterdam affichent complet, à Paris le Zénith a été boudé. Mais l’enthousiasme du public compense largement les sièges vides. Le premier slam fleurit dès “Luno”, la foule se transforme en chorale pour “Blue Light” avant de rugir sur “Banquet”. Enfin, sous une pluie de confettis, le charismatique Kele Okereke rassure les fans d’un “à bientôt”. AGNES BAYOU
Radio Birdman & Nashville Pussy
Greta Van Fleet
17 OCTOBRE, ALHAMBRA (PARIS) Affiche électrique près de la place de la République où Radio Birdman croise ce soir le fer avec Nashville Pussy. Ça n’est pas mentir d’affirmer que la formation australienne vole haut la main la vedette à l’attraction américaine, originaire en fait d’Atlanta. En dehors de Ruyter Suys, extraordinaire guitariste entre Ted Nugent et Nita Strauss, le côté linéairement trivial de l’affaire fait vite pale figure face au répertoire intransigeant et sanguin du gang du Dr Deniz Tek qui alterne classiques de son cru et versions ahurissantes de chansons des Doors et Magazine avec une détermination implacable. VINCENT HANON
The Pretty Things 19 OCTOBRE, GONZAI NIGHT, MAROQUINERIE (PARIS)
Avec contrebasse et Jazzmaster, les Howling Jaws, précis comme des crans d’arrêt, jouent avec fraîcheur une musique inventée quand René Coty débutait son mandat. Il s’agit surtout, ce soir, de saluer une immense légende, car les Pretties sont en pleine tournée d’adieu. Le début a quelque chose de poignant : Dick Taylor, voûté sur sa guitare Harmony, et Phil May, les cordes vocales rouillées, semblent en peine. Le reste du
groupe, heureusement, tient la baraque. Une poignée de titres de “SF Sorrow” et l’affaire est lancée. Sans faire semblant d’être jeunes mais avec une grâce bouleversante, les Pretty Things, 54 ans après leurs débuts, jouent une dernière fois leur éternel répertoire garage et rhythm’n’blues (“Rosalyn”, “LSD”). Mieux que des tubes, des classiques. BASILE FARKAS
Ry Cooder
21 OCTOBRE, OLYMPIA (PARIS) Sacré Ry. Pour sa première tournée solo depuis des lustres, dont cet Olympia bien rempli constituait la dernière date, l’homme de Santa Monica choisit de partager les feux de la rampe avec les HamilTones, trio vocal soul du niveau d’un Curtis Mayfield et de ses Impressions. Riche idée. Les strates harmoniques pures, puissantes, contrastent à merveille avec son timbre plus monocorde, légèrement éraillé. Soirée très gospel (“Jesus On The Mainline”, “99½ Won’t Do”), un peu politique (couplet anti Trump sur “Vigilante Man”) et guitare parcimonieuse mais magique, à l’image des notes d’une clarté éblouissante sur “How Can A Poor Man Stand Such Times And Live?”. BERTRAND BOUARD
Connan Mockasin
25 OCTOBRE, CAFE DE LA DANSE (PARIS) Se dévoilant en vieux professeurs de musique, les Jassbusters intriguent. Parmi eux, Mr Bostyn, alias Connan Mockasin, arbore coupe mulet, lunettes d’aviateur et cravate kitsch. Dans la salle comble, les premières notes résonnent. Juste avant, défilaient les images de son film “Bostyn ’N Dobsyn”, conçu pour accompagner un troisième album toujours aussi pop et psyché. Se débarrassant de son costume en dernière partie de soirée, il délaisse son groupe fictif pour jouer un bout de sa discographie avec indolence. Entre chaque chanson, le crooner kiwi susurre des blagues et s’amuse avec le silence. Le public, lui, se déhanche timidement et le regarde religieusement, comme suspendu à ses lèvres. CHAYMA MEHENNA
Greta Van Fleet
26 OCTOBRE, ELYSEE MONTMARTRE (PARIS) Une interminable file d’attente se prolonge jusque dans la rue de Steinkerque tandis que les chevelus Goodbye June tentent de jeter un pont entre les Black Keys et Cage The Elephant,
Photo Elodie Chapuis
avec quelques excellents morceaux comme “Good Side” et “Secrets In The Sunset”. La salle est archi-comble lorsque Greta Van Fleet s’élance avec “Highway Tune” puis l’ébouriffante “Edge Of Darkness”, qui permet à Jake Kiszka de griffer un long solo. Son frère Josh, en tenue d’Indien, maîtrise désormais parfaitement son organe, et le quartette livre globalement une performance assez proche de sa première venue parisienne, bien que moins enlevée : setlist presque identique, hélas sans “Lover Leaver (Taker, Believer)”, une intéressante reprise de Melanie (“Lay Down (Candles In The Rain)”) et toujours quelques moments d’une étourdissante puissance comme “Evil”, “When The Curtain Falls” et “Safari Song”. JONATHAN WITT
Killing Joke
27 OCTOBRE, CABARET SAUVAGE (PARIS) On ne se plaindra pas que Killing Joke, célébrant quarante ans d’une trajectoire fascinante, ne remplisse qu’un (très honorable) Cabaret Sauvage. L’expérience n’en fut que plus hystérisante ! La setlist continue d’attaquer le cortex des spectateurs, encore KO
des versions démentielles de “Unspeakable”, en ouverture rageuse, “Eighties”, “Requiem”, “Bloodsport”, “Pssyche”, “Love Like Blood” (dédié à feu Paul Raven) ou “Pandemonium”, lourdement assénées par le showman mystico-borderline Jaz Coleman et ses grandioses Youth, à la basse tellurique, Paul Ferguson en massue percussive et Geordie aux killer riffs... Sans blague ! ALEXANDRE BRETON
Kurt Vile & The Violators 29 OCTOBRE, CIGALE (PARIS)
La foule est fébrile : Kurt Vile et ses profanateurs sont de retour. “Loading Zones” lance un set jubilatoire, cohérent sans être uniforme, raz-de-marée électrique qui explose les limites du folkrock. Le Philadelphien enchaîne les titres savamment piochés entre son dernier disque (le contemplatif “Bassackwards”, “Yeah Bones”) et ses classiques (“Runner Ups”, “Wakin’ On A Pretty Day” et “Pretty Pimpin” en rappel), survolté, changeant de guitare à tour de bras. Le public, acquis, salue fervemment un concert d’une maîtrise débonnaire, clos par le désabusé “Peeping Tom” seul en scène, visage dans l’ombre. CHLOE MARECHAL
DECEMBRE 2018 R&F 111
Absolutely live Slaves
David Byrne
Vacances de circonstance, les cerveaux sont en congés et le tube Eurodance crétin “We Like To Party!” annonce l’entrée du duo punk qui, avec enthousiasme et la batterie primitive de “Sockets”, déclenche illico un lancer de pintes collégial puis transforme la fosse en échauffourée furieuse. Isaac et Laurie, les deux prolos anglais tatoués, l’un debout torse nu bombé derrière ses fûts et l’autre en équilibre sur les retours invectivent la foule mais surtout éveillent les consciences avec un sens du slogan qui tape dans le mille. La formule duo présente forcément quelques limites mais pas celle de botter des fesses pendant une heure immensément fun, achevée par “The Hunter”.
A l’occasion de la sortie d’ “American Utopia”, le control freak new-yorkais s’est offert une tournée dantesque de 146 dates à travers le monde. Hormis la joie de réentendre une myriade de classiques des Talking Heads (“I Zimbra”, “Once In A Lifetime”, “Burning Down The House”) réarrangés, c’est surtout la scénographie qui happe la vue : un orchestre de douze musiciens et danseurs en mouvement perpétuel vêtus de costumes gris mais pieds nus, arpentent la scène. Chaque morceau est ingénieusement mis en valeur par une idée chorégraphique ou astuce d’éclairage qui rendent la performance proche d’un jovial ballet de Trischa Brown. La conscience politique jamais loin, Byrne pointe les dérives populistes contemporaines mais refuse de céder au découragement et est rejoint par Angélique Kidjo pour la vibrante reprise de Janelle Monáe “Hell You Talmabout” en guise de bouquet final.
5 NOVEMBRE, ZENITH (PARIS)
Photo Marion Ruszniewski
29 OCTOBRE, TRABENDO (PARIS)
David Byrne
MATTHIEU VATIN
Echo And The Bunnymen
5 NOVEMBRE, BATACLAN (PARIS) Tous assis — la moyenne d’âge frôle les 50 ans : les ados des années 80. Le concert débute bille en tête par “Going Up”, premier
112 R&F NOVEMBRE 2018
morceau du premier album. Ian McCulloch affiche une forme exceptionnelle, à tous les étages — voix, humour, physique. Le groupe délivre des versions grandioses de “Zimbo”, “Rust”, “Over The Wall”. Une reprise de “Roadhouse Blues” est encastrée dans “Villiers Terrace”, “Walk
On The Wild Side” dans “Nothing Lasts Forever”. Les sièges claquent pour “Bring On The Dancing Horses”, “The Cutter” et “The Killing Moon” : tous debout. Il y a de la nostalgie, mais surtout un présent bouillonnant, grâce à des chansons immortelles. BENOIT SABATIER
MATTHIEU VATIN
Çane s’invente pas DECEMBRE 1978 R&F 143
ROCK ’N’ROLL FLASH BACK
DECEMBRE 1968 R&F 023
Voiture de l’année, la NSU Ro 80. Decca censure la pochette de “Beggars Banquet” et les radios de Chicago, “Street Fighting Man”. Une page pour le dire, farcie d’étourderies, téléphone arabe ou rédaction au stylo bille : “Black Dwag”, “Stray Cort (Blues)”, etc. Les journalistes deviennent des rock critics et commencent à se mettre en scène (“Dis, coco, si tu me faisais quelque chose sur Sylvie ?” Coco voulait bien, Sylvie non.) Cet autre, subjugué par le film “Yellow Submarine”, traverse ses sept mers personnelles en quittant la salle, la “Mer de la fin de mois”, la “Mer de l’adjudant à moustaches du 16ème RIMA”... Deuxième degré sans doute : Evariste vend son 45 tours “Révolution” pour 3 francs, histoire de mettre la honte aux capitalistes, sous le label CRAC (Comité Révolutionnaire d’Agitation Culturelle), avec les chœurs du Comité Gavroche Révolutionnaire.
L’asphalte se rappelle encore la caresse de la Porsche 928, qui lui avait été promise en 1978. Côté rock, il avait suffi de deux ans pour devenir vieux. Disque du mois : Jim Morrison et les Doors (“American Prayer”). Exilés en 20 et 21ème positions : “Give ’Em Enough Rope” et “All Mod Cons”, entre : Eric Clapton, Elton John, Ted Nugent, Dolly Parton, Billy Joel... Rock&Folk ne cause pas que de dope, il interviewe aussi Dominique Rocheteau, fidèle à la country parce qu’ “il ne s’est pas passé grand-chose au niveau de la musique depuis quelques années”. Une punkette a été poignardée avec un couteau de chasse acheté la veille à Times Square, un cadeau pour son amoureux. John Simon Ritchie est mal. Il témoigne pour le NME : “Il y avait du sang partout, sur les draps, sur le traversin, partout sur le matelas, et les traces allaient jusqu’à la salle de bains”.
DECEMBRE 1988 R&F 258
DECEMBRE 1998 R&F 376
DECEMBRE 2008 R&F 496
PAR CHRISTIAN CASONI
Gare à “Under Cover”. Glissée dans la pochette de l’album : une pub, 6,50 £ pour adhérer au fan club des Stones, une adresse à Surbiton (Surrey)... c’est du flan. “Terrorisme musical” et shows paramilitaires, tricard sur les radios noires, Public Enemy peste contre la “soft ideology” qui fait d’Eddie Murphy “le nègre emblématique de l’Amérique du rêve”. Autre genre : Boy George, “la pauvre pédale qui s’en est sortie. Le temps que tu peux perdre à papoter avec des crétins à la télé. Ces présentateurs cherchent à se faire valoir à mes dépens. Je pourrais les écraser, mais je serais le premier à en subir les conséquences.” Ce reporter, peut-être épris de vis platinées, donc au fait que la Peugeot 405 est la miss carrossée de l’année, ne démolira pas le rockumentaire “Rattle And Hum” : “J’ai vu le rock’n’roll et, désolé, il avait le visage de Bono”.
Est-ce ainsi que les Bretons vivent ? Miossec y va de son distinguo : “Je suis brestois”. Il revendique sa “ringardise, à l’époque de Daft Punk”. Son interlocuteur, Alan Stivell, a collé un procès à Manau. Miossec : “Tu as eu vingt fois l’occasion de devenir la reine des putes et tu ne l’as jamais fait”. 3 à 10 millions de francs pour un film de quelques secondes dans lequel on apercevrait Robert Johnson. Drôle de brève. Pour sa pédale wah-wah, faire une offre. Un mot sur Noir Désir pour dire qu’ils sont toujours “off, ni disque ni tournée”, mais un remix. Un mot sur Led Zeppelin pour dire qu’ils sont on : un disque, une tournée mais pas de remix. “A part vos cheveux en M, rien à déclarer ?” Matthieu Chedid : “J’ai toujours été enrobé, j’ai même eu tendance à avoir de la poitrine”. Et pendant ce temps, l’Alfa 156 est couronnée chignole de l’année.
Ne serait-elle pas légèrement fatigante, Marianne Faithfull ? La maladie, ce n’est pas bien (elle a un rhume), la maladie est “une expérience fabuleuse” (elle a eu un cancer du sein). Un bon point pour elle, elle n’aime pas non plus “cette horrible Siouxsie. Elle ressemble à un emballage de bonbon.” Dans la famille Slipknot, le Clown. Lui, quand il tombe le masque, il “ressemble à un serial killer classique en instance de chambre à gaz dans un quelconque couloir de la mort du Sud des Etats-Unis”. “About A Son” est un documentaire sur Kurt Cobain qui est mort jeune, 14 ans plus tôt, et laisse “un sale cadavre”. Innovation : dans le cadre de sa politique salariale disruptive, Rock&Folk charge neuf de ses lecteurs de chroniquer “Black Ice”, le nouvel album d’AC/DC. Dismoi, jeune, tu t’es offert une Fiat 500 II ? Bravo, tu pilotes la caisse de l’année.
L’an dernier, Nick Cave avait livré au Zénith une performance sommitale, emportant le public sur son tapis volant dans un “Jubilee Street” historique. Ce mois-ci, dans cette salle provisoire devenue définitive (elle avait été construite en 1983 pour durer trois ans) c’est David Byrne qui a mis tout le monde sur le cul. Chaque musicien qui a assisté à son concert est reparti avec une nouvelle fiche technique. Sur scène, rien. Pas d’amplis, de batterie ou de retours bain de pied. Pas de séquences en playback non plus. Juste un rideau scintillant et un marching band de 11 instrumentistes dansants, batteurs, bassiste, guitaristes, clavier, chanteurs, sanglés comme des Ghostbusters, avec dans le dos le même genre d’émetteur-récepteur haute fréquence qu’utilisait Eddie Van Halen pour ses galipettes. Il n’y a rien de plus neuf que cette comédie musicale chorégraphiée, qui n’utilise aucun procédé numérique. Byrne et les Talking Heads avaient déjà réussi, avec “Remain In Light”, à sortir en octobre 1980 le disque qui annonçait et enterrait les années 80 : il n’y avait plus qu’à passer à la décennie suivante. C’est extra, à 66 ans, d’arriver ainsi à rebattre les cartes, insuffler de nouvelles idées au rituel des concerts. “La comparaison entre les Jaguar ou les Rolls de différentes époques n’était pas non plus un mauvais exercice pour se former l’œil, comme disent les antiquaires. Il suffisait de regarder les modèles plus récents de Bentley, carrés, patauds, pour comprendre que l’argent et l’élégance avaient divorcé et pour de bon. Le monde semblait bien décidé à redevenir plus injuste sans pour autant se révéler beaucoup plus beau. La prophétie de Damborre ne fonctionnait pas à rebours. Il l’expliquait à sa façon : ‘Les riches ont perdu de vue leur mission : gaspiller pour embellir. Ils ne savent plus faire. C’est pourtant ce qui les rachète aux yeux des autres, leur seule planche de salut.’ ”. “Les Années Foch”, de Jean-Pierre Montal, viennent de paraître en poche (Motifs, 8,90€) et je me suis pris la même baffe qu’après avoir lu “Extension Du Domaine De La Lutte” et “Testament A L’Anglaise”. Cette histoire de vitelloni férus de Prince, échoués dans le Paris trouble des beaux quartiers, entre le stand de tir de Raymond Sassia et les professionnelles des rues circulaires, ferait un film superbe. Comme avec le duopole Beatles-Stones, il y a Legrand et Morricone. Les maestros sortent leurs mémoires ces jours-ci, les deux livres correspondent à leurs personnalités : celui de Morricone (“Ma Musique, Ma Vie”, Séguier, 24€) est dense, technique, pas aimable et passionnant. Celui de Legrand (“J’Ai Le Regret De Vous Dire Oui”, Fayard, 24,50€) paraît plus souriant, mais ce n’est qu’un masque, on sent poindre la même rigueur, et le même fanatisme. Il n’est pas indifférent que tant de partitions
merveilleuses aient été écrites par des types aussi intimidants, souvent dépourvus d’humour et même parfois de fantaisie. Ces bosseurs compulsifs, glaçants d’exigence, pour eux et pour les autres, ont su transcender leurs dons comme leur bagage. Derrière leur absence de surmoi et leur capacité à vitrifier les exécutants, il y a une forme d’humanité libérée des conventions. “La souffrance que l’on éprouve quand un réalisateur refuse la musique en studio est immense : tu pourrais même avoir envie de te tuer.” (Ennio Morricone). “L’un des plus beaux moments de la vie est celui où on découvre, où l’on apprend. Quand on devient trop habile, la spontanéité s’en va, on ne craint plus rien. j’espère ne jamais devenir ce que l’on appelle froidement un grand professionnel.” (Michel Legrand). On connaît leur importance mais on ne réalise pas encore ce que de tels géants représenteront une fois disparus. L’intérêt de leurs ouvrages tient aussi à la qualité de leurs confesseurs. Alessandro De Rosa est un compositeur doté d’une solide formation académique, et Stéphane Lerouge mérite d’entrer vivant au Panthéon pour son travail de résurrection de notre patrimoine sonore, avec sa collection “Ecoutez Le Cinéma !”. Il faut sauver le soldat Connan Mockasin. Quant nous avions tourné, avec Benoit Forgeard, les Ben & Bertie Shows pour la télévision, nous avions vu défiler beaucoup d’artistes talentueux. Jouer et être filmé en studio dans les conditions du direct, c’est un moment de vérité, et chacun, de Chilly Gonzales à Daniel Darc en passant par Tony Allen et Jacky Chalard, avait montré ce qu’il avait dans le ventre. Mais ce Néo-Zélandais nous avait particulièrement époustouflés. Son interprétation de “I’m The Man, That Will Find You”, par sa pureté, sa grâce, et la cohésion de son groupe, sublimait la version de l’album, affaiblie par des bidouillages lo-fi. Le 12 octobre, après 5 ans de silence, il a publié un nouveau disque, “Jassbusters”. 34 minutes, huit titres, probablement enregistrés sur un 8 pistes à bandes ou à cassettes pour faire genre, car il y a beaucoup de bruit de fond mais peu de souffle. Jadis, les ramasseurs de balle étaient à ses pieds, dorénavant tout le monde s’en tamponne. Il garde pourtant une capacité rare à créer des chansons d’une grande beauté, on n’ose imaginer ce que des trésors mal dégrossis comme “Momo’s” donneraient s’ils tombaient entre de bonnes mains. Hardy, des Residents, vient de mourir. Le truc génial c’est qu’on cherchait toujours quatre types alors qu’il y en avait deux, et encore je n’ai jamais vu le second. Personne n’est allé aussi loin dans la fantasmagorie. Lorsque j’ai fait sa connaissance, il y a 20 ans, c’était un vieux monsieur adorable. Il avait l’âge que j’ai aujourd’hui. “We’re on a road to nowhere, come on inside. Taking that ride to nowhere, we’ll take that ride.”