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éthiopie
Reportage
Des personnes handicapées
sur le chemin de la citoyenneté Éducation, emploi, accessibilité, prise en charge médicale… Dans tous ces domaines, en Éthiopie, les personnes handicapées peinent encore à être prises en considération. En cause, surtout : des croyances ancestrales, qui les condamnent à rester en marge de toute vie sociale. Mais progressivement, avec l’aide d’organisations non gouvernementales etGeorgia grâce au militantisme SKOPJE TIRANË ROMA BAKU (Baky) JEREVAN Italy Trabzon Azerbaijan Sassari d’Éthiopiens (Rome) Albania les mentalités handicapés, question de temps… Istambulévoluent. Et si tout était une Caspian Erzurum Thessaloniki Napoli
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Nguigmi C h a d Située entre Lake l’Érythrée et la Somalie, dans la Corne de l’Afrique, Al-Fashir Al-Ubayyid Abéché Chad Zinder l’Éthiopie est une république fédérale qui compte environ An-Nuhud Maiduguri N'DJAMENA Mongo Kano Nyala 80 millions d’habitants. Les causes du handicap dans ce grand Cha Zaria ri Am Timan Kumotrès pauvre sont diverses. Alors queBirao pays des décennies de conflits go Jos Garoua de vétérans de guerre et de civils, les azal N i g e r i aont affecté des millionsSarh Gh r el h Ouanda a Benue accidents de la route et des maladies telles que la poliomyélite Bou Central Waw le Ngaoundéré diabète engendrent aussi de nombreux handicaps. Certaines inCity African Republic Enugu Bouar Bambari de serpent venimeux spécificités régionales comme les morsures itsha Bossembélé Cameroon Bangassou Mobaye Juba non soignées provoquent un nombre élevé d’amputations. Bomu Doruma Calabar BANGUI Douala ourt Mobayl-M. YAOUNDÉ MALABO Les mines antipersonnel mutilent encore plusieursUeledizaines Berbérati Bioko Dja Aketi Isiro Buta (Equat. G.) Kribi de civils chaque année.
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Patrai Konya femme. La seule solution reste enfants handicapés, l’accessibietnebersh Sicilia Messina Nigussie a Mash Adana Halab Al-Mawsil Erbil alors souvent la scolarisation en lité pose, elle aussi, de nombreux toujours fait de la lutte Qom NICOSIA Al-Lädhiqiyah s Sousse Malta VALLETTA Kriti I r a n Batna Himsproblèmes Syria dans son pays. ExemIraklion Cyprus spécialisée. pour les droits des institution Taräbulus Yazd I r a q Sfax Lebanon BAYRÜT (Beirut) Un premier diplôme de droit en ples : quelques beaux hôtels personnes handicapées son DIMASHQseuls (Damascus) Djerba BAGHDAD Esfahan K Dezful El Oued Tunisia TARÄBULUS Palestine Karbala' ses 'AMMAN et restaurants peuvent accueillir cheval de bataille. Alors, quandAl-Baydä'poche, Yetnebersh poursuit Aviv-Yafo (Tripoli) Touggourt Zuwärah Tubruq Al-Iskandarïyah Ghazzah (P.) Al-Basrah YERUSHALAYIM (Jerusalem) handicapées ; Banghäzï études supérieures dans l’action des personnes l’un la jeune femmeMisrätah aveugle prend (Alexandria) Bür Sa'ïd Israel Jordan Shiraz AL-KUWAYT Kuwait Suez C. Rafha' des rares immeubles disposant la parole à ce sujet, elle sait de sociale et devient AL-QÄHIRAHune (Cairo)militante Ma'än Bandar-e Bushehr As-Suways Ghadämis B Al-JïzahpubliqueAl-Aqabah acharnée, une figure de rampes d’accès et de braille P e r s i a n quoi elle parle. C’est parce que Al-Jaghbüb Qeshm Ha'il Bahrain Siwah G Al-Minya connue de tous : « J’ai toujours dans l’ascenseur estBuraydah celui qui Ad-Dammam AL-MANAMAH u l f « personne ne fait confiance Zaltan à une Asyut Dubayy AD-DAWHAH Edjeleh été très impliquée dans cette cause abrite les locaux du Centre Al-Hufuf personne handicapée » que cette (Doha) Sawhaj L i b i e e Al-Wahat ABU ZABY Qinaà éthiopien pour le handicap et Qatar dernière a toujours dû se battre et je reste l’activiste que j’étais (Abu Dhabi) Al-Uqsur Al-Qasr AR-RIYAD (Riyad) Marzuq Djanet l’université ! », explique-t-elle. le développement, organisation pour prouver qu’elle pouvait, elle Ghat Al-Madinah Al-Qatrun E g y p t Aswan pour laquelle travaille Yetne- S a u d i aussi, mener une vie normale. Et Al-Jawf L. Nasser bersh ; etc. EtMakkah entre(Mecca) les d’abord aller à l’école : « Les écoles Le handicap, Tummo A r a b i a Jiddah Wadi Halfa' At-Ta'if trottoirs défoncés et les publiques ne sont pas aménagées et une punition divine Bardaï Chirfa égouts àBurciel certaines écoles privées font de la Et elle ne manque pas d’objetsAbû Hamad Sudanouvert, Sawakin des discrimination envers les enfants de revendication. ParceAl-Khandaq qu’outre la circulation Taqatu' Nile Fada Sala handicapés », la difficile scolarisation des personnes à mobi-Farasan Bilmase souvient la jeune n
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51 lutter contre ce phénomène. D’ailleurs, progressivement, des jeunes handicapés commencent à faire des études supérieures. Grâce au travail d’associations d’étudiants de l’université d’Addis Abeba, des leçons de langue des signes sont disponibles. Les professeurs ainsi formés peuvent intégrer dans leurs cours les 21 étudiants sourds de la faculté. Ces évolutions positives sont avant tout le reflet d’un besoin de reconnaissance des étudiants handicapés désireux d’être mieux pris en compte par la communauté.
Accès aux soins
Patient du centre de réhabilitation du CICR 2 (Arba Minch)
lité réduite dans la capitale est très difficile, voire dangereuse. Se déplacer seul s’avère souvent laborieux. Comme celle de millions d’Éthiopiens handicapés, la vie de Yetnebersh se révèle donc complexe. Cette dernière a cependant eu l’avantage de connaître un parcours atypique dans un pays où les croyances autour du handicap n’ont jamais évolué. Être handicapé est encore considéré comme la conséquence d’une punition divine. « Personne n’est prêt à accepter qu’ il s’agisse avant tout d’un problème humain », poursuit la jeune femme. Les différentes autorités religieuses qui pourraient être d’importants vecteurs de changement des mentalités recommandent, pour
“remédier au mal”, de prier et de boire de l’eau sacrée.
21 étudiants sourds à la faculté de la capitale Toute prise en charge médicale est même encore considérée comme un acte de déloyauté envers Dieu. La stigmatisation du handicap est telle que devenir parent d’un enfant handicapé est une honte. Nombreuses sont les familles à cacher ces enfants loin des regards et de la société. Cette coutume est aussi encouragée par la peur des violences régulièrement perpétrées contre les personnes handicapées et notamment les petites filles. Mieux éduquer les jeunes Éthiopiens pour en faire de futurs citoyens et parents responsables représente l’une des clés pour
Le gouvernement éthiopien fait lui aussi preuve de plus en plus d’intérêt pour les personnes handicapées. C’est par le biais du ministère du Travail et des affaires sociales que celui-ci s’implique dans les questions relatives au handicap. Ce dernier devrait bientôt être secondé par un Conseil national du handicap. Des avancées modestes mais symboliques aussi. Elles montrent que les autorités reconnaissent l’existence des problèmes auxquels font face les personnes handicapées et pointent la nécessité de mettre en place des moyens pour tenter d’y remédier. La récente signature de la convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées est à considérer comme un autre engagement de la part du gouvernement. Mais, parce que des maladies telles que le paludisme et le Sida tuent des milliers de personnes chaque année, il est difficile de faire du handicap une priorité dans les questions ... de santé publique. Juin 2009 N°676
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Reportage Néanmoins, certaines ONG s’emparent du problème. Ainsi, le travail du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a-t-il permis la prise en charge d’un grand nombre de personnes handicapées physiques. Par le biais de centres orthopédiques, le CICR fournit des appareillages (prothèses, fauteuils roulants), et gère la rééducation des patients qui reçoivent tous une nouvelle paire de chaussure. Victimes de leur succès, ces centres souffrent d’un cruel manque de personnel. Selon Marc Zlot, responsable des programmes orthopédiques du CICR, il faudrait 2 500 employés pour répondre aux besoins du pays qui ne compte à ce jour qu’une soixantaine de techniciens spécialisés. Pour mieux informer et orienter le public, des campagnes radiophoniques ont été mises en place dans différentes régions. Certaines personnes dont le handicap n’a jamais été pris en charge ont ainsi eu pour la première fois accès à des soins. ...
Bourses et microcrédits pour jeunes entrepreneurs handicapés En matière d’emploi, les personnes handicapées ne représentent pas, non plus, une priorité. Les initiatives concrètes, publiques et privées, restent limitées. Selon Yetnebersh Nigussie, c’est « parce que handicap rime avec improductivité » que les entreprises sont encore réticentes à intégrer des salariés handicapés. En proposant des formations de sensibilisation, le Centre éthiopien N°676 Juin 2009
Rue d’Addis Abeba
pour le handicap et le développement encourage l’intégration professionnelle des personnes handicapées. Mais développer ce type d’initiative reste difficile et pousse les ONG à chercher des fonds au-delà des frontières. Toutefois, depuis quelques années, les opportunités permettant aux personnes handicapées d’évoluer dans le monde du travail se multiplient. À Addis Abeba par exemple, une coopérative groupant des travailleurs handicapés a ainsi pris en charge l’entretien des toilettes publiques de la ville. L’expérience plus que concluante se poursuit avec succès. Autre initiative : grâce à des bourses attribuées par des fondations internationales, les jeunes entrepreneurs handicapés peuvent enfin mener à bien leurs projets professionnels. Certains obtiennent même des microcrédits, chose encore impensable il y a quelques années. Tous ces petits pas en avant ont permis aux personnes handicapées de se faire une place dans la société civile. Leur condition aujourd’hui en Éthiopie est comparable à celle en vigueur dans certains pays d’Europe il y a quelques années. Faire évoluer
Le handicap en chiffres : des données contradictoires Le dernier recensement officiel réalisé en 1994 fait encore aujourd’hui polémique. Alors que le gouvernement estime que 2 % de la population est handicapée, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en comptabilise 10 %. Selon le CICR (Comité international de la Croix-Rouge), 400 000 patients auraient besoin d’une prise en charge orthopédique. Parce que très peuplée et victime d’un long conflit, la région Oromia, dans le sud du pays, est celle qui compte le plus grand nombre de personnes handicapées, 10 % des 27 millions d’habitants y seraient invalides selon l’OMS.
les mentalités pour lutter contre l’ignorance reste la priorité absolue, la clé du changement. Et ce qu’il faut, c’est avant tout du temps. Grâce aux moyens de communication modernes, les nouvelles générations s’ouvrent lentement sur le monde et prennent conscience de ce qui se passe au-delà des frontières. La jeunesse peut ainsi commencer à oublier les croyances ancestrales qui condamnent des millions de citoyens Éthiopiens à rester en marge de la société. Et si, dans les années à venir, le parcours de Yetnebersh Nigussie n’avait plus rien d’exceptionnel ? l Texte et photos Eugénie Baccot