Politis Sarkozy Bling Blig

  • April 2020
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Politis

Politis

Choses vues en Martinique

I Semaine du 5 au 11 mars 2009 I n°1042 I

CRISE, COLÈRE SOCIALE, SONDAGES

Bling-bling, blabla

E L L E V U O N

E L U M R FO

ÉCOLOGIE Du bisphénol dans le biberon

FRONT DE GAUCHE Contacts tous azimuts

IDÉES Renouveler le féminisme

3:HIKNOG=VUXUUZ:?l@a@e@c@k;

M 03461 - 1042 - F: 3,00 E

et patatras

SOMMAIRE CULTURE

L’ÉVÉNEMENT

CINÉMA.

Le festival Cinéma

du réel.

Pages 22 et 23

« Le jour se lève, Léopold », de Serge Valletti. MUSIQUE. « Makan », de Kamilya Joubran. Page 24 THÉÂTRE

COEX/AFP

MÉDIAS DOM-TOM.

La Martinique crie son rejet du modèle dominant, par Mireille FanonMendès France. Pages 4 et 5

ÉCONOMIE

Page 25

IDÉES / DÉBATS avec Nicole Savy : « Renouveler le féminisme ». ENTRETIEN

DE BONNE HUMEUR

Page 6

La chronique de Sébastien Fontenelle. Page 29

ÉCOLOGIE TOXICOLOGIE.

Du bisphénol dans le biberon. Pages 10 et 11

RÉSISTANCES IMMIGRATION.

à l’arraché.

POLITIQUE FRONT DE GAUCHE.

tous azimuts.

« Mais qui a tué Maggie ? », de William Karel.

Pages 26 et 27

EMPLOI.

Le piège de l’indépendance.

TÉLÉVISION.

Contacts

Page 13

Des papiers Page 30

LE POINT DE VUE DES LECTEURS Pages 32 et 33

SOCIÉTÉ Des bébés faits maison. Pages 14 et 15 SANTÉ

Une : Dominique Faget/AFP

DOSSIER

BLOC-NOTES Pages 34 et 35 Les exemplaires de ce numéro adressé à nos abonnés incluent un encart du Monde diplomatique.

SARKOZY : GROSSE FATIGUE L’hyperprésidence en plein naufrage. Navigation à vue. Fronde à l’UMP. Pages 18 à 21

NUMÉRO SPÉCIAL*

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ÉDITORIAL PAR DENIS SIEFFERT

Le Front de gauche, combien de divisions ? Nul n’ignore que la mobilisation n’est jamais indifférente à l’offre, et que l’unité est, selon la formule, un « puissant levier ».

ù en est-on à gauche de la gauche ? Comme le lecteur l’apprendra en se reportant un peu plus loin dans ce journal, les jours prochains seront décisifs. Que cela ne nous empêche pas de dire ici nos espérances et nos craintes. La langue française est ainsi faite que les unes et les autres tiennent dans la même interrogation : le Front de gauche, combien de divisions ? Autant dire que, pour une fois, c’est l’acception militaire qui aurait notre préférence… On connaît le champ de bataille : ce sont les élections européennes du mois de juin prochain. On connaît l’enjeu : la présence du « non de gauche » au Parlement européen. La présence de députés hostiles au traité de Lisbonne, et partisans d’une autre Europe démocratique, écologiste et sociale. Mais, au-delà, il en va de toute une dynamique qui pourrait aboutir à une recomposition du paysage politique à gauche. C’est donc un enjeu doublement démocratique. Qui comprendrait que cette partie de l’opinion française qui fut majoritaire lors du référendum européen de 2005 ne soit pas représentée à Strasbourg ? On peut aussi poser le problème différemment. Il s’agit de la représentation politique de l’immense majorité de ceux qui ont manifesté dans les rues de nos villes le 29 janvier, et qui s’apprêtent à recommencer le 19 mars prochain.

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Peut-on imaginer un tel divorce entre les parlementaires, fussent-ils en l’occurrence européens, et la rue ? Inutile donc d’insister : les enjeux sont considérables. Pour notre part, au mois de mai dernier, nous nous sommes engagés avec l’Appel de Politis dans la voie de l’unité (1). Au long cours, avec un travail de convergence sur les idées ; et à échéance rapprochée, pour des listes unitaires aux européennes. Nous avons pu vérifier

depuis dix mois combien cette démarche unitaire correspondait à l’aspiration de nombre de nos concitoyens. Où en sommes-nous aujourd’hui, en tout cas à horizon visible, c’est-à-dire dans la perspective des européennes ? Il apparaît assez clairement, à moins d’être obtus, que le Nouveau Parti anticapitaliste agit en fonction d’un autre agenda qui lui est propre. Ce choix peut se lire de plusieurs façons. Le NPA considère-t-il qu’il dispose du meilleur candidat pour la présidentielle, et qu’en attendant il s’agit de faire grossir les rangs de son mouvement ? Ou qu’il doit créer avec ses futurs partenaires un rapport de forces qui lui sera totalement favorable ? Ou encore que les joutes électorales ne sont pas si importantes, et que l’essentiel se joue ailleurs ? Après tout, ce qui se passe aux Antilles et se prépare peut-être pour le 19 mars peut légitimer ce point de vue. Quoi qu’il en soit, il y a peu de chances de voir à brève échéance le NPA rallier un front de gauche.

réelle. Tous ces courants, et quelques autres, dont la gauche des Verts (Écosolidaires et Alter Ekolo) et l’association des Communistes unitaires, ont constitué au mois de décembre une Fédération. Or, celle-ci, c’est le moins que l’on puisse dire, peine à se faire reconnaître, notamment du PCF. Dans l’entourage de Marie-George Buffet, on n’apprécie guère d’avoir à négocier avec des communistes qui revendiquent une double appartenance. Et pourtant cette complexité reflète assez bien les évolutions et les débats d’aujourd’hui, y compris sur les formes mêmes d’organisation. La direction du PCF décidera-t-elle de passer outre, au nom de la nécessaire unité, et de l’intégration dans le futur processus de femmes et d’hommes de valeur ? Ou bien campera-t-elle sur ses positions ? Notre souhait est connu. Mais nous ne sommes ni des donneurs de leçons ni des conseilleurs. Tout au plus peut-on espérer que chacun prenne la mesure des enjeux évoqués plus haut. Évidemment, on peut toujours s’en tirer Et pourtant ce Front existe, Marie-George en affirmant que la mobilisation ne dépend pas d’alliances « au sommet ». Buffet et Jean-Luc Mélenchon en sont Mais nul n’ignore que la mobilisation convaincus. Le PCF et le Parti de gauche n’est jamais indifférente à l’offre, et que (PG) sont d’ailleurs engagés dans une l’unité est, selon la formule, un « puissant série de meetings en commun. Après Frontignan et Marseille, ils font escale ce levier ». La question reste donc entière : le Front de gauche, combien de divisions ? dimanche au Zénith, à Paris. Le dynamisme et la force de conviction de P.-S. : Politis lance cette semaine une campagne Mélenchon font à chaque fois merveille. d’abonnements d’un type nouveau. La campagne du « double Bien entendu, le leader du PG et les ». Chaque fois qu’un abonnement nous responsables communistes multiplient les engagement parviendra, nous reverserons cinq euros à l’association Droit déclarations pour nous convaincre que la au logement (DAL), qui en a grand besoin pour aider les porte est grande ouverte à un familles qui campent toujours rue de la Banque. Quant à nous, élargissement du Front. À qui ? Au NPA, nous avons toujours l’ambition de diffuser plus largement nos idées. Après le DAL, nous envisageons d’autres partenariats si celui-ci change d’avis. Aux Alternatifs, avec des associations qui attendent notre solidarité. Lectrices qui représentent pour nous une famille et lecteurs, montrez-nous que cette campagne du double importante, moins par leurs effectifs engagement vous intéresse. (mais on ne voudrait pas les désobliger) que par leur apport déjà très ancien au (1) Nous tiendrons un bureau d’animation de l’Appel le 28 mars débat, à la croisée du social et de à Politis. l’écologie. Ce point de rencontre qui est le berceau même de Politis. Aux Collectifs antilibéraux, issus de la dernière présidentielle, et qui correspondent aussi à des sensibilités et surtout à des formes d’organisation nouvelles, et à une force

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•Mireille Fanon •Elle raconte ici la vie •Et souligne la

L’ÉVÉNEMENT DOM-TOM

La Martinique crie son rejet

Michel Monrose, président du Collectif du 5 février, devant la préfecture de Fort-de-France. COEX/AFP haque matin, devant la maison des syndicats – lieu de rencontre et de réunion du Collectif du 5 février –, des dizaines de personnes, arborant le tee-shirt rouge du mouvement « sé pou la viktwa, nou ka alé » et coiffées du bakoua [chapeau traditionnel conique, NDLR], viennent aux informations et prennent le pouls de la mobilisation dans l’attente du départ de la délégation vers la préfecture. Depuis trois semaines, les syndicats et le patronat (dont le Medef et son président béké), le préfet et les élus se retrouvent autour de la plateforme rassemblant les revendications portant sur la baisse des prix de cent

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familles de produits (où ne figurent ni le rhum ni la bière, contrairement à ce qu’ont prétendu perfidement certains békés), sur les services (eau, téléphone, accès Internet, EDF), les salaires, les loyers du logement social, l’éducation, la santé, la culture… Le mouvement ne faiblit pas, même si parfois des critiques viennent émailler les propos échangés. Car oui, la grève est difficile à supporter ! Il faut faire longtemps la queue pour obtenir du pain. Il n’y a plus ni lait ni café. La plupart des épiceries de quartier baissent leur rideau dès 11 heures du matin et restent parfois fermées plusieurs jours. Et les petits producteurs qui viennent des

villages avoisinants écouler leurs fruits et légumes dévoilent une certaine aptitude à la pwofitasyon. Ils s’affirment solidaires du mouvement, mais, comme par miracle, leurs prix ont augmenté ! Un kilo de tomates produit ici se vend entre 4 et 6 euros, alors qu’habituellement il se négocie aux alentours de 3 euros. Malgré l’âpreté des temps, la ville a son allure des jours fériés. Toute trace de vandalisme est aussitôt nettoyée. Les manifestants se mobilisent contre ces actes. Si certains ne peuvent s’empêcher d’admirer l’organisation et la célérité avec laquelle des jeunes ont déménagé un magasin de motos – on dit qu’il ne leur a pas fallu trente minutes –, tous les condamnent.

Mais cela n’empêche pas d’interroger les causes profondes de cet acte. Nous avons le sentiment d’assister à la faillite d’un système. Familial, éducatif. D’un modèle de vie aussi. À moins que l’on pense comme Yves Jégo, affirmant, avant de se reprendre, que ces actes incontrôlés n’ont eu lieu que parce que le carnaval avait été annulé. Le carnaval est-il, dans l’esprit de notre secrétaire d’État, le lieu d’expression nécessaire de la violence ? Un exutoire pour une jeunesse à qui le marché de l’emploi reste désespérément fermé ? Une jeunesse dont la société ne sait que faire, ni comment vivre avec elle… La Martinique s’indigne, crie, se sou-

Mendès-France a suivi le mouvement qui agite la Martinique. quotidienne dans l’île en temps de grève. singularité de cette crise, nourrie d’un fort désir d’émancipation. THIERRY BRUN

du modèle dominant lève… Les Martiniquais veulent vivre mieux. Mais, surtout, « bien ». Nous pensons ce « bien » ainsi qu’Evo Morales l’envisage, en relation avec la « mère Terre ». Si la crise vécue ici, mais aussi en Guadeloupe, ressemble bien sûr à celle éprouvée ailleurs par les salariés et les exclus, victimes de la mondialisation financiarisée et militarisée, il faut aussi la penser dans sa singularité. On ne peut la penser indépendamment de l’interrogation des Martiniquais sur le futur de leur île, sur la terre massacrée par les destructeurs et les bétonneurs. Cette terre qui leur échappe. Et sur leur relation au monde, avec le reste des Caraïbes, d’abord. Faut-il songer à s’émanciper de toute domination, celle des békés, celle des Français de France, des politiques refusant toute mise en projet d’un développement propre à l’île ? Telle est la question posée par cette mobilisation. S’émanciper aussi des modèles répétitifs qui mettent en avant les références à l’esclavage, comme si rien dans les DOM ne pouvait s’expliquer indépendamment de cette lecture, ni ne pouvait être en réalité que la banale et trop commune conséquence de

la mondialisation libérale. S’émanciper enfin des modèles dominants qui produisent et exploitent des dominés toujours prompts, dès qu’ils le peuvent, à prendre le rôle de dominants, pour reproduire le même système. Ce sont ces quesOn ne peut penser tions auxquelles s’attaquent de la crise nombreux Martiindépendamment de l’interrogation niquais. Et, parmi eux, de jeunes des Martiniquais journalistes lassés sur le futur d’une information de leur île. tronquée, orientée, qui ont récemment créé la Télévision Otonom Mawon. Durant la journée, ils montent des sujets sur la grève qui seront diffusés sur un canal privé de KMT, le soir à partir de 21 heures. Média de résistance et de solidarité montrant qu’une autre information est possible, et qu’elle existe en Martinique. De réunion en réunion, ces professionnels des médias auxquels viennent se joindre d’autres acteurs posent et se posent la question de l’enjeu du changement. Cela se manifeste par un appel, Pou gran sanble peyi-a, lancé

Mireille Fanon-Mendès France est la fille du penseur de la décolonisation Frantz Fanon, et la présidente de la fondation Frantz-Fanon. LE S GRÈVE S AU X AN TIL L E S 20 janvier Cinquante organisations guadeloupéennes, réunies dans le Collectif contre l’exploitation outrancière(LKP), appellent à la grève générale.

18 février Jacques Bino, 47 ans, syndicaliste de la CGTGuadeloupe, est tué par une balle, tirée « depuis un barrage tenu par des jeunes ».

2 mars Un accord-cadre signé en Martinique prévoit une augmentation de 200 euros nets mensuels pour les salaires jusqu’à 1,4 Smic.

il y a plus de trois semaines, à partir d’un texte proposé par Philippe Yerro. Un texte qui rend compte de l’état de contestation du pays et de la nécessité de refonder son organisation politique, sociale et économique « à travers la parole libérée des participants ». Appel lancé par un groupe de citoyens, appuyé par plusieurs mairies, et qui devrait déboucher dans quelques jours sur l’organisation de forums thématiques, aussi bien à Fort-de-France que dans les autres communes de l’île. Aujourd’hui, la Martinique et la Guadeloupe, aux voix trop souvent ignorées, veulent être entendues. Elles sortent de l’ombre imposée et demandent d’autres rapports sociaux, d’autres représentations politiques, aussi bien au plan local que national. Y parviendront-elles ? D’ici deux à trois jours, des accords seront certainement signés (1). La vie économique reprendra ses droits, mais les questions soulevées lors de ce mouvement ne seront aucunement résolues. Elles ressurgiront à la première alerte. Les Caraïbes françaises sont depuis trop longtemps sommées de se soumettre à un projet pensé pour elles par la France, tout juste aidée dans sa besogne par quelques dominants, et imposé par la lointaine Union européenne dans le cadre d’une « concurrence libre et non faussée ». Après avoir secouru les banques, le pouvoir est sur le point d’éteindre le feu aux Antilles françaises. Mais un début de révolte a germé, et beaucoup se posent la question de nouveaux rapports sociaux. Ils s’interrogent sur la nature de la société dans laquelle ils voudraient vivre. Cette question ne peut s’éteindre uniquement à coup de subventions. Elle risque de s’inviter encore, avec plus de pugnacité et de violence, à moins que les États généraux organisés librement par les Martiniquais, et hors de ceux proposés par l’État, ne fassent émerger un projet de société partagé et solidaire. _M. F.-M. F. (1) Les négociateurs sont, côté syndical, la CGTM et la CGTMFSM, la CDMT, la CSTM, l’Unsa, la CFDT ; côté patronal, le Medef, la CGPME ; et côté politique, les élus PPM, MIM, RDM, UMP, ainsi que le représentant de l’État, le préfet.

La lutte, c’est classe ! Un accord-cadre sur une augmentation de 200euros nets mensuels des salaires jusqu’à 1,4 Smic a été signé dans la nuit du 2mars en Martinique, mais le Collectif du 5février a appelé à poursuivre la «mobilisation», et donc la grève, jusqu’à un accord sur les prix. Dans le même temps, la grève générale menée en Guadeloupe par le Collectif contre l’exploitation (LKP), la plus longue en France depuis plus de vingt ans, a abouti à un projet d’accord transmis par le préfet. Élie Domota, porte-parole du LKP, a annoncé que la décision sur la suite du mouvement dépendrait du contenu de ce document, qui comporte notamment une liste des 100 produits susceptibles de bénéficier d’une baisse de prix. Pour leur part, les organisations syndicales du Collectif du 5février ont signé un accord-cadre « pour que soit mise en place une commission de travail sur les salaires», a annoncé le dirigeant du mouvement, Michel Monrose. Le Collectif, qui, lundi, avait lié un accord sur les salaires à un accord sur les prix, affirme « rester attentif à la commission sur les prix», chargée de passer au peigne fin cent «familles» de produits (d’importation ou locaux) pour déterminer ceux qui feront l’objet d’une baisse. Le Collectif a donc déclaré rester « mobilisé jusqu’à l’aboutissement des négociations» et « lance un appel à la population pour qu’elle reste mobilisée». En attendant, certaines organisations syndicales comme la CGTM et FO, importantes dans le mouvement contre la vie chère, ont souhaité consulter leur base avant de parapher l’accord-cadre. Le document, qui concerne « les salariés du privé disposant de salaires bruts jusqu’à 1,4 Smic», prévoit que « chaque salarié, dans tous les secteurs, reçoive à compter du 1ermars un montant de 200euros nets mensuels» d’augmentation. Les salariés à temps partiel bénéficieront également de cette hausse « au prorata du temps de travail». Les employeurs y contribueront à hauteur d’un montant compris entre 30 et 100euros (en fonction de leurs effectifs et de leurs capacités financières), l’État à hauteur de 100euros. Le conseil général et le conseil régional verseront le solde.

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SOCIAL EMPLOI Le nouveau régime de l’auto-entrepreneur pose les jalons d’une déréglementation généralisée du travail. Le rêve ultralibéral devient réalité.

Le piège de l’indépendance ’est le nouveau remède anticrise du gouvernement. « Alors que tant de clignotants sont au rouge, il y en a un au vert, et même au vert vif : celui du statut d’auto-entrepreneur », a jubilé Hervé Novelli, secrétaire d’État chargé du Commerce, parti défendre son petit bijou à grands coups d’autopromo largement relayée dans la presse. À en croire le chef de file des libéraux à l’UMP, ce nouveau régime du travailleur indépendant, créé par la loi de modernisation de l’économie, va sauver le pays d’un chômage en passe d’atteindre des niveaux records (voir encadré). Mais, sous couvert de « libérer » l’esprit d’entreprise, le statut d’auto-entrepreneur signe l’arrêt de mort du droit du travail. Depuis le 1er janvier, 67 000 personnes seraient tombées sous le charme de ce régime où l’on peut créer son entreprise par une simple déclaration sur Internet, sans apport de capital, et en étant assujetti à un prélèvement fiscal et social minime (1). Un régime qui permet à la retraitée sans le sou de se lancer dans le business de tricots « home made », à l’enseignant de déclarer les cours du soir qu’il donnait au noir, au chômeur de monter sa baraque à frites pour compléter ses allocations, ou au travailleur pauvre de joindre les deux bouts en travaillant le week-end. Bref, les délices du « travailler plus pour gagner plus » enfin à portée de main !

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Mais, derrière ce miroir aux alouettes du « tout entrepreneur » victorieux, se cache une réalité inquiétante. D’abord, qui dit peu de cotisations dit également une protection sociale réduite, qu’il s’agisse de la retraite, de l’assurance-maladie, etc. « Ce statut va profiter aux gens qualifiés et déjà installés professionnellement, qui ont déjà de l’argent, qui cotisent par ailleurs pour leur retraite ou pour le chômage, souligne Vincent Drezet, du Syndicat national unifié des impôts. Mais il y aura surtout un auto-entrepreneuriat subi. » Marina, jeune femme de 36 ans en formation et à la recherche d’un emploi pour arrondir ses fins de mois, en sait quelque chose : « J’ai postulé pour un boulot

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Hervé Novelli fait la promotion du statut d’auto-entrepreneur. GUILLOT/AFP consistant à remplir des flacons de complément alimentaire. Le DRH ne m’a pas communiqué d’horaires fixes, même s’il fallait travailler sur place. Il m’a simplement dit qu’il ne voulait pas s’embarrasser avec des fiches de paie et des intérimaires. Et qu’il “m’embaucherait” si je prenais le statut d’auto-entrepreneur. » Selon sa conseillère Pôle emploi, Marina serait loin d’être la seule dans ce cas…

Car ce statut ouvre un boulevard aux entreprises désireuses de faire soustraiter leurs activités à peu de frais. Et sans s’embarrasser du code du travail : pas de salaire minimum puisque c’est l’auto-entrepreneur qui fixe le prix de sa prestation en regard de la concurrence. Pas de charges patronales (elles sont financées par l’autoentrepreneur lui-même), et pas de licenciement… Le droit du travail

n’existe pas pour ces petits patrons. Qu’importe s’ils sont en réalité aux ordres d’un employeur. « On peut se faire payer 4 euros la journée, les inspecteurs du travail ne pourront jamais aller vérifier les abus puisque les travailleurs indépendants ne relèvent pas de leur compétence ! », relève MarieChristine Aragon, directrice d’une petite asso« On en revient ciation d’aide à la aux loueurs de création d’entrebras du Moyen prise. Et si elles Âge. » occultent le lien Gérard Filoche, de subordination inspecteur du qui existe entre travail. l’entreprise et le « faux salarié » qu’est l’auto-entrepreneur, pas question pour autant d’appeler à l’aide les syndicats ou de recourir aux prud’hommes puisque ce dernier n’est, par définition, pas un salarié… « On revient aux loueurs de bras du Moyen Âge !, ironise Gérard Filoche, inspecteur du travail. Cette loi est une tentative supplémentaire du Medef pour favoriser le travail indépendant. C’est une machine de guerre pour éradiquer le salariat. » Et pour déguiser avec les habits chatoyants des entrepreneurs ce qui aura tôt fait de devenir un sous-prolétariat. _Pauline Graulle (1) Si le chiffre d’affaires ne dépasse pas un certain montant.

Pôle emploi perd le nord Le nouvel organisme d’assurance chômage, Pôle emploi, n’arrive pas à faire face à la flambée du chômage. Les syndicats demandent un plan d’urgence. Au mois de janvier, 90200 chômeurs supplémentaires ont été recensés, un bond de 4,1% en un mois, sans compter les dizaines de milliers de personnes au chômage partiel. En tout, 3 506 600 personnes sont inscrites au chômage. Une situation de plus en plus dégradée qui transforme Pôle emploi, censé devenir « le service public de l’emploi le plus moderne et le plus efficace d’Europe», en un véritable fiasco. « C’est la cata!, résume Catherine Madec,

du SNU Pôle emploi. Les conseillers n’arrivent même plus à compter combien de demandeurs d’emploi ils suivent dans le mois…» Ils sont en tout cas bien loin de l’objectif affiché de 60chômeurs par référent unique. La fameuse plateforme téléphonique est débordée. Au point qu’entre 40% et 60% des personnes composant le 3949 n’auraient personne au bout du fil. Enfin, faute de personnels, les retards explosent dans l’indemnisation. Près de 70000 dossiers seraient ainsi en souffrance. Pour faire face à l’afflux de chômeurs qui, dans certaines régions, grossissent les « files d’attente sur les trottoirs», cinq

syndicats ont demandé un «plan d’urgence» pour augmenter les effectifs et atteindre un nombre minimum de 60000 agents(au lieu de 44000 aujourd’hui). Christian Charpy, directeur de Pôle emploi, avait affirmé le mois dernier que 400embauches seraient réalisées pour pallier les répercussions de la crise. Mais ces CDD sont en réalité utilisés pour remplacer les salariés de Pôle emploi partis se former à leurs nouvelles compétences (voir Politis n°1030). À Pôle emploi aussi, la sortie de crise n’est pas pour demain. _P. G.

SOCIAL

À CONTRE-COURANT GENEVIÈVE AZAM Membre du conseil scientifique d’Attac.

Quelles protections pour les sociétés ? « La société du risque », produit dérivé de la finance globale, s’écroule sous les milliards de crédits «pourris» dont on ne sait que faire. Les États eux-mêmes ne sont plus en mesure de socialiser toutes les pertes. La crise sociale sera d’autant plus violente que les protections construites précédemment auront été sacrifiées avec la promotion du risque comme valeur morale, avec la déconstruction des protections collectives, avec le libre-échange et la concurrence généralisés. La société du risque a rejeté les mesures de précaution élémentaires pour protéger l’environnement, les biens communs et les ressources non renouvelables.

Un instant sonnés par l’écroulement et la monstruosité de leur ouvrage, les GUILLOT/AFP

SANTÉ Deux amendements à la loi Bachelot accentuent la casse du service public au profit du privé.

Hôpitaux mal en point a volonté gouvernementale de démanteler les rares aspects progressistes du projet de loi Bachelot Hôpital, Patients, Santé et Territoires(HPST) ne se dément pas. Deux amendements, dont l’un a été adopté la semaine dernière, ont été dénoncés par les syndicats et associations, alors que les députés poursuivaient cette semaine l’examen du texte qui va organiser l’offre de santé dans les territoires sous l’autorité des agences régionales de santé (ARS). Les syndicats Usap-CGT, FO, CFTC et SUD-Santé de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (APHP) dénoncent « la forfaiture » que représente l’adoption d’un amendement déposé par trois députés du Nouveau Centre dans la nuit du 19 février. Celui-ci ramène « l’APHP dans le régime de droit commun en supprimant le conseil de tutelle et en confiant au directeur général de l’ARS Île-de-France les mêmes compétences sur l’AP-HP que pour les autres établissements ». Or, le statut actuel et particulier de l’AP-HP est « un obstacle à la réduction de l’offre de soins publique », selon les syndicats, qui expliquent que l’amendement adopté ouvre la voie à un plan de réorganisation des 38 hôpitaux existant actuellement en 11 ou 13 groupements hospitaliers. Surtout, « les amendements retenus par les députés aggravent le

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texte en renforçant les pouvoirs des directeurs des futures agences régionales de santé pour tailler dans le paysage hospitalier », relève SUD-Santé sociaux, qui appelle à manifester dans plusieurs villes le 5 mars. Le Collectif interassociatif sur la santé (Ciss), réunissant notamment Act Up, Aides, la Fnars et Médecins du monde, a dénoncé une manœuvre parlementaire. La Commission des affaires sociales s’est empressée d’adopter un amendement à l’article 18 du projet de loi Bachelot, qui concerne la lutte contre les refus de soin. L’amendement supprime l’obligation de justification de la part du soignant en cas de refus de soins, ainsi que la pratique des « tests aléatoires », qui permet aux caisses d’assurancemaladie de vérifier si le soignant pratique des refus de caractère discriminatoire. Le Syndicat de la médecine générale note « la volonté, de la part de la majorité gouvernementale, de déconstruire les rares aspects “progressistes” de la loi », et de « transformer l’organisation de l’offre de soins pour permettre de vendre ce qui est rentable au secteur marchand ». La plupart des syndicats hospitaliers s’opposent à la privatisation du système de soins et demandent le retrait de cette loi.

néolibéraux sont loin d’avoir désarmé, et les voilà attelés désormais à traquer «le protectionnisme». C’est une autre manière de dire que, face au libre-échange généralisé et à la globalisation économique qui dévaste les sociétés et leur environnement, il n’y a pas d’alternative. Ou que toute protection serait finalement porteuse d’un protectionnisme régressif fondé sur la concurrence entre les États et sur la guerre potentielle. C’est aussi une manière d’oublier que la société du risque, version moderne de l’état de guerre de tous contre tous, est faite d’individus privatisés et précarisés, soumis à des politiques sécuritaires et à des formes répressives de maîtrise de la peur et de l’incertitude. Une manière d’oublier que l’utopie de l’homme global, privé de racines, nourrit les crispations identitaires et conduit à des replis dévastateurs. Une manière d’occulter que, dans la société du libre-échange, la protection des structures du capitalisme dominant est assurée par la mise en concurrence qui engendre le pillage du travail, des Ce qui est à savoirs, des ressources naturelles, des cultures et des refuser dans le civilisations, à un degré tel que c’est la possibilité même des sociétés qui se trouve menacée.

libre-échange, ce n’est pas l’échange, c’est le principe d’unification du monde par le marché.

Le libre-échange n’est pas le produit d’une main

invisible et pacifique, il a été mis en place par les États qui ont choisi de se dessaisir de leurs prérogatives au profit des firmes transnationales, et qui ont tenté de l’imposer au monde entier, y compris par la force et la contrainte. La globalisation n’est pas un projet d’élargissement des solidarités ou de construction de solutions qui ne pourraient pas voir le jour dans un cadre plus étroit; elle est l’abandon de la puissance régulatrice des États, l’éradication de toutes les formes locales d’économie et de société, au profit d’une conception unidimensionnelle du monde. Ce qui est à refuser dans le libreéchange, ce n’est pas l’échange, c’est le principe d’unification du monde par le marché et la concurrence, le principe de la Grande Société, chère à Friedrich Hayek. Comme sont à refuser le mercantilisme et le protectionnisme d’États qui seraient avant tout soucieux d’exporter la crise chez les voisins.

Le choix de ce qui doit être soustrait à la concurrence, de ce qui doit donc être protégé, au niveau international et au niveau des États, le choix de ce qui relève de la souveraineté populaire et non de la souveraineté des marchés et du capital, constitue un choix politique central qui engage les modèles des sociétés à venir et les modalités de leur coopération. Revendiquer la souveraineté alimentaire et énergétique, expérimenter d’autres voies pour un postcapitalisme exige de se protéger par rapport aux forces destructrices des corporations transnationales et d’instaurer une réglementation des échanges et des productions. La remise en cause du productivisme, de l’échange à n’importe quel prix et au prix de la dévalorisation massive du travail, ainsi que la protection des écosystèmes et de la diversité des sociétés et des biens communs ne pourront se réaliser qu’en posant des limites à lalibre circulation des marchandises et des capitaux. Face au G20, conglomérat d’égoïsmes nationaux unis en façade contre le péril «protectionniste», c’est aux Nations unies d’instaurer des règles de protection coopératives et différenciées qui permettent une relocalisation du monde et l’autonomie politique des sociétés.

_Thierry Brun 5 mars 2 0 09

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ÉCONOMIE BANQUES La fusion des Banques populaires et des Caisses d’épargne orchestrée par l’Élysée porte atteinte aux principes mutualistes. Les syndicats dénoncent un « coup de force ».

Drôle de moralisation icolas Sarkozy en patron mutualiste, c’est sans doute l’aspect le plus invraisemblable de l’histoire de la fusion des groupes Caisse d’épargne et Banque populaire, et de leur filiale commune, Natixis. Pourtant, le président de la République en personne a bel et bien pris le contrôle de deux banques issues du même giron coopératif. Et c’est l’un de ses plus proches collaborateurs, François Pérol, authentique libéral, qui a pris les commandes du deuxième groupe bancaire français né de cette fusion. L’Élysée actionnaire met la main sur deux piliers de l’économie sociale sans en informer les millions de sociétaires et associés, notamment les vingt Banques populaires et les dixsept Caisses d’épargne régionales. Sans oublier les 95 000 salariés, car les syndicats ont aussi été mis hors du coup. Ceux-ci ont découvert dans la presse les décisions de l’Élysée, alors qu’ils avaient demandé à rencontrer la ministre de l’Économie, Christine Lagarde, il y a deux semaines… Cet interventionnisme brutal porte « atteinte aux principes de fonctionnement des deux groupes mutualistes », proteste la fédération Unsa des banques et assurances. Gilles Desseigne, responsable Unsa au sein des Banques populaires, parle de « coup de force » et de « mépris » envers les salariés. Et les dirigeants cultivent le

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Les Caisses d’épargne ont perdu 1,9 milliard d’euros en 2008, et les Banques populaires 469 millions. DE SAKUTIN/PIERMONT/AFP

Sarkozy compte sur ses amis Natixis, filiale des Banques populaires et des Caisses d’épargne, plombée par la crise des subprimes, tombe entre les mains de proches du Président, comme Vincent Bolloré.

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ans l’entourage de Nicolas Sarkozy, il n’y a pas que François Pérol à être impliqué dans le dossier de la fusion des Banques populaires et des Caisses d’épargne. Un autre proche du Président, certes discret, est aussi présent dans Natixis, la filiale des deux banques coopératives. Vincent Bolloré, l’ami personnel de Nicolas Sarkozy, occupe une place de choix depuis la création en 2006 de la banque d’affaires qui a plongé de 2,8milliards d’euros en 2008. Et il n’est pas inutile de rappeler que le fiasco enregistré par Natixis, connu depuis la fin 2007, a permis à l’Élysée d’accélérer la fusion des

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Banques populaires et des Caisses d’épargne. L’homme d’affaires, qui a rendu maints services au chef de l’État, est en effet un «petit» actionnaire de Natixis qui a l’avantage d’être membre du conseil de surveillance de la banque et le président de son comité des rémunérations. Pour tenir cette place dans la tour de contrôle de Natixis, Bolloré a touché des jetons de présence, à hauteur de 28000 euros au titre de l’exercice 2007. Malgré la situation critique de la banque, Bolloré a remis au pot lors de l’augmentation de capital du groupe en septembre

dernier. Une participation anecdotique, puisqu’il n’a souscrit que 1 404 actions nouvelles pour quelques milliers d’euros, en exerçant ses droits préférentiels de souscription en tant qu’actionnaire de la banque. Un investissement sans rapport avec la participation à l’augmentation de capital des dirigeants des Banques populaires et des Caisses d’épargne. Mais ceuxci ont touché le pactole en codirigeant Natixis. Cette direction bicéphale devrait changer avec l’arrivée de François Pérol, à l’origine de la création de Natixis, à la tête du conseil de surveillance. _T. B.

flou. « On aimerait connaître le projet industriel global. À quoi serviront les fonds publics ? », s’interroge François Duchet, de la CGT Natixis. Qu’adviendra-t-il du modèle coopératif commun aux deux groupes ? Les dirigeants des Banques populaires et des Caisses d’épargne ont banalisé le statut coopératif à coups de fusions, de filialisations et de course au placement attractif. Le mélange des genres connaît son point d’orgue en 2006 avec la création de la banque d’affaires cotée en Bourse Natixis. Elle devait être « extrêmement créatrice de valeur », promettait Charles Milhaud, patron des Caisses d’épargne qui a démissionné en octobre dernier après avoir entraîné sa Natixis devait être banque dans la tourmente finan« extrêmement cière. Les Caisses créatrice de d’épargne ont valeur ». Elle a perdu 1,9 milliard plongé de d’euros en 2008 ; 2,8 milliards. les Banques populaires, 468 millions d’euros, pour la première fois depuis des décennies. Natixis, qui a déjà bénéficié d’un apport en capital de 2 milliards d’euros de l’État, a plongé de 2,8 milliards en 2008. « Le mot d’ordre est devenu le profit à tout prix, et le groupe Caisse d’épargne a mené une mutation de ses politiques commerciales, sociales et organisationnelles pour y répondre », résume Jean-Paul Krief, délégué CGT du groupe. « La démocratie sociale exercée dans les banques coopératives est largement fictive », observent Pierre Dubois et Michel Abhervé, enseignants spécialisés dans l’économie sociale (1). À cette aune, le destin de ces deux établissements était prévisible depuis les dérives de leurs dirigeants et le dévoiement de leur démocratie interne. L’intervention élyséenne arrive à point pour rassurer marchés et actionnaires en réorganisant le secteur bancaire, et apporter la démonstration que le thème cher au Président de « la moralisation du capitalisme » est une réalité… _Thierry Brun (1) Les Banques coopératives, du pire au meilleur pour le développement de l’économie sociale, à lire sur www.journaldumauss.net

ÉCOLOGIE TOXICOLOGIE Alors que se multiplient les études sur les dangers du bisphénol A, substance présente dans de nombreux plastiques alimentaires, un front associatif réclame son interdiction.

Du bisphénol dans le biberon e lait en poudre et l’eau dans le biberon, un coup de microondes, et quarantecinq secondes plus tard, bébé tète son repas. Six fois par jour pour les nouveau-nés, très pratique si l’on ne tient pas à l’allaitement maternel. Sauf qu’avec un biberon en plastique « polycarbonate » – le cas de l’immense majorité des modèles –, c’est aussi la source majeure de contamination des bébés au bisphénol A (BPA). On sait pourtant depuis les années 1930 que cette molécule est un « perturbateur endocrinien », c’est-à-dire qu’elle a la capacité de dérégler le système hormonal. Le BPA pourrait ainsi être impliqué dans des cancers, des diabètes, l’obésité, ainsi que dans certains troubles neurologiques. Cette substance chimique entrant dans la composition de plusieurs plastiques alimentaires (1) est l’une des plus utilisées par l’industrie. Il s’en produit environ 3 millions de tonnes par an dans le monde. Le risque BPA, bombe sanitaire des prochains mois ? Professionnels, associations et élus le redoutent, et tirent la sonnette d’alarme (voir encadré). Alors que le nombre d’études préoccupantes s’est multiplié depuis deux ou trois ans, un premier pays a réagi : le Canada, qui s’est décidé en avril dernier de classer le BPA parmi les substances dangereuses « toxiques pour la santé et l’environnement ». Jugeant les nourrissons particulièrement exposés, les autorités viennent même d’interdire les biberons en polycarbonate. Un groupe de consommateurs mène actuellement une action en justice contre trois fabricants (Playtex, Gerber et Avent), qu’ils soupçonnent d’avoir eu connaissance de la nocivité de leurs articles tant ils ont été prompts à les remplacer par d’autres modèles dans les rayons à la suite de l’interdiction. Les États-Unis ne sont pas loin d’emboîter le pas à leur voisin : le Programme national sur la toxicologie estime qu’il y a un risque préoccupant pour les plus jeunes.

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En fait, nous sommes presque tous imprégnés au BPA. Aux États-Unis, on détecte la substance dans les urines de 93 % des personnes testées ! Et les enfants à des taux plus importants que les adultes. Le bisphénol A est présent dans les poussières que nous respirons, mais c’est avant tout par la nourriture que nous l’absorbons : il migre des matières plastiques vers les aliments. Circonstance aggravante, cette contamination alimentaire peut être 55 fois plus rapide en cas de chauffage : le contact d’un aliment chaud avec un récipient contenant du BPA, le passage d’une barquette, d’une tasse ou d’un biberon au microondes, ou encore le bain-marie d’une conserve. En effet, le bisphénol A est utilisé dans le revêtement interne des boîtes de conserve. C’est même probablement la source prédominante d’exposition de la population, relève un rapport synthétisant les études de toxicité du BPA sur les mammifères (humains compris), rendu public la semaine dernière par le Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique (Crii-

gen) (2). Entre autres citations, le bilan des mesures réalisées par l’association états-unienne Environmental Working group en 2006 sur une centaine d’aliments en conserve : « La soupe au poulet, les préparations pour nourrissons et les raviolis ont des niveaux de BPA fortement préoccupants. Une à trois portions suffisent à exposer un individu à des niveaux ayant causé de graves effets négatifs chez des animaux de laboratoire. » Jusqu’à présent, les pouvoirs publics se sont majoritairement retranchés derrière une « dose maximale acceptable sur le plan toxicologique ». Ainsi, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), saisie par le ministère de la Santé à la suite de l’intention canadienne de bannir les biberons en polycarbonate, a validé la conclusion de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA), que ne remettent pas en cause, de son point de vue, les découvertes récentes sur l’impact du chauffage des plastiques : les doses ingérables restent « très inférieures à la valeur maximale retenue par l’AESA », soit une dose

Le front anti-BPA C’est une première en France: écologistes, professionnels de santé, scientifiques et associations de malades (1) se sont réunis pour fonder le Réseau environnement santé (RES). « Parce que les problèmes sanitaires liés à la pollution sont marginalisés, nous avons décidé de partir en campagne», explique André Cicolella, porte-parole du RES. Première cible, le BPA, « substance emblématique, au carrefour de pathologies multiples». Une pétition demande l’interdiction du BPA dans les plastiques alimentaires, ainsi qu’une évaluation de la pollution de l’environnement par la substance (2). Le RES lancera ensuite des tests sur des femmes enceintes, renouvelés après l’interruption de la consommation d’aliments en conserve, afin de détecter une éventuelle baisse de leur taux de BPA. Parallèlement, les députés européens Hanne Dahl, Christel Schaldemose, Hélène

Goudin et Carl Schlyter, notamment appuyés par l’ONG Women in Europe for a Common Future (qui soutient aussi le RES), ont demandé à Bruxelles d’interdire en Europe l’utilisation du BPA dans la fabrication des biberons. Dans l’attente, il existe déjà des modèles sur le marché (voir «biberons sans bisphénol A» sur Internet). Plusieurs associations recommandent d’éviter de chauffer des aliments dans des contenants suspects, de mettre ces derniers au lave-vaisselle, voire d’éviter les conserves. P. P. (1) WWF, Fondation sciences citoyennes, MDRGF, Fac verte, Objectif bio et Nord écologie conseil, rejoints par la Coordination nationale médicale santé environnement, le Comité pour le développement durable en santé et l’Association des personnes atteintes du syndrome d’hypersensibilité chimique multiple. Voir www.reseau-environnementsante.fr (2) Voir www.cyberacteurs.org

journalière tolérable (DJT) de 50 microgrammes par kilogramme (µg/kg) de poids corporel. Tout le débat se noue autour de ce seuil, dont la validité est contestée par plusieurs dizaines d’études. Car contrairement aux mécanismes de contamination classiques, où l’effet est proportionnel à la dose reçue, le mode d’action du BPA fait apparaître des impacts à très faibles doses. « Et même à des seuils dix Les cellules fois inférieurs à subissent une ce que l’on « empreinte » détecte dans le évoluant à l’âge sang d’une popuadulte en divers l a t i o n cancers. moyenne ! », précise Patrick Fénichel, endocrinologue au centre hospitalier universitaire de Nice. Le chercheur, qui s’apprête à publier un article sur la question dans le Environmental Health Perspectives, la revue scientifique la plus renommée en matière de santé environnementale, a constaté sur des cellules animales et humaines (glandes mammaires, testicules) des lésions cancéreuses ou génératrices de stérilité. Plus troublant encore, Patrick Fénichel cite les résultats récemment enregistrés, toujours à des doses très faibles, sur des rates gestantes : sur certains fœtus exposés, les cellules subissent une « empreinte », évoluant à l’âge adulte en cancers de divers organes. On constate aussi, toujours chez les animaux (objet du plus grand nombre d’études), une baisse de la production de spermatozoïdes, ainsi que des troubles du développement ou du comportement. L’imprégnation par le BPA a aussi pour conséquence une diminution de l’efficacité des traitements anticancéreux. Autre constatation : certains individus sont jusque dix fois plus susceptibles que d’autres à l’exposition au BPA. Chez l’homme, les données sont peu nombreuses, mais elles montrent notamment chez les personnes les plus imprégnées un surcroît de maladies hépatiques, cardio-vas-

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CHANGER D’ÈRE SERGE LATOUCHE Professeur émérite d’économie à l’université Paris-Sud et objecteur de croissance.

Redécoupons la tarte ! Les gauches social-démocrate, communiste, trotskiste et autres se sont engouffrées dans la trappe du compromis keynésofordiste. Elles se sont laissé séduire par le mythe de la tarte qui grossit indéfiniment. Collaborer à la croissance plutôt que se battre avec acharnement pour partager un gâteau de taille quasi immuable permet d’améliorer les parts à moindres frais. Le projet partageux du communisme s’est ainsi dissous dans le consumérisme. Le volume de la tarte a certes augmenté considérablement, mais au détriment de la planète, des générations futures et des peuples du tiers-monde. Les meilleures choses ayant une fin, ce «socialisme réduit aux acquêts » ne fonctionne plus très bien depuis les années 1970, parce que la tarte renâcle à augmenter. Les hauts fonctionnaires du capital l’ont plus ou moins compris et se sont empressés d’accroître substantiellement (10 à 20 % du PIB en plus), grâce au jeu du casino mondial, leur part du gâteau avant que le blocage ne soit total.

La majorité des biberons en plastique polycarbonate contiennent du bisphénol A. KORKA/PHOTONONSTOP culaires ou diabétiques, et de fausses couches chez les femmes. Autre mauvaise nouvelle récente : le BPA, réputé moins persistant dans l’organisme que certains polluants organiques (pesticides, dioxines, etc.), semble y séjourner plus de temps qu’on ne l’imaginait. Malgré la mise en cause avérée des perturbateurs endocriniens, difficile pourtant, faute d’études suffisantes, d’incriminer à coup sûr le BPA dans l’explosion « inexpliquée » de certains cancers constatés dans les dernières décennies, la croissance des malformations génitales ou la baisse moyenne de la quantité et de la qualité du sperme chez l’homme. Pour autant, juge Patrick Fénichel, « il est clair qu’il faut reconsidérer les seuils actuels, qui ont été établis sur la base d’études qui datent… » En effet, une synthèse de la littérature internationale établie il y a quatre ans montrait des impacts pour 94 études animales in vivo sur 115, et pour un tiers à des doses inférieures au seuil de l’AESA. Certains travaux, au-delà de tout soupçon, suggèrent désormais que ce dernier devrait être divisé par au moins 500, voire 2 000 !

« Ces études n’ont cependant pas été retenues par l’Afssa et l’AESA », déplore André Cicolella. Chercheur à l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris), et spécialiste des questions de santé environnementale, il dénonce de la part de ces expertises officielles « une entorse constante aux règles de bonne pratique en évaluation des risques ». Le détail de ces 115 études fait également apparaître un clivage caricatural, relève-t-il : « L’industrie en a financé 11, elles ne font apparaître aucun impact, certaines ont même eu recours à des souches animales notoirement insensibles au BPA. Alors que 90 % des 104 autres, menées par la recherche publique, détectent un effet ! » Patrick Piro (1)Notamment pour les biberons, récipients pour micro-ondes, bouteilles d’eau réutilisables (dans les fontaines à eau par exemple), assiettes et tasses, revêtement des boîtes de conserve et des cannettes. Recherchez sur ces articles le numéro situé au centre du symbole triangulaire de recyclage (pas systématique, cependant): le BPA est notamment présent s’il s’agit d’un 7 et, dans une moindre mesure, un 3 ou un 6. Les lettres PC, au-dessous, identifient le polycarbonate. (2)Auteurs: Émilie Clair et Gilles-Éric Séralini, directeur du Criigen. Sur le site www.criigen.org, chercher «bisphénol».

Intoxiquée par ses démissions passées successives, la gauche «responsable » ne peut que se réfugier dans un libéral-socialisme misérabiliste. Le fameux « trickle down effect» – c’est-à-dire la diffusion à tous des bienfaits de la La seule croissance – se dégrade en «effet sablier ». Puisqu’il y a davantage de riches et qu’ils sont possibilité de plus en plus riches, il faut aussi qu’il y ait pour échapper à davantage de laveurs de voitures, de serveurs de restaurants, de livreurs de courses à la paupérisation domicile, de nettoyeurs et de gardes privés est d’en revenir pour se protéger des pauvres toujours plus nombreux. C’est le socialisme réduit aux aux miettes… La croissance des Trente Glorieuses avait été tirée par les exportations, celle des fondamentaux Trente Piteuses qui ont suivi a pu se maintenir du socialisme. tant bien que mal grâce à l’endettement phénoménal des ménages et des États. Aujourd’hui, la fête est finie ; il n’y a même plus ces marges de manœuvre. La tarte ne peut plus croître. Plus encore (et nous le savons bien depuis longtemps, même si nous nous refusons à l’admettre), elle ne doit pas croître. La seule possibilité pour échapper à la paupérisation au Nord, comme au Sud, est d’en revenir aux fondamentaux du socialisme sans oublier, cette fois, la nature : partager le gâteau de manière équitable. En 1848, alors que celui-ci était trente à cinquante fois moins gros, Marx, mais aussi John Stuart Mill le pensaient déjà ! Comme, en s’accroissant, la tarte est devenue de plus en plus toxique – le taux de croissance de la frustration, suivant la formule du penseur Ivan Illich, excédant largement celui de la production–, il faudra nécessairement en modifier la recette. Inventons donc une belle tarte avec des produits bios, d’une dimension raisonnable pour que nos enfants et nos petitsenfants puissent continuer à la refaire, et partageons-là équitablement. Les parts ne seront peut-être pas assez grosses pour nous rendre obèses, mais la joie sera au rendez-vous. Tel est le programme de la décroissance, seule recette pour sortir positivement et durablement de la crise. Le dernier ouvrage de Serge Latouche, Entre mondialisation et décroissance, l’autre Afrique (À plus d’un titre, 2008), valorise cette population hors mondialisation (donc peu affectée par la crise) mais dont les ressources propres constituent une chance. 5 mar s 2 0 0 9

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FEDOUACH/AFP

HOMMAGE Henri Pézerat

Respect à Henri Pézerat, immense bonhomme, décédé le 16février à l’âge de 80 ans. Avec un peu de retard, nous souhaitons rendre hommage à l’œuvre de celui qui a justement tiré, presque à lui tout seul, la chape de plomb qui a écrasé les victimes de l’amiante pendant des décennies. Pionnier parmi les lanceurs d’alerte, quand le terme n’existait pas, il s’attaque dès la fin des années 1970 à l’industrie de l’amiante, fibre que l’on sait cancérigène depuis le début du siècle! Ce chimiste ne supporte pas l’hypocrisie de ses pairs (comme Claude Allègre…) au service des puissants: implacable, il mènera jusqu’au bout un féroce combat, plein de compassion pour ces ouvriers qui meurent de l’épidémie d’asbestose. Cet énorme scandale sanitaire, finalement reconnu (on condamne aujourd’hui des entrepreneurs pour «faute inexcusable»), aurait pu prospérer longtemps sans l’acharnement d’Henri Pézerat. Parmi les hommages qui lui sont rendus, distinguons celui de notre confrère Fabrice Nicolino, qui a porté son combat dans ces colonnes:

Autre ferme éminemment bio et sympathique, celle de Sainte-Marthe. En fait, un vrai centre écologique dédié à la biodiversité, dont vivent une vingtaine de familles, et fondé par Philippe Desbrosses, un peu le père de la bio en France. À la suite d’un litige financier vieux de quinze ans (un peu compliqué à résumer, voir le site), Sainte-Marthe est menacée de fermeture: début février, le conglomérat agro-industriel Ligea-Agralys (2,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires, et impliqué dans une fraude portant sur 13 millions d’euros) provoque une saisievente du matériel de la ferme pour récupérer 267000 euros. Une mobilisation s’est amorcée pour aider Sainte-Marthe à poursuivre son activité, une référence en France.

Nicolas Sarkozy visite le site EPR de Flamanville, le 6 février. EULER/AFP

NUCLÉAIRE Le président de la République se vante d’avoir vendu plusieurs réacteurs EPR à l’étranger. Voire…

Soutiens : www.intelligenceverte.org, 02 54 95 45 04

Sarkozy, VRP d’Areva

CHASSE La martre, la belette et le Borloo Borloo est penaud: en retirant la martre et la belette de la liste des animaux «nuisibles», fin 2008, il aurait gravement dérogé aux principes qui régissent la table ronde sur la chasse, menée depuis septembre dernier. Ce sont les chasseurs, persuasifs, qui l’en ont convaincu. Le ministre de l’Écologie a donc fait amende honorable: voilà les petits carnivores,

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http://fabricenicolino.com/index.php/?p=511

Soutiens : http://aupetitcolibri.free.fr, 06 82 37 20 61.

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HUGUEN/AFP

A G R I C U LT U R E Même pas de tracteur ! Cette affaire nous rappelle celle de JeanHugues Bourgeois (Politis n° 1022), la violence imbécile en moins. Voilà Richard Wallner, ex-ingénieur qui fuit la vie parisienne pour s’installer maraîcher à Marsac, en Charente. Le néorural veut pour son «écolieu», le Petit Colibri, une agriculture écologique autonome, en parfaite symbiose avec le milieu. Il a recours pour cela la technique de la permaculture, très peu intrusive. Oui, mais voilà, ses terres, cédées en 2005 par un propriétaire bio, étaient convoitées par M.le maire, agriculteur conventionnel, condescendant pour cet « agriculteur du dimanche», qui « n’a même pas de tracteur». Alors il use de son droit de modification du plan local d’urbanisme pour classer «zone naturelle» les terres de Wallner et y interdire toute construction. Même la chambre d’agriculture a pourtant estimé que ce classement était infondé!

pourtant menacés, de nouveau pestiférés. Pourquoi, au fait? Meilleurs chasseurs que les porte-flingues encartés, ils leur piquent leurs proies, lapins et faisans d’élevage relâchés, hébétés, dans la nature à l’ouverture de la chasse.

G U YA N E Précision Rémy Pignoux, médecin de santé public cité dans l’article «Mercure contre la Terre» (Politis n° 1038, p. 15), nous demande de préciser qu’il ne minimise en rien les troubles cognitifs décelés chez les enfants amérindiens de Guyane exposés à la pollution au mercure, comme une lecture pourrait le laisser sous-entendre. « Cette contamination est justement une des raisons de ma révolte», nous écrit-il. C’est la nôtre aussi, et nous le soutenons, bien sûr.

i l’on en croit Nicolas Sarkozy, c’est dans le sac : l’Italie va construire quatre réacteurs nucléaires EPR, après l’accord signé la semaine dernière entre les électriciens EDF et Enel. Dès son retour au gouvernement, Silvio Berlusconi avait confirmé une relance du nucléaire en Italie après un moratoire de plus de vingt ans. Cette annonce du président français confirme son rôle de principal VRP d’Areva, le premier constructeur de réacteurs au monde, promoteur de l’EPR, qui se débat dans les difficultés financières. Début février, la France « vendait » ainsi deux EPR à l’Inde. Des collaborations ont aussi été annoncées pour l’Afrique du Sud, l’Algérie, l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis, l’Estonie, la Jordanie, la Libye, le Maroc… Mais sur près de 250 réacteurs « en projet » dans le monde, à peine une quarantaine sont effectivement en cours de construction. Et, à ce jour, deux EPR seulement sont en chantier. Le premier, en Finlande, cumule les déconvenues : trois ans de retard pour sa mise en service (pas avant 2012) et un budget explosé, qui pourrait passer de 3 à 5,4 milliards d’euros. Le deuxième, à Flamanville (Normandie), connaît aussi des difficultés. Trois projets sont bien engagés : le deuxième EPR français décidé par Sarkozy il y a un mois pour Penly (Seine-maritime), et deux autres en Chine (Taishan 1 et 2), « mais on n’en est qu’aux terrassements, le gouvernement central

n’aurait toujours pas donné son accord définitif, signale Stéphane Lhomme, porte-parole du réseau Sortir du nucléaire. La plupart des annonces françaises à ce jour ne sont en fait que des mémorandums d’entente ou des accords de coopération ». Même en Italie, l’engagement n’est pas définitif. « Le gouvernement donne seulement des orientations, c’est le marché qui décidera, il y a aussi les technologies étasuniennes et japonaises », précise le ministre du Développement économique italien. Les investissements nucléaires sont en effet très lourds, et leur rentabilité ne se dessine qu’au bout de deux ou trois décennies si tout va bien. Avec la crise économique, de nombreux projets sont plombés. L’Afrique du Sud vient ainsi de renoncer à ses douze réacteurs. La lutte contre le CO2 (peu émis par l’atome) et pour l’indépendance énergétique, arguments ressassés par Areva et les autres, trouve également d’autres réponses que le nucléaire : aux États-Unis, alors que George Bush avait décrété la relance de la filière, dont les opérateurs espéraient 50 milliards de dollars d’aide pour débloquer plusieurs projets de réacteurs, les fonds iront… aux énergies renouvelables. Surfant sur le mythe d’un succès commercial, Nicolas Sarkozy veut désormais un troisième EPR pour la France, un marché qui reste le plus sûr débouché d’Areva. _Patrick Piro

POLITIQUE FRONT DE GAUCHE Les contacts se multiplient à gauche de la gauche en vue des élections du mois de juin prochain. L’issue des discussions pourrait redessiner ce côté du paysage politique.

Contacts tous azimuts «

ette semaine est une semaine décisive pour l’élargissement du Front de gauche. » Ce n’est pas nous qui le disons, c’est Olivier Dartigolles, porte-parole du PCF, qui affirmait lundi sentir « que les choses sont en train de prendre ». Rien n’est tout à fait arrêté, mais les contacts se multiplient ces jours-ci à gauche de la gauche. Le PCF et le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon rencontraient les Alternatifs, lundi en fin d’après midi. Les mêmes avaient ensuite une rencontre avec le NPA, sans espoir d’aboutir. « Nous le disons à la direction du NPA : si malheureusement elle reste arc-boutée sur son repli et si ensuite des responsables nous disent qu’ils sont disponibles, ils font partie des hommes et des femmes à qui l’appel à la constitution d’un Front de gauche s’adresse », a insisté Olivier Dartigolles. Les contacts se poursuivent également avec le MRC, avec cette réserve : « Si l’essentiel n’est pas partagé nous ne partirons pas avec eux. » Après le temps des rencontres, celui de la réflexion et des décisions. Les Alternatifs tiennent une coordination nationale les 7 et 8 mars pour examiner les résultats des négociations qu’ils ont mené avec le PCF-PG d’un côté, avec le NPA de l’autre. « On

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« Ce qui importe, c’est d’abord un élargissement populaire, un élargissement citoyen. » HORVAT/AFP va étudier les propositions substantielles des uns et des autres », indique Jean-Jacques Boislaroussie. Mais les Alternatifs ne prendront aucune décision ce week-end. Ils soumettront deux ou trois propositions à leurs militants avant une consultation interne dont le résultat ne sera vraisemblablement connu que fin mars. Boislaroussie assume de ne pas être encore dans « le premier stade de la campagne ». De son côté, le NPA réunira pour la première fois son conseil

politique national les 7 et 8 mars. À cette occasion, il ne devrait rien trancher, mais faire des propositions le samedi 7 aux Alternatifs, qui les examineront le lendemain. Reste une question délicate, celle de la reconnaissance de la Fédération comme interlocuteur à part entière d’un futur Front de gauche. Constituée au mois de décembre, celle-ci regroupe notamment les Alternatifs, les CUAL et l’association des Communistes unitaires, dont beaucoup

La division, ça suffit ! Vingt syndicalistes, responsables d’organisations des Bouches-du-Rhône, lancent un appel à l’unité pour sanctionner la politique de Nicolas Sarkozy et construire une Europe des peuples. Extraits. e 29janvier, nous étions deux millions et demi dans les rues, pour crier notre colère et dire stop à la politique de Sarkozy et à sa gestion de la crise économique. Nous étions deux millions et demi parce que cette journée était appelée dans l’unité par l’ensemble des organisations syndicales […]. Les organisations de la gauche de gauche ont su ensemble et dans l’unité apporter leur soutien à la mobilisation sociale. Pourtant, elles se montrent incapables de s’unir pour offrir une perspective politique à toutes celles et tous ceux qui se battent […] et veulent

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construire une réelle alternative à cette société capitaliste et ultralibérale ! Nous sommes des militants syndicaux de différentes organisations, militants engagés des milieux associatifs ou culturels. Certains sont engagés dans des organisations politiques, et nous voulons, ensemble, porter cette exigence: la division, ça suffit! Les élections européennes peuvent être l’échéance pour sanctionner la politique de Sarkozy. Elles doivent aussi être l’occasion d’exprimer notre rejet de la politique européenne conduite par la droite et accompagnée par le Parti socialiste européen et

l’ensemble des élus qui ont approuvé et cautionné le traité de Lisbonne […]. Prenons le temps d’approfondir ce qui fait débat, mais sans oublier que nos convergences peuvent permettre d’affirmer dans l’unité nos exigences communes: celles d’une Europe des peuples où le droit et l’exigence démocratique permettent une juste répartition des richesses et un modèle de développement qui respecterait êtres humains et environnement. […] La dynamique créée par la mobilisation unitaire sera la meilleure garantie pour que puisse perdurer un «front de gauche anticapitaliste».

sont encore membres du PCF. Et c’est précisément cette double appartenance qui fait problème à la direction du parti. : « Il y en a qui sont membres du PCF et – ce n’est pas une injure de le dire – qui sont dans l’organisation de la campagne. C’est l’exemple même du faux problème », répond sèchement Olivier Dartigolles. En attendant, PC et PG tracent leur route. Ils organisent dimanche 8 mars un meeting au Zénith pour « envoyer un message fort : le Front de gauche, c’est parti ! » Pour autant, « le 8 mars ne sera pas un point final », assure Jean-Marc Coppola, secrétaire national à l’Europe du PCF. « On ne fait pas un arrêt sur image avec la tribune du 8 mars ? Nous n’allons pas cesser d’interpeller » les forces politiques qui pourraient rejoindre le Front de gauche. Pour Olivier Dartigolles, « rien n’est écrit, personne ne peut dire ce que sera la situation politique le 7 juin ». Et le porte-parole du PCF conclut : « Ce qui nous importe, c’est d’abord un élargissement populaire, un élargissement citoyen. Le Front de gauche va d’abord se gagner dans les quartiers populaires, les bassins d’emploi, auprès de la jeunesse. » Soit. Mais dans « les quartiers populaires », l’offre politique n’est pas indifférente non plus. Ce qui nous renvoie à la question du Front. _Denis Sieffert et Michel Soudais 5 mars 2 0 09

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SOCIÉTÉ SANTÉ De plus en plus de femmes souhaitent accoucher à domicile. Remboursée par la Sécu et bien encadrée, cette pratique pourrait pourtant disparaître en France, victime des assureurs et de nombreux a priori.

Des bébés faits maison ’accouchement à domicile ? Ça n’existe pas. Du moins sur le site de l’Assurance-maladie, ameli.fr, ou dans les données statistiques. Serait-ce donc une pratique hors-la-loi, réservée à quelques illuminés ? Ce cliché cadre mal avec la réalité : non seulement l’accouchement à domicile (AAD) est strictement encadré, exercé en France par quelque soixante sages-femmes et de rares médecins, mais il est remboursé par la Sécurité sociale à hauteur de 312 euros. Pourtant, ni le ministère de la Santé ni la Caisse nationale d’assurance-maladie ne peuvent, ou ne veulent, répondre à nos questions. « L’inexistence de chiffres est, en soi, une info extraordinaire, estime Michel Naiditch, chercheur en santé publique à l’Institut de recherche et de docu-

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mentation en économie de la santé (Irdes). On ne veut pas connaître le phénomène, ni distinguer l’accouchement à domicile, correctement suivi, de ceux subis et inopinés, souvent abominables. » En effet, les En Hollande, les chiffres les plus AAD représentent f r é q u e m m e n t bien presque 30 % des avancés, qu’aux sources accouchements, obscures, évosans qu’il y ait plus de mortalité quent 1 % d’accouchements hors qu’en France. structures hospitalières, soit huit mille naissances par an. Ces estimations ne révèlent pas la difficulté principale : alors que la demande augmente depuis quelques

années, selon Isabelle Bar, de l’Association nationale des sages-femmes libérales (ANSFL) (1), la pratique est de plus en plus difficile, voire impossible. Depuis 2002, les professionnels de santé exerçant en libéral ont dû contracter une assurance, les contrevenants risquant 45 000 euros d’amende et une interdiction d’exercer. « Pourtant, la totalité des assureurs français refusent d’inclure le “risque” accouchement à domicile dans les nouveaux contrats proposés aux sages-femmes », s’alarment l’ANSFL et l’Union nationale des syndicats de sages-femmes. Évidemment, un recours est prévu : le Bureau central de tarification peut ordonner à un assureur d’assurer, à un certain tarif, au cas par cas. Résultat, pour Isabelle

Bar : on lui propose un contrat à 19 000 euros par an ! « Étant donné nos honoraires, ça revient à interdire l’accouchement à domicile en France. » Ou à continuer vaille que vaille : « Nous sommes dans l’illégalité tolérée », note Isabelle, qui a ellemême accouché à domicile. « C’est le royaume de la mauvaise foi, s’agace Gilles Gaebel, du Collectif interassociatif autour de la naissance (Ciane) (2). En Allemagne, en Belgique, en Hollande, les sages-femmes peuvent très bien s’assurer. » Et pour cause : en Hollande, les AAD représentent presque 30 % des accouchements, sans qu’il y ait plus de mortalité qu’en France ! En Grande-Bretagne, les collèges royaux des obstétriciens et gynécologues

Dans le cas de grossesses non pathologiques, certaines femmes préfèrent accoucher chez elles plutôt qu’à l’hôpital. ACHKENAS/JUPITERIMAGES

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SOCIÉTÉ ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR La mobilisation continue d’une part, des sages-femmes de l’autre ont, en avril 2007, émis une déclaration conjointe où ils « soutiennent la naissance à domicile pour les femmes ayant des grossesses sans complications ». Selon eux, « il existe de nombreuses preuves indiquant qu’accoucher à la maison augmente la probabilité pour une femme d’avoir une naissance qui soit à la fois satisfaisante et sans danger ». Mais, en France, le bât blesse. Les alternatives qui placent parturientes et sages-femmes au centre de leur projet rencontrent très souvent l’hostilité du corps médical, obstétriciens et anesthésistes en tête. Ces alternatives risà domicile pour quent même de 10 demandes disparaître pour à Paris. les AAD, de stagner pour les plateaux techniques (3) ou de ne pas voir le jour pour les maisons de naissance (MDN). L’expérimentation de ces lieux non médicalisés pour les accouchements dits physiologiques (au contraire de pathologiques) a été recommandée en 1998 par Bernard Kouchner et incluse dans le plan Périnatalité 2005-2007. Aujourd’hui, le décret permettant cette phase d’essai n’a toujours pas paru. Pourquoi tant de haine ? « C’est une spécialité franco-française, remarque Isabelle Bar. On considère ici que tout accouchement est potentiellement pathologique, alors que, dans le reste de l’Europe, il est perçu comme normal mais pouvant parfois se compliquer. » Les « anti » peuvent donc être de bonne foi. Ou, plus intéressés, « redouter, selon Michel Naiditch, de voir hôpitaux et cliniques désertés non pas tant par les femmes que par les sages-femmes ». En outre, nombreux sont ceux qui maîtrisent mal le sujet : « Le problème principal vient d’une grande méconnaissance et d’a priori », constate Isabelle Bar qui, à force de temps, entretient de bons rapports avec l’hôpital accueillant les transferts. Il faut en effet savoir que les femmes souhaitant un AAD doivent néanmoins rencontrer un anesthésiste, au cas où, et peuvent être transférées vers une maternité. Parce qu’il arrive que l’accouchement s’éternise, que surgisse une complication ou que la femme demande une péridurale. Le cas est relativement fréquent : environ 20 %, et jusqu’à un tiers pour les nullipares. Même pour l’AAD, une coopération

1 seul accouchement

« Une grande sérénité » Joséphine* a donné le jour à Aliocha chez elle. Elle raconte : « Près de notre village, il n’y a aucune maternité peu interventionniste, comme celle où mon deuxième enfant est né, où l’acupuncture m’avait permis d’éviter toute déchirure et où les sages-femmes m’avaient aidée à limiter la douleur. Je gardais par ailleurs un mauvais souvenir de l’hôpital où est née mon aînée : il a fallu près de quatorze heures et les forceps pour qu’elle vienne au monde, et l’épisiotomie m’a contrainte à m’asseoir sur une bouée quinze jours durant. Pour mon troisième enfant, j’ai accouché dans une clinique privée ; la grossesse, pourtant pathologique, n’a pas été suivie d’un transfert vers une maternité équipée. Marech y a été conduit sans moi, qui suis restée sans soins. Il est mort après sept mois de suivi

hyperspécialisé et cinq réanimations. Pour toutes ces raisons, pour notre quatrième enfant, nous avons opté pour l’accouchement à domicile. La sage-femme nous a suivis pendant toute la grossesse. Par contre, l’anesthésiste de l’hôpital le plus proche a refusé de me rencontrer. Être entourée de ma famille, à la maison, m’a permis d’aborder le jour J avec une grande sérénité, sans rupture ni urgence. J’ai attendu de ne plus pouvoir supporter seule la douleur pour appeler la sagefemme et je me suis installée dans mon bain. Son premier geste a été de remplacer le néon par un éclairage doux et d’enlever l’horloge de la salle de bains. Régulièrement, elle posait le monitoring sur mon ventre et vérifiait les pulsations cardiaques du bébé. Après quatre heures de travail, Aliocha est né.»

entre maternités et sages-femmes est donc nécessaire, mais pas toujours acceptée. « Elles ne veulent pas entendre parler de nous. On a beau les mettre en garde : des femmes finiront par accoucher seules chez elles », note une sage-femme, qui préfère rester anonyme. Après 200 grossesses suivies, venues à terme à domicile ou à l’hôpital, elle met au monde en 2008 un bébé qui meurt rapidement. Les parents ne blâment pas la sagefemme, mais le médecin de l’hôpital voisin porte plainte auprès du Conseil de l’ordre des sages-femmes, qui lui emboîte le pas. Le conseil disciplinaire pourrait décider un blâme ou une interdiction d’exercice temporaire ou permanente. L’année précédente, une autre sagefemme, Françoise Servent, a été mise en examen pour homicide involontaire puis relaxée. Là encore, la plainte, déposée deux ans après la mise au monde d’un enfant mort-né, n’émanait pas des parents. « La loi stipule qu’un enfant mort-né – ou né vivant mais non viable – n’est pas une personne au sens juridique du terme, rappelle l’Association de soutien à l’AAD. Par conséquent, chaque cas d’enfant mort-né, que cette naissance se soit déroulée à domicile ou en maternité, ne génère pas un procès. En dépit de ceci, il n’en est pas de même pour Françoise Servent, qui exerce depuis 26 ans et comptabilise près de 800 AAD et un seul cas d’enfant mort-né (soit 1,21 pour 1 000 contre 4,21 pour 1 000 en maternité pour des grossesses normales en 2006). » Certes, il ne s’agit que de deux cas, mais la pression peut décou-

rager. « Je n’ai plus envie de ces confrontations, admet notre témoin, d’être accusée à tort et à travers, de n’avoir aucun soutien des structures médicales. » Les groupes d’usagers, comme le Ciane ou l’Association francophone pour l’accouchement respecté, ne se battent pas tant pour l’AAD que « pour le droit au choix, fiable, sécurisé et respectueux des personnes » selon les termes du Ciane. « Il ne s’agit pas de défendre coûte que coûte l’accouchement à domicile, mais d’en faire comprendre la démarche, parallèle au suivi global ou semi-global et aux projets de maisons de naissance, explique Isabelle Bar : un interlocuteur unique s’occupe de toute la grossesse, de l’accouchement et de ses suites. Ce qui permet de redonner confiance aux femmes. » Une position qui permettrait un meilleur accompagnement, notamment hors des grandes agglomérations. « On est passés de 1 379 maternités en 1975 à 584 début 2008 », rappelle la Coordination nationale de défense des hôpitaux et maternités de proximité. Si l’argument ne convainc pas les pouvoirs publics, en voici un autre qui saura peut-être séduire leurs oreilles économes : « Que 20 % des femmes accouchent dans des MDN ou à domicile, analyse Gilles Gaebel, et c’est 150 millions d’euros qui seraient économisés chaque année. »

* Les prénoms ont été modifiés.

_Marion Dumand (1) Voir le site, bientôt rénové : www.ansl.org (2) www.ciane.info (3) Un accord peut permettre à une sage-femme de faire accoucher sa patiente dans une structure médicale.

François Fillon et Valérie Pécresse ont tenté de déminer le conflit qui secoue depuis plus d’un mois les universités en acceptant de geler les suppressions de postes à l’université en2010 et2011, et de réécrire le décret sur le statut des enseignants-chercheurs (EC). Si trois

FEDOUACH/AFP

syndicats (SGEN-CFDT, Autonome Sup et Sup-recherche) ont répondu présent vendredi 27février à l’invitation de la ministre de l’Enseignement supérieur, et jugé les négociations en bonne voie, le Snesup, syndicat majoritaire, entend ne rien céder. La mobilisation continue donc pour le retrait du décret réformant le statut des EC. D’autant que les suppressions d’emplois, inscrites au budget 2009, sont maintenues (un millier), comme celles programmées dans les organismes de recherche pour les années à venir. Le gouvernement vise à l’évidence la division des syndicats. Reste que les cortèges de la manifestation du 5mars s’annoncent chargés.

PRESSE Siné relaxé

DEMARTHON/AFP

Justice est faite. Dans le procès intenté par la Licra pour «incitation à la haine raciale», Siné a été relaxé par le tribunal de Lyon. Le dessinateur avait en 2008 ironisé sur une éventuelle conversion au judaïsme de Jean Sarkozy, à l’occasion de son mariage avec une héritière des magasins Darty, et par ailleurs visé des femmes voilées musulmanes. Siné avait du coup été licencié de Charlie Hebdo. Le tribunal a récusé par là même les soutiens de cette accusation (BHL, Val ou encore Alexandre Adler). « Le lectorat de Charlie Hebdo est un public éclairé, a-t-il déclaré, le caricaturiste n’a fait qu’exercer la liberté d’expression de manière satirique, dans un débat public touchant la laïcité.» 5 mars 2009

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LIBAN La politique et la justice

MONDE L’archipel de Palestine orientale Un monde à l’envers L’Atlas nouveau du Monde diplomatique est arrivé. C’est cette année encore un remarquable instrument de décryptage de notre époque que nous propose l’équipe du Diplo. En près de 300cartes et cinq chapitres (les rapports de forces, les grands États du Nord et du Sud, l’énergie, les conflits, l’Afrique), ce sont des vérités enfouies qui sont mises en évidence. Exemple : cette Cisjordanie transformée en archipel au milieu d’un océan colonial. Le poids de l’occupation israélienne en un clin d’œil. Un monde à l’envers, Atlas du Monde diplomatique, 200p., 14euros. (La carte ci-contre a été imaginée et produite par Julien Boussac à partir des documents du Bureau de coordination pour les Affaires humanitaires dans les territoires palestiniens et de l’association B’Tselem.)

C’est bien connu: le temps de la politique et le temps de la justice ne sont pas les mêmes. Les processus judiciaires sont désespérément lents quand la politique est capable de volte-face soudaines. Le Tribunal spécial pour le Liban, qui s’est ouvert dimanche à La Haye, aura à surmonter cette contradiction. Mis en place pour juger les auteurs présumés d’attaques terroristes contre le Liban, dont celle qui a coûté la vie à l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, le 14février 2005, ce tribunal devra tenir compte du changement de climat politique. Les instigateurs de cette juridiction s’apprêtaient à mettre en cause la Syrie, ou à tout le moins des proches du régime de Damas. En 2005, celui-ci était au ban de la communauté internationale. Depuis, Bachar alAssad a totalement été réintégré dans le jeu diplomatique. Nicolas Sarkozy l’a même invité à assister au défilé du 14 Juillet sur les Champs-Élysées. La peur de l’Iran est passée par là. Et comme l’on prévoit que le procès durera plusieurs années…

GAZA Reconstruire

BOURONCLE/AFP

La communauté internationale s’est mobilisée, lundi, pour financer la reconstruction de Gaza après l’offensive israélienne et le redémarrage de l’économie palestinienne, lors d’une conférence de donateurs aux forts accents politiques. L’Autorité palestinienne comptait recueillir 2,8 milliards de dollars pour financer un plan de reconstruction. Selon le Premier ministre palestinien, Salam Fayyad, la levée du blocus israélien imposé à Gaza est « la condition essentielle pour une mise en œuvre du plan». Chacun y est allé de sa déclaration en faveur du processus de paix et de la nécessité de deux États. Au même moment, Israël annonçait son intention d’intensifier la construction de nouvelles colonies (73000 nouveaux logements pouvant accueillir 280000 nouveaux colons) en Cisjordanie. Ce qui condamne par avance tout processus de paix. La Communauté internationale va-t-elle continuer à financer les destructions israéliennes en faisant mine de ne pas comprendre ce qui se joue?

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LES ÉCHOS

Parmi les sept têtes de liste du PS en métropole, on ne compte aucun partisan du «non». Désigné dans le Sud-Est, Vincent Peillon, connu pour avoir défendu cette position fin 2004, a bien changé d’avis depuis. Proche de Ségolène Royal, il a défendu l’approbation du traité de Lisbonne. La réconciliation du «oui» et du «non», que le PS prétend avoir opérée, s’est faite sur le dos des opposants aux deux derniers traités, qui n’auront qu’une visibilité réduite. Quand ils n’ont pas été rayés des listes comme Marie-Noëlle Lienemann ou Anne Ferreira.

en 2 mots

SOUDAIS

Au cours de sa présentation des résultats du conseil national à la presse, Martine Aubry s’est laissé aller à d’hilarantes plaisanteries. Évoquant le parachutage de Vincent Peillon dans le Sud-Est, la Première secrétaire a présenté l’eurodéputé royaliste sortant comme « la cerise sur le gâteau». Elle a aussi justifié ainsi la 3e place en Île-de-France de Benoît Hamon, chef de file de la gauche du PS: « Benoît n’a pas besoin d’être numéro un, c’est l’idole de toutes les femmes françaises, des grands-mères aux plus jeunes.» En somme, c’est sois beau et tais-toi!

Pas touche aux amis Éviter les investigations de juges trop fouineurs dans des dossiers gênants… C’est en résumé ce que contient une disposition du projet de loi de programmation militaire 2009-2014. Le gouvernement veut en effet restreindre l’accès des juges à des lieux dits « sensibles», tels que la présidence de la République, des ministères et de grands groupes industriels. Le Syndicat de la magistrature y voit une reprise en main des juges depuis les investigations menées, notamment, dans l’affaire des frégates de Taïwan et la perquisition entreprise à l’Élysée dans l’affaire Borrel, et surtout celle effectuée, dans l’affaire Clearstream, au siège de la DGSE.

là-bas

Rechute mondiale

Déjà, l’année dernière, on allait voir le bout de la crise financière… Pourtant, Wall Street a connu une nouvelle journée noire lundi et est tombée à son plus bas niveau depuis 1997. Ce qui a fait dire à certains que le krach continue et n’est pas près de s’arrêter. Les Bourses mondiales ont dégringolé après l’annonce de la perte abyssale(100 milliards de dollars pour 2008) de l'assureur américain AIG. Autre raison du marasme, le plan de soutien au secteur financier américain annoncé le 10février n’a rassuré personne. Sauf, peut-être, notre ministre de l’Économie, Christine Lagarde, qui nous avait juré l’année dernière que la crise était derrière nous.

Vengeance chinoise

GUILLOT/AFP

« L’argent ne peut pas être versé» : c’est l’admirable déclaration de l’acquéreur chinois de deux bronzes de la collection d’art d’Yves Saint Laurent et de Pierre Bergé, vendue aux enchères par Christie’s la semaine dernière. En langue diplomatique, ça veut dire qu’il manquera 15,7millions d’euros au compteur des vendeurs, bloqué à 360millions d’euros. Le préjudice ne devrait donc affecter que les relations francochinoises, déjà très maussades. Le voleur n’est pourtant pas l’acquéreur, en passe d’accéder au rang de héros national: les bronzes, une tête de lapin et une tête de rat, proviennent du pillage du Palais d’été de Pékin par les troupes françaises et britanniques en 1860, ce qui était notoire. Pierre Bergé, en proposant les pièces en contrepartie « des droits de l’homme, de la liberté du Tibet et de l’accueil du dalaï-lama», a achevé d’outrer le gouvernement chinois, qui avait annoncé des « représailles» contre Christie’s. Elles ont été rondement menées.

CURRY/AFP

Martine l’appelle l’idole des femmes

VU Invité dimanche dernier de l’émission «Ripostes» de Serge Moatti sur France5, l’ancien socialiste et aujourd’hui ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale, Éric Besson, est resté droit dans ses bottes en répondant à une question sur le sort des enfants placés en centres de rétention avec leurs parents: « C’est quand même mieux qu’ils restent avec leur famillle.» Avant d’ajouter cette phrase sibylline que les sanspapiers enfermés apprécieront: « Je ne vous dis pas que ce sont des quatre étoiles luxe, mais ils sont en liberté dans ces centres fermés.» Une conception toute personnelle de la liberté.

D’OLIVIER BRISSON

LU

ENTENDU

Les socialistes veulent « donner une nouvelle direction à l’Europe». C’est du moins le titre d’un texte présenté comme « le socle de départ du programme des socialistes» pour ces élections et adopté à la quasiunanimité par le conseil national du PS (215 voix pour, deux abstentions). Cette «nouvelle direction» n’engage pas à grand-chose puisque, à bien lire ce texte, c’est «sous la présidence Barroso» que nos socialistes ont « vu les institutions européennes gagnées par les idées du libéralisme économique». Soit depuis… 2004 seulement! Avec une telle myopie, il leur suffira de revenir à Romano Prodi pour estimer avoir rempli leur contrat. Cela ne serait pourtant pas si simple: certes, le texte affirme vouloir virer Barroso, mais au moins trois «socialistes» européens, Jose Luis Zapatero, Jose Socrates et Gordon Brown, ne sont pas de cet avis et veulent reconduire dans son mandat cet « homme de droite dont le libéralisme économique, le conservatisme et l’atlantisme ne sont plus à prouver». Ce qui doit bien prouver quelque chose, non?

« J’ai toujours été élu par des cons», déclare, lucide, Georges Frêche, en 2008, devant un parterre d’étudiants (perpignantoutvabien.com, 19février). Totalement débondé, l’empereur de Septimanie, président de la Région Languedoc-Roussillon, détaille ensuite sa (fine) réflexion: « La politique, c’est une affaire de tripes, c’est pas une affaire de tête, c’est pour ça que, moi, quand je fais une campagne, je ne la fais jamais pour les gens intelligents.» Pour le dire autrement: l’électeur moyen de Georges Frêche est un minus habens. Frêche le confirme d’ailleurs bien volontiers: « Je fais campagne auprès des cons et là je ramasse des voix en masse.» Élu par des « cons » et fier de l’être: la vive intelligence de Georges Frêche est comme un fanal dans la nuit de la pensée.

GUYOT/AFP

ici Encore une aventure de Oui-Oui (au PS)

En raison des résultats médiocres de son entreprise, le salaire annuel du patron d’Eiffage baissera de 10 % en 2009, chutant à 1,6 m d’euros. C’est pitié !

le chiffre

6%

C’est la part de leurs bénéfices que les entre-

prises françaises attribuent en moyenne à leurs salariés. Invitée à réagir, Laurence Parisot, présidente du Medef, a estimé dans l’émission « Capital » sur M6, que c’était « déjà considérable ». Alors que 42 % vont aux actionnaires, elle a ajouté : « Nous, les entreprises françaises, n’avons pas à rougir de ce que nous faisons avec nos salariés. » Vraiment ? 5 mar s 2 00 9

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• C’en est fini • Sa cote de confiance • Quoi qu’il dise,

DOSSIER POLITIQUE

SARKOZY, GROSSE FATIGUE et engagement-là, du moins, aura été tenu : vingtdeux mois après son élection, Nicolas Sarkozy est plus que jamais l’homme de la rupture. Avec l’opinion publique. Plombé par une exceptionnelle impopularité, lui-même doit en convenir – qui prétend « assumer » ce désamour : le contrat de confiance signé en mai 2007 est caduc. Trop de promesses, il est vrai, n’ont, elles, pas été tenues – à commencer par celle qu’il serait « le président du pouvoir d’achat », et qu’il suffirait, dans sa France d’après, de « travailler plus pour gagner plus ». La réalité est tout autre : les salariés expérimentent au quotidien, sur fond de plans sociaux à répétition, que « les caisses sont vides » (sauf, semble-t-il, pour le patronat) et que seuls les plus nantis tirent leur épingle du jeu – dorlotés par un gouvernement qui n’a de cesse que de leur confectionner, de « paquet fiscal » en suppression de la taxe professionnelle, de ces cadeaux qui, dit-on, entretiennent l’amitié… Prendre aux pauvres pour donner aux riches : telle semble être au fond la philosophie économique et sociale d’un règne qui pro-

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mettait pourtant de choyer « tous les Français ». Puis trop d’arrogances ont fini par incommoder jusqu’à certains partisans du chef de l’État : à trop multiplier les passages en force, jusqu’à la paroxystique affaire Pérol, où il a menti avec un aplomb phénoménal, il a fini par donner l’impression de faire du trampoline sur les fondements de la démocratie. La vive sympathie qu’ils témoignent dans les sondages aux grévistes guadeloupéens, et qui transcende les clivages politiques, est un signal on ne peut plus fort de l’exaspération des Français – que stupéfient l’inertie, dans ce dossier, du chef de l’État et son refus de se rendre à Pointe-à-Pitre, quand le moindre fait-divers de province le fait accourir ventre à terre… Claquemuré derrière les épaisses haies policières qui sécurisent désormais ses déplacements, Sarkozy a perdu la main : sa parole d’ex-champion de la communication n’est plus audible, et son interventionnisme, signe, naguère, de dynamisme, passe maintenant pour de l’agitation. Les masques tombés, la magie n’opère plus : il y a péril en la demeure élyséenne.

L’hyperprésidence en plein naufrage Le chef de l’État dégringole dans les sondages tandis que le chômage augmente de façon dramatique. L’impopularité de Nicolas Sarkozy est à son comble, y compris à droite. ’état de crise fait oublier l’état de grâce. Depuis un mois, les sondages se suivent et se ressemblent. La cote de confiance de Nicolas Sarkozy dégringole aussi vite que le chômage augmente. Parallèlement, les enquêtes d’opinion enregistrent une aspiration à un changement de politique et un soutien de la population aux revendications syndicales qui peut être massif : 78 % des sondés (67 % des sympathisants de droite) estiment justifiées les manifestations en Guadeloupe (1). Pourtant, le chef de l’État ne s’implique pas moins qu’avant. Comme au début de

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son quinquennat, il multiplie déplacements, interventions et annonces. Et décide de tout, y compris des listes européennes de l’UMP. Mais le charme, si tant est que l’on puisse utiliser ce mot, est rompu. Le « roi de la com’ » a perdu la main. Quand il intervient à la télé, il ne convainc plus, incapable qu’il est d’endiguer les critiques qui pleuvent de toutes parts. Contre une politique économique qui, pour la gauche et les syndicats, a oublié la consommation mais, pour le Medef, fait la part trop belle au social. Contre son intervention tardive dans la crise en Guadeloupe. Ou encore la nomination contestée de son collaborateur François

Pérol à la tête du groupe Banque populaire/Caisse d’épargne… Bien installé dans l’impopularité, Nicolas Sarkozy n’en continue pas moins à afficher une foi inébranlable dans sa méthode. Malgré les mauvaises nouvelles qui s’accumulent et alternent avec les prévisions les plus sombres. 90 200 chômeurs de plus au cours du seul mois de janvier : ce record mensuel présage un accroissement du nombre de demandeurs d’emploi en 2009 plus important que les 280 000 prévus par l’Unedic. D’autant que les plans sociaux annoncés quotidiennement n’ont pas encore produit leurs effets. Déjà le gouvernement révise ses prévisions pour l’année : la croissance, tout juste positive dans le projet de budget (+ 0,3 %), sera franchement négative (-1,5 %) ; conséquence de cette moindre activité, le déficit budgétaire devrait flirter avec les 5 % du PIB et avoisiner 100 milliards d’euros…

de l’état de grâce pour le président de la « rupture » •

dégringole aussi vite que le chômage augmente • quoi qu’il fasse : il ne convainc plus •

Cette dégradation économique et sociale justifierait la mise en œuvre d’un plan de relance d’ampleur en faveur de l’emploi, mais il y a peu de chance que le président de la République s’y résigne. Nicolas Sarkozy vit désormais enfermé à l’Élysée. Quand il en sort, il ne se déplace plus sans une solide escorte. Autant pour se prémunir des manifestants que pour contrôler son image. Le 19 février, 700 gendarmes, CRS, hommes du Raid et du GIPN assuraient sa sécurité à Daumeray, un paisible bourg du Maine-et-Loire de… 1 600 âmes. Au Salon de l’agriculture, deux cordons de gardes du corps l’encadraient, assurant le filtrage des personnes autorisées à approcher l’auguste visiteur, journalistes compris, tandis que dans les allées garnies de militants UMP convoqués pour faire la claque, des agents de sécurité élyséens écartaient les importuns. Le 26 février, même déploiement surdimensionné pour la visite d’une usine de Plastic Omnium dans l’Ain : barrages de gendarmerie 10 km autour du site ; une seule caméra, celle de TF 1, autorisée à filmer dans l’entreprise ; et des délégués syndicaux mécontents de n’avoir pu échanger un mot avec Nicolas Sarkozy.

Ainsi coupé des réalités, il est, selon son entourage, serein face à l’adversité. « Depuis le début de la crise, nous n’avons pas fait une seule erreur », se félicite-t-on d’ailleurs à l’Élysée. Où, contre toute évidence, on se persuade que « le sommet social a apaisé les manifestations et [que] le calme est revenu en Guadeloupe ». Au « château » comme à l’UMP, on explique la chute dans les sondages comme un effet de la crise. On rappelle aussi que sa popularité avait déjà chuté l’an dernier. Avant de remonter avec la présidence française de l’Union européenne. Mais si, l’an dernier, les Français reprochaient amèrement au Président sa période « blingbling » tandis que les classes populaires manifestaient leur première déception sur le pouvoir d’achat, la rechute est plus profonde. Selon le directeur de l’institut TNS-Sofres, Brice Teinturier, la crise met à bas tout le socle idéologique sur lequel le candidat de droite s’était fait élire (moins d’État, moins d’impôts, plus de travail, plus de revenu). Une réalité que Nicolas Sarkozy refuse d’admettre. Mieux, il s’obstine à vouloir « accélérer les réformes ». Jusqu’à quand ? Pour l’heure, le chef de l’État conserve le soutien de l’UMP. Xavier Bertrand, le

nouveau secrétaire général qu’il a mis en place, a fait de « l’anticonservatisme » son credo : « Dans la tempête, répète-t-il, il faut protéger le navire et l’équipage, mais pas jeter l’ancre. » Le député de l’Aisne, qui n’a pas dû souvent naviguer, oublie qu’il faut aussi savoir changer de cap pour éviter un naufrage. Au sein de la droite, de plus en plus de voix le réclament, qui pointent les dangers de la « méthode » Sarkozy. « Par temps calme, les défauts du président ont été acceptés comme une contrepartie de son volontarisme, estime le député UMP Hervé Mariton, mais dans la tempête, ils ont plus de mal à passer. » L’élu villepiniste, qui lui reproche « le suremballage médiatique de ses annonces » et un « manque de respect des corps intermédiaires », n’est plus isolé. Plusieurs ministres et conseillers confiaient la semaine dernière au Monde (28 février), sous le secret du off, que la concentration de tous les pouvoirs à l’Élysée avait montré ses limites. Mais qu’il est exclu d’en parler avec l’hyperprésident. Le blocage est au cœur du pouvoir.

Au sein de la droite, de plus en plus de voix réclament un changement de cap, et pointent les dangers de la « méthode » Sarkozy.

_Michel Soudais (1) Sondage BVA-Orange-L’Express-France Inter, réalisé les 20 et 21 février. 5 mar s 2 00 9

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DOSSIER POLITIQUE

Navigation à vue En matière économique et sociale, l’Élysée donne l’impression de gouverner au jugé. Le Président, qui a largement sous-estimé l’ampleur de la crise, sait-il seulement où il va ?

L’Élysée s’obstine dans une logique qui laisse la loi du profit piloter sa politique économique.

e sommet social du 18 février devait être l’ultime touche apportée au plan de relance, avec cette image d’une parfaite maîtrise sous les ors de l’Élysée. Il s’est transformé en cauchemar pour Nicolas Sarkozy, une déconvenue traduite dans les sondages par un record de mécontentement. Le Président patine depuis plusieurs mois sur cette question qui le met face à un dilemme : corriger un plan qui a manifestement sousestimé la crise, ou maintenir un programme axé sur la croissance et des réformes dépassées par la déflagration sociale.

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Devant l’explosion du chômage, Nicolas Sarkozy a certes occupé le terrain, mais il n’est concrètement question que de quelques retouches à la marge en matière de pouvoir d’achat, en faveur des plus pauvres. Le Président a joué de son talent d’escamoteur en sommant les partenaires sociaux de se mettre autour de la table, mais sans rien négocier. Les revendications syndicales portées dans la rue par 1,5 million de personnes le 29 janvier, et qui remobiliseront le 19 mars, sont pour l’instant passées à la trappe.

Enseignants-chercheurs : une copie exécrable Florilège de mots: « Nous ne sommes pas dans le peloton de tête […], nos prix Nobel sont l’arbre qui cache la forêt […], nos universités bénéficient depuis 2008 de moyens comme elles n’en ont jamais connu […], les résultats sont médiocres […], le système est infantilisant et faible […], les forces du conservatisme et de l’immobilisme l’ont toujours emporté, il faut que cela cesse! » Le discours de Nicolas Sarkozy le 22janvier dernier, consacré à la recherche et à l’innovation, a oscillé entre

l’infantilisation et l’humiliation des intéressés et démontré une totale méconnaissance du sujet et beaucoup de mauvaise foi. Rappelons que, dans le domaine de la recherche, le CNRS, par exemple, est au 1er rang européen, 4e au niveau mondial, que la France se classe cinquième en termes de publications. Face aux propos présidentiels, avec en arrièreplan la Loi sur l’autonomie des universités (LRU), il y avait de quoi être atterré. Abasourdi. Mais plutôt que de rester à terre, les enseignants-

chercheurs se sont mobilisés pour défendre leur statut. Contre les suppressions d’emploi, le démantèlement du CNRS et de l’Inserm, contre les menaces qui pèsent sur l’indépendance de la recherche et la formation, sur le partage entre enseignement et recherche, ou encore le système d’évaluation et le recrutement. Un mois de mobilisation, de grèves, ponctué aujourd’hui par le recul du gouvernement. Et Valérie Pécresse de revoir sa copie. _J.-C. R.

Symbole du surplace présidentiel, la rencontre du 18 février n’avait pour objet que de « renforcer une politique de protection sociale qui existe déjà ». La série d’annonces s’est résumée à un cadeau de 8 milliards d’euros au patronat avec la suppression d’une partie de la taxe professionnelle. Ces dernières semaines, le chef de l’État a même superbement ignoré le mouvement social en Guadeloupe, avant de revoir quelque peu sa copie. Quant au souhait d’une « meilleure répartition des richesses », il n’en reste qu’un vague débat renvoyé en commission. L’Élysée donne désormais l’impression de naviguer à vue en s’obstinant dans une logique qui laisse la loi du profit piloter la politique économique et « Nous n’avons pas fait d’erreurs, sociale. Le président du et les autres pays « pouvoir d’achat » a accordé 11,5 milliards européens nous suivent », s’entête de remboursements anticipés des dettes de l’État l’omniprésident. aux entreprises, en complément des 32 milliards d’allégements de cotisations sociales déjà octroyés annuellement. 320 milliards d’euros de garanties sont lâchés pour le sauvetage des banques, auxquels il faut ajouter un plan de recapitalisation de 40 milliards d’euros et 7 milliards de prêts au secteur automobile. Dans les 26 milliards présentés récemment, seuls 5 à 7 milliards (soit 0,25 à 0,35 % du PIB) soutiendront l’activité dès 2009. On est loin des 5 % du PIB du plan de relance aux États-Unis. « Nous n’avons pas fait d’erreurs, et les autres pays européens nous suivent », s’entête l’omniprésident, quand son gouvernement poursuit des contre-réformes restreignant les emplois dans des secteurs comme la recherche, l’éducation et l’ensemble des services publics. La ligne présidentielle affiche d’autres ambiguïtés : le saupoudrage social de 2,6 milliards d’euros s’accompagne du maintien des 15 milliards du « paquet fiscal » qui bénéficient principalement aux riches. Les exonérations de cotisations sociales sur les heures supplémentaires (loi Tepa) ainsi que leur défiscalisation ne sont pas mises en cause alors que la récession plombe l’emploi. Du coup, le gouvernement se prive de 4,4 milliards d’euros pour lutter notamment contre le chômage et doit revoir un budget qui prévoyait une légère croissance cette année. L’ensemble des baisses d’impôt réalisées en 2007 a limité ses marges de manœuvre et creusé les inégalités. Les actuelles orientations affichent de plus en plus leurs contradictions. L’Élysée tiendra-t-il encore longtemps sans admettre qu’un changement de cap est nécessaire ? _Thierry Brun

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ALAIN BROSSAT Philosophe

Ambiance de fronde dans les rangs de l’UMP Les annonces intempestives du chef de l’État irritent de plus en plus des élus lassés de ne pas y avoir été associés et inquiets pour leur avenir. a droite a le blues. Certes, elle soutient encore son champion, mais le doute s’est installé. Aussi, quand le Figaro assure, en s’appuyant sur un sondage Opinion Way (25-26 février), que le Président « garde une base électorale solide à droite », mais s’interroge sur l’utilité de l’ouverture « quand seulement 7 % des électeurs socialistes déclarent avoir une bonne opinion de Nicolas Sarkozy », c’est, pour le quotidien UMPiste, une manière de critiquer la politique de ce dernier en l’interpellant sur un chapitre dont le dernier épisode – la « promotion du vibrionnant Jack Lang au rang d'émissaire spécial à Cuba » – passe mal dans l’électorat conservateur traditionnel. Si ce différend reste mineur, d’autres agitent profondément la droite. Dans les rangs de l’UMP, on a vu ces dernières semaines le président du conseil général de la Manche juger « scandaleux » la mutation d’« un très bon préfet » à la suite d’une visite du chef de l’État, le député local Philippe Gosselin estimant quant à lui cette sanction « injuste ». La semaine dernière, Rue89 révélait que 76 députés UMP avaient déjà signé une « proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur

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Le raté de la taxe professionnelle « On supprimera la taxe professionnelle en 2010 parce que je veux qu’on garde les usines en France.» Cette annonce surprise de Nicolas Sarkozy, faite lors de son intervention télévisée du 5février, a provoqué un imbroglio politique, entraînant la protestation d’élus dans le camp de la majorité présidentielle. La controverse a porté sur le chiffre de 8milliards d’euros, une évaluation fantaisiste avancée par le chef de l’État puisque la TP perçue par les collectivités locales s’élève à plus de 29milliards d’euros. Les calculettes de Bercy ont chauffé pour inventer une TP «nouvelle mouture» qui permettrait la suppression d’une partie de son assiette, en particulier les biens mobiliers des entreprises, pour obtenir le chiffre de 8milliards. Ce manque à gagner pour l’État serait compensé par l’instauration d’une « taxe carbone », qui a tout du transfert de charges vers les ménages sous couvert de l’alibi écologique. _T. B.

Le syndrome du bonsaï Tout tend à devenir plus petit – c’est ça, le problème de l’époque. En politique, du bas en haut, spécialement en haut: tout se passe comme si la puissance occulte, le démiurge tout puissant qui préside aux destinées de l’État et de la nation, s’était lancée à mort dans les nanotechnologies. Laissons d’emblée de côté l’accessoire, les histoires de petite taille et de talonnettes – on se rappelle la façon dont Alain Badiou s’est fait lapider pour avoir osé suggérer que, sur ce plan, l’Élu des Français (comme ils disent) se situait plutôt du côté du bas que du haut. Non, allons à l’essentiel– l’art et la manière dont un souverain associe son règne à la gloire, cultive sa grandeur et son éclat, quand bien même il serait de taille médiocre. L’essentiel est ici ce qui fonde l’exception du souverain: ce n’est pas la physionomie du bonhomme qui fait la grandeur ou la médiocrité de son règne, c’est tout autre Le Président chose, une qualité morale, le respect, voire l’effroi, qu’il inspire à ses contemporains, est un homme le souvenir qu’il laisse à la postérité. de spectacle Prenons un exemple: lorsqu’un quidam lançait un impudent « À Colombey! » au qui s’érige passage du cortège impérial, vraiment en gardien impérial, de Charles de Gaulle descendant les Champs-Élysées en limousine noire, la police de son image. lui mettait la main au collet et il lui fallait rendre compte du délit d’outrage au chef de l’État. Ça avait de la gueule. Aujourd’hui, les choses sont différentes.

la réforme de l’instruction La suppression des affaires pénales », inide la première tiée par le député de Libourne (Gironde) Jeantranche de Paul Garraud, hostile à la l’impôt ? suppression du juge d’ins« Une très truction et à la réforme de mauvaise idée » selon la procédure pénale, telles Hervé Mariton. qu’annoncées par Nicolas Sarkozy le 7 janvier. Si Jean-François Copé s’est contenté diplomatiquement de regretter que les députés n’aient pas été « associés au préalable » aux annonces fiscales du chef de l’État, des élus s’en sont plaints plus rudement. La suppression de la première tranche de l’impôt sur le revenu ? Une « très mauvaise idée », tranche Hervé Mariton. Relayant l’irritation d’un certain nombre de ses collègues, ce villepiniste a lancé : « L’impôt, c’est au Parlement que ça se décide ! Ce n’est pas aux partenaires sociaux de trancher sur ces questions. » La suppression de la taxe professionnelle, quant à elle, inquiète tout particulièrement les élus en créant « une incertitude sur les ressources des collectivités locales », selon l’ancienne porte-parole de l’UMP Chantal Brunel. Une inquiétude que les redécoupages prônés par le Comité Balladur transforment déjà en fronde. _M. S.

Le Président est un homme de spectacle qui s’érige en gardien de son image. Qu’une compagnie aérienne low cost s’avise de la capter pour en faire sa pub, qu’un fabricant de gadgets en fasse une marionnette à son effigie, et notre homoncule attaque en justice, comme un vulgaire PPDA – en vertu du «droit à l’image». Non, vraiment, tout s’amenuise, tout diminue. La preuve, encore, à supposer que vous ayez à expliquer en termes clairs et pédagogiques à un enfant de dix ans ce qu’il en est de «l’exception souveraine», la chose est simple: sous la Ve République, le Président, c’est le seul type qui ait le droit d’invectiver un passant ordinaire (« Casse-toi, pauv’ con! ») sans être exposé à des poursuites pour injures simples (c’est la condition d’immunité juridique du personnage). En revanche, le type de base qui, à Angers, brandit le 28août 2008 une pancarte sur le passage du chef de l’État, pancarte sur laquelle était inscrite la même apostrophe exactement, sera condamné à une amende de 30euros. Pas cher, dira-t-on, pour une si précieuse leçon sur la condition de souveraineté contemporaine. Jadis, c’est évident, un audacieux de ce genre s’exposait à être écartelé par quatre chevaux robustes. Le public adorait ça. En ce temps-là, aussi, les rois ne causaient pas comme des cochers.

Tout rapetisse, je vous dis. Jadis, quand les rois devenaient fous, ils le devenaient pour de bon – Lear et sa manie de dépecer son royaume au profit des moins méritante de ses filles. Aujourd’hui, celui qui usurpe leur place n’est guère qu’un grand névrosé agité de tics et fauteur de lapsus minables; il nous exhorte à travailler-plus-pour-gagner-plus, mais lui, il laisse travailler son inconscient à sa place… Non, je vous le dis, la folie du pouvoir n’est plus ce qu’elle était, elle est devenue résolument bonsaï ! P. -S. Admirez l’exploit : j’ai réussi à conduire ce billet à son terme sans prononcer une seule fois le nom de l’Infâme… 5 mar s 2 00 9

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Points aveugles e festival Cinéma du réel ouvre ses portes à Paris le 5 mars avec un nouveau directeur artistique, Javier Packer-Comyn, qui succède à Marie-Pierre Duhamel-Muller. Dans un texte de présentation, Javier Packer-Comyn souhaite que cette édition 2009 « reflète une décroissance, une décélération de notre rapport aux images du monde. Réaction salutaire face à l’accélération de l’instant réel dans les divers flux d’images, tous écrans confondus ». Pour un festival qui présente plus d’une centaine de longs et courts métrages en douze jours, à travers sélections, hommages, et programmations thématiques, le propos serait-il paradoxal ? Pas sûr, si l’on en juge par la dizaine de films (sur 37) que nous avons vus de la compétition internationale. Non soumis au formatage, les plus intéressants d’entre eux, en explorant des zones du réel laissées dans l’ombre, proposent des représentations qui ne ressemblent à rien de ce que le « flux » véhicule, images périmées à force d’être ressassées. C’est le cas par exemple de Parador Retiro, de Jorge Leandro Colàs. La misère des sans-abri a été mille fois filmée, et pourtant ce film en offre une vision singulière, notamment parce qu’il écarte toute forme de misérabilisme. Sans doute, le choix du lieu a été décisif. Le Parador Retiro, à Buenos Aires, est un immense hangar plutôt vétuste, peut-être un ancien gymnase, où se retrouvent chaque soir deux cents SDF, qui évitent ainsi la nuit au dehors. Mais, parqués dans leurs lits à deux étages, ils perdent toute possibilité de vie intime, hormis celle de prendre une douche ou de se rendre à une consultation médicale dans un cabinet « peu orthodoxe », de l’avis même d’un des médecins qui y tiennent une permanence, que les patients traversent quand bon leur semble. Le cinéaste filme donc davantage un « groupe », informel, même si les sans-abri fréquentent le lieu de manière assidue, où des individus abîmés par la vie se côtoient plus qu’ils ne vivent ensemble. C’est cette drôle de sociabilité que montre, de façon unique, Parador Retiro. Robinsons of Mantsinsaari, de Victor Asliuk, en est presque l’exact

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Le Cinéma du réel, haut

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internationale.

en soit leurs nationalités : l’un est biélorusse, l’autre finnois. Robinsons of Mantsinsaari est un film sur cette absurdité qui sépare deux êtres rencognés dans leur solitude, totalement isolés de surcroît. La scène la plus poignante est celle où l’un des deux vieux somme le chien de l’autre, qui, lui, ignore la frontière qui les sépare, de rejoindre son maître pour ne pas le laisser trop longtemps seul…

contraire. Pas de sociabilité ici, et pourtant… Une île du lac Ladoga, russe après avoir été finlandais, a pour seuls habitants deux hommes âgés. La caméra les montre dans leur quotidien fait de travaux ruraux et de pêche, ou lors de longs moments de désœuvrement. Mais elle ne les montre jamais ensemble. Et pour cause : les deux hommes s’ignorent parfaitement. Il semble que la raison

Les documentaires venants de Chine, pays en permanente transformation, sont particulièrement attendus, surtout quand l’un d’eux est signé Wang Bing, le réalisateur d’À l’ouest des rails, ces neuf heures absolument fabuleuses sur le démantèlement d’un complexe industriel. Si l’Argent du charbon, qu’il signe aujourd’hui, est de taille plus classique – 1 h 30 –, le talent est toujours au rendez-vous. Sur la route du charbon, qui va des mines de Shanxi au port de Tianji, dans le nord de la Chine, le cinéaste suit la chaîne des vendeurs et des revendeurs, du propriétaire d’une mine au transporteur, jusqu’au grossiste. Il se focalise sur les négociations de gré à gré, compliquées par le fait que le charbon extrait contient des pierres, ce qui réduit sa qualité, et donc son prix.

lieu du documentaire, se propose d’offrir un autre rapport aux images. Aperçu avec quelques films de la compétition

L’argent est l’unique sujet de conversation qui court tout au long du film, telle une obsession. L’argent allie ou oppose, et se joue comme dans une partie de poker, avec ses moments de bluff ou de doutes. Le gagnant est celui qui s’est assuré la meilleure marge. Cependant, parfois, les deux négociateurs se quittent avec un égal sentiment d’amertume. Wang Bing témoigne d’une situation universelle entre vendeur et acheteur, aussi vieille que l’existence du commerce et de la monnaie. Mais l’Argent du charbon est aussi emblématique d’une évolution de la Chine vers un monde exclusivement marchand. Demolition a également été filmé en Chine, même si son auteur, J. P. Sniadecki, est de Harvard (États-Unis). Bien qu’étranger, le réalisateur a été accueilli, presque intégré dans la vie quotidienne d’ouvriers sur un grand chantier de démolition à Chengdu, la capitale de la province du Sichuan, à l’ouest de la Chine. Une grande partie du travail de ces employés non qualifiés et migrants consiste à dégager l’armature en acier des bâtiments détruits. Précieux, l’acier est récupéré, alors qu’il se présente en l’occurrence sous la forme de gros câbles lourds

et quasi raides, qu’il faut démêler. La tâche est harassante et ennuyeuse, que le cinéaste ne filme pas de manière esthétisante même si certaines images sont splendides. Là encore, Demolition offre une image de la Chine assez refroidissante, malgré certains moments de convivialité entre les ouvriers, en particulier lors des repas. En revanche, Un peuple dans l’ombre, de Bani Khoshnoudi, au titre explicite, va à l’encontre des clichés que colportent les médias sur la société iranienne. Tourné dans les rues et les lieux publics de Téhéran, le film s’intéresse surtout à la jeunesse de la majorité de ses habitants, dont beaucoup n’ont pas connu la guerre contre l’Irak et pour qui l’imam Khomeini est une figure certes respectée mais du passé. Bani Khoshnoudi, réalisatrice d’abord émigrée aux États-Unis avant de s’installer en France, relève les multiples signes de modernité qui coexistent avec les figures imposées par le régime iranien. « L’Argent Elle filme des du charbon », citoyens critiques de Wang Bing, est emblématique sur la politique du gouvernement, d’une évolution des vendeuses de de la Chine jeans, ou un garvers un monde çon et une fille flirexclusivement tant dans un café marchand. au goût du jour, elle tenant dans ses mains son iPod tandis que lui parle des années de service militaire qu’il est censé faire. Bref, un Iran inédit pour la plupart des Occidentaux. Avec Rachel, Simone Bitton comble, elle aussi, un point aveugle. Activiste pacifiste, Rachel Corrie a trouvé la mort le 16 mars 2003 sous la pelle d’un bulldozer israélien qui participait à une mission de destruction d’habitations palestiniennes. Un drame largement médiatisé – parce que la victime était une jeune Américaine –, s’ajoutant aux milliers d’autres drames traités de manière indifférenciée par les journaux télévisés. Simone Bitton a construit son film autour de ce qui reste une interrogation : meurtre ou accident (comme le prétend Israël) ? Étrangement, la caméra de l’armée israélienne qui filmait la scène s’est détournée au moment crucial. La caméra de Simone Bitton, elle, donne à voir le hors-champ de la version officielle, de la vérité institutionnelle, de la vision imposée. Voilà qui pourrait constituer une bonne définition du documentaire. _Christophe Kantcheff Cinéma du réel, du 5 au 17 mars, centre Pompidou, Paris, 01 44 78 45 16, www.cinereel.org

Héros très positif us Van Sant est sans aucun doute l’un des cinéastes américains les plus surprenants. Il est toujours difficile de savoir quel sera son prochain projet : Van Sant peut ainsi passer sans transition d’un film aux enjeux esthétiques affirmés et risqués à un succès grand public. Ce qui le mène de l’un à l’autre n’est pas à proprement parler mystérieux. Il est fort probable que le cinéaste ait régulièrement besoin de rappeler aux studios ses capacités à figurer dans les hauteurs du box-office. En réalité, le plus étonnant, c’est que sa filmographie ne ressemble en rien à une somme d’objets hétéroclites. Celle-ci est traversée par une cohérence. Il y a une touch Van Sant, qui n’est pas une manière ni une « petite musique », mais une exigence. Une interrogation ininterrompue sur la responsabilité du cinéaste. Ainsi, le réalisateur d’Elephant, de Last Days et de Paranoid Park, que l’on a souvent qualifiés d’« arty » quand bien même ces trois films (qui précèdent Harvey Milk) mettent en scène la violence meurtrière ou autodestructrice d’une jeunesse, signe aujourd’hui un film au propos directement politique, qu’il n’est pas abusif de qualifier même de militant. Et bien que militant – le film est une formidable machine à héroïser le premier élu homosexuel déclaré –, bien qu’oscarisé pour son scénario et pour la prestation de Sean Penn dans le rôle-titre, Harvey Milk n’est jamais uniforme ni simplificateur. Il raconte avec euphorie la complexité des situations et des processus politiques auxquels est confrontée la minorité

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Avec « Harvey Milk », qui raconte les combats du premier élu homosexuel déclaré aux États-Unis, Gus Van Sant réalise un film politique et euphorique.

homosexuelle, dont les droits n’égalent pas ceux des hétéros. Le film, l’air de rien, a une dimension pédagogique évidente, et le fait qu’il épouse l’humour distancié de Milk rend la chose particulièrement enthousiasmante. Une prouesse. Harvey Milk n’évoque certes pas le cinéma de Francesco Rosi, qui met au jour les méandres d’organisations ou de systèmes de pouvoir. Le film, qui relève de ce genre très en vogue qu’est le biopic, raconte une partie de la biographie d’Harvey Milk, entre 1970 et 1978, le temps de sa transformation en homme politique, jusqu’à son assassinat. Ce sont tous les aspects de la vie de Milk qui sont montrés, en particulier sa vie amoureuse. Non pour agrémenter le récit d’histoires de cœur. Mais parce que chez Harvey Milk vie intime et vie publique sont indissociables. Les raisons qui le poussent à s’engager dans les affaires de la cité sont strictement personnelles. Ce n’est pas un hasard si les mouvements homosexuels et de lutte contre le sida ont « inventé » une manière de faire de la politique à la première personne.

Chez Harvey Milk, vie intime et vie publique sont indissociables. DR

Le film est d’abord une excellente illustration du lien entre le local et le « global ». Tout commence avec l’installation de Milk et de son petit ami Scott dans le quartier de Castro à San Francisco, en 1972, où ils ouvrent un magasin de photo. Pour faire tourner la boutique, pas forcément attirante aux yeux de la population majoritaire – des travailleurs catholiques d’origine irlandaise –, Milk transforme leur magasin en point de ralliement des gays du quartier. Il fait même alliance, sur certaines revendications, avec le syndicat ouvrier du coin. Harvey Milk devient la figure incontournable du quartier, îlot de relative liberté pour les homos réprimés par la police. Il est fin prêt pour se porter candidat à des élections, ce qui va le mener jusqu’à la municipalité de San Francisco. Dès lors, le film démonte une à une les idées reçues à propos de la minorité homosexuelle et de sa représentation politique. D’autant plus efficace qu’il n’est pas une charge grossière à la Michael Moore, mais une pure perle hollywoodienne centrée sur la geste d’un individu d’exception, Harvey Milk, et son entourage, tout aussi valeureux. Avec une intelligence rare, le film démonte les accusations de communautarisme ou d’irrespect du droit à la vie privée. Un gay forcément représentant des gays ? Personne d’autre ne reprend leurs revendications. Un gay d’abord élu par les voix homosexuelles ? À cause des contraintes du jeu médiatico-démocratique et des forces sociales en présence. Ce qui n’empêche pas ensuite Harvey Milk de se faire le porte-parole d’autres minorités et opprimés. L’incitation au coming out ? Pour répondre à une campagne réactionnaire insinuant qu’homosexualité et pédophilie sont synonymes. « La politique, ce n’est pas forcément gagner, déclare Milk, c’est dire que tu existes. » Tout est là, qui résume aussi les combats qu’il a menés : la nécessité de la visibilité pour faire avancer les droits. Cette visibilité, le film de Gus Van Sant, en totale osmose avec son héros, transcendé par une composition sidérante de vraisemblance de la part de Sean Penn, la multiplie par dix, par mille. Pour le plaisir des spectateurs et dans l’intérêt des citoyens. _C. K. 5 mar s 2 00 9

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THÉÂTRE

MUSIQUE

Des airs d’errance

Sur la planète Marseille

Kamilya Jubran interprète des poésies arabes sur des musiques contemporaines. ertaines voix donnent la chair de poule, même lorsqu’on se désole de ne pas comprendre les textes. La voix de Kamilya Jubran est de cellesci : elle possède l’art de faire ressentir l’émotion par-delà les mots. Le charme qui en émane tient à la part de féminité sombre de son timbre, à une approche musicale dramatique et à la maîtrise d’une large palette de techniques vocales. Pour Makan, seule avec son luth, la chanteuse a sélectionné neuf poèmes d’auteurs marocains, palestiniens, irakiens et sénégalais qu’elle a mis en musique. Tous disent l’attachement au lieu et à l’errance : l’errance pour échapper à l’enfermement du lieu, et pour le retrouver autrement. On entend là une thématique éminemment palestinienne, mise en sons par une femme arabe d’Israël qui vit en Europe depuis plusieurs années. Cheville ouvrière du groupe Sabreen pendant deux décennies, elle y œuvra à une modernisation de la musique palestinienne qui, sans jamais dénaturer son héritage, l’inscrivit dans les grands mouvements du monde. Avec Makan, elle poursuit cet effort en chantant l’universalité de la poésie arabe sur des musiques du MoyenOrient, mais captées, canalisées et mélangées jusqu’à ce qu’elles se muent en création contemporaine.

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« Le jour se lève, Léopold ». Une balade aux allures improbables, merveilleusement humaine. CHRISTINE SIBRAN ’est une nuit à Marseille. Des copains parlent de tout et de rien dans leur appartement d’on ne sait quel étage et appellent des amis par la fenêtre. Ils palabrent beaucoup sur la vie des autres. Qu’y a-t-il de plus urgent que de raconter que telle fille s’est rapprochée de tel garçon ou qu’un mariage a lieu au coin de la rue ? L’un des copains garde le lit. Il a été opéré il y a trois ans ; qui sait, c’est peut-être dangereux de bouger un peu. Une jeune fille monte, brave gamine qui doit se méfier du désir de tous ces mâles. Léopold monte aussi, il apporte des œufs et sa gentillesse. Tous ces gens qui se parlent sans se répondre, mais non sans se comprendre, ne vont pas terminer la soirée sur place. Même l’impotent se décide à sauter du lit. Et les voilà partis pour une errance dans la ville endormie. Au fil de la déambulation, deux des amis restent ensemble, la jeune fille se balade avec un soupirant qui la serre de près, le marié choisit de passer seul sa nuit de noce, un couple de faux fakirs va faire un peu de fausse magie… Pour la plupart, le problème est de trouver un bar. Puisqu’il y en a un de fermé, autant le fracturer pour qu’il distribue ses bières dans la nuit. Peu importe qui touchera l’argent. Peu importe la fureur du limonadier surgissant de l’obscurité et se mêlant

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Une déambulation comique et poignante écrite par Serge Valletti et mise en scène par Michel Didym.

à cette agitation incohérente de passants connus et inconnus. Un homme mourra à l’aube, mais l’on ne saura si cette fin de tragédie n’est pas une nouvelle plaisanterie dans ce tournis de palabres et de surprises où l’homme est sans cesse comiquement confronté aux lois de la solitude et de la fraternité. Ainsi est Le jour se lève, Léopold, l’une des pièces majeures de Serge Valletti, dont Michel Didym a proposé au Gymnase de Marseille puis aux Célestins de Lyon et à présent en tournée (les Abbesses, à Paris, c’est pour bientôt) une nouvelle mise en scène. Le décor rugueux, approximatif, mal rangé, mal fini, a les lumières du

cirque. Tout est un peu cabossé, disjoint, bancal, d’une manière trompeuse, parce qu’au bout du compte tout prend sa place et tout a sa noblesse. Ainsi écrit Valletti, qui aime les mots de la rue marseillaise, en reprend quelques-uns et les additionne à son propre langage, somptueusement bricolé. Ainsi met en scène Didym, qui conduit cette balade aux allures improbables – en réalité très probable, c’est celle de clochards célestes comme il en naît dans toutes les métropoles – avec le sérieux des entrées de clowns dont on ne sait de quel rire elles sont faites. Tous les acteurs ont des types, des caractères, comme le veut la comédie. On dira qu’il y a les personnages aux bras cassés, joués par Alain Fromager, Quentin Baillot, Olivier Achard ; les plus actifs, Jean-Paul Wenzel, Christophe Odent, Guillaume Durieux ; les reines de la nuit, Alexandra Castellon, Catherine Matisse ; et un musicien du trottoir, Mathias Lévy. Mais tous sont fragiles, souvent en morceaux, merveilleusement humains.

_Denis-Constant Martin Kamilya Jubran, le 10 mars, à 20 heures, espace Jemmapes, Paris Xe, 01 48 03 11 09, www.jemmapes.com Makan, Zig Zag Territoires/Harmonia Mundi ZZT (les paroles sont données dans le livret en arabe, en français et en anglais).

_Gilles Costaz Le jour se lève, Léopold. Tournée : Metz (le 7), Mulhouse (le 10), Reims (12 au 14), Paris (théâtre des Abbesses, 01 42 74 22 77, 18 mars au 4 avril), Meylan (24 et 25 avril), Chambéry (28 et 29 avril). Texte aux éditions de l’Atalante.

L’émotion par-delà les mots. C. LEFEVRE

MÉDIAS

À VOS POSTES

La chute d’une killeuse

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in novembre 1990, Margaret Thatcher rend les clés du 10, Downing street. Écartée du poste de Premier ministre, elle perd son travail et son domicile après onze années de service. Bref retour en arrière. À la tête du pouvoir au Royaume-Uni depuis 1979, la Dame de fer n’en finit plus de meurtrir. La poll tax, nouvel impôt injuste, accentue son impopularité au sein même de son parti. Thatcher se croit infaillible. Elle est agressive, autoritaire, développant un culte de la personnalité, gagnée par l’arrogance du pouvoir, rarement avare d’une humiliation. Geoffrey Howe, ancien ministre des Affaires étrangères (et vice Premier ministre) démissionnaire, est le premier à sonner la rébellion conservatrice. Michael Mates et Michael Heseltine portent l’estocade à l’intérieur du Parti conservateur en rebondissant sur la possibilité de renverser Thatcher par un simple vote interne. Celle-ci accumule les erreurs de stratégie et de campagne. Et, sûre d’elle, se rend à une visite diplomatique à Paris. En trois jours, du 19 au 21 novembre, son destin est scellé : la porte. Plutôt que de brosser le parcours politique de la Dame de fer, William Karel a choisi de se concentrer sur ces trois jours, théâtre de complots et de trahisons. Livrant ainsi l’histoire d’une destitution orchestrée par ses propres ministres, conseillers, directeurs de cabinet. Une histoire racontée face caméra par ses propres acteurs. Une tragédie oscil-

Les derniers jours au pouvoir de Margaret Thatcher. Un documentaire remarquable de William Karel.

TSAMEDI É L É7 MARS VISION

MERCREDI 11 MARS

Main basse sur l’île d’Yeu

Sur la voix de Michel Bouquet, nourri d’archives rares et de témoignages directs, ce film de Charles Chaboud et Bernard Cohn retrace l’histoire de la Milice à travers les trajectoires d’anciens miliciens et de résistants. « Mon honneur s’appelle fidélité» : telle était la devise des miliciens, à l’instar des Waffen SS, récitée au lendemain de la Grande Guerre. Avec un Joseph Darnand soldat volontaire en 1916. Après la boucherie, l’extrême droite prospère dans le milieu des anciens combattants. Le fascisme italien est un exemple, les antirépublicains et les antidémocrates s’additionnent, se multiplient dans les ligues. Ici, les Croix de feu du colonel de la Roque, les Camelots du roi de Charles Maurras (défilant avec des chants de haine et une canne plombée). Là, enfin, la Cagoule, organisation secrète constituée de civils d’extrême droite. À l’imitation de Franco, en Espagne, elle prépare un putsch. En attendant, elle vaque aux attentats, cible les antifascistes. Du travail récompensé en armes par les laquais de Mussolini. Pour ces gouapes, la guerre déclarée en 1939 est une aubaine. La raclure se sent pousser des ailes, ragaillardie par les eaux de Vichy. Les attaques sur le front de l’Est enthousiasment les ultras. Au premier rang, le PPF de Doriot, légion de volontaires français en uniforme allemand prêtant serment devant le führer. Dans l’esprit, la Milice se fait le prolongement du scoutisme intégré à l’ordre nouveau: contre la démocratie, pour l’autorité; contre la lèpre juive, pour la pureté française; contre l’anarchie, pour la discipline. À mi-chemin d’un documentaire très pédagogique, les réalisateurs citent quelques lignes du journal de Léon Werth: « Nous savions seulement que la France était vaincue. Et quelle que pût être la mutilation imposée par l’Allemagne, nous n’imaginions pas que la France, une partie de la France au moins, travaillerait ellemême à se mutiler, prendrait contre ellemême le parti du vainqueur.» De fait, ça dénonce, ça arrête, ça déporte, dépasse le cadre de la Collaboration. Un tableau de crevures qui prendront la fuite après le 6juin 1944. Parallèlement à cette diffusion, les éditions Montparnasse réunissent deux films d’André Halimi, la délation sous l’Occupation et Chantons sous l’Occupation, qui disent la complexité des comportements français de l’époque. Le premier reprend les vocations assassines de plus de trois millions de délateurs, le second revient sur la présence de l’armée allemande dans les salles de spectacle, distraite et amusée par les comédiens français.

France 3 Ouest, 15 h 50

Si la petite île s’est longtemps adossée, exclusivement même, à une économie de la pêche, les municipalités successives ont favorisé les mannes financières du tourisme. Résultat, les maçons ont remplacé les marins. L’île s’est prostituée, vendue aux promoteurs immobiliers.

DIMANCHE 8 MARS

Être femme Arte, 20 h 45

lant entre Sophocle et Machiavel, du Shakespeare dans le texte. Sans tomber dans le pathos, bien sûr, car William Karel n’a aucune sympathie pour cette femme qui a brutalisé la société anglaise. Il rappelle en images ses faits d’armes : les privatisations, la fermeture des mines, les millions de chômeurs, le système de protection sociale anéanti, le nombre de famille en dessous du seuil de pauvreté passant de 8 à 22 %, l’écrasement des syndicats et des membres de l’Armée républicaine irlandaise… Un tableau qui ressemble à une guerre civile sans armes. Aujourd’hui, la Dame de fer a 84 ans et elle est atteinte de la maladie d’Alzheimer. Le petit peuple anglais porte encore les stigmates de son action. Au Parlement, la statue de Thatcher (elle est le premier chef de gouvernement britannique à avoir eu cet honneur de son vivant) a été décapitée, cinq mois après son installation, par un chômeur de Brighton. _Jean-Claude Renard Mais qui a tué Maggie ?, jeudi 12 mars, 22 h 15, France 2 (1 h22).

Soirée thématique rebondissant sur la Journée internationale de la femme avec un documentaire de Diana Fabianova consacré aux règles, la Lune en moi. Il est précédé par un film de Claude Chabrol, Une affaire de femmes, centré sur le personnage de Marie Latour (interprétée par Isabelle Huppert), faiseuse d’anges, affranchie de la servitude conjugale et rattrapée par l’administration vichyste. Un drame cinglant où l’intime cède à l’universelle vacherie.

MARDI 10 MARS

Pain, pétrole et corruption Arte, 20 h 45

Au départ, il s’agit de satisfaire les besoins humanitaires de la population irakienne soumise à un embargo depuis l’invasion du Koweït en 1990. Six ans plus tard, donc, l’ONU lance un programme baptisé «Pétrole contre nourriture», censé permettre à l’Irak de vendre une quantité limitée de son pétrole et d’acheter en échange nourritures et médicaments. En sept ans, le programme a brassé quelque cent milliards de dollars. En janvier2004, un journal irakien publiait la liste des personnalités et des entreprises qui avaient croqué dans le gâteau, à coups de pots-de-vin. Denis Poncet et Rémy Burkel reviennent sur ce scandale sans trop de conséquences procédurières pour les pilleurs, entre documents inédits, archives et entretiens avec les acteurs directs. Quand l’humanitaire se cogne aux rapaces financiers, c’est le peuple irakien qui dérouille.

MARDI 10 MARS

L’Enfer des anges France 2, troisième partie de soirée

« Maggie » a anéanti le système de protection sociale anglais. GAUTREAU/AFP

Dans le cadre d’un «Ciné-club» consacré à l’enfance, le film de Christian-Jaque (1939) se veut un portrait du sousprolétariat de la fin des années1930, quand, dans la boue des faubourgs, des enfants livrés à eux-mêmes tombent dans la délinquance.

Milice, film noir Arte, 20 h 45

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Renouveler le féminisme À la veille du 8 mars, Journée internationale des femmes, Nicole Savy, responsable du groupe « Droits des femmes » de la Ligue des droits de l’Homme, observe l’état des luttes féministes en France.

Politis I Dans quelle situation se trouve aujourd’hui le mouvement féministe ? Nicole Savy I Si l’on s’en tient strictement au féminisme tel qu’on l’a connu durant les luttes des années 1970, les militantes de cette époque ont évidemment vieilli, et, bien souvent, les jeunes d’aujourd’hui ont du mal à se reconnaître dans le mot « féministe ». Certaines ont même tendance à considérer que les luttes de leurs mères ou de leurs grands-mères sont périmées. Cela veut dire qu’il faut inventer autre chose, aussi bien du point de vue de la dénomination que de la forme et même du contenu. Toutefois, ce à quoi le féminisme s’opposait à cette époque est toujours présent et, je le crains, se porte bien : les ennemis des droits des femmes sont toujours là, en nombre. Ce qui est archaïque, ce n’est pas le féminisme mais bien ce qu’il combat ! Je pense ici aux résistances aux droits des femmes, ou leur remise en cause comme dans le cas du droit à l’avortement, qui ne cesse de subir des attaques ou des tentatives de restrictions. La raison d’être du féminisme n’est pas morte, il faut simplement qu’il invente une forme historique nouvelle. C’est une constante dans l’histoire, les mouvements ont besoin de se renouveler : comme il y a eu plusieurs socialismes successifs, avec des échecs et des renaissances, il faut qu’il y ait plusieurs vagues de féminismes.

Est-ce compliqué d’être féministe aujourd’hui ? Je ne crois pas. Quand on a connu Mai 68 ou les années 1970, on se dit juste qu’on aimerait bien faire comprendre aux femmes et aux hommes des générations suivantes qu’il faut absolument continuer

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Manifestation à Paris, le 15 janvier 2005, pour célébrer les trente ans de la loi Veil et défendre le droit, toujours menacé, à l’IVG. PAVANI/AFP à se battre car les droits acquis ne sont jamais irréversibles et que les retours à l’ordre moral sont toujours possibles. Toutefois, même si nous sommes sans aucun doute moins nombreux/ses, il y a quand même des jeunes qui se réclament du féminisme.

Vu de l’extérieur, on a l’impression que la cause des femmes est acquise et qu’il n’y a plus besoin de se mobiliser vraiment sur ces sujets, en comparaison à d’autres formes de discriminations. Qu’en pensez-vous ? Je ne partage évidemment pas du tout ce sentiment. Pour se limiter à la France, je crois qu’il y a en ce moment un effet d’image, où l’on voit dans les médias ou à la tête de grands ministères un nombre élevé de femmes, y compris parmi les transfuges de la gauche. On s’imagine ainsi qu’avec la couverture de Paris

Match, la cause des femmes est arrivée parce que des femmes occupent des positions sociales importantes. Il est vrai qu’on voit aujourd’hui des femmes présidente du Medef, chancelière ou ministre de l’Économie et des Finances, ce qui, il y a dix ans, aurait été quasi inimaginable. C’est un changement incontestable, je le reconnais et m’en réjouis bien volontiers. Toutefois, cet effet d’image occulte la réalité sociale où, au contraire, la cause des femmes me semble en régression. Elles sont toujours les premières à être licenciées, à subir le travail précaire ou à temps partiel, sans parler des salaires qui sont toujours environ 30 % inférieurs à ceux des hommes aux mêmes postes, des retraites inférieures d’au moins 40 %, et des difficultés rencontrées par les familles « monoparentales », comme on les appelle alors qu’il s’agit à une écrasante majorité de femmes seules avec leurs enfants…

Sans parler non plus des droits spécifiques qui sont sans cesse attaqués, voire bafoués. Alors qu’on a en France une des législations les plus égalitaires, son application laisse largement à désirer, et on a même reculé ces dernières années. Par exemple, en ce qui concerne la contraception et l’avortement, il n’y a plus d’éducation sexuelle dans l’Éducation nationale. Autre chose : on ne forme plus de médecins gynécologues mais plutôt des obstétriciens, ce qui est très différent. En outre, nombre d’hôpitaux ne veulent plus pratiquer d’IVG parce que c’est très mal remboursé. Les contraceptifs les plus modernes de dernière génération, c’est-àdire les plus efficaces et les moins dosés, donc les moins dangereux, ne sont pas remboursés par la Sécurité sociale. Enfin, si on supprime les subventions du Planning familial, comme cela se profile malheureusement en dépit d’une importante mobilisation (1), on peut penser qu’on traverse une bien triste période pour les droits effectifs des femmes.

On a aussi l’impression que le mouvement féministe souffre de ses divisions, qui semblent profondes sur certains sujets, comme la question du voile… En effet. Il faut néanmoins rappeler que le mouvement a toujours connu des divisions importantes en son sein, et ce dès sa naissance. Il y a eu par exemple dans les années 1970 une tendance dite « différentialiste » ou « essentialiste » qui s’opposait à celles qui, comme moi,

voulaient articuler les droits des femmes et la lutte des classes, même si nous étions nous-mêmes très divisées. Je dirais donc que la division est sans doute un mal endémique du féminisme. Plus récemment, les divisions se sont exprimées sur d’autres sujets, et le voile est sans aucun doute une question majeure de ce point de vue. Depuis la première affaire de voile, celle au lycée de Creil en 1989, nous défendons à peu près les mêmes positions à la Ligue des droits de l’homme. Nous avions écrit au tout début des années 1990 un texte qui disait en substance « Ni voile ni exclusion ». Cela signifiait qu’en tant que féministes, nous refusions toute contrainte, toute oppression patriarcale des femmes – plus patriarcale que religieuse parce qu’on sait maintenant que le voile d’aujourd’hui n’a pas grand-chose à voir avec la tradition religieuse. Mais nous pensions également que nous n’avions pas, face à nous, des foulards ou des morceaux de tissu mais bien des êtres humains, des femmes qui avaient sans doute aussi besoin de s’exprimer, de se fabriquer une identité face au mauvais accueil qu’elles pouvaient recevoir dans la société française. Car on s’est aussi aperçu rapidement que, pour beaucoup d’entre elles, le foulard n’était pas imposé : c’était leur décision de le porter, et certaines d’entre elles prenaient en outre des positions pratiquement féministes et se battaient à leur manière pour leur émancipation. Même si nous ne partagions pas la forme qu’elles avaient choisie. On voit donc bien que cette question est compliquée. En tout cas, on veut considérer ces femmes comme des

êtres humains qui ne doivent pas être exclus, encore moins de l’école, où elles pourraient justement recevoir une éducation leur permettant de lutter pour leur émancipation, peut-être avec des formes différentes. Mais il est vrai que cette question a laissé des traces profondes au sein du mouvement féministe.

Y a-t-il un renouvellement de générations dans le mouvement féministe aujourd’hui ? Et y a-t-il des hommes aussi ? Ces derniers temps, nous avons travaillé avec des mutuelles étudiantes, et j’ai eu le plaisir de voir que, lorsque le droit à la contraception ou à l’avortement pouvait être remis en cause, des garçons se mobilisaient en expliquant que, pour eux, la contraception était quelque chose d’essentiel. Sur de telles questions, je crois que les jeunes sont prêts à bouger. Ils trouveront peut-être d’autres mots pour l’exprimer ou d’autres formes de lutte. De même pour la défense du Planning familial. Le succès de la pétition a surpris beaucoup d’entre nous par son ampleur. J’ai l’impression que les jeunes générations sont sensibles à ce type de sujets. C’est une raison d’être optimiste. Propos recueillis par Olivier Doubre

(1) Une pétition de soutien a déjà recueilli 100 000 signatures. On peut la signer sur www.planning-familial.org/petition-defense-loi-neuwirth Manifestation pour la Journée internationale des femmes samedi 7 mars. Départ du siège du Planning familial, 10 rue Vivienne, 75002 Paris, à 14 heures.

PARUTIONS La sollicitude, aliénation féminine ? Le Sexe de la sollicitude, Fabienne Brugère, Seuil, « Non conforme », 192 p., 16 euros.

« Qui prend soin des nouveau-nés, s’occupe des enfants et des personnes âgées? Des femmes. Qui, entre une activité professionnelle et des tâches domestiques et familiales, accomplit une double journée de travail? Encore des femmes.» Il semble aller de soi que les femmes « ont à faire avec le soin, la sollicitude». Philosophe, Fabienne Brugère examine cette « aliénation» des femmes que leur dicte la société dès leur plus jeune âge. Combinant les approches de la philosophie morale et les gender studies anglo-saxonnes, l’auteure

tente de penser la possibilité d’une nouvelle sollicitude, pour en libérer les femmes, sans « mettre en péril la démarche éthique du souci des autres». Un essai original sur une question centrale de la situation des femmes dans les sociétés contemporaines.

Théorie queer et littérature Queer : écritures de la différence ? (vol. 1 : Autres Temps, autres lieux, vol . 2 : Représentations : artistes et créations), Pierre Zoberman (dir.), L’Harmattan, 284 p. et 170 p., 27 euros et 18 euros.

On sait qu’aux États-Unis gender ou queer studies sont souvent menées dans les départements d’anglais ou de littérature. Pierre Zoberman, lui-même professeur

de littérature à l’université ParisXIII, a choisi d’inaugurer une nouvelle collection chez L’Harmattan, intitulée «Identités, genres, sexualités», par deux ouvrages collectifs consacrés aux « écritures de la différence» au cours des siècles, dans les textes de l’Antiquité, au Moyen Âge ou à l’époque moderne, ainsi que dans les pratiques culturelles sous d’autres latitudes (Afrique, Maghreb, Mexique, etc.). Analysant ainsi les « pratiques discursives queer», les auteurs poursuivent dans le second volume leur exploration des représentations, cette fois dans l’art et chez les artistes, des identités gaies, lesbiennes ou bisexuelles. Jusqu’à « la contestation de toute identité dans et par l’œuvre»…

Travail et genre. Regards croisés, France, Europe, Amérique latine, Margaret Maruani, Helena Hirata et Maria Rosa Lombardi (dir.), La Découverte, 280 p., 24 euros.

marchés du travail français ou européens et ceux d’Amérique latine, en particulier du Brésil, pour y observer la place des femmes et des hommes, et mettre en perspective des réalités a priori fort éloignées. Ils montrent ainsi combien, en dépit des différences, la situation des femmes au travail se ressemble à des milliers de kilomètres de distance, notamment du point de vue des écarts de salaires, de retraites, de carrières, de précarité et de conditions de travail. Des similitudes frappantes mises en lumière par ce travail rigoureux.

En ces temps de crise économique et de chômage en hausse, une trentaine de sociologues et d’économistes européens et latino-américains ont choisi l’analyse comparative entre les

On lira aussi, sur la question du corps et de ses usages politiques, l’excellent volume de Claude Guillon, Je chante le corps critique. Les usages politiques du corps (H & O Éditions, 416 p., 23 euros).

Brillant, ce travail est particulièrement novateur dans les contextes intellectuel et universitaire hexagonaux, encore trop souvent rétifs à la queer theory et aux pistes de recherches sur les identités sexuelles « dissidentes».

Le genre du travail

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Un enfermement absurde Une vengeance ? L’État français, en l’occurrence la droite au pouvoir, a-t-il voulu régler des comptes avec l’extrême gauche des années 1970 ? A-t-on droit à une seconde chance ? À quoi sert-il d’arrêter quelqu’un si longtemps après son acte, alors qu’on sait que cette personne a refait sa vie et ne représente plus aucun danger pour la société ? Ce sont là quelques-unes des questions que le lecteur se pose au fil du récit d’Hélène Castel sur son parcours carcéral, après son arrestation en mai 2004 au Mexique, où elle s’était réfugiée au début des années 1980, après avoir commis, selon ses propres mots, « une grosse bêtise », « une folie », c’est-à-dire sa participation à un hold-up d’une succursale de la BNP à Paris. Si l’on peut s’interroger sur le caractère de vengeance à son encontre de la part du ministère français de l’Intérieur (alors occupé par Dominique de Villepin), c’est que la « fugitive » a été arrêtée après plus de deux décennies d’une vie « normale » passées à se reconstruire en élevant sa fille et en écoutant la souffrance des autres comme psychothérapeute, soixante-douze heures seulement avant que sa peine prononcée au début des années 1980 ne soit prescrite. Trois petites journées avant le terme final lui garantissant le pardon, après un quart de siècle sans avoir commis le moindre impair. C’est par l’épisode douloureux de son interpellation sans ménagement que

Hélène Castel a tenté de comprendre l’origine de ses actes. THIEBLIN/OPALE

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Hélène Castel, arrêtée au Mexique trois jours avant la prescription de sa peine prononcée en France il y a plus de vingt ans, publie le récit de son incarcération.

commence le beau texte d’Hélène Castel : « Tous les quatre m’attrapent par les bras, les jambes, me ceinturent brusquement, me jetant avec force dans la voiture blindée. […] Je sais seulement que j’ai peur – une peur impalpable. » Débute alors son parcours carcéral, bringuebalée de prison en prison, d’une maison d’arrêt vétuste, « moyenâgeuse » même, à une centrale plus moderne à Mexico, puis son arrivée à FleuryMérogis, où elle découvre alors « l’effet déshumanisant, paralysant de cet isolement » auquel elle est soudain soumise en France, telle une condamnation supplémentaire, en tant que « DPS, détenue particulièrement surveillée ». Affamée après douze heures d’avion avec deux agents d’Interpol, elle demande simplement à manger à la première surveillante française à qui elle fait face. « “Vous pouvez bien attendre, Madame, vous êtes en prison”, avant de fermer la porte sèchement » sera la seule réponse qu’elle obtiendra en guise de bienvenue à son retour dans son pays d’origine. Alors qu’elle vient de quitter une prison mexicaine sans beaucoup de moyens mais plutôt plus « humaine », puisque les familles des détenues pouvaient venir les visiter assez facilement et même déjeuner avec elles au soleil dans la cour le dimanche, le choc est brutal quand elle se retrouve seule, dans sa cellule, réveillée chaque nuit toutes les deux heures. Et de s’interroger : « Est-ce cela, en France, la privation de liberté ? » Si ce livre est d’abord un témoignage émouvant sur la condition de détenu(e), condition particulièrement diminuée dans les prisons françaises où l’humiliation, la surpopulation, la crasse et la violence des rapports humains

tranchent avec la description de son expérience similaire au Mexique, il se veut aussi un démenti aux amalgames qu’a propagés la presse à son propos : « Action directe », et même « Brigades rouges »… Quelques années après les attentats du World Trade Center, Hélène Castel fut en effet présentée à son arrestation en mai 2004, sur indication de fonctionnaires français qui ont certainement écouté ses conversations téléphoniques avec son père, le sociologue Robert Castel, comme une dangereuse terroriste d’extrême gauche. Immergée dans les milieux marginaux des squatteurs parisiens de la fin des années 1970, entre révolte contre la société capitaliste et besoin de survivre, elle décide avec ses amis – sans aucune expérience – d’attaquer une banque. « Incapable de prendre vraiment en compte que c’étaient des personnes qui y travaillaient », la jeune femme ne veut voir alors « dans [s]on imaginaire, qu’un monstre spéculateur et déshumanisé ». Elle reconnaît volontiers aujourd’hui que cette vision « était simpliste, certes, mais j’y croyais »… Entreprise vouée à l’échec – l’un de ses amis succombera d’ailleurs à ses blessures, touché par les balles des policiers lorsqu’ils s’échappent, bredouilles, de l’agence bancaire –, qui l’obligera à un changement irréversible de vie mais aussi à commencer une réflexion sur elle-même. Celle-ci la conduira in fine à être à l’écoute des souffrances des autres : « La psychothérapie a été mon alliée pour pouvoir déployer à l’aide de la parole les plis superposés de mes tranches de vie. » Et ce livre est aussi l’aboutissement d’années d’interrogations pour « tenter de comprendre l’origine de [s]es actes ». Un récit, à la fois retour sur soi et moyen de survivre à l’enfermement et à l’isolement, dont les « mots, mes doux alliés » comme elle les nomme, lui ont permis de ne pas sombrer à son arrivée dans la cellule grise de Fleury-Mérogis. Des mots qu’elle sait employer avec brio, comme le montre ce livre, qui lui permettront aussi de se défendre à son procès. Condamnée à deux ans de prison avec sursis, elle retrouvera finalement Paris, la ville qu’elle avait quittée vingtquatre ans plus tôt. Ce livre est une belle illustration du droit à jouir d’une seconde chance. _Olivier Doubre Retour d’exil d’une femme recherchée, Hélène Castel, préface de Nancy Huston, Seuil, 252 p., 19 euros.

DE BONNE HUMEUR MOTS CROISÉS PAR JEAN-FRANÇOIS DEMAY GRILLE N° 7

HORIZONTAL :

I II III IV V VI VII VIII IX X 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

1. Il joue la comédie. 2. Femme de marin. Réfléchi. 3. Sciences du classement. 4. Mémoire de la télé. Pied de vigne. Ami d’Elliott, créé par Spielberg. 5. Donner les couleurs de l’arc-en-ciel. 6. Le Monde libertaire est son organe. À la mode mais un peu vieilli. Connaît. 7. Pour acheter des gommes et des cahiers. Conjonction. 8. Pour ne pas se perdre, il vaut mieux le suivre. 9. Célèbre pour ses Élections. Adapte la scie. 10. Pour ne pas dire guerre coloniale. VERTICAL :

Solution de la grille n° 6 : 1. Navigateur. 2. Erika. Être. 3. Siné. Baron. 4. Ta. Blêmi. 5. Onzain. Été. 6. Réintégrai. 7. Na. Fa. RG. 8. Etc. Tigron. 9. Ne. Lacée. 10. Sévère. Gué.

SÉBASTIEN FONTENELLE

I. Nestoriens. II. Ariane. Tee. III. Vin. Zinc. IV. Ikebana. Le. V. Gâ. Lit. Tar. VI. Bénéfice. VII. Team. Gage. VIII. Étrier. Reg. IX. Uro. Taro. X. Renseignée.

I. Comblée. II. Prêcheur. Manière. III. Samplai Lieu virtuel ou archéologique. IV. Canton suisse. Rigolé. Victoire irlandaise en juin 2008. V. Tourmentée. VI. Purgatif. Delanoë a inauguré son retour. VII. Elles se grisent à la cinquantaine. Prière à la Vierge. VIII. Part. X. Fatiguée. Mesure la solennité d’une fête. X. Reproduites.

Flagrant délit d’embabouchure Donc: Siné, poursuivi pour «incitation à la haine raciale», a été relaxé par le tribunal correctionnel de Lyon. ¡Muy bien! Bravo! Clapclapclapclapclapclapclap! (Applaudissements nourris.) C’est, pour de bon, une excellente nouvelle. (Surtout si on se rappelle que Philippe Val, directeur de Charlie Hebdo, n’a cessé de jurer, pour mieux justifier son renvoi, que jamais Siné ne pourrait gagner un tel procès: tant de pérenne clairvoyance force l’admiration.) Dommage collatéral: le magistrat qui l’a déclaré non coupable, Fernand Schir, a désormais son fan-club, qui le présente comme une espèce de champion toutes catégories de la liberté d’expression, la vraie. (Celle qui promet: qu’il-pleuve-ou-qu’il-vente-nous-ne-nous-laisserons-plusJAMAIS-intimider-par-les-oukazes-de-Charlie-Hebdo.)

Or, je ne voudrais pas (trop) gâcher la fête, mais il me semble qu’un tout petit détail est passé un peu inaperçu: c’est que ce vaillant Fernand, pour étayer sa plaidoirie, a tranquillement déclaré, je cite, que, dès lors qu’« une société démocratique» (la nôtre, en l’occurrence) « tolère les croyants embabouchés, en sarouel ou en tchador(1) » , mâme Dupont? la réciproque doit s’imposer, Identifier l’islam reconnaissez que ce n’est que justice, de au port d’un sorte que: « Les embabouchés en sarouel ou en tchador doivent tolérer les critiques des sarouel, comme athées(2). » fait le coruscant C’est marrant, hein, comme, dans ce pays, Fernand, est aussi tout retombe toujours sur la gueule des musulmans. pertinent que Fernand Schir, on l’aura noté, avait à sa d’ériger le béret disposition un large panel de croyances. béarnais en signe Mais ila fait le choix de moquer plutôt l’islam, entre toutes ces religions: dans un de soumission pays dont le président considère, ditaux bulles on (3), qu’il y a autour de nous trop de de Ratzinger. mahométans (et qu’ils devraient tout de même cesser de tuer tant de moutons dans leurs baignoires), c’est vrai que c’est plus prudent. Ce magistrat est courageux, mais pas téméraire, tout de même. Ce magistrat, également, néglige que ni les babouches ni (surtout) le sarouel ne sont des attributs religieux: il s’agit de banals vêtements – d’un usage, il est vrai, plus courant à Chinguetti (ou à Tamanrasset) qu’à Saint-Pourçain-sur-Sioule. Pour le dire autrement: identifier l’islam au port d’un sarouel, comme fait le coruscant Fernand, est aussi pertinent que d’ériger le béret béarnais en signe de soumission aux bulles de Ratzinger. En somme, et sous couvert d’une défense désinhibée de la liberté d’expression, Fernand Schir met dans un même sac les Arabes, les musulmans, et sans doute aussi quelques Noirs, car la babouche est voyageuse. En cela, il est tellement de son temps, qu’un de ces jours Charlie Hebdo lui fera sans doute une ovation. (1) http://www.bakchich.info/Relax-Bob.html (2) Cet « embabouchés » a dû faire marrer grassement Dupont-Lajoie… (3) http://bruxelles.blogs.liberation.fr/coulisses/2007/11/sarkozy-et-les-.html 5 mar s 2 00 9

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RÉSISTANCES IMMIGRATION Depuis un an, grèves et occupations d’entreprises ont permis la régularisation de plus d’un millier de travailleurs sans papiers. Bilan d’une lutte efficace.

Des papiers à l’arraché omme tous les travailleurs, ils triment, cotisent et payent des impôts, mais ne sont pas des salariés comme les autres, car ils n’ont pas de papiers (voir Politis n° 1036). Pour gagner cette dignité qu’on leur refuse, des milliers de sanspapiers impulsent un mouvement sans précédent en France, au sortir de l’hiver 2008. Les grèves qui émergent au sein de multiples entreprises n’ont qu’un objectif : obtenir leur régularisation et la reconnaissance de leurs années de travail au bénéfice de l’économie française. Un an après la brèche ouverte par les neuf cuisiniers du restaurant parisien La Grande Armée, dès février 2008, entre 1 270 et 1 700 salariés sanspapiers ont acquis ce sésame tant désiré pour vivre légalement en France.

C

En quelques mois, la mobilisation prend une ampleur inattendue. « Le 15 avril, cela fera un an que le mouvement a vraiment débuté », précise Francine Blanche, de la CGT. Dès cette date, «plus d’une trentaine d’entreprises d’Ile-de-France sont concernées, soit environ 500 sans-papiers », confirme Jean-Claude Amara de Droits devant ! C’est le début d’une action qui va se propager à l’ensemble du pays et des secteurs d’activités. D’autres vagues suivent, portant le nombre de grévistes à plus d’un millier. Les syndicats finissent par s’emparer du mouvement, même si cela ne va pas sans anicroches. Pour preuve, l’occupation, depuis dix mois maintenant, des locaux de la CGT à la Bourse du travail de Paris par plusieurs centaines de sans-papiers qui reprochent à la confédération son manque de combativité et sa volonté de récupérer le mouvement. Quoi qu’il en soit, « on ne peut accepter que des salariés se retrouvent sans aucun droit dans les entreprises », résume Francine Blanche. Ces employés démunis de tout recours sont souvent exploités : salaires en dessous du Smic, accumulation des heures supplémentaires pas toujours payées, contrats à temps partiel pour travail à temps plein… Peu habitués à des mobilisations de ce genre, les syndicats apportent leur expertise du droit à des salariés très précaires qui

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Des sans-papiers occupent depuis dix mois la Bourse du travail à Paris, reprochant à la CGT son manque de combativité. VERDY/AFP le méconnaissent. Ces derniers apprennent ainsi que l’article 40 de la loi du 20 novembre 2007 autorise la venue d’étrangers pour travailler dans des secteurs « en difficulté de recrutement »… Des occupations d’entreprises et des négociations avec les patrons sont menées pour obliger ces derniers à signer le document nécessaire à l’obtention des papiers et une promesse d’embauche, sésame pour la régularisation. « Nous constituons aussi les dossiers et accompagnons les sanspapiers à la préfecture pour les déposer. Seuls, ils risquent de se faire expulser », indique la CGT. À la suite des premiers mouvements médiatiques, comme la grève des restaurants Buffalo Gril à l’été 2007, les premières victoires tombent dès janvier 2008. Une circulaire rend alors possible la régularisation sur demande de l’employeur, à condition que le salarié travaille dans un secteur en difficulté de recrutement avec un contrat ferme d’un an. Autre avancée : depuis le 15 décembre 2008, l’autorisation provisoire de travail suspend toute expulsion éventuelle.

À ce jour, « des milliers de personnes ont été régularisées », se réjouit JeanClaude Amara. Le gouvernement en annonce moins de 1 400. Difficile de tenir les comptes : des employeurs et des sans-papiers se rendent désormais d’eux-mêmes dans les préfectures pour déposer un dossier. En outre, si des droits ont été acquis, encore faut-il en vérifier la bonne application. Sans compter les anomalies relevées ici et là : « Ceux qui sont régularisés doivent s’acquitter de 190 euros de taxe de chancellerie concernant les personnes entrées illégalement en France, soit le double du visa légal », s’étonne Benoît Clément, de Solidaires Paris. Parmi les travailleurs démunis de papiers, le sort des intérimaires est encore plus complexe. Pendant longtemps, le gouvernement français s’est refusé à mener des négociations les concernant : « En juillet 2008, Brice Hortefeux a affirmé qu’il n’y aurait pas de régularisations pour eux car ils n’avaient pas d’employeurs », atteste Yannick Poulain de la CGT intérim (Usi-CGT). Le travail intérimaire n’étant pas prévu dans la

circulaire de janvier 2008, qui pose comme critère une embauche effective d’au moins un an dans une entreprise, les syndicats et les sans-papiers sont confrontés à un vide juridique. Les locaux parisiens des principales entreprises d’intérim, Vedior Bis, Adecco et Manpower, ont donc été récemment investis par Droits devant !, Usi-CGT et Solidaires. « Nous n’avons rien contre ces agences, indique Yannick Poulain, mais ces occupations ont permis d’impulser des négociations avec la direction générale des enseignes. » « Il fallait un accord national », confirme Francine Blanche. Le 25 février, de nouveaux critères de régularisation édictés depuis un mois ont ainsi permis la régularisation de quatre intérimaires de Man-BTP, après plus de huit mois de luttes. Autres salariés en difficulté : les travailleurs algériens. « La France se sert d’un accord conclu avec l’Algérie et modifié récemment pour exclure ces travailleurs des régularisations », explique Jean-Claude Amara. Droits devant ! mène des négociations avec différentes ambassades pour éviter qu’elles ne s’engagent dans un accord similaire. Loin de s’essouffler, le mouvement poursuit ses actions. Mais des obstacles persistent. Après la mauvaise volonté de certains patrons, il a fallu faire face à celle du gouvernement. « Au début, les régularisations se faisaient rapidement, puis le gouvernement a imposé des critères, raconte Jean-Claude Amara. On est passés d’une durée d’un an à cinq ans de présence sur le territoire » pour obtenir des papiers. En outre, les retards s’accumulent en préfecture pour les demandes de régularisation. Au manque de personnel s’ajoute « peutêtre une volonté politique », selon Benoît Clément. Au-delà de la lutte sociale et de l’obtention d’un permis de séjour, les sans-papiers ont gagné cette dignité tant désirée. Pour Jean-Claude Amara, « avec 68 % de Français favorables aux régularisations, la lutte a eu la vertu de changer leur regard sur ces travailleurs ». _Pauline Baron Droits devant !, 01 42 58 82 22 ; CGT, 01 48 18 80 00 ; Usi-CGT, 01 48 18 84 16 ; Solidaires Paris, 01 58 39 30 20.

PRESSE

SUR LE TERRAIN

TC en danger

LOGEMENT

« Témoignage chrétien va-t-il mourir ? », questionne brutalement l’hebdomadaire de gauche. « La simple considération des chiffres comptables ne donne plus au journal que quelques mois d’espérance de vie », confirme le PDG, Hubert Debbasch, en marge de l’appel aux dons lancé par ce titre né en 1941 d’un mouvement de résistance au nazisme (1). TC invite toutes les bonnes volontés à « prendre une part active dans le sauvetage du journal et dans sa renaissance ». Les dons effectués à l’association Témoignage chrétien et les apports au capital « permettront aux lecteurs de renforcer l’indépendance du journal ». _X. F. (1) www.temoignagechretien.fr

SOLIDARITÉ Une caravane citoyenne et humanitaire tente de rejoindre la Palestine. Témoignage.

Sur la route de Gaza

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etraité de l’Éducation nationale, Claude Ganne a intégré la caravane, partie d’Angleterre le 14 février, à Bègles (1). Coincé à la frontière algéro-marocaine, il nous raconte son périple : « À Bègles, le 15 février, une centaine de personnes avaient préparé de la nourriture pour les caravaniers. Aucun élu ou officiel n’était présent. Le lendemain, départ vers Madrid des 110 véhicules, essentiellement des fourgons (remplis de couvertures, de vêtements et d’objets de première nécessité), des ambulances, des camions et un 4X4 tirant un bateau pour les pêcheurs. À Madrid, les caravaniers arrivent entre 3 h 30 et 6 h du matin. Le lendemain, à 11 heures, cérémonie d’accueil par la mairie d’une commune de la banlieue madrilène. Discours de l’ambassadeur de Palestine à Madrid et de George Galloway, député britannique et initiateur de la caravane. Moment émouvant, en présence de nombreux médias. En fin d’après-midi, départ pour Tarifa, le port du bout de l’Espagne. Il faudra trois ferries pour passer la caravane à Tanger. Là, l’émotion change d’échelle. Il ne s’agit plus du soutien de militants mais bien du soutien du peuple. Trois cents personnes manifestent sur le quai du port. Sourires de circonstance des officiels marocains. Les tee-shirts « Viva Palestina » nous sont confisqués. Nous

les étrangers démunis sans-papiers et leur donner accès à la couverture santé à laquelle ils ont droit: l’AME, dispositif répondant avant tout à des impératifs de santé publique», rappellent les associations. Cette dénonciation « crée un précédent qui […] ne peut qu’entraver toute action de santé publique vis-à-vis des bénéficiaires de l’AME».

BONAVENTURE/AFP

Volte-face de l’État Ça chauffe du côté de la rue de la Banque, à Paris, où les familles mal logées en lutte ont été délogées par la police le 25février. Bilan: « Deux personnes, dont une des principales déléguées, ont été hospitalisées et quatre mères de famille sont légèrement blessées», selon Droit au logement (DAL), qui ne décolère pas face à l’enlisement des négociations. Lors de la dernière réunion, où devait être signé l’engagement de relogement, « les représentants de l’État ont opéré une volte-face qui remet en cause l’accord de principe établi le 13février en présence du directeur de cabinet de la ministre du Logement, explique le DAL. Ce retournement est de nature à décrédibiliser les autres engagements. […] Une fois de plus la force et la brutalité priment». Par ailleurs, le DAL appelle à manifester « contre les expulsions et pour le droit au logement» le 15mars à 14h30, place de la République à Paris. www.droitaulogement.org

SANS-PAPIERS Piégé par la Sécu

Les membres de la caravane sur le port de Tanger. CLAUDE GANNE. prenons le chemin de Oujda via Rabat, Fès et Sidi-Harazem, où nous arrivons à 4 heures du matin. Après une journée de repos, départ pour la frontière algérienne. Même si nous avons traversé le Maroc de nuit et sous forte escorte policière, le soutien populaire au peuple palestinien est partout. Malgré mon visa, je suis bloqué à la frontière algérienne le 21 février. Retour en France. J’ai pris un vol pour Le Caire le 28 février, la veille de l’arrivée de la caravane là-bas. » Le convoi devait alors partir pour Rafah, « seul moment vraiment important de cet acte de solidarité », en espérant pouvoir accéder à la bande de Gaza (2).

À Auxerre, le 3février, un sans-papiers angolais et un responsable d’Emmaüs se présentent sur convocation de la Caisse d’assurance-maladie de l’Yonne pour retirer une attestation d’Aide médicale de l’État (AME). Selon le témoignage d’Emmaüs, l’agent de la caisse d’Auxerre téléphone à la préfecture, qui lui demande « de saisir le passeport» du sans-papiers. Puis « la police vient procéder à son arrestation». Le Comité médical pour les exilés (Comede) et la Cimade se demandent pourquoi une caisse de Sécurité sociale « appelle la préfecture pour vérifier l’identité d’un sans-papiers». Les caisses d’assurance-maladie « doivent conseiller

PRISONS Pas de précipitation Consternés par la déclaration d’urgence qui frappe le projet de loi pénitentiaire, les États généraux de la condition pénitentiaire (1) estiment cette « soudaine décision» du gouvernement « injustifiable

GUILLOT/AFP

et illégitime». Une telle procédure contraint en effet le Sénat et l’Assemblée à un seul examen en séance plénière du texte, « ce qui apparaît fondamentalement incompatible» avec l’ambitieux programme de réhabilitation des prisons annoncé par le garde des Sceaux. Les États généraux de la condition pénitentiaire appellent les présidents des deux chambres à refuser la procédure accélérée et ainsi à permettre de rétablir les conditions nécessaires au déroulement d’un chantier législatif en accord avec la promesse sarkozyenne selon la laquelle « la prison doit changer». (1) Parmi les membres : Fnars, syndicat de la magistrature, Observatoire international des prisons, Ligue des droits de l’homme, syndicat des avocats de France, CGT pénitentiaire. www.etatsgenerauxprisons.org

C U LT U R E Aider le Café-lecture Le Café-lecture à Clermont-Ferrand, premier du genre, qui a fait des petits partout en France, rencontre de sérieuses difficultés financières. Les subventions habituellement versées à l’association gérante ayant été réduites, ce lieu culturel symbolique de l’éducation populaire risque de disparaître.

_Propos recueillis par Xavier Frison (1) www.vivapalestina.org (2) Campagne « Stop au blocus de Gaza ! »: www.oxfamfrance.org

Emmaüs (emmaus-france.org), Comede (comede.org), Cimade (cimade.org).

HUGUEN/AFP

Café-lecture de Clermont : 04 73 31 50 48, [email protected]. www.cafe_lecture.ouvaton.org 5 mars 2 0 09

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LE POINT DE VUE DES LECTEURS En Europe, un RME, revenu minimum d’existence, pourrait se situer entre 500 et 1 000 euros. Et un RMA, revenu maximum autorisé : 10 fois, 20 fois le Smic ? Jean-Pierre Mouvaux, Lannebert

Guadeloupe : un homme est mort Qu’importe la couleur, qu’importent le lieu et l’heure, un homme est mort. Il serait dangereux et caricatural de dire, au vu du contexte, que cette mort a pu être déclenchée, souhaitée, attendue, pour servir des calculs politiques particuliers. Et pourtant… Un système idéologique

qui intègre l’existence de laisséspour-compte au nom de la réussite individuelle. Une organisation politique qui, depuis des mois, finit de déconstruire les outils du lien social et projette de mener cette déstructuration volontaire à son terme. Un gouvernement qui, depuis sa formation, manipule, divise, oppose les intérêts

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« LBO Les insoumis » d’Olivier Minh « La nouvelle technique financière qui précarise l’emploi à la vitesse de la lumière ! » Le rachat-vente de sociétés (LBO) est une technique très en vogue aujourd’hui chez les fonds d’investissement qui disposent de moyens considérables. L’obligation de rentabilité extrême qui est imposée à ces sociétés rachetées rend les conditions de travail insoutenables pour leurs salariés. Face à l’immense puissance de la finance internationale, le combat des salariés victimes de LBO semble perdu d’avance. Pourtant certains d’entre eux résistent et la mobilisation semble gagner du terrain.

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particuliers au détriment de l’intérêt général. Qui se glorifie des enfants exclus, qui cache derrière le masque enjôleur de la réforme sa soumission à une idéologie rétrograde et conservatrice. Un chef de l’État qui doit son élection à la manipulation habile et constante de la peur de l’autre, l’immigré, le jeune, le salarié, tous renvoyés à un droit opposable qui isole l’individu face à la loi du plus fort. Tout n’estil pas réuni pour cette dérive du pire ? Des questions resteront posées, qui verront les beaux parleurs se draper dans la légitimité républicaine. Pourquoi est-il plus facile de cerner un village de Corrèze que de maintenir l’ordre dans des quartiers délaissés par la République ? Comment peut-on défendre jusqu’à l’aveuglement une idéologie brutale, forme policée de la loi de la jungle, et brandir le voile pudique du bien public, après avoir laissé pourrir depuis des semaines l’expression légitime d’un désir de justice ? Laisser mourir un homme au nom de la défense d’intérêts, ce n’est pas défendre des intérêts, c’est laisser mourir un homme. Isabelle Chastang, Henri Clavé, Limoges

La formation des professeurs des écoles Dans le torrent des réformes touchant l’école primaire, ce n’est pas la masterisation de la formation des futurs enseignants qui a fait le plus de bruit : il a fallu du temps pour qu’apparaissent ses insuffisances et ses dangers. L’ambition du ministre Xavier Darcos est pourtant des plus hautes : « L’enjeu de cette réforme est qualitatif : une meilleure qualité de la formation des futurs enseignants pour assurer une meilleure qualité de l’enseignement délivré à nos élèves. » Face à ce projet, beaucoup se sont contentés de dire (de penser ?) que le master était une bonne chose. Me permettez-vous d’être dubitatif ? Qu’est-ce qui est le plus important ? Le niveau de formation (bac + 5) ou la qualité d’une formation professionnelle dont on sait qu’elle est fondamentale pour bien former les jeunes de demain ? Les deux pourraient aller de pair, me direz-vous. Certes, mais ce qui est sûr, c’est qu’à quelques mois de

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la rentrée, ce master, construit dans la précipitation la plus grande, n’offre aucune garantie d’une formation meilleure que la précédente et que le pire est probable. Rappelons que les enseignants du primaire sont actuellement recrutés après une licence et bénéficient d’une année de formation professionnelle. Dans ce cadre, fixé par le ministère, l’IUFM essaie de faire l’essentiel : mettre en place les conditions d’une véritable alternance entre cours théoriques et stages pratiques. Depuis trois ans, à la suite de la réforme du ministre Gilles de Robien (de droite, pourtant !), ces stagiaires bénéficient d’un stage « filé » annuel (ils sont tous les lundis dans une classe), de stages massés en responsabilité (sept semaines réparties en trois + quatre) et de stages de pratique accompagnée dans la classe d’un maître formateur. Ces stages sont préparés, analysés, et les stagiaires sont suivis par un référent. Est-il possible de faire mieux ? Ce n’est pas certain, même s’il est sûr qu’une formation étalée sur deux ans éviterait le risque d’indigestion… Est-ce à dire que tout est merveilleux à l’IUFM ? Sans doute pas ! Des questions se posent, notamment celle-ci : qui est vraiment légitime pour former à ce métier ? Les maîtres de conférence, par leur connaissance de la théorie et des travaux de recherche ? Les maîtres formateurs (instituteurs

AGENDA POLITIS courrier des lecteurs, 2, impasse Delaunay, 75011 Paris.

01 43 48 04 00 (fax) [email protected] (e-mail)

partiellement déchargés de leur classe), dont la connaissance du métier est indispensable à une vraie formation professionnelle ? Les deux évidemment, avec des temps de stage, notamment en responsabilité, notoirement insuffisants dans le cadre actuel du master. Il est à craindre qu’en voulant faire des économies aujourd’hui (les futurs étudiants en master ne seront plus payés, au contraire des stagiaires actuels ; les IUFM, comme les IUT, coûtent plus cher que l’université, etc.), Xavier Darcos n’ait fait que sacrifier l’avenir.

Il me semble pourtant qu’il ne manque pas de termes alternatifs, du plus neutre (mesure) au plus radical (casse) en passant par la référence historique (contreréforme). Il s’agit en tout cas de reconquérir les esprits, comme les altermondialistes ont su le faire visà-vis du terme « antimondialistes », dont on les avait affublés pour les dénigrer. Dans cette reconquête linguistique, la presse a évidemment un rôle essentiel à jouer. À la lecture de l’article de Michel Soudais dans le n° 1040, qui l’emploie à quatre reprises, il apparaît que Politis devra y prendre toute sa part !

Didier Clech, Brest

Bertrand Eberhard, Paris

Le salaire des patrons Barack

Le rôle de l’université

Obama propose de limiter à 500 000 dollars annuels le salaire des patrons, Nicolas Sarkozy s'agite et veut moraliser (mais surtout pas réguler). Je suis un peu étonnée que personne à gauche n'embraye pour obtenir tout de suite la même chose en France. Prenons Sarko à son discours : pourquoi pas une pétition pour exiger la même chose, très vite (en attendant, bien sûr, des jours meilleurs…) ?

« L’université entre humanisme et marché : redéfinir les valeurs et le rôle de l’université au XXIe siècle », il ne s’agit pas d’un séminaire d’un parti d’extrême gauche, mais du titre de la conférence de lancement d’un projet du Comité directeur de l’enseignement supérieur et de la recherche du Conseil de l’Europe, en 2007. « L’université entre humanisme et marché » : ne sommes-nous pas là au cœur des enjeux dans le conflit ouvert entre le gouvernement et le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche ? Clark Kerr, professeur d’économie californien, écrivait en 2001 : « De toutes les institutions qui existaient dans le monde occidental en 1520, il n’en reste aujourd’hui que 85 : l’Église catholique, les Parlements de l’île de Man, d’Islande et de Grande-Bretagne, plusieurs cantons suisses et quelque 70 universités. » Cette phrase peut être interprétée comme le signe d’un conservatisme exacerbé des universitaires. Peutêtre, mais cela veut surtout dire que l’Université a été capable de résister pendant des siècles aux aléas et aux caprices de l’histoire afin de défendre au mieux, en

Anne-Laure Bacquelot

Vous avez dit « réforme » ? Mais quand donc les forces politiques et syndicales qui contestent les politiques néolibérales de casse des services publics et du droit du travail cesseront-elles d’employer sans réfléchir le langage forgé par leurs adversaires ? Lorsque j’entends Bernard Thibaud, Benoît Hamon ou même Olivier Besancenot – mais j’aurais pu citer n’importe quel représentant d’une gauche à peu près digne de ce nom (s’agissant des autres, cet emprunt est somme toute naturel…) – parler, même en les contestant et pour les combattre, des « réformes » de Nicolas Sarkozy, il me semble qu’ils ont déjà perdu en partie le combat. Comment voulez-vous mobiliser, au-delà des militants déjà convaincus, contre des « réformes » ? N’importe quel dictionnaire vous apprendra qu’une réforme est l’action de rétablir dans une forme meilleure.

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préservant une indépendance de pensée, quelques valeurs essentielles de l’humanité. Elle a été, jusqu’à présent, l’un des vecteurs principaux d’accès au savoir, à la culture, à la réflexion, progressivement ouverts au plus grand nombre. À propos des universités françaises, des observateurs parmi d’autres dénonçaient récemment l’« inadaptation générale de l’Université aux besoins de la société et de l’économie ». Voilà la question à laquelle les universitaires doivent impérativement répondre : l’Université doit-elle se plier aux besoins de la société et de l’économie ? Pourquoi pas ? seraiton tenté de répondre. Mais à ceci près : quels sont-ils, les besoins dominants de la société et de l’économie ? N’est-ce pas consommer, vendre, acheter, engranger des devises dans le mépris et la domination des plus faibles et de la nature ? Dans le cadre des réformes de l’enseignement supérieur, largement engagées par le gouvernement, on nous demande donc d’accepter une université plus performante car plus autonome, y compris financièrement, et dirigée par un président aux pouvoirs fortement élargis. Mais une université autonome dirigée par un président/PDG, et de laquelle l’État s’est désengagé, sera dans l’incapacité de résister aux lois de l’économie en vigueur. Pour garantir l’existence même de ces universités, les universitaires n’auront d’autre choix que d’abonder dans un type de fonctionnement qui sera dicté par le monde économique du moment, dont on connaît la finalité, et qui assurera une part croissante de leur financement. Les universitaires n’auront également d’autres choix que de former des étudiants directement opérationnels pour faire fonctionner ce monde déshumanisé qui va droit dans le mur. Que choisissons-nous de défendre au sein de l’université : humanisme ou marché ? Gilbert Féraud, directeur de recherche au CNRS

L’Île-Saint-Denis (93) : du 1er au 15 mars, L’Île-Saint-Denis et Ecocene-Matière première organisent leur Festival d’écologie urbaine et populaire sur le thème «Malbouffe, OGM, pollution… Nous disons stop! La résistance populaire s’organise face à la crise de l’environnement». Films et documentaires sur les résistances écologiques, débats avec Noël Mamère, Patrick Braouezec, Claude Bartolone, José Bové, Gilles Lemaire, Marie-Christine Blandin, etc. Avec Politis. Pass 3 jours, 2euros; gratuit pour les moins de 15 ans. Centre culturel Jean-Vilar, 3, rue Lénine. Res. : [email protected], 06 35 33 89 23

Paris XIe : le 5 mars, de 19 h à 22 h, le collectif Votation citoyenne organise une réunion publique pour l’élargissement du suffrage universel et le droit de vote des étrangers. Avec Daniel Cohn-Bendit, Marie-George Buffet, Olivier Besancenot, Patrick Bloche (maire du XIe), Michelle Perrot (historienne), Mouloud Aounit, Annick Coupé, etc. Salle des fêtes de la mairie du XIe, place Léon-Blum. www.ldh-france.org

Champigny-sur-Marne (94) : le 12 mars, le groupe Attac de Champigny-sur-Marne organise une projection du film de Daniel Mermet et Olivier Azam Chomsky et compagnie. Le film sera suivi d’un débat avec Daniel Mermet. Studio 66, 66 rue Jean-Jaurès. Rens. : [email protected], [email protected]

Houilles (78) : le 13 mars, à 20h30, le groupe local d’Attac de Houilles organise une réunion publique sur la décroissance. Avec Vincent Liégey, objecteur de croissance, porte-parole du Parti pour la décroissance. Rue Marceau, salle Marceau. [email protected]

Arles (13) : le 22 mars, à 10heures, Attac Pays d’Arles reprend ses «Alter randonnées» et vous propose de parcourir les Alpilles orientales. Randonnée facile de trois heures autour d’Orgon. N’oubliez pas votre pique-nique. Rendez-vous à 10 h place Lamartine à Arles ou à 11 h sur le parking de la place Albert-Gérard à Orgon. www.local.attac.org/13/arles

www. p oli tis. fr Consulter l’agenda militant mis à jour régulièrement 5 mar s 2 00 9

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BLOC-NOTES

PRÉVOIR igolade Si tant de gens de par le monde n’en étaient aussi atteints – jusqu’à la misère, à la famine, au dénuement, au désespoir –, nous autres que « la crise » n’affecte guère ou pas encore, que nos situations personnelles – âge, statut, besoins (nous avons toujours su nous passer de Rolex, même la quarantaine sonnée, pauvre pomme !) – rendent relativement peu sensibles à ses effets ; nous qui craignons moins pour nous que, par procuration, pour une descendance dont on se dit qu’elle n’aura pas la vie facile, qu’elle pourrait même vivre de grands drames et effrois : nous nous laisserions aller sans retenue à une intense rigolade à l’écoute de tant de gens d’importance (politiques, économistes, sociologues… ou journalistes) qui continuent de pérorer dès qu’un micro se tend ou que s’offre une tribune sur une situation que non seulement ils n’ont pas vu venir, mais dont ils niaient avec superbe – tant le système leur paraissait insurpassable, indépassable et paré de toutes les vertus – qu’elle puisse jamais connaître autre chose que de bénignes turbulences, des trous d’air dérisoires auxquels une pression ferme et assurée sur le manche à balai de notre commun aéronef (et il n’y en a qu’un pour tout le monde… Un pilote dans l’avion ? Pardi, bien sûr, la main invisible du Marché !) saurait promptement remédier. Rigolons donc, avant que d’avoir à pleurer. Rions sans retenue, à gorge d’employé (comme disait le gars qui vient de perdre le sien, d’emploi) au discours sans vergogne de tous ces Diafoirus, ces Pangloss de la « mondialisation heureuse », ces professeurs en tinatologie (1), ces docteurs en « pwofitasyon » – comme disent nos frères révoltés des Antilles, qui nous donnent ces temps-ci tant de belles leçons (2). Gaussons-nous de les entendre dire à l’envi : « La crise ? On ne pouvait pas prévoir ! Personne ne l’a vu venir ! » Personne, vraiment ?

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ragédie collective Parlez pour vous, mes chéris ! Je vais faire preuve d’un brin d’outrecuidance : il y a plus de vingt ans que ce journal est né, et précisément à partir de cette intuition (cette certitude…) qu’une civilisation fondée sur la consommation à outrance et sur le seul profit était vouée à la tragédie collective.

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Avant même le premier numéro de Politis, l’équipe fondatrice, pour réunir les fonds nécessaires auprès des futurs (et alors hypothétiques) lecteurs-actionnaires, faisait paraître dans l’indifférence quasi générale un manifeste de quatre pages, distribué dans toute la France lors de centaines de réunions publiques, et qui pointait l’inéluctabilité d’une crise majeure si rien ne venait corriger les dégâts déjà sensibles d’un libéralisme en état de démence mégalomaniaque avancé. Nous pointions, déjà, la déliquescence d’une classe politique en pleine dérive affairiste et préoccupée de ses seuls intérêts électoraux – et singulièrement d’une gauche socialiste au pouvoir depuis un septennat et qui avait à peu près tout renié des aspirations populaires qui l’y avaient installée (tout en caressant l’espoir qu’elle se reprenne, et sur ce point nous nous trompions, le second principat de Mitterrand se révélant à l’usage pire que le premier !). « Nous ne distinguons plus rien, dans le discours politique, qui soit porteur d’avenir », écrivions-nous. « Crise des valeurs, crise des idées, manque évident d’un projet mobilisateur, d’un modèle de développement économique et culturel alternatif, absence de toute parole d’espoir… » Ce n’était pas mal vu.

ingards Et nous nous sommes, dès le commencement de l’aventure, consacrés à ce journalisme du dissensus, de la dénonciation, à contre-courant d’une presse qui n’a cessé, à de rares exceptions près, de flatter les puissants et de louanger l’excellence de leur « gouvernance », la lucidité de leur magistère. Nous étions les ringards, ils étaient les modernes : « Tapie-Séguéla, SéguélaTapie, le duo-vedette du premier septennat s’installe durablement sur le podium. La France se met à parler “tapseg” […]. Ce qui nous semble marquer les années quatre-vingt, ces années fric qui coïncident avec l’arrivée au pouvoir de la gauche, c’est que l’esprit de lucre s’est emparé de tout le corps social. Les boursicoteurs, les profiteurs, les trafiquants de tout poil ont toujours

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prospéré au sein de la bourgeoisie française : du moins celle-ci s’efforçait-elle de les cacher, évitait-elle de les donner en exemple. On devra aux socialistes de les avoir au contraire hissés sur le pavois, d’en avoir fait des modèles, de les avoir transformés en héros positifs des temps modernes […]. C’est le règne des “gagneurs”, des battants, des performants. Sourires éclatants, hâles permanents, bien dans leur peau, dans leurs pompes. Ils sautent de leurs jets privés pour débouler sur les plateaux de télévision où les attendent des créatures de rêve. Ils sont les chevaliers des temps modernes, les figures emblématiques de la France de demain. Dans son deux piècescuisine, le smicard regarde Germaine, dans son peignoir fatigué, et courbe la tête, honteux de sa propre médiocrité. On s’étonnera, après, du score de Le Pen et de la courbe exponentielle de l’abstention (3). » Sans en rajouter dans l’autosatisfaction, je dois ajouter que nous fûmes les premiers de la presse généraliste hebdomadaire à ouvrir une rubrique « écologie », et sans la limiter à la célébration des fleurs et des petits oiseaux, mais en lui donnant d’emblée sa dimension politique : là encore, instruits par notre vieil et fidèle ami René Dumont (4) (et quelques autres), nous avons essayé de convaincre que notre modèle de développement était en passe de détruire la planète, rien de moins. On était un peu seulâbres à l’époque… En bref, nous avons tenté d’être fidèles à ce « devoir d’irrespect », comme disait Claude Julien (5), qui devrait être le fil à plomb de ce métier.

ons maîtres Je raconte ça à l’usage des jeunes lecteurs, les vieux connaissent ! En fait, c’est pas pour vanter nos mérites, nous n’étions pas devins, nous avions eu de bonnes lectures, de bons maîtres… Dumont et Julien en étaient. Jugés marginaux par les professionnels de la profession : Dumont, ce vieux foldingue au pull-over rouge, contempteur de la bagnole, tu parles ! Et l’autre, le Julien, ce vieux beau tiers-mondiste en costard trois-pièces obsédé par « l’Empire américain » (le titre de l’un de ses livres, dans les années 1960 : c’est à cette occasion que je l’avais rencontré, pour une interview, un grand monsieur !). Nous avions lu le rapport du Club de Rome (Halte à la croissance ?), publié en

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On ne peut vraiment pas dire que « la crise » a éclaté dans un ciel serein, qu’aucun noir nuage ne la précédait, qu’aucun météorologiste du social ne l’avait vu venir.

PAR BERNARD LANGLOIS 1970 (1970 !). Et Ellul, Marcuse, Deleuze, Guattari, Debord, Gorz, Lipietz, Susan George, j’en oublie. Et, dans le lointain de nos trop vagues études, Rousseau et son Contrat social, ou ce vieux Marx, en frottis. Nous étions soixante-huitards (mais pas de ceux qui ont tourné leur veste, conseillent les patrons, soutiennent Israël ou commercent avec Bongo !), heureux de nous être bronzé l’âme au creuset de ce grand mouvement social ; antipub, anticonsommation, résolument anticapitalistes, sans être pour autant embrigadés : et surtout pas au PCF (celui de Marchais à l’époque), productiviste, nucléariste comme un phoque et parfaitement étranger à des préoccupations d’ordre écologique ! Nous n’en pensions pas moins que la lutte des classes est le moteur de l’Histoire et nous persistons à le penser (ce n’est pas la Guadeloupe qui nous fera changer d’avis !).

et des meilleurs : deux ans d’enquête autour de la planète, chez les riches et chez les pauvres, les traders de la City et les paysans sans terre d’Indonésie, les pêcheurs du Sénégal et les « pieuvres » de l’agrobusiness, chez les affameurs et les affamés. Hasard de date, la journée mondiale pour l’alimentation, le 16 octobre 2008 (nous sommes donc déjà en pleine crise), un milliardaire américain installé à Singapour donnait une conférence à Paris pour expliquer qu’il y avait encore bien du gras à se faire, pourvu qu’on abandonne le marché des actions pour se reporter sur les « Ags » (agricultural commodities) ; entendez la spéculation sur les matières premières alimentaires : les céréales, le sucre, le café… Pas la moindre mauvaise conscience chez ce sympathique business man : signalons-lui que le dernier plat à la mode, notamment à Haïti, est la galette de terre sèche, pour tromper la faim. Y a peut-être du blé à se faire, coco ?

ectures On ne peut donc vraiment pas dire que « la crise » a éclaté dans un ciel serein, qu’aucun noir nuage ne la précédait, qu’aucun météorologiste du social ne l’avait vu venir : la vérité est qu’on (les zélites) se bouchai(en)t les yeux et les oreilles. Deux livres :

Deux livres, très différents et complémentaires, pour éclairer ce cataclysme qui s’abat sur le monde, que vous pouvez ajouter à votre bibliothèque à côté de pas mal d’autres, dont les encore récents Nicolino (la Faim, la bagnole, le blé et nous, Fayard), Kempf (Comment les riches détruisent la planète, Seuil) ou Ziegler (la Haine de l’Occident, Albin Michel). Et vous êtes autorisés à rire la prochaine fois que vous entendrez un zozo télévisé dire : « On n’a rien vu venir. » À rire, ou à baffer !

L

–« Le naufrage actuel n’aurait pas dû surprendre, écrit Ignacio Ramonet dans un récent essai d’une limpidité de cristal (6). Les abus et les folies du néolibéralisme avaient été maintes fois brocardés, preuves à l’appui […]. Toutes ces alertes avaient été données sans que les autorités responsables s’en émeuvent. Le crime profitait sans doute à trop d’individus. Ou alors l’idéologie les rendait aveugles. » Une hypothèse n’exclut pas l’autre, cher Ignacio… Je suis en tout cas de ton avis : « Le monde s’achemine vers son pire cauchemar économique et social. » – « Les émeutes de la faim du printemps dernier ne sont qu’une petite répétition de ce qui nous attend dans les décennies à venir. Pénurie, déplacement des populations, guerre pour les ressources […]. 963 millions de personnes souffrent de malnutrition, 115 millions de plus que l’an dernier. Tandis que 3 000 milliards de dollars vont être injectés dans les banques, Action contre la faim rappelle qu’il suffirait de 30 milliards selon la FAO pour assurer la sécurité alimentaire de la planète. Pas de veine : il n’y a pas d’indice Dow Jones pour les ventres creux. » Cette fois, c’est du livre passionnant de ma consœur du Nouvel Observateur Doan Bui que j’ai tiré ces lignes (7). Il s’agit là de reportages,

B. L. (1) Cherchez pas, c’est un néologisme de mon cru, tiré de l’acronyme fameux : Tina (There is no alternative), par lequel les ultralibéraux justifi(ai)ent leur politique misérable. (2) Voir le (superbe) Manifeste des neuf intellectuels antillais : « Cette grève est donc plus que légitime, et plus que bienfaisante, et ceux qui défaillent, temporisent, tergiversent, faillissent à lui porter des réponses décentes, se rapetissent et se condamnent. » (Politis n° 1041, 26 février.) Ne pourrait-on offrir à nos trois guignols des « syndicats représentatifs » (hi, hi) un petit stage de recyclage au LKP guadeloupéen ? (3) Politis, n° 50, 10 février 1989. (4) Ingénieur agronome (1904-2001) et militant du développement, auteur de nombreux ouvrages, dont un qui le rend célèbre d’un coup : L’Afrique noire est mal partie (1962). Il sera, en 1974, le premier candidat écologiste à une élection présidentielle. Président des Amis de Politis et cofondateur d’Attac. (5) Journaliste (1925-2005), longtemps directeur du Monde diplomatique, fondateur des Cercles Condorcet. Le Devoir d’irrespect, paru en 1979 (Alain Moreau), a été réédité en 2007 (HB éditions). (6)Le Krach parfait, Galilée, 145 p., 18 euros. (7) Les Affameurs, Privé, 358 p., 17,90 euros. [email protected]

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