Politis Colonies

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  • Pages: 36
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Politis

Politis

Yvan Colonna Condamné avant d’être jugé

I Semaine du 26 février au 4 mars 2009 I n°1041 I

E L L E V U O N LE

FORMU

3:HIKNOG=VUXUUZ:?l@a@e@l@g;

M 03461 - 1041 S - F: 3,00 E

DOM-TOM

CRISE Les non-dits du sommet social

Le temps des colonies INSTITUTIONS Le grand chambardement

NUCLÉAIRE Vers une Aube « irradieuse »

VENEZUELA Le mauvais procès fait à Chavez

SOMMAIRE

AGOSTINI/AFP

LILIAN THURAM L’ÉVÉNEMENT

ÉCOLOGIE NUCLÉAIRE.

Aube irradieuse.

PROCÈS COLONNA

Page 14

Une instruction strictement à charge. Entretien avec Patrick Baudouin,

CLIMAT. Sombres nuages. Page 15 CHANGER D’ÈRE. Halte au

de la FIDH. Pages 4 et 5

saccage des forêts !, par Jean-Louis Gueydon de Dives. Page 15

MONDE

SOCIAL À CONTRE-COURANT.

VENEZUELA. Chavez président à vie, vraiment ? Entretien avec Sandrine Revet. Page 16

« Le spectre du protectionnisme », par Gérard Duménil. Page 7

MUSIQUE. Le

REVENDICATIONS.

Les non-dits du sommet social. Page 7

CULTURE Festival de l’imaginaire. Pages 24 et 25 « Camping sauvage », des Fils de Teuhpu. Page 25 LITTÉRATURE. « Le Commerce du père », de Patrice Robin.

ÉCONOMIE GRANDE DISTRIBUTION.

De faux habits de vertu. Page 8

Page 26

POLITIQUE INSTITUTIONS.

Le grand chambardement. Page 10 TRIBUNE. Christian Picquet : « Jusqu’au bout pour le front de gauche ». Page 11

SOCIÉTÉ MODES DE VIE.

Ils en ont le cœur net. Pages 12 et 13 UNIVERSITÉS. Les amphis grondent. Page 13

THÉÂTRE. Le Festival au féminin. Page 26

MÉDIAS TÉLÉVISION.

« Dati l’ambitieuse », de Tali Jaoui et Antoine Vitkine. Page 27

IDÉES/DÉBATS ESSAI.

« Rejet des exilés », de Jérôme Valluy. Pages 28 et 29

DOM-TOM

DOSSIER

Le temps des colonies.

AMIET/AFP

Pages 18 à 23

NUMÉRO SPÉCIAL*

« Une détresse profonde », entretien avec Françoise Vergès. Reportage en Guyane. Une : Julien Tack/AFP

Crise sociale, financière et écologique 2003-2008 six années d’analyses économiques 4,90 euros chez votre marchand de journaux et sur www.politis.fr Pour connaître le point de vente le plus proche de chez vous

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ÉDITORIAL PAR DENIS SIEFFERT

L’homme qui gêne ’humour, entre autres vertus, sert parfois à dire l’indicible. Rompu à la realpolitik, le négociateur palestinien Saëb Erekat s’est récemment interrogé sur l’attitude que la communauté internationale adopterait à l’encontre d’un gouvernement israélien comprenant dans ses rangs l’extrémiste Avigdor Lieberman. « L’Europe et les États-Unis ont boycotté un gouvernement palestinien où siégeaient des ministres du Hamas, nul doute qu’une décision semblable sera prise avec le prochain gouvernement israélien », a-t-il dit en substance. On objectera que ce propos ne devrait pas prêter à sourire. D’abord, parce que le personnage en question, qui veut des états juif et arabe ethniquement purs, et qui promet à Gaza le sort d’Hiroshima, n’incite guère à la plaisanterie ; ensuite, parce que la pression de la communauté internationale devrait en effet s’exercer sur les deux parties au conflit. Mais ce n’est, hélas, que de l’humour, parce que personne n’y croit. Tout le monde sait que ce M. Lieberman, une fois installé dans son ministère, serrera les mains de nos ministres et autres dirigeants occidentaux qui lui conféreront une honorabilité rien de moins qu’usurpée. Il n’empêche que la présence de cet ultra dans le futur gouvernement de Benyamin Netanyahou est embarrassante pour tout le monde. Elle l’est parce qu’elle prend à contre-pied la diplomatie que l’on prête à Barack Obama (que l’on « prête », parce que, pour l’instant, on ne l’a pas encore trop vue). Elle l’est parce qu’elle dit la vérité de ce gouvernement, et la vérité de la classe politique israélienne. Même Benyamin Netanyahou entrevoit les inconvénients de la cohabitation avec ce personnage. C’est la raison pour laquelle, le chef de file du Likoud faisait le forcing au cours de ces derniers jours pour

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Chose assez rare en Israël, le principal problème auquel se heurte le probable futur Premier ministre n’est pas arithmétique. Il s’agit ici de la nature politique du gouvernement.

convaincre au minimum Tzipi Livni, leader du parti centriste Kadima, et si possible le travailliste Ehoud Barak, de former avec lui une coalition. Qu’on ne se méprenne pas : cela ne changerait pas grand-chose à la politique d’Israël à l’égard des Palestiniens. Faut-il le rappeler, ce n’est pas Avigdor Lieberman qui a bombardé Gaza et tué mille trois cents personnes. Dans cette tragédie, Tzipi Livni, ministre des Affaires étrangères, et Ehoud Barak, ministre de la Défense, ont des responsabilités autrement accablantes. Netanyahou ne se soucie dans cette affaire que de son image et de celle de son pays, déjà sérieusement écornée aux yeux du monde. Chose assez rare en Israël, le principal problème auquel se heurte le probable futur Premier ministre n’est pas arithmétique. La droite, l’extrême droite et les partis religieux disposeraient à eux seuls de 65 sièges sur les 120 de la Knesset. On a déjà connu majorité plus fragile. Il s’agit ici de la nature politique du gouvernement. Après avoir eu un discours ultradroitier et avoir tiré vers l’extrême droite toute la vie politique israélienne, les principaux responsables de ce déplacement font tout pour masquer la réalité. Pour mesurer ce déplacement, il suffit de se souvenir que Mme Livni, qui fait aujourd’hui figure de centriste, et presque de caution morale, est l’héritière politique d’Ariel Sharon, l’homme qui en 2002 était considéré comme le partisan des solutions les plus radicales, d’ailleurs en partie mises en œuvre à Jénine et à Naplouse. Quant aux travaillistes, ils se sont fondus dans la droite depuis février 2001, et n’ont plus guère d’expression autonome. « À quoi servent-ils ? », s’interrogeait la semaine dernière dans nos colonnes l’historien Zeev Sternhell, suggérant la plus pathétique des réponses. Comme toujours (ou comme souvent) dans ce pays, les politiques instrumentalisent la peur. Une peur qu’ils

font naître, qu’ils cultivent et qu’ils répandent. La technique est connue. Il s’agit de renvoyer l’ennemi palestinien à ce qu’il a de pire. On assimile les Palestiniens au Hamas, et le Hamas à sa charte de 1988 et à Al-Qaïda. Il s’agit de figer les mouvements dans leur passé, dans leurs proclamations les plus bellicistes, et de dissimuler ou de nier tout ce qui procède d’une évolution politique. À toute force, il faut masquer à l’opinion israélienne les signes de politisation du Hamas, son adhésion au plan de paix arabe qui suppose le retour aux frontières de 1967, c’est-à-dire une reconnaissance implicite d’Israël. Vingt ans après l’offensive diplomatique de Yasser Arafat et la « politisation » de l’OLP, Israël rejoue le même scénario. Le Hamas n’étant pas assez crédible dans le rôle de la menace existentielle, il faut évidemment le réduire à un bras armé de l’Iran. Ce qui revient également à nier la véritable implantation, tout à fait « palestinienne », du Hamas, et l’importance de la dégradation des conditions de vie des Gazaouis dans la montée du Hamas. Des conditions de vie sur lesquelles Israël conserve un pouvoir total. Le tout ayant pour seule finalité de gagner du temps pour poursuivre la colonisation de la Cisjordanie, et continuer de pourrir une société palestinienne toujours sous le joug (1). (1) En témoignent les règlements de comptes auxquels se livrent actuellement des hommes de main du Hamas dans ce qui rappelle chez nous l’épuration à la Libération. Ces événements sordides peuvent être analysés comme le produit de la nature intrinsèque du Hamas. Ils peuvent aussi être comparés, hélas, à toutes les situations d’après-guerre.

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• Le procès • L’enquête a été menée • Résultat : un

PROCÈS COLONNA

Une instruction strictement P atrick Baudouin est avocat et président d’honneur de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH).

Politis I Pourquoi la FIDH a-telle décidé d’envoyer des observateurs lors du procès en première instance puis du procès en appel d’Yvan Colonna, qui se déroule actuellement ? Patrick Baudouin I La FIDH est inves-

tie dans la lutte contre toutes les dérives liées aux procédures antiterroristes et aux atteintes aux libertés qui en découlent. La FIDH, comme la Ligue des droits de l’homme française, a toujours contesté la législation d’exception qui est issue des lois Pasqua de 1986. C’est donc dans la logique de l’action de la FIDH qu’il lui a paru utile d’assurer une observation judiciaire aux procès Colonna, compte tenu d’une suspicion légitime qui pouvait peser sur la qualité de l’enquête et de l’instruction menées depuis 1999 autour de l’assassinat du préfet Claude Érignac.

Quelles étaient les grandes lignes du rapport des observateurs mandatés par la FIDH portant sur le premier procès Colonna ?

Le rapport a principalement fait ressortir que l’enquête et l’instruction avaient été menées à charge. Le rapport indiquait déjà que des investigations ou des auditions de témoins, qui paraissaient pourtant s’imposer, avaient été écartées. Il soulignait aussi que cela était d’autant plus dommageable qu’il n’y avait aucune preuve matérielle certaine de la culpabilité d’Yvan Colonna. Par ailleurs, en ce qui concerne les témoins entendus, le rapport rappelait d’une part que plusieurs d’entre eux s’étaient rétractés, en particulier les premiers accusés (qui ont fait l’objet d’autres procès), et d’autre part que les conditions d’audition de certains autres témoins paraissaient très critiquables du fait de pressions dénoncées dans le cadre des interrogatoires policiers. Je pense en particulier aux épouses des personnes qui ont été poursuivies, en

Nicolas Sarkozy, 4 juillet 2003 : « L’assassin du préfet Érignac vient d’être arrêté. »

L’AFFAIRE EN TROIS DATE S 6 février 1998 Le préfet de Corse, Claude Érignac, est assassiné à Ajaccio.

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13 décembre 2007 Yvan Colonna est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.

9 février 2009 Ouverture du procès en appel.

dehors d’Yvan Colonna. Ces femmes ont été gardées à vue plusieurs jours, pendant lesquels elles ont été pour le moins intimidées. Le rapport disait donc qu’avant même l’ouverture du procès, les dés étaient pipés.

Les péripéties que connaît aujourd’hui le procès en appel sont-elles, selon vous, les conséquences des manquements relevés par ce rapport ?

Il est prématuré de tirer des conclusions définitives. Mais il est évident que ce qui se déroule depuis l’ouverture du second procès Colonna ne fait que confirmer et même amplifier les critiques qui « Avant même ont été exprimées l’ouverture du dans le premier procès, les dés rapport de la étaient pipés. » FIDH. En particulier, le témoin surprise (Didier Vinolas, NDLR) venant dire que deux des personnes impliquées dans l’opération de l’assassinat du préfet sont toujours dans la nature alors que leurs noms ont été communiqués a jeté un fameux trouble. Mais ce qu’il a énoncé là, d’autres témoins antérieurs l’avaient déjà dit ! Plusieurs témoignages ont en effet déjà attesté que d’autres personnes, certainement membres du commando, n’avaient pas été mises en cause. Cela conforte les conclusions du rapport : l’instruction a été faite strictement à charge, notamment en refusant de nombreuses demandes d’actes formulées par les avocats de la défense. Yvan Colonna a été d’emblée désigné comme coupable, y compris par le Premier ministre de l’époque, et le reste a été occulté.

Que penser du fait que le président du tribunal soit obligé, en pleine audience, d’avouer qu’il n’a pas ouvert la lettre de Didier Vinolas, qui lui a pourtant été transmise… On ne peut, en l’occurrence, qu’exprimer une immense surprise : je veux bien qu’un président de cour d’assises reçoive, comme il l’a dit, toute une série de correspondances peu sérieuses à la veille d’un procès. Mais de là à expliquer que, sous ce prétexte, on n’ouvre pas les courriers qui vous sont

adressés, voilà qui laisse pantois. De deux choses l’une. Ou bien le président n’a réellement pas ouvert cette correspondance, ce qui est d’un laxisme affligeant. Ou alors la correspondance a été ouverte, il n’en a pas tenu compte et il a au surplus menti en disant qu’il ne l’avait pas ouverte. Ce qui pose un problème sérieux.

Que pensez-vous des quatre jours (dont un week-end) de suspension accordés en fin de semaine dernière pour supplément d’information ? Même si finalement le témoignage surprise s’avère moins essentiel qu’on a pu le penser de prime abord, il imposait un supplément d’information, ne serait-ce que pour essayer de rattraper les lacunes de la procédure. Mais décider d’un si court délai pour un supplément d’information, ce n’est pas très sérieux. Cela ressemble à un subterfuge pour éviter un refus pur et simple.

Y a-t-il un lien entre ces failles judiciaires et l’atmosphère électrique que connaît ce procès ? Traiter un procès qui touche la Corse tout entière n’est pas chose facile. On est continuellement dans un registre qui n’est pas seulement judiciaire mais qui revêt aussi une couleur politique forte. Et les avocats de Colonna sont connus pour avoir des sympathies politiques pouvant les amener à avoir un comportement politique qui parfois éloigne de la recherche de la vérité. Mais, précisément, ces données, connues dès le départ, auraient dû impliquer d’autant plus de vigilance et de rigueur dans la tenue de l’ensemble de la procédure…

Bien entendu, vous ne plaidez ni pour l’innocence ni pour la culpabilité d’Yvan Colonna… Cela n’est pas du ressort de la FIDH ni de sa compétence. La question qui anime la FIDH, c’est : est-ce que, oui ou non, Yvan Colonna est jugé de manière équitable ? Et si, finalement, il est reconnu coupable, est-ce que cette culpabilité reconnue repose oui ou non sur un strict respect du droit de la défense ? _Propos recueillis par Christophe Kantcheff

en appel d’Yvan Colonna s’est ouvert le 9 février• au mépris de la présomption d’innocence• profond malaise, né du sentiment d’une possible injustice• VERBATIM Extrait du rapport établi par la FIDH au lendemain du premier procès Colonna, qui a eu lieu fin 2007.

à charge

Une suspicion légitime pèse sur la qualité de l’enquête et de l’instruction depuis 1999. AGOSTINI/AFP

Est-il encore temps de remédier aux failles de la procédure ? Il est permis d’en douter, tant ces lacunes sont conséquentes.

Colonna, forcément coupable n a vu procès plus serein. Le DÉCRYPTAGE On peut en douter. En effet, à la lecture du premier rapport que la Fédération 9 février, s’est ouvert le procès en internationale des droits de l’homme (FIDH) avait appel d’Yvan Colonna – accusé du meurtre du établi au lendemain du procès en première instance préfet Érignac –, jugé devant une cour d’assises d’Yvan Colonna, qui s’était tenu fin 2007 et conclu sur spécialement composée de magistrats professionnels la condamnation de l’accusé à la prison à vie, il pour les affaires de terrorisme. Et depuis ce jour, on ne compte plus les paroles viriles et les incidents de séance. apparaît que les lacunes à combler sont conséquentes. Selon les observateurs dépêchés pour l’occasion par la Mieux : un spectaculaire coup de théâtre s’est produit FIDH, il ressortait avant tout de ce premier procès que le 13 février. Le fonctionnaire de police Didier Vinolas l’enquête policière et l’instruction avaient été menées est venu dire, à la surprise générale, que deux hommes systématiquement à charge, tout élément allant dans qui auraient participé à l’assassinat du préfet à Ajaccio en 1998 n’auraient jamais été inquiétés. Et cela en dépit un autre sens étant soigneusement négligé. Et pour cause : l’exemple venait d’en haut. Dès l’arrestation du fait que leur identité est connue depuis au moins cinq ans par des hauts responsables de la justice et de la d’Yvan Colonna en juillet 2003, le ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, ne l’avait-il police. Didier Vinolas a ajouté qu’il avait envoyé une pas désigné comme « l’assassin du préfet Érignac » ? Il lettre à ce sujet au parquet général, transmise au aurait fallu rompre avec cette logique du mépris de la président du tribunal Didier Wacogne, que celui-ci a présomption d’innocence et des droits de la défense reconnu ne pas avoir ouverte… pour que le deuxième procès puisse se dérouler dans un À la suite de ce témoignage, la cour a décidé de climat apaisé. Et que le sentiment de justice prédomine suspendre le procès pendant quatre jours (dont un week-end) pour un supplément d’information. Un délai quand le tribunal prononcera son jugement. suffisant pour remédier aux failles de la procédure ? _C. K.

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« De nombreux errements » « De nombreux errements imputables aux responsables de la lutte antiterroriste et aux juges d’instruction sont apparus durant les débats. […] Il est apparu que les policiers de la Division nationale antiterroriste (Dnat) avaient fait le choix d’appréhender les épouses des suspects, de les priver de leurs enfants et de les garder à vue pendant quatre jours, ceci alors même qu’ils n’avaient aucune charge contre elles, mais dans le but de faire pression sur leurs époux afin qu’ils avouent. Les policiers de la Dnat ont toujours affirmé publiquement et jusqu’au procès que les gardes à vue avaient été totalement étanches, qu’Yvan Colonna avait été mis en cause spontanément, séparément et de façon concordante par ses coaccusés et leurs épouses. Par ailleurs, ils ont toujours soutenu, jusqu’à l’audience, qu’ils ne connaissaient précédemment pas Yvan Colonna et qu’il n’était pas suspecté avant les premières interpellations en mai1999. Il est ressorti pourtant au cours de l’audience que les policiers de la Dnat avaient en fait avancé des contrevérités non seulement en ce qui concernait la prétendue étanchéité des différents interrogatoires, mais également sur le fait qu’Yvan Colonna n’était pas suspecté lors des interpellations du 21mai 1999. S’agissant de l’instruction, les chargés de mission ont dû constater que le dossier concernant Yvan Colonna a été instruit uniquement à charge. En effet, il est apparu que les juges d’instruction n’ont jamais entrepris de vérifier si les accusations dont Yvan Colonna faisait l’objet étaient fondées, notamment par des confrontations, qu’il a pourtant sollicitées dès son arrestation, avec les personnes l’ayant mis en cause. Ces confrontations ont été refusées pendant plus d’une année et, pour certaines, n’ont été organisées qu’en relation avec l’affaire de Pietrosella. Yvan Colonna a, de plus, dû attendre près de deux ans avant que ne soit organisée une présentation aux témoins oculaires ayant vu le visage du tireur. Bien qu’ils aient affirmé qu’ils ne le reconnaissaient pas, ce qu’ils ont confirmé fermement durant l’audience, cela n’a eu aucune incidence à décharge.»

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SOCIAL REVENDICATIONS La rencontre du 18 février entre le Président et les syndicats n’a pas pris en compte l’immense malaise des Français, qui déborde largement le cadre de la seule crise économique.

Les non-dits du sommet social

Les 2,6 milliards d’euros annoncés lors du sommet social ne peuvent suffire à endiguer la crise. DE LA MAUVINIERE/AFP n s’y attendait, le « sommet » social de Nicolas Sarkozy aura accouché d’une petite souris : 2,6 milliards d’euros. À peine la moitié de ce que l’État débourse chaque année pour financer le bouclier fiscal. Légère augmentation de l’indemnisation pour faire avaler la pilule du chômage partiel, quelques centaines d’euros pour panser artificiellement la baisse du pouvoir d’achat, cadeau fiscal pour consoler l’électorat sarkozyste des classes moyennes modestes… Non seulement les « mesurettes » annoncées par Nicolas Sarkozy le 18 février paraissent très insuffisantes pour endiguer la crise, mais elles sont encore bien loin d’apaiser la colère des milliers de Français qui ont défilé le 29 janvier. Car la crise économique masque une crise d’une tout autre nature. Une crise que le chef de l’État feint d’ignorer, et à laquelle les syndicats, divisés sur le fond, redoutent de s’attaquer de peur que ne vole en éclats leur fragile union de circonstance. Ce profond malaise s’incarne d’abord dans une crise des institutions : recherche, éducation, justice, santé, social…

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« Ce qui était le socle du contrat social républicain, l’idée d’une identité française forte autour de la protection sociale et de l’État providence, est mis à mal par la politique de Sarkozy », analyse Vincent de Gaulejac, professeur de sociologie à l’université Paris-VII. Résultat, ça craque de partout : « Les personnels hospitaliers, les enseignants et même les policiers se retrouvent dans des contradictions entre leurs valeurs de service public et les “réformes” qui introduisent

une idéologie gestionnaire et managériale dans leur travail au quotidien. Cette idée de “faire plus avec moins” est mal passée car, implicitement, elle revient à dire que ces personnes ne faisaient pas correctement leur travail ! », ajoute-t-il. Et si Nicolas Sarkozy a eu, lors de son intervention télévisée du 18 février, un mot sur les « conditions de travail dégradées » et « le manque de considération » envers les fonctionnaires, c’est pour mieux réaffirmer

le fait que seraient menées à leur terme les réformes imposant des logiques de compétitivité, de concurrence et de rentabilité à l’hôpital et à l’université. « Il faut revoir notre manière de concevoir le progrès, et plus généralement ce que nous faisons ensemble en société. Est-il encore possible de prendre en compte les évolutions de ce qui a une valeur mais pas de prix ? », s’interroge la phiLes mesurettes losophe Domiannoncées par nique Méda, l’une Nicolas Sarkozy sont loin d’apaiser des 70 000 signataires de l’Appel la colère des appels (voir des milliers de personnes qui ont Politis n° 1038). Il n’y a pas que défilé le dans les services 29 janvier. publics ou chez les intellectuels que les dents grincent. « Beaucoup de salariés du privé ont manifesté pour la première fois le 29 janvier, souligne le sociologue Camille Peugny (1). Du jour au lendemain, les licenciements dus à la crise économique ont fait prendre conscience aux salariés, notamment les “déclassés” – plus nombreux que jamais –, que leur parcours professionnel ne relevait pas d’un échec individuel mais d’une histoire collective. C’est ce qui a fait basculer les gens du repli sur soi vers la rébellion. » Une révolte qui s’exprimera une nouvelle fois le 19 mars prochain. _Pauline Graulle (1) Auteur du Déclassement, Grasset, 2009.

Internet, nouvelle arme de la société civile Vingt internautes enflamment la toile. Après le succès du site www.29janvier2009.fr, qui a réuni jusqu’à 500 000 visiteurs uniques par jour, les voilà repartis en lutte sur www.19mars2009.fr. « Les syndicats ne se sont pas entendus pour créer un site commun, alors on l’a fait », explique Xavier Marchand, prof d’histoire syndiqué à la CGT, membre du collectif créateur des sites. Ces plateformes « permettent surtout aux gens de se parler, qu’ils soient du NPA ou du Modem, qu’il s’agisse de salariés syndiqués ou de jeunes non

politisés, souligne Benjamin Ball, internaute qui a lancé sur Facebook le groupe « un million de personnes pour la grève générale » (déjà 100 000 membres). Internet amplifie la parole publique et, paradoxalement, humanise la politique en offrant la possibilité à tout le monde de s’exprimer ». Loin des apparatchiks et des stratégies de chapelle. Après les forums de discussions qui avaient conduit à la victoire du non au référendum européen en 2005, après le mouvement contre le CPE en 2006, la

toile devient-elle la nouvelle arme de résistance de la société civile ? Encore faut-il que le clic pétitionnaire conduise à battre le pavé. « De plus en plus, on passe du virtuel au réel, affirme Benjamin Ball. Le Net permet aux mobilisations de perdurer dans le temps, c’est un catalyseur des mouvements sociaux. » « La fracture numérique a été réduite pour satisfaire aux intérêts économiques, relève Xavier Marchand. On ne pouvait pas se douter à l’époque qu’Internet deviendrait un tel lieu de contre-pouvoir ». _P. G.

SOCIAL

À CONTRE-COURANT GÉRARD DUMÉNIL Directeur de recherches au CNRS.

Le spectre du protectionnisme Les ministres du G7, réunis à Rome le 14février, sont tombés d’accord pour faire

LABAN-MATTEI/AFP

front contre le retour du protectionnisme. Quand la production et l’emploi s’effondrent, la tentation est forte de se mettre à l’abri contre la concurrence des pays à bas coût du travail. Le retour du protectionnisme est déjà amorcé. La France déclare ne pas se sentir visée: « Protectionnistes, nous? En aucune manière! », « Il s’agit d’un prêt à l’industrie automobile.» La condition mise au soutien est, pourtant, le maintien de la production sur le territoire français. On s’y tromperait. Depuis des années, les États-Unis pratiquent un protectionnisme au coup par coup. L’esprit savant des ministres du G7 est hanté par l’expérience de la crise de 1929. En 1930, donc avant le New Deal du Président Roosevelt, qui débuta en 1933, la première mesure prise aux États-Unis est connue comme la loi Smoot-Hawley, établissant des droits de douane très élevés sur les importations. Entre1929 et1933, la production totale états-unienne chuta de 27% alors que les importations reculaient de 34% et les exportations de 46%. Nos économistes en tirent la conclusion simple: le retour au protectionnisme aurait aggravé la crise, mieux, il aurait causé la dépression.

MOBILISATIONS Les confédérations syndicales veulent de nouveau rassembler dans la rue le 19 mars.

Remettre la pression es huit organisations syndicales (1) qui organisent une nouvelle journée de grève et de manifestations le 19 mars ont pris soin de minimiser leurs divergences d’appréciation sur le sommet social du 18 février. Elles relèvent en chœur que les mesures présentées par Nicolas Sarkozy « sont trop parcellaires pour modifier le cap économique de la politique gouvernementale » et que « le Président a refusé catégoriquement d’augmenter le Smic, de modifier sa politique d’emploi dans la fonction publique et de revenir sur la défiscalisation des heures supplémentaires », et ne manquent pas de dénoncer « l’attitude dogmatique du patronat ».

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Pour l’ensemble des confédérations, la nécessité du moment est au maintien d’un front uni pour défendre l’emploi privé et public, « lutter contre la précarité et les déréglementations économiques et sociales » et « exiger des politiques de maintien du pouvoir d’achat des salariés, des chômeurs et des retraités ». Les huit appellent aussi « à poursuivre les actions engagées dans les secteurs professionnels ». Le gouvernement doit en effet tenir compte des mobilisations universitaires organisées par une coordination nationale qui a appelé le 2 février à la « grève illimitée » dans les universités, alors que

d’autres mouvements sont en cours contre les réformes dans la fonction publique et le secteur de la santé. Face à ce climat social très dégradé, la CFDT, FO, la CFTC et l’Unsa s’affichent déterminées. De son côté, la CGT « reste plus que jamais convaincue de la nécessité de réussir une nouvelle mobilisation interprofessionnelle unitaire de très grande ampleur », mais sans aller jusqu’à la « grève générale interprofessionnelle » qui a la préférence de l’Union syndicale Solidaires (syndicats SUD). La journée du 19 mars s’avère une nouvelle étape, avec un impératif : mobiliser au moins autant de monde que le 29 janvier, jour où les manifestations avaient rassemblé entre un et 2,5 millions de personnes, selon les sources. Mais, avant, les organisations de personnels et de médecins des hôpitaux seront dans la rue dès le 5 mars pour une mobilisation contre le projet de loi Bachelot « Hôpital, patients, santé, territoires ». Dans la fonction publique, les syndicats de fonctionnaires, qui ont entamé des discussions avec leurs ministres de tutelle, Éric Woerth et André Santini, réclament le gel de la suppression de 30 000 emplois en 2009 dans le cadre de la réforme de l’État. _Thierry Brun (1) CGT, CFDT, FO, CFTC, CFE-CGC, FSU, Unsa et Solidaires.

Le protectionnisme ne serait-il pas également coûteux pour la minorité dont le néolibéralisme sert les intérêts? Nos ministres prêtent tous les attraits au libreéchange. Depuis vingt ou trente ans, le libre-échange a été le vecteur de la mise en concurrence de tous les travailleurs du monde avec, à la clef, le nivellement par le bas des salaires et de la protection sociale. Les biens de consommation importés à bon marché ont nourri les profits alors que les pouvoirs d’achat sont restés bloqués, voire, dans certains pays, ont plongé. La liberté de faire du commerce et le libre mouvement des capitaux sont des conditions indispensables Le libreà l’activité des sociétés transnationales. La contradiction créée par la crise est éclatante. Comment échange a été étendre le réseau de ses sociétés dans le monde et, simultanément, soutenir l’activité sur son propre territoire? le vecteur du Faut-il choisir entre l’économie transnationale et l’économie nivellement nationale? Avec le libre-échange, le néolibéralisme triomphant avait tranché en faveur de la première. Voilà le par le bas des néolibéralisme en crise pris d’états d’âme!

salaires et de la Quant aux méfaits supposés d’un retour au protection protectionnisme, il vaut la peine d’y regarder de plus près. sociale. L’expérience de la crise de 1929 est plus riche que ce qu’on

lui fait dire. À la veille de la crise, les grands pays d’Amérique latine comme le Brésil, l’Argentine et le Mexique sont profondément insérés dans la division impérialiste du travail, vendant des matières premières et des produits agricoles, et important des biens manufacturés. Survient la crise, les pays du centre réduisent alors leurs importations. La viande argentine pourrit dans les hangars. Mais à quelque chose malheur est bon. Ces pays découvrent qu’il existe une autre manière de se développer, en comptant davantage sur leurs propres forces. Les ressources nationales peuvent être utilisées localement. L’État s’en mêle, il s’agit de faire surgir une industrie nationale. Pourquoi importer ce qu’on pourrait produire sur place? Cette stratégie s’appelle «industrialisation de substitution d’importations», ce qui signifie qu’on favorise l’émergence d’industries dont le produit se substituera aux importations. Un «modèle» est né. Il va être théorisé après la guerre et conduira le développement de ces pays jusqu’aux années 1980, où on lui trouvera, tout à coup, tous les défauts. Pourtant, en Amérique latine, la période qui va de la Seconde Guerre mondiale à 1980 a été marquée par une croissance beaucoup plus rapide que les décennies néolibérales. Puisque c’était l’objectif recherché, le néolibéralisme n’a aucune leçon à donner, et ce n’est pas lui qui aurait protégé la planète du productivisme.

Sans aucun doute, à court terme, le protectionnisme apportera sa dose de misère. Mais pourrait-il signifier le repli de la mondialisation néolibérale? La Chine pourrait-elle découvrir une autre trajectoire vers ses ambitions? On se prend à rêver. 2 6 f évr ier 2 0 09

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ÉCONOMIE GRANDE DISTRIBUTION Derrière le paravent des audits sociaux et autres codes de conduite affichés par les enseignes, se cache un système d’approvisionnement producteur de misère dans les pays du Sud.

De faux habits de vertu «

e me sens tellement malade et fatigué après une journée de travail que je ne veux pas travailler le lendemain. Mais la faim ne permet pas de penser à la maladie. La seule idée de vivre avec l’estomac vide fait tout oublier. Nous travaillons pour nous sauver de la faim. » Le Bangladais qui prononce ces mots (1) est salarié d’un fournisseur de vêtements des marques des deux géants de la grande distribution, Walmart et Carrefour (marque Tex, notamment). Ses paroles illustrent combien l’affichage de mesures de responsabilité sociale par les enseignes ne fait que masquer les méfaits du modèle économique de la grande distribution, générateur de misère et de moinsdisant social. Dans son dernier rapport, le collectif De l’éthique sur l’étiquette insiste sur ces faux-semblants pratiqués par la grande distribution dans ses approvisionnements textiles. Codes de conduite et audits sociaux chez les fournisseurs (609 pour Carrefour en 2007) n’ont que peu d’effets sur la situation des salariés du textile en Asie du Sud-Est. Le constat est clair : absence de salaire décent (à différencier du salaire minimum légal, qui dans ces pays est souvent ridicule), des semaines qui peuvent dépasser les 70 heures de travail, la rémunération partielle des heures supplémentaires, tout y passe, à commencer par l’absence de liberté syndicale.

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La multiplication des intermédiaires est le moyen le plus facile de se dédouaner de toute responsabilité

Des ouvrières du textile au Bangladesh. « Nous travaillons pour nous sauver de la faim. » EYEPRESS NEWS sociale. Aldi et Lidl, par exemple, passent exclusivement par des importateurs qui se chargent de recruter les fabricants sans autre critère que le prix. Mais, quand la grande distribution travaille en direct avec ses fournisseurs, le constat n’est guère plus glorieux. « Bien sûr, les fournisseurs signent la charte éthique car ils veulent avoir le marché. Mais si les commerciaux des enseignes ne sont pas formés au code de conduite, ça ne sert

à rien », explique Mariano Fandos, représentant CFDT du collectif. Quant aux audits dits indépendants, ils sont le plus souvent annoncés à l’avance. « Si [les auditeurs] viennent nous parler, nous dirons seulement ce que le [département des ressources humaines] nous a demandé de dire », raconte un ouvrier de Bangalore en Inde. Et pendant que les supermarchés affichent leurs efforts, ils continuent

Quand la liberté syndicale n’existe pas… « Vous plaisantez? Nous ne sommes même pas autorisés à nous parler dans les locaux de l’entreprise. Quant à parler de syndicats… Nous ne pouvons même pas imaginer d’en créer un dans notre entreprise», explique un opérateur d’une usine fournissant Carrefour à Tirupur, en Inde. Quand la liberté syndicale n’existe pas, aucun autre droit ne peut réellement être défendu. Et ce sont les femmes qui en sont les premières victimes car elles forment 80% de la main-d’œuvre dans la confection. Le secteur est d’ailleurs

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considéré comme l’ultime recours pour survivre par celles qui sont les plus démunies. L’égalité salariale n’existe pas, les cas d’insultes et d’attouchements à caractère sexuel sont quotidiens, les superviseurs étant le plus souvent des hommes. Dans la majorité des dix usines visitées par les enquêteurs du collectif De l’éthique sur l’étiquette au Bangladesh, les femmes enceintes sont soumises aux mêmes tâches et horaires que toutes les autres. « Ce n’est que lorsque les douleurs

deviennent insupportables et que l’on ne peut s’empêcher de pleurer qu’[une femme enceinte] a droit à son congé, explique l’une d’elles. Mais si la charge de travail est trop élevée, il ne sert à rien de pleurer.» Lorsque ces femmes ont accouché, les usines disposent en général d’une garderie. Mais, bizarrement, le local n’est affecté à son usage que durant la visite des auditeurs venus s’assurer du respect des engagements éthiques. _P. C.-J.

d’imposer leur puissance de négociation dans un climat hyperconcurrentiel. Non seulement la baisse des coûts est exacerbée, mais les délais de livraison sont soumis à rude épreuve. Asda (filiale britannique de Walmart), notamment, ne supporte pas les retards, même si elle en est responsable parce qu’elle modifie en cours de route les modèles commandés. Pour un fabricant, dire non, c’est perdre un gros client, demander une révision du contrat est illusoire. Et au centre de ce jeu de dupes, ce sont les plus pauvres qui s’affaiblissent encore plus, se raccrochant à leur seul moyen de survie. _Philippe Chibani-Jacquot (1) Les citations de salariés sont issues du rapport Cash, Pratiques d’approvisionnement de la grande distribution et conditions de travail dans l’industrie de l’habillement. Il se base notamment sur les déclarations de 340 salariés dans 31 usines textiles d’Asie (Inde, Bangladesh, Sri Lanka, Thaïlande) qui fabriquent les marques distributeurs de Carrefour, Lidl, Aldi, Tesco (GB) et Walmart (États-Unis). www.ethique-sur-etiquette.org À voir aussi : le rapport publié en 2008 par la FIDH sur les fournisseurs de Carrefour au Bangladesh. www.fidh.org

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POLITIQUE INSTITUTIONS Le comité Balladur suggère de révolutionner toute l’organisation territoriale de la France sans vraiment la simplifier. Ce qui était pourtant sa mission première.

Le grand chamboule-tout u regard des propositions du Comité de réflexion sur la réforme territoriale, la réforme constitutionnelle adoptée en juillet risque de paraître bien anodine. À son installation, le 22 octobre, l’objectif assigné à ce comité, dont la présidence a une nouvelle fois été confiée à Édouard Balladur, pouvait sembler louable. Il s’agissait, par une réforme ambitieuse, de simplifier le « millefeuille » territorial. « Le moment est venu de poser la question des échelons des collectivités locales, dont le nombre et l’enchevêtrement des compétences sont une source d’inefficacité et de dépenses supplémentaires », avait alors expliqué Nicolas Sarkozy. Après quatre mois de travaux, les orientations que devrait préconiser le comité Balladur ne suppriment pas l’échelon départemental. Mais elles ne se contenteront pas pour autant d’un simple lifting de la carte territoriale de la France. Le Comité préconise un chambardement complet des institutions locales. Édouard Balladur en a donné lui-même les grandes lignes dans un entretien à L’Express, le 11 février : « Si l’on parvenait d’un côté à imbriquer élections départementales et régionales, et de l’autre élections communales et intercommunales, à simplifier les attributions des diverses collectivités, à créer huit

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Le projet s’inscrit dans un mouvement général dont l’objectif est de réduire les dépenses publiques. SAGET/AFP grandes métropoles, à créer le Grand Paris de 6 millions d’habitants, alors ce serait une grande réforme », confiait l’ancien Premier ministre.

Le comité ne suggère pas seulement de modifier ici et là les frontières de régions et de fusionner quelques départements. Il préconise aussi de modifier la hiérarchie de nos institutions

locales, privilégiant l’intercommunalité à la commune, la région au département. Ce qui ne va pas sans une redistribution des compétences ni une refonte de la fonction publique territoriale. Son projet s’inscrit ainsi de fait dans le mouvement général de la RGPP, la réforme générale des politiques publiques, dont l’objectif

Les principales propositions du comité Balladur Avant la remise de son rapport au président de la République, sans doute le 3mars, le Comité de réflexion sur la réforme territoriale, que préside Édouard Balladur, devait se réunir une dernière fois mercredi afin que chacun de ses onze membres (1) se prononce sur les dix-huit réformes du texte final, dont voici les grandes lignes: – Renforcement de l’intercommunalité. En remplacement d’un scrutin au second degré, les conseillers municipaux les mieux élus deviendraient conseillers intercommunaux. – Création de «conseillers territoriaux». Élus au scrutin de liste, ils se substitueraient aux conseillers généraux et régionaux; certains siégeront au département et à la région, d’autres

uniquement au département. – Diminution du nombre des régions. Elles passeraient de 22 à 15 avec des fusions, notamment de la Basse et la HauteNormandie, mais aussi de la Bourgogne et de la Franche-Comté. – Modification des contours de certaines régions. Parmi les modifications envisagées figurent le rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne, le dépeçage de la Picardie et l’extension des frontières de l’Île-de-France. – Rapprochement de départements. C’en serait fini de la séparation des deux Savoies, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, etc. – Favoriser l’émergence de huit grandes métropoles. Ces supercommunautés urbaines (Marseille, Lyon, Toulouse, Nice, Lille, Bordeaux, Nantes et Strasbourg)

reprendraient une partie des compétences des départements, notamment l’action sociale. – Création du Grand Paris par fusion de Paris et des trois départements de sa petite couronne. Dans cette collectivité aux compétences étendues, gouvernée par un collège de 135élus, les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne, ainsi que les intercommunalités _M. S. disparaîtraient. (1) Le comité se composait de cinq élus, trois UMP et deux PS (Édouard Balladur, Gérard Longuet, Dominique Perben, Pierre Mauroy et André Vallini), et six personnalités (Daniel Canepa, président de l’Association du corps préfectoral, les journalistes Jean-Claude Casanova et Jacques Julliard, Elisabeth Lulin, inspectrice des finances, Jean-Ludovic Silicani, conseiller d’État, et Michel Verpeaux, professeur de droit).

premier est de réduire les dépenses publiques. Personne n’y échappe. Pas même les élus. Le remplacement des conseillers généraux et régionaux par des « conseillers territoriaux » permettrait de réduire leur nombre de 6 000 à 4 000. Ce « big bang » des territoires suscite déjà de multiples levées de bouclier. D’élus de toutes tendances dans les régions promises à un dépeçage, de syndicats de fonctionnaires territoriaux… Le PS n’est pas en reste, qui craint que l’UMP ne cherche à travers ce projet à déstabiliser ses positions. Ces réactions catégorielles risquent toutefois de passer à côté de l’essentiel. En privilégiant l’agglomération et la région, le projet Balladur transforme la commune en une simple subdivision administrative. Dépourvue de fiscalité propre, son budget ne dépendrait plus que de subventions négociées avec les échelons supérieurs, énormes machines éloignées des citoyens. Privée ainsi d’autonomie, la commune, lieu de base de la construction du lien politique depuis la Révolution, est menacée. À l’heure de la gouvernance triomphante, ce n’est sans doute pas un hasard. _Michel Soudais

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POLITIQUE TRIBUNE Christian Picquet est militant du Nouveau Parti anticapitaliste et animateur de l’association Unir. Selon lui, aucune force politique ne peut incarner seule une alternative crédible de transformation sociale.

Jusqu’au bout pour le front de gauche oin de la diplomatie et de la langue de bois. Ce début mars va représenter la première épreuve de vérité pour le Nouveau Parti anticapitaliste. Épurée d’une large part des représentants de la minorité « unitaire » au terme du coup de force orchestré à l’issue de son congrès fondateur (Politis en a rendu compte), sa direction va devoir définitivement sortir de l’ambiguïté : ou, à l’occasion des rencontres organisées avec ses partenaires potentiels, elle ouvre enfin la porte laissée entrebâillée à la constitution d’un front de gauche pour les élections européennes ; ou, comme elle semble vouloir en préparer par touches successives le terrain, elle va jusqu’au bout d’un choix de fermeture, donc de la division délibérée de la gauche de gauche. L’enjeu n’est pas mince. À l’heure où la crise du capitalisme place la planète tout entière au bord de catastrophes humaines et écologiques majeures, où la construction libérale de l’Europe révèle sa finalité destructrice de conquêtes sociales et

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démocratiques fondamentales, où l’exaspération populaire peut à tout moment déboucher sur une explosion dont la grève générale de Guadeloupe dessine possiblement les prémisses, la question est plus que jamais posée d’une réponse politique à la hauteur de défis littéralement historiques. Face à un Parti socialiste irréversiblement prisonnier d’une ligne d’accommodement qui entraîne la gauche française dans les mêmes impasses désintégratrices que son homologue italienne, aucune force ne peut à elle seule incarner une alternative crédible de transformation sociale. Y compris le NPA, dont le succès et l’écho proviennent, par-delà la personnalité d’Olivier Besancenot, de la promesse affichée d’un renouvellement profond des pratiques politiques à gauche, autrement dit d’une réconciliation du dire et du faire. Pour savoir si le rassemblement d’une gauche digne de ce nom, susceptible d’initier un bouleversement de la donne politique hexagonale, s’avère possible, trois critères, trois seulement, méritent d’être retenus. Il doit

d’abord être porteur d’un contenu clairement en rupture avec les politiques capitalistes et libérales conduites ces trois dernières décennies, avec les résultats que l’on sait. L’appel de Politis en a, à grands traits, tracé les contours : refus du traité de Lisbonne, redistribution radicale des richesses au moyen d’une harmonisation sociale et fiscale au niveau le plus élevé, réappropriation publique du système bancaire et du crédit, instauration d’un bouclier social protégeant les populations du continent des politiques patronales de sortie de crise, mise en œuvre d’un processus constituant pour une Europe authentiquement démocratique, sortie de cette alliance belliciste aux mains des États-Unis qu’est l’Otan… Il lui faut encore afficher le plus large pluralisme, offrant aux organisations ou mouvements politiques engagés une identique visibilité, tout en englobant dès le départ le maximum d’acteurs du mouvement social. Il a enfin le devoir impératif d’impulser, sur le terrain, une dynamique populaire d’une ampleur

comparable à la campagne du « non » de gauche de 2005. Toute autre « condition » ne sera que prétexte ou faux-semblant, inavoué car inavouable, et il sera perçu ainsi à une large échelle. Ne parlons même pas de la demande d’un accord programmatique sur la sortie du nucléaire, si incongrue qu’en son temps la LCR se garda bien de chercher à l’imposer à Lutte ouvrière pour la conclusion d’alliances électorales. Quant à l’exigence que le front des européennes se prolonge aux régionales de l’anIl convient née suivante, elle de créer ne saurait repréles conditions senter un préalad’une union ble justifié. Non anticapitaliste dont nul ne pourra que l’indépendance envers le se tenir à l’écart. social-libéralisme fût un point secondaire. Elle constitue, au contraire, le problème dont dépend, in fine, l’émergence d’une force à même de disputer au PS l’hégémonie dont il continue à jouir sur la gauche, en dépit de son incurie. Mais l’unique manière de faire avancer cette indispensable clarification n’est-elle pas de remédier à cet éparpillement fatal qui pousse une partie de la gauche de transformation à se résigner à la satellisation par le PS ? Quelles que soient les tensions entre organisations que l’on peut redouter pour les jours prochains, le découragement ne doit pas être de mise. La construction du plus large front de gauche et, surtout, l’élan militant qui le portera vont très largement découler de l’engagement de ceux qui firent le succès du 29 Mai et, plus largement, de ces milliers d’hommes et de femmes qui veulent d’un même vote, vraiment à gauche, sanctionner les politiques libérales et donner un prolongement à une attente sociale sans précédent. Jusqu’au dernier instant, celui où il s’agira de déposer officiellement les listes de candidats, il leur revient de créer les conditions d’une union anticapitaliste dont nul ne pourra, au bout du compte, se tenir à l’écart. La bataille est suffisamment décisive pour qu’aucune énergie ne manque à l’appel…

« Le NPA va devoir définitivement sortir de l’ambiguïté », estime Christian Picquet. DE SAKUTIN/AFP

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SOCIÉTÉ MODES DE VIE Ultratendances, les sites de rencontres renversent les tabous. Mais la toile a surtout ouvert un gigantesque marché matrimonial qui reflète aussi une dégradation du lien social.

Ils en ont le cœur net «

e l’ai trouvée, ou plutôt elle m’a trouvé. Elle était là, dans les fiches et les statistiques. » Les témoignages de cette nature sont légion sur Meetic, leader européen des sites de rencontres. Selon l’Insee, la France compterait deux fois plus de célibataires qu’il y a vingt ans : près de 15 millions. Or, 4 millions d’entre eux seraient adeptes des services de rencontres online. Symptôme d’une civilisation inapte à créer du lien social ? Ou trait d’une société qui parvient avec ce nouvel outil à proposer une réponse à la demande affective ? « On aime toujours comme une époque nous y autorise », philosophe Pascal Lardellier, professeur à

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l’université de Dijon et auteur de Match.com, le pionnier américain, Cœur net. Célibat et amours sur le Meetic le Français, FriendScout l’Alweb (Belin), où il analyse les nou- lemand… les sites de rencontres sont l’emblème de l’éphémère, veaux rapports amoureux de l’instantané et du moinsur ce « gigantesque marché dre risque, à une période où matrimonial » qu’est le web. il serait devenu plus comToutes les couches sociales de célibataires, pliqué de faire des renconsont concernées, à la ville soit un sur tres « live ». « Derrière leur comme à la campagne. deux, se ordinateur, les gens devienSelon lui, Internet serait seraient déjà nent prolixes, ils se dévoidevenu le premier lieu de connectés lent naturellement, affirme drague pour les plus de à un site Emeline Prioult, responsa50 ans, le cercle social se de rencontres. ble du service de presse de réduisant avec l’âge. Meetic. Ces sites ont perApparue dans les années 1990 aux États-Unis, la ren- mis à beaucoup de célibataires de lier contre en ligne a explosé avec la géné- connaissance. » Une aubaine pour les ralisation de l’ADSL (Internet haut timides et les singles endurcis, et un débit) au début des années 2000. accélérateur pour d’autres.

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« Il y a une certaine fierté, maintenant, à dire que l’on a rencontré son mari ou sa femme sur Internet ». BOUYS/AFP

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Fanny et Dimitri, 28 et 30 ans, se sont rencontrés en ligne. Chacun avait ses motivations, mais tous deux cherchaient l’âme sœur. En mai 2007, après deux « rendez-vous Meetic », Fanny s’arrête sur le profil de Dimitri. Trois semaines de chat et de coups de téléphone, et ils se rencontrent. Le courant passe, ils se revoient. Dimitri pose rapidement ses bagages chez Fanny. Elle a longtemps pensé que les sites de rencontres étaient destinés aux « cas désespérés » avant d’essayer. « J’ai été étonnée de voir à quel point c’était facile, confie-t-elle. C’est sûr qu’il faut trier : parfois je “chattais” avec six ou sept personnes en même temps ! » C’est aussi la « facilité » qui a séduit Dimitri, qui estime

SOCIÉTÉ qu’« une fois entré dans la vie active, c’est plus difficile de faire de nouvelles rencontres ». Le lieu de travail reste un endroit de rencontres privilégié, mais les collègues de Dimitri, informaticien hétérosexuel, sont en grande majorité des hommes. « Et une fois qu’on a fait le tour des amis d’amis… » Signe des temps : on déserte les lieux de convivialité et de proximité pour passer des heures derrière son ordinateur, où tout paraît « à portée de souris ». Il suffit en effet de quelques clics pour voir s’afficher des milliers de profils comme autant d’opportunités amoureuses… Des sites spécialisés ont vu le jour pour mieux satisfaire les goûts de chacun : sites professionnels, indexés sur le niveau d’études, les revenus, l’âge, les préférences sexuelles, sites « ethniques » même, le Net étant l’espace communautaire, et communautariste, par excellence… Les célibataires y sont extrêmement convoités. Leur pouvoir d’achat aussi. Le slogan serait : « Payez, vous n’aurez plus qu’à choisir. Cliquez et vous serez servi. » Mais l’apparente facilité d’accès cache un commerce juteux et pas toujours joyeux. Tout d’abord, ce sont surtout les sites qui multiplient les avances : spams, offres promotionnelles, qui a réussi à protéger sa messagerie de leur envahissante publicité ? Et si l’inscription est souvent gratuite, la consultation et le chat sont payants, et plutôt onéreux. Selon les prestations, le forfait peut atteindre 238,50 euros les six mois sur Meetic. Le plus petit forfait, de 29,99 euros pour un mois, ne permet pas de discuter avec tous les membres. On comprend comment Meetic a décroché la première place européenne de la rencontre en ligne en seulement sept ans d’existence. Cotée en bourse depuis 2005, la société revendique un chiffre d’affaires de 133 millions d’euros en 2008. Soit 17,5 % de croissance par rapport à 2007. Son seul concurrent de taille sur le terrain européen est l’Américain Match.com. Meetic a été contraint de lui céder des parts d’un marché estimé par le cabinet Jupiter Research à 400 millions d’euros pour 2008. Gratuit, le Net ? Même déconvenue concernant les prises de contact : on passe vite de la facilité à la désinvolture. « Ça fait un peu supermarché, reconnaît Dimitri. C’est un peu déshumanisant de cliquer sur le profil de quelqu’un et, s’il ne plaît pas, de le jeter à la poubelle. » Certains y voient une accélération des phénomènes de reproduction sociale, Internet venant prolonger l’homogamie universelle. Mais dans une société

adepte du zapping, la toile paraît surtout contribuer à renforcer l’aspect sélectif et optionnel qui menace les relations sociales. On veut écarter le risque, ou la difficulté, mais c’est l’autre qu’on éclipse. Certes, le succès des sites de rencontres semble avoir eu raison du tabou qui pesait sur la discussion « virtuelle », tenace depuis le Minitel rose. « Il y a même une certaine fierté, maintenant, à dire que l’on a rencontré son mari ou sa femme sur Internet », soutient Emeline Prioult. Banalisée ou branchée pour certains, la rencontre via Internet n’est pas assumée de la même manière par tout le monde L’apparente et partout. Question de génération facilité d’accès aussi. À l’aise cache un devant leurs amis commerce juteux sur les circonset pas toujours tances de leur renjoyeux. contre, Dimitri et Fanny n’en ont pas touché mot à leurs parents, de peur qu’ils n’assimilent ces sites à d’autres « peu fréquentables ». D’où l’énergie que dépensent certaines sociétés pour montrer patte blanche, affichant décence de rigueur, vulgarité bannie et armée de salariés chargés de scruter chaque photo et de filtrer chaque message avant diffusion. « Une des clefs du succès de Meetic, et l’une de ses valeurs fondamentales, est la sécurité. C’est ce qui a vraiment donné confiance aux femmes », affirme Emeline Prioult. Sans expliquer pour autant comment s’opère le tri, et selon quels critères. Comme à l’entrée des discothèques ? Et à quel moment ladite « sécurité » vire-t-elle au contrôle ? L’absence de spontanéité, de convivialité et d’intimité aurait éloigné certains, repartis vers les agences matrimoniales traditionnelles. Qu’à cela ne tienne, les sites de rencontre rivalisent d’inventivité pour appâter le client : dernière trouvaille, hautement lucrative, des offres de coaching, soit d’accompagnement personnalisé, pour celui qui peine à draguer tout seul ou à se diriger dans la jungle virtuelle. Devenue phénomène, la rencontre en ligne représente visiblement une solution pour certains. « Mais si de nombreux couples se créent de cette manière, le Net en défait aussi beaucoup », prévient Pascal Lardellier. Les sites de rencontres sont aussi un haut lieu de mensonge. Ni vu ni connu, derrière son écran. Mais ça, ce n’est pas (encore) un argument de vente. _Mathilde Azerot

UNIVERSITÉS Les étudiants ont rejoint les enseignants mobilisés contre la réforme.

Les amphis grondent

L’enterrement de l’enseignement supérieur à l’ENS, le 18 février. BONAVENTURE/AFP ’onde de choc est partie des enseignants le 22 janvier. Depuis, les étudiants sont entrés dans la danse. Réunis en coordination nationale à Rennes-II les 14 et 15 février, les étudiants de 63 universités ont appelé à « amplifier la mobilisation sur les universités par la grève réelle et reconductible ». Le 19 février, au soir d’une nouvelle journée de mobilisation qui a conduit entre 32 000 et 53 000 personnes dans les rues d’une vingtaine de villes, dont plus de 15 000 à Paris, plusieurs dizaines d’étudiants ont occupé la Sorbonne. Preuve qu’ils ne restent pas insensibles à la réforme du statut des enseignants-chercheurs (EC), qui cristallise la grogne dans les universités. « Cette réforme fait de l’enseignement une sanction. Cela va réduire considérablement la qualité des enseignements, donc celle de nos diplômes, et donc celle de nos conditions de travail », résument-ils dans leur appel. Ils sont bien conscients que le problème s’étend au-delà du seul statut des EC : « L’enseignement supérieur est frappé par une série d’attaques majeures […], en particulier depuis l’adoption en catimini de la Loi LRU en 2007 […]. Les objectifs de la classe dirigeante sont simples : soumettre les universités à des logiques de compétitivité, de rentabilité, les mettant en concurrence les unes avec les autres,

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les obligeant à recourir aux financements privés. » Raison pour laquelle ils réclament le retrait des réformes de la LRU, du recrutement et de la formation des enseignants, de l’allocation des moyens, du statut des enseignants-chercheurs et du contrat doctoral unique. La ministre de l’Enseignement supérieur, Valérie Pécresse, a beau jouer l’apaisement en promettant que les négociations vont aboutir, par l’intermédiaire de sa médiatrice Claire Bazy-Malauri, à un nouveau texte autour du principe « de l’indépendance des enseignants-chercheurs » et d’une évaluation « nationale faite par leurs pairs », les premiers concernés ne semblent pas encore convaincus. Même la conférence des présidents d’université (CPU) a posé des conditions à une sortie de crise, dont le rétablissement des 450 emplois supprimés dans les universités en 2009 et le maintien d’une année de formation en alternance pour les reçus au concours de professeur des écoles. Caractéristique de ce mouvement, les universitaires mobilisés rivalisent d’inventivité pour maintenir la pression : cours dehors devant les facs, lecture théâtrale de la Princesse de Clèves devant le Panthéon à Paris, mur des revendications à Orléans… _Ingrid Merckx Pour en savoir plus : www.blog-politis.fr 2 6 févr ier 2 00 9

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ÉCOLOGIE NUCLÉAIRE Après huit mois d’investigation nationale, c’est le département de l’Aube qui pourrait accueillir le premier site français de stockage de déchets radioactifs de « faible activité à vie longue ».

Une Aube « irradieuse » près Soulaines et Morvilliers, l’Aube va-t-elle hériter d’une troisième poubelle nucléaire ? C’est ce que redoutent nombre d’habitants, alors que l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) va dévoiler ses préférences pour le premier site français de stockage de déchets nucléaires « faible activité à vie longue » (FAVL), d’une capacité de 200 000 m3. Le département est bien garni, côté atome : il accueille déjà Soulaines (pour les déchets de faible et moyenne activité à vie courte) et Morvilliers (très faible activité) – 140 ha et 1,65 million de m3 de capacité au total –, mais aussi une centrale (Nogent-sur-Seine), une florissante entreprise de transport de déchets radioactifs (Daher) et un stockage d’obus à l’uranium appauvri à Brienne-le-Château. Dans son voisinage immédiat, la centrale de Chooz (Meuse), le centre d’expérimentation de Valduc (Côte-d’Or) et le futur stockage de déchets HAVL (haute activité à vie longue) à Bure (Haute-Marne). En projet : le Musée du nucléaire de Bar-surSeine. La décharge FAVL assurerait à l’Aube un avenir définitivement « irradieux ». En juin 2008, raconte Michel Gueritte, président de l’association Qualité de vie (QV) (1), 3 115 communes étaient informées par l’Andra que leur

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Un site de stockage exploité par l’Andra depuis 1992 à Soulaines-Dhuys, dans l’Aube. LABAN-MATTEI/AFP géologie les autorisait à être candidates pour héberger son site FAVL, sirènes à l’appui – « développement économique dynamisé par une activité industrielle pérenne… en interaction avec le territoire », « parcours de visite adapté à différents publics » – et dotations financières alléchantes. Pourtant, 99 % ont préféré se passer de la « notoriété » liée à l’enfouissement en faible profondeur de centaines de milliers de m3 de résidus de centrales et d’industries, dont

la radioactivité met jusqu’à mille six cents ans pour décroître de moitié (radium), et même bien plus pour d’autres éléments minoritaires. Mais, dans l’Est, 31 communes sont volontaires, dont 10 dans l’Aube, 10 en Haute-Marne et 6 dans la Meuse. L’Agence en retiendra quelques-unes pour une fouille géologique approfondie. Et, en 2010, elle dévoilera le nom de l’élue, qui consultera à nouveau son conseil municipal pour confirmer sa destinée. « Les municipalités

Polémique sur les risques Selon les experts indépendants de la Criirad, certains rayonnements issus de la « poubelle » de Soulaines sont deux fois plus importants qu’annoncé par l’Andra. «

isques inexistants », répète l’Andra depuis l’ouverture de Soulaines en 1992, sans avancer d’autres preuves que ses propres mesures. Mais, à la suite d’une demande imprévue d’autorisation de rejets, la Criirad s’est penchée sur le site en 2006. Son rapport (1) est sévère. Il y a tromperie sur la marchandise: présenté aux populations comme un site qui « n’effectuerait aucun rejet radioactif dans l’environnement, ni sous forme liquide ni sous forme gazeuse », il rejette bel et bien des radionucléides type tritium, carbone 14, iode 125 ou iode 131. Dans l’eau, par vidange des cuves, et

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dans l’atmosphère, par exemple par la cheminée de l’atelier de compactage. Le rapport épingle ensuite l’insuffisance d’inventaire des substances stockées et des mesures de contrôle de certains rejets alors même que leur autorisation y est soumise. Pour le responsable de l’étude, Bruno Chareyron, le point noir porte sur le calcul a minima des radiations gamma subies par les riverains. «La réglementation est laxiste, l’astuce utilisée par les exploitants nucléaires est de ne compter ni l’irradiation externe, à la clôture, ni celle du transport. Quand les gens voient un

camion avec le logo de la radioactivité, ils devraient savoir qu’il est souhaitable de rester le moins possible à proximité.» Le rapport fait état de radiations supérieures à ce qu’annonce l’Andra, induisant « des risques cancérigènes non négligeables, voire inacceptables ». Pour Michel Gueritte, l’étude épidémiologique lancée en juin en dira plus, mais « un taux de cancer 5 fois plus élevé que la moyenne, ce n’est pas “un agrégat de cas spatio-temporels”, comme dit l’Andra, c’est le cumul Soulaines plus Tchernobyl ». _C. T. (1) www.criirad.org

se sont fait piéger », dit la QV, qui ne croit guère à cette transparence soudaine : trois maires ont appris du ministère de l’Écologie que cette délibération ne serait que « consultative », l’Andra pouvant passer outre. La radioactivité Les appâts de des résidus met l’Andra déclenchent des comjusqu’à mille six plaisances qui cents ans pour menacent notamdécroître de ment l’avenir du moitié. Parc naturel régional de la forêt d’Orient (PNRFO), où la protection du patrimoine et de l’environnement fait loi. Il compte 53 communes, dont 3 sont candidates à la poubelle FAVL ! Et une autre fait partie de la liste des 16 communes que le parc pourrait englober dans son projet actuel d’extension. Problème, disent les opposants, l’article 49 de la charte du PNRFO stipule : pas d’implantation « de nouveaux centres d’enfouissement technique, ni aucun incinérateur, ni centre de stockage de déchets nucléaires ». De quoi contrarier les postulants. Et inciter Nicolas Dhuicq, député maire de Brienne-leChâteau, située dans le parc, à convaincre son monde des bienfaits des FAVL. « Aux élus de faire preuve de responsabilité envers les générations futures », écrit-il dans le bulletin municipal. Selon lui, « la direction du PNRFO ne s’oppose pas à l’implantation ». Mieux : il supprimerait bien l’article 49. « Mêler la haute technologie avec l’environnement » ne le choque pas. « Ça n’engage que lui, réplique, Christian Branle, président du Parc, mon travail est de faire appliquer toute la charte. » Michel Gueritte est convaincu que l’Andra a déjà choisi et que le site sera dans le Soulainois, qui a oublié son opposition de jadis au nucléaire. En fouinant, il est même tombé sur une terminaison de fibre optique fraîchement posée en plein champ. Idéal pour les futurs bureaux, ironise-t-il. En attendant la liste des nominés, que le ministère traîne à divulguer, il diffuse des reportages vidéo à Borloo ainsi qu’au préfet, et prend les paris : le gagnant, pour lui, c’est Juzanvigny. _Christine Tréguier (1) www.villesurterre.com

ÉCOLOGIE C H A N G E R D ’ È R E JEAN-LOUIS GUEYDON DE DIVES Président de la fondation Pour une Terre humaine

Halte au saccage des forêts ! Tristes forêts françaises ravagées par les abatteuses-ébrancheuses,

La capacité des océans d’absorber le CO2 a diminué d’un tiers en dix ans. JUPITERIMAGES

CLIMAT Plusieurs études scientifiques récentes font état de nouvelles très alarmantes.

De sombres nuages ’est une avalanche d’inquiétantes mises à jour sur l’état du climat que vient de délivrer l’Association américaine pour la promotion de la science (AAAS) lors de sa conférence annuelle (à Chicago). L’arrivée au pouvoir de Barack Obama, qui promet un engagement déterminé des États-Unis dans la lutte contre le réchauffement, y est certainement pour quelque chose : les climatologues étasuniens, après huit ans d’autisme de Georges Bush, s’attendent désormais à une écoute attentive. Mais, surtout, les études qui se succèdent distillent un pessimisme général : le dérèglement s’accélère, au point que le scénario noir du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat de l’ONU (Giec) (1) est déjà dépassé. Tout d’abord, les émissions de gaz à effet de serre, loin d’être sous contrôle, comme c’était l’objectif du protocole de Kyoto, augmentent comme jamais : 3,5 % de plus par an depuis 2000 pour le CO2 issu des combustibles fossiles. L’explosion industrielle de la Chine et de l’Inde est en cause. Mais le Giec a aussi sous-estimé les émissions de méthane, puissant gaz à effet de serre relâché par millions de tonnes aux latitudes glacées. Ensuite, les preuves d’un réchauffement accéléré s’accumulent. Les glaces disparaissent par endroits trois fois plus vite que prévu, avec une révision à la hausse du même ordre pour

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l’élévation du niveau des mers. En parallèle, les mécanismes naturels d’absorption du CO2 donnent des signes d’affaiblissement. La destruction des forêts tropicales ne donne aucun signe de pause, encore aggravée par les agrocarburants : ils provoquent finalement plus d’émissions de CO2 qu’ils n’en épargnent en se substituant aux carburants pétroliers. Plus inquiétante encore est l’évolution des océans. Plusieurs études révèlent une baisse de leur capacité à absorber le CO2 émis par les humains, en raison de saturations locales ou de modifications biologiques. « D’environ un tiers il y a une décennie, leur contribution est tombée à 20 % », signale Nicolas Metzl, chercheur au CNRS, dont l’équipe mesure ce gaz dans l’Océan austral depuis dix ans. Mais la menace croissante, c’est l’apparition de cercles vicieux : la disparition des forêts entraîne une augmentation des sécheresses, favorisant les incendies, qui accroissent les émissions de gaz à effet de serre ; le réchauffement climatique modifie la circulation océanique, qui fait remonter à la surface des couches déjà saturées en CO2, qui absorbent moins les quantités présentes dans l’atmosphère, etc. Jusqu’où ? Nul ne sait. Aucun modèle climatique n’a encore pris en compte ces boucles dans ses calculs…

quand elles ne sont pas détruites par les ouragans ou transformées en champs de tir par les chasseurs. Ce qui était un lieu de silence et de sacralité, un refuge pour les animaux, un lieu ouvert aux hommes et un témoin du temps qui passe offre maintenant le spectacle de clairières saccagées, d’arbres déchiquetés à mi-hauteur, de billes de bois entassées, de coupes rases et de larges pistes d’exploitation au sol défoncé et compacté. Tout cela n’est pas l’effet du hasard, mais le résultat d’une politique bien précise, impulsée depuis les plus hauts niveaux de l’État, de maximisation de la production de bois afin d’alimenter les industries de transformation en aval, pâte à papier ou bois d’œuvre. Nicolas Sarkozy n’a-t-il pas lui-même tout récemment demandé qu’on lui présente avant fin mars un plan d’urgence pour « valoriser la filière » ?

À l’heure de la sixième grande extinction de la biodiversité, et alors que 50 % des espèces animales, végétales et de champignons vivent en forêt ou en lisière de forêt, cette obsession de la rentabilité à court terme paraît bien médiocre, pour ne pas dire criminelle. Comment peut-on mettre en balance la nécessaire et urgente protection de la nature, sans laquelle l’espèce humaine disparaîtra tôt ou tard, ainsi qu’un grand nombre d’autres espèces, avec les dérisoires intérêts financiers immédiats des exploitants forestiers ou des fabricants de pâte à papier ? Il y a là une aberrante myopie, un aveuglement qui frise la bêtise. Naguère encore, la forêt française était La protection relativement protégée de cette exploitation de la outrancière par un faible souci de rentabilité biodiversité doit à court terme, aussi bien de la part de l’ONF pour ce qui est des forêts domaniales, passer avant que des très nombreux propriétaires privés (1) qui n’ont de bois que pour le plaisir la rentabilité ou comme placement patrimonial à long terme.

économique.

Mais tout ceci est en train de changer rapidement : l’ONF est désormais sommée par l’État de maximiser sa production et sa rentabilité, et les propriétaires privés sont vivement incités à couper toujours plus de bois, voire culpabilisés s’ils ne le font pas. Quant aux écologistes, ils ont eu la naïveté coupable – dans le cadre du Grenelle de l’Environnement – d’avaliser cette augmentation sans fin de la production, en contrepartie de vagues et illusoires promesses de protection de la biodiversité. Il est donc plus qu’urgent de revenir à la raison, c’est-à-dire avant tout de poser en principe que la protection de la biodiversité doit passer avant la rentabilité économique, et de réglementer en conséquence la gestion forestière. Concrètement, cela veut dire la création de vastes réserves intégrales non exploitées. Et, pour les forêts exploitées, cela implique notamment : interdiction de coupes rases, prélèvements ne dépassant pas la capacité de régénération naturelle, maintien de l’ambiance forestière avec mixité des âges des arbres, préservation des habitats des animaux que sont les arbres morts ou sénescents, etc. Mais, pour l’instant, c’est le chemin inverse qui est pris…

_Patrick Piro (1) Son dernier rapport, qui date de 2007, fait référence auprès des décideurs.

(1) Il y a en France 3,5 millions de propriétaires privés de forêts, dont 85 % possèdent moins de 10 ha. 2 6 f évr ier 2 0 0 9

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MONDE VENEZUELA La presse française fait en permanence un mauvais procès au Président, à l’instar de la droite vénézuélienne. Correspondance, Johanna Lévy.

Chavez président à vie, vraiment ? etit matin sur Caracas. Les tambours résonnent dans les ruelles en pente de La Barraca, quartier populaire que ses habitants ont bâti sur les hauteurs de la capitale vénézuélienne. Après une nuit passée à dépouiller les bulletins de vote sous le regard attentif des testigos de mesa (témoins), La Barraca fête l’élection des voceros, les porte-parole de son conseil communal. Les habitants pourront désormais définir et gérer eux-mêmes les projets qu’ils considèrent comme prioritaires pour l’amélioration de leurs conditions de vie (1). « Il a fallu que le quartier fasse preuve de persévérance pour en arriver là », raconte Agrippina. Modeste commerçante, membre de la commission électorale, elle rayonne : « Le principal, c’est qu’on y soit arrivés ! Le pouvoir populaire, ça ne se décrète pas, ça se construit avec le temps. »

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C’est ce temps qui vient d’être accordé à Hugo Chavez. Le 15 février, 54 % des électeurs ont approuvé la proposition d’amendement constitutionnel présentée par l’Assemblée nationale (enmienda). Désormais, tout élu (maire, gouverneur, député, président) pourra être librement candidat à sa réélection. Le Venezuela adopte ainsi le fonctionnement de la majorité des pays européens, où les

Hugo Chavez connaît une popularité exceptionnelle pour un président au pouvoir depuis dix ans. HO/AFP chefs d’État ou de gouvernement peuvent se succéder à eux-mêmes autant de fois qu’ils remportent les élections. Des régimes qui ne sont pas pour autant considérés comme dictatoriaux ou autoritaires. C’est pourtant ce soupçon qui pèse sur le gouvernement bolivarien. « Non à l’élection indéfinie », « non au castro-communisme » : ses opposants ont employé toute leur énergie à dénoncer la menace d’un Chavez « président à vie » et donc « dictateur ». Une rengaine répétée

à l’envi par les médias. Aurait-on oublié si vite les modalités de notre Ve République ? C’est aller vite en besogne dans un pays comme le Venezuela, où la Constitution a été élaborée par une assemblée constituante et approuvée par consultation populaire, et reconnaît de nombreux dispositifs de démocratie directe, tels le référendum révocatoire, rendu possible à l’encontre de tout élu à mi-mandat, ou la consultation populaire obligatoire

« Un sentiment nouveau de citoyenneté » Pour Sandrine Revet, anthropologue, la politique sociale d’Hugo Chavez a apporté de profonds changements dans la société vénézuélienne.

Politis I Depuis son premier mandat en 1998, Hugo Chavez a initié de nombreuses réformes sociales. Leur effet se fait-il sentir au sein de la société vénézuélienne ? Sandrine Revet I Incontestablement. Aujourd’hui, les populations des quartiers défavorisés (barrios), longtemps ignorées, bénéficient en priorité des mesures sociales. Ces mesures sont universelles: tout le monde peut consulter, par exemple, les médecins qui officient dans les barrios, dans le cadre de la mission Barrio Adentro. Revers de la médaille: Hugo Chavez n’a pas su initier une politique économique et sociale indépendante de la

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rente pétrolière. Ces bouleversements ont aussi un effet symbolique: les populations des barrios pensent désormais qu’elles font pleinement partie de la société vénézuélienne. Cela crée un fort sentiment de citoyenneté, d’où une participation massive aux processus électoraux – y compris au sein des classes moyennes qui ne sont pas acquises au chavisme.

Les médias occidentaux dénoncent l’ambition de Chavez de devenir « président à vie du pays ». Qu’en pensez-vous ? C’est une présentation biaisée. La réforme de la Constitution ne se fonde pas seulement sur l’ambition politique personnelle de Chavez. Elle propose de soumettre la

reconduction des mandats électoraux à la consultation des électeurs. Et on évoque trop peu le référendum révocatoire, qui s’applique notamment au mandat présidentiel… Il s’agit d’une évaluation des politiques mises en œuvre par les élus, de vérifier s’ils réalisent ce pour quoi ils ont été élus. Cette possibilité s’est fortement ancrée dans la conscience des Vénézuéliens : ils affirment que s’ils ne sont pas contents ils auront recours à cette procédure. Cela induit un contrôle citoyen plus fort. -Propos recueillis par Pauline Baron À lire : le Venezuela du XXIe siècle, d’Olivier Compagnon, Julien Rebotier et Sandrine Revet, L’Atelier, mars 2009.

pour toute modification du texte constitutionnel. Après sept élections d’envergure nationale et cinq consultations référendaires, les Vénézuéliens n’ont jamais autant participé à la vie politique qu’au cours de ces dix ans. « C’est la première fois dans l’histoire du pays qu’on nous demande notre avis pour « Pour modifier la constil’opposition, la tution : quelle dicmeilleure chance tature ! », ironise de battre Chavez Luis, élu contrôen 2012, c’est encore qu’il ne soit leur de la gestion du conseil compas candidat… » munal. « Ce qui est sûr, c’est que, pour l’opposition, la meilleure chance de battre Chavez en 2012, c’est encore qu’il ne soit pas candidat… » Au-delà de l’enmienda, le problème de fond réside effectivement dans la popularité du chef de l’État. D’après un sondage de l’Ivad, un institut peu suspect de sympathie pour le gouvernement, 66,5 % des personnes évaluaient positivement en janvier dernier la gestion de leur président. Une performance pour un chef d’État au pouvoir depuis dix ans. Mais aussi le résultat du nouveau modèle démocratique proposé et des politiques sociales menées par son gouvernement, les populaires « missions ». Confortées par la hausse des prix du pétrole, les dépenses sociales n’ont cessé d’augmenter, jusqu’à atteindre 44 % des dépenses de l’État en 2006. Constituant un levier économique (14 % du PIB aujourd’hui), ces politiques ont eu un impact considérable sur les indicateurs sociaux du pays. En réduisant la pauvreté générale de la population de 30 %, la pauvreté extrême passant de 20,3 % en 1998 à 9,5 % en 2007, le Venezuela fait partie depuis 2007 des pays à indice élevé de développement humain. En dépit de ces avancées, l’échec du référendum sur la modification globale de la Constitution proposée par Chavez en 2007 a prouvé qu’il n’était pas invincible. Rendez-vous en 2012. _J. L. (1) Créée en 2006, cette nouvelle instance de participation réunit l’ensemble des organisations populaires d’un secteur et inclut une banque communale chargée de gérer les fonds attribués pour l’exécution des projets définis par les habitants. Il en existe plus de 26 000 aujourd’hui.

LES ÉCHOS

_Propos recueillis par Sébastien Fontenelle

Nous publions ci-dessous un extrait de la chronique No Smoking dont les lecteurs de Libération ont été privés: Là-bas non plus qu’ici, le produit de «première nécessité» ne saurait se réduire au «panier de la ménagère». Et ici non plus que là-bas, l’essence même de la vie ne saurait se définir à travers la délétère comptabilité du «travailler plus», ce dogme par quoi d’aucuns prétendent – quelle blague, quand on y songe ! – endiguer «la crise». La crise qui ne nous épargne pas, à Libération, où, depuis le 10 février, se poursuit la grève de la faim de notre collègue Florence Cousin. Il s’agit d’un conflit qui voit une salariée contester son licenciement, et une direction revendiquer le droit de licencier. Ce conflit est à la fois social et identitaire. Il ne s’agit pas ici de dire qui a commencé, mais ce qui s’achève, quand la violence du monde réel emporte tout, partout. Si, pas plus que dans un seul pays, on ne fait le socialisme dans un seul journal, à tout le moins, l’ultime aberration ou l’ultime reniement (c’est selon la conviction des uns ou des autres) serait d’occulter ce qui le constitue, le journal : en l’occurrence, la fin d’informer aussi à propos de conflits, qu’ils soient sociaux ou identitaires, qu’ils soient de là-bas ou d’ici, et fussent-ils, pour les seconds, dérangeants de proximité. Un «service minimum», comme dit l’autre… Évoquer, donc, la violence que fait à la conscience la présence d’un lit de camp (une couverture, des bouteilles d’eau minérale) sur lequel est allongé un corps muet. Quelles que soient les «raisons» de part et d’autre invoquées, cette grève de la faim, ici, dans le hall de ce journal, hurle la négation de ce qui en fit un intellectuel collectif. À perdurer, à signifier aussi tragiquement que, de facto, on ne put, dix jours durant et sans préjuger de la suite, plus se parler, cette grève de la faim ébranle le bien commun d’une commune intelligence de valeurs, sinon du monde. Ainsi que dans des milliers d’entreprises et pas mal d’entreprises de presse, trois générations de personnels travaillent à Libération. Entre anciens combattus et jeunes précaires, un âge moyen et majoritaire impose un pragmatisme dont, qu’on le veuille ou non, l’origine est sarkozyenne. On peut aussi le qualifier de pragmatisme de crise.

en 2 mots

D’OLIVIER BRISSON

ENTENDU

LU

Toujours aussi arrogante, Laurence Parisot, présidente du Medef, s’est lâchée contre les précaires, qui sont forcément des jeunes, lors du «Grand rendez-vous Europe1LeParisien-Aujourd’hui en France», dimanche 22février. Au sujet de la prime exceptionnelle de 500euros versée à partir du 1er avril à tous les salariés ayant travaillé deux à quatremois, la patronne des patrons a minaudé: « On donne le sentiment de traiter les jeunes […] en chasseurs de primes.» Il est vrai que les patrons, eux, ne quémandent jamais leurs bonus, parachutes dorés, stock-options et autres extravagantes rémunérations, ils se les

Dans une note publiée vendredi dernier, Terra Nova appelle la gauche à la plus grande méfiance vis-à-vis du mouvement de grève en Guadeloupe. « Derrière les protestations contre la vie chère, justifiées mais en réalité subsidiaires pour les animateurs du LKP», son auteur, un certain Alex Céleste, haut fonctionnaire ultramarin, subodore une « tentative de revanche des indépendantistes des années 1960 à 1980 qui n’avaient pu convaincre par les armes». Selon lui, le leader du LKP, Elie Domota, « n’hésite pas à recourir à des méthodes contestables en pays démocratique et qui ne sont pas sans rappeler celles utilisées par des mouvements populistes ou d’extrême droite». Mieux, pour Terra Nova, « en adoptant une attitude curieusement complaisante à l’égard du collectif (LKP) et aussi curieusement brutale à l’égard du patronat, le secrétaire d’État (Yves Jégo) a déstabilisé ses alliés naturels». Les patrons alliés naturels du pouvoir d’État? Il fallait une « fondation progressiste» proche du PS pour oser l’écrire.

DE SAKUTIN/AFP

DE SAKUTIN/AFP

S’étonnant de ne pas découvrir vendredi dans Libération la chronique hebdomadaire de Pierre Marcelle, Politis a pris des nouvelles de l’auteur de No Smoking. Il apparaît que son évocation de la grève de la faim d’une salariée de Libé n’a pas eu l’heur de plaire à Laurent Joffrin (ci-contre), directeur de la publication. Pierre Marcelle : « Revendiquant l’exclusivité de la communication relative à la (douloureuse) situation qui, depuis dix jours, perdurait dans nos murs, Laurent Joffrin, coprésident de Libération et directeur de sa rédaction, s’est opposé jeudi dernier à la diffusion d’une chronique qui, de la Guadeloupe à la rue Béranger, traitait de ce qui, ici et là, identifiait à la fois un conflit social et un conflit identitaire. Peu enclin à m’exposer dans l’évocation d’une affaire interne, je m’y étais cependant résolu en constatant que le journal n’en avait jamais informé ses lecteurs, fût-ce par une brève. C’est ce vide que je me proposai de remplir, avec un ostensible souci de ne pas mettre en avant ma propre appréciation du conflit. Très ingénument, je m’imaginai même que cette chronique, vidant un peu du pus de cet abcès, soulagerait tout le monde, et jusqu’à la direction du titre. Sa censure établit que je m’étais mépris. »

VU

PIERMONT/AFP

À propos d’une grève de la faim rue Béranger…

Pinault et la règle des trois tiers : – 400 millions pour l’entreprise – 400 millions pour les actionnaires – 1200 licenciements pour les salariés.

octroient. Les dirigeants du CAC40 « ont donné le sentiment» d’en faire un peu trop en augmentant leur salaire de base de 5% en moyenne en 2007.

700

Invité à donner son avis sur la grève générale en Guadeloupe, Malek Boutih, membre du bureau national du PS, énonce qu’il y aurait, de son point de vue, quelque chose comme « quelque chose de choquant à voir des bataillons de CRS blancs affronter une population noire» (LCP, 18février). Pour le cas où des téléspectateurs lents d’esprit n’auraient pas complètement compris sa (fine) pensée, Malek Boutih précise que les forces de police déployées dans l’île sont composées « presque à 100% de blancs» – et que c’est bien regrettable. Malek Boutih suggère par conséquent qu’on devrait plutôt envoyer des policiers noirs face à des manifestants noirs: le vrai progrès, parfois, tient à si peu de chose…

le chiffre

C’est le nombre de fonctionnaires de police, toutes catégories confondues (gendarmerie mobile, CRS, RAID, GIPN, RG…), qui ont été déployés le 19 février à Daumeray (Maine-et-Loire) pour assurer la sécurité de Nicolas Sarkozy, qui passait par là.

P. S. La brève interview ci-dessus a été réalisée avant le mouvement –fort discutable– d’un syndicat CGT des NMPP qui a empêché la parution du titre samedi, et le communiqué de la direction de Libé publié lundi.

Utile précision : Daumeray compte 1 600 âmes. Un policier pour deux habitants : voilà ce qui s’appelle se protéger. 2 6 févr ier 2 00 9

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•Après plus •Les négociations sur la hausse •Le mouvement s’est

DOSSIER DOM-TOM

LE TEMPS DES COLONIES n Guadeloupe, comme en Martinique, les revendications exprimées restent essentiellement sociales. Mais l’injustice, aux Antilles, ne parcourt pas seulement une ligne de fracture entre pauvres et riches. Il se trouve que les très grosses fortunes sont la propriété de quelques grandes familles békés, colons blancs arrière-petits-enfants des esclavagistes. Depuis le début de la colonisation par la Compagnie française des îles d’Amérique, au milieu du XVIIe siècle, puis directement sous le joug de l’État français, la structure économique n’a guère évolué. Le pouvoir de l’argent reste très majoritairement blanc. La grande distribution en particulier est aux mains des Békés. D’où un malaise identitaire qui se superpose au constat des inégalités entre les DOM-TOM et la métropole. C’est en cela que l’on peut parler de conflit à caractère colonial. Quant aux chiffres, ils sont éloquents : 12,5 % de la population guadeloupéenne est en dessous du seuil de pauvreté (contre 6,1 % en

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métropole). Quarante pour cent de la population est au chômage (7,5 % en métropole). En 2008, l’indice des prix des produits de grande consommation a augmenté de 3,3 % (contre 1,6 % en métropole). Comme on le voit, la comparaison alimente la thèse de la persistance de la fracture coloniale. Pour autant, les leaders du LKP (Collectif contre l’exploitation) ont la sagesse de ne pas mettre en avant les mots d’ordre indépendantistes. C’est la force et l’évidence des revendications sociales qui s’imposent. Or, en dépit des engagements, même tardifs, de Nicolas Sarkozy, et d’une première concession salariale, c’est loin d’être gagné. La hausse de 200 euros des bas salaires n’est pas acquise. Même si le gouvernement a reculé, le patronat local reste à convaincre de verser le complément. « C’est aux chefs d’entreprise de dire ce qui est possible et ce qui ne l’est pas », a commenté sèchement Laurence Parisot. Ce qui n’augure de rien de bon.

«Une détresse profonde » Spécialiste de l’histoire et de la vie politique de l’outre-mer, Françoise Vergès*, originaire de la Réunion, décrypte les différentes facettes de la crise actuelle dans les DOM. Politis I Vous avez publié le dernier grand entretien avec Aimé Césaire, dans lequel il revenait sur la départementalisation en 1946 des quatre anciennes colonies esclavagistes, qui, selon lui, « résolvait » le problème immédiat de la citoyenneté. Mais il ajoutait : « Si nous laissons faire, tôt ou tard surgira avec violence le problème de l’identité. » Assiste-t-on à la fin du compromis de 1946 ? Françoise Vergès I Je pense que nous assistons à la crise du paternalisme assimilationniste qui a été la traduction par les

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gouvernements de gauche comme de droite et par une grande partie de la classe politique outre-mer de l’espoir de 1946. Certes, la demande de 1946 était ambivalente : pouvait-on demander à la fois l’égalité des droits sociaux avec la France métropolitaine et affirmer la singularité historique, culturelle et économique des départements d’outre-mer ? Pour résoudre cette contradiction, il aurait fallu que les gouvernements français soient prêts à considérer ces singularités, à entendre les populations de ces anciennes colonies, à admettre que trois siècles de colonisation française avaient créé des inégalités

sociales et économiques, que leurs cultures étaient originales… Les députés de ces nouveaux départements ne cesseront d’ailleurs de souligner le fait que l’État français ne choisit que la solution du paternalisme assimilationniste. Soyons honnêtes, cependant : localement, d’importants pans de la population vont jouir des bénéfices secondaires de la soumission à ce paternalisme, et donc le soutenir. La peur de la responsabilisation, le confort de la dépendance, les conflits internes à ces sociétés seront autant d’obstacles à une véritable responsabilisation. Les mouvements culturels et politiques qui émergent dans les années 1960 – affirmation d’une culture, d’une langue et d’une histoire propre à chacun de ces territoires – vont questionner le système du paternalisme assimilationniste et de ses bénéfices. C’est ce dont Césaire parlait.

d’un mois de grève générale, la Guadeloupe reste mobilisée. des salaires ont repris en début de semaine, mais rien n’est acquis. étendu à la Martinique, à la Guyane et à la Réunion.

Est-ce bien un problème « d’identité » qui s’exprime aujourd’hui au-delà des revendications économiques dans les DOM ? Ou bien la question économique est-elle prépondérante ? Indéniablement, il y a une question économique : comment justifier une telle dépendance pour les biens de consommation, les livres, les produits agricoles… à un pays qui se trouve à des milliers de kilomètres ? À la Réunion, la part des importations d’Europe (70 %) n’a pas changé depuis 1956 ! On importe fruits et légumes, on sert dans les cantines poires et pommes dans des îles où poussent mangues, litchis et ananas… La part de production maraîchère locale faiblit inexorablement… La France importe en grande partie de l’Europe, elle évite donc le plus possible d’augmenter le coût de ses importations. Trois de ces territoires sont dans la zone caribéenne et américaine, et la Réunion dans la zone océan Indien, où existent des économies diverses bien plus proches que celle de la France métropolitaine. C’est absurde ! Il faut aussi s’émanciper de la servitude au pétrole : ce sont des terres où le soleil constitue une source d’énergie importante, il y a aussi le vent, la mer… La Réunion est déjà à 37 % autonome pour son énergie grâce au développement du solaire, et cette politique est le fruit d’une détermination du conseil régional. Elle vise le 100 % pour 2025. Les sociétés de ces terres

ont la responsabilité de s’émanciper de certaines dépendances économiques. Elles doivent apprendre à consommer moins, à réajuster leurs besoins, à s’appuyer sur leurs forces. Tout cela ne nie pas une profonde détresse actuelle : la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, et le coût de la vie est jusqu’à 50 % plus élevé qu’en France. Il faut donc des mesures d’urgence. Mais on comprend bien que cela ne suffira pas : quoi dans cinq ans ? Dans dix ans ? Quelle économie ? Quel futur ? C’est là que la question culturelle intervient : à la fois une révolution des mentalités en France et dans l’outre-mer.

Vous avez souvent écrit que, pour les Français d’outre-mer, « la présence de l’esclavage et du colonialisme est patente dans leur héritage ». Cet enjeu de mémoire est-il un élément central de la crise actuelle ? Elle est un élément central en tant que mémoire encore trop marginalisée. La France fut un pays esclavagiste et colonialiste, des Français se sont battus contre ces systèmes, mais le discours reste encore trop celui de la mission civilisatrice. Cette histoire est au cœur de la création des sociétés d’outremer comme au cœur de la société française qui contribue au discours racial, esclavagiste, colonialiste et abolitionniste. Dans les sociétés d’outre-mer, l’esclavage reste une

source de métaphores et d’analogies car une vraie rupture manque encore.

Quelle nouvelle place dans la République aujourd’hui devraient, selon vous, acquérir les DOM ? Une véritable autonomie politique seraitelle une voie possible ? Sans doute, mais une simple réponse administrative ne sera pas suffisante. Une vraie autonomie ne sera possible que si plusieurs conditions sont réunies : le renoncement aux bénéfices secondaires du paternalisme assimilationniste, du courage, de la détermination, du réalisme, du pragmatisme, le désir du bien commun. Du côté de l’État mais aussi, et surtout, car c’est de leur avenir qu’il s’agit, du côté des sociétés et des politiques de ces terres. Cette volonté s’est exprimée dans les mouvements anticoloniaux dès la fin des années 1950, et elle a été alors violemment réprimée par l’État et ses complices locaux. C’est une volonté qui existe toujours et qui s’est renforcée, et il faut s’appuyer sur elle. Il faut redonner le désir d’imaginer et de rêver l’avenir.

La moitié de la population des DOM vit en dessous du seuil de pauvreté, alors que le coût de la vie est jusqu’à 50 % plus élevé qu’en France. AMIET/AFP

_Propos recueillis par Olivier Doubre * Professeur de science politique à l’université de Londres, viceprésidente du Comité pour la mémoire de l’esclavage. Derniers ouvrages parus : la Mémoire enchaînée. Questions sur l’esclavage (Albin Michel, 2006), et Nègre je suis, nègre je resterai, Aimé Césaire, entretiens avec Françoise Vergès (Albin Michel, 2005). 2 6 févr ier 2 00 9

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La machine à expulser En Guyane, des dizaines de milliers d’immigrants, notamment issus d’Amérique latine, subissent un droit d’exception et des abus de pouvoir de l’administration. Reportage.

Arrestation d’orpailleurs clandestins brésiliens à Saint-Georges de l’Oyapock. La Guyane compterait jusqu’à 90 000 étrangers, dont 40 000 sans-papiers, pour 220 000 habitants. AMIET/AFP

epuis deux décennies, « pour faire face au manque de personnel et de moyens », les DOM ont été dotés d’un droit dérogatoire en matière d’immigration, explique Sonia Lokku, de la Cimade Paris. Il est particulièrement efficace en Guyane, terre d’expulsions expresses et massives : environ 10 000 personnes reconduites en 2007, plus de 8 000 en 2008 (1), un taux cent fois supérieur à celui de la métropole (25 000 pour 65 millions d’habitants), dont les statistiques n’agrègent jamais les chiffres des DOM. Mesureclé : la possibilité d’expulser certains ressortissants en 48 heures seulement. C’est encore plus simple sur les fleuves frontières : les gendarmes refoulent souvent directement. « Le chef du bureau de l’immigration, à la préfecture, m’a avoué qu’il s’agissait de faire du chiffre », rapporte une militante des droits humains. En Guyane, les objectifs assignés par le ministère de l’Intérieur sont largement dépassés grâce à une industrialisation des reconduites, politique prioritaire. Tout est fait pour perdre le moins de temps possible, note la Cimade. Antichambre de l’expulsion, l’unique centre de rétention administrative (CRA) du département, à proximité de l’aéroport de Rochambeau, n’a été

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mis aux normes qu’en 2008 et ne compte que 38 places, complétées sur le territoire par un simple local de rétention où les conditions de vie sont déplorables. « Les policiers n’expliquent jamais leurs droits aux

retenus, témoigne José Gomez, de la Cimade Cayenne. On y a enfermé l’an dernier deux mères de familles avec quatre enfants de moins de deux ans ! On a alerté la préfecture, le consul, le juge… Rien à faire, ils ont été expulsés. Un jour, une personne possédant une carte de séjour de dix ans a été reconduite : on ne lui a pas laissé le loisir de téléphoner pour la récupérer à son domicile ! » Les demandeurs d’asile, environ 350 par an en Guyane (2), se retrouvent dans des situations dramatiques. On ne leur laisse souvent pas le temps de formuler une demande, ce qui est une violation de la Convention de Genève. Pendant l’instruction de leur dossier, ils ont interdiction de gagner un autre département, autre mesure d’exception. Ils n’ont pas le droit de travailler, mais, comme il n’y a pas de centre d’accueil (Cada), les familles ne disposent pour vivre que d’une allocation de 300 € par mois, quand la procédure peut durer quatre ans ! « Une incitation explicite à travailler au noir et à squatter », traduit l’avocate Claire Trimaille, permanente de la Cimade Cayenne, où l’on est débordé par les demandes d’aides. Jusqu’en 2006, un réfugié débouté par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (l’Ofpra) était tenu de se rendre en métropole s’il voulait défendre un recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) ! En décembre 2007, finalement, une mission de trois juges du CNDA s’est déplacée à Cayenne… pour traiter 350 dossiers en deux semaines. « La question des jeunes nés en Guyane est centrale, souligne José Gomez. Pour peu

Les Haïtiens ont peur Radio Mosaïque, tout le monde connaît, dans la cité Brutus. La deuxième audience de Cayenne, devant RFO. C’est le repère des Haïtiens. Les animateurs, jeunes et volubiles, sont remontés: « On nous prend pour des barbares! » Le Haïtien, ici, c’est le bouseux de service, « qui parle mal le français, s’habille avec un sac, inculte…». « C’est à cause de notre accent créole, s’échauffe Ashia, mais à l’écrit, on est imbattables! » Cayenne ne compte plus les entrepreneurs issus de l’île caribéenne. Mais surtout, « il faut nous voir pendant le carnaval, on entraîne tout le monde! », assène Dirty Mix. Argument définitif: le

carnaval est une institution locale majeure. Nos interlocuteurs témoignent sous leur nom d’antenne. « On n’est pas tous régularisés…Les Haïtiens ont peur.» Surtout ne pas se faire prendre, après le sacrifice consenti pour venir en Guyane, en général pour une demande d’asile. Pour le billet d’avion et le faux passeport, ce sont de grosses dettes laissées au pays. L’expulsion, « sans même un coup de téléphone au consul», est synonyme de terrible échec. « Au pays, on est étiquetés “diaspora”, vous nous voyez rentrer en pyjama? Les Brésiliens peuvent retraverser la frontière dès le

lendemain, pas nous.» Les Haïtiens sortent peu de leurs quartiers. Deuxième communauté immigrée de Guyane après les Brésiliens, ils ne pointent pourtant qu’au septième rang des usagers du centre d’accueil de Médecins du monde, commente son directeur, Jean-Noël Robillard, « avec des répercussions sanitaires certaines». « Pour se mettre en règle, nos jeunes se mettent à faire des enfants “guyanais” de plus en plus tôt. Bien obligés…», lâche McSon. « On y est très opposés, coupe Dirty Mix. C’est une dérive inquiétante.» _P. P.

« L’État est en pleine schizophrénie ! » Emmanuel Lafont, évêque de Cayenne, prêtre à Soweto dans les années 1980, est très impliqué dans les problèmes sociaux de la Guyane, en particulier l’immigration.

que leurs parents, mal informés, n’aient pas fait les démarches, ils se retrouvent dans des imbroglios sans issue. » En particulier du fait de « spécialités » locales : les instituteurs demandent un certificat de nationalité aux élèves, puis le tribunal exige PATRICK PIRO un certificat de scolarité pour la délivrance d’un passeport. Plus tard, à l’agence pour l’emploi, l’acte de naissance est insuffisant. « De nombreux jeunes, déscolarisés à 16 ans, sont dans l’incapacité de faire valoir leurs droits, explique José Gomez, alors que, selon la loi, il leur suffit de prouver qu’ils ont vécu plus de cinq ans d’affilée sur le territoire. » Entraves à la prolongation des cartes de séjour, demande de pièces non obligatoires, délais considérables pour un rendez-vous, etc., les abus de pouvoir de l’administration sont monnaie courante. « Des personnes a priori en règle se retrouvent en rupture de papiers, donc exclues de leurs droits, allocations, etc, mais aussi expulsables ! », s’élève Sonia Lokku. L’accès aux soins pour les étrangers – couverture maladie universelle ou aide médicale de l’État –, déjà compliqué par ces pratiques, est rendu encore plus précaire par les réticences des médecins de ville et des hôpitaux. Une enquête du centre Médecins du monde en 2007 enregistre 80 à 90 % de refus de prise en charge dans l’agglomération de Cayenne, où seulement deux dentistes accueillent les étrangers sans condition. La Cimade dénonce également une confusion des rôles entre les administrations. Le juge des libertés et de la détention se substitue au tribunal administratif pour expédier le cas de personnes retenues à Rochambeau. « Ça s’est un peu calmé, mais la préfecture se charge régulièrement de rejeter les demandes d’asile des Brésiliens, courtcircuitant l’Ofpra, témoigne Claire Trimaille. Le droit, ici, c’est une mascarade, les autorités interprètent tous les textes ! »

Le centre d’accueil de Médecins du monde, à Cayenne, a reçu près de 800 étrangers en 2008.

_Patrick Piro (1) et 16 000 pour Mayotte, l’autre point chaud des DOM en la matière. (2) un taux trois fois plus important qu’en métropole.

Politis I Avec les évêques de Guadeloupe, de Martinique et de la Réunion, vous venez de lancer un appel pour « un changement de statut » des DOM et « l’abolition définitive de tout ce qui peut faire croire à un relent de colonialisme ou de néocolonialisme (1) ». Êtes-vous inquiet quant à l’évolution de la situation en Guyane ? Emmanuel Lafont I Un collectif guyanais contre la vie chère s’est constitué, avec les mêmes revendications qu’en Guadeloupe et en Martinique. Il demande au moins une baisse du prix de l’essence, et sa détermination est grandissante. Il y a des barrages sur les routes, la situation est très fluctuante, personne ne maîtrise rien, on ne sait pas dans quelle direction les choses peuvent évoluer. On est vraiment sur la corde raide. S’ajoute à cela un « interrègne » de deux mois de la représentation de l’État, pendant lesquels nous n’avons pas eu de préfet ! Le nouveau n’est arrivé à Cayenne que la semaine dernière. La question centrale qui se pose à la Guyane « Ce pays est aujourd’hui, c’est : comvide : on voudrait le remplir, mais on ment garder la tête froide ? ne met aucun L’immigration moyen en face. »

semble hors de contrôle… On est réellement dans une situation impossible où se nouent toutes les contradictions de ce pays : il est vide, on voudrait le remplir, mais on ne met aucun moyen en face. Il n’y a pas d’infrastructures, pas de logements, pas de personnel administratif pour traiter les dossiers des arrivants (compte tenu de leur nombre, trois cent fois moins de fonctionnaires qu’en métropole), il manque la moitié des greffiers au tribunal, etc. La préfecture – l’État – n’a tout simplement pas les moyens de gérer l’afflux de demandes de permis de séjour ou d’asile politique. Les associations réclament la création d’un Centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada), mais vous imaginez la dimension de l’équipement pour la Guyane ? Il faudrait une caserne ! En fait, tout le monde est pris à la gorge : arrivants, administration et société guyanaise dans son ensemble.

C’est déjà tellement ingérable que toute politique de restriction budgétaire prend ici la tournure d’une catastrophe.

Il existe une tension perceptible dans la société guyanaise. Comment vitelle la situation ? Nous connaissons les mêmes problèmes qu’en Guadeloupe : la vie très chère, un chômage endémique qui atteint 25 à 30 % chez certaines populations, notamment les jeunes, qui échappent totalement au contrôle des adultes – les moins de 25 ans représentent la moitié de la population. Résultat, les migrants sont détestés et exploités, il existe une forte proportion de travail au noir. On ressent cette tension jusqu’au sein de l’Église : personne ne voulait faire le boulot ici, j’ai dû faire venir cinq missionnaires du Brésil, ce qui m’a valu des lettres d’insulte.

Emmanuel Lafont, évêque de Cayenne, appelle à l’abolition de « tout relent de colonialisme ». AMIET/AFP

Dans l’appel des évêques, vous appelez à « gérer au plus près du terrain tout ce qui peut l’être sans recourir systématiquement aux instances supérieures », et à « confier des responsabilités plus grandes » aux élus locaux… Depuis deux ans, nous assistons en Guyane à un renouveau des élus, qui demandent plus de pouvoir pour l’échelon local. Cela sanctionne notamment un manque de relation tragique entre les élus et l’administration. Ici, on fait venir de métropole des fonctionnaires qui ne restent en poste que deux ans. L’État est en pleine schizophrénie ! _Propos recueillis par Patrick Piro (1) www.eglise.catholique.fr 2 6 f évrier 2 00 9

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DOSSIER DOM-TOM

« Une grève plus que légitime » Neuf intellectuels antillais publient un manifeste en soutien au mouvement dans les DOM. Ils réaffirment, au-delà des questions économiques, la revendication anticoloniale.

Manifestation à Fort-deFrance, en Martinique, le 18 février. La force de ce mouvement est d’avoir su réunir nombre de luttes sectorielles. ANDRÉ/AFP

n connaissait l’écriture souvent emplie de poésie d’un Patrick Chamoiseau ou d’un Édouard Glissant. Accompagnés du plasticien Ernest Breleur, du sociologue Serge Domi, de l’écrivain Gérard Delver et de plusieurs universitaires de l’université Antilles-Guyane, ils l’ont mise au service de la lutte des habitants des départements d’outre-mer. Dans un manifeste publié par de nombreux journaux et sites Internet (1), ces intellectuels antillais appellent en effet, face à ce « système où règne le dogme du libéralisme économique », à prendre conscience de l’exigence du « poétique » (c’est-à-dire de « l’épanouissement de soi ») qui se « profile » derrière les revendications économiques du mouvement en Guadeloupe et dans les autres DOM. C’est-à-dire donner à entendre le poétique au-delà du « prosaïque du “pouvoir d’achat” ou du “panier de la ménagère” ». On aurait toutefois tort de lire simplement ce manifeste comme un énième appel conceptuel à dépasser le capitalisme. Certes, il souhaite donner voix au rêve, ou « grand désir », de « jeter les bases d’une société non économique ». Mais il s’agit d’abord pour ces auteurs de saluer cette grève « plus que légitime » dont la « force » est d’avoir su réunir nombre de luttes sectorielles, « inaudibles » seules, ou isolées « dans la cécité catégorielle » (hôpitaux, établissements scolaires, entreprises, collectivités territoriales, etc.).

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Cependant, l’importance de ce texte au beau style imagé, qui débute par une citation de Gilles Deleuze prévenant que « le peuple qui manque est un devenir », réside sans aucun doute dans son appel, au-delà des revendications sociales immédiates, à une « exigence existentielle » pour ces peuples longtemps minorés et qui luttent fièrement aujourd’hui. Ceux-ci devraient maintenant se saisir, selon les auteurs, de cette occasion pour « entrer en dignité sur la grand-

scène du monde ». Une revendication, pourtant, « qui ne se trouve pas aujourd’hui au centre des négociations en Martinique et en Guadeloupe, et bientôt sans doute en Guyane et à la Réunion ». Et ces intellectuels de souhaiter que ce mouvement finisse par « fleurir en vision politique, laquelle devrait ouvrir à une force politique de renouvellement et de projection, apte à nous faire accéder à la responsabilité de nous-mêmes par nous-mêmes ». En somme, alors que le LKP, collectif qui regroupe de nombreuses organisations syndicales et associations aux sympathies tout au moins autonomistes, a choisi de ne pas porter de front la question politique par rapport à une « métropole » Ces intellectuels souhaitent que le qu’il faut bien appeler, vu mouvement finisse la structure économique de ces sociétés, la puispar « fleurir en vision politique ». sance coloniale, ces hommes de lettres ou de l’art décident ici de dire tout haut ce que beaucoup pensent mais ont stratégiquement (pour l’instant ?) choisi de taire : la revendication politique pour, enfin, se « débarrasser des archaïsmes coloniaux ». Le chemin sera sans doute encore long, mais l’exprimer clairement est déjà en soi une première conquête politique. Les DOM ont peut-être commencé à exprimer sous une forme nouvelle leur (ancien) « souffrant désir de faire peuple et nation ». _Olivier Doubre (1) Le texte entier du manifeste est consultable sur de très nombreux sites, dont : www.indigenes-republique.fr/article.php3?id_article=413 ou http://resister.over-blog.com

Visées indépendantistes Un spectre hante le conflit des Antilles. Les indépendantistes auraient une présence forte dans le mouvement guadeloupéen. En appui de cette thèse défendue à l’UMP et dans des rangs socialistes, les médias n’ont pas manqué de noter que les seuls partis politiques associés au mouvement sont de la mouvance indépendantiste, comme l’UPLG (Union populaire pour la libération de la Guadeloupe), Combat ouvrier (trotskiste et proche de LO), le Parti communiste guadeloupéen et la Convention pour une Guadeloupe nouvelle. Quant au charismatique

porte-parole du LKP, Elie Domota, on lui prête volontiers des « visées politiques» et une proximité idéologique avec Djibaou, le leader kanak assassiné en 1989. Le fait qu’il soit secrétaire général de l’UGTG accréditerait cette lecture du conflit si ce syndicat, proche des indépendantistes, n’était aussi majoritaire sur l’île, traduisant l’ancrage d’une composante importante du paysage politique local. Cette banalisation de l’indépendantisme est encore plus vraie en Martinique, où 33 des 86élus à la région et au

département sont issus de quatre des six partis de cette mouvance, le président du conseil régional, le député Alfred Marie-Jeanne, étant le fondateur du Mouvement indépendantiste martiniquais. En Guyane, Alain Tien-Liong, président du conseil général, est membre du Mouvement de décolonisation et d’émancipation sociale. Ces indépendantistes réclament plus la démocratie politique et sociale (le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes) qu’une indépendance qui, dans le contexte géopolitique, serait illusoire. _M. S.

Une économie postcoloniale Héritage de la société coloniale, les richesses dans les DOM restent concentrées entre les mains de quelques familles, généralement descendantes des grands propriétaires des plantations. aussi que ressurgissent discrètement des rancœurs anciennes. Toutefois, le collectif LKP a choisi de ne pas mettre en avant des revendications identitaires, autonomistes, voire indépendantistes, pour certains de ses membres. Car ce sont bien le coût de la vie et la faiblesse des salaires (cf. encadré), outre COEX/AFP des taux de chômage record, notamment parmi les jeunes, qui ont fait s’embraser la Guadeloupe, l’un des départements où les prix des produits sont les plus chers de France, puis les autres DOM. Ainsi, alors qu’en métropole une baguette de pain coûte en moyenne 0,85 euro, elle vaut à Pointeà-Pitre… 2 euros ! Les légumes ont des prix trois ou quatre fois supérieurs à ceux qui se pratiquent à Paris. Quant aux produits manufacturés, leurs prix peuvent être deux à trois fois supérieurs à ceux de la métropole. Une situation qui ne peut plus durer.

Les békés contrôlent les secteurs de la grande distribution, du tourisme, de la distribution d’hydrocarbures, etc.

rançoise Vergès rappelait dans un article paru dans Mémoire postcoloniale en France (1) et intitulé « Territoires oubliés, mémoires troublées » combien les sociétés qui avaient connu l’esclavage souffraient toutes d’un « retard » économique et social certain. Depuis l’abolition de l’esclavage en 1848 (pour laquelle les propriétaires d’esclaves ont été « dédommagés » par l’État pour la perte de « valeurs » subie), puis la « départementalisation » de 1946, qui a fait des habitants (et donc des anciens esclaves) de ces quatre territoires des Antilles et de la Guyane des citoyens français, la structure économique de la Guadeloupe est néanmoins restée peu ou prou inchangée. Les békés, descendants des propriétaires des grandes plantations, continuent d’avoir, dans une écrasante proportion, la mainmise sur l’économie : il n’y avait qu’à regarder la photo d’une réunion du patronat guadeloupéen que nous avons publiée il y a deux semaines (voir Politis n° 1039, p. 17) pour s’apercevoir qu’il est uniquement composé de Blancs… Ayant pu s’adapter aux évolutions de la société du fait de leur capacité financière, ceux-ci contrôlent aujourd’hui les secteurs de la grande distribution, du tourisme ou de la distribution d’hydrocarbures, en somme tout ce qui fait « tourner » l’économie locale. On comprend ainsi pourquoi la grève a, en premier lieu, touché ces secteurs, avec des blocages de stations-service et de supermarchés, mais cela explique

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_O. D. (1) Sous la direction de Nicolas Bancel et Pascal Blanchard, Autrement, 2008.

Des inégalités criantes Le coût de la vie dans les DOM, largement supérieur à celui de la métropole, n’est en rien compensé par des salaires qui seraient plus élevés, sauf pour les fonctionnaires, qui ont droit à une prime de 40%, justement du fait de la perte de leur pouvoir d’achat par rapport à la métropole. Ce qui montre que l’État est bien conscient de cette situation. En 2007, le revenu disponible (c’est-à-dire après impôts par an et par ménage) y était de 10830 euros, alors qu’en métropole il dépassait les 18000 euros. Les DOM connaissent en outre un taux de chômage endémique: alors qu’en métropole il avoisine officiellement 8,1%, il dépasse partout dans ces territoires les 20% et monte parfois même, chez les jeunes, à des niveaux proches de 55%. Enfin, les ménages RMIstes représentent environ le quart de la population, et même 31,4% à la Réunion. Pas très étonnant qu’avec de telles _O. D. inégalités, la révolte gronde!

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CULTURE

FESTIVAL

« Échapper à l’exotisme » ous avons pris l’habitude de voir se produire en France des artistes venus de loin. Lorsque Ravi Shankar joua au musée Guimet dans les années 1950, ce fut considéré comme un événement rare. Aujourd’hui, il n’est pas de semaine sans que ne soit programmée une manifestation présentant des musiciens d’Asie centrale, d’Inde, d’Afrique, d’Amérique latine ou d’ailleurs. Cette multiplication des concerts a grandement facilité l’accès à des formes d’expression naguère encore ignorées. Mais on oublie que, si ces artistes peuvent venir nous faire partager leur culture, c’est parce qu’en amont d’autres ont travaillé pendant de longs mois. Depuis treize ans, le Festival de l’imaginaire de la Maison des cultures du monde s’attache à faire découvrir des artistes et des formes spectaculaires que nous n’avons que rarement l’occasion de voir en France : cette année, dix-huit solistes ou groupes se produiront durant près de six semaines.

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Politis I Comment, en tant que directrice du festival de l’Imaginaire, préparez-vous une programmation d’une telle ampleur ? Arwad Esber I Pour montrer la diversité dans toute sa richesse, il y a plusieurs manières de procéder. On peut simplement ouvrir un atlas et se dire : « Tiens, là on ne sait pas ce qui se passe, nous n’avons rien présenté, il faudrait peut-être vérifier s’il y a quelque chose d’intéressant. » C’est ainsi que nous avons choisi les masques Gule Wamkulu de Zambie (du 5 au 8 mars). Le travail commence par des lectures et l’écoute d’enregistrements, lorsqu’il y en a, jusqu’à ce qu’on arrive à identifier une forme ou un groupe. Alors, on envoie une mission sur place, parce qu’il faut toujours évaluer si ce qui a été repéré de loin peut être présenté sur scène à Paris. Cette année, nous sommes allés en Zambie, au Laos, en Ouganda, en Argentine, en Indonésie, au Pakistan et en Corée. En d’autres occasions, nous collaborons avec des spécialistes qui connaissent des artistes et nous mettent en contact avec eux. Ça a été le cas pour les joutes poétiques de

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Le Festival de l’imaginaire propose des spectacles de divers pays du monde. Sa directrice, Arwad Esber, en explique l’esprit.

Sardaigne et des Baléares (14 et 15 mars) ou les joueurs de flûtes gasba de l’Est algérien (17 et 18 mars). En revanche, nous ne travaillons pas avec des tourneurs ni avec des agents ; nous ne programmons pas des artistes qui sont connus et passent régulièrement, notamment dans les circuits de world music, ou qui entrent plus ou moins dans les critères culturels « occidentaux ».

MCM/FLORABELLE SPIELMANN

Un tel festival permet aux spectateurs français de découvrir des musiques et des spectacles d’ailleurs. Mais n’a-t-il pas également un impact sur les cultures des artistes ? Si, bien sûr. Même quand ils sont fiers de leur culture, ils sont touchés de susciter un tel intérêt. Parfois, cet intérêt leur permet de mieux faire reconnaître chez eux la valeur de ce qu’ils font. Pour les porteurs de masques Gule Wamkulu, par exemple, c’est d’autant plus important que leurs sorties ont été interdites pendant plusieurs années par les colons, par l’Église, aussi, qui les considérait comme sataniques, sans doute parce que les blancs et les puissants y étaient moqués. Plus récemment, on a vu se manifester un autre péril. Lors de beaucoup de voyages que j’ai faits pour préparer diverses éditions du festival, très souvent dans des pays pauvres, en Afrique, en Amérique latine et même dans certains coins de l’Asie pacifique, j’ai constaté les effets de l’arrivée du rouleau compresseur des évangélistes : ils s’engouffrent dans des brèches laissées vides par les États et les gouvernements, ils

assurent la scolarité et la médecine en échange d’une acculturation complète, ils exigent que la population délaisse complètement sa culture. C’est effrayant.

Face à ces dangers, la création par l’Unesco d’un label « Patrimoine culturel immatériel de l’humanité » assure-t-elle la préservation de pratiques risquant de disparaître ? Dans certains cas, cela permet d’ouvrir les yeux des responsables sur place pour leur faire comprendre la singularité et l’importance de ce que recèle leur culture. Mais l’aspect négatif est que l’attribution de ce label risque de figer, de folkloriser, ces manifestations, d’en faire des événements touristiques dénués de sens. Le théâtre d’ombres Wayang Kulit d’Indonésie (2, 3 et 4 avril) figure sur la liste de l’Unesco. Il a toujours été très vivant, le manipulateur dalang continue à exprimer tout haut ce que le peuple ne dit pas : il ne risque pas d’être folklorisé. Par contre, au Bénin, le ministère de la Culture contrôle désormais le droit d’accès à une cérémonie inscrite au patrimoine immatériel et exige des tarifs faramineux simplement pour y assister… C’est devenu une poule aux œufs d’or.

L I T T É R AT U R E

MUSIQUE

Bron Mais, pour assurer la pérennité de la diversité culturelle, peuton se contenter de chercher à protéger et à conserver ? Certainement pas. Il ne faut pas oublier que les cultures ont toujours évolué, qu’elles ne vivent et ne se perpétuent que par la création. Des formes disparaissent, d’autres apparaissent ; il ne faut pas que la conservation de l’ancien se fasse au détriment de l’invention. C’est pourquoi le Festival de l’imaginaire fait place aux recherches contemporaines. Nous voulons faire comprendre comment aujourd’hui de jeunes créateurs s’approprient cerLes sorties des taines formes de Gule Wamkulu, leur patrimoine, de Zambie, que ce soient des ont longtemps été instruments – c’est interdites car le cas de l’Argenl’Église les tin Alejandro Igleconsidérait comme sias Rossi (12 et « sataniques ». 13 mars) – ou des techniques de danses : Eko Suprianto (19 et 20 mars) reformule la danse classique de Java et en explore les possibles pour créer quelque chose de nouveau.

L’imaginaire implique donc la création ? L’imaginaire est commun à toutes les cultures et permet de penser la relation entre un groupe et les autres. Il permet aussi d’échapper à l’exotisme, qui fait de l’autre un objet de consommation. Quand on admire quelque chose sans le comprendre, il y a le risque de l’exotisme mais, si l’on fournit au public les moyens de comprendre, cet écueil disparaît. Pour le Gule Wamkulu, nous allons donner en surtitres le sens général des chants : ils sont truculents et cela permettra de mieux saisir pourquoi il y a cette interaction entre les chanteurs, les masques et les tambourinaires. Le but est de faire mieux connaître, c’est aussi pour cette raison que le festival se prolonge d’actions pédagogiques. Nous proposons des représentations pour les scolaires : une heure de spectacle suivie d’une demi-heure d’échanges, préparée avec les enseignants. L’an passé, une classe de cours élémentaire est venue assister à un concert de shakuhachi (flûte japonaise), et il était merveilleux de voir non seulement l’attention de ces petits mais d’entendre les questions pertinentes, intelligentes et fraîches qu’ils ont posées. _Propos recueillis par Denis-Constant Martin Festival de l’imaginaire, du 3 mars au 10 avril, Maison des cultures du monde, 101, bd Raspail, 75006 Paris, 01 45 44 72 30, www.mcm.asso.fr

Le punk et le muet ne scène de Sherlock Junior, de Buster Keaton (1924), le montre bien : le cinéma muet n’a jamais été un art silencieux. Un instrumentiste, si ce n’est un orchestre, accompagnait les séances live. Calant mélopées et tempos sur le déroulé des images. Bon nombre de musiciens ont ainsi débuté dans des salles de projection, dont le violoniste de jazz Stéphane Grappelli. Mais il est vrai qu’il s’agissait alors le plus souvent d’instruments acoustiques, et plutôt à cordes. Comme ce piano dans Sherlock Junior, placé en avant-plan du film, quasi intégré au grand écran. Sauf que, dans Camping sauvage, un album DVD concocté par la fanfare punk Les Fils de Teuhpu, la partition de piano qui accompagne ce film s’ouvre subitement à des sons électros joyeusement anachroniques, puis une guitare sature et la batterie s’emballe tandis que le projectionniste détective qu’interprète Keaton tente de rentrer dans la toile. Le heurt des styles et des époques venant comme matérialiser le choc des deux dimensions – réel et fiction, film dans le film – de ce moyen-métrage de légende. Les Fils de Teuhpu osent : les excentricités électriques, l’interlude afro, l’interjection en français, la lecture collective des panneaux, les silences… Célébrant les noces du punk et du muet dans la réjouissance. Intégrant des sons de guitares, cette fanfare très cuivrée, née dans la rue il y a dix ans, soigne l’interaction avec les images, leur rythme bien sûr, mais aussi leur caractère. Dans Sherlock Junior, Les Fils de Teuhpu

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Dans « Camping sauvage », Les Fils de Teuhpu accompagnent à la fanfare deux films de Buster Keaton.

parviennent à souligner, en variant les genres et en intégrant des sons d’ailleurs, la dimension onirique de ce film où un projectionniste se rêve une vie hollywoodienne. Dans One week, un des courts-métrages qui ont lancé Keaton, où un couple de jeunes mariés hérite d’une maison en kit qu’il monte de travers, ils restent dans des compositions plus typiques des fanfares mais en exploitant allègrement les variations rythmiques pour accentuer les élans burlesques et satiriques du film. Ces expériences faisant se rejoindre la musique et le cinéma ont été présentées sous forme de spectacle, les Fils de Buster, avant d’être publiées en DVD. Camping sauvage, c’est aussi un nouvel opus pour les six membres du groupe : François, Rodolphe, Poumtchak, Gésir, Kader et Benjamin. Pas moins de quinze titres où ils croisent les influences rocksteady, funk et ska et dans l’esprit ironique et fêtard qui les caractérise. _Ingrid Merckx Camping sauvage, Les Fils de Teuhpu, 1 CD-DVD, Irfan le label, 12 euros, sortie le 9 mars.

« Camping sauvage », sous influence rocksteady, funk et ska DR

C’est l’un des endroits les plus agréables pour entendre et rencontrer des écrivains: la Fête du livre de Bron, qui se déroule les 6, 7 et 8mars et en est à sa 23e édition, aura pour thème cette année «La quête d’un ailleurs possible ou impossible». De Patrick Deville à Marie Didier, de Denis Lachaud à Laurent Nunez, de Patrice Pluyette à Tanguy Viel, la qualité des intervenants ne manque pas. Fête du livre de Bron, Hippodrome de Lyon-Parilly, 4-6 av. Pierre-MendèsFrance, www.fetedulivredebron.com

Contre le rejet de l’autre Trop rare pour ne pas être relevé: un ensemble d’écrivains intervient dans le débat public à propos de la détestable politique d’immigration de la France et de la façon dont ce pays traite les sanspapiers. Ils le font sous la forme qui leur est la plus familière: un livre, Il me sera difficile de venir te voir, qui regroupe des « correspondances littéraires sur les conséquences de la politique d’immigration» entre treize écrivains français et autant d’écrivains africains: Éric Pessan, Nimrod, Arno Bertina, Driss Jaydane, François Bon, Eugène Ébodé, Brigitte Giraud, Kangni Alem, Marie Cosnay, Raharimanana, Samira Negrouche, Nicole Caligaris, Mourad Djebel, Nathalie Quintane, Pierre Le Pillouër, Sayouba Traoré, Patrick Chatellier, Aristide Tarnagda, Sonia Chiambretto, Gustavo Akakpo, JeanBaptiste Adjibi, Pierre Ménard, Christophe Fourvel, Abdelkader Djemaï, Mohamed Hmoudane et Claude Mouchard. Si, au départ, l’idée de réagir en écrivant est partie d’un sentiment d’indignation devant la politique française d’immigration en vigueur depuis quelques années, à l’arrivée, Il me sera difficile de venir te voir se situe davantage dans le politique que dans l’émotion. Cet heureux résultat est sans aucun doute dû au principe de l’échange entre deux écrivains (la plupart étaient inconnus l’un à l’autre), qui évite le ton du pamphlet et de la véhémence mais implique de formuler des constats, de développer des argumentations et de chercher des lumières chez l’autre. Le front du refus qui s’exprime n’en est pas pour autant moins vigoureux. Il me sera difficile de venir te voir est aussi un appel à la fraternité et à l’intelligence. _C. K. Il me sera difficile de venir te voir, Vents d’ailleurs, 256 p., 14 euros (les droits d’auteurs sont versés au Réseau éducation sans frontières). 2 6 f évr ier 2 0 09

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CULTURE

LITTÉRATURE

THÉÂTRE

Femmes du monde

Écriture et quincaillerie

Sixième édition du Festival au féminin à la Goutte d’or, à Paris. e dimanche 1er mars s’ouvrira la sixième édition du Festival au féminin dans divers lieux du quartier parisien de la Goutte d’or (surtout au Lavoir moderne parisien). Dans la rue, les Mamas, des artistes africaines sur des échasses (elles atteignent trois mètres cinquante !) salueront la population de cette part de la capitale très spéciale, où les immigrants les plus variés sont arrivés en vagues et, pauvres, défavorisés, ont inscrit là toute la tristesse et toute la joie du monde. La Haïtienne Mimi Barthélémy, la Marocaine Halima Hamdame et la Libanaise Layla Darwiche frapperont les trois coups du conte. Parrainée par Yamina Benguigui et Jeanne Benameur, la manifestation est conçue par la compagnie Graines de soleil et dirigée par Khalid Tamer. C’est donc un homme qui pilote ce festival de femmes ! Mais tout est parti de lui quand il s’est passionné à la fois pour des femmes artistes de l’Afrique de l’Ouest et pour les artistes inconnues qui naissaient et s’affirmaient à la Goutte d’Or. Concerts, spectacles chorégraphiques, expositions, débats, Les Mamas. lectures, films, PLANET PAS NET prix d’écriture dramatique et un colloque sur les artistes femmes du Sud composent cet ensemble qui n’est pas seulement centré sur le théâtre et le conte. Les surprises ne vont pas manquer, avec Trames, de Gerty Dambury, qui vient de la bagarreuse Gouadeloupe, le 7e Kafana, sur l’exploitation sexuelle des femmes, et la carte blanche donnée à la chorégraphe Karine Saporta.

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Une transmission impossible qui enfin se réalise. FOLEY/POL royait-on possible de lire dans les carnets de commerce d’un quincaillier des fragments de littérature ? C’est pourtant ce que recèle le Commerce du père, de Patrice Robin. Les carnets sont ceux de son père, quincaillier dans les Deux-Sèvres pendant trente ans, que l’auteur a retrouvés par hasard et qu’il explore dans la dernière partie de son livre. On peut y lire, outre des phrases plus ou moins adroites et communes, des listes de commandes de « paniers de Poitou, faucilles Cholet, serpes à tiges, faux Mouette, liens à bœufs, brosses à crinière Le Tigre, mousquetons à touret, vilebrequins à mandrin, étrilles Stella… » qui ont une incontestable résonance poétique. Soit. Mais ces carnets restent fort peu intimes et pourraient apparaître anecdotiques. Pourquoi la lecture qu’en fait le fils en vient-elle à être chargée d’une si grande émotion ? À dire vrai, des dessins, des photos ou tout autre chose qui ne serait pas de l’écrit n’auraient pas le même effet. Car il s’agit bien de cela : avec ces carnets, Patrice Robin tient dans ses mains les « livres » de son père, alors que celui-ci est mort avant de pouvoir connaître ceux de son fils écrivain. Plus douloureux encore : le père s’est désintéressé des activités de son fils, et réprouvait silencieusement que celui-ci se contente de petits boulots, alors que lui-même avait « réussi ». Ainsi, comme c’était probable, « le

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Dans « Le Commerce du père », Patrice Robin se réconcilie autour des mots avec son père disparu.

commerce du père » est à prendre dans son double sens : la quincaillerie, où travaillait aussi la mère de l’auteur, ainsi que le type de relations entretenues avec cet homme. Or, sur ce qui s’est avéré être une nécessité absolue pour Patrice Robin, c’est-à-dire l’écriture, et sur ses difficultés matérielles et psychologiques, régnait l’omerta. C’est cette époque que raconte Patrice Robin dans la première partie de son livre. Comment il a jonglé entre les contrats à durée déterminée et le chômage, sauvegardant ainsi du temps pour écrire, au prix de la précarisation sociale. Mais aussi les périodes de travail enthousiaste suivies de douches froides, comme celle occasionnée par la lettre d’une écrivaine admirée mais non nommée (on devine qu’il s’agit d’Annie Ernaux), dont

les conseils justes et francs refroidissent l’emballement du jeune auteur croyant dans le manuscrit qu’il lui a envoyé. En tout : treize années d’obstination, conclues enfin par la réponse positive d’un éditeur, après bien des refus. Ce récit a une valeur emblématique sur les débuts de la plupart des apprentis écrivains. Mais il donne aussi à voir ce que de sa vie Patrice Robin a fait dans ses premiers manuscrits, publiés ou non, dont il raconte les intrigues. Il y aurait là une étude passionnante à faire sur l’usage de la fiction dans ces « romans autobiographiques ». Le Commerce du père est un beau livre de réconciliation (comme l’était déjà Matthieu disparaît [POL, 2004]). Non que l’amour se serait évanoui entre le fils et le père, mort d’un cancer avant la publication du premier livre de Patrice Robin. Mais il y a quelque chose de l’ordre de la transmission impossible qui enfin se réalise quand l’auteur comble les pages laissées blanches dans l’agenda de son père. Il reconstitue ce qui s’est passé pendant ces quelques jours hors commerce dans la vie de son père, et qui s’est terminé par une longue et magnifique marche nocturne. Patrice Robin redonne vie à cet épisode à proprement parler extraordinaire. Et ce, avec ce que son père a préféré ignorer : son talent d’écrivain. _Christophe Kantcheff Le Commerce du père, P. Robin, POL, 123 p., 11 euros.

_Gilles Costaz Festival au féminin à la Goutte d’or, Paris, 01 46 06 08 05, du 1er au 8 mars.

MÉDIAS

À VOS POSTES

Femme de cour e titre a le mérite d’être clair. Et juste, tout au long de ce moyen-métrage de Tali Jaoui et Antoine Vitkine. Dati, l’ambitieuse. C’est là un portrait qui ne se laisse pas embarquer par son sujet, ne tombe pas dans l’hagiographie. Et s’ouvre sur une gamine de province, fille d’immigrés, vivant dans un HLM. Un premier tournant dans la vie : maçon, le père travaille dans une école de notables. Subjugué, il y inscrit sa fille, seule musulmane au milieu des catholiques bon teint. Une injonction paternelle : être la meilleure élève. Ça forge des caractères. Puis bac, un passage en fac de médecine, un boulot d’aide-soignante, et la fascination pour les gens de pouvoir repérés dans les magazines. Deuxième tournant, à 22 ans, la rencontre d’Albin Chalandon, baron du gaullisme, au ministère de la Justice (comme un clin d’œil au destin). Il est son mentor. Qui lui offre une place de comptable chez Elf Aquitaine. Puis maîtrise d’économie à Assas, avant la magistrature. En quête de parrains, elle écrit à tout le bottin mondain (Attali, Lagardère, Veil). Troisième tournant : ses services proposés à Sarkozy, en 2002. Elle devient conseillère technique, chargée de la délinquance. Une besogne discrète avant de s’imposer aux proches et notamment du côté de Cécilia, élément clé du dispositif. Après l’élection de 2007, elle est nommée ministère de la Justice. On connaît la suite. Pour retracer l’ascension de Rachida Dati, il suffit de gratter les pages

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RÉFORME

Un portrait de Rachida Dati qui rend compte de son ascension politique et médiatique.

glacées des magazines (le Point, Paris Match, l’Express, Voici, Gala…). Une Rastignac moderne qui a su mettre en scène son itinéraire, satisfaite de son parcours, qui tente de faire bonne figure devant la caméra au cours d’un tournage entamé à l’automne dernier, quand précisément la ministre connaît ses premiers revers. Face aux réalisateurs, elle botte en touche. Sur la relation avec Cécilia, sur le nombre impressionnant de collaborateurs virés ou démissionnaires, effarés, lassés par ses méthodes brutales et méprisantes. Sans surprise, on observe combien Rachida Dati a su, et sait manœuvrer les gens, elle qui a fait du communautarisme un enjeu personnel. Un symbole des réseaux, des calculs, dans la pérennisation du passe-droit, loin de toute morale républicaine. Une véritable courtisane qui mériterait sa place dans la cour de Louis XV. In fine, la fonction de garde des Sceaux s’effacera devant la garde-robe Dior. Jean-Claude Renard Dati, l’ambitieuse, mardi 3 mars, 20 h 45, Arte (40’).

D’ordinaire, l’année qui précède la fin d’un mandat pour le président de France Télévisions, la boutique tourne au ralenti. C’est encore plus le cas aujourd’hui, entre l’expiration du mandat de Patrick de Carolis, prévu pour l’été 2010, et la réforme de l’audiovisuel public. Il reste à Carolis à peine plus d’un an pour mettre en place un volet non négligeable de la réforme: la mutation de France Télévisions en entreprise unique. Sept activités doivent être structurées pour fonctionner de façon commune: les antennes et leurs programmes, les moyens des antennes, les réseaux régionaux, la fabrication et la technologie, le marketing et la communication, les fonctions de gestion et les fonctions commerciales. Au sein de cette restructuration, l’information doit elle-même être divisée en cinq pôles. Un nouvel organigramme, notamment, qui verrait la rédaction nationale et la rédaction régionale de France3 se déconnecter. La première devrait dépendre d’une direction commune aux rédactions de France2 et France 3, dirigée par Arlette Chabot; la seconde devrait être intégrée à un pôle «territoires» comprenant également RFO. La Société des journalistes (SDJ) de France 3 a déjà exprimé ses inquiétudes sur cette organisation. « Ce sont les régions qui fondent notre existence, a souligné Bertrand Boyer, président de la SDJ. En coupant ce lien organique, on pourra assimiler demain la rédaction nationale de France3 à une superrédaction transversale de France Télévisions. On est persuadés qu’au final une seule culture prédominera, et l’on pense que ce ne sera pas celle de France3 ! » Voilà un moment déjà qu’on pense que la fin des infos se rapproche pour France3.

TSAMEDI É L É28VFÉVRIER ISION Giuseppe Garibaldi France 3 Méditerranée, 15 h 50

Portrait de l’artisan de l’unité italienne, né à Nice, pirate et général, agriculteur pour l’état civil et fervent républicain.

MARDI 2 MARS

Tueurs de dames

classique parmi les classiques dans l’âge d’or de la comédie anglaise, tourné en 1955 par Alexander Mackendrick, trempé d’humour noir, de gags, de répliques perfides, rehaussé par l’interprétation d’Alec Guinness, Peter Sellers et Katie Johnson. Un scénario adapté en 2004 par les frères Coen (Ladykillers).

JEUDI 5 MARS

Un soir au musée France 5, 20 h 35

Incursion au musée Dapper, à Paris, consacrant une exposition aux «Femmes dans les arts d’Afrique», en compagnie de Christiane Falgayrettes-Leveau, directrice des lieux, commissaire de l’expo, et de Fatou Sow, sociologue et spécialiste de l’histoire des femmes africaines.

Nos années 70, les insouciantes France 2, deuxième partie de soirée

Après 1945, France année zéro, après le Roman des années 50 et Nos Années60, Alain Moreau et Patrick Cabouat poursuivent leur décryptage de la France de cette fin de siècle. La matière est dense, puisée dans les archives de l’INA. Après les brasiers de Mai68, c’est encore le plein-emploi. Merci patron! Sartre distribue la Cause du peuple, Marcel Ophüls voit interdire le Chagrin et la Pitié, Paul Touvier bénéficie d’une grâce présidentielle, la télévision est « la voix de la France, ce qui impose une certaine réserve», juge Pompidou. Chirac et Marchais débattent sur le petit écran à «Armes égales», la liberté sexuelle bat le pavé, Actuel se veut le magazine de la culture hippie, on se tasse dans les bagnoles pour tracer la route. Le cinéma divertit, milite, invente. Dewaere et Depardieu sont à la fraîche, les valseuses en cavale, le Café de la gare ne désemplit pas, l’avortement est enfin légalisé, les Halles déménagent en banlieue, la troisième chaîne fait son apparition, Giscard s’invite chez l’électeur. Pattes d’eph et premiers surgelés. À mi-chemin de la décennie, au-delà de Saint-Étienne, l’Hexagone voit la vie en vert. Les ouvriers de Lip scandent «On fabrique, on vend, on se paie», la sidérurgie trinque, le Larzac mobilise. Si la mort de Sartre ferme la parenthèse, c’est surtout le 10mai 1981 qui boucle cette décennie. Avec le besoin de rêver.

Arte, 20 h 45

Un parcours qui dénote un goût certain du pouvoir. FIFE/AFP

De faux musiciens et une vieille dame. Répétant prétendument un menuet de Boccherini, les premiers projettent de braquer une banque, échafaudent leur plan depuis une chambre allouée par la lady. Laquelle ne tarde pas à les démasquer. La vieille n’a qu’à bien se tenir alors pour éviter de calencher sous le feu des gangsters. Tel est le canevas de ce

LUNDI 2 MARS

Enfants martyrs France 3, 20 h 35

Mômes maltraités, battus, victimes de chutes inexpliquées, nourrissons secoués, témoignages de parents portés sur la violence… Un documentaire consacré à la maltraitance, qui touche près de 19000 enfants en France. 2 6 f évrier 2 0 09

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L’empire du rejet Naguère perçus comme des victimes, les réfugiés sont désormais traités comme des coupables. Un essai du politiste Jérôme Valluy explique ce retournement du droit d’asile en Europe.

Une fiction juridique. Voilà ce que serait devenu le droit d’asile d’après Jérôme Valluy. Cet enseignant en science politique à l’université Panthéon-Sorbonne (Paris-I), également coanimateur du réseau scientifique Terra (Travaux, études, recherches sur les réfugiés et l’asile), a été juge à la Commission des recours des réfugiés (CRR) (1) de 2001 à 2004. Cette expérience a déclenché une activité de recherche sur les conditions de production des jugements sociaux relatifs aux exilés, sur le milieu associatif de soutien aux exilés et sur la transformation des politiques européennes de l’asile. Une somme de travail dont Rejet des exilés. Le grand retournement du droit d’asile rend compte. Il n’existerait, selon Jérôme Valluy, aucune définition juridique claire du « réfugié », notion plastique « qui la rend compatible avec une infinie diversité des représentations sociales et de perceptions individuelles », ou « béance ». En effet, d’après la convention de Genève de 1951, serait réfugiée « toute personne craignant avec raison d’être persécutée… » L’emploi de l’expression « avec raison », assorti de « motifs » tels que la race, la nationalité, la religion, l’appartenance à un groupe social, ouvrant la porte à une marge d’appréciation discrétionnaire du juge. Un exilé kurde ou tamoul fuyant l’Irak ou le Sri Lanka peut ainsi être déclaré inéligible au statut de réfugié prévu par la convention parce qu’il n’est pas persécuté en tant que personne mais en tant que membre d’une communauté. Or, la Convention de Genève n’a pas été conçue pour faire face aux exodes de masse. « Le sort des Juifs allemands fuyant l’Allemagne nazie en 1934 serait aujourd’hui exactement le même […]. On demanderait à chacun d’eux

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SEMINARA/AFP

d’attester qu’il a été personnellement menacé », note Jérôme Valluy. La comparaison n’est pas exagérée : l’histoire du droit d’asile contemporain a partie liée avec la Shoah. C’est au sortir de la Seconde Guerre mondiale que ce droit a commencé à faire l’objet d’une « définition substantielle », et que se sont imposées deux philosophies différentes : un « droit d’asile axiologique », se référant à la liberté de circulation, et « un droit d’asile dérogatoire », « articulé à la souveraineté des États ». Ce dernier témoigne, en pleine guerre froide, d’un ancrage capitaliste face au bloc communiste et d’une « volonté collective des pays dominants ». C’est dans cette prédominance de la « souveraineté étatique » sur la protection des réfugiés que le chercheur situe l’origine du retournement du droit de l’asile contre les exilés. Pouvoir contre principe en somme, où le pouvoir l’emporte : selon Jérôme Valluy, l’histoire du droit d’asile contemporaine est celle d’un long déclin

des idées humanistes asilaires au profit de l’expansion national-sécuritaire.

« Tout le monde aime le droit d’asile ; personne n’est contre le droit d’asile, et chacun ne veut qu’en améliorer le respect et, en moins d’un demi-siècle, il se retourne en son contraire. » Les réfugiés qui « étaient perçus comme des victimes objets de compassion sont aujourd’hui traités comme des coupables et enfermés dans des camps ». En analysant comment l’accueil est devenu rejet, et comment les politiques migratoires sont devenues antimigratoires, Jérôme Valluy ne se contente pas de poser « l’hypothèse d’une xénophobie de gouvernement ». Il la développe en suivant une ligne manifeste : démonter l’argument couramment avancé – également par les plus savants – de la crise économique, pour montrer comment il dissimule une xénophobie institutionnelle et populaire sous une « apparente objectivité », partagée à droite comme à gauche. Dans la plupart des ouvrages sur l’immigration, l’année

1974, celle du choc pétrolier, marquerait la genèse des politiques antimigratoires et du processus de fermeture des frontières. Derrière cet « impensé culturel », apparaissent, selon Jérôme Valluy, « les relations entre le fait colonial et la gestion des décolonisés immigrés ». « Il ne s’agit pas de prétendre expliquer par le seul fait (post)colonial toute l’histoire des politiques antimigratoires des dernières décennies en oubliant d’autres événements lourds et cumulatifs intervenant ultérieurement (développement de l’extrême droite dans les années 1980, effondrement des pays et partis référés au marxisme des années 1990, intégration européenne des politiques dans les années 2000…), mais de reconsidérer l’interprétation la plus répandue aujourd’hui… », s’applique-t-il à préciser. Objectif : « Relativiser l’idée tout aussi répandue d’une origine populaire du mouvement du rejet des étrangers en raison des tensions apparues sur le marché du travail. » Il s’agit moins, dans cet ouvrage, de retracer l’histoire du droit d’asile que de se livrer à une analyse critique et politique de ses mécanismes et de son récent affaiblissement. Témoins, les termes employés par l’auteur, qui choisit par exemple « exilés » plutôt que « migrants » ou « réfugiés », pour orienter vers l’étude des conditions d’accueil, mais aussi parce que « la notion d’exil implique l’idée d’une contrainte à partir », et que parler d’exilés invite à ne pas préjuger du statut de la personne. La question du jugement est très prégnante dans cette étude. Jérôme Valluy consacre d’ailleurs une « section autobiographique » à la

fonction qu’il a occupée à la CRR. Démarche qu’il justifie par un souci de « transparence », en suggérant combien cet « engagement » a pu « orienter ses analyses ». Et parce que cette expérience lui paraît pouvoir « éclairer des processus psychologiques et sociaux généraux d’intériorisation idéologique, d’enrôlement dans une institution puis de distanciation à son égard ». Quelles compétences requises ? Quelle formation ? Comment examine-t-on les dossiers de demandes d’asile ? C’est en expliquant le fonctionnement de la commission que Jérôme Valluy en vient à évoquer la « vacuité du droit conventionnel » et « l’illusion d’une jurisprudence ». Selon lui, l’examen d’une demande « place le juge dans une situation de double ignorance » : il « ne peut pas répondre à la question cette personne, “est-ce un vrai réfugié ?”, il répond alors implicitement, et souvent inconsciemment, à une autre question : “Cet exilé m’a-t-il convaincu ?” (question for intérieur) et/ou “cet exilé va-t-il convaincre ?” (version prospective) ». Cette forme de loterie déclenche à plus ou moins long terme une attitude de « distanciation dans l’institution », puis de « désenchantement avancé vis-à-vis de l’idéologie du droit d’asile » et de « désengagement personnel vis-à-vis de la procédure ». Mais le pire, suggère Jérôme Valluy, reste cette « intériorisation d’une forte asymétrie des deux positions de jugements » : « La charge de l’argumentation revient à celui qui défend une position de protection et jamais à celui qui défend une position de rejet. »

C’est cette « technocratie du droit de l’asile », reflet d’une idéologie, avec ses adeptes, individus et organismes (Ofpra, CNDA, Cada), et son « externalisation » aux frontières de l’Europe, que met principalement en lumière Jérôme Valluy. Dans cette étude, ce ne sont pas tant les conclusions qui frappent (une partie de la population n’a-t-elle pas déjà l’intuition, voire la conviction, de l’existence d’une xénophobie de gouvernement ?), que l’acuité du regard critique porté par le chercheur sur ses fonctions, les institutions auxquelles il appartient, le droit et les travaux d’histoire et de sociologie sur l’immigration. Valluy, non seulement implique, pour ne pas dire incrimine, les politiques publiques et leurs instances, mais aussi s’implique et renvoie chacun à ses responsabilités vis-à-vis de l’autre et de sa demande d’accueil. On attendrait davantage, en revanche, sur les associations, que Jérôme Valluy épingle comme « administrateurs de l’asile » – il évoque notamment « l’émergence d’une technostructure de solidarité », et la division entre la défense du droit d’asile et celle des sans-papiers. Mais il passe un peu (trop) rapidement sur les clivages entre les structures, qu’il appréhende surtout comme un « milieu », « lesté » par les gestionnaires. Et quid du principal non-dit sur le racket des sans-papiers ? Après le rejet des exilés, le marché des exilés ? _Ingrid Merckx (1) Placée sous le contrôle de cassation du Conseil d’État, cette juridiction administrative spécialisée examine les recours formés contre les décisions de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Rejet des exilés. Le grand retournement du droit d’asile, éditions du Croquant/Terra, 382 p., 22 euros.

PARUTIONS L’eau, question publique

étrangers et élus locaux investis sur cette question, développe un De nombreux groupes privés, tels argumentaire rigoureux en Suez ou Veolia, considèrent l’eau faveur d’une politique publique à comme une source intarissable l’égard d’un bien commun de de profits juteux. Cet élément l’humanité. naturel vital se raréfiant, une telle Manifestes pour l’eau publique, Document de la Fondation logique néolibérale ne peut que Copernic, Anne Le Strat (coord.), faire croître les risques de tensions, voire de conflits, dont il Syllepse, 176p., 7euros serait l’enjeu. Coordonné par Anne Le Strat, présidente d’Eaux Féminisme de Paris et maire adjointe de Paris et prostitution chargée de l’assainissement, qui Reprenant le nom d’une petite association qu’elles ont a largement œuvré à effacer contribué à animer à partir de l’héritage chiraquien d’une eau 2003, rassemblant des privatisée dans la capitale, ce militant(e)s féministes, document de la Fondation Copernic, rassemblant quelques- lesbiennes, gai(e)s, transgenres et des prostitué(e)s, en plein uns des meilleures spécialistes

combat contre les lois Sarkozy qui instituèrent le délit de « racolage passif», la sociologue Catherine Deschamps, déjà auteure d’un livre remarqué intitulé le Sexe et l’argent des trottoirs (Hachette Littératures, 2006), et la conseillère régionale d’Île-de-France Anne Souyris, responsable de la Commission prostitution des Verts, publient un livre incisif sur cette véritable « pomme de discorde» entre les féministes que constitute la question de la prostitution. Refusant l’abolitionnisme de nombreuses militantes et dénonçant par ailleurs la pénalisation sarkozienne qui, au nom du tout-

sécuritaire, a mis un peu plus encore en danger les « travailleur/ses du sexe», ce « livre-manifeste» reprend les termes du débat en partant d’abord du point de vue des personnes prostituées ellesmêmes, et dresse le bilan catastrophique de la politique répressive menée depuis 2003. Femmes publiques. Les féminismes à l’épreuve de la prostitution, Catherine Deschamps et Anne Souyris, Amsterdam, «Démocritique», 192 p., 14euros

Jeunes, pauvres et délinquants… Travaillant depuis plus de trente

ans sur la jeunesse dans les milieux populaires, le sociologue Gérard Mauger, jadis très proche de Pierre Bourdieu, a vu évoluer les images associées à la délinquance juvénile, depuis les bandes de «blousons noirs» jusqu’aux «jeunes des cités». Recensant les divers schèmes théoriques d’interprétation, ce petit livre se propose d’abord de construire un véritable objet sociologique. Et de balayer les clichés médiatiques sur lesquels s’appuient les politiques sécuritaires. La Sociologie de la délinquance juvénile, Gérard Mauger, La Découverte, «Repères», 128 p., 9,50euros. 2 6 f évr ier 2 0 09

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DÉBATS & IDÉES TRIBUNE

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Prends l’oseille et tire-toi !

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STÉPHEN KERCKHOVE est délégué général de campagnes d’Agir pour l’environnement.

YANNICK VICAIRE est coordinateur de campagnes d’Agir pour l’environnement

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Tour à tour, Peugeot, le 11 février, puis Renault, le lendemain, ont annoncé des réductions massives d’effectifs salariés. Rejouant la comédie de Woody Allen Prends l’oseille et tire-toi, les deux constructeurs n’auront même pas concédé au plan de relance de Nicolas Sarkozy l’illusion d’une efficacité politique pendant plus de 24 heures. Avec un cynisme extraordinaire, les dirigeants de RenaultNissan et PSA ont accepté les cadeaux de l’État – prêt bonifié et investissements de recherche – contre une promesse vaguement formulée et… aussitôt trahie, pour peu que l’on accepte d’appeler un chat un chat. N’en déplaise au ministre du Budget, Éric Woerth, qui évoque « une maladresse », l’absence de contraintes réelles et sérieuses imposées aux constructeurs se traduit par la prorogation d’une stratégie industrielle qui, pour s’être exonérée des contraintes écologiques, débouche sur une crise économique et sociale. En effet, la crise économique frappant ce secteur d’activités est le résultat d’une incapacité notoire de ses dirigeants à accepter et à anticiper les contraintes environnementales et climatiques. Dans ce domaine, la stratégie du secteur s’est longtemps limitée à instrumentaliser la nouvelle sensibilité environnementale au travers de publicités faussement écologiques vantant les mérites de véhicules toujours plus prédateurs de ressources. Sous la pression croissante des écologistes, les constructeurs ont peu à peu commercialisé quelques modèles plus économes, niches ou vitrines qui masquaient mal la déferlante de produits totalement inadaptés aux enjeux économiques et écologiques d’aujourd’hui. Par mimétisme industriel, chaque constructeur automobile s’est cru obliger de copier les dérives de ses concurrents. Les constructeurs français qui disposaient pourtant d’un positionnement commercial avantageux dans le domaine des véhicules légers, n’ont pas fait exception à la règle. Comment expliquer le lancement du Koleos, un 4x4 « made in Renault fabriqué en Corée… » en 2008, alors que les craquements sourds de la crise résonnaient déjà depuis plusieurs mois ? Peu empressés d’appliquer au secteur des transports routiers une stratégie cohérente avec les objectifs communautaires de réduction des émissions de dioxyde de carbone, les politiques ont finalement tenté, en 2008, d’accoucher d’une

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La crise économique qui frappe le secteur automobile est le résultat d’un refus d’accepter les contraintes écologiques.

réglementation ad hoc pour les véhicules particuliers : un outil nécessaire, mais insuffisant pour formater ce marché rétif à la sobriété énergétique. Sous présidence française, l’Europe a rapidement capitulé devant les exigences du lobby et torpillé un règlement refaçonné pour la survie des grosses berlines et des 4x4. Sans vision globale et à long terme sur la mobilité du futur, l’État français ne parvient pas à dépasser l’horizon de la voiture particulière et continue de lui dérouler le tapis rouge des infrastructures routières, quand il ne ruine pas les efforts de collectivités plus avisées. La crise du secteur automobile ne se résoudra pas en injectant de l’argent

public sans édicter la moindre condition en matière climatique ou énergétique. La réponse n’est pas non plus uniquement technologique. Les filtres à particules, les agrocarburants ou le moteur électrique ne demeureront jamais que des instruments de transfert de pollution et de responsabilité, et ne peuvent nous affranchir d’une réflexion plus large. Pour les constructeurs, le vrai défi serait de redéfinir complètement leur modèle commercial et culturel : à la vente de véhicules particuliers et privatifs, ils doivent substituer une offre de mobilité plus flexible, plus conviviale et bien plus sobre. Pour les politiques, la tâche est immense. Cette crise interroge profondément notre façon d’appréhender la mobilité, questionnant nos politiques de transports, d’infrastructures, d’urbanisme, de logement et d’aménagement du territoire. Cette crise systémique peut être une chance si nous savons nous abstraire de la pensée unique productiviste. A contrario, l’incohérence de la stratégie écologique défendue par la France en matière de transport ne peut que proroger l’option prédatrice qui nous a conduits et nous conduira encore et toujours aux crises écologiques, économiques et sociales. Association Agir pour l’environnement, 2, rue du Nord, 75018 Paris, 01 40 31 02 99, www.agirpourlenvironnement.org

Le nouveau Galilée Le monde l’ignore, mais il a perdu la boule. Et c’est un sujet de grande perplexité pour Christian Gerondeau, « expert indépendant» qui se découvre presque seul à mettre le doigt sur une énorme mystification planétaire, « la plus importante depuis Galilée» : la lutte contre le dérèglement climatique, inutile et terriblement dispendieuse. Résumons la lecture pénible d’un ouvrage bâti sur une série d’axiomes religieux et de raisonnements circulaires: les émissions de CO2 vont inéluctablement croître, puisque c’est dans la nature humaine d’exploiter la moindre goutte de pétrole; ce n’est pas grave, parce que les faiseurs d’opinion, aux mains d’écologistes, nous mentent en prétendant que la température va augmenter. Quant à l’après-pétrole, c’est une péripétie, puisque nos hommes de science ont maintes fois prouvé leur capacité à trouver des solutions. L’expert fait des règles de trois simplettes, impose ses «évidences», interpelle

le lecteur à coup d’innombrables «qui pourrait croire que? », cite même le « paradoxe de Gerondeau»… Hymne à la gloire inaltérable de la voiture, dénigrement héroïque des transports en commun –précisons que Gerondeau est président de la Fédération française des automobile clubs. L’intérêt de consacrer un feuillet à cette « théorie» digne de la collection Harlequin? Il faut bien dénoncer de temps à autre l’imposture de la bande à Allègre, Galam, Lomborg, Haus, Giscard (auteur d’une préface tardive, hâtivement photocopiée et glissée dans le volume), etc., ses copains qu’il appelle au secours, à l’affût d’un bon coup médiatique, ou bien d’un poste au gouvernement. Gerondeau tend la perche à Sarkozy, page 266. _Patrick Piro CO2, un mythe planétaire, Christian Gerondeau, éditions Du Toucan, 272 p., 17,90 euros.

DE BONNE HUMEUR MOTS CROISÉS PAR JEAN-FRANÇOIS DEMAY GRILLE N° 6

HORIZONTAL :

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1. Il découvrait des continents, il trouve aujourd’hui des sites. 2. Total, une catastrophe. Créature. 3. Il a fondé son hebdo en 2008. Morceau noble de l’agneau. 4. Possessif. Blanchi. 5. Un peu plus de dix vers. Meurtrier pour Jean Becker. 6. Accueillis de nouveau. 7. La boucle après ça. Note. Ils nous comptent dans les manifs. 8. Suite inutile à préciser. Hybride contrenature. 9. Apparu. Attachée. 10. Empereur romain. Pour passer au sec. VERTICAL :

Solution de la grille n° 5 : 1. Ectoplasme. 2. Nouméen. Ès. 3. En. SR. Sort. 4. RTT. Ode. Ça. 5. Gindre. Dam. 6. Introverti. 7. Vu. UNR. Éon. 8. Bisons. 9. Raid. Dit. 10. Essentiels.

SÉBASTIEN FONTENELLE

I. Énergivore. II. Continu. As. III. Tu. TNT. Bis. IV. OMS. Druide. V. Pérorons. VI. Lé. Devront. VII. Anse. VIII. Dresde. IX. Mercato. Il. X. Estaminets.

I. Hérétiques. II. Sa pelote fut bien utile. Cheville rarement ouvrière. III. Sa publicité est interdite. On s’y accoude pour siffler. IV. C’est le bouquet au Japon. Article. V. C’est le début du gâtisme. Pieu. Luth d’Iran. VI. Le patronat est toujours à sa quête. VII. Groupe aux intérêts communs. Une fin de jeu un peu humiliante. VIII. Un dernier coup pour la route. Théodore Monod l’a plusieurs fois traversé. IX. Début d’évacuation. Tubercule apprécié en Afrique. X. Une case bien remplie pour l’administration.

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« LBO Les insoumis » d’Olivier Minh « La nouvelle technique financière qui précarise l’emploi à la vitesse de la lumière ! » Le rachat-vente de sociétés (LBO) est une technique très en vogue aujourd’hui chez les fonds d’investissement qui disposent de moyens considérables. L’obligation de rentabilité extrême qui est imposée à ces sociétés rachetées rend les conditions de travail insoutenables pour leurs salariés. Face à l’immense puissance de la finance internationale, le combat des salariés victimes de LBO semble perdu d’avance. Pourtant certains d’entre eux résistent et la mobilisation semble gagner du terrain.

Contactez Brigitte par téléphone au 01 55 25 86 86 (du lundi au vendredi de 9h à 13h et de 14h à 17h) ou par courriel : [email protected] * Dans la limite des stocks disponibles.

Au boulot, feignasses ! Les natifs (noirs) de nos lointaines possessions maritimes sont probablement très sympas. Je ne dis pas. Si tu les invites à une soirée antillaise, par exemple, je suis absolument certain qu’ils vont mettre une ambiance de folie: ces gens-là, on le sait, n’aiment rien tant que de se trémousser au rythme chaud d’un zouk. Mais pour ce qui serait de bosser, pardon: c’est tout de suite beaucoup plus compliqué. Si tu attends qu’un-e Martiniquais-e (ou un-e Guadeloupéen-ne) s’élance vers l’avenir (à la façon d’Henri Guaino), j’espère que t’as pris de quoi lire, parce que c’est pas demain la veille que tu vas être exaucé: plus feignasse, autant l’énoncer clairement (1), on ne fait pas. Ce n’est pas moi qui le dis, hein? C’est Christophe Barbier, le big boss de L’Express, dans son éditorial du 19 février. Et aussi Alexis Brezet, directeur de la rédaction du Figaro Magazine – dans son édito du 21 février. (Marrant comme ces deux libres-penseurs écrivent la même chose, chacun dans son petit coin: la liberté de la presse, d’accord, mais trop de pluralisme tuerait le pluralisme.) Bien sûr, ni Barbier ni Brézet ne proclament ouvertement que les Antillais sont d’une fainéantise qui atterre: ils y mettent quelques formes et commencent, notamment, par concéder que, oui, neffet, il y a Bien sûr, quelques inéquités sous le soleil DOMique. ni Barbier Barbier: « Les inégalités économiques et sociales sont immenses outre-mer, où elles se ni Brézet ne transmettent par mariage et héritage, et se proclament protègent par une ségrégation douce. » Brézet: ouvertement que «Il y a en Guadeloupe, et dans tout l’Outre-Mer, les Antillais sont des écarts de richesse que l’Histoire éclaire sans toujours les justifier (2). » d’une fainéantise Mais ce n’est pas une raison pour s’énerver: une qui atterre : ils y chose est de prendre acte du néocolonialisme, mettent quelques une autre est de trop s’en offusquer. Barbier brame: « L’État républicain […] ne saurait formes. cautionner une spoliation vengeresse ni ouvrir aux frais des métropolitains un guichet dégoulinant d’allocations injustifiées.» Nous y voilà: nos lymphatiques Antillais-es «vivent aujourd’hui de l’assistance de la métropole», comme l’a si courageusement théorisé l’un de nos plus éminents philosophes (3). Les Dupont et Dupond de l’éditorial décomplexé, retrouvant un terrain connu, s’en donnent dès lors à cœur joie: « Cette année, la métropole accusée de tous les maux dépensera au total 16 milliards d’euros outre-mer, soit l’équivalent du budget national de la Sécurité », beugle Brézet. (De quoi vous plaignezvous, ingrat-e-s îlien-ne-s, choyé-e-s « bénéficiaires de cette assistance massive» ?) Barbier conclut, en des termes qui se passent de tout commentaire: « Aux Français des tropiques qui veulent travailler à l’antillaise et consommer à la métropolitaine, rappelons qu’il faut labourer la terre arable pour qu’elle lève d’autres moissons que celle du songe»… Toi comprendre message, bouffeur d’allocs des îles? Ou si grand penseur blanc devoir répéter toi? (1) On va quand même pas se gêner pour briser un à un les pesants tabous de la bien-pensance collectiviste, n’est-ce pas ? (2) Qu’en termes précautionneux ces choses-là sont dites… (3) Alain Finkielkraut, le 6 mars 2005.

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RÉSISTANCES EMPLOI Les salariés franciliens de l’opérateur Numericable, rejoints par des militants associatifs, entament leur septième semaine de grève. Ils dénoncent un « plan social déguisé ».

Numericable ne lâche pas prise n ne se refait pas, même grimé de frais et affublé d’un nouveau nom. Après avoir copieusement ponctionné ses clients, à l’époque où la société s’appelait Noos, l’opérateur de télécommunication Numericable s’en prend désormais à ses salariés. En grève depuis le 5 janvier, une quarantaine d’entre eux, en majorité des vendeurs à domicile d’Île-de-France, défendent, entre autres revendications, l’abandon d’un avenant au contrat de travail contesté et l’arrêt des procédures de licenciement engagées, considérées comme « un plan social déguisé » par les salariés (1). Soumis à « de nombreuses pressions », ces derniers ont été fermement invités à signer un avenant en juin 2008. Celui-ci stipule notamment que l’intéressement versé aux vendeurs en porte-à-porte, qui représente environ les deux tiers de leur rémunération, ne sera désormais versé qu’au vingtième contrat signé, contre la commission au contrat en usage jusqu’alors. « Ça veut dire que si vous faites 19 contrats dans le mois, vous ne touchez rien. Et si on n’est affecté qu’à du porte-à-porte, sans les animations commerciales où il est plus facile de vendre, comme c’est arrivé à certains qui ont refusé de signer l’avenant, il est impossible de faire 20 contrats », explique Asma, 21 ans, un bébé, onze mois d’ancienneté et gréviste du premier jour. « On nous met clairement des bâtons dans les roues pour nous inciter à partir, tout ça est planifié », estime Fatima, 21 ans elle aussi, salariée depuis un an. Autre aspect de l’avenant qui ulcère les salariés, le

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Pierre Danon, PDG de Numericable. PIERMONT/AFP « décommissionnement » annule le bonus lié à un contrat signé, au cas où le client ne payerait pas ses factures, pour une raison ou une autre. Champs-sur-Marne, en Seine-etMarne. Hors la présence d’une dizaine de vigiles, l’entrée du siège est déserte en cette matinée du jeudi 19 février, jour de comité d’entreprise. Soixantedouze heures plus tôt, le parking extérieur connaissait une tout autre effervescence. Selon de nombreux témoins, dont des membres du collectif des Désobéissants, qui a rejoint le mouvement (2), le PDG de Numericable, Pierre Danon, a tenté de filer à l’anglaise, recroquevillé sur la banquette

Numericable et les fonds d’investissement Ex-Lyonnaise des eaux, ex-Noos, Numericable est une entreprise détenue à 100% par Ypso France. La maison mère, Ypso Holding SA, est propriété du câbloopérateur luxembourgeois Altice, du fonds d’investissement britannique Cinven et, depuis 2008, de Carlyle Group. L’entreprise de capital-investissement américaine est controversée pour sa proximité avec l’ex-administration Bush et ses intérêts dans l’industrie de l’armement

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et de la logistique militaire, notamment en Irak. Olivier Sarkozy, demi-frère de Nicolas, dirige depuis avril 2008 les services financiers monde de Carlyle. Selon certains observateurs, la prégnance dans le capital de Numericable de fonds d’investissement focalisés sur la seule rentabilité financière expliquerait le peu de cas que l’entreprise fait de ses salariés et de ses clients. _X. F.

arrière d’un puissant véhicule conduit pied au plancher par son chauffeur. « Alors que la voiture semblait ralentir, le chauffeur a brutalement réaccéléré, confie Abdelkrim, porte-parole des grévistes. J’ai juste eu le temps de me déporter pour éviter l’impact de justesse. » Patrick Bérol n’a pas eu cette chance. Il s’en tire avec une jambe écrasée, brisée en plusieurs morceaux. Pendant que la voiture continue sa course folle, « la direction fait fermer les volets pour empêcher les salariés de regarder la scène », témoigne Xavier Renou, des Désobéissants. Depuis sa chambre d’hôpital, Patrick Bérol ne décolère pas : « Je vais me battre et porter plainte pour que cet acte ne reste pas impuni. » Renseignements pris, le comité d’entreprise a été délocalisé au Novotel du centre commercial Arcades, à Noisyle-Grand. L’endroit grouille de CRS : en fait, des clients de l’hôtel. Cocasse, car un étage au-dessus, une quarantaine de manifestants font le pied de grue devant la salle accueillant le comité d’entreprise. Assis en cercle, grévistes, désobéissants et étudiants venus soutenir le mouvement jouent aux cartes, sous le regard de deux vigiles. D’autres négocient la présence de grévistes à la réunion ou manient

l’hygiaphone. « T’imagines, la grève n’est même pas à l’ordre du jour du comité ! », enragent les salariés en lutte, âgés de 20 à 35 ans. Tous attendent la sortie des participants avec impatience. À 12 h 30, les voilà, escortés par des policiers en civil : en raison du tintamarre ambiant, le comité d’entreprise est annulé. Tollé dans les rangs des salariés, marris de n’avoir pu faire entendre leur voix. « Il y a 40 grévistes ici. Une pétition de salariés du Nord a récolté 33 signatures, une autre en Île-de-France a réuni 54 signatures. En plus, il y a une dizaine de salariés en arrêt de travail pour harcèlement moral ou dépression. Nous, on représente tous ces gens-là », résume Abdelkrim, lui aussi vendeur à domicile, avec trois ans d’ancienneté. « Nos contrats de travail ne sont plus respectés. Numericable écrase ses salariés, au propre comme au figuré », lance-t-il en référence à l’épisode de la jambe cassée. Happés à la réception, sous les ironiques applaudissements des grévistes, les dirigeants de Numericable donnent leur version des faits. Sur l’absence de dialogue : « La configuration des interlocuteurs grévistes change régulièrement, cela complique beaucoup les choses. On a pourtant essayé de les recevoir à plusieurs reprises », argumente sans convaincre Valérie Luciani, directrice des ressources humaines de Numericable. Sur l’avenant au contrat de travail : « Nous sommes prêts à créer une commission, avec des vendeurs à domicile, pour améliorer leurs conditions de travail. » Sur les pressions subies par les salariés : « Nous devons faire de gros progrès en termes de management. » Sur le rôle néfaste des fonds d’investissement dans le capital de Numericable (voir encadré) : « On souhaite avant tout satisfaire nos clients, faire des ventes qui fonctionnent et qui satisfassent aussi nos collaborateurs. » Sur ces entrefaites, Valérie Luciani et deux autres membres de la direction quittent le parvis de l’hôtel. Alexandre, un vendeur de 27 ans, contemple le spectacle d’un œil désabusé et susurre : « C’est ça la direction de Numericable… » _Xavier Frison (1) http://collectifvad.centerblog.net (2) www.desobeissants.net

DE QUELS DROITS ?

LOGEMENT

CHRISTINE TRÉGUIER

Un toit est un droit À Saint-Denis, l’association Droit au logement, des familles sans domicile, leurs soutiens et le maire Didier Paillard (PC) ont investi officiellement un immeuble vacant de logements de fonction de La Poste, rue Jean Mermoz, après « réquisition populaire municipale ». Le bâtiment, occupé par huit familles sans toit, « était voué à une opération immobilière à caractère privé », explique le DAL. De son côté, l’association Canal Marches mettait en ligne l’acte II de son documentaire la Lutte des mal-logés et sans-logis de la rue de la banque (1), à voir absolument. _X. F. DAL Paris et environs, 24 rue de la Banque, 75002 Paris, 01 42 78 22 00, [email protected] (1) www.paroles-et-memoires.org/fev09/rue_banque_2.htm

IMMIGRATION Une enquête révèle la vulnérabilité de Chinoises nouvellement arrivées en France.

Les invisibles du trottoir e Lotus Bus a parlé. Réservé aux femmes chinoises qui se prostituent à Paris, le bus itinérant de Médecin du monde (MDM) est un outil destiné à réduire les risques liés à la prostitution et à favoriser l’accès aux soins et aux droits. De septembre 2007 à janvier 2008, l’ONG a interrogé 93 de ces femmes discrètes, plus vulnérables que les autres sur le trottoir : « Éduquées à une époque où toute relation extramaritale était lourdement condamnée, où l’existence d’infections sexuellement transmissibles était niée et où l’épidémie de sida était réputée ne toucher que les étrangers sans représenter encore une menace en Chine, ces femmes n’avaient jamais été confrontées auparavant à la prostitution », explique MDM. « Elles cumulent les facteurs de vulnérabilité et sont exposées à de multiples risques liés à leur activité et à leur situation de migrantes. » L’enquête montre qu’un peu plus du tiers des personnes interrogées sont en France depuis moins d’un an. 80 % vivent seules, sans l’aide d’un réseau d’accueil. Leur âge moyen est de 42 ans ; 90 % d’entre elles ont au moins un enfant qui vit en Chine. Venues à la prostitution après avoir épuisé tous les petits boulots possibles, plus du tiers de ces femmes disent avoir déjà eu des infections sexuellement transmissibles. Mais 45 % n’ont jamais effectué un dépistage VIH alors

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Le Lotus Bus s’adresse aux prostituées chinoises. DR même que 70 % d’entre elles ont déjà été confrontées à une rupture de préservatif. Il ressort également du travail de Médecins du monde que ces nouvelles prostituées sont mal informées sur le traitement post-exposition à un risque sanitaire et n’ont pas le réflexe de se rendre aux urgences. Elles ont en outre « une perception positive de leur santé » tout en étant en « forte demande » d’informations sur les risques encourus dans leur activité. La majorité de ces femmes contraintes de vendre leur corps sont des « migrantes économiques » du Nord-Est de la Chine, région industrielle ravagée par le chômage. _Xavier Frison MDM, www.medecinsdumonde.org

Un Paquet pas très net Revoilà le Paquet Télécom, un ensemble de directives européennes traitant de l’accès au service universel et de la vie privée dans la sphère des télécommunications. Et avec lui ces amendements cavaliers fourrés là par l’industrie pour faciliter l’européanisation forcée de la très française «riposte graduée» sanctionnant le téléchargement illégal. Après une première lecture qui avait donné lieu au vote par 88% des eurodéputés du fameux amendement 138 (1), après la suppression de celui-ci par le Conseil de l’Europe à la demande insistante de Nicolas Sarkozy, les textes sont de retour devant la Commission, avant d’être soumis au vote du Parlement en avril. De nouveaux amendements inquiètent les Le Contrôleur opposants à la riposte graduée. Le Contrôleur européen de la européen de la protection des données, Peter Hustinx, semble lui aussi prendre cette affaire protection des très au sérieux. Il vient de publier un avis, dans données insiste lequel il rappelle la Commission (et la France) à la nécessité d’un «équilibre soigneux» entre sur « le droit à le droit à la vie privée et les droits des auteurs. Sa première objection porte sur « la la vie privée ». surveillance large et systématique des usages individuels d’Internet, indépendamment de toute suspicion d’infraction au droit d’auteur, sur laquelle repose le mécanisme» imaginé par la France. Il fait remarquer que ces directives « sont loin d’être le cadre légal approprié pour réguler la propriété intellectuelle, et encore moins pour mettre en place de tels dispositifs», et demande à la Commission de réintroduire le «138 ». Sa seconde objection porte sur la question des «politiques de gestion de trafic» que les opérateurs souhaitent mettre dans le Paquet. Cette gestion consiste à restreindre le débit accordé à tel ou tel type d’échanges de données, gourmand en bande passante, pour éviter les surcharges du réseau. «De telles politiques, explique Hustinx, impliquent le recours à un mécanisme de reconnaissance des divers types de trafic» afin de répartir les ressources et donc, là encore, « l’interception et la surveillance» des usages privés. Un risque qui n’a pas échappé au collectif La Quadrature du Net, qui a repéré un discret amendement autorisant ladite «gestion de trafic» et du même coup la détection des échanges peer to peer et leur coupure éventuelle. Un autre amendement à une loi américaine confirme leurs craintes. Le sénateur Feinstein proposait en effet de recourir à la «gestion de trafic» pour débusquer… la pornographie enfantine et les infractions au droit d’auteur. Le Contrôleur n’a certes pas le pouvoir de prescrire une quelconque modification. Mais son avis et la déclaration récente de la ministre de la Justice allemande, Brigitte Zypries, estimant qu’en Allemagne la riposte graduée serait « hautement problématique d’un point de vue à la fois constitutionnel et politique », donneront sans doute matière à réfléchir à nos députés qui doivent, courant mars, plancher sur le projet de loi Hadopi destiné à la mettre en œuvre. (1) Le « 138 » réaffirme qu’aucune restriction aux droits et aux libertés fondamentales des internautes ne peut être imposée à ceux-ci sans décision judiciaire préalable. Le dossier complet : www.laquadrature.net/fr/dossier 2 6 f évrier 2 00 9

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Politis est édité par Politis, société par actions simplifiée au capital de 941 000 euros. Actionnaires : Association Pour Politis, Christophe Kantcheff, Denis Sieffert, Pascal Boniface, Laurent Chemla, Jean-Louis Gueydon de Dives, Valentin Lacambre. Président, directeur de la publication : Denis Sieffert. Directeur de la rédaction : Denis Sieffert. Comité de rédaction : Thierry Brun (87), Christophe Kantcheff (85), Michel Soudais (89) (rédacteurs en chef adjoints) ; Sébastien Fontenelle (74) (secrétaire général de la rédaction), Olivier Doubre (91), Xavier Frison (88), Ingrid Merckx (70), Patrick Piro (75) (chefs de rubrique) ; Jean-Claude Renard (73), Gilles Costaz, Marion Dumand, Denis-Constant Martin, Christine Tréguier, Claude-Marie Vadrot, Jacques Vincent. Responsable éditorial web : Xavier Frison (88). Architecture technique web : Grégory Fabre (Terra Economica) et Yanic Gornet. Conception graphique Sophie Guéroult_Sikora (01 43 71 21 46). Premier rédacteur graphiste papier et web : Michel Ribay (82). Rédactrice graphiste : Claire Le Scanff-Stora (84). Correction et secrétariat de rédaction : Marie-Édith Alouf (73), Pascale Bonnardel. Administration-comptabilité : Isabelle Péresse (76). Secrétariat : Brigitte Hautin (86). Publicité-promotion : Marion Biti (90). [email protected] Impression : Rivet Presse Édition BP 1977, 87022 Limoges Cedex 9 DIP, Service abonnement Politis 18-24, quai de la Marne, 75164 Paris Cedex 19 Tél. : 01 44 84 80 59. Fax : 01 42 00 56 92. [email protected] Abon. 1 an France : 147 euros Diffusion. NMPP. Inspection des ventes et réassort : K.D. Éric Namont : 01 42 46 02 20 Numéro de commission paritaire : 0112C88695, ISSN : 1290-5550

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Politis, 2, impasse Delaunay 75011 Paris Tél. : 01 55 25 86 86 Fax : 01 43 48 04 00 www.politis.fr [email protected] Fondateur : Bernard Langlois.

LE POINT DE VUE DES LECTEURS Il est vain de continuer à parler de démocratie, d’émancipation du citoyen et même de développement durable si le monde politique et la société civile ne s’emparent pas du partage du pouvoir dans l’entreprise. Jacques Boutbien

Cuba. Défense de toucher au mythe Parler « politique », par définition, c’est bien le rôle d’une politologue telle que se présente Janette Habel. Un reporter, lui, rapporte des faits, des impressions, des images : la vérité d’un moment et d’une situation. Pas la Vérité toute nue, définitive. Pas davantage les « analyses » que Mme Habel a pu « chercher en vain ». Le journaliste n’est est pas moins subjectif, engagé et même « orienté ». Qui ne le serait pas, y compris dans le champ des « analyses » ? Le problème surgit, en fait, lorsque l’autre n’est pas orienté dans la bonne direction – la sienne. Il en va de même avec l’esprit critique : un lecteur, repris par Mme Habel dans sa tribune, accuse Politis d’avoir perdu son sens critique en publiant mon reportage. Ne serait-ce pas plutôt le contraire ? Je m’attendais à ces prévisibles réactions – et je n’étais pas le seul. Prévisibles dès lors qu’un mythe se trouvait écorné. Cuba fait partie de cette mythologie dont se nourrit une partie de la gauche française, des trotskistes aux socialistes. Les histoires, la geste des héros de l’épopée cubaine se trouvent colportés depuis un demi-siècle, forgeant dans le même sens – très « orienté » – l’imaginaire « révolutionnaire ». Il en fut ainsi du « soviétisme » et du maoïsme, jusqu’à leurs mises à bas, ces moments où l’histoire reprend ses droits. Le castrisme, lui, continue à faire illusion. Pourquoi ? En partie par la nécessité, assez humaine en somme, de se protéger des vérités fatales à la sauvegarde de ses propres illusions. Plutôt casser le thermomètre que d’admettre la fièvre. J’ai bien vu le désarroi, la douleur même, de certains de mes

amis lorsqu’ils m’ont lu, comme tombant des nues devant le tableau que je leur rapportais, déchirure dans leur imaginaire. C’était d’autant plus douloureux qu’ils n’auraient pensé, eux, à mettre en doute mon honnêteté de journaliste en me rejetant comme « agent de la CIA appointé par Dassault »*… [voir les commentaires sur www.politis.fr] […] Dès 1970, dans son livre clairvoyant et des plus actuels, Cuba est-il socialiste ?, René Dumont avait pointé d’un doigt critique, informé et bienveillant (pour ne pas dire sympathisant), les failles d’un régime et de son « lider maximo », dont il témoigne en direct, en quelque sorte, à l’occasion de multiples séjours et rencontres en tant qu’agronome et conseiller technique du régime : bureaucratie favorisant l’incompétence, militarisation totale de l’économie et des relations « sociales », démotivation des travailleurs, camarillas de privilégiés, prébendes et marchés noir, gaspillages éhontés, bouclage de l’information, flicage

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ou envoyez un courrier électronique à c onta [email protected] om Un site des NMPP indique également où trouver Politis :

w w w.t rouverla presse.c om

institué. À quoi Dumont n’a pas manqué d’ajouter le fameux « orgueil » de qui l’on sait, dont il raconte les « caprices » infantiles lors de tournées de seigneur sur ses terres, son île, sa propriété. En somme, un livre très « orienté » – qui, d’ailleurs, valut aussitôt à son auteur d’être interdit de séjour, comme… agent de la CIA ! Dans le hors-série de l’Humanité sur Cuba (intitulé « Il était une fois la révolution », on est prévenu, c’est une fiction…), Eduardo Manet, dramaturge français d’origine cubaine, qualifie le castrisme de « dictature de gauche ». Bel oxymore… Janette Habel, elle, dans le même entretien, préfère se référer à un… jésuite (Fidel va adorer, lui qui a fréquenté un collège de la même obédience…) évoquant « un système unique sur lequel il ne faut plaquer aucune analyse toute faite ». « Je partage cette idée », commente Mme Habel. Et moi donc ! Gérard Ponthieu * Citation exacte de ce commentaire posté sur notre site Internet : « Ce Gérard Ponthieu pourrait-il avoir la liberté de nous dire combien il palpe pour cracher sur Cuba de la part de son PDG, ou de la CIA, ou de Dassault, combien touchent ces gens-là par mois, et combien gagne la femme de ménage qui vide sa poubelle ? » L’intégralité de la lettre de Gérard Ponthieu se trouve sur notre site, www.politis.fr

Créatifs et solidaires J’ai beaucoup de respect pour Jean Ziegler et pour le combat qu’il mène depuis plusieurs décennies au côté des opprimés. Comme beaucoup d’entre nous, il déplore les dégâts causés par le libéralisme […], mais en même temps il se réjouit, car le masque tombe et laisse apparaître les véritables causes de la souffrance. Or, selon lui, ces souffrances peuvent être « rédemptrices » car, « quand on souffre, on commence à réfléchir, donc à agir ». Cette affirmation d’un homme de conviction doit interpeller tout-unchacun ; car bien souvent, malheureusement, la souffrance engendre la résignation et la passivité et annihile toute révolte. Selon Jean Ziegler donc, au cœur de la souffrance se cache une énergie extraordinaire capable de mettre l’Homme debout […]. Je le crois aussi.

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Cependant, cette « heuristique de la souffrance » ne peut pleinement fonctionner que si certaines conditions préalables existent, sinon elle risque de devenir une douteuse « apologie de la souffrance ». Parmi celles-ci, je citerais en premier lieu l’existence d’un lien social qui permette la reconnaissance de la souffrance par l’Autre, et la compassion qui engendre la solidarité. La démolition lente, mais bien réelle, organisée par l’idéologie néolibérale, de toutes les solidarités

laisse chacun seul face à des souffrances qui ne lui permettent plus de « penser » et donc d’agir. Ainsi, recréer du lien social et cultiver ce lien sont aujourd’hui des actes de résistance politique. De plus, il me semble que la personne en souffrance, si elle peut s’appuyer sur un système de référence (croyance, idéologie, système de valeurs, éthique), peut élaborer une pensée et conférer un « sens » à sa souffrance. La destruction d’un tel système de référence, bien souvent encouragée par le libéralisme, pousse vers le non-sens, car l’agir n’a pas d’avenir. Cette situation aboutit au fatalisme. Si la souffrance débouche malgré tout sur un « agir », il se résume bien souvent à une action sacrificielle qui vise à décharger la tension provoquée par la

Paris XIVe : 2 mars à 20 h,

souffrance et dont la pensée est absente. Cette explosion est fréquemment sans lendemain et justifie le renforcement de la répression du côté de l’oppresseur. Ainsi, nous allons devoir être créatifs et solidaires si nous voulons réinventer un espoir et un destin communs. André Joly

Politis et la construction du NPA Bravo Politis, journal « rassembleur » de la gauche, de consacrer un petit dossier au NPA en construction (1 tiers de LCR, 2 tiers rouges, Verts, Attac, syndicalistes, PS, PCF, associatifs militants). Toutefois, ce dossier transpire l’hostilité chez ses trois signataires, Denis Sieffert, Michel Soudais et Jean-Baptiste Quiot. Que se passe-t-il ? Au Figaro ? Merci à Denis Sieffert pour le survol historique de la LCR, avec quelques surprenantes piques tauromachiques sur la nuque du NPA en construction (souligné par moi). Je cite : « Au moment où la LCR va renoncer à son étiquette trotskiste pour se transformer en NPA, nous [Politis] avons voulu revenir sur l’histoire de ce mouvement et nous interroger sur son avenir s’il en a un. » (Souligné par moi.) Quel accueil fédérateur ! Sur fond d’hostilité apeurée, réitérée dans la conclusion du papier : « Être trotskiste a-t-il encore un sens ? La création du NPA aussi pose la question. » Ainsi se demande-t-on à Politis si les 2 tiers, soit 6 000 adhérents (à ce jour), sont sensés ? Des guignols, vous dit-on à Politis ! Selon Michel Soudais, ce nouveau parti est « ouvert à ceux qui ne se reconnaissent pas dans le marxisme révolutionnaire […], se définissent plus comme une gauche radicale, anticapitaliste, écologiste et féministe que par référence aux idées de Trotski. » Ah ! Mais pourquoi lâcher la pique « le jeune postier n’est pas moins brutal » ? Faut-il avoir peur ? […] Jacques Borie, Montpellier (Hérault) Notre lecteur fait un contresens complet. Nous nous interrogeons sur l’avenir du trotskisme, pas du NPA. En renonçant à l’étiquette « trotskiste », les fondateurs du NPA ont visiblement la même interrogation que nous. Le titre du dossier n’était-il pas assez clair ? D. S.

Attac Paris-14 organise une projection du film le Silence de Lorna, de Jean-Pierre et Luc Dardenne. Projection suivie d’un débat sur les migrations avec Claire Rodier, juriste au Gisti et présidente du réseau Migreurop. Cinéma 7 Parnassiens, 98, bd du Montparnasse. 01 43 27 70 57, [email protected]

Bruxelles : 4 mars à 10 h 30, une conférence de presse annoncera le lancement du «Tribunal Russell sur la Palestine» qui «vise à réaffirmer la primauté du droit international comme base du règlement du conflit israélopalestinien ». En présence de Stéphane Hessel (ambassadeur de France), Leila Shahid, Ken Loach, Pierre Galand, Paul Laverty… Résidence Palace, Centre de presse international, salle Polak.

Conflans (78) : 7 mars à 16 h, la municipalité vous invite à un débat sur le thème «Quel hôpital pour demain? ». En présence du professeur André Grimaldi (chef du service de diabétologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière) et du docteur Patrick Pelloux (médecin urgentiste, président de l’Association des médecins urgentistes de France). Modératrice: Pauline Graulle (Politis). Entrée gratuite, réservation souhaitée. Médiathèque Blaise-Cendrars. Rens. : 01 39 72 72 12.

Paris Xe : 7 mars, de 14 h 30 à 18 h, la LIFPL, Ensemble nous sommes le 10e et Attac-Paris 9/10 vous invitent à un séminaire sur le thème «Femmes et mondialisation: actualité internationale des luttes». Avec Jules Falquet, maîtresse de conférences, Rose-Myrlie Joseph, chercheuse, Christiane Marty, commission genre d’Attac. Mairie du Xe, 72, rue du FaubourgSaint-Martin. www.local.attac.org/paris910

Arles (13) : 10 mars à 19 h 30, Attac Pays d’Arles, Arl’Éthique et De film en aiguille vous invitent à une projection-débat autour du documentaire le Beurre et l’argent du beurre, sur des femmes au Burkina Faso qui tentent de vivre du commerce de beurre de karité. Entrée libre et gratuite. Amphithéâtre Van-Gogh de l’espace Van-Gogh, www.local.attac.org/13/arles

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