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PÉRISCOPE
Chakib Khyari écope de trois ans de prison ferme et d’une amende de 753 930 DH.
PAR SAÂD KADIRI AIC PRESS
ÉVÉNEMENT Trois ans de prison ferme et une lourde amende... La sentence à l’encontre de Chakib Khyari a révolté le milieu des droits de l’homme et les sympathisants du célèbre détenu. Procès politique ? Un de plus à l’ère de la répression des opinions qui dérangent en haut lieu.
La répression cautionnée par la justice u tribunal de 1ere instance d’Aïn Sebaâ, tout au long de l’aprèsmidi, la cour a expédié dossier après dossier, laissant celui de Chakib Khyari en dernière position. Un signe parmi d’autres qui ne prête pas à l’optimisme, tout comme le fait que l’accusé n’était pas présent. «La cour a le droit de ne pas le convoquer vu que l’audience ne comprendra pas de débat contradictoire», explique Me Mounir Belakhder, l’un des avocats de la
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même pas être avec lui, le soutenir...». Côté défense, les avocats promettent d’interjeter appel dès le lendemain, mais sans grand espoir. Sentence absurde, ridicule, médiocre, ils ne mâchent pas leurs mots. «La justice a raté une belle opportunité de rendre un verdict équitable. Nous risquons de nous acheminer vers une demande de la grâce royale. Jusqu’à quand Sa Majesté devra-t-il rectifier des jugements qui déshonorent ce pays ?», s’indigne Me Belakhdar. A côté de lui, Tarek Sbaï, avocat et membre de l’Instance nationale de défense des biens
La cour a donné satisfaction au parquet en condamnant Khyari à verser exactement le montant réclamé par l’Office des Changes. défense, lui-même peu confiant dans un possible acquittement. Vers 18 heures, le juge prononce la sentence puis il quitte rapidement la salle. «Il n’avait pas l’air fier de lui», souligne un des journalistes présents. La sentence est lourde, Khyari écope de trois ans de prison ferme et d’une amende de 753 930 DH. L’assistance est sous le choc d’un jugement beaucoup plus sévère que ce qu’elle craignait.
Sentence absurde.
Le visage pâle, Amine, le frère de Chakib, cache mal son désarroi. «C’est injuste ! Mon frère ne mérite pas une telle sentence. Il a simplement défendu son pays qu’il aime, soupire-t-il. Maintenant, il va apprendre la terrible nouvelle dans sa cellule, on ne peut
6 | du 27 juin au 3 juillet 2009
hebdomadaire
publics, partage le même sentiment. Pour lui, il faut désormais intensifier la solidarité nationale et internationale dont jouit le président de l’association Rif pour les droits humains et militer pour l’adoption de textes de loi qui protègent de toute poursuite judiciaire les dénonciateurs de corruption. Au fond, que reprochet-on à Khyari ? D’abord l’outrage aux corps constitués. Le militant avait en effet déclaré aux médias que des personnes appartenant à la force publique étaient impliquées dans le trafic de cannabis qui perdure au Maroc. Un véritable secret de polichinelle puisqu’en janvier dernier, 28 officiers de la Marine royale, 15 de la Gendarmerie nationale et 14 des Forces auxiliaires avaient été entendus par le parquet et suspendus de leurs fonctions par leurs corps
d’origine en attendant l’aboutissement de l’enquête sur un trafic international de cannabis. Quant à l’infraction aux dispositions de l’Office des changes, elle est loin d’être démontrée. D’abord, le procureur n’a pas apporté la preuve des paiements que Khyari aurait reçu des «services secrets espagnols». Le seul argent dont l’existence soit attestée, ce sont les 225 euros sur un compte au nom du militant ouvert dans une banque à Melilla. Or, selon le dahir du 17 octobre 1959 -qui oblige à déclarer les avoirs en monnaies étrangères- «lorsque les biens et avoirs à déclarer par une même personne ne dépassent pas au total une valeur de 25 000 francs (anciens, bien sûr), leur propriétaire est dispensé de l’obligation de déclaration» (article 9). A quoi correspondent 25 000 FF anciens aujourd’hui ? Le procureur n’a pas fourni de réponse à cette question. Par ailleurs, il est de notoriété publique que les Marocains déposent tous les jours des devises dans leurs comptes en banque sans rien déclarer au gendarme des changes et sans être inquiétés, l’Office ayant lui-même libéralisé la pratique par d’autres circulaires dès 1993. Malgré tout cela, la cour a donné satisfaction au parquet en condamnant Khyari à verser exactement le montant réclamé par l’Office des Changes. «Les commissions qu’auraient reçues M. Khyari pour orchestrer une campagne médiatique n’ont pas été prouvées, insiste Amina Bouayach, présidente de l’Organisation marocaine des droits de l’homme. De plus, le parquet s’est focalisé sur la question du patriotisme de l’accusé. Il a donc fait d’un procès factuel un procès politique. C’est cela l’aberration». Comme en février dernier, l’OMDH appelle à la libération urgente de Khyari. Sera-t-elle entendue ? En tout cas, la justice a avalisé, une fois de plus, une répression aberrante.■