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ÉDITO
Le verdict de la honte Par Omar Brouksy
T
rois ans de prison ferme et une amende de 753 930 dirhams. Tel est le verdict prononcé le mercredi 24 juin par le tribunal de première instance de Casablanca à l’encontre de Chakib Khyari, président de l’Association Rif des droits de l’homme, basée à Nador, où ce militant rifain vivait jusqu’à son arrestation. Il est condamné à cette peine -surréaliste et honteuse pour l’image du Maroc et du roi au nom duquel les jugements sont prononcés- parce qu’il aurait «perçu des sommes d’argent de parties étrangères pour mener une campagne médiatique visant à discréditer les efforts déployés par les autorités marocaines dans la lutte contre le trafic de drogue», peut-on lire, notamment, dans un communiqué du parquet de Casablanca. Le président du tribunal qui a conduit cette parodie de justice a prononcé son jugement et s’est rapidement éclipsé. Des problèmes de conscience ? Peut-être. En tout cas, le procès s’est déroulé en l’absence de Chakib Khyari et de son avocat Habib Hejji et, selon les militants des ONG marocaines et étrangères, ce fut un choc, un énième choc qui marquera encore une fois et négativement la justice marocaine. Difficile de ne pas faire le parallèle entre ce procès et celui de la «pierre sacrée», lorsqu’un juge du tribunal de Rabat a exhibé une pierre en s’adressant au journaliste
Ali Lmrabet : «A partir du moment où cette pierre vient d’un palais royal, elle devient sacrée.» Au-delà du ridicule. La justice est en général un indicateur déterminant en matière de gouvernance. Elle est en effet une référence qui indique dans quelle mesure, dans un pays donné, les responsables politiques peuvent rendre compte de leur action, ce qui met en avant la question de la transparence et de la responsabilité politique. C’est pour cela que le principe de séparation des pouvoirs, qui doit révéler le degré d’indépendance de la justice, est un critère important dans l’évaluation d’un système politique. C’est ce qui différencie un Etat de droit d’un Etat de non-droit comme le Maroc. Le fait qu’il n’y ait pas de séparation des pouvoirs et que la justice marocaine soit soumise aux cercles politiques, donneurs d’ordres dès lors qu’il s’agit d’affaires politiques et financières, décourage les étrangers à investir au Maroc. Mais il n’y a pas que cela. Une justice indépendante est également un moyen d’apaisement des rapports sociopolitiques, un régulateur qui permet aux tensions sociales de se déployer dans un cadre institutionnel codifié, avec une réelle prééminence de la loi. Le sentiment d’égalité et de justice que le citoyen marocain ressentira à l’énoncé d’un jugement équitable renforcera sa confiance en l’Etat et favorisera son implication dans ses structures de production et de développement. Cela s’appelle le sentiment d’appartenance et de participation. ■
Le sentiment d’égalité et de justice que le citoyen marocain ressentira à l’énoncé d’un jugement équitable renforcera sa confiance en l’Etat.
4 | du 27 juin au 3 juillet 2009
hebdomadaire