Ariane Mnouchkine, Une Vie De Théâtre

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Le Courrier de Russie

PORTRAIT

Du 3 au 22 mai 2009

Quand elle sourit, ses yeux se plissent, s’illuminent et tout son visage – d’habitude si sérieux, presque sévère – respire alors une sympathie naturelle que seuls possèdent les gens véritablement bons. Lorsqu’elle parle de sa voix douce et jeune, elle choisit ses mots avec soin et les ponctue de points de suspension, comme si elle hésitait devant la précision de sa pensée. C’est d’ailleurs ainsi qu’elle avance dans son art, en cherchant, à tâtons, l’expression juste et le geste parfait. Comment faire le portrait de quelqu’un qui refuse de fixer son image ? « On ne peut jamais se considérer comme définitif et surtout pas quand on fait du théâtre, car c’est de l’art de l’impermanence absolue », expliquait-elle à Fabienne Pascaud1. Définitive, Ariane Mnouchkine ne l’est effectivement qu’en apparence, avec sa chevelure vaporeuse poivre et sel devenue sa signature. Mais, dès qu’il est question de création, elle innove sans répit, improvise des heures durant avec sa troupe, cherche, et souvent ne trouve pas. Mais elle aime passionnément ces moments de recherche infructueuse. Son goût de la création lui vient-il de l'enfance ? Anglaise par sa mère, issue d’une famille comptant de nombreux comédiens, et Russe par son père, Alexandre Mnouchkine, célèbre producteur de cinéma, Ariane grandit dans un milieu artistique. Elle a huit ans lorsqu’elle assiste au tournage de L’Aigle à deux têtes de Jean Cocteau. Plus tard, sur le tournage de Fanfan la tulipe, elle aide à panser les chevaux, embête les techniciens, se fait gronder, admire les stars de cinéma, véritables dieux olympiens à ses yeux... Mais du cinéma, Ariane n’en veut guère : ce

D.R.

Ariane Mnouchkine, une vie de théâtre

Ariadne Mnouchkine et son père

monde luxueux et, plus généralement, le monde du travail, lui font peur. Elle rêve d’un univers transformable où elle ne se sentirait pas à l’étroit. La révélation du théâtre viendra tôt, juste après le bac, pendant ses études à Oxford. Figurante dans une pièce de théâtre, en montant dans le bus avec la troupe, une pensée l’éclaire soudain : « Voilà, c’est cela ! C’est ma vie, (…) ce jeu ensemble, monter tous sur un navire qui part loin, très loin, découvrir une terre légendaire et intacte. » Un an plus tard, elle fonde l’Association théâtrale des étudiants de Paris ; six ans plus tard, elle a sa troupe. Mais comment l’appeler ? A l’issue d’une nuit de débats et après avoir rejeté des noms par dizaines – La Vie, Le Feu, La Lumière… – elle finit par suggérer « Le Soleil ». C’est ainsi qu’Ariane – petite-fille d’Hélios, dieu grec du Soleil – créa son Théâtre du Soleil. A l’époque, elle a vingt-cinq ans et ne connaît rien au théâtre. Mais quelle chance de commencer à l’époque bénie d’avant 68, où des fonc-

tionnaires amateurs du genre sillonnent la France à la recherche de jeunes talents, où des directeurs de théâtre sont là pour la conseiller, où, pour agir, le désir suffit ! Très vite, elle s’oriente vers la création collective : dans sa troupe, les rôles ne sont jamais distribués à l’avance et, au lieu des longues discussions autour de la table qui l’ennuient, le spectacle se crée en jouant, dès le premier jour. Cette façon de créer est devenue la marque de fabrique du Théâtre du Soleil. Leur dernier spectacle, Les Ephémères, est construit autour de mini-séquences surgies de souvenirs personnels des acteurs et créées en groupe : scènes de vie dans lesquelles chaque spectateur se reconnaît. De 450 ébauches, ils n’en ont gardé que vingtneuf pour remplir les huit heures de la représentation. « Lorsqu’Ariane Mnouchkine plonge dans le travail, c’est comme si elle germait à travers ses acteurs – c’est très Stanislavsky ! Elle est un metteur en scène qui est à la fois le miroir, l’auteur, la sage-femme, le semeur. Elle donne naissance à une

vie scénique infinie qui continue à se multiplier audelà de sa volonté », explique le metteur en scène Lev Dodine, dont les méthodes de travail se rapprochent beaucoup de celles du Théâtre du Soleil. « Le théâtre est fait pour raconter des histoires vraies, dit-elle, mais ce n’est pas seulement un témoignage, c’est aussi une participation à l’histoire. » Elle s’adresse souvent à des sujets historiques, de la Grèce Antique à la Révolution Française, de l’histoire de l’Inde à la Seconde Guerre mondiale. Et, de l’histoire à la politique, il n’y a qu’un pas… Même lorsque Mnouchkine s’attaque aux textes classiques, ils prennent, eux aussi, un tour politique. Tartuffe devient un islamiste intégriste faisant du charme à une famille musulmane. Jamais Ariane Mnouchkine ne propose de grille de lecture, se fixant comme seul objectif de faire réfléchir le spectateur. Sur les traces de Jean Vilar, elle entend rendre le théâtre au peuple. Chaque soir, selon un rituel inébranlable, elle accueille elle-même le public à l’entrée de la Cartoucherie, où le Théâtre du Soleil joue depuis quarante ans et, après le spectacle, elle trouve toujours le temps pour répondre aux questions des curieux. Sa passion de l’histoire se révèle aussi dans son parcours personnel. Depuis la fin des années 1950, elle s’engage contre la peine de mort, milite contre la guerre d’Algérie, entame une grève de la faim pour la Bosnie, loge des sanspapiers dans son théâtre… Le président Sarkozy lui propose le Collège de France ? Elle refuse, furieuse de cette tentative de la faire passer pour une collaboratrice. On débat sur le délit d’assistance aux sans-papiers ? Les manifestants lisent sa déclaration devant le Palais de Justice : « Je refuse cette morbide inversion des valeurs qu’un gouvernement sans culture et sans mémoire cherche à nous faire accepter. (…) Citoyens oui, indics jamais. » Son nom de famille vient de l’hébreu menukha » qui signifie « paix » et « repos ». Pourtant, à soixante-dix ans, le repos est certainement la seule chose qu’Ariane Mnouchkine n’ait point connue. Daria Moudrolioubova

1 L’art du présent : Ariane Mnouchkine, entretiens avec Fabienne Pascaud, Paris, Plon, 2005. 245 p.

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