Otto Wagner 1903-1912 Caisse d'épargne de la poste Georg-Coch-Platz, Vienne, Ier arrondissement première tranche : 1903-1906, seconde tranche: 1910-1912
La Façade L'édifice de la Caisse d'épargne de la poste impériale et royale (k.k.Postsparkassernamt) est l'une des icônes de l'architecture viennoise et, tout comme l'église Saint-Léopold Am Steinhof, un chef-d'œuvre incontesté de Wagner. La salle des guichets, avec son plancher en dalles de verre et sa structure suspendue d'acier et de verre, a considérablement influencé l'architecture du XXe siècle. La façade du bâtiment convainc par son traitement à la fois poétique et rationnel. Cet ouvrage que Wagner conçut à 62 ans et dont il termina l’exécution à 71 ans constitue une synthèse remarquable de l'ensemble de son œuvre. On ne saurait nier aujourd'hui le rôle fondamental de cet édifice dans la formation de l'architecture moderne du XXe siècle. Comme Berlin et Chicago, Vienne devint alors l'un des foyers de I' «architecture fonctionnelle». Le bâtiment de la Caisse d'épargne de la poste est représentatif de l'architecture moderne et marque la naissance d'une nouvelle époque. Depuis sa création en 1883, la Caisse d'épargne de la poste était installée dans un ancien couvent de dominicains dans le centre de Vienne. En raison de l'augmentation du volume des affaires et du nombre d'employés, l'espace disponible devint vite insuffisant. Dès 1899, la construction d'un nouveau bâtiment devint une nécessité pressante. Un concours fut donc lancé en janvier 1903, définissant un programme précis, à réaliser sur un nouveau site dans le Stubenviertel. (porte Nord-Est de la ville) Wagner remporta ce concours auquel trente-deux architectes participèrent et se vit confier la réalisation de l'ouvrage. Certains éléments du projet comme la structure du toit furent légèrement modifiés lors de l'exécution. Les travaux commencèrent en juillet 1904 et furent achevés en décembre 1906 - ce qui représente une durée de construction relativement courte de vingt-neuf mois seulement. Wagner reçut pour (l'ensemble de l'étude du projet, la surveillance du chantier et l'aménagement intérieur 52 500 couronnes d'honoraires, ce qui correspondait à une part plutôt modeste des coûts de construction (1,75 pour cent). «Dans le bâtiment de la Caisse d'épargne de la poste, plus rien ne rappelle la "Renaissance libre". L'ensemble adopte le "style utile" sans aucune référence aux styles historiques, aucune réminiscence de
('architecture des palais italiens et sans aucune monumentalité liée à la tradition», écrit Joseph August Lux dans sa biographie de Wagner. Les façades du bâtiment de la Caisse d'épargne de la poste sont recouvertes d'un fin revêtement composé de dalles de marbre blanc de Sterzing. Le soubassement est revêtu de dalles de granit légèrement arrondies qui produisent un effet plastique raffiné de lignes horizontales. Wagner utilisa l'aluminium pour un grand nombre d'éléments de détail de la façade comme les têtes des boulons, les piliers soutenant la marquise, les acrotères d'angle et les couronnes. «[...] l'édifice ressemble à un immense coffrefort couvert de clous», écrit Lux et il poursuit: «II n'est pourtant pas dénué d'une certaine monumentalité et ne manque pas non plus d'originalité - ('extérieur du bâtiment révélant immédiatement et clairement son contenu, sa fonction et son parti architectural.» L'ouvrage est l'image parfaite de l'immeuble de bureau moderne et fonctionnel, surtout si l'on considère la qualité des espaces intérieurs. Dans l'espace réservé aux clients - l'entrée principale, le vestibule et la célèbre salle des guichets à trois nefs -Wagner opta pour des matériaux modernes en argumentant qu'ils étaient fonctionnels, propres et faciles à entretenir. L'aluminium, par exemple, qui n'a pas besoin d'être nettoyé est un de ses matériaux préférés : il l'utilisa pour les poignées et ferrures de portes, les lampes, les grilles de chauffage, les bouches de chaleur, rhabillage des piliers dans la salle des guichets - en tout pour plus de 800 éléments. L'intensité de l'éclairage zénithal lui confère une solennité presque su commerce de l'argent est ici célébré comme un acte sacré du capitalisme.
Salle des guichets Lux décrit cet espace de la manière suivante: « De l'espace intérieur, en particulier de la salle des guichets, se dégage une impression de clarté et de transparence quelque peu mystérieuse, à laquelle contribue principalement l'absence de tout élément inutile - et je qualifie d'inutile tous les motifs décoratifs, qu'ils soient historiques ou modernes. Les nouvelles techniques, les nouveaux systèmes constructifs et les nouveaux matériaux mis en œuvre contribuent à créer l'image d'une architecture souple, fonctionnelle, organique, réduite à la structure même, dématérialisée et abstraite. Seules des lignes, des surfaces, des parties claires et foncées semblent flotter dans l'air et former une toile au-dessus du sol de verre. Le degré d'abstraction remarquable de cet espace ne résulte pas, en fait, d'une réelle transparence mais plutôt de la translucidité de l’ensemble.
L’organisation de l'espace témoigne d'ores et déjà d'une fonctionnalité et d’une flexibilité caractéristiques de l'immeuble de bureaux moderne. Le concept de la Caisse d'épargne s'inspire du modèle américain de l'immeuble de son «typical floor plan » (plan étage type) qui permet de moduler les espaces de travail à volonté et ne détermine de manière définitive que les espaces les plus importants.Les parois qui subdivisent l'espace sont non porteuses et peuvent être déplacées selon les besoins.
Bureau du directeur L'impression d'ensemble que la salle des guichets produit sur le visiteur est une des dimensions essentielles du projet. Le plancher en dalles de verre permet d'obtenir au sous-sol un volume éclairé par la lumière naturelle: le bureau du courrier, situé au-dessous de la salle. Le toit de la salle des guichets est formé d'une enveloppe intérieure - une grande verrière de forme arrondie qui couvre la salle comme une toile légère -et d'une charpente extérieure suspendue à des piliers de fer dont le bas est revêtu d'aluminium et qui, en haut, traversent la verrière pour réapparaître au-dessus.Wagner appliqua, vraisemblablement pour la première fois dans l'histoire de l'architecture, le principe constructif du pont suspendu à la structure d'un toit. La partie inférieure des parois est revêtue de dalles de marbre gris clair et la partie supérieure, de dalles de verre blanches. L'espace intérieur est d'une pureté esthétique absolue et Wagner accorda une grande importance à la conception des éléments de détails ; il dessina tout lui-même, du mobilier de bureau aux interrupteurs et aux tapis. Il apporta le plus grand soin à l'aménagement et au design des pièces réservées à la direction, situées au premier étage. Des photographies d'époque montrent les meubles conçus par l'architecte qui y intégra des considérations d'ordre pratique: les vestiaires des bureaux pourvus de miroirs, les célèbres chaises et fauteuils dont les pieds sont ornés de ferrures en aluminium ou en laiton. Ces «sabots», une application de la théorie du» vêtement selon Semper, soulignent la «mobilité» des sièges et illustrent en même temps le sens pratique de l'architecte.
Salle des marchés, entresol,
La verrière de la salle des guichets côté extérieur.
Les travaux de Wagner réalisés entre 1900 et 1905 donnent la mesure de l'intensité avec laquelle l'architecte se consacra, durant cette période, à l'aménagement de l'espace et aux systèmes constructifs.L'essentiel de ses idées relatives aux grandes cours intérieures sous verrière est présent dans deux autres projets prévus sur la Karisplatz à Vienne: le musée municipal Empereur François-Joseph (à partir de 1903) et un grand magasin (à partir de 1905). Au début du XXe siècle, le type architectural du «bâtiment avec cour intérieure sous verrière» devint chez Wagner le symbole de la modernité. (I est vrai que la réalisation de ce type d'édifice était également répandue au XIXe siècle sans être pour autant une caractéristique de la modernité. Wagner en était conscient et insistait toujours sur ce point. Pourtant, c'est un bâtiment d'un style différent qui vit le jour avec le siège de la Caisse d'épargne de la poste, un bâtiment classique au sens d'une harmonie entre la signification et l'image, entre le contenu et la forme. Et c'est ce classicisme qui fait de l'ouvrage une icône des débuts de la Modernité.