Université Jean Moulin – Lyon 3 Faculté des Lettres - Département de Géographie et Aménagement Licence 1 – CM – Bruno MORISET Géographie économique de la Mondialisation
Lectures Source : Le Monde et Le Monde Diplomatique
Document à usage pédagogique – Diffusion interdite La nouvelle vulgate planétaire..................................................................................................2 2007, année du grand retour des Etats ....................................................................................5 ÉDITORIAL - Une nouvelle donne ...........................................................................................7 Le capitalisme éthique, un principe fragile, par Michel Rocard .................................................8 DOSSIER : Perte d'influence pour les jumelles de Bretton Woods .........................................10 Dossier Wal-Mart ...................................................................................................................13 Chine, Inde : l'offensive internationale....................................................................................16
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La nouvelle vulgate planétaire PIERRE BOURDIEU (†) Sociologue, professeur au Collège de France. LOÏC WACQUANT Professeur à l'université de Californie à Berkeley et chercheur au Centre de sociologie européenne. LE MONDE DIPLOMATIQUE | MAI 2000 www.monde-diplomatique.fr DANS tous les pays avancés, patrons et hauts fonctionnaires internationaux, intellectuels médiatiques et journalistes de haute volée se sont mis de concert à parler une étrange novlangue dont le vocabulaire, apparemment surgi de nulle part, est dans toutes les bouches : « mondialisation » et « flexi bilité » ; « gouvernance » et « employabilité » ; « underclass » et « exclusion » ; « nouvelle économie » et « tolérance zéro » ; « communautarisme » , « multiculturalisme » et leurs cousins « postmodernes » , « ethnicité » , « minorité » , « identité » , « fragmentation » , etc. La diffusion de cette nouvelle vulgate planétaire - dont sont remarquablement absents capitalisme, classe, exploitation, domination, inégalité, autant de vocables péremptoirement révoqués sous prétexte d'obsolescence ou d'impertinence présumées - est le produit d'un impérialisme proprement symbolique.Les effets en sont d'autant plus puissants et pernicieux que cet impérialisme est porté non seulement par les partisans de la révolution néolibérale, lesquels, sous couvert de modernisation, entendent refaire le monde en faisant table rase des conquêtes sociales et économiques résultant de cent ans de luttes sociales, et désormais dépeintes comme autant d'archaïsmes et d'obstacles au nouvel ordre naissant, mais aussi par des producteurs culturels (chercheurs, écrivains, artistes) et des militants de gauche qui, pour la grande majorité d'entre eux, se pensent toujours comme progressistes. Comme les dominations de genre ou d'ethnie, l'impérialisme culturel est une violence symbolique qui s'appuie sur une relation de communication contrainte pour extorquer la soumission et dont la particularité consiste ici en ce qu'elle universalise les particularismes liés à une expérience historique singulière en les faisant méconnaître comme tels et reconnaître comme universels (1). Ainsi, de même que, au XIXe siècle, nombre de questions dites philosophiques, comme le thème spenglérien de la « décadence » , qui étaient débattues dans toute l'Europe trouvaient leur origine dans les particularités et les conflits historiques propres à l'univers singulier des universitaires allemands, de même aujourd'hui nombre de topiques directement issus de confrontations intellectuelles liées aux particularités et aux particularismes de la société et des universités américaines se sont imposés, sous des dehors en apparence déshistoricisés, à l'ensemble de la planète.
Ces lieux communs, au sens aristotélicien de notions ou de thèses avec lesquelles on argumente mais sur lesquelles on n'argumente pas, doivent l'essentiel de leur force de conviction au prestige retrouvé du lieu dont ils émanent et au fait que, circulant à flux tendu de Berlin à Buenos Aires et de Londres à Lisbonne, ils sont présents partout à la fois et sont partout puissamment relayés par ces instances prétendument neutres de la pensée neutre que sont les grands organismes internationaux - Banque mondiale, Commission européenne, Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) -, les « boîtes à idées » conservatrices (Manhattan Institute à New York, Adam Smith Institute à Londres, Deutsche Bank Fundation à Francfort, et de l'exFondation Saint-Simon à Paris), les fondations de philanthropie, les écoles du pouvoir (Science-Po en France, la London School of Economics au Royaume-Uni, la Harvard Kennedy School of Government en Amérique, etc.), et les grands médias, inlassables dispensateurs de cette lingua franca passe-partout, bien faite pour donner aux éditorialistes pressés et aux spécialistes empressés de l'import-export culturel l'illusion de l'ultramodernisme. Outre l'effet automatique de la circulation internationale des idées, qui tend par la logique propre à occulter les conditions et les significations d'origine, le jeu des définitions préalables et des déductions scolastiques … tend à masquer les racines historiques de tout un ensemble de questions et de notions - l'« efficacité » du marché (libre), le besoin de reconnaissance des « identités » (culturelles), ou encore la réaffirmation -célébration de la « responsabilité » (individuelle) ... Ainsi planétarisés, mondialisés, au sens strictement géographique, en même temps que départicularisés, ces lieux communs que le ressassement médiatique transforme en sens commun universel parviennent à faire oublier qu'ils ne font bien souvent qu'exprimer, sous une forme tronquée et méconnaissable… les réalités complexes et contestées d'une société historique particulière, tacitement constituée en modèle et en mesure de toutes choses : la société américaine de l'ère postfordiste et postkeynésienne. Cet unique super-pouvoir, cette Mecque symbolique de la Terre, est caractérisé par le démantèlement délibéré de l'Etat social et l'hypercroissance corrélative de l'Etat pénal, l'écrasement du mouvement syndical et la dictature de la conception de l'entreprise fondée sur la seule « valeuractionnaire » , et leurs conséquences sociologiques, la généralisation du salariat précaire et de l'insécurité sociale, constituée en moteur privilégié de l'activité économique. Il en est ainsi par exemple du débat flou et mou autour du « multiculturalisme » , terme importé en Europe pour désigner le pluralisme culturel dans la sphère civique alors qu'aux Etats-Unis il renvoie, dans le mouvement même par lequel il les masque, à l'exclusion continuée des Noirs et à la crise de la mythologie nationale du « rêve américain » de
3 l'« opportunité pour tous » , corrélative de la banqueroute qui affecte le système d'enseignement public au moment où la compétition pour le capital culturel s'intensifie et où les inégalités de classe s'accroissent de manière vertigineuse. L'adjectif « multiculturel » voile cette crise en la cantonnant artificiellement dans le seul microcosme universitaire et en l'exprimant dans un registre ostensiblement « ethnique » , alors que son véritable enjeu n'est pas la reconnaissance des cultures marginalisées par les canons académiques, mais l'accès aux instruments de (re)production des classes moyenne et supérieure, comme l'Université, dans un contexte de désengagement actif et massif de l'Etat. Le « multiculturalisme » américain n'est ni un concept, ni une théorie, ni un mouvement social ou politique tout en prétendant être tout cela à la fois. C'est un discours écran dont le statut intellectuel résulte d'un gigantesque effet d'allodoxia national et international (4) qui trompe ceux qui en sont comme ceux qui n'en sont pas. C'est ensuite un discours américain, bien qu'il se pense et se donne comme universel, en cela qu'il exprime les contradictions spécifiques de la situation d'universitaires qui, coupés de tout accès à la sphère publique et soumis à une forte différenciation dans leur milieu professionnel, n'ont d'autre terrain où investir leur libido politique que celui des querelles de campus déguisées en épopées conceptuelles. C'est dire que le « multiculturalisme » amène partout où il s'exporte ces trois vices de la pensée nationale américaine que sont a) le « groupisme » , qui réifie les divisions sociales canonisées par la bureaucratie étatique en principes de connaissance et de revendication politique ; b) le populisme, qui remplace l'analyse des structures et des mécanismes de domination par la célébration de la culture des dominés et de leur « point de vue » élevé au rang de proto-théorie en acte ; c) le moralisme, qui fait obstacle à l'application d'un sain matérialisme rationnel dans l'analyse du monde social et économique et condamne ici à un débat sans fin ni effets sur la nécessaire « reconnaissance des identités » , alors que, dans la triste réalité de tous les jours, le problème ne se situe nullement à ce niveau (5) : pendant que les philosophes se gargarisent doctement de « reconnaissance culturelle » , des dizaines de milliers d'enfants issus des classes et ethnies dominées sont refoulés hors des écoles primaires par manque de place (ils étaient 25 000 cette année dans la seule ville de Los Angeles), et un jeune sur dix provenant de ménages gagnant moins de 15 000 dollars annuels accède aux campus universitaires, contre 94 % des enfants des familles disposant de plus de 100 000 dollars. On pourrait faire la même démonstration à propos de la notion fortement polysémique de « mondialisation » , qui a pour effet, sinon pour fonction, d'habiller d'oecuménisme culturel ou de fatalisme économiste les effets de l'impérialisme américain et de faire apparaître un rapport de force
transnational comme une nécessité naturelle… Le remodelage des rapports sociaux et des pratiques culturelles conformément au patron nord-américain, qui s'est opéré dans les sociétés avancées à travers la paupérisation de l'Etat, la marchandisation des biens publics et la généralisation de l'insécurité salariale, est accepté avec résignation comme l'aboutissement obligé des évolutions nationales, quand il n'est pas célébré avec un enthousiasme moutonnier. L'analyse empirique de l'évolution des économies avancées sur la longue durée suggère pourtant que la « mondialisation » n'est pas une nouvelle phase du capitalisme mais une « rhétorique » qu'invoquent les gouvernements pour justifier leur soumission volontaire aux marchés financiers. Loin d'être, comme on ne cesse de le répéter, la conséquence fatale de la croissance des échanges extérieurs, la désindustrialisation, la croissance des inégalités et la contraction des politiques sociales résultent de décisions de politique intérieure qui reflètent le basculement des rapports de classe en faveur des propriétaires du capital. En imposant au reste du monde des catégories de perception homologues de ses structures sociales, les Etats-Unis refaçonnent le monde à leur image : la colonisation mentale qui s'opère à travers la diffusion de ces vrais-faux concepts ne peut conduire qu'à une sorte de « Washington consensus » généralisé et même spontané, comme on peut l'observer aujourd'hui en matière d'économie, de philanthropie ou d'enseignement de la gestion (lire pages 8-9). En effet, ce discours double qui, fondé dans la croyance, mime la science, surimposant au fantasme social du dominant l'apparence de la raison (notamment économique et politologique), est doté du pouvoir de faire advenir les réalités qu'il prétend décrire, selon le principe de la prophétie autoréalisante : présent dans les esprits des décideurs politiques ou économiques et de leurs publics, il sert d'instrument de construction des politiques publiques et privées, en même temps que d'instrument d'évaluation de ces politiques. Comme toutes les mythologies de l'âge de la science, la nouvelle vulgate planétaire s'appuie sur une série d'oppositions et d'équivalences, qui se soutiennent et se répondent, pour dépeindre les transformations contemporaines des sociétés avancées : désengagement économique de l'Etat et renforcement de ses composantes policières et pénales, dérégulation des flux financiers et désencadrement du marché de l'emploi, réduction des protections sociales et célébration moralisatrice de la « responsabilité individuelle » : L'impérialisme de la raison néolibérale trouve son accomplissement intellectuel dans deux nouvelles figures exemplaires du producteur culturel. D'abord l'expert, qui prépare, dans l'ombre des coulisses ministérielles ou patronales ou dans le secret des think tanks, des documents à forte teneur technique, couchés autant que possible en langage économique et mathématique. Ensuite, le conseiller en communication du prince, transfuge du monde universitaire passé au service des dominants, dont la mission est de mettre en forme académique les
4 projets politiques de la nouvelle noblesse d'Etat et d'entreprise ... Et l'on peut voir l'incarnation par excellence de la ruse de la raison impérialiste dans le fait que c'est la Grande-Bretagne, placée, pour des raisons historiques, culturelles et linguistiques, en position intermédiaire, neutre (au sens étymologique), entre les Etats-Unis et l'Europe continentale, qui a fourni au monde ce cheval de Troie à deux têtes, l'une politique et l'autre intellectuelle, en la personne duale de Tony Blair et d'Anthony Giddens, « théoricien » autoproclamé de la « troisième voie » , qui, selon ses propres paroles, qu'il faut citer à la lettre, « adopte une attitude positive à l'égard de la mondialisation » ; « essaie (sic) de réagir aux formes nouvelles d'inégalités » mais en avertissant d'emblée que « les pauvres d'aujourd'hui ne sont pas semblables aux pauvres de jadis (de même que les riches ne sont plus pareils à ce qu'ils étaient autrefois) » ; « accepte l'idée que les systèmes de protection sociale existants, et la structure d'ensemble de l'Etat, sont la source de problèmes, et pas seulement la solution pour les résoudre » ; « souligne le fait que les politiques économiques et sociales sont liées » pour mieux affirmer que « les dépenses sociales doivent être évaluées en termes de leurs conséquences pour l'économie dans son ensemble » ; enfin se « préoccupe des mécanismes d'exclusion » qu'il découvre « au bas de la société, mais aussi en haut (sic) » , convaincu que « redéfinir l'inégalité par rapport à l'exclusion à ces deux niveaux » est « conforme à une conception dynamique de l'inégalité» . Les maîtres de l'économie peuvent dormir tranquilles : ils ont trouvé leur Pangloss. PIERRE BOURDIEU et LOÏC WACQUANT. -----------------------------------------------------------------------(1) Précisons d'entrée que les Etats-Unis n'ont pas le monopole de la prétention à l'universel. Nombre d'autres pays - France, Grande-Bretagne, Allemagne, Espagne, Japon, Russie - ont exercé ou s'efforcent encore d'exercer, dans leurs sphère d'influence propre, des formes d'impérialisme culturel en tout points comparables. Avec cette différence toutefois que, pour la première fois de l'histoire, un seul pays se trouve en position d'imposer son point de vue sur le monde au monde entier. (4) Allodoxia : le fait de prendre une chose pour une autre. (5) Pas plus que la mondialisation des échanges matériels et symboliques, la diversité des cultures, ne date de notre siècle puisqu'elle est coextensive de l'histoire humaine…
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2007, année du grand retour des Etats Article paru dans l'édition du 23.12.07 Lemaître
- Frédéric
Les temps sont durs pour les apôtres du libéralisme. En quelques mois, Londres, Wall Street, Zurich, les trois places fortes de la mondialisation financière, viennent de lancer d'humiliants SOS à destination d'un adversaire jugé jadis moribond : la bonne vieille puissance publique. Première à ouvrir le bal cet été, Northern Rock. La banque de Newcastle reçut l'aide de la Banque d'Angleterre. Quelques semaines après son arrivée au pouvoir, Gordon Brown entendait mettre rapidement un terme à la panique des épargnants. C'était peu glorieux mais Northern Rock n'était pas une star de la City, et l'affaire fut réglée entre gentlemen. Rien de tel de l'autre côté de l'Atlantique. Citigroup, première banque américaine, elle aussi victime de la crise des subprimes, ces prêts immobiliers risqués, a dû appeler à la rescousse un fonds arabe, celui d 'Abu Dhabi. En investissant 7,5 milliards de dollars, celui-ci détiendra 4,9 % du capital de ce fleuron de Wall Street. Certes, il n'aura pas voix au chapitre mais recevra une coquette rémunération garantie : 11 % par an. La démarche sera imitée quelques semaines plus tard par Morgan Stanley qui rémunérera 9 % par an le fonds public chinois CIC. Pour 5 milliards de dollars, celui-ci s'offre 9,9 % du capital de la banque américaine. L'Europe continentale n'est pas épargnée : confrontée aux mêmes difficultés, UBS, première banque suisse, vient de faire entrer l'Etat de Singapour dans son capital. A la différence d'Abu Dhabi et de la Chine, la cité-Etat n'a accepté de verser 9,6 milliards de dollars qu'à la condition de siéger au conseil de la banque dont elle deviendra le premier actionnaire. UBS pourrait donc avoir à son conseil Lee Kuan Yew, fondateur de l'Etat de Singapour, ou son fils, l'actuel premier ministre ! Signe que l'heure est grave : cette crise de l'immobilier pourrait amener le gouvernement américain à intervenir. Même Alan Greenspan, l'ancien président de la Réserve fédérale, connu pour ses idées libérales, y est favorable. L'Etat doit, selon lui, aider les propriétaires étranglés par leur prêt immobilier. Comme l'observe, amer, le Wall Street Journal (du 14 novembre), « le capitalisme n'est pas parfait ». Autre enseignement : les fonds souverains, ces structures créées par les Etats richissimes pour gérer leurs recettes pétrolières ou leurs excédents commerciaux, sont devenus les principaux banquiers de la planète. Forts d'environ 3 000 milliards de dollars, ils achètent ce que bon leur semble. Par une curieuse pirouette de l'histoire, mondialisation rime aujourd'hui avec nationalisations. Les pays émergents ne se contentent pas d'investir, ils achètent également des biens. Ce n'est sans doute pas grandir la fonction présidentielle que de se transformer en VRP, mais Nicolas Sarkozy n'a pas le choix : aéronautique (EADS), transports (Alstom),
environnement (Suez, Veolia), énergie (Areva, EDF)... rarement le commerce international et la politique ont eu autant partie liée. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les négociations menées par l'Organisation mondiale du commerce (OMC) pour la libéralisation des échanges piétinent. Les Etats, là aussi, reprennent la main. Nombre d'entre eux préfèrent signer des accords bilatéraux sur lesquels ils ont une prise directe que de s'engager dans une démarche multilatérale qui les dépossède peu à peu de leurs prérogatives. Dans la même logique, les privatisations se font au compte-gouttes. Le 10 décembre, le gouvernement néerlandais a gelé la privatisation des trente dernières entreprises publiques. L'ancien commissaire européen, Frits Bolkestein, vilipendé en France pour son libéralisme, a été, dès 2006, très clair : « Il serait naïf d'affaiblir les compagnies néerlandaises, alors qu'ailleurs dans le monde, en Chine et en Russie notamment, les entreprises d'Etat tiennent solidement les rênes », a-t-il reconnu. BRUXELLES : RÉGULATEUR MONDIAL L'émergence de nouveaux pays bien peu libéraux n'explique pas, à elle seule, ce retour en grâce des Etats. En Occident notamment, la mondialisation est perçue comme une des principales raisons de l'augmentation des inégalités, une réalité désormais reconnue par l'OCDE, la Banque mondiale, et le FMI. Logiquement, les opinions publiques attendent des Etats qu'ils les protègent. C'est sur ce thème qu'a été élu M. Sarkozy. Et aux Etats-Unis, où Hillary Clinton semble moins libérale que ne l'était son mari, la campagne porte notamment sur la mise en place d'une couverture santé universelle. Selon un sondage paru dans The Economist du 8 décembre, une majorité (relative) d'Américains pensent que le gouvernement devrait garantir un système d'assurance-santé même s'il faut augmenter les impôts. Les libéraux le reconnaissent aujourd'hui : la compétitivité d'un pays ne se mesure pas à la seule aune de la faiblesse des dépenses publiques. En témoigne le classement établi par le World Economic Forum. Selon cette ONG qui organise le Forum de Davos, les 8 pays les plus compétitifs sont, dans l'ordre : les Etats-Unis, la Suisse, le Danemark, la Suède, l'Allemagne, la Finlande, Singapour et le Japon. Dans la plupart d'entre eux, le poids des impôts y est élevé. La Grande-Bretagne, n'est que 9e. Il est vrai que la France est 18e, signe que des dépenses publiques élevées ne sont pas forcément un gage de compétitivité ! Stabilité des institutions, qualité des infrastructures, politiques de santé et d'éducation, dépenses de recherche et développement sont aujourd'hui au moins aussi déterminantes que le coût du travail et la flexibilité pour évaluer un pays ou un espace économique. La Commission européenne l'a intégré : le secteur privé se montre incapable de financer le système de
6 satellites Galileo ? Chose impensable il y a peu, Bruxelles a décidé de le financer sur ses propres deniers. Le retour de la puissance publique dépasse largement le cadre de l'économie. En témoigne la conférence de Bali sur le climat. L'environnement mais aussi l'eau ou la santé deviennent des « biens publics mondiaux » qui ne peuvent pas être laissés aux seules forces du marché. Même les nouvelles technologies ne rendent pas forcément obsolètes les régulations politiques, comme on le prévoyait à la fin des années 1990. Microsoft se croyait tout puissant. Erreur. A l'issue d'un bras de fer de plusieurs années, la Commission européenne a obtenu en 2007 que l'entreprise soit condamnée pour abus de position dominante. Ce faisant, Bruxelles joue le rôle d'un régulateur mondial puisque sa décision a un effet planétaire. Quant aux fournisseurs d'accès à Internet, leur honteuse collaboration avec le régime de Pékin montre que la liberté d'expression offerte par la Toile reste soumise aux contingences politiques nationales. Le retour des Etats n'a pas que des avantages.
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ÉDITORIAL - Une nouvelle donne Article paru dans l'édition du 30.12.06 - Jean-Marie Colombani Au moment de vous présenter nos meilleurs voeux et de vous remercier pour votre fidélité retrouvée, que retenir de l'année 2006 ? Au-delà du flot continu de l'actualité immédiate - de l'espoir toujours repoussé d'une paix au Proche-Orient à la promesse d'un renouveau de notre vie publique, en passant par les doutes bienvenus des Etats-Unis sur leur stratégie en Irak -, cette année fut de transition, de gestation d'un monde nouveau et, à bien des égards, méconnaissable. Une tendance lourde est apparue, de celles qui bouleversent notre avenir : l'organisation géopolitique de la planète non plus selon le traditionnel rapport de force Nord-Sud, mais cette fois bel et bien Sud-Sud. Ce sont des pays dits « émergents », les puissances de demain (Chine, Inde, Brésil), qui, ayant pris le chemin de la croissance et du développement, ont commencé de s'organiser hors des directives et des impulsions venues du Nord, de nos pays. Un événement, qui a paru sur le moment presque anecdotique, fait figure de symbole de ce renversement au profit d'une dynamique Sud-Sud : le sommet qui a réuni à Pékin les principaux pays d'Afrique. La mondialisation, c'est d'abord cela. Non pas seulement un geste politique qui symbolise la puissance montante, commerciale, de plus en plus financière et politique, de la Chine, mais aussi le signe annonciateur d'un moment où les pays émergents cesseront d'être notre périphérie pour devenir les moteurs de la croissance mondiale, et les acteurs d'une nouvelle géopolitique dont nous tardons à prendre conscience tant elle bouleverse nos représentations traditionnelles. Nouveauté qui, rapportée à notre point de vue de pays du Nord développé et riche, se traduit par la perte de « monopoles » traditionnels. - La perte du monopole de la richesse. Américains et Européens s'y étaient habitués : le monde développé, c'était ici, chez nous. Les autres s'efforçaient de nous rattraper ou, à la suite de l'URSS, s'épuisaient dans l'expérimentation peu concluante, voire désastreuse, d'autres modèles. Reproduisant en fait ce que les Japonais ont réalisé au lendemain de la seconde guerre mondiale, Chinois, Philippins, Indonésiens, Malaisiens, Indiens, Brésiliens et d'autres bâtissent à leur tour des économies fondées sur la consommation et l'exportation de masse - et une formidable dépense énergétique... Ces économies se construisent sur l'ouverture des frontières ; elles vivent de la globalisation croissante des échanges. Les défenseurs de la mondialisation sont au Sud - au moins dans ce Sud-là ; la tentation protectionniste est au Nord. Dans son dernier rapport de l'année, la Banque mondiale observe que la mondialisation a sorti une grande partie de la population de la planète de la misère et prévoit que, dans le prochain quart de
siècle, le nombre des personnes très pauvres sera divisé par deux. 2006 a vu la Chine dépasser le Japon en dépenses consacrées à la recherche. 2006 a aussi vu une multinationale dirigée par un Indien, Mittal, racheter Arcelor, le grand sidérurgiste européen : on ne saurait mieux signifier à quel point l'économie mondiale est en train de changer. D'autres Indiens, des Russes, des Brésiliens et d'autres entrepreneurs du Sud sont désormais acheteurs d'actifs importants au Nord et deviennent des joueurs mondialisés. - La perte du monopole des classes moyennes. Le phénomène va devenir massif, avec l'accession au bien-être matériel, traduit par un revenu par tête moyen comparable à celui du Nord, de centaines de millions de personnes. Et une première manifestation de cette évolution : le bonheur des uns (les nouvelles classes moyennes) semble alimenter le mal-être des autres (les nôtres). A Washington, Londres ou Paris, les couvertures des magazines et des journaux consacrées à l'émergence de ces jeunes et petites bourgeoisies succèdent à celles que nous consacrons à la stagnation, voire à la déstabilisation des couches sociales qui forment le substrat économique et démocratique de nos pays ; déstabilisation que traduit la tentation de votes extrémistes. Il est vrai que les puissances naissantes du Sud ne se contentent plus de tirer profit de leur avantage comparatif (donc du dumping social) dans les seuls secteurs à forte maind'oeuvre ; ils s'installent et avancent très vite dans des créneaux où leurs ingénieurs et multiples informaticiens trouvent à s'employer, souvent grâce à des transferts de technologies venues du Nord. - La perte du monopole de l'impérialisme économique. C'est principalement de la Chine qu'il est question. Pékin se comporterait en Afrique en prédateur de matières premières, vendeur de produits made in China et soutien de régimes dictatoriaux et corrompus. La Chine est en effet en passe de déployer sur le continent africain un néocolonialisme qui n'a rien à envier à celui des Européens ou des Américains. A l'ONU, en tout cas, Pékin défend bec et ongles un de ses plus importants fournisseurs de pétrole, le Soudan, dont le régime, mélange de tyrannie islamiste et de dictature militaire, est responsable de certaines des pires atrocités perpétrées sur ce continent depuis le génocide du Rwanda. En d'autres termes, le monde « multipolaire » que Jacques Chirac appelle de ses voeux ne sera pas, ipso facto, synonyme de paix. Plus près de nous, le retour de la Russie à une politique de puissance, sans contestation possible à l'intérieur, laisse penser que l'Europe, de ce côté-là aussi de ses frontières, devra vivre sous une pression grandissante. - La perte, enfin, du monopole du récit sur le monde. C'est nous qui racontions l'histoire à travers le prisme de nos préjugés ; ce sont nos agences de presse, nos télévisions, nos magazines, nos journaux qui dominaient le monde des médias. Instrument de pouvoir, cette prépondérance médiatique n'est plus. Elle est malmenée par la Toile et concurrencée par les chaînes de télévision du Proche-Orient, d'Asie, qui racontent à leur tour l'histoire à l'aune de leur
8 perception, c'est-à-dire à travers le prisme de leurs préjugés, et ceux de leurs pays. L'empire CNN est contrebalancé, et même contredit, par l'empire AlJazira. Les frontières de la bonne - et de la mauvaise - conscience vont donc elles aussi changer. Il est impossible de ne pas se réjouir des perspectives qui sont ainsi ouvertes : la croissance mondialisée continuera de faire reculer la pauvreté, à l'échelle planétaire. Il n'est pas davantage possible de refuser de voir les turbulences que ces grandes transformations créent dans nos sociétés, impossible de ne pas voir les inégalités nouvelles qui surgissent, ici comme dans les pays émergents. Plus que jamais, donc, la gestion du monde qui vient aura besoin de régulations. En même temps, ces zones de turbulences dans lesquelles nous sommes durablement entrés font le lit des marchands de peur. Là où nous aurions besoin de marchands d'idées : pour repenser, ici, nos mécanismes et nos centres de création de richesse ; ainsi que le mode d'organisation de nos sociétés. Nous aurions besoin aussi de repenser notre idée des frontières, n'en déplaise à celle et celui qui, désormais en France, s'emploient à délégitimer la construction européenne ; au moment précis où, dans le cours d'une histoire qui n'attend pas et ne nous attendra pas, nous aurions besoin d'y croire de nouveau (mais précisément l'Europe n'est-elle pas minée aujourd'hui par le fait qu'elle n'a pas de frontières ?). Avant donc que le duel « Sarko-Ségo » ne capte toute l'attention, et ne recentre celle-ci sur le bon vieux village gaulois, n'oublions pas que la Terre tourne !
Le capitalisme éthique, un principe fragile, par Michel Rocard - LE MONDE | 09.01.07 Michel Rocard, premier ministre de 1988 à 1991, est député européen. Henry Ford, constructeur automobile américain (18631947), ne fut pas seulement pendant une quinzaine d'années le plus gros industriel du monde. Il fut aussi l'un des sauveteurs du capitalisme frappé gravement par la crise de 1929 : c'est la politique des hauts salaires, dont il est l'inventeur, qui assura le redémarrage de la consommation. C'est dire toute l'importance de ses intuitions. Il aurait affirmé à diverses reprises que le capitalisme ne saurait vivre et se développer sans respecter une éthique rigoureuse. Il était à ses yeux mauvais moralement - qu'un chef d'entreprise se paye plus de quarante fois la rémunération moyenne de ses employés. Lui-même respectait cette règle à son propre endroit. La clé de ce jugement tient en ceci que le capitalisme est assurément la forme d'organisation sociale qui garantit les plus grandes marges de liberté à tous les acteurs du système. Cela ne peut évidemment pas tenir sans un haut degré d'autolimitation et d'autocontrôle. Or il est clair, en ce vingt et unième siècle débutant, que quelque chose a craqué quelque part dans le
système. Même Steve Jobs, l'emblématique créateur d'Apple, vient d'être pris les doigts dans la confiture, à propos d'une obscure affaire de manipulation de dates de valeur pour ses stock-options. La semaine précédente, c'est l'industrie lourde allemande, notamment dans le secteur automobile, qui exhale un parfum de corruption massive. Depuis une dizaine d'années, la liste des grandes entreprises mondiales poursuivies en justice pour irrégularités ou corruption massive s'est allongée de manière impressionnante : Enron, Parmalat, Arthur Andersen, etc. Sans parler d'affaires judiciairement distinctes mais de même nature comme la faillite de la banque anglaise Barings ou l'affaire des frégates de Taïwan. Le Japon également a connu son lot d'affaires douteuses. Le plus grave, le plus massif, et sans doute le plus immoral de ces scandales ne relève pourtant pas de la même catégorie puisqu'il est légal. C'est le fait que, salaires plus stock-options plus avantages divers, la rémunération des présidents et des deux ou trois plus hauts responsables des grandes sociétés multinationales contemporaines soit passée en quelque trente ans d'environ quarante à cinquante fois le salaire moyen de leurs employés - le ratio de décence d'Henry Ford - à quelque trois cent cinquante ou quatre cents fois aujourd'hui. S'il est vrai que souvent les surfaces commerciales de ces entreprises se sont étendues dans les mêmes proportions - c'est l'argument essentiel de leurs patrons -, ce n'est pas une raison suffisante pour accepter le principe d'un capitalisme prédateur à ce point-là. Je crains cependant que la justice et l'indignation populaire n'y puissent pas grand-chose. Une condamnation, et même une mise en faillite, de temps en temps, ne sauraient corriger la logique du système. Car c'est bien d'un système qu'il s'agit. Un bon exemple nous en fut donné en décembre lorsque la presse française nous informa du montant et des modalités de calcul du bonus des opérateurs bancaires. Et le fait nouveau était l'information selon laquelle les banques employeuses étaient bien obligées d'en passer par là pour garder ces agents qui savent très vite trouver, n'importe où dans le monde, de nouveaux employeurs acceptant d'en passer par leurs conditions. Il y a donc bien un système qui touche la banque mais encore plus le monde industriel au sein duquel se répandent salaires mirobolants et stock-options indécentes. A un tel niveau d'immoralité, le système n'est plus défendable, et cela ne manque pas d'être inquiétant dans nos sociétés fragiles parce que complexes. Mais le plus grave n'est peut-être pas de l'ordre de l'éthique. Il pourrait bien être de l'ordre de l'économie. En effet, le passage de la rémunération directoriale d'un petit 3 % de la masse globale des salaires à un gros 10 % oblige à pressurer le reste de la pyramide. Cette pression, conjuguée à celle des actionnaires maintenant massivement organisés - fonds de pension, fonds d'investissement, fonds d'arbitrage ou
9 hedge funds - pour exiger le dividende maximal, oblige en effet les sociétés à licencier toute maind'oeuvre non indispensable, à externaliser toutes les tâches non directement liées au savoir et à l'identité de la marque. Et bien sûr à limiter les augmentations au strict minimum. Le salaire réel moyen aux EtatsUnis est ainsi stagnant depuis vingt ans, il l'est maintenant en France depuis cinq ou six ans. Le développement du travail précaire est le produit direct de cette évolution, qu'atteste dans tous nos pays la baisse tendantielle sur une longue période de la part des salaires dans le PIB. En France, elle a ainsi baissé de 11 % de 1981 à 2005. L'âpreté au gain de cette nouvelle couche de rapaces, actionnaires et dirigeants, pousse aujourd'hui les entreprises à la fraude, pour compte personnel ou pour compte d'autrui. Je ne vois pas la justice capable de triompher de forces aussi massives. Au demeurant, George W. Bush, qui avait il y a quelques années nommé après le scandale Enron un très vigoureux président de la SEC - Securities and Exchange Commission, la COB américaine -, s'est débarrassé de lui un an et demi après pour en nommer un plus accommodant. Le système résiste à tout. Il suit de tout cela qu'entre la masse des salariés qui sont atteints par le chômage, la précarité ou tout simplement la pauvreté, celle de ceux qui ne sont plus dans ces situations mais les ont connues, et celle encore plus grande de ceux qui sont rongés d'anxiété à l'idée d'y tomber, une grande désespérance s'est emparée non seulement des classes populaires, mais largement aussi des classes moyennes. Le désarroi des classes moyennes est aujourd'hui au coeur du débat public américain. C'est lui aussi qui explique les réponses négatives des Français et des Néerlandais au référendum récent sur la Constitution européenne. Et si l'Allemagne avait été saisie de la ratification par voie référendaire, elle aussi aurait voté non. C'est l'insécurité dominante de l'emploi qui inquiète tous nos concitoyens. Elle découle directement de l'aggravation démesurée de cette pression capitaliste sur le travail. Nos opinions ne supportent plus un système pareil. Si maintenant la disqualification morale s'y ajoute, les tensions sociales risquent de s'aggraver beaucoup. Le redressement de cette situation passe naturellement par une correction au profit des salaires dans le partage du produit brut. Mais il ne sert à rien de pousser uniquement le bas de l'échelle vers le haut : augmentation du SMIC, appui aux négociations salariales, quand la pression du marché est si forte en sens inverse. Ou alors la prime pour l'emploi prendra des dimensions himalayennes. Il n'y a pas d'autre moyen pertinent que d'alléger le haut de la pyramide, sinon toute hausse momentanée des petits salaires aggravera la pression sur la sécurité des emplois comme sur les rémunérations, pour les couches intermédiaires, c'est-à-dire les classes moyennes.
Il va devenir nécessaire de plafonner fiscalement les hautes rémunérations, de limiter à l'extrême les OPA, et de mettre fin au racket des cabinets spécialisés sur les pouvoirs d'actionnaires. Tout cela, pour être efficace, devrait se faire au niveau européen. C'est affaire de moralité publique autant que de cohésion sociale et c'est aussi le seul moyen de sauver la libre entreprise en lui rendant sa respectabilité.
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DOSSIER : Perte d'influence pour les jumelles de Bretton Woods Qui a encore besoin du FMI et de la Banque mondiale ? Article paru dans l'édition du 19.09.06 - Laurence Caramel Pour la première fois depuis la crise de 1997, le Fonds monétaire international (FMI) organise son assemblée annuelle en Asie. Tout un symbole. En moins de dix ans, le visage de l'économie mondiale a profondément changé. Les pays balayés par l'une des plus graves débâcles financières de l'histoire de l'après-guerre se sont relevés. L'Asie a conforté sa place dans le concert des nouvelles nations émergentes, mais les remèdes de cheval infligés à l'époque par le gendarme de la planète ont laissé dans les mémoires de telles rancoeurs que la défiance, loin de disparaître, s'est durablement installée. Au point de pousser certains gouvernements encore endettés à rembourser leurs créances de façon anticipée. Comme le Brésil, l'Argentine et l'Indonésie qui, forte d'une croissance retrouvée, a décidé de solder ses comptes avec le FMI dès cette année, exorcisant par ce geste l'humiliation ressentie devant le spectacle d'un président Suharto contraint, pour obtenir un prêt de 30 milliards de dollars, de signer ses lettres d'intention sous le regard hautain du directeur général d'alors, Michel Camdessus. Le cliché a fait le tour du monde, mais il est aujourd'hui le souvenir d'une époque en grande partie révolue. Le FMI, pour s'être beaucoup trompé, a perdu de son influence et de sa puissance. Au coeur de ses prescriptions, le consensus de Washington fondé sur le postulat des bienfaits de la libéralisation et de la privatisation n'a pas produit les résultats escomptés, même amendé de politiques sociales censées protéger les populations les plus fragiles. Et les pays qui tirent le plus grand parti de la mondialisation sont finalement ceux qui, à l'instar de la Chine ou de l'Inde, mènent des politiques jugées hétérodoxes. VIEILLE REVENDICATION C'est donc un directeur général plus modeste, Rodrigo de Rato, qui se rend à Singapour pour soumettre, entre autres, à son conseil d'administration la première étape d'une réforme devant accorder à chacun de ses actionnaires un pouvoir de décision plus conforme à son poids dans l'économie mondiale. Vieille revendication des pays en développement et des nations asiatiques en particulier, à laquelle les pays riches - régnant en maître sur l'institution depuis sa création en 1944 - avaient jusqu'à présent fait la sourde oreille. Autisme devenu intenable devant le rôle croissant des économies émergentes d'autant plus déterminées à prendre la parole qu'au sein de la jeune Organisation mondiale du commerce (OMC), créée en 1995, ils bénéficient de la règle « un pays une voix ». La Corée du Sud, la Turquie, le Mexique et la Chine sont les premiers servis. Les autres devront attendre 2008 au plus tard - a-t-il été promis -
pour bénéficier d'ajustements, d'ores et déjà objets d'âpres négociations entre gagnants et perdants. Sans compter qu'il ne faudra pas laisser sur le bord de la route les plus pauvres, dont l'importance reste économiquement négligeable mais qui sont devenus les principaux clients du Fonds. Ce n'est en effet pas le moindre des paradoxes auquel se trouve confronté Rodrigo de Rato : ses membres fondateurs peuvent depuis longtemps se passer de ses services, les autres - pays émergents et à revenus intermédiaires - préfèrent et peuvent à leur tour lever des capitaux sur les marchés internationaux. Incontournable, il ne l'est plus que pour les pays les plus pauvres dont l'effondrement d'un point de vue purement financier - serait indolore au reste du monde. Comment alors - sans aucun moyen de pression sur les principaux acteurs de la globalisation - remplir sa mission première, qui est d'assurer la stabilité financière de la planète ? La stratégie de moyen terme - accroître la surveillance du système financier international - proposée par le directeur général pour redéfinir le rôle de l'institution témoigne du repli auquel elle se trouve contrainte. Depuis 1997, les principales initiatives prises pour demeurer au centre de l'arène ont échoué. A la création d'un tribunal des faillites pour les Etats, inspiré de la législation américaine en faveur des entreprises, la communauté internationale a préféré une solution « privée » consistant à introduire des clauses spécifiques dans les contrats entre créanciers et emprunteurs. De même, la « ligne de crédit préventive » imaginée pour venir en aide très tôt aux pays menacés a été boudée. Près de dix ans après la tempête asiatique, le FMI reste donc en quête d'une nouvelle feuille de route. Sa jumelle de Bretton Woods, la Banque mondiale, en engageant plus précocement son « examen de conscience », sort moins affaiblie de cette décennie. En 2000, l'adoption des objectifs du millénaire par la communauté internationale devant aboutir à la réduction de moitié de la pauvreté d'ici à 2015, lui a fixé un cap précis et un nouveau cadre d'action. Ses méthodes continuent de faire l'objet d'un vif débat et, comme le FMI, elle voit aussi certains de ses clients se tourner vers des investisseurs privés ou les marchés pour financer leurs projets. Elle subit la concurrence des fondations, qui dans le domaine de la lutte contre le sida, par exemple, ont pris une place de premier plan. Mais ces évolutions ne menacent pas pour l'instant le train de vie de l'institution. A l'inverse du FMI, qui n'a plus pour gros client que la Turquie.
Michel Aglietta : « Le FMI risque de devenir un organisme technique d'appoint » Article paru dans l'édition du 19.09.06 - Propos recueillis par Laurence Caramel Le FMI a perdu beaucoup de son influence, pourquoi ? Après la crise asiatique, les pays émergents, jusqu'alors sous la coupe du FMI sont passés d'une
11 situation de débiteurs à celle de créanciers disposant de confortables réserves les mettant à l'abri d'une crise de change. Du coup plus personne ou presque n'a eu besoin ou n'a souhaité lui emprunter, préférant le rembourser à marche forcée pour ne plus en dépendre. Si bien que le rôle d'intermédiaire financier que le Fonds assumait pour les pays en développement depuis les années 1970 s'est énormément rétréci. Avec lui a disparu la tutelle qu'il exerçait sur les politiques économiques. Dans le même temps, la Chine, qui n'avait jamais eu affaire au Fonds, s'est imposée comme le principal créancier mondial, et il est fort probable que l'Inde, qui va attirer énormément de capitaux, deviendra aussi une puissance financière. Les déficits se sont ainsi concentrés sur les Etats-Unis dans une forme de compromis tacite et satisfaisant pour les deux bords. Les Etats-Unis achètent des biens, et les banques centrales asiatiques des titres du Trésor qui permettent de boucler le financement du déficit américain sans crise du dollar. Cette situation est porteuse d'énormes déséquilibres sur lesquels, dans ce contexte, le FMI n'a pas les moyens d'agir. La réforme en cours peut-elle lui permettre de redevenir un acteur de premier plan ? Non. Le FMI a été fondé sur un principe d'assurance mutuelle des Etats pour aider ceux-ci à gérer leurs contraintes extérieures dans des conditions où l'appel aux marchés de capitaux était limité. Dans une économie globale, le problème crucial est la stabilité financière. Pour que le FMI soit en mesure de l'assurer, il faudrait lui confier la fonction de prêteur en dernier ressort international. Il deviendrait un embryon de banque centrale supranationale. Il est évident que cette transformation est aux antipodes des moeurs politiques actuelles. La coopération entre les Etats est au niveau le plus bas. C'est d'ailleurs pour cette raison que le projet de nouvelle architecture financière lancée en 1998 par le G7 a échoué. Comment voyez-vous l'avenir de l'institution ? Le FMI ne peut tenter de se réinsérer parmi les grands acteurs de la globalisation que sur un mode mineur, en devenant un organisme technique d'appoint qui exercera son expertise sur la surveillance du système financier international. Les propositions de son directeur général, vont dans ce sens. On pourrait ainsi imaginer qu'un G7 élargi aux grands acteurs de la mondialisation, à commencer par la Chine, s'appuie sur ce FMI réformé pour constituer une sorte de Conseil de sécurité financier chargé de désamorcer les crises. Si le FMI est marginalisé, quel est l'intérêt pour les pays émergents d'obtenir une revalorisation de leurs droits de vote ? La situation actuelle ne durera pas toujours. Brutalement ou de façon progressive, les déséquilibres se résorberont car il est aberrant que l'épargne mondiale finance à crédit la consommation du pays le plus riche du monde. Pour des raisons démographiques, il est tout à fait probable que les flux d'épargne s'inversent. Les pays émergents, engagés dans une croissance plus autocentrée, devront à nouveau emprunter, dans des conditions de stabilité qui ne soient pas celles des années 1980 et 1990. Ils chercheront probablement à
le faire en monnaie nationale ou régionale, et le dollar perdra en importance. Disposer d'une monnaie internationalement reconnue sera alors de leur intérêt, et pour cela il vaudra mieux être partie prenante du FMI. Le FMI doit engager un vaste plan de réformes internes 20.09.06 Les assemblées annuelles de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international se sont closes mercredi matin 20 septembre à Singapour. Dans son discours de clôture, le directeur général du Fonds, Rodrigo Rato, a souligné la nécessité d'une vaste réforme interne dont l'objectif "était de rendre le FMI plus représentatif de l'actuelle économie mondiale". Les Etats membres ont approuvé à 90,6 % une hausse des droits de votes de quatre d'entre eux (Chine, Corée du Sud, Mexique et Turquie), qui souffraient d'une sous-représentation flagrante au sein de l'institution. La Turquie a par ailleurs été choisie pour accueillir à Istambul la prochaine réunion annuelle à l'étranger, à l'automne 2009. Les autres grandes économies émergentes, comme l'Inde, le Brésil ou l'Argentine, devront attendre la deuxième étape du chantier de réformes ouvert à Singapour, au cours de laquelle seront redéfinis les critères retenus pour calculer le poids des 184 Etats membres. Censée être bouclée d'ici 2008, la réforme s'annonce difficile, car l'Europe et les Etats-Unis, qui dominent l'institution créée il y a 61 ans, vont s'efforcer de limiter au maximum leur perte d'influence."Il en va ici de la crédibilité et de la légitimité du FMI", les a pourtant prévenu le ministre des finances indien Palaniappam Chidambaram, qui juge "totalement faussé" le système actuel, largement hérité de la donne de l'après-Seconde guerre mondiale. Les pays riches du G7 détiennent à eux seuls près de la moitié des droits de vote du Fonds. En cette période de forte croissance mondiale, le FMI n'a aucune crise financière à gérer. Et les pays d'Asie et d'Amérique latine, jadis sous sa tutelle, ont largement remboursé leur dette, ce qui pèse du reste sur ses finances internes puisque celles-ci sont en partie alimentées par les intérêts sur les prêts accordés. L'Asie et l'Amérique latine gardent un souvenir amer des cures d'austérité imposées lors des crises financières qui ont secoué ces continents. "La mondialisaton financière et le fait que les pays asiatiques détiennent l'essentiel des réserves de change dans le monde ont réduit la dépendance à l'égard du FMI", souligne Mukul Asher, ancien responsable économiste à la National University de Singapore. CONTRÔLE ACCRU DES POLITIQUES ÉCONOMIQUES Les pays d'Asie ont également critiqué à Singapour une autre réforme qui vise à renforcer le contrôle du Fonds sur les politiques économiques des Etats membres, notamment les questions de change. La Chine, accusée de maintenir artificiellement sa
12 monnaie à un bas niveau pour soutenir ses exportations, redoute d'être placée sur la sellette. Autre contentieux : la question de la présidence du FMI comme celle de son institution soeur, la Banque mondiale. En vertu d'un accord informel en vigueur depuis 1945, les Européens se réservent la première et les Etats-Unis la deuxième. Washington jouit en outre de facto d'un droit de veto. "Les Asiatiques ont le sentiment que le FMI ne peut pas s'opposer aux Etats-Unis", estime Eisuke Sakakibara, qui enseigne la finance à l'Université Waseda de Tokyo. Les pays émergents veulent prendre exemple sur l'ONU et son système de rotation régionale pour le poste de secrétaire général. Ainsi, le successeur en 2007 du Ghanéen Kofi Annan sera un Asiatique.
Paul Wolfowitz : « Si la Banque mondiale n'existait pas, il faudrait l'inventer » Article paru dans l'édition du 16.09.06 Dans un entretien au « Monde », le président de l'institution souligne que « la lutte contre la corruption est un facteur essentiel du développement », mais « n'est pas un but en soi » Pourquoi avoir demandé au gouvernement singapourien d'autoriser les antimondialistes, si critiques à votre égard, à venir à Singapour manifester durant les assemblées de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, les 19 et 20 septembre ? Pour deux raisons. En premier lieu, nous avions passé avec les autorités singapouriennes un accord qui prévoyait explicitement cette expression de groupes et de personnes accrédités par nous. Cet accord de 2003 n'a pas été respecté. D'autre part, il est très important d'écouter ceux qui ne pensent pas comme nous. Car ils ont parfois raison. Il ne faut pas fermer ses oreilles. Lorsque vous êtes arrivé à la tête de la Banque mondiale, en juin 2005, vous aviez fait une priorité de la lutte contre la corruption. Est-ce toujours votre préoccupation principale ? Peut-on rendre les Etats et les hommes irréprochables du jour au lendemain ? Du jour au lendemain, évidemment non. Singapour est un bon exemple du temps qui est nécessaire à un pays pour devenir un modèle de vertu. Si j'ai dit que la lutte contre la corruption était une priorité, c'est que j'ai été affligé de voir que le niveau de vie de 600 millions d'Africains ne progressait pas et même régressait, à cause de la corruption. Quand il y a mauvaise gouvernance, comme au Zaïre du temps de Mobutu, vous pouvez donner tout l'argent que vous voulez, cela ne sert à rien. En Afrique, je suis heureusement surpris de constater que bien des gouvernements, comme en Tanzanie ou en Ethiopie, ont mis la bonne gouvernance au premier rang de leurs préoccupations. Mais il ne suffit pas que les présidents et les premiers ministres soient convaincus de la nécessité de la transparence et de l'honnêteté. Il faut que les ministres, les conseillers et même les peuples partagent la conviction que la bonne gouvernance est la condition sine qua non d'un
décollage économique et d'un mieux-être des populations. La lutte contre la corruption est un facteur essentiel du développement, mais n'est ni un but en soi ni la panacée. Le Tchad devait consacrer une grande partie des recettes de son pétrole au développement humain. En décembre 2005, il est revenu sur ses promesses et la Banque lui a coupé les vivres pour finalement les lui rétablir. Qui a gagné, le Tchad ou la Banque mondiale ? Les deux. La situation était très compliquée parce que le gouvernement tchadien était dans une impasse financière, à court terme. Nous ne pouvions rompre définitivement avec lui, car les plus pauvres des Tchadiens en auraient fait les frais. Nous avons imaginé un nouvel accord qui aménage une plus grande flexibilité dans l'emploi de recettes pétrolières promises à une augmentation dans les deux ans. Cette souplesse profitera aux plus défavorisés. Un nouveau budget a incorporé, en juillet, ce dispositif qui doit être soumis au vote de l'Assemblée législative tchadienne d'ici à la fin de l'année. Que fait la Banque mondiale pour la Palestine ? Cela fait quinze ans que la Banque aide l'Autorité palestinienne à améliorer ses capacités de gestionnaire, afin qu'elle soit plus crédible auprès des bailleurs de l'assistance internationale. Après les dernières élections législatives palestiniennes, certains donateurs ont manifesté des réticences à poursuivre leurs efforts. Avec l'Union européenne, nous travaillons à élaborer des mécanismes qui nous permettront d'aider en direct les populations ayant des besoins criants en matière de santé, d'éducation et de services sociaux. L'un de nos directeurs généraux, Juan José Daboub, Salvadorien d'origine palestinienne, a reçu la responsabilité de cette région. Notre institution finance des projets en matière d'eau, d'éducation et de développement communal, dans les territoires de Gaza et de la rive gauche du Jourdain, pour 108 millions de dollars [85 millions d'euros]. L'aide au développement est-elle plus efficace quand elle est multilatérale ou bilatérale ? Dans tous les cas de figure, il faut que les aides soient coordonnées entre les différents bailleurs, sinon on se retrouve dans la situation d'une équipe de foot composée de gamins qui veulent tous jouer au poste de gardien de but ! Les pays en développement n'ont pas seulement besoin de médecins, mais aussi de maîtres d'école, de routes, etc. Cela dit, une émulation entre les donateurs n'est pas mauvaise, car si un seul organisme opère, on se trouve en présence d'un monopole, ce qui a toujours des effets pervers. Il est très important qu'existe une institution multilatérale comme la Banque mondiale, et je ne suis pas du tout d'accord avec ceux qui prétendent que soixante ans ça suffit, et qu'elle doit disparaître. Si elle n'existait pas, il faudrait l'inventer.
13 Wal-Mart ou la mondialisation grandeur nature Le Monde, 21.11.06
Dossier Wal-Mart Wal-Mart reconnaît son échec continentale Le Monde 30.07.06
en
Europe
Wal-Mart, met fin à son aventure allemande et quitte ainsi l'Europe continentale. Wal-Mart et Metro ont annoncé en effet, vendredi 28 juillet, que l'américain allait céder ses 85 magasins au premier distributeur allemand. En Allemagne, Wal-Mart emploie plus de 11 000 salariés et réalise un chiffre d'affaires d'environ 2 milliards d'euros. Metro, qui a réalisé, en 2005, 55,7 milliards d'euros de chiffre d'affaires, emploie 250 000 salariés et est le quatrième distributeur mondial après Wal-Mart, Carrefour et Tesco. Le géant américain avait pourtant donné depuis des années des soucis aux groupes de distribution allemands - mais aussi français -, qui redoutaient sa concurrence et craignaient même d'être sa cible par le biais d'une offre publique d'achat (OPA). Après s'être implanté fin 1997 outre-Rhin en rachetant des supermarchés Wertkauf puis Interspar, le géant de l'Arkansas n'a jamais réussi à y percer. Wal-Mart confirme qu'elle a toujours enregistré un résultat négatif. « Il est apparu de plus en plus clairement qu'il était difficile d'atteindre la taille et les résultats souhaités en Allemagne, dans les conditions économiques difficiles actuelles », a commenté Michael Duke, vice-président de Wal-Mart. A l'international, le groupe s'est déjà retiré de la Corée du Sud en mai, mais reste présent au Canada, en Chine, au Japon, en Grande-Bretagne et en Amérique centrale et du Sud. En Allemagne, « nous avons fait des erreurs », reconnaissait David Wild, le cinquième patron de la filiale en huit ans, dans un entretien au Welt am Sonntag du 18 juin. Par exemple sur l'assortiment : « Saviez-vous que les oreillers ont aux Etats-Unis une taille standard différente de celle en Allemagne ? Maintenant, nous le savons, car nous sommes restés assis sur des milliers de taies d'oreillers américaines dans lesquelles les oreillers allemands n'entraient pas. » Le départ de Wal-Mart marque aussi l'échec de « l'américanisation » du travail en Allemagne. Le groupe est aussi très critiqué aux Etats-Unis pour ses pratiques sociales. Outre-Rhin, il a défrayé la chronique en tentant d'imposer une directive « d'éthique » réglementant, notamment, les relations amoureuses au travail, qui a été jugée contraire aux principes constitutionnels par le tribunal régional du travail de Düsseldorf en novembre 2005. Selon une porte-parole de Wal-Mart en Allemagne, il s'agissait uniquement de régler le cas des couples « qui sont dans un lien direct de dépendance » dans leur travail.
Le modèle controversé du géant de la distribution Après l'électronique, l'alimentation et les produits bancaires, Wal-Mart commercialise maintenant des médicaments génériques. L'enseigne américaine, leader mondial de la grande distribution, n'a qu'une obsession : développer sans cesse de nouvelles activités et ouvrir de nouveaux magasins, et demeurer ainsi l'une des plus grandes entreprises du monde. Elle est passée, selon le classement du magazine Fortune, du premier rang en chiffre d'affaires en 2004 au second en 2005, derrière le pétrolier Exxon Mobil. La baisse du prix du pétrole, parallèlement à la poursuite de l'expansion de Wal-Mart, pourrait faire regagner à cette dernière le premier rang mondial en 2006. Le poids pris par cette entreprise dans les échanges économiques à l'intérieur comme avec l'extérieur des Etats-Unis est devenu tel que les économistes évoquent maintenant un « effet Wal-Mart, » visible au niveau macroéconomique, qui se manifeste par une baisse des prix et une hausse de la productivité. Le cabinet d'études Global Insight a ainsi calculé qu'entre 1985 et 2004, Wal-Mart a réduit l'inflation de 3 % aux Etats-Unis, et permis aux familles américaines de réduire en moyenne leurs dépenses de 2 321 dollars par an ! POUVOIR DE VIE ET DE MORT La médaille a son revers. Pour garantir la véracité de son slogan - « everyday low prices » (des prix bas tous les jours) -, l'enseigne a étendu le réseau de ses fournisseurs à la planète. En 2005, plus de 60 % des marchandises vendues étaient importées, contre 6 % en 1995. Si Wal-Mart était un pays, il serait l'un des premiers partenaires de la Chine, devant la Russie et le Canada. « Wal-Mart est l'une des principales forces qui poussent à la délocalisation des emplois américains », affirme Gary Gereffi, professeur à l'université Duke, spécialiste des chaînes d'approvisionnement. « Elle dispose aujourd'hui d'un pouvoir exorbitant de vie et de mort sur la plupart des industries de consommation aux Etats-Unis et de ses 65 000 fournisseurs, parce qu'il est de loin le premier distributeur et vendeur de leurs produits », ajoute-t-il. Les gains de productivité obtenus par l'enseigne à travers d'innombrables innovations d'organisation et de gestion signifient aussi, pour les salariés américains du groupe, des conditions d'emploi dégradées : selon les derniers chiffres disponibles, en 2001, un employé de Wal-Mart gagnait en moyenne 13 861 dollars par an - le seuil de pauvreté était alors de 14 630 dollars pour une famille de trois personnes - et un sur deux n'avait pas d'assurance-maladie. De plus, le premier employeur privé du pays établit de fait une norme sociale, que ses concurrents et d'autres entreprises de service ont imitée, tirant vers le bas les revenus et les conditions de vie des travailleurs modestes.
14 Pour ces raisons, Wal-Mart est à la fois l'une des entreprises américaines les plus admirées, mais aussi les plus détestées, aux Etats-Unis même. Elle est devenue aujourd'hui une cible de la gauche américaine, des syndicats et de nombreux élus démocrates, surtout depuis la victoire de ces derniers aux élections du 7 novembre. Le sénateur de l'Illinois Barack Obama, l'une des stars montantes du parti, et John Edwards, candidat malheureux à la présidentielle de 2004 avec John Kerry, ont annoncé le 15 novembre qu'ils rejoignaient le groupe « Wake Up Wal-Mart » (Réveille-toi Wal-Mart), qui mène campagne contre le géant de la distribution, arguant du fait que « tous les travailleurs américains méritent d'être payés un salaire décent et d'avoir accès à une couverture santé complète ». Il est vrai que l'enseigne a consacré aux élections parlementaires plus de 1 million de dollars, dont 71 % sont allés à des candidats républicains. Un documentaire dévastateur, Wal-Mart : The High Cost of Low Price le coût élevé des prix bas), a remporté en 2005 un succès considérable. La société fait face à des dizaines de poursuites judiciaires pour avoir enfreint la loi sur les heures supplémentaires, sur l'emploi d'immigrés en situation irrégulière et sur les discriminations raciales ou sexuelles. Le groupe se défend en affirmant que ces affaires ne sont pas le reflet de la culture de l'entreprise, mais de dérives locales. Reste que Wal-Mart se heurte désormais, à chaque fois qu'il veut implanter un magasin, à une forte opposition locale. Cette résistance freine son expansion, et l'enseigne a pris conscience qu'elle doit améliorer son image. Elle met en avant dans ses publicités ce qu'elle apporte aux familles les plus modestes, ses gestes de générosité comme après le passage de l'ouragan Katrina, la diversité de ses employés et de ses clients. Le groupe a grandement contribué à la naissance en décembre dernier d'une association soi-disant indépendante qui prend sa défense, « Working Families for Wal-Mart » (les familles de travailleurs pour Wal-Mart). Mais, à en croire les sondages, 56 % des Américains pensent maintenant que Wal-Mart a une influence néfaste. Dongguan vit au rythme des commandes venues d'Amérique Dongguan, dans le sud de la Chine, n'est pas à proprement parler une ville, mais un ensemble de hangars d'usines, où est produite une partie énorme des biens - jouets, radios, portefeuilles, lampes, couvertures ou chaussures - utilisés chaque jour dans le monde entier. On ne voit ici que des usines, et l'économie qui se crée à leurs abords : ici, un petit marchand de nouilles qui sert les ouvriers à la pause, là, un petit magasin vendant des produits de beauté, des serviettes et des thermos. Partout dans les rues de la ville, des panneaux, écrits dans les mêmes gros caractères rouges que les slogans maoistes d'autrefois, annoncent : « Ceux qui ne travaillent pas dur aujourd'hui devront travailler dur demain pour chercher un emploi ! »
On arrive à Dongguan par Shenzhen, la première zone économique spéciale de Chine. L'âge moyen de ses 8 millions d'habitants, pour la plupart venus de l'intérieur du pays, est à peine supérieur à 30 ans. La plupart sont venus ici pour trouver du travail et gagner en un mois beaucoup plus que dans les campagnes surpeuplées du pays. Wal-Mart, le géant américain de la distribution, se fournit auprès de plus de 6 000 usines de cette région, avec des commandes qui vont des bandages élastiques pour protéger les jambes des chevaux aux appareils électroniques, pour une valeur de 18 milliards de dollars par an. Par ailleurs, le groupe emploie directement en Chine plus de 23 000 personnes, pour la plupart dans les ports où les produits transitent, et a déjà ouvert une soixantaine de magasins en Chine, dont un à Shenzhen. Une jeune ouvrière originaire du Sichuan, qu'on appellera Mui pour préserver son anonymat, travaille dans une usine de jouets. Elle explique que « les conditions de travail peuvent changer beaucoup d'un mois à l'autre, tout dépend des commandes passées aux fournisseurs. Nous produisons des jouets pour le marché américain : en été, on travaille très dur pour les commandes de Noël, jusqu'à quatorze heures par jour parfois. Et, en hiver, plein de gens sont renvoyés parce qu'il n'y a pas suffisamment de travail. Mais, souvent, il est possible de rester ici en trouvant un emploi dans une autre usine ». Une amie de Mui, qui vient aussi du Sichuan, confirme : « Les conditions de travail sont dures, on le sait. On n'est pas dupe, on sait qu'on nous fait bosser trop. Mais on ne compte pas faire cela toute la vie, seulement le temps qu'il faut pour avoir assez d'argent et retourner au Sichuan pour démarrer quelque chose avec nos économies, ou bien rester ici, sur la côte. C'est beaucoup plus développé et intéressant. Et, entre-temps, on gagne jusqu'à 1 200 yuans par m ois ! » (près de 120 euros, le salaire moyen étant de 300 euros par an dans les campagnes), dit-elle. Mais les exigences de prix et de délai imposées par Wal-Mart à ses fournisseurs sont, d'après plusieurs organisations non gouvernementales (ONG), à l'origine des mauvaises conditions de travail imposée à nombre d'employés des usines qui produisent pour le géant américain. Depuis 1992, à la suite de dénonciations et de campagnes menées par les ONG dans les médias, en particulier aux Etats-Unis, WalMart a commencé à confier à des « auditeurs indépendants » le rôle de contrôler que les standards sociaux et légaux minimaux sont respectés par les fournisseurs choisis par les acheteurs de Wal-Mart. Mais, comme l'affirme un rapport de la Clean Clothes Campaign, une ONG néerlandaise qui fait campagne pour le respect des droits humains et sociaux dans l'industrie textile, « les auditeurs de Wal-Mart restent seulement trois heures dans chaque usine, en vérifiant les salaires, le temps de travail et l'âge du personnel, font un tour d'inspection de l'usine et rencontrent trois ou quatre ouvriers dans la salle des réceptions ». Et, d'après des managers chinois interrogés par l'ONG, « les inspecteurs de Wal-Mart
15 sont faciles à tromper. De plus, comme les prix d'achat de Wal-Mart sont très bas, les inspecteurs ne s'attendent pas vraiment à ce que les standards soient respectés, parce que cela impliquerait des prix plus élevés ». Les cas de non-respect des standards dénoncés dans la presse et par les ONG ont été toutefois si nombreux que, dans les deux dernières années, WalMart a arrêté de travailler avec plus de 400 usines, en particulier parce qu'elles dépassaient les durées maximales légales de temps de travail. Et, cette année, la Chine a été le seul pays où Wal-Mart a été forcé d'accepter la présence d'un syndicat organisé, la Fédération chinoise des syndicats, qui est d'ailleurs le seul légal en Chine. Mais il s'agit d'une organisation entièrement dirigé par le Parti communiste, et qui a souvent été attaquée pour se contenter d'un rôle de simple « intermédiaire neutre » entre les ouvriers et le management, incapable de défendre les travailleurs lorsque éclatent des conflits sociaux. Robin Munro, animateur du groupe China Labour Bulletin, une association de défense des droits syndicaux des travailleurs chinois basée à Hongkong, remarque que « Wal-Mart a ainsi trouvé le seul syndicat au monde qu'il peut supporter ! ». Wal-Mart en Chiffres - Le Monde 23.02.06 Le groupe, qui a clos son exercice 2005-2006 fin janvier, affiche un chiffre d'affaires de 312,4 milliards de dollars (263 milliards d'euros), en hausse de 9,5 %. Le groupe a dégagé un résultat net de 11,231 milliards de dollars. Au niveau mondial, le groupe emploie 1,6 million de personnes. Wal-Mart est présent dans 15 pays en dehors des Etats-Unis, à travers plus de 2 400 magasins. Au cours de l'exercice 2005-2006, ses ventes à l'international ont atteint 62 milliards de dollars (+ 11,4%).
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Chine, Inde : l'offensive internationale Brice Pedroletti - Article paru dans l'édition du 10.01.07 Si elle avait abouti, l'acquisition, par China Mobile, du fournisseur de services de téléphonie luxembourgeois Millicom aurait été, à 5,3 milliards de dollars (4 milliards d'euros), la plus élevée jamais réalisée par une société chinoise à l'étranger. Elle aurait permis au numéro un de la téléphonie mobile chinoise de prendre pied sur les marchés émergents d'Afrique, d'Amérique latine et d'Asie, où règne l'opérateur luxembourgeois. Millicom a jugé l'offre insuffisante, et China Mobile, qui en 2005 a tenté sans succès d'entrer dans le capital de l'opérateur pakistanais PTCL, est désormais en quête d'une autre proie. Tout comme l'équipementier Wanxiang, devenu, à la faveur de l'explosion du marché automobile chinois, un fournisseur de premier plan pour les véhicules Volkswagen et General Motors fabriqués en Chine : après avoir reniflé les restes de l'américain Delphi, ce groupe privé s'intéresserait à des actifs dont Ford souhaite se défaire. SIPG, la société gérant le port de Shanghaï - le troisième au monde pour les conteneurs -, est en discussion pour acquérir 40 % de l'opérateur des terminaux portuaires de Zeebrugge (Belgique). Son président a déclaré à la presse chinoise avoir provisionné l'équivalent de 1 milliard d'euros en vue de prises de participation à l'étranger, d'ici à 2010. Au mois d'août 2006, c'est la société japonaise MSK Solar, un fabricant de modules photovoltaïques, qui était rachetée par son client Suntech Power, le leader chinois du panneau solaire. Fondée en 2001 par un étudiant en sciences revenu d'Australie, Suntech a pu lever les fonds nécessaires à l'opération grâce à son entrée à la Bourse de New York, en 2005. Dans un rapport récent, le groupe de conseil en stratégie Boston Consulting Group ne place pas moins de 44 groupes chinois parmi les 100 nouveaux "challengers globaux" en provenance des "pays en développement rapide", dont BYD Co., un gros fabricant de batteries qui se lance dans l'automobile. De plus en plus visible, la présence des entreprises chinoises à l'étranger défraie la chronique et fait ressurgir la peur du péril jaune. Pressés, les groupes chinois privilégient l'acquisition d'actifs ou de sociétés existantes, selon qu'ils cherchent à sécuriser des approvisionnements en ressources naturelles, à acquérir un savoir-faire et une image de marque, ou à racheter un concurrent ou un fournisseur. Principal indicateur de ce phénomène, l'investissement direct chinois vers l'étranger (ID) est en hausse rapide : en 2005, il a atteint 12,3 milliards de dollars, soit un bond de 123 % par rapport à 2004. En 2006, il devrait osciller entre 15 et 20 milliards de dollars. La presse officielle chinoise évoque même un
doublement ou un triplement du flux annuel sortant de "sino-dollars" d'ici à 2010. Le calcul des investissements directs sortants chinois (ID) est toutefois malaisé : une partie d'entre eux reviennent en Chine après avoir transité par Hongkong ou des paradis fiscaux. En revanche, l'excolonie britannique, qui continue d'être comptabilisée séparément de la Chine dans les statistiques, est, avec 32 milliards de dollars d'ID sortants en 2005 d'après la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), une plateforme de choix vers l'extérieur pour les groupes chinois qui y ont leur siège. Ainsi, c'est dans les ID sortants d'Hongkong que sont comptabilisées une partie des opérations menées à l'étranger par les sociétés publiques ou semi-publiques chinoises, comme Lenovo (rachat d'IBM en 2005) ou Cnooc (pétrole offshore). En pourcentage, les ID chinois sortants (hors Hongkong) représentaient à peine 1,6 % du total mondial en 2005, mais en Asie ils dépassent déjà, en flux, ceux de Singapour ou de la Corée du Sud, tout en restant inférieurs à ceux du Japon (40 milliards de dollars en 2005). A bien des égards, l'émergence des groupes chinois à l'étranger est une résultante de l'afflux en Chine des multinationales du monde entier, qui y déversent 60 milliards de dollars d'investissements annuels et font main basse sur un nombre croissant de sociétés locales, souvent les meilleures : le gouvernement chinois est conscient qu'il lui faut lancer ses troupes dans l'arène internationale afin de les rendre plus compétitives sur leur propre marché. Tel est l'objectif de la campagne "go global" ("devenez globaux"), initiée en 2003 et mise en oeuvre essentiellement dans les secteurs stratégiques partiellement fermés aux investisseurs étrangers comme les télécommunications, l'armement ou l'énergie - par la Sasac (State Assets Supervision and Administration Commission). Cette agence d'Etat est chargée d'orchestrer la mue des 161 entreprises qu'elle contrôle en "30 à 50 groupes compétitifs au niveau international et dotés de leurs propres droits de propriété intellectuelle et marques", réitérait récemment devant la presse son directeur, Li Rongrong. Depuis quelques années, la stratégie d'approvisionnement en ressources naturelles est pilotée en très haut lieu, notamment pour le pétrole : rien qu'en 2006, PetroChina (filiale à Hongkong de CNPC), Sinopec, Cnooc - les trois géants étatiques du pétrole - et la structure publique Citic ont annoncé pour plus de 10 milliards de dollars d'investissements à l'étranger, dont deux grosses acquisitions en Russie (Udmurtneft) et au Kazakhstan (via le rachat du canadien Nations Energy). Pour le reste, le gouvernement, malgré sa rhétorique nationaliste, suit le mouvement bien davantage qu'il ne le coordonne ou ne l'assiste : le Conseil d'Etat a
17 ainsi émis, en octobre 2006, ses premières directives à l'attention des investisseurs chinois à l'étranger et en appelle à plus de supervision et de soutien, via les ambassades. La Chine réfléchit également à diversifier ses formidables réserves monétaires (un trillion de dollars, placés majoritairement par la banque centrale en bons du Trésor américains), en créant par exemple une structure d'investissement international comme Temasek Holdings à Singapour. La Chine d'aujourd'hui est donc loin d'offrir à ses candidats à la mondialisation le soutien, et les conditions, qui ont permis aux groupes japonais, puis coréens, de se développer. "Quand les sociétés japonaises ont envahi le monde avec leurs voitures, leur électronique et leurs appareils ménagers, ils étaient confrontés à une réalité bien différente. Leur marché domestique était fermé au monde extérieur, ce qui a permis aux sociétés japonaises de réaliser des marges confortables chez eux", écrit George Zhibin Gu, dans China's Global Reach (éditions Fultus Corporation, 2006, 252 pages). M. Zhibin Gu, consultant spécialiste de la Chine basé à Shenzhen, prévoit que les groupes chinois ont besoin de "dix ans d'apprentissage" avant d'être suffisamment avertis des risques liés à l'expansion internationale, tant leurs "arrières" sont fragiles : ils sont pour la plupart sérieusement endettés - plusieurs scandales bancaires ont révélé l'existence de prêts non remboursés au sein de grandes sociétés - et évoluent en Chine sur un marché souvent saturé et anarchique. Enfin, privées de visibilité juridique, ils sont sans cesse exposés à l'arbitraire d'un "Etat-parti" qui peut, à tout moment, changer les règles du jeu et les prendre au piège. Contrairement à leurs homologues indiens, les groupes chinois sont souvent déconnectés des marchés financiers et moins soumis aux exigences de l'actionnariat - même quand ils sont cotés à Hongkong et New York, tant la réalité de la gestion des actifs chinois manque de transparence. La privatisation partielle ou totale des entreprises d'Etat à la discrétion de leurs gérants, le flou entourant la propriété des entreprises en Chine - outre l'Etat, les régions et les municipalités peuvent être actionnaires de grandes sociétés parapubliques, comme Qingdao pour Haier, et interviennent parfois de manière contre-productive sont autant de facteurs d'incertitude. Les groupes privés, comme Huawei ou Wanxiang, ont donc tendance, pour se protéger du "facteur bureaucratique", à opacifier leur gestion. Dans ce contexte, le déficit en expérience internationale et en savoir-faire managérial est devenu un motif de poids dans la quête de partenaires à l'étranger. Il apparaît au second rang des préoccupations des groupes chinois, au côté de la technologie, et après la recherche de nouveaux marchés, dans le sondage récent réalisé par IBV China (IBM Institute for
Business Value) dans son rapport sur la globalisation des groupes chinois. Il est nécessaire, pour les sociétés chinoises désirant s'internationaliser, "d'acquérir une masse critique de talents internationaux", estime Alan Beebe, directeur de recherche d'IBV China. Le rapport n'identifie que 60 sociétés, parmi les 500 plus grosses entreprises chinoises, aptes au test de l'internationalisation. Car les risques pour les sociétés chinoises sont d'autant plus élevés qu'elles choisissent le raccourci apparent des fusionsacquisitions, un exercice réputé périlleux. L'échec peut être cuisant, comme celui de TCL, forcé aujourd'hui de liquider l'activité téléviseur de Thomson acquise en 2004. Ses rivaux, qui ont choisi la croissance organique, s'en tirent mieux : c'est le cas de Hisense, qui vend en France ses écrans plats assemblés en Hongrie. Cette société d'Etat de Qingdao a grossi en rachetant des groupes locaux, dont Kelon, un ancien champion privé de l'électroménager du Guangdong mis brusquement en faillite. Une chose est sûre : les groupes chinois qui survivront au double défi du marché chinois et international seront redoutables. En attendant, le taux de roulement promet d'être élevé.