Khalid Chraibi - Le Calendrier Musulman En 10 Questions

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Khalid Chraibi - Oumma.com Charia, Droit musulman, Questions de sociétés musulmanes

Le calendrier musulman en 10 questions (1/2)

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vendredi 26 septembre 2008 – par Khalid Chraibi « Le soleil et la lune (évoluent) selon un calcul (minutieux) » (Coran, Ar-Rahman, 55 : 5) « C’est Lui (Dieu) qui a fait du Soleil une clarté et de la Lune une lumière ; il en a déterminé les phases afin que vous connaissiez le nombre des années et le calcul du temps » (Coran, Yunus, 10 : 5) « Les ulémas n’ont pas le monopole d’interprétation de la charia. Evidemment ils doivent être consultés au premier plan sur les questions de la charia. (Mais) ce ne sont pas eux qui font la loi religieuse, de même que ce ne sont pas les professeurs de droit qui font la loi, mais les parlements » (Ahmed Khamlichi, Point de vue n° 4) Question 1 : Pourquoi les musulmans se basent-ils sur l’observation de la nouvelle lune pour déterminer le début des mois ? Quand les compagnons du Prophète l’interrogèrent sur la procédure à suivre pour déterminer le début et la fin du mois de jeûne, il leur recommanda de commencer le jeûne du mois du ramadan avec l’observation de la naissance de la nouvelle lune [au soir du 29è j du mois] et d’arrêter le jeûne avec la naissance de la nouvelle lune (du mois de shawal). « Si le croissant n’est pas visible (à cause des nuages) comptez jusqu’à 30 j. ». (1) A l’époque, les bédouins ne savaient ni écrire, ni compter. Ils ne connaissaient rien à l’astronomie, dont les données n’étaient pas communément disponibles. Ils étaient habitués à observer la position des étoiles, de nuit, pour se guider dans leurs déplacements à travers le

désert, et à observer l’apparition de la nouvelle lune pour connaître le début des mois. La recommandation du Prophète cadrait parfaitement avec les données de leur situation. Question 2 : Pourquoi la nouvelle lune, à sa naissance, est-elle visible dans certaines régions du globe seulement ? Le nouveau mois lunaire commence, sur le plan astronomique, à partir du moment où la « conjonction » mensuelle se produit, c’est-à-dire quand la Lune se trouve située sur une ligne droite entre la Terre et le Soleil. A ce moment-là, la lune est invisible. Le croissant lunaire ne commence à être visible, en général, que quelques 18 h après la « conjonction », et uniquement lorsque des conditions favorables d’observation sont réunies. Elles incluent le nombre d’heures écoulées depuis la conjonction ; les positions relatives du Soleil, du croissant lunaire et de l’observateur ; l’altitude de la lune au coucher du soleil ; le lieu où l’on procède à l’observation ; l’angle formé avec le soleil au moment du coucher ; la limite de détection de l’oeil humain ; etc. (2) Chaque mois, la nouvelle lune sera d’abord aperçue à certains endroits spécifiques du globe, avant de devenir visible partout ailleurs, par la suite. Question 3 : Peut-on déterminer à l’avance les lieux les plus favorables à l’observation de chaque nouvelle lune ? Des astronomes musulmans renommés, tels que Ibn Tariq (8è s.), Al-Khawarizmi (780 ?-863), Al-Battani (850-929), Al-Bayrouni (973-1048), Tabari (11è s.), Ibn Yunus (11è s.), Nassir alDin Al-Tousi (1258-1274 ?), etc. ont accordé un intérêt particulier à l’étude des critères de visibilité de la nouvelle lune, dans le but de développer des techniques de prédiction fiables du début d’un nouveau mois. Mais, ce n’est que récemment que des astronomes et des informaticiens réputés ont réussi, en conjuguant leurs efforts, à établir des procédures permettant de prédire à l’avance, chaque mois, dans quelles régions du globe les conditions optimales seront réunies pour observer la nouvelle lune. Ainsi, en 1984, un physicien de Malaisie, Mohamed Ilyas, a pu tracer au niveau du globe terrestre une ligne de démarcation, ou ligne de date lunaire, à l’ouest de laquelle le croissant est visible le soir du nouveau mois, alors qu’il ne peut être vu à l’est de cette ligne que le soir suivant. (2) Aujourd’hui, les cartes détaillées des zones de visibilité de la nouvelle lune sont établies de manière mensuelle, à l’avance, et publiées dans des sites tels que « Moonsighting.com ». (3) Question 4 : L’observation de la nouvelle lune, où qu’elle se fasse, ne devrait-elle pas marquer le début du nouveau mois pour tous les musulmans ? En théorie, lorsque la nouvelle lune est observée quelque part, cela marque le début du nouveau mois pour les musulmans situés dans toutes les régions où l’information parvient. Au temps de la Révélation, quand les communications dans l’espace étaient difficiles, cette règle ne concernait que des régions géographiques limitées, proches du lieu d’observation. Mais, aujourd’hui, avec les moyens de communication modernes, une information peut être diffusée dans le monde entier presque instantanément. Le champ d’application de la règle est donc beaucoup plus vaste. (4) (5)

Cependant, dans le but d’affirmer leur souveraineté, les Etats musulmans procèdent généralement, chacun pour son propre compte, à l’observation mensuelle de la nouvelle lune dans le ciel (ou à défaut attendent l’achèvement d’un 30è j) avant de décréter le début d’un nouveau mois sur leur territoire. Chaque Etat a défini ses propres paramètres et procédures en la matière, compliquant encore plus la situation. (6) Question 5 : Puisque le mois lunaire ne peut avoir que 29 jours, ou 30 jours, pourquoi y a-t-il parfois un décalage de deux jours (et parfois même de trois jours) dans le début du mois du ramadan, ou dans la célébration de l’aïd al Fitr, dans différents pays ? Logiquement, le début du nouveau mois ne devrait différer que de 24 heures entre tous les pays de la planète. Certains Etats observeraient la nouvelle lune le soir du 29è jour du mois, alors que les autres comptabiliseraient un mois de 30 jours. En pratique, il en va autrement, puisque le 1er ramadan 1428, par exemple, correspondait au mercredi 12 septembre 2007 dans 2 pays ; au jeudi 13 septembre dans 40 pays ; et au vendredi 14 septembre dans 9 pays. (7) De même, le 1er shawwal 1428, jour de célébration de l’aïd elFitr, correspondait au jeudi 11 octobre 2007 dans 1 pays, au vendredi 12 octobre dans 33 pays, au samedi 13 octobre dans 23 pays et au dimanche 14 octobre dans 3 pays. (8) Etant donné que différents Etats musulmans décrètent des jours différents pour le début du même mois, ils atteignent également le 30è jour du mois en des jours différents. Des considérations d’ordre politique ou géo-stratégiques, ainsi que des défaillances humaines dans l’observation de la nouvelle lune, expliquent aussi certains décalages. Des astronomes musulmans ont procédé, au cours des dernières années, à des études approfondies de ces questions. Ils ont abouti à la conclusion que les débuts de mois décrétés dans les pays islamiques sur une période de plusieurs décennies étaient souvent erronés, pour les raisons les plus diverses. (2) (9) Question 6 : Est-ce qu’il existe un calendrier lunaire basé sur le calcul ? Le calendrier lunaire basé sur le calcul astronomique existe depuis la plus haute Antiquité. Il était déjà un outil hautement performant du temps des Babyloniens (18è s. av. J.C.). Le mois lunaire débute, on l’a vu, au moment de la « conjonction » mensuelle, quand la Lune se trouve située sur une ligne droite entre la Terre et le Soleil. Le mois est défini comme la durée moyenne d’une rotation de la Lune autour de la Terre (29,53 j environ). La lunaison (période qui s’écoule entre deux conjonctions) varie au sein d’une plage dont les limites sont de 29, 27 j au solstice d’été et de 29,84 j au solstice d’hiver, donnant, pour l’année de 12 mois, une durée moyenne de 354,37 j. Sur le plan astronomique, les mois lunaires n’ont pas une durée de 30j et de 29j en alternance. Il y a parfois de courtes séries de 29 j suivies de courtes séries de 30 j, comme illustré par la durée en jours des 24 mois lunaires suivants, correspondant à la période 2007-2008 : « 30, 29, 30, 29, 29, 30, 29, 29, 30, 30, 29, 30, 30, 30, 29, 30, 29, 29, 30, 29, 29, 30, 29, 30 » Les astronomes ont posé, depuis des millénaires, la convention que des mois de 30 j et de 29 j se succèderaient en alternance, dans le but de faire correspondre la durée de rotation de la Lune sur deux mois consécutifs à un nombre de jours entiers (59 j). Cela laissait à peine un

petit écart mensuel de 44 mn environ, qui se cumulait pour atteindre 24 h (soit l’équivalent d’un jour) en 2,73 ans. Pour solder cet écart, il suffisait d’ajouter un jour au dernier mois de l’année, tous les trois ans environ, de la même manière qu’on ajoute un jour tous les quatre ans au calendrier grégorien. Le « calendrier tabulaire » ainsi élaboré comprend 11 années dites « abondantes », d’une durée de 355 j chacune, dans un cycle de 30 ans (années n° 2, 5, 7, 10, 13, 16, 18, 21, 24, 26 et 29), alors que les années dites « communes », d’une durée de 354 j, sont au nombre de 19. (10) Question 7 : Pourquoi les musulmans n’utilisent-ils pas le calendrier lunaire basé sur le calcul ? Le Coran n’interdit pas l’utilisation du calcul astronomique dans l’élaboration du calendrier. Il précise seulement que l’année lunaire ne comprend que 12 mois. (11) Mais, suite à la recommandation du Prophète aux Bédouins de commencer et d’arrêter le jeûne du mois du ramadan avec l’observation de la nouvelle lune, le consensus des ulémas se forgea solidement, pendant 14 siècles, autour du rejet du calcul, à part quelques juristes isolés, dans les premiers siècles de l’ère islamique, qui prônèrent l’utilisation du calcul pour déterminer le début des mois lunaires. (12) Sur le plan institutionnel, seule la dynastie (chi’ite) des Fatimides, en Egypte, a utilisé un calendrier basé sur le calcul, entre les 10è et 12è s., avant qu’il ne tombe dans l’oubli à la suite d’un changement de régime. (13) L’argument majeur utilisé pour justifier cette situation se fonde sur le postulat des ulémas, selon lequel il ne faut pas aller à l’encontre d’une prescription du Prophète. (14) Ils estiment qu’il est illicite de recourir au calcul pour déterminer le début des mois lunaires, puisque le Prophète a recommandé la procédure d’observation visuelle. (4) Question 8 : Le hadith du Prophète sur l’observation de la nouvelle lune pour débuter le jeûne du ramadan constitue-t-il une prescription religieuse immuable et incontournable ? Depuis le début du 20è s., de plus en plus de penseurs islamiques, ainsi qu’une poignée d’ulémas de renom, remettent en cause les arguments présentés contre l’utilisation du calcul. A leur avis, le Prophète a simplement recommandé aux fidèles une procédure d’observation de la nouvelle lune, pour déterminer le début d’un nouveau mois. L’observation du croissant n’était qu’un simple moyen, et non pas une fin en soi, un acte d’adoration (‘ibada). Le hadith relatif à l’observation n’établissait donc pas une règle immuable, pas plus qu’il n’interdisait l’utilisation du calendrier astronomique. (4) (15) D’après certains juristes, le hadith ne parle même pas d’une observation visuelle de la nouvelle lune, mais simplement de l’acquisition de l’information, selon des sources crédibles, que le mois a débuté. (16) Cela ouvre naturellement de toutes autres perspectives dans la discussion de cette question. D’ailleurs, en Arabie Saoudite, le calendrier d’Umm al Qura (à usage administratif uniquement) est préparé depuis de nombreuses années en utilisant une procédure basée sur le

calcul astronomique, et qui n’a rien à voir avec l’observation de la nouvelle lune. Par convention, si la conjonction se produit avant le coucher du soleil aux coordonnées de la Mecque, le soir du 29è j du mois en cours, et si le soleil se couche avant la lune, un nouveau mois commence. Autrement, le mois en cours aura une durée de 30 j. (17) On peut aussi noter que les musulmans trouvent parfaitement licite d’utiliser le calendrier grégorien dans la gestion de toutes leurs affaires, et l’utilisent de manière routinière, depuis de nombreux siècles, sans avoir la moindre appréhension qu’ils pourraient, ce faisant, enfreindre des prescriptions religieuses. L’usage du calendrier solaire grégorien, basé sur le calcul astronomique, serait-il donc licite, alors que l’usage du calendrier lunaire islamique, basé sur le même calcul, serait illicite A suivre... Notes : (1) Al-Bokhary, Recueil de hadiths (3/119) (2) Karim Meziane et Nidhal Guessoum : La visibilité du croissant lunaire et le ramadan, La Recherche n° 316, janvier 1999, pp. 66-71 (3) Moonsighting.com (4) Allal el Fassi : « Aljawab assahih wannass-hi al-khaliss ‘an nazilati fas wama yata’allaqo bimabda-i acchouhouri al-islamiyati al-arabiyah », rapport préparé à la demande du roi Hassan II du Maroc, Rabat 1965 (36 p.), sans indication d’éditeur (5) Abi alfayd Ahmad al-Ghomari : Tawjih alandhar litaw-hidi almouslimin fi assawmi wal iftar, 160p, 1960, Dar al bayareq, Beyrouth, 2è éd. 1999 (6) Procédure d’observation de la nouvelle lune par pays (7) Etat d’observation du début du Ramadan 1428 par pays (8) Etat d’observation du début de Shawwal 1428 par pays (9) Nidhal Guessoum, Mohamed el Atabi et Karim Meziane : Ithbat acchouhour alhilaliya wa mouchkilate attawqiti alislami, 152p., Dar attali’a, Beyrouth, 2è éd., 1997 (10) Emile Biémont, Rythmes du temps, Astronomie et calendriers, De Borck, 2000, 393p (11) Dans l’Arabie pré-islamique, les bédouins utilisaient un calendrier lunaire basé sur une année de 12 mois. Mais ils avaient pris l’habitude, depuis l’an 412, de leur adjoindre un 13è mois mobile, (dont le concept avait été emprunté au calendrier hébraïque), dans le but de faire correspondre le mois du hajj à la saison d’automne. Ces ajustements ayant fait l’objet de grands abus, le Coran les a réprimés en fixant à douze le nombre de mois d’une année et en interdisant l’intercalation du 13è mois. Les versets du Coran (At-Touba 9 : 36 et 37) sont les suivants : (Coran 9 : 36) : « Le nombre de mois, auprès d’Allah, est de douze (mois), dans la prescription d’Allah, le jour où Il créa les cieux et la terre. » (Coran 9 : 37) : « Le report d’un mois sacré à un autre est un surcroît de

mécréance. Par là, les mécréants sont égarés : une année, ils le font profane, et une année, ils le font sacré, afin d’ajuster le nombre de mois qu’Allah a fait sacrés. Ainsi rendent-ils profane ce qu’Allah a fait sacré. Leurs méfaits leurs sont enjolivés. Et Allah ne guide pas les gens mécréants. » (12) (13) (14) Muhammad Mutawalla al-Shaârawi : Fiqh al-halal wal haram (édité par Ahmad Azzaâbi), Dar al-Qalam, Beyrouth, 2000, p. 88 (15) Le cheikh Abdul Muhsen Al-Obaikan, conseiller du Ministère de la Justice d’Arabie Saoudite, remet lui-même en cause la méthode utilisée par le Conseil Judiciaire Suprême d’Arabie Saoudite, qui se base sur l’observation de la nouvelle lune à l’œil nu pour décréter le début du mois. Compte tenu de l’état d’avancement de la science et de la technologie modernes, utiliser l’œil nu pour déterminer le début et la fin du mois de ramadan relève, à son avis, d’une démarche primitive. « Il n’y a pas d’autre façon de le dire, c’est du sousdéveloppement à l’état pur. » Rapporté par Anver Saad, « The Untold Story of Ramadhan Moon Sighting » Daily muslims, October 07, 2005 (16) Al-Ghazali, Ihya’e ouloum addine, cité dans al-Ghomari, p 30 (17) Références en français : Emile Biémont, Rythmes du temps, Astronomie et calendriers, De Borck, 2000, 393p Louisg : Le début des mois dans le calendrier musulman Louisg : Le Calendrier musulman Nidhal Guessoum : Le problème du calendrier islamique et la solution Képler Mohamed Nekili : Vers un calendrier islamique universel Jamal Eddine Abderrazik, « Calendrier Lunaire Islamique Unifié », Editions Marsam, Rabat, 2004. Références en anglais : Selected articles on the Islamic calendar Islamic Crescent’s Observation Project (ICOP) : Selected articles on the Islamic calendar Mohamed Odeh : The actual Saudi dating system

Mots clés Calendrier Islamique

Khalid Chraibi Economiste (U. de Paris, France, et U. de Pittsburgh, USA), a occupé des fonctions de consultant économique à Washington D.C., puis de responsable à la Banque Mondiale, avant de se spécialiser dans le montage de nouveaux projets dans son pays.

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Le calendrier musulman en 10 questions (2/2)

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lundi 29 septembre 2008 – par Khalid Chraibi Question 9 : Quels sont les arguments des juristes musulmans qui prônent l’utilisation du calcul ? Le cadi Ahmad Muhammad Shakir (18), un juriste éminent (19) de la première moitié du 20è s., qui occupa en fin de carrière les fonctions de Président de la Cour Suprême de la Charia d’Egypte, est un bon représentant de cette tendance. Il a publié, en 1939, une étude originale axée sur le côté juridique de la problématique du calendrier islamique, sous le titre : « Le début des mois arabes … la charia permet-elle de le déterminer en utilisant le calcul astronomique ? » (20) D’après lui, le Prophète a tenu compte du fait que la communauté musulmane (de son époque) était « illettrée, ne sachant ni écrire ni compter », avant d’enjoindre à ses membres de se baser sur l’observation de la nouvelle lune pour accomplir leurs obligations religieuses du jeûne et du hajj. Mais, la communauté musulmane a évolué de manière considérable au cours des siècles suivants. Certains de ses membres sont même devenus des experts et des innovateurs en matière d’astronomie. En vertu du principe de droit musulman selon lequel « une règle ne s’applique plus, si le facteur qui la justifie a cessé d’exister », la recommandation du Prophète ne s’applique plus aux musulmans, une fois qu’ils ont appris « à écrire et à compter » et ont cessé d’être « illettrés ». Shakir rappelle également le principe de droit musulman selon lequel « ce qui est relatif ne peut réfuter l’absolu, et ne saurait lui être préféré, selon le consensus des savants. ». Or, la vision de la nouvelle lune par des témoins oculaires est relative, pouvant être entachée d’erreurs, alors que la connaissance du début du mois lunaire basée sur le calcul astronomique est absolue, relevant du domaine du certain. Il rappelle également que de nombreux juristes musulmans de grande renommée ont pris en compte les données du calcul astronomique dans leurs décisions. Shakir souligne, en conclusion, que rien ne s’oppose, au niveau de la charia, à l’utilisation du calcul pour

déterminer le début des mois lunaires et ce, en toutes circonstances, et non à titre d’exception seulement, comme l’avaient recommandé certains ulémas. Il observe, par ailleurs, qu’il ne peut exister qu’un seul mois lunaire pour tous les pays de la Terre, basé sur le calcul, ce qui exclut la possibilité que le début des mois diffère d’un pays à l’autre. Le professeur Yusuf al-Qaradawi, Président du Conseil Européen pour la Fatwa et la Recherche (CEFR) est un autre représentant de cette tendance. En 2004, il a publié une étude intitulée : « Calculs astronomiques et détermination du début des mois », (21) dans laquelle il prône pour la première fois, vigoureusement et ouvertement, l’utilisation du calcul pour l’établissement du calendrier islamique. Il cite à cet effet, avec approbation, de larges extraits de l’argumentation juridique développée par Shakir dans son étude de 1939. La « Islamic Society of North America », le « Conseil du Fiqh d’Amérique du Nord » et le « Conseil Européen pour la Fatwa et la Recherche » appartiennent également, désormais, à cette école de pensée, ayant annoncé, tour à tour, en 2006 et en 2007, leur décision d’utiliser, dorénavant, un calendrier annuel basé sur le calcul astronomique. (22) Ils justifient leur décision selon les mêmes lignes de raisonnement que Shakir et al-Qaradawi. Question 10 : Y a-t-il des efforts de la part des musulmans pour développer un calendrier islamique « universel » ? Au cours du dernier demi-siècle, la Ligue arabe, l’Organisation de la Conférence Islamique et d’autres institutions similaires ont présenté à leurs Etats membres plus d’une demi-douzaine de propositions dans le but de développer un calendrier islamique commun. Bien que ces propositions n’aient jamais abouti, jusqu’ici, les efforts continuent dans cette voie, à la recherche d’une solution acceptable pour toutes les parties concernées. De son côté, le Conseil du Fiqh d’Amérique du Nord (CFAN), qui s’est senti depuis des années interpelé par cette question, a annoncé au mois d’août 2006 sa décision mûrement réfléchie (22) d’adopter désormais un calendrier islamique basé sur le calcul, en prenant en considération la visibilité du croissant où que ce soit sur Terre. (23) Utilisant comme point de référence conventionnel, pour l’établissement du calendrier islamique, la ligne de datation internationale (International date line (IDL)), ou Greenwich Mean Time (GMT), il déclare que désormais, en ce qui le concerne, le nouveau mois lunaire islamique en Amérique du Nord commencera au coucher du soleil du jour où la conjonction se produit avant 12 : 00 GMT. Si elle se produit après 12 : 00 GMT, alors le mois commencera au coucher du soleil du jour suivant. Le CFAN retient le principe de l’unicité des matali’e (horizons), qui affirme qu’il suffit que la nouvelle lune soit observée où que ce soit sur Terre, pour déterminer le début du nouveau mois pour tous les pays de la planète qui recevraient l’information. Après avoir minutieusement étudié les cartes de visibilité du croissant lunaire en différentes régions du globe, (3) il débouche sur la conclusion suivante : Si la conjonction se produit avant 12 : 00 GMT, cela donne un temps suffisant pour qu’il soit possible d’observer la nouvelle lune en de nombreux points de la Terre où le coucher du soleil

intervient longtemps avant le coucher du soleil en Amérique du Nord. Etant donné que les critères de visibilité de la nouvelle lune seront réunis en ces endroits, on pourra considérer qu’elle y sera observée (ou qu’elle aurait pu l’être si les conditions de visibilité avaient été bonnes), et ce bien avant le coucher du soleil en Amérique du Nord. Par conséquent, sur ces bases, les stipulations d’observation de la nouvelle lune seront respectées, comme le prescrit l’interprétation traditionnelle de la charia, et le nouveau mois lunaire islamique débutera en Amérique du Nord au coucher du soleil du même jour. Si la conjonction se produit après 12 : 00 GMT, alors le mois commencera en Amérique du Nord au coucher du soleil du jour suivant. La décision de 2006 du Conseil du Fiqh d’Amérique du Nord (CFAN) a suscité de l’intérêt dans de nombreux pays musulmans, dans la mesure où elle tient compte des exigences de l’interprétation traditionnelle de la charia, tout en permettant d’établir à l’avance un calendrier islamique annuel, qui peut en fait s’appliquer à l’ensemble du monde musulman. Le début des mois de ce calendrier serait programmé sur la base du moment (parfaitement prévisible, longtemps à l’avance) auquel la conjonction se produira chaque mois. Des astronomes d’une dizaine de pays se sont ainsi réunis au Maroc, en novembre 2006, en vue de discuter de la possibilité d’adoption d’un calendrier islamique universel. D’après un rapport publié par Moonsighting.com en décembre 2006, à une très forte majorité, comprenant l’Arabie Saoudite, l’Egypte et l’Iran, les astronomes ont estimé que le calendrier adopté par le Conseil du Fiqh d’Amérique du Nord pouvait être utilisé comme calendrier islamique universel. (24) (25) Mais, le CFAN a changé de position en 2007, et décidé de se rallier à une décision du Conseil Européen pour la Fatwa et la Recherche (CEFR) qui s’alignait sur les paramètres du calendrier saoudien d’Umm al Qura (17) pour déterminer le début des mois musulmans (en utilisant comme paramètres que la « conjonction » se produise « avant le coucher du soleil aux coordonnées de la Mecque », et "que le coucher de la lune ait lieu après celui du soleil" aux mêmes coordonnées.) (26) Sur le plan méthodologique, la substitution des paramètres du calendrier d’Umm al Qura à ceux établis par le CFAN dans sa décision d’août 2006 a les effets suivants : L’exigence que la « conjonction » se produise « avant le coucher du soleil aux coordonnées de la Mecque », au lieu de 12 :00 h GMT, comme spécifié auparavant par le CFAN, augmente de 3 heures la plage durant laquelle la conjonction sera prise en compte. Ceci améliore les chances pour que le premier jour du nouveau mois, déterminé selon la méthodologie du calendrier d’Umm al Qura, ne soit décalé que d’un jour par rapport au calendrier lunaire établi par les observatoires astronomiques. Par contre, le paramètre selon lequel « le coucher de la lune doit avoir lieu après celui du soleil aux coordonnées de la Mecque » introduit une condition restrictive par rapport aux paramètres établis par le CFAN en 2006. Il implique que la nouvelle lune doit être potentiellement visible à la Mecque le soir qui suit la conjonction, alors que le CFAN basait son raisonnement sur le fait que la nouvelle lune serait potentiellement visible « quelque part sur Terre ». D’après le CFAN, les données du calendrier ainsi établi ne diffèrent que de manière marginale de celles obtenues par l’application de sa méthodologie d’août 2006. Le CFAN et le CEFR

justifient l’adoption des nouveaux paramètres par le souci de développer un consensus des musulmans à travers le monde sur des questions d’intérêt commun, dont celle du calendrier. Les décisions du CFAN et du CEFR ont déjà eu les retombées importantes suivantes : Le principe d’utilisation du calendrier basé sur le calcul est officiellement parrainé par des leaders religieux connus et respectés de la communauté musulmane (20) (21) (22) ; Il est adopté officiellement par des organisations islamiques dont nul ne conteste la légitimité (26) ; Les communautés musulmanes d’Europe et d’Amérique sont disposées à l’utiliser pour la détermination du début de tous les mois, y compris ceux associés à des occasions à caractère religieux. La traduction de ces décisions, sur le plan concret, sera influencée de manière importante par l’attitude des différents Etats musulmans à leur égard, puisqu’ils ont le dernier mot en la matière, sur leur territoire. Par exemple, l’Arabie Saoudite n’utilise le calendrier d’Umm al Qura que pour la gestion des affaires administratives du pays. (17) Elle affirme qu’il n’est pas conforme à la charia de l’utiliser pour la détermination des dates à caractère religieux, telles que le début du mois de Ramadan, les eids al-Fitr et al-Adha, les dates associées au Hajj, le 1er Muharram, etc. Mais, lorsque l’utilisation du calendrier basé sur le calcul sera entrée dans les mœurs en Europe et aux Etats-Unis, les esprits ne seront-ils pas plus disposés, en Arabie Saoudite et dans d’autres pays musulmans, à utiliser un calendrier établi d’un commun accord, du type de celui d’Umm al Qura, pour la détermination du début des mois lunaires, y compris ceux associés aux occasions religieuses ? Les initiatives du CFAN et du CEFR pourraient donc amener de nombreux Etats musulmans à développer progressivement un consensus, à l’avenir, au sujet d’un « calendrier islamique universel » à l’usage de toutes les communautés musulmanes du monde. (27) Notes : (3) Moonsighting.com (17) Van Gent : The Umm al Qura calendar (18) Ahmad Muhammad Shakir (notice biographique détaillée en arabe) (19) Un auteur de référence en matière de science du hadith (20) Ahmad Shakir : « Le début des mois arabes … la charia permet-elle de le déterminer en utilisant le calcul astronomique ? » (publié en arabe en 1939) reproduit par le quotidien « AlMadina », 13 octobre 2006 (n° 15878) (21) Yusuf al-Qaradawi : « Calculs astronomiques et détermination du début des mois » (en arabe) (22) Zulfikar Ali Shah The astronomical calculations : a fiqhi discussion (23) Fiqh Council of North America : Islamic lunar calendar

(24) Morocco meeting : Breakthrough for global Islamic calendar (25) Morocco meeting, November 2006, details (26) Islamic Center of Boston, Wayland : Moonsighting Decision documents (27) Ce texte s’inspire de deux articles de l’auteur publiés par Oumma.com sous les titres « 1er muharram : calendrier lunaire ou islamique ? » (15 mai 2006) et « La problématique du calendrier islamique » (2 février 2007), refondus et complétés par une analyse des décisions de 2007 du Conseil Européen pour la Fatwa et la Recheche (CEFR), de l’Islamic Society of North America (ISNA) et du Conseil du Fiqh d’Amérique du Nord (CFAN). Références en français : Emile Biémont, Rythmes du temps, Astronomie et calendriers, De Borck, 2000, 393p Louisg : Le début des mois dans le calendrier musulman Louisg : Le Calendrier musulman Nidhal Guessoum : Le problème du calendrier islamique et la solution Képler Mohamed Nekili : Vers un calendrier islamique universel Jamal Eddine Abderrazik, « Calendrier Lunaire Islamique Unifié », Editions Marsam, Rabat, 2004. Références en anglais : Helmer Aslaksen : The Islamic calendar Selected articles on the Islamic calendar Islamic Crescent’s Observation Project (ICOP) : Selected articles on the Islamic calendar Mohamed Odeh : The actual Saudi dating system

Mots clés Calendrier Islamique

Khalid Chraibi Economiste (U. de Paris, France, et U. de Pittsburgh, USA), a occupé des fonctions de consultant économique à Washington D.C., puis de responsable à la Banque Mondiale, avant de se spécialiser dans le montage de nouveaux projets dans son pays.

Du même auteur, à lire sur oumma.com : •

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