Khalid Chraibi - La Politique Des 'champions Nationaux

  • April 2020
  • PDF

This document was uploaded by user and they confirmed that they have the permission to share it. If you are author or own the copyright of this book, please report to us by using this DMCA report form. Report DMCA


Overview

Download & View Khalid Chraibi - La Politique Des 'champions Nationaux as PDF for free.

More details

  • Words: 1,111
  • Pages: 3
Khalid Chraibi - Economia Chroniques d'économie marocaine

La politique des « champions nationaux » Economia n° 3 avril 2006 Chronique Entreprise

Khalid Chraibi Une course soutenue à la concentration se déroule au Maroc depuis de nombreuses années. Elle restructure le paysage industriel, commercial et financier du pays dans des secteurs aussi variés que celui des holdings (rapprochement SNI/ONA) ; des banques (fusion BCM/Wafabank ; regroupement CDG/BNDE/CIH ; absorption de SMDC par BP) ; des assurances (fusion RMA/Wataniya ; et auparavant, fusions en cascade d’Al Amane - L’Entente – la Compagnie Africaine d’Assurances AXA Assurances Maroc) ; des produits et services pétroliers (fusion Samir/SCP ; rachat par AKWA de participations importantes de Oismine dans le même domaine d’activités) ; du secteur sucrier (privatisation par Cosumar des quatre sucreries SURAC, SUNABEL, SUTA et SUCRAFOR, qui s’ajoutent à ses unités de production de Casablanca, Zemamra et Sidi Bennour) ; et du secteur des huiles de table (fusion Lesieur Afrique/Unigral Cristal ; rachat de SEPO, d’Oléor… par le même Groupe). Certains de ces regroupements s’inscrivent dans le cadre de la politique de « privatisation » des participations détenues par l’Etat, des introductions en Bourse, ou de l’évolution normale des affaires. D’autres, tels que les fusions BCM/Wafabank ou RMA/Wataniya, se justifient, selon leurs promoteurs, par la nécessité économique de créer des « champions nationaux » capables de servir de véritables locomotives de développement dans leur secteur d’activité, et de faire face à la concurrence étrangère, lorsqu’elle se manifestera en force à partir de l’échéance 2010, à l’occasion de l’ouverture totale des frontières aux opérateurs et produits étrangers. L’argument se défend, quand on songe que de nombreuses entreprises internationales ayant des chiffres d’affaires se comptant en dizaines de milliards de dollars (banques, compagnies aériennes, laboratoires pharmaceutiques, industries diverses…) cherchent elles-mêmes, aujourd’hui, à fusionner avec certains de leurs concurrents, pour mieux se positionner sur la scène mondiale. Nos grandes entreprises nationales ne sont que des PME, quand elles sont mesurées à l’aune des standards européens ou américains. La consolidation de petites entreprises, en vue de créer de nouveaux ensembles desservant des parts de marché de 15 à 20 % chacun, permettrait de les doter de meilleurs atouts pour survivre, face aux menaces de la mondialisation. Leur « mise à niveau » de manière organisée, en vue d’optimiser l’utilisation de leurs ressources matérielles, humaines, techniques, financières et managériales et de leur know-how individuel, devrait logiquement se

traduire par un gain pour leurs actionnaires aussi bien que pour le consommateur, tout en assurant leur pérennité. Ceci dit, l’atteinte de la taille critique ne doit pas être parée de toutes les vertus. Elle ne constitue nullement un remède-miracle. Un nombre restreint d’opérateurs marocains ont prédominé dans différents secteurs économiques au cours du dernier quart de siècle, sans que cela se traduise nécessairement par une prestation de service de haut niveau de leur part. Ils se sont parfois contentés de rendre des prestations de qualité moyenne, tout en développant, quand ils le pouvaient, des situations de rente dans un marché captif, en engrangeant des bénéfices qui les satisfaisaient. Ce n’est donc pas uniquement au niveau de la taille qu’il faut rechercher les faiblesses des entreprises, mais également à celui des compétences managériales de leurs dirigeants et du savoir-faire qu’ils peuvent mobiliser dans leur gestion. Leur capacité à se mettre à l’écoute du client, leur volonté de le servir, au lieu de l’exploiter, sont des indicateurs primordiaux. Les restructurations opérées à l’occasion des fusions doivent ainsi se préoccuper autant des questions de qualité du management que de qualité de production. En tout état de cause, il ne s’agit pas, sous prétexte de consolider les assises des « champions nationaux», de mettre les destinées d’un secteur d’activités entre les mains d’un nombre restreint d’opérateurs (un « cartel » dans la terminologie économique), si distingués soient-ils, ni de leur sacrifier le maintien d’une saine concurrence sur le marché, entre entreprises de taille comparable. Comme l’expérience marocaine vécue le prouve, ce n’est qu’à ce prix que les entreprises resteront en éveil, à l’écoute des besoins du consommateur, constamment à la recherche d’innovations et de produits nouveaux, d’améliorations de qualité ou de réductions de coûts de revient, pour fidéliser leur clientèle et améliorer leur taux de pénétration du marché. L’analyse prend une toute autre dimension lorsque le regroupement concerne deux entreprises de taille moyenne, dont chacune dessert déjà une part importante du marché national, aboutissant à créer une « entreprise dominante » capable de desservir 60-70 % environ de ce marché, Au niveau de la politique économique nationale, le devenir du secteur devient étroitement dépendant des décisions d’une entreprise dominante. Selon les priorités qu’elle se fixe dans son plan d’opérations, les investissements auxquels elle procède, la politique d’approvisionnements qu’elle applique, les partenariats qu’elle noue avec des opérateurs nationaux et étrangers, les emprunts qu’elle contracte, etc., elle devient un centre de décision économique principal du pays. Elle se trouve alors confrontée à un arbitrage continu, et parfois difficile, entre ses propres intérêts, en tant qu’opérateur privé, et les intérêts du secteur tout entier. Peut-elle, par exemple, maintenir une situation de saine « concurrence » avec la multiplicité de PME dont chacune dessert des parts de marché de 5 ou 10 %, sans succomber à la tentation de les « brider » dans leurs activités pour servir ses propres intérêts ? Or, la politique des « champions nationaux » ne doit pas se faire au détriment des PME. Comme l’histoire des grandes réussites industrielles et commerciales le démontre abondamment, il n’est pas nécessaire d’être riche pour entreprendre : il suffit de bonnes idées et d’une ferme volonté d’entreprendre et de réussir dans les affaires, comme en témoignent nombre d’entreprises venues au monde dans un garage avant de partir à la conquête du monde (Ford, Hewlett Packard, Motorola, Microsoft…). Toutes les précautions doivent donc être prises pour assurer la pérennité des PME, qui sont les chevilles ouvrières du développement d’une économie performante et de création d’emplois, en même temps qu’elles favorisent l’apparition d’une classe moyenne significative, tous trois facteurs importants de stabilité sociale du pays.

Pour toutes ces raisons, les pays industrialisés (Etats-Unis, Union Européenne…) ont mis en place des législations très sophistiquées, non seulement pour empêcher le développement de monopoles ou de cartels, mais également pour empêcher les entreprises géantes d’abuser de leur position dominante sur un marché, et pour veiller au maintien d’une saine concurrence entre tous les opérateurs économiques de manière plus générale. Au Maroc également, il serait de la plus haute importance d’accompagner la mise en œuvre d’une politique des « champions nationaux » de règles similaires, adaptées au contexte de notre pays, pour assurer le respect des règles de bonne gouvernance dans la sphère économique.

Related Documents