Khalid Chraibi - La Banque Mondiale, La Croissance Et L'emploi

  • April 2020
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Khalid Chraibi - Economia Chroniques d'économie marocaine

La Banque Mondiale, la croissance et l’emploi Economia n° 4 mai 2006 Chronique Entreprise

Khalid Chraibi Depuis sa création au milieu des années 1940, la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD), également connue sous l’appellation de Banque Mondiale, procède à l’étude approfondie et régulière de la situation économique et des perspectives d’évolution des pays les plus divers de la planète. Après avoir passé au peigne fin les économies dévastées des pays occidentaux, à la fin de la deuxième guerre mondiale, et aidé à leur reconstruction, elle a étendu ses talents en matière de finance, d’analyse et de conseil aux pays du Tiers Monde, à partir des années 1950, quand ils ont accédé en cascade à leur indépendance, et souhaité bénéficier des prêts à taux d’intérêt subventionné (et du savoir-faire fourni en bonus) de cette institution. Elle a ainsi développé une expertise sans pareil dans l’analyse des questions associées à la croissance et au développement économiques, tant sur le plan théorique que pratique, grâce aux ressources financières et humaines considérables qu’elle a pu mobiliser à cet effet, ainsi qu’aux économistes de renom qu’elle associe régulièrement à ses activités. Par conséquent, un rapport de la Banque Mondiale sur l’évolution de l’économie marocaine, comme celui intitulé « Promouvoir la croissance et l’emploi par la diversification productive et la compétitivité » du 14 mars 2006 est toujours d’une lecture enrichissante. Une réflexion énigmatique d’Elhanan Helpman, placée en exergue, fournit le fil directeur de l’exposé : « Pourquoi certains pays sont-ils riches et d'autres pauvres ? Les économistes s’interrogent depuis l'époque d'Adam Smith. Pourtant, après plus de deux cents ans, le mystère de la croissance économique n'est toujours pas résolu. » La Banque Mondiale note, à cet égard, que « la problématique de croissance au Maroc reste une énigme » et fait même au passage un mea culpa inattendu : « Dans la Stratégie de Coopération 20052009 (CAS), la Banque reconnaît la mauvaise compréhension de l’évolution de la croissance marocaine durant la dernière décennie, et d’une manière générale, de l’histoire de la croissance au Maroc. »

Mais, une fois ceci dit, la Banque procède au diagnostic détaillé de la situation actuelle, et lance des pistes de réflexion et des propositions pour montrer les voies par lesquelles le Maroc pourrait enclencher une croissance forte et pérenne, génératrice d’emplois. Elle rappelle les atouts importants dont le Maroc jouit aujourd’hui, tels que : sa position géographique privilégiée, des prix relativement stables, une dette publique réduite, un système financier renforcé, de bonnes infrastructures, une éducation réformée, une politique volontaire de développement du tourisme et les réalisations de la politique de privatisation. L’image de marque du pays auprès des agences internationales de notation de risque est également bonne, du fait de sa stabilité politique et sociale. Cependant, de l’avis de la Banque, la nécessaire transformation des structures de l’économie marocaine se fait trop lentement ; les exportations sont confrontées à une forte concurrence sur les principaux marchés étrangers ; le pays continue à réaliser une production à faible valeur ajoutée ; la compétitivité des produits exportés laisse à désirer, tant au niveau de la qualité que des prix. La Banque dresse alors la liste de certaines contraintes importantes qui se dressent, à son avis, dans la voie d’une forte croissance : un marché du travail rigide ; une politique fiscale qui exerce une charge trop élevée sur les entreprises et représente un handicap pour le recrutement ; un régime de change à parité fixe qui ne favorise pas la compétitivité internationale des produits ; un niveau de protectionnisme encore élevé malgré les récentes réductions tarifaires et la signature de plusieurs accords de libre échange (ALE) ; des défaillances de formation qui placent le Maroc parmi les pays qui ont le plus bas niveau de formation dans les entreprises. Pour relancer une croissance forte, le rapport propose une panoplie de mesures, telles que : maintenir le salaire minimum à niveau constant ; réformer la fiscalité en réduisant l'impôt sur le bénéfice des sociétés et le taux d'imposition de l'IGR ; simplifier le régime de la taxe sur la valeur ajoutée ; effectuer progressivement la transition vers un régime de taux de change flexible ; accélérer la réduction des barrières tarifaires et non tarifaires ; et octroyer aux entreprises des incitations additionnelles au titre de la formation. Le rapport propose également d’adopter des mesures pour encourager l’embauche des demandeurs d'un premier emploi et des femmes, par une réduction temporaire du salaire minimum par exemple ; l'introduction à terme d'un programme d'assurance chômage ; et la réforme du système de sécurité sociale en vue de réduire la part de la pension dans le salaire brut, tout en renforçant les mécanismes de cotisations volontaires. Nombre de propositions contenues dans ce rapport reflètent le point de vue des opérateurs économiques marocains et leur sembleront parfaitement légitimes. Différents groupes sociaux considèreront certaines propositions comme plutôt discutables, en fonction de leurs intérêts et acquis. Le lecteur marocain sera probablement déçu de voir qu’il est encore demandé aux classes sociales les plus défavorisées de faire des sacrifices, en attendant les jours meilleurs. Contrairement à ce que Elhanan Helpman affirme, depuis qu’Adam Smith a publié ses « Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations » en 1776, les sciences économiques ont fait preuve d’une grande richesse, vitalité et créativité dans l’analyse des rouages économiques nationaux,

l’identification des facteurs de croissance et l’évaluation de leur rôle dans les contextes économiques les plus divers. Le livre de théorie économique le plus célèbre du 20è s., « La théorie générale de l’Emploi, de l’Intérêt et de la Monnaie » de John Maynard Keynes, publié en 1936, fut entamé comme une réflexion sur les causes du chômage et les politiques susceptibles de le résorber, à la suite de la crise de 1929. Mais Keynes se rendit vite compte que les emplois durables ne pouvaient pas être créés à coups de palliatifs, et que c’étaient les mécanismes de base de l’économie qui devaient être réévalués dans leur ensemble, en vue de créer les conditions propices à la croissance économique, seule capable de générer des emplois. Bien que des milliers de livres et d’articles aient été publiés depuis cette époque sur ces questions, ils sont tous l’œuvre d’économistes issus de pays industrialisés, ou formés dans le moule de pensée des universités européennes et américaines. Ils abordent l’analyse de ces questions selon les paradigmes des pays industrialisés, ce qui explique qu’il n’y ait pas eu beaucoup de progrès dans l’analyse de ces questions, du point de vue des pays du Tiers Monde.

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