Elie Aubert

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Joseph Elie Aubert Paysan, prêteur, maquignon et personnage public dans le Valais du XIXe siècle

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par Annette et François-Xavier Ribordy

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Les auteurs Les deux auteurs de cette recherche sont Professeurs Emérites de l’Université Laurentienne à Sudbury (Canada). Annette, qui détient un M.B.A. de l’Université Laurentienne et un doctorat en sciences économiques de l’Université de Lausanne, a enseigné le marketing durant une quinzaine d’années à l’Université Laurentienne. Diplômé des Universités de Genève, Lausanne et Montréal, François-Xavier a enseigné la criminologie et la sociologie du droit aux Universités d’Ottawa et Laurentienne à Sudbury. Depuis qu’ils ont pris leur retraite en 2003, ils partagent leur temps entre le Canada, la Suisse et les voyages à travers le monde. La recherche qu’ils présentent ici est issue de la découverte de manuscrits retrouvés dans la Vieille Maison qu’ils ont héritée à CheminDessus et du dépouillement de centaines d’actes des minutes des notaires déposés aux Archives Cantonales à Sion.

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Table des matières Les auteurs ................................................................................................................... 2 Table des matières ....................................................................................................... 4 Introduction ................................................................................................................... 6 Le cadre de vie d’Élie Aubert : le Valais du XIXe siècle ............................................... 8 Sa vie, sa famille et ses activités ................................................................................ 16 À travers les actes notariés ..................................................................................... 16 Les affaires familiales ........................................................................................... 19 I. Aubert.......................................................................................................... 19 II. Berguerand.................................................................................................... 21 III Élie Aubert et sa famille................................................................................. 27 Ses activités économiques ................................................................................... 40 I . Les prêts........................................................................................................ 41 II. Les transactions immobilières ...................................................................... 42 III. Les fonds de vache ..................................................................................... 46 Les activités communautaires .............................................................................. 50 À travers le carnet de créances ............................................................................... 53 L’héritage laissé par Élie Aubert ................................................................................. 58 Conclusion .................................................................................................................. 63 Annexes...................................................................................................................... 65 Portrait de famille..................................................................................................... 65 Ascendance et descendance d'Elie Aubert ............................................................. 66 Lettre à Jean Baptiste Pellaud de Vollèges et à Chemin......................................... 67 Archives des notaires .............................................................................................. 68 Document de la Vielle maison ................................................................................. 68 Carnet de créances ................................................................................................. 68

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Introduction La découverte de plusieurs documents dans la maison de nos ancêtres à Chemin-Dessus nous a incités à en savoir plus sur la vie et les activités d’une famille d’un petit village de montagne, tout au long du XIXe siècle, alors que le Valais traversait une période troublée par de multiples conflits. Ces documents, déposés aux Archives de l’Etat du Valais, couvraient la période allant de 1797 à 1918. Ils se composaient de contrats notariés et de papiers privés concernant des transactions immobilières, d’autres achats et ventes, de prêts, d’un contrat de mariage, d’obligations, de partages, de récompenses, de sommations à comparaître, ainsi qu’un carnet de créances et des petits papiers de partage rédigés par Catherine Aubert-Cretton à l’intention de ses quatre enfants1. À partir de ces documents, nous avons entrepris une recherche exhaustive, dans les minutes des notaires de Martigny et de Vollèges, des actes concernant les familles Berguerand, Aubert et Pellaud, et d’autres se rapportant au village de Chemin, notamment aux affaires de la chapelle. Ces résultats nous ont amenés à poursuivre nos recherches auprès de nombreuses autres sources : les Registres de paroisse de Martigny et de Vollèges, le bureau d’état-civil de Martigny, les jugements des tribunaux et des chambres pupillaires, les cadastres et les archives des communes de Martigny et de Vollèges, le Bulletin officiel du Canton du Valais, ainsi que des archives privées. Nous nous sommes aussi intéressés à la tradition orale par des entretiens avec certains membres de la famille et des habitants du village de Chemin et des environs. Dans ce dernier cas, il ne nous a pas toujours été possible de confirmer ou d’infirmer certaines déclarations. Nous avons choisi de centrer notre recherche sur Joseph Élie Aubert né en 1821 et décédé en 1905, paysan, maquignon, prêteur et personnage public qui semble avoir conduit ses affaires au-dessus et hors des difficultés et des troubles qui ont secoué le Valais de cette époque. 1 Sion, Archives de l’Etat du Valais, Fonds Ribordy François-Xavier. Ce fonds contient une cinquantaine de documents relatifs aux familles de Pierre Nicolas Aubert et de Jacques Germain Berguerand.

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Afin de dresser un portrait plus complet de la vie d’Élie Aubert, nous l’avons situé dans sa famille, dans celle de ses deux épouses issues des familles Berguerand et Pellaud, ainsi que dans celle de ses enfants et petits-enfants; en particulier de sa fille Catherine qui a joué un rôle important dans sa vie.

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Le cadre de vie d’Élie Aubert : le Valais du XIXe siècle Le Valais politique du XIXe siècle a été parsemé d’événements qui perturbèrent l’aristocratie, la bourgeoisie et les ordres religieux. La Révolution Française et l’Empire eurent de profondes répercutions sur la vie politique valaisanne de la première moitié du siècle. Dès le début des années 1790, influencés par les idées nouvelles, les dizains du Bas commencèrent à se soulever contre l’autorité de Sion. Entre 1798 et 1815 se succédèrent une série de régimes orchestrés par les puissances étrangères: la France, mais aussi la Diète de Berne, l’Autriche et le Royaume de Naples. Après les batailles de 1798 et de 1799 et le massacre de Finges qui laissèrent le Haut Valais complètement dévasté, une illusion d’indépendance se fit jour sous la République Helvétique. Mais, en 1802, la France reprit sa domination sur le Valais qu’elle conserva jusqu’en 1815; cela lui permit de se servir du territoire à sa guise pour contrôler la traversée des Alpes. Après le passage du Grand St Bernard par le Premier Consul, en 1800, la route du Simplon fut mise en chantier en 1802 et terminée en 1806. Malgré l’entrée du Valais dans la Confédération Suisse en 1815, l’instabilité politique se poursuivit durant des décennies, les institutions valaisannes pataugeant dans l’anomie. Alors que les forces conservatrices s’opposaient à tout changement, les idées européennes s’infiltraient dans le canton, perturbant les classes politiques. De jeunes intellectuels bien formés dans les universités étrangères revinrent au pays, répandant les idées nouvelles. Dans les districts de Martigny et de Monthey surgirent les arbres de la liberté, donnant naissance à la Jeune Suisse, au mouvement de sécularisation de la société valaisanne et à la réunion des biens de l’Eglise au domaine de l’Etat pour couvrir les dettes de guerre du canton et, enfin, à la distribution des biens des institutions religieuses2. Le clergé et le gouvernement réussirent néanmoins à freiner les idéologies nouvelles et à imposer les valeurs traditionnelles. La fermeture des couvents d’Argovie par les cantons radicaux incita le Valais à se joindre aux cantons catholiques 2 Paul de Rivaz, Histoire contemporaine du Valais, Sion, Imprimerie-Lithographie Fiorina et Pellet, 1946.

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dans le Sonderbund, ce qui, plus que jamais, divisa la Suisse. En 1847, la Diète vota l’abolition du Sonderbund et le Valais se rendit sans combattre contre les troupes fédérales dirigées par le général Dufour.3 Parallèlement à cette situation politique très instable, le Valais connut de grands changements socio-économiques. Plusieurs grandes institutions valaisannes virent le jour : l’école de droit pour la formation des avocats, l’école normale pour l’éducation publique, et l’école d’agriculture d’Econe. Même si elle se solda par un fiasco, c’est aussi au cours de ce siècle que fut fondée la première Banque Cantonale4. Malgré une émigration massive de la population5, les conditions de vie changèrent avec l’arrivée du chemin de fer, avec l’endiguement du Rhône, et avec le développement du tourisme. À certains égards, le village de Chemin n’échappa pas à ce mouvement puisque le révolutionnaire italien et fondateur de la Jeune Suisse, Mazzini, qui se cachait sous le nom de Strozzi, s’y réfugia en 1839. “On prétend que peu après son arrivée en Suisse, Mazzini séjourna à Chemin et qu’il travaillait dans une carrière de marbre située sur le versant donnant sur Bovernier”6. Le chalet Gross, le plus ancien chalet de vacances du village, peut-être construit par César Gross, le correspondant valaisan de Mazzini, aurait servi de lieu de résidence à l’Italien. Ce contexte politique troublé ne semblait toutefois guère perturber les paysans qui vaquaient aux travaux quotidiens. Dans des vallées aussi pauvres et aussi traditionnelles, les populations rurales devaient lutter pour survivre sur leur lopin de terre en cultivant céréales et pommes de terre et en produisant quelques hectolitres de vin de qualité médiocre.

3 Philippe Bridel, Essai statistique sur le canton du Valais, Genève, Editions Slatkine, 1978, Edition originale OrellFüssli & Comp., 1820, pp. 251-255, 295-296. Jean-Henri Papilloud, le Creuset révolutionnaire, Histoire du Valais, Tome 3, 2002, pp. 454. Michel Salamin, Le Valais de 1798 à 1940, Editions du Manoir, Sierre, 1978, p. 29 et sv. Paul De Rivaz. Histoire de la Suisse, http://Wikipedia.org/wiki/histoire_du_Valais. 4Paul De Rivaz, Michel Salamin, p. 195. 5 Michel Salamin, p. 189-192. http://www.ritsumel.ac.jp/acd/cg/law/lex/kotoba03/kametani.pdf 6 Jules-Bernard Bertrand, La Jeune Suisse et ses débuts, 1835-1840, Annales Valaisannes, Décembre 1936, p. 145.

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Les familles les plus aisées possédaient une ou deux vaches, quelques chèvres et moutons, et parfois un mulet7. Les études sur le prix des denrées alimentaires démontrent une stagnation de la production agricole et du prix des denrées durant une grande partie du XIXe siècle8. L’agriculture était tributaire du climat, celui-ci est aride dans les hautes vallées des Alpes ; il fallait aussi compter avec les années de grande sécheresse et les autres catastrophes naturelles. À Chemin, comme toujours, la pluie passait sur la Jure et ne venait arroser ni prés ni champs. Tout était roux; si elles arrivaient à survivre, les pommes de terre seraient grelots, les choux raves durs comme le bois, le seigle et le froment fourniraient peu de grains, les choux seraient rabougris tout comme les raves et le peu de carottes qui auraient réussi à germer. Les foins seraient clairsemés et il faudrait attendre les regains pour assurer le fourrage des vaches durant l’hiver à venir. Il faudrait aussi recueillir l’herbe des talus pour les modzons, et couper les branches des ormeaux afin de récolter de la feuille pour les chèvres. Le village a été construit sur une crête rocheuse afin de préserver les bonnes terres pour les cultures, mais c’est un endroit où ne se retrouve aucune source d’eau, cela explique pourquoi Chemin ne fut jamais un village très peuplé. Il comptait 40 habitants au recensement de 1798 et 51 à celui de 1829 et se composait des familles Aubert, Berguerand, Pellaud, Puippe et Terrettaz9. Ce chiffre demeura relativement constant, voire eut tendance à diminuer, jusque vers la fin du XXe siècle. Dans chaque quartier, une citerne recueillait l’eau des toits : une chez les Puippe, une chez les Berguerand, une chez les Terrettaz, une chez les Aubert et une chez les Pellaud. Les cheneaux, confectionnés avec des perches de mélèze évidées, croisaient les ruelles et se déversaient dans la tine, réservoir interdit aux enfants car, plus d’une fois, des bambins s’y étaient noyés. L’eau accumulée dans ces citernes ne 7 Gérald et Sylvia Arlettaz, Conflits de l’intégration politique 1815-1846, Histoire du Valais, , 2002, p. 515. 8 Papilloud Jean-Henri, Le prix des marchés de Sion au XIXe siècle, Société et culture du Valais comtemporain, Sion, Groupe valaisan de sciences humaines, 1974, pp. 81-118. 9 Sion, Archives cantonales, Fonds No 3090.

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croupissait jamais ; au moins une fois par an il fallait les vider, les nettoyer et en retirer les sédiments qui ne manquaient jamais de s’y accumuler car des toits en ardoises, de multiples détritus se détachaient et s’engouffraient dans les conduits. Cette eau servait aux besoins des familles et des animaux. Les hivers étaient longs et rudes. D’octobre à mai, les animaux étaient attachés à l’écurie, ils étaient nourris de foin et buvaient des dizaines de litres d’eau par jour. Si les chèvres et les moutons étaient peu sensibles à la soif, les vaches tout comme le cheval, la mule ou l’âne avaient un grand besoin d’eau. Au cours des siècles, diverses tentatives ont été faites pour la recherche et la captation des maigres sources existant sur le Mont Chemin. C’est ce que projetait Laurent Nicolas Robatel lorsque, le 28 septembre 1851, il établit une convention avec sept chefs des familles Aubert, Berguerand et Terrettaz " propriétaires et cultivateurs, communiers et consorts de la fontaine ditte de Chemin fournissant l’eau au dit village"10 En vertu de cette convention, les communiers de Chemin autorisaient Robatel à faire toutes les recherches nécessaires sur leurs propriétés pour augmenter la quantité d’eau disponible. Toute nouvelle eau découverte serait amenée soit par des" borcels" soit par des conduites d’eau souterraines aux puits de Chable Bet situés au sommet de la propriété de Robatel sous condition et engagement des villageois de ne pas l’utiliser, ”s’en servir ou en disposer, aux époques et pendant les temps où Robatel en fera[it] sa résidence” . Il fut enfin expressément entendu et bien convenu que “Robatel (…) laissera[it] toujours à la disposition du village l’eau qui exist[ait] et [était] actuellement découverte, comme il prendra[it] et aura[it] droit de prendre lui soit la ditte propriété, près le dit village de Chemin à perpétuité et toute propriété, toutes les nouvelles sources que le dit Robatel découvrivra[it]”. À cette époque, rares étaient les routes à travers les Alpes: tout était transporté à dos d’homme et à l’aide de mulets bâtés. Chaque village 10 Minutes du notaire Louis Gay, acte du 28 septembre 1851. Toutes les minutes des notaires ont été relevées aux Archives Cantonales du Valais à Sion.

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n’avait souvent que deux mulets. Les paysans se les partageaient pour les corvées, les labours et les travaux des champs. Il fallait aussi accoupler deux bêtes de trait pour amener les pièces de bois de construction de la forêt au village. Au moment des vendanges, les bêtes étaient encore bâtées pour transporter les brantes des vignes de Bovernier, de Coquempey, de Fully ou de Branson jusqu’à la cave où le moût fermentait avant d’être pressé et transphasé dans des tonneaux. Les animaux étaient aussi utilisés pour charrier le bois de feu utilisé au village et celui qui servait à faire chauffer le lait pour la fabrication du fromage à l’alpage, la plupart du temps situé au-dessus de la limite des forêts. L’agriculture de montagne était assujettie à la vie sociale et à l’entraide. Les paysans devaient partager, offrir leurs bras et leurs outils à celui qui en avait besoin. Dans ce type d’agriculture vivrière, chaque action était conditionnée par la survie du groupe; dans la précarité, il fallait s’entraider, faire face aux pressions du groupe et souvent perdre son indépendance. Le contrôle social était considérable, personne ne pouvait y échapper c’était une question de survie11. Il y avait aussi des conflits entre les clans et les familles comme le reflète le document suivant : Par devant moi notaire sous bas nommés, se sont en personne constituées les parties suivantes : ¾ Primo : maître Jacques Aubert fils de maitre Joseph Aubert de Chemin, paroisse de Vollèges d’une part et Pierre Maurice fils de Joseph Gabriel Berguerand du dit lieu et ditte paroisse d’autre part, lesquel s’étant emus des difficulté au sujet d’un bâtiment (provenant de feu Bernard Pellaud de Chemin) que le dit Berguerand avoit repris de neuf et comme le dit Aubert se plaignant en ce que le sus nommé Berguerand a trop avancé le couvert de ditte maison de manière qu’il portait préjudice au dit Aubert et changé de pente à son toit-. Qu’il a trop avancé l’arsat du poile sur la servitude par indivise entre les contractants qui est entre les maisons des dittes parties Qu’il avoit dirigé son bâtimens à faire des privé dont la sortie des immondices tendoit a la porte de la maison du dit Aubert ce qui lui étoit de grand préjudice. Ainsi pour couper chemin à 11 Louis Courthion, Le peuple du Valais, Histoire helvétique, Lausanne, Editions de l'Aire, 1979. p. 154-179.

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tous ces articles qui pourroient causer de grandes difficultés à la suite; Pour obvier à toute difficulté et vivre en paix et en union entre les dittes parties, ainsi que doivent se voir deux voisins ont conclu et transigés ainsi qu’il suit ¾ le dit Berguerand sera tenu et obligé de maintenir une bonne cheneau à son toit de manière à ne point laisser tomber des goutières le long de la ditte cervitude. Si moins il sera obliger de retrancher son couvert. ¾ S’oblige d’enlever les privés de devant la ditte maison. ¾ Il coupera l’arsac du poile neuf et les laissera sortir de son bâtiment neuf que un pied et deux pouces, de manière que la porte du galtard du dit Aubert soit nullement embarrassé par une allé que le dit Berguerand pourroit faire le long de son poile neuf. C’est ainsi qu’il fut aimablement convenu et transigé entre les dittes parties avec promesse de regarder pour bon et solide l’accord ainsi que sus est. Avec promesse d’aucune contrevention à l’avenir n’y en argument n’y dehors.Le tout passé en Chemin paroisse de Vollège dans le domicile du dit Aubert présent honorable Mr. Jean Antoine Farquet Lieutenant moderne du village et hte Jean Joseph Aubert juré de la Batiaz paroisse de Martigny ici pour témoins requis et moi notaire stipulateur sous signé Cropt Notaire12 En 1860, après bien des rebondissements, le Chemin de fer de la ligne d’Italie arriva à Sion, ce qui contribua au développement et à la modernisation de la vallée du Rhône, mais qui eut aussi de sérieuses conséquences sur le revenu des paysans: le prix des céréales baissa avec l’arrivée de blé étranger sur les marchés. On tenta d’en remplacer l’exportation par celle du vin mais la qualité laissait souvent à désirer. Faute de rentrées financières, les conditions de vie étaient devenues très difficiles13, cela d’autant plus que le service militaire à l’étranger

12 Minutes du notaire Bernard Antoine Cropt Acte du 2 octobre 1784 13 Louis Courthion p. 511; Paul De Rivaz, p. 104.

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qui, depuis 1475, avait assuré la survie de beaucoup de Valaisans fut supprimé par la Constitution de 184814.

Nous avons retrouvé trace de service à l’étranger de Pierre Maurice Berguerand parti pour le service militaire en France et dont on n’a aucune nouvelle dans les minutes du notaire Étienne Claivaz de 1816 et dans celles du notaire Berguerand de 1824. En 1819, Gaspard Rouiller, oncle d’Élie Aubert était soldat aux gardes suisses, au service de la France.15

Il n’est donc pas étonnant que, durant une grande partie du XIXe siècle, beaucoup aient tenté de fuir ces conditions de vie difficiles. Les familles qui possédaient quelque bien tentèrent souvent de les vendre afin d’émigrer vers l’Algérie, l’Argentine, le Brésil ou l’Amérique du Nord. “Dès 1818, les Valaisans commenc[ère]nt à fuir le pays pour des cieux plus cléments, mais c’est durant la deuxième partie du siècle que le phénomène s’intensifi[a]”16. Les multiples études sur l’émigration tout comme les statistiques des Suisses de l’étranger témoignent de cet exode. En 1871, le Conseil d’Etat estimait que, depuis le milieu du siècle, 4187 Valaisans avaient quitté le pays; cette immigration allait se poursuivre encore durant des décennies17 “favorisée par les difficultés économiques du canton, la propagande effrénée des agences de voyage et les politiques de peuplement menées par les pays d’Amérique”18. Un acte notarié du 17 novembre 1890 témoigne de cette immigration. En effet, au moment où il prévoyait quitter Chemin, " Jean-Joseph Terrettaz, fils de feu Guillaume domicilié à Chemin de Vollèges, vend[ait], c[édait] et remet[tait] avec garantie légale, à Auguste Abbet" 19 tous ses biens, à savoir: sa maison sise à Chemin-Dessus, terre de Vollèges provenant de son père avec jardin et places, grenier, 14 Chronique de Malacors 1489-1989, 500 ans de bourgeoisie. La famille de Wolf à Sion. Sion, Fondation de Wolf, sans date, p. 142. 15 Minutes du notaire Valentin Morand, acte du 22 février 1819. 16 Gérald et Sylvia Arlettaz, p. 518. 17 Michel Salamin, p. 189-192. 18 http:/www.ritsumel.ac.jp/acd/cg/law/lex/kotoba03/kamerani.pdf 19 Minutes du notaire Alfred Tissières, acte du 17 novembre 1890.

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grange, raccard, ainsi qu’une quinzaine de propriétés." Dans cette vente [étaient] aussi compris les meubles, les ustensiles de cuisine, les meubles de campagne et la moitié de la récolte en grange. [Étaient] spécialement exceptés de la vente un poids et le linge. Le vendeur se réserv[ait] de prendre de la récolte tout le grain et laisser à l’acquéreur tout le foin" . Cette vente démontre bien que, tout comme les autres villages valaisans, Chemin se dépeuplait au bénéfice des pays du nouveau monde. Enfin, les études démographiques de cette époque soulignent le fragile équilibre qui existait entre naissances et décès. Les mariages se concluaient tardivement dans le dessein de limiter la descendance et, par le fait même, la dispersion des héritages. Le nombre de célibataires s’élevait à 400 pour mille, la mortalité infantile était sévère, surtout causée par la variole et la diphtérie. Dans toute la population, les maladies respiratoires faisaient des ravages considérables20. À la stagnation politico-économique, s’ajoutait la stagnation démographique. Le Valais se dépeuplait. C’est dans ce contexte que se déroula la vie d’Élie Aubert.

20 Jean-Henri Papilloud, p. 450-452.

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Sa vie, sa famille et ses activités Né à Chemin le 19 septembre 1821, Joseph Élie Aubert était le deuxième fils de Pierre Nicolas Aubert et de Marie Marguerite Rouiller. Il avait sept frères et sœurs avec lesquelles il passa son enfance à garder les troupeaux et à aider aux travaux des champs. Toute sa vie se déroula entre Chemin et Martigny. Tout comme ses prédécesseurs, en particulier son père et le père de sa première épouse, Élie Aubert avaient fréquemment recours aux services des notaires. C’est donc majoritairement par le truchement des actes notariés que nous avons été en mesure de retracer sa vie personnelle, ses activités économiques et sociales ainsi que celles des membres de sa famille.

À travers les actes notariés La profession juridique telle qu’elle se présentait au temps d’Élie Aubert vaut la peine que l’on s’y arrête en raison du rôle qu’elle jouait dans la vie des Valaisans. Dans une société peu, voire non scolarisée, le notaire tenait lieu d’écrivain public dans les événements importants de la vie. Les notaires de la région de Martigny étaient sollicités pour rédiger les contrats de mariage, les testaments, les successions, les créances, les actes d’achat et de vente de terrains, d’immeubles et de fonds d’alpage. Dans les actes antérieurs à 1800 retrouvés dans la maison, le notaire porte le nom de curial. Le début du XIXe siècle fut une période difficile pour la profession juridique en Valais. À la fin du XVIIIe siècle, les rares avocats qui avaient pignon sur rue étaient issus de familles bourgeoises; ils avaient été formés dans les universités de Turin, Chambéry, Grenoble, Montpellier ou Paris. “La première école de droit valaisanne [fut] ouverte en 1807, elle a[vait] comme unique professeur sa Révérence Monsieur Emmannuel de Kalbermatten chanoine de la cathédrale de Sion. Elle ferm[a] un an

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plus tard”21. Sur, l’ordre du clergé, l’accès aux écoles de droit fut alors interdit aux jeunes Valaisans, sous prétexte qu’ils étaient en danger de perdre leur foi dans les universités protestantes ; la profession peinait à se perpétuer22. Supprimée sous le régime français, l’Ecole de droit de Sion fut réouverte en 1825 en vertu de la loi sur le notariat. C’est ainsi qu’à partir de 1827, les notaires qui pratiquèrent en Valais étaient issus de cette école fondée par Bernard-Etienne Cropt. Ce dernier, né en 1798 à Martigny-Ville, était issu d’une famille d’avocats; il avait fait ses études de droit à Chambéry et Turin, université de laquelle il fut diplômé en 1823. Dès sa fondation, il prit la direction de l’Ecole de droit de Sion, en fut l’unique professeur et y enseigna jusqu’en 1895, soit un an avant son décès, survenu à l’âge de 96 ans, le 16 janvier 1896. Jean Graven en présente l’histoire tout en faisant ressortir les spécificités du droit civil et pénal valaisan rédigé et enseigné par Bernard Etienne Cropt23. Comme on peut s’en douter, la fondation de cette école eut un impact considérable sur le nombre de notaires ayant pratiqué le droit en Valais au cours du XIXe siècle. À Martigny, leur nombre passa de 9 en 1827 à 17 dans les années 1850 et 1860, et à 20 – 25 durant les années 1870 et 1880. Le nombre d’étudiants de l’Ecole de droit commença à décliner au cours des années 1890 pour ne compter plus que 7 élèves à la fin du siècle. Faute d’effectifs, elle ferma définitivement ses portes en 1908, soit 13 ans après le décès de Cropt. Les causes de cette fermeture sont multiples : l’arrivée d’une nouvelle bourgeoisie, d’artisans et de commerçants, l’introduction du code civil suisse, l’établissement du cadastre et celui des banques privées qui ont remplacé les prêteurs. De même, à la suite de l’introduction du Code civil et du Code pénal suisses, avocats et notaires furent tenus d’acquérir une formation dans les universités. Le coût de ces études étant souvent prohibitif pour beaucoup de candidats, il en résulta une diminution sensible du nombre de notaires.

21 Chroniques de Malacors, p. 168. 22 Jean Graven, L’école de droit valaisanne (1807-1908), Annales valaisannes, 1965 p. 178. 23Jean Graven, p.177-242.

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Des historiens comme Bertrand et Courthion dressent un portrait très critique des avocats et notaires diplômés de l’Ecole de droit de Sion. Ils dénoncent leur formation lacunaire et surtout leur mainmise dans tous les rouages de la vie politique et économique valaisanne24. Des 55 avocats qui ont fait l’objet de notre recherche au cours du XIXe siècle, trente-deux se sont occupés des transactions faites par les membres de notre famille. Une dizaine d’entre eux peuvent cependant être considérés comme" les avocats de la famille", ils couvrent tout le siècle. Joseph-Etienne Claivaz Valentin Morand Germain Ganioz Joseph-Arnold Berguerand Antoine Sauthier Gédéon Contart Joseph Couchepin Adolphe Morand Alfred Tissières

1792-1838 1815-1864 1817-1871 1819-1850 1841-1870 1851-1886 1856-1899 1848-1894 1879-1906

Les autres notaires retrouvés dans les actes ont souvent été choisis par l’autre partie. C’est par exemple, le cas de certaines ventes, de la convention concernant l’approvisonnement en eau et l’achat de terrains pour le chalet Porret conclus avec Laurent Nicolas Robatel chez le notaire Louis Gay25, ou de la succession contestée d’Emérentienne Pellaud, la deuxième épouse d’Élie Aubert chez le notaire Pierre Gillioz26. Au total, nous avons relevé environ 400 actes. Ce relevé ne prétend pas être une revue exhaustive des actes conclus par les familles Aubert, Berguerand et Pellaud durant cette période, et cela particulièrement avant 1841, date avant laquelle il n’existait aucun répertoire joint aux volumes ce qui ne permettait pas un double contrôle.

24 Jules Bernard Bertrand, L’Ecole de droit valaisanne, Annales valaisannes; Louis Courthion, p. 13. 25 Minutes du notaire Louis Gay, acte du 28 septembre 1851. 26 Minutes du notaire Pierre Gillioz, acte du 2 février 1891.

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Nous avons divisé les actes notariés se rapportant à la vie et aux activités d’Élie Aubert et de sa famille en trois catégories, la première se rapporte à sa vie personnelle et à celle de sa famille, la deuxième s’intéresse à ses activités économiques et la dernière nous renseigne sur ses activités communautaires et juridiques.

Les affaires familiales I.

Aubert

Les Aubert étaient établis à Chemin de longue date. C’était une famille patricienne de Martigny, Charrat et Bovernier. En 1725, elle était devenue tenancière du fief de Chemin27. Les contrats de mariage des Aubert établis par Bernard-Antoine Cropt démontrent l’importance de cette famille. Ils identifient tous les invités selon leur niveau de parenté avec les époux. Le mariage civil, célébré le même jour que le mariage religieux, devenait le prétexte à une réunion de famille. C’était non seulement l’établissement d’un contrat, mais aussi une solennité. L’avocat Cropt était fier d’offrir sa maison et de se déclarer parent de la mariée ou ami de la famille. Il en est fait moult fois mention dans les actes notariés de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle, qui rapportent de nombreux contrats de mariage enregistrés par les notaires Bernard-Antoine Cropt et Valentin Morand en : ¾ 1782 Mariage de Jean Joseph Aubert, juré de la Batiaz, fils de feu Antoine Aubert de Chemin, et Marie Françoise Cretton du Bourg. ¾ 1783 Mariage de François Joseph Aubert, fils de Jean Joseph Aubert de Chemin et de Jeanne Marie Cretton des Rappes. ¾ 1799 Mariage de Jean Etienne Tissières de la Bâtiaz et d’Anne Catherine fille de feu Pierre Aubert de Chemin. ¾ 1799 Mariage de Jean Joseph Rouiller et de Marie Catherine, fille de feu Pierre Aubert de Chemin. ¾ 1801 Mariage de Jean Joseph Aubert de la Bâtiaz, fils de feu Pierre Aubert de Chemin et de Marie Elizabeth Cretton des Rappes. ¾ 1802 Mariage de Jacques Joseph Cretton des Rappes et d’Anne Monique, fille de feu Pierre Aubert de Chemin.

27 Mandat exécuté le 28 juin 1725 par Tornay, notaire public, Répertoire 1561, Martigny Mixte.

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Ces documents attestent bien du rang social de la famille Aubert, car, à cette époque, rares étaient les contrats de mariage se rapportant à la population de la région de Martigny : le contrat de mariage “entre honete Pierre Nicolas Aubert de chemin28 de Vollege et Marie Marguerite Rouiller de charat29 de Martigny”, conclu le 22 février 1819, en est un exemple très significatif 30 : par devant moi notaire soussigné, et en présence des témoins cy après nommés, sont comparus honête Pierre Nicolas Aubert fils à feu pierre nicolas et de vivante marie christine oreiller de chemin hameau de vollege, dixain d’entremons, autorisé et approuvé par sa dite mère et accompagné du conseiller Pierre joseph aubert de la ville de Martigny cousin au quatrième degré du coté paternel, de Bernard antoine Pillet son beaufrère au nom de sa femme Catherine Adelaide aubert, de son autre beau frère pierre françois giroud de ravoire au nom de son épouse marie patience aubert (…) ici présens, de joseph grégoire Sauthier du levron cousin au troisième degré du coté paternel, du conseiller françois joseph aubert et joseph alexis aubert tous deux de charat et cousins au premier degré du coté paternel, d’Etienne Simon oreiller de crie hameau de vollege oncle du coté maternel, de jean nicolas oreiller du hameau d’équis de vollege cousin au premier degré du coté maternel tous ceux cy absens, de monsieur samuel antoine Cropt et de son épouse Dame julie thérèse riché ici présens comme amis, époux d’une part. et Marie Marguerite Rouiller fille à feu charles antoine et de feue Marie Marthe Vouilloz du village des chènes de charat commune de Martigny accompagnée de ses frères marcelle antoine Rouiller du guercet et de joseph hyacinthe Rouiller de la ville ici presens, de ses autres frères d’ici absens, Charles Rouillier de la Batiaz, joseph Antoine Rouillier domicilié à Riddes et gaspard Rouillier soldat aux gardes suisses au service de France, de joseph emmanuel aubert de chemin de vollege beau frère au nom de sa femme Marie Marthe Rouillier ici présente, de ses oncles du coté paternel françois joseph aubert du coté maternel jean baptiste magnin tous 28 En minuscules dans le texte 29 En minuscules dans le texte 30 Minutes du notaire Valentin Morand, acte du 22 février 1819. Les actes ont été transcrits intégralement selon l’orthographe, la syntaxe le vocabulaire et la ponctuation de l’époque.

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deux conseillers de charat, de Marie jeanne Rouillier veuve de silvestre lation sa tante aussi de charat tous ceux cy absens, épouse d’autre part. Lesquelles parties après s’être unies aujourd’hui par les liens du mariage en face de notre Sainte mère l’église ont convenu de ce qui suit. Savoir l’époux promet à sa future et tendre épouse la somme de cinquante écus petits à titre de bienvenue il la rend de plus participante au tiers des acquis qu’ils feront dans le cas de faire durant leur mariage, laquelle somme de bienvenue et tiers aux acquis seront réversibles aux enfans qui naîtront de cette union s’il plait à la Divine providence de leur en accorder, à leur défaut le tout appartiendra à l’épouse et à ses héritiers; l’usufruit du survivant se réglera selon le voulu de nos lois, sans cependant astreindre le survivant à remplir la formalité de la proteste prescrite par nos Statuts. Les parens de l’époux exigent que l’époux convertisse en fonds différents avoirs ou argent et en billets quelle a des feulles de sonbien.L’époux promet de plus à sa future et chérie épouse les cadeaux de noce consistant en bagues, joiaux, habits nuptiaux, lit garni et coffre fermant selon l’état et condition des contractants.Dont acte lu aux parties et fait en la maison de Monsieur Bernard Antoine Cropt président de la bourgeoisie en ville de Martigny en présence des respectables parens et amis susnomés en foi. Valentin Morand

Notaire public

Batz 40

En premières noces, Élie Aubert épousa Marie Rosine Berguerand, fille de Jacques Germain Berguerand et de Marie Catherine Claivaz.

II. Berguerand Marie Rosine Berguerand était issue d’une famille savoyarde établie dans la région de Chamonix/Argentière qui possédait des biens à Martigny, d’où son établissement dans la région vers le milieu du XVIIIe siècle. Il est vrai qu’à cette époque, la vallée de Chamonix et la région de Martigny faisaient toutes deux partie d’un seul et même territoire, le Duché de Savoie.

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L’arrière-grand-père de Marie Rosine, Joseph Marie Berguerand est sans doute l’un des premiers membres de la famille à s’être établi dans la région, comme l’atteste l’acte suivant: Né à Vallorcine (Savoie) et décédé le 17 mars 1754. Reçu bourgeois de Vollèges le 8 décembre 1752. En présence de Jean Baptiste Deslarzes, lieutenant, Nicolas Sétiz et Martin Héroz, du Levron, syndic de Vollèges, reçoivent comme communier maître Joseph Berguerand, fils de Michel de Vallorcine, moyennant 1000 florins et le don d’un graduel à l’église paroissiale. Témoins Nicolas Boniface Lovey, d’Orsières, Jean François Darbellay, de Liddes et Jean Jacques Mex, de Bagnes, Notaire : Pierre Médici de Vollèges.31 Joseph Marie Berguerand s’installa à Chemin. Il eut quatre enfants dont le plus jeune, Charles Berguerand, notre ancêtre, est probablement né, lui aussi à Vallorcine en 1738. Il décéda à Chemin en 1792. Il avait épousé Christine Darbellay de Liddes et fait construire le Vieille Maison dans les années 1780 comme en fait foi l’acte de partage de 1797 dans lequel la maison fut répartie entre ses trois enfants Marie Christine, Jacques Germain et Pierre Joseph32. Cette maison diffère des constructions valaisannes traditionnelles parce qu’elle possède trois caves dont une seule à voûte, construite pour y recevoir des tonneaux de vin et les légumes. Le “trou des pommes de terre” était creusé sous le plancher. Dans la première section de cette maison, la cuisine actuelle servait à l’origine de fromagerie puisqu’on y retrouve encore la marque de l’endroit où était fixée la potence qui soutenait la chaudière utilisée pour chauffer le lait dans l’âtre ; les poutres du plafond sont encore recouvertes de suie, ce qui atteste bien de l’usage des lieux. Le poële [lo peilo], ou chambre boisée, possède un fourneau en pierre olaire, ou pierre de Bagnes, daté de 1813 et sur lequel sont gravées les

31 Bertrand Terrettaz de Vollèges, document généalogique établi le 29 mai 2001. 32 Minutes du curial Frédéric Gard, acte du 7 octobre 1797.

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initiales JBP et MCB [Jean-Baptiste Pellaud et Marie Christine Berguerand] au-dessous du signe JHS. La boiserie est datée de 1789.

Au-dessus du dit poële est située une chambre boisée d’une superficie de près de 40 m2 et, au-dessus de la cuisine, une petite pièce qui rejoignait autrefois une annexe en bois devant servir de garde-manger ou de séchoir à viande, comme on peut le voir sur l’aquarelle présentée plus loin et datée de 1918 qui se trouve encore dans la maison. Cette partie du bâtiment échut à Marie Christine. Un autre tiers de la bâtisse qui revint à Jacques Germain, se compose d’une cuisine avec âtre, d’un poële avec fourneau en pierre olaire sur lequel sont gravées les initiales CO et MC [Catherine Obert(Aubert)/Maurice Cretton]. La poutre du plafond, portant les initiales du constructeur CB [Charles Berguerand], est datée de 1790. Une petite chambre est attenante au poële. Au-dessous de ces deux pièces, se retrouvent deux caves séparées par une paroi, l’une donnant vers l’extérieur, l’autre rejoignant, à l’intérieur, l’escalier de la cave à voûte. Le tiers supérieur, plus récent, présente la même structure que la partie précédente, soit cuisine, poële et petite chambre. Il a été dévolu à Pierre Joseph. Les galetas servaient de remises aux trois propriétaires. Leurs" privés" se trouvaient au fond de la remise située de l’autre côté du chemin.

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Avec une capacité près de 10 000 litres, la citerne recueillait l’eau des toits; elle était placée dans les bâtiments adjacents qui comportaient aussi trois écuries à voûte, et une habitation.

Sur la façade nord du bâtiment, un autre immeuble est venu se greffer par la suite. En effet, lors d’une rénovation récente, des traces d’ouverture de porte et fenêtre ont été retrouvées sur cette façade ainsi qu’une poutre portant la date de 1848. Marie Christine Berguerand et son époux Jean Baptiste Pellaud ont eu treize enfants. Sept ont survécu dont Julie Mélanie Emérentienne qui épousa Elie Aubert en secondes noces. Aucun document ne témoigne du fait que Pierre Joseph ait habité la maison. Jacques Germain Berguerand passa toute sa vie dans la Vieille Maison. Il a laissé une lettre, datée de 1799, alors qu’il était enrôlé dans les armées françaises envoyées dans le Haut Valais. Cette lettre a sans doute été écrite par un camarade car, comme en témoignent de multiples actes notariés, il était illettré. Cela ne l’a pas empêché de brasser de nombreuses affaires et de prendre une part très active à la vie du village.

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Je vous prie que cette lettre soit remise par occasion à Jean Baptiste Pellaud de Vollèges et à Chemin Liberté Egalité A viège le 19 juillet 1799 Je vous écris deux lignes pour vous faire savoir l’état de ma santé et pour vous demander si vous ave.?. et en même temps je vous offre de tout mon cœur le bonjour, je me premièrement .?. au cousin Pierre Berguerand de Surfrète de Martigny mon reconseiller bonjour et aussi à mes frères et sœur Jean Baptiste Pellaud à sa femme et généralement à tous mes parents grâce à Dieu je me porte fort bien je suis c’est-à-dire en bonne santé je souhaite que vous fussiez de même et l’argent que j’ai laissé en dernier à Cetou me brûle pas encore dans mes poches et nous sommes tourmentés beaucoup pour des gardes. Nous faisons que monter et descendre aujourd’hui nous descendons à demain nous montons et nous y ennuyons beaucoup à cause qu’ils nous donnent point … de pré et pas toujours du pain nous font souffrir les trumeaux et les mauvaises odeurs vous savez que depuis mon départ je n’ai jamais pu me déshabiller a présent nous voyons courir les poux dans notre lit. Jacques Germain Berguerand, votre humble serviteur, salut.33 Cette lettre nous a permis de retracer certains membres de la famille établis à Chemin et à Surfrète. Tout laisse croire qu’il y faisait aussi référence à sa fiancée car il se maria au cours de la même année. Il priait son beau-frère, Jean Baptiste Pellaud, de transmettre ses salutations à son" reconseiller", son cousin Pierre Berguerand de Surfrète. Au moment du décès de son père en 1792, il n’avait que 13 ans. Son reconseiller ou curateur, Pierre Berguerand, avait eu la charge de veiller à ses intérêts jusqu’à sa majorité qui était fixée à 24 ans. En 1799, il lui avait donc fallu obtenir l’autorisation de ce dernier pour s’enrôler dans les armées de Napoléon, comme pour se marier.

33 En annexe, la version originale de cette lettre.

Ce document nous replace aussi dans la période troublée qui marqua le tournant du XIXe siècle, alors que s’affrontaient les patriotes du Haut Valais et les troupes de l’armée française. En 1799, après des combats sans merci, les troupes haut-valaisannes et confédérées repliées dans la région de Loèche et de Viège faisaient face aux armées françaises "pendant deux mois les armées rest[èr]ent face à face dans une inaction totale"34. Le ton de cette lettre nous donne une idées des désagréments de cette guerre : pauvre alimentation, conditions sanitaires déplorables, inaction. Il déplorait en effet le fait que “nous ne faisons que monter et descendre”. Fait illustrant bien les difficultés de la recherche généalogique, nous avons retrouvé plus d’un Jacques Germain Berguerand originaires de la région dans les actes notariés. L’existence de ces personnes portant les mêmes noms et prénoms a souvent prêté à confusion. Ainsi, dans la généalogie produite par la cure de Vollèges, ils sont regroupés en une seule et même personne, mariée trois fois. Par leur filiation, leur fratrie et le nom de leur épouse, il nous a été possible de les différencier, comme le démontrent bien les extraits d’actes suivants établis entre 1815 à 1860: o Le 13 février 1815 Pierre Joseph et Jacques Germain Berguerand, fils de Charles achètent de Jacques Germain Berguerand, Marie Elizabeth-Ramuz Berguerand, Anne Marie Berguerand-Vollet, Pierre Olivier Berguerand et Jean Joseph Berguerand, tous les biens situés sur Chemin de Martigny, Chemin de Bovergny et Chemin de Vollèges provenant de l’héritage de leur mère.35 o Le 31 mars 1828, Jacques Germain Berguerand du Bourg de Martigny a vendu à Jacques Germain Berguerand de Chemin, rière de Vollège et Simon Arlittaz du Bourg, la grange qu’il avait acquise de l’hoirie de Guillaume Rouiller36.

34 Michel Salamin, p. 29-30 35Minutes du notaire Joseph Samuel Gross, acte du 13 février 1815. 36 Minutes du motaire Joseph Arnold Berguerand, acte du 31 mars 1828.

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o Le 28 février 1835, Récompense : Jacques Germain Berguerand du dit Bourg a déclaré avoir reçu de son épouse Marie Catherine Baud….37. o Le 9 décembre 1838, a comparu Marie Elizabeth Rouiller, veuve de feu Jacques Germain Berguerand, domiciliée au Bourg de Martigny accompagnée de ses enfants Jacques Germain Berguerand, Jean Joseph Berguerand et Pierre Rausis38… o Le 11 janvier 1860, Jacques Germain, fils de feu Jacques Germain originaire de Martigny-Bourg, domicilié à Sion, vend à Jacques Joseph Cretton, tout le premier étage de la maison paternelle située au Bourg de Martigny.39 Celui qui nous concerne, et qui figure en gras dans les actes ci-dessus, avait une sœur Marie Christine et un frère Pierre Joseph, il épousa Marie Catherine Claivaz en 1799. Ils eurent 6 filles. Deux d’entre elles sont demeurées à Chemin, Marie Rosine, notre ancêtre, et Marie Constance qui, à l’âge de 41 ans, épousa Jean Sébastien Abbet du Levron40. Le couple n’a pas eu de descendance et, à la veille de son décès survenu en 1893, Marie Constance vendit tous ses biens à Catherine Aubert-Cretton, la fille d’Élie Aubert41.

III Élie Aubert et sa famille Le mariage religieux d’Élie Aubert et de Marie Rosine Berguerand fut célébré le 21 janvier 1844 à l’église de Vollèges et le mariage civil, par contrat notarié, à Martigny le lendemain : L’an mil huit cent quarante quatre, le vingt deux janvier, au Bourg de Martigny, en mon étude, par devant moi Joseph Arnold Berguerand, notaire public soussigné, résidant au dit Bourg, et les témoins au bas nommés, ont comparu en personne Pierre Nicolas Aubert, fils de feu Pierre Nicolas, originaire de Chemin, rière la Commune de Vollège, son domicile fesant comme tuteur naturel de 37 Minutes du notaire Joseph Arnold Berguerand, acte du 28 février 1835. 38 Minutes du notaire Joseph Arnold Berguerand, acte du 9 décembre 1838. 39 Minutes du notaire Germain Ganioz, acte du 11 janvier 1860. 40 Minutes du notaire Antoine Tavernier, acte du 18 novembre 1851. 41 Minutes du notaire Alfred Tissières, acte du 14 février 1890.

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son fils mineur Joseph Élie Aubert, du même origine et domicile, partie d’une part; Et Jacques Germain Berguerand, fils de feu Charles, originaire du dit Chemin, rière Vollège, son domicile, fesant comme tuteur naturel de sa fille Marie Rosine Berguerand, de même origine et domicile partie d’autre part. Se portant tous deux forts et garants pour leurs enfants respectifs. Lesquels ont dit que les dits Joseph Élie Aubert et Marie Rosine Berguerand, leurs enfants, auraient reçu hier la bénédiction nuptiale en face de notre Sainte mère l’église, ainsi unis par les liens sacrés du mariage, les dits épox auraient, sous les auspices et autorisation de leur dit père respectif, arrêté et fait les conventions de mariage; ainsi que comparants font et arrêtent irrévocablement les conventions de mariage comme suit le dit comparent Aubert, au nom de son fils, pour lequel il se rend solidaire, promet à la dite Marie Rosine Berguerand pour laquelle son dit père acceptant l) la somme de cent et soixante écus petits, soit de trois cents et vingt francs suisses qui sera reversible aux enfants qui naîtront de ce mariage; mais il ne sera tenu de payer cette somme de bienvenue si l’épouse décédait avant d’avoir hérité de ses parents; 2) La moitié des acquis que les dits époux feront pendant leur mariage; bagues et joyaux, lit garni, coffre ferments et habits nuptiaux; Quand au mobilier, il appartient par moitié entre les époux. Si tous deux en ont hérité; mais il sera tout à l’un si l’autre n’en avait hérité, le mobilier dans ce dernier cas appartient tout a celui qui les aura hérités. Dont acte fait sous les promesses parentales requises de ratification et de renonciation à toutes clauses à ce contraires et aux comparants répondant (…) pour les époux d’ici absens en présence de Louis Darbellay, Teinturier et de Jacques Antoine Sarrasin menuisier et ébéniste, tous deux domiciliés au Bourg de Martigny, témoins qui ont signé la présente minute avec le dit Aubert et je notaire, mais non le dit Berguerand pour ne le savoir. En foi

Pierre Nicolas Aubert Louis Darbellay, teinturier Jacques Antoine Sarrasin Joseph Arnold Berguerand, Not Public.

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Les dit époux approuvent et ratifient les conventions de mariage cijointes comme s’ils avaient été présents à l’acte. Ce vingt huit janvier, mil huit cent quarante quatre. En foi, ils ont signé Joseph élie aubert marie rosine Berguerand 42 (J.A. Berguerand). Effet de l’évolution des mœurs ou en raison d’une cause qui nous est inconnue, ce contrat diffère fondamentalement de celui des parents de Joseph Élie. Ainsi que nous l’avons vu ci-dessus, lorsque Pierre Nicolas Aubert et Marie Marguerite Rouiller s’étaient unis, vingt cinq ans plus tôt, le mariage civil s’était tenu le même jour que le mariage religieux et il avait été l’occasion d’une grande fête. Or, après avoir tous deux été témoins au mariage religieux célébré à Vollèges, les deux pères se présentèrent le lendemain chez le notaire Berguerand pour la préparation d’un contrat de mariage civil en l’absence des mariés qui le contresignèrent une semaine plus tard. Quelle signification donner à cette initiative? Le ton et le contenu pourraient porter à penser que les pères n’avaient pas donné leur accord à cette union puisqu’ils déclarèrent que leurs enfants auraient reçu la bénédiction nuptiale. S’agissait-il d’un mariage arrangé entre les deux pères afin de protéger les intérêts financiers respectifs par un contrat de mariage en séparation de biens? Ou agissaient-ils tout simplement au nom de leurs enfants mineurs? Élie était effectivement mineur puisqu’il était âgé de 22 ans et que, selon le droit civil valaisan de l’époque, les garçons devenaient majeurs à l’âge de 23 ans accomplis soit “lorsqu’[étai]t écoulé le dernier jour de la 23e année”. Marie Rosine était âgée de 31 ans et, tout comme les célibataires et les veuves, elle était soumise à une curatelle perpétuelle car si “les lois étaient devenues plus permissives, le législateur ne laissa[i]t pas moins subsister à leur égard, la présomption d’incapacité en les pourvoyant d’un conseil judiciaire43. De l’union de Joseph Élie Aubert et de Marie Rosine Berguerand naquirent deux filles jumelles le 8 décembre 1844, Marie Marguerite et Catherine Marie, puis, en 1847, un fils Pierre Joseph Élie44. 42 Minutes du notaire Joseph Arnold Berguerand, acte du 22 janvier 1844. 43 Bernard Etienne Cropt, 4e livre, code de procédure civile, 1924, repris dans Théorie du code civil du Valais. Sion, Imprimerie de E. Laederer, 1858, Par. 107, Art. 231. 44 Registre des naissances et décès de la paroisse de Vollèges, Sion, Archives de l’Etat du Valais.

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À bien des égards, la famille de Joseph Élie Aubert est représentative des conditions de vie et des coutumes de cette époque. Que ce soit par l’âge au mariage: Marie-Rosine se maria à l’âge de 31 ans, mais aussi par le drame de la mortalité infantile qui frappa leur fils décédé à la naissance, ainsi que par les traditions religieuses et familiales. Les trois enfants portaient les noms soit de Joseph soit de Marie, les deux filles celui de leurs grands-mères qui étaient aussi leur marraine, Marie Catherine Claivaz et Marie Marguerite Rouiller, le garçon ceux de son père Joseph Élie, et de son grand père paternel : Pierre, son parrain. C’est là une tradition que l’on retrouve dans toutes les sociétés catholiques; elle date du Moyen Âge en France et s’est aussi répandue en Nouvelle-France. Il y a les prénoms donnés au baptême, les prénoms d’usage et ceux qui se retrouvent dans les actes notariés, les incontournables Marie et Joseph, ceux des parrains et marraines. De quoi perdre son latin.45

Catherine Marie et Marie Marguerite passèrent leur enfance à Chemin, elles sont citées dans une lettre datée de 1855 adressée par le conservateur des hypothèques de Martigny-Bourg, Emmanuel Cretton, à Anatole Porret, un membre de la bourgeoisie parisienne qui posséOn ne peut parler du village de Chemin sans évoquer les Porret qui passaient leurs étés à Chemin sur la route de Paris à la Côte d’Azur. Mme Porret, née Juliette Pernet avait la première fois séjourné à Chemin dans le quartier des Aubert au cours d’une fugue. Elle s’y était cachée avec son premier époux pour fuir la colère paternelle et c’est là qu’Anatole Porret, homme de confiance de M. Pernet, l’avait retrouvée. En 1853, ils firent construire un chalet d’été appelé La Pagode par les Cheminiards. De 1851 à 1853, nous avons retrouvé plusieurs actes d’achat de terrains par Maurice Robatel à des membres de la famille Aubert, terrains qu’il revendit à Anatole Porret en 1853 pour la construction de la maison et l’aménagement du parc environnant.

45 Geneviève Ribordy Les prénoms de nos ancêtres, Etude d’histoire sociale, Québec, Les cahiers du Septentrion, 1995.

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dait une maison à Chemin. “Marie et Catherine Aubert (quelles sont ces demoiselles?) vous adressent séparément leurs plus aimables salutations”46. Les événements tragiques ne manquèrent pas dans la famille d’Élie Aubert. Après la mort à la naissance de Pierre Joseph Élie et alors que les filles n’avaient que 7 ans, leur mère perdit prématurément la vie. Quatre ans plus tard, Élie Aubert épousa, en secondes noces, une cousine de sa première femme, Julie Mélanie Emérentienne Pellaud de neuf ans son aînée, fille de Marie Christine Berguerand et de Jean Baptiste Pellaud : En présence des témoins ci-après nommés et signés ont comparu Joseph Élie Aubert, fils d’Honnête pierre Nicolas Aubert, propriétaire originaire de Chemin de Vollèges y domicilié, époux d’une part, et Julie Mélanie Pellod, fille à feu Jean Baptiste Pellod, d’origine et de domicile à dit Chemin, épouse d’autre part. Lesquels s’étant unis aujourd’hui par les liens sacrés du mariage par le ministère de monsieur le curé de Vollèges. Lesquels ont arrêté les clauses et conditions civiles de leur mariage comme suit : Le dit époux voulant donner à son épouse des marques de son amitié et de son amour conjugale, lui donne ce titre de donation cause de noces et somme de bienvenue, la somme de quatre vingt six et nonante six centimes. et faisant par réduction soixante livres dues qu’après la mort de l’épouse. La rend participante à la moitié des acquis qu’ils feront durant leur mariage. Les meubles seront confondus, et leur appartiendront pas moitié. Au moyen de quoi les parties se déclarent satisfaites et déclarent en tout point respecter le présent contrat. Dont acte fait et passé à Vollèges au domicile de feu Benoît Arletax et lu aux époux. En présence des témoins. Lesquelles parties et témoins signent avec le notaire à l’exception de l’épouse qui déclare ne savoir écrire47.

46 Lettre du 13 décembre. Fonds d’archives privé, Pascal Tissières, Martigny.

47 Minutes du notaire Antoine Sauthier, acte du 19 mars 1855.

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Hormis quelques actes d’achat de propriétés conclus par Jean Baptiste Pellaud entre 1811 et 183448, nous n’avons retrouvé que peu d’informations sur la famille de Julie Mélanie Emérentienne. Marie Christine Berguerand, sa mère, était la sœur aînée de Jacques Germain Berguerand. Elle avait épousé Jean Baptiste Pellaud en 1789 et hérité du tiers de la Vieille Maison en 1797. Ils y demeurèrent toute leur vie. Jean Baptiste décéda en 1836 et Marie Christine lui survécut durant 5 ans. Après le décès de Jean Baptiste Pellaud, Jacques Germain Berguerand fut nommé curateur de ses nièces dans les affaires de succession de leur père49. A la mort de sa mère, Julie Mélanie Emérentienne hérita de la Vieille Maison. Cette union n’eût aucune descendance probablement parce que Julie Mélanie Emérentienne, âgée de 42 ans, avait passé l’âge d’enfanter. Elle s’occupait donc du foyer et des deux filles de son mari. L’une d’elles, Marie Marguerite, décéda prématurément le 7 juillet 1862 à l’âge de 17 ans. Selon certaines rumeurs, elle se serait retrouvée enceinte au grand scandale de sa famille. À cette époque être mère célibataire signifiait le rejet car “le plus léger écart, la plus élémentaire violation de la morale admise comport[ai]t une sorte de flétrissure, le père se rend[ai]t bien compte des embarras d’un scandale” 50. Elle ne serait pas morte en couches; la famille aurait simulé son décès tandis qu’elle aurait été placée dans un couvent de Sion afin que les religieuses s’occupent de son enfant. L’orphelinat des filles de Maragnenaz venait d’ouvrir ses portes en 1857. Il fut repris en 1884 par les Ursulines de Brigue51. Selon les documents de la paroisse de Vollèges cependant, Marie Marguerite serait décédée à Chemin et aurait été enterrée à Vollèges entourée de sa famille et de membres de la Confrérie du Très Saint Rosaire. On ne sait pas ce qu’il est advenu d’elle. Sa fille aurait vécu à Sion toute sa vie, elle ne se serait jamais mariée et serait décédée vers 1950 laissant un héritage de près de 5000 francs recueillis par un

48 Minutes des notaires Etienne J. Claivaz et Joseph-A. Berguerand. 49 Minutes du notaire Joseph-A. Berguerand, Actes du 18 avril 1837, 28 mai 1838, 11 février 1839. 50 Louis Courthion, p. 80. 51 Chronique de Malakof, p. 217.

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membre de la famille 52. Bien que beaucoup de rumeurs circulent encore dans la famille à son sujet, rien n’a encore pu être trouvé sur cette lointaine grand-tante. Registre de la paroisse de Vollèges: Chemin Anno millesimo octingentesimo sexagesimo secundo, die septima julii, summo matine (?),rite munita Ecclesiae sacramentis, in domino defuncta est Maria Margarita filia Josephi Eliae Aubert et Mariae Rosinae Berguerand è loco Chemin conjungum Vollegiensis parochia ,annos septem decim, menses quatuor et dies viginti novem nata, die vero octava ejusdem mensis dicti more ecclesiastico in parochiali coemeterio Vollegii sepulta fuit praesentibus consanguineis et sororobus sodalitatis Ssmi rosarii, qurum fidemJ.B. Hetzelet c.r. parochus Volegii.

Catherine, la fille survivante, passait ses étés à Chemin et le reste de l’année à Martigny où son père possédait une maison, et où il exerçait le métier d’agriculteur. Selon toute vraisemblance, Catherine appartenait à l’élite de Martigny. La calligraphie de sa transcription du carnet de créances de son père, dont nous reparlerons plus loin, atteste d’une bonne éducation qui ne correspond nullement au niveau d’instruction des femmes de son époque alors que le système d’éducation était des plus lacunaires et qu’il était réservé à l’élite. Peu nombreuses étaient les femmes de cette époque capables de signer leur nom dans les actes notariés que nous avons récoltés. Le 30 avril 1868, à l’âge de 24 ans, Catherine épousa Maurice Etienne Cretton de Martigny-Combe53. De cette union naquirent quatre enfants: Antoine, Maurice, Marie et Alexis. Le mariage de Catherine rompait résolument avec les traditions familiales aussi bien des Aubert que des Berguerand qui, afin de protéger leurs avoirs contre les agissements éventuels du futur conjoint, avaient coutume d’établir, devant notaire, les contrats de mariage en séparation de biens. Or, en dépit de recherches intensives, nous n’avons pu en trouver aucun qui soit relatif à cette union. Tout 52 Tradition orale, entretiens avec des membres de la famille. 53 Registre paroissial de Martigny, mariages, Sion Archives de l’Etat du Valais.

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semble également indiquer que les familles n’aient pas participé au mariage ou n’y aient donné leur accord car, contrairement à la tradition, aucun des deux pères n’a servi de témoin : Le 30 avril 1838 : mariage de Cretton Maurice Stéphane, fils de Jean Joseph et de Pittet Rosalie à Fontaine, et d’Aubert Catherine, fille de Joseph Élie Aubert et de Marie Rosine Berguerand de Chemin. Témoins : Rouiller Jean Joseph et Dorsaz Pierre Dominique. De fait, cette union ne semble pas avoir été agréée par Élie Aubert qui, sept ans plus tard, le 10 février 1875, fit établir un testament priant sa deuxième épouse, Julie Mélanie Emérentienne Pellaud, de faire de même. Ce document visait à déshériter sa fille au bénéfice de ses enfants nés et à naître. Par devant moi Joseph Couchepin notaire, résidant à Martigny Bourg en en présence des témoins Emile Guex et Xavier Tornay domiciliés au dit lieu et à requis. Comparait Élie Aubert, fils de Pierre Nicolas, propriétaire, domicilié à Chemin de Vollèges, résidant actuellement à Martigny Bourg lequel, jouissant de toutes ses facultés intellectuelles ainsi qu’il est apparu à nous notaire et témoins, nous a fait et dicté son testament comme suit : ¾ Ayant à craindre que les enfans de ma fille Marie Catherine conçus et à naître de son mariage avec Maurice Etienne Cretton, ne soient, à cause de la prodigalité de leur père et respectivement de leur mère, privés de tout ou partie de la légitime qui lui revient, déclare exhéréder sa dite fille en faveur de ses dits enfans tant pour la part légitime que pour la part disponible de la succession qu’il délaissera, soit que les biens proviennent de son patrimoine que des acquits, la jouissance demeurant réservée en faveur de ma fille. ¾ je donne et lègue à ma femme Julie Emérentienne Pellaud, dans le cas qu’elle me survive, une rente viagère d’un franc par jour à payer par mes héritiers chaque mois d’avance; et cela à condition qu’elle renonce à l’usufruit que la loi lui accorde sur les bien que je délaisserai après mon décès. ¾ Je donne et lègue encore à ma dite femme la moitié des denrées qui se trouveront après mon décès.

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Dont acte est fait et passé en mon étude à Martigny Bourg et lu au testateur qui l’a ratifié, article par article, en présence des susdits témoins qui l’ont vu et entendu pendant toute la durée du présent acte lequel a été clos à deux heures du soir. Cette rente viagère sera constituée sur les revenus des intérêts de mes créances et du produit de la montagne de Bovine, qui sont spécialement affectés au paiement régulier de cette rente.54 Le contenu du testament de son épouse allait dans le même sens mais ne faisait aucunement mention du préambule relatif à la “prodigalité” de Catherine et de Maurice Cretton. Elle léguait aux petits-enfants de son mari la totalité des acquis réalisés durant son union avec Élie Aubert. Le texte de ces testaments est très représentatif du style des notaires de l’Ecole de Sion, et les références au code civil sont évidentes, par exemple, “suite à la prodigalité … ses enfants ne soient privés de tout ou partie de la légitime qui leur revient “55. Après dix ans de vie commune, le mariage prit fin. Le 13 février 1878, la Chambre pupillaire de Vollèges prononçait l’interdiction de Maurice Cretton pour cause de prodigalité. Son frère, le conseiller Jos. Antoine Cretton de Martigny-Combe en fut nommé curateur et Laurent Aubert de Martigny-Ville, subrogé curateur56. Par décision du 8 juin 1878, le Tribunal de Martigny prononça le divorce: Canton du Valais Le Tribunal du 4e arrondissement au civil, l composé de MM. Les notaires Fidèle Joris d’Orsières, qui le préside, Charles-Louis de Bons, de St. Maurice, Juge, et Joseph Copt de Saillon, 2e suppléant, remplaçant M. le juge instructeur et le 1er suppléant empêché assisté du greffier ad hoc, M. le notaire Hilaire Gay de Martigny Bourg et servi par l’huissier Auguste Biolat,

54 Minutes du notaire Joseph Couchepin, acte du 10 février 1875. 55 Bernard-Etienne Cropt, Art. 6l5. 56 Tel qu’indiqué dans le jugement de divorce du 7 juin 1878.

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siégeant à l’Hôtel de Ville, à Martigny-Ville, le sept juin dix huit cent soixante dix huit, a porté le jugement contumaciel suivant: Entre M. l’avocat Benjamin Gross, domicilié à Martigny Bourg, mandataire de Catherine Aubert, fille de vivant Élie Aubert, qui l’autorise, domiciliée à Chemin de Vollèges, partie initiante Et Maurice Cretton, fils de Jean, de ce dernier domicile, défendeur, Faits Catherine Aubert dûment autorisée par son père, et par la chambre pupillaire de Vollèges, a assigné son mari Maurice Cretton à paraître par devant ce tribunal en séance du l6 février 1878 pour consentir pendant la durée du procès en séparation qu’elle lui intentait, aux mesures provisoires nécessitées par cette demande. Le mari Cretton n’ayant pas paru, contumace fut prise contre lui, et le tribunal rendit son ordonance, contumace et ordonnance notifiées à Cretton le 23 février 1878; Par mémoire du 6 février 1878, Catherine Aubert intenta contre son mari l’action en divorce pour cause d’adultère, de sévices, injures et menaces graves, demandant à être chargée de l’entretien et de l’éducation de ses enfants, la jouissance et l’administration des bien présents et futurs et la perte pour son mari de tous les avantages que la loi et les contrats pouvaient lui assurer, en interpellant son mari sur tous les points allégués. Par mémoire du 26 février, elle sollicita la tenue probatoire pour établir les motifs sur lesquels elle fonde sa demande et en séance du 5 avril suivant elle fit entendre quatre témoins. Cretton n’ayant fait aucun acte de procédure ni contesté la contumace qu’il avait encourue devant le tribunal, Catherine Aubert demande jugement contumaciel. Sur quoi le Tribunal Vu les pièces et la contumace encourue par le défendeur devant le tribunal et dûment produites, il ressort que Maurice Cretton s’est rendu coupable d’adultère, deux mois environ avant la demande en séparation: Vu l’article 46 litt. N. de la loi fédérale sur l’état civil et l’article 49 Vu les articles 106, 1008 et 111 du code civil. Juge et prononce contumaciellement i. le divorce relativement à ses effets civils est admis entre Catherine Aubert et son mari Maurice Cretton;

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ii. Catherine Aubert reprend l’administration et la jouissance de ses biens présents et futurs et reste chargée de l’entretien et de l’éducation des enfants nés du mariage; iii. Maurice Cretton est privé des avantages que la loi et les contraintes lui assuraient sur la personne et les biens de Catherine Aubert; iv. Les autres effets du divorce sont réglés par la loi ; v. Il est de plus condamné aux frais de la procédure et du jugement. Ainsi jugé à Martigny-Ville le 7 juin 1878 Le greffier adhoc Hilaire Gay, notaire Le président du tribunal Fid. Joris Frais de Fr. 54.30 payés par Élie Aubert.

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Il est intéressant de noter que si Maurice Cretton avait été condamné à payer les frais de la procédure et de jugement, c’est Élie Aubert qui en acquitta les coûts. Ce jugement fut ensuite publié dans le Bulletin Officiel du 30 septembre 1878 sous la forme suivante : Président du Tribunal Mme Catherine Aubert, Vollèges, fille d’Élie, dûment autorisée, a obtenu la séparation de biens au préjudice de son mari Cretton Maurice, domicilié dans cette commune, fils de Jean, obtenu selon jugement contumaciel le 7 juil 1878 et notifié le 15 juillet de la même année. Fidel Joris, Prés.58. Il faut noter la différence qui existe dans les termes définissant cette séparation entre le jugement du Tribunal et la publication dans le Bulletin officiel. Le jugement du tribunal de Martigny mentionne clairement qu’il s’agit d’un divorce, alors que le Bulletin officiel s’en tient à l’article du droit civil, selon lequel il s’agit seulement de séparation de biens. Cropt, Par. 101. 57 Jugement du Tribunal de Martigny du 7 juin 1878. Sembrancher, Archives du Tribunal d'Entremont. 58 Bulletin Officiel du Canton du Valais, 30 septembre 1878.

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Ces quelques années de mariage ont laissé une inscription. CO et MC, sur le fourneau de pierre ollaire qui se trouve dans une section de la Vieille Maison appartenant aujourd’hui à Joseph Cretton. Il semble que le graveur n’ait pas eu une bonne connaissance de l’orthographe, utilisant l’initiale O. pour Aubert même si l’initiale O pour Aubert se retrouve aussi dans la plupart des listes de recensement du XIXe siècle.

À l’âge de 34 ans Catherine se retrouva seule avec quatre enfants dont l’aîné, Antoine, était âgé de 9 ans et le plus jeune, Alexis, un bébé. Ils vivaient vraisemblablement l’hiver à Martigny où ils poursuivaient leur scolarité et passaient l’été à Chemin, aidant aux travaux des champs que possédaient leur mère et leur grand-père. Dès ce moment, le père et la fille commencèrent à partager la gestion des biens. Comme le prescrivait la loi, Élie Aubert agissait en qualité de conseiller judiciaire dans les actes notariés conclus par sa fille, et même, dans certaines de ces transactions, il signa au nom de sa fille59. Ainsi que le témoignent tous ces actes, il est intéressant de constater la

59 Acte de vente à Juliette Porret Bureau d’enregistrement de Martigny du 7 août 1892, visa No 528. Jugement de divorce prononcé par le Tribunal de Martigny. Notaire Joseph Couchepin, acte du 26 mai l870. Minutes du notaire Alfred Tissières, acte du 14 février 1890.

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mainmise du père sur les affaires de sa fille, et cela même avant le prononcé du divorce : ¾ Acte du 26 mai l870 “ Joseph Élie Aubert agissant au nom de sa fille Catherine Aubert, femme d’Etienne Maurice Cretton desquels il se porte garant, vend, cède et remet avec garantie légale, une propriété consistant en pré…” ¾ Dans le jugement de divorce prononcé par le Tribunal de Martigny 1878: Catherine Aubert, “dûment autorisée par son père et par la chambre pupillaire a assigné son mari…” ¾ Acte du 14 février 1890: Vente de Constance Berguerand à Aubert Catherine,” fille d’Élie Aubert (…) acceptant et au besoin autorisée et accompagnée de son père, Élie Aubert, son conseiller judiciaire, tous deux présents…” ¾ Acte du 22 janvier 1892, vente à Juliette Porret, née Pernet, d’un terrain pour la construction du four banal “le prénommé Aubert agit aux présentes au nom de sa fille Catherine, pour laquelle il se porte fort et garant”. Enfin, dans la famille élargie, un certain nombre d’autres actes notariés témoignent d’affaires familiales se rapportant à des partages, des successions et des conventions familiales. Par exemple, après le décès de Pierre Nicolas Aubert, une convention entre Joseph Élie Aubert et ses frères et sœurs relate la prise en charge de leur sœur infirme, Marie Faustine, pour répondre aux dernières volontés de leur père60. En 1857, il fut nommé subrogé curateur de sa belle-mère Marie Catherine Claivaz, après le décès de Jacques Germain Berguerand61. Les fonctions de subrogé curateur consistaient à défendre les intérêts du mineur lorsqu’ils se trouvaient en opposition avec ceux du curateur.

60 Minutes du notaire Antoine Sauthier, acte du 8 mars 1856. 61 Minutes du notaire Germain Ganioz, acte du 24 mai 1857.

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Ses activités économiques L’analyse des actes notariés démontre hors de tout doute qu’Élie Aubert s’inscrivait dans la ligne des traditions familiales. Il suffit pour s’en convaincre de jeter un coup d’œil aux affaires de Pierre Nicolas Aubert et celles de Jacques Germain Berguerand. Les transactions conclues par Pierre Nicolas Aubert, son père, traduisaient un souci de conserver le patrimoine familial par l’achat de propriétés entre parents, frères sœurs ou cousins et par la transmission de la succession des aînés. Une cinquantaine d’actes ont été retrouvés entre 1819 et 1856, dont quelques papiers privés. Les trois quarts portent sur des transactions mobilières et immobilières, des obligations, les autres concernent des conventions familiales, partages et gestion de la chapelle. Il ne consentait que difficilement à se défaire de ses propriétés comme en font foi les deux extraits suivants. Dans une lettre datée du 27 février 1855, Emmanuel Cretton adressait le message suivant à Anatole Porret : J’ai envoyé un émissaire à Chemin et il est revenu avec PierreNicolas Aubert, de sorte que c’est sous sa dictée, au bureau des hypothèques que je vous écris. D’abord, il n’a pas besoin d’argent en ce moment, ne sachant pas où le placer, ce sera assez tôt à votre arrivée en juin. Si c’était possible, il voudrait bien résilier le marché qu’il a conclu avec vous. Sa femme le tracasse et dit ne vouloir pas consentir à la vente de cet immeuble qui est sa propriété particulière62. La transaction semble néanmoins avoir été effectuée puisqu’en juin de la même année, il vendit à Anatole Porret un terrain de 1450 toises situé au Clos de Sabe pour la somme de 1665.50 francs, à condition que ce dernier : s’engage pour lui et ses héritiers tant qu’il sera propriétaire de l’immeuble à conserver le vendeur pour fermier ou, à défaut, ses enfants qu’il lui plaira de désigner. Il s’interdit aussi d’échanger la dite propriété sans le consentement d’Aubert et de ses enfants. Il est enfin entendu que les enfants de M. Aubert se réservent les 62 Archives d’Anatole Porret, Fonds privé Pascal Tissières, Martigny.

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mêmes droits que ce dernier en ce qui concerne la vente et le fermage63. Les actes et documents laissés par Jacques Germain Berguerand démontrent une activité économique importante. Nous avons retrouvé 110 actes notariés le concernant et plusieurs papiers privés. Voilà qui était étonnant de la part d’un individu qui, dans plusieurs de ces actes, déclarait ne pas savoir signer. Environ la moitié de ces documents se rapportaient à des activités de prêts en son nom et parfois en celui de ses filles. Les autres concernaient un vaste éventail d’activités: achat de terrains, de vignes, de fonds de vache et d’immeubles; affaires familiales, contrats de mariage de ses filles, succession et conflits s’y rapportant. Il fut également fortement impliqué dans les affaires du village et de la paroisse, il agissait souvent à titre de curateur et de reconseiller. Tout comme Pierre Nicolas Aubert, il achetait beaucoup et vendait très peu. Parmi les 110 actes notariés, nous n’avons retrouvé que deux ventes. L’une concernait une propriété située aux Jeurs et l’autre une vigne à Champortay. Au vu de ce qui précède, il est loisible d’affirmer qu’Élie Aubert avait été à bonne école : les actes notariés retrouvés le concernant sont au nombre de 85 et s’échelonnent entre 1852 à 1895. Ils font l’objet de quatre types de transactions: les prêts, les ventes et achats immobiliers, les fonds de vache, les activités civiques et communautaires.

I . Les prêts Puisqu’il était marié sous le régime de la séparation de biens, au décès de sa première épouse survenu en 1851, Élie Aubert reçut en usufruit la moitié des biens de son épouse, l’autre moitié revenant à ses enfants64. Après le décès de son père et de celui de Marie Rosine Berguerand tous deux survenus au milieu des années 185065, il fit d’autres héritages, ce qui lui permit de se lancer dans les activités de prêt. En effet, dès le décès de Jacques Germain Berguerand, se 63 Minutes du notaire Adolphe Morand, acte du 19 juin 1855. 64 Bernard-Etienne Cropt, Art. 388. 65 Pierre Nicolas Aubert décéda en 1856 et Jacques Germain Berguerand en 1855.

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retrouvent un certain nombre de créances gérées au nom de ses filles et parfois en sa qualité d’héritier de Jacques Germain Berguerand66. De Pierre Nicolas Aubert, il hérita surtout des propriétés et des fonds de vache. Ces biens étaient très conséquents si l’on se fie à un acte de vente dans lequel son frère Joseph Nicolas vendait sa part d’héritage : prés, champs, vaccoz, jardin, partie de bâtiments67. Trentre trois prêts s’échelonnèrent entre 1852 et 1888. Le plus grand nombre d’entre eux se situa entre 1859 et 1873, à raison de dix à dixhuit par année. Le montant total d’argent prêté fluctuait entre 2000 et 4300 francs. À partir de 1875, le nombre de prêts devant notaire diminua et, à de rares exceptions, leur nombre se situa au-dessous de cinq. À partir de cette date, il semble avoir plutôt eu recours au carnet de créances. Si la valeur moyenne des prêts devant notaire était d’environ 500 francs, ces derniers pouvaient aller de 100 francs à plus de 1000 francs; leur durée s’étendait de un à dix ans au taux d’intérêt légal de 5%. Ces créances étaient garanties par hypothèque ou/et, suivant les cas, par cautionnement. Contrairement au carnet de créances dont nous parlerons plus loin, l’acte notarié rendait publique l’existence d’un prêt. Il se peut qu’Élie Aubert ait eu recours à cette pratique lorsqu’il faisait face à un mauvais payeur.

II. Les transactions immobilières Contrairement à ses prédécesseurs qui avaient coutume d’accumuler les biens, Élie Aubert se montra plus sélectif dans ses transactions immobilières, achetant ou vendant ce qui lui permettait de rationaliser ses propriétés. Les transactions immobilières retrouvées comprennent onze actes d’achat, quatorze actes de ventes et deux échanges de propriétés. Ces transactions portaient sur des terrains, vignes, immeubles, fonds de laiterie et fonds d’alpage sur lesquels nous reviendrons. Elles ne concernaient qu’exceptionnellement des propriétés sises à Chemin. On peut penser que, vivant la majorité de l’année à Martigny où il était plus facile de pratiquer l’élevage et où les 66 Par exemple : Acte de l'avocat Antoine Sauthier du 18 juin 1855; acte de l'avocat Joseph Couchepin du 21 juin 1858; acte de l'avocat Germain Ganioz du 14 novembre 1859; acte de l'avocat Daniel Terrettaz, du 14 novembre 1859. 67 Minutes du notaire Valentin Morand, acte du 18 juillet 1858.

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terres étaient plus abondantes et de meilleure qualité, il concentra ses achats dans cette région. Il se peut également qu’il devenait difficile de se procurer des propriétés à Chemin, les biens se transmettant par héritage familial. De fait, l’agrandissement du patrimoine situé à Chemin se fit par une succession d’achats très importants à certains membres de la famille. Ces achats, conclus au nom de Catherine mais dans lequel Élie Aubert joua le rôle de bailleur de fonds et de conseiller juridique, concernaient principalement des terrains situés à Chemin. Ainsi, le 25 février 1890 quelques mois avant son décès, Julie Emérentienne Pellaud, sa deuxième femme, établit un deuxième testament en présence de l’avocat Alfred Tissières: Julie Emérencienne Pellaud fille de feu Jean Baptiste Pellaud, femme d’Aubert Élie, domiciliée à Chemin de Vollèges, laquelle trouvée en sa résidence à Martigny-Bourg, soit dans la maison de son mari, couchée sur kanapé et malade de corps mais saine d’esprit (…) ¾ donne et lègue aux enfants, aux quatre enfants de Catherine Aubert, fille de mon mari, la moitié d’une maison située à Chemin (…) la moitié d’une grange et écurie avec place attigüe et place à fumacière sis à Chemin. En spécifiant l’amitié et l’attachement qu’elle avait pour eux, elle leur légua également ¾ un pré et jardin au lieu dit Maison Neuve contenant 250 toises"68. Il semble que ce testament ait été une manœuvre visant à détourner l’attention des héritiers des “vraies affaires” car, le même jour, elle vendit « à Catherine Aubert, fille d’Élie Aubert acceptante », pour la somme de 3100 francs payable en 10 ans à 5% d’intérêts, vingt-quatre propriétés consistant en champs, prés, rappes, botzats, luzernières, vaques tous situés sur le territoire de Chemin ainsi que trois vignes

68 Minutes du notaire Alfred Tissières, acte du 25 février 1890, testament.

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situées au Comtalles [Martigny-Combe] Gérardines [Martigny-Bourg]69.

à

Champortay

et

aux

De toute évidence, ces transactions n’allèrent pas sans indisposer les descendants de ses quatre soeurs qui, après le décès de Julie Emérentienne survenu sans descendance le ler octobre 1890, exigèrent la réserve, ainsi qu’en fait foi l’acte du 2 février 1891. " Comparaissent les héritiers de Marie Julie Pellaud femme d’Élie Aubert (…), soit (…), Lesquels au nom qu’ils font vendent et remettent avec garantie légale à Élie Aubert, fils de Pierre Nicolas, agriculteur domicilié à Chemin sur Vollèges, présent requérant la succession de susdite Marie Julie Pellaud. Cette vente est consentie pour le prix de douze cents francs par tronc. Cette valeur est exigible sous le terme de dix ans, dès le premier octobre dernier, sans intérêt, l’acquéreur ayant la jouissance des avoirs de cette succession comme conjoint survivant. Toutefois, en cas de décès de l’acquéreur, le prix de vente deviendra éligible immédiatement. (fr. 4800.--) Pour garantie de paiement, de cette valeur, l’acquéreur affecte une hypothèque : ¾ un pré situé à la Délèze sur Martigny Ville, provenant en partie de Germain Vincent et en partie de Germain Berguerand, contenant 700 toises, soit deux mille six cent soixante mètres. ¾ dix fonds de vache à la montagne de Bovine sur MartignyCombe, ces fonds proviennent la moitié de son père et la moitié par achat du notaire Antoine Cretton de la Croix. ¾ Un pré sis aux Morasses sur Martigny-Ville provenant d’Amédée Guerraz, contenant 400 toises70. Un contrat de mariage en séparation de biens devient ainsi objet de conflit à l’ouverture de testament et de partage car la légitime, ou réserve, pouvait être exigée par les ascendants et descendants collatéraux jusqu’au 4e degré.71 69 Minutes du notaire Alfred Tissières, acte du 25 février 1890, vente. 70 Minutes du notaire Pierre Gillioz du 2 février 1891. 71 Bernard-Etienne Cropt. Par. 286-287.

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De fait, dans le carnet de créances d’Élie Aubert, il est fait mention de deux prêts consentis à Joséphine Gay-Balmaz de Vernayaz et à Maurice Gay-Balmaz de Vernayaz, neveux de Julie Emérentienne Pellaud, pour un montant total de 405 francs qui, le 2 mars 1892, et le 13 mars 1893, ont été « mis à compte pour leur part d’héritage de grand’mère, leur tante”72 PROPRIÉTÉS D’ÉLIE AUBERT À CHEMIN A LA FIN DU XIXe SIÈCLE

Le 14 février 1890, Catherine, accompagnée de son père et conseiller judiciaire, Élie Aubert, avait acheté de sa tante Constance Berguerand et de son mari Jean Sébastien Abbet quarante quatre propriétés foncières situées à Chemin, Bovernier et Martigny-Bourg ainsi que deux bâtiments sis à Chemin, pour la somme de six mille francs en bloc “exigibles dans le terme de 10 ans et passible de l’intérêt légal à partir du 11 novembre prochain (…) L’acquéreuse se réserv[ait] la faculté de payer le montant par fractions de deux mille francs dans le terme sus indiqué“73. Cet achat semble 72 Créances No 23 et 41. 73 Minutes du notaire Alfred Tissières, actes du 14 février 1890.

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avoir provoqué la même réaction que la succession de Julie Emérentienne Pellaud chez les héritiers de Constance Berguerand car une dette du carnet de créances au nom de Marianne Fellay a été consacrée au “règlement de la succession de tante Constance”74 . Marianne Fellay-Berguerand de Lourtier était la sœur de Marie Rosine et de Constance Berguerand décédée le 22 octobre 1893. Si l’on se réfère à ces transactions, tout semble indiquer que Catherine vivait auprès de son père et de sa belle-mère et qu’elle partageait la gestion des biens. C’est en tout cas ce qui était mentionné dans la convention de partage de 1897 sur lequel nous reviendrons : leurs biens étant confondus75. Si le village de Chemin n’était pas riche, Élie Aubert, sa fille Catherine et les enfants de cette dernière en étaient les grands propriétaires terriens. Beaucoup de terrains de Sousfrète, Surfrète, les Berguerand, les Rots, Chemin-Dessus, Chez Larzes leur appartenaient autant dire la plus grande partie du Mont Chemin.

III. Les fonds de vache Le terme fonds de vache revient souvent dans les actes notariés tout comme dans le carnet de créances d’Élie Aubert sous la forme d’achat, de vente, de garantie, de revenus, de rente et de reprise pour dette. Étant éleveur, Élie Aubert possédait un grand nombre de fonds de vache. Plusieurs termes sont employés pour désigner les fonds de vache : fond d’alpage, droit d’herbage, droit d’alpage, droit de fonds, fonds de meuble; ils désignent la place qu’une vache occupe dans l’écurie d’un alpage. Pour différentes raisons, les fonds de vache représentaient un avoir précieux pour le paysan. Même si elles ne possédaient souvent qu’une ou deux vaches, les familles valaisannes devaient absolument leur faire passer l’été dans les pâturages de haute altitude, afin de pouvoir récolter et conserver foins et regains qui constitueraient le fourrage des vaches pour l’hiver à venir. Mettre les vaches à l’alpage durant l’été leur permettait aussi de se procurer fromage, beurre et sérac au moment de la désalpe. La 74 Créance, No 55. 75 Minutes du notaire Alfred Tissières, acte du 25 février 1890.

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majorité du temps, le paysan vendait une partie du fromage, un peu de sérac et le beurre frais. Le beurre rance était fondu et servait de graisse de cuisson. La propriété des fonds de vache se faisait par héritage et par achat. Leur possession était d’autant plus importante que le nombre de places dans les alpages était toujours limité. Courthion rapporte que, bien souvent, à la suite des partages de succession, l’émiettement était tel qu’un particulier pouvait posséder une fraction de droit de vache dans plusieurs alpages76. Quelques porcs, appartenant aux consorts, y étaient engraissés avec le petit-lait, résidu de la production fromagère souvent accompagné d’orties, de chardons et de lapis. On comptait généralement un porc pour cinq vaches. Les veaux, les modzons et les génissons passaient aussi l’été à la montagne, toutefois dans des alpages où la qualité de l’herbe et les conditions de vie étaient de moindre qualité. Les alpages étaient placés entre les mains d’un consortage et les droits d’herbage ne revenaient qu’à ceux qui possédaient des fonds de vache. Un comité de gestion composé du recteur (le président) et de deux reconseillers (les procureurs) devait veiller à la bonne marche de l’alpage, embaucher le personnel et recevoir la consigne du bétail 77. Courthion rapporte que “l’administration générale de chacun des alpages était absolument routinière. Le plus aisé ou le plus autoritaire des consorts tenait les comptes, et parfois s’arrogeait pour la vie cette place d’honneur”78. Les consorts se réunissaient au printemps pour la consigne du bétail et pour décider des travaux à effectuer à l’alpage. Outre le financement du salaire du personnel, ils participaient aux corvées qui consistaient en la réparation de l’étable et des chemins, au nettoyage des prés, à la coupe et au transport du bois, du fromage, du beurre et du sérac, à l’approvisionnement du lard, de la viande et du tabac du dimanche. Le transport se faisait à dos d’homme lorsqu’il n’était pas possible d’utiliser les luges79. Les consorts devaient aussi accomplir un jour de 76 Louis Courthion, p. 60. 77 Arlette Perrenoud, Parole de Bergers, Alpages et Mayens du Val de Bagnes, Genève, Editions, pass; présent, 1992. 78 Arlette Perrenoud, p. 61. 79 Entretien du 20 avril 2006 avec Francis Pierroz du Borgeaud sur le fonctionnement de l’alpage de Bovine; Arlette Perrenoud.

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corvée par année, mais ils pouvaient payer un ouvrier pour les remplacer. Note dans le carnet de créance Lovay me redoit 20 francs pour un jour de corvée à Bovine Créance No 76, Note du 7 mars 1892

Il fallait au moins sept personnes pour faire fonctionner l’alpage : un fromager, un séraquier, un préposé à la cave, des bergers et des petits bergers. Les vaches étaient traites matin et soir. Une traite était refroidie, écrémée et mélangée à la suivante pour la fabrication du fromage 3/4 gras. La crème était battue en beurre. Les travailleurs étaient rémunérés et nommés par le consortage. Un petit berger, par exemple, recevait en moyenne 100 fr. à la fin de la saison80. Le prix des fonds de vache varia relativement peu tout au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle. Entre les années 1850-1860, le prix d’un fonds aux Prélayes se montait à 280 fr. alors qu’il était de 440 fr. à Bovine. C’est la valeur qu’il avait encore au cours des années 1890 81. Achat de deux droits d’alpage à la montagne de Bovine ayant place à la “sottaz" du fond”. Cette vente est faite pour le prix de sept cent francs montant payé présentement au vu de nous notaire. Notaire Alfred Tissières, acte du 6 avril 1887.

Au début du XIXe siècle, les Cheminiards possédaient de nombreux fonds aux Prélayes, considéré comme leur alpage82. Ainsi que nous l’avons retrouvé dans plusieurs actes, les ancêtres d’Élie Aubert avaient aussi des fonds à l’Arpille et aux Herbagères. Sa famille avait accès à l’alpage des Petoudes pour y faire paître veaux, modzons et génissons durant l’été.

80 Entretien avec Francis Pierroz. 81 Acte du 27 septembre 1857, du 28 octobre 1857 et du 27 décembre 1858, Notaire Joseph Couchepin; Acte du 14 février 1869 et du 14 mars 1874, notaire Adolphe Morand. 82 Entretien du 15 avril 2006 avec Léonce Pellaud de Chemin sur les propriétés foncières et les alpages des habitants de Chemin.

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¾ Pierre Nicolas Aubert : achat le 25 mars 1822 d’un fonds aux Prélayes; le 22 février 1847 d’un fond à l’Herpille; en 1854, 3 fonds aux Prélayes. ¾ Jacques Germain Berguerand : en 1801 achat de fonds de vache (papier privé); en 1831, d’un fond aux Prélayes .

Selon Louis Moret-Rausis, les alpages du Crêt et du Plan du Jeu, tous deux situés sur la commune de Bourg-St-Pierre auraient été acquis, en 1892, par le consortage de Chemin83. l’alpage du Crêt fut acquis de Jean Jérôme Balley et celui du Plan du Jeu de Louis Joseph Genoud par sa femme Anne Marie Max. Selon Tissières, ce serait Madame Porret qui les aurait offerts au consortage de Chemin. Élie Aubert n’y participa jamais, ayant des fonds de vache plus attrayants et plus proches à l’alpage de Bovine. Enfin, le village de Chemin disposait aussi d’un alpage de moyenne altitude, le Bioley, situé au-dessus du village, alpage qu’il possède encore. Bovine était considéré comme le meilleur alpage de la région l’écurie pouvant recevoir 120 vaches, tandis qu’il n’y avait que 40 places aux Prélayes. Ses fromages avaient aussi la réputation d’être les meilleurs. Élie Aubert hérita de plusieurs fonds de vache aux montagnes de Bovine et des Prélayes. Il se défit rapidement de ceux des Prélayes pour ne conserver que ceux de Bovine. Si les actes notariés le concernant faisaient avant tout état d’achats et de ventes, les fonds de vache pouvaient servir à d’autres fins. Ainsi, dans le testament rédigé en 1876, il établit une rente viagère de un franc par jour en faveur de son épouse, rente qu’il finançait “par le revenu de son carnet de créances et du produit de la montagne de Bovine”84. Lorsqu’en 1891, il racheta la succession de sa défunte épouse, il en garantit le paiement par" une hypothèque garantie notamment par dix fonds de vaches à la montagne de Bovine provenant la moitié de son père et la moitié par achat du notaire Antoine Cretton de la Croix” 85. 83 Louis Moret Rausis. La vie d’une cité alpine Bourg Saint Pierre. Souvenir d’autrefois et images d’aujourd’hui. Martigny, Montfort, 1956. 84 Minutes du notaire Joseph Couchepin, Acte du 10 février 1876. 85 Minutes du notaire Pierre Gillioz, du 2 février 1891, La valeur de ces fonds était d’environ 400 francs.

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Dans une large mesure, les fonds de vache représentaient la fortune du paysan. Ils procuraient le droit d’herbage pendant l’été et la récolte de fromage, de beurre et de sérac. Mais l’inalpe et la désalpe étaient aussi une fête de village, l’expression de la solidarité sociale et surtout la suprématie de la vache dans le combat des reines86. Combien de Valaisans ayant misé sur les cornes se sont-ils ruinés financièrement? Les petits-fils d’Élie Aubert sont de ce nombre : ¾

Entre 1904 et 1909, se retrouvent dix actes d’achat pour une somme totalisant environ 45.000.—francs. ¾ Dès 1909, sont investis les avoirs de son épouse, Julie Pillet, pour un montant de 18.000.—francs. ¾ À partir de 1910 se retrouvent surtout des actes de vente totalisant environ 25.000.—francs. ¾ Actes retrouvés chez les notaires Alfred Tissières, Jules Tissières, Jules Morand et Edouard Coquoz de Martigny. Archives de la Commune de Martigny.

Pour l’amour des reines, Alexis, le cadet, a vilipendé son héritage, celui de sa femme et la fortune de sa mère. Après avoir fait faillite, il s’est réfugié en France voisine pour échapper aux créanciers. Les vaches l’ont perdu.

Les activités communautaires Si l’on se réfère au document de partage de l’eau captée pour le compte de Robatel et de Porret87, Pierre Nicolas Aubert et de Jacques Germain Berguerand avaient joué un rôle important dans la conduite des affaires du village. Outre la question de l’eau, ils furent à la base de la construction de la chapelle en 183388. Ils avaient financé l’achat de la cloche et, par la suite, gérèrent à tour de rôle les comptes de dépenses, des fonds de messe et des prêts. Ils avaient aussi la charge de l’école, de la laiterie et du four banal. Sous leur houlette, de 1848 à 1890, se retrouvent un très grand nombre de prêts consentis aux 86 Louis Moret Rausis. 87 Minutes du notaire Louis Gay du 28 septembre 1851. 88 Minutes du notaire Joseph Arnold Berguerand.

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habitants de la région par la Fondation de la Chapelle de Chemin, notamment dans les minutes des notaires J.A. Berguerand, Antoine Sauthier, Bonaventure Moret, Maurice Tavernier, Daniel Terrettaz et Alfred Tissières. Après le décès de leurs parents, les enfants devaient souvent assumer les dettes contractées par les premiers auprès de la Chapelle.

À leur décès, Élie Aubert reprit une partie de ces responsabilités, en dépit du fait qu’il partagea son temps entre Martigny et Chemin. Il joua un rôle important dans les affaires de la chapelle. Entre 1861 et 1888, une dizaine d’actes mentionnent son nom à titre de procureur. En 1870, il n’hésita pas à convoquer, à son domicile, huit chefs de famille du village, ainsi que le curé de Vollèges, celui de Bovernier et le notaire Daniel Terrettaz pour l’établissement d’une convention se rapportant à la gestion des fonds de la chapelle: Dans l’espérance que le subside accordé par l’autorité diocésaine à prélever sur les intérêts des fonds de la chapelle du lieu pour a compte de continuer à l’avenir à l’administration de la chapelle de la localité et de ses fonds comme de la manière usitée jusqu’ici, c’est-à-dire à tour de rôle et sans égards à la fortune. … chaque chef de famille fonctionnera comme procureur de la chapelle pendant l’espace de deux ans et recevra une indemnité de trente francs pour les deux ans qui seront payés avec les revenus de la dite chapelle… quand le tour des chefs de famille … sera achevé, on recommencera sur le même pied. Pour le cas où un ou plusieurs chefs de famille ne se conforment pas aux dispositions de cet acte, ils seront privés de leur part ce qui sera annuellement pris sur les revenus de la chapelle pour le salaire des régents de l’école du lieu89. Dans une dizaine d’autres actes traitant de différentes causes, Élie Aubert joua le rôle de conseiller juridique pour des individus de la région, Le conseiller juridique pouvait aussi porter le nom de conseiller judiciaire ou de reconseiller. Enfin, il fut, durant plusieurs années, conseiller à la commune de Vollèges. 89 Minutes du notaire Daniel Terrettaz du 5 août 1870.

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Élie Aubert ne semble pas avoir entretenu les mêmes relations que son père avec Anatole Porret car on n’en retrouve que peu de mention dans la correspondance de ce dernier. Comme en fait foi l’acte du 18 juin 185590, Pierre Nicolas Aubert avait établi un contrat de fermage avec Anatole Porret91 : M.Bourg 13.2.55. ¾ “Cher Monsieur Porret, J’ai reçu aujourd’hui la visite, non pas de Pierre Nicolas Aubert, parce qu’il est quelque peu indisposé, mais du plus grand de ses fils. Voilà ce qu’il m’a chargé de vous écrire : Le bois que vous leur avez dit de vous préparer sera prêt à l’heure dite. Ils feront, de même, les ensemencements dont vous les avez chargés de la façon la plus exacte. Les 40 francs que vous lui avez fait remettre ont été distribués aux plus indigents de la localité, selon vos généreuses intentions. Aubert fera son possible pour vous fournir le lait, cependant il ne peut pas le promettre pour le moment. Le tonnelier Roux a été averti par Aubert de préparer la tine pour le premier mai” .Martigny 27.2.55 ¾ “Mon cher Monsieur Porret, Il se charge, du reste d’exécuter toutes les commissions dont vous l’avez chargé. Ainsi les trois toises de bois seront prêtes; il plantera vos cerisiers, etc, Au décès de Pierre Nicolas Aubert en 1855, c’est le frère aîné d’Élie Aubert, Pierre Joseph, qui reprit la charge de fermier et de commissionnaire qu’il conserva jusqu’en 187092. Nous avons néanmoins retrouvé quelques traces de contacts entre Élie Aubert et Anatole Porret, notamment dans un acte de 1856, relatif à un échange de propriétés situées à Chemin93 et dans la vente, en 1892, au nom de sa fille Catherine, du terrain sur lequel fut plus tard construit le four banal donné par Juliette Porret aux Cheminiards94.

90 Minutes du notaire Adolphe Morand. 91 Fonds privé, Pascal Tissières, Martigny. 92 Pascal Tissières, Une Parisienne à Chemin sur Martigny au XIXe siècle. Papier privé. 93 Notaire Antoine Sauthier, acte du 8 mars 1856. 94 Acte de vente No 528, 7 août 1892, Bureau d’enregistrement de Martigny.

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On a coutume de dire qu’Élie Aubert avait été le régent de Chemin. Cela demande à être vérifié. Dans les années 1870, Anatole Porret avait donné l’ordre à son chargé d’affaires à Martigny d’établir des mandats de vingt francs versés au régent de Chemin, sans toutefois indiquer le nom du destinataire. Paris 6.3.73.… ”Je vous prie de bien vouloir acquitter deux mandats signés de moi, un de 20 frs au régent de Chemin, l’autre de cent francs à Joseph Puippe de Vinze”.

Au cours des années 1880, ce même Anatole Porret lui versa 140 frs. par année pour l’école de Chemin, sans doute à titre d’administrateur car, dans certains actes notariés, il consent des prêts à titre de procureur de la bourse de l’école de Chemin 95.

¾ Paris le 29.1.86.” “Je te prie de payer contre deux chèques de moi aux enfants de Joseph Pellaud, mon fermier, (..) plus cent quarante francs à Élie Aubert pour l’école de Chemin”. ¾ Paris, 17.3.85 “Enfin tu compteras à Élie Aubert, contre son reçu pour l’école de Chemin 140 frs”. Fonds privé Pascal Tissières

À travers le carnet de créances Un autre document très important pour l’analyse des activités d’Élie Aubert est représenté par ses carnets de créances. Parmi les documents de la maison, nous avons retrouvé le dernier, recopié en 1888, par Catherine à partir d’un document préalable96. Comme en fait foi la calligraphie, à partir de cette date, c’est surtout elle qui s’est chargée de tenir le registre des prêts. Il apparaît donc clairement que le père et la fille géraient leurs affaires en commun. Quand ces activités ont-elles débuté ? Une créance consentie en 1853 était toujours pendante en 1888. Or, cette date correspondait à 95 Minutes du notaire Antoine Sauthier, Acte du 22 mai 1855. 96 Carnet de créances d'Élie Aubert et de Catherine Aubert déposé au Archives cantonales le 15 janvier 2004.

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l’époque où ont eu lieu les premiers actes notariés conclus par Élie Aubert. Il ne nous a malheureusement pas été possible de connaître le nombre de carnets utilisés avant 1888. Ce carnet fait état des prêts en cours, des sommes prêtées à 5% d’intérêt et des années de recouvrement d’intérêt jusqu’à la date d’acquittement. De 1853 à 1888, il contient 51 créances auxquelles sont venus ajouter trente-cinq prêts consentis entre 1888 et 1896. Ce dernier carnet ne tient compte que des créances qui n’avaient pas encore été acquittées en 1888. Il est donc impossible d’en connaître le nombre exact consenti entre 1858 et 1888. Le carnet contient 96 pages; quatre créances ont été consenties au nom de Catherine (No 69, 70, 72, 73) et six ne portent aucun nom, sans doute des créances communes (No 54, 88, 89, 90, 93, 94). Toutes les autres ont été consenties par Élie Aubert. De plus, quelques pages ont été arrachées.

Le dernier remboursement eut lieu en 1919. Les prêts s’adressaient à des habitants de la région de Martigny. Si le montant moyen des prêts s’élevait à 220 francs, ils pouvaient aller de 50 francs à 1300 francs, la majorité se situant toutefois entre 150 et 300 francs. Leur durée moyenne était de 15 ans et ne dépassait jamais 25 ans, à l’exception d’une seule qui s’éternisa durant 63 ans, soit de 1853 à 1918, le débiteur ayant payé l’équivalent de trois fois sa dette en intérêts et elle ne semble jamais avoir été acquittée. Par ordre d’apparition dans le carnet, les prêts étaient consentis à des habitants de Chemin, Le Broccard, La Fontaine, Bovernier, La Bâtiaz, Le Borgeaud, Charrat, Le Fays, Vollèges, Sembrancher, Vens, La Croix, Vernayaz, Le Litroz, Vens, Martigny-Bourg, Ravoire, Le Levron, Martigny-Ville, Martigny-Combe, Lourtier, Bagnes. On y retrouve aussi certaines communes.

Si les taux d’intérêt du carnet de créance étaient similaires à ceux des prêts consentis devant notaire, ces derniers s’en distinguaient par leur montant qui était plus du double de celui du carnet, et par leur durée qui allait de un à dix ans, alors qu’elle était indéterminée dans le carnet de créances.

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Les intérêts étaient encaissés auprès des débiteurs à dates fixes, en fonction des pérégrinations du prêteur. Avant l’arrivée des banques, cette pratique était assez commune. Par exemple, à Sion, le général de Wolf possédait une liste importante de créances : “souci que ces créances. Le général ne doit-il pas aller deux fois par an jusqu’à Vouvry récupérer les intérêts d’un prêt”97. Beaucoup d’encaissement d’intérêts ou de remboursement de capital se faisait au moment des foires, principalement à la foire “du grand lundi” d’automne. De 1888 à 1893, le montant total des créances fluctua entre 13 000 francs et 16 000 francs rapportant annuellement de 650 à 800 francs d’intérêt. Par comparaison, un revenu de 800 francs équivalait au salaire du directeur de l’École de droit de Sion, Bernard Etienne Cropt98. Le salaire annuel d’un régent à Sion s’élevait à 600 francs, celui d’un régent à Monthey à 850 francs, celui d’une régente en ce même lieu à 650 francs99. Dans les villages, les régents ne percevaient qu’une somme de 60 à 80 francs100. Dans sa correspondance des années 1870, Anatole Porret rapportait qu’il payait le régent de l’école de Chemin 20 francs par année, et dans les années 1880 le petit-fils d’Élie Aubert, Antoine Cretton, régent à Martigny-Croix, 10 francs101. Un fonds d’alpage à Bovine valait 400 francs102, la vigne six francs la toise, le pré un franc le mètre carré. Le Bulletin Officiel, rapporte que le prix des denrées n’a pratiquement pas varié durant des décennies, hormis les fluctuations saisonnières dues à l’abondance ou à la rareté des produits. Il ne fait donc aucun doute que les revenus de son carnet de créances permettaient à Élie Aubert de mener une existence confortable. ¾ Paris 18.3.73…Je vous adresse ci-joint un bon vingt francs au régent de Chemin. ¾ Paris le 29.1.86. Je te prie de payer le montant de dix francs à Antoine Cretton, petit fils d’Élie Aubert.

97 Chroniques de Malacors, p. 133. 98 Jean Graven, p. 188. 99 Bulletin officiel, septembre 1878. 100 Louis Moret Rausis, op. cit. p. 295. 101 Fonds privé, Pascal Tissières, Martigny 102 Minutes du notaire Pierre Gillioz, acte du 2 février 1891.

56 ¾ Paris le 15.8.85.Tu auras l’obligeance de remettre de ma part 10 frs à Antoine Cretton, petit fils d’Élie Aubert, régent à la Croix.

Lorsque Élie Aubert se lança dans le prêt, il n’existait en Valais aucune politique financière. Courthion rapporte que “sauf en cas d’extrême nécessité, le paysan n’empruntait guère. S’il ne pouvait faire autrement, il s’adressait à un voisin plus aisé, lui signait une créance moyennant un honnête intérêt et la remboursait lorsque sa situation s’améliorait”103. L’arrivée du chemin de fer changea cet état de faits en créant de nouvelles exigences dans la vie sociale, et par voie de conséquence, un besoin accru de liquidités. C’est ainsi que la première “Banque cantonale” fut “créée par décret” du Grand Conseil “le 2 septembre 1856 et début[a] ses opérations en 1858. Elle sembl[ait] promise à un destin favorable mais les problèmes ne tard[èr]ent pas à surgir. De plus en plus de personnes, tout comme beaucoup de communes ne p[ur]ent pas rembourser les prêts et payer les intérêts. Faute de liquidités, la banque d[u]t interrompre ses activités, en 1871, et déclarer faillite”104. Certains auteurs associent cet échec à une mauvaise gestion et à des pratiques frauduleuses destinées à financer l’affairisme de la classe dirigeante, ce qui accula la banque à la faillite105. De fait, dans les années qui précédèrent la faillite, les minutes du notaire Alexis Guay, sont constituées en majorité de protêts au nom de la Banque du Valais contre des individus incapables de rembourser leurs dettes106. Cette faillite procura encore quelques 20 années aux “prêteurs pas toujours honnêtes qui exigeaient souvent trois, quatre co-signataires, rares étaient ceux qui maintenaient leurs taux au-dessous de 8%”107. Nous l’avons vu, Élie Aubert était de ces prêteurs, mais ce n’était pas un usurier puisque les taux d’intérêts qu’il chargeait sont demeurés constants, à 5%, tout au long de ses activités de prêt. 103 Louis Courthion, p. 125. 104 Michel Salamin, p. 195. 105 Aspects de l’économie valaisanne, Histoire et réalités. Perspectives, Sion, Département de l’instruction publique; Paul De Rivaz, p. 73-79. 106 Minutes du notaire Alexis Guay, années 1869 et 1870. 107 Louis Courthion, p. 126.

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Dès le milieu des années 1890, les recouvrements de créances ne furent plus réinvestis dans des prêts personnels; ils étaient plutôt déposés en banque: 3550 francs à la Banque Tissières en 1892, 1900 francs à la Banque Troillet en 1894108. Il devenait évident que l’ère des prêteurs touchait à sa fin. Dès le début des années 1890, la Banque Closuit, la Banque Tissières, la Banque Troillet tout comme les banques situées hors du canton, la Banque du Jura par exemple, et des particuliers se substituèrent peu à peu aux prêteurs. Certains avocats de Martigny se spécialisèrent alors dans la gestion et le recouvrement de créances pour les institutions financières. Par exemple, les minutes du notaire Jules Morand des années 1895, 1896 et 1897 font état de très nombreuses créances des habitants de la région de Martigny envers la Banque de Brigue, la Banque du Jura, ainsi qu’envers un certain Jean Beck Gamper, rentier domicilé à Bâle.

108 Créances.no 84, 85, 86.

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L’héritage laissé par Élie Aubert Au début des années 1890, Élie Aubert possédait une fortune confortable, pour un paysan de la montagne. Ses propriétés sises sur les territoires de Chemin, de Bovernier et de Martigny couvraient une bonne partie du territoire. Il possédait des habitations et nombre d’autres bâtiments à Chemin et à Martigny, ainsi que plusieurs lots de vigne et un grand nombre de fonds de vache à l’alpage de Bovine. Son carnet de créances, ses prêts notariés, tout comme ses fonds de vache lui procuraient un revenu appréciable. C’était un propriétaire terrien, un éleveur, un maquignon mais non un capitaliste. Il n’a jamais participé au développement commercial, mercantile, et touristique du Valais. C’était un Valaisan “pure laine” pour qui toute forme de commerce ne pouvait être pratiquée que par des mains étrangères109. Son dernier acte notarié relatif à un prêt remonte à 1888. Deux autre actes conclus après cette date se rapportent à la vente d’un terrain à Juliette Porret, en 1892, pour la construction du four banal, et à deux achats, en 1895, sur le territoire de Martigny, l’un pour une grangeécurie, l’autre pour un pré. À partir de cette date, il donne l’impression d’avoir “passé la main” à sa fille Catherine pour la gestion de ses biens car c’est souvent au nom de cette dernière ou sans mention particulière du créancier que furent consentis les prêts. Depuis l’établissement du nouveau carnet en 1888, c’est aussi elle qui gérait les prêts et enregistrait le paiement des intérêts et du principal. Qui plus est, les achats importants de propriétés foncières du début des années 1890 n’ont pas été faits en son nom, mais en celui de Catherine. Le partage préliminaire des biens d’Élie Aubert et de sa fille Catherine se fit par acte notarié du 14 mai 1897. Ce partage démontre l’étendue des propriétés et la richesse d’Élie Aubert. La convention établie à

109 Courthion, p.117.

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cette date fait ressortir l’imminence du partage tout comme la communauté de biens qui existait entre le père et la fille110: Les fortunes, soit les avoirs du père et de la fille pré-désignés, ayant été jusqu’à ce jour confondus, et les contractants étant intentionnés de livrer aux enfants de Catherine Aubert en partage, une partie de leurs avoirs communs, avant de laisser procéder à ce partage, les parties comparantes prélèvent chacune sur la fortune commune les avoirs ci-dessous énumérés et en toute propriété sans égard à la provenance. Venaient ensuite les biens que le père entendait conserver, soit : ¾ tous les immeubles situés sur le territoire de Martigny-Ville et Bourg, bâtiments compris, plus de huit droits d’alpage à la Montagne de Bovine et de deux vignes dont l’une plantée située au lieu dit Champortay et l’autre au lieu dit l’Arbignon les deux sur Martigny-Combe. ¾ six cent quarante francs en créances contre Puippe pre Valentin, Pellaud Maurice Juge et le surplus de fr. 40.—contre un autre débiteur. ¾ Tout le mobilier se trouvant à Martigny-Bourg et à Chemin à l’exception du prélèvement fait en cette matière par sa fille Catherine et désigné plus bas. Suivaient les biens et propriétés destinés à la fille Ces créances consistaient en deux dépôts à la banque Troillet, se montant à 1.900.— francs et 31 créances tirées du carnet. neuf mille un francs nonante centimes représentés par des créances, et dont le père Élie Aubert garantit l’existence de la dette et la totalité des débiteurs. Elle prenait également possession des biens suivants : ¾ Une maison d’habitation à Chemin consistant en une cuisine, 2 chambres, deux caves dont l’une à voûte et la petite écurie sous le raccard du Plot, ainsi qu’une place à la grange pour remiser les fourrages … Un pré d’environ deux cents toises sis au-dessus de la maison ci-dessus désignée. 110 Minutes du notaire Alfred Tissières, Acte du 14 mai 1897.

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¾ Un botzat situé aux Crettes, de contenance inconnue. Un autre botzat au lieu Féronde à la Charbonnière, contenant environ 300 toises. Une parcelle de jardin au levant de la maison prélevée, contenant environ cent cinquante toises. La moitié du grenier à côté de la maison. ¾ Les meubles: 1 lit, deux matelas, une table de nuit, une table ronde, cinq chaises, un potager, une petite table en sapin, un buffet arolle, une glace et divers cadres, un banc noyer en nuise, une ruche de linge, 6 draps, 2 couvertures de laine, un duvet, trois fourres de traversin, les poules, un tonneau de vin de 2 setiers avec son contenu, un canapé, deux fayards à prendre sur la propriété aux frênes et toute la vaisselle qu’elle jugera nécessaire. Les dettes restant à payer s’élèvent à deux mille cinquante francs restent à la charge exclusive d’Élie Aubert. Enfin, la convention de partage stipulait que : Tous les immeubles et meubles non prélevés et non réservés par les parties comparantes seront donnés en partage en toute propriété aux quatre enfants de Catherine Aubert – ce partage aura lieu incessamment. Cet acte porte à penser que suivrait l’acte de partage stipulant la part laissée à chacun des petits-enfants. Il nous a malheureusement été impossible de le retrouver. Tout laisse cependant croire que certaines vignes de Martigny et de Bovernier, les terrains de Chemin-Dessous, Sousfrête et de Surfrète, les terrains et immeubles situés à CheminDessus et quelques fonds d’alpage à Bovine leur aient été légués comme le témoignent les transactions retrouvées dans le cadastre de Martigny depuis son établissement. Nous avons certes retrouvé treize petits morceaux de papier, écrits de la main de Catherine, destinés à être tirés au sort par ses quatre enfants. Cinq de ces papiers faisaient mention de 32 propriétés sises à Chemin-Dessus, de trois vignes, du jardin, de granges et écuries, d’outils aratoires, de matériel de cave et tonneaux, ainsi que de bétail. La plupart de ces documents rapportaient la valeur des biens et contenaient souvent de notes telles que “ce lot rend 5 francs au 2e lot, 5 francs au 3e lot et 5 francs au 4e lot”. Des ratures sur les documents indiquaient que ces prix ont souvent été revus à la baisse. A une seule exception près, “Je redois à Maurice 13.25, Alexis et Antoine doivent

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94.94”. Ces papiers ne portaient aucunement le nom des bénéficiaires des lots et on ne sait pas qui était “je”. Tout porte à croire que ce partage concerne les biens personnels de Catherine, car nous voilà bien loin du nombre de propriétés mentionnées plus haut situées à Chemin et celles de Martigny. Deux autres documents laissent à penser que le partage des biens d’Élie Aubert se fit rapidement après la convention de 1897. Trois créances contenues dans le carnet totalisant 600 francs ont été “remises à Antoine et Alexis” en 1897. De même, en 1899, Marie Cretton et son mari Joseph Abbet rachetèrent les parts d’Antoine Cretton, de Maurice Cretton et d’Alexis Cretton, soit les deux tiers de la Vieille Maison héritée de Julie Emérentienne Pellaud et de Catherine Aubert111. Élie Aubert décéda le ler mai 1905112, le jour d’un tremblement de terre. On retrouve l’inscription de son décès dans les registres de la paroisse de Martigny, mais aucune mention n’apparaît dans les journaux de l’époque, les nécrologues cédant le pas à la catastrophe naturelle. Catherine Aubert reprit les affaires de son père. Maurice suivit les traces de son grand-père en développant ses biens agricoles, comme en témoignent les nombreuses transactions retrouvées au cadastre de Martigny et dans les actes notariés. Entre 1893 et 1913, une quinzaine de transactions à son nom ont été retrouvées chez les avocats Camille Desfayes, Alfred Tissières, Jules Tisières et Edouard Coquoz. Archives de la Commune de Martigny.

Il travailla comme gérant de propriété du Dr. Beck à Monthey et revint à Chemin après le décès accidentel d’un de ses fils. Antoine devint instituteur; il enseigna durant quelques années à Martigny-Combe113, Selon l’Annuaire du Valais, il était titulaire d’un brevet temporaire d’enseignement en 1894. Par la suite, il travailla à la 111 Acte d’achat No 429/26 du 28 février 1899, Bureau d’enregistrement de Martigny. 112 Registre des décès de la paroisse de Martigny, Sion, Archives de l’Etat du Valais. 113 Selon l'Annuaire du Valais, 1883-1884, Sion, Ant. Galerini, Libraire-Editeur.

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Banque Tissières. C’est lui qui racheta les maisons de sa mère de Martigny en 1922 et de Chemin en 1925114. Marie passa quelque temps à Paris chez Mme Porret avant d’épouser Joseph Abbet qui était chef sommeiller à l’Hospice du Grand-SaintBernard. Ils s’établirent à la Vieille Maison. Alexis, diplômé de l’École d’agriculture d’Econe, fit de mauvaises affaires dans le commerce des reines et se réfugia à Argentières après avoir fait faillite. Fait incroyable, il nous a été impossible de retrouver, tant dans les documents d’Etat-civil que dans les registres paroissiaux, trace de la naissance et du décès de Catherine Aubert. Les généalogistes situent sa naissance en 1844 et un acte de vente témoigne qu’elle était toujours vivante en 1925.

114 Vente de la maison de Martigny-Bourg: 29 mars 1922, Minutes de l’avocat Charles Girard, No d’enregistrement 1035, Cadastre de Martigny; Vente de la maison de Chemin, Acte du 7 janvier 1925, No d’enregistrement No 434.

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Conclusion À travers cette recherche dans les Minutes des notaires de Martigny et de Vollèges au XIXe siècle, nous avons découvert la vie, la famille, les activités et la réussite d’Élie Aubert descendant d’une famille de notables de Chemin dont il hérita propriétés et fonds de vache. L’héritage de ses deux épouses lui permit encore d’étendre son capital et ses propriétés. Élie Aubert était un riche paysan valaisan qui possédait maisons, terrains, vignes et fonds d’alpage. Comme le démontre son carnet de créances, Il était prêteur sans être usurier car ses taux d’intérêt n’ont jamais dépassé 5%. Financièrement à l’aise, il était considéré comme un personnage important, s’occupant de la gestion de la chapelle et de celle de l’école de Chemin. Il a aussi occupé le poste de conseiller de la commune de Vollèges et a souvent agi comme conseiller juridique pour les membres de la communauté. Homme de son temps et de son milieu, il réussit sans trop se démarquer de sa communauté car nous avons retrouvé peu de traces, dans son histoire, des changements politiques, économiques et sociaux qui agitèrent le Valais de son époque. Si notre recherche fait bien ressortir l’histoire d’une famille, elle est surtout l’illustration de la réussite d’un coq de village. Il aurait fallu se retrouver à Martigny-Bourg au moment de la Foire du lard, de celle d’automne, ou de printemps, pour apercevoir Élie Aubert, sa fille, ses petits-enfants occupés à vendre bétail, fromage, beurre ou sérac, à rencontrer les paysans venus s’acquitter de leurs dettes ou en payer les intérêts. Le coq de village, le maquignon, le prêteur se devait de connaître tout le monde: à qui un sourire, à qui une blague, une poignée de main à un avocat ou à un politicien. C’était le moment d’établir ou de rendre les comptes, de faire des échanges, les billets et les sous passant d’une poche à l’autre, les papiers se signant sur une table du café des Trois Couronnes. Socialement ou financièrement, tout le monde participait à la foire. Il fallait s’y rendre par obligation et le Pré de Foire résonnait des

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transactions et des rires. Les Bordillons, les Ravoirins, les Comberrins, les Vouipes fraternisaient et s’engueulaient. C’était un rendez-vous obligatoire où se liaient et se déliaient les langues et les bourses. Le goron et la rèze facilitaient la communication en cette foire du grand lundi, avant que tout ce monde ne revienne au village pour l’hivernage, ou l’hibernation, car l’hiver était long. Combien de documents se trouvent encore dans les maisons valaisannes, conservés comme histoire de famille et encadrés dans les carnotzet? Inutiles décorations qui pourraient être partagées et faire l’objet de recherche, tout comme les minutes des notaires, source inépuisable d’informations sur la vie de tous les jours dans les villes et villages valaisans, où les illettrés et les paysans dévoilaient leur quotidienneté et leurs conflits en déclarant “ je vais voir l’avocat “. Ils le rencontraient au café autour de trois décis et discutaient d’affaires. Il fallait bien que quelqu’un enregistre et collige les faits et interprète les dires. Grâce à eux, des hommes comme Élie Aubert survivent. L’histoire des familles et des villages valaisans peut être écrite.

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Annexes Portrait de famille Joseph Elie Aubert, entouré de sa fille et de ses petits-enfants, photographie de 1890

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Ascendance et descendance d'Elie Aubert

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Lettre à Jean Baptiste Pellaud de Vollèges et à Chemin

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Archives des notaires Vous trouverez, en téléchargeant le fichier pdf à l'adresse http://www.pdfcoke.com/doc/13202032/notaire plus de 90 pages d'archives de notaires consultées pour la présente recherche sur Elie Aubert, en version originale et retravaillée.

Document de la Vieille maison Vous trouverez, en téléchargeant le fichier pdf à l'adresse http://www.pdfcoke.com/doc/13203221/Archives les documents retrouvés dans la Vieille Maison, en version originale.

Carnet de créances Vous trouverez, en téléchargeant le fichier pdf à l'adresse http://www.pdfcoke.com/doc/13202418/creances le carnet de créances d'Elie Aubert.

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Achevé d’imprimer en avril 2009 Par Impression Numérique Copy Service Pillet CH – 1920 Martigny

Joseph Elie Aubert Paysan, prêteur, maquignon et personnage public dans le Valais du XIXe siècle

E-book gratuit, libre de droits. Distribuez-le comme vous le souhaitez, publiez-le sur votre site ou votre blog pour le téléchargement, imprimez-le ou reproduisez tout ou partie sans restriction aucune. Sauf d’en indiquer la source. Mars 2009

par Annette et François-Xavier Ribordy

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