Danton - Discours Civiques

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Discours Civiques de Danton avec une introduction et des notes par Hector Fleischmann

TABLE DES MATIΘRES INTRODUCTION 1792 I. Sur les devoirs de l'homme public (novembre 1791) II. Sur les mesures rιvolutionnaires (26 aoϋt 1792) III. Sur la patrie en danger (2 septembre 1792) IV. Sur le rτle de la Convention (21 septembre 1792) V. Sur le choix des juges (22 septembre 1792) VI. Justification civique (25 septembre 1792) VII. Contre Roland (29 octobre 1792) VIII. Pour la libertι des opinions religieuses (7 novembre 1792) 1793 IX. Procθs de Louis XVI (janvier 1793) X. Pour Lepeletier et contre Roland (21 janvier 1793) XI. Sur la rιunion de la Belgique ΰ la France (31 janvier 1793) XII. Sur les secours ΰ envoyer ΰ Dumouriez (8 mars 1793) XIII. Sur la libιration des prisonniers pour dettes (9 mars 1793) XIV. Sur les devoirs de chacun envers la patrie en danger (10 mars 1793) XV. Sur l'institution d'un tribunal rιvolutionnaire (10 mars 1793) XVI. Sur la dιmission de Beurnonville (11 mars 1793) XVII. Sur le gouvernement rιvolutionnaire (27 mars 1793) XVIII. Justification de sa conduite en Belgique (30 mars 1793) XIX. Sur la trahison de Dumouriez et la mission en Belgique (1er avril 1793) XX. Sur le Comitι de Salut public (3 avril 1793) XXI. Sur le prix du pain (5 avril 1793) XXII. Sur le droit de pιtition du peuple (10 avril 1793) XXIII. Sur la peine de mort contre ceux qui transigent avec l'ennemi (13 avril 1793) XXIV. Sur la tolιrance des cultes 19 avril 1793) XXV. Sur un nouvel impτt et de nouvelles levιes (27 avril 1793) XXVI. Autre discours sur le droit de pιtition du peuple (1er mai 1793) XXVII. Sur l'envoi de nouvelles troupes en Vendιe (8 mai 1793) XXVIII. Sur une nouvelle loi pour protιger la reprιsentation nationale (24 mai 1793) XXIX. Pour le peuple de Paris (26 mai 1793)

XXX. Contre la Commission des Douze (27 mai 1793) XXXI. Autre discours contre la Commission des Douze (3l mai 1793) XXXII. Sur la chute des Girondins (13 juin 1793) XXXIII. Contre les assignats royaux (31 Juillet 1793) XXXIV. Discours pour que le Comitι de Salut public soit ιrigι en gouvernement provisoire, (ler aoϋt 1793) XXXV. Sur les suspects (l2 aoϋt 1793) XXXVI. Sur l'instruction gratuite et obligatoire (13 aoϋt 1793) XXXVII. Sur les crιanciers de la liste civile et les rιquisitions dιpartementales (14 aoϋt 1793) XXXVIII. Sur de nouvelles mesures rιvolutionnaires (4 septembre 1793) XXXIX. Sur les secours ΰ accorder aux prκtres sans ressources (22 novembre 1793) XL. Contre les mascarades antireligieuses et sur la conspiration de l'ιtranger (26 novembre 1793) XLI. Sur l'instruction publique (26 novembre 1793) XLII. Sur les arrκtιs des reprιsentants en mission en matiθre financiθre (1er dιcembre 1793) XLIII. Dιfense aux Jacobins (3 dιcembre 1793) XLIV. Sur les mesures ΰ prendre contre les suspects (7 dιcembre 1793) XLV. Sur l'instruction publique (12 dιcembre 1793) 1794 Sur l'ιgalitι des citoyens devant les mesures rιvolutionnaires (23 Janvier 1794) XLVII. Pour le Pθre Duchesne et Ronsin (2 fιvrier 1794) XLVIII. Sur l'abolition de l'esclavage (6 fιvrier 1794) XLIX. Sur les fonctionnaires publics soumis ΰ l'examen du Comitι de Salut public (9 mars 1794) L. Sur la dignitι de la Convention (19 mars 1794) XLVI.

MΙMOIRE, ιcrit en mil huit cent quarante-six, par les deux fils de Danton, le conventionnel, pour dιtruire les accusations de vιnalitι contre leur pθre

INTRODUCTION I Voici le seul orateur populaire de la Rιvolution. De tous ceux qui, ΰ la Constituante, ΰ la Lιgislative ou ΰ la Convention, ont occupι la tribune et mιritι le laurier de l'ιloquence, Danton est le seul dont la parole trouva un ιcho dans la rue et dans le coeur du peuple. C'est vιritablement l'homme de la parole rιvolutionnaire, de la parole d'insurrection. Que l'ιloquence noblement ordonnιe d'un Mirabeau et les discours froids et ιlectriques d'un Robespierre, soient davantage prisιs que les harangues hagardes et tonnantes de Danton, c'est lΰ un phιnomθne qui ne saurait rien avoir de surprenant. Si les deux premiers de ces orateurs ont pu lιguer ΰ la postιritι des discours qui demeurent le testament

politique d'une ιpoque, c'est qu'ils furent rιdigιs pour cette postιritι qui les accueille. Pour Danton rien de pareil. S'il atteste quelquefois cette postιritι, qui oublie en lui l'orateur pour le meneur, c'est par pur effet oratoire, parce qu'il se souvient, lui aussi, des classiques dont il est nourri, et ce n'est qu'un incident rare. Ce n'est pas ΰ cela qu'il prιtend. Il ne sait point "prιvoir la gloire de si loin". Il est l'homme de l'heure dangereuse, l'homme de la patrie en danger; l'homme de l'insurrection. "Je suis un homme de Rιvolution [Note: ΙDOUARD FLEURY. Etudes rιvolutionnaires: Camille Desmoulins et Roch Mercandier (la presse rιvolutionnaire), p. 47; Paris, 1852]", lui fait-on dire. Et c'est vrai. Telles, ses harangues n'aspirent point ΰ se survivre. Que sa parole soit utile et ιcoutιe ΰ l'heure oω il la prononce, c'est son seul dιsir et il estime son devoir accompli. On conηoit ce que cette thιorie, admirable en pratique, d'abnιgation et de courage civique, peut avoir de dιfectueux pour la renommιe oratoire de l'homme qui en fait sa rθgle de conduite, sa ligne politique. Nous verrons, plus loin, que ce n'est pas le seul sacrifice fait par Danton ΰ sa patrie. Ces principes qu'il proclame, qu'il met en oeuvre, sont la meilleure critique de son ιloquence. "Ses harangues sont contre toutes les rθgles de la rhιtorique: ses mιtaphores n'ont presque jamais rien de grec ou de latin (quoiqu'il aimβt ΰ parler le latin). Il est moderne, actuel" [Note: F.A. AULARD. Ιtudes et leηons sur la Rιvolution franηaise, tome 1, p. 183; Paris, Fιlix Alcan, 1893.], dit M. Aulard qui lui a consacrι de profondes et judicieuses ιtudes. C'est lΰ le rιsultat de son caractθre politique, et c'est ainsi qu'il se trouve chez Danton dιsormais insιparable de son ιloquence. Homme d'action avant tout, il mιprise quelque peu les longs discours inutiles. Apathie dιconcertante chez lui. En effet, il semble bien, qu'avocat, nourri dans la basoche, coutumier de toutes les chicanes, et surtout de ces effroyables chicanes judiciaires de l'ancien rιgime, il ait dϋ prendre l'habitude de les ιcouter en silence, quitte ΰ foncer ensuite, tθte baissιe, sur l'adversaire. Mais peut-κtre est-ce de les avoir trop souvent ιcoutιs, ces beaux discours construits selon les mιthodes de la plus rigoureuse rhιtorique, qu'il se rιvθle leur ennemi le jour oω la basoche le lβche et fait de l'avocat aux Conseils du Roi l'ιmeutier formidable ruι ΰ l'assaut des vieilles monarchies? Sans doute, mais c'est surtout parce qu'il n'est point l'homme de la chicane et des tergiversations, parce que, mκlι ΰ la tourmente la plus extraordinaire de l'histoire, il comprend, avec le coup d'oeil de l'homme d'Ιtat qu'il fut dθs le premier jour, le besoin, l'obligation d'agir et d'agir vite. Qui ne compose point avec sa conscience, ne compose point avec les ιvιnements. Cela fait qu'au lendemain d'une nuit dιmente, encore poudreux, de la bagarre, un avocat se trouve ministre de la Justice. Se sent-il capable d'assumer cette lourde charge? Est-il prιparι ΰ la terrible et souveraine fonction? Le sait-il? Il ne discute point avec lui-mκme et accepte. Il sait qu'il est avocat du peuple, qu'il appartient au peuple. Il accepte parce qu'il faut vaincre, et vaincre sur-le-champ.[Note: "Mon ami Danton est devenu ministre de la Justice par la grβce du canon: cette journιe sanglante devait finir, pour nous deux surtout, par κtre ιlevιs ou hissιs ensemble. Il l'a dit ΰ l'Assemblιe nationale: Si j'eusse ιtι vaincu, je serais criminel." Lettre de Camille Desmoulins ΰ son pθre, 15 aoϋt 1792. Oeuvres de Camille Desmoulins, recueillies et publiιes d'aprθs les textes originaux par M. Jules Claretie, tome II, p. 367-369; Paris,

Pasquelle, 1906.] Cet homme-lΰ n'est point l'homme de la mϋre rιflexion, et de lΰ ses fautes. Il accepte l'inspiration du moment, pourvu, toutefois, qu'elle s'accorde avec l'idιal politique que, dθs les premiers jours, il s'est proposι d'atteindre. Il n'a point, comme Mirabeau, le gιnie de la facilitι, cette abondance mιridionale que parent les plus belles fleurs de l'esprit, de l'intelligence et de la rιminiscence. Mirabeau, c'est un phιnomθne d'assimilation, extraordinaire ιcho des pensιes d'autrui qu'il fond et dιnature magnifiquement au creuset de sa mιmoire, une maniθre de Bossuet du plagiat que nul sujet ne trouve pris au dιpourvu. Danton, lui, avoue simplement son ignorance en certaines matiθres. "Je ne me connais pas grandement en finances", disait-il un jour [Note: Sιance de la Convention, du 31 juillet 1793.] et il parle cinq minutes. Mirabeau eϋt parlι cinq heures. Il n'a point non plus, comme Robespierre, ce don de l'axiome gιomιtrique, cette logique froide qui tombe comme le couperet, ιtablit, ordonne, institue, promulgue et ne discute pas. Quand cela coule des minces lθvres de l'avocat d'Arras, droit et rigide ΰ la tribune, on ne songe pas que durant des nuits il s'est penchι sur son papier, livrant bataille au mot rebelle, acharnι sur la mιtaphore, raturant, recommenηant, en proie a toutes les affres du style. Or, Danton n'ιcrit rien [Note: P. AULARD, oevr. cit., tome I, p. 172.]. Paresse, a-t-on dit? Peut-κtre. Il reconnaξt: "Je n'ai point de correspondance." [Note: Sιance de la Convention, du 21 aoϋt 1793.]. C'est l'aveu implicite de ses improvisations rιpιtιes. Qui n'ιcrit point de lettres ne rιdige point de discours. C'est chose laissιe ΰ l'Incorruptible et ΰ l'Ami du Peuple. Ce n'est point davantage ΰ Marat qu'on peut le comparer. L'ιloquence de celui-ci a quelque chose de forcenι et de lamentatoire, une ardeur d'apostolat rιvolutionnaire et de charitι, de vengeur et d'implorant ΰ la fois. Ce sont bien des plaintes oω passι, suivant la saisissante expression de M. Vellay, l'ombre dιsespιrιe de Cassandre. [Note: La Correspondance de Marat, recueillie et publiιe par Charles Vellay, intr. xxii; Paris, Fasquelle, 1896.] Chez Danton, rien de tout cela. Et ΰ qui le comparer sinon qu'ΰ lui? Dans son style on entend marcher les ιvιnements. Ils enflent son ιloquence, la font hagarde, furieuse, furibonde; chez lui la parole bat le rappel et bondit armιe. Aussi, point de longs discours. Toute colθre tombe, tout enthousiasme faiblit. Les grandes harangues ne sont point faites de ces passions extrκmes. Si pourtant on les retrouve dans chacun des discours de Danton, c'est que de jour en jour elles se chargent de ranimer une vigueur peut-κtre flιchissante, quand, ΰ Arcis-sur-Aube, il oublie l'orage qui secoue son pays pour le foyer qui l'attend, le sourire de son fils, la prιsence de sa mθre, l'amour de sa femme, la beautι molle et onduleuse des vifs paysages champenois qui portent alors ΰ l'idylle et ΰ l'ιglogue ce grand coeur aimant. Mais que Danton reprenne pied a Paris, qu'il se sente aux semelles ce pavι brϋlant du 14 juillet et du 10 aoϋt, que l'amour du peuple et de la patrie prenne le pas sur l'amour et le souvenir du pays natal, c'est alors Antιe. Il tonne ΰ la tribune, il tonne aux Jacobins, il tonne aux armιes, il tonne dans la rue. Et ce sont les lambeaux heurtιs et dιchirιs de ce tonnerre qu'il lθgue ΰ la postιritι. Ses discours sont des exemples, des leηons d'honnκtetι, de foi, de civisme et surtout de courage. Quand il se sent parler d'abondance, sur des sujets qui lui sont ιtrangers, il a comme une excuse ΰ faire.

"Je suis savant dans le bonheur de mon pays", dit-il. [Note: Sιance de la Convention, du 31 juillet 1793.] Cela, c'est pour lui la suprκme excuse et le suprκme devoir. Son pays, le peuple, deux choses qui priment tout. Entre ces deux pτles son ιloquence bondit, sur chacun d'eux sa parole pose le pied et ouvre les ailes. Et quelle parole! Au moment oω Paris et la France vivent dans une atmosphθre qui sent la poudre, la poussiθre des camps, il ne faut point κtre surpris de trouver dans les discours de Danton comme un refrain de Marseillaise en prose. Sa mιtaphore, au bruit du canon et du tocsin, devient guerriθre et marque le pas avec les sections en marche, avec les volontaires levιs ΰ l'appel de la patrie en danger. Elle devient audacieuse, extrκme, comme le jour oω, dans l'enthousiasme de la Convention, d'abord abattue par la trahison de Dumouriez, il dιclare ΰ ses accusateurs: "Je me suis retranchι dans la citadelle de la raison; j'en sortirai avec le canon de la vιritι et je pulvιriserai les scιlιrats qui ont voulu m'accuser." [Note: Sιance de la Convention, du 1er avril 1793.] Cela, Robespierre ne l'eϋt point ιcrit et dit. C'est chez Danton un mιpris de la froide et ιlιgante sobriιtι, mais faut-il conclure de lΰ que c'ιtait simplement de l'ignorance? Cette absence des formes classiques du discours et de la recherche du langage, c'est ΰ la fiθvre des ιvιnements, ΰ la violence de la lutte qu'il faut l'attribuer, dιclare un de ses plus courageux biographes. [Note: Dr ROBINET. Danton, mιm. sur sa vie privιe, p. 67; Paris, 1884.] On peut le croire. Mais pour quiconque considθre Danton ΰ l'action, cette excuse est inutile. Son oeuvre politique explique son ιloquence. Si elle roule ces scories, ces ιclats de rudes rocs, c'est qu'il mιprise les rhιteurs, c'est, encore une fois, et il faut bien le rιpιter, parce qu'il a la religion de l'action; et ce culte seul domine chez lui. Il ne va point pour ce jusqu'ΰ la grossiθretι, cette grossiθretι de jouisseur, de grand mangeur, de matιrialiste, qu'on lui attribue si volontiers. "Aucune de ses harangues ne fournit d'indices de cette grossiθretι", dit le Dr Robinet. [Note: Ibid., p. 67.] Et quand mκme cela eϋt ιtι, quand mκme elles eussent eu cette violence et cette exagιration que demande le peuple ΰ ses orateurs, en quoi diminueraient-elles la mιmoire du Conventionnel?" Je porte dans mon caractθre une bonne portion de gaietι franηaise", a-t-il rιpondu. [Note: Sιance de la Convention, du 16 mars 1794.] Mais cette gaietι franηaise, c'est celle-lΰ mκme du pays de Rabelais. Si Pantagruel est grossier, Danton a cette grossiθretι-lΰ. Il sait qu'on ne parle point au peuple comme on parle ΰ des magistrats ou a des lιgislateurs, qu'il faut au peuple le langage rude, simple, franc et net du peuple. Paris n'a-t-il point bβillι ΰ l'admirable morceau de froid lyrisme et de noble ιloquence de Robespierre pour la fκte de l'Κtre Suprκme? C'est en vain que, sur les gradins du Tribunal rιvolutionnaire, Vergniaud dιroula les plus harmonieuses pιriodes classiques d'une dιfense ΰ la grande faηon. Mais Danton n'eut ΰ dire que quelques mots, ΰ sa maniθre, et la salle se dressa tout ΰ coup vers lui, contre la Convention. Il fallut le bβillon d'un dιcret pour museler le grand dogue qui allait rιveiller la conscience populaire. Lΰ seul fut l'art de Danton. La Rιvolution venait d'en bas, il descendit vers elle et ne demeura pas, comme Maximilien Robespierre, ΰ la place oω elle l'avait trouvι. Par lΰ, il sut mieux κtre l'ιcho des dιsirs, des besoins, le cri vivant de l'hιroοsme exaspιrι, le tonnerre de la colθre portιe ΰ son summum. Il fut la Rιvolution tout entiθre, avec ses haines franηaises, ses fureurs, ses espoirs et ses illusions. Robespierre, au contraire, la domina toujours et, jacobin, resta aristocrate parmi les jacobins. Derriθre la guillotine du 10 thermidor s'ιrige la Minerve antique, porteuse du glaive et des tables d'airain.

Derriθre la guillotine du 16 germinal se dresse la France blessιe, ιchevelιe et libre, la France de 93. Ne cherchons pas plus loin. De lΰ la popularitι de Danton; de lΰ l'hostilitι haineuse oω le peuple roula le cadavre sacrifiι par la canaille de thermidor ΰ l'idιal jacobin et franηais.

II La Patrie! Point de discours oω le mot ne revienne. La Patrie, la France, la Rιpublique; point de plus haut idιal proposι ΰ ses efforts, ΰ son courage, ΰ son civisme. Il aime son pays, non point avec cette fureur jalouse qui fait du patriotisme un monopole ΰ exploiter, il l'aime avec respect, avec admiration. Il s'incline devant cette terre oω fut le berceau de la libertι, il s'agenouille devant cette patrie qui, aux nations asservies, donne l'exemple de la libιration. C'est bien ainsi qu'il se rιvθle comme imbu de l'esprit des encyclopιdistes [Note: F. AULARD, oevr. cit., tome I, p. 181.], comme le reprιsentant politique le plus accrιditι de l'ιcole de l'Encyclopιdie. [Note: ANTONIN DUBOST. Danton et la politique contemporaine, p. 48; Paris, Fasquelle, 1880.] Le peuple qui, le premier, conquit sur la tyrannie la sainte libertι est ΰ ses yeux le premier peuple de l'univers. Il est de ce peuple, lui. De lΰ son orgueil, son amour, sa dιvotion. Jamais homme n'aima sa race avec autant de fiertι et de fougue; jamais citoyen ne consentit tant de sacrifices ΰ son idιal. En effet, Danton n'avait pas comme un Fouchι, un Lebon, un Tallien, ΰ se tailler une existence nouvelle dans le rιgime nouveau; au contraire. Pourvu d'une charge fructueuse, au sommet de ce Tiers Ιtat qui ιtait alors autre chose et plus que notre grande bourgeoisie contemporaine, la Rιvolution ne pouvait que lui apporter la ruine d'une existence laborieuse mais confortable, aisιe, paisible. Elle vint, cette Rιvolution attendue, espιrιe, souhaitιe, elle vint et cet homme fut ΰ elle. Il aimait son foyer, cela nous le savons, on l'a prouvι, dιmontrι; il quitta ce foyer, et il fut ΰ la chose publique. Nous connaissons les angoisses de sa femme pendant la nuit du 10 aoϋt. Cette femme, il l'aimait, il l'aima au point de la faire exhumer, huit jours aprθs sa mort, pour lui donner le baiser suprκme de l'adieu; et pourtant, il laissa lΰ sa femme pour se donner ΰ la neuve Rιpublique. Il quitta tout, sa vieille mθre (et il l'adorait, on le sait), son foyer, pour courir dans la Belgique enflammer le courage des volontaires. Dans tout cela il apportait un esprit d'abnιgation sans exemple. Il sacrifiait sa mιmoire, sa gloire, son nom, son honneur ΰ la Patrie. "Que m'importe d'κtre appelι buveur de sang, pourvu que la patrie soit sauvιe!" Et il la sauvait. Il ιtait fιroce, oui, ΰ la tribune, quand il parlait des ennemis de son pays. Il en appelait aux mesures violentes, extrκmes, au nom de son amour pour la France. Il ιtait terrible parce qu'il aimait la Patrie avant l'humanitι. Et pourtant, on l'a dit, cet homme "sous des formes βprement rιvolutionnaires, cachait des pensιes d'ordre social et d'union entre les patriotes". Qui, aujourd'hui, aprθs les savants travaux de feu A. Bougeart [Note: ALFRED BOUGEART. Danton, documents authentiques pour servir ΰ l'histoire de la Rιvolution franηaise; 1861, in-8°.] et du Dr Robinet, ne saurait souscrire a cette opinion d'Henri Martin? Son idιal, en effet, ιtait l'ordre, la concorde entre les rιpublicains. Jusque dans son dernier discours ΰ la Convention, alors que dιjΰ ΰ l'horizon en dιroute montait l'aube radieuse et terrible du 16

germinal, alors encore il faisait appel ΰ la concorde, ΰ la fraternitι, ΰ l'ordre. Sorti de la classe qui l'avait vu naξtre, il ne pouvait κtre un anarchiste, un destructeur de toute harmonie. Il aimait trop son pays pour n'avoir point l'orgueil de construire sur les ruines de la monarchie la citι nouvelle promise au labeur et ΰ l'effort de la race libιrιe. Ιtait-il propre ΰ cette tβche? L'ouvrier de la premiθre heure aurait-il moins de mιrite que celui de la derniθre? "C'ιtait un homme bien extraordinaire, fait pour tout", disait de lui l'empereur exilι, revenu au jacobinisme auquel il avait dϋ de retrouver une France neuve. [Note: BARON GOURGAUD. Journal inιdit de Sainte-Hιlθne (1815-1818), avec prιface et notes de MM. le vicomte de Grouchy et Antoine Guillois.] La rιorganisation, l'organisation faudrait-il dire, fut son grand but. Qu'on lise ces discours, on y verra cette prιoccupation constante: satisfaire les besoins de la Rιpublique, les devancer, l'organiser. Cela, certes, est indιniable. Ainsi que Carnot organisa la victoire, il mιdita d'organiser la Rιpublique. Ce qui est non moins incontestable, c'est que le temps et les moyens lui firent dιfaut, et que, lassι du trop grand effort donnι, son courage flιchit. Le jour oω il souhaita le repos fut la veille de sa ruine. Son programme politique, M. Antonin Dubost l'a exposι avec une sobre nettetι dans son bel ouvrage sur la politique dantoniste. "Repousser l'invasion ιtrangθre, ιcrit-il, briser les derniθres rιsistances rιtrogrades et constituer un gouvernement rιpublicain en le fondant sur le concours de toutes les nuances du parti progressif, indιpendamment de toutes vues particuliθres, de tout systθme quelconque, dans l'unique but de permettre au pays de poursuivre son libre dιveloppement intellectuel, moral et pratique entravι depuis si longtemps par la coalition rιtrograde; mettre au service de cette oeuvre une ιnergie terrible, nιcessaire pour conquιrir notre indιpendance nationale et pour rompre les fils de la conspiration royaliste, et une opiniβtretι comme on n'en avait pas encore vu ΰ ιtablir entre tous les rιpublicains un accord ιtroit sans lequel la fondation de la rιpublique ιtait impossible, tel ιtait le programme de Danton ΰ son entrιe au pouvoir. Ce programme, il en a poursuivi l'application jusqu'ΰ son dernier jour, ΰ travers des rιsistances inouοes et avec un esprit de suite, une souplesse, une appropriation des moyens aux circonstances qui ιtonneront toujours des hommes douιs de quelque aptitude politique." [Note: ANTONIN DUBOST, vol. cit., p. 56.] Ces moyens, on le sait, furent souvent violents, mais ici encore ils ιtaient, reprenons l'expression de M. Dubost, appropriιs aux circonstances. Or, jamais pays ne se trouva en pareille crise, en prιsence de telles circonstances. Terribles, elles durent κtre combattues terriblement. ΐ la Terreur prussienne rιpondit la Terreur franηaise. L'arme se retourna contre ceux qui la brandissaient. C'est lΰ l'explication et la justification--nous ne disons pas excuse,--du systθme. Cette explication est vieille, nul ne l'ignore, mais c'est la seule qui puisse κtre donnιe, c'est la seule qui ait ιtι combattue. En effet, enlevez ΰ la Terreur la justification des circonstances, et c'est lΰ un rιgime de folie et de sauvagerie. Thθme facile aux dιclarations rιactionnaires, on ne s'arrκte que lΰ. C'est un argument qui semble pιremptoire et sans rιplique; le lieu commun qui autorise les pires arguties et fait condamner, pκle-mκle, Danton, Robespierre,

Fouquier-Tinville, Carrier, Lebon et Saint-Just. Cette rιprobation, Danton, par anticipation, l'assuma. Il consentit ΰ charger sa mιmoire de ce qui pouvait sembler violent, excessif et inexorable dans les mesures qu'il proposait. Le salut de la Patrie primait sa justification devant la postιritι. Or, il n'ιchappe ΰ quiconque ιtudie avec son βme, avec sa raison, l'heure de cette crise, que c'est prιcisιment lΰ qu'il importe de chercher la glorification de Danton. Ces mesures contre les suspects, le tribunal rιvolutionnaire, l'impτt sur les grosses fortunes, la Terreur enfin, ce fut lui qui la proposa. Et la Terreur sauva la France. Si quelque bien-κtre et quelque libertι sont notre partage aujourd'hui dans le domaine politique et matιriel, c'est ΰ la Terreur que nous les devons. La responsabilitι ιtait terrible. Danton l'assuma devant l'Histoire, courageusement, franchement, sans arriθre-pensιe, car, on l'a avouι, l'ombre de la trahison et de la lβchetι effrayait cet homme. [Note: Mιmoires de R. Levasseur (de la Sarthe), tome II.] Il se rιvιla l'incarnation vibrante et vivante de la dιfense nationale ΰ l'heure la plus tragique de la race franηaise. Cette dιfense, la Terreur l'assura ΰ l'intιrieur et ΰ l'extιrieur. ΐ l'instant mκme oω elle triomphait de toutes rιsistances, Danton faiblit. Pour la premiθre fois il recula, il se sentit flιchir sous l'ιnorme poids de cette responsabilitι et il douta de lui-mκme et de la justice de la postιritι. Et celui que Garat appelait un grand seigneur de la Sans-culotterie [Note: Louis BLANC, Histoire de lΰ Rιvolution franηaise, t. VII, p. 97.] eut comme honte de ce qui lui allait assurer une indιfectible gloire. Et c'est l'heure que la rιaction guette, dans cette noble et courageuse vie, pour lui impartir sa dιdaigneuse indulgence; c'est l'heure oω elle est tentιe d'absoudre Danton des coups qu'il lui porta, au nom d'une clιmence qui ne fut chez lui que de la lassitude.

III C'est contre cet outrageant ιloge de la clιmence de Danton qu'il faut dιfendre sa mιmoire. La rιaction honore en lui la victime de la pitiι et de Robespierre. C'est pour avoir tentι d'arrκter la marche de la Terreur qu'il succomba, rιpθte le thθme habituel des apologistes malgrι eux. Il faut bien le dire: pour faire tomber Danton, il ne fallut que Danton lui-mκme, et, si cette mort fut le crime de Maximilien, elle fut aussi son devoir. La Gironde abattue, Danton se trouva en prιsence de deux partis rιunis cependant par les mκmes intιrκts: les Hιbertistes ΰ la Commune, les Montagnards ΰ la Convention. Entre eux point de place pour les modιrιs, ce modιrι fϋt-il Danton. Il revenait, lui, de sa ferme d'Arcis-sur-Aube, de cette maison paysanne dont le calme et le repos demeuraient son seul regret dans la terrible lutte. Il estimait avoir fait son devoir jusqu'au bout, il estimait peut-κtre aussi que la Rιvolution ιtait au terme de son ιvolution, qu'elle ιtait dιsormais ιtablie sur des bases indestructibles. On sait quelles illusions c'ιtaient lΰ en 1794. Pourtant Danton y crut, il y crut pour l'amour

du repos, par lassitude. Il s'arrκta alors qu'il eϋt fallu continuer la rude marche, il s'arrκta alors que la Patrie demandait un dernier effort. Son influence ιtait puissante encore; vers cette grande tκte ravagιe et illuminιe se tournaient un grand nombre de regards sur les bancs de la Montagne. De cette bouche ιloquente, pleine d'ιclats ιteints, de foudres muettes, pouvait venir le mot d'ordre fatal. La lassitude de Danton pouvait κtre prise par les Dantonistes comme une rιprobation; un mot de fatigue pouvait κtre interprιtι comme un ordre de recul. Reculer, c'ιtait condamner la Terreur, la paralyser au moment de son dernier effort. Et c'est ici que le devoir de Maximilien s'imposa: il lui fallut choisir de la Rιvolution ou de Danton. Il choisit. C'est ce devoir qu'on lui impute comme un crime. Et pourtant! pourtant, oui, c'ιtait un crime, cet austθre, atroce et formidable Devoir! L'homme qu'il fallait frapper au nom du progrθs rιvolutionnaire parce qu'il devenait un danger, cet homme avait rιveillι l'ιnergie guerriθre de la France, cet homme avait, pour appeler ΰ la dιfense du sol, trouvι des mots qui avaient emportι et dιchirι le coeur du peuple, il avait ιtι son incarnation, son ιcho, sa bouche d'airain. Cet homme avait proposι tout ce qui avait sauvι la Patrie et c'ιtait au nom de ces mκmes mesures qu'il importait de le frapper. Et il fut frappι. Robespierre ne se rιsigna point ΰ l'atroce tβche avec la joie sauvage, la cruautι froide et la facilitι dont on charge sa mιmoire. Un de ceux qui se dιcidθrent ΰ abattre Danton sans discuter, Vadier, ce mκme Vadier qui disait: "Nous allons vider ce Turbot farci!", Vadier reconnut plus tard qu'il lui avait, au contraire, fallu vaincre l'opposition de Robespierre, le retard que l'Incorruptible apportait ΰ se dιcider pour l'arrestation de son ancien ami. Non point qu'il n'en avait pas compris la nιcessitι, nous venons de montrer que pour l'inflexibilitι de Robespierre la chose ιtait un devoir, mais parce qu'il lui rιpugnait d'arracher de son coeur le souvenir de l'amour que Danton avait portι ΰ la patrie. Cet aveu de Vadier fut consignι par Taschereau-Fargues, dans une brochure devenue rare, oω, rapportant les dιtails de l'arrestation, il ajoute: "Pourquoi ne dirai-je point que cela fut un assassinat mιditι, prιparι de longue main, lorsque deux jours aprθs cette sιance oω prιsidait le crime, le reprιsentant Vadier, me racontant toutes les circonstances de cet ιvιnement, finit par me dire: que Saint-Just, par son entκtement, avait failli occasionner la chute des membres des deux comitιs, car il voulait, ajouta-t-il, que les accusιs fussent prιsents lorsqu'il aurait lu le rapport ΰ la Convention nationale; et telle ιtait son opiniβtretι que, voyant notre opposition formelle, il jeta de rage son chapeau dans le feu, et nous planta lΰ. Robespierre ιtait aussi de son avis; il craignait qu'en faisant arrκter prιalablement ces dιputιs, celle dιmarche ne fϋt tτt ou tard rιprιhensible; mais, comme la peur ιtait un argument irrιsistible auprθs de lui, je me servis de cette arme pour le combattre: Tu peux courir la chance d'κtre guillotinι, si tel est ton plaisir; pour moi, je veux ιviter ce danger, en les faisant arrκter sur-le-champ, car il ne faut point se faire illusion sur le parti que nous devons prendre; tout se rιduit ΰ ces mots: Si nous ne les faisons point guillotiner, nous le serons nous-mκmes." [Note: P.-A. Taschereau.--Fargues ΰ Maximilien Robespierre aux Enfers; Paris, an III, p. 16.--Citι dans les Annales rιvolutionnaires, n° 1, janvier-mars 1908, p. 101.] L'hιsitation de Robespierre vaincue, Danton ιtait perdu.

L'accusation contre Danton complιta le crime. C'ιtait le complιter, l'aggraver, en effet, que d'ιlever contre lui le reproche de la vιnalitι. De source girondine, le grief fut repris par les Montagnards; et il a fallu attendre prθs d'un siθcle pour en laver la mιmoire outragιe et blasphιmιe de Danton. Mais le premier pas fait, les autres ne coϋtθrent guθre et on sait jusqu'oω Saint-Just alla. Ici point d'excuse. Cette haute et pure figure se voile tout ΰ coup, s'efface et il ne demeure qu'un faussaire odieux, celui qui donnera, dans le dos de Danton, le coup de couteau dont il ne se relθvera pas. Fouquier-Tinville, dans son dernier mιmoire justificatif, a ιclairι les dessous de cette terrible machination, il a dit d'oω ιtait venu le coup, on a reconnu la main... Hιlas! la main qui, ΰ Strasbourg et sur le Rhin, signa les plus brillantes et les plus enflammιes des proclamations jacobines! Au 9 thermidor, quand, immobile, muet, dιchu, Saint-Just se tient debout devant la tribune oω Robespierre lance son dernier appel ΰ la raison franηaise, dans le tumulte hurlant de la Convention dιchaξnιe, peut-κtre, devinant l'expiation, Saint-Just se remιmora-t-il les suprκmes paroles de Danton au Tribunal rιvolutionnaire: "Et toi, Saint-Just, tu rιpondras ΰ la postιritι de la diffamation lancιe contre le meilleur ami du peuple, contre son plus ardent dιfenseur!" [Note: Bulletin du Tribunal rιvolutionnaire, 4e partie, n° 21.] Et c'est ce qui fait cette jeune et noble gloire un peu moins grande et un peu moins pure.

IV L'improvisation, si elle nuisit ΰ la puretι littιraire des discours de Danton, eut encore d'autres dιsavantages pour lui. Elle nous les laissa incomplets, souvent dιnaturιs et altιrιs. Rares sont ceux-lΰ qui nous sont parvenus dans leur ensemble. Alors que des orateurs comme Vergniaud et Robespierre prenaient soin d'ιcrire leurs discours et d'en corriger les ιpreuves au Moniteur, Danton dιdaignait de s'en prιoccuper. Il ne demandait point pour ses paroles la consιcration de l'avenir, et il avait ΰ leur ιgard la maniθre de mιpris et de dιdain dont il usait envers ses accusateurs. C'est pourquoi beaucoup de ces discours sont ΰ jamais perdus. Ceux qui demeurent nous sont arrivιs par les versions du Moniteur et du Lorgotachygraphe. Elles offrent entre elles des variantes que M. Aulard avait dιjΰ signalιes. Entre les deux nous avions ΰ choisir. C'est ΰ celle du Moniteur que nous nous sommes arrκtι. Outre son caractθre officiel,--dιnaturι, nous le savons bien, mais officiel quand mκme,--elle offre au lecteur, dιsireux de restituer le discours donnι ΰ son ensemble, la facilitι de se retrouver plus aisιment. Tel discours publiι ici, nous ne le dissimulons pas, prend un caractθre singuliθrement plus significatif lu dans le compte rendu d'une sιance. Mais cette qualitι devenait un dιfaut pour quelques autres qu'elle privait de leur cohιsion, de l'enchaξnement logique des pιriodes. C'est pourquoi nous nous sommes dιcidι ΰ supprimer, ΰ moins d'une nιcessitι impιrieuse, tout ce qui pouvait en contrarier la lecture, telles les interruptions sans importance, tels les applaudissements, ce qui, enfin, n'avait en aucune maniθre modifiι la

suite du discours. Nous avons, au contraire, scrupuleusement respectι tout ce qui avait dιcidι l'orateur ΰ rιpondre sur-le-champ aux observations prιsentιes. C'est le cas oω nous nous sommes trouvι pour la sιance oω Danton s'expliqua sur ses relations avec Dumouriez, et quelques autres encore. Un choix, d'autre part, s'imposait parmi tous les discours du conventionnel. Ce n'est pas ΰ l'ensemble de son oeuvre oratoire que nous avons prιtendu ici, et d'ailleurs, il serait ΰ coup sϋr impossible de le reconstituer rigoureusement. Ce choix, la matiθre mκme des discours nous le facilita singuliθrement. Tous les sujets de quelque importance furent discutιs et traitιs par Danton avec assez d'abondance. L'obligation de reproduire les discours oω il exposa ses vues politiques, le plus complθtement et le plus longuement, s'imposait donc. Ce fut d'ailleurs la mιthode dont se servit, en 1886, A. Vermorel, pour rιunir quelques discours du conventionnel sous le titre: Oeuvres de Danton, comme il avait recueilli celles de Saint-Just, de Robespierre, de Mirabeau et de Desmoulins. Ce fut la seule tentative faite pour rιunir les discours du ministre du 10 aoϋt; mais, outre les erreurs de dates assez sιrieuses, Vermorel n'avait pris aucun soin de rιsumer ou de donner la brθve physionomie des sιances oω les discours publiιs furent prononcιs. Nous avons essayι de combler cette lacune, d'ιclairer ainsi certains passages qui pouvaient sembler obscurs. Enfin, nous avons cru utile de joindre ΰ ce volume le mιmoire justificatif rιdigι par les fils Danton contre les accusations de vιnalitι portιes contre leur pθre. Cette piθce curieuse publiιe par le Dr. Robinet dans son mιmoire sur la vie privιe du conventionnel mιritait d'κtre reproduite, tant ΰ cause de la haute mιmoire qu'elle dιfend, qu'ΰ cause de la personnalitι de ses signataires. C'est une rιponse prιcise, modιrιe et de noble ton, qui a le mιrite de prouver, par des piθces ιcrites, et authentiques, la probitι de celui qui mourut, suivant le mot de M. Aulard, pur de sang, pur d'argent. Restituιs ainsi dans leur ensemble, ces discours de Danton apparaξtront comme de belles leηons de civisme et de pur patriotisme. Jamais amour pour la terre natale ne brϋla d'un feu plus ιgal, plus haut; jamais patriotisme ne s'affirma avec plus de persιvιrance et plus de foi en le pays; jamais homme ne lιgua ΰ l'histoire une plus vaste espιrance dans les glorieuses destinιes de la Rιvolution.

ANNΙE 1792

I SUR LES DEVOIRS DE L'HOMME PUBLIC (Novembre 1791) Nommι administrateur du dιpartement de Paris le 31 janvier 1791, Danton occupa cette fonction pendant presque toute cette annιe. Il ne

s'en dιmit qu'ΰ la fin de novembre pour prendre le poste de substitut du procureur de la Commune, auquel le Dix Aoϋt devait l'arracher pour le faire ministre. La vigueur dιployιe par lui dans ce poste prιpara les voies de la grande journιe fatale ΰ la Monarchie, et le discours qu'il prononηa, lors de son installation, le fit aisιment prιvoir. C'est le programme des devoirs de l'homme public qu'il y expose dans cette harangue mϋrement rιflιchie et qui, si elle n'a pas toute la flamme de ses ιclatantes improvisations de 93, se fait cependant remarquer par une audace de pensιe assez rare, au dιbut du grand conflit national, dans les rangs des magistrats du peuple. Vermorel, qui la publia d'aprθs le texte donnι par Frιron dans "L'Orateur du Peuple", lui donne la date de novembre 1792 (p. 109). C'est en novembre 1791 qu'il convient de la rιtablir. ***** Monsieur le Maire et Messieurs, Dans une circonstance qui ne fut pas un des moments de sa gloire, un homme dont le nom doit κtre ΰ jamais cιlθbre dans l'histoire de la Rιvolution disait: qu'il savait bien qu'il n'y avait pas loin du Capitole ΰ la roche Tarpιienne; et moi, vers la mκme ιpoque ΰ peu prθs, lorsqu'une sorte de plιbiscite m'ιcarta de l'enceinte de cette assemblιe oω m'appelait une section de la capitale, je rιpondais ΰ ceux qui attribuaient ΰ l'affaiblissement de l'ιnergie des citoyens ce qui n'ιtait que l'effet d'une erreur ιphιmθre, qu'il n'y avait pas loin, pour un homme pur, de l'ostracisme suggιrι aux premiθres fonctions de la chose publique. L'ιvιnement justifie aujourd'hui ma pensιe; l'opinion, non ce vain bruit qu'une faction de quelques mois ne fait rιgner qu'autant qu'elle-mκme, l'opinion indestructible, celle qui se fonde sur des faits qu'on ne peut longtemps obscurcir, cette opinion qui n'accorde point d'amnistie aux traξtres, et dont le tribunal suprκme, casse les jugements des sots et les dιcrets des juges vendus ΰ la tyrannie, cette opinion me rappelle du fond de ma retraite, oω j'allais cultiver cette mιtairie qui, quoique obscure et acquise avec le remboursement notoire d'une charge qui n'existe plus, n'en a pas moins ιtι ιrigιe par mes dιtracteurs en domaines immenses, payιs par je ne sais quels agents de l'Angleterre et de la Prusse. Je dois prendre place au milieu de vous, messieurs, puisque tel est le voeu des amis de la libertι et de la constitution; je le dois--d'autant plus que ce n'est pas dans le moment oω la patrie est menacιe de toutes parts qu'il est permis de refuser un poste qui peut avoir ses dangers comme celui d'une sentinelle avancιe. Je serais entrι silencieusement ici dans la carriθre qui m'est ouverte, aprθs avoir dιdaignι pendant tout le cours de la Rιvolution de repousser aucune des calomnies sans nombre dont j'ai ιtι assiιgι, je ne me permettrais pas de parler un seul instant de moi, j'attendrais ma juste rιputation de mes actions et du temps, si les fonctions dιlιguιes auxquelles je vais me livrer ne changeaient pas entiθrement ma position. Comme individu, je mιprise les traits qu'on me lance, ils ne me paraissent qu'un vain sifflement; devenu homme du peuple, je dois, sinon rιpondre ΰ tout, parce qu'il est des choses dont il serait absurde de s'occuper, mais au moins lutter corps ΰ corps avec quiconque semblera m'attaquer avec une sorte de bonne foi. Paris, ainsi que la France entiθre, se compose de trois classes; l'une ennemie de toute libertι, de toute ιgalitι, de toute constitution, et digne de tous les maux dont elle a accablι, dont elle voudrait encore accabler la nation; celle-lΰ je ne veux point lui parler, je ne veux que la combattre ΰ outrance jusqu'ΰ la mort; la seconde est l'ιlite

des amis ardents, des coopιrateurs, des plus fermes soutiens de notre Rιvolution, c'est elle qui a constamment voulu que je sois ici; je ne dois non plus rien dire, elle m'a jugι, je ne la tromperai jamais dans son attente: la troisiθme, aussi nombreuse que bien intentionnιe, veut ιgalement la libertι, mais elle en craint les orages; elle ne hait pas ses dιfenseurs qu'elle secondera toujours dans les moments de pιrils, mais elle condamne souvent leur ιnergie, qu'elle croit habituellement ou dιplacιe ou dangereuse; c'est ΰ cette classe de citoyens que je respecte, lors mκme qu'elle prκte une oreille trop facile aux insinuations perfides de ceux qui cachent sous le masque de la modιration l'atrocitι de leurs desseins; c'est, dis-je, ΰ ces citoyens que je dois, comme magistrat du peuple, me faire bien connaξtre par une profession de foi solennelle de mes principes politiques. La nature m'a donnι en partage les formes athlιtiques et la physionomie βpre de la libertι. Exempt du malheur d'κtre nι d'une de ces races privilιgiιes suivant nos vieilles institutions, et par cela mκme presque toujours abβtardies, j'ai conservι, en crιant seul mon existence civile, toute ma vigueur native, sans cependant cesser un seul instant, soit dans ma vie privιe, soit dans la profession que j'avais embrassιe, de prouver que je savais allier le sang-froid de la raison ΰ la chaleur de l'βme et ΰ la fermetι du caractθre. Si, dθs les premiers jours de notre rιgιnιration, j'ai ιprouvι tous les bouillonnements du patriotisme, si j'ai consenti ΰ paraξtre exagιrι pour n'κtre jamais faible, si je me suis attirι une premiθre proscription pour avoir dit hautement ce qu'ιtaient ces hommes qui voulaient faire le procθs ΰ la Rιvolution, pour avoir dιfendu ceux qu'on appelait les ιnergumθnes de la libertι, c'est que je vis ce qu'on devait attendre des traξtres qui protιgeaient ouvertement les serpents de l'aristocratie. Si j'ai ιtι toujours irrιvocablement attachι ΰ la cause du peuple, si je n'ai pas partagι l'opinion d'une foule de citoyens, bien intentionnιs sans doute, sur des hommes dent la vie politique me semblait d'une versatilitι bien dangereuse, si j'ai interpellι face ΰ face, et aussi publiquement que loyalement, quelques-uns de ces hommes qui se croyaient les pivots de notre Rιvolution; si j'ai voulu qu'ils s'expliquassent sur ce que mes relations avec eux m'avait fait dιcouvrir de fallacieux dans leurs projets, c'est que j'ai toujours ιtι convaincu qu'il importait au peuple de lui faire connaξtre ce qu'il devait craindre de personnages assez habiles pour se tenir perpιtuellement en situation de passer, suivant le cours des ιvιnements, dans le parti qui offrirait ΰ leur ambition les plus hautes destinιes; c'est que j'ai cru encore qu'il ιtait digne de moi de m'expliquer en prιsence de ces mκmes hommes, de leur dire ma pensιe tout entiθre, lors mκme que je prιvoyais bien qu'ils se dιdommageraient de leur silence en me faisant peindre par leurs crιatures avec les plus noires couleurs, et en me prιparant de nouvelles persιcutions. Si, fort de ma cause, qui ιtait celle de la nation, j'ai prιfιrι les dangers d'une seconde proscription judiciaire, fondιe non pas mκme sur ma participation chimιrique a une pιtition trop tragiquement cιlθbre, mais sur je ne sais quel conte misιrable de pistolets emportιs en ma prιsence, de la chambre d'un militaire, dans une journιe ΰ jamais mιmorable, c'est que j'agis constamment d'aprθs les lois ιternelles de la justice, c'est que je suis incapable de conserver des relations qui deviennent impures, et d'associer mon nom ΰ ceux qui ne craignent pas d'apostasier la religion du peuple qu'ils avaient d'abord dιfendu.

Voilΰ quelle fut ma vie. Voici, messieurs, ce qu'elle sera dιsormais. J'ai ιtι nommι pour concourir au maintien de la Constitution, pour faire exιcuter les lois jurιes par la nation; eh bien, je tiendrai mes serments, je remplirai mes devoirs, je maintiendrai de tout mon pouvoir la Constitution, rien que la Constitution, puisque ce sera dιfendre tout ΰ la fois l'ιgalitι, la libertι et le peuple. Celui qui m'a prιcιdι dans les fonctions que je vais remplir a dit qu'en l'appelant au ministθre le roi donnait une nouvelle preuve de son attachement ΰ la Constitution; le peuple, en me choisissant, veut aussi fortement, au moins, la Constitution; il a donc bien secondι les intentions du roi? Puissions-nous avoir dit, mon prιdιcesseur et moi, deux ιternelles vιritιs! Les archives du monde attestent que jamais peuple liι ΰ ses propres lois, ΰ une royautι constitutionnelle, n'a rompu le premier ses serments; les nations ne changent ou ne modifient jamais leurs gouvernements que quand l'excθs de l'oppression les y contraint; la royautι constitutionnelle peut durer plus de siθcles en France que n'en a durι la royautι despotique. Ce ne sont pas les philosophes, eux qui ne font que des systθmes, qui ιbranlent les empires; les vils flatteurs des rois, ceux qui tyrannisent en leurs noms le peuple, et qui l'affament, travaillent plus sϋrement ΰ faire dιsirer un autre gouvernement que tous les philanthropes qui publient leurs idιes sur la libertι absolue. La nation franηaise est devenue plus fiθre sans cesser d'κtre plus gιnιreuse. Aprθs avoir brisι ses fers, elle a conservι la royautι sans la craindre, et l'a ιpurιe sans la haοr. Que la royautι respecte un peuple dans lequel de longues oppressions n'ont point dιtruit le penchant ΰ κtre confiant, et souvent trop confiant; qu'elle livre elle-mκme ΰ la vengeance des lois tous les conspirateurs sans exception et tous ces valets de conspiration qui se font donner par les rois des acomptes sur des contre-rιvolutions chimιriques, auxquelles ils veulent ensuite recruter, si je puis parler ainsi, des partisans ΰ crιdit. Que la royautι se montre sincθrement enfin l'amie de la libertι, _sa souveraine_, alors elle s'assurera une durιe pareille ΰ celle de la nation elle-mκme, alors on verra que les citoyens qui ne sont accusιs d'κtre au _delΰ de la Constitution_ que par ceux mκmes qui sont ιvidemment en deηΰ, que ces citoyens, quelle que soit leur thιorie arbitraire sur la libertι, ne cherchent point a rompre le pacte social; qu'ils ne veulent pas, pour un mieux idιal, renverser un ordre de choses fondι sur l'ιgalitι, la justice et la libertι. Oui, messieurs, je dois le rιpιter, quelles qu'aient ιtι mes opinions individuelles lors de la rιvision de la Constitution, _sur les choses et sur les hommes_, maintenant qu'elle est jurιe, j'appellerai ΰ grands cris la mort sur le premier qui lθverait un bras sacrilθge pour l'attaquer, fϋt-ce mon frθre, mon ami, fϋt-ce mon propre fils; tels sont mes sentiments. La volontι gιnιrale du peuple franηais, manifestιe aussi solennellement que son adhιsion a la Constitution, sera toujours ma loi suprκme. J'ai consacrι ma vie tout entiθre ΰ ce peuple qu'on n'attaquera plus, qu'on ne trahira plus impunιment, et qui purgera bientτt la terre de tous les tyrans, s'ils ne renoncent pas ΰ la ligue qu'ils ont formιe contre lui. Je pιrirai, s'il le faut, pour dιfendre sa cause; lui seul aura mes derniers voeux, lui seul les mιrite; ses lumiθres et son courage l'ont tirι de l'abjection du nιant; ses lumiθres et son courage le rendront ιternel.

II SUR LES MESURES RΙVOLUTIONNAIRES (28 aoϋt 1792) Dans la sιance du 28 aoϋt de la Lιgislative, Danton, ministre de la Justice, monta ΰ la tribune pour exposer les mesures rιvolutionnaires qu'il semblait important de prendre. Merlin (de Thionville) convertit la proposition en motion que la Lιgislative vota et qui, le lendemain, fut mise ΰ exιcution. Les barriθres furent fermιes ΰ 2 heures, et les visites domiciliaires durθrent jusqu'ΰ l'aube. ***** Le pouvoir exιcutif provisoire m'a chargι d'entretenir l'Assemblιe nationale des mesures qu'il a prises pour le salut de l'Empire. Je motiverai ces mesures en ministre du peuple, en ministre rιvolutionnaire. L'ennemi menace le royaume, mais l'ennemi n'a pris que Longwy. Si les commissaires de l'Assemblιe n'avaient pas contrariι par erreur les opιrations du pouvoir exιcutif, dιjΰ l'armιe remise ΰ Kellermann se serait concertιe avec celle de Dumouriez. Vous voyez que nos dangers sont exagιrιs. Il faut que l'armιe se montrι digne de la nation. C'est par une convulsion que nous avons renversι le despotisme; c'est par une grande convulsion nationale que nous ferons rιtrograder les despotes. Jusqu'ici nous n'avons fait que la guerre simulιe de Lafayette, il faut faire une guerre plus terrible. Il est temps de dire an peuple qu'il doit se prιcipiter en masse sur les ennemis. Telle est notre situation que tout ce qui peut matιriellement servir a notre salut doit y concourir. Le pouvoir exιcutif va nommer des commissaires pour aller exercer dans les dιpartements l'influence de l'opinion. Il a pensι que vous deviez en nommer aussi pour les accompagner, afin que la rιunion des reprιsentants des deux pouvoirs produise un effet plus salutaire et plus prompt. Nous vous proposons de dιclarer que chaque municipalitι sera autorisιe ΰ prendre l'ιlite des hommes bien ιquipιs qu'elle possθde. On a jusqu'ΰ ce moment fermι les portes de la capitale et on a eu raison; il ιtait important de se saisir des traξtres; mais, y en eϋt-il 30.000 ΰ arrκter, il faut qu'ils soient arrκtιs demain, et que demain Paris communique avec la France entiθre. Nous demandons que vous nous autorisiez ΰ faire faire des visites domiciliaires. Il doit y avoir dans Paris 80.000 fusils en ιtat. Eh bien! il faut que ceux qui sont armιs volent aux frontiθres. Comment les peuples qui ont conquis la libertι l'ont-ils conservιe? Ils ont volι ΰ l'ennemi, ils ne l'ont point attendu. Que dirait la France, si Paris dans la stupeur attendait l'arrivιe des ennemis? Le peuple franηais a voulu κtre libre; il le sera. Bientτt des forces nombreuses seront rendues ici. On mettra a la disposition des municipalitιs tout ce qui sera nιcessaire, en prenant l'engagement d'indemniser les possesseurs. Tout appartient ΰ la patrie, quand la patrie est en danger.

III SUR LA PATRIE EN DANGER (2 septembre 1792) Le matin du 2 septembre on apprit ΰ Paris, aprθs les premiers succθs de Brunswick et la capitulation de Longwy, l'investissement de Verdun. Une ιmotion et une fureur extraordinaires s'emparθrent de la capitale, et tandis que Danton tonnait ΰ la tribune, le peuple se vengeait, sur les suspects des prisons, des malheurs de la patrie. "Il me semble, ιcrit avec raison M. Aulard, que cette vιhιmente harangue peut κtre considιrιe comme un des efforts les plus remarquables de Danton pour empκcher les massacres".[Note: F.-A. AULARD. _Ιtudes et Leηons sur la Rιvolution franηaise_, t. II, p. 54; Paris, Fιlix Alcan, 1898.] Elles ne les empκcha point, mais assura, du moins, la gloire ΰ son auteur. ***** Il est satisfaisant, pour les ministres du peuple libre, d'avoir ΰ lui annoncer que la patrie va κtre sauvιe. Tout s'ιmeut, tout s'ιbranle, tout brϋle de combattre. Vous savez que Verdun n'est point encore au pouvoir de nos ennemis. Vous savez que la garnison a promis d'immoler le premier qui proposerait de se rendre. Une partie du peuple va se porter aux frontiθres, une autre va creuser des retranchements, et la troisiθme, avec des piques, dιfendra l'intιrieur de nos villes. Paris va seconder ces grands efforts. Les commissaires de la Commune vont proclamer, d'une maniθre solennelle, l'invitation aux citoyens de s'armer et de marcher pour la dιfense de la patrie. C'est en ce moment, messieurs, que vous pouvez dιclarez que la capitale a bien mιritι de la France entiθre. C'est en ce moment que l'Assemblιe nationale va devenir un vιritable comitι de guerre. Nous demandons que vous _concouriez avec nous_ ΰ diriger le mouvement sublime du peuple, en nommant des commissaires qui nous seconderont dans ces grandes mesures. Nous demandons que quiconque refusera de servir de sa personne, ou de remettre ses armes, sera puni de mort. Nous demandons qu'il soit fait une instruction aux citoyens pour diriger leurs mouvements. Nous demandons qu'il soit envoyι des courriers dans tous les dιpartements pour avertir des dιcrets que vous aurez rendus. Le tocsin qu'on va sonner n'est point un signal d'alarme, c'est la charge sur les ennemis de la patrie. Pour les vaincre, il nous faut de l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace, et la France est sauvιe [Note: Texte du Moniteur.--Celui du _Journal des Dιbats et de Dιcrets_ offre quelques lιgθres variantes.].

IV SUR LE ROLE DE LA CONVENTION

(21 septembre 1792) Paris nomma, le 8 septembre, Danton reprιsentant ΰ la Convention nationale. Dθs longtemps son choix entre la fonction de ministre et celle de dιputι ιtait fait. "Il n'hιsitera pas un moment ΰ quitter le ministθre pour κtre reprιsentant du peuple", ιcrivait le 26 aoϋt Camille Desmoulins ΰ son pθre. [Note: _Oeuvres de Camille Demoulins_, recueillies et publiιes d'aprθs les textes originaux, par M. Jules Claretie, t. II, p. 369; Paris, Fasquelle.] Le 21 septembre, dans la deuxiθme sιance de la Convention nationale, Danton donna sa dιmission du ministθre. Il indiqua, en outre, dans son discours, le vιritable rτle de la Convention et les devoirs qu'elle assumait devant le peuple dont elle ιtait l'ιmanation. Improvisation brθve et nerveuse, inspirιe des mκmes sentiments qui dictθrent celle sur les mesures rιvolutionnaires. ***** Avant d'exprimer mon opinion sur le premier acte [Note: L'abolition de la royautι.] que doit faire l'Assemblιe nationale, qu'il me soit permis de rιsigner dans son sein les fonctions qui m'avaient ιtι dιlιguιes par l'Assemblιe lιgislative. Je les ai reηues au bruit du canon, dont les citoyens de la capitale foudroyθrent le despotisme. Maintenant que la jonction des armιes est faite, que la jonction des reprιsentants du peuple est opιrιe, je ne dois plus reconnaξtre mes fonctions premiθres; je ne suis plus qu'un mandataire du peuple, et c'est en cette qualitι que je vais parler. On vous a proposι des serments; il faut, en effet, qu'en entrant dans la vaste carriθre que vous avez a parcourir, vous appreniez au peuple, par une dιclaration solennelle, quels sont les sentiments et les principes qui prιsideront ΰ vos travaux. Il ne peut exister de constitution que celle qui sera textuellement, nominativement acceptιe par la majoritι des assemblιes primaires. Voilΰ ce que vous devez dιclarer au peuple. Les vains fantτmes de dictature, les idιes extravagantes de triumvirat, toutes ces absurditιs inventιes pour effrayer le peuple disparaissent alors, puisque rien ne sera constitutionnel que ce qui aura ιtι acceptι par le peuple. Aprθs cette dιclaration, vous en devez faire une autre qui n'est pas moins importante pour la libertι et pour la tranquillitι publique. Jusqu'ici on a agitι le peuple, parce qu'il fallait lui donner l'ιveil contre les tyrans. Maintenant il _faut que les lois soient aussi terribles contre ceux qui y porteraient atteinte_, que le peuple l'a ιtι en foudroyant la tyrannie; il faut qu'elles punissent tous les coupables pour que le peuple n'ait plus rien ΰ dιsirer. On a paru croire, d'excellents citoyens ont pu prιsumer que des amis ardents de la libertι pouvaient nuire ΰ l'ordre social en exagιrant les principes eh bien, abjurons ici toute exagιration; dιclarons que toutes les propriιtιs territoriales, individuelles et industrielles seront ιternellement maintenues. Souvenons-nous ensuite que nous avons tout ΰ revoir, tout ΰ recrιer; que la dιclaration des droits elle-mκme n'est pas sans tache, et qu'elle doit passer ΰ la rιvision d'un peuple vraiment libre.

V

SUR LE CHOIX DES JUGES (22 septembre 1792) Aprθs κtre intervenu dans le conflit entre la population d'Orlιans et ses officiers municipaux royalistes, Danton prit part, dans la sιance du 22 septembre, ΰ la discussion des rιformes ΰ opιrer dans le systθme judiciaire. Ce discours est particuliθrement remarquable en ce sens que c'est un des rares oω l'avocat ait passι devant le citoyen, sans toutefois l'oublier. La Convention dιcida que les juges pourraient κtre choisis parmi toutes les classes des citoyens. ***** Je ne crois pas que vous deviez dans ce moment changer l'ordre judiciaire; mais je pense seulement que vous devez ιtendre la facultι des choix. Remarquez que tous les hommes de loi sont d'une aristocratie rιvoltante; si le peuple est forcι de choisir parmi ces hommes, _il ne saura oω reposer sa confiance_. Je pense que si l'on pouvait, au contraire, ιtablir dans les ιlections un principe d'exclusion, ce devrait κtre contre ces hommes de loi qui jusqu'ici se sont arrogι un privilθge exclusif, qui a ιtι une des grandes plaies du genre humain. Que le peuple choisisse ΰ son grι les hommes ΰ talents qui mιriteront sa confiance. Il ne se plaindra pas quand il aura choisi ΰ son grι. Au lieu qu'il aura sans cesse le droit de s'insurger contre des hommes entachιs d'aristocratie que vous l'auriez forcι de choisir. Ιlevez-vous ΰ la hauteur des grandes considιrations. Le peuple ne veut point de ses ennemis dans les emplois publics; laissez-lui donc la facultι de choisir ses amis. Ceux qui se sont fait un ιtat de juger les hommes ιtaient comme les prκtres; les uns et les autres ont ιternellement trompι le peuple. La justice doit se rendre par les simples lois de la raison. Et moi aussi, je connais les formes; et si l'on dιfend l'ancien rιgime judiciaire, je prends l'engagement de combattre en dιtail, pied ΰ pied, ceux qui se montreront les sectateurs de ce rιgime [Note: Quelques conventionnels s'ιtant, en cet endroit, opposιs ΰ la proposition de Danton, il continua, dιveloppant ses arguments en faveur de la libre ιlection de tous les citoyens au poste de juge.]. Il s'agit de savoir s'il y a de graves inconvιnients ΰ dιcrιter que le peuple pourra choisir indistinctement, parmi tous les citoyens, les hommes qu'il croira les plus capables d'appliquer la justice. Je rιpondrai froidement et sans flagornerie pour le peuple aux observations de M. Chassey. Il lui est ιchappι un aveu bien prιcieux; il vous a dit que, comme membre du tribunal de cassation, il avait vu arriver ΰ ce tribunal une multitude de procθs extrκmement entortillιs, et tous viciιs par des violations de forme. Comment se fait-il qu'il convient que les praticiens sont dιtestables, mκme en forme, et que cependant il veut que le peuple ne prenne que des praticiens. Il vous a dit ensuite: plus les lois actuelles sont compliquιes, plus il faut que les hommes chargιs de les appliquer soient versιs dans l'ιtude de ces lois. Je dois vous dire, moi, que ces hommes infiniment versιs dans l'ιtude des lois sont extrκmement rares, que ceux qui se sont glissιs dans la composition actuelle des tribunaux sont des subalternes; qu'il y a parmi les juges actuels un grand nombre de procureurs et mκme

d'huissiers; eh bien, ces mκmes hommes, loin d'avoir une connaissance approfondie des lois, n'ont qu'un jargon de chicane; et cette science, loin d'κtre utile, est infiniment funeste. D'ailleurs on m'a mal interprιtι; je n'ai pas proposι d'exclure les hommes de loi des tribunaux, mais seulement de supprimer l'espθce de privilθge exclusif qu'ils se sont arrogι jusqu'ΰ prιsent. Le peuple ιlira sans doute tous les citoyens de cette classe, qui unissent le patriotisme aux connaissances, mais, ΰ dιfaut d'hommes de loi patriotes, ne doit-il pas pouvoir ιlire d'autres citoyens? Le prιopinant, qui a appuyι, en partie les observations de M. Chassey, a reconnu lui-mκme la nιcessitι de placer un prud'homme dans la composition des tribunaux, d'y placer un citoyen, un homme de bon sens, reconnu pour tel dans son canton, pour rιprimer l'esprit de dubitation qu'ont souvent les hommes barbouillιs de la science de la justice. En un mot, aprθs avoir pesι ces vιritιs, attachez-vous surtout ΰ celle-ci: le peuple a le droit de vous dire: tel homme est ennemi du nouvel ordre des choses, il a signι une pιtition contre les sociιtιs populaires, il a adressι ΰ l'ancien pouvoir exιcutif des pιtitions flagorneuses; il a sacrifiι nos intιrκts ΰ la cour, je ne puis lui accorder ma confiance. Beaucoup de juges, en effet, qui n'ιtaient pas trθs experts en mouvements politiques, ne prιvoyaient pas la Rιvolution et la Rιpublique naissante; ils correspondaient avec le pouvoir exιcutif, ils lui envoyaient une foule de piθces qui prouvaient leur incivisme: et, par une fatalitι bien singuliθre ces piθces envoyιes ΰ M. Joly, ministre de la tyrannie, ont tombι entre les mains du ministre du peuple. C'est alors que je me suis convaincu plus que jamais de la nιcessitι d'exclure cette classe d'hommes des tribunaux; en un mot, il n'y a aucun inconvιnient grave, puisque le peuple pourra rιιlire tous les hommes de loi qui sont dignes de sa confiance.

VI JUSTIFICATION CIVIQUE (25 septembre 1792) Le plus vif enthousiasme accueillit, le 25 septembre, ce discours de Danton. Sous les attaques de Lasource, l'accusant de former, avec Marat et Robespierre, un triumvirat aspirant ΰ la dictature, le grand orateur civique se rιveilla. On sait que Marat reconnut lui-mκme qu'il ιtait l'auteur de la proposition d'un triumvirat. Robespierre, Danton, disait-il, en "ont constamment improuvι l'idιe ". Il est ΰ remarquer que ce discours de Danton contient, en germe, le dιcret du 1er avril suivant qui dιpouilla les dιputιs suspects de leur inviolabilitι [Note: _Moniteur_ du jeudi 4 avril 1793, p. 94.]. C'est toutefois, malgrι sa fougueuse violence oratoire, un bel et pathιtique appel ΰ la concorde. ***** C'est un beau jour pour la nation, c'est un beau jour pour la Rιpublique franηaise, que celui qui amθne entre nous une explication fraternelle. S'il y a des coupables, s'il existe un homme pervers qui veuille dominer despotiquement les reprιsentants du peuple, sa tκte

tombera aussitτt qu'il sera dιmasquι. On parle de dictature, de triumvirat. Cette imputation ne doit pas κtre une imputation vague et indιterminιe; celui qui l'a faite doit la signer; je le ferai, moi, cette imputation dϋt-elle faire tomber la tκte de mon meilleur ami. Ce n'est pas la dιputation de Paris prise collectivement qu'il faut inculper; je ne chercherai pas non plus ΰ justifier chacun de ses membres, je ne suis responsable pour personne; je ne vous parlerai donc que de moi. Je suis prκt ΰ vous retracer le tableau de ma vie publique. Depuis trois ans, j'ai fait tout ce que j'ai cru devoir faire pour la libertι. Pendant la durιe de mon ministθre, j'ai employι toute la vigueur de mon caractθre, j'ai apportι dans le conseil toute l'activitι et tout le zθle d'un citoyen embrasι de l'amour de son pays. S'il y a quelqu'un qui puisse m'accuser a cet ιgard, qu'il se lθve et qu'il parle. Il existe, il est vrai, dans la dιputation de Paris, un homme dont les opinions sont, pour le parti rιpublicain, ce qu'ιtaient celles de Royou pour le parti aristocratique; c'est Marat. Assez et trop longtemps l'on m'a accusι d'κtre l'auteur des ιcrits de cet homme. J'invoque le tιmoignage du citoyen qui vous prιside [Note: Pιtion avait ιtι, dθs la premiθre sιance, ιlu prιsident par 235 voix. (_Procθs-verbal de la Convention national_, tome I.)]. Il lut, votre prιsident, la lettre menaηante qui m'a ιtι adressιe par ce citoyen; il a ιtι tιmoin d'une altercation qui a eu lieu, entre lui et moi ΰ la mairie. Mais j'attribue ces exagιrations aux vexations que ce citoyen a ιprouvιes. Je crois que les souterrains dans lesquels il a ιtι enfermι, ont ulcιrι son βme... Il est trθs vrai que d'excellents citoyens ont pu κtre rιpublicains par excθs, il faut en convenir; mais n'accusons pas pour quelques individus exagιrιs une dιputation tout entiθre. Quant ΰ moi, je n'appartiens pas ΰ Paris; je suis nι dans un dιpartement vers lequel je tourne toujours mes regards avec un sentiment de plaisir; mais aucun de nous n'appartient ΰ tel ou tel dιpartement, il appartient ΰ la France entiθre. Faisons donc tourner cette discussion au profit de l'intιrκt public. Il est incontestable qu'il faut une loi vigoureuse contre ceux qui voudraient dιtruire la libertι publique. Eh bien! portons-la, cette loi, portons une loi qui prononce la peine de mort contre quiconque se dιclarerait en faveur de la dictature ou du triumvirat; mais aprθs avoir posι ces bases qui garantissent le rθgne de l'ιgalitι, anιantissons cet esprit de parti qui nous perdrait. On prιtend qu'il est parmi nous des hommes qui ont l'opinion de vouloir morceler la France; faisons disparaξtre ces idιes absurdes, en prononηant la peine de mort contre les auteurs. La France doit κtre un tout indivisible. Elle doit avoir unitι de reprιsentation. Les citoyens de Marseille veulent donner la main aux citoyens de Dunkerque. Je demande donc la peine de mort contre quiconque voudrait dιtruire l'unitι en France, et je propose de dιcrιter que la Convention nationale pose pour base du gouvernement qu'elle va ιtablir l'unitι de reprιsentation et d'exιcution. Ce ne sera pas sans frιmir que les Autrichiens apprendront cette sainte harmonie; alors, je vous jure, nos ennemis sont morts.

VII CONTRE ROLAND

(29 octobre 1792) Danton mis en cause dθs le 10 octobre par la Gironde au sujet de la gestion des fonds du ministθre, et ce malgrι qu'il eϋt rendu ses comptes le 6, trouva l'occasion, dans la sιance du 29 octobre, d'attaquer de front ses calomniateurs. Ce fut le rapport de Roland qui le lui fournit. Tandis qu'il s'opposait ιnergiquement ΰ l'envoi de cette piθce hypocrite et mensongθre aux dιpartements, il dιfendait Robespierre. Il n'avait pas oubliι l'accusation de Lasource et c'est comme la seconde partie de son discours du 25 septembre prιcιdent qu'il prononηa le 29 octobre. ***** J'ai peine ΰ concevoir comment l'Assemblιe hιsiterait ΰ fixer dιcidιment ΰ un jour prochain la discussion que nιcessite le rapport du ministre. Il est temps enfin que nous sachions de qui nous sommes les collθgues; il est temps que nos collθgues sachent ce qu'ils doivent penser de nous. On ne peut se dissimuler qu'il existe dans l'Assemblιe un grand germe de dιfiance entre ceux qui la composent.... Si j'ai dit une vιritι que vous sentez tous, laissez m'en donc tirer les consιquences. Eh bien, ces dιfiances, il faut qu'elles cessent; et s'il y a un coupable parmi nous, il faut que vous en fassiez justice. Je dιclare ΰ la Convention et ΰ la nation entiθre que je n'aime point l'individu Marat; je dis avec franchise que j'ai fait l'expιrience de son tempιrament: non seulement il est volcanique et acariβtre, mais insociable. Aprθs un tel aveu qu'il me soit permis de dire que, moi aussi, je suis sans parti et sans faction. Si quelqu'un peut prouver que je tiens ΰ une faction, qu'il me confonde ΰ l'instant.... Si, au contraire, il est vrai que ma pensιe soit ΰ moi, que je sois fortement dιcidι ΰ mourir plutτt que d'κtre cause d'un dιchirement ou d'une tendance ΰ un dιchirement dans la Rιpublique, je demande ΰ ιnoncer ma pensιe tout entiθre sur notre situation politique actuelle. Sans doute il est beau que la philanthropie, qu'un sentiment d'humanitι fasse gιmir le ministre de l'Intιrieur et tous les grands citoyens sur les malheurs insιparables d'une grande rιvolution, sans doute on a le droit de rιclamer toute la rigueur de la justice nationale contre ceux qui auraient ιvidemment servi leurs passions particuliθres au lieu de servir la Rιvolution et la libertι. Mais comment se fait-il qu'un ministre qui ne peut pas ignorer les circonstances qui ont amenι les ιvιnements dont il vous a entretenus oublie les principes et les vιritιs qu'un autre ministre vous a dιveloppιs sur ces mκmes ιvιnements. [Note: Danton entend dιsigner Garat qui ιtait prιcιdemment intervenu.] Rappelez-vous ce que le ministre actuel de la Justice vous a dit sur ces malheurs insιparables de la Rιvolution. Je ne ferai point d'autre rιponse au ministre de l'Intιrieur. Si chacun de nous, si tout rιpublicain a le droit d'invoquer la justice contre ceux qui n'auraient excitι des troubles rιvolutionnaires que pour assouvir des vengeances particuliθres, je dis qu'on ne peut pas se dissimuler non plus que jamais trτne n'a ιtι fracassι sans que ses ιclats blessassent quelques bons citoyens; que jamais rιvolution complθte n'a ιtι opιrιe sans que cette vaste dιmolition de l'ordre de choses existant n'ait ιtι funeste ΰ quelqu'un; qu'il ne faut donc pas imputer, ni ΰ la citι de Paris, ni ΰ celles qui auraient pu prιsenter les mκmes dιsastres, ce qui est peut-κtre l'effet de quelques vengeances particuliθres dont je ne nie pas l'existence; mais ce qui est bien plus probablement la suite de cette commotion gιnιrale, de cette fiθvre nationale qui a produit les

miracles dont s'ιtonnera la postιritι. Je dis donc que le ministre a cιdι ΰ un sentiment que je respecte, mais que son amour passionnι pour l'ordre et les lois lui a fait voir sous la couleur de l'esprit de faction et de grands complots d'Ιtat, ce qui n'est peut-κtre que la rιunion de petites et misιrables intrigues dans leur objet comme dans leurs moyens. Pιnιtrez-vous de cette vιritι qu'il ne peut exister de faction dans une rιpublique; il y a des passions qui se cachent; il y a des crimes particuliers; mais il n'y a pas de ces complots vastes et particuliers qui puissent porter atteinte ΰ la libertι. Et oω sont donc ces hommes qu'on accuse comme des conjurιs, comme des prιtendants ΰ la dictature ou au triumvirat? Qu'on les nomme? Oui, nous devons rιunir nos efforts pour faire cesser l'agitation de quelques ressentiments et de quelques prιtentions personnelles, plutτt que de nous effrayer par de vains et chimιriques complots dont on serait bien embarrassι d'avoir ΰ prouver l'existence. Je provoque donc une explication franche sur les dιfiances qui nous divisent, je demande que la discussion sur le Mιmoire du ministre soit ajournιe ΰ jour fixe, parce que je dιsire que les faits soient approfondis, et que la Convention prenne des mesures contre ceux qui peuvent κtre coupables. J'observe que c'est avec raison qu'on a rιclamι contre l'envoi aux dιpartements de lettres qui inculpent indirectement les membres de cette Assemblιe, et je dιclare que tous ceux qui parlent de la faction Robespierre sont ΰ mes yeux ou des hommes prιvenus ou de mauvais citoyens. Que tous ceux qui ne partagent pas mon opinion me la laissent ιtablir avant de la juger. Je n'ai accusι personne et je suis prκt ΰ repousser toutes les accusations. C'est parce que je m'en sens la force et que je suis inattaquable que je demande la discussion pour lundi prochain. Je la demande pour lundi, parce qu'il faut que les membres qui veulent accuser s'assurent de leurs matιriaux et puissent rassembler leurs piθces, et pour que ceux qui se trouvent en ιtat de les rιfuter puissent prιparer leurs dιveloppements et repousser ΰ leur tour des imputations calomnieuses. Ainsi, les bons citoyens qui ne cherchent que la lumiθre, qui veulent connaξtre les choses et les hommes, sauront bientτt ΰ qui ils doivent leur haine, ou la fraternitι qui seule peut donner ΰ la Convention cette marche sublime qui marquera sa carriθre.

VIII POUR LA LIBERTΙ DES OPINIONS RELIGIEUSES (7 novembre 1792) Danton dont la politique n'eut jamais rien de dogmatique, dont le civisme s'alliait avec la tolιrance, intervint plusieurs fois dans les discussions religieuses ΰ la Convention. Dans le cas prιsent, en parlant en faveur des prκtres, il parlait aussi en faveur de la libertι des opinions religieuses, et une fois encore son patriotisme, ιclairι et prιvoyant, lui dictait cette intervention. Avec la suppression brusque du culte il prιvoyait des troubles, la guerre civile, les mille maux que crιent des citoyens violemment heurtιs dans la libertι de leur conscience. En outre, l'encyclopιdiste rιvιlait lΰ ses thιories les plus chθres, en dιclarant que "c'est un crime de lθse-nation que d'τter au peuple des hommes dans lesquels il peut trouver encore quelques consolations". Il est difficile de ne point

rendre hommage ΰ la noblesse de cette pensιe. ***** Je viens ajouter quelques idιes ΰ celles qu'a dιveloppιes le prιopinant. Sans doute il est douloureux pour les reprιsentants du peuple de voir que leur caractθre est plus indignement, plus insolemment outragι par le peuple lui-mκme que par ce Lafayette, complice des attentats du despotisme. On ne peut se dissimuler que les partisans du royalisme, les fanatiques et les scιlιrats qui, malheureusement pour l'espθce humaine, se trouvent dissιmines sur tous les points de la Rιpublique, ne rendent la libertι dιplorable. Il y a eu une violation infβme, il faut la rιprimer; il faut sιvir contrι ceux qui, prιtextant la souverainetι nationale, attaquent cette souverainetι et se souillent de tous les crimes. Il y a des individus bien coupables, car qui peut excuser celui qui veut agiter la France? N'avez-vous pas dιclarι que la Constitution serait prιsentιe ΰ l'acceptation du peuple? Mais il faut se dιfier d'une idιe jetιe dans cette Assemblιe. On a dit qu'il ne fallait pas que les prκtres fussent salariιs par le trιsor public. On s'est appuyι sur des idιes philosophiques qui me sont chθres; car je ne connais d'autre bien que celui de l'univers, d'autre culte que celui de la justice et de la libertι. Mais l'homme maltraitι de la fortune cherche des jouissances ιventuelles; quand il voit un homme riche se livrer ΰ tous ses goϋts, caresser tous ses dιsirs, tandis que ses besoins ΰ lui sont restreints au plus ιtroit nιcessaire, alors il croit, et cette idιe est consolante pour lui, il croit que dans une autre vie ses jouissances se multiplieront en proportion de ses privations dans celle-ci. Quand vous aurez eu pendant quelque temps des officiers de morale qui auront fait pιnιtrer la lumiθre auprθs des chaumiθres, alors il sera bon de parler au peuple morale et philosophie. Mais jusque-lΰ il est barbare, c'est un crime de lθse-nation que d'τter au peuple des hommes dans lesquels il peut trouver encore quelques consolations. Je penserais donc qu'il serait utile que la Convention fit une adresse pour persuader au peuple qu'elle ne veut rien dιtruire, mais tout perfectionner; que si elle poursuit le fanatisme, c'est parce qu'elle veut la libertι des opinions religieuses. Il est encore un objet qui mιrite l'attention et qui exige la prompte dιcision de l'Assemblιe. Le jugement du ci-devant roi est attendu avec impatience; d'une part, le rιpublicain est indignι de ce que ce procθs semble interminable; de l'autre, le royaliste s'agite en tous sens, et comme il a encore des moyens de finances et qu'il conserve son orgueil accoutumι, vous verrez au grand scandale et au grand malheur de la France, ces deux partis s'entrechoquer encore. S'il faut des sacrifices d'argent, si les millions mis ΰ la disposition du ministre ne suffisent pas, il faut lui en donner de nouveaux; mais plus vous prendrez de prιcautions sages, plus aussi doit ιclater votre justice contre les agitateurs. Ainsi, d'une part, assurance au peuple qu'il lui sera fourni des blιs, accιlιration du jugement du ci-devant roi, et dιploiement des forces nationales contre les scιlιrats qui voudraient amener la famine au milieu de l'abondance: telles sont les conclusions que je vous propose, et que je crois les seules utiles.

ANNΙE 1793

IX PROCΘS DE LOUIS XVI (Janvier 1793) Aprθs les succθs de Dumouriez contre les forces prussiennes, la majoritι girondine du Conseil exιcutif dιcida, sur les instances du gιnιral, l'envahissement des Pays-Bas! Le 1er dιcembre 1792, Danton partit, avec Lacroix, rejoindre les armιes, sur l'ordre de la Convention. Le 14 janvier il revenait ΰ Paris et, le surlendemain, prenait part aux dιbats du procθs du Roi. Parlant sur la question du jugement, il demanda qu'il fϋt rendu ΰ la simple Majoritι. ***** On a prιtendu que telle ιtait l'importance de cette question, qu'il ne suffisait pas qu'on la vidβt dans la forme ordinaire. Je demande pourquoi, quand c'est par une simple majoritι qu'on a prononcι sur le sort de la nation entiθre, quand on n'a pas mκme pensι ΰ soulever cette question lorsqu'il s'est agi d'abolir la royautι, on veut prononcer sur le sort d'un individu, d'un conspirateur avec des formes plus sιvθres et plus solennelles. Nous prononηons comme reprιsentant par provision la souverainetι. Je demande si, quand une loi pιnale est portιe contre un individu quelconque, vous renvoyez au peuple, ou si vous avez quelques scrupules ΰ lui donner son exιcution immιdiate? Je demande si vous n'avez pas votι ΰ la majoritι absolue seulement la rιpublique, la guerre; et je demande si le sang qui coule au milieu des combats ne coule pas dιfinitivement? Les complices de Louis n'ont-ils pas subi immιdiatement la peine sans aucun recours au peuple et en vertu de l'arrκt d'un tribunal extraordinaire? Celui qui a ιtι l'βme de ces complots mιrite-t-il une exception? Vous κtes envoyιs par le peuple pour juger le tyran, non pas comme juges proprement dits, mais comme reprιsentants: vous ne pouvez dιnaturer votre caractθre; je demande qu'on passe ΰ l'ordre du jour sur la proposition de Lehardy; je me motive et sur les principes et sur ce que vous avez dιjΰ pris deux dιlibιrations ΰ la simple majoritι. ***** Prιsent lors de l'appel nominal sur la troisiθme question; "Quelle peine Louis Capet, ci-devant roi des Franηais, a-t-il encourue?", il vota la mort, motivant en ces termes son opinion: ***** Je ne suis point de cette foule d'hommes d'Ιtat qui ignorent qu'on ne compose point avec les tyrans, qui ignorent qu'on ne frappe les rois qu'ΰ la tκte, qui ignorent qu'on ne doit rien attendre de ceux de l'Europe que par la force de nos armes. Je vote pour la mort du tyran. ***** Son intervention dans la sιance du 17 janvier fut marquιe d'un incident assez vif. Le prιsident ayant annoncι l'arrivιe d'une lettre des dιfenseurs de Louis XVI et d'une missive du ministre d'Espagne en faveur du monarque, Garan-Coulon prit la parole et dθs le premier mot

fut interrompu par Danton. Louvet s'ιcria, de sa place: "Tu n'es pas encore roi, Danton!" A ce grief girondin habituel, les rumeurs ιclatθrent, tandis que Louvet continuait: "Quel est donc ce privilθge? Je demande que le premier qui interrompra soit rappelι ΰ l'ordre." A cette impertinence de l'auteur de Faublas, Danton riposta: "Je demande que l'insolent qui dit que je ne suis pas roi encore soit rappelι ΰ l'ordre du jour avec censure..." Et s'adressant ΰ Garan-Coulon, il ajouta: "Puisque Garan prιtend avoir demandι la parole avant moi, je la lui cθde." Garan ayant parlι en faveur de l'audition des dιfenseurs du Roi, Danton prit la parole pour appuyer cet avis, et s'ιlever en termes vigoureux et ιloquents contre la prιtention du ministre d'Espagne: Je consens ΰ ce que les dιfenseurs de Louis soient entendus aprθs que le dιcret aura ιtι prononcι, persuadι qu'ils n'ont rien de nouveau ΰ vous apprendre, et qu'ils ne vous apportent point de piθces capables de faire changer votre dιtermination. Quant ΰ l'Espagne, je l'avouerai, je suis ιtonnι de l'audace d'une puissance qui ne craint pas de prιtendre ΰ exercer son influence sur votre dιlibιration. Si tout le monde ιtait de mon avis, on voterait ΰ l'instant, pour cela seul, la guerre ΰ l'Espagne. Quoi! on ne reconnaξt pas notre Rιpublique et l'on veut lui dicter des lois? On ne la reconnaξt pas, et l'on veut lui imposer des conditions, participer au jugement que ses reprιsentants vont rendre? Cependant qu'on entende si on le veut cet ambassadeur, mais que le prιsident lui fasse une rιponse digne du peuple dont il sera l'organe et qu'il lui dise que les vainqueurs de Jemmapes ne dιmentiront pas la gloire qu'ils ont acquise, et qu'ils retrouveront, pour exterminer tous les rois de l'Europe conjurιs contre nous, les forces qui dιjΰ les ont fait vaincre. Dιfiez-vous, citoyens, des machinations qu'on ne va cesser d'employer pour vous faire changer de dιtermination; on ne nιgligera aucun moyen; tantτt, pour obtenir des dιlais, on prιtextera un motif politique; tantτt une nιgociation importante ou ΰ entreprendre ou prκte ΰ terminer. Rejetez, rejetez, citoyens, toute proposition honteuse; point de transaction avec la tyrannie; soyez dignes du peuple qui vous a donnι sa confiance et qui jugerait ses reprιsentants, si ses reprιsentants l'avaient trahi. Dans la nuit du 17 au 18 janvier, alors que Vergniaud avait dιjΰ prononcι l'arrκt condamnant par 366 voix Louis XVI ΰ la peine de mort, la Convention dιcida de dιlibιrer sur la question: Y aura-t-il sursis, oui ou non, ΰ l'exιcution du dιcret gui condamne Louis Capet? L'appel nominal commencι, malgrι la fatigue de l'Assemblιe, ΰ huit heures et demie, se termina vers minuit. On sait que, par 380 voix contre 310, ce sursis fut rejetι. Tallien avait demandι ΰ la Convention de dιcider sur-le-champ de la question du sursis. Danton ιtait intervenu aux dιbats dans ces termes: On vous a parlι d'humanitι, mais on en a rιclamι les droits d'une maniθre dιrisoire... Il ne faut pas dιcrιter, en sommeillant, les plus chers intιrκts de la patrie. Je dιclare que ce ne sera ni par la lassitude, ni par la terreur qu'on parviendra ΰ entraξner la Convention nationale ΰ statuer, dans la prιcipitation d'une dιlibιration irrιflιchie, sur une question ΰ laquelle la vie d'un homme et le salut public sont ιgalement attachιs. Vous avez appris le danger des dιlibιrations soudaines; et certes, pour la question qui nous occupe, vous avez besoin d'κtre prιparιs par des mιditations profondιment suivies. La question qui vous reste ΰ rιsoudre est une des plus importantes. Un de vos membres, Thomas Payne, a une opinion importante ΰ vous communiquer. Peut-κtre ne sera-t-il pas sans importance d'apprendre de lui ce qu'en Angleterre... (_Murmures.) Je n'examine point comment on peut flatter le peuple, en adulant en lui

un sentiment qui n'est peut-κtre que celui d'une curiositι atroce. Les vιritables amis du peuple sont ΰ mes yeux ceux qui veulent prendre toutes les mesures nιcessaires pour que le sang du peuple ne coule pas, que la source de ses larmes soit tarie, que son opinion soit ramenιe aux vιritables principes de la morale, de la justice et de la raison. Je demande donc la question prιalable sur la proposition de Tallien; et que, si cette proposition ιtait mise aux voix, elle ne pϋt l'κtre que par l'appel nominal.

X POUR LEPELETIER ET CONTRE ROLAND (21 janvier 1793) Le dimanche 20 janvier, dans le sous-sol du restaurant Teisier, au Palais-Royal, un ancien garde du corps nommι Deparis, tua d'un coup de sabre Michel Lepeletier de Saint-Fargeau. Dans sa sιance du 21, la Convention dιcida d'accorder ΰ ce dernier les honneurs du Panthιon, tandis que, dιsireux de frapper les contre-rιvolutionnaires qu'ils prιsumaient κtre les instigateurs de l'assassinat, plusieurs dιputιs demandaient des visites domiciliaires pareilles ΰ celles-lΰ mκmes que Danton demanda le 28 aoϋt 1892. S'associant ΰ la premiθre proposition, Danton s'ιleva contre la seconde. La Convention ordonna nιanmoins la mesure, qui fut exιcutιe dans la nuit qui suivit. On retrouvera dans ce beau et rude discours du conventionnel un nouvel ιcho de la lutte contre la Gironde. Elle allait bientτt atteindre son paroxysme et proscrire toute clιmence. Mais une fois encore l'amour de la patrie passa avant toute querelle politique, et jamais plus belle profession de foi patriotique ne fut mκlιe ΰ plus d'abnιgation. ***** Ce qui honore le plus les Franηais, c'est que dans des moments de vengeance le peuple ait surtout respectι ses reprιsentants. Que deviendrions-nous, si, au milieu des doutes que l'on jette sur une partie de cette assemblιe, l'homme qui a pιri victime des assassins n'ιtait pas patriote! O Lepeletier, ta mort servira la Rιpublique; je l'envie, ta mort. Vous demandez pour lui les honneurs du Panthιon; mais il a dιjΰ recueilli les palmes du martyre de la Libertι. Le moyen d'honorer sa mιmoire, c'est de jurer que nous ne nous quitterons pas sans avoir donnι une Constitution ΰ la Rιpublique. Qu'il me sera doux de vous prouver que je suis ιtranger ΰ toutes les passions! Je ne suis point l'accusateur de Pιtion; ΰ mon sens il eut des torts. Pιtion peut avoir ιtι faible; mais, je l'avoue avec douleur, bientτt la France ne saura plus sur qui reposer sa confiance. Quant aux attentats dont nous avons tous gιmi, l'on aurait dϋ vous dire clairement que nulle puissance n'aurait pu les arrκter. Ils ιtaient la suite de cette rage rιvolutionnaire qui animait tous les esprits. Les hommes qui connaissent le mieux ces ιvιnements terribles furent convaincus que ces actes ιtaient la suite nιcessaire de la fureur d'un peuple qui n'avait jamais obtenu justice. J'adjure tous ceux qui me connaissent de dire si je suis un buveur de sang, si je n'ai pas employι tous les moyens de conserver la paix dans le conseil exιcutif. Je prends ΰ tιmoin Brissot lui-mκme. N'ai-je pas montrι une extrκme

dιfιrence pour un vieillard dont le caractθre est opiniβtre, et qui aurait dϋ au contraire ιpuiser tous les moyens de douceur pour rιtablir le calme? Roland, dont je n'accuse pas les intentions, rιpute scιlιrats tous ceux qui ne partagent pas ses opinions. Je demande pour le bien de la Rιpublique qu'il ne soit plus ministre; je dιsire le salut public, vous ne pouvez suspecter mes intentions. Roland, ayant craint d'κtre frappι d'un mandat dans des temps trop fameux, voit partout des complots; il s'imagine que Paris veut s'attribuer une espθce d'autoritι sur les autres communes. C'est lΰ sa grande erreur. Il a concouru ΰ animer les dιpartements contre Paris, qui est la ville de tous. On a demandι une force dιpartementale pour environner la Convention. Eh bien, cette garde n'aura pas plus tτt sιjournι dans Paris, qu'elle y prendra l'esprit du peuple. En doutez-vous maintenant? Je puis attester sans acrimonie que j'ai acquis la conviction que Roland a fait circuler des ιcrits qui disent que Paris veut dominer la Rιpublique. Quant aux visites domiciliaires, je m'oppose ΰ cette mesure dans son plein, dans un moment oω la nation s'ιlθve avec force contre le bill rendu contre les ιtrangers; mais il vous faut un comitι de sϋretι gιnιrale qui jouisse de la plιnitude de votre confiance; lorsque les deux tiers des membres de ce conseil tiendront les fils d'un complot, qu'ils puissent se faire ouvrir les maisons. Maintenant que le tyran n'est plus, tournons toute notre ιnergie, toutes nos agitations vers la guerre. Faisons la guerre ΰ l'Europe. Il faut, pour ιpargner les sueurs et le sang de nos concitoyens, dιvelopper la prodigalitι nationale. Vos armιes ont fait des prodiges dans un moment dιplorable, que ne feront-elles pas quand elles seront bien secondιes? Chacun de nos soldats croit qu'il vaut deux cents esclaves. Si on leur disait d'aller ΰ Vienne, ils iraient ΰ Vienne ou ΰ la mort. Citoyens, prenez les reines d'une grande nation, ιlevez-vous ΰ sa hauteur, organisez le ministθre, qu'il soit immιdiatement nommι par le peuple. Un autre ministθre est entre les mains d'un bon citoyen, mais il passe ses forces; je ne demande pas qu'on le ravisse ΰ ses fonctions, mais qu'elles soient partagιes. Quant ΰ moi, je ne suis pas fait pour venger des passions personnelles, je n'ai que celle de mourir pour mon pays; je voudrais, an prix, de mon sang, rendre ΰ la patrie le dιfenseur qu'elle a perdu.

XI SUR LA RΙUNION DE LA BELGIOUE A LA FRANCE (31 janvier 1793) Les premiers succθs de Dumouriez dans les Pays-Bas causθrent un enthousiasme indescriptible. La thιorie girondine de la propagande rιvolutionnaire armιe recevait sa sanction. Danton monta ΰ la tribune dans la sιance du 31 janvier, comprenant tout le parti que pouvait tirer la jeune Rιpublique de l'annexion de la Belgique au moment oω, sur ce territoire, se livrait une guerre dιcisive. Le soir mκme, Danton partait pour les frontiθres. On sait que c'est durant ce voyage

que mourut, le l0 fιvrier 1793, sa premiθre femme Antoinette-Gabrielle Charpentier. ***** Ce n'est pas en mon nom seulement, c'est au nom des patriotes belges, du peuple belge, que je viens demander aussi la rιunion de la Belgique. Je ne demande rien ΰ votre enthousiasme, mais tout ΰ votre raison, mais tout aux intιrκts de la Rιpublique Franηaise. N'avez-vous pas prιjugι cette rιunion quand vous avez dιcrιtι une organisation provisoire de la Belgique. Vous avez tout consommι par cela seul que vous avez dit aux amis de la libertι: organisez-vous comme nous. C'ιtait dire: nous accepterons votre rιunion si vous la proposez. Eh bien, ils la proposent aujourd'hui. Les limites de la France sont marquιes par la nature. Nous les atteindrons dans leurs quatre points: ΰ l'Ocιan, au Rhin, aux Alpes, aux Pyrιnιes. On nous menace des rois! Vous leur avez jetι le gant, ce gant est la tκte d'un roi, c'est le signal de leur mort prochaine. On vous menace de l'Angleterre! Les tyrans de l'Angleterre sont morts. Vous avez la plιnitude de la puissance nationale. Le jour oω la Convention nommera des commissaires pour savoir ce qu'il y a dans chaque commune d'hommes et d'armes, elle aura tous les Franηais. Quant ΰ la Belgique, l'homme du peuple, le cultivateur veulent la rιunion. Lorsque nous leur dιclarβmes qu'ils avaient le pouvoir de voter, ils sentirent que l'exclusion ne portait que sur les ennemis du peuple, et ils demandθrent l'exclusion de votre dιcret. Nous avons ιtι obligιs de donner la protection de la force armιe au receveur des contributions auquel le peuple demandait la restitution des anciens impτts. Sont-ils mϋrs, ces hommes-lΰ? De cette rιunion dιpend le sort de la Rιpublique dans la Belgique. Ce n'est que parce que les patriotes pusillanimes doutent de cette rιunion, que votre dιcret du 15 a ιprouvι des oppositions. Mais prononcez-la et alors vous ferez exιcuter les lois franηaises, et alors les aristocrates, nobles et prκtres, purgeront la terre de la libertι. Cette purgation opιrιe, nous aurons des hommes, des armes de plus. La rιunion dιcrιtιe, vous trouverez dans les Belges des rιpublicains dignes de vous, qui feront mordre la poussiθre aux despotes. Je conclus donc ΰ la rιunion de la Belgique.

XII SUR LES SECOURS A ENVOYER A DUMOURIEZ (8 mars 1793) La trahison de Dumouriez fut prιcιdιe des revers qui amenθrent par la suite, au lendemain de sa convention avec Mack, l'ιvacuation de la Belgique par les armιes franηaises. Danton, au cours de sa mission, eut l'occasion de voir et de juger les dιplorables rιsultats de la campagne. Au moment oω il revenait ΰ Paris, avec Lacroix, l'avant-garde de l'armιe abandonnait Liθge ΰ l'ennemi. La Convention dιcrιta les mesures proposιes par Danton dans ce discours: ***** Nous avons plusieurs fois fait l'expιrience que tel est le caractθre franηais, qu'il lui faut des dangers pour trouver toute sou ιnergie.

Eh bien, ce moment est arrivι. Oui, il faut dire ΰ la France entiθre: "Si vous ne volez pas au secours de vos frθres de la Belgique, si Dumouriez est enveloppι en Hollande, si son armιe ιtait obligιe de mettre bas les armes, qui peut calculer les malheurs incalculables d'un pareil ιvιnement? La fortune publique anιantie, la mort de 600.000 Franηais pourraient en κtre la suite!" Citoyens, vous n'avez pas une minute ΰ perdre; je ne vous propose pas en ce moment des mesures gιnιrales pour les dιpartements, votre comitι de dιfense vous fera demain son rapport. Mais nous ne devons pas attendre notre salut uniquement de la loi sur le recrutement; son exιcution sera nιcessairement lente, et des rιsultats tardifs ne sont pas ceux qui conviennent ΰ l'imminence du danger qui nous menace. Il faut que Paris, cette citι cιlθbre et tant calomniιe, il faut que cette citι qu'on aurait renversιe pour servir nos ennemis qui redoutent son brϋlant civisme contribue par son exemple ΰ sauver la patrie. Je dis que cette ville est encore appelιe ΰ donner ΰ la France l'impulsion qui, l'annιe derniθre, a enfantι nos triomphes. Comment se fait-il que vous n'ayez pas senti que, s'il est bon de faire les lois avec maturitι, on ne fait bien la guerre qu'avec enthousiasme? Toutes les mesures dilatoires, tout moyen tardif de recruter dιtruit cet enthousiasme, et reste souvent sans succθs. Vous voyez dιjΰ quels en sont les misιrables effets. Tous les Franηais veulent κtre libres. Ils se sont constituιs en gardes nationales. Aux termes de leur serments, ils doivent tous marcher quand la patrie rιclame leur secours. Je demande, par forme de mesure provisoire, que la Convention nomme des commissaires qui, ce soir, se rendront dans toutes les sections de Paris, convoqueront les citoyens, leur feront prendre les armes, et les engageront, au nom de la libertι et de leurs serments, ΰ voter la dιfense de la Belgique. La France entiθre sentira le contre-coup de cette impulsion salutaire. Nos armιes recevront de prompts renforts; et, il faut le dire ici, les gιnιraux ne sont pas aussi rιprιhensibles que quelques personnes ont paru le croire. Nous leur avions promis qu'au 1er fιvrier l'armιe de la Belgique recevrait un renfort de 30.000 hommes. Rien ne leur est arrivι. Il y a trois mois qu'ΰ notre premier voyage dans la Belgique ils nous dirent que leur position militaire ιtait dιtestable, et que, sans un renfort considιrable, s'ils ιtaient attaquιs au printemps, ils seraient peut-κtre forcιs d'ιvacuer la Belgique entiθre. Hβtons-nous de rιparer nos fautes. Que ce premier avantage de nos ennemis soit, comme celui de l'annιe derniθre, le signal du rιveil de la nation. Qu'une armιe, conservant l'Escaut, donne la main ΰ Dumouriez, et les ennemis seront dispersιs. Si nous avons perdu Aix-la-Chapelle, nous trouverons en Hollande des magasins immenses qui nous appartiennent. Dumouriez rιunit au gιnie du gιnιral l'art d'ιchauffer et d'encourager le soldat. Nous avons entendu l'armιe battue le demander ΰ grands cris. L'histoire jugera ses talents, ses passions et ses vices; mais ce qui est certain, c'est qu'il est intιressι ΰ la splendeur de la Rιpublique. S'il est secondι, si une armιe lui prκte la main, il saura faire repentir nos ennemis de leurs premiers succθs. Je demande que des commissaires soient nommιs ΰ l'instant.

XIII SUR LA LIBΙRATION DES PRISONNIERS POUR DETTES (9 mars 1793) Ce fut une des mesures les plus humaines que celle rιclamιe par Danton dans ce discours. Avocat, il comprenait tout l'odieux du systθme; patriote, il en sentait tout l'absurde au moment oω la dιfense de la Rιpublique exigeait toutes les ιnergies, toutes les forces vives de la nation. La Convention s'associa ΰ l'unanimitι ΰ la gιnιreuse proposition de l'ancien ministre. ***** Non sans doute, citoyens, l'espoir de vos commissaires ne sera pas dιηu. Oui, vos ennemis, les ennemis de la libertι seront exterminιs, parce que vos efforts ne vont point se ralentir. Vous serez dignes d'κtre les rιgulateurs de l'ιnergie nationale. Vos commissaires, en se dissιminant sur toutes les parties de la Rιpublique, vont rιpιter aux Franηais que la grande querelle qui s'est ιlevιe entre le despotisme et la libertι va κtre enfin terminιe. Le peuple franηais sera vengι: c'est ΰ nous qu'il appartient de mettre le monde politique en harmonie, de crιer des lois concordantes avec cette harmonie. Mais avant de vous entretenir de ces grands objets, je viens vous demander la dιclaration d'un principe trop longtemps mιconnu, l'abolition d'une erreur funeste, la destruction de la tyrannie de la richesse sur la misθre. Si la mesure que je propose est adoptιe, bientτt ce Pitt, le Breteuil de la diplomatie anglaise, et ce Burke, l'abbι Maury du Parlement britannique, qui donnent aujourd'hui au peuple anglais une impulsion si contraire ΰ la libertι, seront anιantis. Que demandez-vous? Vous voulez que tous les Franηais s'arment pour la dιfense commune. Eh bien, il est une classe d'hommes qu'aucun crime n'a souillιs, qui a des bras, mais qui n'a pas de libertι, c'est celle des malheureux dιtenus pour dettes; c'est une honte pour l'humanitι, pour la philosophie, qu'un homme, en recevant de l'argent, puisse hypothιquer et sa personne et sa sϋretι. Je pourrais dιmontrer que la dιclaration du principe que je proclame est favorable ΰ la cupiditι mκme, car l'expιrience prouve que celui qui prκtait ne prenait aucune garantie pιcuniaire, parce qu'il pouvait disposer de la personne de son dιbiteur; mais qu'importent ces considιrations mercantiles? Elles ne doivent pas influer sur une grande nation. Les principes sont ιternels, et tout Franηais ne peut κtre privι de sa libertι que pour avoir forfait ΰ la sociιtι. Que les propriιtaires ne s'alarment pas. Sans doute quelques individus se sont portιs ΰ des excθs; mais la nation, toujours juste, respectera les propriιtιs. Respectez la misθre, et la misθre respectera l'opulence. Ne soyons jamais coupables envers les malheureux, et le malheureux, qui a plus d'βme que le riche, ne sera jamais coupable. Je demande que la Convention nationale dιclare que tout citoyen franηais, emprisonnι pour dettes, sera mis en libertι, parce qu'un tel emprisonnement est contraire ΰ la saine morale, aux droits de l'homme, aux vrais principes de la libertι.

XIV SUR LES DEVOIRS DE CHACUN ENVERS LA PATRIE EN DANGER (10 mars 1793) L'ιmotion des terribles nouvelles pesait sur la Convention dans la sιance du 10 mars. L'ennemi occupait Liθge et forηait ΰ la levιe du siθge de Maλstricht. Le dιcouragement avait succιdιe l'enthousiasme des premiers jours. Nous tenons le discours que Danton prononηa ΰ cette occasion pour le plus admirable morceau d'ιloquence civique. Jamais appel plus vibrant, plus ιlectrique ne fut lancι ΰ la nation par l'homme qui s'effaηait devant le danger de la patrie. Le dιdain qu'il eut toujours pour sa dιfense personnelle se manifeste une fois encore ici: "Que m'importe d'κtre appelι buveur de sang!.... Conquιrons la libertι!" Vingt jours plus tard, la trahison de Dumouriez ιtait chose faite. ***** Les considιrations gιnιrales qui vous ont ιtι prιsentιes sont vraies; mais il s'agit moins en ce moment d'examiner les causes des ιvιnements dιsastreux qui peuvent nous frapper, que d'y appliquer promptement le remθde. Quand l'ιdifice est en feu, je ne m'attache pas aux fripons qui enlθvent les meubles, j'ιteins l'incendie. Je dis que vous devez κtre convaincus plus que jamais, par la lecture des dιpκches de Dumouriez, que vous n'avez pas un instant ΰ perdre pour sauver la Rιpublique. Dumouriez avait conηu un plan qui honore son gιnie. Je dois lui rendre mκme une justice bien plus ιclatante que celle que je lui rendis derniθrement. Il y a trois mois qu'il a annoncι au pouvoir exιcutif, ΰ votre comitι de dιfense gιnιrale, que, si nous n'avions pas assez d'audace pour envahir la Hollande au milieu de l'hiver, pour dιclarer sur-le-champ la guerre ΰ l'Angleterre, qui nous la faisait depuis longtemps, nous doublerons les difficultιs de la campagne, en laissant aux forces ennemies le temps de se dιployer. Puisque l'on a mιconnu ce trait de gιnie, il faut rιparer nos fautes. Dumouriez ne s'est pas dιcouragι; il est au milieu de la Hollande, il y trouvera des munitions; pour renverser tous nos ennemis, il ne lui faut que des Franηais, et la France est remplie de citoyens. Voulons-nous κtre libres? Si nous ne le voulons plus, pιrissons, car nous l'avions jurι. Si nous le voulons, marchons tous pour dιfendre notre indιpendance. Nos ennemis font leurs derniers efforts. Pitt sent bien qu'ayant tout ΰ perdre, il n'a rien ΰ ιpargner. Prenons la Hollande, et Carthagθne est dιtruite, et l'Angleterre ne peut plus vivre que pour la libertι.... Que la Hollande soit conquise ΰ la libertι, et l'aristocratie commerciale elle-mκme, qui domine en ce moment le peuple anglais, s'ιlθvera contre le gouvernement qui l'aura entraξnιe dans cette guerre du despotisme contre un peuple libre. Elle renversera ce ministθre stupide qui a cru que les talents de l'ancien rιgime pouvaient ιtouffer le gιnie de la libertι qui plane sur la France. Ce ministθre renversι par l'intιrκt du commerce, le parti de la libertι se montrera, car il n'est pas mort; et si vous saisissez vos devoirs, si vos commissaires partent ΰ l'instant, si vous donnez

la main ΰ l'ιtranger qui soupire aprθs la destruction de toute espθce de tyrannie, la France est sauvιe et le monde est libre. Faites donc partir vos commissaires: soutenez-les par votre ιnergie; qu'ils partent ce soir, cette nuit mκme; qu'ils disent ΰ la classe opulente: il faut que l'aristocratie de l'Europe, succombant sous nos efforts, paye notre dette, ou que vous la payiez; le peuple n'a que du sang; il le prodigue. Allons, misιrables, prodiguez vos richesses. Voyez, citoyens, les belles destinιes qui vous attendent. Quoi! vous avez une nation entiθre pour levier, la raison pour point d'appui, et vous n'avez pas encore bouleversι le monde. Il faut pour cela du caractθre, et la vιritι est qu'on en a manquι. Je mets de cτtι toutes les passions, elles me sont toutes parfaitement ιtrangθres, exceptι celle du bien public. Dans des circonstances plus difficiles, quand l'ennemi ιtait aux portes de Paris, j'ai dit ΰ ceux qui gouvernaient alors: Vos discussions sont misιrables, je ne connais que l'ennemi. Vous qui me fatiguez de vos contestations particuliθres, au lieu de vous occuper du salut de la Rιpublique, je vous rιpudie tous comme traξtres ΰ la patrie. Je vous mets tous sur la mκme ligne. Je leur disais: Eh que m'importe ma rιputation! que la France soit libre et que mon nom soit flιtri! Que m'importe d'κtre appelι buveur de sang! Eh bien, buvons le sang des ennemis de l'humanitι, s'il le faut; combattons, conquιrons la libertι. On parait craindre que le dιpart des commissaires affaiblisse l'un ou l'autre parti de la Convention. Vaines terreurs! Portez votre ιnergie partout. Le plus beau ministθre est d'annoncer au peuple que la dette terrible qui pθse sur lui sera dessιchιe aux dιpens de ses ennemis, ou que le riche la paiera avant peu. La situation nationale est cruelle; le signe reprιsentatif n'est plus en ιquilibre dans la circulation; la journιe de l'ouvrier est au-dessous du nιcessaire; il faut un grand moyen correctif. Conquιrons la Hollande; ranimons en Angleterre le parti rιpublicain; faisons marcher la France, et nous irons glorieux ΰ la postιritι. Remplissez ces grandes destinιes; point de dιbats; point de querelles, et la patrie est sauvιe. ***** Danton, outre le discours sur le Tribunal rιvolutionnaire que l'on trouvera plus loin, intervint dans les dιbats de cette sιance pour demander la comparution, ΰ la barre de la Convention, du gιnιral Stengel qui, nι sujet palatin, se refusait ΰ porter les armes contre sa patrie et demandait ΰ κtre employι dans un autre poste. ***** Je suis bien ιloignι de croire Stengel rιpublicain; je ne crois pas qu'il doive commander nos armιes. Mais je pense qu'avant de le dιcrιter d'accusation, il faut qu'il vous soit fait un rapport ou que vous l'entendiez vous-mκmes ΰ la barre. Il faut de la raison et de l'inflexibilitι; il faut que l'impunitι, portιe jusqu'ΰ prιsent trop loin, cesse; mais il ne faut pas porter de dιcret d'accusation au hasard. Je demande que le ministre de la guerre soit chargι de faire traduire ΰ la barre Stengel et Lanoue. ***** La Convention dιcrιta que Stengel et Lanoue comparaξtraient ΰ sa barre.

XV SUR L'INSTITUTION D'UN TRIBUNAL RΙVOLUTIONNAIRE (10 mars 1793) La conspiration de l'ennemi intιrieur se combinant avec les dangers extιrieurs exigeait des mesures sιvθres, terribles. Tandis que la nation armιe se portait aux frontiθres, il importait d'empκcher, au lendemain de possibles dιsastres, le retour des ιvιnements sanglants qui avaient marquι les premiers jours de septembre, au lendemain de l'invasion. C'est dans cet esprit que Danton proposa la crιation d'un tribunal rιvolutionnaire. ***** Je somme tous les bons citoyens de ne pas quitter leurs postes. (_Tous les membres se remettent en place, un calme profond rθgne dans toute l'Assemblιe_.) Quoi, citoyens! au moment oω notre position est telle, que si Maranda ιtait battu, et cela n'est pas impossible, Dumouriez enveloppι serait obligι de mettre bas les armes, vous pourriez vous sιparer sans prendre les grandes mesures qu'exige le salut de la chose publique? Je sens ΰ quel point il est important de prendre des mesures judiciaires qui punissent les contre-rιvolutionnaires; car c'est pour eux que ce tribunal est nιcessaire; c'est pour eux que ce tribunal doit supplιer au tribunal suprκme de la vengeance du peuple. Les ennemis de la libertι lθvent un front audacieux; partout confondus, ils sont partout provocateurs. En voyant le citoyen honnκte occupι dans ses foyers, l'artisan occupι dans ses ateliers, ils ont la stupiditι de se croire en majoritι: eh bien, arrachez-les vous-mκmes ΰ la vengeance populaire, l'humanitι vous l'ordonne. Rien n'est plus difficile que de dιfinir un crime politique; mais si un homme du peuple, pour un crime particulier, en reηoit ΰ l'instant le chβtiment; s'il est si difficile d'atteindre un crime politique, n'est-il pas nιcessaire que des lois extraordinaires, prises hors du corps social, ιpouvantent les rebelles et atteignent les coupables? Ici le salut du peuple exige de grands moyens et des mesures terribles. Je ne vois pas de milieu entre les formes ordinaires et un tribunal rιvolutionnaire. L'histoire atteste cette vιritι; et puisqu'on a osι, dans cette Assemblιe, rappeler ces journιes sanglantes sur lesquelles tout bon citoyen a gιmi, je dirai, moi, que si un tribunal eϋt alors existι, le peuple auquel on a si souvent, si cruellement reprochι ces journιes, ne les aurait pas ensanglantιes; je dirai, et j'aurai l'assentiment de tous ceux qui ont ιtι les tιmoins de ces terribles ιvιnements, que nulle puissance humaine n'ιtait dans le cas d'arrκter le dιbordement de la vengeance nationale. Profitons des fautes de nos prιdιcesseurs. Faisons ce que n'a pas fait l'Assemblιe lιgislative; soyons terribles pour dispenser le peuple de l'κtre; organisons un tribunal, non pas bien, cela est impossible, mais le moins mal qu'il se pourra, afin que le glaive de la loi pθse sur la tκte de tous ses ennemis. Ce grand oeuvre terminι, je vous rappelle aux armes, aux commissaires

que vous devez faire partir, au ministθre que vous devez organiser; car nous ne pouvons le dissimuler, il nous faut des ministres; et celui de la marine, par exemple, dans un pays oω tout peut κtre crιι, parce que tous les ιlιments s'y trouvent, avec toutes les qualitιs d'un bon citoyen, n'a pas crιι de marine; nos frιgates ne sont pas sorties et l'Angleterre enlθve nos corsaires. Eh bien, le moment est arrivι, soyons prodigues d'hommes et d'argent; dιployons tous les moyens de la puissance nationale, mais ne mettons la direction de ces moyens qu'entre les mains d'hommes dont le contact nιcessaire et habituel avec vous vous assure l'ensemble et l'exιcution des mesures que vous avez combinιes pour le salut de la Rιpublique. Vous n'κtes pas un corps constituι, car vous pouvez tout constituer vous-mκmes. Prenez-y garde, citoyens, vous rιpondez au peuple de nos armιes, de son sang, de ses assignats; car si ses dιfaites attιnuaient tellement la valeur de cette monnaie que les moyens d'existence fussent anιantis dans ses mains, qui pourrait arrκter les effets de son ressentiment et de sa vengeance? Si, dθs le moment que je vous l'ai demandι, vous eussiez fait le dιveloppement de forces nιcessaires, aujourd'hui l'ennemi serait repoussι loin de nos frontiθres. Je demande donc que le tribunal rιvolutionnaire soit organisι, sιance tenante, que le pouvoir exιcutif, dans la nouvelle organisation, reηoive les moyens d'action et d'ιnergie qui lui sont nιcessaires. Je ne demande pas que rien soit dιsorganisι, je ne propose que des moyens d'amιlioration. Je demande que la Convention juge mes raisonnements et mιprise les qualifications injurieuses et flιtrissantes qu'on ose me donner. Je demande qu'aussitτt que les mesures de sϋretι gιnιrale seront prises, vos commissaires partent ΰ l'instant, qu'on ne reproduise plus l'objection qu'ils siθgent dans tel ou tel cτtι de cette salle. Qu'ils se rιpandent dans les dιpartements, qu'ils y ιchauffent les citoyens, qu'ils y raniment l'amour de la libertι, et que, s'ils ont regret de ne pas participer ΰ des dιcrets utiles, ou de ne pouvoir s'opposer ΰ des dιcrets mauvais, ils se souviennent que leur absence a ιtι le salut de la patrie. Je me rιsume donc: ce soir, organisation du tribunal, organisation du pouvoir exιcutif; demain, mouvement militaire; que, demain, vos commissaires soient partis; que la France entiθre se lθve, coure aux armes, marche ΰ l'ennemi; que la Hollande soit envahie; que la Belgique soit libre; que le commerce d'Angleterre soit ruinι; que les amis de la libertι triomphent de cette contrιe; que nos armes, partout victorieuses, apportent aux peuples la dιlivrance et le bonheur; que le monde soit vengι.

XVI SUR LA DΙMISSION DE BEURNONVILLE (11 mars 1793) Nommι ministre de la Guerre le 4 fιvrier 1793, Beurnonville donna sa dιmission le 11 mars suivant. A ce propos, plusieurs membres de la Convention voulurent lui demander les motifs de son dιpart. Danton s'y opposa, insistant dans son discours sur la cohιsion et l'unitι

rιclamιes par le gouvernement rιpublicain, faisant appel au civisme de tous pour le salut public. On sait qu'envoyι ΰ la suite de sa dιmission auprθs de Dumouriez, Beurnonville fut livrι par lui aux Autrichiens qui le retinrent en otage jusqu'au 12 brumaire an IV. ***** Avant de rendre au ministre de la Guerre la justice que lui doit tout Franηais qui aime son pays, et qui sait apprιcier ceux qui ont combattu vaillamment pour lui, je dois cette dιclaration positive de mes principes et de mes sentiments: que, s'il est dans mes opinions que la nature des choses et les circonstances exigent que la Convention se rιserve la facultι de prendre partout, et mκme dans son sein, des ministres, je dιclare en mκme temps, et je le jure par la patrie, que, moi, je n'accepterai jamais une place dans le ministθre, tant que j'aurai l'honneur d'κtre membre de la Convention nationale. Je le dιclare, dis-je, sans fausse modestie; car, je l'avoue, je crois valoir un autre citoyen franηais. Je le dιclare avec le dιsir ardent que mon opinion individuelle ne devienne pas celle de tous mes collθgues; car je tiens pour incontestable que vous feriez une chose funeste ΰ la chose publique, si vous ne vous rιserviez pas cette facultι. Aprθs un tel aveu, je vous somme tous, citoyens, de descendre dans le fond de votre conscience. Quel est celui d'entre vous qui ne sent pas la nιcessitι d'une plus grande cohιsion, de rapports plus directs, d'un rapprochement plus immιdiat, plus quotidien, entre les agents du pouvoir exιcutif rιvolutionnaire, chargι de dιfendre la libertι contre toute l'Europe, et vous qui κtes chargιs de la direction suprκme de la lιgislation civile et de la dιfense de lΰ Rιpublique? Vous avez la nation ΰ votre disposition, vous κtes une Convention nationale, vous n'κtes pas un corps constituι, mais un corps chargι de constituer tous les pouvoirs, de fonder tous les principes de notre Rιpublique; vous n'en violerez donc aucun, rien ne sera renversι, si, exerηant toute la latitude de vos pouvoirs, vous prenez le talent partout oω il existe pour le placer partout oω il peut κtre utile. Si je me rιcuse dans les choix que vous pourrez faire, c'est que, dans mon poste, je me crois encore utile ΰ pousser, ΰ faire marcher la Rιvolution; c'est que je me rιserve encore la facultι de dιnoncer les ministres qui, par malveillance et par impιritie, trahiraient notre confiance. Ainsi mettons-nous donc bien tous dans la tκte que presque tous, que tous, nous voulons le salut public. Que les dιfiances particuliθres ne nous arrκtent pas dans notre marche, puisque nous avons un but commun. Quant ΰ moi, je ne calomnierai jamais personne; je suis sans fiel, non par vertu, mais par tempιrament. La haine est ιtrangθre ΰ mon caractθre.... Je n'en ai pas besoin; ainsi je ne puis κtre suspect, mκme ΰ ceux qui ont fait profession de me haοr. Je vous rappelle ΰ l'infinitι de vos devoirs. Je n'entends pas dιsorganiser le ministθre; je ne parle pas de la nιcessitι de prendre des ministres dans votre sein, mais de la nιcessitι de vous en rιserver la facultι. ---J'arrive ΰ la discussion particuliθre qui s'est ιlevιe sur la lettre de dιmission envoyιe par le ministre de la Guerre. On veut lui demander les motifs de sa dιmission: certes, jamais on ne pourra dire que c'est par faiblesse. Celui qui a combattu si bien les ennemis, braverait l'erreur populaire avec le mκme courage; il mourrait ΰ son poste sans sourciller; tel est Beurnonville, tel nous devons le proclamer. Mais la nature, variιe dans ses faveurs, distribue aux hommes diffιrents genres de talents; tel est capable de commander une armιe, d'ιchauffer le soldat, de maintenir la discipline

qui n'a pas les formes populaires conciliatrices, nιcessaires dans les circonstances critiques et orageuses, quand on veut le bien. Celui qui donne sa dιmission a dϋ se consulter sous ces diffιrents rapports; il ne serait pas mκme de la dignitι de la Convention de lui faire les questions qu'on propose. Beurnonville a su se juger; il peut encore vaincre nos ennemis sur le champ de bataille; mais il n'a pas les formes familiθres qui, dans les places administratives, appellent la confiance des hommes peu ιclairιs; car le peuple est ombrageux, et l'expιrience de nos rιvolutions lui a bien acquis le droit de craindre pour sa libertι. Je ne doute pas que Beurnonville n'ait gιrι en bon citoyen; il doit κtre exceptι de la rigueur de la loi qui dιfend ΰ tout ministre de quitter Paris, avant d'avoir rendu ses comptes; et nous ne perdrons pas l'espιrance de voir Beurnonville allant aux armιes, y conduisant des renforts, remporter avec elles de nouveaux triomphes.

XVII SUR LE GOUVERNEMENT RΙVOLUTIONNAIRE (27 mars 1793) Crιι le 10 mars, le Tribunal criminel extraordinaire n'ιtait pas encore entrι en activitι. Danton s'ιleva avec force contre ce retard et rappela dans son discours les devoirs assumιs par le gouvernement rιvolutionnaire. Le lendemain, 28 mars, la Convention dιcrιtait que le Tribunal entrerait en activitι le mκme jour et pour ce l'autorisait ΰ juger au nombre de dix jurιs. ***** Je dιclare avoir recommandι aux ministres d'excellents patriotes, d'excellents rιvolutionnaires. Il n'y a aucune loi qui puisse τter ΰ un reprιsentant du peuple sa pensιe. La loi ancienne qu'on veut rappeler ιtait absurde; elle a ιtι rιvoquιe par la rιvolution. Il faut enfin que la Convention nationale soit un corps rιvolutionnaire; il faut qu'elle soit peuple; il est temps qu'elle dιclare la guerre aux ennemis intιrieurs. Quoi! la guerre civile est allumιe de toutes parts, et la Convention reste immobile! Un tribunal rιvolutionnaire a ιtι crιι qui devait punir tous les conspirateurs, et ce tribunal n'est pas encore en activitι! Que dira donc ce peuple! car il est prκt ΰ se lever en masse; il le doit, il le sent. Il dira: Quoi donc! des passions misιrables agitent nos reprιsentants, et cependant les contre-rιvolutionnaires tuent la libertι. Je dois enfin vous dire la vιritι, je vous la dirai sans mιlange; que m'importent toutes les chimθres que l'on peut rιpandre contre moi, pourvu que je puisse servir la patrie! Oui, citoyens; vous ne faites pas votre devoir. Vous dites que le peuple est ιgarι; mais pourquoi vous ιloignez-vous de ce peuple? Rapprochez-vous de lui, il entendra la voix de la raison. La rιvolution ne peut marcher, ne peut κtre consolidιe qu'avec le peuple. Le peuple en est l'instrument, c'est ΰ vous de vous en servir. En vain dites-vous que les sociιtιs populaires fourmillent de dιnonciateurs absurdes, de dιnonciateurs atroces. Eh bien, que n'y allez-vous? Une nation en rιvolution est comme l'airain

qui bout et se rιgιnθre dans le creuset. La statue de la libertι n'est pas fondue. Ce mιtal bouillonne; si vous n'en surveillez le fourneau, vous serez tous brϋlιs. Comment se fait-il que vous ne sentiez pas que c'est aujourd'hui qu'il faut que la Convention dιcrθte que tout homme du peuple aura une pique aux frais de la nation. Les riches la paieront, ils la paieront en vertu d'une loi; les propriιtιs ne seront pas violιes. Il faut dιcrιter encore que, dans les dιpartements oω la rιvolution s'est manifestιe, quiconque a l'audace d'appeler cette contre-rιvolution sera mis hors la loi. A Rome, Valerius Publicola eut le courage de proposer une loi qui portait peine de mort contre quiconque appellerait la tyrannie. Eh bien, moi, je dιclare que, puisque dans les rues, dans les places publiques, les patriotes sont insultιs; puisque, dans les spectacles, on applaudit avec fureur aux applications qui se rapportent avec les malheurs de la patrie; je dιclare, dis-je, que quiconque oserait appeler la destruction de la libertι, ne pιrira que de ma main, dusse-je aprθs porter ma tκte sur l'ιchafaud, heureux d'avoir donnι un exemple de vertu ΰ ma patrie. Je demande qu'on passe ΰ l'ordre du jour sur la motion qui m'a donnι lieu de parler. Je demande que, dans toute la Rιpublique, un citoyen ait une pique aux frais de la nation. Je demande que le tribunal extraordinaire soit mis en activitι. Je demande que la Convention dιclare au peuple franηais, ΰ l'Europe, ΰ l'univers qu'elle est un corps rιvolutionnaire, qu'elle est rιsolue de maintenir la libertι, d'ιtouffer les serpents qui dιchirent le sein de la patrie. Montrez-vous rιvolutionnaires; montrez-vous peuple, et alors la libertι n'est plus en pιril. Les nations qui veulent κtre grandes doivent, comme les hιros, κtre ιlevιes ΰ l'ιcole du malheur. Sans doute nous avons eu des revers; mais si, au mois de septembre, on vous eϋt dit: "la tκte du tyran tombera sous le glaive des lois, l'ennemi sera chassι du territoire de la Rιpublique; 100.000 hommes seront ΰ Mayence; nous aurons une armιe ΰ Tournai", vous eussiez vu la libertι triomphante. Eh bien, telle est encore notre position. Nous avons perdu un temps prιcieux. Il faut le rιparer. On a cru que la rιvolution ιtait faite. On a criι aux factieux. Eh bien, ce sont ces factieux qui tombent sous le poignard des assassins. Et toi, Lepeletier, quand tu pιrissais victime de ta haine pour les tyrans, on criait aussi que tu ιtais un factieux. Il faut sortir de cette lιthargie politique. Marseille sait dιjΰ que Paris n'a jamais voulu opprimer la Rιpublique, n'a jamais voulu que la libertι. Marseille s'est dιclarιe la montagne de la Rιpublique. Elle se gonflera, cette montagne, elle roulera les rochers de la libertι, et les ennemis de la libertι seront ιcrasιs. Je ne veux pas rappeler de fβcheux dιbats. Je ne veux pas faire l'historique des haines dirigιes contre les patriotes. Je ne dirai qu'un mot. Je vous dirai que Roland ιcrivait ΰ Dumouriez (et c'est ce gιnιral qui nous a montrι la lettre, ΰ Lacroix et ΰ moi): "Il faut vous liguer avec nous pour ιcraser ce parti de Paris, et surtout ce Danton." Jugez si une imagination frappιe au point de tracer de pareils tableaux a dϋ avoir une grande influence sur toute la Rιpublique. Mais tirons le rideau sur le passι. Il faut nous rιunir. C'est cette rιunion qui devrait ιtablir la libertι d'un pτle ΰ l'autre, aux deux tropiques et sur la ligne de la Convention. Je ne demande pas d'ambassades particuliθres. Quant ΰ moi, je fais serment de mourir pour dιfendre mon plus cruel ennemi. Je demande que ce sentiment sacrι enflamme toutes les βmes. Il faut tuer les ennemis intιrieurs pour triompher des ennemis extιrieurs. Vous deviendrez victimes de vos passions ou de votre ignorance, si vous ne sauvez la Rιpublique. La Rιpublique, elle

est immortelle! L'ennemi pourra bien faire encore quelques progrθs; il pourrait prendre encore quelques-unes de nos places, mais il s'y consumerait lui-mκme. Que nos ιchecs tournent ΰ notre avantage! que le Franηais, en touchant la terre de son pays, comme le gιant de la fable, reprenne de nouvelles forces. J'insiste sur ce qui est plus qu'une loi, sur ce que la nιcessitι vous commande, soyez peuple. Que tout homme qui porte encore dans son coeur une ιtincelle de libertι, ne s'ιloigne pas du peuple. Nous ne sommes pas ses pθres, nous sommes ses enfants. Exposons-lui nos besoins et ses ressources, disons qu'il sera inviolable, s'il veut κtre uni. Qu'on se rappelle l'ιpoque mιmorable et terrible du mois d'aoϋt. Toutes les passions se croisaient. Paris ne voulait pas sortir de ses murs. J'ai, moi, car il faut bien quelquefois se citer, j'ai amenι le conseil exιcutif ΰ se rιunir ΰ la mairie avec tous les magistrats du peuple. Le peuple vit notre rιunion, il la seconda, et l'ennemi a ιtι vaincu. Si on se rιunit, si on aime les sociιtιs populaires, si on y assiste, malgrι ce qu'il peut y avoir en elles de dιfectueux, car il n'y a rien de parfait sur la terre, la France reprendra sa force, redeviendra victorieuse, et bientτt les despotes se repentiront de ces triomphes ιphιmθres qui n'auront ιtι que plus funestes pour eux.

XVIII JUSTIFICATION DE SA CONDUITE EN BELGIQUE (30 mars 1793) Dans la sιance du 30 mars, un membre [Note: Le Moniteur du 1er avril, n° 91, qui rend compte de la sιance du 30 mars ne donne pas le nom de ce membre.] de la Convention demanda l'exιcution du dιcret ordonnant ΰ Danton de rendre compte de l'ιtat de la Belgique au moment de son dιpart. "Il importe, ajoutait-il, que nous connaissions toutes les opιrations de nos commissaires Gironde contre le conventionnel". Il demanda aussitτt la parole et prononηa ce long discours oω il se justifia d'une faηon ιclatante des reproches sournois et hypocrites que Mme Roland rιιdita depuis dans son libelle. ***** Citoyens, vous aviez, par un dιcret, ordonnι que, Camus et moi, seuls des commissaires prθs l'armιe de la Belgique, qui se trouvent actuellement dans la Convention, rendions compte de ce que nous avions vu et fait dans la Belgique. Le changement des circonstances, les lettres nouvelles parvenues ΰ votre Comitι de dιfense gιnιrale, ont rendu ce rapport moins important, quant ΰ ce qui concerne la situation des armιes, puisque cette situation a changι; elles ont nιcessitι des mesures provisoires que vous avez dιcrιtιes. J'ιtais prκt et je le suis encore ΰ m'expliquer amplement, et sur l'historique de la Belgique, et sur les gιnιraux, et sur l'armιe, et sur la conduite des commissaires. Il est temps que tout soit connu. Si la saine raison, si le salut de la patrie et celui de l'armιe a obligι vos commissaires d'κtre en quelque sorte stationnaires, aujourd'hui le temps de bannir toute espθce de politique est arrivι; il l'est d'autant plus que je m'aperηois qu'on a insinuι dans l'Assemblιe que les malheurs de la Belgique pouvaient avoir ιtι plus ou moins amenιs par l'influence, les

fautes et mκme les crimes de vos commissaires. Eh bien, je prends ΰ cette tribune l'engagement solennel de tout dire, de tout rιvιler, de rιpondre ΰ tout. J'appellerai tous les contradicteurs possibles d'un bout de la Rιpublique ΰ l'autre; j'appellerai le Conseil exιcutif, les commissaires nationaux; j'appellerai tous mes collθgues en tιmoignage. Et aprθs cette vaste explication, quand on aura bien sondι l'abξme dans lequel on a voulu nous plonger, on reconnaξtra que ceux-lΰ qui ont travaillι la rιunion, qui ont demandι des renforts, qui se sont empressιs de vous annoncer nos ιchecs pour hβter l'envoi des secours, s'ils n'obtiennent pas l'honorable fruit de leurs travaux, sont au moins bien fortement in inculpables. Je rendrai, je pourrai me tromper sur quelques dιtails, les comptes qui me sont demandιs; mais je puis annoncer ΰ l'avance qu'il y aura unanimitι dans le tιmoignage de vos commissaires sur les principaux objets de ces rapports. Je demande que la sιance de demain soit consacrιe ΰ un rapport prιliminaire, car il y aura beaucoup de personnes a entendre, beaucoup de chefs ΰ interroger. On verra si nous avons manquι d'amour pour le peuple, lorsque nous n'avons pas voulu tout ΰ coup priver l'armιe des talents militaires dont elle avait besoin, dans des hommes dont cependant nous combattions les opinions politiques, ou si nous n'avons pas au contraire sauvι cette armιe. On verra, par exemple, que, si nous avions donnι ΰ cette fameuse lettre qui a ιtι lue partout, exceptι dans cette enceinte, les suites que nous aurions pu lui donner, dθs qu'elle nous a ιtι connue, on verra que, si nous n'avions pas, dans cette circonstance, mis dans notre conduite la prudence que nous dictaient les ιvιnements, l'armιe, dιnuιe de chefs, se serait repliιe sur nos frontiθres avec un tel dιsordre, que l'ennemi serait entrι avec elle dans nos places fortes. Je ne demande ni grβce, ni indulgence. J'ai fait mon devoir dans ce moment de nouvelle rιvolution, comme je l'ai fait au 10 aoϋt. Et, ΰ cet ιgard, comme je viens d'entendre des hommes qui, sans doute sans connaξtre les faits, mettant en avant des opinions dictιes par la prιvention, me disent que je rende mes comptes, je dιclare que j'ai rendu les miens et que je suis prκt ΰ les rendre encore. Je demande que le Conseil exιcutif soit consultι sur toutes les parties de ma conduite ministιrielle. Qu'on me mette en opposition avec ce ci-devant ministre qui, par des rιticences, a voulu jeter des soupηons sur moi. J'ai fait quelques instants le sacrifice de ma rιputation pour mieux payer mon contingent ΰ la Rιpublique, en ne m'occupant que de la servir. Mais j'appelle aujourd'hui sur moi toutes les explications, tous les genres d'accusation, car je suis rιsolu ΰ tout dire. Ainsi prιparez-vous ΰ κtre aussi francs jusque dans vos haines, et francs dans vos passions, car je les attends. Toutes ces discussions pourront peut-κtre tourner encore au profit de la chose publique. Nos maux viennent de nos divisions; eh bien, connaissons-nous tous. Car comment se fait-il qu'une portion des reprιsentants du peuple traite l'autre de conjurιs? Que ceux-ci accusent les premiers de vouloir les faire massacrer? Il a ιtι un temps pour les passions; elles sont malheureusement dans l'ordre de la nature; mais il faut enfin que tout s'explique, que tout le monde se juge et se reconnaisse. Le peuple, il faut le dire, ne sait plus oω reposer sa confiance; faites donc que l'on sache si vous κtes un composι de deux partis, une assemblιe d'hommes travaillιs de soupηons respectifs, ou si vous tendez tous au

salut de la patrie. Voulez-vous la rιunion? Concourez d'un commun accord aux mesures sιvθres et fermes que rιclame le peuple indignι des trahisons dont il a ιtι si longtemps victime. Instruisez, armez les citoyens; ce n'est pas assez d'avoir des armιes aux frontiθres, il faut au sein de la Rιpublique une colonne centrale qui fasse front aux ennemis du dedans, pour reporter ensuite la guerre au dehors. Non seulement je rιpondrai catιgoriquement aux inculpations qui m'ont ιtι et me seront faites ici, dans cette Assemblιe qui a l'univers pour galerie, mais je dirai tout ce que je sais sur les opιrations de la Belgique, persuadι que la connaissance approfondie du mal peut seule nous en faire dιcouvrir le remθde. Ainsi, s'il est un seul d'entre vous qui ait le moindre soupηon sur ma conduite, comme ministre; s'il en est un seul qui dιsire des comptes itιratifs, lorsque dιjΰ toutes les piθces sont dιposιes dans vos comitιs; s'il en est un seul qui ait des soupηons sur mon administration, relativement aux dιpenses secrθtes de rιvolution, qu'il monte demain ΰ la tribune, que tout se dιcouvre, que tout soit mis ΰ nu, et, libres de dιfiances, nous passerons ensuite ΰ l'examen de notre situation politique [Note: A. AULARD (_Oeuvr. cit._, tome I, p. 137 et suiv.) a prouvι, piθces en mains, que, contrairement ΰ l'assertion de la femme Roland et de presque tous les historiens, Danton avait rendu les comptes de son ministθre dans la sιance de la Convention du 6 octobre 1792.]. Ces dιfiances, quand on veut se rapprocher, sont-elles donc si difficiles ΰ faire disparaξtre? Je le dis, il s'en faut qu'il y ait dans cette Assemblιe les conspirations qu'on se prκte. Trop longtemps, il est vrai, un amour mutuel de vengeance, inspirι par les prιventions, a retardι la marche de la Convention, et diminuι son ιnergie, en la divisant souvent. Telle opinion forte a ιtι repoussιe par tel ou tel cotι, par cela seul qu'elle ne lui appartenait pas. Qu'enfin donc le danger vous rallie. Songez que vous vous trouvez dans la crise la plus terrible; vous avez une armιe entiθrement dιsorganisιe, et c'est la plus importante, car d'elle dιpendait le salut public, si le vaste projet de ruiner en Hollande le commerce de l'Angleterre eϋt rιussi. Il faut connaξtre ceux qui peuvent avoir trempι dans la conspiration qui a fait manquer ce projet; les tκtes de ceux qui ont influι, soit comme gιnιraux, soit comme reprιsentants du peuple sur le sort de cette armιe, ces tκtes doivent tomber les premiθres. D'accord sur les bases de la conduite que nous devons tenir, nous le serons facilement sur les rιsultats. Interrogeons, entendons, comparons, tirons la vιritι du chaos; alors nous saurons distinguer ce qui appartient aux passions et ce qui est le fruit des erreurs; nous connaξtrons oω a ιtι la vιritable politique nationale, l'amour de son pays, et l'on ne dira plus qu'un tel est un ambitieux, un usurpateur, parce qu'il a un tempιrament plus chaud et des formes plus robustes. Non, la France ne sera pas rι asservie, elle pourra κtre embranlιe, mais le peuple, comme le Jupiter de l'Olympe, d'un seul signe fera rentrer dans le nιant tous les ennemis. Je demande que demain le Conseil exιcutif nous fasse un rapport prιliminaire; je demande ΰ m'expliquer ensuite, car le peuple doit κtre instruit de tout. Les nouvelles reηues hier des armιes transpirent dιjΰ. C'est en soulevant petit ΰ petit le voile, c'est en renonηant aux palliatifs que nous prιviendrons l'explosion que pourrait produire l'excθs de mιcontentement. Je demande que le Conseil exιcutif, piθces en main, nous rende compte de ses diffιrents agents. Que la vιritι colore le civisme et le courage; que nous ayons encore

l'espoir de sauver la Rιpublique, et de ramener ΰ un centre commun ceux qui se sont un moment laissι ιgarer par leurs passions. Citoyens, nous n'avons pas un instant ΰ perdre. L'Europe entiθre pousse fortement la conspiration. Vous voyez que ceux-lΰ qui ont prκchι plus persιvιramment la nιcessitι du recrutement qui s'opθre enfin pour le salut de la Rιpublique; que ceux qui ont demandι le tribunal rιvolutionnaire; que ceux qui ont provoquι l'envoi des commissaires dans les dιpartements pour y souffler l'esprit public, sont prιsentιs presque comme des conspirateurs. On se plaint de misιrables dιtails. Et des corps administratifs n'ont-ils pas demandι ma tθte? Ma tθte!.... elle est encore lΰ, elle y restera. Que chacun emploie celle qu'il a reηue de la nature, non pour servir de petites passions, mais pour servir la Rιpublique. Je somme celui qui pourrait me supposer des projets d'ambition, de dilapidation, de forfaiture quelconque, de s'expliquer demain franchement sur ces soupηons, sous peine d'κtre rιputι calomniateur. Cependant je vous en atteste tous, dθs le commencement de la Rιvolution, j'ai ιtι peint sous les couleurs les plus odieuses. Je suis restι inιbranlable, j'ai marchι ΰ pas fermes vers la libertι. On verra qui touchera au terme oω le peuple arrivera, aprθs avoir ιcrasι tous les ennemis. Mais puisque aujourd'hui l'union, et par consιquent une confiance rιciproque, nous est nιcessaire, je demande ΰ entrer, aprθs le rapport du Conseil exιcutif, dans toutes explications qu'on jugera.

XIX SUR LA TRAHISON DE DUMOURIEZ ET LA MISSION EN BELGIQUE (1er avril 1793) La trahison de Dumouriez, dont les opιrations avaient, ΰ plusieurs reprises, ιtι dιfendues par Danton, crιa pour celui-ci une nouvelle source d'accusations. Aprθs un discours de Cambacιrθs, au nom du Comitι de dιfense gιnιrale, une dιfense de Sillery, rιclamant l'examen de ses papiers pour se disculper d'une complicitι supposιe avec Dumouriez, et quelques mots de Fonfrθde et de Robespierre, Peniθres monta ΰ la tribune pour dιnoncer un fait que le Moniteur (n° 93) relate en ces termes: PENIΘRES.--Quelques jours aprθs l'arrivιe de Danton et de Delacroix de la Belgique, une lettre ιcrite par Dumouriez fut envoyιe au Comitι de dιfense gιnιrale, sans avoir ιtι lue ΰ l'Assemblιe. (PLUSIEURS MEMBRES.--Cela n'est pas vrai!) La lettre fut apportιe au Comitι de dιfense gιnιrale, oω Danton fut appelι pour en entendre la lecture; Brιard, qui ιtait alors prιsident, dit qu'il ιtait de son devoir d'en donner connaissance ΰ l'Assemblιe. Delacroix lui rιpondit en ces termes: "Quant ΰ moi, si j'ιtais prιsident, je ne balancerais pas un moment ΰ exposer ma responsabilitι, et la lettre ne serait pas lue; car si un dιcret d'accusation devait κtre portι contre Dumouriez, j'aimerais mieux que ma tκte tombβt que la sienne: Dumouriez est utile ΰ l'armιe." Aprθs cette explication, il fut arrκtι que le lendemain on ferait renvoyer cette lettre au comitι, sans en faire la lecture.

Aprθs que ce renvoi fut dιcrιtι, Danton nous dit qu'il repartirait avec Delacroix et qu'il promettait de faire rιtracter Dumouriez; et il ajouta que, dans le cas oω Dumouriez s'y refuserait, il demanderait lui-mκme le dιcret d'accusation contre lui. Qu'est-il arrivι? Danton, de retour de la Belgique, ne se prιsenta ni ΰ l'Assemblιe ni au comitι. Je lui demande en ce moment: pourquoi, ayant promis de faire rιtracter Dumouriez, et ne l'ayant pas fait, n'a-t-il pas demandι contre lui le dιcret d'accusation. ***** Brιard ayant, en quelques mots, expliquι son rτle en cet incident, Danton monta ΰ la tribune pour justifier sa conduite envers Dumouriez, sa mission en Belgique, et confondre ses calomniateurs. A plusieurs reprises son discours fut interrompu. Force nous est donc de suivre le texte du Moniteur (n° 93 et 94) pour donner une physionomie exacte de la sιance, et de reproduire toutes les interruptions pour suivre la dιfense de Danton. ***** Je commence par bien prιciser l'interpellation faite, elle se rιduit ΰ ceci: "Vous avez dit, Danton, que, si vous ne parveniez pas ΰ faire ιcrire a Dumouriez une lettre qui dιtruisit l'effet de la premiθre, vous demanderiez contre lui le dιcret d'accusation. Cette lettre n'ayant point eu lieu, pourquoi n'avez-vous pas tenu votre promesse?" Voilΰ la maniθre dont je suis interpellι. Je vais donner les ιclaircissements qui me sont demandιs. D'abord, j'ai fait ce que j'avais annoncι: la Convention a reηu une lettre par laquelle Dumouriez demandait qu'il ne fϋt fait de rapport sur sa premiθre qu'aprθs que la Convention aurait entendu les renseignements que devaient lui donner ses commissaires. Cette lettre ne nous satisfit pas, et, aprθs avoir confιrι avec lui, nous acquξmes la conviction qu'il n'y avait plus rien ΰ attendre de Dumouriez pour la Rιpublique. Arrivι ΰ Paris ΰ neuf heures du soir, je ne vins pas au comitι; mais le lendemain j'ai dit que Dumouriez ιtait devenu tellement atroce, qu'il avait dit que la Convention ιtait composιe de trois cents imbιciles et de quatre cents brigands. J'ai demandι que tout fϋt dιvoilι; ainsi tous ceux qui s'y sont trouvιs ont dϋ voir que mon avis ιtait qu'il fallait arracher Dumouriez ΰ son armιe. Mais ce fait ne suffit pas, il importe que la Convention et la nation entiθre sachent la conduite qu'ont tenue vos commissaires ΰ l'ιgard de Dumouriez, et il est ιtrange que ceux qui, constamment, ont ιtι en opposition de principes avec lui soient aujourd'hui accusιs comme ses complices. Qu'a voulu Dumouriez? Ιtablir un systθme financier dans la Belgique. Qu'a voulu Dumouriez? Point de rιunion. Quels sont ceux qui ont fait les rιunions? Vos commissaires. La rιunion du Hainaut, dit Dumouriez, s'est faite ΰ coups de sabre. Ce sont vos commissaires qui l'ont faite. C'est nous que Dumouriez accuse des malheurs de la Belgique; c'est nous qu'il accuse d'avoir fait couler le sang dans le Hainaut et, par une fatalitι inconcevable, c'est nous qu'on accuse de protιger Dumouriez! J'ai dit que Dumouriez avait conηu un plan superbe d'invasion de la

Hollande: si ce plan eϋt rιussi, il aurait peut-κtre ιpargnι bien des crimes ΰ Dumouriez; peut-κtre l'aurait-il voulu faire tourner a son profit; mais l'Angleterre n'en aurait pas ιtι moins abaissιe et la Hollande conquise. Voilΰ le systθme de Dumouriez: Dumouriez se plaint des sociιtιs populaires et du tribunal extraordinaire; il dit que bientτt Danton n'aura plus de crιdit que dans la banlieue de Paris. UNE VOIX.--Ce sont les dιcrets de l'Assemblιe, et non vous. On m'observe que je suis dans l'erreur; je passe ΰ un autre fait plus important: c'est que Dumouriez a dit ΰ l'armιe que si Danton et Delacroix y reparaissaient, il les ferait arrκter. Citoyens, les faits parlent d'eux-mκmes; on voit facilement que la commission a fait son devoir. Dumouriez s'est rendu criminel, mais ses complices seront bientτt connus. J'ai dιjΰ annoncι que Dumouriez a ιtι ιgarι par les impulsions qu'il a reηues de Paris, et qu'il ιtait aigri par les ιcrits qui prιsentaient les citoyens les plus ιnergiques comme des scιlιrats. La plupart de ces ιcrits sont sortis de cette enceinte; je demande que la Convention nomme une commission pour dιbrouiller ce chaos et pour connaξtre les auteurs de ce complot. Quand on verra comment nous avons combattu les projets de Dumouriez, quand on verra que vous avez ratifiι tous les arrκtιs que nous avons pris, il ne restera plus aucun soupηon sur notre conduite. Citoyens, ce n'est point assez de dιcouvrir d'oω viennent nos maux; il faut leur appliquer un remθde immιdiat. Vous avez, il est vrai, ordonnι un recrutement, mais cette mesure est trop lente; je crois que l'Assemblιe doit nommer un comitι de la guerre, chargι de crιer une armιe improvisιe. Les ennemis veulent se porter sur Paris; leur complice vous l'a dιvoilι; je demande qu'il soit pris des mesures pour qu'un camp de cinquante mille hommes soit formι ΰ vingt lieues de Paris; ce camp fera ιchouer les projets de nos ennemis, et pourra au besoin servir a complιter les armιes. Je demande aussi que mes collθgues dans la Belgique soient rappelιs sur-le-champ. PLUSIEURS MEMBRES.--Cela est fait. Je demande enfin que le Conseil exιcutif rende un compte exact de nos opιrations dans la Belgique: l'Assemblιe acquerra les lumiθres qui lui sont nιcessaires, et elle verra que nous avons toujours ιtι en contradiction avec Dumouriez. Si vos commissaires avaient fait enlever Dumouriez au moment oω il ιtait ΰ la tθte de son armιe, on aurait rejetι sur eux la dιsorganisation de cette armιe. Vos commissaires, quoique investis d'un grand pouvoir, n'ont rien pour assurer le succθs de leurs opιrations; les soldats ne nous prennent, en arrivant aux armιes, que pour de simples secrιtaires de commission; il aurait fallu que la Convention donnβt ΰ ceux qu'elle charge de promulguer ses lois ΰ la tκte des armιes une sorte de dιcoration moitiι civile et moitiι militaire. Que pouvaient faire de plus vos commissaires, sinon de dire: il y a urgence, il faut arracher promptement Dumouriez de la tκte de son armιe? Si nous avions voulu employer la force, elle nous eϋt manquι; car quel gιnιral, au moment oω Dumouriez exιcutait sa retraite, et

lorsqu'il ιtait entourι d'une armιe qui lui ιtait dιvouιe, eϋt voulu exιcuter nos ordres? Dumouriez ιtait constamment jour et nuit ΰ cheval, et jamais il n'y a eu deux lieues de retraite sans un combat: ainsi il nous ιtait impossible de le faire arrκter. Nous avons fait notre devoir, et j'appelle sur ma tκte toutes les dιnonciations, sϋr que ma tκte loin de tomber sera la tκte de Mιduse qui fera trembler tous les aristocrates. LASOURCE.--Ce n'est point une accusation formelle que je vais porter contre Danton; mais ce sont des conjectures que je vais soumettre ΰ l'Assemblιe. Je ne sais point dιguiser ce que je pense, ainsi je vais dire franchement l'idιe que la conduite de Delacroix et de Danton a fait naξtre dans mon esprit. Dumouriez a ourdi un plan de contre-rιvolution; l'a-t-il ourdi seul, oui ou non? Danton a dit qu'il n'avait pu, qu'il n'avait osι sιvir contre Dumouriez, parce qu'au moment oω il se battait, aucun officier gιnιral n'aurait voulu exιcuter ses ordres. Je rιponds ΰ Danton qu'il est bien ιtonnant qu'il n'ait osι prendre aucune mesure contre Dumouriez, tandis qu'il nous a dit que l'armιe ιtait tellement rιpublicaine, que, malgrι la confiance qu'elle avait dans son gιnιral, si elle lisait dans un journal que Dumouriez a ιtι dιcrιtι d'accusation, elle l'amθnerait elle-mκme ΰ la barre de l'Assemblιe. Danton vient de dire qu'il avait assurι le comitι que la Rιpublique n'avait rien ΰ espιrer de Dumouriez. J'observe ΰ l'Assemblιe que Dumouriez avait perdu la tκte en politique, mais qu'il conservait tous ses talents militaires; alors Robespierre demanda que la conduite de Dumouriez fϋt examinιe; Danton s'y opposa et dit qu'il ne fallait prendre aucune mesure contre lui avant que la retraite de la Belgique fϋt entiθrement effectuιe. Son opinion fut adoptιe. Voilΰ les faits, voici comme je raisonne. MAURE.--Je demande ΰ dire un fait, c'est qu'on a proposι d'envoyer Gensonnι qui avait tout pouvoir sur Dumouriez, afin de traiter avec lui du salut de la patrie. PLUSIEURS MEMBRES.--C'est vrai. LASOURCE.--Voici comment je raisonne. Je dis qu'il y avait un plan de formι pour rιtablir la royautι, et que Dumouriez ιtait ΰ la tκte de ce plan. Que fallait-il faire pour le faire rιussir? Il fallait maintenir Dumouriez ΰ la tκte de son armιe. Danton est venu ΰ la tribune, et a fait le plus grand ιloge de Dumouriez. S'il y avait un plan de formι pour faire rιussir les projets de Dumouriez, que fallait-il faire? Il fallait se populariser. Qu'a fait Delacroix? Delacroix, en arrivant de la Belgique, a affectι un patriotisme exagιrι dont jusqu'ΰ ce moment il n'avait donnι aucun exemple. (_De violents murmures se font entendre_.) Et pour mieux dire, Delacroix se dιclara Montagnard. L'avait-il fait jusqu'alors? Non. Il tonna contre les citoyens qui ont votι l'appel au peuple et contre ceux qu'on dιsigne sous le nom d'hommes d'Ιtat. L'avait-il fait jusqu'alors? Non. Pour faire rιussir la conspiration tramιe par Dumouriez, il fallait acquιrir la confiance populaire, il fallait tenir les deux extrιmitιs du fil. Delacroix reste dans la Belgique; Danton vient ici; il y vient pour prendre des mesures de sϋretι gιnιrale; il assiste au comitι, il

se tait. DANTON.--Cela est faux! PLUSIEURS VOIX.--C'est faux! LASOURCE.--Ensuite Danton, interpellι de rendre compte des motifs qui lui ont fait abandonner la Belgique, parle d'une maniθre insignifiante. Comment se fait-il qu'aprθs avoir rendu son compte Danton reste ΰ Paris? Avait-il donnι sa dιmission? Non. Si son intention ιtait de ne pas retourner dans la Belgique, il fallait qu'il le dit, afin que l'Assemblιe le remplaηβt; et dans le cas contraire, il devait y retourner. Pour faire rιussir la conspiration de Dumouriez, que fallait-il faire? Il fallait faire perdre ΰ la Convention la confiance publique. Que fait Danton? Danton paraξt ΰ la tribune, et lΰ il reproche ΰ l'Assemblιe d'κtre au-dessous de ses devoirs; il annonce une nouvelle insurrection; il dit que le peuple est prκt ΰ se lever, et cependant le peuple ιtait tranquille. Il n'y avait pas de marche plus sϋre pour amener Dumouriez ΰ ses fins que de ravaler la Convention et de faire valoir Dumouriez; c'est ce qu'a fait Danton. Pour protιger la conspiration, il fallait exagιrer les dangers de la patrie, c'est ce qu'ont fait Delacroix et Danton. On savait qu'en parlant de revers, il en rιsulterait deux choses: la premiθre, que les βmes timides se cacheraient; la seconde, que le peuple, en fureur de se voir trahi, se porterait ΰ des mouvements qu'il est impossible de retenir. En criant sans cesse contre la faction des hommes d'Ιtat, ne semble-t-il pas qu'on se mιnageait un mouvement, tandis que Dumouriez se serait avancι ΰ la tκte de son armιe? Citoyens, voilΰ les nuages que j'ai vus dans la conduite de vos commissaires. Je demande, comme Danton, que vous nommiez une commission ad hoc pour examiner les faits et dιcouvrir les coupables. Cela fait, je vous propose une mesure de salut public. Je crois que la conduite de Dumouriez, mal connue de son armιe, pourrait produire quelques mouvements funestes. Il faut qu'elle et la France entiθre sachent les mesures que vous avez prises; car Dumouriez est, comme le fut jadis Lafayette, l'idole de la Rιpublique. (_De violents murmures et des cris_: Non, non! s'ιlθvent dans toutes les parties de la salle.) Pour les inquiιtudes que nos revers ont pu faire naξtre dans l'βme des Franηais, il faut que la nation sache que, si l'armιe a ιtι battue, c'est qu'elle a ιtι trahie; il faut que la nation sache que, tant que son gιnιral a voulu la libertι, l'armιe a marchι ΰ des triomphes. Je termine par une observation: vous voyez maintenant ΰ dιcouvert le projet de ceux qui parlaient au peuple de couper des tκtes, vous voyez s'ils ne voulaient pas la royautι. Je sais bien que le peuple ne la voulait pas, mais il ιtait trompι. On lui parle sans cesse de se lever. Eh bien! peuple franηais, lθve-toi, suis le conseil de tes perfides ennemis, forge-toi des chaξnes, car c'est la libertι qu'on veut perdre, et non pas quelques membres de la Convention. Et vous, mes collθgues, souvenez-vous que le sort de la libertι est entre vos mains; souvenez-vous que le peuple veut la justice. Il a vu assez longtemps le Capitole et le trτne, il veut voir maintenant la

roche Tarpιienne et l'ιchafaud. (_Applaudissements_.) Le tribunal que vous avez crιι ne marche pas encore; je demande: 1° Qu'il rende compte tous les trois jours des procθs qu'il a jugιs et de ceux qu'il instruit; de cette maniθre on saura s'il a fait justice. 2° Je demande que les citoyens Ιgalitι et Sillery, qui sont inculpιs, mais que je suis loin de croire coupables, soient mis en ιtat d'arrestation chez eux. 3° Je demande que la commission demandιe par Danton soit ΰ l'instant organisιe. 4° Que le procθs-verbal qui vous a ιtι lu soit imprimι, envoyι aux dιpartements et aux armιes, qu'une adresse soit jointe a ce procθs-verbal; ce moyen est puissant; car, lorsque le peuple voit une adresse de l'Assemblιe nationale, il croit voir un oracle. Je demande enfin, pour prouver ΰ la nation que nous ne capitulerons jamais avec un tyran, que chacun d'entre nous prenne l'engagement de donner la mort ΰ celui qui tenterait de se faire roi ou dictateur. (_Une acclamation unanime se fait entendre. Les applaudissements et les cris_: Oui, oui! se rιpθtent ΰ plusieurs reprises. L'assemblιe entiθre est levιe; tout les membres, dont l'attitude du serment, rιpθtent celui de Lasource. Les tribunes applaudissent.) BIROTEAU.--Je demande la parole pour un fait personnel. Au comitι de dιfense gιnιrale, oω l'on agita les moyens de sauver la patrie, Fabre d'Eglantine, qu'on connaξt trθs liι avec Danton, qui, dans une sιance prιcιdente, avait fait son ιloge, Fabre d'Ιglantine, dis-je, annonce qu'il avait un moyen de sauver la Rιpublique, mais qu'il n'osait pas en faire part, attendu qu'on calomniait sans cesse les opinions. On le rassura, en lui disant que les opinions ιtaient libres, et que d'ailleurs tout ce qui se disait au comitι y demeurait enseveli. Alors Fabre d'Ιglantine ΰ mots couverts proposa un roi. (_De violents murmures se font entendre_.) PLUSIEURS MEMBRES s'ιcrient ΰ la fois:--Cela n'est pas vrai! DANTON.--C'est une scιlιratesse: vous avez pris la dιfense du roi, et vous voulez rejeter vos crimes sur nous. BIROTEAU.--Je vais rendre les propres paroles de Fabre avec la rιponse qu'on lui fit. Il dit: (_De nouveaux murmures s'ιlθvent_.) DELMAS.--Je demande la parole au nom du salut public. Citoyens, je me suis recueilli; j'ai ιcoutι tout ce qui a ιtι dit ΰ cette tribune. Mon opinion est que l'explication qu'on provoque dans ce moment doit perdre la Rιpublique. Le peuple vous a envoyιs pour sauver la chose publique; vous le pouvez; mais il faut ιloigner cette explication; et moi aussi j'ai des soupηons, mais ce n'est pas le moment de les ιclaircir. Je demande que l'on nomme la commission proposιe par Lasource; qu'on la charge de recueillir tous les faits, et ensuite on les fera connaξtre au peuple franηais. DANTON.--Je somme Cambon, sans personnalitιs, sans s'ιcarter de la proposition qui vient d'κtre dιcrιtιe, de s'expliquer sur un fait

d'argent, sur cent mille ιcus qu'on annonce avoir ιtι remis ΰ Danton et ΰ Delacroix, et de dire la conduite que la commission a tenue relativement ΰ la rιunion.... ***** La proposition de Delmas est adoptιe unanimement. ***** PLUSIEURS VOIX.--Le renvoi ΰ la commission! Cette proposition est dιcrιtιe. Danton retourne ΰ sa place; toute l'extrκme gauche se lθve, et l'invite ΰ retourner ΰ la tribune pour κtre entendu. (_Des applaudissements s'ιlθvent dans les tribunes et se prolongent pendant quelques instants_.) Danton s'ιlance ΰ la tribune. (_Les applaudissements des tribunes continuent avec ceux d'une grande partie de l'Assemblιe_.)_ Le prιsident se couvre pour rιtablir l'ordre et le silence. (_Le calme renaξt_.) LE PRΙSIDENT.--Citoyens, je demande la parole, et je vous prie de m'ιcouter en silence. Diffιrentes propositions ont ιtι faites: on avait provoquι une explication sur des faits qui inculpaient des membres de la Convention. Delmas a demandι la nomination d'une commission chargιe d'examiner les faits et d'en rendre compte ΰ l'Assemblιe. Cette proposition a ιtι adoptιe ΰ l'unanimitι. Danton s'y ιtait rendu, maintenant il demande la parole pour des explications; je consulte l'Assemblιe. TOUTE LA PARTIE GAUCHE.--Non, non! il a la parole de droit. Un grand nombre de membres de l'autre cτtι rιclament avec la mκme chaleur le maintien du dιcret.--(_L'Assemblιe est longtemps agitιe_.) LASOURCE.--Je demande que Danton soit entendu, et je dιclare qu'il n'est entrι dans mon procιdι aucune passion. LE PRΙSIDENT.--Citoyens, dans cette crise affligeante le voeu de l'Assemblιe ne sera pas ιquivoque. Je vais le prendre. L'Assemblιe, consultιe, accorde la parole ΰ Danton, ΰ une trθs grande majoritι. DANTON.--Je dois commencer par vous rendre hommage comme vraiment amis du salut du peuple, citoyens qui κtes placιs ΰ cette montagne (_se tournant vers l'amphithιβtre de l'extrιmitι gauche_); vous avez mieux jugι que moi. J'ai cru longtemps que, quelle que fϋt l'impιtuositι de mon caractθre, je devais tempιrer les moyens que la nature m'a dιpartis; je devais employer dans les circonstances difficiles oω m'a placι ma mission la modιration que m'ont paru commander les ιvιnements. Vous m'accusiez de faiblesse, vous aviez raison, je le reconnais devant la France entiθre. Nous, faits pour dιnoncer ceux qui, par impιritie ou scιlιratesse, ont constamment voulu que le tyran ιchappβt au glaive de la loi.... (_Un trθs grand nombre de membres se

lθvent en criant_: Oui, oui! _et en indiquant du geste les membres placιs dans la partie droite.--Des rumeurs et des rιcriminations violentes s'ιlθvent dans cette partie_.) Eh bien! ce sont ces mκmes hommes.... (_Les murmures continuent ΰ la droite de la tribune.--L'orateur se tournant vers les interrupteurs_.) Vous me rιpondrez, vous me rιpondrez.... Citoyens, ce sont, dis-je, ces mκmes hommes qui prennent aujourd'hui l'attitude insolente de dιnonciateurs.... (_Grangeneuve interrompt.--Les murmures d'une grande partie de l'Assemblιe couvrent sa voix_.) GRANGENEUVE.--Je demande ΰ faire une interpellation ΰ Danton.... UN GRAND NOMBRE DE VOIX.--Vous n'avez pas la parole.... A l'Abbaye! DANTON.--Et d'abord, avant que d'entrer aussi ΰ mon tour dans des rapprochements, je vais rιpondre. Que vous a dit Lasource? Quelle que soit l'origine de son roman, qu'il soit le fruit de son imagination ou la suggestion d'hommes adroits.... (_De nouveaux murmures s'ιlθvent dans la partie de la salle ΰ la droite de la tribune_.) ALBITTE.--Nous avons tranquillement ιcoutι Lasource, soyez tranquilles ΰ votre tour. DANTON.--Soit que cet homme, dont on s'est emparι plusieurs fois dans l'Assemblιe lιgislative, ait voulu prιparer, ce que j'aime ΰ ne pas croire, le poison de la calomnie contre moi, pour le faire circuler pendant l'intervalle qui s'ιcoulera entre sa dιnonciation et le rapport gιnιral qui doit vous κtre fait sur cette affaire, je n'examine pas maintenant ses intentions. Mais que vous a-t-il dit? Qu'ΰ mon retour de la Belgique, je ne me suis pas prιsentι au Comitι de dιfense gιnιrale; il en a menti: plusieurs de mes collθgues m'ont cru arrivι vingt-quatre heures avant mon retour effectif, pensant que j'ιtais parti le jour mκme de l'arrκtι de la commission; je ne suis arrivι que le vendredi 29, ΰ huit heures du soir. Fatiguι de ma course et du sιjour que j'ai fait ΰ l'armιe, on ne pouvait exiger que je me transportasse immιdiatement au comitι. Je sais que les soupηons de l'inculpation m'ont prιcιdι. On a reprιsentι vos commissaires comme les causes de la dιsorganisation de l'armιe. Nous, dιsorganisateurs! nous, qui avons ralliι les soldats franηais, nous, qui avons fait dιloger l'ennemi de plusieurs postes importants! Ah! sans doute tel a dit que nous ιtions venus pour sonner l'alarme, qui, s'il eϋt ιtι tιmoin de notre conduite, vous aurait dit que nous ιtions faits pour braver le canon autrichien, comme nous braverons les complots et les calomnies des ennemis de la libertι. J'en viens ΰ la premiθre inculpation de Lasource. En arrivant, je n'ιtais pas mκme instruit qu'il dϋt y avoir comitι ce jour-lΰ. Me fera-t-on un crime d'avoir ιtι retenu quelques heures chez moi pour rιparer mes forces affaiblies par le voyage et par la nιcessitι de manger? Dθs le lendemain, je suis allι au comitι; et quand on vous a dit que je n'y ai donnι que de faibles dιtails, on a encore menti. J'adjure tous mes collθgues qui ιtaient prιsents ΰ cette sιance: j'ai dit que Dumouriez regardait la Convention comme un composι de trois cents hommes stupides et de quatre cents scιlιrats. "Que peut faire pour la Rιpublique, ai-je ajoutι, un homme dont l'imagination est frappιe de pareilles idιes? Arrachons-le ΰ son armιe." (_L'orateur se tournant vers l'extrιmitι gauche de la salle_.) N'est-ce pas cela que j'ai dit? (_Plusieurs voix._--Oui! oui!) II y a plus. Camus, qu'on ne soupηonnera pas d'κtre mon partisan

individuel, a fait un rιcit qui a coupι le mien; et ici j'adjure encore mes collθgues. Il a fait un rapport dont les dιtails se sont trouvιs presque identiques avec le mien. (_Plusieurs voix._--Cela est vrai!) Ainsi, il est rιsultι de ce que nous avons dit en commun un rapport effectif au comitι. Lasource trouve ιtrange que je sois restι ΰ Paris, tandis que ma mission me rappelait dans la Belgique; il cherche ΰ faire croire ΰ des intelligences entre Delacroix et moi, dont l'un serait restι ΰ l'armιe, et l'autre ΰ Paris, pour diriger ΰ la fois les deux fils de la conspiration. Lasource n'est pas de bonne foi; Lasource sait bien que je ne devais partir qu'autant que j'aurais des mesures ΰ porter avec moi; que j'avais demandι et dιclarι que je voulais rendre compte ΰ la Convention de ce que je savais. Il n'y a donc dans ma prιsence ici aucun rapport avec les ιvιnements de la Belgique, aucun dιlit, rien qui puisse faire soupηonner une connivence. Lasource vous a dit: "Danton et Delacroix ont proclamι que, si un dιcret d'accusation ιtait portι contre Dumouriez, il s'exιcuterait, et qu'il suffirait que le dιcret fϋt connu par les papiers publics pour que l'armιe l'exιcutβt elle-mκme. Comment donc ces mκmes commissaires n'ont-ils pas fait arrκter Dumouriez?...." Je ne nie pas le propos citι par Lasource; mais avions-nous ce dιcret d'accusation dont j'ai parlι? Pouvions-nous prendre la rιsolution d'enlever Dumouriez; lorsque nous n'ιtions ΰ l'armιe que Delacroix et moi, lorsque la commission n'ιtait pas rassemblιe? Nous nous sommes rendus vers la commission, et c'est elle qui a exigι que Delacroix retournβt vers l'ιtat-major, et qui a jugι qu'il y aurait du danger, pour la retraite mκme de l'armιe, ΰ enlever Dumouriez. Comment se fait il donc qu'on me reproche, ΰ moi individu, ce qui est du fait de la commission? La correspondance des commissaires prouve qu'ils n'ont pu se saisir de l'individu Dumouriez. Qu'auraient-ils donc fait en notre place, ceux qui nous accusent? eux qui ont signι des taxes, quoiqu'il y eϋt un dιcret contraire. (_On applaudit dans une grande partie de l'Assemblιe_.) Je dois dire un fait qui s'est passι dans le Comitι mκme de dιfense gιnιrale. C'est que, lorsque je dιclarai que je croyais du danger ΰ ce qu'on lϋt la lettre de Dumouriez, et ΰ s'exposer d'engager un combat au milieu d'une armιe en retraite, en prιsence de l'ennemi, je proposai cependant des mesures pour que l'on parvξnt ΰ se saisir du gιnιral, au moment oω on pourrait le faire sans inconvιnient. Je demandai que les amis mκme de Dumouriez, que Guadet, Gensonnι se rendissent ΰ l'armιe; que, pour lui τter toute dιfiance, les commissaires fussent pris dans les deux partis de la Convention, et que par lΰ il fϋt prouvι en mκme temps que, quelles que soient les passions qui vous divisent, vous κtes unanimes pour ne jamais consentir ΰ recevoir la loi d'un seul homme. (_On applaudit._) Ou nous le guιrirons momentanιment, leur disais-je, ou nous le garrotterons. Je demande si l'homme qui profιrait ces paroles peut κtre accusι d'avoir eu des _mιnagements_ pour Dumouriez. Quels sont ceux qui ont pris constamment des mιnagements? Qu'on consulte les canaux de l'opinion, qu'on examinι ce qu'on disait partout, par exemple dans le journal qui s'intitule _Patriote-franηais_. On y disait que Dumouriez ιtait _loin d'associer ses lauriers aux cyprθs du 2 septembre_. C'est contre moi qu'on excitait Dumouriez. Jamais on n'a eu la pensιe de nous associer dans

les mκmes complots; nous ne voulions pas prendre sur nous la responsabilitι de l'enlθvement de Dumouriez; mais je demande si l'on ne m'a pas vu dιjouer constamment la politique de ce gιnιral, ses projets de finances, les projets d'ambition qu'il pouvait avoir sur la Belgique; je les ai constamment mis ΰ jour. Je le demande ΰ Cambon; il dira, par exemple, la conduite que j'ai tenue relativement aux 300.000 livres de dιpenses qui ont ιtι secrθtement faites dans la Belgique. Et aujourd'hui, parce que j'ai ιtι trop sage et trop circonspect, parce qu'on a eu l'art de rιpandre que j'avais un parti, que je voulais κtre _dictateur_, parce que je n'ai pas voulu, en rιpondant ΰ mes adversaires, produire de trop rudes combats, occasionner des dιchirements dans cette assemblιe, on m'accuse de mιpriser et d'avilir la Convention. Avilir la Convention! Et qui plus que moi a constamment cherchι ΰ relever sa dignitι, ΰ fortifier son autoritι? N'ai-je pas parlι de mes ennemis mκme avec une sorte de respect? (_Se tournant vers la partie droite._) Je vous interpelle, vous qui m'accusez sans cesse.... PLUSIEURS VOIX.--Tout ΰ l'heure vous venez de prouver votre respect. Tout ΰ l'heure, cela est vrai; ce que vous me reprochez est exact; mais pourquoi ai-je abandonnι le systθme du silence et de la modιration? parce qu'il est un terme ΰ la prudence, parce que quand on se sent attaquι par ceux-lΰ mκmes qui devraient s'applaudir de ma circonspection, il est permis d'attaquer ΰ son tour et de sortir des limites de la patience. (_On applaudit dans une grande partie de l'Assemblιe._) Mais comment se fait-il que l'on m'impute ΰ crime la conduite d'un de mes collθgues? Oui, sans doute, j'aime Delacroix; on l'inculpe parce qu'il a eu le bon esprit de ne pas partager, je le dis franchement, je le tiens de lui, parce qu'il n'a pas voulu partager les vues et les projets de ceux qui ont cherchι ΰ sauver le tyran. (_De violents murmures s'ιlθvent dans la partie droite.--Les plus vifs applaudissements ιclatent dans une grande partie du cτtι opposι et dans les tribunes._) Quelques voix s'ιlθvent pour demander que Danton soit rappelι ΰ l'ordre. DUHEM.--Oui, c'est vrai, on a conspirι chez Roland, et je connais le nom des conspirateurs. MAURE.--C'est Barbaroux, c'est Brissot, c'est Guadet. DANTON.--Parce que Delacroix s'est ιcartι du fιdιralisme et du systθme perfide de l'appel au peuple; parce que, lorsque aprθs l'ιpoque de la mort de Lepeletier, on lui demanda s'il voulait que la Convention quittβt Paris, il fit sa profession de foi, en rιpondant: "J'ai vu qu'on a armι de prιventions tous les dιpartements contre Paris, je ne suis pas des vτtres." On a inculpι Delacroix, parce que, patriote courageux, sa maniθre de voter dans l'Assemblιe a toujours ιtι consιquente ΰ la conduite qu'il a tenue dans la grande affaire du tyran. Il semble aujourd'hui que, moi, j'en aie fait mon second en conjuration. Ne sont-ce pas lΰ les consιquences, les aperηus jetιs en avant par Lasource? (_Plusieurs voix ΰ la droite de la tribune:_ Oui, oui!--_Une autre voix_: Ne parlez pas tant, mais rιpondez!) Eh! que voulez-vous que je rιponde? J'ai d'abord rιfutι pleinement les dιtails

de Lasource: j'ai dιmontrι que j'avais rendu au Comitι de dιfense gιnιrale le compte que je lui devais, qu'il y avait identitι entre mon rapport et celui de Camus qui n'a ιtι qu'un prolongement du mien; que, si Dumouriez n'a pas ιtι dιjΰ amenι pieds et poings liιs ΰ la Convention, ce mιnagement n'est pas de mon fait. J'ai rιpondu enfin assez pour satisfaire tout homme de bonne foi (_plusieurs voix dans l'extrιmitι gauche_: Oui, oui!); et certes, bientτt je tirerai la lumiθre de ce chaos. Les vιritιs s'amoncelleront et se dιrouleront devant vous. Je ne suis pas en peine de ma justification. Mais tout en applaudissant ΰ cette commission que vous venez d'instituer, je dirai qu'il est assez ιtrange que ceux qui ont fait la rιunion contre Dumouriez; qui, tout en rendant hommage ΰ ses talents militaires, ont combattu ses opinions politiques, se trouvent κtre ceux contre lesquels cette commission paraξt κtre principalement dirigιe. Nous, vouloir un roi! Encore une fois, les plus grandes vιritιs, les plus grandes probabilitιs morales restent seules pour les nations. Il n'y a que ceux qui ont eu la stupiditι, la lβchetι de vouloir mιnager un roi qui peuvent κtre soupηonnιs de vouloir rιtablir un trτne; il n'y a, au contraire, que ceux qui constamment ont cherchι ΰ exaspιrer Dumouriez contre les sociιtιs populaires et contre la majoritι de la Convention; il n'y a que ceux qui ont prιsentι notre empressement ΰ venir demander des secours pour une armιe dιlabrιe comme une pusillanimitι; il n'y a que ceux qui ont manifestement voulu punir Paris de son civisme, armer contre lui les dιpartements.... (_Un grand nombre de membres se levant, et indiquant du geste la partie droite_: Oui, oui, ils l'ont voulu!) MARAT.--Et leurs petits soupers! DANTON.--Il n'y a que ceux qui ont fait des soupers clandestins avec Dumouriez quand il ιtait ΰ Paris.... (_On applaudit dans une grande partie de la salle._) MARAT.--Lasource!.... Lasource en ιtait.... Oh! je dιnoncerai tous les traξtres. DANTON.--Oui, eux seuls sont les complices de la conjuration. (_De vifs applaudissements s'ιlθvent ΰ l'extrιmitι gauche et dans les tribunes._) Et c'est moi qu'on accuse!.... moi!.... Je ne crains rien de Dumouriez, ni de tous ceux avec qui j'ai ιtι en relation. Que Dumouriez produise une seule ligne de moi qui puisse donner lieu ΰ l'ombre d'une inculpation, et je livre ma tκte. MARAT.--Il a vu les lettres de Gensonnι.... C'est Gensonnι qui ιtait en relation intime avec Dumouriez. GENSONNΙ.--Danton, j'interpelle votre bonne foi. Vous avez dit avoir vu la minute de mes lettres, dites ce qu'elles contenaient. DANTON.--Je ne parle pas textuellement de vos lettres, je n'ai point parlι de vous; je reviens ΰ ce qui me concerne. J'ai, moi, quelques lettres de Dumouriez: elles prouveront qu'il a ιtι obligι de me rendre justice; elles prouveront qu'il n'y avait nulle identitι entre son systθme politique et le mien: c'est ΰ ceux qui ont

voulu le fιdιralisme.... PLUSIEURS VOIX.--Nommez-les! MARAT (_se tournant vers les membres de la partie droite_).--Non, vous ne parviendrez pas ΰ ιgorger la patrie! DANTON.--Voulez-vous que je dise quels sont ceux que je dιsigne? UN GRAND NOMBRE DE VOIX.--Oui, oui! DANTON.--Ιcoutez! MARAT (_se tournant vers la partie droite_).--Ιcoutez! DANTON.--Voulez-vous entendre un mot qui paye pour tous? LES MΚMES CRIS S'ΙLΘVENT.--Oui, oui! DANTON.--Eh bien! je crois qu'il n'est plus de trκve entre la Montagne, entre les patriotes qui ont voulu la mort du tyran et les lβches qui, en voulant le sauver, nous ont calomniιs dans la France. (_Un grand nombre de membres de la partie gauche se lθvent simultanιment, et applaudissent.--Plusieurs voix se font entendre_: Nous sauverons la patrie!) Eh! qui pourrait se dispenser de profιrer ces vιritιs, quand, malgrι la conduite immobile que j'ai tenue dans cette assemblιe; quand vous reprιsentez ceux qui ont le plus de sang-froid et de courage comme des ambitieux; quand, tout en semblant me caresser, vous me couvrez de calomnies; quand beaucoup d'hommes, qui me rendent justice individuellement, me prιsentent ΰ la France entiθre dans leur correspondance comme voulant ruiner la libertι de mon pays? Cent projets absurdes de cette nature ne m'ont-ils pas ιtι successivement prκtιs? Mais jamais la calomnie n'a ιtι consιquente dans ses systθmes, elle s'est repliιe de cent faηons sur mon compte, cent fois elle s'est contredite. Des le commencement de la Rιvolution, j'avais fait mon devoir, et vous vous rappelez que je fus alors calomniι, j'ai ιtι de quelque utilitι ΰ mon pays, lorsqu'ΰ la rιvolution du 10 aoϋt, Dumouriez lui-mκme reconnaξt que j'avais apportι du courage dans le conseil, et que je n'avais pas peu contribuι ΰ nos succθs. Aujourd'hui les homιlies misιrables d'un vieillard cauteleux, reconnu tel, ont ιtι le texte de nouvelles inculpations; et puisqu'on veut des faits, je vais vous en dire sur Roland. Tel est l'excθs de son dιlire, et Garat lui-mκme m'a dit que ce vieillard avait tellement perdu la tκte, qu'il ne voyait que la mort; qu'il croyait tous les citoyens prκts ΰ la frapper; qu'il dit un jour, en parlant de son ami, qu'il avait lui-mκme portι au ministθre: _Je ne mourrai que de la main de Pache, depuis qu'il se met ΰ la tκte des factieux de Paris...._ Eh bien! quand Paris pιrira, il n'y aura plus de Rιpublique. Paris est le centre constituι et naturel de la France libre. C'est le centre des lumiθres. On nous accuse d'κtre les factieux de Paris. Eh bien! nous avons dιroulι notre vie devant la nation, elle a ιtι celle d'hommes qui ont marchι d'un pas ferme vers la rιvolution. Les projets criminels qu'on m'impute, les ιpithθtes de scιlιrats, tout a ιtι prodiguι contre nous, et l'on espθre maintenant nous effrayer? Oh! non. (_De vifs applaudissements ιclatent dans l'extrιmitι gauche de la salle; ils sont suivis de ceux des tribunes.--Plusieurs membres demandent

qu'elles soient rappelιes au respect qu'elles doivent ΰ l'Assemblιe._) Eh bien! les tribunes de Marseille ont aussi applaudi ΰ la Montagne.... J'ai vu depuis la Rιvolution, depuis que le peuple franηais a des reprιsentants, j'ai vu se rιpιter les misιrables absurditιs que je viens d'entendre dιbiter ici. Je sais que le peuple n'est pas dans les tribunes, qu'il ne s'y en trouve qu'une petite portion, que les Maury, les Cazalθs et tous les partisans du despotisme calomniaient aussi les citoyens des tribunes. Il fut un temps oω vous vouliez une garde dιpartementale. (_Quelques murmures se font entendre._) On voulait l'opposer aux citoyens ιgarιs par la faction de Paris. Eh bien! vous avez reconnu que ces mκmes citoyens des dιpartements, que vous appeliez ici, lorsqu'ils ont ιtι ΰ leur tour placιs dans les tribunes, n'ont pas manifestι d'autres sentiments que le peuple de Paris, peuple instruit, peuple qui juge bien ceux qui le servent (_On applaudit dans les tribunes et dans une trθs grande partis de l'Assemblιe_); peuple qui se compose de citoyens pris dans tous les dιpartements; peuple exercι aussi ΰ discerner quels sont ceux qui prostituent leurs talents; peuple qui voit bien que qui combat avec la Montagne ne peut pas servir les projets d'Orlιans. (_Mκmes applaudissements._) Le projet lβche et stupide qu'on avait conηu d'armer la fureur populaire contre les Jacobins, contre vos commissaires, contre moi, parce que j'avais annoncι que Dumouriez avait des talents militaires, et qu'il avait fait un coup de gιnie en accιlιrant l'entreprise de la Hollande: ce projet vient sans doute de ceux qui ont voulu faire massacrer les patriotes; car il n'y a que les patriotes qu'on ιgorge. UN GRAND NOMBRE DE VOIX.--Oui, oui. MARAT.--Lepeletier et Lιonard Bourdon. DANTON.--Eh bien! leurs projets seront toujours dιηus, le peuple ne s'y mιprendra pas. J'attends tranquillement et impassiblement le rιsultat de cette commission. Je me suis justifiι de l'inculpation de n'avoir pas parlι de Dumouriez. J'ai prouvι que j'avais le projet d'envoyer dans la Belgique une commission composιe de tous les partis pour se saisir, soit de l'esprit, soit de la personne de Dumouriez. MARAT.--Oui, c'ιtait bon, envoyez-y Lasource? DANTON.--J'ai prouvι, puisqu'on me demande des preuves pour rιpondre ΰ de simples aperηus de Lasource que, si je suis restι ΰ Paris, ce n'a ιtι en contravention ΰ aucun de vos dιcrets. J'ai prouvι qu'il est absurde de dire que le sιjour prolongι de Delacroix dans la Belgique ιtait concertι avec ma prιsence ici, puisque l'un et l'autre nous avons suivi les ordres de la totalitι de la commission; que, si la commission est coupable, il faut s'adresser ΰ elle et la juger sur des piθces aprθs l'avoir entendue; mais qu'il n'y a aucune inculpation individuelle ΰ faire contre moi. J'ai prouvι qu'il ιtait lβche et absurde de dire que moi, Danton, j'ai reηu cent mille ιcus pour travailler la Belgique. N'est-ce pas Dumouriez qui, comme Lasource, m'accuse d'avoir opιrι ΰ coups de sabre la rιunion? Ce n'est pas moi qui ai dirigι les dιpenses qu'a entraξnιes l'exιcution du dιcret du 13 dιcembre. Ces dιpenses ont ιtι nιcessitιes pour dιjouer les prκtres fanatiques qui salariaient le peuple malheureux; ce n'est pas ΰ moi qu'il faut en demander compte, c'est ΰ Lebrun.

CAMBON.--Ces cent mille ιcus sont tout simplement les dιpenses indispensablement nιcessaires pour l'exιcution du dιcret du 15 dιcembre. DANTON.--Je prouverai subsιquemment que je suis un rιvolutionnaire immuable, que je rιsisterai ΰ toutes les atteintes, et je vous prie, citoyens (_se tournant vers les membres de la partie gauche_), d'en accepter l'augure. J'aurai la satisfaction de voir la nation entiθre se lever en masse pour combattre les ennemis extιrieurs, et en mκme temps pour adhιrer aux mesures que vous avez dιcrιtιes sur mes propositions. A-t-on pu croire un instant, a-t-on eu la stupiditι de croire que, moi, je me sois coalisι avec Dumouriez? Contre qui Dumouriez s'ιlθve-t-il? Contre le tribunal rιvolutionnaire: c'est moi qui ai provoquι l'ιtablissement de ce tribunal. Dumouriez veut dissoudre la Convention. Quand on a proposι, dans le mκme objet, la convocation des assemblιes primaires, ne m'y suis-je pas opposι? Si j'avais ιtι d'accord avec Dumouriez, aurais-je combattu ses projets de finances sur la Belgique? Aurais-je dιjouι son projet de rιtablissement des trois Ιtats? Les citoyens de Mons, de Liθge, de Bruxelles, diront si je n'ai pas ιtι redoutable aux aristocrates, autant exιcrι par eux qu'ils mιritent de l'κtre: ils vous diront qui servait les projets de Dumouriez, de moi ou de ceux qui le vantaient dans les papiers publics, ou de ceux qui exagιraient les troubles de Paris, et publiaient que des massacres avaient lieu dans la rue des Lombards. Tous les citoyens vous diront: quel fut son crime? c'est d'avoir dιfendu Paris. A qui Dumouriez dιclare-t-il la guerre? aux sociιtιs populaires. Qui de nous a dit que sans les sociιtιs populaires, sans le peuple en masse, nous ne pourrions nous sauver? De telles mesures coοncident-elles avec celles de Dumouriez, ou la complicitι ne serait-elle pas plutτt de la part de ceux qui ont calomniι ΰ l'avance les commissaires pour faire manquer leur mission? (_Applaudissements._) Qui a pressι l'envoi des commissaires? Qui a accιlιrι le recrutement, le complθtement des armιes. C'est moi! moi, je le dιclare ΰ toute la France, qui ai le plus puissamment agi sur ce complθtement. Ai-je, moi, comme Dumouriez, calomniι les soldats de la libertι qui courent en foule pour recueillir les dιbris de nos armιes? N'ai-je pas dit que j'avais vu ces hommes intrιpides porter aux armιes le civisme qu'ils avaient puisι dans l'intιrieur? N'ai-je pas dit que cette portion de l'armιe, qui, depuis qu'elle habitait sur une terre ιtrangθre, ne montrait plus la mκme vigueur, reprendrait, comme le gιant de la fable, en posant le pied sur la terre de la libertι, toute l'ιnergie rιpublicaine? Est-ce lΰ le langage de celui qui aurait voulu tout dιsorganiser? N'ai-je pas montrι la conduite d'un citoyen qui voulait vous tenir en mesure contre toute l'Europe? Qu'on cesse donc de reproduire des fantτmes et des chimθres qui ne rιsisteront pas ΰ la lumiθre et aux explications. Je demande que la commission se mette sur-le-champ en activitι, qu'elle examine la conduite de chaque dιputι depuis l'ouverture de la Convention. Je demande qu'elle ait caractθre surtout pour examiner la conduite de ceux qui, postιrieurement au dιcret pour l'indivisibilitι de la Rιpublique, ont manoeuvrι pour la dιtruire; de ceux qui, aprθs la rejection de leur systθme pour l'appel au peuple, nous ont calomniιs; et si, ce que je crois, il y a ici une majoritι vraiment

rιpublicaine, elle en fera justice. Je demande qu'elle examine la conduite de ceux qui ont empoisonnι l'opinion publique dans tous les dιpartements. On verra ce qu'on doit penser de ces hommes qui ont ιtι assez audacieux pour notifier ΰ une administration qu'elle devait arrκter des commissaires de la Convention; de ces hommes qui ont voulu constituer des citoyens, des administrateurs, juges des dιputιs que vous avez envoyιs dans les dιpartements pour y rιchauffer l'esprit public et y accιlιrer le recrutement. On verra quels sont ceux qui, aprθs avoir ιtι assez audacieux pour transiger avec la royautι, aprθs avoir dιsespιrι, comme ils en sont convenus, de l'ιnergie populaire, ont voulu sauver les dιbris de la royautι! car on ne peut trop le rιpιter, ceux qui ont voulu sauver l'individu, ont par la mκme eu intention de donner de grandes espιrances au royalisme. (_Applaudissements d'une grande partie de l'Assemblιe._) Tout s'ιclaircira; alors on ne sera plus dupe de ce raisonnement par lequel on cherche ΰ insinuer qu'on n'a voulu dιtruire un trτne que pour en ιtablir un autre. Quiconque auprθs des rois est convaincu d'avoir voulu frapper un d'eux, est pour tous un ennemi mortel. UNE VOIX.--Et Cromwell?.... (_Des murmures s'ιlθvent dans une partie de l'Assemblιe._) DANTON, _se tournant vers l'interlocuteur._--Vous κtes bien scιlιrat de me dire que je ressemble ΰ Cromwell. Je vous cite devant la nation. (_Un grand nombre de voix s'ιlθvent simultanιment pour demander que l'interrupteur soit censurι; d'autres, pour qu'il soit envoyι ΰ l'Abbaye._) Oui, je demande que le vil scιlιrat qui a eu l'impudeur de dire que je suis un Cromwell soit puni, qu'il soit traduit ΰ l'Abbaye. (_On applaudit._) Et si, en dιdaignant d'insister sur la justice que j'ai le droit de rιclamer, si je poursuis mon raisonnement, je dis que, quand j'ai posι en principe que quiconque a frappι un roi ΰ la tκte, devient l'objet de l'exιcration de tous les rois, j'ai ιtabli une vιritι qui ne pourrait κtre contestιe. (_Plusieurs voix_--C'est vrai!) Eh bien! croyez-vous que ce Cromwell dont vous me parlez ait ιtι l'ami des rois? UNE VOIX.--Il a ιtι roi lui-mκme! DANTON.--Il a ιtι craint, parce qu'il a ιtι le plus fort. Ici ceux qui ont frappι le tyran de la France seront craints aussi. Ils seront d'autant plus craints que la libertι s'est engraissιe du sang du tyran. Ils seront craints, parce que la nation est avec eux. Cromwell n'a ιtι souffert par les rois que parce qu'il a travaillι avec eux. Eh bien! je vous interpelle tous. (_Se tournant vers les membres de la partie gauche._) Est-ce la terreur, est-ce l'envie d'avoir un roi qui vous a fait proscrire le tyran? (_L'Assemblιe presque unanime_: Non, non!) Si donc ce n'est que le sentiment profond de vos devoirs qui a dictι mon arrκt de mort, si vous avez cru sauver le peuple, et faire en cela ce que la nation avait droit d'attendre de ses mandataires, ralliez-vous (_S'adressant ΰ la mκme partie de l'Assemblιe_), vous qui avez prononcι l'arrκt du tyran contre les lβches (_indignant du geste les membres de la partie droite_) qui ont voulu l'ιpargner (_Une partie de l'Assemblιe applaudit_); serrez-vous; appelez le peuple ΰ se rιunir en armes contre l'ennemi du dehors, et ΰ ιcraser celui du dedans, et confondez, par la vigueur et l'immobilitι de votre caractθre, tous les scιlιrats, tous les modιrιs (_L'orateur, s'adressant toujours ΰ la partie gauche, et indiquant quelquefois du

geste les membres du cτtι opposι_), tous ceux qui vous ont calomniιs dans les dιpartements. Plus de composition avec eux! ( _Vifs applaudissements d'une grande partie de l'Assemblιe et dιs tribunes._) Reconnaissez-le tous, vous qui n'avez jamais su tirer de votre situation politique dans la nation le parti que vous auriez pu en tirer; qu'enfin justice vous soit rendue. Vous voyez, par la situation oω je me trouve en ce moment, la nιcessitι oω vous κtes d'κtre fermes, et de dιclarer la guerre ΰ tous vos ennemis, quels qu'ils soient. (_Mκmes applaudissements_) Il faut former une phalange indomptable. Ce n'est pas vous, puisque vous aimez les sociιtιs populaires et le peuple, ce n'est pas vous qui voudrez un roi. (_Les applaudissements recommencent._--Non, non!_s'ιcrie-t-on avec force dans la grande majoritι de l'Assemblιe._) C'est ΰ vous ΰ en τter l'idιe ΰ ceux qui ont machinι pour conserver l'ancien tyran. Je marche ΰ la Rιpublique; marchons-y de concert, nous verrons qui de nous ou de nos dιtracteurs atteindra le but. Aprθs avoir dιmontrι que, loin d'avoir ιtι jamais d'accord avec Dumouriez, il nous accuse textuellement d'avoir fait la rιunion ΰ coups de sabre, qu'il a dit publiquement qu'il nous ferait arrκter, qu'il ιtait impossible ΰ Delacroix et ΰ moi, qui ne sommes pas la commission, de l'arracher ΰ son armιe; aprθs avoir rιpondu ΰ tout; aprθs avoir rempli cette tβche de maniθre ΰ satisfaire tout homme sensι et de bonne foi, je demande que la commission des six, que vous venez d'instituer, examine non seulement la conduite de ceux qui vous ont calomniιs, qui ont machinι contre l'indivisibilitι de la Rιpublique, mais de ceux encore qui ont cherchι ΰ sauver le tyran (_Nouveaux applaudissements d'une partie de l'Assemblιe et des tribunes_), enfin de tous les coupables qui ont voulu ruiner la libertι, et l'on verra si je redoute les accusateurs. Je me suis retranchι dans la citadelle de la raison; j'en sortirai avec le canon de la vιritι, et je pulvιriserai les scιlιrats qui ont voulu m'accuser. (_Danton descend de la tribune au milieu des plus vifs applaudissements d'une trθs grande partie de l'Assemblιe et des citoyens. Plusieurs membres de l'extrιmitι gauche se prιcipitent vers lui pour l'embrasser. Les applaudissements se prolongent._)

XX SUR LE COMITΙ DE SALUT PUBLIC (3 avril 1793) Dans la sιance permanente de la Convention, commencιe le mercredi 3 avril, au matin, Isnard proposa, au nom du Comitι de dιfense gιnιrale, la crιation d'un nouveau comitι d'exιcution composι de neuf membres chargιs de remplir les fonctions qui ιtaient attribuιes au Conseil exιcutif, et de prendre toutes les mesures de dιfense gιnιrale que pouvaient nιcessiter les circonstances. Danton, tout en adoptant le principe, en fit renvoyer le projet de dιcret au lendemain. Dans sa sιance du vendredi 5 avril, la Convention ιlut les neuf membres de ce premier Comitι de Salut public: Barθre, Delmas, Brιard, Cambon, Jean Debry, Danton, Guyton, Treilhard, Lacroix (_Moniteur_, no. 98). *****

Je demande aussi la parole pour une motion d'ordre. Quelle qu'ait ιtι la divergence des opinions, il n'en est pas moins vrai que la majoritι de la Convention veut la Rιpublique. Nous voulons repousser et anιantir la conjuration des rois; nous sentons que telle est la nature des circonstances, telle est la grandeur du pιril qui nous menace, qu'il nous faut un dιveloppement extraordinaire de forces et de mesures de salut public; nous cherchons ΰ ιtablir une agence funeste pour les rois; nous sentons que, pour crιer des armιes, trouver de nouveaux chefs, il faut un pouvoir nouveau toujours dans la main de la Convention, et qu'elle puisse anιantir ΰ volontι; mais je pense que ce plan doit κtre mιditι, approfondi. Je crois qu'une Rιpublique, tout en proscrivant les dictateurs et les triumvirs, n'en a pas moins le pouvoir et mκme le devoir de crιer une autoritι terrible. Telle est la violence de la tempκte qui agite le vaisseau de l'Ιtat, qu'il est impossible pour le sauver, d'agir avec les seuls principes de l'art. Ιcartons toute idιe d'usurpation. Eh! qui donc pourrait κtre usurpateur? Vous voyez que cet homme qui avait remportι quelques victoires va appeler contre lui toutes les forces des Franηais. Dιjΰ le dιpartement oω il est nι demande sa tκte. Rapprochons-nous, rapprochons-nous fraternellement; il y va du salut de tous. Si la conjuration triomphe, elle proscrira tout ce qui aura portι le nom de patriote, quelles qu'ai en ιtι les nuances. Je demande le renvoi du projet de dιcret, et l'ajournement ΰ demain.

XXI SUR LE PRIX DU PAIN (5 avril 1793) Sur la proposition de Lacroix (de l'Eure) la Convention dιcida, dans sa sιance du vendredi 5 avril, de ne plus admettre aucun ci-devant privilιgiι, soit comme officier, soit comme volontaire, dans les armιes rιvolutionnaires. Danton demanda la crιation d'une garde nationale payιe par la nation, comme suite logique du prιcιdent dιcret. A cette proposition il ajouta celle de l'abaissement du prix du pain. "Ces deux propositions, dit le Moniteur (n° 99), sont adoptιes au milieu des applaudissements de toute l'Assemblιe." ***** Le dιcret que vous venez de rendre annoncera ΰ la nation et ΰ l'univers entier quel est le grand moyen d'ιterniser la Rιpublique; c'est d'appeler le peuple ΰ sa dιfense. Vous allez avoir une armιe de sans-culottes; mais ce n'est pas assez; il faut que, tandis que vous irez combattre les ennemis de l'extιrieur, les aristocrates de l'intιrieur soient mis sous la pique des sans-culottes. Je demande qu'il soit crιι une garde du peuple qui sera salariιe par la nation. Nous serons bien dιfendus, quand nous le serons par les sans-culottes. J'ai une autre proposition ΰ faire; il faut que dans toute la France le prix du pain soit dans une juste proportion avec le salaire du pauvre: ce qui excιdera sera payι par le riche (_On applaudit_). Par ce seul dιcret, vous assurerez au peuple et son existence et sa dignitι; vous l'attacherez ΰ la rιvolution; vous acquerrez son estime

et son amour. Il dira: nos reprιsentants nous ont donnι du pain; ils ont plus fait qu'aucun de nos anciens rois. Je demande que vous mettiez aux voix les deux propositions que j'ai faites, et qu'elles soient renvoyιes au Comitι pour vous en prιsenter la rιdaction.

XXII SUR LE DROIT DE PΙTITION DU PEUPLE (10 avril 1793) Ce discours de Danton fut la rιponse ΰ une motion de Pιtion tendant ΰ traduire en tribunal rιvolutionnaire le prιsident et les secrιtaires de la Section de la Halle-aux-Blιs. Cette section avait demandι, par une pιtition rιpandue dans Paris, le dιcret d'accusation contre Roland. ***** C'est une vιritι incontestable, que vous n'avez pas le droit d'exiger du peuple ou d'une portion du peuple plus de sagesse que vous n'en avez vous-mκmes. Le peuple n'a-t-il pas le droit de sentir des bouillonnements qui le conduisent ΰ un dιlire patriotique, lorsque cette tribune semble continuellement κtre une arθne de gladiateurs? N'ai-je pas ιtι moi-mκme, tout ΰ l'heure, assiιgι ΰ cette tribune? Ne m'a-t-on pas dit que je voulais κtre dictateur?.... Je vais examiner froidement le projet de dιcret prιsentι par Pιtion; je n'y mettrai aucune passion, moi; je conserverai mon immobilitι, quels que soient les flots d'indignation qui me pressent en tous sens. Je sais quel sera le dιnouement de ce grand drame; le peuple restera libre; je veux la Rιpublique, je prouverai que je marche constamment ΰ ce but. La proposition de Pιtion est insignifiante. On sait que dans plusieurs dιpartements on a demandι tour ΰ tour la tκte des membres qui siιgeaient dans l'un ou l'autre des cτtιs de la salle. N'a-t-on pas aussi demandι la mienne? Tous les jours il arrive des pιtitions plus ou moins exagιrιes; mais il faut les juger par le fond. J'en appelle ΰ Pιtion lui-mκme. Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'il se trouve dans les orages populaires. Il sait bien que lorsqu'un peuple brise sa monarchie pour arriver ΰ la Rιpublique, il dιpasse son but par la force de projection qu'il s'est donnιe. Que doit faire la reprιsentation nationale. Profiter de ces excθs mκmes. Dans la premiθre Assemblιe constituante, Marat n'ιtait ni moins terrible aux aristocrates, ni moins odieux aux modιrιs. Eh bien! Marat y trouva des dιfenseurs; il disait aussi que la majoritι ιtait mauvaise, et elle l'ιtait. Ce n'est pas que je croie qu'il en soit de mκme de cette assemblιe. Mais que devez-vous rιpondre au peuple quand il vous dit des vιritιs sιvθres? Vous devez lui rιpondre en sauvant la Rιpublique. Et depuis quand vous doit-on des ιloges? Etes-vous ΰ la fin de votre mission? On parle des calomniateurs: la calomnie dans un Ιtat vraiment libre n'est rien pour l'homme qui a conscience intime de son devoir. Encore une fois, tout ce qui a rapport ΰ la calomnie ne peut κtre la base d'une dιlibιration dans la Convention. Il existe des lois, des tribunaux; que ceux qui croient devoir poursuivre cette adresse, l'y poursuivent. Oui, je le dιclare, vous seriez indignes de votre mission, si vous n'aviez pas constamment devant les yeux ces grands

objets: vaincre les ennemis, rιtablir l'ordre dans l'intιrieur, et faire une bonne constitution. Nous la voulons tous, la France la veut; elle sera d'autant plus belle qu'elle sera nιe au milieu des orages de la libertι; ainsi un peuple de l'antiquitι construisait ses murs, en tenant d'une main la truelle, et de l'autre l'ιpιe pour repousser les ennemis. N'allons pas nous faire la guerre, animer les sections, les mettre en dιlibιration sur des calomnies, tandis que nous devons concentrer leur ιnergie pour la diriger contre les Autrichiens.... Que l'on ne vienne donc plus nous apporter des dιnonciations exagιrιes, comme si l'on craignait la mort. Voilΰ l'exemple que vous donnez! Vous voulez sιvir contre le peuple, et vous κtes plus virulents que lui! Je demande la question prιalable et le rapport du Comitι de Salut public.

XXIII SUR LA PEINE DE MORT CONTRE CEUX QUI TRANSIGENT AVEC L'ENNEMI (13 avril 1793) Robespierre demanda, dans la sιance du 13 avril, de dιcrιter la peine de mort contre quiconque proposerait, de quelque maniθre que ce soit, de transiger avec les ennemis. Danton appuya Robespierre tout en prιsentant une autre rιdaction que la Convention adopta dans la mκme sιance, malgrι l'opposition de Barbaroux. ***** Il faut bien saisir le vιritable objet de la motion qui vient d'κtre faite, et ne pas lui donner une ιtendue que n'a pas voulu lui attribuer son auteur. Je demande qu'elle soit ainsi posιe: "La peine de mort est dιcrιtιe contre quiconque proposerait ΰ la Rιpublique de transiger avec des ennemis qui, pour prιliminaire, ne reconnaξtraient pas la souverainetι du peuple." II est temps, citoyens, que la Convention nationale fasse connaξtre ΰ l'Europe que la France sait allier ΰ la politique les vertus rιpublicaines. Vous avez rendu, dans un moment d'enthousiasme, un dιcret dont le motif ιtait beau sans doute, puisque vous vous κtes obligιs ΰ donner protection aux peuples qui voudraient rιsister ΰ l'oppression de leurs tyrans. Ce dιcret semblerait vous engager ΰ secourir quelques patriotes qui voudraient faire une rιvolution en Chine. Il faut, avant tout, songer ΰ la conservation de notre corps politique, et fonder la grandeur franηaise. Que la Rιpublique s'affermisse, et la France, par ses lumiθres et son ιnergie, fera attraction sur tous les peuples. Mais voyez ce que votre position a d'avantageux malgrι les revers que nous avons ιprouvιs. La trahison de Dumouriez nous donne l'occasion de faire un nouveau scrutin ιpuratoire de l'armιe. L'ennemi va κtre forcι de reconnaξtre que la nation veut absolument la libertι, puisqu'un gιnιral victorieux qui avait promis ΰ nos ennemis de leur livrer et son armιe tout entiθre et une partie de la nation ne leur a portι que son _misιrable individu_. Citoyens, c'est le gιnie de la libertι qui a lancι le char de la rιvolution. Le peuple tout entier le tire, et il s'arrκtera aux termes de la raison. Dιcrιtons que nous ne nous mκlerons pas de ce qui se passe chez nos voisins; mais dιcrιtons aussi

que la Rιpublique vivra, et condamnons ΰ mort celui qui proposerait une transaction autre que celle qui aurait pour base les principes de notre libertι.

XXIV SUR LA TOLΙRANCE DES CULTES (19 avril 1793) A propos de la discussion sur l'article IX de la Dιclaration des droits de l'homme [Note: Cet article ιtait ainsi conηu: "Tout homme est libre dans l'exercice de son culte." (_Moniteur_, n° 111.)], lu par Barθre, dans la sιance du vendredi 19 avril, Danton prit la parole aprθs quelques mots de Vergniaud. ***** Rien ne doit plus nous faire prιjuger le salut de la patrie que la disposition actuelle. Nous avons paru divisιs entre nous, mais au moment oω nous nous occupons du bonheur des hommes nous sommes d'accord. Vergniaud vient de vous dire de bien grandes et d'ιternelles vιritιs. L'Assemblιe constituante, embarrassιe par un roi, par les prιjugιs qui enchaξnaient encore la nation, par l'intolιrance qui s'ιtait ιtablie, n'a pu heurter de front les principes reηus, et a fait encore beaucoup pour la libertι en consacrant celui de la tolιrance. Aujourd'hui le terrain de la libertι est dιblayι, nous devons au peuple franηais de donner ΰ son gouvernement des bases ιternelles et pures! Oui! nous leur dirons: Franηais, vous avez la libertι d'adorer la divinitι qui vous paraξt digne de vos hommages; la libertι de culte que vos lois peuvent avoir pour objet ne peut κtre que la libertι de la rιunion des individus assemblιs pour rendre, ΰ leur maniθre, hommage ΰ la divinitι. Une telle libertι ne peut κtre atteinte que par des lois rιglementaires et de police; or, sans doute, vous ne voudrez pas insιrer dans une dιclaration des droits une loi rιglementaire. Le droit de la libertι du culte, droit sacrι, sera protιgι par vos lois, qui, en harmonie avec les principes, n'auront pour but que de les garantir. La raison humaine ne peut rιtrograder; nous sommes trop avancιs pour que le peuple puisse croire n'avoir pas la libertι de son culte, parce qu'il ne verra pas le principe de cette libertι gravι sur la table de vos lois. Si la superstition semble encore avoir quelque part aux mouvements qui agitent la Rιpublique, c'est que la politique de nos ennemis l'a toujours employιe; mais regardez que partout le peuple, dιgagι des impulsions de la malveillance, reconnaξt que quiconque veut s'interposer entre lui et la divinitι est un imposteur. Partout on a demandι la dιportation des prκtres fanatiques et rebelles. Gardez-vous de mal prιsumer de la raison nationale; gardez-vous d'insιrer un article qui contiendrait cette prιsomption injuste; en passant ΰ l'ordre du jour, adoptez une espθce de question prιalable sur les prκtres qui vous honore aux yeux de vos concitoyens et de la postιritι.

GENSONNΙ.--Les principes dιveloppιs pour retirer l'article me paraissent incontestables, je conviens qu'il ne doit pas se trouver dans la Dιclaration des droits; il trouvera sa place dans le chapitre particulier de la Constitution, destinι ΰ poser les bases fondamentales de la libertι civile. _(On demande ΰ aller aux voix.)_ DURAND-MAILLANE.--Ιcoutons tout le monde. DANTON.--Eussions-nous ici un cardinal je voudrais qu'il fϋt entendu.

XXV SUR UN NOUVEL IMPOT ET DE NOUVELLES LEVΙES (27 avril 1793) Cambon ayant, dans la sιance du 27 avril, donnι connaissance de l'heureux rιsultat des mesures prises par les commissaires du dιpartement de l'Hιrault, la Convention dιcrιta la mention honorable au procθs-verbal pour le mιmoire lu par Cambon, et l'envoi aux dιpartements. Danton monta aussitτt ΰ la tribune pour demander l'application ΰ Paris et ΰ la France entiθre de ces mκmes mesures. Il conclut en demandant une nouvelle levιe de 20.000 hommes ΰ envoyer en Vendιe. "La proposition de Danton est dιcrιtιe ΰ l'unanimitι." (_Moniteur_, n° 119.) ***** Vous venez de dιcrιter la mention honorable de ce qu'a cru faire pour le salut public le dιpartement de l'Hιrault. Ce dιcret autorise la Rιpublique entiθre ΰ adopter les mκmes mesures; car votre dιcret ratifie celles qu'on vient de vous faire connaξtre. Si partout les mκmes mesures sont adoptιes, la Rιpublique est sauvιe; on ne traitera plus d'agitateurs et d'anarchistes les amis ardents de la libertι, ceux qui mettent la nation en mouvement, et l'on dira: Honneur aux agitateurs qui tournent la vigueur du peuple contre ses ennemis. Quand le temple de la libertι sera assis, le peuple saura bien le dιcorer. Pιrisse plutτt le sol de la France que de retourner sous un dur esclavage! mais qu'on ne croie pas que nous devenions barbares aprθs avoir fondι la libertι; nous l'embellirons. Les despotes nous porteront envie; mais tant que le vaisseau de l'Ιtat est battu par la tempκte, ce qui est ΰ chacun est ΰ tous. On ne parle plus de lois agraires; le peuple est plus sage que ses calomniateurs ne le prιtendent, et le peuple en masse a plus de gιnie que beaucoup qui se croient des grands hommes. Dans un peuple on ne compte pas plus les grands hommes que les grands arbres dans une vaste forκt. On a cru que le peuple voulait la loi agraire; cette idιe pourrait faire naξtre des soupηons sur les mesures adoptιes par le dιpartement de l'Hιrault; sans doute, on empoisonnera ses intentions et ses arrκtιs; il a, dit-on, imposι les riches; mais, citoyens, imposer les riches, c'est les servir; c'est un vιritable avantage pour eux qu'un sacrifice considιrable; plus le sacrifice sera grand sur l'usufruit, plus le fonds de la propriιtι est garanti contre

l'envahissement des ennemis. C'est un appel ΰ tout homme qui a les moyens de sauver la Rιpublique. Cet appel est juste. Ce qu'a fait le dιpartement de l'Hιrault, Paris et toute la France veulent le faire. Voyez la ressource que la France se procure. Paris a un luxe et des richesses considιrables; eh bien, par ce dιcret, cette ιponge va κtre pressιe. Et, par une singularitι satisfaisante, il va se trouver que le peuple fera la rιvolution aux dιpens de ses ennemis intιrieurs. Ces ennemis eux-mκmes apprendront le prix de la libertι; ils dιsireront la possιder lorsqu'ils reconnaξtront qu'elle aura conservι leurs jouissances. Paris, en faisant un appel aux capitalistes, fournira son contingent, il nous donnera les moyens d'ιtouffer les troubles de la Vendιe; car, ΰ quelque prix que ce soit, il faut que nous ιtouffions ces troubles. ΐ cela seul tient votre tranquillitι extιrieure. Dιjΰ les dιpartements du Nord ont appris aux despotes coalisιs que votre territoire ne pouvait κtre entamι; et bientτt peut-κtre vous apprendrez la dissolution de cette ligue formidable de rois; car, en s'unissant contre vous, ils n'ont pas oubliι leur vieille haine et leurs prιtentions respectives, et peut-κtre, si le conseil exιcutif eϋt eu plus de latitude dans ses moyens, cette ligue serait entiθrement dissoute. Il faut donc diriger Paris sur la Vendιe; il faut que les hommes requis dans cette ville pour former le camp de rιserve se portent sur la Vendιe. Cette mesure prise, les rebelles se dissiperont, et, comme les Autrichiens, commenceront ΰ se retrancher eux-mκmes, comme eux-mκmes ΰ cette heure sont en quelque sorte assiιgιs. Si le foyer des discordes civiles est ιteint, on nous demandera la paix, et nous la ferons honorablement. Je demande que la Convention nationale dιcrθte que sur les forces additionnelles au recrutement votι par les dιpartements, 20.000 hommes seront portιs par le ministre de la guerre sur les dιpartements de la Vendιe, de la Mayenne et de la Loire.

XXVI AUTRE DISCOURS SUR LE DROIT DE PΙTITION (1er mai 1793) Une dιputation du faubourg Saint-Antoine vint, le 1er mai, rιclamer ΰ la barre de la Convention le _maximum_, un impτt sur les riches et le dιpart des troupes de Paris aux frontiθres. Ayant exposι ces mesures, les orateurs conclurent: "Si vous ne les adoptez pas, nous vous dιclarons... que nous sommes en ιtat d'insurrection; dix mille hommes sont ΰ la porte de la salle...." (_Moniteur_, n° 123). Boyer-Fonfrθde ayant, aprθs un assez vif dιbat, demandι l'arrestation des pιtitionnaires, Danton intervint en leur faveur, comme il ιtait dιjΰ intervenu, prιcιdemment, le 10 avril. La Convention, revenue au calme, adopta la proposition de Danton. ***** Sans doute, la Convention nationale peut ιprouver un mouvement d'indignation quand on lui dit qu'elle n'a rien fait pour la libertι;

je suis loin de dιsapprouver ce sentiment; je sais que la Convention peut rιpondre qu'elle a frappι le tyran, qu'elle a dιjouι les projets d'un ambitieux, qu'elle a crιι un tribunal rιvolutionnaire pour juger les ennemis de la patrie, enfin, qu'elle dirige l'ιnergie franηaise contre les rιvoltιs; voilΰ ce que nous avons fait. Mais ce n'est pas par un sentiment d'indignation que nous devons prononcer sur une pιtition bonne en elle-mκme. Je sais qu'on distingue la pιtition du dernier paragraphe, mais on aurait dϋ considιrer ce qu'ιtait la plιnitude du droit de pιtition. Lorsqu'on rιpθte souvent ici que nous sommes incapables de sauver la chose publique, ce n'est pas un crime de dire que, si telles mesures ne sont pas adoptιes, la nation a le droit de s'insurger.... PLUSIEURS VOIX.--Les pιtitionnaires ne sont pas la nation. DANTON.--On conviendra sans doute que la volontι gιnιrale ne peut se composer en masse que de volontιs individuelles. Si vous m'accordez cela, je dis que tout Franηais a le droit de dire que, si telle mesure n'est pas adoptιe, le peuple a le droit de se lever en masse. Ce n'est pas que je ne sois convaincu que de mauvais citoyens ιgarent le peuple, ce n'est pas que j'approuve la pιtition qui vous a ιtι prιsentιe; mais j'examine le droit de pιtition en lui-mκme, et je dis que cet asile devrait κtre sacrι, que personne ne devrait se permettre d'insulter un pιtitionnaire, et qu'un simple individu devrait κtre respectι par les reprιsentants du peuple comme le peuple tout entier. _(Quelques rumeurs.)_ Je ne tirerais pas cette consιquence de ce que je viens de dire, que vous assuriez l'impunitι ΰ quiconque semblerait κtre un conspirateur dangereux, dont l'arrestation serait nιcessaire ΰ l'intιrκt public; mais je dis que, quand il est probable que le crime d'un individu ne consiste que dans des phrases mal digιrιes, vous devez vous respecter vous-mκmes. Si la Convention sentait sa force, elle dirait avec dignitι et non avec passion, ΰ ceux qui viennent lui demander des comptes et lui dιclarer qu'ils sont dans un ιtat d'insurrection: "Voilΰ ce que nous avons fait, et vous, citoyens, qui croyez avoir l'initiative de l'insurrection, la hache de la justice est lΰ pour vous frapper si vous κtes coupables." Voilΰ comme vous devez leur rιpondre. Les habitants du faubourg Saint-Antoine vous ont dit qu'ils vous feraient un rempart de leur corps; aprθs cette dιclaration, comment n'avez-vous pas rιpondu aux pιtitionnaires: "Citoyens, vous avez ιtι dans l'erreur", ou bien: "Si vous κtes coupables, la loi est lΰ pour vous punir." Je demande l'ordre du jour, et j'observe que, quand il sera notoire que la Convention a passι ΰ l'ordre du jour motivι sur l'explication qui lui a ιtι donnιe, il n'y aura pas de pusillanimitι dans sa conduite; croyez qu'un pareil dιcret produira plus d'effet sur l'βme des citoyens qu'un dιcret de rigueur. Je demande qu'en accordant les honneurs de la sιance aux pιtitionnaires, l'Assemblιe passe ΰ l'ordre du jour sur le tout.

XXVII SUR L'ENVOI DE NOUVELLES TROUPES EN VENDΙE (8 mai 1793) Au moment oω la guerre de Vendιe redoublait de violence, l'envoi de nouvelles troupes fut dιcidι. A propos de leur dιpart, Danton revint ΰ

l'idιe d'appliquer de nouveaux impτts sur les riches demeurιs ΰ Paris. L'inspiration de ce discours du 8 mai fut la mκme que celle qui dicta la harangue fougueuse du 27 avril; le conventionnel y suit strictement la mκme ligne de politique intιrieure. ***** C'est une vιritι puisιe dans l'histoire et dans le coeur humain, qu'une grande nation en rιvolution, ou mκme en guerre civile, n'en est pas moins redoutable ΰ ses ennemis. Ainsi donc, loin de nous effrayer de notre situation, nous n'y devons voir que le dιveloppement de l'ιnergie nationale, que nous pouvons tourner encore au profit de la libertι. La France entiθre va s'ιbranler. Douze mille hommes de troupe de ligne, tirιs de vos armιes oω ils seront aussitτt remplacιs par des recrues, vont s'acheminer vers la Vendιe. Avec cette force va se joindre la force parisienne. Eh bien, combinons avec ces moyens de puissance les moyens politiques. C'est de faire connaξtre ΰ ceux que des traξtres ont ιgarιs, que la nation ne veut pas verser leur sang, mais qu'elle veut les ιclairer et les rendre ΰ la patrie. Les despotes ne sont pas toujours malhabiles dans leurs moyens. Dans la Belgique, l'empereur traite les peuples avec la plus grande douceur, et semble mκme flatter ceux qui s'ιtaient dιclarιs contre lui avec le plus d'ιnergie; pourquoi n'agirions-nous pas de mκme pour rendre des hommes ΰ la libertι? Il faut donc crιer une commission ayant pouvoir de faire grβce ΰ ceux des rebelles qui se soumettraient volontairement avant l'action de la force armιe. Cette mesure prise, il faut faire marcher la force de Paris. Deux choses se sont un moment opposιes ΰ son recrutement: les intrigues des aristocrates et les inquiιtudes des patriotes eux-mκmes. Ceux-ci n'ont pas considιrι que Paris a une arriθre-garde bien formidable; elle est composιe de 150.000 citoyens que leurs occupations quotidiennes ont ιloignιs jusqu'ici des affaires publiques, mais que vous devez engager ΰ se porter dans les sections, sauf ΰ les indemniser de la perte de temps qu'ils essuieront. Ce sont ces citoyens qui, dans un grand jour, se dιbordant sur nos ennemis, les feront disparaξtre de la terre de la libertι. Que le riche paye, puisqu'il n'est pas digne, le plus souvent, de combattre pour la libertι; qu'il paye largement et que l'homme du peuple marche dans la Vendιe. Il y a telle section oω se trouvent des groupes de capitalistes, il n'est pas juste que ces citoyens profitent seuls de ce qui sortira de ces ιponges. Il faut que la Convention nationale nomme deux commissaires par sections pour s'informer de l'ιtat du recrutement. Dans les sections oω le contingent est complet, ils annonceront que l'on rιpartira ιgalement les contributions des riches. Dans les sections qui, dans trois jours, n'auront point fourni leur contingent, ils assembleront les citoyens et les feront tirer au sort. Ce mode, je le sais, a des inconvιnients, mais il en a moins encore que tous les autres. Il est un dιcret que vous avez rendu en principe et dont je demande l'exιcution pratique. Vous avez ordonnι la formation d'une garde soldιe dans toutes les grandes villes. Cette institution soulagera les citoyens que n'a pas favorisιs la fortune. Je demande qu'elle soit promptement organisιe, et j'annonce ΰ la Convention nationale qu'aprθs avoir opιrι le recrutement de Paris, si

elle veut revenir ΰ l'unitι d'action, si elle veut mettre ΰ contribution les malheurs mκme de la patrie, elle verra que les machinations de nos ennemis pour soulever la France n'auront servi qu'ΰ son triomphe. La force nationale va se dιvelopper; si vous savez diriger son ιnergie, la patrie sera sauvιe, et vous verrez les rois coalisιs vous proposer une paix honorable.

XXVIII SUR UNE NOUVELLE LOI POUR PROTΙGER LA REPRΙSENTATION NATIONALE (24 mai 1793) [Note: Vermorel qui donne, p. 51, 58, quelques fragments de ce discours lui attribue la date du 23 mai 1793. La rιιdition du Moniteur (p. 467) donne en effet cette date: vendredi, 23 mai. Mais c'est lΰ une erreur certaine, car ce vendredi ιtait le 24 mai. La manchette de ce numιro (n° 146) porte d'ailleurs: Dimanche 26 mai 1793.] La chute de la Gironde ιtait proche. Sentant le terrain lui manquer sous les pieds, elle fit proposer un dιcret dont l'article 1er ιtait ainsi rιdigι: "La Convention nationale met sous la sauvegarde spιciale des bons citoyens la fortune publique, la reprιsentation nationale et la ville de Paris." (_Moniteur_, n° 145.) Ce dιcret ιmanait de la Commission des Douze et avait ιtι soutenu par Vigιe, Vergniaud et Boyer-Fonfrθde. Sans le combattre entiθrement, Danton s'opposa cependant ΰ son adoption immιdiate. Le dιcret fut adoptι dans la mκme sιance. C'ιtait un des suprκmes triomphes de la Gironde. ***** L'objet de cet article n'a rien de mauvais en soi. Sans doute la reprιsentation nationale a besoin d'κtre sous la sauvegarde de la nation. Mais comment se fait-il que vous soyez assez dominιs par les circonstances pour dιcrιter aujourd'hui ce qui se trouve dans toutes vos lois? Sans doute, l'aristocratie menace de renverser la libertι, mais quand les pιrils sont communs ΰ tous, il est indigne de nous de faire des lois pour nous seuls, lorsque nous trouvons notre sϋretι dans celles qui protθgent tous les citoyens. Je dis donc que dιcrιter ce qu'on vous propose, c'est dιcrιter la peur. ---Eh bien! j'ai peur, moi!.... DANTON.--Je ne m'oppose pas ΰ ce que l'on prenne des mesures pour rassurer chaque individu qui craint pour sa sϋretι; je ne m'oppose pas ΰ ce que vous donniez une garde de crainte au citoyen qui tremble ici. Mais la Convention nationale peut-elle annoncer ΰ la Rιpublique qu'elle se laisse dominer par la peur. Remarquez bien jusqu'ΰ quel point cette crainte est ridicule. Le comitι vous annonce qu'il y a des dispositions portant qu'on a voulu attenter ΰ la reprιsentation nationale. On sait bien qu'il existe ΰ Paris une multitude d'aristocrates, d'agents soudoyιs par les puissances; mais les lois ont pourvu ΰ tout; on dit qu'elles ne s'exιcutent pas; mais une preuve qu'elles s'exιcutent, c'est que la Convention nationale est intacte, et que, si un de ses membres a pιri, il ιtait du nombre de ceux qui ne tremblent pas. Remarquez bien que l'esprit public des citoyens de

Paris qu'on a tant calomniιs.... UN GRAND NOMBRE DE VOIX.--Cela est faux! la preuve en est dans le projet qu'on Propose! DANTON.--Je ne dis pas que ce soit calomnier Paris que de proposer le projet de dιcret qui vous est prιsentι; mais on a calomniι Paris, en demandant une force dιpartementale; car, dans une ville comme Paris, oω la population prιsente une masse si imposante, la force des bons citoyens est assez grande pour terrasser les ennemis de la libertι. Je dis que, si, dans la rιunion dont on a parlι, il s'est trouvι des hommes assez pervers pour proposer de porter atteinte ΰ la reprιsentation nationale, cette proposition a ιtι vivement repoussιe, et que si ces hommes sont saisis et peuvent κtre livrιs ΰ la justice, ils ne trouveront point ici de dιfenseurs. On a cherchι aussi ΰ inculper le maire de Paris, et ΰ le rendre, pour ainsi dire, complice de ces hommes vendus ou traξtres; mais l'on n'a pas dit que, si le maire de Paris n'ιtait pas venu vous instruire de ce qui s'ιtait passι, c'est qu'il ιtait venu en rendre compte au Comitι du Salut public, qui devait vous en instruire. Ainsi donc, quand il est dιmontrι que les propositions qui ont ιtι faites ont ιtι rejetιes avec horreur; quand Paris est prκt ΰ s'armer contre tous les traξtres qu'il renferme pour protιger la Convention nationale, il est absurde de crιer une loi nouvelle; pour protιger la reprιsentation nationale, il ne s'agit que de diriger l'action des lois existantes contre le vrai coupable. Encore une fois, je ne combats pas le fond du projet, mais je dis qu'il se trouve dans les lois prιexistantes. Ne faisons donc rien par peur; ne faisons rien pour nous-mκmes; ne nous attachons qu'aux considιrations nationales; ne nous laissons point diriger par les passions. Prenez garde qu'aprθs avoir crιι une commission pour rechercher les complots qui se trament dans Paris, on ne vous demande s'il ne conviendrait pas d'en crιer aussi une pour rechercher les crimes de ceux qui ont cherchι ΰ ιgarer l'esprit des dιpartements. Je ne demande qu'une chose, c'est que les membres qui proposent ce projet se dιpouillent de toutes leurs haines. Il faut que les criminels soient bien connus, et il est de votre sagesse d'attendre un rapport prιliminaire sur le tout.

XXIX POUR LE PEUPLE DE PARIS (26 mai 1793) L'attitude du prιsident Isnard donna lieu, dans la sιance de la Convention du 26 mai, ΰ de violents incidents. Rιpondant ΰ une dιputation de la Commune, il prononηa les mots, devenus fameux depuis: "Si, par ces insurrections toujours renaissantes, il arrivait qu'on portβt atteinte ΰ la reprιsentation nationale, je vous le dιclare au nom de la France entiθre, Paris serait anιanti! Bientτt on chercherait sur les rives de la Seine si Paris a existι." Danton, se levant, cria: "Prιsident, je demande la parole sur votre rιponse!" Appuyι par la gauche, il allait la prendre quand Cambon monta ΰ la tribune pour donner lecture d'une lettre du gιnιral Lamorliθre. A cette lecture succιda une dιputation de la section des Gardes-Franηaises, venant prιsenter son contingent. Cette fois la rιponse du prιsident fut

patriotique et modιrιe. Aprθs les honneurs de la sιance, dιcernιs ΰ des pιtitionnaires de la section de l'Unitι, Danton monta ΰ la tribune pour protester du civisme du peuple de Paris et contre les parole d'Isnard. ***** Si le prιsident eϋt prιsentι l'olivier de la paix ΰ la Commune avec autant d'art qu'il a prιsentι le signal du combat aux guerriers qui viennent de dιfiler ici, j'aurais applaudi ΰ sa rιponse; mais je dois examiner quel peut κtre l'effet politique de son discours. Assez et trop longtemps on a calomniι Paris en masse. (_On applaudit dans la partie gauche et dans les tribunes. Il s'ιlθve de violents murmures dans la partie droite_.) PLUSIEURS VOIX.--Non, ce n'est pas Paris qu'on accuse, mais les scιlιrats qui s'y trouvent. DANTON.--Voulez-vous constater que je me suis trompι? ON GRAND NOMBRE DE VOIX.--Oui! DANTON.--Ce n'est pas pour disculper Paris que je me suis prιsentι ΰ cette tribune, il n'en a pas besoin. Mais c'est pour la Rιpublique entiθre. Il importe de dιtruire auprθs des dιpartements les impressions dιfavorables que pourrait faire la rιponse du prιsident. Quelle est cette imprιcation du prιsident contre Paris? Il est assez ιtrange qu'on vienne prιsenter la dιvastation que feraient de Paris tous les dιpartements, si cette ville se rendait coupable.... (Oui, _s'ιcrient un grand nombre de voix_, ils le feraient.--_On murmure dans l'extrκme gauche_.) Je me connais aussi, moi, en figures oratoires. (_Murmures dans la partie droite_.) Il entre dans la rιponse du prιsident un sentiment d'amertume. Pourquoi supposer qu'un jour on cherchera vainement sur les rives de la Seine si Paris a existι? Loin d'un prιsident de pareils sentiments, il ne lui appartient que de prιsenter des idιes consolantes. Il est bon que la Rιpublique sache que Paris ne dιviera jamais des principes; qu'aprθs avoir dιtruit le trτne d'un tyran couvert de crimes, il ne le relθvera pas pour y asseoir un nouveau despote. Que l'on sache aussi que les reprιsentants du peuple marchent entre deux ιcueils; ceux qui servent un parti lui apportent leurs vices comme leurs vertus. Si dans le parti qui sert le peuple il se trouve des coupables, le peuple saura les punir; mais faites attention ΰ cette grande vιritι, c'est que, s'il fallait choisir entre deux excθs, il vaudrait mieux se jeter du cτtι de la libertι que rebrousser vers l'esclavage. En reprenant ce qu'il y a de blβmable, il n'y a plus partout que des rιpublicains. Depuis quelque temps les patriotes sont opprimιs dans les sections. Je connais l'insolence des ennemis du peuple; ils ne jouiront pas longtemps de leur avantage; bientτt les aristocrates, fidθles aux sentiments de fureur qui les animent, vexeraient tout ce qui a portι le caractθre de la libertι; mais le peuple dιtrompι les fera rentrer dans le nιant. Qu'avons-nous ΰ faire, nous, lιgislateurs, qui sommes au centre des ιvιnements? Rιprimons tous les audacieux; mais tournons-nous d'abord vers l'aristocrate, car il ne changera pas. Vous, hommes ardents, qui servez le peuple, qui κtes attachιs ΰ sa cause, ne vous effrayez pas de voir arriver une sorte de modιrantisme perfide; unissez la prudence ΰ l'ιnergie qui vous caractιrise, tous les ennemis du peuple seront ιcrasιs.

Parmi les bons citoyens, il y en a de trop impιtueux, mais pourquoi leur faire un crime d'une ιnergie qu'ils emploient ΰ servir le peuple? S'il n'y avait pas eu des hommes ardents, si le peuple lui-mκme n'avait pas ιtι violent, il n'y aurait pas eu de rιvolution. Je reviens ΰ mon premier objet: je ne veux exaspιrer personne parce que j'ai le sentiment de ma force en dιfendant la raison. Sans faire mon apologie, je dιfie de me prouver un crime. Je demande que l'on renvoie devant le tribunal rιvolutionnaire ceux qui auront conspirι contre la Convention; et moi, je demande ΰ y κtre renvoyι le premier, si je suis trouvι coupable. On a rιpιtι souvent que je n'avais pas rendu mes comptes. J'ai eu 400.000 livres ΰ ma disposition pour des dιpenses secrθtes; j'ai rendu compte de l'emploi que j'en ai fait; que ceux qui m'ont fait des reproches les parcourent avant de me calomnier. Une somme de 100.000 livres avait ιtι remise entre mes mains pour faire marcher la Rιvolution. Cette somme devait κtre employιe d'aprθs l'avis du Conseil exιcutif; il connaξt l'emploi que j'en ai fait; il a, lui, rendu ses comptes. PLUSIEURS VOIX.--Ce n'est pas la question! DANTON.--Je reviens ΰ ce que souhaite la Convention; il faut rιunir les Dιpartements; il faut bien se garder de les aigrir contre Paris! Quoi! cette citι immense, qui se renouvelle tous les jours, porterait atteinte ΰ la reprιsentation nationale! Paris, qui a brisι le premier le sceptre de fer, violerait l'Arche sainte qui lui est confiιe! Non; Paris aime la Rιvolution; Paris, par les sacrifices qu'il a faits ΰ la libertι, mιrite les embrassements de tous les Franηais. Ces sentiments sont les vτtres, eh bien! manifestez-les; faites imprimer la rιponse de votre prιsident, en dιclarant que Paris n'a jamais cessι de bien mιriter de la Rιpublique, puisque la municipalitι.... (_Il s'ιlθve de violents murmures dans une grande partie de la salle_). Puisque la majoritι de Paris a bien mιritι.... (_On applaudit dans toutes les parties de la salle_), et cette majoritι, c'est la presque totalitι de Paris. (_Mκmes applaudissements_). Par cette dιclaration, la nation saura apprιcier la proposition qui a ιtι faite de transporter le siθge de la Convention dans une autre ville. Tous les dιpartements auront de Paris l'opinion qu'ils doivent en avoir, et qu'ils en ont rιellement. Paris, je le rιpθte, sera toujours digne d'κtre le dιpositaire de la reprιsentation gιnιrale. Mon esprit sent que, partout oω vous irez, vous y trouverez des passions, parce que vous y porterez les vτtres. Paris sera bien connu; le petit nombre de conspirateurs qu'il renferme sera puni. Le peuple franηais, quelles que soient vos opinions, se sauvera lui-mκme, s'il le faut, puisque tous les jours il remporte des victoires sur les ennemis, malgrι nos dissensions. Le masque arrachι ΰ ceux qui jouent le patriotisme et qui servent de rempart aux aristocrates, la France se lθvera et terrassera ses ennemis.

XXX CONTRE LA COMMISSION DES DOUZE (27 mai 1793) L'arrestation d'Hιbert, ordonnιe par la Commission des Douze, crιa une

vive effervescence ΰ la Commune. Dans la sιance du lundi 27 mai, une dιputation de la section de la citι vint demander la traduction des Douze devant le Tribunal Rιvolutionnaire. Isnard, qui prιsidait, rιpondit: "Citoyens, la Convention nationale pardonne ΰ l'ιgarement de votre jeunesse...." Un indescriptible tumulte s'ensuivit. Robespierre, Bourdon (de l'Oise), Henri Lariviθre, tentθrent en vain d'obtenir la parole. Le prιsident s'ιtant couvert au milieu du tumulte, Danton s'ιcria sur une observation de Delacroix (d'Eure-et-Loir): "Je vous le dιclare, tant d'impudence commence ΰ nous perdre; nous vous rιsisterons! "Et toute l'extrκme gauche cria avec lui: "Nous vous rιsisterons!" La droite demanda l'insertion de la phrase de Danton au procθs-verbal. "Oui, dit Danton, je la demande moi-mκme." Et il monta ΰ la tribune: ***** Je dιclare ΰ la Convention et ΰ tout le peuple franηais que si l'on persiste ΰ retenir dans les fers des citoyens qui ne sont que prιsumιs coupables, dont tout le crime est un excθs de patriotisme; si l'on refuse constamment la parole ΰ ceux qui veulent les dιfendre; je dιclare, dis-je, que, s'il y a ici cent bons citoyens, nous rιsisterons. Je dιclare en mon propre nom, et je signerai cette dιclaration, que le refus de la parole ΰ Robespierre est une lβche tyrannie. Je dιclare ΰ la France entiθre que vous avez mis souvent en libertι des gens plus que suspects sur de simples rιclamations, et que vous retenez dans les fers des citoyens d'un civisme reconnu, qu'on les tient en charte privιe, sans vouloir faire aucun rapport.... PLUSIEURS MEMBRES A DROITE.--C'est faux, le rapporteur de la Commission des Douze a demandι la parole. DANTON.--Tout membre de l'Assemblιe a le droit de parler sur et contre la Commission des Douze. C'est un prιalable d'autant plus nιcessaire, que cette Commission des Douze tourne les armes qu'on a mises dans ses mains contre les meilleurs citoyens; cette commission est d'autant plus funeste qu'elle arrache ΰ leurs fonctions des magistrats du peuple. PLUSIEURS VOIX.--Et les commissaires envoyιs dans les dιpartements! DANTON.--Vos commissaires, vous les entendrez.... Si vous vous obstinez ΰ refuser la parole ΰ un reprιsentant du peuple qui veut parler en faveur d'un patriote jetι dans les fers, je dιclare que je proteste contre votre tyrannie, contre votre despotisme. Le peuple franηais jugera. ***** Dans cette mκme sιance Danton reprit la parole aprθs la dιclaration du ministre de l'Intιrieur, protestant une fois encore de sa soif de paix, de son dιsir de concorde. ***** Je demande que le ministre me rιponde; je me flatte que de cette grande lutte sortira la vιritι, comme des ιclats de la foudre sort la sιrιnitι de l'air; il faut que la nation sache quels sont ceux qui veulent la tranquillitι. Je ne connaissais pas le ministre de

l'Intιrieur; je n'avais jamais eu de relation avec lui. Je le somme de dιclarer, et cette dιclaration m'importe dans les circonstances oω nous nous trouvons, dans un moment oω un dιputι (c'est Brissot) a fait contre moi une sanglante diatribe; dans le moment oω le produit d'une charge que j'avais est travestie en une fortune immense.... (_Il s'ιlθve de violents murmures dans la partie droite_.) Il est bon que l'on sache quelle est ma vie. PLUSIEURS VOIX DANS LA PARTIE DROITE.--Ne nous parlez pas de vous, de votre guerre avec Brissot. DANTON.--C'est par ce que le Comitι de Salut public a ιtι accusι de favoriser les mouvements de Paris qu'il faut que je m'explique.... PLUSIEURS MEMBRES.--On ne dit pas cela. DANTON.--Voilΰ ces amis de l'ordre qui ne veulent pas entendre la vιritι, que l'on juge par lΰ quels sont ceux qui veulent l'anarchie. J'interpelle le ministre de l'Intιrieur de dire si je n'ai pas ιtι plusieurs fois chez lui pour l'engager ΰ calmer les troubles, ΰ unir les dιpartements, ΰ faire cesser les prιventions qu'on leur avait inspirιes contre Paris; j'interpelle le ministre de dire, si depuis la rιvolution, je ne l'ai pas invitι ΰ apaiser toutes les haines, si je ne lui ai pas dit: "je ne veux pas que vous flattiez tel parti plutτt que tel autre; mais que vous prκchiez l'union." Il est des hommes qui ne peuvent pas se dιpouiller d'un ressentiment. Pour moi, la nature m'a fait impιtueux, mais exempt de haine. Je l'interpelle de dire s'il n'a pas reconnu que les prιtendus amis de l'ordre ιtaient la cause de toutes les divisions, s'il n'a pas reconnu que les citoyens les plus exagιrιs sont les plus amis de l'ordre et de la paix. Que le ministre rιponde.

XXXI AUTRE DISCOURS CONTRE LA COMMISSION DES DOUZE (31 mai 1793) Tandis que grondait le canon de l'insurrection de la journιe fatale pour la Gironde, Danton, intervenant dans la discussion sur l'ιmeute dιnoncιe par Vergniaud, reprit son rιquisitoire contre la Commission des Douze et demanda sa suppression. Il interrompit le prιsident Mallarmι, lui disant: "Faites donc justice, avant tout, de la Commission!" Aprθs un court dιbat sur la question de prioritι, il monta ΰ la tribune. ***** J'ai demandι la parole pour motiver la prioritι en faveur de la motion de Thuriot. [Note: "C'est l'anιantissement de la Commission que je sollicite," avait dit Thuriot (_Moniteur_, p. 152).] Il ne sera pas difficile de faire voir que cette motion est d'un ordre supιrieur ΰ celle mκme demander le commandant ΰ la barre. Il faut que Paris ait justice de la Commission; elle n'existe pas comme la Convention. Vous avez crιι une Commission impolitique....

PLUSIEURS VOIX.--Nous ne savons pas cela.... DANTON.--Vous ne le savez pas? il faut donc vous le rappeler. Oui, votre Commission a mιritι l'indignation populaire. Rappelez-vous mon discours ΰ ce sujet, ce discours trop modιrι. Elle a jetι dans les fers des magistrats du peuple, par cela seul qu'ils avaient combattu, dans des feuilles, cet esprit de modιrantisme que la France veut tuer pour sauver la Rιpublique. Je ne prιtends pas inculper ni disculper la Commission, il faudra la juger sur un rapport et sur leur dιfense. Pourquoi avez-vous ordonnι l'ιlargissement de ces fonctionnaires publics? Vous y avez ιtι engagιs sur le rapport d'un homme que vous ne respectez pas, d'un homme que la nature a crιι doux, sans passions, le ministre de l'Intιrieur. Il s'est expliquι clairement, textuellement, avec dιveloppement, sur le compte d'un des magistrats du peuple. En ordonnant de le relβcher, vous avez ιtι convaincus que la Commission avait mal agi sous le rapport politique. C'est sous ce rapport que j'en demande, non pas la cassation, car il faut un rapport, mais la suppression. Vous l'avez crιιe, non pour elle, mais pour vous. Si elle est coupable, vous en ferez un exemple terrible qui effrayera tous ceux qui ne respectent pas le peuple, mκme dans son exagιration rιvolutionnaire. Le canon a tonnι, mais Paris n'a voulu donner qu'un grand signal pour vous apporter ses reprιsentations; si Paris, par une convention trop solennelle, trop retentissante, n'a voulu qu'avertir tous les citoyens de vous demander une justice ιclatante, Paris a encore bien mιritι de la patrie. Je dis donc que, si vous κtes lιgislateurs politiques, loin de blβmer cette explosion, vous la tournerez au profit de la chose publique, d'abord en rιformant vos erreurs, en cassant votre Commission. Ce n'est qu'ΰ ceux qui ont reηu quelques talents politiques que je m'adresse, et non ΰ ces hommes stupides qui ne savent faire parler que leurs passions. Je leur dis: "Considιrez la grandeur de votre but, c'est de sauver le peuple de ses ennemis, des aristocrates, de le sauver de sa propre colθre." Sous le rapport politique, la Commission a ιtι assez dιpourvue de sens pour prendre de nouveaux arrκtιs et de les notifier au maire de Paris, qui a en la prudence de rιpondre qu'il consulterait la Convention. Je demande la suppression de la Commission, et le jugement de la conduite particuliθre de ses membres. Vous les croyez irrιprochables; moi je crois qu'ils ont servi leurs ressentiments. Il faut que ce chaos s'ιclaircisse; mais il faut donner justice au peuple. QUELQUES VOIX.--Quel peuple? DANTON.--Quel peuple, dites-vous? ce peuple est immense, ce peuple est la sentinelle avancιe de la Rιpublique. Tous les dιpartements haοssent fortement la tyrannie. Tous les dιpartements exθcrent ce lβche modιrantisme qui ramθne la tyrannie. Tous les dιpartements en un jour de gloire pour Paris avoueront ce grand mouvement qui exterminera tous les ennemis de la libertι. Tous les dιpartements applaudiront ΰ votre sagesse, quand vous aurez fait disparaξtre une Commission impolitique. Je serai le premier ΰ rendre une justice ιclatante ΰ ces hommes courageux qui ont fait retentir les airs.... (_Les tribunes applaudissent_.) Je vous engage, vous, reprιsentants du peuple, ΰ vous montrer impassibles; faites tourner au profit de la patrie cette ιnergie que de mauvais citoyens seuls pourraient prιsenter comme funeste. Et si

quelques hommes, vraiment dangereux, n'importe ΰ quel parti ils appartiennent, voulaient prolonger un mouvement devenu inutile, quand vous aurez fait justice, Paris lui-mκme les fera rentrer dans le nιant; je demande froidement la suppression pure et simple de la Commission sous le rapport politique seul, sans rien prιjuger, ni pour, ni contre; ensuite vous entendrez le commandant gιnιral, vous prendrez connaissance de ce qui est relatif ΰ ce grand mouvement, et vous finirez par vous conduire en hommes qui ne s'effraient pas des dangers. PALLES.--Nous savons bien que ce n'est qu'un simulacre, les citoyens courent sans savoir pourquoi. DANTON.--Vous sentez que, s'il est vrai que ce ne soit qu'un simulacre, quand il s'agit de la libertι de quelques magistrats, le peuple fera pour sa libertι une insurrection entiθre. Je demande que, pour mettre fin ΰ tant de dιbats fβcheux, que, pour marcher ΰ la Constitution qui doit comprimer toutes les passions, vous mettiez aux voix par l'appel nominal la rιvocation de la Commission.

XXXII SUR LA CHUTE DES GIRONDINS (13 juin 1793_) [Note: Une autre erreur de Vermorel, p. 203, donne ΰ ce discours la date du 14 juin. Le n° 167 du _Moniteur_, qui le rapporte, spιcifie qu'il fut prononcι dans la sιance du jeudi 13 juin, dans la discussion sur les arrκtιs des administrations de l'Eure et du Calvados.] Danton n'intervint dans la discussion des troubles du Calvados, ΰ la Convention, que pour rallier ses collθgues au parti national. Aprθs avoir fait l'apologie de l'insurrection du 31 mai, il leur demanda de s'expliquer "loyalement" ΰ cet ιgard et de songer aux dangers de la patrie. ***** Nous touchons au moment de fonder vιritablement la libertι franηaise, en donnant ΰ la France une Constitution rιpublicaine. C'est au moment d'une grande production que les corps politiques comme les corps physiques paraissent toujours menacιs d'une destruction prochaine. Nous sommes entourιs d'orages, la foudre gronde. Eh bien, c'est du milieu de ses ιclats que sortira l'ouvrage qui immortalisera la nation franηaise. Rappelez-vous, citoyens, ce qui s'est passι du temps de la conspiration de Lafayette. Nous semblions κtre dans la position dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui. Rappelez-vous ce qu'ιtait alors Paris; les patriotes ιtaient opprimιs, proscrits partout; nous ιtions menacιs des plus grands malheurs. C'est aujourd'hui la mκme position; il semble qu'il n'y ait de pιrils que pour ceux qui ont crιι la libertι. Lafayette et sa faction furent bientτt dιmasquιs: aujourd'hui les nouveaux ennemis du peuple se sont trahis eux-mκmes, ils ont fui, ils ont changι de nom, de qualitι, ils ont pris de faux passeports. Ce Brissot, ce coryphιe de la secte impie qui va κtre ιtouffιe, cet homme qui vantait son courage et son indigence en m'accusant d'κtre couvert d'or, n'est plus qu'un misιrable qui ne peut

ιchapper au glaive des lois, et dont le peuple a dιjΰ fait justice en l'arrκtant comme un conspirateur. On dit que l'insurrection de Paris cause des mouvements dans les dιpartements; je le dιclare ΰ la face de l'univers, ces ιvιnements feront la gloire de cette superbe citι; je le proclame ΰ la face de la France, sans les canons du 31 mai, sans l'insurrection, les conspirateurs triomphaient, ils nous donnaient la loi. Que le crime de cette insurrection retombe sur nous; je l'ai appelιe, moi, cette insurrection, lorsque j'ai dit que, s'il y avait dans la Convention cent hommes qui me ressemblassent, nous rιsisterions ΰ l'oppression, nous fonderions la libertι sur des bases inιbranlables. Rappelez-vous qu'on a dit que l'agitation qui rθgne dans les dιpartements ne s'ιtait manifestιe que depuis les ιvιnements qui se sont passιs ici. Eh bien, il y a des piθces qui constatent qu'avant le 31 mai les dιpartements avaient envoyι une circulaire pour faire une fιdιration et se coaliser. Que nous reste-t-il ΰ faire? A nous identifier avec le peuple de Paris, avec tous les bons citoyens, ΰ faire le rιcit de tout ce qui s'est passι. On sait que moi, plus que tout autre, j'ai ιtι menacι des baοonnettes, qu'on les a appuyιes sur ma poitrine; on sait que nous avons couvert de nos corps ceux qui se croyaient en danger. Non, les habitants de Paris n'en voulaient pas ΰ la libertι d'aucun reprιsentant du peuple; ils ont pris l'attitude qui leur convenait; ils se sont mis en insurrection. Que les adresses envoyιes des dιpartements pour calomnier Paris ne vous ιpouvantent pas; elles sont l'ouvrage de quelques intrigants et non celui des citoyens des dιpartements: rappelez-vous qu'il en est venu de semblables contre Paris en faveur du tyran. Paris est le centre oω tout vient aboutir; Paris sera le foyer qui recevra tous les rayons du patriotisme franηais, et en brϋlera tous les ennemis. Je demande que vous vous expliquiez loyalement sur l'insurrection qui a eu de si heureux rιsultats. Le peuple voit que ces hommes qu'on avait accusιs de vouloir se gorger du sang du peuple ont plus fait depuis huit jours pour le bonheur du peuple que la Convention, tourmentιe par des intrigants, n'en avait pu faire depuis son existence. Voilΰ le rιsultat qu'il faut prιsenter au peuple des dιpartements: il est bon, il applaudira ΰ vos sages mesures. Les hommes criminels qui ont fui ont rιpandu des terreurs partout sur leur passage; ils ont tout exagιrι, tout amplifiι; mais le peuple dιtrompι rιagira plus fortement, et se vengera sur ceux qui l'ont trompι. Quant ΰ la question qui nous occupe, je crois qu'il faut prendre des mesures gιnιrales pour tous les dιpartements; il faut qu'il soit accordι vingt-quatre heures aux administrateurs qui auraient pu κtre ιgarιs, sans cependant donner une amnistie aux agitateurs. Il faut que, dans les dιpartements oω les Communes patriotes luttent contre des administrateurs aristocrates, ces administrateurs soient destituιs et remplacιs par de vrais rιpublicains. Je demande enfin que la Convention dιclare que, sans l'insurrection du 31 mai, il n'y aurait plus de libertι. Citoyens, pas de faiblesse; faites cette dιclaration solennelle au peuple Franηais; dites-lui qu'on veut encore le retour des nobles; dites-lui que la horde scιlιrate vient de prouver qu'elle ne voulait pas de constitution; dites-lui de prononcer entre la Montagne et cette faction; dites aux citoyens franηais: "Rentrez dans vos droits imprescriptibles; serrez-vous autour de la Convention; prιparez-vous ΰ accepter la constitution qu'elle va vous prιsenter; cette

constitution qui, comme je l'ai dιjΰ dit, est une batterie qui fait un feu ΰ mitraille contre les ennemis de la libertι, et qui les ιcrasera tous; prιparez une force armιe, mais que ce soit contre les ennemis de la Vendιe. Ιtouffez la rιbellion de cette partie de la France et vous aurez la paix." Le peuple, instruit sur cette derniθre ιpoque de la Rιvolution, ne se laissera plus surprendre. On n'entendra plus de calomnies contre une ville qui a crιι la libertι, qui ne pιrira pas avec elle, mais qui triomphera avec la libertι, et passera avec elle ΰ l'immortalitι.

XXXIII CONTRE LES ASSIGNATS ROYAUX (31 juillet 1793) Cambon, dans cette sιance du 31 juillet, proposa ΰ la Convention de dιmonιtiser les assignats royaux d'une valeur au-dessus de cent livres, tout en gardant la valeur de ceux de cinquante livres. Sur cette proposition, Bazire demanda la question prιalable. Danton se rangea ΰ l'avis de Cambon, dont la Convention en cette mκme sιance adopta le dιcret. ***** Je demande ΰ parler contre l'ajournement.... Je combats la question prιalable demandιe par Bazire. Il y a plus de six mois que j'ai dit ici qu'il y a trop de signes reprιsentatifs en circulation; il faut que ceux qui possθdent immensιment payent la dette nationale. Quels sont ceux qui supportent la misθre publique, qui versent leur sang pour la libertι, qui combattent l'aristocratie financiθre et bourgeoise? ce sont ceux qui n'ont pas en leur pouvoir un assignat royal de cent livres. Frappez, que vous importent les clameurs des aristocrates; lorsque le bien sort en masse de la mesure que vous prenez, vous obtenez la bιnιdiction nationale. On a dit que cette loi aurait un effet rιtroactif, c'est ici une loi politique, et toutes les lois politiques qui ont rasι le despotisme n'ont-elles pas en un effet rιtroactif? Qui de vous peut les blβmer? On a dit que celui qui n'a qu'un assignat de cent livres sera grevι, parce qu'il sera obligι de vendre son assignat. Je rιponds qu'il y gagnera, car les denrιes baisseront; d'ailleurs, ce ne sont pas les hommes de la Rιvolution qui ont ces assignats. Soyez comme la nature, elle voit la conservation de l'espθce; ne regardez pas les individus. Si le despotisme triomphait, il ferait disparaξtre tous les signes de la libertι. Eh bien, ne souillez pas les yeux des amis de la libertι de l'image du tyran dont la tκte est tombιe sous le glaive de la loi. Les despotes de l'Europe diront: "Quelle est cette nation puissante qui par un seul dιcret amιliore la fortune publique, soulage le peuple, fait revivre le crιdit national, et prιpare de nouveaux moyens de combattre les ennemis?" Cette mesure n'est pas nouvelle, Cambon l'a longtemps mιditιe; il est de votre devoir de l'adopter; si vous ne l'adoptez pas, la discussion qui vient d'avoir lieu produira des inconvιnients qui peuvent κtre attachιs ΰ la loi, et n'en prιsentera aucun avantage. Je ne me connais pas grandement en finances, mais je

suis savant dans le bonheur de mon pays. Les riches frιmissent de ce dιcret; mais je sais que ce qui est funeste ΰ ces gens est avantageux pour le peuple. Le renchιrissement des denrιes vient de la trop grande masse d'assignats en circulation; que l'ιponge nationale ιpuise cette grande masse, l'ιquilibre se rιtablira. Je demande que la proposition de Cambon soit adoptιe.

XXXIV DISCOURS POUR QUE LE COMITΙ DE SALUT PUBLIC SOIT ΙRIGΙ EN GOUVERNEMENT PROVISOIRE (1er aoϋt 1793) Ce discours est un des plus importants de la carriθre politique de Danton. C'est de lui que sortit la dictature jacobine et terroriste qui souleva la France et lui assura la victoire. Danton, prιsident depuis le 25 juillet, descendit du fauteuil ΰ la tribune pour le prononcer aprθs une motion violente de Couthon. Ce dernier, aprθs avoir dιclarι: "Le gouvernement anglais nous fait une guerre d'assassins", demanda ΰ la Convention d'infliger aux Franηais plaηant des fonds ΰ Londres une amende ιgale ΰ celle de l'argent dιposι, et d'obliger les dιposants, sous peine de la mκme amende, ΰ dιclarer leurs dιpτts dans le mois suivant la publication du dιcret proposι. Le discours de Danton suivit aussitτt cette motion. ***** J'appuie d'autant plus ces propositions que le moment est arrivι d'κtre politique. Sans doute un peuple rιpublicain ne fait pas la guerre ΰ ses ennemis par la corruption, l'assassinat et le poison. Mais le vaisseau de la raison doit avoir son gouvernail, c'est la saine politique. Nous n'aurons de succθs que lorsque la Convention, se rappelant que l'ιtablissement du Comitι de Salut public est une des conquκtes de la libertι, donnera ΰ cette institution l'ιnergie et le dιveloppement dont elle peut κtre susceptible. Il a, en effet, rendu assez de services pour qu'elle perfectionne ce genre de gouvernement. N'en doutez pas, ce Cobourg qui s'avance sur votre territoire rend le plus grand service ΰ la Rιpublique. Les mκmes circonstances que l'annιe derniθre se reproduisent aujourd'hui; les mκmes dangers nous menacent.... Mais le peuple n'est point usι, puisqu'il a acceptι la Constitution; j'en jure par l'enthousiasme sublime qu'elle vient de produire. Il a, par cette acceptation, contractι l'engagement de se dιborder tout entier contre les ennemis. Eh bien, soyons terribles, faisons la guerre en lions. Pourquoi n'ιtablissons-nous pas un gouvernement provisoire qui seconde, par de puissantes mesures, l'ιnergie nationale? Je le dιclare, je n'entrerai dans aucun comitι responsable. Je conserverai ma pensιe tout entiθre, et la facultι de stimuler sans cesse ceux qui gouvernent, mais je vous donne un conseil, j'espθre que vous en profiterez. Il nous faut les mκmes moyens qu'emploie Pitt, ΰ l'exception de ceux du crime. Si vous eussiez, il y a deux mois, ιclairι les dιpartements sur la situation de Paris; si vous eussiez rιpandu partout le tableau fidθle de votre conduite; si le ministre de l'Intιrieur se fϋt montrι grand et ferme, et qu'il eϋt fait pour la Rιvolution ce que Roland a fait contre elle, le fιdιralisme et l'intrigue n'auraient pas excitι de mouvements dans

les dιpartements. Mais rien ne se fait. Le gouvernement ne dispose d'aucun moyen politique. Il faut donc, en attendant que la Constitution soit en activitι et pour qu'elle puisse l'κtre, que votre Comitι de Salut public soit ιrigι en gouvernement provisoire; que les ministres ne soient que les premiers agents de ce Comitι de gouvernement. Je sais qu'on objectera que les membres de la Convention ne doivent pas κtre responsables. J'ai dιjΰ dit que vous κtes responsables de la libertι, et que si vous la sauvez, et alors seulement, vous obtiendrez les bιnιdictions du peuple. Il doit κtre mis ΰ la disposition de ce Comitι de gouvernement les fonds nιcessaires pour les dιpenses politiques auxquelles nous obligent les perfidies de nos ennemis. La raison peut κtre servie ΰ moindres frais que la perfidie; ce Comitι pourra enfin mettre ΰ exιcution des mesures provisoires fortes, avant leur publicitι. N'arrachons point en ce moment aux travaux de la campagne les bras nιcessaires ΰ la rιcolte. Prenons une premiθre mesure, c'est de faire un inventaire rigoureux de tous les grains. Pitt n'a pas seulement jouι sur nos finances; il a accaparι, il a exportι nos denrιes. Il faudrait avant tout assurer tous les Franηais que, si le ciel et la terre nous ont si bien servis, nous n'aurons plus ΰ craindre la disette factice dans une annιe d'abondance. Il faudra, aprθs la rιcolte, que chaque commune fournisse un contingent d'hommes qui s'enrτleront d'autant plus volontiers que le terme de la campagne approche. Chez un peuple qui veut κtre libre, il faut que la nation entiθre marche quand sa libertι est menacιe. L'ennemi n'a encore vu que l'avant-garde nationale. Qu'il sente enfin le poids des efforts rιunis de cette superbe nation. Nous donnons au monde un exemple qu'aucun peuple n'a donnι encore. La nation franηaise aura voulu individuellement, et par ιcrit, le gouvernement qu'elle a adoptι; et pιrisse un peuple qui ne saurait pas dιfendre un gouvernement aussi solennellement jurι! Remarquez que dans la Vendιe on fait la guerre avec plus d'ιnergie que nous. On fait marcher de force les indiffιrents. Nous qui stipulons pour les gιnιrations futures; nous que l'univers contemple; nous qui, mκme en pιrissant tous, laisserions des noms illustres, comment se fait-il que nous envisageons dans une froide inaction les dangers qui nous menacent? Comment n'avons-nous pas dιjΰ entraξnι sur les frontiθres une masse immense de citoyens? Dιjΰ dans plusieurs dιpartements le peuple s'est indignι de cette mollesse, et a demandι que le tocsin du rιveil gιnιral fϋt sonnι. Le peuple a plus d'ιnergie que vous. La libertι est toujours partie de sa base. Si vous vous montrez dignes de lui, il vous suivra; et vos ennemis seront exterminιs. Je demande que la Convention ιrige en gouvernement provisoire son Comitι de Salut public; que les ministres ne soient que les premiers commis de ce gouvernement provisoire; qu'il soit mis 50 millions ΰ la disposition de ce gouvernement, qui en rendra compte ΰ la fin de sa session, mais qui aura la facultι de les employer tous en un jour, s'il le juge utile. Une immense prodigalitι pour la cause de la libertι est un placement ΰ usure. Soyons donc grands et politiques partout. Nous avons dans la France une foule de traξtres ΰ dιcouvrir et ΰ dιjouer. Eh bien, un gouvernement adroit aurait une foule d'agents: et remarquez que c'est

par ce moyen que vous avez dιcouvert plusieurs correspondances prιcieuses. Ajoutez ΰ la force des armes, au dιveloppement de la force nationale, tous les moyens additionnels que les bons esprits peuvent vous suggιrer. Il ne faut pas que l'orgueilleux ministre d'un despote surpasse en gιnie et en moyens ceux qui sont chargιs de rιgιnιrer le monde. Je demande, au nom de la postιritι, car si vous ne tenez pas d'une main ferme les rκnes du gouvernement, vous affaiblissez plusieurs gιnιrations par l'ιpuisement de la population; enfin vous les condamneriez ΰ la servitude et ΰ la misθre; je demande, dis-je, que vous adoptiez sans dιlai ma proposition. Aprθs, vous prendrez une mesure pour inventorier toutes les moissons. Vous ferez surveiller les transports, afin que rien ne puisse s'ιcouler par les ports ou par les frontiθres. Vous ferez faire aussi l'inventaire des armes. ΐ partir d'aujourd'hui vous mettrez ΰ la disposition du gouvernement 400 millions pour fondre des canons, faire des fusils et des piques. Dans toutes les villes un peu considιrables, l'enclume ne doit κtre frappιe que pour la fabrication du fer que vous devez tourner contre vos ennemis. Dθs que la moisson sera finie, vous prendrez dans chaque commune une force additionnelle, et vous verrez que rien n'est dιsespιrι. Au moins ΰ prιsent, vous κtes purgιs des intrigants; vous n'κtes plus gκnιs dans votre marche; vous n'κtes plus tiraillιs par les factions; et nos ennemis ne peuvent plus se vanter, comme Dumouriez, d'κtres maξtres d'une partie de la Convention. Le peuple a confiance en vous. Soyez grands et dignes de lui; car si votre faiblesse vous empκchait de le sauver, il se sauverait sans vous et l'opprobre vous resterait. ***** Aprθs une courte intervention de Saint-Andrι, de Cambon et de Barθre, Danton, rιpondant ΰ ce dernier offrant sa dιmission de membre d'un comitι chargι du maniement des fonds, dit: ***** Ce n'est pas κtre homme public que de craindre la calomnie. Lorsque l'annιe derniθre, dans le conseil exιcutif, je pris seul sur ma responsabilitι les moyens nιcessaires pour donner la grande impulsion, pour faire marcher la nation sur les frontiθres; je me dis: qu'on me calomnie, je le prιvois, il ne m'importe; dϋt mon nom κtre flιtri, je sauverai la libertι. Aujourd'hui la question est de savoir s'il est bon que le Comitι de gouvernement ait des moyens de finances, des agents, etc., etc. Je demande qu'il ait ΰ sa disposition 50 millions, avec cet amendement, que les fonds resteront ΰ la trιsorerie nationale et n'en seront tirιs que sur des arrκtιs du Comitι. ***** Robespierre, Couthon, Lacroix et Thiriot prirent ensuite part ΰ la discussion, qui fut clτturιe par cette dιclaration de Danton: ***** Je dιclare que, puisqu'on a laissι ΰ moi seul le poids de la proposition que je n'ai faite qu'aprθs avoir eu l'avis de plusieurs de mes collθgues, mκme des membres du Comitι de salut public, je dιclare, comme ιtant un de ceux qui ont toujours ιtι les plus calomniιs, que je

n'accepterai jamais de fonctions dans ce Comitι; j'en jure par la libertι de ma patrie.

XXXV SUR LES SUSPECTS (12 aoϋt 1793) Les Assemblιes primaires envoyθrent ΰ la Convention nationale une pιtition que celle-ci accueillit dans sa sιance du 12 aoϋt. L'arrestation des suspects y ιtait demandιe sur tout le territoire de la Rιpublique. Danton appuya la demande et proposa, en outre, de confιrer aux commissaires des assemblιes primaires le droit de mettre en rιquisition 400.000 hommes contre les ennemis du Nord. ***** Les dιputιs des assemblιes primaires viennent d'exercer parmi nous l'initiative de la terreur contre les ennemis de l'intιrieur. Rιpondons ΰ leurs voeux; non, pas d'amnistie ΰ aucun traξtre. L'homme juste ne fait point de grβce au mιchant. Signalons la vengeance populaire par le glaive de la loi sur les conspirateurs de l'intιrieur; mais sachons donc mettre ΰ profit cette mιmorable journιe. On vous a dit qu'il fallait se lever en masse; oui, sans doute, mais il faut que ce soit avec ordre. C'est une belle idιe que celle que Barθre vient de nous donner, quand il vous a dit que les commissaires des assemblιes primaires devaient κtre des espθces de reprιsentants du peuple, chargιs d'exciter l'ιnergie des citoyens pour la dιfense de la constitution. Si chacun d'eux pousse ΰ l'ennemi vingt hommes armιs, et ils doivent κtre ΰ peu prθs huit mille commissaires, la patrie est sauvιe. Je demande qu'on les investisse de la qualitι nιcessaire pour faire cet appel au peuple; que, de concert avec les autoritιs constituιes et les bons citoyens, ils soient chargιs de faire l'inventaire des grains, des armes, la rιquisition des hommes, et que le Comitι de salut public dirige ce sublime mouvement. C'est ΰ coups de canon qu'il faut signifier la constitution ΰ nos ennemis. J'ai bien remarquι l'ιnergie des hommes que les sections nationales nous ont envoyιs, j'ai la conviction qu'ils vont tous jurer de donner, en retournant dans leurs foyers, cette impulsion ΰ leurs concitoyens. Je demande donc qu'on mette en ιtat d'arrestation tous les hommes vraiment suspects; mais que cette mesure s'exιcute avec plus d'intelligence que jusqu'ΰ prιsent, oω, au lien de saisir les grands scιlιrats, les vrais conspirateurs, on a arrκtι des hommes plus qu'insignifiants. Ne demandez pas qu'on les mθne ΰ l'ennemi, ils seraient dans nos armιes plus dangereux qu'utiles. Enfermons-les, ils seront nos otages. Je demande que la Convention nationale, qui doit κtre maintenant pιnιtrιe de toute sa dignitι, car elle vient d'κtre revκtue de toute la force nationale, je demande qu'elle dιcrθte qu'elle investit les commissaires des assemblιes primaires du droit de dresser l'ιtat des armes, des subsistances, des munitions, et de mettre en rιquisition 400.000 hommes contre nos ennemis du Nord.

XXXVI SUR L'INSTRUCTION GRATUITE ET OBLIGATOIRE (13 aoϋt 1793) C'est dans ce discours qu'on a, fort heureusement, pris une des ιpigraphes qui ornent la statue de Danton. C'est que jamais plus nobles paroles et plus nobles pensιes ne furent exprimιes dans la grande tourmente rιvolutionnaire. C'est ΰ elles que la dιmocratie moderne doit l'instruction dont elle jouit. ***** Citoyens, aprθs la gloire de donner la libertι ΰ la France, aprθs celle de vaincre ses ennemis, il n'en est pas de plus grande que de prιparer aux gιnιrations futures une ιducation digne de la libertι; tel fut le but que Lepeletier se proposa. Il partit de ce principe que tout ce qui est bon pour la sociιtι doit κtre adoptι par ceux qui ont pris part au contrat social. Or, s'il est bon d'ιclairer les hommes, notre collθgue, assassinι par la tyrannie, mιrita bien de l'humanitι. Mais que doit faire le lιgislateur? Il doit concilier ce qui convient aux principes et ce qui convient aux circonstances. On a dit contre le plan que l'amour paternel s'oppose ΰ son exιcution: sans doute il faut respecter la nature mκme dans ses ιcarts. Mais, si nous ne dιcrιtons pas l'ιducation impιrative, nous ne devons pas priver les enfants du pauvre de l'ιducation. La plus grande objection est celle de la finance; mais j'ai dιjΰ dit qu'il n'y a point de dιpense rιelle lΰ oω est le bon emploi pour l'intιrκt public, et j'ajoute ce principe, que l'enfant du peuple sera ιlevι aux dιpens du superflu des hommes ΰ fortunes scandaleuses. C'est ΰ vous, rιpublicains cιlθbres, que j'en appelle; mettez ici tout le feu de votre imagination, mettez-y toute l'ιnergie de votre caractθre, c'est le peuple qu'il faut doter de l'ιducation nationale. Quand vous semez dans le vaste champ de la Rιpublique, vous ne devez pas compter le prix de cette semence. Aprθs le pain, l'ιducation est le premier besoin du peuple. Je demande qu'on pose la question: sera-t-il formι aux dιpens de la nation des ιtablissements oω chaque citoyen aura la facultι d'envoyer ses enfants pour l'instruction publique? Aprθs une intervention de Charlier, Guyomard et Robespierre, Danton continua: C'est aux moines, cette espθce misιrable, c'est au siθcle de Louis XIV, oω les hommes ιtaient grands par leurs connaissances, que nous devons le siθcle de la philosophie, c'est-ΰ-dire de la raison mise ΰ la portιe du peuple; c'est aux jιsuites, qui se sont perdus par leur ambition politique, que nous devons ces ιlans sublimes qui font naξtre l'admiration. La Rιpublique ιtait dans les esprits vingt ans au moins avant sa proclamation. Corneille faisait des ιpξtres dιdicatoires ΰ Montoron, mais Corneille avait fait le Cid, Cinna; Corneille avait parlι en Romain, et celui qui avait dit: "Pour κtre plus qu'un roi, tu te crois quelque chose", ιtait un vrai rιpublicain. Allons donc ΰ l'instruction commune; tout se rιtrιcit dans l'ιducation

domestique, tout s'agrandit dans l'ιducation commune. On a fait une objection en prιsentant le tableau des affections paternelles; et moi aussi, je suis pθre, et plus que les aristocrates qui s'opposent ΰ l'ιducation commune, car ils ne sont pas sϋrs de leur paternitι. Eh bien, quand je considθre ma personne relativement au bien gιnιral, je me sens ιlevι; mon fils ne m'appartient pas, il est ΰ la Rιpublique; c'est ΰ elle ΰ lui dicter ses devoirs pour qu'il la serve bien. On a dit qu'il rιpugnerait aux coeurs des cultivateurs de faire le sacrifice de leurs enfants. Eh bien, ne les contraignez pas, laissez-leur-en la facultι seulement. Qu'il y ait des classes oω il n'enverra ses enfants que le dimanche seulement, s'il le veut. Il faut que les institutions forment les moeurs. Si vous attendiez pour l'Ιtat une rιgιnιration absolue, vous n'auriez jamais d'instruction. Il est nιcessaire que chaque homme puisse dιvelopper les moyens moraux qu'il a reηus de la nature. Vous devez avoir pour cela des maisons communes, facultatives, et ne point vous arrκter ΰ toutes les considιrations secondaires. Le riche payera, et il ne perdra rien s'il veut profiter de l'instruction pour son fils. Je demande que, sauf les modifications nιcessaires, vous dιcrιtiez qu'il y aura des ιtablissements nationaux oω les enfants seront instruits, nourris et logιs gratuitement, et des classes oω les citoyens qui voudront garder leurs enfants chez eux pourront les envoyer s'instruire.

XXXVII SUR LES CRΙANCIERS DE LA LISTE CIVILE ET LES RΙQUISITIONS DΙPARTEMENTALES (14 aoϋt 1793) Mallarmι, dans la sιance du 14 aoϋt, proposa ΰ la Convention de payer aux boulanger, boucher et autres employιs de la liste civile ce qui leur demeurait dϋ. Il n'exceptait de cette mesure que les crιanciers ayant prκtι de l'argent "au ci-devant roi pour l'aider ΰ ιtouffer la libertι naissante". (_Moniteur_, n° 227.) Danton s'opposa en ces termes ΰ la proposition de Mallarmι: ***** Il doit paraξtre ιtonnant ΰ tout bon rιpublicain que l'on propose de payer les crιanciers de la ci-devant liste civile, tandis que le dιcret qui accorde des indemnitιs aux femmes et enfants des citoyens qui versent leur sang pour la patrie reste sans exιcution. Aucun homme de bonne foi ne peut disconvenir que les crιanciers de la liste civile ne fussent les complices du tyran dans le projet qu'il avait formι d'ιcraser le peuple franηais. La distinction faite par Mallarmι est nulle pour des hommes clairvoyants. On sait qu'il y avait des aristocrates qui prκtaient des sommes d'argent au tyran, duquel ils recevaient des reconnaissances portant qu'ils lui avaient fourni telle quantitι de telle ou telle marchandise. Je demande que la Convention dιcrθte que la nation ne paiera aucun crιancier du ci-devant roi. Je demande aussi que la liste de ses crιanciers soit imprimιe, afin que le peuple les connaisse.

* * * * * Les propositions de Danton furent adoptιes. Barθre monta aussitτt ΰ la tribune et demanda, au nom du Comitι de salut public, d'ιtendre les devoirs des envoyιs des assemblιes primaires et de les charger de faire un appel au peuple. Danton proposa de les obliger, en outre, ΰ de nouvelles rιquisitions. ***** En parlant ΰ l'ιnergie nationale, en faisant appel au peuple, je crois que vous avez pris une grande mesure, et le Comitι de salut public a fait un rapport digne de lui, en faisant le tableau des dangers que court la patrie, et des ressources qu'elle a, en parlant des sacrifices que devaient faire les riches, mais il ne nous a pas tout dit. Si les tyrans mettaient notre libertι en danger, nous les surpasserions en audace, nous dιvasterions le sol franηais avant qu'ils pussent le parcourir, et les riches, ces vils ιgoοstes, seraient les premiers la proie de la fureur populaire. Vous qui m'entendez, rιpιtez ce langage ΰ ces mκmes riches de vos communes; dites-leur: "Qu'espιrez-vous, malheureux? Voyez ce que serait la France si l'ennemi l'envahissait, prenez le systθme le plus favorable. Une rιgence conduite par un imbιcile, le gouvernement d'un mineur, l'ambition des puissances ιtrangθres, le morcellement du territoire dιvoreraient vos biens; vous perdriez plus par l'esclavage que par tous les sacrifices que vous pourriez faire pour soutenir la libertι." Il faut qu'au nom de la Convention nationale, qui a la foudre populaire entre les mains, il faut que les envoyιs des assemblιes primaires, lΰ oω l'enthousiasme ne produira pas ce qu'on a droit d'en attendre, fassent des rιquisitions ΰ la premiθre classe. En rιunissant la chaleur de l'apostolat de la libertι ΰ la rigueur de la loi, nous obtiendrons pour rιsultat une grande masse de forces. Je demande que la Convention donne des pouvoirs plus positifs et plus ιtendus aux commissaires des assemblιes primaires, et qu'ils puissent faire marcher la premiθre classe en rιquisition. Je demande qu'il soit nommι des commissaires pris dans le sein de la Convention pour se concerter avec les dιlιguιs des assemblιes primaires, afin d'armer cette force nationale, de pourvoir ΰ sa subsistance, et de la diriger vers un mκme but. Les tyrans, en apprenant ce mouvement sublime, seront saisis d'effroi, et la terreur que rιpandra la marche de cette grande masse nous en fera justice. Je demande que mes propositions soient mises aux voix et adoptιes. ***** "Les propositions de Danton sont dιcrιtιes au milieu des applaudissements." (_Moniteur_, n° 227.)

XXXVIII SUR DE NOUVELLES MESURES RΙVOLUTIONNAIRES (4 septembre 1793) C'est, une nouvelle fois, le plus vif amour du peuple qui inspira ce discours de Danton en rιponse ΰ la dιnonciation de Bazire d'une contre-rιvolution sectionnaire. Grβce ΰ lui, une indemnitι de deux

francs par jour fut accordιe aux citoyens assistant aux assemblιes de sections. Ce ne fut que par un dιcret du 4 fructidor an II que cette mesure fut abolie. Les propositions de Danton furent toutes trois adoptιes dans cette sιance. ***** Je pense comme plusieurs membres, notamment comme Billaud-Varennes, qu'il faut savoir mettre ΰ profit l'ιlan sublime de ce peuple qui se presse autour de nous. Je sais que, quand le peuple prιsente ses besoins, qu'il offre de marcher contre ses ennemis, il ne faut prendre d'autres mesures que celles qu'il prιsente lui-mκme, car c'est le gιnie national qui les a dictιes. Je pense qu'il sera bon que le comitι fasse son rapport, qu'il calcule et qu'il propose les moyens d'exιcution; mais je vois aussi qu'il n'y a aucun inconvιnient ΰ dιcrιter ΰ l'instant mκme une armιe rιvolutionnaire. Ιlargissons, s'il se peut, ces mesures. Vous venez de proclamer ΰ la face de la France qu'elle est encore en vraie rιvolution active; et bien, il faut la consommer, cette rιvolution. Ne vous effrayez point des mouvements que pourront tenter les contre-rιvolutionnaires de Paris. Sans doute ils voudraient ιteindre le feu de la libertι dans son foyer le plus ardent, mais la masse immense des vrais patriotes, des sans-culottes, qui cent fois ont terrassι leurs ennemis, existe encore; elle est prκte ΰ s'ιbranler: sachez la diriger, et elle confondra encore et dιjouera toutes les manoeuvres. Ce n'est pas assez d'une armιe rιvolutionnaire, soyez rιvolutionnaires vous-mκmes. Songez que les hommes industrieux qui vivent du prix de leurs sueurs ne peuvent aller dans les sections. Dιcrιtez donc deux grandes assemblιes de sections par semaine, que l'homme du peuple qui assistera ΰ ces assemblιes politiques ait une juste rιtribution pour le temps qu'elles enlθveront ΰ son travail. Il est bon encore que nous annoncions ΰ tous nos ennemis que nous voulons κtre continuellement et complθtement en mesure contre eux. Vous avez dιcrιtι 30 millions ΰ la disposition du ministre de la Guerre pour des fabrications d'armes; dιcrιtez que ces fabrications extraordinaires ne cesseront que quand la nation aura donnι ΰ chaque citoyen un fusil. Annonηons la ferme rιsolution d'avoir autant de fusils et presque autant de canons que de sans-culottes. Que ce soit la Rιpublique qui mette le fusil dans la main du citoyen, du vrai patriote; qu'elle lui dise: "La patrie te confie cette arme pour sa dιfense; tu la reprιsenteras tous les mois et quand tu en seras requis par l'autoritι nationale." Qu'un fusil soit la chose la plus sacrιe parmi nous; qu'on perde plutτt la vie que son fusil. Je demande donc que vous dιcrιtiez au moins cent millions pour faire des armes de toute nature; car si nous avions eu des armes nous aurions tous marchι. C'est le besoin d'armes qui nous enchaξne. Jamais la patrie en danger ne manquera de citoyens. Mais il reste ΰ punir et l'ennemi intιrieur que vous tenez, et celui que vous avez ΰ saisir. Il faut que le tribunal rιvolutionnaire soit divisι en un assez grand nombre de sections pour que tous les jours un aristocrate, un scιlιrat paie de sa tκte ses forfaits. 1° Je demande donc qu'on mette aux voix d'abord la proposition de Billaud. 2° Qu'on dιcrθte ιgalement que les sections de Paris s'assembleront extraordinairement les dimanches et les jeudis, et que tout citoyen

faisant partie de ces assemblιes, qui voudra, attendu ses besoins, rιclamer une indemnitι, la recevra, ΰ raison de 40 sols par assemblιe. 3° Qu'il soit dιcrιtι par la Convention qu'elle met a la disposition du ministre de la Guerre 100 millions pour des fabrications d'armes, et notamment pour des fusils; que ces manufactures extraordinaires reηoivent tous les encouragements et les additions nιcessaires, et qu'elles ne cessent leurs travaux que quand la France aura donnι ΰ chaque citoyen un fusil. Je demande enfin qu'il soit fait un rapport sur le mode d'augmenter de plus en plus l'action du tribunal rιvolutionnaire. Que le peuple voie tomber ses ennemis, qu'il voie que la Convention s'occupe de ses besoins. Le peuple est grand, et il vous en donne en cet instant mκme une preuve remarquable: c'est que, quoi qu'il ait souffert de la disette factice machinιe pour le mener ΰ la contre-rιvolution, il a senti qu'il souffrait pour sa propre cause; et, sous le despotisme, il aurait exterminι tous les gouvernements. Tel est le caractθre du Franηais ιclairι par quatre annιes de rιvolutions. Hommage vous soit rendu, peuple sublime! A la grandeur vous joignez la Persιvιrance; vous voulez la libertι avec obstination; vous jeϋnez pour la libertι, vous devez l'acquιrir. Nous marcherons avec vous, vos ennemis seront confondus, vous serez libres!

XXXIX SUR LES SECOURS ΐ ACCORDER AUX PRΚTRES SANS RESSOURCES (22 novembre 1793) Dans la sιance de la Convention du 22 novembre fut discutιe la question des secours ΰ accorder aux prκtres rιfractaires. Danton, avec une gιnιrositι ιgale ΰ sa tolιrance, proposa de secourir mκme ceux qui s'ιtaient montrιs rebelles ΰ la loi, et ce en raison mκme du vιritable esprit rιvolutionnaire. ***** Sachez, citoyens, que vos ennemis ont mis ΰ profit pour vous perdre jusqu'ΰ la philosophie qui vous dirige; ils ont cru qu'en accueillant les prκtres que la raison porte ΰ abandonner leur ιtat, vous persιcuteriez ceux qui sont aveuglιs par le bandeau de l'erreur. Le peuple est aussi juste qu'ιclairι. L'Assemblιe ne veut salarier aucun culte, mais elle exθcre la persιcution et ne ferme point l'oreille aux cris de l'humanitι. Citoyens, accordez des secours ΰ tous les prκtres; mais que ceux qui sont encore dans l'βge de prendre un ιtat ne puissent prιtendre aux secours de la nation aprθs s'κtre procurι les moyens de subsister. Si Pitt a pensι que l'abolition du fanatisme serait un obstacle ΰ votre rentrιe en Belgique par la persιcution que vous ferez ιprouver aux prκtres, qu'il soit dιtrompι, et qu'il apprenne ΰ respecter une nation gιnιreuse qu'il n'a cessι de calomnier. Citoyens, il faut concilier la politique avec la saine raison: apprenez que si vous τtez aux prκtres les moyens de subsister,

vous les rιduisez ΰ l'alternative, ou de mourir de faim, ou de se rιunir avec les rebelles de la Vendιe. Soyez persuadιs que tout prκtre, observant le cours de la raison, se hβtera d'allιger le fardeau de la Rιpublique en devenant utile ΰ lui-mκme, et que ceux qui voudront encore secouer les torches de la discorde seront arrκtιs par le peuple qui ιcrase tous ses ennemis sous le char de la Rιvolution. Je demande l'ιconomie du sang des hommes; je demande que la Convention soit juste envers ceux qui ne sont pas signalιs comme les ennemis du peuple. Citoyens, n'y eϋt-il qu'un seul prκtre qui, privι de son ιtat, se trouve sans ressources, vous lui devez de quoi vivre; soyez justes, politiques, grands comme le peuple: au milieu de sa fureur vengeresse, il ne s'ιcarte jamais de la justice; il la veut. Proclamez-la en son nom, et vous recevrez ses applaudissements.

XL CONTRE LES MASCARADES ANTIRELIGIEUSES ET SUR LA CONSPIRATION DE L'ΙTRANGER (26 novembre 1793) Plusieurs des sιances de la Convention avaient vu dιfiler ΰ la barre des dιputations venant offrir les dιpouilles des ιglises, et des ecclιsiastiques venant dιposer leurs lettres de prκtrise. Danton s'ιleva avec force contre ces _mascarades antireligieuses_, et, rappelant les diffιrents besoins et dιsirs du peuple, demanda plus d'activitι dans les mesures rιvolutionnaires et la lecture du rapport sur la conspiration de l'ιtranger ourdie par le baron Jean de Batz. ***** Il y a un dιcret qui porte que les prκtres qui abdiqueront iront porter leur renonciation au comitι. Je demande l'exιcution de ce dιcret, car je ne doute pas qu'ils ne viennent successivement abjurer l'imposture. Il ne faut pas tant s'extasier sur la dιmarche d'hommes qui ne font que suivre le torrent. Nous ne voulons nous engouer pour personne. Si nous n'avons pas honorι le prκtre de l'erreur et du fanatisme, nous ne voulons pas non plus honorer le prκtre de l'incrιdulitι: nous voulons servir le peuple. Je demande qu'il n'y ait plus de mascarades antireligieuses dans le sein de la Convention. Que les individus qui voudront dιposer sur l'autel de la patrie les dιpouilles de l'Ιglise ne s'en fassent plus un jeu ni un trophιe. Notre mission n'est pas de recevoir sans cesse des dιputations qui rιpθtent toujours les mκmes mots. Il est un terme ΰ tout, mκme aux fιlicitations. Je demande qu'on pose la barriθre. Il faut que les comitιs prιparent un rapport sur ce qu'on appelle une conspiration de l'ιtranger. Il faut nous prιparer ΰ donner du ton et de l'ιnergie au gouvernement. Le peuple veut, et il a raison, que la terreur soit ΰ l'ordre du jour. Mais il veut que la terreur soit reportιe ΰ son vrai but, c'est-ΰ-dire contre les aristocrates, contre les ιgoοstes, contre les conspirateurs, contre les traξtres amis de l'ιtranger. Le peuple ne veut pas que celui qui n'a pas reηu de la nature une grande force d'ιnergie, mais qui sert la patrie de tous ses moyens, quelque faibles qu'ils soient, non, le peuple ne veut pas qu'il tremble.

Un tyran, aprθs avoir terrassι la Ligue, disait ΰ un des chefs qu'il avait vaincus, en le faisant suer [Note: Et non "tuer" comme Vermorel, p. 230, l'imprime.]: "Je ne veux pas d'autre vengeance de vous." Le temps n'est pas venu oω le peuple pourra se montrer clιment. Le temps de l'inflexibilitι et des vengeances nationales n'est point passι; il faut un nerf puissant, un nerf terrible au peuple. Ce nerf est le sien propre, puisque, d'un souffle, il peut crιer et dιtruire ses magistrats, ses reprιsentants. Nous ne sommes, sous le rapport politique, qu'une commission nationale que le peuple encourage par ses applaudissements. Le peuple veut, aprθs avoir fondι la Rιpublique, que nous essayions tous les moyens qui pourront donner plus de force et d'action au gouvernement rιpublicain. Que chacun de vous mιdite donc tous les jours ces grands objets. Il faut que le Comitι de salut public se dιgage de beaucoup de dιtails, pour se livrer tout entier ΰ ces importantes mιditations. Donnons enfin des rιsultats au peuple. Depuis longtemps c'est le peuple qui fait toutes les grandes choses. Certes, il est beau que ses reprιsentants s'humilient devant sa puissance souveraine. Mais il serait plus beau qu'ils s'associassent ΰ sa gloire, qu'ils prιvinssent et dirigeassent ses mouvements immortels. Je demande que le Comitι de salut public, rιuni ΰ celui de sϋretι gιnιrale, fasse un prompt rapport sur la conspiration dιnoncιe, et sur les moyens de donner une action grande et forte au gouvernement provisoire. ***** Fayau ιtant intervenu pour observer que, Danton ayant parlι de clιmence, le moment ιtait peut-κtre mal choisi pour montrer de l'indulgence envers les ennemis de la patrie, Danton rιpondit: ***** Je demande ΰ relever un fait. Il est faux que j'aie dit qu'il fallait que le peuple se portβt ΰ l'indulgence; j'ai dit au contraire que le temps de l'inflexibilitι et des vengeances nationales n'ιtait point passι. Je veux que la terreur soit ΰ l'ordre du jour; je veux des peines plus fortes, des chβtiments plus effrayants contre les ennemis de la libertι, mais je veux qu'ils ne portent que sur eux seuls. ***** Une nouvelle observation de Fayau reprocha ΰ Danton d'avoir parlι du gouvernement rιpublicain comme d'un essai. Danton conclut: ***** Je ne conηois pas qu'on puisse ainsi dιnaturer mes idιes. Il est encore faux que j'aie parlι d'un essai de gouvernement rιpublicain. Et moi aussi, je suis rιpublicain, rιpublicain impιrissable. La Constitution est dιcrιtιe et acceptιe. Je n'ai parlι que du gouvernement provisoire; j'ai voulu tourner l'attention de mes collθgues vers les lois de dιtail nιcessaires pour parvenir ΰ l'exιcution de cette Constitution rιpublicaine.

XLI SUR L'INSTRUCTION PUBLIQUE (26 novembre 1793) ΐ plusieurs reprises Danton revint sur la question de l'instruction publique. Dans cette mκme sιance de la Convention il demanda l'institution de fκtes publiques et nationales, notamment ΰ l'Κtre suprκme, idιe que Robespierre devait faire sienne quelques mois plus tard. ***** Dans ce moment oω la superstition succombe pour faire place ΰ la raison, vous devez donner une centralitι ΰ l'instruction publique, comme vous en avez donnι une au gouvernement. Sans doute vous dissιminerez dans les dιpartements des maisons oω la jeunesse sera instruite dans les grands principes de la raison et de la libertι; mais le peuple entier doit cιlιbrer les grandes actions qui auront honorι notre rιvolution. Il faut qu'il se rιunisse dans un vaste temple, et je demande que les artistes les plus distinguιs concourent pour l'ιlιvation de cet ιdifice, oω, ΰ un jour indiquι, seront cιlιbrιs des jeux nationaux. Si la Grθce eut ses jeux olympiques, la France solennisera aussi ses jours sans-culottides. Le peuple aura des fκtes dans lesquelles il offrira l'encens ΰ l'Κtre suprκme, au maξtre de la nature; car nous n'avons pas voulu anιantir le rθgne de la superstition, pour ιtablir le rθgne de l'athιisme. Citoyens, que le berceau de la libertι soit encore le centre des fκtes nationales. Je demande que la Convention consacre le Champ-de-Mars aux jeux nationaux, qu'elle ordonne d'y ιlever un temple oω les Franηais puissent se rιunir en grand nombre. Cette rιunion alimentera l'amour sacrι de la libertι, et augmentera les ressorts de l'ιnergie nationale; c'est par de tels ιtablissements que nous vaincrons l'univers. Des enfants vous demandent d'organiser l'instruction publique; c'est le pain de la raison, vous le leur devez; c'est la raison, ce sont les lumiθres qui font la guerre aux vices. Notre rιvolution est fondιe sur la justice, elle doit κtre consolidιe par les lumiθres. Donnons des armes ΰ ceux qui peuvent les porter, de l'instruction ΰ la jeunesse, et des fκtes nationales au peuple.

XLII SUR LES ARRΚTΙS DES REPRΙSENTANTS EN MISSION EN MATIΘRE FINANCIΘRE (1er dιcembre 1793) Dans la sιance du 1er dιcembre, la Convention dιcrιta sur certains arrκtιs rigoureux pris en matiθre financiθre, soit sur l'or, soit sur les assignats, par des reprιsentants en mission. Danton s'ιleva contre l'arbitraire possible de pareilles manoeuvres. *****

Cambon nous a fait une dιclaration solennelle et qu'il faut rιpιter; c'est que nous avons au trιsor public de l'or, de quoi acquιrir du pain et des armes, autant que le commerce neutre pourra nous en fournir. D'aprθs cela, nous ne devons rien faire prιcipitamment en matiθre de finances. C'est toujours avec circonspection que nous devons toucher ΰ ce qui a sauvι la Rιpublique. Quelque intιrκt qu'eussent tous nos ennemis ΰ faire tomber l'assignat, il est restι, parce que sa valeur a pour base le sol entier de la Rιpublique. Nous pourrons examiner ΰ loisir, et mιditer mϋrement la thιorie du comitι. J'en ai raisonnι avec Cambon. Je lui ai dιveloppι des inconvιnients graves dont il est convenu avec moi. N'oublions jamais qu'en pareille matiθre des rιsultats faux compromettraient la libertι. Cambon nous a apportι des faits. Des reprιsentants du peuple ont rendu des lois de mort pour l'argent. Nous ne saurions nous montrer assez sιvθres sur de pareilles mesures, et surtout ΰ l'ιgard de nos collθgues. Maintenant que le fιdιralisme est brisι, les mesures rιvolutionnaires doivent κtre une consιquence nιcessaire de nos lois positives. La Convention a senti l'utilitι d'un supplιment de mesures rιvolutionnaires; elle l'a dιcrιtι: dθs ce moment, tout homme qui se fait ultra-rιvolutionnaire donnera des rιsultats aussi dangereux que pourrait le faire le contre-rιvolutionnaire dιcidι. Je dis donc que nous devons manifester la plus vive indignation pour tout ce qui excιdera les bornes que je viens d'ιtablir. Dιclarons que nul n'aura le droit de faire arbitrairement la loi ΰ un citoyen; dιfendons contre toute atteinte ce principe: que la loi n'ιmane que de la Convention, qui seule a reηu du peuple la facultι lιgislative; rappelons ceux de nos commissaires qui, avec de bonnes intentions sans doute, ont pris les mesures qu'on nous a rapportιes, et que nul reprιsentant du peuple ne prenne dιsormais d'arrκtι qu'en concordance avec nos dιcrets rιvolutionnaires, avec les principes de la libertι, et d'aprθs les instructions qui lui seront transmises par le Comitι de salut public. Rappelons-nous que si c'est avec la pique que l'on renverse, c'est avec le compas de la raison et du gιnie qu'on peut ιlever et consolider l'ιdifice de la sociιtι. Le peuple nous fιlicite chaque jour sur nos travaux; il nous a signifiι de rester ΰ notre poste: c'est parce que nous avons fait notre devoir. Rendons-nous de plus en plus dignes de la confiance dont il s'empresse de nous investir; faisons seuls la loi et que nul ne nous la donne. J'insiste sur le rappel et l'improbation des commissaires qui ont pris l'arrκtι qui vous a ιtι dιnoncι. Enfin je demande que le Comitι de salut public soit chargι de notifier ΰ tous les reprιsentants du peuple qui sont en commission, qu'ils ne pourront prendre aucune mesure qu'en consιquence de vos lois rιvolutionnaires et des instructions qui leur seront donnιes. ***** Fayau, ayant parlι en faveur des mesures rιvolutionnaires extrκmes nιcessitιes dans certains dιpartements, fit observer que le Comitι de salut public en pouvait juger, puisque les reprιsentants en mission lui communiquaient leurs arrκtιs dans les vingt-quatre heures. Danton rιpondit, et, quoique admettant les motifs de Fayau, il en contesta l'urgence tout en demandant une application rigoureuse des mesures rιvolutionnaires: *****

Je suis d'accord sur l'action prolongιe et nιcessaire du mouvement et de la force rιvolutionnaires. Le Comitι de salut public examinera celles qui seront nιcessaires et utiles; et s'il est utile d'ordonner la remise de l'or et de l'argent, sous peine de mort, nous le ratifierons, et le peuple le ratifiera avec nous; mais le principe que j'ai posι n'en est pas moins constant: c'est au Comitι de salut public ΰ diriger les mesures rιvolutionnaires sans les resserrer; ainsi tout commissaire peut arrκter les individus, les imposer mκme, telle est mon intention. Non seulement je ne demande point le ralentissement des mesures rιvolutionnaires, mais je me propose d'en prιsenter qui frapperont et plus fort et plus juste; car, dans la Rιpublique, il y a un tas d'intrigants et de conspirateurs vιritables qui ont ιchappι au bras national, qui en a atteint de moins coupables qu'eux. Oui, nous voulons marcher rιvolutionnairement, dϋt le sol de la Rιpublique s'anιantir; mais, aprθs avoir donnι tout ΰ la vigueur, donnons beaucoup ΰ la sagesse; c'est de la constitution de ces deux ιlιments que nous recueillerons les moyens de sauver la patrie. ***** Dans cette mκme sιance, un citoyen venu ΰ la barre commenηa la lecture d'une apologie rimιe de Jean-Paul Marat, que Danton interrompit avec vιhιmence: ***** Et moi aussi j'ai dιfendu Marat contre ses ennemis, et moi aussi j'ai apprιciι les vertus de ce rιpublicain; mais, aprθs avoir fait son apothιose patriotique, il est inutile d'entendre tous les jours son ιloge funθbre et des discours ampoulιs sur le mκme sujet; il vous faut des travaux et non pas des discours. Je demande que le pιtitionnaire dise clairement et sans emphase l'objet de sa pιtition.

XLIII DΙFENSE AUX JACOBINS (3 dιcembre 1793) A la sιance des Jacobins du 3 dιcembre, un membre ayant demandι que la Convention fϋt invitιe ΰ fournir des locaux aux sociιtιs populaires n'en possιdant point encore fut combattu par Danton. Coupι (de l'Oise) accusa Danton de modιrantisme et lui fit le reproche de vouloir paralyser la Rιvolution. L'accusι improvisa aussitτt sa dιfense: ***** Coupι a voulu empoisonner mon opinion. Certes, jamais je n'ai prιtendu proposer de rompre le nerf rιvolutionnaire, puisque j'ai dit que la Constitution devait dormir pendant que le peuple ιtait occupι ΰ frapper ses ennemis. Les principes que j'ai ιnoncιs portent sur l'indιpendance des sociιtιs populaires de toute espθce d'autoritι. C'est d'aprθs ce motif que j'ai soutenu que les sociιtιs populaires ne devaient avoir recours ΰ personne pour solliciter des localitιs (_sic_). J'ai entendu des rumeurs. Dιjΰ des dιnonciations graves ont

ιtι dirigιes contre moi; je demande enfin ΰ me justifier aux yeux du peuple, auquel il ne sera pas difficile de faire reconnaξtre mon innocence et mon amour pour la libertι. Je somme tous ceux, qui ont pu concevoir contre moi des motifs de dιfiance, de prιciser leurs accusations, car je veux y rιpondre en public. J'ai ιprouvι une forte dιfaveur en paraissant ΰ la tribune. Ai-je donc perdu ces traits qui caractιrisent la figure d'un homme libre? Ne suis-je plus ce mκme homme qui s'est trouvι ΰ vos cτtιs dans les moments de crise? Ne suis-je pas celui que vous avez souvent embrassι comme votre ami, et qui doit mourir avec vous? Ne suis-je pas l'homme qui ΰ ιtι accablι de persιcution? J'ai ιtι un des plus intrιpides dιfenseurs de Marat. J'ιvoquerai l'ombre de l'Ami du peuple pour ma justification. Vous serez ιtonnι, quand je vous ferai connaξtre ma conduite privιe, de voir que la fortune colossale que mes ennemis et les vτtres m'ont prκtιe se rιduit ΰ la petite portion de biens que j'ai toujours eue. Je dιfie les malveillants de fournir contre moi la preuve d'aucun crime. Tous leurs efforts ne pourront m'ιbranler. Je veux rester debout avec le peuple. Vous me jugerez en sa prιsence. Je ne dιchirerai pas plus la page de mon histoire que vous ne dιchirerez la vτtre, qui doivent immortaliser les fastes de la libertι. ***** Le _Moniteur_ ne donne pas la suite du discours de Danton, et la rιsume en ces mots: "L'orateur, aprθs plusieurs morceaux violents prononcιs avec une abondance qui n'a pas permis d'en recueillir tous les traits, termine par demander qu'il soit nommι une commission de douze membres chargιs d'examiner les accusations dirigιes contre lui, afin qu'il puisse y rιpondre en prιsence du peuple. Robespierre monta ensuite ΰ la tribune pour justifier Danton qui, ΰ la fin de la sιance, reηut l'accolade fraternelle, au milieu des applaudissements les plus flatteurs".

XLIV SUR LES MESURES A PRENDRE CONTRE LES SUSPECTS (7 dιcembre 1793) Sur la proposition de Couthon, la Convention dιcrιta, le 7 dιcembre, que les comitιs rιvolutionnaires prenant des mesures de sϋretι contre les suspects non compris dans la loi du 17 septembre 1793 motiveraient ces mesures sur un registre particulier. Danton y ajouta une proposition qui fut adoptιe. ***** Il faut nous convaincre d'une vιritι politique, c'est que, parmi les personnes arrκtιes, il en est de trois classes, les unes qui mιritent la mort, un grand nombre dont la Rιpublique doit s'assurer, et quelques-unes sans doute qu'on peut relaxer sans danger pour elle. Mais il vaudrait mieux, au lieu d'affaiblir le ressort rιvolutionnaire, lui donner plus de nerf et de vigueur. Avant que nous en venions ΰ des mesures combinιes, je demande un dιcret rιvolutionnaire que je crois instant. J'ai eu, pendant ma convalescence, la preuve que des aristocrates, des nobles extrκmement riches, qui ont leurs fils chez

l'ιtranger, se trouvent seulement arrκtιs comme suspects, et jouissent d'une fortune qu'il est juste de faire servir ΰ la dιfense de la libertι qu'ils ont compromise. Je demande que vous dιcrιtiez que tout individu qui a des fils ιmigrιs, et qui ne prouvera pas qu'il a ιtι ardent patriote, et qu'il a fait tout au monde pour empκcher leur ιmigration, ne soit plus que pensionnaire de l'Ιtat, et que tous ses biens soient acquis ΰ la Rιpublique.

XLV SUR L'INSTRUCTION PUBLIQUE (12 dιcembre 1793) Ces observations de Danton, dans la sιance du 12 dιcembre, complθtent les prιcιdents discours sur l'instruction publique. ***** Il est temps de rιtablir ce grand principe qu'on semble mιconnaξtre: que les enfants appartiennent ΰ la Rιpublique avant d'appartenir ΰ leurs parents. Personne plus que moi ne respecte la nature. Mais l'intιrκt social exige que lΰ seulement doivent se rιunir les affections. Qui me rιpondra que les enfants, travaillιs par l'ιgoοsme des pθres, ne deviennent dangereux pour la Rιpublique? Nous avons assez fait pour les affections, nous devons dire aux parents: nous ne vous arrachons pas vos enfants; mais vous ne pouvez les soustraire ΰ l'influence nationale. Et que doit donc nous importer la raison d'un individu devant la raison Nationale? Qui de nous ignore les dangers que peut produire cet isolement Perpιtuel? C'est dans les ιcoles nationales que l'enfant doit sucer le lait rιpublicain. La Rιpublique est une et indivisible. L'instruction publique doit aussi se rapporter ΰ ce centre d'unitι. A qui d'ailleurs accorderions-nous cette facultι de s'isoler? C'est au riche seul. Et que dira le pauvre, contre lequel peut-κtre on ιlθvera des serpents? J'appuie donc l'amendement proposι.

ANNΙE 1794

XLVI SUR L'ΙGALITΙ DES CITOYENS DEVANT LES MESURES RΙVOLUTIONNAIRES (23 janvier 1794) Les commissaires de la section Mucius Scζvola avaient fait une perquisition chez M. Duplessis, beau-pθre de Camille Desmoulins. Ils

ιtaient partis en emportant une partie de sa bibliothθque. Camille vint rιclamer ΰ la Convention contre cet acte d'arbitraire. Danton, malgrι son amitiι, s'ιleva contre lui au nom de l'ιgalitι de tous les citoyens, membres de la Convention ou non, devant les mesures de salut public. ***** Je m'oppose ΰ l'espθce de distinction, de privilθge, qui semblerait accordι au beau-pθre de Desmoulins. Je veux que la Convention ne s'occupe que d'affaires gιnιrales. Si l'on veut un rapport pour ce citoyen, il en faut aussi pour tous les autres. Je m'ιlθve contre la prioritι de date qu'on cherche ΰ lui donner ΰ leur prιjudice. Il s'agit d'ailleurs de savoir si le Comitι de sϋretι gιnιrale n'est pas tellement surchargι d'affaires qu'il trouve ΰ peine le temps de s'occuper de rιclamations particuliθres. Une rιvolution ne peut se faire gιomιtriquement. Les bons citoyens qui souffrent pour la libertι doivent se consoler par ce grand et sublime motif. Personne n'a plus que moi demandι les comitιs rιvolutionnaires; c'est sur ma proposition qu'ils ont ιtι ιtablis. Vous avez voulu crιer une espθce de dictature patriotique des citoyens les plus dιvouιs ΰ la libertι, sur ceux qui se sont rendus suspects. Ils ont ιtι ιlevιs dans un moment oω le fιdιralisme prιdominait. Il a fallu, il faut encore les maintenir dans toute leur force; mais prenons garde aux deux ιcueils contre lesquels nous pourrions nous briser. Si nous faisions trop pour la justice, nous donnerions peut-κtre dans le modιrantisme, et prκterions des armes ΰ nos ennemis. Il faut que la justice soit rendue de maniθre ΰ ne point attιnuer la sιvιritι de nos mesures. Lorsqu'une rιvolution marche vers son terme quoiqu'elle ne soit pas encore consolidιe, lorsque la Rιpublique obtient des triomphes, que ses ennemis sont battus, il se trouve une foule de patriotes tardifs et de fraξche date; il s'ιlθve des luttes de passions, des prιventions, des haines particuliθres, et souvent les vrais, les constants patriotes sont ιcrasιs par ces nouveaux venus. Mais enfin, lΰ oω les rιsultats sont pour la libertι par des mesures gιnιrales, gardons-nous de les accuser. Il vaudrait mieux outrer la libertι et la Rιvolution, que de donner ΰ nos ennemis la moindre espιrance de rιtroaction. N'est-elle pas bien puissante, cette nation? N'a-t-elle pas le droit comme la force d'ajouter ΰ ses mesures contre les aristocrates, et de dissiper les erreurs ιlevιes contre les ennemis de la patrie? Au moment oω la Convention peut, sans inconvιnient pour la chose publique, faire justice ΰ un citoyen, elle violerait ses droits, si elle ne s'empressait de le faire. La rιclamation de mon collθgue est juste en elle-mκme, mais elle ferait naξtre un dιcret indigne de nous. Si nous devions accorder une prioritι, elle appartiendrait aux citoyens qui ne trouvent pas, dans leur fortune et dans leurs connaissances avec des membres de la Convention, des espιrances et des ressources au milieu de leur malheur; ce serait aux malheureux, aux nιcessiteux, qu'il faudrait d'abord tendre les mains. Je demande que la Convention mιdite les moyens de rendre justice ΰ toutes les victimes des mesures et arrestations arbitraires, sans nuire ΰ l'action du gouvernement rιvolutionnaire. Je me garderai bien d'en prescrire ici les moyens. Je demande le renvoi de cette question ΰ la mιditation du Comitι de sϋretι gιnιrale, qui se concertera avec le Comitι de salut public; qu'il soit fait un rapport ΰ la Convention, et qu'il soit suivi d'une discussion large et approfondie; car toutes les discussions de la

Convention ont eu pour rιsultat le triomphe de la libertι. La Convention n'a eu de succθs que parce qu'elle a ιtι peuple; elle restera Peuple; elle cherchera et suivra sans cesse l'opinion qui doit dιcrιter toutes les lois que vous proclamez. En approfondissant ces grandes questions, vous obtiendrez, je l'espθre, des rιsultats qui satisferont la justice et l'humanitι.

XLVII POUR LE PΘRE DUCHESNE ET RONSIN (2 fιvrier 1794) Dans la nuit du 19 dιcembre 1793, Hιbert et Ronsin avaient ιtι arrκtιs. Le Comitι de sϋretι gιnιrale proposa ΰ la Convention, le 2 fιvrier, de dιcrιter leur mise en libertι. Lecointre, Philippeaux et Bourdon (de l'Oise) s'opposθrent ΰ cette mesure que Danton rιclama en ce discours: ***** Ce devrait κtre un principe incontestable parmi les patriotes que, par provision, on ne traitβt pas comme suspects des vιtιrans rιvolutionnaires qui, de l'aveu public, ont rendu des services constants ΰ la libertι. Je sais que le caractθre violent et impιtueux de Vincent et de Ronsin a pu leur donner des torts particuliers vis-ΰ-vis de tel ou tel individu; mais, de mκme que dans toutes les grandes affaires, je conserverai l'inaltιrabilitι de mon opinion, et que j'accuserai mon meilleur ami si ma conscience me dit qu'il est coupable, de mκme je veux aujourd'hui dιfendre Ronsin et Vincent contre des prιventions que je pourrais reprocher ΰ quelques-uns de mes collθgues, et contre des faits ιnoncιs postιrieurement ΰ l'arrestation de deux dιtenus, ou bien antιrieurement, mais alors peu soigneusement conservιs dans les circonstances dont on les a environnιs. Car enfin, sur ces derniers, vous venez d'entendre l'explication de Levasseur; quant aux autres, quelles probabilitιs les accompagnent? combien de signataires en attestent la vιritι? qui les garantit ΰ celui qui a signι la dιnonciation? Lui-mκme est-il tιmoin et tιmoin oculaire? Si aucun des signataires n'a ιtι le tιmoin de ce qu'il a avancι, s'il n'a que de simples soupηons, je rιpθte qu'il est trθs dangereux et trθs impolitique d'assigner comme suspect un homme qui a rendu de grands services ΰ la rιvolution. Je suppose que Ronsin et Vincent, s'abandonnant aussi ΰ des prιventions individuelles, voulussent voir dans les erreurs oω Philippeaux a pu tomber, le plan formι d'une contre-rιvolution; immuable, comme je le suis, je dιclare que je n'examinerais que les faits, et que je laisserais de cτtι le caractθre qu'on aurait voulu leur donner. Ainsi donc, quand je considθre que rien, en effet, n'est parvenu au Comitι de sϋretι gιnιrale contre Vincent et Ronsin, que, d'un autre cτtι, je vois une dιnonciation signιe d'un seul individu, qui peut-κtre ne dιclare qu'un ouο-dire, je rentre alors dans mes fonctions de lιgislateur; je me rappelle le principe que je posais

tout ΰ l'heure, qui est qu'il faut κtre bien sϋr des faits pour prκter des intentions contre-rιvolutionnaires ΰ des amis ardents de la libertι, ou pour donner ΰ leurs erreurs un caractθre de gravitι qu'on ne supporterait pas pour les siennes propres. Je dis alors qu'il faut κtre aussi prompt ΰ dιmκler les intentions ιvidentes d'un aristocrate qu'ΰ rechercher le vιritable dιlit d'un patriote; je dis ce que je disais ΰ Fabre lui-mκme lorsqu'il arracha ΰ la Convention le dιcret d'arrestation contre Vincent et Ronsin: "vous prιtendez que la Convention a ιtι grande lorsqu'elle a rendu ce dιcret, et moi je soutiens qu'elle a eu seulement une bonne intention et qu'il la fallait bien ιclairer". Ainsi je dιfends Ronsin et Vincent contre des prιventions, de mκme que je dιfendrai Fabre et mes autres collθgues, tant qu'on n'aura pas portι dans mon βme une conviction contraire ΰ celle que j'en ai. L'exubιrance de chaleur qui nous a mis ΰ la hauteur des circonstances, et qui nous a donnι la force de dιterminer les ιvιnements et de les faire tourner au profit de la libertι, ne doit pas devenir profitable aux ennemis de la libertι! Mon plus cruel ennemi, s'il avait ιtι utile ΰ la Rιpublique, trouverait en moi un dιfenseur ardent quand il serait arrκtι, parce que je me dιfierais d'autant plus de mes prιventions qu'il aurait ιtι plus patriote. Je crois Philippeaux profondιment convaincu de ce qu'il avance, sans que pour cela je partage son opinion; mais, ne voyant pas de danger pour la libertι dans l'ιlargissement de deux citoyens qui, comme lui et comme nous, veulent la Rιpublique, je suis convaincu qu'il ne s'y opposera pas; qu'il se contentera d'ιpier leur conduite et de saisir les occasions de prouver ce qu'il avance; ΰ plus forte raison la Convention, ne voyant pas de danger dans la mesure que lui propose le Comitι de sϋretι gιnιrale, doit se hβter de l'adopter. Si, quand il fallait κtre ιlectrisι autant qu'il ιtait possible pour opιrer et maintenir la rιvolution; si, quand il a fallu surpasser en chaleur et en ιnergie tout ce que l'histoire rapporte de tous les peuples de la terre; si, alors, j'avais vu un seul moment de douceur, mκme envers les patriotes, j'aurais dit: notre ιnergie baisse, notre chaleur diminue. Ici, je vois que la Convention a toujours ιtι ferme, inexorable envers ceux qui ont ιtι opposιs ΰ l'ιtablissement de la libertι; elle doit κtre aujourd'hui bienveillante envers ceux qui l'ont servie, et ne pas se dιpartir de ce systθme qu'elle ne soit convaincue qu'il blesse la justice. Je crois qu'il importe ΰ tous que l'avis du Comitι soit adoptι; prιparez-vous ΰ κtre plus que jamais impassibles envers vos vieux ennemis, difficiles ΰ accuser vos anciens amis. Voilΰ, je dιclare, ma profession de foi, et j'invite mes collθgues ΰ la faire dans leur coeur. Je jure de me dιpouiller ιternellement de toute passion, lorsque j'aurai ΰ prononcer sur les opinions, sur les ιcrits, sur les actions de ceux qui ont servi la cause du peuple et de la libertι. J'ajoute qu'il ne faut pas oublier qu'un premier tort conduit toujours ΰ un plus grand. Faisons d'avance cesser ce genre de division que nos ennemis, sans doute, cherchent ΰ jeter au milieu de nous; que l'acte de justice que vous allez faire soit un germe d'espιrance jetι dans le coeur des citoyens qui, comme Vincent et Ronsin, ont souffert un instant pour la cause commune, et nous verrons naξtre pour la libertι des jours aussi brillants et aussi purs que vous lui en avez dιjΰ donnι de victorieux.

XLVIII SUR L'ABOLITION DE L'ESCLAVAGE (6 fιvrier 1794) C'est en alliant l'humanitι aux principes politiques que Danton appuya, le 6 fιvrier, l'abolition de l'esclavage. Il voyait dans cette mesure gιnιreuse, digne du nouveau rιgime, un des moyens d'abattre l'Angleterre ennemie. "C'est aujourd'hui que l'Anglais est mort", dit-il, persuadι que la libertι ιtait le meilleur adversaire ΰ opposer ΰ la tyrannie. ***** Reprιsentants du peuple franηais, jusqu'ici nous n'avions dιcrιtι la libertι qu'en ιgoοstes et pour nous seuls. Mais aujourd'hui nous proclamons ΰ la face de l'univers, et les gιnιrations futures trouveront leur gloire dans ce dιcret, nous proclamons la libertι universelle. Hier, lorsque le prιsident donna le baiser fraternel aux dιputιs de couleur, je vis le moment oω la Convention devait dιcrιter la libertι de nos frθres. La sιance ιtait trop nombreuse. La Convention vient de faire son devoir. Mais aprθs avoir accordι le bienfait de la libertι, il faut que nous en soyons pour ainsi dire les modιrateurs. Renvoyons au Comitι de salut public et des colonies, pour combiner les moyens de rendre ce dιcret utile ΰ l'humanitι, sans aucun danger pour elle. Nous avions dιshonorι noire gloire en tronquant nos travaux. Les grands principes dιveloppιs par le vertueux Las Cases avaient ιtι mιconnus. Nous travaillons pour les gιnιrations futures, lanηons la libertι dans les colonies: c'est aujourd'hui que l'Anglais est mort. En jetant la libertι dans le Nouveau Monde, elle y portera des fruits abondants, elle y poussera des racines profondes. En vain Pitt et ses complices voudront par des considιrations politiques ιcarter la jouissance de ce bienfait, ils vont κtre entraξnιs dans le nιant, la France va reprendre le rang et l'influence que lui assurent son ιnergie, son sol et sa population. Nous jouirons nous-mκmes de notre gιnιrositι, mais nous ne l'entendrons point au delΰ des bornes de la sagesse. Nous abattrons les tyrans comme nous avons ιcrasι les hommes perfides qui voulaient faire rιtrograder la rιvolution. Ne perdons point notre ιnergie, lanηons nos frιgates, soyons sϋrs des bιnιdictions de l'univers et de la postιritι, et dιcrιtons le renvoi des mesures ΰ l'examen du Comitι.

XLIX SUR LES FONCTIONNAIRES PUBLICS SOUMIS A L'EXAMEN DU COMITΙ DE SALUT PUBLIC (9 mars 1794) Bouchotte ιtait accusι devant la Convention. Danton, intervenant aux dιbats, rιclama l'examen de la conduite de tous les fonctionnaires

publics. L'homme qui seize jours plus tard devait mourir jetait un suprκme appel ΰ la confiance en le Comitι: ***** La reprιsentation nationale, appuyιe de la force du peuple, dιjouera tous les complots. Celui qui devait, ces jours derniers, perdre la libertι est dιjΰ presque en totalitι anιanti. Le peuple et la Convention veulent que tous les coupables soient punis de mort. Mais la Convention doit prendre une marche digne d'elle. Prenez garde qu'en marchant par saccade, on ne confonde le vrai patriote avec ceux qui s'ιtaient couverts du masque du patriotisme pour assassiner le peuple. Le dιcret dont on vient de lire la rιdaction n'est rien; il s'agit de dire au Comitι de salut public: examinez le complot dans toutes ses ramifications; scrutez la conduite de tous les fonctionnaires publics; voyez si leur mollesse ou leur nιgligence a concouru, mκme malgrι eux, ΰ favoriser les conspirateurs. Un homme qui affectait l'empire de la guerre se trouve au nombre des coupables. Eh bien, le ministre est, ΰ mon opinion, dans le cas d'κtre accusι de s'κtre au moins laissι paralyser. Le Comitι de salut public veille jour et nuit; que les membres de la Convention s'unissent tous; que les rιvolutionnaires qui ont les premiers parlι de Rιpublique, face ΰ face, avec Lafayette, apportent ici leur tκte et leurs bras pour servir la patrie. Nous sommes tous responsables au peuple de sa libertι. Franηais, ne vous effrayez pas, la libertι doit bouillonner jusqu'ΰ ce que l'ιcume soit sortie. Nos comitιs sont l'avant-garde politique; les armιes doivent vaincre quand l'avant-garde est en surveillance. Jamais la Rιpublique ne fut, ΰ mon sens, plus grande. Voici le nouveau temps marquι pour cette sublime rιvolution. Il fallait vaincre ceux qui singeaient le patriotisme pour tuer la libertι; nous les avons vaincus. Je demande que le Comitι de salut public se concerte avec celui de sϋretι gιnιrale pour examiner la conduite de tous les fonctionnaires. Il faut que chacun de nous se prononce. J'ai demandι le premier le gouvernement rιvolutionnaire. On rejeta d'abord mon idιe, on l'a adoptιe ensuite; ce gouvernement rιvolutionnaire a sauvι la Rιpublique; ce gouvernement, c'est vous. Union, vigilance, mιditation, parmi les membres de la Convention.

L SUR LA DIGNITΙ DE LA CONVENTION (19 mars 1794) Dans cette mκme sιance de la Convention, Pache vint, avec le conseil gιnιral, protester de son dιvouement au gouvernement. Ruhl, qui prιsidait, lui reprocha de venir "un peu tard faire cette protestation". L'inscription de cette rιponse au procθs-verbal ayant ιtι demandιe par quelques membres, Danton protesta au nom de la dignitι de la Convention nationale. Ce fut son dernier discours. *****

Je demande la parole sur cette proposition. La reprιsentation nationale doit toujours avoir une marche digne d'elle. Elle ne doit pas avilir un corps entier, et frapper d'une prιvention collective une administration collective, parce que quelques individus de ce corps peuvent κtre coupables. Si nous ne rιglons pas nos mouvements, nous pouvons confondre des patriotes ιnergiques avec des scιlιrats qui n'avaient que le masque de patriotisme. Je suis convaincu que la grande majoritι du conseil gιnιral de la Commune de Paris est digne de toute la confiance du peuple et de ses reprιsentants; qu'elle est composιe d'excellents patriotes, d'ardents rιvolutionnaires. J'aime ΰ saisir cette occasion pour lui faire individuellement hommage de mon estime. Le conseil gιnιral est venu dιclarer qu'il fait cause commune avec vous. Le prιsident de la Convention a senti vivement sa dignitι; la rιponse qu'il a faite est, par le sens qu'elle renferme et par l'intention dans laquelle elle est rιdigιe, digne de la majestι du peuple que nous reprιsentons. L'accent patriarcal et le ton solennel dont il l'a prononcιe, donnaient ΰ ces paroles un caractθre plus auguste encore. Cependant ne devons-nous pas craindre, dans ce moment, que les malveillants n'abusent des expressions de Ruhl, dont l'intention ne nous est point suspecte, et qui ne veut sϋrement pas que des citoyens qui viennent se mettre dans les rangs, sous les drapeaux du peuple et de la libertι, remportent de notre sein la moindre amertume? Au nom de la patrie, ne laissons pas aucune prise ΰ la dissension. Si jamais, quand nous serons vainqueurs, et dιjΰ la victoire nous est assurιe, si jamais des passions particuliθres pouvaient prιvaloir sur l'amour de la patrie, si elles tentaient de creuser un nouvel abξme pour la libertι, je voudrais m'y prιcipiter tout le premier. Mais loin de nous tout ressentiment.... Le temps est venu oω l'on ne jugera plus que les actions. Les masques tombent, les masques ne sιduiront plus. On ne confondra plus ceux qui veulent ιgorger les patriotes avec les vιritables magistrats du peuple, qui sont peuple eux-mκmes. N'y eϋt-il parmi tous les magistrats qu'un seul homme qui eϋt fait son devoir, il faudrait tout souffrir plutτt que de lui faire boire le calice d'amertume; mais ici on ne doute pas du patriotisme de la plus grande majoritι de la Commune. Le prιsident lui a fait une rιponse oω rθgne une sιvθre justice; mais elle peut κtre mal interprιtιe. Ιpargnons ΰ la Commune la douleur de croire qu'elle a ιtι censurιe avec aigreur. LE PRΙSIDENT.--Je vais rιpondre ΰ la tribune; viens, mon cher collθgue, occupe toi-mκme le fauteuil. DANTON.--Prιsident, ne demande pas que je monte au fauteuil, tu l'occupes dignement. Ma pensιe est pure; si mes expressions l'ont mal rendue, pardonne-moi une inconsιquence involontaire; je te pardonnerais moi-mκme une pareille erreur. Vois en moi un frθre qui a exprimι librement son opinion. _Ruhl descend de la tribune et se jette dans les bras de Danton. Cette scθne excite le plus vif enthousiasme dans l'Assemblιe_.

MΙMOIRE

ΙCRIT EN MIL HUIT CENT QUARANTE-SIX PAR LES DEUX FILS DE DANTON, LE CONVENTIONNEL, POUR DΙTRUIRE LES ACCUSATIONS DE VΙNALITΙ CONTRE LEUR PΘRE

MΙMOIRE DES FILS DE DANTON Rien au monde ne nous est plus cher que la mιmoire de notre pθre. Elle a ιtι, elle est encore tous les jours calomniιe, outragιe d'une maniθre affreuse; aussi notre dιsir le plus ardent a-t-il toujours ιtι de voir l'histoire lui rendre justice. Georges-Jacques Danton, notre pθre, se maria deux fois. Il ιpousa d'abord, en juin 1787, Antoinette-Gabrielle Charpentier, qui mourut le 10 fιvrier 1793. Dans le cours de la mκme annιe 1793, nous ne pourrions pas indiquer l'ιpoque prιcise, il ιpousa en secondes noces Mlle Sophie Gιly, qui vivait encore il y a deux ans (nous ne savons pas si elle est morte depuis). Notre pθre, en mourant, ne laissa que deux fils issus de son premier mariage. Nous sommes nιs, l'un le 18 juin 1790, et l'autre le 17 fιvrier 1792. Notre pθre mourut le 5 avril 1794; nous n'avons donc pas pu avoir le bonheur de recevoir ses enseignements, ses confidences, d'κtre initiιs ΰ ses pensιes, ΰ ses projets. Au moment de sa mort, tout chez lui a ιtι saisi, confisquι, et plus tard aucun de ses papiers, ΰ l'exception de ses titres de propriιtι, ne nous a ιtι rendu. Nous avons ιtι ιlevιs par M. Franηois-Jιrτme Charpentier, notre grand-pθre maternel et notre tuteur. Il ne parlait jamais sans attendrissement de Danton, son gendre. M. Charpentier, qui habitait Paris, y mourut en 1804, ΰ une ιpoque oω, sans doute, il nous trouvait encore trop jeunes pour que nous puissions bien apprιcier ce qu'il aurait pu nous raconter de la vie politique de notre pθre, car il s'abstint de nous en parler. Du reste, il avait environ quatre-vingts ans quand il mourut, et, dans ses derniθres annιes, son esprit paraissait beaucoup plus occupι de son avenir dans un autre monde que de ce qui s'ιtait passι dans celui-ci. Aprθs la mort de notre grand-pθre Charpentier, M. Victor Charpentier, son fils, fut nommι notre tuteur. Il mourut en 1810. Quoiqu'il habitβt Paris, nous revξnmes en 1805 ΰ Arcis, pour ne plus le quitter. La fin de notre enfance et le commencement de notre jeunesse s'y ιcoulθrent auprθs de la mθre de notre pθre. Elle ιtait affaiblie par l'βge, les infirmitιs et les chagrins. C'ιtait toujours les yeux remplis de larmes qu'elle nous entretenait de son fils, des innombrables tιmoignages d'affection qu'il lui avait donnιs, des tendres caresses dont il l'accablait. Elle fit de frιquents voyages ΰ Paris; il aimait tant ΰ la voir ΰ ses cτtιs! Il avait en elle une confiance entiθre; elle en ιtait digne, et, s'il eϋt eu des secrets, elle les eϋt connus, et nous les eussions connus par elle. Trθs souvent, elle nous parlait de la Rιvolution; mais, en embrasser tout l'ensemble d'un seul coup d'oeil, en apprιcier les causes, en suivre la marche, en juger les hommes et les ιvιnements, en distinguer tous les partis, deviner leur but, dιmκler les fils qui les faisaient agir, tout cela n'ιtait pas chose facile, on en conviendra: aussi, quoique la mθre de Danton eϋt beaucoup d'intelligence et d'esprit, on ne sera pas surpris que, d'aprθs ses rιcits, nous n'ayons jamais connu la Rιvolution que d'une maniθre extrκmement confuse. Jusqu'ici nous n'avons parlι que des choses qui se rapportent ΰ nous; cela, de notre part, peut paraξtre ridicule, mais cesse vιritablement

de l'κtre quand on considθre qu'il nous a fallu entrer dans ces explications pour faire comprendre comment il se fait que nous, enfants de Danton, nous ne puissions pas donner le moindre ιclaircissement sur aucun des grands ιvιnements dans lesquels il a figurι. Sa mθre, d'accord avec tous ceux qui nous ont si souvent parlι de lui pour l'avoir connu, et que notre position sociale ne fera, certes, pas suspecter de flatterie, sa mθre nous l'a toujours dιpeint comme le plus honnκte homme que l'on puisse rencontrer, comme l'homme le plus aimant, le plus franc, le plus loyal, le plus dιsintιressι, le plus gιnιreux, le plus dιvouι ΰ ses parents, ΰ ses amis, ΰ son pays natal et ΰ sa patrie. Quoi d'ιtonnant, nous dira-t-on? Dans la bouche d'une mθre, que prouve un pareil ιloge? Rien, sinon qu'elle adorait son fils. On ajoutera: Est-ce que, pour juger un homme, la postιritι devra s'en rapporter aux dιclarations de la mθre et des fils de cet homme? Non, sans doute, elle ne le devra pas, nous en convenons. Mais aussi, pour juger ce mκme homme, devra-t-elle s'en rapporter aux dιclarations de ses ennemis? Elle ne le devra pas davantage. Et pourtant, que ferait-elle, si, pour juger Danton, elle ne consultait que les Mιmoires de ceux qu'il a toujours combattus? Justifier la vie politique de notre pθre, dιfendre sa mιmoire, c'est pour nous un devoir sacrι. Pourquoi ne l'avons-nous pas rempli? C'est parce que nous n'avons eu en notre possession aucun document, absolument aucun, et que nous ne pourrions mettre en avant que des allιgations sans preuves ιcrites; mais nous allons rιfuter une accusation excessivement grave qui se rattache ΰ sa vie privιe. Nous croyons qu'il nous sera facile de le faire victorieusement, car nos principaux arguments auront pour base des actes authentiques. Voici cette accusation. On a reprochι ΰ Danton d'avoir exploitι la Rιvolution pour amasser scandaleusement une fortune ιnorme. Nous allons prouver d'une maniθre incontestable, que c'est ΰ trθs grand tort qu'on lui a adressι ce reproche. Pour atteindre ce but, nous allons comparer l'ιtat de sa fortune au commencement de la Rιvolution avec l'ιtat de sa fortune au moment de sa mort. Au moment oω la Rιvolution ιclata, notre pθre ιtait avocat aux conseils du roi. C'est un fait dont il n'est pas nιcessaire de fournir la preuve: ses ennemis eux-mκmes ne le contestent pas. Nous ne pouvons pas ιtablir d'une maniθre prιcise et certaine ce qu'il possιdait ΰ cette ιpoque. Cependant nous disons que, s'il ne possιdait rien autre chose (ce qui n'est pas prouvι), _il possιdait au moins sa charge_, et voici sur ce point notre raisonnement: 1° Quelques notes qui sont en notre possession nous prouvent que Jacques Danton, notre grand-pθre, dιcιdι ΰ Arcis, le 24 fιvrier 1762, laissa des immeubles sur le finage de Plancy et sur celui d'Arcis; il est donc prιsumable que notre pθre, nι le 26 octobre 1759, et par consιquent restι mineur en trθs bas βge, a dϋ possιder un patrimoine quelconque, si modique qu'on veuille le supposer. 2° Si, avant la Rιvolution, on pouvait κtre reηu avocat quand on avait vingt et un ans accomplis (ce que nous ignorons), notre pθre aura pu κtre avocat vers 1780; en admettant qu'il fallϋt avoir vingt-cinq ans, il aura pu κtre avocat vers la fin de 1784. Il devint ensuite avocat aux conseils du roi en 1787; il ιtait donc possible que, avant 1789, il eϋt dιjΰ fait quelques bιnιfices, tant comme avocat au Parlement, que comme avocat aux conseils, et que, sur ces bιnιfices, il eϋt fait quelques ιconomies.

3° Il y a lieu de penser qu'en ιpousant notre mθre, il reηut une dot quelconque. Eh bien, nous avons toujours cru qu'il paya sa charge aux conseils du roi, tant avec cette dot qu'avec le peu d'ιconomies qu'il pouvait avoir faites sur ce qu'il avait pu gagner d'abord comme avocat au Parlement, ensuite comme avocat aux conseils, et qu'avec le peu de patrimoine qu'il devait possιder. Vous faites une supposition, nous dira-t-on? C'est vrai, c'est une supposition, puisque nous n'apportons pas les preuves de ce que nous venons d'avancer; mais si ses ennemis ne veulent pas admettre avec nous que notre supposition soit une rιalitι, il faudra que, de leur cτtι, ils supposent que notre pθre n'avait pas le moindre patrimoine, qu'il n'avait fait aucun bιnιfice, tant en qualitι d'avocat au Parlement qu'en qualitι d'avocat aux conseils; que, s'il avait fait des bιnιfices il n'avait pas fait d'ιconomies; enfin qu'ils supposent que sa femme en l'ιpousant ne lui a pas apportι de dot. A moins qu'ils ne prouvent tout cela, ils feront aussi une supposition. Or, nous le demandons ΰ toutes les personnes qui sont de bonne foi et sans prιvention, notre supposition est-elle plus vraisemblable que celle des ennemis de notre pθre? Oui, sans doute. Nous l'admettons donc comme un fait prouvι, et nous disons: Danton n'ιtait pas riche au commencement de la Rιvolution, mais, s'il ne possιdait rien autre chose (ce qui n'est pas prouvι), il possιdait au moins sa charge d'avocat aux conseils du roi. Maintenant Danton est-il riche au moment de sa mort? c'est ce que nous allons examiner. Nous allons ιtablir que ce qu'il possιdait au moment de sa mort n'ιtait que l'ιquivalent ΰ peu prθs de sa charge d'avocat aux conseils. Nous n'avons jamais su s'il a ιtι fait des actes de partage de son patrimoine et de celui de ses femmes, ni si, au moment de la confiscation de ses biens, il en a ιtι dressι inventaire, mais nous savons trθs bien et trθs exactement ce que nous avons recueilli de sa succession, et nous allons le dire, sans rester dans le vague sur aucun point, car c'est ici que, comme nous l'avons annoncι, nos arguments vont κtre basιs sur des actes authentiques. Nous ferons observer que l'ιtat que nous allons donner comprend sans distinction ce qui vient de notre pθre et de notre mθre. Une loi de fιvrier 1791 ordonna que le prix des charges et offices supprimιs serait remboursι par l'Ιtat aux titulaires. La charge que Danton possιdait ιtait de ce nombre. Nous n'avons jamais su, pas mκme approximativement, combien elle lui avait coϋtι. Il en reηut le remboursement sans doute, car prιcisιment vers cette ιpoque, il commenηa ΰ acheter des immeubles dont voici le dιtail: Le 24 mars 1791, il achθte aux enchθres, moyennant quarante-huit mille deux cents livres, un bien national provenant du clergι, consistant en une ferme appelιe Nuisement, situιe sur le finage de Chassericourt, canton de Chavanges, arrondissement d'Arcis, dιpartement de l'Aube, ΰ sept lieues d'Arcis. Le titre de propriιtι de cette ferme n'est plus entre nos mains, en voici la raison: afin de payer le prix d'acquisition d'une filature de coton, nous avons vendu cette ferme ΰ M. Nicolas Marcherι-Lavigne, par acte passι par-devant maξtre Jeannet, notaire ΰ Arcis, en date du vingt-trois juillet mil huit cent treize, moyennant quarante-trois mille cinq cents francs, savoir trente mille francs portιs au contrat, et treize mille francs que nous avons reηus en billets. Nous avons remis le titre de propriιtι ΰ l'acquιreur. Danton avait achetι cette ferme la somme de quarante-huit mille deux cents livres, ci...... 48.200 liv. 12 avril 91.--Il achθte aux enchθres du district d'Arcis, par

l'entremise de maξtre Jacques Jeannet-Boursier, son mandataire et son cousin, moyennant quinze cent soixante quinze livres, qu'il paye le vingt du mκme mois, un bien national provenant du clergι consistant en une piθce de prιs contenant un arpent quatre denrιes, situι sur le finage du Chκne, lieu dit Villieu, ci...... 1.575 liv. 12 avril 91.--Il achθte encore aux enchθres du district d'Arcis, par l'entremise de maξtre Jeannet-Boursier, moyennant six mille sept cent vingt-cinq livres, qu'il paya le lendemain, un bien national provenant du clergι, consistant en une piθce de prι et saussaie contenant huit arpents, situι sur le finage de Torcy-le-Petit, lieu dit Linglι, ci...... 6.725 liv. 13 avril 91.--Mademoiselle Marie-Madeleine Piot de Courcelles, demeurant ΰ Courcelles, par acte passι ce jour-lΰ par-devant maξtre Odin, notaire ΰ Troyes, vend ΰ Georges-Jacques Danton, administrateur du dιpartement de Paris, ce acceptant M. Jeannet-Boursier, moyennant vingt-cinq mille trois cents livres qu'il paye comptant, un bien patrimonial n'ayant absolument rien de seigneurial, malgrι les apparences qui pourraient rιsulter du nom de la venderesse, et consistant en une maison, cour, jardin, canal, enclos et dιpendances, situιs ΰ Arcis-sur-Aube, place du Grand-Pont, le tout contenant environ neuf arpents, trois denrιes, quatorze carreaux, ci...... 25.300 liv. Nota.--Voilΰ la modeste propriιtι que les ennemis de Danton dιcoraient du nom pompeux de sa terre d'Arcis, par dιrision peut-κtre, mais plutτt pour le dιpopulariser et jeter sur lui de l'odieux en faisant croire que, devenu tout ΰ coup assez riche pour acheter et pour payer la terre d'Arcis, Danton, le rιpublicain, n'avait pas mieux demandι que de se substituer ΰ son seigneur. La vιritι est que la terre d'Arcis (et il n'y en a qu'une, consistant en un chβteau avec dιpendances considιrables) n'a pas cessι un instant depuis plus d'un siθcle d'appartenir ΰ la famille de la Briffe, qui en possθde plusieurs. Depuis l'an 1840 seulement, cette famille a vendu les dιpendances et n'a gardι que le chβteau avec son parc. 28 octobre 91.--Il achθte, non par un mandataire, mais par lui-mκme, de M. Bιon-Jeannet, par acte passι par-devant maξtre Finot, notaire ΰ Arcis, moyennant deux mille deux cent cinquante livres qu'il paye comptant, un bien patrimonial consistant en cinq petites piθces de bois, situιes sur le finage d'Arcis et sur celui du Chκne, et contenant ensemble deux arpents, deux denrιes, ci...... 2.250 liv. 7 novembre 91.--Il achθte de M. Gilbert-Lasnier, par acte passι par-devant maξtre Finot, notaire ΰ Arcis, moyennant deux cent quarante livres qu'il paye comptant, une denrιe, vingt-cinq carreaux de jardin, pour agrandir la propriιtι qu'il a acquise de mademoiselle Piot, ci...... 240 liv. Par le mκme acte il achθte aussi, moyennant quatre cent soixante livres qu'il paye aussi comptant, deux denrιes de bois que plus tard (le 3 avril 93), il donne en ιchange d'une denrιe, soixante-quatre carreaux de bois, qu'il rιunit ΰ la propriιtι de mademoiselle Piot, ci...... 460 liv. 8 novembre 91.--Il achθte de M. Bouquet-Bιon, par acte passι par-devant maξtre Finot, notaire ΰ Arcis, moyennant deux cent dix livres qu'il ne paye que le 10 juin 1793, un jardin dont la contenance n'est pas indiquιe et qu'il rιunit ΰ la propriιtι de mademoiselle

Piot, ci...... 210 liv. Total du prix de toutes les acquisitions d'immeubles faites par Danton en mil sept cent quatre-vingt onze: quatre-vingt-quatre mille neuf cent soixante livres, ci...... 84.960 liv. On doit remarquer qu'il est prιsumable que la plus grande partie de ces acquisitions a dϋ κtre payιe en assignats, qui, ΰ cette ιpoque, perdaient dιjΰ de leur valeur et dont, par consιquent, la valeur nominale ιtait supιrieure ΰ leur valeur rιelle en argent, d'oω il rιsulterait que le prix rιel en argent des immeubles ci-dessus indiquιs aurait ιtι infιrieur ΰ 84.960 livres. Depuis cette derniθre acquisition du 8 novembre 1791 jusqu'ΰ sa mort, Danton ne fit plus aucune acquisition importante. Il acheta successivement en 1792 et 1793 un nombre assez considιrable de parcelles trθs peu ιtendues et dont nous croyons inutile de donner ici le dιtail qui, par sa longueur et par le peu d'importance de chaque article, deviendrait fastidieux (nous pourrions le fournir s'il en ιtait besoin). Il fit aussi des ιchanges. Nous pensons qu'il suffit de dire que, en ajoutant ces parcelles ΰ ce que Danton avait achetι en 1791, on trouve que les immeubles qui, au moment de sa mort, dιpendaient tant de sa succession que de celle de notre mθre, et qui nous sont parvenus, se composaient de ce qui suit, savoir: 1° De la ferme de Nuisement (vendue par nous le 23 juillet 1813); 2° De sa modeste et vieille maison d'Arcis, avec sa dιpendance, le tout contenant non plus 9 arpents, 3 denrιes, 14 carreaux (ou bien 4 hectares, 23 ares, 24 centiares) seulement, comme au 13 avril 1791, ιpoque oω il en fit l'acquisition de mademoiselle Piot, mais par suite des additions qu'il y avait faites, 17 arpents, 3 denrιes, 52 carreaux (ou bien 786 ares, 23); 3° De 19 arpents, 7 denrιes, 41 carreaux (808 ares, 06) de prι et saussaie; 4° De 8 arpents, 1 denrιe, 57 carreaux (369 ares, 96) de bois; 5° De 2 denrιes, 40 carreaux (14 ares, 07) de terre situιe dans l'enceinte d'Arcis. Nous dιclarons ΰ qui voudra l'entendre et au besoin nous dιclarons _sous la foi du serment_, que nous n'avons recueilli de la succession de Georges-Jacques Danton, notre pθre, et d'Antoinette-Gabrielle Charpentier, notre mθre, rien, absolument rien autre chose que les immeubles dont nous venons de donner l'ιtat, que quelques portraits de famille et le buste en plβtre de notre mθre, lesquels, longtemps aprθs la mort de notre second tuteur, nous furent remis par son ιpouse, et que quelques effets mobiliers qui ne mιritent pas qu'on en fasse l'ιnumιration ni la description; mais que nous n'en avons recueilli aucune somme d'argent, aucune crιance, en un mot rien de ce qu'on appelle valeurs mobiliθres, ΰ l'exception pourtant d'une rente de 100 francs 5 p. 100 dont MM. Defrance et Dιtape, receveurs de rentes ΰ Paris, rue Chabannais, n° 6, ont opιrι la vente pour nous le 18 juin 1825, rente qui avait ιtι achetιe pour nous par l'un de nos tuteurs. Nous n'avons recueilli que cela de la succession de notre pθre et de notre mθre; il est donc ιvident qu'ils ne possιdaient rien autre chose, ni dans le dιpartement de l'Aube, ni ailleurs.

Si nous possιdons aujourd'hui quelques immeubles qui ne fassent pas partie de l'ιtat qui prιcθde, c'est que nous les avons achetιs ou bien que nous les avons eus en partage de la succession de Jeanne-Madeleine Camut, notre grand'mθre, dιcιdιe ΰ Arcis au mois d'octobre 1813, veuve en premiθres noces de Jacques Danton, notre grand-pθre, et, en secondes noces de Jean Recordain, qu'elle avait ιpousι en 1770. Les livres de l'enregistrement et les matrices cadastrales peuvent fournir la preuve de ce que nous venons d'avancer. On pourra nous faire une objection qui mιrite une rιponse; on pourra nous dire: "Vous n'avez recueilli de la succession de votre pθre et de votre mθre que les immeubles et les meubles dont vous venez de faire la dιclaration, mais cela ne prouve pas que la fortune de votre pθre, au moment de sa mort, ne se composβt que de ces seuls objets; car sa condamnation ayant entraξnι la confiscation de tous ses biens sans exception, la Rιpublique a pu en vendre et en a peut-κtre vendu pour des sommes considιrables. Vous n'avez peut-κtre recueilli que ce qu'elle n'a pas vendu." Voici notre rιponse: Les meubles et les immeubles confisquιs ΰ la mort de notre pθre dans le dιpartement de l'Aube et non vendus, furent remis en notre possession par un arrκtι de l'administration de ce dιpartement, en date du 24 germinal an IV (13 avril 1796), arrκtι dont nous avons une copie sous les yeux, arrκtι pris en consιquence d'une pιtition prιsentιe par notre tuteur, arrκtι basι sur la loi du 14 florιal an III (3 mai 1795), qui consacre le principe de la restitution des biens des condamnιs par les tribunaux et les commissions rιvolutionnaires, basι sur la loi du 21 prairial an III (9 juin 1796), qui lθve le sιquestre sur ces biens et en rθgle le mode de restitution; enfin, arrκtι basι sur la loi du 13 thermidor an III (31 juillet 1795), dont il ne rappelle pas les dispositions. L'administration du dιpartement de l'Aube, dans la mκme dιlibιration, arrκte que le produit des meubles et des immeubles qui ont ιtι vendus et des intιrκts qui ont ιtι perηus depuis le 14 florιal an III (3 mai 1795), montant ΰ la somme de douze mille quatre cent cinq livres quatre sous quatre deniers, sera restituι ΰ notre tuteur, en bons au porteur admissibles en payement de domaines nationaux provenant d'ιmigrιs seulement. Nous ne savons pas si notre tuteur reηut ces bons au porteur; s'il les reηut, quel usage il en fit; nous savons seulement qu'il n'acheta pas de biens d'ιmigrιs. Il rιsulte ιvidemment de cet arrκtι de l'administration du dιpartement de l'Aube, que dans ce dιpartement le produit des meubles et immeubles provenant de Danton et vendus au profit de la Rιpublique, ne s'est pas ιlevι au-dessus de 12,405 livres 4 sous 4 deniers. C'ιtait le total de l'ιtat de rιclamation prιsentι par notre tuteur dans sa pιtition, et tout le monde pensera, comme nous, qu'il n'aura pas manquι de faire valoir tous nos droits. On peut remarquer que dans cet arrκtι il est dit que ces 12.405 livres sont le montant du produit des meubles et des immeubles vendus, et des intιrκts qui ont ιtι perηus depuis le 14 florιal an III (3 mai 1795); ces 12.405 livres ne se composaient donc pas en entier du prix des meubles et des immeubles vendus; les _intιrκts_ perηus y entraient donc pour quelque chose, sans que nous sachions pour quelle somme. Nous avons entre les mains les expιditions de vingt procθs-verbaux qui constatent que le 11 messidor an II (29 juin 1794) il a ιtι vendu, moyennant cinq mille sept cent vingt-cinq livres, vingt piθces de terre labourable contenant ensemble

environ onze arpents, deux denrιes (ou bien 506 ares, 70), situιes sur les finages d'Arcis, de la Villette, de Saint-Ιtienne et de Torcy. En a-t-il ιtι vendu un plus grand nombre? Nous l'ignorons. Mais cela ne fait que 5.725 livres, sur les 12.405 dont la restitution ΰ notre profit a ιtι ordonnιe. De quoi se composaient les 6.680 restants? Ιtait-ce du prix de meubles et d'immeubles vendus, ou d'intιrκts perηus? Nous n'en savons rien, mais peu importe. Les 12.405 livres, si on le veut, provenaient en entier du prix d'immeubles vendus; admettons-le. Dans ce cas, pour avoir le total de ce que notre pθre possιdait au moment de sa mort, il faudrait ajouter 12.405 livres ΰ ce que nous avons recueilli de sa succession. Mais, si d'un cτtι on doit ajouter 12.405 livres, d'un autre cτtι on doit retrancher 16.065 livres qui restaient dues aux personnes qui ont vendu a notre pθre les immeubles dont nous avons hιritι. Nous pourrions, s'il ιtait nιcessaire, fournir le dιtail de ces 16.065 livres avec piθces ΰ l'appui. Elles ont ιtι payιes plus tard par notre tuteur, et, pour les payer, il n'aura pas manquι sans doute de faire emploi, autant qu'il aura pu, des 12.405 livres de bons an porteur dont la restitution avait ιtι ordonnιe ΰ notre profit, par l'arrκtι de l'administration du dιpartement de l'Aube, en date du 24 germinal an IV. Il est donc ιtabli d'abord que, dans le dιpartement de l'Aube, le prix des meubles et des immeubles qui ont ιtι vendus n'a pas pu s'ιlever au-dessus de 12.405 livres; ensuite que notre pθre, au moment de sa mort, devait encore 16.065 livres sur le prix d'acquisition des immeubles qu'il y possιdait. Voilΰ pour ce qui concerne le dιpartement de l'Aube. Notre tuteur a-t-il eu ΰ faire, pour notre compte, des rιclamations dans quelques autres dιpartements? C'est possible, il est mκme prιsumable qu'il en a eu ΰ faire relativement ΰ des objets mobiliers; il ιtait trop soigneux de nos intιrκts pour que nous puissions croire qu'il ait nιgligι quelque chose de ce qui s'y rattachait. Mais les sommes dont il a dϋ obtenir la restitution ont ιtι sans doute peu considιrables, car il n'en est rien parvenu jusqu'ΰ nous dans la succession de notre pθre. D'un autre cτtι, s'il eϋt possιdι des immeubles dans les dιpartements autres que celui de l'Aube, il fϋt arrivι de deux choses l'une: 1° ou bien ces immeubles n'eussent pas ιtι vendus; alors nous les possιderions encore aujourd'hui, puisque, ΰ l'exception de la ferme de Nuisement, dont nous avons parlι, nous n'avons jamais vendu d'immeubles; eh bien, nous n'en possιdons aucun hors du dιpartement de l'Aube; 2° ou bien ils eussent ιtι vendus par la Rιpublique ΰ son profit; dans ce cas, la Rιpublique nous en eϋt plus tard restituι le prix, comme elle l'a fait pour ceux qui ont ιtι vendus dans le dιpartement de l'Aube, et nous eussions retrouvι ce prix dans la succession de notre pθre, soit en valeurs immobiliθres achetιes par nos tuteurs, pour emploi, soit en valeurs mobiliθres. Eh bien, nous l'avons dιclarι prιcιdemment, nous n'avons presque rien recueilli en valeurs mobiliθres; et, en immeubles, nous n'en avons recueilli aucun qui n'ait ιtι achetι du vivant de notre pθre, et qui ne fasse partie de l'ιtat que nous avons fourni. Nous croyons avoir rιpondu complθtement et victorieusement ΰ l'objection prιcιdemment faite. Notre raisonnement ιtait donc logique quand nous disions: nous n'avons recueilli que cela de la succession de notre pθre et de notre mθre, il est donc ιvident qu'ils ne possιdaient rien autre chose, ni dans le dιpartement de l'Aube, ni ailleurs. Toutefois, nous ferons remarquer que, en raisonnant ainsi, nous avons fait abstraction et des 12.405

livres qu'il eϋt fallu ajouter ΰ leur avoir, et des 16.065 livres qu'il eϋt fallu retrancher pour ιtablir un compte rigoureusement exact. Nous avons prouvι d'abord que, si Danton n'ιtait pas riche an commencement de la Rιvolution, il possιdait au moins sa charge d'avocat aux conseils du Roi; ensuite, par l'ιtat que nous avons ιtabli de sa fortune au moment de sa mort, nous avons prouvι qu'on peut regarder ce qu'il possιdait ΰ ce moment comme ιtant ΰ peu prθs l'ιquivalent de sa charge, dont il avait reηu le remboursement. Si nous avons prouvι tout cela (comme nous n'en doutons pas); nous avons prouvι aussi que c'est ΰ trθs grand tort qu'on lui a reprochι d'avoir exploitι la Rιvolution pour amasser une fortune ιnorme et scandaleuse. Certes, on en conviendra, il a bien pu parvenir au degrι d'_opulence_ qu'il avait atteint sans se rendre coupable des actes infβmes, des monstrueux et innombrables forfaits que les atroces calomnies de nos ennemis et l'odieux et inique rapport de Saint-Just lui ont si perfidement et si faussement imputιs. Maintenant nous allons citer quelques faits authentiques qui pourront faire apprιcier la bontι de son coeur. Nous avons vu prιcιdemment que ce fut en mars et en avril 1791 qu'il acheta la majeure partie, on pourrait mκme dire la presque totalitι des immeubles qu'il possιdait quand il mourut. Voici un des sentiments qui agitaient son coeur en mars et en avril 1791. Il dιsirait augmenter la modeste aisance de sa mθre, de sa bonne mθre qu'il adorait. Veut-on savoir ce qu'il s'empressa de faire ΰ son entrιe en jouissance de ces immeubles qu'il venait d'acheter? Jetons un regard sur l'acte que nous tenons dans les mains. Il a ιtι passι le 15 avril 1791 (deux jours aprθs la vente faite ΰ Danton par Mlle Piot) par-devant Me Odin qui en a gardι la minute, et Me Ιtienne son collθgue, notaires ΰ Troyes. Danton y fait donation entre vifs, pure, simple et irrιvocable, ΰ sa mθre, de six cents livres de rentes annuelles et viagθres, payables de six mois en six mois, dont les premiers six mois payables au 15 octobre 1791. Sur cette rente de 600 livres, Danton veut qu'en cas de dιcθs de sa mθre, 400 livres soient rιversibles sur M. Jean Recordain, son mari (M. Recordain ιtait un homme fort aisι lorsqu'il ιpousa la mθre de Danton; il ιtait extrκmement bon; sa bontι allait mκme jusqu'a la faiblesse, puisque, par sa complaisance pour de prιtendus amis dont il avait endossι des billets, il perdit une grande partie de ce qu'il avait apportι en mariage; nιanmoins, c'ιtait un si excellent homme, il avait toujours ιtι si bon pour les enfants de Jacques Danton, qu'ils le regardaient tous comme leur vιritable pθre; aussi Danton, son beau-fils, avait-il pour lui beaucoup d'affection). Le vif dιsir que ressent Danton de donner aux donataires des marques certaines de son amitiι pour eux, est la seule cause de cette donation. Cette rente viagθre est ΰ prendre sur la maison et sur ses dιpendances, situιes ΰ Arcis, que Danton vient d'acquιrir le 13 avril 1791. Tel fut son premier acte de prise de possession. On remarquera que cette propriιtι, au moment oω mademoiselle Piot la vendit, ιtait louιe par elle ΰ plusieurs locataires qui lui payaient ensemble la somme de 600 livres annuellement. Si Danton eϋt ιtι riche et surtout aussi riche que ses ennemis ont voulu le faire croire, son grand coeur ne se fϋt pas contentι de faire ΰ sa mθre une pension si modique. Pour faire cette donation, Danton aurait pu attendre qu'il vint ΰ Arcis, mais il ιtait si pressι d'obιir au sentiment d'amour filial qu'il ιprouvait que, dθs le 17 mars 1791, il avait donnι ΰ cet

effet une procuration spιciale ΰ M. Jeannet-Bourcier, qui exιcuta son mandat deux jours aprθs avoir achetι pour Danton la propriιtι de mademoiselle Piot. Aussitτt que la maison ιtait devenue vacante et disponible, Danton, qui aimait tant ΰ κtre entourι de sa famille, avait voulu que sa mθre et son beau-pθre vinssent l'habiter, ainsi que M. Menuel, sa femme et leurs enfants. (M. Menuel avait ιpousι la soeur aξnιe de Danton.) Au 6 aoϋt 1792, Danton ιtait ΰ Arcis; on ιtait ΰ la veille d'un grand ιvιnement qu'il prιvoyait sans doute. Au Milieu des mille pensιes qui doivent alors l'agiter, au milieu de l'inquiιtude que doivent lui causer les pιrils auxquels il va s'exposer, quelle idιe prιdomine, quelle crainte vient l'atteindre? Il pense ΰ sa mθre, il craint de n'avoir pas suffisamment assurι son sort et sa tranquillitι; en voici la preuve dans cet acte passι le 4 aoϋt 1792 par-devant Me Pinot, notaire ΰ Arcis. Q'y lit-on? "Danton voulant donner ΰ sa mθre des preuves des sentiments de respect et de tendresse qu'il a toujours eus pour elle, il lui assure, sa vie durant, une habitation convenable et commode, lui fait donation entre-vifs, pure, simple et irrιvocable, de l'usufruit de telles parts et portions qu'elle voudra choisir dans la maison et dιpendances situιes a Arcis, rue des Ponts, qu'il a acquise de mademoiselle Piot de Courcelles, et dans laquelle maison, sa mθre fait alors sa demeure, et de l'usufruit de trois denrιes de terrain ΰ prendre dans tel endroit du terrain qu'elle voudra choisir, pour jouir desdits objets ΰ compter du jour de la donation." Si M. Jean Recordain survit ΰ sa femme, donation lui est faite par le mκme acte de l'usufruit de la moitiι des objets qu'aura choisis et dont aura joui sa femme. Nous n'avons pas connaissance que Danton ait jamais fait d'autres dispositions en faveur de sa mθre ni de son beau-pθre. Nous le rιpιtons, si Danton eϋt ιtι riche, et surtout s'il eϋt ιtι aussi riche que ses ennemis ont voulu le faire croire, son grand coeur ne se fϋt pas contentι de faire ΰ sa mθre et ΰ son beau-pθre des dons si modiques; nous sommes intimement persuadιs que sa gιnιrositι envers eux eϋt ιtι en proportion de sa fortune. Voici encore une piθce, peu importante en elle-mκme ΰ la vιritι, mais qui honore Danton et qui prouve sa bontι; c'est une pιtition en date du 30 thermidor an II (17 aoϋt 1794), adressιe aux citoyens administrateurs du dιpartement de Paris, par Marguerite Hariot (veuve de Jacques Geoffroy, charpentier ΰ Arcis), qui expose que, par acte passι devant Me Finot, notaire ΰ Arcis, le 11 dιcembre 1791, Danton, dont elle ιtait la nourrice, lui avait assurι et constituι une rente viagθre de cent livres dont elle devait commencer ΰ jouir ΰ partir du jour du dιcθs de Danton, ajoutant que, de son vivant, il ne bornerait pas sa gιnιrositι ΰ cette somme. Elle demande, en consιquence, que les administrateurs du dιpartement de Paris ordonnent que cette rente viagθre lui soit payιe ΰ compter du jour du dιcθs et que le principal en soit prιlevι sur ses biens confisquιs au profit de la Rιpublique. Nous ne savons pas ce qui fut ordonnι. Cette brave femme que notre pθre ne manquait jamais d'embrasser avec effusion et ΰ plusieurs reprises chaque fois qu'il venait ΰ Arcis, ne lui survιcut que pendant peu d'annιes. La recherche que nous avons faite dans les papiers qui nous sont restιs de la succession de notre grand'mθre Recordain, papiers dont nous ne pouvons pas avoir la totalitι, ne nous a fourni que ces trois piθces _authentiques_ qui tιmoignent en faveur de la bontι de Danton dans sa vie privιe. Quant aux traditions orales que nous avons pu

recueillir, elle sont en petit nombre et trop peu caractιristiques pour κtre rapportιes. Nous dirons seulement que Danton aimait beaucoup la vie champκtre et les plaisirs qu'elle peut procurer. Il ne venait ΰ Arcis que pour y jouir, au milieu de sa famille et de ses amis, du repos, du calme et des amusements de la campagne. Il disait dans son langage sans recherche, ΰ madame Recordain, en l'embrassant: "Ma bonne mθre, quand aurai-je le bonheur de venir demeurer auprθs de vous pour nι plus vous quitter, et n'ayant plus ΰ penser qu'ΰ planter mes choux?" Nous ne savons pas s'il avait des ennemis ici, nous ne lui en avons jamais connu aucun. On nous a trθs souvent parlι de lui avec ιloge; mais nous n'avons jamais entendu prononcer un mot qui lui fϋt injurieux, ni mκme dιfavorable, pas mκme quand nous ιtions au collθge; lΰ pourtant les enfants, incapables de juger la portιe de ce qu'ils disent, n'hιsitent pas, dans une querelle occasionnιe par le motif le plus frivole, ΰ s'adresser les reproches les plus durs et les plus outrageants. Nos condisciples n'avaient donc jamais entendu attaquer la mιmoire de notre pθre. Il n'avait donc pas d'ennemis dans son pays. Nous croyons ne pas devoir omettre une anecdote qui se rapporte ΰ sa vie politique. Nous la tenons d'un de nos amis qui l'a souvent entendu raconter par son pθre, M. Doulet, homme trθs recommandable et trθs digne de foi, qui, sous l'Empire, fut longtemps maire de la ville d'Arcis. Danton ιtait ΰ Arcis dans le mois de novembre 1793. Un jour, tandis qu'il se promenait dans son jardin avec M. Doulet, arrive vers eux une troisiθme personne marchant ΰ grands pas, tenant un papier ΰ la main (c'ιtait un journal) et qui, aussitτt qu'elle fut ΰ portιe de se faire entendre, s'ιcrie: Bonne nouvelle! bonne nouvelle! et elle s'approche.--Quelle nouvelle? dit Danton.--Tiens, lis! les Girondins sont condamnιs et exιcutιs, rιpond la personne qui venait d'arriver.--Et tu appelles cela une bonne nouvelle, malheureux? s'ιcrie Danton ΰ son tour, Danton, dont les yeux s'emplissent aussitτt de larmes. La mort des Girondins une bonne nouvelle? Misιrable!--Sans doute, rιpond son interlocuteur, n'ιtait-ce pas des factieux?--Des factieux, dit Danton. Est-ce que nous ne sommes pas des factieux? Nous mιritons tous la mort autant que les Girondins; nous subirons tous, les uns aprθs les autres, le mκme sort qu'eux. Ce fut ainsi que Danton, le Montagnard, accueillit la personne qui vint annoncer la mort des Girondins, auxquels tant d'autres, en sa place, n'eussent pas manquι de garder rancune. Avec une βme comme la sienne, il est impossible de ne pas κtre un honnκte homme, nos coeurs nous le disent, et jamais rien n'ιbranlera une de nos plus fermes et de nos plus douces croyances en ce monde, celle de devoir la vie ΰ un pθre qui fut non seulement un homme d'esprit, de gιnie, d'un grand courage, grand orateur, grand citoyen, aimant sincθrement et passionnιment son pays, mais qui fut avant tout un homme probe. Que n'avons-nous son ιloquence pour faire passer dans l'esprit de nos citoyens nos convictions, et pour leur faire partager nos sentiments! Mais la tβche; qu'ΰ notre grand regret nous ne remplissons pas, parce qu'elle est au-dessus de nos forces et de nos talents, d'autres plus puissants et plus capables la rempliront. Mieux vaudrait mourir ΰ l'instant que d'en perdre l'espιrance. Oui, Danton, un jour toutes lιs calomnies accumulιes sur toi par l'erreur, par l'envie, par la haine, viendront expirer aux pieds de la vιritι mise ΰ nu par des orateurs, par des ιcrivains consciencieux, impartiaux, ιclairιs, ιloquents. Oui, un jour la France reconnaξtra que tous tes actes politiques ont pris

naissance dans de louables sentiments, dans ton ardent amour pour elle, dans le plus violent dιsir de son salut et du triomphe de la libertι! Oui, un jour la France apprιciera toute l'immensitι de ton dιvouement qui te porta _jusqu'ΰ vouloir lui faire le sacrifice de ta mιmoire_: sacrifice cent fois, mille fois plus grand que celui de la vie! Dιvouement sans exemple dans l'histoire! La France aujourd'hui si belle, si florissante, te placera alors au rang qui t'appartient parmi ses enfants gιnιreux, magnanimes, dont les efforts intrιpides, inouοs, sont parvenus ΰ lui ouvrir, au milieu de difficultιs et de dangers innombrables, un chemin ΰ la libertι, ΰ la gloire, au bonheur. Un jour, enfin, Danton, justice complθte sera rendue ΰ ta mιmoire! Puissent tes fils, avant de descendre dans la tombe, voir ce beau jour, ce jour tant dιsirι!

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