Chapitre 6

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Chapitre 6 Le Service de la protection des forêts du Québec (1906-1911)

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B.L. O’Hara, chef adjoint du service de la protection exhibant un outil combinant un pic et une pioche pour la lutte contre le feu. Source : Rapport du ministre des Terres et Forêts 1909. Québec, Charles Pageau, 1910, planche hors-texte. X

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districts nos 1 et 2, et J.-A. Levasseur, affecté aux districts nos 3, 4 et 5. En raison du nombre toujours croissant de gardes recrutés par les compagnies, Hall leur adjoint, en 1907, un nouvel inspecteur, Joseph Bureau, explorateur et arpenteur légendaire du département des Terres et Forêts. Dorénavant chargé des districts nos 2, 3 et 4, il devait, à l’instar de ses deux collègues, examiner les rapports des gardes-feu, s’assurer que les concessionnaires effectuent une protection efficace, et inspecter les chemins de fer et de colonisation. Un chef adjoint fut également nommé, en 1908, pour épauler Hall. En plus du personnel de direction, le Service de la protection recruta quelques gardes-feu assignés à la patrouille du chemin de fer Québec/Lac-Saint-Jean et à la surveillance des travaux de construction du Northern Transcontinental Railway. Enfin, un garde et un assistant avaient été postés au lac Chibougamau pour protéger la forêt contre les prospecteurs miniers qui avaient la mauvaise habitude d’y mettre le feu pour trouver, sur le sol découvert, les minéraux recherchés. Donc, entre 1906 et 1911, très peu de dépenses furent engagées par ce service, permettant au Département de conserver un budget de protection annuel moyen de 15 000 $, incluant les frais d’extinction et d’administration générale, le salaire des inspecteurs et des quelques gardes spéciaux. En fait, le gouvernement avait délégué à l’industrie la quasitotalité des activités opérationnelles du système de protection. En 1906, les concessionnaires avaient recruté 382 gardes-feu, soit environ quatre fois plus qu’avant la restructuration. En 1910, ils étaient 500. Cependant, la quantité n’était pas toujours garante de la qualité et, très tôt, le chef de la protection se plaignit de la sélection effectuée par les concessionnaires. Dans son rapport pour l’année 1908, Hall exprima son désagrément : […] je regrette d’avoir à dire que dans certains cas les concessionnaires ne semblent pas comprendre parfaitement l’importance qu’il y a à tenir ces hommes sur les lieux, comme ils le devraient, ni la nécessité de nommer à cette tâche importante des gens non seulement capables de conduire une équipe d’hommes, mais qui ont acquis de l’expérience dans la manière de combattre les incendies de forêt. Dans certains cas, le gardefeu se trouvait être un explorateur, dans d’autres, le contremaître d’un moulin ou un scieur, et l’on a même trouvé des gens de bureau sur la liste des gardes-feu. Il n’y a pas d’objection à ce que l’on nomme des gens qui occupent ces différentes positions pourvu que chaque société en mette assez d’autres sur les lieux

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pour faire une patrouille régulière dans les coupes de bois, et que les gens nommés aient les aptitudes voulues pour faire de bons gardes-feu. Quelques-uns de ceux dont les noms se voient sur la liste des gardes-feu se sont montrés, dans le cours de l’été dernier, d’excellents lutteurs contre les incendies, et l’on devrait s’efforcer d’engager ces gens à consacrer tout leur temps, l’été prochain, au service de la protection contre les incendies. Au moment du danger, ils rendraient des services très précieux en enseignant aux autres à travailler, car, dans plusieurs endroits, on manque déplorablement de notions sur la manière de maîtriser un incendie de forêt. Plusieurs croient et disent à qui veut les entendre qu’il est inutile d’essayer d’éteindre et même de contrôler un incendie de forêt85.

Cela dit, la majorité des concessionnaires remplissaient bien leurs obligations et, en cas de négligence, le gouvernement pouvait protéger le territoire affermé et imposer une amende de 0,002 $ l’hectare. Dès la première saison de feu en 1906, W. C. J. Hall ne se gêna pas pour sévir et informa les concessionnaires par lettre circulaire que son service allait favoriser la délation. D’année en année, la situation s’améliorait; les concessionnaires négligents étaient de moins en moins nombreux. Le système semblait s’améliorer. Pour continuer sur cette voie, le chef du Service de la protection chercha à embrigader les municipalités rurales dans le mouvement provincial de protection des forêts contre le feu. Pour se prémunir contre les feux de défrichement, souvent situés près des villages, Hall favorisait la création de corps de pompiers volontaires municipaux. Pour parvenir à ses fins, il adressa une lettre circulaire aux responsables municipaux pour les inciter à une plus grande vigilance vis-à-vis des nouveaux colons. Il leur demandait de nommer des hommes de confiance pour faire respecter la loi dans les limites de la ville. Ces recommandations n’aboutirent qu’à très peu de mesures concrètes, à un point tel que Hall recommanda à son ministre de rendre obligatoire la nomination de gardes-feu municipaux. La prévention Les quelques statistiques liées aux feux de forêt entre 1906 et 1911 démontrent clairement que le développement du chemin de fer fut à l’origine de la majorité des incendies forestiers. Cependant, la méthode de comptabilisation des feux par les employés du Service de la protection tendait à démontrer que la colonisation était la première source d’incendie. D’une façon ou d’une autre, l’activité humaine était la principale cause de feu, mouvement de colonisation et développement ferroviaire en tête de liste.

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Principale source de feu pour le Service de la protection, la colonisation était, depuis le XIXe siècle, dirigée par l’Église catholique québécoise, qui favorisait le défrichement de régions forestières et l’établissement de communautés humaines au détriment de la forêt. Les difficultés inhérentes à cette entreprise de conquête du sol avaient fait de la forêt un ennemi à combattre. Pour changer cette mentalité, le chef du Service de la protection expliqua dans son rapport de 1910 le travail d’éducation qui devait être accompli : Nous devons d’abord combattre cette idée, si profondément enracinée dans bien des esprits, qu’il faut faire disparaître la forêt pour accomplir les fins de l’agriculture. Il faut répandre dans tout le pays des écrits pour expliquer aux gens combien il est absolument nécessaire, même au point de vue de l’agriculture, d’avoir de grandes étendues de forêt […]. C’est une tâche que l’on devrait poursuivre jusqu’à ce que les masses populaires aient été atteintes, qu’elles comprennent clairement leurs propres intérêts, et consentent à coopérer avec les autorités86.

La déforestation par le feu d’une partie visible du territoire et l’intérêt profond pour la protection des forêts de certains membres influents du clergé permirent de faire graduellement évoluer les mentalités dans ce sens. Dès sa nomination au titre de chef du Service de la protection en 1906, Hall s’unit au recteur de l’Université Laval et directeur de l’Association forestière canadienne, Mgr J.-C. K. Laflamme, pour rallier le clergé à « l’œuvre de protection ». La mainmise du clergé sur la population rurale entraînait nécessairement cette alliance entre l’Église et l’État. Celle-ci fut scellée en 1906, lorsque Mgr Bruchési donna son aval à la lecture, dans chacune des églises québécoises, de deux lettres circulaires en faveur de la protection. À partir de ce moment, le clergé allait graduellement se joindre aux partisans de la protection des forêts contre le feu. En 1908, Gustave Piché annonça lors d’une conférence donnée à l’Université Laval, que la protection devait être appuyée par une « campagne vigoureuse d’éducation87 » : « C’est la population rurale qu’il faut instruire de l’urgence qu’il y a de protéger ce qui nous reste de terrains boisés. Il faut que chacun de nous aide les fonctionnaires du gouvernement à combattre efficacement cet élément destructeur88. » À cette fin, le Service de la protection avait affiché, en 1906, plus de 26 000 messages de prévention et avait fait préparer en 1908 une brochure, intitulée Traité de protection des forêts contre le feu, à l’usage des colons et des éducateurs. Quant à l’Association forestière canadienne, elle publiait régulièrement des articles dans les journaux. Elle avait mis sur pied une revue spécialisée en foresterie et faisait prononcer de nombreux discours à ses conférenciers. Malgré tous ces efforts, le chef du Service de la protection constatait que l’éducation populaire était un processus lent qui demandait « patience et

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persévérance89 ». En 1908, il écrivait dans son rapport annuel que « bien qu’ils [les membres du clergé] aient prêché leurs ouailles plusieurs fois, durant la sécheresse de l’été dernier, sur le danger d’allumer des feux, leurs sermons n’[avaient] pas été écoutés par plusieurs de leurs gens90 ». Il faudra plusieurs années avant que le message soit véritablement compris. Pour remédier à la situation, Hall proposa en 1910 de trouver « un moyen pour le colon de faire au Département une demande, contresignée et approuvée par le maire ou le curé de la paroisse, pour qu’il lui soit permis de brûler son abatis, sous la surveillance d’un garde forestier, pourvu que ce colon fournisse une équipe d’hommes suffisante pour pouvoir tenir le feu sous son contrôle, et tout cela quand les conditions atmosphériques sont favorables91 ». En attendant qu’un tel système soit adopté dans la province, le gouvernement se devait de sévir avec plus de vigueur pour faire respecter la loi. Selon la procédure habituelle, chaque fois qu’un concessionnaire fournissait la preuve nécessaire pour une inculpation, des poursuites étaient intentées et des amendes imposées. Pour la première fois en 1906, un colon fut condamné à trois mois de prison pour avoir refusé de payer l’amende prévue. Pour le chef du Service de la protection, il s’agissait d’une mesure essentielle : « Il n’y a pas de doute que le fait par le gouvernement de prouver qu’il est sérieux dans ses efforts pour protéger les forêts de cette manière aura le meilleur effet92. » Alors qu’on accusait le gouvernement d’être trop sévère envers les colons, Gustave Piché prit sa défense : « Ce n’est pas un plaisir que de faire payer 50 $ à ces pauvres gens, mais quelques-uns sont si obstinés, si rebelles à toute défense que c’est le seul moyen de les faire marcher dans l’ordre93. » L’année suivante, une sentence exemplaire de deux ans d’emprisonnement fut prononcée, la plus sévère jamais imposée, contre le colon Calixte Saint-Jean pour avoir mis le feu dans le canton Church et avoir fait brûler les concessions du sénateur W. C. Edwards. Pour s’assurer d’un véritable effet dissuasif, le Service de la protection donna à cette affaire « autant de publicité que possible afin d’en prévenir la répétition, et de faire comprendre aux gens qu’il ne leur [serait] plus permis de mettre impunément en péril la propriété d’autrui94 ». En plus d’être occupé à la prévention des feux provoqués par la colonisation, W. C. J. Hall hérita de la surveillance des travaux de construction de la ligne du National Transcontinental Railway. Ce mégaprojet inauguré en 1905 par le premier ministre canadien Wilfrid Laurier devait permettre le développement d’une voie ferrée traversant le territoire québécois de la frontière du NouveauBrunswick à celle de l’Ontario (au nord du lac Abitibi), en passant par Québec, La Tuque et Parent : une tranchée de 965 kilomètres de forêt à couper, de débris à brûler. Donald MacKay, historien du

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En ce qui avait trait aux lignes de chemin de fer déjà en service, un système alliant la prévention et la détection des feux avait été mis en place dès 1906. La problématique fut clairement expliquée par Gustave Piché, lors d’une conférence à l’Université Laval en 1908 : Le foyer d’une locomotive est de proportions fort restreintes, si on le compare avec celui des autres appareils à vapeur, sans compter que la cheminée est aussi trop courte. Comme la consommation de charbon est fort grande, il faut, pour brûler le montant de combustible nécessaire, avoir recours à un tirage artificiel. On produit donc un appel d’air au moyen d’un jet de la vapeur d’échappement des cylindres, qui est lancé au bas de la cheminée. Le tirage ainsi créé fait que beaucoup de petits morceaux de charbon sont entraînés à l’avant dans la boîte à fumée, où la vapeur d’échappement les projette avec force au dehors. Plus la traction est grande et plus grande est la quantité d’étincelles, particulièrement au démarrage des trains et en gravissant les rampes97.

Entre autres mesures, un garde-feu avait été nommé par le gouvernement pour surveiller la ligne Québec/Lac-Saint-Jean à partir de La Tuque, et certains concessionnaires forestiers avaient nommé des patrouilleurs parmi leurs gardes-feu. La situation l’exigeait fortement. À preuve, en 1908, les deux gardes chargés de patrouiller les 24 kilomètres de la ligne de l’Intercolonial qui passait dans les forêts de sir Henri-Gustave Joly de Lotbinière avaient éteint 19 commencements d’incendie dans une seule journée. Pour prévenir ces feux, la loi obligeait les compagnies de chemin de fer, depuis 1883, à munir leurs locomotives de treillis métalliques. Alors que la plupart des compagnies se pliaient à la loi, les cheminots, de leur côté, avaient pris l’habitude de modifier les pare-étincelles pour laisser sortir plus aisément la fumée qui, autrement, les importunait. Pour pallier la situation, des inspections devaient être effectuées par les intendants du Service de la protection. Des affiches spéciales en toile étaient aussi placardées à des endroits stratégiques pour informer les cheminots des conséquences de leur geste.

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S Affiche de prévention en 1906. A.N.Q. Cote E21 S73 SS1 1960-01-038-15.

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Conscient des problèmes que posaient les vieux pare-étincelles, Hall, ingénieur de formation, se mit à sa planche à dessin. Au cours de l’été 1906, il mit son prototype à l’essai sur un train de fret. Après avoir parcouru 32 kilomètres dans la forêt, il observa l’efficacité de son invention, qui répondait à la fois aux besoins des cheminots et à ceux de la protection des forêts. La compagnie propriétaire de la locomotive décida aussitôt d’en munir ses 22 locomotives et, trois ans plus tard, Piché confirmait que ce modèle était le plus estimé des compagnies de chemin de fer. La détection Compte tenu de l’impossibilité de prévenir la totalité des feux qui se déclarent sur le territoire québécois, les différents intervenants en matière de protection des forêts ont cherché, de tout temps, à localiser rapidement les incendies avant qu’ils ne soient hors de contrôle. À partir de 1889, la détection, au même titre que la prévention, relevait des patrouilleurs qui arpentaient le territoire à pied, à dos de cheval ou en canot. En 1907, le chef du Service de la protection proposa une alternative en favorisant l’établissement d’un réseau de tours d’observation. Son projet lui était inspiré d’une expérience américaine réalisée dans l’état du Maine où un tel réseau avait été mis en place. Dans son rapport annuel, il se questionnait sur la marche à suivre : On a eu des détails sur l’établissement d’un système de signaux (lookouts) sur les sommets des montagnes, près de la ligne frontière des États-Unis, dans la région du lac Mégantic, et il serait à propos d’en conférer avec le bureau de protection de la forêt du Maine, pour savoir si l’on pourrait travailler sur une base commune, en reliant toutes les stations par le téléphone, et pour savoir si ce système peut être appliqué sans encourir une trop forte dépense. Je sais que les propriétaires de concessions de notre côté de la ligne et les marchands de bois de l’autre côté le désirent beaucoup, et qu’ils contribueront généreusement au coût de ce service. Si un essai dans ce district réussissait, la possibilité d’étendre ce système le long de la frontière méridionale de la province deviendrait immédiatement une question qui mériterait une sérieuse considération98.

À partir de ce moment, Hall chercha à convaincre ses collègues et les compagnies forestières de l’efficacité des tours. Pour constater de visu, il se rendit lui-même aux États-Unis en étudier le fonctionnement. Au début de l’année 1908, Hall contacta Edgar E. Ring, commissaire forestier de l’État du Maine. Ils convinrent tous deux de se rencontrer le 10 juin, à Augusta, au bureau central du Service forestier. Dans son rapport pour l’année 1908, le chef du Service de la protection décrivait ce qu’il avait observé lors de sa visite :

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Des postes d’observation sont établis au sommet des plus hautes montagnes, dans le territoire à protéger, et sont reliés par communications téléphoniques avec le système téléphonique du voisinage; il y a des indicateurs de rangs, télescopes, boussoles, etc. Chaque station de guet est confiée à un homme fiable, qui connaît l’usage de ces instruments. Cet homme possède aussi une carte de la région circonvoisine, et dès qu’il aperçoit de la fumée dans une direction, il cherche à localiser l’endroit, appelle par téléphone le plus proche garde-feu et lui dit à peu près où est le feu. Il appelle ensuite le concessionnaire de la coupe de bois qu’il informe aussi du commencement d’incendie et il fait immédiatement une entrée à cet effet dans son journal, en inscrivant la date et l’heure à laquelle chacun a été averti99.

Hall revint avec une foule d’arguments pour convaincre tant les compagnies que le gouvernement d’établir un réseau dans la province. Par-dessus tout, il avait retenu une chose : « un homme peut faire autant pour prévenir les feux de forêt que 80 des meilleurs hommes de patrouille100 ». Pour obtenir leur faveur, Hall insista sur la rentabilité de ces installations. De plus, il indiqua que le financement de ces tours pouvait se faire conjointement avec les compagnies. Dans son rapport, il présentait la méthode américaine : « les propriétaires de terres boisées établissent et équipent les postes d’observation, mais l’État fournit les gens de guet. Les postes qu’ils ont déjà établis ont coûté 500 $ à 600 $ d’installation chacun, à part des instruments101 ». Afin de stimuler l’intérêt de l’industrie forestière, il proposa la construction de deux stations. L’année suivante, aucune des deux tours prévues n’avait été construite. Les concessionnaires et le gouvernement restaient intéressés, mais se butaient aux coûts de l’établissement d’un réseau de communication. Hall indiqua à ce sujet : Dans le cours de l’année, nous avons eu quelques correspondances avec les compagnies de télégraphie sans fil [morse], en vue de trouver un système peu dispendieux et pratique de téléphonie sans fil, mais jusqu’à présent, nous n’avons pas pu trouver ce qu’il faut; il en coûterait trop pour l’installation des systèmes actuellement existants. Si l’on pouvait trouver un système dans lequel le coût de l’installation et de l’entretien subséquent serait raisonnable, ce serait la méthode idéale pour les stations de signaux et cela nous permettrait d’en établir une chaîne sur toute la province, et d’obtenir de l’aide pour combattre les incendies même dans les régions les plus reculées102.

L’espoir de Hall de voir la construction d’une première tour se matérialisa finalement en 1910. Elle fut construite par la société Jno. Fenderson & Co. à quelques kilomètres au sud du lac Matapédia, en Gaspésie, à 518 mètres au-dessus du niveau du lac et à 670 mètres au-dessus du niveau de la mer (lat. 48o29’N.; long 67o35’O.). Sa structure était faite d’acier et la cabine qui trônait au-dessus, de bois. À cet endroit, par beau temps, le garde-feu pouvait scruter 2,5 km2. La tour était reliée au village par téléphone, ce qui permettait à l’observateur de contacter immédiatement les

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autorités, ce qui lui conférait une nette supériorité sur les patrouilleurs. L’année suivante, une seconde tour fut construite dans le nord de Montréal, dans le district no 1. La compagnie Charlemagne & Lac Ouareau Lumber Co. l’érigea au sommet de la montagne Ouareau. Le garde-feu qui l’avait bâtie, T. W. Way, en fit une description complète au chef du Service de la protection : Le poste est situé sur le côté ouest de la baie, à l’extrémité sud du lac et à une élévation au-dessus du lac de 800 pieds, d’après les calculs de l’honorable juge Fortin. Vers l’est, on peut voir loin dans le comté de Berthier, au nord, à une grande distance qui n’a pas encore été déterminée, au sud et au sud-est on peut voir de l’autre côté du fleuve Saint-Laurent, et même, dans un temps clair, on peut distinguer la montagne de Belœil; à l’ouest on peut voir sur toute la largeur du comté de Terrebonne, en certains endroits la vue au nord-ouest est la moins étendue. Le poste d’observation est divisé en sections, la partie inférieure est emménagée comme une habitation pour le garde résidant, les deux étages au-dessus sont des appartements, et en haut, la tour d’observation. Chaque étage a 10 pieds de hauteur, la hauteur totale du poste est de 55 pieds, et la superstructure est disposée de manière qu’un homme peut monter sur le toit si c’est nécessaire. À la base, les dimensions sont de 24 pieds carrés, montant en rétrécissant jusqu’à 9 pieds carrés. Toute la structure est solidifiée par des étais en câbles d’acier, partant des coins au dernier étage. Un escalier relie chaque étage avec l’étage supérieur. Un monsieur de Welmington, Delaware, aux États-Unis, qui a visité le poste, disait qu’il n’avait jamais vu de point de vue comme celui que [l’on] peut avoir du haut de la bâtisse; qu’elle était admirablement située et que cela serait d’un grand avantage pour la protection des forêts. Le poste est à environ un mille et demi du chemin principal, et l’appareil téléphonique qui doit le relier avec les centres est tout prêt à être installé; quand il sera en opération, nous pourrons communiquer avec plusieurs points, entre autres, avec le bureau-chef de la compagnie, à Montréal.

S Tour construite en 1911 sur le Mont Ouareau. A.N.Q.T.R. Fonds de la St-Maurice Forest Protective Association. Cote P27-5542.

Je crois ne rien exagérer en disant que ce poste vaut quarante hommes stationnés comme doivent l’être nos gardes, et que l’on ne saurait trouver de meilleurs moyens de protéger les forêts qu’en construisant de ces stations d’observation partout où [l’on] peut en mettre dans les terrains boisés, car l’on peut ainsi indiquer aux hommes, par téléphone, le plus court chemin à prendre pour se rendre à un commencement d’incendie que l’on aurait aperçu du haut du poste. Le poste est muni de tables, compas, lunettes télescopiques, etc.103.

La construction de ces deux premières tours d’observation fut un point de départ pour l’établissement du réseau de détection qui allait prendre beaucoup plus d’envergure dans les années suivantes.

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La présuppression La lutte contre le feu exige une préparation adéquate. Historiquement, la présuppression vient compléter le processus organisationnel du système de protection en y intégrant l’entreposage et l’entretien de l’équipement, l’établissement de systèmes de communication et de transport, la connaissance du territoire, la météorologie forestière, l’apprentissage de la pyrologie et la formation. Parmi celles-ci, la météorologie fut intégrée à l’organisation de la protection dès 1889. Les données étaient inscrites dans le journal mensuel des gardes-feu et étaient utilisées rétrospectivement pour connaître les périodes plus à risque pour le feu. Cependant, à partir de l’année 1907, le chef du Service de la protection chercha à anticiper les problèmes et mit sur pied un système sommaire de météorologie forestière et de prévision du feu. Son système fonctionnait à partir de données météorologiques quotidiennes communiquées par cartes postales et envoyées de 12 points géographiques différents dans la province104. Ces données s’ajoutaient à celles transmises par télégraphe d’Ottawa, de Montréal et de Québec par le Service météorologique du Canada. L’objectif était le suivant : « […] en scrutant les bulletins météorologiques du gouvernement fédéral avec les nôtres, nous pourrons savoir quand une sécheresse nous arrivera, communiquer avec les propriétaires de concessions forestières, prendre un plus grand nombre d’aides, quand il en sera besoin105 ». Parce qu’il n’était pas rare de voir des combattants souffrir de manque de provisions lors du combat contre les incendies, la logistique dut aussi être repensée. À plusieurs reprises au cours de l’été 1908, les rapports des intendants indiquèrent que les gardes n’avaient aucun équipement pour amorcer le combat. Ils devaient donc limiter leurs efforts à contrôler le feu « en frappant dessus, à mesure qu’il courait sur la terre, avec des faisceaux de feuillage trempés dans l’eau106 ». Pour que l’équipement de lutte soit disponible en tout temps, le chef du Service de la protection proposa de construire des entrepôts à des endroits stratégiques. On demanda donc aux concessionnaires de laisser à proximité des forêts, des cabanes pour remiser des outils tels des haches-pics combinés, des pelles, des grattes, des bêches et des seaux. Ces outils devaient être marqués « pour les feux de forêt » et ne devaient être utilisés qu’à cette fin. Bilan des saisons de feu de 1906 à 1911 De 1906 à 1911, les saisons de feu furent marquées par des sécheresses continuelles. La pluie se fit rare. En 1906, du 15 avril

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au 31 octobre, il ne tomba que 430 mm de pluie, la moitié de la moyenne des 38 dernières années. En 199 jours, il n’y avait eu que 39 jours de pluie. Et, une fois sur deux, il tombait environ cinq mm. Toutefois, le véritable point critique fut atteint en 1908 alors que les feux embrasèrent une partie importante du Sud-Est québécois. Dans son rapport pour cette saison, le ministre des Terres et Forêts notait : Jamais depuis longtemps les conditions atmosphériques ne s’étaient présentées plus favorables au développement des feux de forêt que durant l’été 1908 […]. L’extrême sécheresse que nous avons eu à subir surtout en juin et durant les mois de l’automne jusqu’en novembre n’a pas donné un seul moment de répit à l’armée des gardes-feu agissant sous le contrôle commun du Département et des porteurs de permis de coupe de bois. Étant sans cesse entouré d’une fumée épaisse obstruant la vue à de très faibles distances, et qui semblait provenir de tous les points de l’horizon, il était presque impossible de rendre un compte exact de la situation des endroits les plus en danger107.

Malgré un été catastrophique, les efforts soutenus laissèrent croire que l’« armée de gardes » avait su éviter le pire. Le ministre des Terres et Forêts dans ce même rapport nota qu’« il [avait] été possible de faire face à toutes les attaques et de mettre fin aux dégâts ». Son impression d’être sur la bonne voie lui fut confirmée en 1911, alors que le Nord-Est ontarien fut détruit par une série de feux majeurs. Les secteurs ontariens de Porcupine et de Cochrane furent brûlés sur une distance de 150 kilomètres. Les deux villes subirent d’énormes pertes : plus de 70 morts et des dégâts matériels de 1,5 million à 3 millions de dollars108. De l’autre côté de la frontière, malgré des conditions climatiques et un peuplement forestier équivalents, le Québec s’en tira sans trop de dommages. Pour le chef du Service de la protection, la prévenance de son service et celle des gardes-feu des concessionnaires y étaient pour quelque chose : Le mois d’août nous a donné une sécheresse, surtout dans la section ouest de la province. Le terrain était devenu tellement sec que nous avons donné instruction d’urgence à l’inspecteur du district no 1 de voir à ce que chaque homme fut à son poste avec ce résultat que bien que nous fussions dans les mêmes conditions que dans le district de Porcupine [en] Ontario, tous les commencements d’incendies ont été étouffés et nous avons évité le malheur qui a éprouvé nos voisins109.

Malgré ces bons résultats, on enregistra pour la première fois en 1911 le décès d’un garde en service. Israël Gendron, garde-feu au service de J. R. Booth, succomba à une crise cardiaque le 31 août en combattant un feu de forêt à cinq kilomètres de la rivière Mattawa. Tout compte fait, la nouvelle organisation de la protection avait produit une amélioration substantielle depuis l’abolition de

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la taxe de feu en 1905. Toutefois, le désir de Hall de moderniser le système de protection par la construction d’un réseau de tours d’observation et de lignes téléphoniques forestières et par l’achat d’équipement de lutte devait nécessairement entraîner des dépenses extraordinaires. Les compagnies forestières de la Mauricie trouvèrent alors une solution pour diminuer les coûts d’établissement d’un premier réseau efficace de protection des forêts contre le feu.

W Forêt ravagée par le feu. Archives nationales du Québec, Fonds Office du film du Québec, Cote P721-58.

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