Chapitre 5

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différents commissaires. Son influence à l’intérieur de la Commission fut considérable, plus grande que celle du président Legris qui, selon Robert Rumilly, signa « sans enthousiasme69 » le rapport écrit par Langelier. Le 7 avril 1904, le document de 1 500 pages fut remis à l’Assemblée législative. Outre les nombreuses considérations sur la colonisation et l’exploitation forestière, la Commission s’attarda sur la question de la protection des forêts contre le feu. Le sujet était d’autant plus important que, selon Langelier, « dans [la] province, pour rester dans la sphère du praticable, le soin des forêts [devait] se borner à la protection des forêts contre le feu70 ». Trois éléments furent ainsi retenus dans le rapport. La loi sur le défrichement devait d’abord être modifiée pour tenir compte des opinions des experts qui considéraient les périodes printanières et automnales plus à risque que l’été. Par la suite, le nombre de gardes-feu devait être augmenté, tant dans l’ouest de la province que dans l’est. Enfin, l’organisation devait être protégée de l’influence politique et du patronage. À ce sujet, le rapport de la Commission stipulait que : Le personnel chargé de ce service est trop sujet aux influences politiques pour remplir ses devoirs avec l’énergie et l’indépendance qui seules peuvent en assurer l’efficacité. Dans plusieurs cas, l’influence politique a fait confier le poste de garde-feu à des hommes qui n’ont ni l’activité ni la compétence voulues pour occuper ce poste, dont dépend la conservation de la plus grande source de revenu de la province. Tous les porteurs de licences ont à leur service en permanence des gardiens de dépôts de provisions, des surveillants et des chefs de chantiers qui ont une connaissance parfaite de leurs territoires respectifs ainsi que des établissements environnants. Nous ne connaissons pas d’autres hommes aussi en état que ceux-ci d’exercer efficacement les positions de gardes-feu. Nous sommes d’opinion que ces hommes devraient être choisis et nommés de préférence à tous autres et qu’il ne devrait en être nommé d’autres que dans les endroits où il n’y en a pas dans le voisinage de terrains sous licence pour la coupe du bois. Comme de raison, le gouvernement devrait garder le contrôle de ce service, et à cette fin, avoir un ou deux officiers spéciaux chargés de voir s’il est fait avec activité et efficacité. Ces officiers circuleraient tout le temps, du 1er avril au 15 novembre, dans les territoires assignés à leur contrôle et seraient tenus de recommander la démission de tout garde-feu pour cause de négligence ou d’incompétence71.

Le premier ministre Parent avait alors en main tous les ingrédients pour la restructuration, qui était latente depuis 1901. Application des recommandations La première recommandation suivie par le premier ministre Parent fut de modifier la loi sur le brûlage des abatis. Cette proposition, soutenue par l’Association forestière canadienne depuis sa fondation en 1900, fut concrétisée en juin 1904 (voir chapitre précédent). Parent justifiait ces modifications en stipulant que, dorénavant, « ces feux ne sont permis qu’en un temps durant lequel la végétation en pleine croissance, par l’humidité qu’elle

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retient, offre un obstacle sérieux à leur propagation [du 15 juin au 15 septembre]. Tandis que ce mode de défrichement n’est plus toléré au commencement du printemps et à la fin de l’automne, lorsque les conditions de la feuillée et du sous-bois sont tout à fait différentes72. » Ces modifications, accompagnées de permissions ou de restrictions spéciales en cas de sécheresse ou de pluie abondante, exigeaient une surveillance accrue de la part des gardesfeu. À la lumière du rapport de la commission, leur nombre devait être augmenté. Parent demanda à W. C. J. Hall de lui présenter un plan dans cette intention. Le 12 juillet 1904, Parent reçut la note de Hall à ce sujet73. Après avoir fait un bilan de la situation, il proposa d’augmenter la taxe à 0,001 $ l’hectare et de cesser de payer les frais d’extinction, partagés jusqu’alors à 50 % avec l’industrie. Selon Hall, la dépense supplémentaire occasionnée par l’augmentation de la taxe — le gouvernement devait contribuer à part égale — justifiait l’abandon du partage des coûts d’extinction. Son projet permettait entre autres choses de faire passer le budget provincial de 17 000 $ à 32 500 $ et de faire passer le nombre de gardes réguliers de 60 à 108 pour l’ouest (districts nos 1 et 2) et de 13 à 58 pour l’est de la province. Ainsi, la distance moyenne patrouillée passerait de 1 150 à 644 kilomètres dans l’Ouest et de 2 720 à 612 kilomètres dans l’Est. La proposition de Hall, acceptée par Parent, devait maintenant passer le test de l’industrie. Les marchands des districts nos 1 et 2 et la Quebec Limits Holder’s Association (au nom des marchands de bois de l’Est) allaient être consultés à ce sujet74. La première réunion au sujet de la réorganisation eut lieu à Ottawa, le mardi 11 août 1904. Les concessionnaires impliqués dans l’organisation des districts nos 1 et 2 furent rencontrés par les deux intendants de ces régions, Cormier et McCuaig. Trois points étaient à l’ordre du jour : l’augmentation de la taxe, le maintien de la contribution égale et conjointe du gouvernement et l’abolition du partage des frais d’extinction. La réponse fut transmise le lendemain par le secrétaire des concessionnaires au sous-ministre E.-É. Taché, qui avait convoqué ce tête-à-tête entre l’industrie et le gouvernement. L’augmentation de la taxe et le partage des coûts furent acceptés à l’unanimité par les marchands, contrairement à l’abandon du partage des frais d’extinction, qu’ils estimaient injuste. Dans une lettre adressée au sous-ministre, le marchand de bois G. H. Perley écrivait : « Toutefois, nous ne croyons en aucun cas qu’il serait équitable de demander aux détenteurs de licence d’assumer les coûts liés à l’extinction des incendies75. » La polémique allait prendre de nouvelles proportions avec l’arrivée des marchands de l’Est dans le débat. Au cours des mois de juillet et d’août, les membres de la Quebec Limits Holder’s Association furent consultés à leur tour.

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Association pourraient changer la donne politique, démolissant au passage tout le travail que Cormier avait accompli au cours des dernières années. Il fallait donc agir immédiatement. Déjà, au mois de février, une nouvelle conférence dans l’est de la province (Gaspésie, Bas-Saint-Laurent) avait mené à une proposition complète de l’industrie pour réorganiser la protection des forêts de cette région. Les marchands, dirigés par Paul Owen, secrétaire de la Quebec Limits Holder’s Association et par William Price, avaient proposé d’abolir la taxe dans leur région pour permettre aux concessionnaires de recruter les gardes qu’ils jugeaient compétents et de décider du nombre requis77. Hall prépara une nouvelle note de service (15 mars 1905) pour en informer le premier ministre. Ce dernier devait démissionner quelques jours plus tard. Bien qu’une enquête gouvernementale l’eût blanchi des accusations de corruption, Parent, à la fois premier ministre et ministre des Terres, Mines et Pêcheries, démissionna de ses fonctions le 21 mars 1905. Deux jours plus tard, Lomer Gouin chaussa ses souliers de premier ministre et Adélard Turgeon se vit confier les Terres, Mines et Pêcheries. La restructuration put être reprise là où elle avait été laissée. La restructuration Le 1er avril, quelques jours après sa nomination, le nouveau ministre Turgeon fut informé de la proposition de l’industrie forestière de l’Est québécois78. La Quebec Limits Holder’s Association réclamait alors que le gouvernement abolisse la taxe de feu, que les détenteurs de licence protègent leurs propres concessions, que des intendants inspectent le travail des compagnies, que le gouvernement assume les coûts de surveillance des chemins de fer et de colonisation, et que les frais pour l’extinction des feux soient répartis également entre les propriétaires et le gouvernement. W. C. J. Hall indiqua alors au ministre qu’un tel système, si mis en place, commanderait la supervision constante du gouvernement et que la soumission d’un rapport mensuel des gardes-feu ainsi que des listes de paies serait essentielle. Il en profita pour mentionner que la fonte des neiges était très précoce cette annéelà et qu’une décision rapide devait être prise. Un nouvel intendant pour le sud du Saint-Laurent avait été nommé quelques mois auparavant et n’attendait plus que les ordres de Québec pour entamer l’organisation de son district. La décision tomba. Turgeon choisit de tester la bonne volonté de l’industrie en abolissant la taxe de feu pour l’est de la province. Cette mesure lui permettait à la fois de stabiliser les dépenses gou-

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vernementales en matière de protection et surtout de distancer le gouvernement et l’industrie, accusés de copinage. L’est de la province en général, la Gaspésie en particulier, servit alors d’éprouvette à ce nouveau modèle d’organisation. La saison de feu de 1905 Pendant l’été 1905, deux systèmes furent donc effectifs dans la province. Dans l’Est, la protection était laissée aux soins des concessionnaires et surveillée par un intendant. Dans l’Ouest, l’ancienne formule de la taxe de feu était toujours en vigueur. Tandis que dans l’Est les choses se déroulèrent relativement bien, l’Ouest connut certains problèmes liés au patronage. C’est alors que le ministre Turgeon saisit l’importance de modifier la formule pour l’ensemble de la province. Les problèmes survinrent dans les Pays-d’en-Haut au moment où l’intendant Cormier décida de remplacer l’ancien garde, Adolphe Robidoux, par le garde-pêche, Moïse Fleurant, pour la protection de la région du nord de la rivière Rouge et de la paroisse de Saint-Jovite. Robidoux était un fidèle serviteur du Parti libéral, respecté de la population et souvent plus enclin à obéir aux impératifs de la colonisation qu’à ceux de la protection des forêts contre le feu. Cormier craignait que Robidoux ne relègue au second plan l’application de la loi, laquelle empêchait désormais de brûler les abatis au printemps. À la suite de la destitution de Robidoux, les habitants de la région se soulevèrent, redoutant que Fleurant ne soit pas aussi indulgent que son prédécesseur. Le député de la région, Jean Prévost (1870-1915), informa le ministre Turgeon de la situation. Dans une lettre qu’il lui fit parvenir en avril 1905, il s’insurgeait contre l’insubordination de l’intendant Cormier à son endroit : J’apprenais hier par lettre de l’honorable juge Robidoux que, sur la demande de monsieur Cormier, M. Adolphe Robidoux avait été destitué comme garde-feu de Saint-Jovite et qu’il avait été remplacé par Moïse Fleurant. Je n’étais pas encore revenu de la surprise que m’a causée cette nouvelle d’une destitution et d’une nouvelle nomination faite hors de ma connaissance dans mon comté, où je ne crois pas avoir jamais démérité la surveillance du patronage à exercer, lorsqu’une nombreuse délégation de mes bons électeurs de Saint-Jovite, me croyant l’auteur de cet acte, s’est rendue à mon bureau pour m’exposer l’injustice que j’avais commise en y coopérant et me demander de vouloir bien la réparer79.

Malgré la plainte de Prévost, le ministre fit confiance à Cormier et ne demanda pas la réintégration de Robidoux. La population de Saint-Jovite ne l’entendait pas ainsi. Le garde-feu Fleurant se présenta le 14 mai, sur le parvis de l’église de Saint-Jovite, pour indiquer à la population que la loi empêchait depuis l’année précédente le brûlage des abatis entre le

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15 mars et le 15 juin et entre le 15 septembre et le 15 novembre et que, dorénavant, elle devait être appliquée. Mais, au même moment, Jacques Léonard, qui se prétendait commissionnaire du ministre Turgeon, exposa une lettre affirmant que les colons pouvaient brûler les abatis à n’importe quel moment pourvu qu’aucun dommage ne soit fait sur les terres de leurs voisins. Le lien de confiance entre le garde et la population était rompu et sa légitimité grandement compromise. Les habitants continuèrent donc de brûler, comme à l’habitude. Le garde-feu Fleurant combattit avec vigueur la négligence de la population en obligeant, sans grand succès, les colons à éteindre leurs feux. Le garde, exaspéré, se plaignit à Cormier de cette situation hors de contrôle : Avez-vous eu connaissance de cette lettre en question, car c’est réellement provoquant de se faire dévisager par des prétendues instructions aussi contraires et ceci est la deuxième fois ici. Inutile de vous dire que le public se regorge et me hue à ce propos même jusqu’à faire des propos de menace contre moi, même des menaces criminelles disant qu’on tirera sur moi si je fais exécuter les règlements80.

La plainte de Fleurant fut acheminée à la fin mai au bureau du ministre par Cormier, et Hall prit connaissance de la situation81. Le 10 juin, le sous-ministre Taché demanda une liste des colons ayant enfreint la loi en vue d’engager des procédures légales. Cormier lui fit suivre la liste, établie par Fleurant, mais aucune poursuite ne fut entamée. Chose certaine, cette polémique mit en évidence les lacunes de l’ancien système. En contrepartie, dans l’est de la province, la situation s’améliora considérablement par rapport aux années précédentes. Dans son rapport pour la saison 1905, le nouvel intendant des feux, J. A. Levasseur, écrivait : Les colons sont ceux, j’ose le dire, qui ont le plus contribué à la destruction de nos forêts. Dispersés au milieu du bois, ayant à défricher et à ensemencer le plus vite possible, ils mettent le feu afin d’obtenir des résultats plus immédiats et ne prennent pas même le temps d’abattre et d’empiler; ils allument le feu même dans les plus grandes sécheresses là où les feuilles de l’année précédente et la mousse qui tapissent les sols n’attendent qu’une étincelle pour s’enflammer : « le temps est venu de brûler; il faut brûler », disent-ils, et tout brûle en effet82.

Il ajouta, toutefois, que la nouvelle organisation mise en place en Gaspésie avait réussi à vaincre cette négligence : « Heureusement qu’avec le concours des marchands de bois ainsi qu’avec la nouvelle organisation, nous n’avons plus à nous plaindre. Bien que le personnel fût absolument nouveau, les marchands de bois ont su toutefois faire un choix judicieux d’hommes compétents et expérimentés, qui m’ont donné satis-

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Les propriétaires de concessions forestières pourront y mettre un aussi grand nombre de gardes qu’ils le voudront, mais dans le cas où un propriétaire négligerait d’y mettre un nombre raisonnable d’hommes, alors le gouvernement le fera, et percevra à la fin de la saison la dépense ainsi encourue. Les concessionnaires feront tous les mois des rapports généraux; et s’il survient des incendies, le gouvernement exigera des détails. Tous les gardes-feu seront munis, aux frais du gouvernement, d’insignes, d’instructions imprimées, d’affiches et de circulaires aux colons. Les gardes qui refuseront de remettre leurs insignes quand on les leur demandera seront passibles d’une amende de 5,00 $. Québec, 24 janvier 190684

Ainsi, après avoir forcé la main à l’industrie pendant une trentaine d’années pour qu’elle partage les coûts reliés à la protection de ses concessions, le gouvernement embrassa la proposition de la Quebec Limits Holder’s Association, qui voulait que les compagnies soient chargées de la mise en œuvre du système tout en étant soustraites à la fameuse taxe de feu. De son côté, le gouvernement conservait son pouvoir de coordination en étant certain que ses dépenses en matière de protection n’augmenteraient pas. Il ne restait plus qu’à s’assurer que le travail serait fait convenablement et équitablement.

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