#socio# En Quête D'une Intelligence De L'agir Par Mesnier Et Vandernotte Isbn 2-296-96226-2 • 2012 • 244 Pg Ocr 72.pdf

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  • Words: 145,551
  • Pages: 260
Sous la direction de

Pierre-Marie MESNIER et Christophe VANDERNOTIE

En d'une i de

ete lligence A

Praticiens en recherche-action

Collection

Recherche-action en pratiques sociales

Éditions L'Harmattan

5-7, rue de l'École-Polytechnique, 7 5005 FRANCE

«

Collection

Recherche-action en pratiques sociales » Dirigée par Pierre-Marie MESNIER et Philippe MISSOTTE

Cette collection se propose de faire connaître des travaux issus de recherches-actions. Les unes sont produites dans un dispositif de

formation par la recherche, créé dès 1958 par Henri Desroche à

! 'École des Hautes Études ; il associe depuis vingt ans Collèges coo­

pératifs et Universités (Diplôme des Hautes Études en Pratiques So­ ciales) ; d'autres sont issues de nouvelles formes d'intervention : ateliers de recherche-action collective visant le développement social,

les formations à l'accompagnement collectif ou individuel de projets;

d'autres enfin s'élaborent à partir d'expériences de terrain et/ou de

travaux universitaires. Revendiquer aujourd'hui 1 'actualité de la recherche-action relève du paradoxe. D'un côté, notamment dans le champ de la formation, elle est marquée par des courants qui remontent aux années soixante

et ont donné lieu à bon nombre de publications jusque dans les années quatre-vingt. De l'autre, on constate actuellement un retour de publi­ cations et, dans de nombreux secteurs - entreprise, travail social,

formation, politique de la ville, actions de développement au Nord

comme au Sud - , des formes de parcours apparentées à la recherche­ action, qui apparaissent d'ailleurs souvent sous un autre nom: forma­ tion-action, recherche-formation, formation-développement, diagnostic partagé, auto-évaluation, praxéologie... D'où l'importance, au travers

des formes que prend aujourd'hui la re cherche-acti on

y compris à contre-courant, ses valeurs fondatrices.

,

de promouvoir,

La recherche-action porte en elle une vision de l'homme et de la société. Elle permet la production et l'appropriation par les acteurs de savoirs reliés à leurs pratiques, ce que la recherche classique ne

sait pas faire. Derrière la recherche-action se profile un réajustement du savoir et du pouvoir au profit des praticiens. Elle leur permet aussi de donner une visibilité plus construite à leurs pratiques. Elle trans­ forme le sujet en acteur. Elle est transformation du social.

4

Sommaire Introduction

Face aux défis sociaux contemporains, un chemin de formation nouvelle entre la connaissance et l'action Pierre-Marie MESNIER et Christophe VANDERN01TE

.................................................................................

7

tère partie

Présentation générale de la recherche-action : origines, fondements, développement

................................................

L'origine de la formation par la recherche et la recherche-action, sur les traces d'Henri Desroche et de ses compagnons Roland COLIN

...................... .....................

Recherche-action, DHEPS et formation d'adultes Guy AVANZINI

....................................................

La recherche-action en formation d'adultes, une autre façon de chercher Pierre-Marie MESNIER et Philippe MISS01TE

..........

Recherche-action, genre et développement. Une combinatoire pour le changement Marie-Lise SEMBLAT

................................... .............. . . ..................

11

13

23

37

55

2ème partie

L'apprentissage du processus de recherche-action dans la 1 ère étape du Master (DHEPS-Ml)

.............................................

77

L'acquisition de la posture et des méthodes de la recherche par des praticiens: une recherche à quelles conditions? Emmanuelle BE1TON et Florence VATIN

79

L'autobiographie raisonnée, première étape d'engagement dans une démarche de recherche-action Christophe VANDERN01TE

97 .

.......................................

...................................................................

5

Observer, décrire. Enquête exploratoire et démarche monographique Philippe MISS01TE

113

La recherche-action, un moyen de penser et de transformer ses pratiques Marie-Anne DU]ARIER

127

....................................................................................

......................... . ......................................................

En quête d'une pratique sociale de formation soutenue par la recherche-action: l'expérience de Cahors (1987-1993) ............................. 139 Arève ATCHIKGUÉZIAN D'une recherche-action individuelle à un engagement collectif. L'expérience de Cahors (1987-1993) au cœur de la pratique sociale Roland COLIN Mettre en chemin d'écrire, mettre en chemin de penser Ghislaine de SURY

..................

163

......................................

173

Une formation professionnelle supérieure par la recherche-action : effets ordinaires, effets spécifiques? Présentation et analyse des témoignages de 17 diplômés du DHEPS Pierre-Marie MESNIER

...........................................................

Conclusion

............................................................................................................

189

231

Pierre-Marie MESNIER et Christophe VANDERN01TE

Index des principaux sigles et acronymes Table des matières

6

.........

.

........................................... ................

235

, ......................................................................................... 237

Face aux défis sociaux contemporains, un chemin de formation nouvelle entre la connaissance et l'action

Pierre-Marie MESNIER1 et Christophe VANDERNOTTE2

L

'emprise humaine sur l'espace et le temps, accélérée dans l'histoire présente, appelle une �ion renouvelée des frontières conventionnelles entre l'intel­ li ence et l'a ·r. Les institutions, par effet d'inertie, peinent souvent à s'ouvrir à de nouvelles configurations. En ce sens, la formation des compétences exigées par la gestion des projets de société appelle de très vives innovations, en mesure de générer des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être en prise avec les forces instituantes du champ social. La recherche-action, au sein des services de formation universitaires ou para-universitaires a démontré à la fois la pertinence de ses mé­ thodes et son potentiel d'innovation. Reconnaître l'importance, en formation d'adultes, du vécu social et profes­ sionnel des acteurs, a, dans la même logique et le même temps, abouti à l'officiali­ d� l'expérience (VAE). Ces deux voies, celle de la sation de laVâlidation des ac recherche-action et celle de l�ont entrées en résonance, confirmant le génie et l'audace 'Henri Desroche.

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En quoi la recherche-action constitue-t-elle une démarche pédagogique par­ ticulièrement adaptée pour des adultes en reprise d'études, des professionnels désireux de se former à partir de leurs pratiques et de leur expérience ? Quelles modalités d'intervention propose-t-elle aux acteurs engagés dans un processus de changement coopératif? Quelles sont les principales étapes d'une démarche de recherche-action ?

1 - Pierre-Marie Mesnier est m aître de conférences en sciences de l'éducation et responsable péd ago­ gique du Master DE PRA de Pa ris I l l. 2 - C h ristophe Vandern otte est consultant en ressou rces h u m a ines et coach maïeuticien. I l est co-fon­ date u r du réseau REPAI RA (Réseau des Professionnels de !'Accom pagnement et de l'intervention par la Rec herche-Action).

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En quête d'une intelligence de /'agir Telles sont les principales questions auxquelles les auteurs de cet ouvrage, réparti sur deux tomes, ont cherché à répondre. Leur projet: faire connaître un dis­ positif spécifique de formation d'adultes dans lequel la recherche-action se situe au cœur du processus, et capitaliser les expériences, les savoirs et les savoir-faire de la plupart des concepteurs et intervenants impliqués dans ce cursus.

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En 1958, Henri Desroche, sociologue des religions et du développement à l'École Pratique des Hautes Études (EPHE) a l'idée de créer un diplôme destiné à des praticiens désireux de mener une recherche-action à partir d'un questionnement ancré dans leur expérience professionnelle et/ou sociale. À l'approche de la retraite, il sollicite un certain nombre d'universités en vue d'une implantation de cette formation3. Le DHEPS (Diplôme des Hautes Études des Pratiques Sociales) est le service de la formation continue de la Sorbonne Nouvelle - Paris III cr e us l'impulsion d'Henri Desroche et de Janine Grière.





Les liens entre Paris III et le Collège coopératif de Paris aboutissent fin 2002 à la création d'un DESS «Formateur d'adultes: accompagnateur de projets collectifs et individuels par la recherche-action», devenu Master intitulé DEPRA (Développe­ ment des Pratiques professionnelles et sociales par la Recherche-Action). Cette for­ mation comprend un Ml (le DHEPS) et un M2 issu du DESS. Elle sera habilitée deux fois par le ministère de l'Éducation nationale en tant que Master 2 en 2005, puis en 2009, ce qui lui donne le statut de diplôme d'État. Il s'agit d'un des rares Masters s'adressant exclusivement à des adultes porteurs d'une expérience professionnelle et/ou sociale d'au moins cinq ans et n'intégrant pas d'étudiants de formation ini­ tiale. Le dispositif de Validation des acquis personnels et professionnels a permis de faire entrer dans cette formation des personnes n'ayant pas nécessairement ob­ tenu un diplôme de niveau Bac+ 3. Le premier tome d'En quête d'une intelligence de /'agir. Praticiens en re­ cherche-action, après une première partie introduisant les fondements de la re­ cherche-action, consacre la seconde partie au Master 1 (DHEPS). Dans ce cursus, des praticiens, tout en continuant leur activité, entrent progressivement dans une démarche de recherche en sciences sociales autour d'un questionnement qu'ils re­ pèrent et choisissent eux-mêmes. Le second tome de l'ouvrage, sous-titréA ccomp a gner des recherches-actions individuelles et collectives, se centre sur le Master 2 DEPRA dans lequel des praticiens, ayant suivi la formation DHEPS ou une formation ­

3 O u t re celui de Pa ris, trois autres Collèges coopé ratifs sont créés, Lyon , Aix-Marseille et Rennes, q u i entrent chacun en partena riat avec une u n ive rsité proche. À côté de ces partena riats d i rects, plu­ sieurs u n iversités vont créer le u r p ro p re fo rmation D H E PS : Paris I l l , Tou rs, Tou louse Le M i rail, Dijon, Besançon, Angers (U CO) , M u lhouse et Strasbou rg. Strasbourg a la particula rité d'avo i r c réé d'autres partena riats p o u r le D H E PS : La usanne (S uisse) et Linz (Autriche) . -

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Introduction similaire, passent de la recherche-action individuelle à une fonction d'accompagna­ teurs de projets collectifs ou individuels par la recherche-action. Au risque de donner au lecteur pressé l'impression d'avoir affaire à un patch­ work ou à un puzzle, nous avons fait le choix d'un récital sur la recherche-action, où chaque formateur traite sa partition complètement selon son angle de vue. Ce premier tome s'enracine d'emblée dans l'héritage d'Henri Desroche et de ses compagnons, visité par deux d'entre eux: Roland Colin, pour ouvrir la voie d'une formation pour praticiens du social et Guy Avanzini, pour analyser son aspect innovant et sa pertinence. Marie-Lise Semblat confirme la puissance de changement du processus par et pour l'autopromotion des femmes en France et au Sénégal. Pour inaugurer la deuxième partie, centrée sur les apprentissages, Florence Vatin et Em­ manuelle Betton explorent les conditions du trajet et ses exigences. Les deux étapes « starter » de l'itinéraire, autobiographie raisonnée et enquête monographique, aboutissent à la vision en profondeur du cheminement de la recherche-action pour apprendre à penser de Marie-Anne Dujarier. Arève Atchikguézian et Roland Colin montrent dans un cas concret conduit à Cahors comment la démarche de recherche combinée à la détermination des chercheurs-acteurs crée les conditions d'une trans­ formation des personnes autant que d'une parcelle de société. Ghislaine de Sury scrute le difficile passage à l'écrit à partir de l'évolution d'un étudiant jusqu'à la thèse. L'analyse des témoignages de 17 praticiens sur leur parcours dévoile un pa­ norama sur les effets d'une formation par la recherche-action. Ainsi s'établit une anthologie ou un florilège de regards différents sur le même objet pour le révéler dans toutes ses dimensions. Par-delà les frontières

Ajoutons enfin qu'à l'heure de la mondialisation, l'avenir de la recherche­ action n'a nullement vocation à se cantonner dans l'espace francophone ou euro­ péen. Les témoignages ici rassemblés pourraient s'enrichir de multiples initiatives menées sur différents continents. Elles ont un dénominateur commun: être des dé­ marches de productions de savoirs expérientiels au service du développement so­ cial, dans une fertilisation mutuelle entre acteurs et chercheurs-acteurs. La recherche-action porte en elle une vision renouvelée de l'individu et de la société. Henri Desroche aimait à dire :
9

1 Présentation générale de la recherche-action : origines, _____

fondements, développement

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L'origine de la fo rmation par la recherche et la reche rche -action Sur les traces d'Henri Desroche etdesesconipagnons Roland COLIN1

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a démarche inductive est vieille com me le monde : c'est la reconnais­ sance de l'expérie nce du rée l com me so u rce de savoir permettê.D!.êu stijet d 'agi r e n « alliant son p rojet à son trajet », pour re pre n d re une conceptua 1sa ion c e re à Hen ri Desroche. I l faut reco n n aître à ce dernier une p lace é m inente dans la construction des voies (« trajets ») qui ont fa progresser, dans la période contem poraine, la « formation par la recherche e n sciences sociales, tout particu lièrement dans le cham p u n iversita i re, si l' U n ive rsité se conçoit co m m e le lieu où les savo i rs singuliers se conju­ guent, se dépassent en se transmettant, pour toucher « l' u n iversel ». Si l'on conçoit les ch oses de cette manière, les institutions u n ive rsitaires n e peu­ vent e n aucune façon se penser séparément d e tous les lieux où l'i nte lli­ gence est à l'œuvre p o u r éclaire r l'action, à to us les n ivea ux. Mon propos est d e porter tém o i gnage, po u r une bonne part dans l'esprit du com pa­ gnon, sur la façon dont a é m e rgé la formation oa r la recherche dans ce champ où Desroche a joué, sur le long terme et avec de nombreuses éq uipes, le rôle d ' a n i m a te u r, de concepte u r, de sti m u late u r, pa rfois d'agitate u r, i n lassable ment d'accom pagnate u r et, d isons le mot, p o u r re pre n d re une réfé rence africaine fam i lière, de « m aître d'in itiation » . Ceci nous con d u it à rechercher co m ment lui-même a été in itié à cet e n gagement dévorant d ' u n e vie soute n u e par l'énergie passionnée d'éclaire r et de transm ettre.

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1 Roland Colin, d octe u r en anthropologie, est a ncien d i recteu r d e recherche a u x un iversités d e Paris -

Ill et Paris VIII.

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En quête d'une intelligence de /'agir

Remontons a ux origines. H e n ri Desroche est u n fils d'artisan (voi r l e s té m o i gnages q u' i l e n d o n n e d a n s s e s Anamnèses testamentaires2) , préparé par l à même à l'évidence de l a constitution des com pétences par l'a pprentissage acq uis sur le « métier » o ù prend forme l'o uvrage. Entré a u se u i l de sa vie d ' h o m m e dans l'ord re des D o m i n icains, i l bascu le d u monde de l'artisanat vers ce l u i de l a ha ute théologie, sans s e d é p o u i ller pour autant de ses sensibilités pre m ières. Il reçoit les leçons du thom isme, to ut parti c u lière m e n t par l'entre m ise du Père Chen u , q u' i l considére ra toute sa vie co m m e son « père en p h i loso p h i e », et s'installe défi n itivement dans la postu re des inte rrogations m aj e u res : co!!! m ent i nterpréte r le réel po u r le re n d re i ntelli i b ' ' h o m m e constru isant son « s stèm e d u m o n e » ? Sa passion philoso p h i q u e l e con d u it au rendez-vo us de l a pen­ sée m a rxiste dont !'�roche c ritique d e m e u rera, p o u r l u i , un réfé rent essentiel, le con d u isant au-delà des dogm atismes q u'il dénonce, et l'ouvrant à la fascination des entreprises collectives - non pas, pour a utant, « collectivistes;;:-o n terme-clé sera, à ses ye ux, très tôt, celui de « corn,,,,__ m u nauté ». À peine term i n é le c u rsus i ntensif des acq u isitions intellectuelles p h i loso p h iq ues, il troq ue le studium po u r l e chantier. Son nouvea u maître est alors Lo u is-J oseph Le bret, d o m i n icain « s ki p p e r des navigations en ha ute mer », qui ('entraîne dans l'aventu re de la fon d ation d'Économie et Humanisme. Desroche est très vite s u r le terrain, dans le monde du travail, y retro uvant son c 1 m at d'enfance, q uasi m ent proche de l' u n ive rs des prê�s o uvriers Sa reoccu ation est particüliêrement d'ôîivrir sês cornpa gnons à la fo mation ind ispensable pour soutenir le u r « rati ue sociale » ' o ri e ' sous le o u e rage es uttes social q u i en proce en . est, e s u rcroît, le d i recte u r de la revue Idées et Forces éd itée par Économie et Humanisme. S'il se réfère a u m a rxisme, c'est e sentiellement a u « jeune Marx » d'avant la « co u p u re é pisté m o logiq ue », et cite volontiers, de ce dern ier, u n e sentence à coloration h u man iste : « la

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culture est un choix signifian t le refus d'admettre que l'homme est le pro­ duit de ses produits ». Lebret l'approuve s u r un terra i n q u e les a uto rités

ro maines de l'é poq ue esti ment truffé d'e m b û ches. To us d e ux s'engagent

2 - « Mon éducation est u n échantillon d'une éducation " populaire " au sens spontané avant toute formalisation institutionnelle[... ] Mais, par contre, cette " éducation populaire " aura été " englobante " et " globale "; endogène et communautaire ; didactique et initiatoire ; de l'esprit et du cœur ; disci­ plinaire et conviviale ; instrumentale et rituelle ; coopérative et mutualiste i n cognita ; studieuse et festive ; simultanément éducation sociale et société éducative... j'ai été ce petit plébéien porté et propulsé par Je petit peuple de ma paroisse et de mon faubourg[... ] En racontant " mon " histoire de vie, je raconte une histoire d'éduqué et d'éduquants, de " s'éduquants ", qui n 'est pas seulement la mienne ». H. Desroche, Anamnèses, Cahiers de maïeutique n° 4, BH ESS- B ECC, 1990, pp. 20-21.

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L 'origine de laformation par la recherche et la recherche-action

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unauté Boimondau Boîtiers de mon-13 0; wJ1J<. e communauté de tratres du Dauphine» , arc etype em em tetti vail, ancêtre des Sociétés Coopératives Ouvrières de Production (SCOP), où ils occupent, comme« acteurs-chercheurs-formateurs», de leur propre aveu, la place« d'intellectuels organiques», au sens e Gramsci3. a pro- � 17-­ blématique est alors celle-ci: comment une communauté de travail peutelle générer la connaissance utile, à partir de sa« pratique sociale» pour � que ses membres disposent des compétences nécessaires à la mise en œuvre de leur« praxis»? C�rtains concepts marxiens ne sont pas loin, mais n les déborde en mettantl'homme au centre : le « sujet» maître de son . e e son « proie ». a terminologie desrochienne traiet » aemeure p1lo sort des brumes, s'opérat1onnalise. ·

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Ainsi se met en place l'essentiel des éléments qui vont inspirer, soutenir les lignes de travail à venir. Les lendemains de l'effroyable Seconde Guerre mondiale se peuplent d'effervescentes espérances. Lebret et Desroche en sont parties prenantes. Mais bientôt s'installe la confronta­ tion sans merci de la guerre froide. Le marxisme fait partie des enjeux d'idées et des combats sociaux et politiques. L'équipe d ' Économie ët Humanisme s'attache à ramener le débat à ses foridiiTientaux e soci'té, rêv nt 'acclimater en terre e 1 er e es apports e Marx de montant les mécanismes de l'exploitation, tout en es e uranfêleleurs ng1 1tes méta­ P. hYSiques.· He - nri Desroêhëest en première ligfïë.Së rangeant au nom r des atisseurs de communautés humaines fraternelles. Il écrit Significa­ tion du marxisme (Ëditions Ouvrières), que Lebret approuve, que Rome réprouve. li est sommé de se soumettre ou de se démettre et choisiLd.e artir. C'est l'année 1951. D vif �





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C'est alors que, dans le rude dénuement de la condamnation, il est � confronté au défi de retrouver une place dans l'univers de la « Rraxis so(Bt () � ciale ». li connaît ainsi une situation qui sera celle de certains de ses étu1ants du futur. Ne possédant aucune référence universitaire hors de sa haute formation philosophico-théologique, le voilà adossé à ses années d'engagement sur le terrain avec Lebret. La voie qui lui reste, c'est de s'ins­ crire à l'Ëcole Pratique des Hautes tudes, où aucun pré-requis acadé­ mique n'est exigé. li y postule m odeste m e nt u n diplôme de socio logie. La méthode d"ëi'Eèciie ïùfconvient parfaitement: elle est fon ee sur un tutorat encadrant la production d'un mémoire, qui sera jugé par deux rapporteurs issus du corps professoral. li y voit l'équivalent du « chef d'œuvre » construit sous le regard du Maître tel qu'on le pratique dans le monde d //

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En quête d'une intelligence de /'agir



com pagn o n n age q u' i l connaît m ie ux q ue q u iconque. I l choisit son thème et son sujet dans la ga mme de phénomènes qui lui tient le plus à cœ r les « com m u nautés », en l'occu rrence les S h a kers nord-américains, d n il analyse la culture, le_s pratiq u es, les problèll]�S. Le résu ltat est fu lgu n à tel point q ue l'asse m b lée des d i recte u rs d'études le convie à pos r sa can d i d atu re po u r les rejoin d re . Il est a p p uyé to ut parti c u lière m e n t par François Pe rroux, q u i ava it fait partie du gro u pe d'Économie et Huma­ nisme, et ré ussit son rite de passage dans un contexte totalement inédit : l'a p p renti se m ue en Maître, sans co u p férir. I l est vrai q u e son che min d'apprentissage, dans to ute son extension, s'était égrené au fil d ' u n e h is­ toire riche et déjà longue. N o u s som mes en 195 5 . S a d i rection d'études s e bâti ra au confluent de deux disc i p lines : la sociologie d es rettgturrmr · mmu n a utâi � l _ _ ratnce. u 1en cô . rrmet nspi mp sOëioTogie e laëoo pération ë't d ü d é� elop p: e mëntêëimm ëêh " · 3;a ë î de · pra - rüït e n ti é nsî c tique sociale . es .«.cûmlifùnarrs·m-ès ;; o s n re la o e - · cg no i e s ocialëqü'i lâlâfgênïé"rïrfrêq uentée=<
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ation par la recherche et la recherche-a ion

Directions d'Ëtudes couvrant essentiellement le champ des sciences sot Ainsi naissait l'Ëcole des Hautes Ëtudes en Sciences Sociales (E Hl dont Desroche était partie prenante, et qui conservait, sous forme de fran­ chises, les mêmes règles de recrutement, de pédagogie et d'attribution du diplôme, reconnu par l'Ëducation Nationale comme équivalent à une îtrise. Le rayonnement de la direction d'études de sociologie de la coopétio efëfuëlève oppement ne cessai e s eten re. our y faire face, en � p·arîenariat avec ses interlocuteurs de l'économie sociale Desroche avait r:\ rée ifne s rue ure associa ive enommee « Collège coopératif». Ce der- '"'U, ri-·r"quaTiîfcatif se-rec amait d'une double connotation sémanti ue: d'une f ' art il marquait le lien avec l'univers dt.! coopérativisme d'autre part il in'::.) diquait le cham de la coo érati n, au sens le plus large, comme un terrain c de recherche et d'action spécifique. L'avenue Franco-Russe devenait, de r:fe. la sorte, le haut lieu d'une avancee intellectuelle touchant à la fois les phé- éG). omènes communautaires et le développement, reconnu non seulement dans l'espace scientifique français, mais sur un plan bien plus large. L'en­ seignement y était assuré par une équipe procédant à la fois du monde universitaire et de celui de la pratique sociale. L'EHESS attribuait, comme à ses autres pôles, à la chaire desrochienne des postes de « chargés de conférence» habilités, à la condition de posséder les grades universitaires requis, à assurer, auprès de Desroche, des directions de recherche enca­ drant des mémoires. Dès que j'eus soutenu ma thèse de doctorat d'Ëtat, en 1977, je reçus une telle habilitation, s'étendant de surcroît à la forma­ tion doctorale de sociologie dont Henri Desroche était membre. Le recru­ tement des étudiants était assuré par la double filière du secrétariat de la direction d'études (EHESS) et par le Collège, reliés par une direction unique, et qui constituait le cadre concret d'organisation du travail ordinaire de for­ mation, ce qui donnait à la structure un potentiel élargi d'opérationnalité.

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Le Collège avait été ainsi créé en 1959 et, très rapidement, la demande /' interna 1ona e vm s articuler a ar 1cu ièrement t-'� a aptée aux besoins des projets de développement. Au fil de la route, la C4.. direction d'études à l'EHESS avait pris e nom e « ciences sociales ap- A pliquées aux développements». Ce dernier caractère se trouva particulièrement légitimé lorsque Desroche, à partir de 1961, à la suggestion du Père � Lebret, fut appelé à collaborer avec l'équipe chargée par Mamadou Dia, • premier chef du gouvernement du Sénégal indépendant, d� concevoir eT de mettre en œuvre le premier plan de développement sénégalais. Mamadou Dia, militant historique des creat1ons coopératives dans son pays, trouvait en la personne d'Henri Desroche un interlocuteur de choix () tant sur le plan intellectuel que sur celui de l'action. À ce titre, ce dernier





17

En quête d'une intelligence de /'agir

fut appelé à u n rôle maje u r dans la création de !' É cole Nationale d' É conomie Appliq uée (EN EA) à D a kar, fo ndée s u r u n e pédagogie se distri b u ant en « collèges » (d ont u n Collège coo pératif) , et dont la doctri ne de réfé rence s'insc riva it d a n s la fo rmation par la rec h e rc he-act i o n . À partir de là, le Collège de Daka r envoya au Collège de Paris une part notable de ses étu­ d iants les plus avancés - futurs cadres su périe u rs d u déve lo ppement sé­ négalais - q u i visaient non seulement le d i plôme d e l' E H ESS, mais, pour les plus performants, le doctorat pour leq uel Desroche avait, de plein d roit, une habi litation au titre de l' É cole. Cette extension faisait tache d ' h u i le, et le Collège parisien recevait des ét u d iants de pl us e n plus n o m b re ux provenant de pays afritai ns Aîriq u e noire et Ma h reb - mais aussi d'autres contrées d u monde, en par­ ticu lier 'Amériq ue lati ne et d u_. 9 uébec, sans com pte r les pays e u ro péens. Des roche yeta it fréquem ment invité com me professe u r visite u r, et se fai­ sait le cham pion d'une diffusion internationale de la Formation-RechercheActio n . L'effe rvescence créatrice q u i ca racté risait sa perso n n alité le n d u isit de a sorte a i m aginer ce qu 11 n o m m ait«i'tJrrlVersîtêë es q u atre saisons ». Le processus était simple et non dépourvu d'efficac1te. A chaque ....-(( saison » - q u atre fois par an - une struct u re partenaire invitait la « caravane itinérante », com p renant des re présentants des princi pales terres 'extension (Europe, Afrique, Amérique latine, Québec) à tenir une session hématique, alimentant, dans le dialogue et les a p ports croisés, la dyna­ m i q u e de formation et de recherche dans le pays d'accueil. Ce faisant, Desroche et ses parte n a i res d e m e u raient fid è les aux idées et coïîvTctions·fonâatnces : le«rêseaŒ>>moDihsateu r 'energie o uvre tJ...' - des 1/ôie-s;·fait 06ITgëflëSëlrcrse-s�·ato1s-qrre<<1'·aplfarèil>>{fïécéSsâlr'ë'j)ou r rJ6. \( \assu re r t·a-


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L'a le rte vint de l' E H ESS. Le Président e n était le gra n d h i storien Fran çois Fu ret. Ce dernier était, à certains égards, fasciné par la dynamique créative et expansionniste d u « système desrochien ». I l en com prenait et air prouvait la pertinence, l'apport inventif à la fois intellectuel et praxéologiq ue, 18

L 'origine de laformation par la recherche et la recherche-action mais devait faire face au déséquilibre ainsi induit dans le champ de l'EHESS. La direction d'études de Desroche avait en effet acquis une surface de travail sans commune mesure avec celle de ses collègues (dont le recrutement moyen se situait autour de la vingtaine d'étudiants, contre plus d'une centaine pour les« Sciences sociales des développements ») . Les récriminations commençaient de pleuvoir. C'est dans ces circonstances que s'ouvrit une inéluctable - mais toujours cordiale - négociation avec la Présidence de l'École. Desroche avait souhaité que j'y sois associé. j'en parle donc en témoin. François Furet tenait à son interlocuteur le langage suivant : « Votre travail est remarquable. JI est essentiel de le défendre contre toutes critiques. Mais, par ailleurs, le déséquilibre au sein de /'École est insoutenable. JI faut donc rechercher une solution appropriée. JI me semble que la grande dominante identitaire de l'EHESS est fondée sur une formation et une recherche plus fondamentales, à plus grande distance de l'action. Pour vous, c'est l'inverse. On peut donc imaginer une double configuration, .à la fois p�rallèle et complé"!entaire: /'École �es Haute IA I JJ � Études des Setences Soetales d'une part, /'Ecole des Hautes Etudes de I V CM Pratiques Sociales d'autre part». Ce disant, François Furet nous affirmai f sa volonté de nous soutenir dans la création d'une telle structure qui devrai à part égale, bénéficier des moyens de l'État, en l'occurrence du ministère de l'Enseignement supérieur. Les échanges durèrent une bonne année, entre 1978 et 1979, et l'affaire faillit réussir dans le sens exact proposé par Furet. Qf!tVQ) cv< Toutefois, les réticences des instances centrales, soutenues par les conservatismes universitaires, conduisirent à une solution de compromis, aux teintes contrastées, qui préservait, en tout état de cause, la direction d'études de Desroche au sein de !'École, mais projetait sur un plan différent les extensions reconnues. Le dialogue Desroche-Furet aboutit à un échange de lettres où les partenaires faisaient assaut de lucidité courtoise sa n�e avec l'imagination. Ces 1eces du dossier furent publiées dans les Archives des Sciences Sociales de la Coopération et du Dévelop­ pement4.

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Parmi les différentes issues envisagées, l'une s'imposa, pour des contraintes de réalité, et recueillit l'agrément du Ministère. On abandonnait la créatio � d'une nouvelle institution lourde �u t e d ' . , Q #é(JJ l 'TITT IJOT� ens appareil our uer la carte du econcen rant l seau. On e erra�ttall'Tsîàïîfe' re en place un Réseau des Haµtes Études dës-Praîlqües S"ôëîales ( R HEPS) entre les différentes antennes pratiquant la voie de la Formation- ec erc e-Action et reliant, pour la plupart, une instance collégiale associative à un partenaire universitaire (dont l'EHESS). 4 - N° 50, octobre-décem bre 1979.

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En quête d'une intelligence de /'agir

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Ce couplage permettait de mener une voie d'apprentissage cohérente et concertée, au bénéfice d'étudiants procédant d'une pratique sociale va­ lorisable et valorisante, dans l'esprit de !'Éducation des adultes chère à Desroche. Les choix fondateurs furent explicités et agrégés en alliance réso­ lue, lors d'un grand colloque à Saint Maximin de Provence, du 21 au 24 septembre 1979, auquel je participai. Une douzaine de partenariats impli­ quant autant d'Universités, acceptant de délivrer un Diplôme des Hautes Études des Pratiques Sociales(DH EPS) de configuration accordée, résul­ tèrent de cette nouvelle impulsion. Du côté du Ministère, on se contentait d'assurer un patronage léger par la création d'un Groupement d'intérêt Scientifique (GIS), sans y investir des moyens au niveau escompté. À la fois demi-victoire et demi-revers, mais l'essentielle reconnaissance des ,diplômes demeurait acquise.

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Les chemins du RH EPS nous ont conduits, sous la houlette d'Henri Desroche,dans une féconde aventure, à la fois interdisciplinaire,intercul� turelle,interpraxéologique(pour reprendre la terminologie desrochienne), 'et il y ajoutait le terme d'intergénérationnelle, illustrant les développe'\ U'� \ments de la recherche-action impliquée dans la formation,à travers des ré- 0\ ) seaux souvent difficilement recevables par la logique des appareils,mais touchant à vif la problématique sociale. Nulle surprise à cet égard: donner {\t \ la parole aux acteurs« devenant auteurs», leur reconnaître ainsi une ca­ pacité de produire de ta connaissance et de donner du sens, c'est s'enga­ ger dans tes voies d'une transformation sociale faisant grincer bien des conservatismes. ,

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Il est utile, au décours d'une plongée rétrospective dans les étapes fondatrices, de rappeler les fondamentaux de ce que Desroche, dans un texte quasiment récapitulatif et testamentaire, désignait comme les « conduites maïeutiques en éducation des adultes, pour une promo tion d'éducation permanente dans un régime d'Enseignement supérieur >f. Les enseignements qu'il porte sont essentiels pour ceux qui demeurent sur le : «

Ce métier de maïeuticien est un métier de puisatier, d'obsté­ tricien, d'horticulteur, également de dialoguiste en tre maïeutisant et maïeutisé ». En faisant apparaître les temps élémentaires de c e parcours accompagné,on enchaîne ainsi « l'autobiographie raisonnée »,qui permet de repérer les gisements (« nappes phréatiques » ) où puiser pour ch antier

construire de ta connaissance socialement partageable en se construisant soi-même (« stratégie du sujet ») . On débouche alors sur une visée, un « objet », que te périple de formation permettra d'élucider(« trajet ») , en

s - Anamnèses n° 4, op. cit. pp. 37-50.

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L 'origine de laformation par la recherche et la recherche-action

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débouchant sur une capacité d'agir nouvelle (« projet ») . À nous d'inte ­ roger nos pratiques, de les illustrer et de les défendre pour tenir notre place dans l'univers où nous sommes, dont l'université a vocation à to cher la quintessence.

Lorsque Henri Desroche est sorti du chantier en 1994, après plus d'un demi-siècle d'engagement et de luttes, les « continuateurs» sont à pied d'œuvre, même s'il a fallu renoncer à l'UCI, probablement trop ambi­ tieuse. Leur conviction est que la problématique présente, dont les angles sont à vif sous l'effet de la crise mondiale, valide plus que jamais la perti­ nence d'enraciner la formation dans la recherche-action, et en appelle à une capitalisation assidue des expériences et des travaux de l'impression­ nante cohorte d'acteurs qui ont suivi cette voie.

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Reche rche-action, DHEPS et fo rmation d' adultes Guy AVANZINP

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i la« reche�che-action» a suscité de nombreuses et belles initiatives, elle demeure l'objet de controverses d'ordre épistémologique. Elle s'inscrit directement, et comme naturellement, dans l'histoire des sciences sociales et, parmi celles-ci, des sciences de l'éducation, qui l'ont fortement mobilisée. L'éducation des adultes la met fréquemment en œuvre et en a illustré la pertinence et la fécondité, sans cependant venir à bout des contestations, voire des rejets. C'est donc, après l'avoir située vis-à-vis de la pédagogie expérimentale, à en préciser la nature, le champ et les conditions de validité, que seront consacrées les remarques qui sui­ vent, pour dire ensuite l'essor que lui ont assuré les mémoires de DHEPS, en en explicitant le substrat anthropologique et en s'interrogeant sur son avenir. Nous souhaitons en outre que ces pages constituent un hommage à la personne et à l'œuvre d'Henri Desroche. Si peu pratiquée ou honorée ait-elle été, « la recher �he pédago­ gique» était généralement perçue, depuis le début du xxè me siecte, comme

devant, pour être valide et reconnue, adopter des p rocédures aussi voisines

que possible de celtes des sciences de ta nature ou de la vie, c'est-à-dire respecter des astreintes méthodologiques assez rigoureuses pour assurer sa scientificité. Telle est, du moins, le cas de ta pédagogie expérimentale, telle que l'entendait Alfred Binet en se réclamant de Claude Bernard et

1 - Guy Avanzini est professeur émérite en sciences de l'éd ucation à l' u niversité Lyon I l .

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En quête d'une intelligence de /'agir

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telle que la pratiquent des laborato es2 spécialisés. Mais,très vite, ceux­ ci se sont heurtés à de redoutables; obstacles. ----

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En effet, l'organl ?�tion et l_e déroulement d'un plan expérimental conforme aux exigences méthodologiques s'exposent aux résistances et réticences des personnes, administrateurs, inspecteurs ou corps ensei­ gnant, et à la réglementation des institutions. Les praticiens sont à la fÔis déroutés par l'ampleur des moyens qu'il appelle,déçus par la lenteur des délais qu'il comporte,irrités par la rareté des démarches qu'il parvient à achever. De plus,les garanties de comparabilité des groupes sont compro­ mises par la précarité de la maîtrise des diverses variables, et les phéno­ mènes d'équation personnelle, d'ordre relationnel et affectif. Cela entrave le désir de sécurité de qui entend se voir proposer une didactique ferme­ ment assurée ou,au contraire, irrite celui qui doute de la supériorité d'une méthode sur une autre et estime plutôt que des procédures différentes conviennent à des élèves différents. Un double soupçon est également nourri à l'égard de l'indépen­ dance du chercheur: celui-ci engagerait seulement les travaux qu'autorise ou que requiert le pouvoir politique,mais au risque de perfectionner l'orga­ nisation en place,c'est-à-dire d'en conforter les vices ; il n'y a donc d'autre alternative que la complicité ou le refus ; à la limite,toute recherche offi­ cielle serait l'otage de qui l'ordonne et la promeut et,dès lors, devrait soit se borner à l'étude des problèmes dépourvus de portée,soit ne pas discer­ ner ou nier ses implications ; se disant« neutre»,étrangère aux conflits, elle lierait sa scientificité à cette indépendance prétendue et, par là, occul­ terait sa connivence avec l'ordre établi ; elle s'avèrerait ainsi plus idéolo­ gique qu'objective. Ou bien,si elle se veut libre tant du choix de son objet que de la diffusion de sès\:om:tusion -� . elle rencontre ou provoque l'hos­ tilité d'une administration résolue à refuser le déploiement d'investiga­ tions propres à la mettre en cause. De fait, si un projet de rénovation est en rupture avec le système en vigueur, comment s'étonner qu'il soit non s e u l e m e n t p rivé d'e n co u ra ge m e n ts m a is , m ê m e , é c a rté

? En le p ro m o u ­

vant sans réserve, l'institution scolaire travaillerait à la destruction de la société qui l'investit,et il n'est pas surprenant qu'elle n'y soit pas favorable. Corollairement, ceux dont les initiatives sont animées par une idéologie hostile au régime établi ne désirent pas toujours une expérimentation qui leur paraîtrait soit compromettante, car elle supposerait la collaboration avec celui-ci,soit vaine,parce que les résultats ne pourraient, à leur sens, être suivis d'effets, ou seraient même d'emblée faussés, la conjoncture 2 - O u « services de recherche » selon les dénomi nations en usage, e lles-mêmes liées au statut a d m i­

nistratif des o rga n ismes considérés.

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Recherche-action, DHEPS etformation d'adultes globale étant en contradiction trop brutale avec celle que supposerait la validation de l'essai. En définitive, quelles que soient, parmi ces raisons, celles qu'on privilégie, force semble être à beaucoup de constater l'incapacité de la recherche de laboratoire à transformer !'École. Postulant un schéma fon­ cièrement rationaliste, tel que ce serait la seule pertinence interne de ses conclusions qui en entraînerait l'adoption, elle néglige le vecteur idéolo­ gique, donc passionnel, qui la traverse ; aussi bien, S. Roller avait déjà déclaré impossible d'éviter de se demander si, depuis 1945 , la recherch� en matière éducationnelle avait provoqué un progrès dans !'École : « L'at­ titude expérimentale que je me dois de conserver ici ne m'auto'rise pas à répondre de manière négative ; elle ne m'autorise pas non plus à donner une réponse positive, nette et riche de faits irréfragables»3• La même préoccupation inquiéta !'Association internationale de pédagogie expéri­ mentale de langue française, lors du Colloque qu'elle tint à Liège en 1964, puis du Congrès qu'elle réunit en 1967 à Sherbrooke sur « les raisons pour lesquelles ce fossé entre la pratique de l'éducation et la recherche péda­ gogique ne se comble pas aussi rapidement que nous voudrions le voir se combler >fi. Quant à L. Legrand (1977) , il impute l'échec des réformes à ce . que « tout se passe en réalité comme si l'innovation devait rester margi­ nale et permett,re de sauvegarder le système antérieur >>5 .

C'est tout cela qui amena à chercher une autre voie, celle de la recherche-action » dont il importe d'autant plus de préciser la nature qu'é· sa définition et même sa mention sont souvent omises. Sans doute êeta tient-il à ce que son origine n'est pas d'ordre éducatif, mais ·liée aux sciences sociales et due à Lewin, qui l'utilisa aux États-Unis pour désigner (LA une action toujours suivie par une autocritique et une évaluation, mais elle ne concerne ni explicitement ni exclusivement l'éducation. R. Barbier, quant à lui, la définit aussi comme « une recherche psychologique sur le terrain, en vue d'une action de changement d'ordre psycho-social» ; et il ajoute : « l'implication du chercheur est une caractéristique du processus d'investigation », dont il attend qu'elle soit « utile aux travailleurs sociaux» et aussi aux enseignants6 ; il en voit un exemple dans « l'analyse sociale critique d'origine marxiste » O U la « contre-sociologie » de Lo u ra u ou Lapassade. Encore faut-il ajouter que, si on en relève les usages les

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3 S. Roller, L'aspect institutionnalisé de la reche rche pédagogique en E u rope in Revue des Sciences de /'éducation, n°' 3-4, 1968, p. 71. 4 - AIPELF, Recherche scientifique et pratique pédagogique, 1968, Université d e Caen, p. 423. 5 L. Legrand, Pour une politique démocratique de /'éducation, 1977, Paris, PUF, p. 175. 6 R. Barbier, la recherche-action dans l'institution éducative, 1977, Paris, G a uthier-Villars, pp. 3-7. -

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En quête d'une intelligence de /'agir plu - s�ourants dans la littératLJre éducationnelle contemporaine, elle reçoit trois acceptions bien différent� s. qu'il importe de différencier pour évaluer tant leurs conditi-o ns --n-e- Validité et les réserves qu'elles peuvent appeler que leur portée.

Présentée par L. Legrand, la première oppose à l'investigation de laboratoire, qui élabore des modèles, c'est-à-dire des « projets pédago­ giques précis >1 qu'on est, en France, dans l'impossibilité de faire aboutir utilement, une « recherche-action » qui « intervient après la détermination

des modèles et qui doit permettre l'essai et l'évaluation du contenu de la méthode ou de la structure définies » ; elle s'apparente à une innovation

contrôlée, qui associe le plus grand nombre possible de terrains expéri­ mentaux liés, si possible, à des centres de formation. Elle propose moins de répandre des modèles prédéterminés dans le détail que de susciter, à partir d'eux, parmi les professeurs, des inventions didactiques qui se met­ tent progressivement au point. C'est à cause de cette circularité que l'in­ novation, due tant à « l'initiative créatrice des équipes locales » qu'au rôle « incitateur, plus que créateur, du centre >� se développe et peut devenir objet d'adhésion. Pour favoriser sa diffusion, elle mobilise de nombreuses équipes : « le nombre de classes et de maitres concernés doit lui-même être assez grand, a fortiori, si l'on veut que l'ensemble de ces maitres repré­ sentent eux-mêmes un bon échantillon du corps enseignant concerné >13. En ce sens, il s'agit d'un mouvement très g lobal, dans lequel les profes­ seurs impliqués non seulementinterviennent comme expérimentateurs mais, en plus et surtout, se forment aux nouvelles pratiques, en vue d'en étendre l'usage. Cependant, le désir du contrôle est permanent ; il est as­ suré par l'organisme central9• Une deuxième conception présente des traits sensiblement diffé­ rents. Préoccupée de remédier aux déficiences du système éducatif, voire d'en transformer les finalités, elle entend proposer au plus vite des solu­ tions substitutives et, pour cela, inventer et mettre en œuvre une didac­ tique fidèle aux objectifs et principes qu'elle pose. Mais elle est-d'emblée militante, en ce sens qu'elle n'attend ni le concours ni même l'avis des or­ ganismes officiels et revendique d'en demeurer indépendante. Sans ex­ clure sa diffusion et même la souhaitant, elle agit sur un nombre restreint de classes et d'élèves. Renonçant à maîtriser un effectif considérable qui autoriserait ou requerrait un traitement statistique des données recueillies, elle préfère conduire l'observation très approfondie, de type proprem�nt 7 L. Legra n d , 1 op. cit. , pp. 234, 2 3 5 , 2 37. 8 Id. p. 240. 9 Id. p. 240. ·

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Recherche-action, DHEPS etformation d'adultes clinique, d'une population re�treinte. Elle ne veut cependant nullement se réduire à un empirisme ou à un pragmatisme, ni s'abandonner à l'impro­ visation, bien que ne disposant pas d'un plan expérimental élaboré à l'avance, dont toutes les étapes et le calendrier seraient rigoureusement prévus. Résolue à garder la gestion d'elle-même, elle prétend dépasser complètement la dualité praticien-chercheur en les fusionnant ; récusant cette distinction, elle situe dans la classe le lieu de la vraie scientificité, plus féconde, à ses yeux, que celle des organismes spécialisés. Encore reste-t-il à équilibrer la part de la recherche et celle de l'action et à articuler convenablement l'une et l'autre car, comme le dit G . De Landsheere, « alors que l'expérimentation supposait plus ou moins une situation non réactive, le chercheur-participant ne peut échapper à l'apparition d'interactions multiples entre lui-même et ce qu'il étudie. Il se situe ainsi à la limite de la connaissance et de l'action, dans un équilibre où l'une et l'autre doivent s'appuyer tour à tour »10 • À vrai dire, cela ren­ force le péril qui menace déjà la recherche de laboratoire, elle-même iné­ luctablement placée dans une situation paradoxale: pour la mener, il faut, certes, être sensible aux requêtes de l'esprit scientifique et aux exigences de la sécurité intellectuelle mais, plus encore, animé par la représentation précise et dynamique d'un « projet éducatif» original auquel on adhère et dont, de ce fait, on veut vérifier la portée ou éprouver les modalités de diffusion. Or, si, comme l'a noté Piaget, « c'est à la société de fixer les buts de /'éducation qu'elle fournit aux générations montantes »11 , il y a inhibi­ tion de la recherche dès que ou tant que l'on échoue à fixer les finalités qui, seules, motivent le processus expérimental ordonné à établir les moyens appropriés. Mais, si une dynamique est lancée, elle consent mal à sa vérification. Quand on est convaincu de la validité d'un système de normes, la vérification en paraît souvent d'autant plus. superflue qu'on est plus enthousiaste, et cela affecte aussi bien les initiatives, même très ju­ dicieuses, d'individus ou de groupes qui se réclament de la pédagogie « sauvage » que celles de mouvements plus vastes. Ce qui le confirme, c'est que s'introduisent parfois des nouveautés qui n'ont jamais été l'objet d'expériences préalables. Ne voit-on pas, même, des cas dans lesquels, à son insu ou délibérém�nt, l'idéologie du chercheur oriente son regard, de sorte que le traitement apparemment le plus objectif des données les plus incontestab (es projette des jugements de valeur qui n'ont rien de scientifique ?

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10 G. De Landsheere, Dictionnaire de l'évaluation et de la recherche en éducation, 1979, Paris, P U F, p. 2 28. 11 J. Piaget, Psychologie et pédagogie, 1979, Paris, Denoël, p. 3 1.

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En quête d'une intelligence de /'agir Constamment cette tentation réapparaît, de telle sorte que, après B inet, i l faut toujours redire que ni l'avis d'un ministre ni les propos de ses adversaires, ni les opinions, vagues ou polémiques, de tel ou tel orga­ nisme,quels qu'en soient l'obédience, l'idéologie et le statut,ne suffisent à fonder ou à ruiner la pertinence d'une structure institutionnelle ou d'une méthode didactique. A fortiori, le danger se renforce lorsqu'i l s'agit d'une démarche qui, d'emblée, accorde moins d'importance à la mise en forme expérimentale qu'à l'efficacité. Le risque croît alors de prédéterminer les conclusions, d'être emporté par les convictions, de confondre fins et moyens, de s'imaginer qu'on déduit des procédures qui, en réalité, sont inventées,avec tous les risques que l'invention comporte. Plus encore en va-t-i l ainsi quand les passions sont avivées et que le désir s'intensifie de forcer les résistances, de prouver qu'on a raison et d'utiliser le prestige de la démonstration pour mieux établir des finalités qu'on a,certes,plei­ nement le droit de choisir mais qu'on ne peut prétendre incontestables ou nécessaires. Aussi,quoiqu'inégalement justes et parfois abusives, les cri­ tiques ne sont-el les pas toujours imméritées qui,sans invalider la notion même de « recherche-action », signalent les g lissements ou les dégéné­ rescences qu'el le a parfois connues. On voit ainsi les insuffisances inverses de ces deux conceptions. Mais i l en est une troisième, qui offre une vision beaucoup plus satisfai­ sante: cel le qui a trouvé tout à la fo is son terrain d'enracinement et d'envol dans la formation des adultes,en tant que démarche proposée à qui désire conduire une étude sur son activité et constituer son expérience profess ion­ nelle en objet d'une recherche, pour l'é laboration de laquelle i l apprend, moyennant tous les concours utiles, les méthodes et connaissances requises. Il faut souligner ici le rôle décisif d'Henri Desroche, qui a donné toute sa portée à la possibi lité te par !'École Pratique des Hautes Études qui, depuis sa création, e 186 accueilfe,sans ronditions de grades univer­ sitaires, des sujets dés1 d'entreprendre un travail intel lectuel de haut niveau. Développée depuis 197 5 par l'EH ESS12, cette formule s'est,depuis, offerte à un nombre croissant de candidats et é largie en province. Et, en de nombreuses universités, leur admission en 3 ème cycle et la préparation du doctorat constituent la reconnaissance de leur compétence.

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En même temps qu'il a jeté les bases institutionnelles de ce mouve­ ment, Henri Desroche en a stimulé incessamment la dynamique et l'essor et lui a assuré ses assises méthodologiques. Selon ses propres termes, il s'agit d'une « autoformation volontaire et assistée, consistant moins à

consommer les enseignements d'un autre qu'à produire par soi-même une 12 Ëcole des H a utes Ëtudes en Scien ces Soci a les. -

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Recherche-action, DHEPS etformation d'adultes

recherche qui soit une "recherche-action"» et il ajoute « il y a place aussi pour des chercheurs - surtout, peut-être, en sciences sociales - qui, tout en étant non professionnels, sont susceptibles de coopérer avec des cher­ cheurs qui sont des professionnels >i3 • Pour pouvoir être considéré comme une recherche, ce travail doit satisfaire à certaines exigences : • Donner à l'étude des procédures inventées - structures ou didac­ tiques - une forme méthodologique telle que objectifs, hypothèses et critériologie soient clairement posés et la comparabilité assurée, c'est-à ­ dire que soient réunies dès le départ les possibilités du contrôle terminal. • Assurer la continuité et l'homogénéité de la pratique, tout au cours J de son déroulement, pour que ce soit bien sur le même objet que porte la l J ri. vérification. • Mettre en place des indicateurs précis et des critères qui permet­ tent des conclusions objectives, c'est-à-dire passer de l'opinion ou de la � conviction à une connaissance qui inclut l'estimation de ce qui lui confère sa part de validité et sa part de précarité. • Accepter que l'hypothèse initiale soit infirmée, donc que la fin visée se révèle hors d'atteinte, la structure inefficace ou la méthode ina­ justée à ses buts. C'est donc l'étude de chaque cas qui permet de dire s'il s'agit ou non d'une « recherche-action ». Pour différente qu'elle soit de celle de laboratoire, il dépend d'elle d'être ce qu'elle prétend être ; dans ce cas, elle constitue un genre non mineur, mais original. Que d'innovations judi­ cieuses se perdent, faute d'être évaluées, ce qui les condamne à n'avoir d'autres justifications que l'enthousiasme qu'elles soulèvent pendant un temps, puis à égarer le bénéfice des essais qu'elles ont comportés ! Certes, la recherche-action ainsi entendue ne porte pas exclusive­ ment, il s'en faut, sur l'éducation. Elle la concerne cependant à plusieurs titres, et d'abord parce que ce processus d'autoformation présente une portée et une valeur qui justifient de le considérer pour lui-même, comme modèle didactique14, mais, surtout, à cause de la qualité, déjà plusieurs fois vérifiée, de son apport aux sciences de l'éducation et de l'élargissement qu'elle apporte à leur champ, notamment au titre de !'Éducation permanente et des actions de développement. Enfin, l'objet de l'éducation est un« ob­ jectif», ce qui accroît les obstacles que rencontre sa poursuite« objective » ou objectiviste ; fondamentalement, la recherche correspondante est une 13 H. Desroche, Apprentissage en sciences sociales et éducation permanente, 1971, Pa ris, Ëditions O uvrières, p. 32. 14 - M. Lobrot, 197 4, l 'animàtion non-directive des groupes, p. 130. -

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En quête d'une intelligence de /'agir action et procède d'une finalité qu'.elle entend poursuivre ; comme le dit M. Lobrot, elle est une« praxéologie ». De ce fait, elle s'applique très direc­ tement aux pratiques sociales et relationnelles qui,dans leurs acceptions les plus diverses et les plus larges, peuvent donner lieu à une approche praxéologique . Celle-ci est appropriée à l'analyse des pratiques sociales ; aussi bien, l'un de ses avantages est d'autoriser la recherche scientifique à des nouveaux auteurs,qui étaient auparavant,au demeurant,les acteurs des phénomènes observés. Il devient ainsi possible d'élargir la« commu­ nauté scientifique » et d'introduire scientificité et rigueur dans des secteurs « pratiques » habituellement abandonnés à l'opinion ou au journalisme. Encore faut-il que soient surmontés les écueils que Henri Desroche a bien discernés : « s'agissant d'une recherche-action, c'est-à-dire d'une

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opération dont le titulaire est l'auteur de la recherche après avoir été ou tout en étant l'acteur de cette action, le dit auteur est simultanément d'autant mieux mais aussi d'autant plus mal placé qu'il fut ou qu'il est conjointement acteur. D'autant mieux : c'est le positif, déjà dit. D'autant plus mal : (\· �, il c'est le négatif, à ne pas passer sous silence. Toute recherche suppose en FJJf;;./ effet une conjugaison optimale entre une participation qui fait entrer dans IJ"iY1 ; son domaine et une distanciation grâce aux méthodes pour s'en sortir. Le risque, c'est qu � le chercheur rédige ses Mémoires, il ne traite pas vraiment ses souvenirs. A maintes reprises je l'ai constaté, et en particulier chaque fois que l'espérance de s'éduquer dans une recherche active et activée dé0. bouche dans la déconvenue d'une médiocre mono ou autobiographie bien dans une non moins médiocre sociographie. Afin qu 'une recherche j 1 soit Vfi · ent telle, il lui faut satisfaire à des conditions impérieuses. Toute rech rche':'�._t surtout la recherche-action, suppose ainsi une méthodologie , de la istanciati n. L 'action, pour être traitée dans une recherche, demande :..._� être n ulement narrée, mais interrogée moyennant hypothèses, � ;v àcomparaisons, formalisations, codifications, conceptualisations »15 • Au � v

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total, il n'y a recherche que s'il y a doute . Aussi faut-il que la conviction du chercheur ne lui interdise pas d'en envisager et d'en accepter l'infir­ mation. À la limite, si la recherche n'aboutit pas au moins à complexifier ses vues, on peut craindre que ce n'en soit pas vraiment une.

Ce qu'il importe maintenant de souligner très fortement, c'est que ces initiatives institutionnelles, intenses et courageuses, ne constituent ni un aventurisme aveugle,ni une provocation polémique,ni un saut dans l'inconnu, ni un empirisme désordonné, ni une euphorie irréfléchie. Elles sont en lien interne avec une anthropologie qui leur fournit un substrat et qui, chez Desroche, tient manifestement à sa formation thomiste, s'il est

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15 H. Desroche, op. cit. pp. 68-69.

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Recherche-action, DHEPS etformation d'adultes ', vrai que, comme J . Maritain l'a montré16, saint Thomas d'Aquin pr�te à l'être humain un dynamisme endogène qui l'oriente vers cette quête active de la vérité qui spécifie la vision dominicaine de l'éducation. Plus précisé­ ment, l'attente à l'égard de l'adulte, perçu comme chercheur présumé, procède de l'hypothèse d'un développement indéfini de l'être humain, ina_­ chevé et inachevable. Si le passé et l'enfance exercent parfois une influence négative, le sujet est susceptible de prendre une distance par rappor_t à eux, voire de rompre avec eux ; il est partiellement l'agent de son évolution, et pas seulement la victime de son histoire. En particulier, la formation permanente peut compenser les lacunes ou les handicaps antérieurs. Elle a pour effets possibles de rétablir des équilibres jusqu'alors non atteints ; sa fonction est alors réparatrice, remédiatrice. Grâce à elle, le sujet cica- ' trise les blessures dues aux circonstances antérieures de son existence. Au lieu de réitérer les mêmes comportements, il peut remanier son style de réaction et parvenir à la sédation des er rbations qui l'affectaient jusqu'alors. Plus largement, comme l'a n e Ro rs, il a la ca acité d'entendre une sorte d'appel intérieur, de voca · ; a formation permanent est alors ce par quoi 11 parvient, en l'éëëiUta nt, à être plus fidèle à lui même ; elle lui permet son auto-réalisation. Il s'agit d'une aspiration fon-, damentale, antérieurement inhibée par les circonstances, qui ne pouvait guère émerger indépendamment d'un contexte éducatif ou formatif capa­ ble d'en confirmer la pertinence ; il fallait que l'adulte fût soumis, astreint J ou invité à une prolongation, à une continuation ou à une reprise de sa formation et des processus correspondants déjà en place pour que sa for­ mabilité apparût. Son émergence est donc fonction de l'existence préala­ ble du phénomène social de l'éducation permanente. Aussi bien, il ne s'agit pas d'un auto-développement spontané, mais d'un développement possible, éventuel, suspendu à l'intervention d'une pratique éducative dont l'ampleur et la valorisation varient. Higelé et Schirks, notamment, ont montré que la maîtrise de la pensée formelle n'est pas acquise du seul fait de l'accès à« l'âge adulte», mais ne peut qu'être conquise, à défaut d'une scolarisation suffisamment longue, par des exercices idoines dont eux, mêmes ont proposé quelques éléments et vérifié l'efficacité.17• La formation \ per-manente n'est donc pas simplement un acte technique, consistant à favoriser le changement de la personne en vue d'une meilleure adaptation à des tâches diverses, ni seulement une évolution fonctionnelle. Elle n'est , possible et ne prend sens qu'en fonction d'un_ arrière-fond psychologique 1 et philosophique, c'est-à-dire d'une anthropologie.\

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16 - A. Mougn iotte, Maritain et /'éducation, 1998, Pa ris, É d itions Don Bosco. 17 R. H i ge lé et P. Schi rks, L'apprentissage du ra isonnement logique in Éducation permanente n° 8, 1970, p p. 89-100. -

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En quête d'une intelligence de /'agir Reuven Feuerstein a décisivement montré que la « modifiabi/ité » 18 est une donnée anthropologique, bibliquement assise, de l'être humain. C'est d'abord la volonté d'éduquer qui l'anima, depuis que,vers les années 1950, il s'attacha au cas douloureux des jeunes orphelins arrivant en Israël et, plus globalement, d'adolescents au déve­ loppement cognitif gravement retardé. Et c'est elle, encore, qui, au fil des circonstances,l'amena à s'occuper d'enfants affectés de troubles d'appren­ tissage, puis d'adultes dont la faible qualification compromettait l'adap­ tabilité à la complexification,simultanément croissante,de tâches offertes par les entreprises. Cette détermination ne pouvait devenir efficace qu'à condition de s'articuler à la supposition de l'éducabilité. À la représentation fixiste que tend à fournir des su"ets un certain usage des tests,il substitue l'h pothèse d'un potentiel d'éducabilite cognitive present c ez tous, une ve ou non eu e « modifiabilité cog · · e » de tout individ Coniecturant don la transformabilité de tous uven Feuerstein était alors nécessairement conduit à inventer des pratiques comme le L PAD (Learning Potential Assesment Device) ou le P EI (Programme d'Enrichis­ sement Instrumental). Il ne s'agit nullement de quelque autodidaxie qui, sous divers prétextes,autoriserait la négligence ou justifierait la passivité du formateur. La notion de médiation met au contraire fortement l'accent sur son intervention, qui allie chaleur relationnelle et maîtrise de tech­ niques d'entraînement19.

cognitive structurelle

Dès lors, dans l'avenir, l'objectif visé et la réalité atteinte seraient beaucoup moins, et de moins en moins, de transformer les adolescents en adultes que de les installer dans un état permanent d'adaptabilité à des situations nouvelles,non pas seulement et non pas tant parce qu'elles seraient imposées par les circonstances socio-professi6nnel les et la crise économique, mais parce qu'elles s ient,au moins potentiellement, ins­ crites dans une« nature»,offert et ouv te à « culture». C'est cela que nous proposons de nommer« a thropolescen e». Entendons par là une dynamique consistant, pour chacu , s à s'enraciner dans l'immo­ bilisme d'un statut mais à ne cesser de renouveler sa façon d'être homme, en conquérant toujours davantage la maîtrise d'un potentiel personnel mieux découvert et plus investi. Désormais, il n'y aura plus des« adoles­ cents», aspirant péniblement à devenir adultes ou le refusant, mais des « anthropolescents»,explorant et exploitant incessamment leurs virtua­ lités et cherchant moins à accroître leurs moyens de vivre qu'à renouveler leurs raisons de vivre. 18 - Sur ce point, Pédagogies de la médiation : autour du PEI, 1992, Lyon, Chronique Sociale, 230 pages. 19 - Cf. tout particu lièrement R . Feuerstein, La genèse d'un courant éducatif in Le dossier du CLERSE, février 1994, p. 35.

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Recherche-action, DHEPS etformation d'adultes



Prévenons un contresens: l' nt, ce n'est pas un instable prétentieux, qui se caractériserait par une sorte de papillonnage et que la volonté d'explorer son potentiel mettrait dans l'impossibilité radicale de se stabiliser, de sédimenter ses acquis. L'anthropolescence, ce n'est ni la canonisation du désordre, ni l'organisation du tourbillon ou de l'efferves­ cence, ni l'instabilisation de la personne, ni l'exaltation naïve et journalis­ tique du « changement», ni l'idolâtrie simpliste de la« jeunesse » ; c'est la ossibilité de mobilité, toujours jugée et ré ulée ar la raison. Elle �t susciter u us gran e satis action du su'et, une réconciliation de lui avec u1, une meilleure mise en équation de soi à soi. Elle est nécessairement solidaire d'une anthropologie de l'inachèvement, telle que l'a no ­ tamment soutenue Lapassade, pour qui « l'inachèvement permanent de l'individu est à l'image de l'état permanent de l'espèce >>1°.

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Mais aujourd'hui, le problème se pose péniblement de ses possibilités sociales àe mise erî œuvre. Certes, on avait cru pouvoir espérer que les uri fversités, par leur service de formation continue, la faciliteraient. Or, si appréciables que soient parfois leurs prestations, force est de remarquer que le statut de ces services prolonge une extériorité fâcheuse. En outre, la sanction à laquelle donne lieu, sous la forme de diplômes d'université, la fréquentation de ces cycles s'accompagne évidemment d'un moindre prestige que celui qui s'attache aux accréditations et grades nationaux et n'assure pas la même considération.

Déjà, D. Chevrolet avait estimé que « les missions de formation continue des universités tombent alors dans le cadre d'une double margi-. ng/ité: par rapport à l'université (en tant que commerciales) et par rapport à l'environnement socio-économique (en tant qu'universitaires). Malgré la richesse de leur expérience et malgré la combativité de leurs membres, ces services en sont encore à la recherche de leur identité propre >11. Traitant lies problèmes de la formation dans les pays du Tiers-Monde, G . Belloncle notait aussi « l'absence quasi-totale d'intérêt des universités pour ce type d'expériences éducatives, dont chacun reconnaÎt cependant qu'.elles pour­ raient apporter une contribution essentielle au développement économique et social... Il est évident qu'aujourd'hui cet ensemble de voies édu�atives si­ nouvelles reste globalement ignoré des universi ta� >>12• omme le dit encore D. Chevrolet, « les initiatives en ce domaine tiennent aux universitaires plus qu'à l'université >13, c'est-à-dire à quelques '

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20 G. Lapassade, L 'entrée dans la vie, 1963, Pa ris, Éditions de M i n u it, pp. 29-30. 2 1 D. Chevrolet, L 'université et la formation continue, 1977, Paris, Casterman, p. 42. 2 2 - G. Belloncle, U n iversités francophones d u Tiers- Monde et é d u cation n o n forme lle, i n ASSCOD n° 57, jui llet-septembre 1981, p. 23. 2 3 - D. Chevrolet, op. cit. p. 137 et sq. -

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En quête d'une intelligence de /'agir personnalités généreuses qui,au mépris de la suspicion qu'elles endurent, aident effectivement des étudiants à réussir leur vie. Aussi bien,cela n'est­ il pas seulement propre aux établissements d'enseignement supérieur mais caractérise !'École globalement entendue et un corps enseignant dont les idéologies« de gauche» tentent si souvent,mais en vain,de dissimuler les attitudes sélectionnistes et le mépris à l'égard de ceux qui intègrent mal les normes scolaires. Et la générosité n'étant pas une valeur à la mode, individualisme .et égoïsme prospèrent davantage.

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C'est pourquoi il est légitime de dire encore la nouveauté de l'ap port d'Henri besroche. Pour lui, c'est le mémoire à produire qui détermine le choix des procédures ; car la préparation d'un texte écrit de 150 pages est, � à elle seule, une démarche très forte de formation et d'édu-cation. se aractérise par sa st c r riangula" , c sistant à assurer à - - - le \j triple concours d'un directe r,de pe sonne -r urces et de s in ire . _ Le premier est le resp able et le g e la problématique, de é­ thodologie et, en définitive, de la qualité du produit fini ; il intervient lv ,comme expert de la plausibilité de la première et de la pertinence de la ._f deuxième, de l'adéquation de l'une à l'autre et de la recevabilité du troisième. Les seconds, en nombre inégal selon les cas, sont toutes les per­ sonnes compétentes qui acceptent d'aider les chercheurs, encore que de manière moins régulière et plus occasionnelle. Il revient à l'intéressé de déceler qui es-t apte à ce rôle et, à cette fin,de prendre, comme de garder, tous contacts utiles : ils sont, en effet, de nature à enrichir considérable­ ment l'information, à attirer l'attention sur les aspects inaperçus ou mé­ 'onnus de la question traitée, à faire bénéficier de l'expérience déjà acquise par d'autres. En outre,leur choix comme les modalités de recours dont ils sont l'objet constitu "ndicateur spécialement pertinent de la sagacité du chercheur. Q ant aux séminai s, ils comportent deux mo­ mei:-its. Le premier est consacre va1 en groupes constitués sur une .base thématique (développement, éducation, agriculture, travail social, -

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a n a lyse d ' é c rit u re d e p resse ...) o u s u r c e l le d ' u n s e cte u r p ro fe s s i o n n e l ;

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ans les deux cas,ils donnent lieu à l'exposé, par un ou plusieurs,du point où ils en sont de leur investigation et à une féconde confrontation d'in­ fo.tfll ations, de perspectives, de méthodologies ; cela évite à chacun de 5""enfermer dans la préoccupation obsédante de son seul travail et,en élar­ gissant sa culture grâce à la variété des questions soulevées, lui suggère des notions et des pistes qu'il peut exploiter pour sa propre tâche. Le deuxième moment consiste en un e�gnement de méthodplogie, qui a pour b ut d'instruire des procédures de l'élaboration scientifique. ll s'agit donc d'un contenu qui renvoie à une structure épistémologique et en dé­ ploie les exigences. Et il peut à bon droit donner lieu à une série de« cours

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Recherche-action, DHEPS etformation d'adultes magistraux » progressivement ordonnés ; ceux-ci ne sont, alors, ni exté­ rieurs, ni étrangers aux intérêts de ceux qui les suivent, puisque ce sont bien eux qui en ont pris l'initiative en exprimant la volonté de mener une recherche scientifique. Il faut, cependant, hautement regretter les efforts conjugués de la séduction de la VAE - si excellent et légitime qu'en soit le principe - de la tendance normalisatrice et des pressions administratives qui encouragent la novation à condition qu'elle ne change rien, de l'incessante réactivation de tendances néopositivistes vouées au culte d'une épistémologie périmée, enfin du refus trop fréquent de l'investissement que suppo�e l'accompa­ gnement des cherche·urs. Pour hétérogènes qu'ils soient, ces facteurs se combinent et s'inter-renforcent de manière consternante pour affaiblir ou marginaliser le DHEPS, dès lors que le charisme d' Henri Desroche n'est plus là pour permettre son essor.

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Il convient d'autant plus de le déplorer que, à un moment où beau-'. coup préfèrent vanter la promotion de la personne qu'y travailler efficace-: ment par des formules pertinentes, ceux qui en ont eu l'audace et pris le risque savent combien elles ont favorisé la transformation de l'auteur du mémoire qui, en même temps qu'il l'élabore et l'écrit, et en dépit d'une · forte appréhension initiale et de quelque inhibition, découvre néanmoins, à mesure qu'il progresse, la possibilité, dont il doutait, d'y parvenir. Et cela remanie en profondeur la perception qu'il a de lui-même, en se voyant capable de ce à quoi d'abord il était auparavant convaincu d'être inapte. , En quelque manière, il se réhabilite à ses propres yeux et cette mutation est d'autant plus forte, voire spectaculaire, que l' intéressé avait naguère J;v-; connu un parcours scolaire dévalorisant. Alors, il perçoit ou soupçonne, sans encore trop oser y croire, qu'il y a en lui plus et mieux que ce qu' il .)';:: croyait et avait auparavant donné à voir de lui, et qu'il lui faut remanier la �� manière de se voir, consentir à se faire confiance . C'est ce que B . Bergier24 a remarquablement montré en analysant le phénomèn�_de la « revanche ' i. scolaire», dont le DHEPS est une exemplaire illustration. •

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Qu'il s'adresse à l'enfant, à l'adolescent ou à l'adulte, l'acte éducatif . est tripolaire. Il émane d'une finalité posée, qui suscite et amène une volonté ; i l com porte e n s u ite u n e anth ro p o logie q u i postu le l'éd ucabi lité

correspondante, faute de laquelle l'initiative serait vaine ; il articule enfin ces deux premières composantes, par l'invention d'une pratique dont on attend la réalisation de la visée première et la confirmation de son réalisme .

24 - B. Bergier, G. France q u i n , La revanche scolaire des élèves multiredoublants, relégués, devenus surdiplômés, 2005, Ramonville-Saint-Agne, Erès, 287 pages.

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En quête d'une intelligence de /'agir L'éducation permanente valide ce modèle à sa manière ; elle procède du projet - lui-même issu de plusieurs raisons - d'éduquer tout au long de la vie ; elle suppose, contre la représentation courante, la persistance d'une éducabilité trop longtemps insoupçonnée ; elle induit enfin des mo­ dalités de mise en œuvre au service d'institutions appropriées. Le DH EPS est manifestement l'une d'elles, qui a fait ses preuves. Aujourd'hui, son usage marque le pas. Puisse ce moment n'être qu'une étape,qui conduira bientôt au renouveau que beaucoup souhaitent et espèrent.

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La reche rche-action en fo rmation d' adultes Une a utrefaço n dechercher Pierre-Marie MESNIER et Philippe MISSOTIE1

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a rech e rche-actio n , co m me so uvent les i n n ovations, est née dans plusie u rs e n d ro its à la fois. Aux U SA, avec Kurt Lewi n , é p ris d'une démocratie dont le sevrait son pays d'origine, l'Alle m agne nazie, o ù en tant q ue J u if i l était i nterd it d'enseignement, en G rande-Bretagne avec le Tavistock lnstitute of human research, confronté a ux désord res psycho­ logiq ues dus à la Seconde G u e rre mond iale, e n France avec Tosque lle et son h ô p ital psyc h iatri q u e de Saint-Alban, sans ravitai llement à la mêm é p o q u e .Là reclïerche-action n aît de situations a resou re en ela b o rant . ê 'n o uve l le s vo ies d e la con n a issance, exi geant d e sortir à la fois des ' contra i n tes méth o d o logiq ues et très con crète ment du laborato i re p o u r « desce n d re dans la r u e » avec des ge ns s a n s pedigree de cherche u r, n i m ê m e de formatio n académiq ue, mais nantis d ' u n e solid.�ence pra- 1 tiq ue. À ce titre, M ichel Liu écrit de façon pré m o n ito i re >< Tandis ijïiënouS m e vivre la troisième revo ution scientifique, celle des somm sciences de l'information et des sciences du vivant, nous pouvons pres­ sentir que la po� de la recherche-action sera probablement de contri­ buer [... ] à une autre révolution scientifique, celle qui étaDi ira es sciences d� l'Homme comme "l'ècole où la pensée humame fait son ap ren sage"» (Li u , 1997 : 19) ... -

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1 - Philippe Missotte, docteu r en sciences sociales sous la d i rection d ' H e n ri Desroche, consultant en organisation par la recherche-action. D i recte u r des études p u i s d i recte u r d u Collège coo pératif de 1992 à 2001. A créé le Master 2 D E PRA avec Pierre-Marie Mesnier puis l'a a n i m é jusqu'en 2007.

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En quête d'une intelligence de /'agir

Essai d e d éfi n itio n La définition varie et a donné du fil à retordre à plus d'un avant nous.

« La recherche-action ... est une théorisation des pratiques sociales » « [La recherche-action] correspond à un projet personnel de traiter scientifiquement une expé­ rience vécue. Cette expérience elle-même peut être fort diverse : profes­ sionnelle, sociale, associative, journalistique, administrative, syndicale, coopérative, socio-culturelle, ethnographique, économique, éducative, technologique, etc. Peu importe. Mais ce qui importe c'est d'une part que cette expérience soit offreuse d'une créativité spontanée, d'autre part d'une créativité réfléchie »(Desroche, 1980 : 19) .

(Chosson, 1983 : 5 3- 5 4) . Pour Henri Desroche :

L'histoire de l'origine de la recherche-action par Kurt Lewin (1942)

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/ est connue. Kurt Lewin (1890-1947) est psychologue social et intervient

dans les entreprises depuis qu'il est arrivé aux USA en 1933. La tradition raconte qu'après l'entrée en guerre, fin 1941, le gouvernement américain ., lui demande de mettre au point une campagne pour faire changer les ilabitudes alimentaires des ménagères américaines. Le but est qu'elles , utilisent les bas morceaux du bœuf afin de laisser les morceaux nobles r \;-1�o � r I� f a brication des rati� ns d� s soldats. Devant l'échec des conférences, . il reunit des groupes de menageres pour qu'elles cherchent des solutions de sensibilisation avec lui. Il constate ensuite qu'elles ont changé de pra­ tique et en tire la théorie et la pratique de la recherche-action. En fa it,cette anecdote n'est qu'une partie du travail de Lewin qui travaille avec des groupes dans les usines et les universités chaque fois que se pose un pro­ blème qu'on n'arrive pas à résoudre. La recherche-action s'est déclinée ensuite de nombreuses façons dans le monde (Tavistock lnstitute of human research, Paulo Freire au Brésil, Danilo Dolci en Sicile). Lewin en tire deux conclusions. 1/ Quand les gens cherchent, ils changent de _s>int d�. 2 Le rava1 e groupe c ange les participants. Par cette seconde conclusion,il contribuera a la dynamique de groupe (Training group) alors bien amorcée dans le monde anglo-saxon. La première conclusion engen­ dra ce qu'il appelle l'action research que nous traduisons par« recherche­ action». Après sa mort en 1947, elle se prolonge et se transforme. Dans de nombreux cas l'action prend le pas sur la recherche. Ce n'est pas le cas ici, nous allons voir comment,en tentant de suivre les traces de ce fondateur. Incontestablement, Lewin vise la recherche de fond en sciences sociales avec une production de connaissances nouvelles en menant des recherches sur des phénomènes sociaux avec la participation d'acteurs représentatifs.

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Au terme de ces réflexions liminaires, la recherche-action se définit one comme un processus, poursuivant un objectif dual d'élaboration de

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La recherche-action enformation d'adultes, une autrefaçon de chercher

connaissances fon d a m e ntales et de transformation de la réalité sociale, q u i s'effectue dans u n cadre spécifique, n otam ment éth iq ue, acce pté par l'ense m ble des participants. Ce processus peut pre n d re plusie u rs fo r:_m es com m e o n l'a vu plus h aut, soit être conjo int entre chercheurs professionnels et usage rs, soit être le fa it d 'acte u rs du social dont certains, au sein d u gro u pe , ont déjà p rati q u é la recherche.

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Caractéristi q u es d e la re c h e rche -act i o n En sciences sociales, nota m ment en sociologie, la recherche-action renvo ie à une démarche méthodologiq ue q u i sou lève des in!�rrogatiorg; cteJond-Gonœm-a nt : 1/ le position n ement du cherc h e u r à l'éga rd de son o bjet d'étude et de son terrain d'investigation ; 2/ la possibilité po u r les sciences sociales de partici per conscie m ment à un processus de change­ ment social sans abdiquer leu r scientificité et le ur o bjectivité et enfin 3/ la poss i b i l ité pour des acte u rs sociaux d e partici pe r à l'é laboration d ' u n e théo rie d e leurs p ratiq ues.

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�uations r ' mati q ues, q u'elles soient économique ou sociale, 1 cu ltu re e o e teale, to ujours liées à des attitudes so uvent anciennes et sou levant des q u estions de re présentations voi re de systèmes re présen- / ' "" tation nels, sont com plexes et délicates. I ntervenir our identifier les or:! g ine (/ de ces problèmes et, a terme créer le changement est d ifficile, car cel � reme of e n-cause des pers o n nes, le u r m étier, le u r ide ntité p ro essi o n n e lle telle q u' i ls la vivent, voi re leu r e m ploi. [email protected]è lement, il est également diffiëile -, de consigner, de �apitaliser explicitement, p u is éventue llement de géllér \ liser les m odes d'inte rvention développés s u r le terrain d u problème.



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La recherche-action ' n d à ce dou ble souci. Elle vise, comme nous l'avons vu d'entrée, les démarches d uelles « qui poursuivent à la fois la re­ cherche et la transformation de l'objet et qui excluent celles qui ne visent qu'une finalité, l'action ou la recherche » et, touj o u rs selon Michel Liu, « la référence à Lewin manifeste la volonté de réaliser une recherche fon­ damentale et de ne pas se contenter des connaissances découvertes ail­ leurs » (Li u , 1997 : 19) . La première caractéristique de la recherche-action est d'être réalisée par les acteurs des pratiques et de l'action, objet de la recherche

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Cela signifie q u'e lle est élaborée et con d u ite dans chacune de s phases, s i poss i b le e n étro ite relation avec les bénéfi c i a i res gui devien ­ nent parte n a i res. et c h e rch e u rs, et à ce titre, la rec h e rch e-actio n collec­ tive est p l u s abo utie q u e la rec h e rc h e-acti o n d ' u n a u te u r seul. « TL recherche-action] articule constamment deux dimensions sociologiques :

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En quête d'une intelligence de l'agir

)v� l' analyse de l' implication de "l' auteur-chercheur " dans sa recherche, dans

son action au sein des institutions et des rapports de l'individuel et du col­ lectif dans les processus de changement social, avec une dimension ép is ­ tém olog iq u e : la distanciation critique vis-à-vis de ses propres pratiques et représentations sociales. . . » (Petit, 1983 : 83) . La recherche-action n'a

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pas de public-cible, la recherche-action a des pa rte naires de réflexio d'acti on, de transformation, de découverte, de dépassement... Le li quer est une condition à la fois scientifique et éthique lorsqu'il s ag!!_ d travaille r à ce que des hommes et des femmes transforment le urs cond' t e vie. À ce titre, la défi11itim1 proposée par Pouttols (1981: 5 5 7) appellerait une modification pour aller dans te sens de Des roche. Pourtois écri � « La r� cherche action est une �ech�rche appliquée, elle constitue � n : . se1entifique ». Gardons ce propos, mai pro1et social double d'un pro1et en considérant ta recherche-action non comme appliquée mais comme un�



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recherche impliquée et impliquante.

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econde caractéristique : l'objet de recherche représente un enjeu social Que cet enjeu so it réduit à un petit groupe, par exempte un service, une équipe d'accueil dans une antenne du sêcours populaire ou au Centre d'action communal, ou qu'il concerne une population impo rtante - re ­ cherche pour un autre fonctionnement ou une autre organisation dans une entreprise ou création d'un outil de mobilisation sur un projet de déve ­ loppement - il est mobilisateur pour les acteurs concernés. Quand une entreprise, une admin1strat 1 on o u tout autre institution font appe l à la re­ cherche-acti on,le problème est,certes,complexe et présente un véritable enjeu dont tes acteurs-chercheurs devront prendre conscience, mais qui existe en tant que tel. Ce po int ne pose généralement pas de problème dans la réalité,sauf pour ceux qui se considèrent remis en cause par leur mise en lumière. En revanche,cette condition do it être élucidée quand ta recherche-action est vécue en formation, les praticiens n'ayant pas tou­ jours cette caractéristique présente à l'esprit quand leur curi osité les oriente vers un objet de recherche.

a rroisième caractéristique : dans le cadre du contexte exposé plus haut, V. .a recherche-action est recherche et recherche rigoureuse '

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Elle vise à mettre au jour des connaissances nouvelles sur des phé­ . nomènes sociaux. Ces hénomènes sociaux, points de départ de la re­ ch�rche-action, appellent, de a par es acteurs qui s'en emparent, des ens1 on,d'explicati on, en vue d'une activités de connaissance, e potentielle transformation.

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La recherche-action enformation d'adultes, une autrefaçon de chercher

Rec h e rc h e -actio n et fo rm at i o n d ' a d u ltes Avant d'aller plus loin il est nécessaire, dans le contexte de cet exposé, de situer la recherche-action telle que nous la vivons dans un part:ours de formation d'adultes, à l'université de Paris I l l Sorbonne Nouvelle, conjointement avec le Collège coopératif de Paris. Cette formation s'inscrit dans un Master professionnel, le DEPRA ( Développement des Pratiques professionnelles et sociales par la Recherche-Action) dont la première étape, Mt, est le DHEPS (Diplôme des Hautes Études des Pratiques Sociales). Celui-ci s'enracine dans les fondements pédagogiques élaborés voici cinquante ans par Henri Desroche. Coopté sur travaux comme directeur de recherche à !'École Pratique des Hautes Études (EPHE) en 19 5 8, après son départ de l'ordre des Dominicains motivé par la publication d son ouvrage Signification du marxisme, Desroche a l'idée de reprendre le principes de la recherche-action pour les proposer à des praticiens de l'économ1e sociale et du développement. Il leur fait une offre : mener uné recherche ancree dans leurs pratiques eî en faire valider toutes les étapes en présentant un mémoire de recherche-action devant un jury universitaire, dans le cadre d'un diplôme de l'EPHE, d'où l'intitulé de DHEPS, diplôme de niveau BAC + 4, qui perdure après son intégration dans plusieurs universités. Son génie pédagogique va se concentrer sur plusieurs idées. 1/ Ne pas se oc · S1::Lf une c1p me mais assumer o a ement la QOSsibilité d'une ransdisciplina n des sciences sociales entre sociologie, ropologie. 2/ Ouvrir largement le recrutement, psychologie soc comme il est de tradition à l'EPHE à cette époque : ni examen ni diplôme ne sont exigés à l'entrée. La condition d'admission est déterminée par un premier dialogue d'accompagnement : « Qu'est-ce que tu as fait dans ton parcours? Que veux-tu faire comme recherche ? » . Les ressortissants des pays d'Afrique, d'Amérique du Sud et même d'Asie vont se précipiter.

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Pendant quarante ans, Desroche et son équipe, Belloncle, Colin, Viennay, vont animer et proposer des parcours de f . tion par la re­ cherche-action. D'abord ce sera pour le dip �'EPHE (6e secti ), ; , � puis, en 1976, dans le cadre d� ce qui devie 'E S.$ (Eco e es autes / Études des Sciences Sociales). A partir des ann�86, avec le départ en retraite d'Henri Desroche, le D H E PS fait son entrée dans une douzaine d'universités regroupées au sein du Réseau des Hautes Études des Pratiques Sociales2• Voilà pour le côté institutionnel. Pour le côté pédagogique, l'axe du parcours est de proposer à l'étudiant une recherche sur ses pratiques

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2 D'abord un G ro u pe d'intérêt scientifi q u e présidé par le professe u r M a u rice Parod i, deve n u a u · jourd ' h u i l e R I H E PS (Réseau I nternational d e s Hautes Ëtudes en Pratiques Sociales), s o u s forme d'une association de type 1901.

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En quête d 'une intelligence de !'agir

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et de l'ap puyer dans cette recherche par u n ense m b le de sém inaires mé­ t_tioaolo 1 ues o u s ec1flq ues que-f7 e », de telle e or an ise « à I façon q u e chaque étud iant puisse faire son menu d ifférem ment en fonction de sa recherche. Le arcou rs slj-a lon ël trois éta es princ" a les. ) p.i:� m i � r.f) est constituée d'u e autobiogra · e raiso n née et u n e m o .e­ �_ble/- o u enq uête exp loratoire - s u r le terrain de la questi � itiale. Cette pre m iè re prod u ction forma-tise u n début de construction de la recherche et vérifie q u e la q uestion est celle q u'on veut traiter et q u'e lle est va lable et viva ble. La soute n i r d evant un j u ry i nterne permet de fa i re le point au bout de q uelq ues m o is, de se ren d re com pte de ce q u'est un tra­ vai l te rm iné et de fo rcer les hésit · on s, devant le grand saut de l'écritu re destinée à l' u n iversité. Dans la d uxiè mè éta"è l'étud iant construit l'objet de recherche, fabriq ue ses outils d'enq u e e, réalise u n ec . ·-lf es données et présente le to ut sous forme d ' u n dossier. Enfin la . oisiè me� e est consacrée à l'analyse des données, puis à la rédaction t-·à+a-s--OÛtenance d u mémoire final. Cette présentation synthétique des m o m ents-clés d'une recherche­ action menée dans le cad re d ' u n e formation a p pe lle q uelques considéra­ tions s u r les points de rencontre et les d ive rgences entre les formes de la recherche d ite « acad é m iq u e » et celles de la recherche-action te lle q ue nous nous sommes efforcés de la défi n i r.







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Recherche et rech e rc h e-actio n : proxi m ités et d i ffére n ces Entre recherche « acadé m i q u e » o u externe et recherche-action, i l n ' y a p a s de diffé rence « onto logiq ue »3. c'est-à-d i re q u i relèverait de leu r être-en-soi, de le u r existence en tant q ue recherche. Les différen ces entre recherche « acad é m i q u e » et recherche-action portent s u r les p ratiq ues de co nstruction du savo ir et de cond u ite de la recherche à pa rti r de deux postu res d istinctes dont nous allons examiner les spécificités et non en fon ction de d e ux fin a l ités q ui seraient d ive rgen tes - ce qu i re n d cad u q ue

l'intention exclusive de fai re de la recherche-action u n e démarche lim itée à la recherche de solutions concrètes. On peut amorcer les distinctions à parti r de q ue lq u es q uestions : q u i sont les acte u rs de la recherche, d'où viennent-ils et q ue font-ils ? Quel parco u rs font-ils ? Com ment se dépla­ cent-i ls dans leu r espace social ? Que l est cet espace ? Que lle est leu r tem­ poralité ? Quels sont leu rs o bjectifs stratégiq ues et tactiq ues ? 3 · L'expression est de Lorenza Mondada, socio·linguiste. Voi r à ce sujet l'échange très fru ctueux entre Guy Berger, Lorenza Mondada et Patrick Renaud, « I nteraction et com plémenta rité de la recherche­ action et de la recherche académique » , i n Mesnier et Missotte (2003 : 315-321) .

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La recherche-action enformation d'adultes, une autrefaçon de chercher Du doute à l'intuition de la recherche. L 'amont

Le p raticien-cherc he u r part d o n c de l'intuition d ' u n pro b lème q u i pose u n enjeu social. D a n s l a plu part d e s cas, terra in e t acte u rs lui sont familiers et il perçoit ce problème plus o u moins explicitement depuis long­ te m ps. Dans une période précédente, son intu ition est née d'observations, d'expériences et de pratiq ues e n co u rs d'action, co uvrant parfois to ute une partie de sa vie. Avant d'aller plus loi n , i l convient de s'a rrête r un instant sur cet a m o nt de la recherche. Le p raticien qui se ve ut cherche u r par la recherche-action part de lieux sociaux d ifférents de ceux d u cherche u r « académ i q u e ». Le lieu d'ap­ parte n a n ce de ce dernier est u n e é q u i p e d e cherc h e u rs professio n n e ls, o rga n isée et rém u n é rée d ' u n e m a n ière ou d ' u n e autre, pour fa i re de la re­ c h e rc h e : C N RS, I N S E R M, u n ive rsités et cabinets p rivés où le q u otidien est exclusivement consacré à la recherche. Le praticien-cherc h e u r vit une situation d'action. Que lle q u e soit sa base, e ntre prise d'écon o m ie sociale, d e prod uction o u com m e rciale, une cité, une région rurale, u n service ad­ m inistratif, u n éta blissement d'enseignement p u blic o u privé, un syndicat, un parti po litiq ue, le p raticie n , m ê m e convaincu de l'opportun ité d ' u n e recherche, part d ' u n e situation d'action. O bservation involontaire ou événements déclencheurs, pe u i m po rte, une intuition s'est fait j o u r. Si ce n 'est l'observatio n , au moins l'attention est p résente à to u s les i n stants de nos vies, nota m ment dans to us nos actes. Nous percevons, reconnaissons, interprétons et nommons co m m e insti n ctivement. O r notre c u ltu re, n os habitudes de pe rce ptio n com man­ dent nos i nterprétations. Sans cesse des fi ltres c u lt u re ls, créant u n « sys­ tème représentationnel » s'inte rposent entre n o us et la réa lité pour nous la fai re voi r conforme à nos croyances, n os convictions, n os choix, n otre é d u cation, à la manière dont n o u s la com prenons, la s o u haitons. Dans ce concert de perce ptions, le p raticien est fra ppé par des pa­ radoxes, voire des contrad ictions, des dysfonction nements, et c'est là q u n aît l e d o ute. Même si c'est p o u r s e rej o i n d re plus tard, l e do ute d u cher c h e u r professionnel diffè re de ce l u i d u praticien-cherc h e u r : l' u n é m e rge d u registre théoriq ue, l'autre d u pratique. Le p raticien passe de l'attention ha bituelle à une observation flottante, qui pour Colette Péto n n et (1982) « consiste à rester en toute circonstance vacant et disponible, à ne pas mobiliser l'attention sur un objet précis, mais à la laisser "flotter" afin que les informations la pénètrent sans filtre, sans a prio ri, jusqu 'à ce que des points de repères, des convergences, apparaissent et que l'on parvienne alors à découvrir des règles sous-jacentes ».

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En quête d'une intelligence de /'agir De l'intuition à la question

�'jc}approx1 ma 1 , mais qui esq u isse déjà l'enjeu social en cause, parfois c'est \__/! ;enjeu qui est lui-même à l'origine. L'intuition des praticiens, sti m u lée par Ces observations aboutissent à u n question nement souvent enc re

u n événement q u e lconq ue4 d evient q u estio n de recherche et désir d'en savo i r plus avec plus de rigu e u r q ue les dêbats habitu e ls. Le projet de creuser par la recherche se cla rifie progressivement : i l s'a it de mettre au jour des connaissances q u i permettront aux acteu rs de réso u d re e pro­ blème gue pose ce phèn omêne soda[, avec en to ile de fond l'intention d'améliore r des p rat i q u es, l'organ isation, d e leve r des o bstac les ou de créer des faci litations pour a u gmenter l'efficacité de l'association, de la vie d u q u a rtier, d'un village o u d'une région ... Le chercheur acad é m i ue lui, a rt d ' u n oint de vue diffé rent : l'in­ tu ition u n e recherche possi b le s u r u n o bjet non exploré, ou m a séton son point de vue ou encore tres anciennement étudié et qui n'a pas béné­ ficié des apports de recherches récentes. l l part de la réalité, mais de la � réalité théoriq ue et cherche co m ment par sa reche rch e i l pe ut a p.Q2.rte r \...Y des connaissances u i en richi ront le atrim ome d u savoir. À ces q u estions s ai o utent es facte u rs plus matériels. Le c h e rch e u r travaille dans telle é q u i pe de l' i N S E RM;·du CNRS oÜ a utre laboratoire où des recherches sont en c o u rs, o ù des o rientations de recherche s'annoncent o u existent, où des théories s'élaborent. Derrière le q uestionnement s'en pose u n a utre : la recherche envisagée apporte-t-e lle q ue lq ue chose à cet ense m b le ainsi q u'au cherc h e u r lui-même dans sa propre démarche de recherche et au­ delà dans sa carrière ? Cette intu ition de recherche co rrespond-e lle a ux co u rants de recherche en c o u rs dans l' instance de recherche à laq ue lle i l appartient (o u vo u d rait a p parte n i r) et plus prosaïq uement c e q u e l e choix de cette recherche peut apporter à ce dernier pour o btenir des commandes et/ou des s u bsides ?

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4 Dans le D H E PS, il s'agit de se mettre en recherche pour satisfa i re aux exi gences de la fo rmation. Dans de nom bre ux cas la demande vient d u milieu o u d ' u n événement déclencheur qui en a marq ué la vie. -

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La recherche-action enformation d'adultes, une autrefaçon de chercher

Schéma de la recherche-action Philippe MISSOTIE (2008)

(D'après Georges Benézé (La méthode expérimentale, PUF, 1954), cité par Loubet del Baylle (Introduction aux méthodes des sciences sociales, Privat, 1989)

Hypothèse de recherche. Modèle de l'analyse

M éthode hypoth ético d é d uctive

future ou cadre

Formulation d u p roblème ou problématique de la recherche.

d'an alyse. Quels ind icateurs ? Que chercher

Méthode de recherche.

dans la réalité ?

Stratégie

Recherche

d e recherche.

documenta ire poussée

Qui ?

sur l'objet.

Vérification de

Où ?

l'hypothèse Ce que je trouve vérifie+il

Formalisation de la

Choix des outils

la supposition

question d e départ

de recherche.

de départ ou

de la recherche

est·elle nuancée

ou conjecture

et dans quelle

de recherche.

occurence ?

Observations du réel. Enq uêtes Recueil des données.

Quelles conn aissances sont mises au jour ?

Observation raisonnée. Entretiens exploratoires.

Saisie. Exploitation.

Exploration

Analyse et interprétation. R Ë DACT ION D U RAPPORT. Rapport aux décideurs.

documentaire. Rencontres d0experts.

Questionnement par rapport a l'état de la recherche.

Autobio9raphie raisonnée de /' acteur-chercheur. • •

.,



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. . .. . .

Expériences antérieures de recherche.



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Intuitions. �

• • • • • • • --·.· • • •

:

Observations ftottantes.



M éthode i n d u ctive

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.. . . . . . . . . .

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.

Diffusion des con naissances nouvelles. Applications p ratiques (hors de la recherche) . N ouvelles intuitions de recherche.

45

En quête d'une intelligence de /'agir

À cette occasion, on constate que les risq ues de biais de la recherche et l'arbitraire ne sont pas uniq uement d u côté de l'acteur et q ue la recherche, quelle q u'elle soit, exige une veille constante en vue de garder une neutralité · .L!-ue Quant à cette prise de d istance pour les praticiens apprentis­ .w:>J....� ..., chercheurs, nous ne débattrons pas de la rigue u r wébérienne de neutralité, pour l'ad mettre co m m e un postu lat de base ; la su ite de le u r carriè re dans la recherche le u r permettra de pre n d re à le u r to u r le u r propre responsabi­ lité face à ce d i le m m e de l'engagement d u cherc h e u r. Dans u n pre m ier m ps, nous nous pro posons de le résou d r r ne cjfmarche spécifiq ue, pparem ment anodin.f, mais q u i situe le oints de d a : l' h istoi reâes expériences qui au c o u rs de la vie ont amenee-t'tf . tfti't�m:l la q u estion de départ.

L'intuition et la situation institutionnelle jouent donc déjà un rôle dans cette différence de posture. U n autre point de vue d istingue les d e ux types de recherche, avec des conséq uences pou r la suite, notamment la diffusion et l' utilisation des rés u ltats. La recherche externe com mandée par une au­ torité responsable n'a de com ptes à ren d re q u'à cette autorité, qu'elle soit interne à l'équipe de recherche ou q u'elle soit celle du command itaire. En recherche-action i n d ividuelle o u collective mais ortiori collective, la déa es vec les m arc e se ve u ra 1calement d i ffé rente. U acte u rs et agents concernes, a 1 , travai lle sociaux, le o u les cherc'fîe u rs sont engagés avec et devant le gro u pe concerné. Pas de recherche­ action clandestine : la démarche se réfè re là au plus profond de la théorie des scien ces sociales, q u and Max Weber écrit q u e se u l on n e pe ut pas i n terpréte r les d o n n ées. Situer la question dans son parcours

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Dans les curricula d u D H E PS, l'autobio raphie raison née est la règle de cette étape i n itiale. Desroche la considère co m m e e pre m ier te m ps d'une progression maïe utiq ue pour plusie u rs raisons. Elle permet a u futu r chercheur de fai re le point s u r ses expériences pratiq ues, en dé passant les carences des CV o ù la s u resti m ation des études acad é m i q ues va de pair avec le passage sous silence des a p p rentissages i n formels, po u rtant bien réels et essentiels dans la construction de l'individ u . À ce titre, l'auto•biographie raison née joue un premier rô le de remontée de l'ense m b le de � ces réalités. Mais aussi en éclaircissant les so u rces proches ou lointaines des intuitions q u i l'alimentent, elle éclaire le q uestionnement na issant et peut contri buer à le précise r, voi re à le modifier. Concrètement, elle i nvite à écrire s u r soi, mais d ' u n point de vue n o uveau, celui de la recherche q u i s'an nonce, et inaugure ainsi une pratiq ue d'autoformation.

.

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La recherche-action enformation d'adultes, une autrefaçon de chercher

Le raticien vérifie ensu ite l'opportun ité de son q uestionnement, sa valid ité et s faisa 1 e p resen e. o u r ce a 1 exp ore le te rrain et creuse son o bjet de plusie u rs façons. I l décorti q u e une pre­ m ière documentation afférente et s i m u ltanément interroge deux catégo­ ries d ' acte u rs, des acte u rs du terrain et des expe rts p o u r vérifi e r la pertin e n ce de sa q uestion. Il cho isit les u n s et les a utres a contrario de la règle scientifi q u e q u i ve ut q u e ce soit le hasard q u i les désigne et o pte pour des personnes q u ' i l sait avoir été confrontées au pro blèm e et l'avoir réfléchi. Renforcer la base de départ

C'est le moment o ù u n e recherche sé mantique systé mati q u e s u r les termes cte l'objet avec ses decli n a 1sons da ns to ute le u r e nvergure permet 1 au u u r c e rc e u r de form u le r son o bjet et d'envisage r to utes les d i men- 1 sions de la documentation utile ... et de celle q u i ne l'est pas, grâce à sctiémas heu ristiq ues où se constru it le cham p sé m a ntiq ue des notions­ c lés d e la recherc h e q u i vont l'orienter ve rs les lect u res pertin entes et l'identification des con ce pts maje u rs de la recherche. S i m u lta nément à cette première d é m a rche i n itiatoire a u processus théorique, le cherc h e u r­ praticien passe à u n e observation raisonnée d u terrain et de sa périphérie. Le p raticien accentue son attitude de cherc h e u r en o rgan is antet en foca­ lisant son o bservation s u r le phénomène e n cause. Po u r cela, il réalise par l u 1 - m e m e des observations directes, recu eille aes co nve rsations i n fo r­ m e l les et réalise q ue lq ues e ntretiens explo rato i re s a u p rès d'acte u rs concernés pour exa m i n e r comment i ls expriment le problème e n cause et son e nviron nement social. Souvent il revient a u p rès des person nes inter­ viewées p o u r fa i re préciser te l o u te l point resté obsc u r, o u tels sous-en­ te n d u s q u i révè lent q u' i l y a « anguille sous roche ».

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Problématique e t construction de l'objet

De la form u lation de la p ro b lé m ati q u e à l'é laboration d u modèle d'analyse en passant par la rédaction de l'hypothèse, nous sommes ici dans e e de la pre des ope rations q u i relevent - a la d re partie d u par­ co u rs d e type inductif - d u gen re h thé ico-déductif oir schéma page 45) . Ici, la parenté est grande entre les d e ux fo rmes de recherche. Elles abo utissent dans les d e ux cas à la construction de l'o bjet de rec herche en tant q ue tel, qui n e peut être que constru it, p u isqu'il s'agit d' u n rega rd q u i rom pt avec l a vision q u otid ienne aussi p récise e t atte ntionnée soit-elle, pour la sou mettre à un déto u r, à une « rupt u re épisté m o logiq ue », selon l'exp ression de Bachelard, qui o riente le chercheur ve rs des connaissances o bte n ues grâce à u n e méthode clairement exposée.

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47

En quête d'une intelligence de /'agir

L' hypothèse, d a n s les d e u x cas, est u n e s u p p osition p rovisoire censée ré ponâre à la q u estion de d é part à certaines cond itions. Elle arti­ c u le des conce pts et attri buts de conce pts pour fo rme r l'affirm ation te m­ poraire que la recherche des faits d oit valider, rejeter ou n u ancer selon tels ou tels facteu rs plus ou moins dirimants. Le chercheur rédige son hypothèse de manière plus conce ptuelle, moins a p p uyée aux don nées de la problé­ m atiq ue d o n t il se dégage p o u r te nte r de c réer u n e règle. Que l les q u e soient s o n intention e t s a prise de conscience de l a vo lonté de théo riser à partir de sa recherche, le praticien-cherc h e u r a tendance, de son côté à poser une hypothèse q u i explicite la solution d u phénomène dont il cherche à obtenir de meille u res connaissances. La s u pervision ou la d i rection de recherche consiste alors à dégager l'hypothèse du contexte po u r lui don­ ner u n caractè re si ce n'est u n ive rsel, au moins général, q u i guide la re­ cherche s u r u ne voie plus conceptuelle et moins contextualisée.

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Modèle d'analyse

Même si pour l' u n et l'autre, la recherche des i n d icate u rs est p ro ba­ blement le passage le plus dé licat d u p rocessus, la construction a priori d u modèle d'analyse reste une étape essentielle, car à ne pas savoir ce q u'il cherche, le chercheur ne sait pas ce q u'il trouve. N o m b re d'enq u êtes issues directe ment de l'hypothèse, voi re de la pro b lé m atique, se perdent dans u n fatras indémêla ble. Le modèle d'analyse du cherche u r acad é m i q u e est d'e m b lée étroite ment lié aux conce pts de son hypothèse d écontextualisée. Pou r le pra­ fticien-cherc h e u r, le cadre d ' a n a lyse, au contraire, est d'em blée lié a ux 1 � onnées de la problématique à réso u d re. Dans n o m b re de cas, s u rtout en µormation, la pre m iè re démarche du praticien est de constru ire son modèle d'analyse à partir d'idées générales - souvent entités généreuses - mais q u i n'indiq uent en rien ce q u ' i l faut chercher. Ce n'est pas l'esprit de syn­ thèse q u i fait défaut mais celui d'analyse. Plusieurs phases constituent ce travail : décliner les d imensions de chaque concept choisi pour en tire r des i �e u rs q u i l'incarnent dans la réalité ; donner à chaque ind icate u r des critères d'évaluation, si possible mesura b les, même si cette mesure reste fixée par le praticien-chercheur avec to us les risq ues de s u bjectivité i m a­ ginables : il se donne une éche lle d'appréciation .

1

L

Stratégie de recherche e t outils de pénétration du réel

De la même m a n ière q u e dans la recherche, u n e pre m ière approche est ainsi posée de ce q u'il faut trouver pour éclairer, informer, les concepts de l'hypothèse au sens de donner à chacun la forme concrète q u i va lide l'affirmation q u'ils posent en cette occu rrence. La stratégie de recherche 48

La recherche-action enformation d'adultes, une autrefaçon de chercher

consiste à se demander o ù sont les faits q u i pe uvent donner sens à ces c o n ce pts et co m me n t les m e ttre au j o u r. Où se tro uve nt-ils ? À q u e lle occasion se manifestent-ils ? Existe-il des textes à analyser q u i les révèlent ? Au p rès de q u i récu pére r ces éléments é parpi llés de la réa lité ? Sans entre r dans u n d isco u rs sur les tech niq ues de con d u ite d'e q uêt de rec ueil des don nées, observon s à nouveau les deux postu res. rec h e rc h e cad ' e a p lutôt ten d ance à choisir des d é m a rches orientatio n econtextualisante pour rapatrier les don nées dans l'espace p rofessionnel de recherche, académique o u de l'institut de recherche, a gn d e tenter de constru i re des théories plus générales. Po u r cela la recherdî e acadé m i q u e choisit des outils méthodologi q u es d u type q u estio n n a i re q uantitatif, com ptage q uantitatif, entretiens fondés s u r des stru ctures très rigo u re uses q u i ont tendance à sorti r la réa lité de son contexte particu lier, p o u r l'isoler. La recherche-action, e lle, privilégie des m éthodes plus endo­ gènes. Dans cette p h ase où le p raticien-cherc h e u r revient s u r le terrain, la 1 d imension actio n re prend son i m portance. Le praticien peut envisage r des: possibilités d'expé ri m entations pratiq ues n o uvelles. Sa position lui perm et d e saisir des o p p o rtun ités évé n e m e ntie lles q u i s'inscrivent dans la te m po ralité des p ratiq ues de terra i n . U n peu à l'image de l'anthro po logue q u i s' i m m e rge dans u n terrain, i l est d éjà dans son m i lieu et le problème posé « comme u n poisson dans l'eau » . Dans notre cas, le praticien est d éjà i m m e rgé, so t j usq u'au cou et depuis lo ngte m ps. Si l'on pense à la pratiq ue de I' thnologue, a rrive assez bien à se re prése nter les deux espaces de savo i r, e e rram d ' u n côté et l'académie de l'autre. Les logiq ues pro p res à ces deux espaces m ontrent q ue le cherc h e u r en acad é m ie et le cherc h e u r en recherche-action partent des d e ux poi nts o pposés déjà observés dans les phases p récéde ntes. La constru ction des outils est différente. Le cherch e u r acadé m i q u OU ' construit habituellement ses outils lui-même et les vérifie avec son équ ipe Le p raticien peut les constru i re et les vérifier avec les acte u rs. I l a a ussi l'avantage de con naître les su bti lités de langage utilisées dans le m ilieu et les manières de réagir des person nes notam ment concernant les entretiens, i l sait ce q u' i l peut atte n d re. I l connaît par ailleurs des resso u rces docu A.A-) mentai res a uxq uelles son action antérie u re lui donne u n accès i m m é d iat. l� · ·

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Recueil des données

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Le concret d u recueil des don nées, a u pre m i e r regard nécessai re ment identique dans t o u s l e s c a s , pose à n otre exposé d e s i nterrogations plus pratiq ues et plus lo u rdes de conséq uences entre recherche-action et recherch exte rne. Les cherc h e u rs acadé m i q u es considèrent - là a ussi nous f çons t it - q ue les acte u rs n'ont pas la capacité intellectuelle

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1

En quête d'une intelligence de /'agir

de com prend re n i leu r voca b u laire tec h n i q u e n i de saisir les théories en ca use et entre lesq uelles il faut trancher. De ce fa it, i ls n'ont gén é ralement t pas la préoccu pation d e les exp liciter. Au contraire, le u r tactique est de prend re leu rs inte rl�u rs pa�rise, avec co m m e postu lat que moins o n laisse réfléchir les acte u rs (o u les bénéficiaires de l'action, les usagers, etc.) , et plus la ré ponse sera o bte n u e ra pidement et moins on a de chance q u'elle masq ue la vé rité. Ce postu lat rarement explicité, con d u it à ne pas expliquer le pou rq uoi de la recherche et m ê m e parfois de le dissi m u le r de telle façon q u e l'inte rlocute u r n'ait pas la possibilité d'interpréte r la q ues­ tion. U n entretien sera fait sans u n e présentation de son objectif, de son uti lisation qui va s u ivre, des gens qui ont été inte rrogés, de ce que cela re présente. L'objectis est de s'ass u rer - croit-on par cette voie-là - une plus grande véracité dans les ré ponses dans la mes u re o ù les gens n'ont pas le te m ps de réflé c h i r à des interprétations d iffé rentes, n ota m ment celles censées être biaisées par leu rs intérêts. Or.ces intérêts-là sont a ussi des faits. L' hypothèse méthodologiq ue est dans ce cas q u e plus l'i nte rlo­ cute u r est s u rpris par u n e q u estion , plus grande est la possibi lité q u'il ré" ponde ce q u i est la « vé rité )L[iJje » parce q u' i l n'a pas e u le tem ps de éfléchir, n i de com poser, n i de m a q u i ller. ·VTout a utre est la position de ceux q u i pratiq uent et q u i précon isent la recherche-action. L' une des plus grandes diffé r en ces dans la con d u ite d'une enq uête est q u e les praticiens-chercheurs vont s'efforcer d'expliciter les o bjectifs de la rec h e rche et de te l outil e n ca u se, à q u oi i l va servi r, pourq uoi on le fait, pourq uoi o n inte rroge certains et pas d'autres. Les ob­ ctifs et les méthodes de recherche tendent à pro uver a ux gens interrogés q ue sans le u r partici pation i l serait im possible d'a bord e r o u de percer la vé rité te lle q u'eux la ressentent et donc la vé rité q u i com pte par rapport a u projet de recherche. Le praticien-cherc h e u r en recherche-actio n passe un tem ps appréciable à l'explicitation des objectifs, des méthodes, de l'uti­ lisation des résu ltats et des retom bées q u'ils pe uvent avoir par rapport à la population enq uêtée et concernée par la recherche. L'opposition, posée ici de façon sim pliste, est que d'un côté le cher­ cheur externe considère a popul · et les acteurs q u i sont les premiers concernés comme de objets de recher e, qui n'ont pas à comprend re, q u i qnt à répondre, q u i n'o e rcher à s'ad apte r avec intelligence a ux q uestions, q u i n'ont pas à demander l' interprétation q u'on leu r donne ou l'utilisation q u'on projette. De l'autre, les chercheurs-acteu rs considèrent au r- contraire q u e les gens i nte rrogessont des sujets de la recherche et q u'on ne peut atteindre la vé rité sociale cachée q u'avec leu r cotla"'6o ration com",,Jl!'j p iète fondée s u r u n e com préhension q u i d o n n e sens a ux objectifs, a ux supra weber. p. 46) . en utmsa n

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La recherche-action enformation d'adultes, une autrefaçon de ch Analyse et exploitation

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Les deux types de recherche se d istinguent a u moment de l'analyse. En recherche exte rne, les cherc h e u rs ont ad m i n istré q uestion n a i res et entretiens, recueilli les traces existantes et re partent avec les rés u ltats q u'ils ( exgloitent en laboratoire. En œ.cherche-action un dé bat est nécessaire av.ec � les personnes i ntéressées. Il est difficile de fai re le travai l d'analyse avec u n gra n d n o m bre de personnes, mais i l peut être réa lisé avec des vo lontai res. Ceux-ci apporte nt le point de vue d u te rrain s u r des données par ailleurs indiscuta bles. D u oint de vue des sciences sociales, ces démarches d i,?logiq ues, déjà évo q u ées a u dé ut e a rec e rc e, se on ent sur le princi e ue seu l o n n e peut pas mterpfêtér les don nées à la place des Re rsonnes q u'e lles concernen . e ange r es e t i re r es mterpretat1ons des d o n nées sans vérifier q ue ces i nte rprétations sont bien reco n n ues co m m e les bonnes par les person nes qui vous les ont don nées et ont u n s e n s p o u r e lles. Autre m e nt o n risq ue d e se tro m pe r d u t o u t au to ut, en collant u n e interprétatio n tech niciste - e u ro péocentri q u e dans le cas du d éve lo p pe ment - alors q u e la popu lation enq uêtée, à la fois les acte u rs et les bénéficiai res de l'action, donne une sign ification différente. Le travail scientifi q u e au sens propre nécessite cette vérification par ceux q u i fo u rn issent les matéria ux, exigeant une confrontation rée lle entre l'interprétatio n d u chercheur et l' inte rprétation des gens. Cette confrontation peut cond u i re le cherc h e u r à ne pas modifier ses positions sur certains points, ce q u i peut entraîn e r les gen s à mod ifier les le u rs. À l'i nverse, ce d ialogue dans l'analyse peut i n citer le chercheur à considére r q u' i l s'était peut-être tro p rapidement hasardé dans une interprétation e rronée.

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Diffusion et utilisation

Dans la plu part des cas, la dém arche de recherche s'achève en ou­ vrant d'autres pers pectives d e recherche, e n posant d'autres q u estions. Pou r l'instant, la phase actuelle est terminée et i l convient d'expose r les résu ltats. La distinction entre les deux types de recherche externe et re­ cherche-action revient encore au contrat de départ. Les cherche u rs exte rnes reviennent avec le u rs rés u ltats consignés dans u n ra p port de recherche et rendent com pte d e le u rs déco uvertes à N� . l'autorité command ita i re de la recherche. Le u r ra pport est gé néralement �!Y� écrit dans u n langage tec h n i q u e q u i le u r est pro p re, souvent difficilement h co m p réhensi ble par les destinataires pa rce q u ' ils ne m ettent pas de sens Ut. s u r ces m ots.

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En recherche-action; le o u les cherc h e u rs exp licitant le u r démarche tout a u long du parcou rs ont proposé aux acteu rs de terrain, y com pris de la

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En quête d'une intelligence de /'agir

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base, habitants, villageois, employés, de se mobiliser autour de la recherche. Cet e n gagement - il s'agit p l u s q u e d ' u n princi pe, mais d ' u n pacte exi e de réd i e r l'a n a lyse d a n s u n lan gage q u e co m p rennent des pere n ces s o c i a les. Pa rfois plusieurs rapports sont nécessaires. Si dans les phases prêté entes, notam­ ment d'analyse des don nées, un dialogue d'élaboration s'est éta '*'�c des personnes volonta i res, i l s'agit maintenant de donner raison �r et d'expose r les résu ltats de la recherche, non pour q u'ils soient entérinés tels q uels, mais pour q u'ils soient à n o uveau passés au crible du sens des acte u rs, interprétés ense m b le et éventue llement co rrigés en fon ction d u sens q u e les intéressés font pre n d re à c e q u i est avancé. Rien n'em pêche de présenter les deux points de vue s'ils sont trop éloignés : l'enquête met au j o u r te l point q ue nous interprétons ainsi mais que les acte u rs com­ pren nent o u expliquent de te lle façon. Cette phase pose u n problème ins­ titutionnel : s'il s'agit d'une recherc he-action com m a n d itée o u ayant reçu l'aval d'une a uto rité res ponsable, cette d é m a rche de reco u rs a ux acteu rs en fin de rec herche doit être annoncée de lon gue date - dès le contrat et réexpliq uée en co u rs afi n de ne pas s u rprendre et choq uer les respon­ sables qui attendent q u'on leu r présente les résu ltats e n premier. Ce travail avec les acteu rs offre plusie u rs ouvert u res. Les n o uvelles conn aissances permettent aux acte u rs et aux responsables de réaj uster l'action, de faire de n o uve lles progra m m ations, mais a ussi de capitalise r des rés u ltats dont u n grand n o m b re a conscience et q u i permettront des comparaisons dans le futur et d'autres réajustements. La recherche-action permet de mieux fixer les objectifs, mais a ussi d'appréhender les méthodes de recherche par un plus grand n o m b re de person nes concernées q u i pou rront en débattre e t s e mobiliser pou r d'autres formes d e changement.

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La recherche-action enformation d'adultes, une autrefaçon de chercher

Bibliographie CHOSSON J . - F 1983, (( Po u r un braco n nage i ntellectuel », Pour. n° 90. ••

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Reche rche-action, genre et développement Uneco mbina to ire po ur lechang emen t Marie-Lise SEMBLAT1

D

es démarches territorialisées en France et au Sénégal trad uisent le passage d'une formation-action à une formation par la recherche­ action et d ' u n e a p p roche spécifi q u e fe m mes à une a p p roche de gen re. Pou r les analyser, nous prenons a p p u i dans cette contrib ution s u r u n e expérience h étérogène, faite de pratiq ues locales, régionales o u in­ ternatio n a les, de vie associative et de formation des ad u ltes a u Co llège coopératif de Paris o u à l' u n iversité de la Sorbonne N ouvelle - Paris I l l . Ces derniers ont, en partenariat avec le réseau AST E R - I nternational, ac­ com pagné des gro u pes d'ad u ltes en formation dans une opti q u e croisant le gen re et le développement local par la construction de parco u rs C l L, Ce rtificat d ' i n itiative Locale, pouvant cond u i re au D H E PS, D i p lô m e des Ha utes Études des Pratiq ues Sociales. Un bref déto u r autobiographique rappelle le croisement de mon his­ toire person nelle avec des pratiq ues collectives. U n e cla rification concep­ tue lle p récède u n e p résentatio n de p l u s ie u rs expérie n ces, e n prenant a p p u i s u r d ive rs d o c u m e nts (co m ptes ren d us, éva l u ations, capitalisations,

articles) : - formation de fem mes par la form ation-action (Picard ie) ;

1 · Marie-Lise Sem blat est d octe u r en géogra p h ie sociale, experte dans le domaine du G e n re, et pré· sidente du réseau AST E R - I nternational.

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En quête d'une intelligence de / 'agir

- fo rmation de fem mes par ta recherche-action (Picardie) ; - parcours d ' u n gro u pe m ixte par ta recherche-action dans u n croisement VAE (Va lidation des acq u is de l'expérien ce) gen re, et te rritoi re (Bo u rgogne) ; - expé rience sénégalaise à d e ux volets : ta formation d ' u n gro u pe m ixte avec u n e option G ED (Ge n re et Déve lo p pement) et ta création d'une Maison des fem m es. À partir de ces ra ppels, n o u s a n a lyson s te passage d ' u n e fo rma­ tion-action à u n e fo rmation p a r ta rec h e rc h e-action et celu i d ' u n e ap­ proche spécifi q u e fe m m es à cette d u ge n re . L'a p p ro c h e de ge n re et ta méthode de recherche-actio n sont toutes d e ux glo ba les et transve rsa les, elles rom pent avec tes ana lyses classiq ues. N o u s exam inons comment, q uand elles se croisent, l'effet de « rupture » se renfo rce. Elles conve rgent alors po u r : - créer des cond itions de changement social ; - ren ouve ler tes pratiq ues de développement ; - identifier de n o uvelles pratiq ues organ isationne lles ; - amorcer u n passage de ta pensée sim , ple et linéaire à des caractè res de pensée com plexe.

U n e prati q ue a n c rée d a n s u n e h i sto i re pe rso n n elle Formée autant par tes m o uvements d' É d ucation populaire q u e p a r l' Un iversité, je suis convaincue q u e l'utopie p e u t s e pratiquer p a r l'engage­ ment pou r u n change ment social visant plus d'égalité et de justice sociale. Pour être née et avoir vécu à ta frontière belge, j'ai connu tes échanges transfrontaliers, p u is coordonné plusie u rs ren contres de jeu nes en Alle­ magne, d é m arches logiq ues de proxi m ité géographiq ue, de « réconci lia­ tion » po u r tes jeu nes de ma génération et première prise de conscience d'Européenne . . J e n'ai jamais o u blié tes récits des com bats de m o n gran d-père q uand, en 36, tes fe m mes venaient ravitai ller tes hom mes occ u pant leu r usine d u N o rd i n d u striel. J'ai été, dès t e lycée, m e m b re d e com ités antifas­ cistes a u m o ment de ta guerre d'Algérie dont l'indépendance me préoccu­ pait au m o i n s a utant l'année 61-62 q ue l'exa men de propédeutique. La s u ite s'inscrit dans ta fidélité à des idées, synd icalisme et vie associative ont été une constante a ussi i m portante q ue ta vie professionne lle et ta vie fam i liale. Les an nées 90 ont été marq uées par trois moments-clés : rencontre d u Collège coopératif et de t'œuvre d'Henri Desroche, retou r à l'u n iversité, c réation d'AST E R (Actrices Sociales des Te rritoi res E u ropéens R u raux) 56

Recherche-action, genre et développement. Une combinatoire pour le changement

com m e o rganisme de formation et résea u inte rnational croisant le déve­ loppe ment territorial et l'égalité fem mes/hom mes2• Cette rencontre de la recherche-action aura it p u m e permettre, s' i l l'avait fallu, de sorti r d ' u n e sch izo p h ré n ie, q u e p a r chance, m e s engage­ m ents et l'ense i gn e m e n t de la p h i loso p h ie d a n s un lycée expéri mental (grou pes d e travai l a uton o m es, projets d'action éd ucative, réa lisations de vidéos) m'ont évité. Je faisais alors d e la recherche-action sans la n o m m e r, soit avec les élèves, soit aussi avec des associations (G ro u pes de fe m mes, Centre sociocu lt u re l, Festiva l de cinéma e u ro péen, Centre d'information des d ro its des fe m mes ... ). Après l'école d u « voi r, j u ge r, agir » des m o uve­ ments de jeunes, je retrouvais, de manière systématisée et scientifiq uement élaborée, les éta pes q u i vont de l'observation à l'ana lyse, puis à un reto u r à l'action pour la revisiter, l'a méliore r et mettre en œ uvre d u change m ent. La recherche co n d u ite dans le cadre du docto rat s'inscrit dans la contin u ité d ' u n engagement, le « reto u r aux études » ré pond à u n besoin d'analyse r par la recherche-action des pratiq ues de gro u pes de fe m m es avec q u i, dans le cad re d'échanges e u ro péens et internationaux, j'ava is construit des parte nariats. J'ai alors reten u de m a n i è re i n d u ctive des expériences à partir de rencontres croisées et ren o uve lées et élaboré le concept de « fé m i nisme territorial » . J'ai fait mienne cette form u le de Dan ielle Lafontaine (1981 : 119-138) , cherc h e u re q uébécoise : « Il y a un sens à s'interroger sur les conditions de production d'une recherche engagée, mais néanmoins ri­ goureuse et construite ». I l ne s'agit pas de privi légier l'engagement par ra pport à la recherche, mais de voi r plutôt e n quoi l'e ngagement peut por­ te r u n e d é m a rc h e critiq ue, faisant offi ce d e rupture é p isté m o logi q u e à l'éga rd d u rée l social. L'e n gage m e nt n'est pas fo rcé m e n t incom patible avec la rec h e rche, m a is pe ut, a u contra i re , la sti m u ler, en sachant q u e

2 - ASTER-I nternational est à l a fo is laboratoire d 'expéri mentation socia le, observatoi re des pratiq ues et réseau qui met en œuvre une « pédagogie de l'action » et une « pédagogie de l'i nternational au service d u développement local » . La première privilégie le territo i re, le groupe, le p rojet. La seconde est fondée s u r la réci p rocité, le partage des expériences, les coopérations interterritoriales. Dans une optique d e changement social, AST E R d éveloppe des spécificités : « Fem mes - Territoire - Développe­ ment local d u rable - G e n re et développement - Réseau - I nternation a l » . AST E R s e veut un l i e u d'écha nge de pratiq ues, d'expériences et de com pétences, de circulation des personnes et des idées, mais également d'actions, d e réflexi on et d ' a n a lyse. Le résea u réunit des membres et partena i res d e d i fférents continents : Afrique (Burkina Faso, Maroc, République Démo­ cratiq u e d u Congo, Sénégal), Améri q u e (Canada) , Europe. Modes d'intervention : ingénierie de fo rmation, recherche-action, accom pagnement et suivi d e projets territorialisés, séminaires internationaux, réalisations de guides pédagogiq ues, études et recherches.

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En quête d'une intelligence de /'agir

« notre activité de connaissance apparaÎtra toujours suspecte à ceux que nos interrogations sur l'ordre des choses dérangeront ».

Dans le contexte de m utations sociétales, de mondialisation écono­ m iq u e et de crise financière, le concept de déve lo ppement livre de plus en plus ses lim ites et ses effets pervers. L'a p p roche de gen re et la recherche­ actio n , si elles sont articu lées à une vision p h iloso p h i q ue et politiq ue, convergent s u r plusieu rs points et peuvent susciter de no uvelles pratiq ues et d'autres conceptions du d éveloppement.

Rech e rche -action et a p proc h e de ge n re, p o u r u n a utre d éve lo p p e m e nt Le concept on usien d e développement est tro p so uvent réd u it au progrès et à la croissance, il i m pose alors u n modèle u n ifo rm isant renforcé dans le contexte de mond ialisation et suscitant en réaction des re plis iden­ titaires pa rfo is violents. I l contri b u e à exc l u re des gro u pes sociéta ux, des régions, des pays, voi re des continents (Se m b lat, 1997) . Ed gar Morin (1984 : 449) constate les échecs d u d éveloppement et « le développement de la crise du développement », il le traite de « mal développement » et identifie le dévelo ppement au service d'un « modèle d'humanité masculin, adulte, bourgeois, blanc » aboutissant à une vision

« humanistique/rationalistique, unidimensionnelle et pauvre de l'homme et qui repose sur une idée mécanistique/économistique étonnamment bor­ née de la société ». Il sou ligne le rôle joué par les m inorités d'exclus, alors q ue « des ferments juvéniles, féminins, multiethniques, multiraciaux sont en œuvre ». D'autres remettent en cause la logique même d u dévelo ppement,

et traitent de post-déve l o p p e m e n t, d ' a p rès-déve l o p pe m e nt o u d ' a nti­ déve loppement (Be rge ron, 1992) . Si des spécia listes constatent les échecs d u d éveloppement, les ac­ te u rs de terrain cherchent, e ux, d e p u is plusie u rs décenn ies des solutions, et c'est ainsi q ue des q ualificatifs ont été ajoutés a u terme « développe­ ment » : après « développeme local », i l s'est agi de « développe ment social » puis de « développeme t d u rable ». Le pre m ier adjectif fait a p pel à l'exclusion territo riale, le sec n d à celle de catégories sociales, le troi­ sième envisage la globalité des imensions sociale, c u lt u relle, e nvironne­ mentale et écon o m i q u e d ' u n d ve loppement q u i préserve l'ave n i r de la planète et des gé nérations futu es. Face aux lim ites et aux ef ets pervers du développement, l'appel à la mobi lisation de toutes les re sou rces, notam ment celles des fem m es, con d u it à s'inte rroger sur les qu stions relatives à l'égalité des fe m mes et des hom mes. C'est ainsi que le c ncept de « gen re » va être de plus en plus

l

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Recherche-action, genre et développement. Une combinatoire pour le changement

m is de l'avant mais il est difficilement appréhendé dans sa trad uction fran­ çaise à partir du gender anglais, suscitant encore dans le monde francop hone et plus s péciale m e n t e n France des résistances, i n c o m p ré h e n s i o n s et blocages. Le ge n re « a d'abord été pensé en anglais par opposition au sexe : le genre serait au sexe ce que la culture est à la nature » (Fass in, 2009 : 29) . I ntrod u it par la socio logue brita n n i q u e An ne Oa kley, officielle­ ment recon n u a p rès la Confé rence m o n d i a le des fe m m es de Beij i n g en 199 5 , il est mai ntenant intégré dans les politiq ues p u bliq ues, les p ro­ gra m m es de coopération internationale, les age nces on usiennes ... C'est, p o u r les c h e rche u res fé m i n istes, u ne façon condensée de n o m m e r les « rapports sociaux de sexe », ra pports inégalitaires q u i ne pe uvent être mod ifiés par la se u le a p p roche spécifi q u e des « fe m mes », so uvent per­ çues co m m e des bénéficiaires et non co m m e actrices de le u r vie, a p p ro­ chées se u lement dans le u rs rôles re pro d u ctifs et non dans la co m p lexité de leu rs rôles fa m i liaux, éco n o m iq ues, sociaux et politiq ues. Le gen re vise donc, non seulement les fem m es, mais également les rapports des fem mes et des hommes. Il s'op pose à une approche essentialiste, celle d'une natu re féminine o u masc u line donnée, il reconnaît l'i m portance des constructions identita i res par la c u lt u re, l'éd ucation, et donc les possibles déconstruc­ tions p u i s reconstructions. Nous avons à plusie u rs re prises, q ue ce soit dans des fo rmations, sé m i n a i res o u p u blications, fait ra ppel des origines du conce pt, de sa por­ tée et de ses lim ites (Sem b lat, 2008 et 2009) . Nous avons s u rtout m o n tré q u e le gen re est un con cept, l'a pproche de ge n re est u n e méthode et q u' i l e s t paradoxal d ' e n atten d re d e s changements si o n ne l e s articule p a s à une vision et un projet politique, sinon, le gen re peut reste r tout à fait politi­ q uement correct et deve n i r « un avantage certain sur le plan de la bien­ séance, du moralisme conservateur des hommes politiques » (B isilliat, 2003) . Po u r q ue l'ap p roche de gen re soit prod uctrice de change ment, elle ne doit pas se surajoute r co m m e un append ice, mais doit être intégrée à la fois dans les organisations, les program mes, les formations, les institutions. Le concept d'empowerment est i n d issociable d e celui d e gen re : « Concept forgé par DA WN (Development Alternatives with Women for a New Era), inspiré de la théorie de l'oppression et de la "pédagogie des opprimés" de Paolo Freire, il avait toute la force du concept d'émancipa­ tion. li est devenu souvent synonyme d'autonomie, les pouvoirs sociaux et économiques n 'étant plus alors questionnés ».3

3 - Marie-Lise Sem bla!, Fiche atelier, Colloq ue « Genre et développement » , o rgan isé par CR DTM, Lille, 30-31 m a rs 2007.

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En quête d'une intelligence de /'agir

Si l'a pproche de gen re peut être u n outil de c h a n ge m e nt, la re­ cherche-action vise aussi à améliorer, voi re à changer u n e situation de dé­ part i nsatisfaisante p o u r ceux et ce lles q u i la vivent, u n e situation q u i fait problème, « la recherche-action reconnaÎt que le problème naît d'un groupe en crise dans un contexte précis » (Barbier, 1996 : 3 5) et q u ' i l est le mieux à même, s'il est accom pagné, d'identifier, d'analyse r et de changer. Le changement est u n concept maje u r de la recherche-action par­ tagé par Henri Desroche, And ré Morin, René Barbier, H u gues Dionne ... « La

recherche-action vise au changement d'attitudes, de pratiques, de situa­ tions, de conditions, de produits, de discours. .. » (Ba rbier, 1996 : 7 5 , en réfé rence à Ardoi no) . Po u r An d ré Mori n « "le changement" est l'un des cinq concepts majeurs de la recherche-action intégrale au même titre que : "contrat", "participation", "discours" et "action" (A. Morin, 1992) .

Pas d e rec h e rche-action sans par�ipatjop collective q u i fait q u e chacun est partie prenante « vraiment concerné personnellement par l'ex­ périence »et « actant » (Barbier, 1996 : 48) . Elle est alors émancipatoi re « le

groupe de praticiens se responsabilise en s'auto-organisant... par rapport aux habitudes institutionnelles, bureaucratiques de coercition » (Barbier, 1996 : 39) . La recherche-action devient une « science de la e,raxis », praxis entendue comme « un processus de transformation du monde par l'homme engagé et dont il est un des éléments associés » (Barbier, 1996 : 39) .

Enfi n , l a recherche-action n o u s fait entrer dans l e c h a m p de l acornp� . « pas de recherche-action sans une juste appréciation de la complexité du réel » pour René Barbier q u i fa it de la complexité une « notion-carrefour » à laq u e lle i l acco rde u n e la rge place (1996 : 5 9-65) et q u i n o u s i nvite à « entrer dans une pensée complexe ». Nous partageons cette im portance maje u re de l'approche co m plexe pour avoir analysé les pratiq ues des gro u pes de fe m mes à la l u m iè re des trois princi pes de la co m p lexité d ' Ed gar Morin (d ialogie, récursion organi­ sationnelle et pri n c i pe hologra m m atiq ue) , et p o u r q u i la complexité est un macro concept q u i n'a pas encore le statut de n o uve a u paradigme. Cette réfé rence à la co m p lexité s'a ppliq ue é gale ment à l'a p p roche de genre pour sa transversalité, m ê m e si elle est difficilement ap pré hendée de la sorte et tro p souvent réd u ite, com m e la recherche-action d'aille u rs, à un « simple avatar méthodologique » (Barbier, 1996 : 7) . Po u r l'analyse des expériences, nous retiendrons donc les concepts m aj e u rs large ment partagés à la fois par la recherche-action et par l'ap­ proche de gen re, ce ux de changement, partici pation, émancipation, trans­ ve rsalité et comp lexité. 60

Recherche-action, genre et développement. Une combinatoire pour le changement

La fo rm ati o n , u n e com posa nte d e s « p rati q u e s p ri m o rd i a les » d e gro u p es d e fe m m es Dans le contexte de mondialisation et de crise d u développement, n o u s avon s identifié d e n o uveaux gro u pes d e fe m m es e n m i lieu r u ral. Le u rs p ratiq ues, q ualifiées d e « p ri m o rd i a les » , tra d u isent l'é m e rge nce d'une exp ression reno uvelée d u fém i n is m e nommé « fém inisme territo­ ria l » (Se m b lat, 1997) , expression forgée a u regard de l'a p pellation « syn­ d icalisme territo ria l » utilisée par Fé lix G u atta ri po u r décrire les réalités syn d icales territo ria les au Chili (G uattari, 1992) . Des formations te rrito ria lisées centrées s u r l e p rojet p rennent e n com pte l e développement personnel e t cel u i d u territoi re, elles sont inno­ va ntes et toujo u rs exp é ri m e ntales, c a r a d a ptées a u x ré a l ités locales (Se m blat, 1997) . U n e « Formation des fe m mes d u monde ru ral à l a vie associative » a été i m p u lsée en 1988 dans l'Aisne en parallèle à u n e d é m a rche assez se m blable e n I lle-et-Vilaine. Dans les deux départe ments, les savo i r-faire des fe m mes et leu rs com péte n ces ont été va lo risés a u trave rs de services de p roxi m ité, d'associations, d'événements c u ltu rels et de festivals, sans o u blier les trajectoi res person n e lles d'engagements politiques o u asso­ ciatifs et d e reto u r à l'em p loi, o u a ux études (Se m b lat, 2002) . Ces fo rmations n e sont pas des fo rmations p rofessi onne lles cen­ trées s u r « l'acquisition de contenus »4, mais des formations-actions o ù « c'est le projet choisi, l'action qui vont déterminer les contenus et le rythme des apports ». Ce pendant, en dépit de leu rs résu ltats, e lles ne sont pas sans p rése nter des o bstacles et lim ites ide ntifiés dans notre contri­ b ution à l'o uvrage d i ri gé par Pie rre- Ma rie Mesnier et Ph i li p pe M issotte (Sem b lat, 2003 : 2 29-241) : d ive rsité des intervenants, o rientation psycho­ logisante, tendance à former des bénéficiaires plutôt q ue des actrices de développement. Ce rtes, i l ne s'agit pas de privi légier les apports did ac­ tiq ues, m ais, à la diffé rence de la recherche-action, les pratiq ues socia les ne se m b lent pas q u estionnées. Trois i n itiatives de formation par la recherche-action, en Picard ie, en B o u rgogne et a u Sénéga l, avec, e n Cas a m a n ce, la création s i m u ltanée

d'une Maison des fe m mes vont se constru i re auto u r d'un opérate u r local : Centre social en Pica rd ie, Foyer rura l en Bou rgogne, O N G a u Sénégal, e n partenariat avec AST E R - I nternational. Les trois formations ont abo uti à u n Certificat d ' i n itiative locale (C I L) à partir d ' u n parc o u rs fo rma lisé par le Collège coopé ratif d e Paris (300 4

-

En lignes, n° 7, octobre 1998.

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En quête d'une intelligence de /'agir

h e u res dont 200 de formation collective et 100 de travai l personnel) . I l se déro u le in situ dans une approche territoriale en c ro isant une démarche i n d ividuelle et la d imension collective, chacun et chacune con d u isant un projet présenté a u trave rs d ' u n e m onogra p h ie en vue de l'obtention du Ce rtificat d ' i n itiative Locale.

De la fo rm atio n -actio n à la fo rm ati o n par l a recherche -actio n Les femmes « actrices de développement en milieu rural

»

Après l' in itiative picarde de formation-action, c'est une fo rmation d' « actrices de développement en milieu rural » par la recherche-action q u i a été cond u ite de 1999 à 2001, toujou rs avec d e s fem m es rurales de l'Aisne. Si elle s'est ad ressée à des fe m mes, elle s'inscrit p o u rtant bien dans une approche de gen re, partant du constat fa it par le centre social TAC-TIC, de la fai ble part des fe m m es dans les instan ces loca les, q u' i l s'agisse des conse i ls m u n icipaux o u des conse i ls d'ad m i n istration des associations. Qu inze fem mes de Thiérache, zone de bocage, ont participé à la fo r­ mation alternant des j o u rnées thématiq u es et des ateliers coopé ratifs de construction de le u rs projets (s u rtout tou rnés ve rs le tou risme et la valo­ risation du patri moine) , objets de rédactions mon ogra p h iq ues (Se m b lat, 2003) . Connaissance de soi, affirmation et découverte de le u rs potentialités ont été articu lées avec la valorisation du territoire, les stagiaires se percevant clairement comme des « actrices » ou des « animatrices » de d évelop pe­ ment loca l. Par la « m ise en écrit u re » , « les stagiaires reconnaissent avoir

gagné en rapidité, créativité, en capacité de raisonner, d'ordonner les idées avant d'agir, de programmer les activités de leur vie quotidienne »

(Se m b lat, 2003 : 235) . L'initiative a fa it l'objet d'une capitalisation et modélisation (ASTER,

2001) va lo ri s a n t l e c ro i s e m e n t d e la p é d agogie d e l ' a c t i o n e t d e la fo r m a­

tion par la recherche-actio n . La péd agogie de l'action a d'abord été iden­ tifiée com me une des ca ractéristiques des « pratiq ues primordiales » de nouveaux gro u pes de fem mes en m ilieu rural (Semblat, 1997 et 2003) . Elle a été intégrée ensu ite à l'a p p roche d'ASTE R , elle « prend en compte la

réalité du contexte, la complexité qui, en intégrant les rétroactions et inter­ actions, s 'oppose à une conception linéaire et fragmentée pour reconnaέ tre la valeur des relations polycausales et des paradoxes » (Sem blat, 2001) . À parti r de l a fo rmation des « actrices de développement », l a pédagogie

de l'action a été caractérisée de m a n i è re plus opérationnelle auto u r de q u atre concepts : gro u pes, te rritoires, projets, recon n aissance croisant la 62

Recherche-action, genre et développement. Une combinatoirepour le changement

recherche-action centrée q uant à elle auto u r de maïe utiq ue, coo pération, i nter et va lidation. Le croisement de la méthodologie de recherche-action et de la péda­ gogie de l'action a permis de su rmonter les lim ites de la formation-action et a transformé les actrices de développement en « actantes » pour fém iniser l'expression créée par René Barbier (Semblat, 2002 et 2003) . Les « actantes » sont à la fois « actrices-sujets », mais aussi « actrices-citoye nnes » (Se m b lat 1999 : 3 5 8-392) , aute u res de projets ayant accédé à l'empowerment indi­ vid uel et collectif. I l s'agit bien po u r ces fe m mes ru rales d ' u n e rée l le émanci pation, d'une trip le m ise e n m o b i lité à la fo is spatiale (passage de l'espace p rivé à l'espace p ublic) , sociale et m entale. Plusie u rs se sont engagées loca le­ ment et ont créé en 2002 le u r p ro p re struct u re, « Fe m mes et projets », po u r l'info rmation et la formation des fem mes de le u r canton rura l. La fo rmation par la recherche-action pour les actrices de dévelo p­ pement en m i lieu ru ra l met en exe rgu e trois des conce pts identifiés à la fois po u r la recherche-action et po u r l'a p p roche de gen re, ceux de chan­ gement, d e participation et d'émanci pation, visant une transformation des ra p po rts sociaux de sexe à trave rs une m o b i lisation pour le dévelop pe­ ment territorial.

VAE et a p pro c h e d e ge n re en m i l i e u rura l L'expérience m e n ée pa r l' u n ive rsité r u ra le d u C l u n isois (U RC) e n 2003-2004 s'oriente d i ffé re m m ent en s'a d ressant tout d'abord à u n grou pe m ixte e t e n intégrant l e gen re dans s o n intitulé. L' u n ive rsité ru rale pi lotée pa r le FRGS (Foyer R u ra l du G rand Secte u r Clun iso is) forme alors d e p u is d ix ans des acteu rs et actrices d e déve loppement local et cherche une validation d e le u rs acq u is . Le Certificat d ' i n i tiative Lo cale a ppa raît comme tout à fait adapté. La fo rmation est co-constru ite, ici encore dans une a pproche te rritoriale et pa r la pédagogie de l'action. Elle a croisé trois axes : - territoire et dévelop pement local po rté par l'opérate u r local ; - a p p roche d e ge n re pa r AST E R ; - va lidation des acq uis par le Collège coopé ratif. Co m m e pour le gro u pe d e fe m m es, la recherche-action est privi lé­ giée, les adu ltes en fo rmation sont accom pagnés dans des ate liers coo­ pératifs, i ls p rod u isent une m onogra p h i e po u r l'obtention du Cl L avec création d'une o ption « déve lo p pement ru ra l ». Le passage d'un grou pe de fem mes à un groupe mixte est une nouvelle com posante, un séminaire s u r le gen re a été p lanifié et la p roblé matiq ue

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prise en com pte dans plusie u rs monograph ies. Mais la m ixité n e suffit pas à elle se u le pou r trad u i re l'a p p roche de gen re, ni non plus l'ajout d ' u n sé­ m in a i re s u p p lé m e nta ire s u r le ge n re, po u r e n gage r de vérita bles dyna­ m i q ues d e cha nge m ent. L'a p proche de gen re d o it chercher à s'i ntégre r d a n s une démarche globale incluant à l a fois conce ption d u projet, m o bi­ lisation des partenaires institutionnels, gro u pe de pi lotage et parcou rs de formation. De conte n u de séminaires, le gen re doit deve n i r u n fi l rou ge qui tra­ verse de bout en bout les préoccu pations des porteu rs de projet et de leu rs parte n a i res, to ut autant q u e ce lles des i ntervenant(es) s (ASTE R, 2005) . C'est donc u n ense m b le de person nes q u i sont à sensibi liser à la q u estion du gen re, à informer des enjeux, à accom pagner et former. Cette expérien ce a joué u n rôle m aje u r pour éclaire r les cond itions d'i ntégration effective et d u rable de l'a pproche de gen re dans la construc­ tion des projets et dans les structu res, elle a contri b u é à enrich i r l'expé­ rience sénégalaise alors en constru ction.

Vers une a p p roc h e int é gr é e « G e n re et d éve lo p p e m e n t » a u S é n éga l Le projet « Passerelles. Formation-Expérimentation. Pour une péda­

gogie de l'international au service du développement local et de l'approche de genre » CO-constru it par AST E R et l'O N G sénégalaise O FAD/NAFO O R E5

a vo u l u concilier u n e approche intégrée d u gen re dans le cad re d ' u n e fo r­ mation q ualifiante et d i plômante avec une approche s pécifique po u r les fe m m es par la création d ' u n e Maison des fe m mes. La recherche-action conce rne les d e ux volets, à la fois la formation et l'élaboration , p u is l'an i­ mation d ' u n e Maison des fe m mes et c'est l'approche Genre et Déve lop­ pement (G E D) qui a été privilégiée. Cette expérience cro ise donc à la fois la recherche-action, le gen re et le d évelo ppement. O utre, de no uveau, l'ex­ pression de la participation, d u changement et de l'émancipation, c'est ici la transve rsalité et la complexité q u i rés u ltent de la co m binaison recherche­ action, gen re et développement. L' intitu lé Passerelles6 trad uit le déclo isonnement des p u blics et la coopération N o rd / S u d . Le projet cherche à :

s OFAD : O rganisation de fo rmation et d'appui au développement. Nafoore, en pulaar signifie l'utilité a u service du développement. 6 Passerelles Formation-Expérimentation. Pour une pédagogie de /'international au service du dé­ veloppement local et de l'approche de genre, d ossier é l a bo ré conjointement par AST E R - I ntern ation a l e t O FAD /NAFO O R E d è s 2001. -

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- ren fo rce r conjointement les com péten ces des acte u rs locaux en France et a u Sénégal en matière d e fo rm u lation et con d u ite de projets ; - contribuer a u ch angement social et à la lutte contre la pa uvreté par le biais de l'émanci pation, de la partici pation citoyenne et de l'accès à une plus grande auto n o m ie (n otam ment financière) des fe m m es de la région d e Ko lda, l'a p p u i à la création d ' u n lieu resso u rce/ M a ison des fem mes ru rales ; - contri buer a u dévelop pe m e nt de liens et à des coo pé rations, des formations adaptées validant les acquis dans la conti n u ité des actions déjà réa lisées entre les partenaires7• La construction d'un partenariat, socle de l'approche genre

O FAD/ NAFOO R E, m e m b re d 'ASTE R d e p u is 1997, pa rtage avec les m e m b res du résea u u n e vision du déve lo p pement q u i p rivilégie l'a utono­ m ie des populations, la dém ocratie participative, l'amélioration des condi­ tions d e vie des p o p u lations et enfi n le ren fo rce ment d e la solida rité i nternationa le8• Les échanges sont placés sous le signe de la réciprocité dans l'optiq ue de la « pédagogie de l'international au service du dévelop­ pement local intégrant le genre ». L'O N G est i m p lantée dans le vi llage de Bagadadji (5 00 habitants, régio n d e Ko lda) q u i, m a lgré u n fo rt potentiel, est d'après le Document stratégiq u e de réd uction de la pauvreté (DS R P) , l' u n des plus pa uvres d u Sénégal : 5 3 % d e s ménages vivent en d esso us d u s e u i l de pa uvreté. À la p réca rité des cond iti o n s de vie des p o p u lations, au taux é levé d ' a n a l­ p h abétisme (72 %) et à la maln utrition s'ajoutent la ma uvaise gestion des ressou rces nature lles, l'inexistence de struct u res d e formation ada ptées, l'éloignement et le manque de structures de santé, ainsi q ue la faible orga­ n isation des acte u rs socia ux. La crise casamança ise a affecté une partie de la région, elle se tra d u it par l'a bandon des cham ps cu ltivés par pe u r de m ines et par le dé part m assif des jeunes. Depuis 1997, l'O N G locale travai lle à l'autonom isation des popu la­ tions par l'éducation et la fo rmation, au d éveloppement des i n itiatives créatrices de reven us, à partir d'outils endogènes de financement, à l'amé­ lioration des conditions d 'accès a ux soins d e santé (gro u pes d ' a l p h a béti­

sati o n , création de vi n gt éco les co m m u n autaires de base, m icrocréd it, lutte contre les m utilations gén itales ...) .

Passerelles est parti d ' u n d o u ble constat, ce l u i de l a n écessité d e professionnaliser e t d e q u a lifier les agents d e s O N G locales et cel u i de la 7 Ext raits du d ossier Passerelles, 2002. 8 Protocole d'accord signé e n 1999 par les d e ux struct u res. -

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situation des fem mes de la zone q u i demeurent les plus vulnérables, car souvent victimes des pesanteu rs sociocu lturelles et de politiq ues de déve­ loppement inadaptées. Si elles sont so uvent o rgan isées en gro u pements, elles n'interviennent pas pour a utant dans la prise de décision et accèdent difficilement aux d ro its les plus primordiaux : santé, é d u cation, économ ie9. Le projet p rend en com pte la co m plexité des enjeux des d ive rs ac­ teu rs locaux en visant à la fois les fe m mes, les professionnel(le)s des O N G , leu rs partenaires e t l'ensem ble des acte u rs locaux. Le sé m inaire i nterna­ tional de lancement en nove m b re 2005 a trad u it cette complexité, e n ras­ se m b lant à la fois les 30 fe m m es-re lais de la Maison des fe m mes, les 33 stagiaires en formation (ho m mes et fe m mes, agent(e)s des O N G locales) et une dé légation de 17 m e m b res d'AST E R ven us d ' E u rope et d u Québec, sans o u blier des gro u pements fém i n ins de G a m bie et G u inée Bissa u10• À partir de là, et d u rant un peu plus de trois ans, les deux volets d u projet o n t été accom pagnés, p o u r l a formation p a r ASTE R11 e t l e Collège coopératif de Paris (en partenariat avec Paris 1 1 1) , et par ASTER pour la Mai­ son des fem mes. Les ateliers de recherche-action ont ré u n i régu lièrement le gro u pe CIL et les fe m mes-re lais de la Maison des fem mes. Transversalité du genre

Une fo rmation des agent(e) s des O N G locales de la région de Kolda a u Certificat d ' i n itiative Locale, o ption « gen re et d éve lo p pement » en a conduit q uelq ues- u n (e)s au D H EPS/Master 1 de l'université de la Sorbonne­ N o uve lle - Pa ris I l l . Les q uestions d'égalité fem mes- h o m m es ont été inté­ grées de man ière transve rsale dans les séminaires thé m atiques a n i més par des intervenant(e) s sénégalais de Dakar o u Kolda, q u'il s'agisse d'éd u­ cation, santé, alphabétisation, dévelo ppement ru ra l o u m utations socié­ tales. Des séminaires méthodologiq ues et des ateliers de recherche-action animés in situ ont con d u it le gro u pe, a p puyé par des tute u rs locaux, à des productions m onogra p h iq ues (po u r 29 sur 3 3) pu is, p o u r 8 sur 11 reten u s pour l e D H E PS/ Master 1 , à des mémoires de recherche12 liés d i rectement 9 · À partir d u d ossier Passerelles, 2002. 10 - Des plénières ont ré u n i le grand groupe autou r de thèmes comme les « m utations sociéta les » a u Sénégal, « le d éveloppement ru ra l », « l'a p p roche G E D , G e n re et développement », « la coopération intern ationale », interventions traduites en pulaar et m andingue. Des activités adaptées a ux différents gro upes (gro u pes de recherche pour les stagiaires CI L, ateliers pour les fe m mes-relais et visites de terrain pour les partenaires d'a utres pays) faisaient en fi n de journée l'objet de restitutions en plén ière toujo u rs tra d u ites dans les langues concernées. 11 - Le projet Passerelles a été suivi d e fi n 2005 à m a rs 2009 par Jocelyne Gend rin-G uineba u lt, c heffe de projet pour AST E R . 12 - S u r o n z e incrit(e)s à l' u n ive rsité de la Sorbonne N o uvelle - Paris Ill, huit ont soute n u in situ dans les locaux d'OFAD / N AFOO R E en février 2009 devant u n j u ry présidé par Pierre-Marie Mesnier.

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a ux p ratiq ues p rofessi o n n e lles : lutte contre les m utilations gé n itales, écoles com m una uta i res de base, éco les d é p lacées en ra ison du conflit en Casa mance, gestion de l'ea u ... Une évaluation, à m i-parco u rs13, a trad u it la pe rtine nce du projet par rapport aux besoins loca ux. La fo rmation a permis à des person nes dis· posant d ' u n e expérience de te rrain de la vo i r reco n n ue et va lorisée. Elle ré pond ainsi à une attente des acte u rs de développement et le u r offre la possibi lité d'une évo lution professionne lle et l'accès à des postes à plus ha ute responsabilité14. En effet, leurs com pétences en m atière de cond u ite de p rojet ont été re nfo rcées, grâce à une meille u re analyse des situations, une plus grande aisance à l'écrit ainsi q u' u n e meille u re connaissance d u territo i re e t de ses enje ux. Les stagiaires reco n n aissent avo i r acq u is d e n o uvelles m éthodes de travail. I ls d isent m aîtriser l e concept d u déve lop­ pement et les différents types de d éveloppement, être outi llés pour com­ p re n d re le u r rôle d'agent d e d éve l o p p e m e nt. La prise en com pte de l'a pproche d u gen re a encouragé des changements dans les attitudes pro­ fess i o n n e lles et personnelles : « Je ne considère plus la femme comme cette personne qui [devait seulement s'occuper] de l'éducation des enfants ou des travaux ménagers, mais comme partenaire et actrice du dévelop­ pement durable » (té m o i gnage d ' u n D h e psien) . Maison des femmes

U n ate lier d'analyse des pratiq ues e n octobre 2003 a pe rmis d'iden­ tifier 30 fe m mes leade rs parm i les 90 responsables de gro u pe m ents fé m i­ n i ns. Elles sont d eve n ues fe m mes-relais d e la Maison des Fe m m es de Bagad adji. Le projet a été construit par des sessions de réflexion-action a n i mées par la coord i n atrice du p rojet Passerelles, les activités sont pas­ sées d e la satisfaction des besoi n s p ratiques aux intérêts stratégi q u es, une a p p roche maje u re du gen re1s. La réflexion-action reste fidèle aux exi­ ge nces d e change m ent, d e partici pation et d ' é m a n c i pation d e la re­ cherche-action, mais avec m o i n s d'exigences de scientificité :

« La réflexion-action, par exemple, ne requiert pas de passer par une phase d'élaboration d'hypothèses. Plus empirique, elle demeure toutefois assez rigoureuse pour permettre de creuser les questions abordées par le

groupe. Elle suppose, elle aussi, un accompagnement méthodologique, 13 Réa lisée par M i léna Zarev dans le cadre de son stage de Master, sciences Po, Bordeaux, 2007. 14 L'un d'entre e ux est deve n u président d e la c o m m u n a uté rurale et d é p uté, u n autre prési dent d u Crédit mutuel d u Sénégal, u n e a n i m atrice fait m a i ntenant partie d e l'équipe d e s cadres de l'ONG, res­ ponsable des fo rmations. 15 Qui d istingue la satisfaction des besoi n s élémentai res et les enjeux d e ren forcement de pouvoir, d'accès à l'autonomie et à l'empowerment. -

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ne saurait se satisfaire d'un objet vague, mais bien au contraire impose que l'objet soit clairement défini (sens et limites), elle introduit une prise de recul sans pour autant avoir la lourdeur d'une recherche. L 'une ou l'au­ tre des deux procédures (lesquelles s'actualisent dans le cadre d'ateliers partenariaux de recherche ou de réflexion-action) sont susceptibles de déboucher sur des propositions concrètes d'action, comme les animateurs ont pu en faire l'expérience à de multiples reprises en d'autres lieux >f6•

Le gro u pe est com posé de fe m mes d ' u n dyn a m isme d'exce ption , m a i s d o n t u n fai b le n o m b re est alphabétisé. Les séan ces se font en p u laar o u mandingue et les restitutions sur le mode o ral : « les femmes doivent

valider le rapport si nous voulons que ce soit réellement un processus par­ ticipatif. Dans la mesure où une grande majorité des femmes ne sont pas alphabétisées, il est important d'utiliser /'oralité >fl.

ASTER-I nternational a accom pagné l'éq u i pe d'animation de la Mai­ son des fem mes de déce m b re 2005 à avril 2009 en formalisant et en met­ tant à jour régu lière ment le plan d'action, puis en espaçant de plus en plus les m issions. Cou m ba Pa m Koïta, responsable de la Maison des fem mes, a e n s u ite reçu l'a p p u i des a n i m atrices de l'O N G au sein de laq u e l le la Maison des fem m es a tro uvé sa j u ste p lace18• La Maison des fem mes com plètement intégrée dans le tissu social de la co m m u nauté ru rale de Bagadadji touche, par le biais des fem mes-relais, trente villages sénégalais, deux villages gam biens et un de Guinée-Bissau, soit u n total de plus de 1 300 fem m es. Elle propose u n lieu d'échange, d'in­ formation, de formation, de sensibi lisation, d'innovation, d'ap p u i et d'ac­ com pagn e m ent des projets. Les fe m m es-rela is q u i p rennent part aux activités ont la responsabilité de les dém u ltiplier vers la population de le u r vi llage, d'organ iser d e s formations d a n s les gro u pe m ents villageois, et d'ass u re r un rôle d'observatoire des cond itions de vie au village19. Par là­ même, elles contri b uent à la conti n u ité d ' u n process us de changement et de développement. Si les premières activités des regro u pements mensuels sont centrées sur des AG R (Activités Génératrices de Reve n u s) et s u r des informations 16 - Co m m u n e de Fontaine, DSU, gro upe de trava i l É galité hom mes/fe m mes, com pte ren d u de la réu­ nion du 24 mars 2005 a n i m ée par AST E R : Quelles suites possibles au travail conduit en équipe depuis un an ? 17 - Extrait d u compte ren d u de mission d u 25 mai 2006 de J ocelyne Gend rin-G uineba u lt, cheffe de projet, AST E R - I nternational. 18 - La gestion de cette maison est sous la responsabi lité de Coumba Pam Kana, avec le soutien d'OFAD q u i a souhaité renforcer le rôle de la Maison des fe mmes dans son projet associatif, un nouveau se rvice a été créé concernant les microcrédits pour permett re aux fem mes de se lancer dans des activités éco­ nomiq ues. 19 - Extrait des bilans de missions.

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liées aux domaines prioritaires des femmes, ceux de leu rs rôles reprod uctifs (santé d e la fam i lle et éd ucation) , la Maison des fe m mes s'est achem inée p rogressivement ve rs des m issions plus stratégiq ues et les pratiq ues or­ gan isationne lles des fe m mes se sont structu rées. Les activités, trad ition­ ne lles a u dé part (teintu re, savonnerie, coiffu re, coutu re) , évoluent ve rs une plus grande d iversification. Po u r la pre m iè re fois, la J o u rnée inte rnationale des fem mes, ha bi­ tuellement organ isée par les associations et fédé rations de gro u pe ments de Kolda, capitale région ale, a été in itiée le 8 mars 2007 par la Maison des fe m mes. Les fe m mes ru ra les de la zone ont organ isé l'événement, e lles ont p réparé un cahier de doléances re m i s au sous-préfet de Dabo à l'issue d ' u n e m a rche à laq uelle élèves et professe u rs d u collège local s'éta ient joints. Cette initiative20 a joué u n effet de ru ptu re et constitué u n to u rnant vers u n e plus grande reconnaissance des fe m mes-relais par le u rs pairs, e lle a également été l'expression de l'empowerment des fe m m es, passées d 'activités essentiellement basées s u r la satisfaction des besoins pra­ tiques à des réflexions s u r la p lace et le d roit des fe m mes. Avec l'a p p u i de I' Al F, Agence I nte rnation ale de la Francophonie, des activités d avantage centrées sur la réa lisation des inté rêts stratégiq ues ont d é m a rré : formation a u leadership, atelier s u r les viole n ces faites aux fe m m es, séances d'information sur les d roits. Autonom isation, prise de parole et partici pation des fe m mes rurales a ux décisions se sont tradu ites lors des é lections m u n icipales de m a rs 2009 où plusie u rs fem m es-relais ont été é lues dans les consei ls rura ux. La Maison des Fe m m es a favo risé une plus grande solidarité entre les fe m m es. Les violences contre les fe m m es ont d i m i n u é, notam ment parce q u'e lles connaissent le u rs d roits. L'éducation des enfants est deve­ n ue une prio rité d e p u i s q ue les fe m m es-relais ont fait com pre n d re q ue la scola risation était ind ispensable. Les parents battent moins le u rs enfants depuis q u' i ls savent q u' i ls ont, e ux aussi, des d roits. Les fe m m es-re lais d isent pa rtage r u n très fort senti ment d'apparte­ nance à la Maison des Fe m m es re nforcé par u n e reco n n aissance exté­ rie u re, e lles se trouvent respectées par les fe mmes de le u rs villages et ont acq uis la confiance des autorités locales. Elles s'expriment plus q u'avant et le u r paro le est prise en com pte, « les femmes sont devenues ouvertes 20 Cent fem mes ont m a rché de Bagadadji j usqu'à la sous-préfecture de Dabo, p récédées par les é lèves du collège aux cris d e : « Non aux m a riages forcés. Non aux m utilations génitales. Non aux vio­ lences faites a ux femmes » . Les hommes q u i exerçaient des responsabi lités dans la zone les ont sou­ tenues e n se joignant a u gro u pe (président d e la com m u n a uté vi llageoise, d i recte u r de l'école primaire, principal d u collège de Bagadadji, chef de village) . -

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et curieuses. [... ] Une femme qui n 'a pas fait les bancs21 te donne des idées comme si elle avait été à l'université » (I m am d'un village) . L'excision, pra­

tique tabo ue, est devenue objet d'information et de d iscussion, grâce aux actions de sensibi lisation des fem m es-relais q u i renfo rcent le rôle des an� m atrices. Sur le plan écono m iq ue, grâce aux activités de la Maison des Fem m es, les fe m mes pe uve nt participer aux revenus du ménage et contri­ buer ainsi au rec u l de la pauvreté. Passe relles,

un projet innovant

Le projet et ses deux vo lets ont favorisé une a p p roche G e n re et dé­ ve loppement (G E D) q u i facilite la satisfaction des beso ins (santé re pro­ d u ctive, alphabétisation, m icrocréd its, m icro p rojets, environnement) en vue d'une lutte contre la pauvreté, d'un é q u i l i b re entre les rôles masculins et fé m i nins, et la réalisation à long terme d'un développement d u rable de la microrégion. Recherche-action ou réflexion-action ont croisé l'approche de gen re pour ré po n d re aux besoins spécifiq ues des fem mes dans une d imension globale et intégrée articulant le gen re et le développement. Celle-ci ré pond aux d o u b les enjeux de l'a pproche G E D : enjeux éco n o m i q ues e n mobi li­ sant to utes les ressou rces et les com pétences au service du développe­ ment et enjeux démocratiq ues de j u stice sociale et d'égalité. Les pratiq ues de la rec h e rche-action (réflexion-action) par les grou pes de fem mes structurent de no uvelles pratiq ues organ isationnelles q u i vont contribuer à l'émergence d'expressions renouvelées du fém i n isme.

Le « fém i n is m e te rrito ria l » Le « fé m i n is m e territo rial », identifié à partir d'expérien ces e u ro­ péennes et canad iennes, trad uit et expri me les « pratiq ues pri m o rd iales » (de première i m po rtance) de no uveaux gro u pes de fem mes en E u rope et au Canada francophone (Se m b lat, 1997) . Ces derniers, nés au début des an nées 90, ne sont ni des gro u pes professionnels, ni des syn d icats, mais des gro u pes territorialisés, les fem mes s'organ isant collectivement dans une re lation volonta i re à l'espace. L'ense m b le des gro u pes, en d é pit de variables propres à chacun des pays, expriment des préoccu pations liées à la fois à l'é mancipation des fem mes et a u d éveloppement du te rritoi re. Lutter contre le vide, faire vivre le pays, créer u n ense m b le com m u n autaire avec plus d'égalité, m a is aussi élever le n iveau de « l'i ntellectualité » d u village, a utant d'o bjectifs priorita i res des gro u pes. Ce ux-ci facilitent une m ise e n mobi lité des fem mes qui s'engagent dans l'espace pu blic. 21 C e q u i sign ifie q u'elle n'est pas a l lée à l'éco le. -

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Recherche-action, genre et développement. Une combinatoire pour le changement

Les caractè res maje u rs des pratiq ues des grou pes s'appliquent aux struct u res créées par la recherche-action et présentées ici : l'association « Fem mes et projets » et la Maison des fe mmes. C'est par une « pédagogie de l'action » et l'auto-développement de leurs grou pes q ue les fem mes e lles­ mêmes, dans une dyn a m i q u e de projet en France (Picard ie) et a u Sénégal (Casamance) , visent leu r autonomisation tout autant que le développement du te rrito ire22• L' i nscription territoriale des projets, le u r construction d a n s la d u rée et la dyn a m i q u e d e résea u exp riment u n e vision m u ltidimen­ sionnelle d u déve lo p pement qui fa it place à la co m plexité par des articu­ lations parad oxa les : entre trad ition et modern ité, loca l et internatio nal, patrimoine et i n n ovation. Le « fé m i n is m e territo rial » permet d e re n o uveler le fé m i n isme co m m e d é m arc h e , p rod u ction d e pratiq u es, pro d u ction de d i sco u rs et conce pts. C'est un conce pt opératoi re. I l permet à la fois de surmonte r des a m b iguïtés d u fé m in isme (entre intégration et ru ptu re, idéologie et prag­ matisme, action et théorie) , de se montrer capable de ren d re com pte de phéno mènes nouveaux et enfi n d'offri r une ré ponse a ux institutionnalisa­ tions du m o uvement et u n e possible façon de lutter contre la vague d'an­ tifé m i n i s m e et le risq ue de backlash (contre coup) . E n croisant les dyna m iq ues des fe m mes e t celles des territoires, on entre dans le cha m p de ce q ue le G R I D EQ (G ro u pe d e recherche interd is­ ciplinaire s u r le d éveloppement régional de l' Est d u Qué bec) au Qué bec considère com m e « m étad isci plinaire » car e n effet :

« Au-delà des théories et des concepts spécifiques auxquels les so­ ciologues, les géographes, les historiens, les économistes, les polito­ logues, les psychologues et les psychanalystes ont généralement recours pour analyser certaines réalités humaines sociales ou territoriales, il y a des réalités humaines sociales et territorialisées dont le processus de structuration demeure toujours énigmatique en dépit des efforts discipli­ naires visant à en comprendre des aspects »23.

2 2 - « Les gro u pes i rlandais disent vouloir sortir d e l'isolement, s e réu n i r, s'informer, créer un ensemble communautaire avec plus d'égalité, mais aussi trouver p lace dans la co m m u n a uté_ Les clubs grecs veu lent aussi s'informer, se réu n i r et sortir des maisons, être ensemble, enfi n é lever le n iveau de "l'in­ tellectualité" d u village et lutter contre le vide. Le gro u pe français ADELE (Association de développe­ ment et d'échanges locaux et e u ropéens) en Isère, ré unit des fe mmes q u i développent des pratiq ues a lternatives (accueil à la fe rme, agric ulture biologique, vente d i recte d e p rodu its ... ). Le groupe leur permet des solidarités face a u modèle prod uctiviste déve lo p pé par l'ensemble des agriculteurs de leur région_ E lles se d isent t rès attachées a u lieu, partager le même a m o u r d u pays, q u 'elles veu lent fai re vivre et pas seu lement se contenter de l'empêcher de mourir : "on veut valoriser le pays", "on veut u n espace rura l vivant" » . 2 3 - G R I DEQ, Développement régional, Problématique et programmation de recherche du GRIDEQ, un iversité du Québec à R imouski, Canada, 1993, p. 31.

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En quête d'une intelligence de /'agir

U n e d i m e n sion ém i n e m m e n t po liti q u e Les expé rien ces de fo rmations te rritoria lisées ra ppe lées i c i visent toutes le développement par la formation-action et par la recherche-action. L'a p p roche de gen re et la recherc he-action p résentent des points de convergence. To utes deux sont des approches glo bales et égalita i res q u i q uestionnent les modèles reçus, visent le changement, accordent la p rio rité au vécu, à l' ide ntification des problèmes par les gro u pes e ux­ mêmes et aux démarches participatives. Pratiq ues émancipatoires, approche transversale, et co m plexité sont également des caractères pa rtagés q u i peuvent contribuer à renouveler les pratiq ues d e dévelo p pement. Le passage d'une formation-action à une formation par la recherche­ action permet de constater l'émergence de l'inter qui vient com plexifier les formes de méd iations. Celles-ci se tra d u isent par des croisements et des articu lations m u ltiples à to us n iveaux : passerelles entre person nes et ins­ titutions, entre partenaires et financeurs, entre les projets q u i s'articulent, entre le territo ire et ses acte u rs et actrices. Des articu lations paradoxales se structurent ainsi, e lles tra d uisent le passage du règne de la pensée sim­ p le et linéaire à la pensée c o m plexe, globale et m u ltid i m ension nelle. Mobilisation, conscientisation, organ isation (Du mas, Ségu ier, 1999 : 1 7 5) scandent la démarche territorialisée d u d éveloppement local. De nou­ ve lles formes d'organ isation collective et de p ratiq ues grou pales se font jour nécessitant des lie ux de réflexion et de méd iation, des lieux i nte rmé­ d iaires de d é bats. C'est en partenariat avec le Collège coopératif de Paris et l' un ive rsité Paris I l l q u'AST E R et ses m e m b res ou partenaires ont con d u it les fo rma­ tions par la recherche-action, avec des gro u pes de fe m mes d'abord , puis des gro u pes m ixtes e n France et a u Sénégal. Le CI L p o u r to us et toutes, le D H E PS pour q uelq ues- u n (e) s ont marq u é l'abo utissement ré ussi des par­ co u rs. Le partenariat construit entre le réseau AST E R, ses m e m b res s u r le terra i n , le Collège coopératif et l' u n iversité de la Sorbonne N o uve lle Paris 1 1 1 a permis de créer une option « développement rural » (Cl L de Bour­ gogne) et une o ption « gen re et d éveloppement » (CI L sénégalais) . D e plus e n plus sollicité, AST E R acco m pagne des gro u pes e t des structu res par la réflexion-action o u par la recherche-action : d iagnostic territorial participatif intégrant le gen re au Maroc, (ASTE R / RAD EV, 2007)24, prod uctions d'outils (ASTE R , 2008) ou encore acco m pagnement de struc­ t u res p o u r l'actualisation de le u r p rojet po litiq ue. De la m ê m e façon, 24 Accom pagnement d e RAD EV, Réseau d ' a p p u i a u d éve loppement local e t actuels tran sfe rts e n Picardie e t e n R DC. -

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Recherche-action, genre et développement. Une combinatoire pour le changement

AST E R a sollicité e n 2009-2010 son pro p re acco m pagnement par des ate­ liers coopératifs de recherc he-actio n p o u r actualiser le projet politiq ue et la stratégie d u réseau. La recherche-action con d u it à des pro d u ctions collectives de savoir, transformant des acte u rs/actrices en actant(e) s, elle facilite ainsi l' empo ­ werment i n d ivid ue l et collectif. En intégrant le q uestionnement et le chan­ ge ment des rapports sociaux de sexe, u n e pédagogie d u gen re est alors e n construction, elle est, co m m e la recherche-action, école d'émancipa­ tion, e lle q u esti o n n e la ré alité sociale : « Travailler avec le concept de genre est porteur de critique sociale. Les chercheuses et chercheurs, les responsables de projets et les organisations de base travaillant avec cette perspective de genre, en collaboration, s'inscrivent dans un projet de transformation sociale » (Versch u u r, Reysoo, 2003) . L'a p p roche de gen re, deve n ue u n e péd agogie d u gen re, est alors é m in e m ment politique, to ut autant q u e la recherche-actio n q u i est « tou­ jours un questionnement politique au sens étymologique d'une organisa­ tion de la cité » (Barbier, 1996 : 7 5) . Les dém arches participatives de l a rec herche action e t l' approche glo bale et intégrée du gen re sont ainsi des outils de changement qui peu­ vent con d u i re à u n re n o uve lle ment de visions et de p ratiq u es du déve lop­ pement.

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2 L'apprentissage du processus de recherche-action

dans la 1 ère étape du Master ______

(DHEPS - Ml)

77

Une rec herche à quelles conditions

? •

L 'acquisitio n de la po sture et des métho des de la recherche par des pra ticiens Emmanuelle BETION1 et Florence VATIN2

L

' « entrée e n recherche-action » po u r les p raticiens est u n e dém a rche exigeante et contraignante, qui su ppose u n certain nombre de condi­ tions. N o u s traitons ici des conditions péd agogiq ues et méthodologiq u es, telles q u 'elles sont d é p loyées au sein du d ispositif de fo rmation p ro p re au D H E PS, q u i re ndent poss i b le l'acq u isition p ro gress ive d ' u n e n ouve lle p lace, paradoxale, de p raticien-cherch e u r. N o u s évoq uons ce q u e ce la s u p pose e n te rmes d'apprentissage p o u r les p raticiens e t d'accqm­ pagn e m e n t po u r le fo rm ate u r. Le cad re méthodo logiq ue p ro p re à la re ­ c h e rc h e class i q u e n e p e u t s'a p p l i q u e r sans ten i r c o m pte d ' u n ce rtai n n o m b re d e para m ètres : l'es pace social à l'origine de la recherche n'est pas l'espace académ iq ue, mais le « te rrain » (Mondada, 2003) ; les q u es­ tions q u i ont con d u it à l'intention de recherche ne s'inscrivent pas dans u n co u rant, u n champ disciplinaire, u n d é bat d'école, m a is ont p o u r point d e départ des dysfo n ctio n n e m ent� o rgan isation n e ls, des conflits socia ux, ' des sentiments d ' i m p u issan ce (D ujarier, 2010) ; l'observate u r est non seulement participant mais i m pliqué, m o b i lisé, voi re i m mergé dans les p ro­ blèmes q u ' i l ve u t tra iter s o u s l'an gle de la rec h e rc h e . Ces para m ètres. _ intro d u isent des d i ffic u ltés n o uvelles dans le p rocessus de recherche et donc po u r celui q u i l'accom pagne, mais peuvent être a ussi des resso u rces. 1 Emmanuelle Betton, d octe u r e n sociologie, maître d e confé rences en sciences de l'éd ucation, en­ seigne a u CNAM, chaire d e Formation des a d u ltes. 2 Florence Vatin est d octe u r en sociologie, consultante et fo rmatrice. -

-

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En quête d'une intelligence de /'agir

D'une m a n ière gén é rale, la méth odologie de la rec h e rche se tro uve inter­ rogée, et avec elle, ceux q u i s'en p o rtent ga rants. Sont ainsi déc rites les princi pales o rientations et conditions posées par le formate u r afin de perm ettre l'acq u isition par les praticiens de la pos­ t u re et des m éthodes de la recherche. Ces cond itio ns méthodologiq ues se con crétise nt a u trave rs de diffé rentes éta pes q u i ont u n e d o u b le fonction : de paliers p o u r la m ise en œ uvre con crète de la rec h e rche et de m ises en situation pédagogiq ues en vue d e l'a p p re ntissage du p rocess us de re­ cherche-action. Cette méthode, o rgan isée selon u n certain nombre de prin­ ci pes o u d'intentions fo rm atives, i m pose d ' u n point de vue p ratiq u e a u fo rm ate u r de p u iser dans son expérience d'accom pagneme nt. Elle d o n n e aussi à voir c e q u ' i l en coûte a ux praticiens de s'engager d a n s une recherche­ action, c'est-à-dire d' « être e n rec herche » à partir d e le u r p lace. En o u tre, cette m a n ière de p rocéder e n gage la d iscussion s u r u n plan é p isté m o lo­ giq u e . Ai nsi, en conclusion, n o u s s u ggé ro ns combien la recherc he-action, par les q uestions é pisté m o logi q u es et méthodologiq ues q u'e lle sou lève, peut fa i re reto u r s u r la rec h e rche c lass i q u e : à b i e n rega rd e r à q u e l les conditions une rec herc he-action est u n e « vraie » rec h e rche, o n e n vient à s'interroger s u r les cond itions de prod uction de con n aissances p ropres à la recherche classique. Répond re à la q u estion à quel prix la recherche-action est une vraie recherche nous i m pose, o u nous engage, à répondre à la q ues­ tion à quel titre la recherche classique est bien ce q u 'elle prétend être.

Une recherche à quelles conditions

?

À q u e lles cond itions les p raticiens pe uvent-ils acq u é rir la postu re et les méthodes de la recherche, et ce faisant être rée llement en recherche ? Com ment, en ta nt q u e form ate u r, accom pagner les p raticiens afin q u e se réalise l'acq u isition d e la postu re et des méthodes de la recherche ?

En acce ptant la m ise e n d a n �e r d e sa pro p re post u re d e fo rm ate u r, m a is a ussi e n J o u a nt son rô le La rec h e rc h e-action co m m e dis positif de fo rmation est u n e dé­ marche o riginale à la fois p o u r le p raticien qui entre en formation et pour le fo rmate u r qui l'accom pagne. La q uestion de la postu re y est essentielle p o u r l' u n co m m e p o u r l'a utre p u isque le change m ent de post u re est en même te m ps le sens même de l'e n gagement dans la fo rmation (sa visée) , l e m oye n par leq ue l il s e réalise, e t enfi n s o n rés u ltat. Mais de q uelle (s) post u re (s) s'agit-i l ? 1.e fait q u e l' i n d ivid u entrant e n fo rmation ne soit pas exté rie u r à l'o bjet de sa rech e rche mod ifie rad icalement les positions de

80

Une recherche à quelles conditions ?

chac u n , p raticien comme fo rm ate u r. C'est par l'ana lyse de ce q u i se passe et se déve lo p pe dans ses re lations avec les différents acte u rs q ue le pra­ ticien p o u rra accé d e r à ce q u' i l se pro pose d e m ie ux com pre n d re. Fa ire partie d e ce q u' i l o bse rve devient, de ce point de vue, u n atout et non plus u n frein comme cela peut l'être dans u n e pers pective de rec herche clasJ sique o ù la d ista n ciatio n , a u sens de « déç_Qnneç_tjoo » (Lévy 1985 : 61 d'avec son te rra i n d e rec herche est alors u n i m pé ratif a u fondement d l'entre p rise scientifi q u e . Mais p o u r q u e cette p roxi m ité reste u n atout, il convient a ussi, pour le praticien, de parve n i r à se d étacher du terrain dans leq u e l i l est tout d'abord i m m e rgé. De cette cond ition déco u le cet autre - changement de post u re en j e u , ce l u i d u formate u r acceptant à la fois de se mettre en dange r dans sa position d'exté rio rité et de jouer son rôle au sens traditionnel d u terme. Artic u ler vo lontairement la recherche et l'ac­ tion, dans le cadre d'un d ispositif de formation, c'est ainsi définir leu rs rela­ tions réci p roq ues en termes fon ctionnels et y associer plusie u rs post u res, ce lles vécues alternativement par le p raticien-cherc h e u r et le fo rmate u r­ acco m pagn ate u r, ainsi q u' u n e démarche méthodologique.

)! J

En effet; i l s'agit bien d ' u n e recherche-action o u p l u s exacte ment d' un�on-recherche-action et chaque terme de ce triptyq ue correspond à u n� posture bien p récise p o u r le p raticien-cherche u r. Quand l'i n d ivid u e ntre d a n s le p rocessus d e fo rmatio n , i l est p raticien et possède par là même u n savoir p récieux. Il est celu i qui connaît le m ie ux son terrain. Cette « fa m i liarité p rolongée » avec le terrain détermine sa capacité à observer, à recueillir des d o n n ées intéressantes, à p re n d re conscience des enjeux p résents dans la situation . Elle lui permet a ussi de « comprendre en finesse l'univers symbolique des catégories des personnes étudiées » (Becker, 1985 : 19) . Mais cet état de fait s u p pose a u ssi q uelq ues préca utions et m ises en garde : il s'agit de ne pas reste r i m m e rgé dans son te rrain et dans les p ro b lè m es a uxq uels o n se tro uve confronté, d e se dégager de la « conscience immédiate que l'on peut en avoir » (Lévy, 1985 : 61) . Si la s u b­ jectivité est d'abord ici u ne resso u rce, l'enjeu est de porter u n a utre regard, « o bjectif», s u r son terrain, d o n c de parve n i r à s'en d istancier. Dans cette perspective, il ne s'agit pas p o u r le praticien de q u itte r le terrain social pour entre r dans u n autre monde, cel u i de la recherche acad é m iq ue par exe m p le. Il n'est pas q uestion ici de signifier q ue la d istanciation serait à ce prix, conditionnée par l'appartenance à ce « n o uve a u monde », mais p lutôt d e la re lie r à l'a p p rentissage et à la m ise en œ uvre de règles et de -, p rocé d u res s pécifiq ues. Et c'est là tout l'enje u de la fgrmation et d es échanges tant entre les formés q u'avec le fo rmate u r. Si ce dern ier d o it être capable de se laisser aller à la d isc ussion collective, il d o it aussi, à u n m o ment donné, apporte r

En quête d'une intelligence de /'agir

suffisa m m e nt d'éléments, n ota m ment en termes de méthodo logie, p o u r permettre q ue ce processus de d istan ciation - o n peut parler J d de déconstruction des certitudes, d e r u p t u re avec le sens co m m u r:i . etc. p u isse avoi r lieu. Même si le fo rmate u r doit po uvo i r reco n n aître q u e c'est bien le praticien q u i connaît son te rrain et q ue, de ce point de vue, lui ne sera q u ' u n m e m b re d u gro u pe parmi d ' a utres, il est i n d ispensa b le q u' i l so it, d ' u n autre côté, perçu co m m e étant l e garant de l a méthode. Le pas­ sage de la post u re d e p raticien à celle de c h e rch e u r n 'est poss i b le q u'à cette condition. Le conte n u se p rête bien sûr à la d iscussion mais le cadre reste re lative ment rigide. La légitim ité de la recherche en sciences sociales, et s u rtout la recon na issance de la va lid ité de ses rés u ltats par la co m m u­ na uté scientifiq ue, n'a pas été acq u ise sans lutte. Et c'est bien entre autres du fa it de _l'app licatio n d ' u n e méthodologie de recherche rigo u re u se q_u� cette légiti m ité n'est pas.rem ise en cause, la m éthode étant perçue comme ga rante de l'o bjectivité des rés u ltats. Ai nsi, fai re partie du gro u pe, en tant q ue fo rmate u r, et avo uer son ign o ra n ce s'agissant des p ratiq ues p rofess ionne lles concernées ne font q u e re nfo rcer la cohésion de celui-ci. Par contre, si des p raticiens cho isis­ sent d'entre p re n d re u n e fo rmation, pa rfo is a u prix de certains sacrifices, c'est bien pa rce q u ' i ls sont d e m a n d e u rs d'autre ch ose q ue de discu.s sions collectives. I ls atte ndent ainsi du fo rm ate u r q u'il abandonne son rôle au sens trad itionnel du te rme, mais se u lement jusqu'à u n certain point. C'��t en le u r donnant les o utils nécessaires à l'élaboration d ' u n e réflexion ciblée et en en étant le garant q u e le fo rm ate u r va re n d re poss i b le le che m i ne-·­ ment de la pensée et permettre q ue s'effectue dans les meille u res condi­ tions le passage d ' u ne post u re à l'a utre .

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En n e faisant pas d e la recherc h e « a u rabais

»

La recherche-action co m m e dis positif de fo rmation est u n e m a n i è re de con cevo i r à la fois la recherche et la fo rmation sen siblement d iffé rente d e la rec h e rc h e et d e l'ense i gn e m e nt au sens traditi o n n e l . Ce p�ndant, ce_ ne doit n u llement être une recherche « a u ra bais ». Dans recherche:.acti® , i l y a le te rme « recherche ». La rec herc he-action est u n e modalité de la re­ cherche par laq ue lle celle-ci c h e rche à s'inscrire n o n se u lement dans le monde de la pensée, m ais a ussi « dans le monde réel, dans une histoire . concrète » (Du bost, 1987 : 133) . Te lle q u'e lle à été pensée par ses_ p rg m o­ te u rs, son a m bition n'est pas m o i n d re m a i s d o u b le : celle de_vise r des change m ents effectifs tout en p rod u isant des savo i rs n o uveaux sur la. réa­ lité sociale, ces d e ux buts éta nt e ux-m ê m es conçus co m me i nte rdé pen- . d ants. En tant q u e m od a lité de fo rm atio n , la recherche-action transfo rme selon d e ux p rocess u s : parce q u'elle permet à ceux q u'elle i n itie d ' « être

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en recherche » et parce q u e les savoirs n o uveaux ainsi prod u its, en réo r­ gan isant le savoi r et la paro le a u sein des gro u pes d'acte u rs conce rnés, influent sur le systè me d'action q u otid i e n . À cond ition toutefois q ue se p rod u i�s e vé rita b le m e n t u n déto u r par une d é m a rche rigo u re u se de re­ cherche et pas seule m ent u n e réflexio n s u r l'action o u en co u rs, d'action. D'aille u rs, q uel inté rêt pour les praticiens dési reux de s'engager dans cette d é m a rche d'en reste r à un si m u lacre de recherche q u i ne les sa uve rait en rien d ' u n e action vécue co m m e insatisfaisante o u qui n e ré pondrait pas à u n e demande de com préhension q u i bien souvent dé passe la seu le exi­ gence d ' u n e plus grande efficacité dans l'action ? C'est bien l'engagement dans la recherche qui va le u r permettre de déco uvri r u n n o uvea u point de vue s u r le u r pratiq ue, les a uto rise r à penser a utrement, d ' u ne a utre plaçe, et par là même les transform e r et transformer le u r action. C'est bien éga­ lement parce q u ' i ls a u ront fa it ce déto u r q u e le u r trava il et le u rs répo nses devie n d ront légiti m es ou en to ut cas acq ue rront une légitim ité diffé re nte. Pou r parve n i r à faire entre r les p raticiens dans u ne post u re de re­ cherche, i l convient d e dé passer le débat i n h é rent à to ute recherche en scien ces sociales entre la méthode hypothético-i n d u ctive et la méthode hypothético-déd uctive. N o u s ra p pe lons q u e la méthode hypothético-in­ d uctive part de l'observation e m pi riq ue p o u r en in d u i re la problématique. À l'i nverse, la méthode hypothético-dé d u ctive part de la pro b lé m atiq ue pour l'a ppliquer à l'o bservation e m pirique. Si e lles para issent o p posées, c'est à tort q u'on les o p pose. L' induction et la déd uction concernent la fo r­ m ation d e la problématique et non le process us de démonstratio n . La pen­ sée scientifique est dans les faits un cheminement incessant entre induction et déd u cti o n . En ce q u i concerne la d é m a rc h e de rec h e rche -action q u e n o u s proposons a u x p raticiens, ces deux méthodes s e complètent en cor­ respondant à des m o m ents diffé rents de la dém arche : la méthode hypo­ thético-inductive est utilisée au démarrage de la recherche, au m oment de l'autobiographie ra isonnée et de l'en q u ête explorato i re pour déboucher s u r l'élaboration de la q uestion de recherche et de la problématiq ue. Pu is, c'est la m éthode hypothético-déductive q u i s'a pplique concernant la dé­ m onstration. Le schéma de Philippe Missotte (voir page 45) illustre parfai­ te ment ce chemine ment. Qu i d it recherche d it passage o b ligé par la théorie. Là encore, c'est avec u n e grande rigu e u r q ue cet a p po rt doit s'effectuer. Po u r les prati­ ciens, le « déto u r » par la théorie est un m o ment crucial, o ù le u r recherche . va pre n d re u n no uveau sens, les éloigner de plus e n plus de le u r q u otidien o u d e le u r façon q u otidienne de poser les p ro b lè m es. Le c h o ix des conce pts nécessaires a u passage de la postu re de praticien à celle de cher­ cheur doit être facilité par des lect u res triées (et là le rôle d u d i recte u r de

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En quête d'une intelligence de /'agir

recherche est essentiel) . l i est in utile et illusoire d'espére r voir les apprentis cherche u rs parve n i r s e u ls à u n e synthèse des diffé re ntes théories exis­ tantes auto u r d'un concept donné. Aider le p raticien à se déte r m i n e r par ra pport à u n cha m p d isci p l i n a i re, puis lui s u ggé re r q u e lq u es concepts à étudier a u trave rs de lectu res q u i seront plutôt des a rticles o u u n , voi re de ux, o uvrages de base paraît s u ffisant. Ensu ite, solliciter u n e restitution de ces lect u res a u sein d u gro u pe de pairs e n fo rmation enclenchera un trava i l de fo rmalisation nécessa i re à la pensée. C'est seulement à ce prix q u e l'engagement dans la rech e rche pro p re m e nt d ite pou rra s'effectuer. Les étapes de la recherche e n scien ces sociales s u ivent presque tou­ j o u rs le m ê m e schéma, se u le la term i n o logie diffè re pa rfois. N o u s fîbus app uyons pour les présente r a ux praticiens s u r le Manuel de recherche en sciences sociales3 q u i a le m é rite de prése nter clairement le processus. Lu i re p roc h e r son extrê m e rigu e u r n e revient pas à mett re e n ca use la dé­ m arc he. Si on peut tout à fa it con cevo i r q u ' u n « b rico lage » est possible dans la réalité d e l'a p p rentissage, les étapes e n elles- m ê m es n e sa u r�ient être re m ises en q uestion. Nous ada ptons s e u lement ce schéma aux cond i­ tions p ro p re s à la recherche-action {cf. a n n exe 1, p. 9 5) . Ainsi, les étapes de la démarche de rec h e rche-action co m p re n n ent un p re m ier m o ment q u i va servir à fa ire l e point s u r s a p rati q u e e t à co m mencer à s'en d istancier (a u trave rs de l'autobiographie raisonnée et de l'enq u ête exploratoi re p rin­ cipalem ent) , p u is la pa rtie recherche pro p re m e nt d ite incluant le q uestion- . nement deve n u théoriq ue (avec l'élaboration de la q u estion de rec herche et de la problémati q u e) et la démonstration (avec à cet effet l'é laboration d'un cad re d'analyse, le rec u e i l et l'analyse des don nées) . Enfi n , une der- · n ière partie permet d'effectue r le c h e m i n e m e n t i nve rse, de la postu re de cherch e u r à celle de praticie n , et de con c l u re sur u n ce rta in n o m b re de re-­ co m m andations.

En se d otant d ' o uti ls péd agogi q ues ada ptés Tout est

à

constru i re dans l'accom p agnement de ce processu s de

rech e rch e-action, y co m pris les o utils péd agogiques e m p loyés. Si cet ac­ co m pagne ment se démarq u e d'une dém arche pédagogi q u e traditio n nelle, p o u r autant, i l serait i llusoire de penser q u e la rigu e u r méthodo logiq u e nécessai re v a t o u t s i m p lement « é m e rge r » des d iscussions entre l e for­ mate u r et les appre n a nts. Le fo rmate u r se d o it de proposer des o utils q u i perm ettront l'a p p ro p riation de l a d é m a rc h e de recherche-àct1o rîp a r les praticiens. Pro pose r des outils signifie m ettre à d isposition, po u r ch acu n e des étapes de la rec h e rche-act i o n , u n e so rte de « boîte à o u t 1 fs -» aans ---...;:.

3 Qu ivy R., Van Campenhoudt L, 2001, Manuel de recherche en sciences sociales, Dunod. -

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laq uelle chacun pou rra p u iser et q u i , bien évidemment, s'en ric h i ra des a p­ po rts d es praticiens. L' inté rêt de ce s u p port est également q u' i l permet d e d o n n e r q u elq ues ressou rces pour pouvo i r transm ettre à d'a utres ce p rocess us. Mais q uoi mettre dans cette boîte à outils ? C'est ce q ue nous n o u s proposons de d évelopper m a i nte nant en partant d e l'exp licitation générale de cette d é m a rche particu lière. Par l'utilisation d'une représentation graphique des différentes étapes de la démarche

Rapidement, les praticiens d o ivent p o uvoi r s'appro p rier u n e idée précise de la démarche générale. Po u r cela i l nous se m ble que la re p r�­ sentation graphique des diffé rentes étapes est la plus adaptée. Cependant plusie u rs schém atisations sont possibles. C'est pourq uoi nous en propo­ sons toujo u rs de ux. La p remière (vo i r annexe 1, p. 95) a été con stru ite en réfé rence au Manuel de recherche en sciences sociales et permet de visua liser claire­ ment les d ifférentes étapes de la recherche-action. Elle permet aussi de montre r comment se succèdent les diffé rents m o m e nts de la recherche auxq u e ls co rres pondent différentes postures, ou diffé rentes activités qui ne pe uvent être réalisées sim u ltané ment. I l est i m portant de d istinguer ici la si m u ltanéité des di mensions identitaires d u praticien-chercheur q u i est « au même moment où il se définit, praticien et chercheur », et la d issociac tian des postures de recherche et d'action q u i ne peuvent être sim u ltanées (Kad d o u ri, 2008 : 21) . Po u r les trois pre m i è res éta pes, on garde la « cas­ q uette » d u praticie n . Il s'agit des moments pe rmettant une prise de recul à la fois s u r son parco u rs mais aussi s u r sa pratique. Puis le praticien va devo i r petit à petit q u itte r cette postu re (q u i est po u r lui la plus conforta­ ble) pou r p rendre celle d u cherche u r. À partir de ce m o m e nt, c'est l'acq u i­ sition de la théorie q u i prime, co m m e le m o n tre n t les c i n q étapes su ivantes, et c'est seulement a rrivé à la dernière étape que le cherch e u r pou rra retrouve r u n e post u re de praticien. I l est esse ntiel de d isti nguer ces d iffé re ntes postu res et de bien m ontre r q u'elles ne pe uvent pas, au moins pou-r u n tem ps, se j uxta pose r. La seconde (voi r page 45) a été é l a b o rée par Ph i l i p pe M issotte . Là encore, o n voit clairement la d issociation des postu res d u p raticien et d u cherche u r. L a partie ga uche d u schéma releva nt de l a m éthode i n d u ctive permet encore- àu p raticien de s'expri m e r. Mais à partir de la « Form u la­ tion du problème de- rec h e rche ou p roblématiq u e de la rec h e rche » , q u i correspond à n o s étapes 4 e t 5 , c'est l a post u re d e cherc h e u r e t l a mé­ thode hypothético-dé d u ctive qui priment. Là encore la d istinction est es­ sentielle.

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L' i n té rêt d e p ro p oser s i m u ltan é m e nt ces d e ux s c h é m a s est q ue, selon les i n d iv i d u s , l' u n est p l u s « parlant » que l'autre . Le s c h é m a de P h i l i p pe Missotte est bien évid e m ment le plus co m p let, mais le p re m i e r permet u n e vis ualisation plus évidente a u départ de la recherche. L' uti li­ , sation de ces schémas reste d'abord une aide visue lle au passage de l' une des post u res à l'a utre. La progression a u n ivea u des d iffé rentes éta pes, si elle est p résentée de manière linéaire, ne sign i fie pas q u'on ne peut pas. reve n i r en a rrière. Le process us est itératif, sauf que, lorsq u e la « barrière » d u c h e rc h e u r est fra n c h ie, là le reto u r en arrière n 'est plus vra i m e n t pos­ si ble. Par l'utilisation d'un vocabulaire commun

Dès la présentation généra le de la démarche, un des pro b lèmes ma­ jeurs et q u i va s'a m plifier au fu r et à mesure est celui d u voca b u la i re .. Nous pro posons to ujo u rs a ux praticiens des défi n itions fo rmelles de q u e lq-ues te rmes. To ut d'abord les différe nts types d e q u estio n n e m ents. Il est es­ senti e l p o u r e ux de parve n i r à cern e r la diffé re nce entre « Questio n initiale » , « Question d e rec h e rc h e » et « Pro b lé m atiq u e »_: Vo i c i d o n c les m ises au point et défi n itions que n o u s proposons. La q u estion i n itïate est la q u estio n du pra!icien. Elle est celle qui l'a cond-t:J-it.. v ers URe � rmal1on par la recherche-action. Elle est gén é ralement to u rnée ve rs la rec h e rche d e solutions. De ce fa it elle c o m m e n ce so uvent par l'adve rbe inte rrogatif « Co m ment » p u isqu'à ce stade la se u le ré po nse e nvisagée par le praticien est une ré ponse e n te rme de m oyens. La q u estion de recherc h e est, e lle, le p re m ie r fi l cond ucte u r de la re­ cherche. Elle permet à la fo is d'éloigner le p raticien de la q u estL9n centrée sur sa pratiq ue, mais aussi de le m ettre dans la postu re du cherc h e u r. Cela sign ifie q u'elle va se densifier d ' u n e di mension conceptue lle. Elle esraussi u n m oye n de restre i n d re le c h a m p de recherche e n étant énoncée sous la fo rme d ' u n e q uestion et non d ' u n thème. La p ro b lémati q u e est l'ense m b le des hypothèses, des o rientations, , des p roblèmes envisagés a u rega rd d ' u n e théorie et d e la rec h e rche. Elle est égale ment le c h o ix de l',gp proche o u la perspective théori q u e q u 'on décide d ' a d o pte r po Ûr tra iter le p ro b lè m e posé p a r la q u esti o n d e re­ cherche o u d it autre m e nt, la m a n i è re c h o isie po u r inte rroge r les phéno­ mènes étudiés. Enfi n , e lle i n c l u t l'exp licitatio n d u cadre conceptuel qui la caractérise, c'est-à-d i re la précision des conce pts fondamenta ux, des liens q u' i ls ont entre e ux. Se dessine ainsi la struct u re conce ptue lle q u i va fon­ der les p ro positions q u i seront é laborées en ré ponse à la q u estion de re­ cherche. Les hypothèses se défi n issent q u a n t à e lles c o m m e éta nt des

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p ro positi o n s proviso i res d e ré ponse à la q uestio n posée d eva nt être confrontées par la su ite aux d o n n ées e m p iriq ues. Par un passage obligé par les étapes-clés : la question de recherche et la problématique

L� passage de la p�e d u praticien à celle d u chercheur s'eff� e avant t9ut a u m�nt de l'é laboration de la q uestion de recherche. Cette étape est à la fois essentie lle et doulo u reuse pour le PJatic1en, essentielle car sans e lle l'entrée dans la recherche n'est pas possi b le et d o u l o u reuse car e lle lui i m pose de m e_ttre à d istance ses pro p res co nvictions q u i, dès lors que cette étape est franch ie, doivent être traitées comriïë des préjugés. Ainsi, e lle est une transfo rmation de la question in itiale, qui re lève de p roblèmes d'action, en une q uestio n q u i pose un p ro b lème de connaissance, intégrant u n e di mension théoriq ue. Elle réa lise également un change ment de n iveau de q uestionnement, d ' u n n ivea u loca l à u n n ivea u de po rtée générale, m ettant en jeu des contextes s i m i laires et a p pe lant des m od a lités de ré ponses dont la va lid ité ente n d être gé n é ralisable. S i la q uestio n de recherche concerne la même réalité q ue celle o ù la q uestion i n itiale a émergé, e lle permet d'investir u n autre rega rd sur cette réalit q u i m et la pratiq ue à d ista nce et fait voi r les problèmes q ue l'on se pose sous un a n gle différent.

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Po u r cela, la q u estion de recherche m o b i lise des conce pts qui sont des idées abstra ites, des rep résentations m e ntales obte n ues par abstrac­ tion et par regro upement de n otions entre e lles. U n concept est le résu ltat de l'opération par laq uelle l'esprit isole de certaines réalités don nées dans l'expérience u n e n s e m ble d o m inant et sta ble de ca ractè res com m u ns q u'on dés igne o rd i n a i re m ent, e n les gén é ralisant, par un m ê m e terme. Exe m ple : la fo rmation d u conce pt de fle u rs à partir de la pe rce ption des roses, des tulipes, des i ris, etc. De ce fa it, u n même te rme peut désigner à la fois u n e notion et u n conce pt. Si q u and je dis « m a lad ie » je pense à une m a ladie précise, aux cond itions de sa conta m i n ation et aux moyens d'en guérir, c'est une n otio n . Si quand je dis « maladie » je pense à la ca­ tégorie q u i englobe toutes les m a lad ies, c'est un conce pt. Si j'uti lise dans m a q u estio n de rec h e rche et/o u dans mes hypothèses un o u plusie u rs conce pts, m a recherche prend une dimension d iffé re nte et l'angle de vue adopté change. Le p roblème du praticien devient u n pro blè me généra li­ sable et les hypothèses y apporte nt des pro positions de solutions e lles aussi gén é ralisa b les. Ainsi, la q u estion du « Co m ment », n'appelant une ré ponse q u'en terme de m oyens o u de manière de faire se transforme en q uestion de type « Que lles sont les fo rmes de » ou « Pa r q u e ls process us » a p pe lant des

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ré po nses q u i sont, e lles a u ssi, deve n ues théoriq ues et é n o nçant des causes o u des ra isons du phénomène que l'o n cherche à expliq u e r ou des d i me nsions de la réa lité sociale que l'on so u haite ana lyser. Le c h oix du ou des conce pts i m pliq u e évi d e m ment des lectu res théoriq u es. Il s u p pose aussi d'avo i r pu cern e r les d i ffé re ntes a p p roches possibles d e la réa lité étudiée. Afin d'aide r le p raticien à fra n c h i r cette éta pe, il fa ut l u i conseiller, dans u!LQ[�Jri ie_r te mps;' u�n lîôfrl l5re dé lèèl'ûfësfëstrëiflte"S afin de ne pas � il( 1 ë ; ' e r et te déco ûra.ge r:·A celte flrï , peut·aus"Sr'être�ati11'S é , dans un pre­ m i e r te m ps, un d icti o n n a i re des scie n ces sociales q u i a u ra le m é rite de d o n n e r un a perçu à la fo is des conce pts, m ais a ussi des d ifférentes réap­ pro p riations disciplinaires de ceux-ci.

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Par une démonstration pertinente

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Les d iffé rents m o m ents de la démonstration posent so uvent q u es­ tion. Là e n c o re , fa ut-il a li u r à lettre u e m éthode vue a rfo is c o m m e étan rop contraign ante ? La ré ponse est bien S ÛJ.,2.U i . Co m m e pro poser u n recu e i l et u n e analyse des d o n n ées sans a u préalable défi n i u n cad re ? N o u s ra p pelons q u e l e recueil e t l'analyse d e s don nées serven à ce stade d e la rec h e rche, à va lider o u i n firmer les hypothèses. À ce tit ré , il est également illusoire de penser q u e le praticien va po uvoir fa i re é m e r­ ge r les ré ponses d i rectement d u terra i n . S'il effectue son rec u e i l des d!>n­ nges sans a u c u n o util po uva nt le guider, il risque de se laisse r à no11,1eau happe r pa r la postu re de praticie n , n e p a s ré ussir à « 6n sofi}r », et la ri­ gue u r méthodo logiq u e i n h é rente à ces étapes de la r� e ne pou rra pas s'a p p liq uer. Pro poser un cad re d'analyse ne signifie pas n o n plus q ue celu i-ci sera rigide a u point de ne plus p o uvo i r être m o d ifié après son é la­ boration. Mais il fa ut q u e l'a p p renti cherc h e u r soit conscient d u fa it q u e l e mod ifier transforme égale ment les étapes q u i vont su ivre. I l va ut d o n c m ie ux y passer u n certain te m ps ava nt de s'engage r dans l e rec u e i l des données plutôt q ue de devoir e n s u ite b ricoler les d o n n ées rec uei llies p o u r les fa i re « re ntre r » dans l e cad re. Le cad re d'analyse (ou m odèle d'analyse) est constitué des « ind ica\J )t'e u rs » de recherche. Po u r les défi n i r, le chercheur part des dimensions des conce pts o u attributs de conce pts q u i constituent la q uestion in itiale et l'hy­ pothèse. Chaque concept désigne une réalité abstraite (d isons la solidarité) . Celle-ci est constituée de dimensions q u i lui don nent corps (q uelle solidarité syn dicale, corporative, car itative) , par q uoi elle s'exerce (aide matérielle, ali­ mentaire , acco m pagn e m ent) . Chacune de ces com posantes p rend fo rme dans la réalité par des faits erv bles (accueil, relations, estime, su ivi, résu ltats ? Ce sont les ndicat s. Ceux-ci, recueillis dans la réalité par l'enq uête vont permettre d'élabore r par la s u ite les grilles d'entretiens ou de

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réd iger les q u estions d ' u n q uestion naire et serviront également de thè m d'en q u ête q u i à l'analyse. U n dernier élément doit figurer : I vont servi r à intèrrogêrles ind icate u rs. Le choix est certes vaste, mais I' plication concrète so u m ise à des règles. Les plus classiq ues et les plus s i m p les p o u r les a p p rentis chercheurs sont l'analyse d o c u m entaire, l'ob­ servatio n , l'entretien et le q u estionnaire. À ce sujet, i l convient de d istin­ guer les m éthodes quantitatives et les méthodes q u alitatives puisqu'elles nepe rmettront pas d è va lider les m êmes hypothèses, les méthodes q u an­ ider ce lles centrées s u r des variablesexté rie u res titatives à l'ind ivid u (m ilieu social, âge, sex , ., n 1s q ue es met ode�u ali­ tatlves ViS ent p l u tôt à compre n d re de l'intéri e u r le sens des comporte­ ments âês i n d ivid us. Les u n es c o m m e les a utres i m p l i q uent d es règles défi n ies dans l'éla boration des outils de rec ueil des don nées (q u estion· naire, gri lle d'observation o u gri lle d'entretien) qui se tro uvent aisé ment dans les man uels de m éth odologie.



Le c h o ix de�ode i m p l i q u e égale ment l'ana lyse qui e n découl� meîlïOëies q u antitatives obéissent à une analyse statistiq ue (im­ pliquant l'élaboration p réalable d ' u n échanti llon) d o n n ant des résu ltats ch iffrés en te rme de p o u rcentages. Elles n écessitent donc un n o m bre suf­ fisa m ment i m portant de q uestionnaires p o u r d o n n e r lieu à u n e a n a lyse de ce type. Les méthodes d'analyse qualitative sont n o m breuses. La plus courante est l'analyse de conte n u q u e n o u s avons re ba ptisée analyse thé­ m atiq u e p o u r lui d o n n e r u n pe u plus de s o u p lesse. Si le guide d'entretien a été élaboré de m a n iè re rigo u re u se (avec les m ê m e s thèmes a b o rdés p o u r chaq ue entretie n , pour u n e p o p u latio n d on n ée et en re latio n avec les indicate u rs) , l'analyse devient sim ple. I l s u ffit de re p re n d re les ind ica· te u rs et de fai re co rres pond re les extraits de chaque entretien co rrespon­ dant aux d ifférents thèmes en les comparant entre e ux. I l est à n ote r q u ' u n résu ltat d ifférent d e s a utres a autant de vale u r q ue t o u s les a utres ré u n i s (c'est la q ualité des ré ponses q u i fait s e n s , p a s l a q u a ntité) . L' i m po rta nt est de pouvoir les com pare r et d e le fai re d e m a n ière rigo u reuse en d istin­ guant les d iffé re ntes popu lations interrogées (i l est i m possible de traiter de m a n iè re se m b la ble le d isco u rs des usage rs et des p rofess i o n n els, même si certains thèmes pe uvent être regro u pés par la s u ite) . L'ana lyse thémati q u e a égale ment comme intérêt d'obliger à ne p l u s vo ir les i n d ivi­ d u s i nterrogés en tant q u e tels mais à se con centre r s u r le d isco u rs. Bien évidem ment l'analyse des récits de vie se fera de manière u n pe u d iffére nte (m ais u n e ana lyse thé m ati q u e n'est pas à exclure totalement même dans ce cas) . Les données issues de l'o bservation peuvent égalem ent s'analyser de cette manière. Au terme de cette analyse thématiq ue, les hypothèses (q ue les ind icateu rs n'ont fait q ue trad u i re) pe uvent être va lidées o u infirmées

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o u d u m o i n s disc utées. U n e reco m position des d isco u rs p a r p rofi l peut égale ment être inté ressante s i elle a u n inté rêt po u r la recherche et si les rés u ltats thématiq ues l' i n d u isent. C'est se u le m e nt à l' issue de cette dé­ monstratio n que des p récon isations concrètes peuvent être é m ises. Elles d o ive nt po uvoir être réd i gées au rega rd des rés u ltats de l'ana lyse et d on­ ner ainsi u n e épa isse u r s u p p lé menta i re au travail. Par une mise en situation à travers l'exemple

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eou r les praticiens ayant souh aité s'en gager dans une formation par la recherche-action, la formation par l'exe m ple et l'exe rcice s'avèrent in_Qjs­ pensables. En effet, ce ne sont pas les co u rs théoriq ues q ui vont permettre de s'a p p ro p rier le process us de recherche-action et les change m e nts de post u res q u ' i l i m pliq u e (m ê m e s'ils reste nt i n d ispensa bles a u d é p a rt) , mais bien la m ise e n situation et la d iscussion par le gro u pe. Le passage de la postu re de p raticien à celle de cherche u r ne se fe ra pas sans u n e ré­ a p pro p riation du d isco u rs de la recherche par les praticiens. Po u r cela.. i l se ue l'utilisation d'exe m les d o n n é s par les promotionsantérie u res perm ette de m ieux m até rialiser le d isco u rs q u e e armate u r peut avo i r. Sans les pre n d re co m m e m odèle (de ce fait i l est im portant de proposer des bons mais a ussi des ma uvais exe m p les) , ils permettent de concrétiser la re p résentation du p rocess u s et d e favo rise r une m ise e n situation u ltérie u re. Dès l'é laboration de la q uestion de recherche, il est égale m e nt_! m­ a re ntis c h e rc h e u rs form alisen t p a r écrit le u r p ro p re q uestion et la livrent a11 groupe po u r u n e 1scuss1on collective d e sa.J2_ . . e r­ Hfl.ence. De m ê m e l'élaboration des hypothèses peut être l'occas ion de d iscussions i m p o rtantes a u sein du gro u pe de pa i rs. Po u r q u e ta dl�c us­ sion auto u r de ces d e ux éta pes soit efficace et pertinente, il fa ut bien s û r a u p réalable q u e soit pratiq uement réglée l a q u estion de l'angle théorique rete n u et des con cepts uti lisés. Cette q u estion doit également fa i re l'objet d ' u neré daction et elle peut dans ce rta ins cas d o n n e r lie u à des exposés o raux suscitant là a u ss i une d iscussion e n gro u pe s u r la pe rti n e n ce d e te l o u te l con cept a u rega rd de la rec h e rche. L'éla boration d u cad re d'analyse se prête moins à u n débat co llectif (ne sera it-ce q u e parce que l'exe rc ice serait tro p lon g) , mais i l peut être élaboré de manière individ ue lle sous la fo rme d'un sché ma ou d'un tableau (le Manuel de recherche en sciences sociales en d o n n e un exe m ple, mais o n peut aussi utiliser des trava ux antérie u rs d'étudiants) . Le q uestionnaire et le guide d'entretiens ne poseront pas de p ro blèm e si les ind icate u rs ont été suffisa m ment trava illés. L'éta pe de l'an alyse des d o n n ées doit d o n n e r lieu à u n p re m ie r trava i l individ u e l d e réo rgan isation des données rec ueil­ lies a u regard des d i ffé rents thèmes, p u i s à u n travai l co llectif. Là e n core

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l' utilisation d ' u n exe m ple a u trave rs de l'a n a lyse en gro u pe d ' u n m ê m e entretien permet de fai re com p re n d re à l a fois l a pe rti nence de l'uti lisation d ' u n cadre d'analyse à ce n ivea u de la recherche (si le cad re d'analyse est pertin ent, les diffé rences d'interprétations seront m i n i m es) et ensu ite de dé battre à propos de l' i nterprétation des données et de ses lim ites. Par la s u ite, un ou plusie u rs étudiants du gro u pe pou rront apporte r un ou deux entretiens et l'exe rcice pou rra être répété.

En adaptant la m éthode

à la tem pora lité d e la fo rmation L a question d u tem ps est essentielle d a n s c e ty e de fo rmation. Plus la formation es ongue, p us e passage d'une postu re à l'autr C'es e n su ivant des pistes qui n'aboutissent pas, en s'égarant et en se re­ tro uvant q u'on parvient à vra i m e n t intégre r le processus. Ce pendant le te mps i m parti a ux formatio ns se réd uit presque chaque an née davantage . I l e s t illusoire de penser q u'on p e u t obte n i r l e s mêmes résu ltats avec les mêmes m éthodes sur une d u rée variant presque du si m ple au dou ble. Cela i m plique peut-être davantage de directivité quand le tem ps manq ue, même si c'est d o m magea ble pour la formation des esprits, mais avons-nous le c h o ix ? Le découpage des diffé rentes étapes du processus en m o d u les évaluables avec des d ates de re m ises des d ocu ments tend lui aussi à nous i m poser dava ntage de d i rectivité. Fa ut-il laisser les praticiens fa ire le tou r de le u r ratique e t de leurs motivation s avant de les e n a e r dans le p ro­ ' ' ents cessus de la rec erc e ? Faut-il les laisse r explorer l'ensembl n avant 'inte rve n i r po u r le u r conseiller des théo ri q u es a e lect ûre s ? La ré ponse est non car cela n'est pas réaliste n i réa lisable en fon ction du te m ps i m parti et du décou page m odulaire. Plutôt q ue de le u r laisser rendre e n retard les différents travaux (ce qui a u ra des conséq uences par la su ite) , i l est préféra b le de le u r p roposer u n p rogra m m e collectif {po uvant bien sûr être revu en fonction des s peclflc1tes i ndividuelles) col; tant aux échéances et permettant malgré tout le changement de postu re. Le fait de s'astre i n d re à res pecte r les échéances a, ma lgré son as­ pect é m i nem ment contraign ant, quelq ues avantages. Il oblige à davantage de rigu e u r et de discipline tant de la part d u formé q u e d u fo rm ate u r. Ainsi, les séances d'ate liers et de méthodologies doive nt avo ir un o bjectif clai­ rement défini d'une fois sur l'autre avec des travaux à préparer par certains. La finalisation de la q uestio n d e recherche et de la problématiq ue (étape charn i è re po u r le passage de la postu re de praticien à celle de cherc he u r) n e d o it as arrive r tro p tôt, mais pas non plus tro ta rd uis ue d'elle dé · e. Fai re co m p re n d re a ux a p p rentis cherc h e u rs q u ' u n pe fo is ce e q uestio n r é ' e , reve n i r e n arrière i m p l i q u e de reco m m e n ce

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to utes les étapes q u i s u ivent, nota m ment le recueil des d o n nées, le u r per­ m et d'en saisir to ute l' i m p o rtance, mais les o b lige aussi à fa i re le d e u i l d ' u n ce rta in n o m b re d e q uestions e t de rec h e rches possi b les par ra pport à le u r q uestion in itiale, mais infaisables dans le te mps i m parti. Cette p rise de conscie nce est certes d o u l o u re use mais ind ispensable p o u r progresser et avance r.

Co nclusion et reto u r s u r la rec h e rche L a recherch e-action, p a r les parco u rs o rigi n a ux q u'e lle a u to rise, a ceci d ' i ntéressant qu'elle conduit à revisiter des questions épistémoto­ giq ues q u i n e sont pas seule m e nt s péc ifiq ues a la reche rche-action m ais concernent la recherche en général. I l e n va ainsi d e l' i m p lication d u cher­ che u r vis-à-vis de son te rra i n . Pa rce q u 'e l le fa it partic iper les acte u rs à la recherche, et im pliq u e d iffé re m ment les chercheurs, q ue ce ux-ci soient co­ p ro d u cte u rs de la rec herche aux côtés des acte u rs, ou accom pagn ate u rs de la recherche, la recherche-action oblige à re penser le ra pport a u terrain et la q u estion de la d ista nce entre le s ujet d e la rec h e rche et son o bjet, car i l en va po u r elle de sa légiti m ité en tant que dé marche d e prod uction de connaissance. Ce qui est en jeu, pour la rec h e rche-action, c'est la possible o bjectivation d u rée l, nécessa i re a la connaissance, p o u r des acte urs i m­ pliq ues dans l'action et sur le u r terrain. A cette d ifficu lté, la réponse offerte par la trad ition scientifiq ue est de constru i re la d istance d'avec le terrain par l'a lication de règles méthodo logiq ues p récises. Dans cette persPê ctive, ce q u i va ut co m me con 1 ions a a construction d ' u n e post u re de re­ cherche dans la cad re de la recherche-action va ut de m ê m e dans celui de la recherche classique, et inve rse ment. I l y a u rait là u n e diffé rence de degré se u lement dans les n iveaux de diffi c u ltés p ro p res aux d e ux recherches, la d istan ce a u terrain n 'étant pas la m ê m e d a n s les deux cas. Ceci d it, n o u s savo n s com bien, m ê m e d a n s la p e rspective d ' u n e rec h e rche class ique, ces règles ne sont jamais des garanties infaillibles de l'objectivité des cher­ c he u rs. Pa r contre, e lles ont p o u r effet d e masq uer, pa rfois à l' i n s u m ê m e d e s cherche u rs, l e s possi b les conn ivences secrètes q u i se tisse nt entre l e cherch e u r et son te rrain e t posent la q u estion de sa neutralité. C'est sur ce point que la recherche-action, dans ses développements va riés, re n o uve lle la réflexio n . L'i m plication de l'acte u r-c herc h e u r vis-à-vis de son terrain d e recherche est une des d i m ensions non réd u ctibles d u p rocess us de rec h e rche-action, q u i a p o u r effet d e m ettre en visibi lité u n e donnée égale ment n o n réd u ctible de la recherche classique en scie nces socia les, à savo i r la « division interne du sujet de la recherche, de la per­ sonne du chercheur » (Lévy 198 5 , : 63) , q u i est en m ê m e te m ps s ujet et o bjet de la recherche et ne peut à ce titre jam ais co m p lètement s'affranchir

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d'une certaine i m plication. Sauf q u e la recherche-action pe rmet de pens cette i m p lication non comme u n e se u le contrainte dont i l fa u d rait à tou p rix s'extrai re, mais également com m e une resso u rce, u n point de dépa t q u i promet des vues inéd ites s u r le rée l, u n e p lace à travai ller po u r en res­ tituer u n potentiel de recherche. Ce fa isant et moye n nant ce rtaines règles et procé d u res, la recherche-action retravaille la q uestion de l' i m p lication du cherc h e u r d ' u n e façon q u i ne l'omet pas p u re m e nt et sim plement ou n e la résout pas de façon artificielle, au m oyen d ' u n s i m p le a rtefact mé­ thod o logiq ue. D'autant q u ' u n e su bjectivité qui s'ign o re peut con d u i re à énoncer, sous forme de savoirs ass u rés, des affirmations « qui ne sont pas moins idéologiquement surdéterminé(e)s que (celles) qui transitent dans la presse, dans les conversations quo tidiennes ou que profèrent les hommes de pouvoir » (Lévy, 1985 : 62) .

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Dans l a perspective tracée p a r l a recherche-action, l'i m plication peut être a p p réhendée d ' u n e façon autre par les cherc h e u rs, non pas co m m e l a seu le propriété de l'acte u r, m a i s ass u m ée com m e « une conséquence directe et immédiate de son activité de chercheur » (Lévy, 198 5 : 60) . Est ainsi reco n n u co m bien la recherche (i l convie n d rait de p réciser ici : u n e certaine conception de l a recherche) ne p e u t pas ne pas i m pliquer celui q u i s'y engage, qu'il soit acteur ou chercheu r académ iq ue, tandis q u'elle affecte dans le même te m ps « les situations étudiées et les discours qui y sont produits ». Dans cette perspective, être chercheur, c'est, comme le souligne l'ethnologue J . Favret-Saada, se la isse r « pre n d re » par son o bjet po u r le déco uvri r p rogressive ment. Mais cela reste bien évide m ment, et plus encore peut-être, u n e dém arche très exigeante q u i n 'est pas synonyme d ' u n renoncement à toute d istance a u réel. li s'agit plutôt de reco nsidérer le p rocessus d'objectivation tel qu'il est en réalité, c'est-à-d ire se réalisant, à partir d'une place de sujet, non pas « en extériorité » par le seu l recours à des règles méthodologiq ues, mais aussi et surtout « en intériorité, dans le vécu même des chercheurs, en tant que sujets, et donc divisés » (Lévy 1985 : 62) . D'autres q uestions d ' o rd re méthodo logiq ue o u é pisté m o logiq ue, qui conce rnent la recherche e n général, mé rite raient d'être ainsi retravai lées a u regard des déve loppeme nts et des i n n ovations suscités par la r c h e rche-action. I l e n va ainsi d u cara ctè re situé d e la rec h e rc h e , d e l a constitution de l'o bjet de l a recherche, de l'accès a u terrain, de l a te m po­ ra lité de la recherche, de l'affectation des o bjets de la rec h e rche à des c h a m ps d isciplinaires, etc. Accom pagner des praticiens tou t a u long d ' u n parco u rs de rec h e rche n'est p a s seu lement so u rce d'apprentissage po u r les acte u rs. Cela fa it a ussi a pp re n d re s u r les con d itions dans lesque lles, en tant que cherc h e u rs acad é m i q u es, n o u s effectuons nos « vraies » re­ cherches.

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En quête d'une intelligence de /'agir

Bibliographie B ECK E R

H., 1985, Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Pa ris, Éditions A- M . Méta i llé.

1987, L 'intervention psycho sociologique, Paris, P U F. D UJAR I E R M . -A., 2010, « L a recherche-action, u n moyen de penser et de transfo rmer D u Bosr J .,

ses pratiq u es » i n Travailleurs sociaux en recherche-action, D ujarier M . -A. (éd .) , Paris, L' H a rmatta n , collection Recherche-action en prati q u e s so­ cia les, pp. 17-21.

M., 2008, L 'engagement des praticiens dans des dispositifs de formation à la recherche, exposé U n iversité d'Auto m n e, Lo uva i n-la-Neuve .

KAooo u R 1

f

LËVY A., 1985 , La recherche-action, u n e a utre voie pour les sciences h u m a i nes, i n Bouti n et J . - P. (éd .) , D u discours à l'action. Les sciences sociales s 'interro­ gent sur elles-mêmes, Pa ris, L' H a rmatta n . L . , 2003, Inte raction e t complémenta rité d e l a recherche-action e t de la rec herche acad émiq ue, i n Mesnier P.- M . , M issotte Ph. (éd .) , La recherche­ action, une autre manière de chercher, se former, se transformer, Paris, L' H a rmatta n , pp. 316-318.

M O N DADA

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R., (AM PEN HOUDT L. Va n, 1995, Manuel de recherches en sciences sociales, Pa ris, D u nod.

Une recherche à quelles conditions ?

Annexe 1 : Représentation graphique de la démarche de recherche-action par E. BETION et F. VATIN (D'après Quivy R., Van Campenhoudt L., 2001, Manuel de recherche en sciences sociales, Dunod)

Étape 1 La question initiale

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Étape 2 L'autobiographie raisonnée

� Étape J

/ L'enquête exploratoire � Lectures

t

Entretiens ex loratoires

Monographie



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Étape 4 La question de recherche

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Étape 5 La problématique Étape 6- L'hypothèse

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Étape 7 La construction du cadre d'analyse

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Étape 8 Le recueil des données

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Étape9 L'analyse des données · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·



· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·

Étape JO

Les conclusions et l'action engendrée par la recherche

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L' autobio grap hie raisonnée Premièreé taped 'eng ag emen t dans unedémarchederecherche-ac tion Christophe VANDERNOTIE1

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ans cet a rticle, nous allons p rése nter la démarche d'autobiogra­ phie raisonnée co m me pre m ière éta pe d'e n gagement dans la re­ c h e rche-actio n , telle q u'e lle a été créée par H e n ri Desroche et re prise ensuite à Paris I l l, à la fois dans le D H E PS et dans le Master D E PRA. N o u s p résenterons tout d'abo rd la grille de l'autobiographie raisonnée ainsi q ue les différentes éta pes d u travail proposé. Dans un second tem ps, nous revie n d rons s u r la genèse de l'autobiographie raisonnée et les ra i­ sons qui ont con d u it H . Desroche à en fai re une pie rre angu laire de sa stra­ tégie péd agogi q u e . Enfi n , n o u s p ro posero n s plusie u rs axes d ' a n a lyse po uvant exp liq uer les effets dyn a m iq ues et mobi lisate u rs du p rocess us auto biogra p h iq u e .

Le trava i l autobiogra p h i q u e à parti r d e l a gri lle d e l'autobiogra p hi e raiso n n ée Dès l'entrée en DH E PS et en Master, il est pro posé a ux étud iants u n travail a utobiographique à partir d'une grille le u r permettant de réca pituler les grandes lignes de le u r trajecto i re perso nne lle, sociale et p rofession­ nelle. Ce travail com p rend trois étapes : un pre m ier travail personnel de re­ censement des principa ux éléments de l'h istoire de vie, un second te m ps 1 - C h risto p h e Vandernotte est consultant en ressou rces h u m a i nes et coach maïeuticien. I l est co­ fondate u r du réseau R E PAI RA (Résea u des Professionnels d e l'Accom pagnement et d e l' intervention par la Recherche-Action).

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de p résentation o rale de son parco u rs e n petit gro u pe et, dans u n tro i ­ s i è m e te m ps, u n travai l d'écrit u re avec la prod uction d ' u n récit a uto bio­ gra p h i q u e s'acco m pagn ant, d a n s le cad re du D H E PS, d ' u n e notice de p rojet de rec herche. Cet exe rcice couvre n o rm ale ment les trois p re m iers mois de chaque c u rsus, mais po u r u n ce rtai n n o m b re d'apprenants, sa ré­ sonance se po u rs u it bien a u -delà de cette entrée en m atiè re. Po u r faci lite r la m ise en pers pective d e la trajecto i re existe ntielle, la gri lle d e l'autobiographie raisonnée q u i ava it été fo rma lisée p a r H . Des roche est proposée a ux étudiants (Desroche, 1990, 5 4) . Elle co m p rend q u atre colonnes qui co uvrent deux grands cha m ps d'expérience - les études et la fo rmation ; - le domaine des activités, p rofessio n n e lles et sociales. Vo ici la ré partition des diffé re ntes expérien ces e n lien avec le par­ co u rs social et professionnel de la perso n n e : Années

Études formelles

Études non formelles

Activités sociales

Activités professionnelles

Études primaires

Mouvements de jeunes

Appartenance à des associations ou groupements (loisirs, solidarités, cultures ...)

Positions successives

Études secondaires terminées ou non Études supérieures (éventuellement) interrompues ou non Y compris éventuelles reprises soit récurrentes d'études secondaires ou d'études supérieures interrompues

Écoles syndicales ou politiques Centres culturels Apprentissages ou perfectionnements professionnels Éducation permanente Parcours extra-curriculaire Voyages d'études Sessions nationales ou internationales Congrès - Stages Missions Cours par correspondance

Péripéties familiales Implications dans ONG Activités : Associatives Mutualistes Syndicales Responsabilités : Présidences Directions Militances Adhésions

Parcours professionnel Emplois successifs consignés selon l'âge et les années qui leur correspondent Y compris éventuellement les interruptions par des périodes sans emploi ou des séquences sabbatiques en alternance avec des études formelles ou non formelles

Et éventuellement créations ou participation à des créations...

H e n ri D esroch e , Entreprendre d 'apprendre. De /'autobiographie raisonnée

aux projets d'une recherche-action, Ëditions Ouvrières, 1990.

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L 'autobiographie raisonnée

Voici les consignes d o n n ées aux étud iants a u m o m ent d'entrepren­ d re ce travai l : « Indiquez dans les différentes colonnes les événements impor­ tants de votre vie personne/le et professionnelle. Vous aurez également indiqué dans les colonnes de gauche votre parcours de formation (initiale et continue). « Ensuite vous encadrez les événements qui vous semblent les plus importants. « Puis vous essayez de relier ces événements par un fléchage qui part du haut vers le bas, mais qui peut s'engager à droite ou à gauche (les événements personnels pouvant avoir une incidence sur la vie profession­ nelle). Ce fléchage est destiné à relier entre eux les événements qui dé­ coulent d'autres événements. « Vous visualisez l'enchaÎnement, le maillage. « Ce travail doit vous permettre d'écrire, pour vous, une biographie raisonnée. Cette biographie n 'est pas une fin en soi, elle doit déboucher sur un PROJET DE RECHERCHE-ACT/ON» (d ocument Pa ris I l l) .

H e n ri Desroche, u n pio n n ier d es h i stoi res d e vie e n fo rmation

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On peut situer l'émergence des histoires de vie en formation d'ad ultes dans les années 1980, avec notam ment la parution en 1983 du livre fondate u r d e G . P i n e a u e t M . Michèle, Produire sa vie, autoformation et autobiogra­ phie. L'a n n ée su ivante, H . Desroche p u blie, sous l'égide de l' U n ive rsité Coopérative I nternationa le, un ouvrage intitulé Théorie et pratique de l'au­ tobiographie raisonnée. En introd uction, il précise q ue s'il tient à ce « label », c'est parce que « son affinage nous a coûté trop de labeurs, trop de labours... pour nous justifier d'être allergiques à ce qui serait son plagiat, sa parodie ou ses contrefaçons » (1984 : 9) . Et q ue, s'il tient à signer cette p u blication, celle-ci est une « invention du laboratoire UCI »qui en a été le creuset. Pa r aille u rs, s'il s'est résolu à fo rmaliser une gri lle de l'autobiographie raison­ née, celle-ci ne doit en aucun cas être p rise comme un modèle figé .

U n enjeu i n itial : élaborer u n projet d e recherche en lien avec le capital expérientiel d e la perso n n e L'entrée e n 1958 d'Henri Desroche comme directeu r d'études à l' EPH E ( É cole Pratique des Hautes Études) respnsable de la « socio logie de la coo­ pératio n et d u déve lo p pement » le p lace dans un contexte où, à la diffé­ re nce des règles h a bitue lles d u m i lieu u n ive rsita i re, les étud i ants sont recrutés sur u n projet de recherche p lutôt q ue s u r u n n ivea u de d i plôme.

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H . Desroche q u i ava it déco uvert dans les co m m u n a utés ouvrières la créativité fo iso n n a nte des acte u rs sociaux (n ota m m e n t au sein d e la com m u n a u té B o i m o n d a u en 1944) s'a p p u i e s u r cette expé rience p o u r aider ses étudiants à fo rma liser u n projet de rec h e rche e n lien avec le u r expé rience d e vie anté rie u re . D a n s s o n livre Apprentissage e n sciences � sociales paru en 1971, on tro uve la tra m e d u q u estio n nement q u 'il uti lise ': r pour débusq uer les potentia lités les plus intéressantes q u i pou rraient être va lorisées et e n n clîles dans le cad re d ' u n e recherche u n ive rsita i re, et plus spécialement d'une recherche-action.

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À trave rs ce q u' i l nom m e u n e « socianalyse », il indique q u ' i l « s'agit d'explorer le potentiel personnel à investir dans une recherche. Il doit exis­ ter une certaine connivence entre ce potentiel - fait à la fois de besoins, d'aspirations, de capacités - et le projet auquel on s'arrêtera. [... ] C'est pourquoi, en première analyse, la réflexion sur le parcours déjà accompli peut être significative du parcours qu'on se propose de dessiner. « Les questions les plus courantes sont celles-ci : - De quel pays ou de quelle région êtes-vous ? - Quel était votre milieu familial ? - Quel cycle d'études avez-vous déjà suivi ? - À quels groupes associatifs avez-vous déjà appartenu ? Quelles activités dans ces groupes ? Militantes ? Économiques ? Sociales ? Éducatives ? - Quels voyages déjà ? De quelle durée ? Dans quelles conditions ? - Quelle activité professionnelle jusque-là ? Quels travaux de réflexion éventuellement autour de cette activité ? - Avez-vous déjà rédigé et/ou publié quelque chose ? - Quelles langues apprises et parlées ou/et écrites ? - Quelle familiarité déjà avec quel domaine scientifique ? - Vers quel domaine ou quelle problématique s'ouvrent spontanément l'appétit et la curiosité ? - Quels projets d'avenir ? Projets culturels ? Projets professionnels ? - Quels échecs déjà encourus ? Frustrations culturelles ? Impasses professionnel/es ? - Pourquoi avoir déjà choisi tel domaine de recherches ou/et tel responsable ce domaine pour venir parler de cette orientation avec lui ? Etc., etc. « On apprend beaucoup dans un entretien de ce genre. Des voies se ferment et d'autres s'ouvrent. Souvent /'interlocuteur n 'avait pas pensé que pour traiter tel projet, cher à son cœur, sa tête ne disposait pas des instruments essentiels à un tel traitement : absence de documentation, allergie ou carence devant les méthodes requises, incapacité à travailler dans la langue qui s'impose, ignorance des fouilles déjà accomplies, impossibilité de se rendre sur le champ de fouilles qui serait préférable ou

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L 'autobiographie raisonnée

prioritaire, etc. Souvent, au contraire, il ignore les richesses qu 'il porte en lui : il ne sait même pas que ce sont des richesses » (1971 : 29-30) . . Le q u estion nement permet de re rer les com pétenc e s a è q u .!§:e.s et 1:1-ve s-pon ane_ment à eu . les ch'a m o u a crea 1v1te soc1a e ise e n vale des a p p renti ss31 ges s'exe e r. E n outre , e lle favo rise 1 · r n effectués, n otamment ceux q u i se sont o e ré s c o la i re . e s a n s ce « terre a u » p ro p re à c h a q u e a p p re n a n t ad u lte q u'H. Desroche cherche les fi ls conducte u rs d u projet de recherc he. •

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lJ n e exp�ri ence fo n d.atri ce, Economie et Humamsme En 1942, H . Desroc he, jeune prêtre d o m i n icain rejoint L.-J . Le bret, un ancien officier de m a rine b reton entré lui aussi chez les D o m i n icains, qui s'était d istingué avant la gue rre en réa lisant des enq uêtes de terrain afi n de m ieux co m p re n d re la m isère des pêc h e u rs et les réa lités écono­ miq ues et sociales a uxq uelles ils éta ient confrontés. Le bret fonde en 1941 dans la région lyo n n aise un ce ntre de recherche, « É con o m ie et H u m a­ nisme » pour promouvoir une écono m ie h u maine visant « le développement de tout l'homme et de tous les hommes ». Le m a n ifeste d ' É c o n o m i e et H u m a n i s m e , paru en 1942, affi rme q u e « le témoignage d'humbles et souvent de lutteurs a plus de prix pour nous que les propos étincelants des essayistes et les divagations faciles de bien des "maîtres" » (Le bret, More ux, 1942 : 5) . Par aille u rs, dans un docu ment p u blié en 1946 i ntitu lé « positions-clés », Leb ret défend la nécessité d ' u n e « révolution » se u le capable de recon stru i re d e « nouvelles conditions de travail et de nou­ velles relations sociales ». H . Desroc he participe à ce laboratoi re d'idées et d ' i n itiatives où, à la fi n d e la guerre, des hom mes ven u s de to us les h o rizons se regrou pent pour défi n i r les bases d ' u n « monde mei lleu r » . Déjà appara issent les pré­ m isses de la recherche-action q u i devie n d ra p o u r Desroche le s u p port de son trava i l de fo rmate u r d'ad u ltes : « ceux qui pourront être à la fois hommes d'action et hommes de science deviendront les sages dont ces temps troublés ont besoin ».

La rec h e rch e-acti o n co m m e levie r d e tra n s fo rm at i o n d u m o n d e I l y a en permanence chez Desroche co m m e chez Le bret l e lien indéfectible entre le terrain et la c�sance, avec d'un côté l'aventure hu maine, l'engage m e n t pa rtagé avec des i n d ivid us ou des gro u pes, et de l'autre, -----..;:: la n écessité pa,r la rech e rc h e et l'a p proche m onogra p h i q u e chez Le b ret

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'appréhender les logiq ues d e repro d u ction sociale, d e co m p rend re les phénornè11es d'exclusion et de sortir des représentations socia les sim pli­ ficatrices. La c o n n a issance favo rise u n e p l u s grande conscience i n d ivi­ d uelle et collective et renforce l'efficacité des actions menées. Une même conviction ré u n it Leb ret et Desroche : le changement social doit être mis en œuvre par les acte u rs e ux-mêmes, q u e ls q ue soient le u r o rigine, le u r culture o u le u r n ivea u d'études. Po u r H . Desroche, la recherche-action recouvre donc à la fois u n en­ ga ement social, une ost u re et une méthodologie. Engagement social car, bien avant la Validation des acq uis de expe rience, i l re pose s u r la re­ conna issance et la va lo risatio n d u capital expé rientiel des a d u ltes q u i s'engagent dans u n parcou rs un iversitai re. Po u r accom pagner ces acteu rs, H.._Df!sroche préco n ise une postu re s pécifi q u e inspirée de l a m aïe utique socratiq u e, telle q u e décrite par Plato n d a n s u n d i a logue du Th �ète (1950, 95) . EnfipJl,élabore une m é.tq,ruiQ l ogie strµc.t.u rée a u;a.p r de G.i;&re rands a q u i sont la straté�� t, la stratégie de I'�, la straté­ gie d u t aje t la stratégie d Q� (Desroche : 1990 b) . Au-delà des techniques et des méthodes utilisées, la recherche-action est une pédagogie de l'i n n ovation et d u changement social. L'éta pe de l'autobiographie raisonnée se révèle, a u fil d u tem ps et des expé rim enta­ tions, c o m m e u n e étape-clé d a n s le p rocess us de transformation q u i cond u it u n acte u r de te rra i n à ado pter progressivement u n e post u re d e cherche u r e n capacité d e q uestionner son expérience à partir d ' u ne dé­ marche méthodologi q u e adaptée et pertinente.

L'a utobiogra p h i e rais o n n ée, vecte u r d e réa p p ro priati o n d e son expéri e n ce glo b a le Demander à des professionnels, parfois pe u d i plômés, de réaliser une rec h e rche en sciences sociales d é b o u chant sur un d i plôme u n ive r­ sita i re de n ivea u bac + 4, constitue u n e gage u re . Mais n ' o u b l i o n s pas q u ' H . Desroche est u n sociologue des uto pies ! « La recherche-action correspond à un projet personnel de traiter

scientifiquement une expérience vécue. Cette expérience elle-même peut être fort diverse : professionnelle, sociale, associative, journalistique, admi­ nistrative, syndicale, coopérative, socio-culturelle, ethnographique, écono­ mique, éducative, technologique, etc., etc. Peu importe. Mais ce qui importe, c'est que d'une part cette expérience soit offreuse d'une créativité spon­ tanée, d'autre part, demandeuse d'une créativité ' ' · » (Desroche, De l'éducation perm e a une recherche permanente en promotion d'adultes, ASSCO D n° 48) . , 102

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L 'autobiographie raisonnée

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La Rrésentation de sa trajecto i re en petits gro u pes va favoriser éga­ lement la prise de d istance avec les éta pes d u parco u rs dans la mesure o ù l e s reto u rs d es pairs conduisent � une lei 1111e e1 a one apprêdatioA diffé ­ rente des événements et de leu r enchaînement. Il est essentiel de précis Et;!î ici un point : dans le travail autob1ogra ph1que, en lien avec la d i mension sociologi q u e de la recherche-actio n , il n e s'agit pas d'i nteroréte r a posteriori les situations vécues s u r u n mode psychologiq ue o u psychanalytique. Les évé n e ments et les expériences sont considérés comme des faits sociaux constitutifs de l'expé rie nce de l'acte u r. Ainsi progressive m ent, tiàè:i tëiTr en vient à considére r ses expé rie n ces, q u ' i l les ait vécues co m m e positives o u négatives, c o m m e a u tant d e b ri q u es constitutives de so � � � ca pital expérientiel. -

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Cette réca pitu lation et cette d istanciation sont énéral u rce de va lorisation dans a mesure ou espace fo rm atif favo rise u n e lect u r n o n d u e lle et n o n stigmatisante es p a rco u rs « a yp1que� » . esroche sou ligne q ue les a d u ltes q u'il accom pagne se c ins par leu rs « accréd itations u n ive rsita i res » q u e par u créativité soc· le q u i les con d u it à e m prunter assez tôt des chemins de trave u1 n'excluent pas les « c u ls-de-sac » et les tem ps d'e rrance. Le travai l a uto biogra p h iq ue, dès l'entrée e n formation, i n itie une no uvelle fo rme de conscie n ce q u i est celle du cherch e u r q u i n 'est pas là p o u r « juge r » de la va lid ité de telle o u telle stratégie d'acte u r, mais q u i cherche à a réhender les loai'it:J.J.•-ac:-��i.e.cL à l'œuvre dans les e ntre lacs des traje olresl n fl. !�J d uel s. v-

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Ù� · Cette m ise à distance de l'expérience person n e lle et soc 1 a e avo ri­ sée par les éch a n ges et les reto u rs des me ro u pe font entrer chaque p a rtici p a n t d a n s u n rocess d ' a u tofo rmation u e G . P i n e a u défi n it comme formation de I'« autos » (en grec « u 1 - m e m e » o u « de lui­ même») . L' h istoi re de vie devient ainsi u � « matéria u » à part entière danSl J le processus de fo rmation et d e déve lo p peïlient e l'ad u lte. ··



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En quête d'une intelligence de /'agir

Ainsi q u e L. Fond-H armant l'a montré dans u n e étude portant s u r l' i m pact de l a fo rmation s u r des a d u ltes d é j à profess i o n n alisés, « dans tous les cas [celle-ci] participe à des logiques de restructurations existen­ tiel/es... L 'université est dépositaire et agent de transmission d'un savoir certifié, mais elle est aussi, pour l'adulte qui reprend ses études, le "bouillon de culture " d'une socialisation nouvelle » (1995 : 25) . Dans u n e société caractérisée par l a m ontée de l'i n d ivid u a lisme, les acteu rs sociaux sont enjoints à effectue r ce « retou r s u r eux-mêmes » « qui les constitue en sujets capables, par leur activité réflexive et interprétative, de donner une forme personne/le à leurs inscriptions sociales et au cours de leur existence » (Delory-Mom berge r, 2009 : 39) . Dans l e process us fo rmatif o ù pendant deux an nées les participants sont engagés dans u n travai l i ntensif q u i n'est pas se u lement i ntellectue l mais existentiel, l a démarche autobiographique offre l a possibilité, d è s l'en­ trée en formation, d'une réappropriation de son propre « mouvement de vie » qui est la condition sine qua non d'une autonomie accrue, au sens o ù l'entend R. Co lin, à savoi r « la capacité de tracer sa propre loi de navigation ».

L'a utobiogra p h i e rais o n n ée, s u p po rt d e conscie ntisatio n

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I l est nécessai re ici de rappeler q ue ce q u i diffé rencie fondamenta­ lement l'autobiographie raisonnée d ' u n e démarche théra peutiq ue se ca­ ractérise par deux d i m ensions : l'orientation sociologique du tr_.ê,v ai l, d'une part, et la centration sur le P.rojet d'autre part. Un des principaux écueils au travail autobiographiq ue, qui représente a u dé part pour beauco u p d'ap prenants une crainte réelle, serait de trans­ former cette démarche à visée sociologique en « pseudo-thérapie » indivi­ duelle ou de gro u pe. C'est ce qui expliq ue que dans le Master 2, dans leq uel nous fo rm ons des acte u rs au travai l s u r l'h istoire de vie, nous revenons de manière récu rrente s u r cette d i mension éth ique et méthod o logique . Le risque est d'autant plus important que, de l'aveu même de Desroche, « sans se mêler ni de "psychothérapie" et encore moins de psychanalyse, les arts et métiers de la connaissance, conjugués et interagencés dans la combinatoire maïeutique, procurent en effet parfois, ou même souvent, des syndromes psychosomatiques analogues à des cures ou à des guéri­ sons » (1992 : 239) . Rappe ler a u x a p p renants l'o rientation socio logiq ue fondamentale de la recherche-action (d u moins te lle que nous la concevons), c'est mettre en exergue les processus sociaux q u i d éterm inent les trajectoi res i n d ivi­ d u elles. Par le biais de l'autobiographie raisonnée, chacun a la possibi lité

L 'autobiographie raisonnée

d e vis u a liser sa trajecto ire sociale et les cond ition nements socio-cu lt u rels q u i influent sur les rep résentations, de soi, des autres et du monde.

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Ainsi q ue le re m a rq ue M . Fin ge r, « à travers ce processus, l'individu . chercherait à comprendre tout d'abord son propre parcours de vie (bio graphie) d'une manière rétroactive, et ceci dans le but de devenir conscient du poids qu 'exerce sur lui sa propre socialisation. L 'aboutissement d'un � tel processus de prise de conscience est celui d'u � _ç__ evrQ/ notamment permettre à l'individu pJ d'être plus , p us responsable et finalement plus autonome par rap- ()-port à un certain nombre de contraintes sociales, politiques (surtout idéologiques) et culturelles qui pèsent sur lui » (1984 : 56) .

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L'autre « garde-fou » q u i préserve des dé rives psychologisant.es pos­ sibles repose sur la fin alité de la d é marche 01! la centration momentanée sur le passé doit cond u i re à la défi n ition d ' u n projet po rte u r de sens.

L'autobio � ra phie raiso n n ée , u n tre m p l i n pour le p rojet



Dès les années soixante, c'est-à-d i re dès la création d u Co llège coo­ pératif de Paris, l' inventaire d u capital d 'expérience de l'ad u lte constitue pour D sroch une d i mension-clé dans l'élabo ration de son p rojet de re cherche-actiQ.11 . Cette stratégie p o u rsuit u n d o u le o bjectif : d ' u n e part, i s'agit de va loriser en te rmes de reche rche, un capital so uvent u n ique o rigiP.QI : « souvent il [l'apprenant] ignore les richesses qu 'il porte en lui. . Il parle des dialectes qui, pour tout autre que lui, nécessiteraient un a prentissage de plusieurs années aux Langues orientales... Il peut entfi r de plain-pied dans des villages ou dans des milieux dont tout autre q e lui ne saurait obtenir l'audience que moyennant des approches prolongé et aléatoires ... Il a travaillé en usine pendant un septennat... Il a été plong , dans un périmètre de développement rural... Il dispose d'archives rares e précieuses ... Il a milité dans un mouvement de jeunes ou dans tout autfi mouvement social... Il est rare que dans les filets on ne ramêne pas plu30-3 sieurs possibilités ou, si l 'on veut, plusieurs potentiels » . ��­ L'a utobiographie devient alors l'outil maje u r pour e pt;.1 ' LS:J..-u: rTiè�_!§...>> de compéte n ces ainsi q ue les expé rie nces porteuses méd it en term es d e connaissan ce des p rocessus socia ux. '·

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C'est en ce sens q ue la recherche-action participe à la produÇ_tion de n o uyea ux savpirs. À partir d'une expérience o riginale transformée e n pro blémati q u e de recherche-action, de n o uveaux sayoirs sociaux deviennen transfé ra b les et e n rich issent la con n a issance et la conscience collectives.

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En quête d'une intelligence de /'agir

D'autre part, i l est im portant, en termes d'es pérance de réussite obi liser la « passion » (a u s ner q u i a n i m e la personne, cette passion » étant à1à fois s o u rce de m o_Qvation et d'engagement : « telles ont les passions. Ce sont autant de forces. Elles demandent seulement à prendre forme dans un régime où elles puissent et doivent enfin donner leur plein » (Desroche, 1975 : 70) . m m e r cette dyn a m i q ue intéri e u re, Desroche fait réfé rence au � � cher à Socrate, à savoi r « un potentiel, un trésor » : « Mon hyp . u mon utopie est que chacun, ou à peu près, porte en lui la semence d'une telle "créativité", pour peu qu 'une telle semence ne soit ni privée de ses ailes, ni amputée de ses racines. .. » (1992 : 24 8) , et l'enjeu d'un accom pagnement de type m aïeutiq ue est j ustement d'aider à son émergen ce : « Mais si, pour soulever le monde des passivités (celui des réactions d'inhibition ou des pures consommations culturelles), il faut comme pour Archimède un point d'appui et un levier, je suppose (et pro­ pose) que le point d'appui est dans un potentiel créatif latent en tout un chacun et que /'histoire de vie dûment revisitée est ou peut être le levier. Et je le constate, à m 'en passer ou à m 'en dispenser, je m 'abuse et mon levier dérape » (Des roche, 1990 : 1 8 0) .

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L'émergen ce d ' u n ou de plusie u rs fi ls conducte u rs suscepti bles de dessiner une « trame » exi�tielle représente u n enjeu i m portant dans le travail d'analyse ëiüiS"o père à partir de la grille bioscopique. Il n'est pas rare en effet q u e des n oyaux de sens, des t h é m atiques réc u rrentes a p parais­ sent, à la manière de fi ls invisi b les reliant la person ne à certains « objets de q u ête ». Les échanges, le partage, l'écoute m utuelle, la recon n aissance positive incon d itionne lle contri buent fo ndamentale ment à l'insta u ration d ' u n climat d'échange où l �atjvjté maïeuti@e tro uve �exe� e r et o ù « les autobiographies s'entre-produisent » ( R . Co lin) .

Le passage à l'écrit

et l'avèn e m e n t de l'aute u r-acte u r

Nous n e postu lons pas q u ' i l existe rait en chaq ue i n d ivid u u ne voca­ tion préala b le q u e l'autobiographie raisonnée permettrait de révéler. En ce sens, i l fa ut plutôt considérer le travai l autobiogra p h i q ue com me une création i n d ivid u elle et . c ollective e n ga rdant à l'esprit q u e « L "'histoifi de vie " n 'est pas l'histoire de a vi ais la 1ction convenante par la uelle le s.J!.iet se 12roduit comme projet d� lui-!!JJ.m e . I ne peut y avo1r e sujet que d'une histoire à faire et c'est à l'émergence de ce sujet qui intention ne son histoire et qui s'éprouve comme projet que répond le mouvement de la biographisation » (Delory-Mo m berge r, 2003 : 39-40) . 106

L 'autobiographie raisonnée



L'écritu re d u récit de vie j o u e e n ce sens u n rô le très i m portan f' pu isq u'etle oblige la perso1111e à co11strcrtreu n récit, c'est-à-dire, pou r�p ren­ dîë1'expression de P. R1cœur, u n e « mise en mtngue ». ). Bruner va même jusqu'à avancer q u e le Moi n'existe pas e t q t1e c'est la fonction n arrativ q u i le fait é m e rge r et l u i permet d'évoluer : « }'ai fait l'hypothèse que c'est grâce au récit que nous parvenons à créer et recréer notre personnalité,

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que le Moi est le résultat de nos récits et non une sorte d'essence que nous devrions decouvnr en explorant les profondeurs de la sub1ecfivité [.. . ] Grâce au récit, nous construisons, nous reconstruisons, et même, d'une certaine manière, nous réinventons le présent et l'avenir » (2002 : 77-82) .

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La « m ise e n intrigue » s'opère a u moins à deux mom ents dans le '. travai l s uri' autobiographie raisonnée : lors de la prése ntation de son parco u rs a u gro u pe, d ' u n e part, et lors de la réd action d u récit de vie ensu ite. Ces d ifférents te m ps d'échange sont aussi, i m p licitement, des te m ps de « p résentation d e soi » o ù chacun cherche à restituer u n récit qui soit le plus cohérent possible ; mais ce p re m ier récit est u n e « h istoire » qui n'est pas close s u r elle-m ê m e et q u i pou rra évoluer par la su ite au gré des prises de conscien ce suscitées par l'espace formatif. C'est une des raisons pour lesq uelles ce travai l a utobiogra p h i q ue accom pagne p o u r beauco u p l'en­ sem ble des deux an nées de formation, an nées au co u rs desq uelles s'o pè­ rent généralement des « reconfigu rations » maje u res dans te lle ou te lle sphère d e vie. Sou lignons encore une fo is q u e l' o rientation sociologi q u e de la re­ c h e rc he-action octroie à l'autobiographie raisonnée u n e po rtée q u i va a �à d e s effets dyn a m i q ues ou exa ltants q u e p ro c u re rait un trava i l q u i m ettrait en ava nt UQ_ i n d ivid u « tout pu i�ant » . Com m e l'exp ri m e B. Bergier, « le travail surson histoire enrichit la capacité stratégique de l'ac­ teur. En prenant peu à peu conscience de la façon dont ses "choix" sont

pré-orientés, l'individu peut les modifier. Que l'on ne s'y trompe pas, les cartes (sociales, économiques, culturelles) distribuées ne changent pas, simplement l'acteur entrevoit mieux le champ des possibles et optimise son jeu » (2000 : 135). Auto b i o gra p h i e ra iso n n ée

et p rocessus d ' i n d ivid uation

Au moment de clore cette présentatio n succincte de l'autobiogra­ phie raisonnée, il nous fa ut a p p rofondir l'aspect « dyn a m iq ue » de ce tra­

vail, les a p p re n ants, aussi bien d a n s le D H E PS q ue d a n s le Maste r s'accordant à d i re q u ' i l constitue u n tem ps très i m portant dans le proces­ sus d e formation.

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En quête d'une intelligence de /'agir

Reprendre à 40, 5 0 o u 60 ans une formation u n iversitai re ne s'opère pas « par hasard ». Les apprenants ad u ltes q ue nous recevons, aussi bien dans te D H E PS que dans te Master possèdent habituellement une expé­ rience Qiofessionnelle et sociale rem a rq uable. Ayant générate merîrptas i nvesti dans des actio n s de terra i n que dans des c u rs u s d i p t ô m a de longue d u rée, le u r inscription en formation répond gén é ralement x ' néce sit : tout d'abord, se servir d u d i plôme espéré comme d'un t�tin onner une nouvelle i m p u lsion à leu r carrière professionnelle ou à leu r trajectoi re soci Ensu ite, i ls arrivent à u n e étape de vie où i l le u r faut trouver « u second s e », car ressentant une u s u re o u une m o i n d re motivation dans es activités investies j u s q u e-là. N ' o u b lions pas non plus to us ceux qui, pour u n e raison o u pour une autre, sont à ta rec herche d'un em ploi et qui aspirent à se re placer positivement s u r l'éch i q u ie r social. P. Ta p rés u m e en q uelques p h rases q ue lq u es- u n s des enjeux ma­ j e u rs q u i s'a p p l i q u e n t à bea u co u p d'adu ltes q u i e ntrent en fo rmation : « L 'acteur social ne cherche véritablement à s'adapter à son milieu social, à s'y intégrer, que dans la mesure où il a le sentiment de pouvoir s'y réali­ ser, non pas seulement à travers la satisfaction de ses désirs, mais grâce à la possibilité d'y faire œuvre, de transformer tel ou tel aspect de la réalité extérieure, physique ou sociale, en fonction de ses propres projets... La personne est à comprendre comme tentative d'unification de l'être et de /'agir, du pouvoir et du sens. Elle est affirmation de valeurs et inscription dans une orientation. Elle est mise en œuvre et en perspective, elle est ou­ verture à de nouveaux enjeux dans les relations aux autres et aux institu­ tions, une disponibilité au changement impliquant une déprise par rapport aux habitudes et aux manières d'être habituel/es de la personnalité, et une relance dans la quête, favorisant une véritable conversion : changements de niveaux, de mœurs ou d'attitudes » (Ta p, 1991 : 5 3- 5 5) . C.-G. J u ng a fa it de cette aspiratio n p rofonde t'axe central de son œuvre et de son activité théra peutique. En t'appelant « processus d'indivi­



duation », i l a to ujo u rs pris s o in d ' a ffi r m e r q ue cette dyna m i q u e o b s e rvab le

chez bea u c o u p d'adu ltes n'était en rien u n e man ifestation de t' « i n d ivi­ d ualisme », si fré q u e m ment m i s en avant com me synd rome maj e u r de ta « post-modern ité » : « L 'individuation, au contraire [de /'individualisme], est synonyme d'un accomplissement meilleur et plus complet des tâches collectives d'un être, une prise en considération suffisante de ses particu­ larités permettant d'attendre de lui qu'il soit dans l'édifice social une pierre mieux appropriée et mieux insérée que si ces mêmes particularités demeu­ raient négligées ou opprimées » (1964 : 133) . M. Lipiansky, q u i travaille avec des « gro u pes d'évolution », fait te même constat : « l'individuation est la perception de son individualité comme unique, constante et autonome ; 108

L 'a utobiographie raisonnée

elle correspond à la forme la plus pleine du sentiment d'identité, sentiment qu'a le sujet d'être reconnu dans sa singularité, sa différence et sa spéci­ ficité dans une correspondance entre la conscience de soi et ce que renvoie le regard d'autrui ». Et, dans le u r processus de déve loppement et d'i nté­ gration au sein du gro u pe, les participants « découvrent généralement avec surprise qu 'ils sont d'autant mieux acceptés qu 'ils se montrent tels qu'ils sont, en renonçant à leurs masques » (1992 : 154-15 5) . Pe ut-être faut-il reve n i r s u r l'i m po rtance d u cadre, dans l'alternance entre travai l individ uel et échanges collectifs. Car si la fo rm atio n influe s u r le « processus de socialisation » des apprenants, c'est pa rce q u 'elle offre les conditions req u ises pour être, d ' u n e part, u n « espace créatif », espace i n d ispensable car, selon Win n i cott, « c'est en jouant, et seulement en

jouant, que l'individu, enfant ou adulte, est capable d'être créatif et d'uti­ liser sa personnalité tout entière. C'est seulement en étant créatif que l'in­ dividu découvre le soi » (1975 : 76) . Et par aille u rs, i l est n écessaire q ue la formation soit cet « espace protégé » défi n i par E. B o u rgeois p o u r q u i la « formation peut exercer cette fonction de facilitation si, et seulement si, elle est construite et fonctionne comme un "espace protégé" permettant à l'apprenant d'expérimenter sans trop de risque pour son existence de nouvelles manières de voir le monde, de penser et d'agir » (1996 : 33) .

Conclusion Le domaine d e s h isto i res de vie occ u pe d e p u is u n e trentaine d'an­ n ées une p lace significative dans le champ de la formation des ad u ltes. Com m e n o u s avons vo u l u le montrer dans cette présentation, ce n'est pas I' « effet de mode » q u i n o u s a n i m e mais, du fa it de n otre inscri ption dans la fi lière c réée par H . Desroche, nous bénéficions d'un capita l de con nais­ sance et d'expé rie n ce q u i d o n n e u n cad re à cette activité autobiogra­ p h i q u e dont H . Desroche d it lui-même q ue sa con d u ite re lève « des arts et métiers », et q ue cel u i q u i l'exe rcerait a u rait le statut d ' u n maïe uticien

« qui n 'aurait pas besoin et pas le droit. .. pas besoin d'être médecin et pas le droit d'être prêtre... pas besoin d'être "professeur" et pas le droit d'être un bricoleur... » (1 99 3 : 63) . Son héritage est celui d ' u ne pensée é m i n e m ment o uve rte q u i refuse d'enfe r m e r l'ind ivid u ou le social d a n s des catégo risations q u i p réte n ­ d raient avoir l e dernier mot sur c e q u'est en défin itive l' Hom me, q u'il s'agisse de l'être singu lier q u i est en q u ête d'un sens à donner à sa vie ou de l'acte u r social q u i s e révèle p a r ses engagements e t ses appartenances collectives. Pensée non m utilante où la créativité d'un sujet auteur-acteur est toujou rs en capacité de « surdéterminer ses déterminations >� C'est dans cette pédagogie

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En quête d'une intelligence de !'agir

« in itiatoi re » gé nérant chez la personne une nouvelle conscience de soi et des rapports sociaux que s'inscrit l'autobiographie raisonnée. Desroche avait été particulièrement m a rq u é par les dern iers mots q u e son a m i Roge r Bastide, anthropologue spécia liste des « c u ltes de transe », avait griffon nés sur son b u reau j u ste avant sa mort et son dé part pour l' hôpital, et q u i étaient : « pour une spéléologie de l'âme ». Au terme de cette présentation, nous ne pouvons q ue repre n d re les mots de J . - F. Dra peri et d i re q u e l'autobiographie raisonnée est u n « art de la rencontre » dont la richesse dépasse tout ce q u e ces q uelq ues lignes ont cherché à transmettre.

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L 'autobiographie raisonnée

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Obse rve r, décrire Enquête explo ra to ire et déma rche mo no g ra phique1 Philippe MISSOTIE

P

ro poser à des p raticiens, acte u rs d u social2, h o m mes et fe m m e s d 'action, d'entre r e n rech e rche par l a rech e rc he-action constitue une sorte de défi3. Utopiq ue, si ce n'est peu vraise m blable, pour des chercheurs professionnels et des u n ive rsitaires, le p roblème se pose à l'in­ génierie pédagogi q u e dès les p re m iers pas d u parco u rs. Comment créer une d é m a rche pertinente, po u r i n d u ire cet a p p re ntissage d ' u n n o uvea u 1 - C e chapitre d o i t son esprit e t s a partie centra le a u d o c u ment réa lisé p a r H e rmelin C h ristian et M issotte Phi lippe, 1995, La démarche monographique. Collège coopératif (Paris), N o uvelle vers ion par Ph. Missotte, pour les étud iants de Paris I l l-Formation contin ue, Master 2 et D E S U , 2006. Ainsi que des t ravaux antérieurs du regretté Manuel Paulino, enseignant d u Collège coopératif en 1991 et 1992. Pau l i no Man uel, Autour de la méthode monographique. Idées générales pour l'élaboration d'un plan d'enquête et d'exposition. Certificat d'initiation à la recherche-action du Collège coopératif (Paris), Paris, octobre 1991, document reprographié, 10 pages. 2 - Au sens la rge et non a u sens français « trava i lleurs sociaux », agents des services pu blics ou p rivés d e l'action sociale, même s'ils sont inclus dans ce public du D H E PS. Ce terme de praticien social est utilisé par Albarello o u Mackiewicz pou r désigner ce type d 'acte u rs en société. Luc Albarello, 2004, Devenir Praticien-Chercheur - Comment réconcilier la recherche et la pratique sociale, B ruxelles, De Boeck, p. 138. Marie·Pierre Mackiewicz (sous la d i r. de) , 2001, Praticien et chercheur : parcours dans le champ social, Paris, L'Harmattan, 159 pages. 3 - D'acteu r, le praticien a d m i s en études s u périeures par la démarche d e recherche-action, est invité à chercher et agir sur ses pratiques professionnelles, sur son terrain d'action. La restitution de la recherche aboutit à u n mémoire qu'il soutient devant un j u ry universitaire. Ce parcours, à la fois de fo rmation uni­ versitaire et de recherche-action, exposé par Florence Vatin et Emmanuelle Betton, est ponctué d'étapes (cf. supra p. 87 et sq.) selon u n calendrier visant d'atteindre la soutenance du mémoire dans les limites du c u rsus de deux ans. L'étudiant est informé de ces exigences par la présentation du c u rsus d'abord au cours des entretiens d'adm ission, notamment il est engagé à réfléchir q ue l pou rrait être son projet d e recherche-action évoqué dans un texte court d e motivation, puis dès la rentrée u niversitaire.

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En quête d'une intelligence de /'agir

rega rd s u r la réalité d ' u n territoi re fam i lier4, i n itier à la recherche et à son écriture, entraîn er u n p rem ier recueil de données sur l'o bjet et o uvrir à la ressource docume ntaire sans égarer le cand idat, i m patient d'apprendre, dans les arcanes de m u ltiples lectu res ? Ce chapitre pros pecte, sous plu­ sie u rs angles, cette première approche étroitement liée et presque s i m u l­ tanée à l'autobiogra p h ie ra ison née (voi r Ch. Vandern otte supra p. 97 et sq.) . Elle se résu m e en deux verbes : observer et décrire. Mais observer et décrire q u o i ? Le terra i n des pratiques de l'acteu r, son environnement pro­ fessionnel et/o u social i n d i q u é et lim ité par le q u estionnement i n itial. Cette exp lorat i o n ra i s o n n é e du p h é n o m è n e social d ' o ù é m e rge l' intu ition de sa cu riosité et son q u estionnement tend a ussi à vérifier le bien fondé de ce dernier. Le travai l demandé dans cette phase est d'ob­ server m i n utieusement le contexte de son q u estionnement et de le décrire à la manière d ' u n eth nologue. Cette spécificité restreint les possibi lités aux dépens d'explorations différentes q u i pou rraient également reco u rir à la démarche monographiq ue, com me l'observation d'une semaine d'action o u l'exploration d ' u n e situation voisine, mais d isti ncte de la sienne. Cette dém arche5 est considérée ici au travers de la méthode m ise en œuvre, p u is de l'appropriation q u'en font les praticiens et enfin des dif­ ficu ltés q u' i ls rencontrent en co u rs de ro ute et ensu ite. Les citations sont des té moignages extraits des ré ponses à u n sondage réa lisé en nove m b re 2009 par écrit avec q uestions a u p rès de 12 d i plômés d u DH E PS entre 1995 et 2008. Auparavant, mon expérience personnelle dans ce parcou rs, vécue au Collège coopératif (Paris) sous la d i rection d'Henri Desroche, d'abord comme étud iant à partir de 1974 puis com me formate u r à partir de 1987, écla i re la pe rti nence de cette étape d'o bse rvation et de descri ption.

Entrer dans la rech e rche par la bon n e porte J'ai entrepris u n parco u rs de recherche-action au Collège coopératif en n ove m b re 197 4, avec une ce rtaine exa ltation et un a ppétit de conn ais­ sances. La recherche, une fois j u gée faisable après l'autobiogra p h ie rai­ sonnée et les entretiens préalables avec Henri Desroche pendant quelq ues mois de cou rs, je regagnais la Nouvelle-Calédo n ie où j'étais chargé de m is­ sion « J e u nesse et d éveloppement6 » . 4 - « L 'œil sociologique » po u r H u ghes Everett Cherrington, 1984, The socio/ogicol Eye. Selected Papers. Transaction Edition, avec une nouvelle introd uction par David Riesman et H oward S. Becker, 584 pages. repris par Bourdieu Pie rre (sous la d i r. de), 1993, La misère du monde, Paris, Seuil, 962 pages, p. 904. s Po u r la période considérée par cet a rticle de 1990 à 2004, a ppelée a u Collège coopératif (Pa ris) « Démarche monographique » et à Paris I l l « Enquête exp/oratoire ». 6 L'engagement militant et p rofessionnel dans les mouvements de jeunesse et d'Ëd u cation populaire m'avait formé à la méthode d u p rojet où de n o m b reu ses tentatives d ' a n i m ation participative s'a ppa-

-

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Observer, décrire. Enquête exploratoire et démarche monographique

j'avais co m p ris q u e m a tâche consistait à parco urir et sillonner en to us sens mon o bjet, défini par la q uestion de recherche7• Pou r poser pro­ blémati q u e et hypothèse, ind ispensables p o u r o rienter m a méthod o logie d e recu e i l de don nées, nota m ment dans les petits projets ten d u s vers le change ment, con d uite avec les stagiaires du CEFA (cf. n ote 6) et leu rs trib us kanak d'origine, j'étais censé m'appuyer sur l'exp loratio n doc u mentaire et les person nes ressou rces, à la manière ense ignée dans les m a n u e ls8• En un m ot, je devais passer de la q u estion à la constructio n de l'o bjet de recherche, via les recherches exista ntes. Mon analyse d'aujo u rd ' h u i, à la l u m iè re de presq ue trente ans d'enseignement et d'acco m pagnement d'ad u ltes sur le même parcou rs, est q u e j'entreprenais sans délai un pro­ cessus de recherche hypothético-déductif, sans passe r par une phase em­ p i ri q u e , i n d u ctive (cf. s c h é m a supra p. 4 5) . Dans l'esp rit d u fo rm ate u r, cette p h ase était sans d o ute sous-enten d ue, déjà vécue dans les tâches courantes, sources du q uestionne ment. La q u estio n assez claire ouvrait s u r des rayon s de bibliothèque de d oc u ments. J e fa isais des fiches de lectu re, de p lan, d'idée de recherche ... et encore des fiches, avec une co uleur par thème. Mon é loignement géo­ gra p h i q u e du Collège, m o n m a n q u e de disponibilité, vo ire les lim ites de mes capacités intellectuelles n e faci lita ient pas ce passage. J ' i maginais q ue sur p lace, à Paris, j'eus tro uvé plus vite les a p p u is p o u r démêle r l'im­ broglio. Les conseils de mon ami Jean Delion9, q u i avait soutenu son doctorat de sociologie au Collège coo pé ratif, éclairaient po u rtant mes q u estionne­ ments. I l fut en fait m o n pre m i e r d i recte u r de recherche, sans l u i mes am­ bitions e u ssent te r m i n é comme ces rivières du désert q u i disparaissent dans le sable sans q u'on sache ce q u 'elles d eviennent. Les sé m inaires que

rentaient à la recherche-action s a n s en porter l e n o m . Ma prem ière q u estion portait s u r l e projet, outil de création d'une inte lligence collective pour une meilleure citoyenneté. Desroche m'a orienté vers un q uestionnement plus d i rectement lié à ma responsabilité d a n s le déve loppement des Ka n a k et les problèmes q u ' i ls rencontrent dans l'ense mble calédonien. C h a rgé de mission en No uvelle-Calédonie pour établir des passerelles avec le monde Kan a k, j'avais créé le Centre de formation d'ani mateurs (CE FA) « Jeunesse et développement » avec René Richard et Jean-Marie Tj ibaou, soute n u par le Se­ c réta i re général du territoire, Michel Leva llois, et le d i recte u r territorial de la Jeu nesse et des Sports de N o uvel le-Caléd onie, G i l bert Barillon. 7 - La q u estion de ma recherche-action portait s u r les o bstacles au changement d u milieu kanak dans le contexte néo-caléd onien et a a bouti en 1978 a u m é m o i re p o u r le d i p lôme de l'Ëcole des H a utes Ëtudes en Sciences Sociales (E H ESS), Missotte Phili ppe, 1978, Les Mélanésiens et les aléas de la mo­ dernité, d i plôme E H ESS, Collège coopératif, sous la d i r. d ' H e n ri Desroche, 5 3 5 pages, mais aussi à de n o m b reuses initiatives de terrain et enfin à la thèse en 1985. 8 - Desroche Henri, 1971, Apprentissage en sciences sociales et éducation permanente, Paris, Les Ëdi­ tions Ouvrières, 200 pages, tableau p. 17 et chapitre Il, pp. 29-54. 9 - Alors ingén i e u r chargé des coopératives au service de !'Agric u lt u re en N o uvelle-Ca léd onie avec leq uel je t ravaillais sur le terrain.

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En quête d'une intelligence de /'agir

j'an i m a is avec Jean-Marie Tj ibao u'0 entro uvrirent les sentiers de la société kan ak et de la comp lexité de sa c u lture dans sa confrontation avec la so­ ciété coloniale. Si les enquêtes et la réd action fu rent ensu ite u n e q u estion de travail, j'avais mis plus de deux ans à dé passer, vaille que vaille, ce pont aux ânes du démarrage de la recherche entre anthropologie sociale et so­ cio logie du développement. Alo rs q u ' i l eut été plus efficace d'observe r et de décrire ce que j'avais sous les ye ux a u q uotidien, ce que je fis par la su ite. J'ai vécu cette phase avec difficu lté et parfois l'i m p ression q u e ce parcours me dé passait et n'était pas fa it p o u r moi. Desroche étant d ' u n avis contraire, je persévé rais. L a s u ite me fit déco uvri r q u e je n'étais pas le se u l à m'égare r devant le déto u r épistémologique. En 198611, lorsque après la soutenance de la thèse, Hen ri Desroche m'a confié l'a n i m ation d ' u n s é m i n a i re au Collège coopératif (Pa ris) , j'ai constaté q ue de n o m b reux étu diants rencontraient les mêmes d iffic u ltés q u i avaient marq u é mon point de départ. Certains, en deuxiè me, voi re en troisième an née, pati n a ient - pour ne pas d i re q u ' i ls pata u geaient dans la phase initiale. I ls lisaient en prenant des notes, souvent avec beau­ co u p de série ux, débattaient de le u r q uestionnement ad nauseam avec le u rs collègues et des personnes-ressou rces, en fait sans tro p savoi r o ù ils allaient. Le passage à l'acte de recherche stagnait, bloq ué, p u is ne pro­ gressait q u e lente ment, bien au-delà du tem ps nécessai re, voi re pour cer­ ta ins j u s q u ' a u déco u rage m e n t et à l'abandon. Face à cette situation, l'argu ment habituel, ressassé dans les ré u n ions d'éq u i pe de formate u rs, éta it que la rech e rche « nécessitait une maturatio n » . Le p rocess us de construction de l'objet partait d'une d é m a rche proche de celle du cher­ cheur académiq ue12• L'intu ition de la recherche possi b le se centre s u r les recherches précédentes po u r préciser le q uestionnement initial et créer une problématiq ue. Or, q uand des praticiens expérimentés entrent en recherche, le cas me se m b le rad icalement différent - c'est peut-être à ce titre q u ' i l dérange tant de chercheurs. L e p ra t i c i e n est i m m e rgé da n s la c u lt u re e t le l a n ga ge d e l'acti o n , de

ses pratiq ues et d u m ilieu q u i les environne. I l en a une connaissance intime,

1 0 - Dix-sept séminaires de q uatre j o u rs sur le t h è m e de L 'approche d e l a société mélanésienne face au monde industriel organisés par Sipca Pro motion (d irigé par Claire Fau re) et le service de Fo rmation de la Société le N ickel. 11 - Après la soutenance de ma thèse en décembre 1985 (Endogène et exogène en développement mé­ lanésien, Nouvelle-Calédonie 1970-1980) et ma participation à un colloq ue d'experts s u r l'éva luation de la participation des popu lations au développement en 1986, Henri Desroche m'a demandé d'animer chaque semaine u n sém inaire d'une demi-jou rnée sur « Projet de base et développement endogène >� 12 - Po u r l' utilisation de ce q u alificatif pour désigner les cherche u rs non acte u rs se re porter à Mondada L. i n Mes n ier & Missotte (ed .) , La recherche-action une autre manière de chercher se former, transfor­ mer, Paris, L'Harmattan, 326 pages, p. 3 16.

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Observer, décrire. Enquête exploratoire et démarche monographique

pour re pre n d re le mot de Marie-An ne D ujarier13• S u r ce terrain émergent son intu ition , sa cu riosité, car pour lui le problème, l'objet est une question q ue pose ce terrain où il vit son m étier et po u r certains, le u r engagem ent. Po u r entrer en recherche-action, l'acte u r part d ' u n e intuition née de ses expériences pratiq ues à p ropos d'une situation q u' i l esti m e contestab le, d o ute use, posant p ro b lè me, q u' i l constate - et a u q u e l so uvent i l se heu rte - a u q uotidien. Parti r de ses pratiq ues et de son terrain po u r cher­ cher est u n ato ut i m portant14. La documentation d u problème par la lec­ t u re, i n d ispensable , i n te rvient parallè leme nt, c o m m e un écla i rage en contre-ch a m p - ou un contre-chant - en m ê m e te m ps q ue les attendus m i s a u j o u r sont formalisés dans la descri ption. Ensu ite le chercheur pro­ cède a ux recherches documentaires adéq uates po u r éclairer sa démarche, son terra i n et sa méthode ... Ensu ite. Coïncidant à ce constat, Ch ristian Hermelin et Manuel Pa u lino1s, peu avant que je rejoigne le u r é q u i pe a u Collège coopératif (Pa ris) , ont intro­ d u it, s i m u ltanément à l'a uto biogra p h ie ra isonnée, la d é m a rche mon ogra­ p h i q ue comme p re m iè re ph ase d u parco u rs de recherche-action (dé b ut des années q uatre-vi ngt-d ix) . Dans le m ê m e te m ps à Paris I l l , Pie rre-Marie Mesn ier, p o u r le m ê m e parcou rs de fo rmation en vue du D H E PS, proposait une « e n q u ête exp lorato ire » . Sans lâc h e r l'exige n ce u n ive rs ita i re , a u contraire en l u i don nant toute s a d i m ension vis-à-vis des praticiens adu ltes en form ation, il s'agissa it, p o u r ces fo rm ate u rs, de créer un palier inte r­ médiaire autant q ue d'introd u i re à la recherche. Qua n d o n interroge les d i plômés s u r cette étape après plusie u rs an nées, co m m e c'est le cas po u r n o m b re d e ceux q u i o n t ré pon d u a u sond age préparato i re, i l s resituent clairement cette fon ction dans le u r parco u rs.

La monographie a constitué un support très utile à la recherche dans la mesure où elle en situait le champ avec assez de précision. Une grande partie de la monographie a été intégrée dans le mémoire de re­ cherche » (Alain D.) . «

13 - « Dans la recherche-action, la méthode de recueil et d'analyse des données est précédée d'une expérience intime avec l'objet de recherche. Elle produit des hypothèses, des intuitions, des pistes (y compris fausses, parfois, mais toujours heuristiques) dont le chercheur classique ne peut disposer. Contrairement aux chercheurs académiques en quête de "terrain et dont la difficulté est de se rap­ procher des pratiques sociales qu'ils analysent, de les "sentirn, les praticiens-chercheurs font, eux, le chemin inverse : immergés dans celle-ci, ils apprennent à s'en distancier. »Dujarier Ma rie-An ne, 2010, Travailleurs sociaux en recherche-action, L' H a rm attan , p. 26. 14 - I l n'est pas toujo u rs du goût de tous les cand idats. Ce rta ins souhaitent par une fo rmation u n iver­ H

sita i re, s'échapper du q uotid ien, répudiant le u r action. S'ils m a i ntiennent ce point de vue, il est né­ cessaire q u' i ls se réorientent, c'est une des lim ites de la recherche-action. 15 - Pa ulino Man uel, 1991, op. cit.

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En quête d'une intelligence de /'agir

Po u r certains, malgré u n souve n i r vague, comme effacé par les tra­ vaux q u i l'ont s u ivie, reste la m é m o i re d u premier pas et des pre m ières déco uvertes. « Je ne me souviens plus du sujet [de la monographie], mais de l'effort, de la démarche et donc comme une étape essentielle pour aller plus loin ». (Marie- Rose L. D .) . « }'ai peu de souvenir de cette étape, je me souviens de l'intérêt à concevoir, à mettre en œuvre et à analyser un premier recueil de données (un entretien collectif de militants retranscrit et analysé) » (Ph i l i p p e S.) . « }'ai été surpris par la durée nécessaire pour ce premier travail et aussi par les "découvertes " qu 'il m 'a permis. Je croyais que je savais ce qu 'ils [les acteurs] pensaient ! En fait, le détour méthodologique m 'a permis de voir et d'entendre des aspects nou­ veaux » (Ph i l i ppe S.) . Cette absence de souve n i r p récis montre combien cette pre m ière phase est intégrée à la démarche d'ense m ble. Pas plus que la recherche­ action n'est un exe rcice intro d u ctif subre ptice aux sciences sociales, l'en­ q u ête exp lorato i re, abo utissant à u n m é m o i re b ref et une soutenance i nterne à l'éq u i pe, n'est ici u n exe rcice gratu it, dont on o u blierait les ré­ su ltats pour entamer ensu ite une recherche en profondeur, la vraie. Pose r le panorama d u contexte et explorer les considérations d'où surgit la q ues­ tion constituent non se u lement la pre m i è re étape de la recherche, mais l'esq u isse de la s u ite. « Cette enquête a été déterminante pour la suite de ma RA. C'est là où j'ai posé les premiers jalons et elle m 'a suivie tout au long du DHEPS et du Master » (Fabienne B) . Observation et description visent à préciser la q uestion jusqu'à en faire un objet et une dém arche de recherche visible, viable, faisable, « ven­ d able » et re présentant un enjeu social, grand ou petit, mais réel. « Visi­ ble » parce que l'écritu re engendre un process us créatif et u n e pre m ière visua lisation concrète, ordonnée, d u système de fonction nement de l'objet et des données du pro b lèm e16• Via ble, parce q u e l'accès au terra i n ainsi q u'au près des collègues de travai l o u des acteu rs de terrain est négocia­ ble. Vérifiable, parce q u e le recueil des données est possible et ne sou lève ni des montagnes d'objections, n i des moyens i m possibles à ré u n i r pour

1 6 A u sens o ù Jack Goudy comprend l a do mestication d e l a pensée « L 'écriture [.. .] développe cer­ taines manières de poser et résoudre les problèmes : la liste, la formule et le tableau jouent à cet égard un rôle décisif. Si l'on accepte de parler d'une "pensée sauvage", voilà ce que furent les instru­ ments de sa domestication. » La Raison graphique. La domestication de la pensée sauvage, Ëd itions de M i n u it, 1979. -

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Observer, décrire. Enquête exploratoire et démarche monographique

u n étud iant. « Venda b le » a u sens figu ré, car i l est nécessaire q u e cette p roduction soit com m u nicable, avant, pe ndant, après. Enfi n , so us-tend ant un enjeu social, cela signifie l'étude d'une q uestion sociale posant u n p ro­ blème. Qu'il soit restreint à un gro u pe de travai l ou élargi à une association nationale, q u ' i l concerne l'orga n isation d ' u n service, une lacune o bse rvée dans un fonctionnement ou u n e régula rité d iscutable dans la m a n ière de p re n d re les décisions ou de régler des conflits, de construire ou de mettre fin à des p rojets, des systèmes de d o m i nation, un écart entre un d isco u rs et les faits, etc., l'essence d u q uestionnement est q u ' u n enjeu socia l sous­ tende la q uestion . Le problème recèle u n défi posé aux acte u rs, dont la re­ cherche-action peut explore r les ca uses plus p rofondes et mettre en jeu des tentatives d'action de change ment po u r y ré pondre . En q ue lq u es m ots, l'observation et la description constituent une p re m i è re recon naissance des te rres d o u b lement inconn ues d u contexte de la q uestion et de la manière de la m ettre au jo u r. Dans la plu part des cas, cette exploration p récise la p roblé m atique et ses attendus. Elle peut a ussi cond u i re à réo rienter l'o bjet de recherche, à le préciser o u à en chan­ ge r, plus ra rement. Pa rallèlement l'étu d iant fa it l'expé rience d ' u n e pre­ m iè re p rod u ction écrite, co m p lète, fi n ie, p résentable et soute n u e . La méthode p résente a ussi un écueil a bordé plus loi n .

Cerner l'objet par u n q uestionnement Dès les pre m iers regro u pements de fo rmation, l'étud iant est invité à esq u isser une question in itiale de recherche-action q u i manifeste la curio­ sité q u i le gu ide. Parle r de « q u estion nement » est une réalité et non une figu re de style. l i n e s'agit pas d ' u n thème général ou d ' u n domaine même plus restreint, com m e l'aide sco laire, le développement local. li s'agit bien d'exprimer son intu ition de recherche en rédigeant une interrogation. Cette q uestio n résu m e le problème d u phénomène social q ue les expériences p ratiq ues de l'acte u r l u i suggèrent com me un enjeu de société, petit ou grand, qu'il convient de démêler. Pose r « LA » q uestion amorce une démarche de re m ise en cause des certitudes et des repères habituels de l'action. Toute science est le résu ltat d ' u n e c u riosité « s'il n 'y a pas eu de question, il ne peut pas avoir connais­ sance scientifique ». L'auto biogra p h ie raiso n née, traitée par Ch risto phe Vande rnotte (cf. supra p. 97) , permet à l'étu d iant de situer ce q uestionnement dans sa tra­ jecto i re ou au moins, dans ce p re m ie r tem ps, de p re n d re conscience q ue cet o bjet n'est d û n i a u hasard n i à la conjoncture.

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En quête d'une intelligence de /'agir

« Au départ, j'avais une idée assez générale de ce que je voulais étu­ dier. Mais l'enquête exploratoire a été sans doute l'étape la plus longue et la plus incertaine, carj'ai dû procéder par tâtonnements, découvrant de nombreuses pistes qui m 'ont parfois égaré. La question initiale comportait des éléments variés et apparemment imbriqués les uns aux autres, notam­ ment, /'expertise, la coopération, le développement, les pratiques so ­ ciales spécialisées et le concept Nord-Sud » (S id A.) . « L 'enquête exp/oratoire m 'a appris d'affiner mon regard général, "le système de /'entonnoir" : du plus grand au plus petit » (N .) . La q u estion, née de l'intu ition au confluent des expériences, est sou­ vent vague, trop am bitie use, trop générale o u éloignée d u terrain. Le débat en atelier avec les fo rmate u rs et les autres étu diants s u r l'opportun ité de cette orientation de la recherche invite chacun, parfois sans ménagement, à vérifie r ses fondem ents et à préciser ses lim ites. « L 'enquête exp/oratoire, faite conjointement avec l'autobiographie raisonnée, est une autre étape de la recherche et de /'élaboration de l'objet de recherche. Elle m 'a personnellement aidée à mesurer mes propos. Je n 'ai pas abordé réellement ce dont je souhaitais parler. ]'ai dû faire des détours afin que le sujet de ma première enquête ne me mette pas en dif­ ficulté dans le groupe d'étudiants. [... ] Je remettais en question bon nom­ bre de travailleurs sociaux dans leur pratique professionnelle, desquels je ne m 'excluais pas, puisque, moi-même dans le travail social depuis vingt ans dont dix ans d'éducation spécialisée. Ce dernier fait n'atténuait ce­ pendant pas la réticence des participants à dénier un certain malaise dans leur travail lié à un vécu » (S. B.) . Ce m o ment d'aj ustement d u q uestio nnement nécessite u n e atten­ tion de la part des formate u rs. Le débat en atelier de recherche est habi­ tuellement positif : i l restreint la recherche, interroge sa faisabilité, sti m u le le cherc h e u r à viser u n phénomène réel, appréhensible par l u i et s u r son terrain . Les remarq ues des pairs écartent les objets tro p vastes, mais aussi les thèmes vagues, les d o m ai nes et les « grandes » q uestions p h i loso­ p h iq ues sur les « p o u rq u o i » du monde q u 'Auguste Co mte rejetait déjà avec vigu e u r au profit des « com m e nt ». Les échanges mettent à l'é pre uve et en rich issent le dessein de l'aute u r. Le risq ue est q ue le q uestionnement, malmené par le débat, éca rte le cherche u r de son projet encore flo u, le d évie de son désir et q u'ensu ite, perclus de doute, il s'y e m b o u rbe et ne s'y retro uve plus ou prenne longte m ps à clarifier la situation au risq ue de dé passer les contraintes de te m ps d u projet. Dans le m ê m e tem ps le pra­ ticien doit laisser son observation o uve rte à la péri p h é rie de la q uestion où des i n d ices q u'il ne soupçonne pas pe uvent être sign ificatifs des as­ pects i nvi s i b les ou vo lontai rement d issi m u lés de l'objet. Ces q uelq ues 120

Observer, décrire. Enquête exploratoire et démarche monographique

té m oignages intro d u isent à u n e défi n ition plus p récise de la d é m arche d'observation et d e descri ption.

O bserver, décri re : m o i n s sim ple q u' i l n'y paraît Défi n i r la méthode mo nographique tente de ren d re com pte de cette e n q u ête exp lorato i re, ses poss i b i l ités et ses richesses, m a i s aussi ses contraintes et ses exigences. À pre m ière vue, il semble qu'il suffit de d i re : « rega rdez et décrivez ce q u e vo us voyez ». L' h o m m e rega rde et ra pporte ce q u'il voit souvent par b ribes, parfois il y met une logique et raconte pour transmettre, convaincre. L' intention plus démonstrative ne ren d pas né­ cessairement mieux com pte d e la réalité. Les différences, voi re les contra­ d ictio n s des té m o i gn ages d a n s les accidents m ette nt en évi dence le caractère inte rprétatif de la réa lité a u q u e l perso nne n'échappe q uand on raconte. « Tradutore traditore » : trad u i re c'est tra h i r. Le d icto n ita lien ne s'a pplique pas s e u lement à la tra d u ction d'une langue à une a utre, mais à toute description, à toute na rratio n . Le récit est transformé par le point d e vue du sujet, sa s u bjectivité. Le sujet é mette u r trad uit ce q u' i l ressent avec son lan gage fo rgé par son é d u cation, son a ppartenance à un gro u pe social, a p p uyé aux stéréotypes et p réj u gés q u i construisent ses re présen­ tations d u monde. C'est p o u rq u o i l'et h n o logue, l'eth n ogra p h e essa ient d'en registre r, de fi lmer, de photogra p h ier, pour ensu ite rep rendre ces don­ n ées et les fai re échapper à la fois à le u r s u bjectivité et à l'o u b li. Plus q u e l'objectivité, l e contraire de l a s u bjectivité est l'objectivation17 o u l'effort pour d i re les fa its de la manière la plus extérie u re à ses raisons person­ n elles q u' i l est possible, et q uand i l les prend e n com pte de les considérer aussi com m e des faits. Elle sou s-tend to ute la démarche de recherche. L'acte u r est invité à entrer dans cette démarche i n itiato i re par l'ob­ se rvation et la descri pti o n . Le p rocédé n'en pose pas m o i n s les n o m ­ b reuses inte rrogations de to ute o bservatio n . L'observate u r a p partient-il au gro u pe q u' i l observe, o u lui est-il ex­ térie u r ? Fait-il participer les ge ns o bservés à ce q u' i l cherche ? Et dans ce cas est-ce pour les i n former ou po u r les associer à la recherche (o u po u r les m a n i p u le r) ? Si ces d e rn ie rs sont parties p re n a ntes, ne vont- i ls pas se

comporte r comme i ls i maginent q u e le souhaite le u r interlocute u r ? La pré­ sence d'un tiers o bservateu r ne va-t-elle pas mod ifier le rée l qu'il obse rve ? S'agit- i l d e décrire ce q u'on voit, rati o n n e lle m e nt, e n vue d'exp licite r la

17 «[ ] c'est /'objectivation qui domine l'objectivité ; l'objectivité n 'est que le produit d'une objec­ tivation correcte. » (G a ston Bachelard, 2002, ttudes, Paris, Vrin, p. 61) . -

...

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En quête d'une intelligence de !'agir

réalité, o u ce q u'on ressent en vue de ta fai re compre n d re ? Répo n d re à ces pre m i è res q uestions, c h o i s i r, est déjà u n e pre m i è re d ista nc iation d'avec ta pratiq ue, sans po u r autant s'en extraire. Si observer pose de n o m b reuses q u estions, décrire n'en pose pas moins. Fa ut-il décrire ou raconter ? N o m m e r, q ualifier ? Po ur dépeindre o u po u r désigner ? Fa ut-il déno m b re r, q u antifie r ? To ut d i re, t e s as pects, fo rmes, co u le u rs, d i mensions, poids ? Après mes u re ou tels q u'on tes a ressentis ? Fa ut-il donner à voi r ? O u fa ut-il donner à pe rcevoi r te sens ? Ou faut-il donner à ressentir ? Autant de q uestions q u e chaque chercheur, o bse rvate u r, « descri pte u r » devra réso u d re po u r entre p re n d re sa re­ cherche et q u ' i l constru it, précise et reprécise au fu r et à mes u re de son observation et de sa restitution. Puis q u ' i l explicite pour préciser d'où i l observe e t décrit. A i n s i t a différen ce entre t a réflexion q uotid ienne e t ta re­ cherche à projet scientifique, si elle réside dans ta méthode et ta rigu e u r, se situe très co ncrète ment dans te fait q u e te cherche u r expose en d étai l t a méthode q u ' i l uti lise po u r chercher et tro uve r. « Ma monographie était orientée vers l'édition et la lecture alors que ma recherche pour le DHEPS a porté sur les approches et programmes d'alphabétisation. C'est pourquoi j'ai souvent senti des manquements dans la maitrise de la situation au moment d'élaborer mon projet d'en­ quête. Ces lacunes ont été comblées plus tard par la revue documentaire et les observations sur le terrain. Au moment de rédiger le mémoire, les compétences acquises lors de la rédaction de la monographie m 'ont beau­ coup aidé ». (Mamadou L.) La sociologie cherche tes o rigines profon des, cachées, voi re vo lon­ tairement dissimulées d u social et des phénomènes sociaux. La monographie s'en tient au portrait. La sociologie analyse tes situations, tes événements, tes organ isations, tes fonctionnements pour comprendre, voire expliquer tes causes et tes effets des activités h u maines en société, entre tes contraintes de ta déte rm ination d u e au contexte social, te libre arbitre et te c h a m p d u possible. L a première décrit t e plus fidèlement possible, t a seconde cherche les significations sociales des phénomènes et tente de dégage r, si ce n'est des lois, au moins des tendances o u /et des régularités généra les'8• Un parallè le peut être éclairant avec ta d iscipline étud iant des so­ ciétés parti c u lières'9. L'ethn ogra p h ie20 désigne un travai l de collecte des données, d'obse rvation et de descri ption te plus rigo u reux possible d ' u ne 18 - « Généra l » o pposé au « particulie r » de la monograp hie. 19 - Bonte Pie rre et Izard M ichel, Dictionnaire de /'ethnologie et de l'onthropologie, Paris, 1991, PUF, 756 pages, p. 470. Discpline récem ment encore représentée comme vouée aux sociétés d ites « pri­ mitives » ou traditionne lles. 20 - M auss M a rcel, Manuel d'ethnographie (1947) récemment rééd ité et G ri a u le M., Méthode d'eth­ nographie (195 7) .

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Observer, décrire. Enquête exploratoire et démarche monographique

société. L'ethnologie21 désigne la tâche d'élaborer la m atière rec ueillie et de l' interpréter p o u r e n expliquer le fonctionnement et les fon d e m e nts. On peut d i re q ue la m o n ogra p h ie est à la socio logie, l' histo ire ou la géo­ gra p h ie, ce q ue l'ethn ogra p h ie est à l'ethnologie. Le gen re monographique consiste en la descri ption. La monographie désigne a la fois de ux phases du travail de recherche : u n e méthode s pé­ cil1 q u e d'enquête22 par l'observation et u n e fo rme d'exposition des rés u l­ tats, la description la plus soignée et la plus co m p lète poss ible d'u n obj,et u n i qu e, formant u n tout en soi. L' u ne n e pe ut être sépa rée de l'autre. Le je u d'influence récip roque de l'observation et d e la d escription se retro uve de bout en bout d u processu s dans la d o u b le relation de l'o bservate u r et de !'o bservé d'une part, et de l'o bse rvate u r et du destin atai re, de l'autre. Ce jeu constitue u n fi l, i nvisible mais des plus i m po rtants, tant de la mé­ thode monograp h i q u e que de ces q uelq ues réflexions. Après le q uestionne ment, i l s'agit de cerner l'o bjet s u r leq u e l por..te la recherche. Qua rtie r o u association, collection de revues o u d e doc u ­ ments, entreprise o u institution, l'exigence e s t q u e c e t o bjet recouvre u n thème e t u n cham p précis, m a i s p o u r l'envisage r de q ue l point de v u e et sous q ue l angle de vue. Le processus exploratoire, conçu ici à partir de la démarche m onographiqu e. s'attache à ren d re com pte de la man ière la plus exh austive possi b le des aspects sign ificatifs et spécifiques de la situamm étud iée dans le c h a m p fixé selon l'angle de vue q u ' i n d i q ue le q uestion nemen't I l s'agit de décrire j usq u'à la plus petite partie, pertinente selon le ! point de vue ado pté, e n éca rtant les interprétations, les explications, les relations de cause à effet23.

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L

Pre m ière contra i nte. Cette démarche se fonde s u r l'o bse rvation di­ recte des faits et n o n de seconde main, à partir d'opinions relevées par d'aurrëS"â propos d e l'objet étud ié24. 2 1 Les Britanniq ues a ppellent la même discipline « anth ropologie sociale » et aux U SA « anthropo· -

logie sociale et c u lt u relle ». 22 - « Enq uête » doit s'entendre ici comme l'action de « se mettre en q uête de », « entreprendre la q uête de », p lutôt q ue comme la ou les méthode(s) de cond u ite d'enq uête à proprement parler. 23 - Pa ulina, op. cit. 24 - Le procédé s'apparente à plusie u rs autres méthodes de recherche : enq uête de terrain, méthode cli­ nique en médecine et à ce que les Anglo-saxons a ppellent case-study en étude de marché, ainsi q u'aux area-study o u étude d'une région. Aera studies et case-studies : « Ces procédés consistent à décrire

un même phénomène en intégrant les résultats d'observations faites selon des techniques différentes et en se plaçant de points de vue différents. La description ici combine des éléments provenant de re­ cherches et d'observations pluridisciplinaires ». Loubet Del Bayle J.-L., 1989, lntrodudion aux méthodes des sciences sociales, Tou lo use, Privat, 240 pages, p. 127. L'exem ple de l'enquête de Plozevet est u n case-study type. Les area studies étaient a u départ des études d e s relations internationales d' une grande région du monde, par exemple les accords de défense de l'Asie du Sud-Est qui englobent de nombreux pays et exigent une étude dépassant les frontières, mais centrée sur u n sujet. Le terme a ujou rd ' h u i t e n d à désigner une é t u d e d ' u n sujet recouvrant de nombreux pays, par exemple une m u ltinationale.

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En quête d'une intelligence de /'agir

� Deuxième contrai nte. Les i n formations son�ées,, référencées. V A chaque catégorie d'informations correspond sa �ui montre la re­ ,

lation étroite entre les con d itions de recueil des d o n n ées, la position de l'observateu r, son rapport avec les o bservés et enfin les choix de restitu­ tion . La q u a lité de la cohérence entre ces q uatre choix e n fonction de l'an­ gle de vision révèle la solid ité de la recherche. Troisième contrai nte. Le point de vue est s iel. Chaq ue monogra p h ie ne peut être u n exposé ex austif ' u ne réa lité vue sous to us les angles. L'enquête exploratoi re exige de choisir. Le point de vue, ou angle d'observation, permet de n'appréhender de l'o bjet q u e le c h a m p q ue le cherche u r fixe à sa recherche et ainsi d'anticiper le tri des déta i ls à re lever puis à décrire, en u n mot l'angle de vue i n d i q u e s u r q u o i doit porte r l'at­ tention. La démarche pe ut, s u r u n e zone déte rm inée, une région, u n pays, une corporation, un synd icat, un parti politiq ue, étudier une q uestion spé­ cifiq ue. Le point de vue et l'angle de vue sont la cond ition initiale. La description de la réalité circonscrite est organ isée et méthodiq ue, ni inventaire, ni accu m u lation de d étails, e lle présente avec le plus de fi­ dé lité possi b le l'ense m b le choisi, selon le point de vue d u cherc h e u r, en le situant dans son contexte et son envi ronnement. La description de cette réalité est o rgan isée en fonction de ce q u'on ve ut montre r. Réa lité u n i q u e m a i s réalité construite p a r l e cherc h e u r s o u s l'angle q u'il a choisi.

Plus q u' u n modèle figé, une m éthode contradictoi re Les choix exigés par cette étape monographiq ue2s font entrer l'ac­ te u r dans u n e no uvelle démarche. Il doit réso u d re des exigences contra­ dictoires. L'enquête exploratoire est écartelée entre e m b rasse r� lité 'o b"et dans une réoccu ation permanente d'exh a ustivité fré q u ente chez les novices, et c h o�J.!ait o 1te d u q u esti o n n e m ent. Reste u n a utre choix, ce l�lles e perti nce d'une o bservation. Dès cette étape, le chercheu r est cond u it à j u stifier p o u rq u oi son angle de vue isole cet objet, village, institution, collection de revues ou de documents. La m ise en perspective de l'an gle de vue et donc d u q uestion nement as­ s u rant le u r cohérence est donc i n d ispensable. La méthode monogra p h i q u e est bien u n procédé de recherche, dé­ fin i et exigeant, les étud iants ne s'y tro m pent pas. 25 Une d e s d i ffi cu ltés rencontrées, nota m ment en Afrique, a été la re présentation figée d u terme monogra phie. Celui-ci désigne en géograph ie, par exe m p le un ensemble correspondant à une no men­ clature normée : cli mat, péd o logie, flo re, fa une, techn i q u es, économie, etc. L'exigence d e ces typolo­ gies cohérente avec la volonté de c o m p i lation u ltéri e u re est à d istinguer de l'enquête explorato i re visée ici où le choix de l'angle de recherche et son inédit sont essentiels. -

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Observer, décrire. Enquête exploratoire et démarche monographique

« Ces compétences d'observation acquises dans le DHEPS m 'attirent et m 'interpellent lorsque les situations l'exigent. Dans la recherche et la ré­ daction, je me suis raccrochée à ces acquis pour guider "ce navire " dans lequel je me suis installée avec une visée, celle d'arriver à bon port » (N .) . « Comme la monographie consiste e n la description organisée d'une réa­ lité construite sous un angle choisi arbitrairement, j'ai donc abordé un objet qui m 'intéressait particulièrement : la mobilité sociale, notamment celle des experts travaillant sur le court terme dans le secteur du dévelop­ pement. Le travail monographique en huit points26 a préparé mes travaux de recherche, dans le cadre du mémoire » (Sid A.) . « L 'enquête explora­ toire, l'idée même de l'enquête exploratoire, m 'ont d'emblée enthou­ siasmé. C'était en quelque sorte le premier contact avec une démarche de rigueur scientifique à laquelle j'aspirais : ne pas commencer à disserter, à théoriser, à approfondir et à conclure avant d'avoir fait un premier tour d'exploration pour définir une stratégie de recherche : c'était exactement ça que je voulais, que je concevais comme étant sérieux » (Fran cis A.) . La d é ma rc h e contraint à u n entraînement constant, saluta i re, en sciences sociales : o bse rver plus q ue spéculer, parti r des faits et les resti­ tuer le plus fidèlement possible avec les m oyens dispo n i b les. La m éthode présente plusie u rs m é rites intéressants mais aussi u n écueil. L'écueil se manifeste en d e ux te m ps sous u n aspect facilement dé­ celable et l'a utre plus p rofond, moins i m médiat. Con d u i re et restituer une première démarche, autobiographie et exploration, demande un effort. U ne fois cela terminé, après sa soutenance m ê m e lim itée aux fo rmate u rs de l'éq u i pe, l'esprit est satisfait, mais u n pe u vacant, o r la recherche n'en est q u'à son co u p d'essai, c'est u n peu l'a pproche (o u bavante27) en alpinisme. Même si cette longue m a rche est indispensa ble, la paroi à esca lader est d evant. La détente se réso ut dans la confrontation des regro u pements de formation, la nomination du directeur de recherche et la ténacité de l'étud iant fa it le reste. Plus su bti l et moins a p parent est l'o bstacle en p rofo n d e u r. L'exploration monographique a nécessité u n nouveau regard : cerner l'objet, se détacher pour observer, prendre du recu l, noter, trier, décrire. La démarche a « cassé le m o u le » des re p résentations co u rantes anté rie u res pou r en­ visager la réalité q u otidienne d es p ratiq ues et de le u r contexte sous l'angle de la recherche. Et le le ndemain de cet effort, patatras ! Il fa ut à cette re­ p résentation récente en ajoute r une autre, a utrement co riace à envisager pour l'acte u r, ce déto u r par la méthode d ' u n e s u p position à p ro uve r par 26 - 1/ Définition de l'objet, 2/ Définition de l'angle priorita i re d'observation, 3 / Démarche exploratoire, 4/ Mise au point de la méthodologie, 5/ Construction de la méthodique, 6/ Traitement des données, 7/ Inte rprétation monogra p h i q ue, 8/ Écrit u re monographiq ue. 2 7 - Marche d ' a pproche pénible, Grand Robert p. 1291.

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En quête d'une intelligence de /'agir

les faits. I l s'agit p o u r l'acte u r, deve n u chercheur à ses risq ues et périls, de cond uire sa recherche avec la déterm ination de passer de l'autre côté des apparences et m ieux compre n d re l'enjeu e n a rticu lant les faits entre eux, en les analysant à la l u m ière des sciences sociales, récentes ou ancien nes. Au creuset de la rec h e rche-actio n l'actua lisation des re présentations - pour ne pas d i re leu r bou leversement - est commencée, mais elle n'est q u'amorcée. « L 'enquête exploratoire m 'a permis de poser le cadre de la re­ cherche, de le centrer et de mieux définir l'objet d'étude. }'ai vraiment trouvé passionnant les implications de la recherche avec l'activité profes­ sionnelle. Une fois la méthodologie choisie, construire sa propre réflexion au fur et à mesure de l'avancée des travaux et des résultats des observa­ tions et des constats a été la période de la recherche la plus attractive » (Catherine P.) . « [La démarche monographique] m'a propulsée dans la re­ cherche de documentation (livres, Internet). Elle a modifié certaines de mes représentations. Elle a contribué à trouver des arguments, un voca­ bulaire plus adapté, moins choquant. Elle m 'a permis de me poser les questions différemment, d'adopter une posture autre que celle de la pro­ fessionnelle, de me distancier de ma pratique, d'apprendre à déconstruire mes connaissances » (Sylvie B.) . La recherche recueille les fru its de l a démarche exploratoi re e t mono­ graphique. D'abord les données factuelles recueillies, une certaine assu rance de la faisabi lité de la recherche et s u rto ut le désir q u'a l'acte u r de m ettre au jour les tenants et les aboutissants de cet objet-là. Un autre bénéfice de la démarche explo ratoi re est de susciter le désir d'écrire et notam ment de ten i r un journal de bord ou de recherche ou de terrain, inestimable à terme. En bref, au-delà du pre m i e r recueil de données, la démarche intel­ lectuellement accessible constitue u n pre m ier rodage d u raisonnement et de la sensibi lité dans le sens de la recherche. Elle constitue u ne i n itiation et une introduction à la recherche sur de n o m b reux points : faire des choix, restreindre ses a m b itions, focaliser une q uestion et u n te rrain a p p réhen­ sible, s'entraîner à l'objectivation, découvrir q u'on est res ponsable de sa recherche de A à Z, y com p ris la présentatio n éd itoriale et, dans le même mouvement, se sentir reco n n u capable de l'avoi r fait, a p prendre à vérifier, référencer, donner ses sources. L'en q u ête exploratoi re, ici démarche m onogra p h i q ue, est aussi la pratiq u e de la recherche e m piriq ue et de l'i n d u ction, de partir du bas en haut, perm ettant ensu ite de poser la problématique et l'hypothèse, d'é la­ borer cad re d'analyse et stratégie de recherche avec u n e vision plus claire des données (cf. supra p. 85) , q u'elles relèvent d u contexte, q u'elles relè­ vent des acte u rs et de le u r manière de fai re ou ne pas fai re société. 126

La recherche-action, un moyen de pense r et de transfo rme r ses p ratiques Marie-Anne DUJARIER1

L

a recherche-action ambitionne de prod u i re des savoirs n ouveaux s u r les pratiques, en v u e de les développer. Elle est une démarche fo rm a­ tive et transformative : par elle, chaque praticien peut devenir l'aute ur d ' u n savo i r d istancié, o bjectivé, référencé et re nouve lé s u r son activité. Elle est h é ritière de d ive rs co u rants e n scien ces h u m a ines et socia les, q u' i ls soient américains (Ëcole de Chicago, Kurt Lewin) , allemands (avec Heinz Moser) , anglais (Tavistock lnstitute nota m m ent) o u franco p hones (ana lyse institutionne lle, sciences de l'éd ucation, sociologie cliniq ue, psy­ chosociologie, psycho logies cliniq ues d u trava il...) . L' h i stoire de la socio logie est parsemée de recherches re marq ua­ b les, réalisées par des s ujets q u i ont eu une longue expérience d ' u n e pra­ tique sociale avant de d eve n i r cherc h e u rs. I ls la con n a issent « par cœur » et m ê m e « par corps » . I ls l'ont p rise co m m e o bjet de recherche afi n de prod u i re u n savoi r d istancié sur u n e pratiq ue dans laq ue lle ils ont été for­ tement i m pliqués. L' Ëcole de C h icago, à laq ue lle les aute u rs s'ad ossent d'aille u rs fré q u e m m ent, constitue un courant de réfé rence à cet égard . Ce q u i a fait école, dans ce co u rant, ce fut sans d o ute la conviction que la so­ ciologie consiste à a p p re n d re à voi r le monde avec « d'a utres ye ux » , en saisissant s i m u ltanément la d i m ension sociale des changements (u rbains, 1

- Ma rie-An ne Dujarier, m aître de conférences en sociologie, a é t é responsable pédagogi q u e d u M aster 1 D E PRA de Pa ris Ill e t enseigne a u Mi D E PRA e t a u département de l a Médiation cu ltu relle de cette u n iversité.

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En quête d'une intelligence de /'agir

professionnels ...) et les états su bjectifs q u i le u r sont liés. L'ouvrier Donald Roy a, par exe m p le, prod u it parm i les plus belles pages de la sociologie du travai l i n d ustrie l (Roy D., 2006) . Il nous offre de comprendre la man ière dont u n i n d ivid u peut « te n i r » u n trava i l très p é n i b le et ré pétitif, sous ....,co ntrainte de q u otas. I l explique très finem ent, parce qu 'il l'a fait avant même de savoir l'expliquer, le fre inage et les relations de travail dans ce contexte. Hélène Weber (2005) a mené une recherche sur une q uestion très s i m i laire, pou rra it-on-d i re, mais dans u ne situation de service contem po­ rain en France : après avoir travai llé co m m e é q u i p ière c hez Mac Donald's, elle s'est interrogée en psychosociologue sur la problématique de I' « ad hé­ sion » des e m p loyés à l'enseigne et à cette activité, pou rtant i ngrate. Sa recherche décrit d'une manière inéd ite ce q u 'est ce travail et pro pose une exp lication de cet e n gage m e nt parad oxa l. Son expé rience préalable de cette « adhésion » et l'analy-se d istanciée q u'e lle a p u en fai re servent de point d'a p p u i à cette recherche. Elle s'inscrit dans le co u rant de la socio­ logie cli n i q u e, lorsq u'e lle pratiq ue des recherches i m pliq uées (G au lejac et alii, 1993 et 2007) . Ces exe m p les de recherc hes-actions, inscrites dans d iverses trad itions d isciplinaires et écoles, ont pour point com m u n de per­ mettre à u n praticien engagé dans une activité socialisée, de deve n i r cher­ che u r et aute u r à pro pos de sa propre situation et de son activité.

Pe nser ses p ratiq u es et le u r contexte po u r l'action Les ad u ltes q u i viennent en D H E PS (Di plôme d e s Hautes É tudes des Pratiques Sociales) se fo rme r par la recherche-action ont touj o u rs une ex­ périen ce significative d'une pratiq ue, q u 'e lle soit professionne lle, béné­ vo le, fam i liale o u m ilitante. De manière plus o u moins explicite et u rgente, i ls re pre n nent les études à un m o ment où cette activité « ne va plus de soi » : elle est de plus en plus enco m b rée de q uestions difficiles à explici­ ter. La pensée, elle, sem b le ten u e à l'écart par la ro utine, l' hyperactivité ou la sidération face aux contrad ictions q u i traversent la pratiq ue. Dans le cha m p d u trava il social q u i nous i ntéresse ici, le constat est frap pant : les professionnels d isent ne plus « avoi r le tem ps de penser » . N o m b re de tra­ vai lleu rs socia ux doivent ré pon d re à des injonctions législatives et régle­ menta i res exigeantes et possiblement contradictoi res. I ls sont de plus en plus so m m é s de pa rtic i pe r à des procé d u res gestio n n a i res (Ch a uvière, 2007) parfo is dévorantes o u j u gées « absurdes » (évaluation, traçabi lité, frénésie de projets, contractualisation ...), tout en faisant face à des situa� tians sociales dégradées et dégradantes q u'ils n'ont pas toujours les moyens de sou lage r. Ce contexte pe ut s'avé rer sidérant pour la pensée, s u rto ut si l'i n d ivid u est isolé. Les travaille u rs sociaux constatent alors q ue le déve­ loppement d'une réflexion sur le u r pratiq ue, bien q ue j u gée indispensable 128

La recherche-action, un moyen depenser et de transformer sespratiques

pour « bien travailler », est souvent contré par une forme d'autocensure. Car dans des situations difficiles, ten d ues, pa rad oxales, usantes, il est tentant de ne plus penser pour ne pas é p ro uve r de la « souffrance » (We il, 2002) . Arrêter de penser peut être u n m oyen d'a rrive r à travailler m a lgré tout, dans des situations d even ues i m pensables (Dujarier, 2006) . Ce phéno­ mène peut être interprété également comme une forme de défense psy­ chique (Dej o u rs, 1995) n oto i rement dans les activités sociales et de soin, qui ont la particularité d'être re lationnelles et ass u mées par des fe m m es (Molinier, 2006). La pensée est également découragée par des remontrances professionne lles plus ou moins exp licites : « Ne serait-ce que poser des questions, c'est dérangeant ! », observent fréquem ment les praticiens. Tout se passe comme si, dans certains contextes, l'introd uction d'une réflexivité s u r les pratiq ues menaçait l'éq uilibre individ uel et collectif s u r leq uel elles se maintiennent plus q u'elles n e tiennent. N o m bre ux sont les profession­ nels à regrette r q ue l'éc hange avec les collègues, les pairs o u la hiérarchie s u r le trava i l rée l soit ainsi e m pêché sous l'effet de la p récarisation, de l' i n d ivid u a lisatio n , de la « contractua lisation » et de la pression prod ucti­ viste. q u i caractérisent leu r situation, en m i roir de celle de le u rs « pu blics ». Les acte urs et témoins de situations sociales violentes, épu isantes, détraq uées ou s i m p lement contre p rod u ctives peuvent éprouve r u n senti­ ment d ' i m p u issance. Le u r enjeu est alors de voi r, penser et agir diffé re m­ ment. Po u r re pre n d re la main s u r la pratiq ue, i l le u r fa ut la d istancier, la contextualiser, l'analyse r. Et dans ce m o uve ment, i ls cherchent à red onner u n sen s possible et u n e efficience reno uve lée (Clot, 1999) à le u r action. C'est ce q u e le D H E PS, e n tant q u e parco u rs formatif, propose de réaliser. I l répond alors bien à la défin ition q ue B . Schwartz (1989) d o n n ait de la formation p�rm anente, lorsq u ' i l disait q u'elle doit « permettre aux indivi­ dus de transformer leur vécu en expérience, leur expérience en savoir­ faire » . N o u s pouvo n s aj oute r q u ' i l s'agit aussi d e p rod u i re u n savo i r théori s é, possi blement utilisable par d'a utres, dans des contextes d is­ tincts. En effet, « ces recherches ont un double objectif : transformer la réalité et produire des connaissances concernant ces transformations » (Barbier R., 1996, p. 7) .

Le parco u rs d e la rec h e rc h e -acti o n Le p o i n t de départ de l a recherche-actio n est d o n c fréquem ment le désarroi ou le senti ment d ' i m p u issance dans une pratique précise : c'est parce q u e le sujet se tro uve confronté d e m a n i è re p é n i b le, usante ou m ê m e d ra m atiq ue à des q uesti ons sociales, q u ' i l é p rouve la n écessité de les exam iner avec des outils adaptés et avec d'a utres « ye ux » . Dans la recherche-action, les p roblé m atiq ues sont progressive m e nt constru ites,

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En quête d'une intelligence de /'agir

jamais im posées. Les étud iants n'ont pas de commande. I ls travaillent leu r pro p re demande de co m p ré hension d u m o n d e en tant q u e praticiens et sujets. Aussi, le u r objet de recherche est-il i nscrit dans une trajectoi re psy­ chosociale sensi b le, q u e l'a utobiogra p h ie ra ison née vise à expliciter et à objective r. La q u estion de recherche est progressivement affinée par u n trava il réflexif : les deux « sujets », cel u i de l a recherche e t ce l u i q u i l'écrit sont dans un ra pport étroit (Mol i n ié M., 2010) de co-construction. La pro­ blémati q u e sociologiq ue comporte alors i n évita blement une d i mension existentielle puisqu'e lle vient inte rroger l'engage ment d u sujet dans son ra pport a u m o n d e, en tant q u'acte u r social (D ujarier, 2008) . Qu'est-ce q u'« on » me demande de fai re ? Qu'est-ce q ue je fais vraiment ? Qu'est-ce q u e ça prod u it ? Qu'est-ce q u e ça me fait en reto u r ? Te lles pou rraient être les q uestions à propos de la pratiq u e saisie dans ses q u atre d i mensions : prescrite, réelle, réalisée et vécue (D ujarier, 2006) . L'o bjet de recherche est donc généralement trave rsé d'émotions : le thème est « chaud », voi re « brûlant » po u r le cherche u r, parce q u ' i l concerne la ren contre avec une réalité socia le q uotidienne dont le praticien ne sait plus trop q uoi penser ni fai re. Tout l'enjeu de la recherche-actio n consiste alors à a ppréhender le phénomène social « froidement », sans renoncer toutefois a ux savo irs acq uis par l'expérien ce, p o u r tro uve r des manières d'y agi r d e m a n ière plus opportune et com pétente. Se mettre à écrire (et donc à penser) sur sa pratique avec l'aide de méthodes et de conce pts, c'est s'autoriser à réfléchir avec d'autres b uts, et dans un d i spositif social d istinct. Si « comprendre, c'est penser dans un nouveau contexte », la recherche-action est bien un outil q u i offre ce « nou­ veau contexte ». Déployée dans u n cad re coopératif, avec des pairs éga­ lement apprentis-chercheurs, elle protège la pensée des attaques réelles ou i m aginaires des acte u rs con cernés par la pratiq u e sociale en q u estion : collègues, h iérarc h ie, usagers, évaluate u rs, finance u rs, législate u rs ... I l est alors possible de penser la situation et les ra pports sociaux sans craindre q u e ces élaborations p rogressives ne se re plient i m méd iate ment sous forme de problème s u r cel u i qui les énonce. Cette prod uction de savoi rs s'adresse aux autres chercheurs, q u'ils soient les coopérateu rs d i rects, les enseign ants, le j u ry de diplôme o u to us ceux q u i travai llent s u r ce s ujet. Le changement d'adresse de la réflexion ouvre de no uvelles voies, autorise des déplace ments. Il o riente le développement de la pensée vers la contro­ verse scientifiq ue aux dépens de la bagarre d'opin ions ou de convictions. Gorgés d'expé riences et de savoi rs i m plicites, les ad u ltes qui entrent dans la recherche-action se mettent à « tout re penser ». Co m m e le constatent ceux q u i les lisent, les recherc hes-actions ont une save u r particu lière. Elles se d istinguent des productions académiques 1 30

La recherche-action, un moyen depenser et de transformer sespratiques

par le rapport que les aute u rs entretiennent à leu r objet. Dans la recherche­ action, la méthode de recueil et d'analyse des don nées est précédée d'une expé rience intime avec l'o bjet de recherche. Elle prod uit des hypothèses, des intu itio ns, des pistes (y co m p ris fausses, parfo is, mais touj o u rs heu­ ristiq ues) dont le chercheur classiq ue ne peut d isposer. Contrairement aux cherc h e u rs acad é m i q ues en q u ête de « terrain » et dont la difficu lté est de se ra p p rocher des pratiq ues socia les q u'ils analyse nt, de les « sentir », les pratic iens-ch e rc h e u rs, e ux, fo nt le c h e m i n inverse : i m m e rgés d a n s ce lles-ci, i ls appre n nent à s ' e n d istancier. Donald Roy, écrit e n 1956 à son d i recte u r de thèse, Eve rett H ugues que « son expérience des comporte­ ments des classes populaires » , q u i m a n q u e tant aux cherc h e u rs de l'époq ue est pou r lui une ressource. Ce q ue les grands noms de la socio­ logie de l'époque ne pe uvent saisir, lui y arrive grâce à « /'observation pré­ cédée de l'expérience et la perspicacité » (cité par Chapou lie, 2006, p. 8) . Co m m e tout cherc h e u r, peut-être avec davantage de chemin à parco u rir, m a is a ussi la conscience de l'arpente r, i l l u i fa ut com battre les « obstacles épistémologiques » te ls q ue « l'opinion », « les préjugés », « l'inertie de l'esprit », et « l'ambiguilé des mots » q u i désignent et exp liquent tout à la fois (Bachelard, 1939) . Mais ici, la d istanciation et l'o bjectivation n'altèrent pas l'expérience, a u contraire : elles permettent de la vo ir autrement, de lui donner u n re lief soudain sans renoncer aux informations innom brables et su btiles q u 'elle peut proc u rer alors. Elle fo urnit s u rtout une « compré­ hension de l'intérieur » (Chapou lie, op. cit., p. 16) to ut à fait u n i q ue. La re­ connaissance de sa pro p re i m p lication à l'éga rd de l'objet est e lle- même pensée et uti lisée co m m e o util de recherche. Ai nsi, « ce travail sur l'impli­ cation n 'a rien à voir avec une fétichisation, une exaltation de la subjecti­ vité du chercheur. La mener à bien constitue la condition de la validité méthodologique et scientifique du travail produit, et souvent celle de son originalité » (Rizet, 2007, p. 300) au risq ue d ' u n « désenchantement émo­ tionnel » (ibid. , p. 288) . La recherche-action est une méthode, u n « ensemble de pratiques et de procédures visant à associer la connaissance et l'action dans le but de modifier les comportements, et donc la pensée qui les anime » (Ansart P., 1999) . Pou r a rrive r à cette transformation , les praticiens construisent des méthodes d'objectivation de la situation sociale : observation participante o u n o n , d escription ethnogra p h i q u e o u cliniq ue, a n a lyse d o c u m e ntai re des lois, règleme nts, sites web, blogs, docu me nts d e gestion o u a utres « c h a rtes » co m m e traces et cadres de l' activité, e ntretiens i n d ivid u e ls et collectifs, q uestionnaires, h istoi res de vie, analyse de l'activité ... To ut l'enjeu de la méth odo logie consiste, co m m e dans la d é m a rche socio lo­ giq ue, à passer de la « sociologie spontanée », cette « philosophie naïve

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En quête d'une intelligence de l'agir

de l'action » à la conq uête de « faits contre l'illusion du savoir immédiat » (Bo u rdieu et al. 1983) . Cette con q u ête prend des chemins plus pentus et ,

plus riches, lorsq u e l'on part d ' u n e pratiq ue. Chaq u e praticien construit une méthode q u ' i l j u ge à la fois efficace pour traiter la q uestion q u' i l pose et acce pta ble dans le m i lieu social étud ié. Le journal de recherche tient une place so uvent i m po rtante a u ré pe rtoi re des outils de recueil des don­ nées : il est un m oyen de décrire et d'objectiver ce q u e le praticien expéri­ mente, à l'usage du cherche u r. Il donne un aperçu de la manière dont les phénomènes sociaux affectent et transforment le s ujet, et, en reto u r, les actions et interprétations éla borées par celui-ci. Cette fenêtre s u r l'inté­ rio rité constitue alors une source d'information intéressante - non exclu­ s ive - s u r les p h é n o m ènes socia ux. L'écritu re d u journal peut convertir d u « véc u » brut e n don nées e m p i riq ues exp lo ita bles en vue de prod u i re une objectivation des process us s u bjectifs (é motions, pènsée, mobilisa­ tion du co rps ...) en jeu dans cette p rati q u e sociale. Aussi, l'écritu re s u r u n phénomène social q u i a « trave rsé » l e chercheur est-e lle à l a fo is p l u s dif­ ficile car i l doit ré ussir une « sortie imaginaire de la viscosité du réel » (Boltanski, 2009, p. 24) . Sim u ltanément, elle se révèle plus fine, plus vive, plus sensible, du fait de la fam i liarité du chercheur avec son o bjet.

Dans ce processus, les a d u ltes e n fo rmation opèrent des déplace­ ments du regard s u r le u r pratiq ue. I ls q uestionnent - et cela est u n e véri-· table é p re uve - les i m p licites, les fa u sses évi d e n ces, les c royan ces, certitudes rassu rantes et convictions bien ancrées. I ls dérangent les rou­ tines. I ls interrogent les fina lités com m e les manières de faire. Dans cette approche de la recherche, les oppositions co m m u nes entre « pensée » et « action », « théorie » et « pratique », « recherche »"et « profession » s'avè­ rent fragi les et peu uti les à m a i nten i r a rtificielle ment. N otons d'ai lle u rs q ue ce d i plôme forme à la recherche-action en vue d ' u n e profession n ali­ satjon. C'est que la recher c he est un m oyen d'apprentissage q u i s'adosse à l'expérien ce a utant q u' a ux théories. Les a p p o rts concept u e ls des sciences sociales et h u maines sont en effet des ressou rces i n conto u rna­ bles et précieuses pour d istancier son o bjet, penser sa pratiq ue, o u la re­ garder d ' u n e m a n ière nouve lle, a u trave rs d'autres poi nts de vue. Diffé rentes d isciplines sont mobi lisées par les apprentis-chercheu rs : eth­ nograph ie, sociologie, anth ropologie, psychanalyse, h istoire ... La lecture permet de prendre d u rec u l s u r l'objet de recherche, en l'insérant dans des problématiq ues plus sociales et collectives : elle dé personnalise et « dé­ fam i liarise » la q u estion traitée. Elle offre des savoi rs no uveaux, des hy­ pothèses inéd ites, des cad rages formate u rs. S u rto ut, la lectu re devient progressive ment une rencontre avec d'autres chercheurs avec lesquels il devient u rgent de débattre. Les lire, lorsq u e l'on est soi-même en q uête 132

La recherche-action, un moyen depenser et de transformer sespratiques

d e co m p ré hension, est délicieux et angoissant à la fois : sans se d o uter de la formation intense q u'e lle proc u re, la lectu re dans la recherche-action est très intéressée. Le p raticien cherche des ré ponses à ses d o utes ... et m et e n d o ute les ré ponses trouvées à l'a u n e de sa propre expé rience. I l entre donc dans u n d i a logue serré avec ceux q u i ont théo risé s a pratique. La confrontation est rude parfois, a u point o ù i l est possi b le de voi r des stratégies d'évite ment. Mais dans to us les cas, la lect u re de textes scien­ tifiq ues - vécue comme une contrainte dans d'a utres cursus de fo rmation - est envisagée ici com m e une resso urce. De plus lecture et écritu re s'en­ tre'm êlent dans u n ra pport didacti q u e intêi'fse..e.,t fo rmatif. N o u s voyo ns q u e l'écriture a u n triple sta t'ut dans ce parco u rs : tout d'abo rd , le carnet de recherche est u n m oyen d'inscrire des observations, pensées, référe n ces b i b liogra p h i q ues et é m otions. Il s'agit m o i ns d ' u n aide-m é m o i re que d ' u n o uti l d e réflexivité e t d'objectivation. Le sujet q u i consigne est considéré p a r lui-même d a n s sa di mension anthropologique. I l est u n « homme comme les a utres », à qui ce phénomène « arrive ». De ce fait, cette écritu re est « émancipée de l'ordre moral », à la manière dont Montaigne écrivait ses Essais (Molin ié, op. cit.) . Ensu ite, rejoignant en cela la trad ition vygotskiennè, le langage est utilisé pour pens�r. Cette pensée, nous l'avon s vu, est ad ressée à des coopérate u rs de recherche et réa lise alors des potentialités j usqu'ici reten ues. Enfin, l'écriture, com m e le veut être ce livre, est une trace possi b le de cette pensée e n m o uve me nt. Elle permet l'éch a n ge avec d'autres interlocute u rs, lointains, inco n n u s et à ven i r. O r, cette écriture-là est to uj o u rs malaisée à « lâc her » car elle semble figer une pensée q u i, j ustement, est en plein développerl1€nt. Nous savons q ue le s ujet est touj o u rs au-delà de ce q u 'il vient d'écrire p u isque le fait q u' i l ait ré ussi à le fai re a sans d o ute enge n d ré de n o uve lles occasions de penser. Ce paradoxe d o it être assu mé si l'o n ve ut a rriver à écri re ma lgré to ut. L'écriture peut avoi r, a utant q ue l'action, une po rtée critique. De nom bre uses recherches-actions pren nent le u r esso r dans le désir de co m p re n d re, de déconstru ire les évide nces et les m odes invisi bles de d o m ination . o u d:i m p u issance. Elles sont me nées par des salariés dont la situation sociale ou professionne lle est plutôt domi née. Ce ux-ci, et les tra-. vaille u rs sociaux tout particuliè re m ent, insistent s u r la difficulté d'agi r s u r d e s systèm es q u i déterminent les pratiq ues : « on ne com prend p a s to ut » ; « on se sent tro p petits par ra pport à ce q u i est en train de se passer » ; « on ne sait pas com ment agir ». Les praticiens, surtout lorsqu'ils sont « m i­ litants » , posent généralement peu les q uestions de pouvoir dans le u r ins­ titution, a u j o u r le j o u r : « o n n'e?t pas h a bitués, é d u q ués, i n cités à le fai re ». Dan s bien des situations, les règle.s q u i en cad rent l'activité sont conçues dans des sphères sociales déperson n a lisées et in atte ignables :

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En quête d'une intelligence de /'agir

l' Un ion e u ropéenne, le Parle ment, le M i n istè re, les collectivités loca les, des consei ls d'ad m i n istration. « Chacun est dans son monde, ... co m m ent faire quand on est tout en bas ? » interrogent-ils. « On n'a pas les éléments sur ce q u i se passe au-dessus ». Or, la recherche-action permet précisé­ ment de décrire sa pratique dans un ense m b le plus large. Elle offre de vi­ sua liser le système d'acteu rs i m p liqués dans la construction sociale de la pratiq ue. Elle permet d'analyser les enjeux et ra pports de pouvoir entre eux. Alors, la prati q u e singu lière devient u n élément d ' u n systè me plus large, avec une h istoricité. La recherche-action réalise ce q u'on peut espére r de la sociologie, q u i serait l'action de « dépouiller la réalité de son caractère de nécessité tacite », à « faire comme si elle était arbitraire » p u is à lui restituer après passage par la réflexivité (Bo ltanski, 2009, p. 24) . Rapidement, donc, les praticiens réalisent q ue la recherche..:,,�.Çj.lç.n..e_s1.une.m oç!_a lité QJ.igjngjf. de la criti ue...L�-u.r 9!.tQ.ti._ diense ePôüflle de g uajg�j tes et évidences. Les , ('- re l 1es v ll ) - ���3-�. !:. .. c._o. ���-�.����-�-� .[� QI�.§�Q!ê�� e � t en �r�l »� ë'"'es -a-ai re, en fait, en ro utines sociales i ncorporees. La demarche peut donc pe rmettre le d évoilement o u le « dessillement » s u r les ra pports de force sociaux en jeu, à propos d'une prati q u e sociale : c'est e à décrire et interune sociologie critique. En même tem ps, elle co .... ......-...� prkterJi.!,.i!l.isputes.,,à�s.Q s uiet : c'est sim u ltanément une soc 10 ogie de a critique . I l arrive u n moment, dans le parco u rs de recherche-action, où l'ac­ te u r deve n u cherche u r est émervei llé par cette déco uverte. I l est s i m u lta­ nément un peu « d é p r i m é » par cette prise de conscience du caractè re d ésenchant e���-� la science sociale . S'arracher aux habitudes et rituels, { souffrance ? Est-ce q ue l'écriture est le bon m oyen pour agi r ? ». U n étu­ V '( �- d iant observe q u'« i l existe des m i lliers de livres s u r la fa i m dans le V' 1 monde, . .. mais q ue le n o m b re d'affamés ne d i m i n u e pas ! ». E n�o mpre � � �� -� : : � ff�t � a � toujo u r: à tra � s�� n:r1 er. Une d istan ce � été p! ise ave c - - . _ leWm 1en ne,.q m postu_ lait que la seu le co rn p rehens1on suffi-. ·. la conception ,"- , � : sait à change r la situatio n . Ce rta ins p raticiens-c herc h e u rs i n te rrogent , ��· \.. , alors, non sans é m otion : « "n'est-ce pas p i re" de savoi r ? Pe ut-on s u pporte r d'être intelligent s u r la pratiq u e sociale mais i m p u issant à la trans. ; "' former ? Est-ce u n sou lagement et u n désespoir s i m u ltanés ? » •

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La recherche-action, un moyen depenser et de transformer sespratiques

La ré ponse ne tarde jamais lo ngte m ps : à ma con n a issance, aucun étu diant n e regrette le m o uve ment de conscientisation. O utre les béné­ fices p rofessionnels o bte n u s su ite à l'o btention d u d i plôme, l'émanci pa­ tion d e la pensée, au sens où l'entend J acques Rancière (2005) est jugée précie use : s'affranchir d'une assignation de p lace sociale, s'auto rise r à penser et à c réer, refuser la séparation sociale de la pensée et d u travai l assortie d'une éternelle tem po ralisation de l'action. I l s'agit de « pre n d re > dans le p résent, l' instruction co m m e la q u a lité d'être pensant, sans atte n­ d re q u 'elles a rrivent o u soient données. En outre, il s'avè re que la recherche-actio n entraîne inévita blement des développements non program més. Le change m ent dans la pratiq u e e s t tressé avec l e s découve rtes inte l lectue es· : e ' a r e co mp renël're rr ' s uite le plus sou verif'a ne rarîs o rma ron e a �ratiqgg ... et inve rsemen Le praticien qui accepteaëêlèêon�Videnres, de remettre en cause ses p réjugés, d e passe r de la conviction à la p roblé m atisation peut P!_O d u i re u n sens eossible en même tem ps q u'offri r_9.e s moyens d'agir 001-1... mènes le p rogress�f dévo iveaux. La description obj.ectivan te des phéno ,......-.. .,..._ lement d u sens (o u n on-sens) de l'actjyilé.JlU.Q!id ienne, la m ise à jour des enjeux de pouvoir et des stratégies d'acte u rs, l'inscription des p ratiques dans l'histo i re et le u r analyse cliniq ue p rodu isent inévitablement u n aj us­ tement, même s u btil des ra po rts soci � m a n ' . ::a!âgir. rt'a so uvent lieu avant même q ue la rech erche n'ait eu le te m ps de s'écrire. Si la recherche-actio n est une socio logie q u i vient q uestionner l'o rd re social ad m ïs, lnv1s1ble, n aturahse e 1 n--corpuré';-'ette"TTe""'S Cfrrêfëâoîicpâsa·îà""critique ax1olog1que o u â l'enôri ciàffôntRê orfêjUë.'Ë e �ê"stpâsû"iiëê7it'luq e s u rplom bante et i m p u issante : avant m ê m e d'avoi r term iné la fo rmalisation des résu ltats de la recherche, le s u 'et, la prati q u e et le m i lieu social commeocent à.ê.t.œ. delés sous l'effet de .rega r : e parco u rs «ra� bouger » , co nfi r��nt�"�...P.ratide.oS;.C�tle..r:.c;hg,y.r?,;,J tiver « ce q u i nous arrive » perm et, dans u n paradoxe seulement apparent, d e sou lager et d évelopper la s u bjectivité et donc l'action d u s ujet au monde (D ujarier, 2010) . En contrecoup, inévitable m ent, les re lations a�ec " autr 9,eos de C,�tte i:ira rqûë, �1 aussi reuâVa1îîéês. Lâg rande m ajo 1 e des etudl;� ts �àti'Se""ffn'a'tement'' une,transformâttànsign r icative tant d u point de vue s u bjectif (« je ne suis plus le m ê m e ») q u e d u ra ppor '-�-..­ à leu r pratiq ue (« je n e fais plus la même chose ») et de le u r re lation au a utres (« mes collègues ne prennent plus le café avec moi co m m e avant >» . Le sujet, sa p ratiq ue et le 'oos..à-a.utruLeotœnt .d ans..t-.t �pement Y.lu.el Clot, 1999) . La formati0, P..a r l�.!$.,Ç,b. �J:che�a,G,tio1Lo.Jlfile.,d.es !2 . dépla�s visibles. Dan e c a m p p rofessionnel, n o m b reux sont ceux q u i se reconvertissent, tout e n valorisant le u r expérience passée, à tous

fil� crj·et:"O-�





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En quête d'une intelligence de /'agir

égards : explicitation des com péte nces pour e ux et les autres, obtention d'une q ualification et promotion sociale. D'autres ré ussissent des mobilités h iérarchiq ues ou fonctionnelles - changement de poste ou d'e m ploye u r. Plus d iscrètement sans doute, mais non sans i m p o rtance, ce rtains pour­ suivent la même activité, mais « plus d u to ut de la même manière ». Enfin, ce Master professionnel est également u n bon chemin ve rs le doctorat. La prod uction de savo i rs s u r les p h é n o m ènes socia ux vécus est alors un a p p u i pou r les transformer. La recherche-action débouche s u r des possibilités d'action reno uvelées. Elle invite à aborder le changement avec u ne h u m i lité sans do ute plus a m b itieuse q u e la colère brute. Elle offre de le faire avec une appréciation plus réaliste des chances de ré ussir à déve­ lopper sa pratique, dans un contexte d o n n é, en tant q u'acte u r i n d ivid uel o u collectif. Les praticiens-chercheurs n'ont ce rtes pas acq uis une sorte de baguette magi q u e pour transformer le monde. Mieux sans doute : i ls ont u n e conscience éte n d u e de l'h isto i re sociale d a n s laq u e l le i ls sont plongés et à laq uelle i ls peuvent, finalement, décider de participer d'une manière o u d'une autre sans céde r au déses poir de l' i m p u issance o u aux i llusions d o u lo u re uses du sentiment de to ute pu issance.

Un outil de fo rm ati o n trad iti o n n e l uti le p o u r l'ave n i r N o u s som mes à u n m o ment h isto ri q u e o ù les formations po u r a d u ltes, cou rtes e t ada ptatives d o m inent les pratiq ues e t l e m a rché d e l'é d u cation perm anente. Toutefo is, e lles ne ré pondent pas d e manière sa­ tisfaisante a ux attentes des travaille u rs co m m e aux enjeux réels des or­ ganisations (Du bar, 2004, p. 97-98) . La recherche-action est une démarche qui laisse d avantage place à l'échange sur le travai l rée l et à la prise en com pte des i nventivités q u otidiennes. Dans des situations c o m p lexes, mo uvantes et incertaines, le développement d'une com pétence à analyser u n systè me social et les pratiq ues q u otidiennes sem b le plus efficace et sensé que d e re n fo rcer les p resc ri pt i o n s théoriq u e s o u de

«

gé re r

»

le

stress, la re lation o u la violence. Il permet au contraire de s'a uto-former en permanence. Se d istancier de son action et la repenser avec méthode, dans u n d ialogue avec ce q u e les sciences sociales offrent co m m e réfé­ rences utiles, prod u it des agilités d u rables et efficaces pour l'action, bien m ie ux que l'a pp lication de recettes ponctuelles. En o u tre, la recherche­ action génère des savoi rs no uvea ux, utiles po u r le s ujet d ans l'action mais aussi pour to us ceux qui sont reliés par cette pratique sociale en q uestion . Elle s e présente alors c o m m e une alternative pédagogique d'avenir, ancrée dans une trad ition pédagogi q u e solide. 1 36

La recherche-action, un moyen depenser et de traniformer sespratiques

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L'expérience de Caho rs (1987-1993) Arève ATCHIKGUEZIAN1

Préa m b u le - Le parcours de formation d'Arève A tchikguézian apparaît exemplaire au regard de l'appropriation des outils de la recherche-action éclairan t et fécondant un engagemen t social au cœur même des problématiques contem­ poraines. Je témoignerai ensuite de mon vécu et de ma pratique de directeur de recherche accompagnant son cursus de DHEPS. Il est cependan t de grand intérêt de produire, en contrepoint, le récit de son propre cheminement, véritable journal de bord restituant à la fois le vécu et le jeu institutionnel donnant à l'acte de for­ mation engagée sa pleine dimension humaine et sociale, par-delà son contenu d'acquisition intellectuelle. Arève a rédigé un document de base plus complet, d'une cinquantaine de pages, détaillant notamment ses références théoriques, le contenu du rapport final de la recherche et son bilan personnel tant sur le plan pratique que stratégique2• Le texte qui suit en représente la quintessence signi­ fiante. Roland Col i n

M

o n entrée dans le D H E PS au sein d u Collège coopératif a été un vrai choix et u n e éta pe décisive dans mon parco u rs de formation et d'exe rcice p rofessi o n n e l. Mais q u a n d j'abord e p o u r la p re­ m ière fois le c u rsus, je n ' i m agine pas u n e seconde qu'il va me mener très loin dans de no uveaux engagements de vie. Mon sou hait d'entrée dans ce parcou rs de fo rmation s'inscrit dans la su ite logi q u e de mon trajet, et 1 Arève Atch i kguezian est a n i matrice de développement local. 2 Arève Atc h i kguezian, D'une Recherche-Action individuelle à un engagement collectif. l'expérience de Cahors (1987-1993) : exclusion sociale et chômage de longue durée, la parole des acteurs, Cahors, 2011, docu ment personnel. -

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En quête d'une intelligence de /'agir

se situe au croise ment de m u ltiples facteu rs, perso nnels, professionnels, m ilitants, et de rencontres détermin antes. U n con texte perso n n e l

Fille d ' i m m igrés arméniens, m o n vécu d'enfant e t d'ado lescente se mêle à ce l u i de la popu lation pa uvre et cosmopolite d ' u n vieux q u a rtier parisien, peu à peu défigu ré par les expu lsions massives entraînées par la rénovation u rbaine du centre de la capitale. Mon enfance a baigné sans « avoi r », m a is dans u n certain éq u ili bre de vie en m ilieu popu laire faite de chale u r h u m aine et d'entraide de voisin age. Consciente de q uelques « différences », je le vis sans aucune stigmatisation. Ce sont des facte u rs extérie u rs q u i vont précipiter mes prises de conscience, y co m p ris dans la déco uverte de ce q ue c'est q u e d'« être pa uvre ». La mort progressive de mon q u a rtier et s u rto ut les agisse ments de certains pro m ote u rs i m m obi­ liers po u r exp u lser les fa m illes vo nt me faire vivre de près les deux a utres vecte u rs q u i ont con d itionné mon existence : le manque de « savoir » pour se défe n d re face à des pe rsonnes sans scru p u les et informées - i n for­ mées s u rtout de notre ignora n ce ; et son corollaire, le manque de « pou­ voi r » : la com b i n aison de l' u n et de l'autre a m e n a nt à se sentir « tout petit » et c'est alors l'écrasement. Il fa u d ra que les tro is q u a rts de mon im­ m e u ble soient vidés (avec q u e ls p rocédés !) po u r q u e les trois derniers locataires dont m a fam i lle se cotisent po u r payer en co m m u n u n avocat. Pen d ant toutes ces années, co m m e tout enfant d ' i m m i grés, je vais trad u i re les cou rrie rs q u i arrivent, entre a utres les injonctions d ' h u issier de déguerpir et le reste ... J'ai 14 ans q u and j'achète pou r la pre m iè re fois u n code civi l en solde pour essayer de c o m p rendre. C'est à travers cette première expérience q u e j'ai repéré l'im portance d u « savoir » com me pre­ m ier palier pour reconq uérir d u « pouvoir », m a is avec u n corollaire : « sa­ voir parler ». Pou r comprendre cela, il suffit de vivre une seule fois dans sa vie le mépris affiché d ' u n q ue lconque e m p loyé d'ad m i n istration face à sa mère et ses tentatives d'exp lications ou de demande d'informations. L'im­ porta nce du « savoi r parler » ne tient pas u n i q uement dans le conte n u : la maîtrise de la langue, mais aussi dans le contenant, c'est-à- d i re soi. Le premier acte d u « verbe » q u i porte, c'est q u'il ne doit pas être u n « verbe » h u m.ilié. La pre m i è re recon q uête d ' u n m i n i m u m de « po uvo i r » p o u r le moi1Js s u r soi, c'est l'a rrêt de la peur et donc de se sentir « ind igne ». Phé­ nomènes de « résilience » ? Révolte profonde devant to ute situation d'in­ j u stice d o n c d'op pression ? Des « mote u rs » se sont m is en place pour com mencer à red resse r la tête. De ux éléments com plémentaires vont soutenir mes premiers choix de vie. Comme je suis la dernière enfant d'une fratrie de trois, des problèmes ·

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fa m i liaux et de santé vont cond u i re ma fa m i lle à u n e attitude éd ucative différente e nvers m o i de celle q u i a préva lu enve rs mes deux aînés, avec q u i j'ai u n e grande différence d'âge. La fam i lle dans son entier me pousse à fai re des études. Par aille u rs, le besoin de gagner ma vie m'amène à en­ tre r en re lation, à q ue lq ues pas de chez moi, avec le c h a u d ron fa ntastiq ue et magi q u e q u'est la « Maison po u r To us » de la rue Mouffetard à cette époq ue. J'ai 16 ans. J'encad re, pour q uelques francs, des activités du jeudi qui s'ad ressent aux enfants d u q u artier. Et je com m ence à baigner dans ce m i lieu et à y rencontrer ces h o m mes et ces fe m m es de 40 à 50 ans, m i­ litants d e l'Ëd ucation populaire, issus de ces m o uve ments d'après guerre, q u i rêvaient de change r le monde en participant à la pro m otion du pe u p le p o u r q u ' i l ass u m e sa citoye n n eté à part entière. À la fo is centre social, théâtre p o p u laire, maison des jeu nes, resta u rant o uvrier, c'est u n lieu de b rassage et de c u lt u re éto n nant o ù se croisent et d iscutent o uvriers d u q u artier, a rtistes, inte llectuels ... J ' y apprends, je m ' y épanouis. I ls seront a ux p re m i è res loges p o u r dénoncer et essaye r d'e n raye r les p rocess us d'éviction des fa m i lles o uvrières et étrangères d u q ua rtier. À ce bain intellectuel et criti q u e va se rajo ute r le lycée et Mai 68. J'ai 17 ans, j'y prends u n e part très active. Co-responsa ble de la m ise en ro ute et de la con d u ite d e la grève dans mon lycée, je me déco uvre des talents d'organ isatrice. C'est à l'issue de ce premier parcou rs q u'après avoir hésité q uelq ue tem ps entre études s u périe u res et engagement dans l'action, je va is c h o i s i r de m e fo rmer à l'a n i m atio n , ce q u i me co n d u i ra à un D E FA (D i plôme d ' Ëtat a ux Fon ctions d'An i m ation) ; je sera i a n i m atrice sociocu l­ t u relle, res ponsable d'an i m ation globale e n q u a rtier p o p u l a i re , je veux promouvo i r l'Ëd ucation popu laire . L'entraide fami liale e t d e s bourses me permettent de faire d e s études, je m u ltiplie les rencontres et « j'avance ». Mais plus j'avance et plus je me sens en déca lage. Je dois gé re r de m u ltiples a p partenances c u lture lles : arménienne et française, sociale d'extraction pa uvre, a p pelée à « monter » dans les classes moyennes, politiq ue (d u monde des « d o m i nés » à ce lui de la protection des « d o m i nants » : je ne m e leu rre pas complètement...!) . Pendant des années, je gére ra i ces a p partenances m u ltiples avec difficul­ tés. Je m e sens à la fois d u « dedans » et d u « dehors » , avec l'envie de basc u le r « dehors » défi n itive m ent pour ma tra n q u i llité, par faci lité. Mais le fait d'être du « dedans » va me permettre so uvent, dans mon exe rcice p rofession n e l, de re pére r très vite les tenants et les abo utissants des si­ tuations re ncontrées. Et le fa it d'être aussi du « d e h o rs », c'est-à-d i re d'avoir q uelq ues outils o u clefs permettant de prendre d u rec u l, me faci lite le u r c o m préhe n s i o n . Deux a u tres d i ffi c u ltés se fo nt j o u r alors avec le monde du « dehors ». Les re pérages du « dedans » sont très souvent de

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l'ord re d u « ressenti » ; alors comment tro uve r « les m ots po u r le d i re » à ceux d u « dehors » ? À cette d i fficu lté s'en joint une autre, celle d u d é n i de ce « savo ir » de l'intérie u r. Mon pre m ie r poste sera a u H avre à la Caisse d'Allocations Fa mi­ liales ; j'y passerai d ix ans. J 'y fe ra i c o n n a issance avec le trava i l social « class i q u e » où les fa m i lles sont traitées au cas par cas. Ma rec h e rche d'appui a u p rès des m i litants o uvriers du q u artie r H LM o ù j'exe rce me fera découvri r q u 'être « m i litant o uvrie r » n'est pas synonyme d'être « m i litant d' É d u cation populaire ». Leu r investissement est essentiellement à l'usine, et ce sont le u rs fe m mes q u i m i litent dans les q u a rtiers. De plus, ô s u r­ prise !, e lles se s ituent plutôt en « dames patronnesses » dans leu rs ra p­ ports aux fa m i lles. J'engage ra i mon te m ps et m o n é n e rgie a u près des enfants, auto u r du livre, des arts plastiq ues et... parfois de la boxe (!) , et a u p rès des adolescents dans la rue, dans l'accom pagnement de leu r ten­ tative d'autogé rer un petit local et d'y créer des activités q u i le u r soient propres. C'est à l'exté rie u r de l'exe rcice p rofession nel, dans mes e n gage­ ments m i litants q u e je retro uve q uelque m otif d'espére r. Avec le Pla n n i n g Fa m i lial : nous som mes dans l e s années 7 0 , et l'avo rtement e s t encore i l­ légal. Les méthodes d'intervention d u Pla n n i n g battent en brèche to ut ce q ue je vis au q uotidien avec mes collègues, assistantes sociales entre au­ tres. Si le premier accueil des fe m mes est to ujours i n d ivid ualisé, très vite, la su ite s' inscrit dans une d i mension collective. La sphère du « privé » de l' une croise alors celle des autres et les fem mes déco uvrent que beauco u p de leu rs problèmes s o n t com m u ns ... J e q u itte Le H avre en 1982. J e pars, sur m utation volontai re, pour la Caisse d' Allocations Fam i liales du Lot. C'est, à cette époque, une des deux o u trois CAF exce ptionnelles en France dont le service d'action sociale in­ nove en profondeu r. L'institution promeut le travail social com m u nautaire, acco m pagne ses é q u i pes de te rrain vérita blement p l u rid isciplinaires dans des actions de q uartier engagées e n soutien aux fam i lles qui y vivent, et en a p p u i des projets dont elles provoq uent l'émerge n ce. Je suis ap pelée à rejoindre une é q u i pe de prévention en plein centre vi lle ancien à Cahors, dans le q uartier des Badernes, avec u n e m ission : porter une attention particulière a ux p ro b lèmes fi nanciers des fa m i lles et à le u rs p ro b lé m a­ tiques d'em ploi. J e propose de l'aborder sous l'angle de « l'économie so­ ciale et solidaire », ce q u i est accepté. Ce q u artier cosmopo lite est en grande partie occ u pé par des fam i lles françaises mais aussi maghrébines, espagno les et portugaises. Elles vivent dans des logements so uvent insa­ lu bres d ' u n espace e n pleine rén ovation u rbaine, avec son cortège d'ex­ p u lsions et de d ra m es. J e me retrouve en terrain très con n u ! 142

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L'a p p u i apporté aux fa m i lles abo utit dans tous les q uartiers à leu r o rgan isation col lective. L'Association des Quartiers d u Vieux Cahors (AQVC) naît en 1980. L'action des fam i lles regrou pées va ré ussir e n partie à i nverser le mouvement d'éviction. Des actions seront menées en d i rec­ tion de la m u n icipalité q u i co m p rend la nécessité de mettre en p lace des opérations H LM de réhabilitation pour accom pagner le maintien en centre ville des populations défavorisées. C'est dans ce contexte q u e la cand ida­ t u re de la ville de Cah o rs est reten ue, en 1985, a u n ivea u national po u r bé­ néficier d ' u n Progra m m e de Développement Social des Qu artie rs (PDSQ) . La partie s u d d u centre ville ancien (les Badernes) et l'ense m b le des q uar­ tiers H LM périphériq ues vont être le s u p po rt d'actions sociales, écono­ m iq ues et cu ltu re lles o ù l'i n n ovation est à l'ord re d u j o u r. Les leaders de ces q ua rtiers, déjà largement « labo u rés » par l'an i m ation com m u na utaire menée par la CAF, vont trouve r là m atière à i nventer. Com pte ten u d u profil de ses a d h é rents, de son expé rience naissante, des enjeux d u q u a rtier, l'Association des Quartiers d u Vieux Cahors va alors p ro pose r u n projet « fou » : prendre en charge e lle-même la réhabilitation d ' u n i m m e u ble. I m­ meu ble sym bolique au demeurant car i l abrite la dernière é picerie d u q uar­ tier ; les propriétaires très âgés vendent. Le projet permet de crée r cinq a ppartem ents sociaux de plus dans le q u a rtier, d' uti liser l'é pice rie co mme local d'an imation. Quant à la réhabilitation, e lle devrait permettre aux chô­ m e u rs d u centre ville d'y tro uver d u travail... L'association ayant déjà acqu is, en 1984, la propriété de l'i m m e u ble avec l'aide de la CAF, le progra m m e de DSQ accepte de soutenir ce projet q u i prend son envol. Et une deuxième association est créée, l' Association Bati-Badern es. Pre m ière association « d ' i n sertion écon o m i q u e », alors q u'à l'é poq ue, n i le conce pt, n i la réglem entation affé rente n'existaient sous cette forme. Elle permet à six person nes, ad h é rentes de l'AQVC, au c h ô m age, avec l'aide de person nes-ress o u rces extérie u res, d'y exe rcer pendant d ix- h u it mois le u r savoi r-faire en prenant en charge la totalité de la rén ovation de l'i m me u ble. Cette opération se concevait comme une a uto-réhabi litation et u n palier s u p p lé m entaire au p rojet de d éveloppe­ ment com m u nautaire e n cou rs. Par ailleurs, les financements d u Progra m me de Développement So­ cial des Quartiers permettent l'intervention d'une O N G de développement, appelée alors le C RAD E, deve n u e ! RAD I E par la su ite, p o u r accom pagner les é q u i pes de te rra i n . Œuvrant essentiellement e n Afri q u e de l'Ouest, basée au Camero u n , cette association fait la promotion du « retou r d'ex­ périence». Les Africains ayant une longue pratiq u e des process us de dé­ ve lo ppement, i ls pouvaient j u d icieusement nous apporter le u r aide. U n accom pagnement d e le u r part ne pouvait q ue n o u s être saluta i re, nous 143

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q u i tâton n ions dans ces no uveaux conce pts et méthodes d'intervention ! C'est ainsi q u e Pa u l Fu chs et Cla u d e Betinga sont interve n u s à Ca hors. Cette no uve lle rencontre va se révéler, pour moi, pri m o rdiale. Ce q u a rtier où je me suis très vite sentie à l'aise, cette expérience professionnelle riche et cette expé ri mentation d'a uto-réhabi litation vécue pendant cinq an nées m'ont profondément m a rq uée, inte rpellée, déstabilisée. Face à mes i nter­ rogations, à mon avid ité d'échanges et de comparaisons, nous a bordons ta question d'une formation com plémentaire, études su périeures... , t' É cote des Hautes Études en Sciences Sociales ... te Collège coopératif... Je choisis te Co llège coopératif. J'obtiens de ta part de ta Caisse d' Allocations Fa m i­ liales ta prise en charge d'une fo rmatio n co m p lémentai re. L'institution a q uelque réticence s u r cette formation longue, à Pa ris, en « Socio logie d u Développement ». Elle aurait davantage com p ris u n e formation de « cadre » o u u n accès en fo rmation s u périe u re de travail social, mais elle acce pte et je ta déma rre en septe m b re 1986. Et à partir de janvier 1987, tes conflits com mencent à appa raître s u r plusie u rs fronts : ce l u i de ta ré habilitation de l' i m m e u b le q u i bat son plein, celui de l'institution CAF elle-même o ù te licenciement inco m p réhensi ble d ' u n co llègue y p rovoq u e une vé ritable onde de choc, et ce l u i d u DSQ.

Le Collège coo pératif : le resso u rcement Mes pre m ières i m p ressions d u Collège coopératif sont d'e m b lée po­ sitives. S u r u n e p ro m otion de 20 à 25 étu d iants, n o u s s o m m es s ou 6 « Blancs » et 2 o u 3 à peine à être s u r des pro b lé m atiq ues franco-fra n ­ çaises. L a majorité des personnes présentes, africaines ou sud-américaines, sont soit elles-mêmes des leade rs locaux de projets de déve lo ppement issus des p o p u lations d i recte ment concernées, soit des res ponsables d'O N G en charge de progra m mes, o u des fon ction n a i res appe lés à leu r re­ to u r à pre n d re des res ponsabi lités. I ls viennent là pre n d re d u rec u l, théo­ riser leu r prati q u e pour m ie ux se ré-impliquer dans le u r terrain d'origine. J e d é c o uvre avec e ffa re m e n t, e n p a rti c u l i e r avec l e s S u d -A m é r i c a i n s , q u ' i ls

connaissent tous tes concepts, méthodes et outils de !' É d u cation popu laire et q u e c'est te fondement même de leu r pratiq ue q uotid ienne de te rrain. I ls tes ont non se u lement inté grés, d igérés, m a is tes ont fait évoluer, en ri­ chis. Chez e ux, c'est encore et toujo u rs « vivant » alors q ue, nés « ici », j'ai vu l'institutionna lisation de tous ces m o uvements, le u r sclérose progres­ sive. Ces rencontres confortent mes convictions. Mais cette i m m e rsion n'a rien d'exotique, elle m'est i m méd iatement n o u rricière, rass u rante. Bien sûr tes terrains sont d ifférents, les problèmes sont spécifiq ues, mais je me rends vite com pte q ue les e njeux sont tes mêmes, tes processu s de d o m i­ nation identiq ues. Mais q uel décalage avec ce q u e je vis en France en ce 144

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q u i concerne les outils d'intervention ! Et je perçois que le PDSQ de Cahors, de façon e m b ryonnaire, sem b le être sur la bonne voie. Comment alors aller plus loin ? Et p u is je vai s fai re c o n n a issance avec ce ux des interven ants q u i vont particu lièrement me marq ue r e t m'acco m pagner dans m o n c u rsus d e formation. D'abord Henri Desroche avec q u i j e cond u i rai m o n autobiogra­ p h ie raison née, ainsi q u e Roland Colin et ses a pports s u r « l'an i m ation lo­ cale », « la partici pation active des p o p u lations aux projets » q u i les conce rnent, et enfi n Bernard Lecomte et toute sa pratiq ue « d'autopromo­ tion et d'auto-évaluation ». C'est avec u n vrai bon h e u r q ue je commence m a formation. Celle-ci déma rre avec l'exe rcice obligato i re et fondamental de l'autobiographie raisonnée. Ce reto u r s u r soi, qui permet de mettre en perspective u n trajet à l'inté r i e u r d ' u n e h i stoire d e vie, ram è n e à la conscience mon pro p re cheminement. Le c u rsus du Collège coo pératif est alors un n o uveau tre m plin où le d i plôme est un élément i m portant, mais u n élément seulement, de la perception progressive q ue la construction d ' u n a utre « futur de vie» est poss i b le, tant personnel que professionnel. Cette p remière p h ase d u c u rsus va m e permettre d e d é blaye r, de mettre des m ots et des concepts e n particulier sur le malaise provoqué par m a place « entre d e ux m ondes ». Le concept de « leader acculturatif » de R. Bastide m'apportera u n e mei lle u re c o m p réhension de m o n senti ­ ment de d o u ble a p partenance et d u rôle positif et « prépondérant des in­ dividus marginaux dans le développement communautaire » , avec la conviction q u e le changement social ne peut s'élargir des i n d ividus à l'en­ semble de la com m u n a uté q u e lorsque cette dernière est en état de crise. Dans une telle période, en effet, « celui qui n 'éprouve pas de conflits per­

sonnels n 'est pas apte à chercher une solution, il reste ballotté au gré des événements ; c'est le plus désajusté alors qui éprouve le plus fortement la nécessité des transformations à opérer, l'urgence d'adhérer à de nou­ velles valeurs ». C'est ainsi q u e j'entre p rends de su bstantielles lectu res

a p rès ces référents de départ. La deuxième phase cond u it à « poser sa problématique ». La mienne était n o u rrie d'abord d'une intu ition profonde : le chômage allait gra n d i r et se transfo rmer en chômage d e m asse, condu isant des franges de p l u s e n plus i m po rtantes de la popu latio n vers des formes de sous-prolétari­ sation. N otre société n'en était plus à vivre des crises successives conjonc­ tu relles, m a is enta m ait u n e p rofo n d e m utation struct u relle par la destruction massive d u travail. Les politiques de lutte m ises en place ne pou rraient gére r ces phénomènes q u'à partir des schémas h a b ituels de pensée et d'intervention de notre société : l'analyse e n terme de bascu le­ ment dans la pauvreté cond u isant à une gestio n des « pauvres », et non à 145

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une com préhension i ntérieu re et à une i nte rvention s u r les phénomènes de pau périsation. Cette intuition fondamentale était accom pagnée de tout mon vécu de terrain, que l'expérience forte d'a uto-ré h a b ilitation de l'im­ m e u b le de l' Association des Quartiers du Vieux Ca hors et ses conflits est ven u e paracheve r. La troisième p h ase consiste à m ettre concrète ment en œ uvre ce choix initial. C'est le conce pt de recherche-action, m is très en avant par la formation du Collège coopératif q u i , cette fois, va m'aider à trouver un fi l cond ucte u r cohérent s u r la manière de réaliser ce travail. J e me rends très vite com pte q u e beauco u p des étudiants présents, en particulier ceux q u i sont engagés à l a base, passent q uelques mois à Paris, l e temps d e s'appro­ prier to us les conce pts fondamentaux nécessai res, et ensuite reto u rnent sur leur terrain réaliser leu r recherche, qui com porte à chaque fois u n travail d'enq uête, dont la fo rmation aborde les différentes tec h n iq ues. À parti r de là, chacun d'entre e ux, en fon ction de ses motivations, de ses possi bi­ lités matérie lles et techniq ues, d u profi l et d u soutien de la d i rection de recherche q u ' i l s'est trouvé, réalise ce trava i l com m e i l l'ente n d . Et à l'i n­ térieur de la recherche-action, je me rends com pte assez vite q u e les tech­ niq ues q u i m'intéressent le plus sont celles de l'e n q u ête participante, et q u e peu nom bre ux sont les étudiants q u i s'engagent dans cette voie mé­ thodologique, s u rto ut q uand elle i m plique, com m e je le so u h a ite, que la « partici pation » passe par la m ise en p lace d ' u n gro u pe local de re­ c h e rc h e . En effet, m o n a p p réciation s u r la q u a lité d e la fo rmati o n , des inte rvenants et de certains praticiens/étudiants, m'appa raît te lle q ue j'ai envie d'en faire profiter le terrain de ma pratique q u otidienne et ses inter­ venants. À ce stade de ma fo rmation, Roland Co lin devient mon d i recte u r de recherche, e t c'est avec l u i q u e je m ettrai en forme l a su ite d u c u rsus dans ses a p p lications.

La m ise en p lace d ' u n gro u pe de recherche -actio n : ses fo n d e m e nts Ce projet de recherche-action que je vais mettre en œuvre sur Cahors s'en racine d o n c lo i n dans m o n h isto i re person n e lle, professi o n n e lle et m ilitante. Mes hypothèses de recherche e n sont issues ainsi que la mé­ thodologie q u i va être a p p l i q uée sur le terra i n p o u r les vé rifier. L'o bjet d'ense m b le de ce trava i l se propose de contri b u e r à élucider q ue lq ues q uestions essentielles concernant la p o p u lation exclue du travai l et les d ifficu ltés qu'elle rencontre pour sa réinsertion. l i repose sur des hypothèses de recherche q u e je me suis effo rcée de vérifier à trave rs une enq uête to u­ chant les parcou rs de vie de la popu lation cible et s u r des hypothèses d'ac­ tion q ue j'ai essayé de cond u i re en privi légiant l'an i m ation et la fo rmation 146

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d ' u n p re m ie r groupe d i rectement concerné par les problèmes traités. Les hypothèses d e recherche q u e je posais ainsi, c'est q u e l'exclusion d u tra­ vai l est non se ulement tributaire de facte u rs économiq ues et socia ux, mais q u 'elle tient aussi à l'évolution des re lati ons sociales qui su bs iste nt o u sont détru ites (solidarité fa m i liale, solidarité de voisinage) et q u'elle peut, enfin, procéder des modèles c u lture ls d o m i n ants q u i, dans nos sociétés ind ustrialisées, privilégient u n e certaine conception de la société où les exclus du travail deviennent des exclus de la société. Ces préliminaires posés, je me suis atte lée à u ne phase de recherche conceptuelle approfondie qui re présentait, à mes ye ux, u n e totale décou­ verte. Elle a fonctio n n é u n pe u comme po u r la trave rsée d'un gué, o ù l'on cherche les meille u res pierres pou r franchir l'obstacle. Ces « pie rres-livres » m'ont so uvent é b l o u i e . Ce rtains aute u rs, tels An d ré G o rz, Pa u l- H e n ry Chom bart de La uwe, Alain To u raine, ont été pour moi, comme u n e main qui o uvre u n lo u rd rideau épais, opaque, et qui so udain dévo i le, révè le à la conscience des pans entiers de com préhension et de co n n a issances, pour certaines tota lement n o uvelles, et c'est co m m e une déflagration de l' i m agi n a i re , et, p o u r d'autres des confirmations q u i rassurent, s u rtout q uand o n a a bordé cet exercice avec telle ment de craintes q ue cela soit par trop « inte llectuel » pour soi. À partir d e là peut co m mencer l'explo ra­ tion d u terra i n .

Le Bassin d 'e m p loi d e Cahors Cahors est la préfectu re d u département d u Lot. Ce département est situé dans le Sud-Ouest de la Fra nce, à la lim ite N o rd de la région M i d i - Py­ rénées. Deux traits essentiels d istinguent, d u point de vue urbain, la région Sud -Ouest du reste de la France : les villes y sont très espacées et de moin­ d re d i m e nsion, d o m i nées par les d e ux métro p o les ré gi onales q u e sont Bordeaux et Tou louse. Mis à part ces deux métropoles, l'ind ustrie n'y joue q u' u n rôle lim ité. Les plans go uve r n e m e ntaux de régi o n a lisation et d ' i n citation a u déve lo p pement o n t pris l e parti d ' u n certa in délaisse ment d e cet espace. Région d'ha bitats tro p clairsemés, avec u n tro p grand n o m bre de vi lles en dessou s de 50 ooo h a b itants, l'i ncitation i n d u strielle ne po uvait pas y don­ ner de ra pides résu ltats. L' image de marq ue de la région met particulière­ m e n t e n va le u r les trad itions gastro n o m iq ues d ' u n pays rura l p rése rvé avec ses sites « nature ls et sa uvages » : la révolution ind ustrielle y est fo rte ment localisée et est parto ut en perte de vitesse . De la fi n d u XIXè me siècle à nos jours, la région Midi-Pyrénées a con n u u n exode m assif. S u r les h u it départeme nts q u 'elle com pte, l e Lot est ce lui des cinq o ù la densité d e la po p u lation avoisine les 30 hab./ km2 (moyenne

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Midi-Pyrénées : 5 2, moyen ne nationale : 101) . D'a utres facte u rs de dégra­ dation étaient constatés : sa structure par âges particulièrement vieillissante, une com position socioprofessionnelle où les chefs de ménage « o uvriers » ou « personnels de service » est la plus i m po rtante et les reve n u s avant i m pôts les plus bas. Le secteu r écono m i q ue y est essentie llement agro­ te rtiaire avec des d isparités régionales très fortes com pte-tenu de l'attrac­ tivité de la techno pole tentacu laire de la région de To u louse, dont la force, mais aussi la fai b lesse, est d'être d o m i n ée par la construction aéronau­ tique. Cette activité y est particu lièrement dynamiq ue, mobilisatrice, mais c'est une mono-ind ustrie prépondérante qui, lorsq u'elle a des difficu ltés, entraîne toute la région avec elle. Le dé partement d u Lot est l' u n des 2 5 départements les plus pau­ vres de France. Les d e ux tiers de la s u rface y sont occu pés par des Causses, secs et désertiq ues, dont la pa uvreté en eau entraîne l'arid ité. L'activité agricole y est encore i m portante. L'i n d u strialisation y est très fai b le et tend peu à a u gmenter. C'est le secte u r tertiaire q u i crée le plus d'em plois et la place des activités artisanales dans le maintien des struc­ tures d'emplois y est essentielle. L'activité ind ustrielle est centrée sur deux pô les, Ca h o rs et Figeac. Ca h o rs est le c hef-lieu du d é partement et en même te m ps la ville la plus i m po rtante. Mais en dehors de son poids dans les domaines a d m i n istratifs, elle est tro p peu peu p lée et tro p fai b lement éq u i pée pour rete n i r la tota lité du département dans sa zone d'influence. Ainsi Ca hors apparaît plutôt comme u n grand chef-lieu isolé, au m ilieu de sous-régions écartelées entre d'autres pôles d'attraction. Tout le N o rd du département est atti ré par B rive. Quant à l' influence de Monta u ban et de To u louse, elle est manifeste. La d e uxième ville d u Lot, Figeac, se situe au croisement de trois départe ments. Elle constitue com m e u n deuxième cen­ tre autonome, grâce à un essor i n d ustriel i m portant, re lié au secte u r aé­ ronautiq ue de To u lo use. C'est sur cette toi le de fond q u e va ven i r s'inscri re l'expéri mentation de la recherche-action à Cahors. Le gro u p e de rec h e rc h e - acti o n de Ca h o rs : h isto riq u e

Po u r com pre n d re, dans c e contexte, l e parco u rs q u i fut l e m ien et celu i du gro u pe avec leq uel j'ai travai llé, il fa ut se réfé re r à une périod isa­ tion. L' h isto i re d u gro u pe de rec h e rche-action de Ca hors s'est déro u lée sur sept an nées de 1987 à 1994. D'avril 1987 à février 1988 : é m e rge n ce et construction du grou pe

C'est en avri l 1987 q u e je prends l'i n itiative d ' u n ce rtai n n o m b re de contacts sur Cahors pour la m ise en place d'un groupe de recherche-action. Ma démarche vise à c réer u n gro u pe transversal qui mé lange les m i lieux 148

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sociaux, les statuts, les fonctions : re présentants d'ad m i n istrations loca les q u i nous avaient paru dépasser le cad re de le ur pratiq ue habitue lle, respon­ sables associatifs/ leade rs de q u artier, travaille u rs socia ux. À partir d ' u n premier d o c u ment q ue je rédige, je le u r propose de mener une réflexion de fon d (d'élaboration c u lture lle) sur la problémati q u e du chôm age et de l'exclusion à partir d e nos expé riences croisées e n la matière. Mais ces person nes ne sont pas p rêtes o u intéressées, o u e lles demandent à vo ir... Quant aux responsables associatifs/leaders de q uartiers, i ls sont d isposés à mener u n e réflexion com m une, mais pas avec n ' i m p o rte q u i ! Dans ce type d'approche q u i le u r pa raît « engagée », i ls ont besoin de se senti r à l'aise et s o u h aitent avo i r le u r m ot à d i re s u r le choix des pa rticipants. Dans ce cadre, dès j u i n , je pro pose un pre m ie r stage de fo rmation sur la RAP (Recherche-Action- Partici pation) avec un inte rvenant mexicain qui l'uti lise dans sa pratique q uotid ienne d'ani mation d u développement. Vi ngt-et- u n e perso nnes participent à ce week-end (trava i lle u rs socia ux, popu latio n - leaders des q uartiers -, tec h n iciens confo n d u s) : c'est u n franc succès. Mais ma lgré l'inté rêt expri mé p a r l a plu part d e s participants, beauco u p d'entre eux ne donneront pas su ite. C'est le cas en partic u lier des travaille u rs sociaux et des tec h n iciens loca ux dont le chef de projet DSQ. Des p ressions co m m encent i m méd iatement à s'exe rcer sur les mem­ b res d u gro u pe issus des q ua rtiers pour q u' i ls cessent le u r partici pation. Le u rs associations d'appartenance se posent des q uestions, le responsa­ b le du DSQ se demande si nous ne préparons pas les prochaines élections m u n icipales ... En déce m b re 1987, le gro u pe est fi n a lement com posé de six per­ sonnes. Malgré ce petit nom bre, il décide de po u rsu ivre la démarche. Ainsi com mence-t-il à formaliser son existence, d'abord en se donnant un nom : le G ro u pe d e Recherche-Action d u Lot (G RAL) , en rédigeant u n texte fon­ date u r, synthèse d e ces pre m iers m ois de réflexion, q u' i l appe lle « Texte d'Orientation », et q u ' i l souhaite diffuser s u r Ca hors. I l annonce son inten­ tion de mener à bien u n e enq uête partici pante en réa lisant l'interview de 60 chômeurs de longue d u rée dans le Bassin d ' e m p loi de Cahors. Ce « Texte d'Orientation » est u n texte « politiq ue » a u sens no ble du te rme. Il d it esse ntielle m e n t et b riève m e n t deux c h oses. D'a bord il a

fait siens d e ux constats : le c h ô mage est le rés u ltat de la transfo rmation radicale des moyens de pro d u ction, le « trava i l » se pose comme ré m u né­ ration issue essentiellement de la fa brication et de la conso m m ation de biens m atérie ls. O n e n c h aîne alors sur une q uestio n d e fo nd : d o it-on considére r q ue notre société n e vit q u ' u n e crise éco n o m i q ue, ou s'agit-i l aussi d ' u n e crise de l a C u lture ? Cette analyse expri m e d e ux utopies : le souhait de participer à la conce ption d ' u n p rojet de société re posant s u r

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d'autres va le u rs q ue les va le u rs écon o m iq ues et tech n ocratiq ues censées être les seu les à créer des besoins engendrant la rém unération d u « travail h u m ain », et d'arrive r à installer u n « D roit aux m oyens de vivre » entraî­ nant recon n aissance et relations socia les en contrepartie de « tout travail utile » à la société. Le G ro u pe de Recherche-Action commence une d o u ble recherche. S u r lui-même, le gro u pe et sa réflexion sociéta le et dans le m i lieu local où i l veut con d u i re une enq uête-participante pour « rencontrer des personnes

et des familles qui vivent ou survivent de façon subie ou choisie hors des circuits habituels du travail, donner la parole à ceux qui ne l'ont pas, par­ tager avec ces personnes ce que nous espérons et pensons, impulser de nouvelles actions indépendamment des spécialistes qui pensent pour nous ». La demande de « se fo rmer » émerge très vite dans le gro u pe . De

mon côté, à trave rs m a fo rmation et mes contacts avec diffé rents c h e r­ che u rs à Paris, je me conforte dans la conviction d'appuyer ce projet d'en­ q u ête s u r u n e a p p roche scientifi q u e . L'o u t i l pertinent d ' u n e e n q uête participante, c'est l'interview, exigeant un m i n i m u m de form ation . C'est alors l'idée du D E FA (Di p lôme d' É tat aux Fonctions d'Ani m ation) q u i surgit dans mon i m agi n a i re. Il y ava it là l' idée d ' u n e fo rmation de d e uxième chance o u d'une troisième voie. J'a llais accéder moi-même à u n d i plôme, alors pou rq u o i pas ceux du gro u pe qui po uvaient le souh aiter ? Ma p re m i è re p rospection en la m atière se fe ra en d i rection des CEMEA qui, à l'é poque, tentent une expérimentation en région Languedoc­ Roussillo n . La responsa ble de cette formation q u e j'a u rai a u té léphone, me prend ra de très haut... C'est en déce m b re 1987 que j'établirai le premier contact avec Jean Blan pied, d i recte u r du CN FLP (Centre National de For­ mation Loisirs et Promotion) , proche de la C FDT. Je connais cet o rga n isme dont l'enve rgure est loin d'être celle des C E M EA. Il est i nterve n u dans ma formation D E FA entre 1970 et 1972. Jean Blan pied ne rejette pas l'idée, ne le prend pas de ha ut, i l écoute. Sa conclusion est q ue ma proposition est en grande partie dérogatoi re par rapport au D E FA « classique » : e lle est i ntéressante mais elle va cond u i re « à sou leve r des montagnes ». D'autre part, le gro u pe est bien trop petit pour constituer une « promotion ». C'est, d'em blée, une o bjection difficilement su rmontable. Cette période est aussi celle o ù vont se nouer les premières difficul­ tés avec mon e m ploye u r. Après le succès de la réu n ion-test in itiale d'avril 1987, j'essaie d'expliq uer, d'argu menter po u r inscri re cette expéri m enta­ tion et en particu lier l'organ isation du stage RAP, sous la ban nière de la CAF, dans la s u ite logi q u e du trava i l social com m u na uta i re réa l isé, et com me un palier co m p lémentaire au p rocessu s de développement social des quartiers. C'est un refus. Après avoir prod u it, à la demande du service, 150

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u n bi lan de ma pre m iè re année de fo rmation , ainsi q u ' u n e n otice de projet concernant la mise en place du gro u pe de recherche-action, deux rencontres vont avoir lieu, l' une en novembre, l'autre en déce m bre 1987, avec la totalité des cad res du service « action sociale » devant q u i , je dois « m'expliq uer ». La deuxième ré union a u ra les mêmes interlocute u rs, et Pau l Fuchs d'I RAD I E y sera p résent. L a solution p ro posée par u n cadre est q ue l e gro u pe lui­ m ê m e p résente son projet. I l doit exp liq uer par écrit e n q u oi i l a beso in d'aide et d é pose r u n e demande de su bvention « en nature » (m on te m ps de trava i l) . La co m m ission d'action sociale q u i décide de l'octro i des s u b­ ventions aux associations ve rra alors ce q u'elle a à faire. Le gro u pe accepte. Il rédige un document intitulé « Note d'intention à la CAF » avec une demande de détach e ment à mi-te m ps m e concernant, assortie d ' u ne sollicitation officie lle pour re ncontre r les a d m i n istrate u rs de la CAF. En février 1988, la com m ission se ré u n i ra sans a utre fo rme de concertation et décidera de rejete r la demande. À partir de là, i l est clair q ue si je décide de pours u ivre la démarche engagée, elle le sera entièrement s u r mon te m ps person n e l. Dans ce d é m arrage, le pre m i e r a p p u i dont je va is bénéficier, c'est ce lui d e l'O N G 1 RAD I E. Pau l Fuchs, pen dant cette période va m'acco m pa­ gner et co-animer les ré unions de réflexion du groupe à raison d'une soirée par mois. Le deuxième a p p u i sera ce lui de Roland Coli n , q u i avait acce pté, dès février 1987, de deve n i r m o n d i recte u r de recherche, avec l' hypothèse de la création d ' u n gro u pe de rec h e rche-action à Ca hors. C'est ainsi q u'en nove m bre 1987, une pre m ière rencontre aura lieu entre Pau l Fuchs et Roland Coli n . Il est en effet n écessaire q u' i l y ait cohérence entre l'instance « d'ac­ com pagnement terrain » que re présente ! RAD I E et l'instance de recherche, com posée d'une équ ipe de terrain, groupe en formation d'enq uêteurs inter­ venants, animé par un praticien de la recherche-action en fo rmation, moi­ m ê m e , et s u pervisé p a r m o n d i recte u r d e rec h e rche, Roland Coli n . I ls confirment, l'un et l'autre, le u r volo nté de contin uer à soute n i r ce projet m a lgré les d iffic u ltés con statées. La q uestio n com m ence sérieusement à se poser de savoi r co m ment m até rie llem ent, l'en q u ête et l'an i mation d u gro u pe vont po uvo i r être prises en charge, dans u n tel contexte . En janvier et févrie r 1988, je commence le trava il d'échantillonn age et la conce ption d ' u n pre m ie r guide d'entretien. La q uestion est clairement posée de mettre en p lace une no uve lle séq uence de fo rmation et cette fois sur les tec h n iques d'enq uête mais avec q u i, comment, avec q ue l finance­ m e n t ? La q uestion est posée à Rola n d Colin de savo i r s' i l co n n aît q uelq u ' u n q u i pou rra it n o u s aider. I l acce pte cette res ponsabi lité. À partir de ce m o m e nt-là, i l va s'engage r non se u lement e n tant q u e d i recte u r de recherche, mais a ussi co m m e réfé rent scientifique, accom pagnant s u r le te rrain le gro u pe de recherche-action et ce, pendant cinq an nées, de 1988

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jusqu'à la fin de l'expé rimentation q u i se clôture ra par u n colloq ue de trois jours à Ca hors e n 1993 et par son évaluation, en 1994. De février à septembre 1988 : le tournant

Février 1988 m a rq ue u n to u rnant dans le projet, car c'est à partir de cette date q u ' i l « sort » de Cahors. Nous participons ainsi à Nyons dans la D rôme au « Forum du Contrat Fam i lle des Baronn ies » (l'éq u ivalent du DSQ mais p o u r le m i li e u r u ra l) d o n t l'o bjet est de fai re un point d'étape s u r l'avan cée d u progra m m e . Ce lu i-ci est très i n n ovant avec l a m ise en place de projets d'écono m i e sociale d ivers dont ce l u i d ' u n café-resta u rant as­ sociatif, lieu d'expéri mentation, de formation et d'insertion. Il y a u ra des re présentants m i n isté riels présents. Pa u l Fu chs s o u h aite q u'on y inter­ vienne officiellement pour expliq uer notre tentative cad u rcienne et la « tes­ ter » dans u n tout autre contexte. N o u s serons u n e d é légation de trois personnes du gro u pe à y aller et nous y recuei llerons une appro bation et une recon n aissance positives. Nous y rencontrerons a ussi des responsa­ b les m i n istériels, intéressés, inté ressants et q u i vont n o u s ouvrir le u r car­ net d'adresses. Va s'enclencher, à partir de là, to ute une série de contacts. C'est ainsi q ue nous sommes reçus à la M I R E (Mission I nterm i n is­ térielle de Recherche) d'abord, en la personne de son d i recte u r. Cette ren­ contre est organisée à la suite d'une entrevue entre Roland Colin et moi d'une part, et une conseillère d u ministère des Affaires Sociales, Marie- Dominiq ue Calça, q u i s'inté resse a u p rojet et nous intro d u it a u p rès de M. B rams, D i recte u r de la M I R E. Ce dernier se déclare très intéressé : la pro b léma­ tiq ue du chômage est d'actualité. Com pte-tenu de son am pleur, elle devient « un sujet de recherche ». N otre ap proche est originale et convaincante, mais, il est nécessai re q u'on e m b rasse la tota lité du Bassin d'em ploi de Cahors, qu'on focalise sur le pu blic des c h ô m e u rs de longue d u rée. Les 60 i nterviews ne se m b lent pas suffisantes. Et il nous fa ut a ussi u n référent scientifiq ue. Nous devons lui envoyer une n otice de rec herche dans les plus b refs délais. Il tro uvera des financements pou r la réalisation : une en­ ve loppe de 150 ooo F pou rrait être débloq u ée. U n document intitulé « Contribution à la défin ition d'une politique locale de développement social s u r le Bassin d'emploi de Ca hors/ Projet de recherche » est e nvoyé à la M I R E dès le mois de m a rs, sous le contrôle de Roland Colin q u i accepte d'en être le référent scientifiq ue. En j u i n 1988, une de uxième rencontre avec le d i recte u r de la M I R E donne les rés u ltats su ivants : le document q ue nous avons fo u rn i où nous proposons de ra­ jouter 80 q u estionnaires aux 60 interviews q u e nous com ptons fai re, n'est pas assez « u n iversitaire», il faut en réd i ge r un autre ... Roland Colin nous aidera à le réd i ge r... Le d i recte u r de la M 1 RE n o u s promet u n e ré ponse 15 2

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avant l'été avec u n financement q u i gri m pe à 2 5 0 ooo F. En o utre, à l'issue d e cet e ntretien, i l me remet une lettre officielle signée de sa main où il confirme son intérêt pour notre projet, affi rme q u ' u n contrat de recherche M I R E/G RAL va se concrétiser d'ici septe m b re. En j u i n , devant l'absence d e réponse, Roland Colin écrit officielle m ent à la M I R E. N o u s a u rons la ré­ ponse pendant l'été : c'est le rejet ! Mais nous po uvons concou rir. La M I R E va j u stement lancer u n a p pel d'offres s u r les problé matiq ues d u chômage, q u i sera d oté d'une enve loppe de 200 ooo F. N o us décidons de concou ri r. La ré ponse défi n itive n o u s parviend ra e n déce m b re 1989, soit u n an et demi a p rès le premier contact avec cette institution . Ce sera un refus, car n otre rech e rche n'est pas « fo n d a m e ntale » , m a is plutôt de type « re­ cherc he-action », ce q u i n'est pas com pati ble, nous d it-on, avec les o bjec­ tifs et les règlements de la M I R E ! Avec le m i n istère des Affai res Socia les, m algré la d éfection de la M I R E, va se constru i re un parte n a riat fo rt q u i su ivra l'expéri mentation j usqu'à son terme e n 1994. Marie- D o m i n i q u e Calça est intéressée par la recherche sur le c h ô mage et sa méthodo logie, elle pense pouvo i r paye r l'exécution de ce trava i l sur des reliq uats de c rédit de fin d'an née, entre 5 0 ooo et 150 ooo F. Pa rallèlement, s'o père u n e rencontre avec le FN DVA et le m i nistère de la J e u n esse et des Sports, p o u r q u i ma présentation des prém ices d ' u n projet de D E FA expérimental sera reçue avec beaucoup d'in­ térêt. En avril 1988, a u ra lieu le premier week-end de formation avec Roland Colin accom pagné de Renée, sa fem me, spécialiste de l'autobiographie et des « h istoires de vie » avec q u i nous fina liserons l'échantillo n n age et le guide d'entretien à partir de la critique des tro is entretiens-tests q u e nous avon s déjà réalisés. Le gro u pe de recherc he-action conti n u e à se réu n i r et à travailler. Toujou rs accom pagné par Pau l Fuchs, la réflexion de fond porte désormais s u r « l'éco n o m i q u e ». Entre m a rs et avri l 1988, le gro u pe va p rend re u n ense m ble de décisions i m po rtantes. L'éventualité de recevoir des s u bventions face à l'offre de service d e recherc h e nécessite que le G RAL, gro u pe informel, se formalise. I l décide alors de créer u n e associa­ tion, indépendante de la structu re initiale, s o u haitant sym boliquement et concrètement sépare r le « grou pe de réflexion » d u « gro u pe d'action », et il l'ap pelle « SOL » . D'autre part, alors q ue le gro u pe fre inait majoritai re­ ment des q uatre fe rs pour p re n d re en com pte le D E FA comme une com po­ sante à part entière d u p rojet global (tro p lo u rd , tro p de te m ps ... ), la décision est prise, a p rès ce pre m ie r stage « techniq ues de recherche », de re pre n d re l'hypothèse, au moins pour ceux q u i veu lent valoriser l'expé­ rience vécue à trave rs la reconnaissance d ' u n d i plôme. D'a utant q ue cette formation « q u a lifiante », si e lle était m ise en p lace, devrait permettre une 15 3

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prise en charge financière des personnes a u chômage a u titre de la forma­ tion professionnelle. U n e pre m iè re rencontre gro u pe/CN FLP est alors pro­ grammée à Caho rs a u mois de m a i 1988. Cette période m arq ue a ussi l'entrée de deux no uvelles personnes et le dé part d ' u ne autre : nous som mes sept dès lors. Le G RAL présente son projet et le « Texte d'Orientation » évoqué plus haut dans les q ua rtiers de Cahors, par l'intermédiaire de réu n ions a n i m ées par des dé légations d u gro u pe. Cette année est houleuse s u r le plan d u DSQ. E n avril 1988, les as­ sociations de quartier, pour la pre m ière fois, vont sou haiter qu'un Com ité de Pi lotage d u DSQ se réu n isse à leur demande, car elles ont des explications à solliciter et des revend ications à présenter sur l'évolution et les choix d u programme. La responsabilité de cette in itiative m'est imputée ! Le cou rroux du chef de projet DSQ est grand. Il réclame ma convocation « d isciplinaire » à ce com ité de pi lotage, évoque mon licenciement, souhaite remettre e n cause l e contrat d'acco m pagnement d ' I RADI E. I l est d'autant plus fu rieux q u'il sait que j'ai a ussi rencontré, à Paris, une responsable du Com ité Na­ tional d u DSQ q u i s'est enthousiasmée p o u r n otre projet fondé s u r la par­ tici pation des habitants, pie rre angulaire des progra m mes d'inte rvention de l'époq ue. La pression monte entre les membres d u gro u pe, qui sont aussi leaders associatifs. Le conflit « DSQ » provoque en interne des clivages forts. À partir de j u i n 1988, nanties de la « fa me use » lettre d'engagement i n itial d u d i recte u r de la M I R E, des dé légations d u gro u pe vont pre n d re contact avec l'ense m b le des partenaires locaux (Ma i rie de Cahors, Consei l gén é ral d u Lot, Préfect u re d u Lot, AN PE, D DT E) . C e t été-là, deux d o c u ­ ments vont être réd igés : l' u n concerne l e projet de formation D E FA pou r préparer les négociations dérogatoires au n iveau nation al, l'autre est le protocole de recherche « plus u n ive rsita i re » demandé par la M I R E. Pen­ dant toute cette période, le grou pe fon ctionne à raison d ' u n wee k-end par mois de réflexion/analyse sociale et formation méthodo logiq ue, encadré par Roland Colin, alors q u e des ré u n ions plus organ isationnelles se tien­ nent une fois par semaine selon les nécessités. N'ayant aucun financement exte rne, toutes les tâches sont a u to-fi n a n cées (te m ps, matériel, locaux personnels, télé phone, etc., m is à d isposition d u grou pe) , et les interven­ tions pédagogiq ues se font s u r le mode d u bénévolat. En septe m b re 1988, je pose à la CAF u n e prem ière demande de travai l à tem ps partiel. D'octobre 1988 à septembre 1989 : la m o ntée e n p u issa n ce

Les négociations tous azim uts, l'accom pagnement d u gro u pe, le tra­ vail d'enquête q u i a démarré : les tâches se m u ltiplient. Aussi le gro u pe se réorgan ise-t-il com p lètement à la rentrée. Un no uveau membre bénéficiant d'un contrat aidé et u n autre, bénévole, vont prend re en charge à m i-temps 154

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les activités de l'association . L'organ isation prend ainsi de l'a m ple u r. Une réu n ion hebdomadaire avec u n repas com m u n constitue u n m o ment im­ portant d'échanges et de décisions. Ces te m ps de re pas sont a ussi des moments de « tab le o uverte » q u i accuei llent d'autres personnes ou as­ sociations sym pathisantes. Plusie u rs personnes de Cahors demanderont leu r entrée dans le gro u pe cette an née-là. Nous participons avec d'autres associations cad u rciennes à des manifestations en Midi-Pyrénées ou dans la D rô m e (en lien avec d es associations intermédiaires et le COO RACE) . Les wee k-ends de réflexion se poursu ivent, traitant de l'économique et d u politiq ue e t posant l a q u estion d u « sens ». La réhabilitation d u politique passe par celle d u culturel et d'une interrogation sur les valeu rs. La réflexion consécutive s'oriente alors plus franche me n t ve rs les aspirations d u gro u pe. Ces séq uences sont de véritables m o ments de fo rmatio n socia le, d'éd ucation popu laire, de « conscientisation », visant à i maginer le futu r. Ainsi, pendant trois ans, au rythme d'une réu n ion par mois, ce gro u pe de six à neuf person nes, m ajoritairement sans bagage d'études s u périeu res, va mener une réflexion sur notre société, en constru isant pe u à peu son « utopie de vie » partant de l'expérience vécue. Cette démarche nou rrit la défi n ition d'o bjectifs com m u ns, d ans le cad re d ' u n projet de société (le « projet d u G RAL ») et ses contreparties d'organ isation sociale, écono­ mique et politiq ue a lternatives. Par aille u rs, u n e pre m ière planifi cation du travai l de recherche fait l'objet d'une élaboration collective. Les contacts se p o u rsu ive nt, les négociations à p ropos d u D E FA avancent. À la fin de l'année 1988, le m i nistère des Affai res Sociales tient sa promesse et décide d'accorder une subvention de 100 o o o F pour financer la recherche. Par contre, la CAF a refusé mon tem ps partiel. Les ren contres locales sont fré q u entes à cette période (Préfectu re, Conse i l général, D DASS, AN PE, BAS, Associations ca ritatives) y com pris pour a pporte r de l'aide à la fabrication de l'échantillonnage : tous acce ptent d'ouvrir le u rs fic h i e rs. Des contacts avec la Région ont d é m a rré (D R F P, D RJ S , D RASS, Conseil régional) , avec le délégué national du CN FLP pour l'o btention de l'agrément D E FA, et la réflexion porte éga lement sur une rém u né ration possible de mem bres du gro u pe comme « stagiai res » a u titre de la for­ m ation professionnelle, si on o btient l'agrément de formation. À cette même période, le RM I se mettant en place, le Conseil général du Lot accepte que le gro u pe, à travers l'association SO L, partici pe à la Com m ission Locale d'insertion de Cahors et même au Comité Départemen­ tal d'i nsertion, mais nous refusons cette d e uxième offre devant l'am p le u r de l'engagement demandé, to ujou rs « bénévole ». Le gro u pe se situe s u r Ca hors c o m m e u n e fo rce de pro positions avec d e s éléments de réflexion q u'elle apporte sur ce q ue pou rrait être une « politique d'insertion ». Un 15 5

En quête d'une intelligence de /'agir

membre d u groupe travai lle avec la D DJ S s u r des propositions conce rnant les « chèq ues loisirs » et leu r adaptation aux personnes en situation de RM 1. Mais l'intensification de to us ces contacts avec le u r contrepartie de ré u­ n ions, de rendez-vo us, de prise en charge de dossiers, pèse lou rd . L'éq u i pe « permanente » s'esso uffle. Pendant ce te m ps, j'ai d éposé en m a rs 1989 une demande, à n o uveau, de trava i l à te m ps partiel, à la CAF q u i va me l'accorder pour trois m o is. En j u in , je réité rerai donc ma demande et j'ob­ tiend rai u n m i-te m ps s u r deux ans, de j u i llet 1989 à j u i n 1991. Les stages « recherche » a n i més par Roland Colin se pou rsu ivent ré­ gulièrement. La réflexion de fond contin ue pendant ce tem ps-là, toujours s u r « l'éco n o m i q u e » . I l est décidé d'expé rimente r u n e « tontine » p o u r ré pondre a ux d i ffic u ltés financières récu rrentes de certains d'entre nous. En effet, l'éq u i pe s'est étoffée et com pte maintenant d ix m e m b res. Mais ces adhérents s u p p lé menta i res cooptés sont des person n es a u chôm age et se d isent essentiellement inté ressées par la formation D E FA. Au n ivea u national, les contacts avec le m i n istè re des Affai res So­ ciales se sont i ntensifiés et con d u isent à installer u n e collaboration avec le m i n istè re de la J e u nesse et des Sports auto u r d u p rojet, ce q u i va l u i d o n n e r u n véritab le coup d'accélérate u r. L'été 1989 apporte d e ux bonnes nouve lles : la D OTE accorde 100 ooo F d'aide pour la recherche, et l'agré­ ment DEFA est o bte n u pour un grou pe de « stagiaires » entre h u it et douze personnes. La proposition de mettre en place une formation au long cours en conti n u , permettant à des personnes majoritairement de n ivea u 4 d'en­ trer dans u n cursus les cond u isant à u n n ivea u 2, est donc acceptée. À ce titre, d i ffé rents dis positifs légaux vont être m o b i lisés, non pas de façon ponctuelle, aléatoi re et dispersée, mais l' u n après l'autre, com bi n ant, en fonction d'un processus et d'une méthodologie de formation d û ment ex­ plicités, le croise ment de financements locaux, régionaux, nationaux sur l'ensem b le d u parco u rs, avec la prise e n charge de la rém u n é ration des stagiaires au titre de la formation professionne lle. L'accord passé avec les i nstances nation a les va permettre non pas de sélectionner les cand idats à l'entrée dans le c u rsus, mais de faire une évaluation de le u rs capacités pour mettre en place, à trave rs la fo rmation, les méthodes, conte n u s et o utils nécessaires à leu r accession au n ivea u req u is de sortie du D E FA. Cet examen fin a l étant, lui, conforme aux atte n d u s et règles habituels en vi­ gue u r, l'ensem ble des étapes personnalisées fera l'objet d'un « livret de parco u rs » réd igé de conce rt entre l'a pprenant et l'é q u i pe pédagogiq ue. D'octobre 1989 à septembre 1990 : l'a n n é e d e t o u s l e s conflits

D u rant le dernier trimestre 1989, la fatigue gagne, de nouvea ux dos­ siers sont m is en route pour les rém unérations des stagiaires, le q u atrième 156

En quête d'unepratique sociale deformation soutenue par la recherche-action

dossier M l R E doit être fait. Une n o uvelle réorgan isation d u gro u pe est d is­ cutée : les nouveaux arrivés sont sollicités pou r prendre en charge des res­ ponsabi lités et des tâches. Les contacts avec la D R F P, la D DTE, l'AN PE, le Conseil gén é ral se pou rsu ivent. La fin d u trim estre est très difficile. Les wee k-ends de réflexions/moments de convivialité sont abandon nés. Le gro u pe « craque » . Ëcartelée entre u n mi-te m ps CAF, o ù je s u bis u ne « pla cardisation » progressive avec une dimin ution régu lière d u champ recon n u de m e s com pétences et de m e s m issions, e t u n mi-te m ps G RAL où tout à n o uvea u se bloq ue, je tombe m alade. Le gro u pe gère seu l les problèmes n o uveaux et in atte n d u s qui sont ap parus avec la D RJ S q u i gèle l'organisa­ tion de la sélection d'entrée « dérogatoire » à la formation D E FA et ainsi le déma rrage de la rém u né ration des stagiaires. Le gro upe com p re n d désorm a is do uze personnes. Il a coo pté de no uveaux mem bres d e façon s u bstantielle d e p uis q uelques mois, po u r renforcer l e nombre de stagiaires D E FA, deve n u fi liforme dans l a mes u re o ù certains membres d u gro u pe initial ne sou haitent pas y participer. Po u r cela, i l a fait fi de t o u s les critè res q u i avaient régi l e s « cooptations/ex­ clusions » p récédentes, pou r n e plus accueillir q u e des personnes au chô­ m age prio ritai re ment intéressées par l'éventua lité de partici per à u n e formation q u alifiante et rém u nérée. D'autre part, plusie u rs membres ont vu leu r situ ation personnelle se dégrader et i ls sont passés au R M I . Cette situation alourd it l'am biance du gro u pe où le bénévolat est de plus en plus mal s u p porté. C'est dans ce climat que la M I R E annonce son « lâchage » défin itif. La sélection d'entrée au D E FA a finalement lieu en janvier 1990 et tous les candidats réussissent. Mais il n'y a toujo u rs aucun financement effectif pour mettre en place la formation . Le conflit avec la D RJ S prod uit un effet « bo u le de neige » sur Ca hors. À cela, s'ajo utent d'autres facte u rs q u i p rovoq uent une dégradation des contacts avec les institutions locales. Le gro u pe décide alors d'arrêter l'enquête, et de ne plus se consacrer q u'à la recherche des financements. À ce moment-là, le travail en est au point s u ivant : 52 interviews a utobiographiq ues ont été réalisées, i l en reste 8 à fai re, 4 2 transcriptions ont été effectuées, dont 3 7 saisies, et il y a 8 in­ terviews p rêtes à être dépo u illées pour analyse. C'est entre janvier et j u i n 1990 q u e le projet collectif va pre n d re sa forme défin itive. Le gro u pe se mobilise donc en entier s u r la recherche des financements et cherche l'a p p u i d u « nation a l » po u r « décoincer» le par­ tenariat local. Nous nous rendons e n délégation i m portante à Paris pour rencontre r notre i nte rlocutrice du m i nistère des Affai res Sociales. Celle-ci, q u i a parfaitement compris les blocages locaux, décide de nous aider à les lever. Elle va fai re agir un ce rtain n o m b re de « réseaux » po u r aboutir à u n e réu n ion globale à Cahors, q u 'e lle provoque et à laq uelle sont invitées 157

En quête d'une intelligence de /'agir

les institutions politiques et a d m i n istratives locales, régionales et n atio­ nales conce rnées par le projet. Un consensus apparaît alors po u r soute n i r l e travail d u gro u pe dans to utes ses d imensions : recherche/fo rmation/ac­ tions, avec la m ise en place d ' u n com ité de s u ivi inter-partenariat. Mais, globalement, les institutions locales garderont l'i m p ression de s'être fait arracher cet accord . Depuis p lusie u rs semaines, l e Consei l généra l e t l a CAF négocient pour rechercher une forme de « d étachement» me concernant, sans trou­ ve r de solutions. J e re prends le travail en octo bre 1990 et la CAF va enfin accepter de m'octroyer u n « congé sans solde » pou r un an à partir de février 1991. Ce congé se transformera l'année su ivante en « congé sabbatique » pour finalement aboutir à ma dém ission en début d'an née 1993. Mais cette an née-là a u ra vu a ussi avorte r, les unes après les a utres, toutes les tenta­ tives d'organ isation i nterne : prise en charge des enfants, gro u pe H a bitat, maraîchage. Depu is plusie u rs mois, la présence plus récente de person­ na lités fo rte ment atypiques avait conforté le groupe d'origine dans sa pro­ pension à i m aginer la m ise en place d'actions altern atives. Ces no uveaux arrivants avaient les ca pacités de « leade rsh i p » n écessaires pour en as­ sumer la réa lisation, mais pas seu ls. Ainsi, par exe m ple, du projet de met­ tre en place u n S E L (Service d' É changes Locaux) , encore e m b ryon naire en France et totale ment incon n u en M i d i - Pyrén ées. Dans ce contexte, des conflits d ivers naissent tout a u long de ces derniers m o is sur le partage des responsabi lités et des tâches à ass u m e r, et la défi n ition d u « contrat de chacun » dans le gro u pe est plutôt h o u leuse. C'est aussi l'année où la réflexion de fond a m a rq u é le pas. La tentative de synthèse écrite com me élaboration c u ltu re lle, appelée « le projet du G RAL », s'est faite dans u n climat ten d u . Le débat s'est focalisé s u r l e statut de chacun d a n s l e gro u pe, e n q ualité « d ' i nsérés » o u de « désinsé rés », et s u r la s ign ification d u concept m ê m e d'inse rtion, consacrant d éfin itivement une partitio n « chô­ m e u rs/ actifs ». Le c lan des « c h ô m e u rs » va prendre le pouvoir, contre le noya u fondate u r et contre m oi... Et c'est au moment où le gro u pe a réussi à gagner les fi nancements pour son projet dans la d u rée q u ' i l i m p lose. S u r le dernier trim estre 1990, la d ivision est consom mée avec le départ progressif, n o n se u le m e nt de certains m e m b res fon d ate u rs, mais aussi des « alte rnatifs » déçus dans leu r attente de ne pas être encore « passés à l'action ». Ces derniers ont to us co m m e dénominate u r com m u n de ne pas être inté ressés par la for­ mation, tout d u moins dans son aspect « d iplômant », alors q ue la m ajorité des a utres m e m b res, principalement « c h ô m e u rs de longue d u rée » o u R M l stes est en atte nte de s a m ise e n place. Le G RAL, gro u pe fondate u r, et son projet sont morts. 158

En quête d'une pratique sociale deformation soutenuepar la recherche-action D'octobre 1990 à septembre 1991 :

la réo rga n isation ou la « re - n o r m a l isatio n » d u process us

J usq u'alors le G RAL et l'association SOL se confondaient et l'ense m­ b le d u gro u pe faisait partie d u conseil d'ad m i n istration de SOL. U n e fois, le G RAL mort, l'association SOL va prendre le relais en rem p laçant le mode de gestion coopératif et autogestionnaire par u n fonctionnement associatif, avec u n e recom position totale des statuts et d u conseil d'ad m i n istration. S uite à la partition, les « insérés et les alternatifs » ayant progressive ment dém issionné, il n e restera plus dans la structure q ue ceux qui so u haitent pours u ivre le D E FA. L'association SOL se réd u it alors à n'être plus q ue l'as­ sociation des stagiaires D E FA. Dans ce tout n o uveau contexte, la q uestion q ue j'arrête tout et dém issionne s'est sérieusement posée, mais j'ai espéré q ue le processus de formation q u i se clôtu rait par l' U F « d'expérience pro­ fessionnelle de te rrain » avec la réd actio n d ' u n m é m o i re fin a l, pou rrait participer à l'é mergence des « actions » ... Et p u is des financem ents, se pours u ivant au moins sur deux ans, étaient acq u is. Nous avions gagné les financements mais perd u le projet, com m e si l' u n avait tué l'a utre ... Dans ces circonstances, l'ensemble du processus s'est « normalisé ». La totalité des activités s'est recentrée sur la formation DEFA. La recherche, q u i a été i ntégrée à l'intérie u r de l' U n ité d e Formation « Envi ronne ment Social de l' Animation », redé m arre, et Roland Colin reprend les stages de formation à la fin de l'année 1990. Le processus et les m o d u les de forma­ tion sont m is en place. Nous som mes entrés finalement dans u n « projet d'insertion » dont les « stagia i res » vont être les bénéficiaires, avec une redéfinition des hypothèses concernant leu rs projets de vie. Un com ité pé­ d agogique est constitué avec les d i fférents partenaires q u e sont 1 RAD I E o ù Claude Bélinga va rem p lacer Pau l Fuchs, Roland Colin a u titre d e l' i RFED et Jean Blan pied p o u r le CN FLP, afin de pilote r l'ense m b le. Dans ce contexte, s'opère u n e totale redéfin ition de mon rôle et de m a fon ctio n . Le CN FLP, ayant créé une d é légation départeme nta le q uelques mois plutôt dont j'ass u m e déjà la représentation , en forma lise les conto u rs en m e déléguant la responsa bilité de l'ensem b le de la forma­ tion. D ive rs contrats sont alors élaborés entre l'association S O L et le CN FLP, les stagi a i res et les m e m bres associés. Les accords de fi nance­ ments seront formalisés vers la fin de cette année, sauf pou r la convention de financements du « Fonds Départe mental d ' i nsertion » q ue le nouveau p réfet b loquera pendant q u asiment u n a n . L'asse m b lée générale de cette année-là verra la d é m ission de tro is personnes de plus d u CA de l'asso­ ciation S O L. Dans le cad re de « l'expérience professionnelle de terrain » o b ligatoi re dans le c u rs u s de fo rmation et dont j'espérais l'é m e rge nce d'actions, va apparaître l'association G renade, créée par trois stagiaires, 1 59

En quête d'une intelligence de /'agir

q u i proposeront nota m ment des activités de s u ivi de personnes en situa­ tion de R M I . D'octobre 1.991. à septembre 1.992 :

l'a n n é e d e la va l i d ation des U n ités d e Fo rmation

Des restitutions partielles et locales de l'e n q u ête vont avoi r lieu s u r l e terra i n . Chac u n de c e s te m ps fo rts servant de cad re e t de s u p po rt a u x va lidations de c ha cu ne d e s U F de base d u D E FA. L'association S O L est toujo u rs présente à la CU de Cahors et, à ce titre, présente ra les rés u ltats de la recherche à l'aide d ' u n d iaporama. Roland Colin et le com ité péda­ gogi q u e trouve ront ces résu ltats s u ffisam ment perti nents et i m po rtants pour q u' u n projet de « collo q u e » à d i mension n ation a le soit proposé à tous les partenaires instituti o n n e ls. Les d e ux m i n istères concernés, et en parti c u lier celui des Affai res sociales dont le soutien est toujou rs ass u ré, s u ivront cette idée ainsi q u e le Conse i l régional et le Conse i l É con o m i q ue et Social régional. Le m ontage d u colloq u e va d é m a rre r sous m a coord i­ nation avec l'aide de deux stagiaires q u i y tro uve ront m atière à réaliser le u r « expérience d'an i m ation » . L'association SOL va conti n u e r à se « vider ». L' U NARM I envisage d'e m ba u c h e r u n stagiaire m e m b re de l'as­ sociation SOL po u r ass u rer la coord ination de ses activités, ce q u i se réa­ lisera s u r u n e a n n é e j u s q u ' à la d isso lution de cette o rgan isation en déce m b re 199 3 . D 'octobre 1.992 à septembre 1.993 : fi n d e la fo rm ati o n , m ise e n p lace d u S é m i n a i re-Col loq u e

C'est la fin de la formation D E FA avec le passage de toutes les U F pour ceux des sept membres q u i n e les ont pas déjà acq u ises en j u i n 1992. Ces validations donneront les rés u ltats su ivants : les cinq UF de base se­ ront acq u ises par cinq person nes, les d e ux autres en ont obte n u q u atre. Les projets « d'expérience d'an i m ation » sont progressivement dé posés et un mémoire de fi n de fo rmation est en co u rs de réd action. De mon côté, je soutiens mon mémoire de D H E PS à l'U n iversité de la Sorbon ne N o uve lle - Pa ris 1 1 1 , (Arève Atch i kguézian, Exclusion sociale et développement local - Dynamique d'une recherche-action à Cahors, Lot. D H E PS 1993, u n iversité de la Sorbonne N o uvelle - Paris I l l - 283 pages + a n nexes) avec com m e résu ltat, l a mention « très bien », assortie d e s félicitations d u ju ry, q u i com­ pare mon travai l à ce l u i d'une thèse, et e n conseille la p u b lication. La restitution globale des résu ltats de la recherche a u p rès des par­ te naires i nstitutionnels a lieu en j u i llet 1993. À la rentrée de cette an née­ là, le m a n d at de l'association SOL à la C U ne sera pas recon d u it. Le 160

En quête d'unepratique sociale deformation soutenuepar la recherche-action

Séminaire-Colloq ue « Les Rencontres de Cahors », sous le titre « De l'ex­ clusion à l'insertion par le développement local;ta parole des acteurs en marge », a lieu pendant trois j o u rs, en nove m b re 199 3 . Il accueillera près

de 200 participants venant de d ouze régions de France. Il offri ra la possi­ bilité réelle pou r les pre m i e rs conce rnés/gro u pes de terrain, les forma­ teu rs, les chercheurs, les représentants des administrations centrales et locales et enfin les travaille u rs socia ux, présents, de travai ller et « pa rler vrai » ense m b le pendant trois j o u rs. Les con d itions d'échanges et de tra­ vai l, ainsi q u e le conte n u , o rga n isé auto u r de q u atre ate liers, seront très appréciés de la part des partici pants. Plusie u rs gro u pes ou person nes, à l'issu e d u colloq ue, so u haiteront q ue des rencontres sim i laires soient or­ gan isées dans leu r région, ce q u i sera s u ivi d'effet dans plusie u rs cas. Cet événement donnera lieu à des re portages dans la Dépêche du Midi et à la Télévision régionale. Par aille u rs, l'ensem b le d u projet ainsi q u e le colloque fe ront l'objet de plusie u rs p u b lications (n u méro spécial de la revu e Économie et Humanisme n° 3 28, m ars 1994, dossier sous le titre : « I n se rtion sociale : pour u n reto u rnement des p riorités - Enseigne­ ments et prolongements des Rencontres de Cahors », et Revue des Études Coopératives et Mutualiste n° 2 5 2, 1993, pp. 37-42) . E n j u i n 1993 , l a recherche-action pro p rement d ite est arrivée à son abo utisse ment. Les é q u ipiers, a p rès avoi r recueilli, transcrit, saisi et ana­ lysé 60 inte rviews - soit 1 800 pages de m até riaux textuels, ont entre pris, sous la d i rection scientifi q u e de Roland Co lin, le dépoui llement et l'inter­ prétation des données, en y incluant l'a pport de 80 q u estionnaires addi­ tionnels. Les résu ltats o bten us, confrontés aux hypothèses de départ, sont riches d'éclairages et de pro positions. À partir de là, est élaboré u n Rap­ port conclusif, q u i se ra transmis a ux min istères et à l'ensem ble des insti­ tutions partenaires, sous le titre : « Exclusion sociale et chômage de longue durée : la parole des ac­ teurs en marge - Rapport et enseignements d'une recherche-action menée dans le Bassin d'emploi de Cahors (1987-1992) » par Roland Colin, d i rec­

teu r scientifi q u e , Arève Atc h i kguézian et !'Association S O L, réa lisation et d é p o u i llement des enq uêtes, 389 pages co m prenant le texte i ntégral de 15 i nterviews + annexes de 1 0 3 pages comprenant la totalité des o utils de méthode. Cah o rs, j u i n 1993. En 1994 : l'évaluation d e l a fo rmation - fi n d e partie

La fo rmation forme lle est terminée, la rédaction de la plus grande partie des mémoires de fin de formation est en cou rs. Chacun redéfinit ses projets i n d ividuels dans la p o u rs u ite ou non des activités lancées (asso­ ciation G renade par exem ple) . To ujo u rs sous l'égide des d e ux m i n istères, 161

En quête d'une intelligence de /'agir

une évaluation de l'ense m b le d u p rocessus est réalisée avec u n i nte rve­ nant exte rne, y com pris s u r la partie com ptable avec u n rapprochement des états financiers de l'association S O L avec ceux de la Délégation dé­ partementale du CN FLP q u i pro uvera la totale valid ité et transparence des com ptes ... Et en j uillet 1994, je suis au chômage. Le rideau tombe. Une a utre h istoi re com mence, riche des enseignements de l'éta pe q u i s'achève.

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D'une recherche-action individuelle à un engagement collectif L 'expériencedeCahors (1987-1993) au cœurdela pra tique sociale Roland COLIN

C

eci est l' h isto i re d ' u n « e ngrenage péd agogi q u e » né au fi l d ' u n e aventure de fo rmation en prise s u r l e contexte social d o n t e lle pro­ cédait. J'étais d i recte u r de recherche dans la formation menant au Diplôme des Hautes Études des Pratiq ues Sociales au sein d u Département de Formation conti n u e de l' u n iversité de la Sorbonne N ouvelle - Paris I l l . Le Collège coopératif de Paris assu rait l a scolarité d ' u n e partie d e l a co­ horte des étud iants inscrits, s u r le plan u n ive rsita ire, à l' É cole des Ha utes É tudes p u is à Paris 1 1 1 . Au d é b ut d e l'a n née u n ivers ita i re 1987-1988, l'éq u i pe des forma­ te u rs d u Collège accueillait une nouvelle prom otion recrutée s u r dossiers et entretiens, à partir d ' u n parco u rs d'engagement dans une « pratiq ue sociale » a p pelé à jouer u n rôle essentiel dans la construction des réfé­ rents du processu s menant au d i plôme. Com m e à l'accoutu mée, après la phase d'accueil et de contacts i n itiaux, mes collègues et moi nous nous répartissons les engagements qui seront les n ôtres, s u r le d o u b le registre des cou rs et sém i n a i res d'une part, et, d'autre part, des d i rections de re­ cherche, accom pagnement i n d ividualisé des étud iants, plus exactement « person n alisé ». La logique, in itiée par Henri Desroche1, veut, en effet, que l'étudiant entre dans un processus d'apprentissage d'élucidation de la re­ cherc he-action à partir de sa pro p re expérience sociale et professionnelle d'acte u r, visant, dans une reprise analyti q u e et critiq ue, à en dégage r et 1 Cf. supra p. 13, le chapitre « L'origine d e la formation p a r la recherche et la recherche-action. Sur les traces d'Henri Desroche et de ses compagnons » , R . Colin. -

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En quête d'une intelligence de !'agir

maîtriser le potentiel, dès lors utilisable et « d éveloppable » lors d ' u n re­ to u r à l'action, tant s u r le plan de l'intellige nce des réa lités q u e s u r celu i de l'inte rvention. La phase première vise à apporte r aux étu diants, « apprentis-cher­ cheurs-acte u rs », les bases de connaissances leu r permettant d'entrer dans le processus visé. Chaq ue formateu r y contribue à point nommé e n fo nc­ tion de sa com péten ce pro p re conjuguée à celles de ses parte n a i res d'éq u i pe. Pou r ma pa rt, à l'é poq ue dont je parle, i l me revient de traiter principalement deux thématiq ues : le processus de production d'une « au­ to biogra p h i e ra isonnée » (a u sens o ù l'entend Desro c h e) , d é c riva nt la man ière de s'approprier son pro p re terrain de recherche situé dans le dé­ ploiement d ' u n e « h isto i re de vie » . Cette étape doit permettre d e fai re appa raître les « gisements » d'expériences ainsi q ue les com péte nces q u i s e sont constitués a u fi l d u te m ps, to ut e n décelant les obstacles à sur­ monter, les carences à com bler pour maîtriser une pratiq ue personne lle­ ment assu mée et socialement utile et efficace. Ma seconde ligne d'inte rvention con cerne essentielle m e n t, dans une approche d'in itiation socio-anthropologiq ue, à transmettre les savoirs et les méthodes permettantd'analyse r les contextes (le « milieu » au sens large : cond itions de vie et terrain d'action) . Il s'agit notam ment de contex­ tualiser les problé m atiq ues liées à la recherche-action. Ces deux lignes de travai l ne sont pas sans con n ivences. Dans cette pre m ière étape du parco u rs de fo rmation, on d e m ande aux étudiants, avec u n soutien pédagogi q u e appro p rié, de prod u i re une « monogra p h ie » de le u r terrain de pratique la plus sign ificative, va lant, en q uelq ue sorte, préa m b u le à l'investissement en recherche-actio n pro­ prement d ite. C'est ainsi q ue, dans le gro u pe de cette promotion, j'entame u n dialogue avec Arève Atch i kguézian, au terme d uq u e l nous établirons u n partenariat de d i rection de recherche. J'ai vo lontiers accepté cette d i rection d'études parce q u'elle se gref­ fait s u r une problé m atique j u sticiable à la fois d ' u n e élucidation e n socio­ logie (rapports sociaux, lien social) et en anthropologie (la di mension des cult u res en inte raction) . Les entretiens q ue nous e û mes permettaient de cern e r cette problémati q u e et de fai re appa raître ses liens avec le vécu d'Arève tel q u'il ressortait de son autobiogra p h ie raisonnée. Elle avait vécu le monde de la pauvreté et de l'exclusion dans son u n ivers personnel, et ses e n gage m ents p rofess i o n n e ls l'avaient cond u ite à p re n d re position dans le j e u des institutions se donnant comme cible d e fai re face à ces problèmes, avec l'é paisse u r critiq ue procédant d'une insertion concrète à ce n iveau. En effet, le système d'une formation en cou rs d'em ploi permettait 164

D 'une recherche-action individuelle à un engagement collectif

d e relier en force la prise de d istan ce décou lant de la « position d'étude » et l'i m plication continue sur le terrain. I l s'agissait alors d'un jeu entre deux lieux d isti n cts et co m p lémenta i res. Le cad rage de la rec h e rc he-action y était ainsi idéalement constitué. La problématique qui devait servir de fi l con d u cte u r a u parcou rs de formation s u r son entière extension pouvait être clairement défi n ie de la so rte : face à une situation d'exclusion sociale, les instances institution­ ne lles déterminent une politique d'inte rvention visant à donner aux popu­ lations conce rnées les moyens d ' u ne réi ntégratio n à la fo is sociale et professio n n elle. Dans la prati q u e sociale concrète de terrain, on constate un décalage, voi re des contrad ictions, entre « l'offre institutionnelle » et la « demande sociale » réelle vécue par la popu lation-cible. Com ment me­ s u re r cet écart, l'i nte rpréter, afi n d'y fai re face ? Le travail d e « monogra p h ie » ayant validé cette o rientation de re­ cherche, nous passon s à sa tra d u ction dans un « plan h e u ristique » per­ m ettan t d e faire a p p araître les d o n nées à partir desq u e lles o n pou rra élaborer l'interprétation, le to ut n o u rrissant le mémoire q u i réca pitu lera le parco u rs de formation et donnera lieu à la soutenance conclusive. La popu lation d'enq uête représentant un ense m b le d'environ 4 ooo personnes dans le Bassin d'e m p loi de Cahors, il s'agira de déterminer u n échantillon significatif expri mant l e s différentes catégo ries de va riables à pre n d re en com pte pour couvrir la gam m e des porte u rs de la demande so­ ciale. Arève, com me ses cam a rades de promotion, vient à Pa ris pour u n tem ps de « regro u pement » de trois ou q uatre j o u rs chaq ue mois. C e d is­ positif est avalisé par son e m p loye u r. La fo rmation se faisant ainsi en al­ te rnance, c'est s u r cette plage de tem ps q u e prennent place les activités pédagogiq ues. Au reto u r d ' u n e plongée dans son terrain, Arève me fait part d'une proposition nouve lle : e lle travai lle avec des partenaires a p partenant au m i lieu d'enquête et ayant, a u p rès d'elle, des engagements sociaux et as­ sociatifs. Elle esti me im portant q u e ces com pagnons dans l'intervention, eux-mêmes appartenant à la catégo rie des exclus to uchés par l'en q u ête, soient parties prenantes de son projet de recherche-action . Mais i ls n'ont aucune formation les préparant à cet engage ment. Elle me demande, en consé q u e nce, si, une fois par m o is, il m e serait possible d'effectuer u n d é p lacement à Cahors, auto u r d ' u n week-en d , pour ten i r avec e ux u n sé­ minaire d'in itiation à la recherche, à l'a n i m ation d u q ue l e lle partici perait, afi n de donner à ce q u'on pou rrait appeler alors « l'éq u i pe » des o utils de travail a p p ro p riés, com pte ten u d u n ivea u d'études anté rie u r de chacun, généralement faible. Le défi est insolite. Je réfléchis. J'obtiens une couverture 165

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de mon e m p loye u r principal - Scie n ces-Po Paris, O bservatoire Français des Conjonct u res É co no mi q ues (O FC E) - afin de j ustifie r mes d é p lace­ ments. J 'accepte donc, et c'est le début d ' u n e n ouvelle « aventure péda­ gogiq ue », me trouvant alors moi-même plus d i rectement im pliq ué dans la recherche-action. À parti r de là, nous ajo utons à l'accom pagnement individ uel u n ac­ compagnement collectif. Le défi se co m p lète d u fait de la disparité des participants. Il fa u d ra e n effet tro uve r des ré ponses appropriées à cette d ive rsité, afin de la transfo rmer en ressou rce opérationnelle. À cette fin , les interactions au se in d u groupe e t entre s e s m e m b res e t Arève seront d'un apport essentiel. Mais on mesurera aussi que le positif n'est pas sans failles, du fait des incide nces d'une dyn a m i q u e de gro u pe qui ne sera pas sim ple à maîtriser, et o ù Arève et moi nous serons solidement i m pliq ués, et parfois contestés. Cet aspect contri b u e ra assu ré ment au fait que nous serons en prise s u r les problèmes réels du milieu, ce qui constitue un atout non négligeable, même s' il est so uvent difficile à vivre. Le travail d'enq uête se met en place s u r les bases suivantes : nous estim ons q u e la méthode pertinente est celle des interviews autobiogra­ phiq ues menées à partir d ' u n gu ide d'entretien calé s u r la problé m atique. L'éq u i pe d ispose d'une capacité de travail nous permettant de recueillir 6 0 entretiens, com plétés ensuite par des q u estiqnnaires d'extrapolation. À chaq ue voyage à Cahors, je traite en sém i naire les te m ps élémentaires de l'e n q u ête, et l'on e n vé rifie et évalue l'a pplication. Les q uestions abor­ d ées sont les s u ivantes, après explicitation de la problématique gén é rale restituée dans le langage et la c u lt u re des personnes concernées : com­ ment configu re r u n échantillon re présentatif ? Co m ment mener les inter­ views et les en registre r ? Co m ment les transcrire et e n opére r la saisie informatique ? Com m e nt les analyse r et les interpréter ? À ce n iveau, de façon collective, nous constru isons les o utils appro p riés. Chaq u e fois, il en résu lte la réd actio n d'une n ote méthodologiq ue gageant une u n ité de d o ctri ne et de p rati q u e . L a d é m a rc h e n o u s co n d u it à i d e n ti fi e r q u atre

étapes su ccessives dans les entretiens avec les interviewés : 1 - q u i sont-ils ? D'où viennent-ils ? (le modèle de référence de le u r sociocult u re d'origine) ; 2 - com m ent ont-ils dé rivé pour se tro uver en exclusion ? (à parti r de q uels n iveaux de leu r vécu et selon q ue l enchaînement ?) ; 3 - comment vive nt-ils le u r situation d'exclusion ? (le u r socio c u lt u re en exclusion en ses d ifférents n ivea ux) ; 4 comment perçoivent-ils les voies permettant d'en sortir (expé ­ riences, projets et leu rs résu ltats - aspirations - ra pports avec les inter­ ventions i nstitutionnelles) ? -

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D 'une recherche-action individuelle à un engagement collectif

Le « contexte sociocu ltu rel » est a ppréhendé à travers u n e grille à six n ivea ux en i nteractio n (techniq ues et métiers - éco n o m ie - ra pports au pouvoir (institutions) - configu ration familiale - système de la personne (cogn itif, affectif, somatiq ue) prod u it par l'éd u cation - sytème de vale u rs et rep résentation d u monde2• À partir de là, nous é laborons une grille avec, en o rdon nées, les six n iveaux de la sociocu ltu re précédemment mention nés, et, en a bscisses, les q uatre étapes du parcou rs d'analyse de l'exclusion. Cette grille com­ porte alors vingt-q uatre cases pe rmettant de code r n u mé riq uement les différents items recueillis dans chaque entretien. Sa tra d u ction dans u n logiciel sim ple d o n n e les moyen s de traite r chaq ue texte saisi s u r ord i n a­ te u r, p o u r e n extraire les données signifiantes ainsi codées. À partir de là, peut s'opére r u n d é p ou i llement systématiq ue donnant ré ponse, en s'ap­ puyant s u r la « paro le des acteu rs », à la problé m atique, et faisant appa­ raître les contrastes, la typologie de variation des situations, et de croise r les d o nnées pou r mes u rer les interactions significatives. Je suis impressionné par la capacité de tous les mem bres du gro u pe, q uel q ue soit leu r n ivea u de formation i n itiale, à co m p re n d re et maîtriser le p rocessus. Ce la tient largement au fait q ue tous les éléments des situa­ tions a n a lysées et le langage à trave rs leq uel e lles sont exprim ées le u r sont totalement fam i liers. Je tro uve intéressante l a com paraison avec les étud iants du cursus académique co u rant, q u i assimilent plus aisément les cad res conce ptuels, mais ont plus de diffic u ltés à les raccorder au réel. Les m e m b res d u gro u pe sont ainsi des « acteu rs-cherc h e u rs » praticiens totalement intégrés dans la démarche, de plain pied avec leurs interlocu­ teu rs d u m i lieu q u'ils analysent, et bien armés po u r des inte rp rétations pertinentes. De s u rcroît, les i nteractions constantes entre e ux, même si elles ne vont pas sans remous, dans une dyn a m i q u e d e gro u pe so uvent h o u leuse, constituent u n facteu r positif d'a utocontrôle collectif. Le processus s'opère, séance après séance, dans u n climat d'enga­ gement remarquable. C'est alors, au bout de q uelq ues mois, q u e se lèvent de redo u ta b les o bstacles rem ettant en cause la viabilité du projet. En premier lieu, i l s'agit de la réaction institutionne lle. La Direction de la CAF du Lot, auto rité h iérarchique dont d é pend Arève, réagit avec ra i­ d e u r face au déro u lement des o pé rations. Je reçois, en tant q u e d i recte u r de recherche, u n e lettre d u D i recte u r de l a CAF critiq uant rad icale ment la maniè re dont est mené le projet de formation d'Arève. Il écrit notamment : « Si un organisme social comme l'est une Caisse d'Allocations Familiales

2 Voi r Cahiers d'ingénierie sociale n° 6, Paris, L'Ha rmattan , « M odélisation des systèmes socio-cul­ turels et développement social », PP- 9-23. -

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ne peut mettre en cause une recherche s'appliquant à des problèmes sociaux préoccupants et traités journellement par les travailleurs sociaux de terrain, il n 'en est pas de même en ce qui concerne la constitution de ce groupe de recherche-action. En effet, il eut été souhaitable que ce groupe, d'ailleurs très restreint, soit constitué avec l 'accord de /'institution, afin d'inscrire ses recherches et ses actions dans le cadre du travail défini par le Conseil d'Administration de la CAF du Lot. La procédure utilisée par Madame A tchikguézian montre une incohérence présentant le risque de mettre le travailleur social en porte à faux par rapport aux objectifs et méthodes de travail définis pour l'ensemble des services. Une recherche de ce type ne doit pas être menée en véritable travailleur indépendant, mais s'inscrire dans une procédure coordonnée et contrôlable. »

Lors de ma visite q u i s u ivit, à Ca hors, je rencontrai le D i recte u r de la CAF. Me d rapant dans la déontologie de la recherche u niversita i re, je lui demandai d e p re n d re acte de notre com pétence, l u i d isant q u e la « re ­ cherche-action » était une démarche scientifiq uement fondée et instrumen­ tée, dont nous respections rigo u reusement les règles, sans i nterfére nces avec la position i nstitutionnelle de son o rganisme, p u isque nous enq uê­ tions a u p rès de la p o p u latio n en situation d'exclusion et non pas a u p rès des acte u rs de l'action institutionne lle e ux-mê mes. Je ne le conva i n q u is q u'à demi, mais Arève put conti n u e r son trava i l, non sans faire face à une évidente et persistante hostilité hiérarchiq ue, dont elle sut tirer les conclu­ sions dans les étapes s u ivantes. Le second obstacle vint également de la position des institutions, mais ind i rectement et à un a utre n iveau. Le gro u pe, bien que passionné par son travai l, s'esso ufflait. En effet, ses m e m b res vivaient une situation matérielle particu lière ment précai re, avec, a u mieux, l'apport du R M I . Le travai l d'enquête, q uelque signifiant q u'il fût, représentait u n engage ment très conséquent sans contrepartie de reve n u , à l'h e u re o ù les pouvoirs po­ litiq u es en place en a p pelaient a u reto u r à l'e m p lo i des exclus et à leu r prise d'in itiative. I l e n résu ltait u n senti ment d'intolérable injustice face à des institutions rétives à le u r apporter la m o i n d re reconnaissance, a lors q u e l'enjeu était précisément d e défi n i r les moye n s de re n d re l'action sociale plus efficace. Pa r contre, à cette fin , on n'hésitait pas à payer des bureaux d'études pour des résu ltats à to ut le moins d iscutables. Le gro u pe décidait donc d'arrêter son activité d'enq uête, tout en agissant a u près des responsables i nstitutionnels p o u r les m ettre face au po rte-à-faux et à l'in­ j u stice. N o u s étions en septe m b re 1988. Au n ivea u local, les i n terlocute u rs d e m e u rèrent i m pavides d ' u n e man ière générale. I l fut décidé, en conséquence, de s'ad resser d i rectement a u m i n istère des Affai res Sociales. Avec Arève et une délégation du G RAL, 168

D 'une recherche-action individuelle à un engagement collectif

n o u s fû mes reçu s par la Consei llère d e la D i rection c h a rgée de l'action locale. À ce n iveau, la com p ré hension fut im méd iate. Elle nous engagea à p rendre contact avec la Mission I ntermi n istérielle chargée de la Recherche et des Études (M l R E) gérant les program mes de recherche des m i n istè res sociaux. Par son entrem ise, nous y fûmes bien accueillis. On nous engagea à constituer un d ossier de ré ponse à un a p pel d'offre, ce q u e nous tîmes dans les formes et délais prescrits. La démarche n'obtint a u c u n succès. Au bout du com pte, la fin de non recevoi r, e m b a rrassée et polie, nous lais­ sait perplexes. « Votre dossier est excellent et pertinent, nous d isait-on,

mais il se réclame de la recherche-action, or la ligne budgétaire concernée se rapporte à la recherche. En conséquence, nous avons le grand regret de constater qu'il n 'est pas éligible à ce programme, etc., ». I l était évident

q ue les parties prenantes habituelles n'entendaient en aucune façon nous admettre au partage du gâteau. Retou r a u p rès de la Conseillère, qui ne d issi m u la pas son ind igna­ tion, et c'est Arève qui imagina et proposa une autre issue q u i, e lle, s'avéra p rod u ctive. « Notre travail, disait-e lle, est une pratique de formation qui

me semble très originale et performante. Attachons-nous donc à la posi­ tionner dans un cadre reconnu : la formation en vue de l'obtention du Di­ plôme d'État aux Fonctions d'Animation (DEFA) ». Arève, e lle-même, dans

son passé p rofessionnel anté rie u r, avait acq uis ce d i plôme. Il s'agissait alors d'exam iner à q u elles cond itions les membres de l'éq u i pe pou rraient s'insére r dans une filière de préparation au D E FA, to ut en pou rs u ivant le travai l de recherc he-action. La relation fut établie par Arève avec le Direc­ te u r d u Centre National de Formation Loisirs et Pro m otion (C N FLP, Asso­ ciation proche de la CFDT) , q u i était habilité à préparer le D E FA, et q u i avait été i m p li q u é dans la p réparation q u i l'avait menée à ce d i p lôme. Le m i n is­ tère des Affaires Sociales et le m i n istère de la Jeunesse et des Sports s'im­ pliquèrent profondément avec nous, ainsi q ue !'Association I RAD I E (déjà présente sur le terrain cad u rcien depuis les engagements initiaux d'Arève) , dans cette démarche, q u i aboutit positivement. I l en résu lta q u'il était pos­ s i b le, à parti r d ' u n recrutement d é rogatoi re, avalisé par les textes, bé­ n é ficiant d ' u n ités c a p italis a b les, de mettre sur pied cette fo rmation décentra lisée à Ca h o rs. Le travai l d'en q u ête pouvait ainsi être recon n u co m m e u n e u n ité de c e type. Le C N FLP accepta, avec I RAD I E, d'assure r les u nités com plémentaires, touchant notam ment la gestion et l'organ isation. Arève en fut recon n ue, et mandatée par le C N FLP, comme la responsable locale, ce q u i lui permettait de rom pre les a m arres avec la CAF. Les autres m e m b res du gro u pe, pour leu r part, en s'y inscrivant, au moins pour partie d'entre e ux, devenaient des « stagiaires » pouvant accéder aux Fonds de financement des person n e ls en formation. 16 9

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La dyn a m i q u e de travai l se ran i ma, et la recherche-action fut menée à bon port, tant en accom pagnement i n d ivid uel q u'en accom pagnement collectif. S'agissant d u O H E PS d' Arève, cette dern ière participait régu liè­ re ment aux regro u pements au Collège coopératif et d e m e u rait intégrée à toutes les activités de sa pro m otion. À l'intérie u r d u c h a m p d'enq u ête, nous étions conve n u s q u 'elle réaliserait elle-même une q u inzaine d'inter­ views, afin de disposer de ses maté riaux p ro p res et d ' i n d ivid u a liser son chantier, to ut en y appliquant la méthodologie com m u ne. Son m é m o i re couvrait le récit et l'analyse de l'ensem ble de l'opération, incluant une par­ tie h istori q u e et théorique et prenant en com pte la dynamique de gro u pe d u collectif q u i, à trave rs ses re m o us, n'était pas sans sign ification au re­ gard d u positionnement de la recherche-actio n dans son contexte institu­ tion nel et social. L'association I RADI E, outre sa partici pation d i recte à la form ation, ass u rait la su pervision des opérations dans leu rs relations avec les partenaires loca ux. Au carrefo u r de toutes les d imensions d u travail, la soutenance du mémoire d'Arève, en juin 1993, fut particulièrement appréciée par son j u ry de Paris I l l, auquel participait notam ment Guy Berger, professeu r au Département de Sciences d e !' É d u cation de l' U n iversité d e Paris Vl l l3• S'agissant du parco u rs de formation des éq u i piers stagia i res, i ls étaient sept à s'être inscrits au D E FA. Si le mode de recrutement avait été dérogatoi re, par contre l'éval u ation et la sanction fin a les reve n a ient a u d roit com m u n, c'est-à-dire q u 'e lles s'inscrivaient d a n s la procéd u re o rd i­ naire menée par la D i rection régionale de la Jeunesse de Midi-Pyrénées à To u louse. Les rés u ltats fu rent particu lière ment satisfa isants p u isq ue cinq des sept candidats fu rent ad m is a u D E FA, soit une pro portion large ment s u périe u re à la m oyenne n ationale. Enfin, nous avions pris l'engagement vis-à-vis de notre interlocutrice d u m i n i stè re des Affa i res S o c i a les de ren d re un ra p p o rt de rec h e rche co m p let, com po rtant analyses et précon isations. Ce trava il fut mené en collectif par l'ense m b le des partici pants. Le G RAL ayant pris en co u rs de ro ute u n statut associatif sous le nom de SOL y figurait à ce titre. Ce docu­ ment de recherche dont j'ai d i rigé l'é laboration, assisté par Arève, com­ portait, o utre le corps réd actio n nel, le rec u e i l de to utes les n otes méthodologiq ues constru ites en cou rs de ro ute, ainsi q u e le texte intégral de q u i nze entretiens a utobiographiq ues menés avec les personnes enq uê­ tées (su r soixante) , choisis selon une d istri b ution j u gée représentative4• 3 - Arève Atchikguezian, Exclusion sociale et Développement local - Dynamique d'une recherche-action à Cahors (Lot)_ Mémoire pour te Diplôme des H a utes Études des Pratiq ues Socia les, U niversité de la Sorbonne N o uvel le - Paris I l l , 1993, 2 tomes (287 pages et 2 3 7 pages) . 4 - R. Colin, A. Atc h ikguezian et Association SO L - Exclusion sociale et chômage de longue durée : la parole des acteurs en marge. Rapport et enseignements d'une recherche-action menée dans le Bassin d'emploi de Cahors (1987-1992). Cahors, j u i n 1993, 389 pages + annexes 103 pages.

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Au vu de ce rapport, la D i rection des Affaires sociales d u Min istère acce pta la proposition d'Arève d'organ iser u n grand colloque national à Cahors, q u i se tint d u 2 2 au 24 n ove m b re 199 3 . Cette rencontre, q u i repré­ sentait également l'une des com posantes d u contexte de formation, réu n it environ 200 participants ven u s de diffé rentes régions françaises, mettant en présence des u n iversitai res, des cherc h e u rs, des élus régionaux et lo­ caux, des travaille u rs socia ux, des re présentants des D DASS et D RASS, des m i litants associatifs, a u to u r d u ra p port de rec h e rche et des expé­ riences menées dans d'autres sites par les participants. Les dé bats fu rent souvent vifs, toujou rs su bstantiels. La créativité était à l'ord re du jour. Des liens s'établirent de façon transversale, n otam ment entre des éq u i pes de d i fférentes régions se recon n a issant des affi n ités. La Revue des Études Coopératives et Mutualistes (R ECMA) en assu ra le com pte rend u5• La revue Économie et Humanisme s'y était également associée6• Du côté du Min istère, m algré le soutien de notre partenaire impli­ q uée d a n s le projet, les incidences ne fu rent guère perce pti b les. Par contre, les i nstitutions régionales et loca les marq u è rent un certain dégel. U n certain nombre des membres du gro u pe ainsi q u'Arève, s'ap puyant sur l'expérience ainsi acq u ise, s'engagèrent dans u n travail associatif en d if­ férents lie ux. Po u r m a part, j'eus de n o m b re u ses occasions d' uti lise r le « dossier de l'expérience de Ca hors » dans des prestations péd agogiq ues à d ivers n ivea ux. En ce q u i me concerne, cet engagement q uelq ue peu inso lite a été particu lière ment riche de c réativité et d'enseignements. L'expérience a validé et d évelo p pé certaines convictions dans la ligne de mes com pa­ gno n nages avec Leb ret et Desroche. J'en retiens s pécialement q uelques points, à mes ye ux essentiels. Une approche socio-anthropologiq ue7 par­ ticipative a comme ve rtu de re positionner la recherche-action a u cœur d u vécu social e t c u lt u re l d u m i lieu concerné. La « parole des acte u rs » ex­ prime d ifférents n iveaux de réponse stratégiq u e à la problématique de vie, q uelq uefois de s u rvie des intéressés, q u i ne sont pas des objets d'étude réifiés o u réifiables, mais de c réateu rs de sens. Elle révèle à la fois des ni­ veaux et des dyn a m i q u es de créativités endogènes insou pçon nables de l'extérie u r, tout com m e des positions d'enlisement et de dépendance (« dominabilité ») , q u i ne relèvent pas de la se u le interve ntion extérie u re.

5 Revue des Études Coopératives e t Mutualiste, n ° 2 5 2 , 199 3, p p . 37-42. 6 Revue Économie et Humanisme, « I nsertion sociale : pour un retou rnement des prio rités », n° 3 28, m a rs 1994. 7 - Je re lie fe rmement les deux termes, d a n s la ligne des enseignem ents de mon Maître Georges B a l a n d i e r. -

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En quête d'une intelligence de /'agir

On est là a u centre de la problém atiq ue de recherche-action q u i, dans les options q u e nous avons prises, ne consiste pas au premier chef à transformer des cherche u rs en acte u rs - encore que ce mouvement soit pleinement recevable sous certaines cond itions - mais à susciter des com­ péte nces et des e n gageme nts de c h e rche u rs chez des acte u rs sociaux eux-mêmes - devenant ainsi, « aute u rs », d isait Desroche8• l l va de soi que cette a p proche nécessite, par u n jeu interd isci p l i n a i re, de p re n d re en com pte le réel (et le vécu) glo bal, et non pas, ainsi q u' i l est fréquent dans les i nterventions sociales, de s'en ten i r à des an gles d'attaq ue restre ints et spécifiq u es, en s'abritant de rrière u n fa llacieux alibi de préte n d u e ex­ pertise. En défin itive, l'expérience de Cahors m ontre bien que l' i m p lication est une rude aventure, fructue use et passionnante malgré les o bstacles q u'elle suscite et les lim ites avec lesq uelles e lle doit com pose r. Elle s'ins­ crit dans la créativité d'une ré ponse à la fois sociale et politique (au sens la rge et fort d u terme) aux défis du développement social, illustrant les cond itions dans lesq uelles la perspective d'une véritable « démocratie par­ ticipative » peut redonner à des person n es et des gro u pes en situation d'exclusion la vo lonté et les m oye ns d'accéder à une prise de responsabi­ lité citoyenne dans le u r milieu de vie, en suscitant u n parten a riat inédit, q uelq u e laborieux ou même conflictuel q u 'i l soit, avec des pouvo i rs insti­ tutio n n e ls, position q u i est loin d'être étra n gè re à la logiq u e de la re­ cherche-action.

8 Le contraste était grand entre notre enq uête e t celle réalisée p a r Pierre Bourd ieu à l a même époque, et aboutissant à la p u b lication de « la misère du monde » (Ed. du Seu i l) . S'il s'agissait, dans les deux cas, de mener 60 interviews visant à une élucidation sociale, le projet de B o u rd ie u était réa lisé par ses meille u rs assistants d u Collège de Fra n ce, tous chercheurs confi rmés, q u i avouaient, à part i r d'une position exogène, leu r grande difficu lté à rej o i n d re les sujets enq uêtés d a n s leur la ngage et leu r c u l­ t u re. De plus, la d ispersion à l'extrême des points d'enq uête ne permettait pas de saisir le jeu d es i n­ teractions au sein du contexte, et donc d'en tirer des conclusions va lables p o u r l'action. L'expérience de Cahors, e lle, se situait q uasi ment aux anti podes de ces choix. -

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Mettre en chemin d'écrire . . . mettre en chemin de penser Ghislaine de SURY1

« L 'adulte ne se rend plus compte qu 'il lui a fallu accomplir un travail de synthèse pour mettre au poin t chacun des gestes qui formen t le soubassement de son activité consciente, y compris de son activité intellectuelle >>'.

ette affirmation d e J e a n - Fra nçois B i lleter ren contre !a co nviction intime avec laq uelle je commence cette contribution. Ecri re se m ble aller de soi, même si n o u s savons pertinemment q u e lle énergie u n te l projet m obilise en n o u s lorsq ue n o u s n o u s aventurons à l e mettre en œ uvre, même si nous savons tou s d'expérien ce, enseignants, a n i mate u rs d'ateliers de recherche-action, d i recte u rs de recherche, co m b ie n sont pé­ n i b les les d o u le u rs d'enfantement d ' u n m é m o i re de m aîtrise, c o m b ie n s o n t tâton nantes nos pratiq ues d'accom pagnement de cette longue ges­ tation avec des étudiants q u i n'en sont plus ou ne l'ont jamais été. Et pour­ tant n o u s contin uons à nous étonner de le u rs difficu ltés à tro uver le mot j u ste, constru ire une p h rase q u i tienne debo ut, articu ler des idées ... to us ces « gestes » qui forment les sou basse ments de l'activité d'écrire. J'ai toujo u rs pensé q u' i l fa llait une bonne d ose d ' i n conscience de part et d'autre, de la part des enseignants « censés savoir » co m m e de la part des étud iants « censés écrire » po u r s'engage r dans cette avent u re :

C

-

1 G hislaine de S u ry a été responsa ble de formation au service de Formation continue de l' un iversité de Besançon et i ntervenante au Collège coopératif de Paris. 2 Billeter J.-F. , 2009, Leçons sur Tchouang-Tseu, Paris, Éd itions Allia.

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En quête d'une intelligence de /'agir

pro d u i re u n texte d ' u n e bonne centaine de pages (po u r ne pas d i re cent cinq u ante o u deux cents ...) à partir d'un q u estio nnement pertinent de ses pratiq ues d'acte u r, u n texte q u i « donne à penser ». Et ce, d'a utant plus q ue bea ucoup de nos étu d ia nts arrivent avec de très grandes d i fficu ltés d'écritu re. C'est pourq u o i il m'a paru i m portant de re partir de ces diffic u l­ tés, po u r m i e ux mesurer ce « trava i l de synthèse » dont parle Billete r, ces p ro lé go m ènes so uterrains de l'écrit u re, et fon d e r par conséq uent mes propres pratiques d'accom pagnatrice présentées dans cet article. J e me pro pose donc d'organ iser m a contri bution de la façon s u ivante : • En m'appuyant sur u n entretien approfondi mené réce m ment avec u n ancien étu d iant d u Collège coopératif de Paris, actuellement en thèse de docto rat, je tente rai de re pére r les « facte u rs i nvalid ants », q u e l'on re­ tro uve so uvent à l'origine des difficultés à écri re de bea ucoup d'étud iants autodidactes q u i constituent une partie de notre p u blic. • Je re pre n d rai ensuite les éléments permettant à ces étud iants, au cours de la pre m ière année d u D H E PS, d'entrer progressivement dans une habitude d'écri re en d istinguant ce qui tient a u projet de l'institution, la recherche-action, et en particu lier la monographie com m e première étape de l'écriture du mémoire, l'écriture d'une autobiographie raison née q u i i n­ vite l'étud iant à parler de l u i et à se déco uvri r « auteu r », l'écritu re des­ criptive q u i lui permet de prése nte r ses pratiq ues et de s'affi rme r comme « acte u r » ; ce qui tient au gro u pe de pairs dont les participa nts, dans le cadre de l'atelier coopératif de recherche-action, sont i nvités à se q ues­ tion ner m utuellement, l'o ral nou rrissant l'écrit et réciproq uement ; ce q u i tient enfi n à l'attitude de l'animateu r d'atelier, au rega rd q u'il porte s u r les écrits q u i l u i sont présentés, mais aussi les pro positions q u ' i l peut être amené à fa i re pour s u rmonter te lle o u telle d i ffic u lté. • Au-delà d ' u n e « maïeuti q u e » d e l'écrit u re, o bjet de la pre m ière année d u D H EPS, je m ' interroge rai s u r les o bstacles q u i rendent so uvent difficile, pa rfois i m possible, le passage du récit descri ptif à l'écrit u re de recherche. J e m'attacherai ensu ite à développer l'apport de la lect u re et de l'analyse de textes pour soutenir cette évo lution nécessaire de l'écritu re au texte. J e te rm inera i en sou lignant brièvement le rô le d u d i recte u r de re­ cherche comme garant de la légiti m ité de l'a ute u r-acteu r-chercheur.

É cri re, u n acte q u i n e va pas d e soi À s o n arrivée a u Collège coopératif, l'écriture se m b lait constituer po u r îahar à la fois u n o bstacle et u n enjeu maje u r. Quand j'ai co m m e ncé à travailler avec l u i à cette é p o q u e , j'ai tout de s u ite pensé à ce person­ nage mis en scène par Cam u s dans La Peste q u i d iscute longuement avec Rieux po u r savo i r s i le trot d e la j u ment alezane doit être o u non q u alifié 174

Mettre en chemin d'écrire... mettre en chemin depenser

d ' « en levé ». Dans son souci de perfection, Ta har reco piait indéfiniment la même p h rase sur son cahier d'atelier en mod ifiant la place d'un m ot pour voir si elle sonnait plus j u ste. N e supportant pas les ratu res, i l a rrachait to ute page raturée, si peu q u'e lle le fût et je n'ai jamais osé lui demander le n o m b re d'heures de travai l q ue lui avait coûté la d e m i- page q u'il finit par me m ontrer, un m o is après notre première rencontre, et qui était cen­ sée constituer un début d'autobiographie. Si j'essaie de re pérer les raisons que donne Ta har de ses d ifficu ltés à lire et s u rtout à écrire, elles se ramènent toutes à son « h istoire sociale » et à sa position de fils de harki. S'il a échappé à la situation « d'assignation collective » q ui a u rait d û être la sienne dans les cam ps o ù les harkis ont été parq ués à leu r arrivée en France en 1960, le choix de ses parents, fu ir ces cam ps de regroupement, n'en a pas moins entraîné pour lui une mo­ bilité qu'il q ualifie « d'excessive » (six écoles en q uatre ans) , liée au travail de son père, manœuvre maçon, qui se déplace au gré des chantiers sur lesq uels i l tro uve de l'e m bauche. Mais plus déterm inant encore est le re­ gard porté s u r lui et s u r sa fam ille en tant q u e « Français m us u lmans », « ces grands gosses qu 'il faut complètement prendre en charge et édu­ quer >>3. On sait depuis « Pygmalion in the c/assroom » co m bien l'enfant

est tri butaire du regard que l'enseignant porte sur lui et de l'attente q u'il a de ses performances. Cette fonction de « disqualification collective »que Tahar n'hésite pas à attribuer à l'école est sans do ute res ponsable de son o rientation en Section d ' Enseignement Spécialisé (S ES) avec ceux qu'il appelle les « déficients », so uvent des « déficients mentaux ». À partir de là i l désa p p rend le peu qu'il a appris en m atière de lecture et d'écritu re, persuadé de sa p ro p re incapacité : « j'entendais dans ma tête "tu peux pas, tu peux pas" ». Cette disqualification scolaire dont i l est l'objet n'est d'aille u rs pour lui q ue le reflet des « préjugés concernant les enfants de harkis » préjugés q u i ont déterminé les « mécanismes d'un espace public fermé à cette population réputée socialement indésirable et institution­ nellement encombrante »4.

Mais d'autres facteu rs d'invalidation apparaissent au fil de l'entre­ tien. « On avait un français qui n 'était pas celui de l'école... mon père disait "une avion " et la maÎtresse s'évertuait à me faire dire "un avio n ". Je me disais "qui croire ?" ». Conflit de légitimité, certes, q u i recouvre u n véritable

conflit cu ltu rel. On retrouve la situation si bien décrite par An nie Emaux

:

« Puisque la maÎtresse me "reprenait", plus tard j'ai voulu reprendre mon père, lui annoncer que "se parterrer" ou "quart moins d'onze heures " 3 - Roux M., 1991, Les harkis. Les oubliés de /'histoire, Paris, La Découverte. 4 - Ta h a r B o u h o u i a , 2006, Quand l'école o rga n i se u n o rd re des choses, i n Enfants et écoles d'au­ jourd'hui, E m pan, n° 63.

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En quête d'une intelligence de l'agir

n 'existent pas >>5. Le q uestionnement sur l'identité vient alors redou bler le conflit des cultures : « confronté aux communautés française et maghrébine, je découvrais qu'aucune ne me correspondait et que j'appartenais à un pays inexistant ». Un élément circonstanciel n'arrange pas les choses : Tahar a h u it ans q u and sa grande sœur, qui su ivait de près sa scola rité et ass u rait le lien entre la fam i lle et l'école, est mariée par les parents. « Privé de son sou­ tien... mes difficultés me parurent insurmontables, je perdis courage, je me résignai ». En sortant de l'école à 16 ans, Tahar était, selon ses d i res, incapable d'écrire une ligne et de lire a utrement q ue syllabe par syllabe. Com m e nt a-t-il pu, comme i l le d it, « renverser l'ordre des choses, passer d'une po­ sition de déficient, d'attardé social, à une position de doctorant » ? Repérer les stratégies personnelles m ises e n œuvre par Ta har pour sortir de cette situation de q u asi illettrisme et s u rm onter son hand icap dans la q u ête du savoi r, me se m b le i m p o rtant po u r que nous, accom pa­ gnate u rs d'écrit u re, pren ions bien conscience de l'énergie incroya ble dé­ ve lo ppée dans cette q u ête et d u fait q u e les étud iants sont bien les principaux acte u rs de le u rs apprentissages. C'est en faisant confiance à cette énergie et à ces stratégies q u e nous pou rrons pre n d re le re lais. Sans entrer, q uête i m possible, dans le mystère du désir, c'est le ha­ sard d'une rencontre q u i , à 2 3 ans, sort Tah a r de la représentation déva­ lo risée q u' i l se fa it de lui-même et de la honte q u ' i l é p ro uve à se sentir « parlé par les autres » : «je découvrais que j'étais autre chose qu'un anal­ phabète ». À parti r de là, il cherche désespérément le m oyen « de surmon­ ter une fatalité, d'échapper à /'héritage qui faisait des enfants de harkis de nouveaux attardés sociaux ». I l se jette alors pendant des a n nées dans u n travai l solita i re pour maîtriser la lectu re, chose qui ne va pas de soi dans son gro u pe de pairs. « li me fallait une semaine pour lire une page, six mois ou plus pour lire un livre ; ça me permettait d'ouvrir le dictionnaire que j'ai lu intégralement plusieurs fois et j'ai découvert un nouveau voca­ bulaire. Petit à petit je rencontrais le même mot, je le comprenais, il était à moi, à moi... il m 'éclairait, je pouvais l'utiliser et après essayer de le pla­ cer en écrivant ». Ces effo rts pour sortir de « l'exclusion par le savoi r » portent le u rs fru its. À 30 ans i l passe l' ES E U , s'inscrit en p h i loso p h ie, tro uve u n em ploi com me é d u cate u r. Ma lgré u n e b o u li m ie de lectu res, i l assu re avoi r l u j usq u'à h u it à d ix h e u res par j o u r, écrire conti n u e à l u i poser problème : s - Annie Ema ux, 1983, La place, Paris, G a l l i m a rd .

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Mettre en chemin d'écrire... mettre en chemin depenser

« Écrire, c'est physique d'abord, quelque chose qui engage dans le défi tif. .. comme graver avec un marteau et un burin sur un rocher. Le corps e_. crispé, le stylo a un poids... une sensation de soulever une montagne. Les mots, on sait pas où aller les chercher, je les voyais s 'enfuir sur ma page comme autant de fourmis... Surtout on sait pas où on va, on se sent égaré... alors c'est une poubelle de brouillons pour écrire une phrase ». C'est

dans ces conditions qu'il entre dans la formation préparant au DH E PS.

L'enjeu de la pre m ière a n n ée : d o n n e r le go ût et l'habitude d'écri re Avec le rec u l q ue me d o n nent dix années de retraite, i l m'apparaît de plus en plus q ue cette formation est un parcours soigneusement balisé, qu'entrer dans une dynamique de recherche-action résu lte d'un processus de changement dont le tem ps est un marq u e u r essentiel, q u'accom pagner une démarche d'écriture s u ppose des étapes à ne pas brûler. Quand Tahar parlant de l'écritu re d it : « c'est l'égarement, on se sent égaré, i l ajo ute aussitôt, l'intérêt du DHEPS c'est de structurer un parcours ». C'est donc d'écritures au pluriel q ue je parlerai, des éc ritu res cor­ respondant à ces diffé rentes étapes, elles-m êmes étroitement articu lées avec les étapes de la recherche-action. Je trancherai pour m a part avec fe rmeté pour une m ise en situation d'écrire dès le début de la formation, défin issant l'objectif de la première an née comme le passage d'une « m ise en situation d'écrire » à une « m ise en che m i nement d'écrit u res », a utrement d it à une prod uction écrite ré­ gu lière, variée, o rgan isée aussi i n d ispensa ble à l'acte u r-cherc h e u r en sciences sociales que le souffle et la respiration maîtrisée le sont au cou­ reu r de fon d . C'est déjà dire q ue je ne vois pas d'autres remèdes à l'é pui­ sement souvent constaté en co u rs de parcou rs ... q ue l'écritu re elle-même sous ses différentes formes ! Dès le pre m ier ate lier coopératif, l'exigence d'écrire entre chaque regro u pement est posée, diffé rentes propositions sont faites en ce sens en fin d'atelier, chacun choisissant celle qui lui convient. Ces textes seront envoyés à l'an imate u r avant le p rochain atelier, certains seront lus devant le gro u pe par leu rs a ute u rs pour être ensu ite e n richis des réactions et ' q uestionnements des autres participants. Le tem po est donné : aller-retour 1 entre travai l collectif et individ uel, entre l'oral et l'écrit. Qu'est-ce q u i le rend pertinent ? En quoi répond-il aux difficu ltés éventuelles des étud iants d u D H E PS, et le u r permet- i l d'entre r dans u n cheminement d'écritu re ? Trois facteu rs me se m b lent devoir jouer u n rôle déterm inant : le projet de l'institution, le rô le du gro u pe, l'attitude de l'an imate u r. 177

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En quête d'une intelligence de /'agir

Le projet de l'institution (Co llège coo pératif, u n iversité Paris I l l , au­ tres...) déco u le co m p lètement de la m ise en situation de rec herche-action. S'ad ressant à des praticiens, celle-ci propose com m e première étape de l'écritu re d u mémoire la production d'une monogra p h ie, elle-même pré­ cédée d ' u n e autobiographie raisonnée. Deux choix fon d a menta ux, lo u rds de conséq uences h e u re uses pour l'écriture. Les étud iants sont i nvités à parler d'eux-mêmes et à décrire le u rs pratiq ues, à se déco uvri r aute u rs, à s'affirmer acte u rs, d o u ble mo uvement d ' i m plication d istan ciation q u i fera to ut l'o bjet de la pre m iè re année de D H E PS. « Dans un premier temps se déroule un travail de repli sur soi. C'est le moment où l'on découvre que l'on peut écrire sur soi, pour soi et que cela aide à penser, à organiser, à observer »6• Et pou rtant, parler de soi. .. ne va pas de soi. Ce n'est d'aille u rs pas une dém arche privilégiée à l'école, encore moins à l' u n iversité. Tahar d i ra : « on se sent dans la subjectivité, dans l'émotion. Je ne parle plus de mon parcours, ça dérange les gens. En quelque sorte, c'est indécent ». Ce rtes, mais, sous certaines cond itions, c'est une p u issante sti m u lation de l'écri­ ture et de la réécrit u re q u a n d le texte écrit re ncontre une écoute e m pa­ t h i q u e et bienve illante, q u a n d il est so u m is aux q uestions d u gro u pe aidant à le préciser, l'étoffer, le développer après en avoir éco uté la lectu re à voix ha ute. Outre les effets évidents de valorisation de la personne, écrire sur soi peut aussi avoir des effets i m portants de ré-articu lation des temps (le passé, le présent) , de ré u n ification de la personne (son vécu personnel, sa vie professionne lle) . Ainsi dans une fo rmation contin u e d'assistantes sociales o ù je suis intervenue, la p roposition d'écri re son autobiographie ra isonnée a été reç u e co m m e vérita ble ment scan d a leuse, allant à l'en­ contre de toute une formation i n itiale fondée sur les principes de distan­ ciation et d'o bjectivité. Pou rtant a u c u n e des stagi a i res q u i avaient consenti à une telle approche ne l'a regretté : certaines ont retro uvé le u r motivation perso n nelle à choisir le u r métier, d'autres ont réartic u lé le u rs pratiq ues professionne lles avec des événements o u b liés, mais fondate u rs de le u rs vies, toutes d isant avoir m ieux géré leu r énergie à la su ite de cette expé rien ce d'écrit u re. Je ne m'étendra i pas plus s u r cette pratiq u e de l'au­ to biogra p h ie décrite par aille u rs par Christophe Vandern otte, elle est fon­ damentale pour q u e l'acte u r en formation se déco uvre « aute u r ». Mais j'en signa lerai cependant u n aspect partic u lier q u i permet par­ fo is d e retro uve r l'o rigi ne de ce rtaines i n h i bitions re latives à l'écrit u re. Parmi les p ropositions d'écritu re q u e je fa is souvent a u gro u pe e n tout 6 Sém inaire d e s d i recteu rs de recherche de D H E PS de la Sorbonne N o uvelle - Paris I l l , 2001, L 'écriture dans le parcours de recherche et son accompagnement. -

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Mettre en chemin d'écrire... mettre en chemin depenser

début de formation G'en fais to uj o u rs plusie u rs p o u r q ue les étu d iants choisissent celle q u i le u r convient) , i l y a celle q u i consiste à raconter un souve n i r heureux o u malhe u reux d'écriture lié à l'école. Le plus souvent, mais pas toujours, le souvenir raconté est malheureux et fait état de façon saisissante de la honte qui peut s'attacher d u rablement à l'écritu re quand le maître ou la maîtresse ironise devant la classe sur une rédaction malad roite ou un vocabulaire inadéq uat. La lecture de ces récits dans le gro u pe suscite échos et débats q u i confi rment l'im pact très ancien de l'école s u r l'expres­ sion écrite ressentie comme expression du soi le plus intime. Le m o uve ment par leq uel cet aute u r q u i se déco uvre s'affirme en même tem ps acteu r en décrivant ses pratiq ues sociales n'est pas moins i m po rtant. Philippe Missotte l'a développé en présentant la démarche mo­ nographiq ue. Je n'en parle ici q ue pour en sou ligner les effets a u n iveau de l'écritu re. Rien de plus exigeant q u e d'observe r et décrire avec préci­ sion, et comme « à d istance », un o bjet o u une situation, s u rtout quand il est proposé de choisir une situation en relation avec la q uestion de recherche (autrement d it, une situation dans laq uelle l'aute u r est fortement i m p li­ q u é) . Rien de plus d ifficile q ue d'évite r explications, interprétations, juge­ m ents de va le u r, « en prenant le temps de chercher les mots justes, en résistant aux entrainements du discours, en imposant au contraire sans faiblir au langage notre volonté de dire exactement ce que nous perce­ vons, et cela seul »1. J e propose, a p rès écrit u re des textes, q ue les étu­

d iants se les lisent d e ux par d e ux avec une gri lle d'analyse. Le rôle de l'interlocute u r, u n m e m b re du gro u pe coopératif, est alors fondamental : lisant le texte d'un autre, il est bien p lacé pour en releve r les dérives et en d ébattre avec l'aute u r. On peut alors vérifier l'affirmation qui peut sem b ler parad oxa le de Wittgenstein, citée par Billeter : « De /'explication il faut bien en arriver à la simple description », et aille u rs : « ... une description

constitue la solution de la difficulté, pour peu que nous lui donnions sa juste place, que nous nous arrêtions à elle, sans chercher à la dépasser ».

On découvre alors l'im po rtance d u gro u pe com me interlocute u r pri­ vi légié d u scripte u r : « ces ateliers, indique Tahar, constituaient une sorte

d'université internationale à laquelle participaient des gens qui venaient du Sénégal, de Nouvelle-Calédonie ou d'ailleurs. Dans cet espace, chacun arrivait avec ses interrogations. Les regards complètement étrangers por­ tés sur le questionnement des uns et des autres m 'ont permis d'évoluer, d'enrichir mon point de vue, de préciser et de changer mon vocabulaire ».

Si les réactions d u gro u pe aux p résentations o rales o u écrites q u i lui étaient pro posées ont été si efficaces, c'est q u e des règles d'écoute et de 7 Billeter J . F. op.cit. -

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En quête d'une intelligence de /'agir

confidentia lité ont été posées, q u e les destinataires des premiers écrits, l'animate u r d'ate lier, le gro u pe de pairs, ont été précisés, que le u rs i nte r­ ventions ont pou r but d'amé liorer les écrits présentés q u i seront ensu ite réécrits par le u rs aute u rs. Le règne du b ro u illon co m mence ! Avant même q u ' u n exposé a u co u rs d ' u n sém i n a i re ne présente les fon ctions de l'écrit et les re présentations q u i lui sont attachées, la re pré­ sentation d'un écrit « coulant de source » le jour où l'on a décidé de s'y met­ tre, d'un écrit en q uelque sorte sacralisé, vole en éclats au profit d'un travail sur le texte q u i se poursuivra tout au long des trois années de formation. Le rôle de l'a n i m ate u r n'est évidem ment pas négligeable ! Il re pré­ sente le projet de l'institution, il est censé savoir écrire, ou du moins savoir q ue l type d'écrit sera demandé aux étu d iants en fin de parco u rs. Ce ux-ci lui font, sur ce point, une confiance i m p ressionnante. J e vou d rais cepen­ dant d istinguer plusie u rs cas de figu re. Dans le cad re de l'atelier, les in­ te rventions de l'an i m ateu r se bornent essentie llement à enco u rager les réactions des participants et à sou ligner le u r intérêt, à sti m u le r la dyna­ mique du gro u pe, à donner les consignes pour les écrits q u i seront so u m is au prochain atelier. Mais surto ut l'animate u r est celui q u i garde la mémoire de ce q u i se d i t e n ré u n i o n . C'est le « j o u rn a l d'atelier », diffusé entre chaq ue séance, q u i restitue au gro u pe ce q u i a été dit la fois précédente, ce q u i a u n effet de conti n u ité dans le travai l, mais s u rtout de valorisation collective, et même i n d ivid ue lle, s u rprenant (les étudiants se précip itent po u r voir comment sont restituées leu rs interventions !) . Il faut bien avouer cependant q u e le travai l de restitution régu lière est exigeant pour 1 'an� mate u r et q ue le j o u rn a l d'atelier, si c h a le u re usement recom mandé par Ch ristian Hermelin, s'étiole pa rfo is au fi l d u tem ps. Autre situation que celle où l'a n i m ate u r réagit par écrit aux textes q u i lui sont sou m is. Ses re marq ues, pour ne pas parler de corrections, ont un poids particu lier q u i nécessite u n ce rtain doigté. Plus q ue la re lation maître/élève (q ue je ne renie pas d u tout) , je prendrai com me référence la re lation mère/enfant telle q ue la décrit Winnicott (6) , créatrice d' u n e illu­ sion féconde. Je ne songe évidem ment pas à assim i ler les étudiants adu ltes à des enfants, ce sont le u rs écrits, avec le u r fragi lité, le u r caractère intime, nota m ment po u r ceux q u i concernent l'a uto b iogra p h ie, q u i pe uvent se com parer à des ge rmes que l'écoute positive de l'an i m ateu r peut encou­ rage r et fo rtifier. Pressentir dans u n écrit confus et mal organisé la pépite d'or q u ' i l pourrait devenir me sem b le fondamental. « Il y a quelqu'un qui attend de vous lire. Pas pour juger, pour accueillir, valoriser. Vous disiez souvent : "c'est tout à fait intéressant"... alors on a le sentiment d'avoir quelque chose à dire, quelque chose qui est "digne d'être écrit" et qui en­ gage notre identité ». 180

Mettre en chemin d'écrire... mettre en chemin depenser

Le statut particu lier d u texte écrit lu à vo ix haute pou rrait utile ment être approfondi pour m ieux com prendre l'effet positif qu'il prod uit. Il m'est souvent arrivé d'utiliser cet effet en miroir, c'est-à-dire en proposant de lire moi-même un texte à son auteur ou en pro posant qu'un mem bre d u gro u pe le lise. I l y a là création d'un espace que l'on pou rrait, sous toutes réserves, co m parer à l'espace transitionnel q ue décrit Winn icott et q u i est d'aille u rs pour lui à l'origine de tous les phénomènes c u lturels. L'écrit, alors, revient à la paro le q u i l'origine et éveille des résonances q u i l'enrichissent. Nous verrons, bien s û r, q ue ce n'est là q u'une étape, celle q u i fera d i re à Ta har : « C'est la manière de Socrate, aider l'autre à accoucher de lui-même

».

Après la mise en confiance, rôle fondamental de l'an imateur d'atelier d'écrit u re, deux a utres d imensions méritent d'être sou lignées dans cette p re m ière année de DH E PS : le plaisir et les rites. Le plaisir est introd uit de façon ponctuelle par des propositions insolites au cou rs d'un atelier ou d'un séminaire : jouer a uto u r d u m ot « mémoire », écrire des textes loufoq ues autour de ce mot, transformer u n passage d ramatiq ue en dialogue com iq ue o u en sermon de carême, faire appel à Ponge ou à Queneau pour m u ltiplier les facettes de l'écriture, montrer la d iversité des m oyens avec lesq uels on peut ren d re com pte d'une même réalité ... tout cela bouscule te rapport souvent figé, conventionnel des étudiants au texte écrit (« Je voulais à tout prix écrire comme dans un livre ») et permet, dans le mei lleur des cas, de favoriser l'éclosion d'une écrit u re personnelle. Il en est de même pour ta lectu re, fréq uem ment objet de modélisations paralysantes : lire un livre de ta p re m ière à ta d e rn ière page, ne jamais lire d e ux livres en m ê m e tem ps. . . Po ur désacraliser c e rapport au livre (il n'est p a s aisé de bousculer des habitudes qui ont structu ré toute une vie de lecte u r) , i l m 'est arrivé de fai re a rracher dans de vieilles revues les q uelques pages m é ritant une lectu re approfondie. Acte iconoclaste ! Mais fructueux pour d istinguer te texte d u livre et ne prend re dans un livre q ue le texte dont on a besoin. Mais pour ancrer l'habitude d'écrire, « il faut aussi accéder à une sorte de rituel >>. En proposant de repérer, au cou rs d'entretiens m utuels et de façon q uasi ethnométhodologiq ue, les différents « profils d'écrivant », m ais a ussi « profi ls de lecte u r » présents dans le gro u pe (tem ps, lieux, outils, habi­ tudes ...) , en en faisant une galerie de portraits sur le modèle de ceux de La Bruyère, on permet aux étud iants d'identifier la diversité des cond itions concrètes q u i favorisent lectu re comme écrit u re, et bien s û r d'identifier leu rs propres « fa çons de fa ire », q uelq ue su rprenantes q u 'elles pu issent paraître. C'est encourager les étudiants, à ritualise r le u r prod uction écrite et surtout à considérer l'écritu re comme u ne véritable prod uction : « écrire, c'est complètement physique, d'abord on sait pas faire, les mots on sait pas où aller les chercher, le corps est crispé, le stylo a un poids ... ». 181

En quête d'une intelligence de /'agir

Resta u re r la confiance en soi, introd u i re d u plaisir, découvrir les cond itions concrètes facilita nt sa prod uction écrite ... C'est à l'a n i m ate u r d'atelier de repérer au fil d u tem ps c e q u i fait blocage pou r l e gro u pe, po u r tel o u te l partici pant e t de pro poser d e s exposés, d e s exe rcices, tout ce q u i lui se m b lera bon pour remettre les étu d i ants du D H E PS en go ût et en ap pétit d'écri re, d'écri re régu lière ment, de travai ller le texte prod u it. Tra­ vailler pour q u e l'écrit u re devienne plus lis i b le, plus com préhensible (et c'est déjà bea uco u p !) , mais aussi pour q u 'elle devienne belle, « comme aux Beaux-Arts, le patron retouche une courbe ou un trait... puisque, le plus souvent, en s'affinant, elle entraÎne l'affinement de la pensée socio­ logique »8•

Au-delà d ' u n e m aïeuti q u e d e l' é crit u re : m ettre e n che m i n d e penser Mais si l a prod u ction d ' u n e monographie en fin de première année vient valider ce pre m ier débro ussaillage de l'écritu re, on est encore loin d u com pte p o u r c e q u i est de prod u i re l e texte d ' u n m é m o i re de recherche­ action. 1 1 y a, en effet, une véritable ru pture entre l'écriture de la monographie et celle d u mémoire, rupture q u i fa it écho à la fame use rupture épistém o­ logiq u e d a n s le parco u rs de rec h e rche. L'écritu re autobiogra p h i q u e et l'écritu re descri ptive q u i forment l'essentiel de la monographie renvo ient à une réalité concrète, proche de l'aute u r et q ue l'interlocute u r perçoit d i­ rectement lorsq u'il lit la monogra p h ie. Le texte écrit reste alors très proche de la parole q u i, selon Ricœur9, « rejoint le geste de montrer, de faire voir », alors q u e dans le texte, to ujo u rs selon R i c œ u r, « le mouvement vers la monstration se trouve intercepté... la référence est différée... chaque texte est libre d'entrer en rapport avec tous les autres textes qui viennent pren­ dre la place de la réalité circonstancielle montrée par la parole vivante ». Ce q u' i l est conve n u d'appe ler l'écrit u re de recherche ré pond exac­ te ment à cette défi n ition de Ricœ u r : o uvrant s u r d'autres textes, e lle ré­ s u lte , co m m e l'a m o n t ré R o ze n n G u i be rt d a n s d i ffé re n t s a r t i c l es10, d u

tissage » ré ussi d e d i fférents n iveaux d e texte. Elle n e s'adresse plus à des interlocute u rs con nus (gro u pe de pairs, animate u r d'atelier) , mais à des destinataires construits, i m aginés G u ry) ,e t potentiellement i n n o m b ra­ bles. Elle n'est plus le seul fait d ' u n aute u r, psychologiq uement situé, plus «

8 Sém i n a i re, cf. supra p . 178. 9 Ricœur P., 1986, Du texte à l'action. Herméneutique Il, Paris, Seuil. 10 G u i be rt R, 1998, Ëcriture d u mémoire : exercice d'apprentissage de la complexité et de construction i dentita i re, i n C ros (F) , Le mémoire professionnel en formation des enseignants : un processus de construction identitaire, Paris, L'Harmattan. -

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Mettre en chemin d'écrire... mettre en chemin depenser

ou moins assuré dans sa position d'aute u r, mais de ta confrontation avec des aute u rs variés. Enfin, « l'intention ou la visée du texte n 'est pas, à titre

primordial, l'intention présumée de l'auteur, le vécu de /'écrivain dans le­ quel on pourrait se transporter », ce q u i est le cas de ta monographie, mais « ce que veut le texte, c'est nous mettre dans son sens c'est-à-dire dans la direction qu 'il ouvre à la pensée »11, ce q ue commente ensu ite Ricœur en

précisant q ue te texte o uvre au lecte u r un chemin de pensée. Il ne s'agit donc plus seulement pour l'animate u r d'atelier, l'ensei­ gnant de sém inaires sur ta lecture o u l'écritu re, te d i recteur de recherche qui intervient à ce moment-là, de « mettre en chemin d'écriture », mais q ue l'écriture encouragée et produite tout au long de ta première étape « mette te futur lecteu r en chemin de pensée ». Ce passage a beau être nécessai re, il faut reconnaître qu'il est difficile, que !'accom pagnatrice que j'étais s'y est cassé tes dents, que c'est s u r cette rupture q ue beaucoup d'étudiants abandonnent. Essayons de mes u rer pou rquoi avant de faire état de mes tâtonnements d'accom pagnatrice. Dans te sé minaire des d i recte u rs de recherche de Paris I l l sur l'écri­ tu re, il est fait état de ta difficulté du tissage : « En formation comme en

direction de recherche, on constate que nombre d'étudiants expliquent qu'ils ne réussissent pas ce tissage auquel ils aspirent. Ils ne savent pas, disent-ils, comment s'y prendre, comment structurer la masse d'informa­ tions issues de l'expérience et celles qui leur viennent des lectures théo­ riques»12. Mais cette d ifficu lté bien identifiée n'en cache-t-elle pas

d'autres ? N'est-i l pas paradoxal q u'à peine un étudiant s'est-il senti « au­ torisé » à écrire, à peine com mence-t-it à y trouver d u plaisir et à conforter ainsi une toute fraîche position d'auteur, q u'il lui est demandé de s'effacer partiellement de son texte, cet effacement étant clairement sym bo lisé par te passage d u « je » a u « nous ». Ce dont tes étudiants font d'ailleurs état, c'est bien du ma taise à utiliser te « nous », exigence q u i vient tout à co up renfo rcer deux des difficu ltés à écrire identifiées par Rozenn G u i bert chez t'étudiant adulte : son pro p re manque de légiti m ité et ta légiti m ité scienti­ fique hypertroph iée qu'il prête aux destinataires de son mémoire. À ces d ifficu ltés de positionnement s'ajoutent pratiquement to u ­ j o u rs d e s d i fficu ltés q u i semblent d'ord re tec h n i q u e : les étu d i a nts de man ­ dent com ment constru i re u n plan, réfé rencer, établir une bibliographie ... toutes demandes qui traduisent, en fait, une très grande d ifficu lté à trad uire dans l'écrit u re d u m é m o i re les exigences de la d é m a rche de recherche 1 1 • Ricœur P., op. cit. 12 · Séminaire, cf. supra p. 178.

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En quête d'une intelligence de / 'agir

(défi n ition de conce pts, uti lisation de l'analyse des données po u r argu ­ menter, réfé rence à des aute u rs, etc.) . I ls n'ont, e n fa it, q u e rarement une idée claire de ce qui le u r est demandé en matière d'écrit u re d ' u n mémoire to ut en ayant u n e idée bien ancrée q u' i l s'agit d ' u n e écrit u re « scienti­ fique » dont i ls se sentent incapables. C'est d i re co m b ien ils sont avides de mots savants et de savantes exp lications sur le s ujet ! Les sém inaires lecture/écrit u re q u i rythment les deux dernières an­ nées d u DH E PS tentent de ré pon d re à cette demande, mais en alte rnant exposés, ré ponses d i rectes à la demande et exe rcices variés qui consti­ tuent autant de déto u rs profitables au changement de postu re atte n d u . D a n s l a contin u ité de la pre m ière année s o n t aussi mainten u s d e s tem ps d'écriture créative prolongeant ces exercices en le u r donnant une fo rme finale aboutie et so uvent savo u reuse. C'est ainsi, par exem ple, q u'après avoir pe iné s u r l'é laboratio n d'une 4èm e de co uve rtu re po u r leu r mémoire q u ' i ls im aginent p u blié chez !' Harmatta n, i l le u r est pro posé d'écrire la même 4 ème de co uve rt u re p o u r un roman, écrit par eux et ti ré de leu r re­ cherche, pu blié dans la colle.ction Harle q u i n . Au-delà de la sti m u lation de l'imaginaire, c'est la capacité à se déplacer qui est sollicitée dans ces jeux d'écritu re, à changer de point de vue, à aj uster l'écritu re et l'argu mentation en fonction des destinataires et d u contexte dans leq uel ils liront l'o uvrage. Maintenir la d iversité des textes prod u its et y pren d re, si possi ble, d u plai­ sir, est i m portant pour q u e le souhait des d i recte u rs de rec herche - fai re émerger une écrit u re perso nnelle dans les mémoires q u ' ils d i rigent - ne reste pas u n vœu pie ux. La lect u re, la prise de notes et le com pte ren d u d'o uvrages lus tien­ nent une place beau co u p plus im portante q u'en prem ière année, non se u­ lement parce q u e les étudiants ont bea u co u p à lire et doivent s'organiser po u r cela, mais parce q u'il faut lire efficace, garder des traces de ses lec­ tures, et pour cela découvri r q u ' i l y a d iverses façons de lire et q ue toute lectu re peut n o u rrir le u r recherche. De la même façon, l'analyse de textes choisis constitue le meille u r entraînement à l'écritu re de recherche : u n chap itre de Bachelard , u n d ialogue de Platon o u u n e « Provin c iale » d e Pascal permettent d e re pérer non se u le m e n t l'enchaînement d e l'argu­ mentation, la façon dont le texte est constru it, le rôle des mots de liaisons, du titre, de l'intro d u ction p o u r le ren d re efficace ... Mais a ussi la « voix pro­ pre » d e l'aute u r (la poésie de Bachelard, l'ironie su btile de Platon, la force d ialectiq ue de Pascal) , bref to ut ce q u i permet à un texte de « m ettre son lecte u r en a ppétit et en chemin de penser ». Je me propose, après cette présentation d'ense m b le, de reprendre les trois difficultés nom mées plus haut en exp licitant com ment j'ai tenté d'y répon d re au fi l de tem ps. 184

Mettre en chemin d'écrire... mettre en chemin depenser

Après la soutenance de sa m onographie, l'étudiant cherche à com­ prendre ce qui est attendu de lui en matière d'écrit u re du mémoire pro­ prement d it. L'excellente étude menée par Michèle G u igue-Durning à partir d'une centaine de mémoires de D H E PS13 souligne q u e le mémoire est un o bjet com plexe, résultant de la gestion, plus o u moins réussie, d'un certain n o m b re de paradoxes {prod uit fini, mais aussi trace d'un p rocessus, arti­ c u lant théorie et pratique, à la fois personnel et réfé rencé ...) . Le travai l sur ces paradoxes est intéressant à mener avec les étu d iants car très proche des paradoxes de la d é m a rche de rec herche pro p re m e nt d ite. Mais, à peine travaillée cette co m p lexité q u i diffé rencie monograp h ie et mémoire et q u i introduit la m ise en place d u « tissage », i l faut revenir à la demande i nitiale des étudiants : constru i re u n plan, rédiger introd uction et conclu­ sion, choisir un titre, enchaîne r des paragrap hes ... avec, parm i les exe r­ cices p ratiq ues, celui consistant, ciseaux et colle à l'appui, à déco u per et remettre en ord re les p h rases d'un texte réel, complètement décousu, pour constru i re une p rogression a rgu mentée du propos traité. I l m'est a rrivé aussi de présenter dans le séminaire « Écrire et argu menter en situation de recherche » u n para llèle entre la recherche en sciences sociales et la rec h e rc h e du m e u rtri e r d a n s un ro m a n p o licier (i l n 'est pas i nte rd it à l' intervenante de faire preuve, elle a ussi, de créativité) , en d istinguant les différentes démarches de Sherlock Holmes et d'Herc u le Poirot, leu rs po­ sitions de cherche u rs, la façon dont i ls élaborent leu rs hypothèses, met­ tent les ind ices en relation, to ut en re pérant, bien s û r, com ment l'écriture d u rom a n policier ren d com pte de cette situation de recherche, u n peu particu lière je l'accorde. Tout est bon, me sem b le-t-il pour faire percevoir aux étudiants q u'on leu r demande à la fois q uelque chose de rad icalement différent de ce qu'ils ont écrit jusqu'ici - q u i était de l'ord re de la description o u d u récit - et en m ê m e te m ps q uelque ch ose dont i ls sont plus fa m i liers q u 'ils ne le croient pu isque, au-delà du sim ple roman policier, i ls commencent à devenir des lecte urs, et des lecte u rs critiq ues, d'ouvrages de rec herche en sciences sociales. Cependant le plus difficile est peut-être pour l'étudiant de seconde o u troisième année de se situer a utrement d evant u n texte à p rod u i re. É crire, o u i, mais préciser quel est ce « je », o u ces « je » q u i écrivent ? Po ur­ q uoi et en vue de q u o i écrivent-ils ? Pou r q ue ls destinataires et q uelles re­ p résentations en a ce « je » énonciate u r ? De q uelle marge de manœuvre d ispose-t-il ou se donne-t-il ? Confronter ses réponses avec celles des autres 13 G u i g u e- D u rn i n g M., 1995 , Les mémoires en formation : entre engagement professionn construction des savoirs, Paris, L'H a rmattan . ·

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participants permet à l'écrivant de découvri r q u e « je » est p l u riel et q u ' i l tient s a légitim ité de plusie u rs s o u rces. I l est a m e n é à expliciter, e t donc à relativiser, les représentations souvent hypertrophiées q u' i l se fait de ceux q u i le liront. Il n'est pas in utile de décliner sous des formes variées ce tra­ vai l s u r la situation d'énonciation et de reve n i r à plusie u rs re prises s u r u n positionnement q u i évo lue au fu r et à mes u re de l a recherche. M a i s cela ne suffit pas, si l'on en croit Ricœ u r, po u r q ue le texte pro d u it mette le lec­ teu r en chemin de pensée. C'est vraiment le fait de s'appuyer sur la pensée d'autres a u te u rs p o u r e n ric h i r et fai re re bon d i r la sienne pro p re, de se confronter à eux en osant la criti q u e q u i « fait le texte », en to ut cas u n texte q u i fait penser. S u r ce point je n'ai pas su analyse r de près la d i ffic u lté q u i n'est pas se u lement de se positionner comme aute u r s ingu lier, mais co m m e aute u r susceptib le de dialoguer avec d'autres aute u rs, com m e auteur susceptible d'entrer dans une co m m u nauté, non pas vraiment de « cherc h e u rs », le mot s u ggè re u n état déjà consacré, mais de « c h e rcha nts » d a n s u n « nous » o ù , s i l'aute u r singulier s'efface, l'auteur e n recherche prend toute sa place. Analyse r finement ce positionne ment, i nvente r les o uti ls co rres­ pondants, reste à fa i re. Demeure la diffic u lté déjà évoquée d u « tissage ». « Le modèle du mémoire idéal serait un ouvrage où se tisse /'expérience et la construction d'une question en se restructurant l'une l'autre, l'une par l'autre >f4• Po u r aider les étud iants à struct u rer l a masse d'informations issues de l'expé­ rience et celles q u i le u r vien nent des lect u res théori q u es, j'ai souvent ex­ péri menté combien étaient éclairantes les précieuses analyses de Rozenn G u i be rt s u r les d i ffé rents types de textes qui participent à l'é laboration d'un mémoire et les jeux de textes q u i en déco u lent. Il me pa raît intéres­ sant de signaler q ue fai re analyse r des so m m a i res de mémoires et y repé­ rer ces différents n iveaux de texte a touj o u rs été un exercice très fructueux quand le moment est ven u d'organ iser défi n itivement l'ensemble des don­ n é e s . I l re n d b i e n c o m pte d e la d ive rs ité d e s t i s s a ge s p o ss i b le s ... et d e la

d iversité des m é m o i res. Mais ce q u i m a n q u e le plus aux étudiants pour réussir le u r tissage, c'est de tro uver leu r « voix d'auteu r » (« egotexte » de Rozen n Guibert) . « Il y a quelque chose que je ne suis pas encore arrivé à faire, c'est trouver ma voix, ma voix intérieure, un ton, un ton d'auteur quoi... », d ira Ta har en fi n d'entretien. Ce ton, cette voix, la prati q u e d u journal de recherche pou rrait contri buer à les fai re émerge r. Dans le prolongement de l'auto b iographie 1 4 Séminaire, cf. supra p . 178. -

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Mettre en chemin d'écrire... mettre en chemin depenser

début de fo rmation G'en fais to uj o u rs p lusie u rs p o u r q u e les étudiants choisissent celle q u i le u r convient) , il y a celle q u i consiste à raconter un souvenir heureux o u malheureux d'écritu re lié à l'école. Le plus so uvent, mais pas toujours, le souvenir raconté est malheureux et fa it état de façon saisissante de la honte qui peut s'attacher d u rablement à l'écriture quand le maître ou la maîtresse ironise devant la classe sur une rédaction malad roite ou un vocabu laire inadéq uat. La lecture de ces récits dans le grou pe suscite échos et débats q u i confi rment l'im pact très ancien de l'école s u r l'expres­ sion écrite ressentie comme expression du soi le plus intime. Le m ouvement par leq u e l cet aute u r qui se déco uvre s'affi rme en même te m ps acte u r en décrivant ses pratiq ues sociales n'est pas moins im portant. Ph i lippe Missotte l'a développé en présentant la démarche mo­ n ographiq ue. Je n'en parle ici q ue pour en sou ligner les effets a u n iveau de l'écritu re. Rien de plus exigeant que d'observe r et décrire avec préci­ sion, et comme « à d istance », u n o bjet o u une situ ation, s u rtout quand il est proposé de choisir une situation en relation avec la q uestion de recherche (autrement d it, une situation dans laq uelle l'aute u r est fo rtement i m p li­ q ué) . Rien de plus d ifficile q ue d'évite r explications, interprétations, juge­ m ents de va le u r, « en prenant le temps de chercher les mots justes, en résistant aux entrainements du discours, en imposant au contraire sans faiblir au langage notre volonté de dire exactement ce que nous perce­ vons, et cela seul »7 • J e pro pose, a p rès écrit u re des textes, q ue les étu­

d iants se les lisent d e ux par d e ux avec une grille d'analyse . Le rôle de l'interlocute u r, u n membre d u gro u pe coopératif, est alors fonda mental : lisant le texte d ' u n autre, il est bien p lacé pour en releve r les dérives et en débattre avec l'aute u r. On peut alors vérifier l'affi rmation qui peut sem b ler parad oxale de Wittgenstein , citée par Billete r : « De l 'explication il faut bien en arriver à la simple description », et aille u rs : « ... une description

constitue la solution de la difficulté, pour peu que nous lui donnions sa juste place, que nous nous arrêtions à elle, sans chercher à la dépasser ».

On découvre alors l'i m po rtance d u gro u pe comme interlocute u r pri­ vilégié du scri pte u r : « ces ateliers, indique Ta har, constituaient une sorte

d'université internationale à laquelle participaient des gens qui venaient du Sénégal, de Nouvelle-Calédonie ou d'ailleurs. Dans cet espace, chacun arrivait avec ses interrogations. Les regards complètement étrangers por­ tés sur le questionnement des uns et des autres m 'ont permis d'évoluer, d'enrichir mon point de vue, de préciser et de changer mon vocabulaire ».

Si les réactions d u gro u pe a ux p résentations o ra les o u écrites q u i l u i étaient pro posées ont été si efficaces, c'est q u e d e s règles d'écoute e t de 7 Billeter J . F. , op.cit. -

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En quête d'une intelligence de /'agir

confidentia lité ont été posées, q ue les destinataires des premiers écrits, l'a n i m ate u r d'ate lier, le gro u pe de pairs, ont été précisés, que leu rs i nte r­ ventions ont pour but d'améliorer les écrits présentés q u i seront ensu ite réécrits par le u rs aute u rs. Le règne du bro u i llon com mence ! Avant même q u' u n exposé a u c o u rs d ' u n sém i n a i re ne présente les fon ctions de l'écrit et les re présentations q u i lui sont attachées, la re pré­ sentation d'un écrit « co ulant de source » le jour où l'on a décidé de s'y met­ tre, d'un écrit en q uelq ue sorte sacralisé, vole en éclats au profit d'un travail sur le texte q u i se poursuivra tout au long des trois années de formation. Le rôle de l'a n i m ate u r n'est évidem ment pas négligeable ! Il re pré­ sente le projet de l'institution, il est censé savoi r écrire, ou du moins savoir q uel type d'écrit sera demandé a ux étud iants en fin de parco u rs. Ce ux-ci lui font, sur ce point, une confiance i m p ressionnante. J e vo u d rais cepen­ dant d istinguer plusie u rs cas de figu re. Dans le cad re de l'atelier, les in­ te rventions de l'a n i m ate u r se bornent essentiellement à enco u rager les réactions des participa nts et à sou ligner le u r intérêt, à sti m u le r la dyna­ m i q u e d u gro u pe, à donner les consignes pour les écrits q u i seront sou m is au prochain atelier. Mais surto ut l'animate u r est celui q u i garde la mémoire de ce q u i se d it e n ré u n i o n . C'est le « j o u rn a l d'atelier », diffu sé entre chaq ue séance, q u i restitue au gro u pe ce q u i a été d it la fois précédente, ce q u i a un effet de conti n u ité dans le travai l, mais s u rtout de valorisation collective, et même i n d ivid ue lle, su rprenant (les étu d iants se précipitent po u r voir comment sont restituées leu rs i nterventions !) . Il faut bien avouer cependant q u e le travai l de restitution régu lière est exigeant pour 1 'ani­ mate u r et q ue le j o u rn a l d'atelier, si chale u re usement reco mman dé par Ch ristian Hermelin, s'étiole parfo is au fi l du te m ps. Autre situation q ue celle o ù l'an i m ate u r réagit par écrit aux textes q u i l u i sont so u m is. Ses re marq u es, pour ne pas parler de corrections, ont u n poids particu lier qui nécessite u n certain doigté. Plus q ue la re lation maître/élève (q ue je ne renie pas du tout) , je prendrai com me référence la re lation mère/enfant telle q ue la décrit Win n icott (6) , créatrice d ' u n e i llu­ sion féconde. Je ne songe évidemment pas à assi miler les étudiants adu ltes à des enfants, ce sont leu rs écrits, avec le u r fragilité, le u r caractère intime, n ota m ment po u r ceux qui concernent l'a uto biogra p h ie, qui pe uvent se comparer à des ge rmes que l'écoute positive de l'an i m ateu r peut encou­ rage r et fo rtifier. Pressentir dans u n écrit confus et mal organisé la pépite d'or q u ' i l pou rrait devenir me se m b le fondamental. « Il y a quelqu 'un qui attend de vous lire. Pas pour juger, pour accueillir, valoriser. Vous disiez souvent : "c'est tout à fait intéressant"... alors on a le sentiment d'avoir quelque chose à dire, quelque chose qui est "digne d'être écrit" et qui en­ gage notre identité ». 180

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Le statut particulier d u texte écrit lu à voix haute pou rrait utilement être approfondi pour m ieux com prendre l'effet positif qu'il prod uit. Il m'est souvent arrivé d'utiliser cet effet en miroir, c'est-à-dire en proposant de lire moi-même un texte à son aute u r ou en pro posant qu'un mem bre d u gro u pe le lise. I l y a là création d'un espace que l'on pourrait, sous toutes réserves, com parer à l'espace transitionnel q ue décrit Winn icott et q u i est d'aille u rs pour lui à l'o rigine de tous les phénomènes c u lturels. L'écrit, alors, revient à la paro le q u i l'origine et éveille des résonances q u i l'enrich issent. Nous verrons, bien sûr, q ue ce n'est là q u'une étape, celle q u i fera d i re à Ta har : « C'est la manière de Socrate, aider l'autre à accoucher de lui-même

».

Après la mise en confiance, rôle fondamental de l'an imate u r d'atelier d'écriture, deux a utres d imensions méritent d'être sou lignées dans cette première année de D H E PS : le plaisir et les rites. Le plaisir est introd u it de façon ponctuelle par des propositions insolites au cou rs d'un atelier ou d'un séminaire : jouer auto u r d u m ot « mémoire », écrire des textes loufoques autour de ce mot, transformer un passage d ramatique en dialogue comique ou en sermon de carême, faire appel à Ponge ou à Queneau po u r m u ltiplier les facettes de l'écritu re, m ontre r la d iversité des m oyens avec lesq uels on peut ren d re com pte d'une même réalité ... tout cela bouscule le rapport souvent figé, conventionnel des étud iants au texte écrit (« Je voulais à tout prix écrire comme dans un livre ») et permet, dans le meille ur des cas, de favorise r l'éclosion d'une écrit u re person nelle. Il en est de même pour la lectu re, fréq uemment o bjet de modélisations paralysantes : lire un livre de la p re m iè re à la dernière page, ne jamais lire d e ux livres e n même tem ps... Pou r désacraliser ce rapport au livre (il n'est pas aisé de bousculer des habitudes qui ont structu ré toute une vie de lecte u r) , i l m 'est arrivé de fai re a rracher dans de vieilles revues les q uelques pages mé ritant u ne lectu re approfondie. Acte iconoclaste ! Mais fructueux pour d istin guer le texte d u livre et ne pre n d re dans u n livre q u e le texte dont on a besoin. Mais pour ancrer l'habitude d'écrire, « il faut aussi accéder à une sorte de rituel >>. En proposant de repérer, au cou rs d'entretiens m utuels et de façon q uasi ethnométhodologiq ue, les différents « profils d'écrivant », mais aussi « p rofi ls de lecte u r » p résents dans le gro u pe (te m ps, lie ux, o uti ls, ha bi­ tudes ...), en en faisant une galerie de portraits sur le modèle de ceux de La Bruyère, on permet aux étudiants d'identifier la d iversité des conditions concrètes qui favorisent lectu re comme écrit u re, et bien sûr d'identifier leu rs propres « façons de faire », q uelq ue surprenantes q u 'elles pu issent paraître. C'est encourager les étudiants, à ritualiser le u r prod uction écrite et surtout à considérer l'écritu re com me une véritable prod uction : « écrire, c'est complètement physique, d'abord on sait pas faire, les mots on sait pas où aller les chercher, le corps est crispé, le stylo a un poids ... ». 181

En quête d'une intelligence de /'agir

Resta u re r ta confiance en soi, introd u i re d u plaisir, déco uvri r tes con d itions concrètes facilitant sa prod uction écrite ... C'est à l'a n i mate u r d'atelier de re pérer au fil d u tem ps c e q u i fait blocage po u r l e gro u pe, pour tel o u te l partici pant et de pro poser des exposés, des exercices, to ut ce q u i lui se m b lera bon po u r re mettre les étudiants d u D H E PS en go ût et en ap pétit d'écrire, d'écrire régu lière ment, de travai lle r te texte prod u it. Tra­ vai ller pour q u e l'écritu re devienne plus lisible, plus com préhensible (et c'est déjà bea uco u p !) , mais aussi po u r q u 'elle devienne belle, « comme

aux Beaux-Arts, le patron retouche une courbe ou un trait. .. puisque, le plus souvent, en s'affinant, elle entraîne /'affinement de la pensée socio­ logique »8 •

Au - d e là d ' u n e m aïeuti q u e d e l'écrit u re : m ettre e n che m i n d e penser Mais si l a prod u ction d ' u n e monographie en fin de pre m ière an née vient valider ce pre m ier débro ussaillage de l'écritu re, on est encore loin d u com pte p o u r c e q u i est de prod u i re l e texte d ' u n m é m o i re de recherche­ action. 1 1 y a, en effet, une véritable ru pture entre l'écritu re de la monographie et celle du mémoire, ru ptu re q u i fait écho à la fame use ru ptu re épistém o­ logi q u e dans le parco u rs de recherche. L'écritu re autobiogra p h i q ue et l'écritu re descri ptive q u i fo rment l'essentiel de ta mon ographie renvo ient à une réalité concrète, proche de l'aute u r et q ue l'interlocute u r perçoit d i­ rectement lo rsq u'il lit la monogra p h ie. Le texte écrit reste alors très proche de ta paro le q u i, selon R icœur9, « rejoint le geste de montrer, de faire voir », alors q u e dans le texte , to ujo u rs selon R icœu r, « le mouvement vers la monstration se trouve intercepté ... la référence est différée... chaque texte est libre d'entrer en rapport avec tous les autres textes qui viennent pren­ dre la place de la réalité circonstancielle mon trée par la parole vivante ».

Ce q u ' i l est convenu d'appeler l'écritu re de recherche ré pond exac­ te ment à cette défi n ition de Ricœur : o uvrant s u r d'autres textes, elle ré­ s u lte, c om m e l'a m o n t ré Roze n n G u i be rt d a n s d i ffé re nts artic les10, d u

« tissage » ré ussi de diffé rents n iveaux de texte. Elle ne s'ad resse plus à des interlocute u rs con n us (gro u pe de pairs, animate u r d'ate lier) , m a is à des destinataires constru its, i m aginés O u ry) et potentiellement i n n o m b ra­ bles. Elle n'est plus le seul fait d ' u n aute u r, psychologiq uement situé, plus

8 · Sé m i n a i re, cf. supra p . 178. 9 · Ricœur P., 1986, Du texte à l 'action. Herméneutique Il, Paris, Seuil. 10 G u i bert R, 1998, Ëcritu re du mémoire : exe rcice d'apprentissage de la complexité et de construction identita i re, i n C ros (F) , Le mémoire professionnel en formation des enseignants : un processus de construction identitaire, Paris, L'Harmattan . -

182

Mettre en chemin d'écrire... mettre en chemin depenser

o u moins assuré dans sa position d'aute u r, mais de la confrontation avec des aute u rs variés. Enfi n , « l'intention ou la visée du texte n 'est pas, à titre

primordial, /'intention présumée de l'auteur, le vécu de /'écrivain dans le­ quel on pourrait se transporter », ce q u i est le cas de la monographie, mais « ce que veut le texte, c'est nous mettre dans son sens c'est-à-dire dans la direction qu 'il ouvre à la pensée »11, ce que com mente ensu ite Ricœur en

précisant q ue le texte ouvre au lecte u r un chemin de pensée. I l ne s'agit donc plus seulement pour l'animate u r d'atelier, l'ensei­ gnant de sém inaires sur la lecture o u l'écritu re, le d i recteur de recherche qui intervient à ce moment-là, de « mettre en chemin d'écriture », mais que l'écriture encouragée et prod uite tout au long de la pre m ière étape « mette le futu r lecteu r en chem i n de pensée ». Ce passage a beau être nécessai re, il faut reconnaître qu'il est difficile, que l'accom pagnatrice que j'étais s'y est cassé les dents, que c'est sur cette rupture que beaucoup d'étudiants abandonnent. Essayons de mesurer pourquoi avant de faire état de mes tâtonnements d'accom pagnatrice. Dans le sé minaire des d i recte u rs de recherche de Paris 1 1 1 sur l'écri­ t u re, il est fait état de la d ifficu lté du tissage : « En formation comme en direction de recherche, on constate que nombre d'étudiants expliquent qu 'ils ne réussissent pas ce tissage auquel ils aspirent. Ils ne savent pas, disent-ils, comment s 'y prendre, comment structurer la masse d'informa­ tions issues de /'expérience et celles qui leur viennent des lectures théo­ riques»12. Mais cette d ifficu lté bien identifiée n'en cache-t-elle pas

d'autres ? N'est-i l pas paradoxal q u'à peine un étudiant s'est-il senti « au­ torisé » à écrire, à peine commence-t-il à y trouver d u plaisir et à confo rter ainsi une toute fraîche position d'aute u r, q u'il lui est demandé de s'effacer partiellement de son texte, cet effacement étant clairement sym bolisé par le passage d u « je » a u « nous ». Ce dont les étudiants font d'ailleurs état, c'est bien du malaise à utiliser le « nous », exigence q u i vient tout à co u p renfo rcer deux d e s d ifficultés à écrire identifiées p a r Rozenn G u i bert chez l'étudiant ad ulte : son pro p re manque de légiti m ité et la légitim ité scienti­ fiq ue hypertrophiée qu'il prête a ux destinataires de son mémoire. À ces difficu ltés d e positionnement s'ajoutent pratiq uement to u ­ j o u rs des difficu ltés q u i se m b lent d'ord re tec h n i q u e : les étud iants de m an­

dent com ment constru i re un plan, réfé rencer, établir une bibliographie ... toutes demandes qui traduisent, en fa it, une très grande d ifficulté à trad uire dans l'écrit u re d u m é m o i re les exigences de la démarche de recherche 1 1 Ricœur P., op. cit. 12 Séminaire, cf. supra p. 178. -

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En quête d'une intelligence de /'agir

(défi n ition de conce pts, utilisation de l'ana lyse des données po u r argu ­ mente r, réfé rence à des aute u rs, etc.) . I ls n'ont, en fait, q u e rarement une idée cla i re de ce qui le u r est demandé en matière d'éc rit u re d ' u n mémoire to ut en ayant u n e idée bien ancrée q u ' i l s'agit d ' u n e écritu re « scienti­ fiq u e » dont i ls se sentent i n capables. C'est d i re co m b ien i ls sont avides de mots savants et de savantes explications sur le s ujet ! Les séminaires lect u re/écrit u re q u i rythment les deux dernières an­ nées du D H EPS tentent de ré pon d re à cette demande, m a is en alte rnant exposés, ré ponses d i rectes à la demande et exe rcices va riés qui consti­ tuent autant de déto u rs profita bles au changement de postu re attend u . Dans l a conti n u ité de l a première année sont aussi mainten u s d e s tem ps d'écritu re créative pro longeant ces exercices en leu r donnant une fo rme finale abo utie et so uvent savo u reuse. C'est ainsi, par exe m p le, q u'après avoi r peiné s u r l'élaboration d'une 4ème de co uve rtu re po u r leu r mémoire q u ' i ls i m aginent p u blié c hez !' H a rmatta n , i l le u r est proposé d'écrire la même 4 ème de co uverture pour u n ro man, écrit par e ux et tiré de le u r re­ cherche, pu blié dans la collection Harleq u i n . Au-delà de la sti m u lation de l'imaginaire, c'est la capacité à se dé placer qui est sollicitée dans ces jeux d'écritu re, à changer de point de vue, à aj uster l'écritu re et l'argumentation en fonction des destinataires et du contexte dans leq uel i ls liront l'ouvrage. Mai nten i r la d iversité des textes produ its et y pre n d re, si poss i ble, d u plai­ sir, est i m portant pour q u e le sou hait des d i recte u rs de recherche - fai re émerger une écrit u re perso nnelle dans les mémoires q u ' ils d irigent - ne reste pas u n vœu pie ux. La lecture, la prise de notes et le com pte ren d u d'o uvrages lus tie n­ nent une place beauco u p plus im portante q u'en pre m ière année, non se u­ lement parce q u e les étu d iants ont bea uco u p à lire et do ivent s'organ iser po u r cela, mais parce q u ' i l faut lire efficace, garder des traces de ses lec­ tures, et pour cela découvrir q u' i l y a d iverses façons de lire et q u e toute lect u re peut n o u rrir le u r recherche. De la même façon, l'analyse de textes choisis constitu e le meille u r entraînement à l'écritu re de recherche : u n chap itre de Bache lard, u n d i a logue d e Platon o u u n e « Provinciale » de Pascal permettent d e repére r non s e u lement l'enchaînement de l'argu­ mentation, la façon dont le texte est constru it, le rôle des mots de liaisons, du titre, de l' introd uction p o u r le ren d re efficace ... Mais a ussi la « voix pro­ pre » de l'aute u r (la poésie de Bachelard, l'ironie su bti le de Platon, la force d ialectique de Pascal) , bref to ut ce q u i permet à un texte de « m ettre son lecte u r en a p pétit et en chemin de penser ». Je me pro pose, après cette présentation d'ense m b le, de re prendre les trois difficu ltés n o m m ées plus haut en explicitant comment j'ai tenté d'y ré pon d re au fi l de te m ps. 184

Mettre en chemin d'écrire... mettre en chemin depenser

Après la soutenance de sa monograp h ie, l'étudiant cherche à com­ prendre ce qui est attendu de lui en matière d'écrit u re du mémoire pro­ prement d it. L'excellente étude menée par Michèle Guigue-Durning à partir d'une centaine de m é m o i res de D H E PS13 souligne q ue le mémo ire est un o bjet com p lexe, résu ltant de la gestion, plus o u moins réussie, d'un certain n o m b re de paradoxes (prod u it fin i , mais aussi trace d'un processus, arti­ c u lant théorie et pratiq ue, à la fois personnel et réfé rencé ...) . Le travail sur ces paradoxes est inté ressant à mener avec les étud iants car très proche des parad oxes de la d é m a rche de rec herche p ro p re m e nt d ite. Mais, à peine travaillée cette com plexité q u i diffé rencie monogra p h ie et mémoire et q u i introduit la m ise en place d u « tissage », i l fa ut revenir à la demande initiale des étudiants : constru i re u n plan, réd iger introduction et conclu­ sion, choisir un titre, enchaîner des paragrap hes ... avec, parm i les exe r­ cices pratiq ues, celui consistant, ciseaux et colle à l'a p p u i, à déco u per et remettre en ord re les p h rases d'un texte réel, com plètement décousu, pour constru i re une p rogression a rgu m entée du propos traité. I l m'est a rrivé aussi de présenter dans le séminaire « Écrire et argu menter en situation de recherche » u n parallè le entre la recherche en sciences sociales et la recherche du m e u rtrier d a n s un ro m a n policier (i l n'est pas interdit à l'intervenante de faire p reuve, elle a ussi, de créativité) , en d istinguant les différentes démarches de Sherlock Holmes et d'Herc u le Poirot, leu rs po­ sitions de cherche u rs, la façon dont i ls élaborent leu rs hypothèses, met­ tent les ind ices en relation, to ut en re pérant, bien s û r, com ment l'écriture d u ro m a n policier rend com pte de cette situation de recherche, u n peu particu lière je l'accorde. Tout est bon, me sem b le-t-il pour faire percevoir aux étudiants q u'on leu r demande à la fois q uelque chose de rad icalement différent de ce qu'ils ont écrit j u squ'ici - q u i était de l'ord re de la description ou d u récit - et en m ê m e tem ps q uelque ch ose dont i ls sont plus fa m i liers q u 'ils ne le croient p u isque, au-delà du sim ple roman policier, i ls co m m encent à devenir des lecte u rs, et des lecte u rs critiq ues, d'ouvrages de rec herche en sciences sociales. Cependant le plus d ifficile est peut-être pour l'étudiant de seconde o u troisième année de se situer autrement devant u n texte à p rod u i re. Écrire, o u i, mais préciser quel est ce « je », o u ces « je » q u i écrivent ? Po ur­ q uoi et en vue de quoi écrivent-ils ? Pour q ue ls destinataires et q uelles re­ présentations en a ce « je » énonciate u r ? De q uelle marge de manœuvre d ispose-t-il ou se donne-t-il ? Confronter ses réponses avec celles des autres 13 G u igue-Durning M . , 1995 , Les mémoires en formation : entre engagement professionn construction des savoirs, Pa ris, L' H a rmattan. -

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En quête d'une intelligence de /'agir

participants permet à l'écrivant de découvri r q u e « je » est pluriel et q u ' i l tient s a légitim ité de plusie u rs sources. I l est a m e n é à expliciter, e t donc à relativiser, les re présentations souvent hypertrophiées q u' i l se fait de ceux q u i le liront. I l n'est pas in uti le de décliner sous des formes variées ce tra­ vai l s u r la situation d'énonciation et de reve n i r à plusie u rs re prises s u r u n position nement q u i évo lue au fu r e t à mes u re de l a recherche. Mais cela ne suffit pas, si l'on en croit Ricœ u r, p o u r que le texte pro d u it m ette le lec­ teu r en chemin de pensée. C'est vraiment le fait de s'appuyer sur la pensée d'autres a u te u rs p o u r e n ric h i r et fai re re bon d i r la s i e n n e pro p re, de se confronter à eux en osant la criti q u e q u i « fait le texte », en to ut cas u n texte q u i fait penser. S u r ce point je n'ai pas s u analyser de près la d i ffic u lté q u i n'est pas se u lement de se positionner com me aute u r si ngu lier, mais co m m e aute u r susceptible de dialoguer avec d'autres aute u rs, c o m m e auteur susceptible d'entrer dans une com m u nauté, non pas vraiment de « cherc h e u rs », le mot s u ggè re un état déjà consacré, mais de « chercha nts » d a n s u n « nous » o ù , s i l'a ute u r singulier s'efface, l'auteur e n recherche prend toute sa place. Analyse r fi nement ce positionne ment, inventer les o uti ls co rres­ pondants, reste à fa i re. Demeure la difficu lté d éjà évoquée d u « tissage ». « Le modèle du mémoire idéal serait un ouvrage où se tisse /'expérience et la construction d'une question en se restructurant l'une l'autre, l'une par l'autre >r4• Po u r aider les étud iants à struct u rer l a masse d ' i n formations issues de l'expé­ rience et celles q u i leu r vien nent des lectures théoriq ues, j'ai souvent ex­ péri menté com b ien étaient éclai rantes les précieuses analyses de Rozenn G u i be rt s u r les d iffé re nts types de textes qui participent à l'élaboration d'un mémoire et les jeux de textes q u i en décou lent. Il me pa raît intéres­ sant de signaler q u e fai re analyser des so m maires de mémoires et y repé­ re r ces différents n iveaux de texte a toujo u rs été un exercice très fru ctueux quand le moment est ven u d'organ iser d éfin itivement l'ensemble des don­ n é e s . I l re n d b i e n com pte d e la d iversité d e s tissage s p o ss i b le s ... et d e la d ive rsité des mémoires. Mais ce q u i manq ue le plus a ux étu d i ants p o u r réussi r le u r tissage, c'est de tro uver leu r « voix d'aute u r » (« egotexte » de Rozenn G u i bert) . « Il y a quelque chose que je ne suis pas encore arrivé à faire, c'est trouver ma voix, ma voix intérieure, un ton, un ton d'auteur quoi... », d i ra Ta har en fin d'entretien. Ce ton , cette voix, la pratiq u e d u journal de recherche pou rrait contri buer à les fai re éme rge r. Dans le prolongement de l'auto biographie 1 4 Séminaire, cf. supra p . 178. -

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Mettre en chemin d'écrire... mettre en chemin depenser

raisonnée, ce « j o u rnal de recherche » tel q ue défi n i par Lou rau15, o u le « journal d'itinérance » p résenté par Barbier dans le cadre de la recherche­ action16, mériteraient d'avoi r une place particu lière dans le parcou rs du D H E PS. j'imaginerais bien que q u e lq ues pages de ce j o u rnal, non pas à l'état b rut de bro u i llon « pour soi », mais repris, élaboré « po u r autru i » auto u r d'un ou plusie u rs thèmes, acco m pagnent le mémoire final. Dans la mes u re o ù i l est fait de notations personnelles, en écho à des obse rva­ tions, lect u res, rencontres faites par son aute u r, dans la mesure où il rend com pte de ses rêveries, de ses ind ignations, de ses co lères, il est une pre­ mière forme de tissage. Il peut devenir le lieu o ù se sédimente tout un terreau d'observations, remarq ues, réflexions, u n lieu o ù une écriture personne lle et imaginative peut prendre fo rme, o ù une pensée peut prendre corps. Le « journal de recherche » me sem ble l'outil par excellence q u i acco m pagne et facilite l'écrit u re de recherche tout au long du parco u rs. Mais je dois d i re q ue malgré mes incitations, rares sont les étudiants qui ont persévéré dans sa réd action régu lière et q u i l'ont vraiment utilisé dans la rédaction finale de leu r mémoire. Ces d ifférentes re marq ues, en particu lier celles concernant le jour­ nal de recherche, font pressentir q u e le statut de l'accompagnateu r d'écri­ t u re change au co u rs de cette d e uxiè m e pa rtie d u parco u rs. Co m m e animate u r d'ateliers de recherche-action o u d'écrit u re, destinataire privi­ légié des p re m ie rs écrits des étudiants, il a une proxi m ité avec le gro u pe, une éco ute em path ique q u i en font un vé rita b le acco u c h e u r d 'écrit u re. Dans un second tem ps, il cherche plutôt à éclairer les étudiants sur la com­ plexité d u travail dans leq uel i ls sont engagés, à le u r donner, au m oment o ù ils en ont besoin, des o utils pour se situer, constru i re leu r argumenta­ tion, retrouver le fi l perd u de la recherche. Para llèlement à l'efface ment progressif de l'aute u r singulier, j'observe une transformation d u rôle d'ac­ com pagnate u r d'écrit u re : le d i recteur de recherche prend la relève. Dans les diffé rents journaux d'ateliers d u sém inaire des d i recte u rs de recherche apparaît u n certain nom bre de q uestions q u e je me bornerai ici à é n u m é rer : q uand et com ment doit-on intervenir sur l'écrit u re ? Faut­ il s'attacher dès le début à la forme ? Corriger le texte ou lâcher la bride ? Fai re des p ropositio ns et s o u s q u e lle fo rme ? To u t d é p e n d , bien s û r, d e la

façon dont est définie la direction de recherche. Or, dans le même séminaire, il est précisé que « une direction est un acte individualisé qui suppose une

capacité à s 'adapter à un interlocuteur dans ce qu 'il a d'unique et ce qu 'il peut apporter d'unique dans sa recherche », c'est d i re la d ive rsité des



7 x

15 Lou ra u (R) , 1988, L e journal d e recherche, Méridiens Klincksiec . 16 Barbier (R) , 1993, Le journal d'itinérance, in Peps n° 44. 1( -

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En quête d'une intelligence de /'agir

d i rections de recherche et q ue c'est dans u n dialogue to ujo u rs u n i q u e q u e s e fa it l e travail. À titre d'exe m ple, je citera i une rem a rq u e écla i rante de Tahar dont j'ai été d i rectrice de recherche : « À un moment donné, vous m 'avez permis de travailler sous stress » et, devant mon incompréhension, il pou rsuit « voilà, il y avait des échéances... je dépassais une sorte de cen­

sure personnelle... il fallait que j'écrive quelque chose et quand je me reli­ sais... je me demandais où j'avais été chercher les mots... je n 'étais pas sûr d'être l'auteur de ce que je venais d'écrire ».

D u point de vue de l'écriture, on peut affirmer q ue cet « acte i n d ivi­ d ualisé » q ue constitue la d i rection de recherche a pour fonction essen­ tielle de fa i re passe r l'étud iant d ' u n e écritu re de travai l, gén é ralement « po u r soi », à une écritu re de restitution « pour autrui », po u r de futurs lecte u rs dont le j u ry ne constitue q u ' u n e éta pe. Cette écritu re i m plique, dans le meille u r des cas, une restructu ration de l'ensem ble des textes pro­ d u its au c o u rs des trois années de formation pour explicite r, d évelopper, argu mente r l' intuition u n i q u e dont l'aute u r-acte u r est porte u r, mais elle exige touj o u rs au moins q u ' u n sens soit donné par l'acte u r à son parcours de recherche, ce q u e le d i recte u r de recherche s'e m p loie i n lassablement à lui ra ppeler. C'est d'une ce rtaine façon ce sens q u'atteste la signature de l'aute u r s'engageant vis-à-vis de ses futurs lecteu rs à leu r « o uvri r u n che m i n de pensée », si étroit soit-il. E t c'est de ce s e n s q ue l e d i recte u r de recherche est garant q uand son nom appa raît sur la co uve rtu re du mé­ moire. Rappelons pour conclure l'enjeu de l'écritu re po u r les étudiants q u i s'engagent dans l e D H EPS. Po u r Ta har, « ... l'écriture c'est extrêmement im­

portant au niveau de sa construction personnelle, intérieure... c'est vrai­ ment l'enjeu d'une vie, c'est même crucial, très très crucial parce que c'est ., quelque chose qui m 'a permis d'être quelqu 'un d'autre }?- J'aimerais ajo uter

q ue si l'étud iant en co u rs de DH E PS travai lle d u r, en maîtrisant peu à peu l'écritu re, pour o uvrir u n chemin de pensée à ses fut u rs lecte u rs, c'est le c h e m i n de sa p ropre pensée q u ' i l s'o uvre a u s s i , ave c d e s p e rs p e ctives aux­

q uelles, j'espère, il ne renoncera jam ais. « Avant le DHEPS, l'écriture n 'était encore qu 'un projet, un objet de tourment, une aspiration impossible. Elle a constitué une sorte de viatique qui m 'a permis de traverser des mondes dans lesquels j'aurais pu rester enchainé. Je m 'aperçois que c'est devenu un outil d'émancipation ».

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Une fo rmation p ro fessionnelle supérieure par la recherche-action

·

effets ordinaires, effets spécifiques ? Présenta tio n et ana lyse des témo ig na g es de 1 7 diplômés du DHEPS1 Pierre-Marie MESNIER

L

Présentation de laformation DHEPS

e Diplôme des Hautes Études des Pratiq ues Sociales (DH EPS), diplôme d ' u n iversité de n ivea u BAC + 4 (Paris 1 1 1 - Sorbo n n e N o uvelle) , est pré paré dans un dispositif de formation pluri-professionnelle dont l'objet est l'analyse des pratiq ues sociales par la recherche-action. Cette formation s'inscrit d a n s un résea u de d ix u n iversités délivrant le même diplôme, le Réseau des H autes Études des Pratiq ues Sociales (R H EPS) , en partenariat avec q uatre instituts de formation professionnelle, les Collèges coopératifs (cf. supra p. 9 2 , n ote 3) .

U n pe u d ' h isto ire I m p lanté à Paris I l l depuis 1984, le D H E PS a d'abord été créé dans le cad re d e l' École Pratique des H autes Études (l'actuelle E H ESS) par le p rofesse u r Henri Desroche, en 1977. D'où son nom : Di plôme des Hautes Ë tudes des Pratiq ues Sociales. H e n ri Desroche, sociologue du Déve lo p pe­

ment coopératif, d i recteu r d'études à l' E H ESS, était également, à l'époq ue, d i recteu r d u centre de recherches coopératives de cette même école. Après avoir accueilli dans son séminaire de nom bre ux adu ltes, praticiens chevron­ nés, désire ux de fo rmaliser le u rs p ratiq ues, H. Desroche, ava nt de q u itter l'E H ESS, s'était préoccu pé d'assurer la pérenn isation d'un dispositif original 1 · Diplôme d e s H a utes Ëtudes d e s Pratiq ues Sociales.

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de formation . I l crée dans ce b ut, dès les an nées soixante, une association de fo rmation, le Co llège coopératif d e Paris. Il i m p u lse également, avec d'autres collaborateu rs, un réseau d'i m p lantations u n iversitaires de cette formation q u i , en 1983, reçoit du m i n istè re de !' Éd u cation N atio n a le le label de " G I S RH E PS", le G ro u pement d ' i ntérêt Scientifique du Réseau des Hautes Études des Pratiques Sociales. Cette structu re nationale rassem ble des re présentants de plusie u rs m i n istères (Éd u cation, Affaires Sociales, Agricult u re, Fo rmation Professionnelle) , les Collèges coopératifs (Pa ris, Lyon, Aix-en- Provence et Ren nes) ainsi q ue les dix u n iversités q u i ont créé un D H E PS et sont se u les habi litées à d é livrer ce Di plôme d' Études Su pé­ rie u res U n ive rsitai res de second cycle (BAC + 4) : Aix-Marseille I l, Besan­ çon, Dijon, Le Mans, La Réunion, Lyo n I l , M u lho use, Paris I l l , Rennes I l , Strasbou rg, To u louse Le Mirail, To u rs. Le D H E PS est donc marq u é d'e m b lée par une d o u ble origi ne : - u n e formation de praticiens par une démarche rigo u reuse de re­ li cherche inscrite dans ["'esprit E H ESS" p u is dans le contexte u n iversitaire - u n souci d'efficacité sociale, de coopération et d'entre p rise carac­ térisant le réseau R H E PS.

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Le p u b lic I s s u de professions e t de p ratiq ues d iverses rassem blées dans l'ex­ pression " p ratiq ues sociales", le p u blic est recruté s u r la base de ses ac­ q u is profession n e ls et inte llectuels antéri e u rs - sans exigence de d i p lôme. I l peut être caracté risé par q u atre traits : - i l s'agit d'ad u ltes ; - ayant u n e expé rience professionne lle (d'au-moins 5 ans) ; - engagés dans la vie sociale ; - susceptibles de mettre en œuvre des projets innovants. Professionnellement, ces praticiens du secte u r social sont en général en situation de responsabilité - o u en voie de le deve n i r, et la formation y contribue pour beaucou p. Les secteu rs d'appartenance sont des plus dive rs, cette « pluri-professionnalité » constituant un atout important de la forma­ tion. Ce sont, par exe m p le, des formate u rs ou responsables de formation (entreprise, secteu r p u blic o u associatif) , des éducateu rs spécialisés (dans l'insertion, la prévention, la protection j u d iciaire) , des res ponsa bles asso­ ciatifs (à l'échelon régional o u national) , des d i recteurs de projets dans les m u nici palités (secte u rs jeu nesse, santé, action c u lt u relle ...) o u dans les com ités d'entreprise, des responsables syndicaux, assistantes sociales, directeu rs d'établissements (par exe m p le dans un Centre d'Aide par le Tra­ vai l pour hand icapés) , des conseille rs profession nels à l'AN PE . . . Cette no­ menclatu re est loin d'être exh austive. 190

Mettre en chemin d'écrire... mettre en chemin depenser

d é b u t d e fo rmation G'en fais to ujo u rs plusie u rs p o u r q u e les étudiants choisissent celle q u i le u r convient) , il y a celle q u i consiste à raconter u n souvenir h e u re ux o u malhe u reux d'écriture l i é à l'école. Le plus souvent, mais pas toujours, le souvenir raconté est malhe u reux et fait état de façon saisissante de la honte qui peut s'attacher d u rablement à l'écriture quand le maître o u la maîtresse ironise devant la classe sur une rédaction malad roite ou un vocabulaire inadéq uat. La lecture de ces récits dans le gro u pe suscite échos et dé bats q u i confi rment l'im pact très ancien de l'école s u r l'expres­ sion écrite ressentie comme expression d u soi le plus intime. Le m o uvement par leq u e l cet aute u r qui se déco uvre s'affirme en même te m ps acteu r en décrivant ses pratiq ues sociales n'est pas moins im portant. Phili ppe Missotte l'a développé en présentant la démarche mo­ nographiq ue. Je n'en parle ici que pour en sou ligner les effets a u n iveau de l'écritu re. Rien d e plus exigeant q u e d'observer et décri re avec préci­ sion, et comme « à d istance », un o bjet o u une situation, s u rtout q uand il est proposé de choisir une situation en relation avec la question de recherche (autrement d it, une situation dans laq uelle l'aute u r est fo rtement i m pli­ q ué) . Rien de plus d ifficile que d'évite r explications, i nterprétations, j u ge­ ments de va le u r, « en prenant le temps de chercher les mots justes, en résistant aux entraînements du discours, en imposant au contraire sans faiblir au langage notre volonté de dire exactement ce que nous perce­ vons, et cela seul »1. J e p ro pose, a p rès écrit u re des textes, q ue les étu­

d iants se les lisent deux par d e ux avec une grille d'analyse . Le rôle de l'interlocuteu r, u n m e m b re du gro u pe coopératif, est alors fondamental : lisant le texte d ' u n a utre, i l est bien p lacé pour en relever les dérives et en d ébattre avec l'aute u r. On peut alors vérifier l'affi rmation qui peut sem bler parad oxa le de Wittge n stein, citée par Billeter : « De l'explication il faut bien en arriver à la simple description », et aille u rs : « ... une description

constitue la solution de la difficulté, pour peu que nous lui donnions sa juste place, que nous nous arrêtions à elle, sans chercher à la dépasser ».

On découvre alors l'importance d u gro u pe comme interlocute u r pri­ vilégié d u scripte u r : « ces ateliers, indique Ta har, constituaient une sorte

d'université internationale à laquelle participaient des gens qui venaient du Sénégal, de Nouvelle-Calédonie ou d'ailleurs. Dans cet espace, chacun arrivait avec ses interrogations. Les regards complètement étrangers por­ tés sur le questionnement des uns et des autres m 'ont permis d'évoluer, d'enrichir mon point de vue, de préciser et de changer mon vocabulaire ».

Si les réactions d u gro u pe aux p rése ntations orales o u écrites q u i l u i étaient pro posées ont été si efficaces, c'est q u e d e s règles d'écoute e t de 7 Billeter J . F. , op.cit. -

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confidentia lité ont été posées, q u e les destinataires des premiers écrits, l'animate u r d'atelier, le gro u pe de pairs, ont été p récisés, q u e le u rs inte r­ ve ntions ont p o u r but d'améliorer les écrits p résentés q u i seront ensuite rééc rits par le u rs aute u rs. Le règne du bro u illon co m mence ! Avant même q u' u n exposé au co u rs d ' u n séminaire ne présente les fon ctions de l'éc rit et les re présentations q u i lui sont attachées, la re pré­ sentation d'un écrit « co ulant de source » le jour où l'on a décidé de s'y met­ tre, d'un écrit en q uelq ue sorte sacralisé, vole en éclats au profit d'un travail sur le texte qui se po u rsu ivra tout au long des trois années de formation. Le rôle de l'animate u r n'est évidem ment pas négligeable ! I l rep ré­ sente le p rojet de l'institution, il est censé savoir écrire, ou du moins savoir q uel type d'écrit sera demandé aux étud iants en fin de parco u rs. Ce ux-ci lui font, sur ce point, une confiance i m p ressionnante. J e vo u d rais cepen­ dant d istinguer plusie u rs cas de figu re. Dans le cadre de l'atelier, les in­ te rventions de l'a n i m ate u r se bornent essentie llem ent à enco u rage r les réactions des participants et à sou ligner leu r intérêt, à sti m u le r la dyna­ miq ue du gro u pe, à donner les consignes pour les écrits q u i seront so u m is au prochain atelier. Mais surto ut l'animate u r est celui q u i garde la mémoire de ce q u i se d it e n ré u n io n . C'est le « j o u rn a l d'atelier », diffusé entre chaq ue séance, q u i restitue au gro u pe ce q u i a été d it la fois p récédente, ce q u i a u n effet de conti n u ité dans le trava il, mais s u rtout de valorisation collective, et même individ ue lle, surprenant (les étud iants se précipitent po u r voir comment sont restituées leu rs interventions !) . Il faut bien avouer cependant que le travai l de restitution régu lière est exigeant pour 1 'ani­ mate u r et q u e le j o u rn a l d'ate lier, si chale u re usement recom mandé par Ch ristian Hermelin, s'étiole parfo is au fi l du te m ps. Autre situation q u e celle où l'an i m ate u r réagit par écrit aux textes q u i lui sont so u m is. Ses re marq ues, pour ne pas parler de corrections, ont u n poids particu lier qui nécessite u n certain doigté. Plus que la re lation maître/élève (q ue je ne renie pas d u tout) , je prendrai com me référence la re lation mère/enfant telle q u e la décrit Winn icott (6) . créatrice d' une illu­ sion féconde. Je ne songe évidem ment pas à assimiler les étudiants adultes à des enfants, ce sont le u rs écrits, avec le u r fragi lité, le u r caractère intime, nota m ment po u r ceux qui conce rnent l'autobiogra p h ie, qui pe uvent se com parer à des ge rmes que l'écoute positive de l'an i m ateu r peut encou­ rage r et fo rtifie r. Pressentir dans u n écrit confus et m a l o rganisé la pépite d'or q u'il pou rrait devenir me se m b le fondamental. « Il y a quelqu'un qui attend de vous lire. Pas pour juger, pour accueillir, valoriser. Vous disiez souvent : "c'est tout à fait intéressant"... alors on a le sentiment d'avoir quelque chose à dire, quelque chose qui est "digne d'être écrit" et qui en­ gage notre identité ». 180

Mettre en chemin d'écrire... mettre en chemin depenser

Le statut particulier d u texte écrit lu à voix haute pou rrait utilement être approfondi pour mieux com prendre l'effet positif q u'il produit. l i m'est souvent arrivé d'utiliser cet effet en m i roir, c'est-à-dire en proposant de lire moi-même u n texte à son aute u r o u en pro posant q u ' u n mem bre d u gro u pe le lise. I l y a là création d'un espace q u e l'on pourrait, sous toutes réserves, com parer à l'espace transitionnel q ue décrit Winn icott et q u i est d'aille u rs pou r l u i à l'origine de tous les phéno mènes c u lturels. L'écrit, alors, revient à la paro le q u i l'origine et éveille des résonances q u i l'e n rich issent. Nous verrons, bien s û r, q u e ce n'est là q u' u ne étape, celle qui fera d i re à Ta h a r : « C'est la manière de Socrate, aider l'autre à accoucher de lui-même

».

Après la mise en confiance, rôle fondamental de l'animate u r d'atelier d'écrit u re, deux a utres d imensions méritent d'être sou lignées dans cette première année de D H E PS : le plaisir et les rites. Le plaisir est introd u it de façon ponctuelle par des propositions insolites au cou rs d'un atelier ou d'un sé minaire : jouer auto u r d u m ot « mémoire », écrire des textes loufo q u es autour de ce mot, transformer u n passage d ramatique en dialogue comique o u en sermon de carême, faire appel à Ponge ou à Queneau po u r m u ltiplier les facettes de l'écritu re, montre r la d iversité des moyens avec lesq uels on peut ren d re com pte d ' u n e même réalité ... tout cela bouscule le rapport souvent figé, conventionnel des étud iants au texte écrit (« Je voulais à tout prix écrire comme dans un livre ») et permet, dans le meille u r des cas, de favoriser l'éclosion d ' u ne écrit u re personnelle. Il en est de même pour la lectu re, fréquemment o bjet de modélisations para lysantes : lire un livre de la p re m ière à la dernière page, ne jamais lire d e ux livres en même tem ps... Pou r désacraliser ce rapport au livre (il n'est pas aisé de bousculer des habitudes qui ont struct u ré toute une vie de lecte u r) , i l m'est arrivé de fai re a rracher dans de viei lles revues les q uelques pages méritant une lecture approfondie. Acte iconoclaste ! Mais fructueux p o u r d istinguer le texte d u livre et ne pre n d re dans un livre q ue le texte dont on a besoin. Mais pour ancrer l'habitude d'écrire, « il faut aussi accéder à une sorte de rituel >>. En proposant de repérer, au cou rs d'entretiens m utuels et de façon q uasi ethnométhodologiq ue, les d ifférents « profils d'écrivant », m ais a ussi « profi ls d e lecte u r » présents dans le gro u pe (tem ps, lieux, outils, habi­ tudes ...), en en faisant une galerie de portraits sur le modèle de ceux de La Bruyère, on permet a ux étudiants d'identifier la d iversité des cond itions concrètes q u i favorisent lectu re co m m e écrit u re, et bien s û r d'identifier leu rs propres « fa çons de faire », q uelque s u rprenantes q u 'e lles pu issent paraître. C'est enco u rage r les étud iants, à ritualiser le u r prod u ction écrite et surtout à considérer l'écriture comme une véritable prod uction : « écrire,

c'est complètement physique, d'abord on sait pas faire, les mots on sait pas où aller les chercher, le corps est crispé, le stylo a un poids. . . ». 181

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Resta u re r ta confiance en soi, introd u i re d u plaisir, découvri r tes cond itions concrètes faci litant sa prod u ction écrite ... C'est à l'an i m ate u r d'atelier de re pérer a u fil d u tem ps c e q u i fait blocage po u r t e gro u pe, po u r te l o u tel partici pant e t de proposer d e s exposés, d e s exercices, tout ce q u i lui se m b lera bon pour remettre tes étudiants du D H E PS en go ût et en appétit d'écrire, d'écri re régulièrement, de travailler te texte prod u it. Tra­ vailler pour q u e l'écriture devienne plus lisible, plus compréhensible (et c'est déjà bea u co u p !) , mais aussi pour q u 'elle devienne bette, « comme

aux Beaux-Arts, le patron retouche une courbe ou un trait... puisque, le plus souvent, en s'affinant, elle entraine l'affinement de la pensée socio­ logique »8 •

Au - d e là d ' u n e m aïeuti q u e d e l' é crit u re : m ettre e n c h e m i n de penser Mais si l a prod uction d'une mon ogra p h ie en fin de première année vient valider ce premier débro ussailtage de l'écritu re, on est encore loin d u com pte p o u r c e q u i est de prod u i re t e texte d ' u n mémoire de rec h e rche­ action. 1 1 y a, en effet, une véritable ru ptu re entre l'écriture de la monographie et cette d u mémoire, ru ptu re q u i fait écho à ta fame use rupture épistém o­ logi q u e d a n s le parco u rs de rec h erche. L'écrit u re auto biogra p h iq u e et l'écriture descri ptive q u i fo rment l'essentiel de la monographie renvoient à une réalité concrète, proche de l'aute u r et q u e l'interlocute u r perçoit d i­ rectement lorsq u'il lit la monogra p h ie. Le texte écrit reste alors très proche de ta parole q u i, selon Ricœ u r9, « rejoint le geste de montrer, de faire voir >>, alors q u e dans te texte, to ujo u rs selon Ricœur, « le mouvement vers la monstration se trouve intercepté... la référence est différée... chaque texte est libre d'entrer en rapport avec tous les autres textes qui viennent pren­ dre la place de la réalité circonstancie/le montrée par la parole vivante ».

Ce q u'il est convenu d'appe ler l'écriture de recherche ré pond exac­ te ment à cette définition de Ricœu r : o uvrant s u r d'autres textes, elle ré­ s u lte , c o m m e l ' a m o n t ré R o ze n n G u i b e rt d a n s d i ffé re nts a r t i c l e s10, d u

« tissage » ré ussi de diffé rents n iveaux de texte. Elle ne s'adresse plus à des interlocute u rs connus (gro u pe de pairs, animateu r d'atelier) , mais à des destinataires constru its, im aginés O u ry) et potentiellement innombra­ bles. Elle n'est plus te seu l fait d ' u n aute u r, psychologiq uement situé, plus

8 Séminaire, cf. supra p . 178. 9 Ricœur P., 1986, Du texte à l'action. Herméneutique Il, Paris, Seuil. 10 G u i be rt R, 1998, Ëcriture d u mémoire : exercice d'apprentissage de la complexité et de construction identita i re, i n C ros (F) , Le mémoire professionnel en formation des enseignants : un processus de construction identitaire, Paris, L'Harmattan. -

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o u moins ass u ré dans sa position d'aute u r, mais de la confrontation avec des aute u rs variés. Enfin, « l'intention ou la visée du texte n 'est pas, à titre

primordial, l'intention présumée de l'auteur, le vécu de /'écrivain dans le­ quel on pourrait se transporter >>, ce q u i est le cas de la monographie, mais « ce que veut le texte, c'est nous mettre dans son sens c'est-à-dire dans la direction qu 'il ouvre à la pensée >>11, ce q u e com mente ensu ite Ricœur en

précisant q ue le texte o uvre a u lecte u r u n chemin de pensée. Il ne s'agit donc plus seu lement pour l'an i m ate u r d'atelier, l'ensei­ gnant d e sém inaires s u r la lectu re o u l'écriture, le d i recte u r de recherche q u i intervient à ce moment-là, de « mettre en chemin d'écriture », m ais q ue l'écriture encouragée et prod u ite tout au long de la pre m iè re étape « mette le fut u r lecte u r en chemin de pensée ». Ce passage a beau être nécessai re, il faut recon n aître q u ' i l est difficile, que !'accom pagn atrice que j'étais s'y est cassé les dents, que c'est sur cette ru pt u re que beauco u p d'étudiants abandonnent. Essayons de mes u rer pou rq uoi avant de faire état de mes tâtonnements d'accompagnatrice. Dans le sém i n a i re des d i recte u rs de recherche de Paris I l l s u r l'écri­ tu re, il est fait état de la difficu lté d u tissage : « En formation comme en direction de recherche, on constate que nombre d'étudiants expliquent qu'ils ne réussissent pas ce tissage auquel ils aspirent. lis ne savent pas, disent-ils, comment s'y prendre, comment structurer la masse d'informa­ tions issues de l'expérience et celles qui leur viennent des lectures théo­ riques»12. Mais cette d ifficu lté bien ide ntifiée n'en cache-t-e lle pas

d'autres ? N'est-il pas paradoxa l q u'à peine u n étudiant s'est-il senti « au­ torisé » à écrire, à peine com mence-t-il à y trouver d u plaisir et à conforte r ainsi une toute fraîche position d'aute u r, q u'il lui est demandé de s'effacer partiellement de son texte, cet effacement étant clairement sym bolisé par le passage du « je » au « nous ». Ce dont les étud iants font d'aille u rs état, c'est bien d u malaise à utiliser le « nous », exigence q u i vient tout à co u p renfo rcer deux des difficu ltés à écrire identifiées par Rozenn G u i bert chez l'étud iant ad u lte : son p ropre manq ue de légitim ité et la légiti m ité scienti­ fiq u e hypertrophiée q u'il prête aux destinataires de son mémoire. À ces d ifficu ltés d e positi o n nement s'ajo utent pratiquement to u ­ j o u rs d e s difficu ltés q u i se m b lent d'ord re tech n iq u e : les étu d i ants de man­

dent comment construi re u n plan, réfé rencer, établir une bibliographie ... toutes demandes q u i traduisent, en fait, une très grande difficu lté à trad uire dans l'écrit u re d u m é m o i re les exigences d e la d é m a rche de recherche

1 1 Ricœur P., op. cit. 12 Séminaire, cf. supra p. 178. -

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(défi n ition de conce pts, utilisation de l'ana lyse des don nées po u r argu ­ menter, réfé rence à des aute u rs, etc.) . l is n'ont, en fait, q ue rare ment une idée cla i re de ce qui le u r est demandé en matière d'écrit u re d ' u n mémoire to ut en ayant u n e idée bien ancrée q u ' i l s'agit d ' u n e écrit u re « scienti­ fiq u e » dont i ls se sentent incapables. C'est d i re combien i ls sont avides de mots savants et de savantes exp lications sur le s ujet ! Les séminaires lecture/écrit u re q u i ryth ment les deux dernières an­ nées d u D H E PS tentent de ré pon d re à cette demande, mais en alte rnant exposés, ré ponses d i rectes à la demande et exe rcices variés qui consti­ tuent autant de déto u rs profitables au changement de postu re atte n d u . D a n s l a contin u ité de la première année s o n t a u s s i mainte nus d e s tem ps d'écritu re créative prolongeant ces exercices en le u r donnant une fo rme finale abo utie et so uvent savo u reuse. C'est ainsi, par exe m p le, q u'après avoi r peiné s u r l'élaboration d'une 4ème de couvertu re pour leu r mémoire q u ' i ls i m aginent p u blié chez !' Harmatta n, i l le u r est pro posé d'écri re la même 4 ème de couvert u re p o u r un roman, écrit par eux et tiré de leur re­ cherche, pu blié dans la collection Harleq u i n . Au-delà de la sti m u latio n de l'imaginaire, c'est la capacité à se déplacer qui est sollicitée dans ces jeux d'écriture, à changer de point de vue, à aj uster l'écritu re et l'argu mentation en fonction des destinataires et d u contexte dans leq uel i ls liront l'ouvrage. Maintenir la d iversité des textes prod u its et y pren d re, si possible, du plai­ sir, est i m portant pour q ue le sou hait des d i recte u rs de recherche - fai re émerger une écrit u re person n elle dans les mémoires q u'ils d i rigent - ne reste pas u n vœu pie ux. La lecture, la prise de notes et le com pte ren d u d'o uvrages lus tien­ nent une place beauco u p plus i m po rtante q u'en prem ière an née, non se u­ lement parce q ue les étu d iants ont bea uco u p à lire et do ivent s'organ iser pou r cela, mais parce q u'il faut lire efficace, garder des traces de ses lec­ tures, et pour cela d éco uvri r q u ' i l y a d iverses façons de lire et q u e toute lect u re peut n o u rrir le u r recherche. De la même façon, l'analyse de textes choisis constitu e le meille u r entraînement à l'écritu re de recherche : u n chap itre de Bachelard , u n d i a logue d e Platon o u u n e « Provinciale » de Pascal permettent de re pére r n o n se u le m e n t l'e n c h aînement de l'a rgu­ mentation, la façon dont le texte est constru it, le rôle des mots de liaisons, du titre, de l'intro d u ction po u r le ren d re efficace ... Mais aussi la « voix pro­ pre » de l'a ute u r (la poésie de Bachelard, l'ironie su bti le de Platon, la force d ialectique de Pascal) , bref to ut ce q u i permet à un texte de « m ettre son lecte u r en a p pétit et en chemin de penser ». Je me propose, après cette présentation d'ense m b le, de reprendre les trois difficu ltés nom mées plus haut en explicitant comment j'ai tenté d'y répon d re au fi l de tem ps. 184

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Après la soutenance de sa monograp h ie, l'étud iant cherche à com­ pre n d re ce qui est atte n d u de lui en matière d'écritu re du mémoire pro­ prement d it. L'excellente étude menée par Michèle G u igue-Durning à partir d ' u ne centaine de mémoires de D H E PS13 sou ligne q ue le mémoire est un o bjet com p lexe, rés u ltant de la gestion, plus o u moins réu ssie, d ' u n certain n o m b re de paradoxes (prod u it fin i , mais a ussi trace d ' u n p rocessus, a rti­ cu lant théorie et pratiq ue, à la fois personnel et réfé re n cé ...) . Le travail sur ces paradoxes est i nté ressant à mener avec les étud iants car très proche des paradoxes de la d é m a rche de rec he rche p ro p rement d ite. Mais, à peine travaillée cette com plexité q u i d iffé ren cie monograp h ie et mémoire et q u i introd u it la m ise e n place d u « tissage », i l fa ut revenir à la demande i n itiale des étudiants : construire u n plan, réd iger introd u ction et conclu­ sion, choisir u n titre, enchaîner des paragra p hes ... avec, parmi les exe r­ cices p ratiq ues, cel u i consistant, ciseaux et colle à l'ap p u i, à déco u pe r et remettre en o rdre les p h rases d'un texte réel, com p lètement décousu, pour constru i re u ne p rogression a rgu mentée du propos traité. I l m'est arrivé a u ssi de présenter dans le sém i n a i re « Écri re et argu menter en situation de recherche » un parallè le entre la recherche en sciences sociales et la rec h e rc h e du m e u rtri e r d a n s un ro m a n policier (i l n 'est pas i n te rd it à l' i n tervenante de faire p reuve, elle a ussi, de créativité) , en d istinguant les différentes démarches de Sherlock Holmes et d'Herc u le Poirot, leu rs po­ sitions de chercheu rs, la façon dont i ls élaborent leu rs hypothèses, met­ tent les ind ices en relation, to ut en re pérant, bien s û r, com ment l'écriture d u ro m a n policier ren d com pte de cette situation d e recherche, u n peu particu lière je l'accorde. Tout est bon, me sem b le-t-il pour faire percevoir a ux étudiants q u'on leu r demande à la fois q uelque chose de rad icalement différent de ce q u'ils ont écrit j usqu'ici - q u i était de l'ord re de la description o u d u récit - et en même te m ps q uelque ch ose dont i ls sont plus fa m i liers q u' i ls ne le croient p u isque, au-delà du sim ple roman policier, i ls commencent à devenir des lecteu rs, et des lecte u rs critiq ues, d'ouvrages de recherche en sciences sociales. Cependant le plus difficile est peut-être pour l'étudiant de seconde o u troisième année d e se situer a utrement d evant u n texte à p rod u i re. Écrire, o u i, mais préciser quel est ce « je », o u ces « je » q u i écrivent ? Pou r­ q uoi et en vue de q uoi écrivent-ils ? Po u r q ue ls destin atai res et q u e lles re­ présentations en a ce « je » énonciate u r ? De q uelle m a rge de manœuvre d ispose-t-il o u se donne-t-il ? Confronter ses réponses avec celles des autres 13 G u i g u e - D u r n i n g M . , 199 5 , les mémoires en formation : entre engagement professionn construction des savoirs, Paris, L' H a rmattan. -

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En quête d'une intelligence de /'agir

participants permet à l'écrivant de découvrir q u e « je » est pluriel et q u'il tient sa légitim ité de plusie u rs s o u rces. I l est amené à exp liciter, et donc à relativiser, les représentations souvent hypertrophiées q u'il se fait de ceux qui le liront. Il n'est pas in utile de décliner sous des formes va riées ce tra­ vail sur la situation d'énonciation et de reve n i r à plusie u rs re prises sur u n positionnement q u i évolue a u fu r e t à m es u re de l a recherche. Mais cela ne suffit pas, si l'on en croit Ricœ u r, p o u r que le texte prod uit mette le lec­ teu r en chemin de pensée. C'est vraiment le fait de s'appuyer sur la pensée d ' a utres a u te u rs p o u r e n ri c h i r et fai re re b o n d i r la sienne pro p re, de se confronter à eux en osant la critiq ue q u i « fait le texte », en to ut cas u n texte q u i fait penser. S u r ce point je n'ai pas s u analyser de près la diffic u lté q u i n'est pas se u lement de se positio nner com m e aute u r singulier, mais co m m e aute u r suscepti ble de dialoguer avec d'autres aute u rs, com m e auteu r susceptible d'entrer dans une co m m u na uté, non pas vraiment de « cherc h e u rs », le mot s u ggè re u n état déjà consacré, m a is de « c h e rchants » d a n s u n « nous » où, s i l'aute u r singu lier s'efface, l'auteur en recherche prend toute sa place. Analyse r fi nement ce positionne ment, inventer les o utils co rres­ pondants, reste à fa i re. Deme u re la difficulté déjà évoq uée du « tissage ». « Le modèle du mémoire idéal serait un ouvrage où se tisse l'expérience et la construction d'une question en se restructurant l'une l'autre, l'une par l'autre >f4• Po u r aider les étud iants à struct u rer l a masse d'informations issues de l'expé­ rience et celles q u i le u r vien nent des lectures théoriq ues, j'ai souvent ex­ péri menté combien étaient éclairantes les précieuses analyses de Rozenn G u i bert s u r les d iffé rents types de textes qui participent à l'é laboration d'un mémo ire et les jeux de textes qui en décou lent. Il me pa raît intéres­ sant de signaler q ue fai re a n a lyser des sommaires de mémoires et y re pé­ rer ces différents n ivea ux de texte a to ujo u rs été un exercice très fructueux quand le moment est ven u d'organ iser défin itivement l'ensemble des don­ nées. I l re n d bien c o m pte d e la d ive rs ité d e s tissage s p o s s i b les ... et d e la d ive rsité des mémoires. Mais ce q u i m a n q ue le plus a ux étudiants p o u r réussir le u r tissage, c'est de tro uver leu r « voix d'auteu r » (« egotexte » de Rozenn G u ibert) . « Il y a quelque chose que je ne suis pas encore arrivé à faire, c'est trouver ma voix, ma voix intérieure, un ton, un ton d'auteur quoi. .. », d ira Ta har en fin d'entretien. Ce ton, cette voix, la pratique d u journal de recherche pou rrait contri buer à les faire émerge r. Dans le prolongement de l'a utobiographie 1 4 S é m i n a i re, cf. supra p . 178. -

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Mettre en chemin d'écrire... mettre en chemin depenser

raison née, ce « j o u rn a l de recherche » tel q ue défi n i par Lou ra u15, o u le « jo u rn a l d'itinérance » présenté par Barbier dans le cadre de la recherche­ action16, mériteraient d'avoi r une place particu lière dans le parco u rs d u D H E PS. J'imaginerais bien q u e q uelques pages d e c e j o u rn a l, n o n pas à l'état brut de bro u i llon « pour soi », mais repris, élaboré « pour autrui » auto u r d ' u n ou plusie u rs thèmes, accom pagnent le mémoire final. Dans la mes u re o ù i l est fait de notations person n elles, en écho à des obse rva­ tions, lectu res, rencontres faites par son aute u r, dans la mesure où il rend com pte d e ses rêveries, de ses indignations, de ses colères, il est une pre­ mière forme de tissage. I l peut devenir le lieu o ù se sédimente tout u n terreau d'observations, re marq u es, réflexions, u n lieu o ù une écriture personne lle et imaginative peut p re n d re fo rme, où u ne pensée peut pre n d re corps. Le « jo u rn a l de recherche » me sem b le l'outil par excellence q u i acco m pagne et faci lite l'écritu re de recherche tout au long du parco u rs. Mais je dois d i re q u e m algré mes incitations, rares sont les étudiants q u i ont persévéré dans sa réd action régulière et q u i l'ont vraiment utilisé dans la rédaction fin a le de leu r mémoire. Ces d ifférentes remarq ues, en particu lier celles concernant le jour­ n a l de recherche, font pressentir q u e le statut de l'accom pagnate u r d'écri­ t u re c h a n ge au co u rs de cette d e uxièm e pa rtie d u parco u rs. Co m m e animateu r d'ateliers de recherche-action o u d'écrit u re, destinataire privi­ légié des premiers écrits des étud iants, il a une proxi m ité avec le gro u pe, u n e éco ute em path i q u e q u i en font un vé ritab le acco u che u r d 'écrit u re. Dans u n second tem ps, i l cherche plutôt à éclairer les étudiants sur la com­ p lexité d u travail dans leq uel i ls sont en gagés, à le u r donner, a u mo ment o ù ils en ont besoin, des o utils pour se situer, constru ire le u r argu menta­ tion, retrouver le fi l perd u de la recherche. Parallèlement à l'effacement progressif de l'aute u r singulier, j'observe une transfo rmation d u rôle d'ac­ com pagnate u r d'écrit u re : le d i recteu r de recherche prend la relève. Dans les diffé rents journ a ux d'ateliers d u séminaire des d i recte u rs de recherche apparaît u n certain n o m b re de q uestions q u e je me bornerai ici à é n u m é rer : q u a n d et com ment doit-on interve n i r sur l'écritu re ? Faut­ il s'attacher dès le début à la forme ? Corriger le texte ou lâcher la bride ? Fa i re des p ropositions et s o u s q u e lle fo rme ? To ut d é p e n d , bien s û r, d e la

façon dont est définie la direction de recherche. Or, dans le même séminaire, i l est précisé que « une direction est un acte individualisé qui suppose une

capacité à s 'adapter à un interlocuteur dans ce qu'il a d'unique et ce qu 'il peut apporter d'unique dans sa recherche », c'est d i re la d ive rs ité des

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15 - Lourau (R) , 1988, L e journal d e recherche, Méridiens Klincksiec k .. 16 - Barbier (R), 1993, Le journal d'itinérance, in Peps n° 44. l(

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En quête d'une intelligence de /'agir

d i rections de recherche et q ue c'est dans u n dialogue touj o u rs u n i q u e que se fait le travail. À titre d'exe m p le, je citerai une rem a rq u e éclairante de Tahar dont j'ai été d i rectrice de recherche : « À un moment donné, vous m 'avez permis de travailler sous stress » et, devant mon incompréhension, il po u rsuit « voilà, il y avait des échéances... je dépassais une sorte de cen­

sure personnelle... il fallait que j'écrive quelque chose et quand je me reli­ sais... je me demandais où j'avais été chercher les mots... je n 'étais pas sûr d'être l'auteur de ce que je venais d'écrire ».

D u point de vue de l'écriture, on peut affirmer q u e cet « acte indivi­ d u a lisé » q u e constitue la d i rection de recherche a po u r fonction essen­ tielle de fa i re passe r l'étud iant d ' u n e écritu re de trava i l, gén é ralement « po u r soi », à une écritu re de restitution « pour autrui », po u r de futurs lecte u rs dont le j u ry ne constitue q u ' u n e éta pe. Cette écriture im plique, dans le meille u r des cas, une restructu ration de l'ense m ble des textes pro­ d u its au c o u rs des trois années de formation pou r explicite r, d évelopper, argu mente r l'intuition u n iq u e dont l'a uteu r-acte u r est porte u r, mais elle exige touj o u rs au moins q u ' u n sens soit donné par l'acteu r à son parcou rs de recherche, ce q u e le directe u r de recherche s'e m p loie i n lassablement à lui rappeler. C'est d ' u ne certaine façon ce sens q u'atteste la signature de l'aute u r s'engageant vis-à-vis de ses futurs lecte u rs à le u r « o uvri r u n che m i n de pensée », si étro it soit-il. Et c'est de c e sens q ue l e d i recte u r d e recherche est ga rant q uand s o n nom appa raît s u r l a co uve rt u re d u mé­ moire. Rappelons pour conclure l'enjeu de l'écritu re p o u r les étudiants q u i s'engagent dans l e D H E PS. Po u r Tahar, « ... l'écriture c'est extrêmement im­

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portant au niveau de sa construction personnelle, intérieure... c'est vrai­ ment l'enjeu d'une vie, c'est même crucial, très très crucial parce que c'est quelque chose qui m 'a permis d'être quelqu 'un d'autre J�· J'aimerais ajo uter

q ue si l'étud iant en cou rs de D H E PS travaille d u r, en maîtrisant peu à pe u l'écrit u re, pour o uvrir u n chemin de pensée à ses fut u rs lecte u rs, c'est le c h e m i n de sa p ropre p e n sée q u ' i l s'o uvre a u s s i , ave c d es p e rs p e ctives a ux-

quelles, j'espère, il ne renoncera jam ais. « Avant le DHEPS, l'écriture n 'était

encore qu 'un projet, un objet de tourmen t, une aspiration impossible. Elle a constitué une sorte de viatique qui m 'a permis de traverser des mondes dans lesquels j'aurais pu rester enchainé. Je m 'aperçois que c'est devenu un outil d'émancipation ».

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Une formation pro fessionnelle supérieure par la recherche-action e ffets ordinaires, effets spécifiques ? ·

Présenta tio n et a na lyse des témo ig na g es de 1 7 diplômés du DHEPS1 Pierre-Marie MESNIER

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Présentation de laformation DHEPS

e Diplôme des Hautes Études des Pratiq ues Sociales (DH EPS), diplôme d ' u n iversité de n iveau BAC + 4 (Paris I l l - Sorbon n e N o uve lle) , est pré paré dans un d ispositif de formation pluri-professionnelle dont l'objet est l'analyse des pratiq ues sociales par la recherche-action. Cette formation s'inscrit d a n s un résea u de d ix u n ive rsités délivrant le m ê m e d iplôme, l e Réseau d e s Hautes Études d e s Pratiq ues Sociales (R H EPS) , en partenariat avec q u atre instituts de formation professionnelle, les Collèges coopératifs (cf. supra p. 9Q, n ote 3) .

U n pe u d ' h isto i re I m p la nté à Paris I l l depuis 1984, le D H E PS a d'abord été c réé dans le cad re d e l' École Pratique des Hautes Études (l'actuelle E H ESS) par le professe u r Hen ri Desroche, en 1977. D'où son nom : D i plôme des Hautes Ë tudes des Pratiq ues Sociales. Henri Desroche, sociologue du Développe­ ment coopératif, d i recte u r d'études à l' E H ESS, était également, à l'époq ue, d i recte u r du centre de recherches coopératives de cette même école. Après avoir accueilli dans son séminaire de nombreux adu ltes, praticiens chevron­ nés, désire ux de formaliser le u rs pratiques, H . Desroche, avant de q u itte r l' E H ESS, s'était préoccu pé d'assurer la pérennisation d'un dispositif original 1 Diplôme des H a utes Ëtudes d e s Prati ques Socia les. -

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En quête d'une intelligence de /'agir

de fo rmation. I l crée dans ce but, dès les années soixante, une association de fo rm ation, le Collège coopératif de Paris. Il i m p u lse égale ment, avec d'autres collaborate u rs, un réseau d ' i m p lantations u n iversitai res de cette fo rmation q u i, en 1983 , reçoit du m i n istè re de !' Éd u cation N atio n a le le label de "G IS RH E PS", le G ro u pement d ' i ntérêt Scientifique du Réseau des Hautes Études des Pratiques Sociales. Cette structu re nationale rassem b le des re présentants de plusie u rs m i n istè res ( É d ucation, Affaires Sociales, Agric u lture, Fo rmation Professionnelle) , les Collèges coopératifs (Pa ris, Lyon, Aix-en- Provence et Ren nes) ainsi q ue les d ix u n iversités q u i ont créé u n D H E PS et sont se u les habi litées à d é livrer ce D i p lôme d' Études S u pé­ rie u res U n iversitai res de second cycle (BAC + 4) : Aix-Marseille I l, Besan­ çon, Dijon, Le Mans, La R é u n i o n , Lyo n I l , M u lho use, Paris I l l , Rennes I l , Strasbou rg, To u lo u se Le Mira i l, To u rs. Le D H E PS est donc marq ué d'e m b lée par une d o u ble origine : . - une formation de praticiens par u n e démarche rigo u re u se de re· cherche inscrite dans l"'e �� rit E � ESS" p u is d � ns te contexte univ� rsitaire ; - u n souci. d'effl. cac1te soc iale, de cooperat1. on et d'entre p rise ca rac­ /j térisant le réseau R H E PS.

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Le p u blic I s s u de professions e t de pratiq ues d ive rses rassem b lées dans l'ex­ pression "pratiq ues sociales", le p u blic est recruté s u r la base de ses ac­ q u i s profession n e ls et i n te llectuels antérie u rs - sans exi ge n ce de d i plôme. I l peut être caracté risé par q uatre traits : - i l s'agit d'ad u ltes ; - ayant une expérience professionne lle (d'au-moins s ans) ; - engagés dans la vie sociale ; - susceptibles de mettre en œ uvre des projets i n n ovants. Professionnelle ment, ces praticiens du secte u r social sont en général en situation de responsabilité - o u en voie de le deve n i r, et la fo rmation y contribue pour beaucoup. Les secteu rs d'appartenance sont des plus d ivers, cette « pluri-professionnalité » constituant un atout i m portant de la form a­ tion. Ce sont, par exe m p le, des formate u rs ou responsables de formation (entreprise, secteu r pu blic o u associatif) , des éducateu rs spécialisés (dans l'i nse rtion, la prévention, la protection j u d iciaire) , des responsa bles asso­ ciatifs (à l'échelon régional o u national) , des d i recteurs de projets dans les m u nici palités (secteu rs jeunesse, santé, action c u ltu relle ...) o u dans les com ités d'entreprise, des responsables synd icaux, assistantes sociales, d i recteu rs d'établissements (par exe m p le dans un Centre d'Aide par le Tra­ vail pour hand icapés) , des conse i lle rs professionnels à !'AN PE ... Cette no­ menclatu re est loin d'être exha ustive. 190

Formation professionnelle supérieurepar la R-A : effets ordinaires, effets spécifiques ?

À cette d iversité s'ajoute une d isparité des n ivea ux de formation ini­ tiale, d e p u is le CAP jusqu'au 3ème cycle (dans ce dernier cas c'est plus la démarche pédagogique q ue le d iplôme q u i les fait ven i r j usqu'à n ous) . La m ajorité des candidats se situe à un n iveau BAC + 2 (D E U G , BTS, di plôme professionnel de formate u r, d'éd ucate u r, d'assistant socia l...) .

Fi na lités de l a formation p a r l a recherche-actio n Qu'est-ce q u i, d a n s ces cond itions, peut u n ifier cette formation ? La q u alité ële l'expérience professionnel e e e sou a1 e c acun deslïiSêrîts de passera•mre-prBtieiue spontanée à une prâliqae ralsonnée- ;â'ûne logiq u � d'ac110iïaune logique de-recherche sur cette action, rêftêffiîëëffigou re J...C:Y seITïënt constru ite. Bref, d'entrer dans u n e de marche d'analyse des pratiques sociales par la recherche-action : l'acte u r social s'engage ainsi, pa , le d étou r d'une recherche, vers u n e réorientation de ses pratiq ues grâc à u n e instru mentation méthod ique q u i lui permet de les voir autre ment, d'en constru ire u n e « théorie », a u sens de « vision o rgan isée ». Recherche-action : concept po lysém i q u e s'il en est (voi r G oyette, Lessard- H é bert, 1987 ; Resweber, 1995 ; Barbier, 1996 : trois o uvrages au même intitulé : La Recherche-action) . Dans le cad re de la formation DH E PS, n o u s n o u s référons donc volontiers à la défi n ition large q u'en a proposé le fon d ate u r de ce d ispositif, H e n ri Desroche. En voici le texte co m p let : ·

« 1. Elle est une recherche dans l'action, c'est-à-dire une recherche portant sur des acteurs sociaux, leurs actions, leurs transactions, leurs in­ teractions ; conçue pour équiper d'une "pratique rationnelle " leurs pra­ tiques spontanées ; assumée par ces acteurs eux-mêmes (auto-diagnostic et auto-pronostic) tant dans ses conceptions que dans son exécution et ses suivis. « 2. Visant à être simultanément : sur, pour et par, elle n 'est ni une recherche appliquée tributaire d'une simple observation participante (de type recherche sur). Elle relèverait plutôt d'une participation observante sans être pour autant une manipulation expérimentale. Car elle opère in situ, en vraie grandeur, sur le terrain et non plus dans un laboratoire visible ou à partir d'un laboratoire invisible ; ni une recherche subalternée à une mi/itance idéologique, à une firme économique ou à un pouvoir adminis­ tratif de type recherche pour d'autres destinataires que ceux par qui s'ac­ complit conjointement la "conscientisation " » (Desroche, 1982 : 43-44),- --' I l s'agit donc ici d ' u ne recherche dans l'action, menée par les acteu rs d ' , e ux-mêmes, sur leu r action - c'est-à-d ire leu r pratique professionn�lle o u sociale - pour comprendre, améliorer et mod ifier cette action (la fo ation l

articu le u n p rojet de recherche et u n projet d'intervention sociale) . a re­ c herche est menée avec l'a p p u i de s pécia listes d u p ro b lème étud ié, grace 19 1

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En quête d'une intelligence de /'agir

à u n e mutualisation des savoi rs dans le gro u pe en formation et avec la participation de tout o u partie du m i lieu ou s'insère cette action. L'acte u r social devient donc aute u r d ' u ne recherche pou r m ie ux re­ ven i r à l'action. Citons encore H e n ri Desroche :

« Si Science et Action demandent à être reines chacune dans leur royaume, je suppose que la meilleure manière pour cette double souve­ raineté de ne pas se muer en double tyrannie, c'est encore de les camper - science et action - deux majestés l'une vis-à-vis de l'autre, en des termes tels que chacune soit pour l'autre "l'opposition de Sa Majesté". « C'est dire que les parties prenantes à cette recherche en sciences sociales dans un régime d'éducation permanente n 'ont pas à en attendre la quiétude d'une synthèse mais bien plutôt l'aggravation d'une antithèse : celle qui, les ayant envoyées de l'action à la recherche, les renvoie de la recherche à l'action ... Mais, sans le mouvement perpétue/ de ces renvois réciproques, une recherche serait-elle une recherche et une éducation ne cesserait-elle pas d'être vouée à la permanence ? » (Des roche, 1971 : 171) .

D'un côté, donc, des acteu rs « entre p reneurs » - meneurs de pro­ jets - , de l'autre, des apprentis-cherche u rs. Ce sont bien les mêmes, mais engagés dans deux logiq ues différentes et complémentaires. Entreprendre et chercher pe uvent d'aille u rs, considérés dans le u rs inte r-relations, être envisagés co m m e les deux processus majeu rs q u i constituent les condi­ tions d'effectivité de tout apprentissage intégré, comme nous l'avons dé­ veloppé aille u rs : « A priori, les deux processus entreprendre et chercher se présentent

comme deux univers irréductibles. L 'entrepreneur, homme d'action avant tout, relève des défis, développe un projet à partir de "ruptures instaura­ trices", vit des enjeux économiques forts, doit faire preuve quotidienne­ ment d'esprit de décision dans les domaines les plus variés. Le chercheur, quant à lui, multiplie les pistes d'investigation, pratique constamment de nouvelles ouvertures. La définition précise d'un objet de recherche passe par de longs moments d'incubation, de lectures "tous azimuts ", d'écoute de soi et des autres, grâce auxquels se précisent peu à peu les contours du problème ; la construction méthodique n 'intervient qu 'au terme d'une investigation très ramifiée. « Ces deux processus se positionnent très différemment - symétri­ quement pourrait-on dire - dans le couple théorie/pratique. Pour le cher­ cheur, la finalité de l'investissement est d'abord la construction théorique : les expérimentations pratiques se présentent comme autant d'étapes qui doivent y mener. L 'entrepreneur, lui, est d'abord l'homme d'une réalisation pragmatique ; les modèles théoriques auxquels il se réfère, chemin faisant, fonctionnent comme autant de détours nécessaires pour atteindre son 19 2

Formation professionnelle supérieurepar la R-A : effets ordinaires, effets spécifiques ?

but. Démarche inverse, donc, mais non contradictoire : homme d'action, /'entrepreneur est aussi homme du doute qui sait analyser ses échecs. Et si sa position le place, a priori, loin des exigences pragmatiques et écono­ miques, le chercheur vit également sa recherche comme un projet, dans /'intensité des interactions avec ses pairs et l'obligation sociale de pro­ duire des résultats. « Plus précisément, et en tant que processus, /'entreprendre et le chercher se rencontrent en deux aspects, une attitude commune d'explo­ ration et une aptitude à la transgression novatrice des procédures ou sché­ mas de pensée hérités. Les pratiques entrepreneuriales relèvent souvent de /'"hétérodoxie" : elles passent souvent outre les règles d'action établies et se portent sur des choix innovants. Les chercheurs, eux, vivent dans le "para-doxe " puisqu 'ils portent leur questionnement à côté ou au-delà de ce qui délimite le savoir jusque-là constitué. « Mais le point de rencontre le plus fort, celui qui justifie /'intégration de ces deux processus dans un même modèle théorique de l'apprentis­ sage, tient à un constat recueilli chez tous nos interlocuteurs : entrepren­ dre comme chercher suscitent un apprendre constant et diversifié. « L 'activité de recherche n 'est, pourrait-on dire, rien d'autre qu'une vaste aptitude à apprendre pour défricher les domaines de savoir reliés à l'objet investi. La difficulté à différencier, dans le discours des chercheurs professionnels, ce qui relève de l'apprendre et ce qui relève de la recherche, est hautement significative. "// faut apprendre tout le temps. . . ". "Si tu t'ar­ rêtes, c'est fini". "Je ne sais pas assez de choses, il faut que j'apprenne, il faut que je lise ... ". « De même, à la question, "Avez-vous mené des appren tissages dans la conduite de votre projet et lesquels ?", les entrepreneurs répon­ dent souvent en revenant sur tel ou tel aspect de leur activité, tant il leur est difficile d'opérer une distinction nette entre les exigences de leur fonc­ tion et la nécessité d'apprendre : "J'apprends en permanence ". ''J'ap­ prends en faisant, tous les jours ". "Apprendre, c'est nécessaire pour évoluer, et j'ai sans arrêt besoin d'évoluer. .. ". « Le passage d'une situation protégée au plein vent du risque, la confrontation quotidienne à une réalité complexe, sont autant d'aiguillons qui poussent l'entrepreneur à s'adapter en assimilant les savoirs de toute nature - techniques, procéduraux, théoriques - qui lui sont nécessaires pour avancer. « Ces constats nous ont donc orientés vers la définition d'un modèle théorique - "modèle" étant pris ici au sens de schéma de fonctionnement, noyau organisateur, agencement des possibles dont la définition générale peut être ainsi énoncée : l'effectivité du processus apprendre est assurée 1 93

En quête d'une intelligence de I 'agir

par la présence, à chaque phase-clé de son déroulement, de l'une ou l'au­ tre des caractéristiques dominantes d'entreprendre et/ou de chercher »

(Mesnier, 1996 : 5 9 -60) . Que tes p raticiens a p p rentis-cherc h e u rs d u D H E PS soient dans ta posture ta plus favorable po u r appre n d re, il est donc, de ce point de vue, difficile d'en do ute r... Mais de q ue lle nature sont ces apprentissages, com­ ment se constru isent-ils ? U n e formation par ta recherche-action peut-elle prod u i re des effets spécifi q u es a u rega rd d'a utres dispositifs com para­ bles ? C'est ce q uestionnement q u i va traverser en perm anence ta présen­ tation et t'analyse des tém o ignages présentés un peu plus loin.

Pri n ci pes p é d agogi q u es, rga n i sat1 o n , co nte n us La formation des anciens étudiants dont tes té moignages sont ana­ lysés s'est déroutée par alternance, sur trois ans, à raison de trente jou rnées par an, ré parties e n sessions d e tro is j o u rs . De p u is 2002 ta fo rmation D H E PS (Maste r 1) se déro u te sur deux ans alternant des sessions men­ suelles férq uàtre j o u rs. I l s'agit d'une autoformation, à ta fois : ) ind ividu � le : chaq ue stagiaire constru it u n projet de recherche-ac­ tion à �·a.i:t�-r-de sa propre pratiq ue, ce q u i im plique u n gros travail person­ nel de rech e rche d o c u mentaire, de rec u e i l de d o n n ées, d'exploration conceptue lle, d'analyse et de tra itement des rés u ltats, de réd action de textes intermédiaires puis d u mémoire. Ce travai l individ uel, essentiel, est officiellement inscrit, en nombre d'heures, à la haute u r du tem ps consacré aux sessions (m ais c'est u n m i n i m u m !) ; - m utue le : la réalisation d u projet s'ap p u ie s u r des te m ps spéci­ fiq ues d'échange et de confrontations qui exploitent la d iversité des ap­ partenances professionne lles et sociales ; - .g.uldée : par tes form ate u rs et tes d i recte u rs de recherche, par tes apports théoriq ues et méthodologiq ues proposés lors des sessions col­ lectives, par différe ntes formes de s u ivi pédagogique : tutorat, d i rection de recherche, consu ltation d'expe rts ... L'ense m b le d u parcours est réparti en trois éta pes correspondant chacune - le plus souvent mais pas toujou rs - à une année u n iversitaire, et donnant lieu à une p roduction écrite spécifique : - en fi n de p rem ière éta pe, le stagiaire présente devant l'éq u i pe de formate u rs son a u!.Qbiographie (cf. supra p. 97) , ta mono :rgph ie de son enq uête exp lo ratoire (cf. supra p. 113) et une notice de projet de recherche. Cette présentatio n est validée par te conse i l du DH E PS et cond itionne ta po u rsu ite du parco u rs de fo rmation ; - e n fin de deuxième éta pe, i l présente u n rapport intermédiaire (5 0 1 94

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à 60 pages) faisant état de l'évo l ution de la p ro b lématique, des investiga­ tions théoriques et d u recueil com plet des d o n nées ; - en fin de troisième étape, il dépose u n mémoire (120 à 150 pages) où i l rend com pte des rés u ltats de la recherche et de leu rs incidences person­ nelles et professionnelles. Ce mémoire est soutenu devant u n j u ry compre­ nant u n enseignant-cherche u r de Paris I l l , le d i recte u r de recherche et, si nécessaire, u n expert du domaine étudié, professionnel et/ ou u niversitaire. La formation est sanctionnée par un D ES U de niveau BAC + 4 q u i peut, se lon la réglementation en vigu e u r, donner accès à des formations de 3ème cycle (Master 2) . Le D H E PS s'est inscrit comme première marche (M 1) d u d is­ positif de Master orienté sur la formation de formateu rs et d'accom pagna­ teu rs de projets individ uel et collectif par la recherche-action (cf. supra p. 8) . Le conte -· n u des sessions collectives s'organ ise auto u r de trois gr�nd �s : - la condu ite d u projet de recherc he-action (apports théoriques et trava i l coopératif) . Par exem ple, en première année : mettre en re lation des éléments pertinents du parcou rs de l'acte u r et des observations issues de la pratiq ue ; élaborer un o bjet de recherche ; opérer un pre m ier repé­ rage des champs conceptuels pertinents ; mener une enq uête exploratoire (premier recueil de données, monographie ...) . En deuxième année : repérer les aj ustements nécessai res de la problématique su ite au recueil des don­ n ées. En troisième an née : a rgu menter les rés u ltats de la recherche ... ; - l' i n itiation aux sciences sociales (réfé re nts théori q ues) : les concepts et courants fondamentaux de la sociologie, de la psychologie so­ ciale ; les théories de l'apprentissage et de la méd iation en fo rmation ; l'anth ropologie d u projet... Autant d' « ateliers conceptuels » q u i pou rront a ussi être constru its « à la carte » en fonction des besoins re pérés po u r chaq ue pro m otion ; - les outils de la rech e rc h e : re pérage et pratiq ue des méthodes d'enq uête en sciences sociales, in itiation à la recherche documentaire et ateliers d'écritu re, i nitiation à la socio-lingu istique (re pérage des enjeux sociaux des pratiq ues langagières, travai l sur les méthodes de recueil de don nées langagières e n situation et s u r l'analyse de d isco u rs ...). La conception et la réd action d'un mémoire constituent le vecteu r privilégié de l'acq u isition d e ces savoir-faire e t de leu r expression e t le seu l élément éva lué de façon sommative en v u e de l'obtention d u d i p lôme. Lorsque le D H E PS est deve n u le Master 1 d u D E PRA, la soutenance d u mémoire au coefficient le plus i m portant (60 %) est précédée de la pré­ sentatio n de travaux pou r chacun des mod u les : in itiation à la recherche­ actiojn (fin de p re m i è re éta pe) ; formation d ' a d u ltes (in gén ierie de formation et ingénierie pédagogique) ; la con d u ite de projet ; l'évaluation. 1 95

En quête d'une intelligence de /'agir

Présentation et analyse des 17 témoignages2 L'e ntr é e d a n s u n d is positif d e fo rmation par la recherche -actio n : les atte ntes, les asp i ratio n s3 On attend so uvent de la fo rmation D H E PS u n changement de statut dans l'institution ou l'accès à un a utre poste : passe r, par exe m p le, de la fonction de m i litant synd ical à celle de salarié perm anent dans un com ité d'entreprise (15 M F) , ou du travail d'assistant social à celui de méd iate u r fam i lial (8 D L) . Reve n i r o u entrer à l' u n iversité, fa ire des études après de longues années de pratiq ue professionnelle, sont également des motifs réc u rrents : i ls n'ont rien de spécifique à cette fo rmation, sauf, peut-être, dans la re­ présentation q u e l'on se fait alors d u processus dans leq uel on s'en gage :

« La forme pédagogique qu 'implique la recherche-action est, pour moi, la seule méthode possible de réussir des études : parce que non sco­ laire, parce que centrée sur un intérêt particulier » (15 M F) .

Mais les as pirations à d iverses formes d e reconnaissan ce sont, le plus so uvent, rattac hées à un m otif central, le désir de d istanciation et de réflexion instru mentée s u r les pratiq u es, u n e prise en com pte a n a lysée des changements :

« Un désir de réflexion, d'amélioration, de transformation de ma pra­ tique professionnelle et sociale, voire une visée de changement social. Et aussi un besoin de reconnaissance sociale, par /'université et par mon ins­ titution, de la production et de la théorisation de savoirs sur mes pra­ tiques, de la validité de mon action » (10 N C) .

Des q uestions nées d ' u n e observation s u r les pratiq ues génèrent le besoi n d'aller plus loin grâce à u n e formation prenant en com pte ce type de q u estionnement. OM travaille avec un pu blic d'im m igrés :

« Après avoir découvert que no tre culture occidentale n 'était pas "La Culture "... , un abime d'ignorance s'ouvrait devant moi[.. . ] Un impérieux besoin de formation commençait à se faire sentir, à la fois pour aller plus loin dans la connaissance et dans la construction de cette connaissance, et aussi pour me distancier de ces nouveaux objets de savoir » (7 O M) .

R P, q uant à l u i , s e reto u rne s u r u n e trajecto ire professionne lle déjà longue : 2 - Les témoignages sont désignés par un chiffre suivi de deux lettres - Vo i r en annexe. 3 - On trouvera en an nexes 1. et l i . le guide de trava i l proposé aux 17 témoins pour le u r écrit a i n s i q u e

la présentation par secteu rs e t thèmes d e s o bjets de le u r recherche-action effectuée d a n s le cad re d u D H E PS.

196

Formation professionnelle supérieurepar la R-A : effets ordinaires, effets spécifiques ?

« C'est au cœur de ce parcours professionnel (milieu agricole, Mai­ sons Familiales Rurales, Afrique noire, puis action caritative auprès des grandes précarités en France), que le désir de recul, de formation, a pris corps. Retrouvant mes racines, réinvestissant sans en avoir vraiment conscience la pédagogie active de /'autopromo tion, j'identifiai qu 'il y avait lieu de repenser les modes d'intervention du caritatif en milieu rural »

(5 R P) . Le désir d'entrer en formation D H E PS peut également naître d'une expérience professionnelle p roche de la recherche-action, i n itiée s u r le terra i n p rofession n e l et q u i d o n n e envie d'aller plus ava nt. C'est le cas p o u r FM q u i répond, au nom de son institution, à un a p pel d'offre : u ne « formation-action » financée par la Fondation de France propose un travail de mobi lisation de jeunes en FJT (Foyer de Jeu nes Travai lleurs) sur des pro­ jets concernant des q uestions touchant la santé. FM analyse finement ce point de départ en généralisant son expérience pour m ontrer où peut tro u­ ver son o rigine le p rocessus de recherche-action :

« Le mouvement personnel qui surgit en soi et qui peut mener à une recherche-action peut avoir comme origine une remise en cause profes­ sionnelle, une lassitude dans ses pratiques, une stimulation extérieure, une demande institutionnelle, une interpellation du public, un besoin d'approfondissement, une démarcation politique et parfois tout cela à la fois. Bref, ce qui me semble fondamental c'est l'entrée dans un processus qui, s'il est agi et voulu par la personne acteur de la recherche-action est déjà un gage de réussite. « Trois acteurs - je les appelle ainsi pour faciliter la compréhension de mes propos - sont en scène dans cette recherche-action : la personne, acteur de la recherche, le public bénéficiaire de ses pratiques, /'institution dans laquelle elle agit, comprenant évidemment les collègues, la direction, les partenaires. Ces trois acteurs sont porteurs de valeurs, de pratiques, de demandes, d'attentes qui sont en interaction constante et constituent un système de référence pour chacun, plus ou moins équilibré, qui devien­ dra pour l'acteur principal le terreau de sa recherche-action » (14 FM) .

�e choix d e l'objet d e recherche-action (R-A) ,.



, , So uvent le c h o ix d u thème de R-A est ra p p o rté à la prise d e con science d'un décalage o u d ' u n e contrad iction re pérés dans les praues de l'acte u r. Des formes d'étonnement et/ou d'ind ignation mettent m o uvement le q u estio n n e m ent de rec h e rche. En amont d e sa rej e rc h e-action, MB, dans son travai l a u p rès d e fe m mes accueillies en H RS (Centre d ' H ébergement et de Réinse rtion Sociale) , fait les constats su ivants : 1 97

En quête d'une intelligence de /'agir

« - une contradiction entre le temps imparti et les problématiques de réinsertion par le travail impliquant une reconstruction identitaire ; « - un taux d'échec important dans les cas où l'on ne répond qu'à la demande - "il leur faut un travail à tout prix" - sans tenir compte de la manière dont les femmes conçoivent leur place dans la société, le rôle qu'elles pensent avoir à jouer ; « - une motivation très forte lorsqu 'on peut les écouter et les amener progressivement vers notre façon de concevoir les choses. « La majorité de ces femmes viennent de divers pays et il est impé­ ratif de tenir compte de leur origine culturelle pour faire un accompagne­ ment sensé. De cette contrainte de temps, je suis arrivée tout naturellement au problème des différences culturelles, sujet de mon travail. Cette re­ cherche-action a donc été complètement liée à mon activité profession­ nelle » (9 M B) .

C'est l e m ê m e sentiment de contradiction e t de paradoxe q u i génère la q u estion de recherche chez O M :

« En tant qu 'agent de développement, j'ai été amenée à travailler avec une association du quartier qui proposait dans ses objectifs d'orga­ niser le rapatriement des corps dans les pays du Maghreb. Cet objectif m 'a interpellée et je me suis alors demandé s'il y avait contradiction ou non entre ce choix et une volonté exprimée par les immigrés eux-mêmes de s'intégrer ici. }'ai d'abord commencé par interroger des personnes de mon entourage (amis et collègues) et, pour la plupart, d'entre eux, il y avait bien contradiction entre les deux intentions. Cela ne me paraissait pour­ tant pas aussi simple ! Alors j'ai donc décidé d'en faire un objet de re­ cherche » (? OM) .

J P a c h oisi co m m e thème i n itial d e rec herche la situation des de­ mandeurs de logement dans u n q uartier en ré habi litation de sa com m u ne de Seine-Saint- Denis. I l est, l u i a u ssi, sensible aux éléments contrad ic­ toires q u'il repère dans les demandes :

« }'avais choisi comme thème de travail au DHEPS de faire porter ma recherche-action sur le logement des "gens ", des demandeurs de logement qui, bien qu 'étant mal logés, n 'acceptent pas souvent la propo­ sition de relogement faite par l'institution. Cette proposition semblait le plus souvent ne pas correspondre à la demande pourtant faite quelques mois auparavant et être en décalage avec la motivation évoquée - le plus souvent l'urgence de relogement notamment pour les enfants nés ou à venir. À partir de ce constat, j'avoue qu'il ne m 'a pas été facile d'avancer dans la recherche car chaque avancée se traduisait par un nouveau flo t de questions nouvelles, par delà des pratiques et certitudes à remettre en cause » (4 J P) . 198

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La q uestio n d e rech e rche de FP naît, q u ant à e l le, d ' u n constat d'échec des pratiq ues d'évaluation formative censées aider les étud iants d ' u n institut de soins i nfirmiers à affronter les épre uves sommatives de fin d'année :

« Enseignant en soins infirmiers à /'École du Personnel Soignant de Fribourg (Suisse) durant huit ans, /'évaluation tant sommative que forma­ tive des étudiants a été un de mes principaux pôles d'intérêt. De 1996 à 1998, j'ai mené une recherche-action auprès d'étudiants en soins infirmiers afin de mieux comprendre les enjeux pédagogiques, psychologiques et philosophiques de ces deux types d'évaluation. [ .. ] Un taux d'échec d'en­ viron 50 % au terme de la première année de formation était habituel. Ce constat [. . ] m 'a fait douter de /'adéquation de nos outils et de nos mé­ thodes d'évaluation. « Nous pensions que l'évaluation formative centrée sur /'apprenant, sa progression, ses ressources et ses limites devait garantir un meilleur apprentissage, un taux de réussite élevé ainsi qu'une diminution du stress lors des examens sommatifs. Paradoxalement, les étudiants étaient stres­ sés lors des évaluations formatives et les échecs étaient fort nombreux lors des épreuves sommatives. Du reste, les étudiants - tant ceux qui réussissaient que ceux qui échouaient - se plaignaient du manque de lo­ gique et de la faiblesse de notre système d'évaluation formative. Afin de documenter et d'analyser cette problématique, je me suis intéressé aux représentations des étudiants sur le système d'évaluation formative ap­ pliqué à /'EPS » (2 FP) . .

.

Très souve nt a u ssi, le choix d u thème d e recherche est présenté comme u n e sorte d'ancrage dans le parcours personnel et professionnel du praticien-chercheur. I l prend alors u n sens particu lièrement fort pour le s ujet, q u itte à ce q ue celu i-ci se sente en décalage, de par ce choix, avec son enviro n nement socio-professionnel et c u lt u rel :

« j'ai choisi un thème au croisement de mes sensibilités person­ nel/es et professionnelles. À partir de mon récit de vie, j'ai identifié cet intérêt récurrent [ p o u r les phén omènes d e violence d a n s le co u p le]. Quelques années plus tard ce sujet reste d'un grand intérêt pour moi. Cette période de formation a représenté une élaboration ardue où la pensée ra­ tionnelle le disputait aux émotions pour modifier ma pratique profession­ nelle. Le thème sélectionné provoque toujours, en effet, la fascination et le rejet : penser les actes de violence dans le cadre familial relève d'un défi dans le contexte d'une société en recherche de dispositifs pour mettre en échec le développement de la violence dans différents secteurs de la so­ ciété. La violence à l'école, dans les banlieues et sur le lieu de travail en particulier, est au cœur de l'actualité. Le défi pour moi était donc de poser 1 99

En quête d'une intelligence de /'agir

des mots sur la violence, de rationaliser des comportements aux limites de la pensée commune, de mettre en mots ce qui a toujours existé, mais qui est apparu, depuis les dernières années, inacceptable et illégal dans les cultures occidentales » (8 D L) .

CP, q u ant à elle, a fait porter son travail s u r l'organisation d'une u n ité de prévention spécialisée pensée comme étant au service d'un process us de d évelo ppement social local dans u n q u a rtier d e la ban lie u e Sud de Paris. La spécificité de cette u n ité est d'être admin istrée par les habitants des territoires s u r lesq uels elle intervient. Elle co m mence par défi n i r sous forme négative une intention de recherche très marq uée par son parco u rs profession nel :

« Je ne voulais pas me pencher sur le champ de l'éducation spécia­ lisée et y centrer ma recherche. Je voulais faire cette recherche pour l'asso­ ciation, pour les habitants du quartier qui à mes yeux étaient plus engagés, plus "méritants" que les travailleurs sociaux, payés pour intervenir. « Le champ du développement social local me semblait alors méri­ ter toute mon attention et il me semblait impensable de ne pas me foca­ liser sur les habitants, acteurs de ce processus et porteurs d'une inévitable reconnaissance. A u risque de perdre mon identité professionnelle en m'identifiant aux habitants, ma recherche ne pouvait que se centrer sur ceux-ci » (6 CP) .

Ce choix négatif représente p o u r e lle u n enjeu personnel e t profes­ sionnel marq u é par u n e forte identification à la catégorie des habitants contre celle des p rofessionnels de l'é d u cation spécialisée dont e lle fa it pou rtant partie. Mais ce pre m ier choix très focalisé et idéologisé va évoluer au co u rs de la démarche de recherche :

« Ce regard ne me satisfaisait pas complètement. }'ai donc continué à cheminer, entre la pratique de terrain et les apports théoriques. Et puis, ce que j'ai repoussé dans un premier temps a dû être réintroduit (le travail sociaO. Ce que j'ai sur-valorisé (l'implication des habitants) a dû être remis à sa juste place » (6 C P) .

Enfin, l e choix de l'objet de recherche dans l a fo rmation est parfois lié à une recherche-action précédente. C'est explicite pour l' u n des témoi­ gn ages et i m p licite po u r q u atre a utres. Dans tro is a utres cas, u n e re­ cherche-action co llective a suivi la recherche d'acte u r d u O H E PS, com m e n o u s l e ve rrons ci-après. On peut d o n c déjà retenir i c i l'idée d'un lien étroit et su bséq uent entre recherche-action individ u e lle et recherche-action col­ lective. Les acte u rs se conva i n q uent et s'entraînent m utuellement. U n autre praticien parle de l'enchaînement de deux recherches-actions, l a pre­ m ière étant collective dans le cad re professionnel, et la seconde con d u ite individ uellement pour la formation D H E PS : 200

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« Je me suis interrogé, dans un second temps, sur les effets, quant à leur développement personnel, de la participation des habitants impli­ qués dans des actions collectives » (3 AD) .

Le déro u lement d e l a rech e rche-action, les éta pes PREMIÈRE ÉTAPE

Du parcours personnel et profession nel au projet de RA

Plusie u rs té moignages, n o u s l'avons déjà évoq ué, font a pparaître u n lien fo rt entre le pa rcou rs d u praticien et le q u estionnement de l'ap­ p renti-cherche u r. C'est le cas p o u r RP dont la q u estion de recherche est née d e la relectu re d ' u n parcou rs p rofessionnel déjà long et d iversifié :

« À partir d'une réelle mise à plat de mon parcours professionnel et social grâce à la démarche d'autobiographie raisonnée, j'ai pu formaliser ma question de recherche : "Face à la réalité des pauvretés en monde rural en France aujourd'hui, quelles démarches d'animation du réseau caritatif promouvoir pour un développement plus solidaire du milieu ?" En partant de cette identification, grâce à l'accompagnement actif des formateurs et aux échanges interactifs entre stagiaires en formation, les étapes et les méthodes se sont précisées, entièrement intégrées à mon activité » (5 R P) .

Le sentiment est l e même chez N C :

« La première année est celle des découvertes. C'est le déclic et le début d'un cheminement personnel et professionnel dans le cadre choisi de la recherche-action. C'est la découverte des liens entre mon parcours, mes projets et l'objet de ma recherche » (10 N C) .

Avec son art d e l a synthèse déjà sou ligné plus h a ut, FM résume ce point de vue de façon remarq uablement succincte en restituant les points­ clés de cette première étape :

« Ainsi la recherche-action s'inscrit-elle bien dans la vie de l'acteur ; la question qui met en mouvement le chercheur vient se décliner avec une problématique donnée par sa pratique professionnelle, l'hypothèse de re­ cherche prenant alors les couleurs des terrains où s'appliquent les outils de la recherche » (14 FM) .

Au co u rs de cette première étape (cf. supra p. 194 la description d u d ispositif de formation) , u n e enq uête exp lo ratoi re o u monographie favo­ rise l'entrée dans une o bjectivation par rapport a ux pratiq ues et au regard o rd i n a i re s u r ces p rati q u es, ainsi q u e la form u lation plus précise d u q ues­ tionnement de recherche :

« La relecture de la pratique professionnelle au FJT (Foyer de Jeunes Travailleurs) par le biais d'une monographie m 'a permis de poser un 201

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regard objectif sur un certain nombre de points, de mettre en exergue les questions à développer et à approfondir. Deux questions ont ainsi émergé : l'une relative à la participation des jeunes et à leur rôle en tant qu 'acteurs dans la prise en charge de leur santé et l'autre sur Je rôle social du foyer incluant la responsabi/isation des jeunes et leur autonomisation - une question donc plus institutionnelle » (14 FM) .

L'enjeu ici est bien de passer de c o n n a issa nces p u re m e n t e m pi­ riq ues à des fo rmes de savoi rs constru its. OM, ra p pe lons-le, c h e rche à com prendre les o rigines d u désir de rapatrie ment après leu r m o rt de m i­ grants maghrébins installés en France d e p u is longte m ps :

« Ma connaissance du public migrant, si elle était bien réelle, était plutôt une connaissance basique, de la vie quotidienne, avec ses pratiques culturelles (vêtements, cuisine ou encore musique et danse). Il me fallait prendre de la distance par rapport à mon objet et j'ai donc lu un certain nombre d'ouvrages. Par ai/leurs, j'ai visité des cimetières : des carrés mu­ sulmans ici et de nombreux cimetières au Maroc. Ce début de connais­ sances constitué, j'ai entrepris ma recherche sur Je terrain » (7 O M) . DEUXIÈME ÉTAPE Les hypothèses d e recherche, le trava i l de conce ptu alisation, le re cu e i l des d o n n ées d é fi n itives de la rec h e rche- action

Avant de red onner la paro le aux 17 té m oins du parcours de DH EPS, il est utile de préciser, à partir d'un précédent travai l (Mesn ier, 2003) , q u e les mémoires achevés reflètent deux formes assez différentes de construc­ tion de la R-A issues de cette deuxième étape, deux paradigmes contrastés dont les principales caractéristiq ues pe uvent s'énoncer comme s u it. Un modèle dominant, plutôt référé à une démarche de type « hypothético-déductif»

La m ajo rité des mémoires q ue nous avons p u analyser procèdent à peu près de la m ê m e façon dans la construction de la démonstration. Une question principale est donc née d u retou r de l'acteu r sur son par­ cours et ses pratiq ues ; ces pratiques sont alors contextualisées dans u n en­ sem ble institutionnel, dans une dimension historiq ue - également dans un premier ensemble construit de concepts, et elles sont interrogées par le biais d'une ou deux hypothèses de recherche très clairement formu lées ; presq ue to us proposent ensu ite des formes d'instru mentation de ces hypothèses - un modèle d'analyse permettant de constru ire le recueil des don nées ou, a minima, u ne énonciation précise des enjeux et des o bjectifs qui vont orienter ce travail de recueil. On trouve également une justification argu men­ tée des choix opérés q uant aux outils de recueil et d'analyse des données. 202

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Une autre caractéristique com m une aux mémoires relevant de ce mo­ dèle tient dans le fait que la partie essentielle de tous ces textes, considérée com me l'élément le plus im portant, porte sur l'analyse des résultats. Et dans cette analyse se donne so uvent à lire u n « tissage » intéressant entre les é léments du corpus étud iés, o rgan isés, cités, et des éclairages théoriq ues p uisés dans l'organ isation conceptuelle antérie u re. En fin du dévelop pe­ ment, u n e synthèse des rés u ltats d é b o u c he, paradoxaleme nt, s u r u n e conclusion relativement p e u développée en termes de retom bées profes­ sionnelles, d'orientations n o uvelles pour les pratiq ues. Dans ce modèle se man ifeste peu ce q u e H . Desroche appelle le « projet » q u i suit le « trajet » de recherche (Desroche, 1991) . Ce m odèle se réfère, i m plicitement, à ce lui des scie n ces expérimentales (G u igue- D u rn i n g, 1995 : 233-239) , en privi­ légiant le versant « recherche » dans le binôme recherche-action (jd. , : 91) . On n ' y identifie p a s nécessai rement de fi l contin u entre l'effort de com­ p réhension d'un phénomène social et des propositions p o u r le reto u r à l'actio n . Sans doute parce q u'il paraît difficile de travaille r cette q uestion du retou r « autre » aux pratiques grâce à la recherche, alors q ue, justement, la démarche de recherche est encore en cou rs. Une nouvelle dynamique de­ vrait se relancer, mais il ne suffit pas de comprendre u n phénomène pour être à même de proposer des reméd iations, s u rto ut q uand l'acte u r-cher­ cheur se « remet » à peine d ' u n effort d'élaboration théorique im portant. C'est souvent beauco u p plus tard que les « Dhepsiens » se rendent com pte d u fait q ue leu r ra p p o rt à l'actio n a changé, com m e n o u s le ve rrons ci­ après. Le clivage entre recherche et action n'a pas p u être travaillé comme tel dans le tem ps de la formation. Le retentissement professionnel de l'ob­ jet traité peut aussi être tellement fort q u'il e m pêche l'acte u r d'exposer des conclusions lisibles par des destinataires du c h a m p professionnel. Un modèle de type plus inductif et pragmatique

Les principaux points de différence identifiés avec le premier modèle sont les s u ivants. Dans le chapitre consacré à la contextua lisatio n des pratiq u es sont proposés des développements plus fou rn is par exemple une monogra p h ie très fo u i llée d'une opération de déve lo ppement social u rbain o ù le cher­ cheur-acte u r était i m pliqué, c'est le cas de AD (3 AD) . On retrouve l'hypothèse de rec herche dans c e modèle, mais très peu étayée par des développements théoriques préalables. Les lectu res « théo­ riq ues » ne guident pas la construction du recueil des don nées, elles vien­ nent plutôt, a posteriori, écla i re r leu r analyse. On ne peut donc, ici, parler de « modèle d'ana lyse ». Les choix méthodologiq ues sont pourtant lon­ guement j u stifiés, les d o n nées sont également exploitées de façon très 2 03

En quête d'une intelligence de /'agir

su bstantielle. On voit plutôt, ici, se man ifeste r une capacité à constru ire u n e théorisation à partir de l'analyse des don nées : construction d ' u n m o­ dèle d'inte rvention argu menté à partir des résu ltats o bten us, dém arche de généralisation sous forme de représentation transférable et ré utilisable d'un systè me de fon ctionnement professionnel. Si l'objet de recherche porte précisé ment s u r la va lidation de pra­ tiq ues alternatives, le mémoire to ut e ntier est, dans ce seco nd modèle, orienté vers des formes de propositions pou r l'action, ce qui appelle davan­ tage de raccords avec la théorisation pou r éclairer ce que peuvent représen­ ter ces pratiq ues n ovatrices. On pou rrait d i re, par ra pport à ce paradigme minoritaire, que ceux qui ont moins investi dans l'exploration conceptuelle, se sont plus donné le te m ps, dans le texte lui-même, du réinvestissement sur les pratiq ues. On identifie clairement chez eux le désir de bien affi rmer la spécificité et l' inédit de le u r approche dans leu r c h a m p professionnel. Le premier modèle, d o m i n ant dans les travaux achevés, est ici illus­ tré dans le parc o u rs méthodologiq ue présenté par OM : « Pour des raisons de facilité et de gestion du temps, j'avais prévu dans un premier temps de réaliser les entretiens auprès de personnes ré­ sidant dans le quartier où j'exerce ma profession. Mais je me suis très vite rendu compte que mon positionnement institutionnel municipal ne per­ mettrait pas une liberté d'expression satisfaisante. En effet, accepter de répondre à des questions pouvait laisser espérer quelque chose en retour (par exemple une aide pour un travail, un stage, un autre logement, ...). }'ai donc choisi de rencontrer seulement quelques personnes de ce quar­ tier, puis d'aller interroger d'anciens stagiaires en alphabétisation avec lesquels la relation de confiance (bien qu 'un peu ancienne) existait tou­ jours et avec lesquels il n 'y avait pas d'enjeu. Ce choix m 'a permis d'avoir des échanges beaucoup plus libres et donc bien plus riches en terme de con tenu (et de calories aussi !). « Les outils d'enquête ont été classiques puisqu 'il s'agissait d'entre­ tiens semi-directifs enregistrés sur magnétophone. Cependant, leur réalisation a dû tenir compte d'un certain nombre de paramètres environnementaux, à savoir la télévision qui diffuse de la musique ou des feuilletons, les en­ fants qui rentrent de l'école, la confection de gâteaux ou de crêpes qui m'obligeait parfois à suivre la femme dans la cuisine avec le magnétophone (sans parler de la préparation rituelle du thé !). « Les entretiens individuels m 'ont permis de recueillir des éléments qui se situent sur deux registres : d'une part ceux concernant /'intégration des immigrés maghrébins en France4, à partir d'indicateurs préalablement 4 I l s'agit là u n i q uement des i m m igrés m a g h rébins ven u s en France d a n s les a n n ées soixante et soixante-d ix, p o u r des ra isons économiq ues. -

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Formation professionnelle supérieurepar la R-A : effets ordinaires, effets spécifiques ?

choisis, sauf un qui est apparu spontanément au cours des entretiens (concernant le sapin de Noël) ; et d'autre part sur leur futur lieu de sépul­ ture et sur les raisons de ce choix. « L 'entretien collectif a été l'occasion de compléter les informations recueillies dans les livres concernant les rites funéraires et de vérifier la pertinence de ces informations. Cet entretien collectif a été l'objet d'un véritable échange entre plusieurs cultures et donc différentes pratiques liées à la mort. En effet, des femmes originaires de Turquie et d'Asie du Sud-Est participaient également à l'entretien qui, de ce fait, remplaçait un cours d'alphabétisation » (7 O M) .

Que l'on s e situe dans l' u n o u l'autre des deux paradigmes, une des parti c u larités d u processus d'e n q u ête se trad u it souvent, comme ci-des­ sus, par le souci d'un travail associant le recueil de d isco u rs à l'observation du contexte de l'interaction enquête u r-e n q u êtés, ainsi q ue par la préoc­ c u pation d'associer des acteu rs sociaux à ce travail. C'est ce q u e révèlent très nettement les propos de AD qui, lui, se situe nettement dans le second modèle de RA :

« Cette recherche-action, conduite dans le cadre du DHEPS, a né­ cessité des entretiens individuels avec un échantillon de personnes impli­ quées dans la vie collective du quartier et présentant un ensemble de difficultés personnelles, sociales ou familiales. La construction de cet échantillon s'est effectuée avec les opérateurs de l'action sociale du quar­ tier. Eux-mêmes ont été interrogés sur leur perception des effets de la par­ ticipation des habitants, des causes de ces effets observés et de la place que le travail social était susceptible d'occuper auprès de ces populations pour accompagner, soutenir, impulser de tels changements. Ce choix d'associer le plus possible les travailleurs sociaux à la conduite de la re­ cherche-action, de leur donner une place dans l'évaluation des effets pro­ duits dans les changements opérés dans la population locale, visait à les amener à réfléchir sur leurs méthodes de travail et sur les adap tations qu 'ils pouvaient initier » (3 AD) .

O n voit ici le propos : q u e l'enq uête p u isse opérer, e n elle-même, des effets de distanciation chez le travaille u rs socia ux associés a u déve­ loppement social d ' u n q uartier de Châtea u roux dont AD fut l'une des che­ vi lles o uvrières. Un autre exe m p le de choix d'une démarche inductive nous est fou rni par D L :

« Le recueil des récits de vie de trois femmes qui étaient dans un processus de sortie de violences conjugales a été un moment de ques­ tionnement plus riche et plus complexe que les rares livres écrits sur le sujet. Je n 'ai pas posé une hypothèse préalable qu 'il s'agissait de valider. 2 05

En quête d'une intelligence de /'agir

Le premier objectif était l'identification des étapes du processus de sortie de la violence repérables à travers le récit des trois femmes. Le second objectif était de trouver des indices d'évaluation de la pertinence de l'in­ dication de médiation dans des situations où des actes de violence avaient été repérés par la personne ou ressentis comme tels, qu 'il y ait eu ou non dépôt·judiciaire » (8 D L) . TROISIÈME ÉTAPE La co n struction et l'écriture d u m é m o i re

Cette troisième éta pe est principalement constituée de la construc­ tion d'un plan d'exposition, d ' u n a rgu mentaire de la recherche ainsi q u e de l'écriture défin itive d u mémoire.

« Les étudiants disent parfois qu 'ils écrivent pour eux-mêmes. Je rap­ pelle alors la différence entre écriture épistémique - écriture pour soi, l pour construire sa pensée : l'écrit sert là de possibilité de réflexion, aux 1 deux sens du terme -, et écriture communicative - dans laquelle la pensée est mise en scène pour autrui. Cette distinction est souvent méconnue des auteurs de mémoire » (G uibert, 2003 : 183) .

V/J

C'est grâce à l'écrit u re de son rapport intermédiaire de recherche, dernière éta pe avant celle du mémoire, que CP - dont on a re péré plus haut les choix « idéologiques » - a changé de regard sur son objet. Ici, c'est encore la fonction épistémique de l'écriture q u i est m ise en lum ière :

« L 'écriture du rapport intermédiaire a eu un rôle important dans ce changement de position. }'y ai décrit les différents champs dans lesquels j'évolue quotidiennement. }'ai constaté, à mon grand étonnement que le développement social local et la Prévention spécialisée pouvaient être mis en œuvre de manière complémentaire comme le travail effectué par les différents acteurs de l'association. li ne s'agissait plus d'en privilégier l'un par rapport à l'autre. Le regard devait se porter sur l'ensemble d'une pratique sociale spécifique et innovante afin de déterminer comment les rapports s'articulent, s'alimentent, se complètent dans une dialectique originale, notamment à l'occasion des avancées et des ruptures. Chacun, avec ses savoir-faire, ses savoir-être et ses compétences pouvait trouver sa place pour agir sans perdre son identité d'habitant ou de travailleur social et sans avoir besoin de la revendiquer à tout prix. Les objectifs institutionnels et associatifs se retrouvaient et pouvaient être complémentaires » (6 CP). �

Le passage à u n e écrit u re de co m m u n icatio n est to ujo u rs vécu comme u n tem ps fo rt de la recherche-action ; il est le mote u r co m m e l révé late u r d u processus ité ratif (travail s u r les d o n nées en lien avec le constructions théori q ues) dont les i m b rications se précisent au c o u rs de cette troisième étape. 206

1F

Formation professionnelle supérieurepar la R-A : effets ordinaires, effets spécifiques ?

« Au cours de la recherche, il devenait indispensable d'écrire pour finaliser les étapes. En même temps, l'écriture faisait jaillir d'autres pistes de réflexions qui nécessitaient la vérification sur le terrain ... Il faut alors faire le choix de la direction à prendre ! En parallèle se fait l'analyse critique des résultats puis la reformulation des hypothèses et enfin la présentation de nouvelles pistes. Pour moi l'écriture était épisodique, plutôt hachée, sans cesse reprise pour clarifier, expliciter mes idées. Le plus difficile fut la mise en lien cohérente de tous les écrits. Puis est venue l'heure de la soutenance » (10 N C) . « Les auteurs des mémoires DHEPS sont [... ] en fin de troisième année, capables de jongler avec les différentes formulations et les diffé­ rentes positions énonciatives suivant les parties et les fonctions des parties du mémoire. Comme le suggère Amorin (1996 : 78) « le "je" d

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l'expérience de terrain et le "nous" universalisant de la théorie doivent co­ habiter ». Le retour à l'action implique enfin un retour au "je " ou au "nous"

pluriel parce que collectif, professionnel, institutionnel. « C'est ainsi que l'apprentissage de l'analyse de l'énonciation et de la construction de l'interlocution, et en particulier l'entrainement à adopter des positions énonciatives diversifiées, conduisent les auteurs des mé­ moires non plus à s'efforcer de se plier à ce qu 'ils imaginent comme � normes universitaires non justifiées, mais à préciser les positions d cherche qu 'ils souhaitent adopter » (R. G u i bert, 2003 : 192) .



Réflexio n s glo bales s u r l e parco u rs d e recherche-actio n , l e s obstacles e t l'acco m pagn e m e n t « Différente d'autres formations, la recherche-action dans le DHEPS [... part] de l'individu : parcours personnel et projet, il s'agit de les mettre en lien ; de nous guider (tuteurs et pairs), de ne pas laisser l'étudiant seul, de faciliter la relation avec les autres, les tiers, de proposer des retours sur les productions. }'ai beaucoup apprécié tout au long de la formation le va­ et-vient entre les temps forts de regroupement et les moments de ré­ flexions en solitaire, toujours alimentés par le travail sur le terrain. L 'apprenti-chercheur est pris en compte dans toutes ses dimensions : so­ ciale, professionnelle, humaine. C'est ce qui a apporté l'équilibre à tout l'édifice. Équilibre durable puisque approprié à chacun. Ce travail confirme que la connaissance de l'autre doit être reconnaissance et respect de la différence qui le fonde. C'est ce que je voulais pour moi, c'est ce que je souhaite pour les femmes que je côtoie » (10 N C) .

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C e té moignage de N C fait d i rectement écho a ux principales d i m ensions de la « maïeutique à q u atre tem ps » telles q ue les présente H e n ri . Des roche pour défi n i r le modèle pédagogique q u i inspire les pratiq ues de j 2 07

En quête d'une intelligence de l'agir

; ! formation in itiées à !' É cole des Ha utes Études p u is prolongées dans les ' .

� Collèges coopé ratifs et les u n ive rsités dans le cadre des fo rmations

. d'ad u ltes prépa rant a u D H E PS. Rappelons-en brièvement les points s . - la m aïe utiq ue « d'acco u c h e m e nt menta l » o u straté ie d u u "et vise à favoriser, dans l'ana lyse du parco u rs personnel et professionne e chac u n (e) (sous la fo rme de l'autobiogra p h ie raisonnée) l'émergence des potentialités de créativité c h ez l'acte u r social, praticien qui se m et progressivement en post u re de recherche ; - la maïeutiq ue « d'entraînement menta l », o u stratégie de / ' objet, se réfère très classiq uement a u travail didactique d'aide à l'a p p ro p riation des conte n u s d isci plinaires, méthodologiques, thém atiq ues, q u i seront a utant de j a lons inconto u rn a b les po u r la construction d ' u n e rec h e rche­ action en fo rmation ; - la maïeutiq ue « d'accom pagnement menta l », o u stratégie d u trajet - à com prendre ici comme le trajet de recherche-action en fo rmation po rte s u r to utes les fo rmes de m ut u a lisatio n des savo i rs et de so utien dans le processus, que ce soit le fait de pairs ou d'experts - personnes ressources, tute u rs o u d i recte u rs de recherche ; - la m aïeutiq u e d u « réinvestissement menta l », enfin, o u stratégie du projet, désigne ce q u e le trajet de recherche-action ind u it en n ouveaux comporte ments et investissements professionnels de type « entrepreneu­ riat », no uve lles actions, n ouvelles recherches géné rées par le parco u rs de recherche-action. (Desroche, 1991 : 11-19) . Dans l'extrait cité ci-dessus d u d isco u rs de N C o n voit, en o utre, se manifester u n lien entre la q u a lité d ' u n parcours de R-A marq u é par ces formes de m aïeutique, et ce q ue le praticien-cherc h e u r so u h a ite q ue les co-actrices de sa pratique professionnelle p u issent vivre à leu r tou r. Une a utre caractéristiq ue d u dispositif de form ation consiste à offrir a ux étu d iants la possi bi lité d ' u n e pause au co u rs du p rocessus de re­ cherche-action, comme en témoigne C P q u i a pu, de ce fait, se refocaliser sur une pratiq ue professionnelle en p hase dé licate, pour rebondir autre­ ment s u r la rech e rche, à partir de cette trave rsée :

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«}'ai eu besoin de m 'arrêter entre la deuxième et la troisième année de formation. La démission simultanée de deux salariés, la confusion de mes idées et le besoin de rassembler les pièces du puzzle ont été les rai­ sons principales de cette interruption. Je me suis recentrée sur ma pratique professionnelle et j'ai pris du recul, vis-à-vis de ma formation, de mon tra­ vail et de moi-même [...]. }'ai pris beaucoup de temps pour définir mon objet de recherche. Je n 'y suis arrivée que quand les pièces du puzzle se sont mises en place. Les écrits que j'ai fournis en sont le reflet : le premier a porté sur mon histoire, le second sur l'histoire de l'association, le troisième sur/a

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description des champs concernés et le dernier, le mémoire, les rassemble en permettant l'analyse d'une gestion des conflits » (6 CP) .

L'expérience relatée ici témoigne d'une so u p lesse introd u ite dans le système, mais cette so u p lesse apparaît de plus en plus atypique dans le contexte d'une formation d'ad u ltes favorisant de plus en plus, en amont, la reconnaissance des acq uis de l'expérience, et provoquant, par là-même, des phéno mènes d'accélération de la d u rée et du « tem po » de la fo rma­ tion proprement d ite, une fois accom plies et satisfaites ces « fo rmalités » de validation préala b le. Et pou rtant les effets de cette pause im portante d'une année sont fo rtement sou lignés par CP :

« Le parcours que j'ai suivi tout au long de ces quatre ans a donc été marqué par un a/Ier-retour incessant entre pratique professionnelle, re­ cherche et personnalité. L 'influence des unes sur les autres m 'a permis d'avancer et de m 'inscrire dans une spirale constructive tout en dépassant les difficultés rencontrées. La construction de l'objet de recherche était liée à /'évolution de la réflexion, elle-même dépendante de celle de la pra­ tique » (6 C P) .

Ma lgré l a longue u r re lative d u té moignage q u i s u it, il est intéres­ sant, pour conclure ces propos des praticiens-chercheurs sur leu r parco u rs d e recherche-action, de laisse r l' u n e d'entre eux retracer le sien de façon très im agée sans hésiter à généraliser son expérience spécifiq ue :

ttre acteur représente à mes yeux une façon d'accepter les contraintes de son environnement, d'en comprendre les limites pour y pui­ ser des leviers et en repousser les frontières. La recherche, elle, par les questionnements qu 'elle alimente, n 'en a pas. La recherche serait alors ce petit caillou dans la chaussure - que les Romains nommaient si joliment et si justement un scrupule ("scrupu/um '1 - et qui titille le marcheur selon la manière dont il place ses pas. Un guide en quelque sorte, qui nous oblige à changer soit de soulier soit la façon d'avancer, qui nous montre les écueils, mais aussi les pitons, fiables et éprouvés par d'autres avant nous, et sur lesquels nous nous appuyons pour franchir certains escarpe­ ments qui nous paraissaient jusqu'alors infranchissables. Ainsi, /'apprenti­ chercheur, ce marcheur, ne part-il pas seul et à /'aveuglette : certaines balises lui sont proposées. Hésitant au début par un regard restrictif issu d'une petite lorgnette, il les suit ou non, il en cherche d'autres, il tâtonne, il glisse sur une hypothèse qui s'invalide car trop liée encore à des idées dont il ne peut et ne veut se défaire. Il craint parfois que son identité sociale ne se perde dans un abÎme de valeurs morales contradictoires avec son système de représentations sociales, pourtant déjà en changement. Puis il se re­ pose des questions, il remet en cause peu à peu ses certitudes qu 'il aban­ donne enfin au bord du chemin pour découvrir un horizon plus lointain, «

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encore inaccessible. Son bagage s'allège des vérités qu'il croyait détenir, mais qui n 'étaient en fait que des chaussures mal adaptées à la route prise, et il s'alourdit aussi peu à peu de ses premières connaissances. « Et le marcheur-chercheur met des lunettes "grand angle ", celles prêtées par d'autres chercheurs reconnus dont il utilise les idées selon la situation et la place où il se trouve. Il s'appuie sur ses pairs pour s'ouvrir à d'autres modes de pensée, en se distanciant vis-à-vis de son histoire et de son parcours. Mais se distancier d'un objet de recherche ne signifie pas pour autant faire table rase du passé. Ce passé, parcours déjà tracé, re­ présente à mes yeux une canne qui, selon le chemin pris, est nécessaire ou handicape le marcheur. Car le marcheur peut intégrer les expériences précédentes sur lesquelles il pose un autre regard et sur lesquelles il s'ap­ puie. Tout comme il peut rester trop soumis encore à une vision affective de ses objets de réflexion. Cette "canne du passé" gêne alors le pas et les lunettes du chercheur n 'apportent qu'un regard flou, où la mise au point argumentée devient difficilement réalisable. Voilà en somme le sens que je donne aujourd'hui à la notion de parcours de recherche-action : celui d'un chemin que l'on se trace, d'un parcours non linéaire mais toujours progressif» (16 AMS) .

� l:J Les effets.. re p é ré s s u r la l?erso n n e , ['!' f les com pete n ces co n stru ites

D'une man ière gé néra le, ava nt d'évo q u e r des com péte n ces plus p récises, o n affirme de façon réc u rrente combien l'expérience de re­ cherche-action a transformé l'acte u r : « Particulièrement ardue en tant qu'homme et en tant que profes­ sionnel du travail social censé "savoir aider'', cette approche des pratiques sociales et des pratiques professionnelles pour décrypter les violences conjugales ne pouvait rester sur le registre du rationnel et me laisser in­ demne » (8 D L) . 1 La posture de q u estio n nement s'est, pour ainsi d i re, défin itive ment � insta llée dans la pratique : « Avec le recul, je peux dire que je me sens effectivement dans un processus de changement,.!!.P ns une !J!marche de recon_!H)jss a nce, d.e re­ naissance. Je comprends comment, malgré les changements profession­ nels, mon questionnement a gardé toute sa force et comment il renait de mes pratiques quotidiennes actuelles car il est avant tout ancré dans mon parcours » (10 N C) . O n s e sent « autorisé » à pense r à penser autrement e t à entrer en re lation avec d'a utres « pense u rs » s u r son te rrain p rofessionnel, -

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dans la mes u re où l'on a été reco n n u comme « auteu r » d'une recherche­ action qui comporte U.Q:)ri édtt-d e pensée rejai llissant sur la pratique : Pd « Cette recherche-action m 'a, d'une certaine manière, donné l'auto­ risation de penser et d'envisager que ce que je fais est très particulier alors que cela me semble normal. Je m 'aperçois que je suis devenue une inter­ locutrice potentielle pour certains théoriciens, car j'ai une expérience qu 'ils n 'ont pas et que je peux en parler de manière argumentée et référée. Par­ ticiper à une expérience innovante exceptionnelle et atypique fait que les chercheurs "non acteurs " viennent nous demander de témoigner et c'est vraiment très agréable » (6 C P) .

A u cours d u processus de formation par l a recherc he-action, les pra­ tiques ont com mencé à faire l'o bjet d'une d istanciation ; à présent, cette attitude est comme installée et transforme le ra pportau savoir :

« D'un point de vue personnel, cette recherche m'a permis de dé­ passer une représentation des événements trop autocentrée (création d'un hôpital de nuit), encombrée de scories émotionnelles. Par ailleurs, ce mouvement inclut une mise à distance des pratiques permettant ana­ lyse, formalisation et organisation des connaissances, ainsi qu 'une modi­ fication de mon rapport au savoir » (12 JCS) .

D'agent o n est deve n u acte u r-cherc h e u r-aute u r, sans p o u r autant cesser d'être praticien : « [Concernant la R-A], je parlerai en premier lieu du plaisir, même si certains pas ont été très ardus à franchir, notamment la remise en cause d'a priori, qui oblige à remettre en cause sa position d'acteur et sa façon d'appréhender son environnement, surtout quand l'environnement pro­ fessionnel exige, par ses règles morales très fortes, de n 'être qu 'un "agent", noyé dans un "agrégat d'individus ", agent non doué de pensée et soumis à l'obéissance de règlements quelque peu aliénants. Mais c'est là toute la richesse de la recherche-action : la complémentarité entre l'ac­ teur et le chercheur » (16 AMS) .

Dans ce dernier extrait sign ificatif des représentations s u r les effets personnels de la recherche-action, ce sont toutes ces postures n ouvelles ... q u i sont évoq uées, dans un disco u rs falt de p u res· m·eîàpho res : « Recherche-action ? « Ouverture, franchissement, retrouvailles. Ouverture comme : une fenêtre que l'on ouvre sur un paysage inconnu, une porte bloquée que l'on déverrouille enfin, un passage obstrué que l'on dégage . . . Franchissement comme : une voie d'accès interdite que l 'on s 'autorise à emprunter, un pont effondré que l'on reconstruit. .. Retrouvailles comme : une rencontre avec soi-même, un soi-même perdu de vue, oublié, nié, refusé. . . » (13 NA) .

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Les n o uve lles com péte n ces acq u ises et l e u rs effets Les formations professionne lles utilisant la démarche de recherche (avec pro d u ction d'un mémoire) se sont développées dans plusie u rs sec­ te u rs - travai l social, entre p rise, formation des enseignants - en raison des com pétences transversa les - ou de processus - q u 'elles se m b lent susciter5• « Les compétences de processus peuvent être identifiées à partir des performances mobilisées tan t dans un contexte de production que dans un contexte de formation (élaborer un projet, recueillir de l'informa­ tion pour résoudre un problème, produire et mettre en œuvre des schémas d'analyse de l'action, rendre compte des étapes et des résultats d'une re­ cherche professionnelle). Les systèmes de formation cherchent à mobiliser ce type de compétences. Le développement des démarches de projet, des dispositifs d'analyse des pratiques, s'explique dans ce contexte où on s'in­ téresse autant au processus qu'au résultat : c'est le processus par lequel le travail prend forme qui est important, ainsi que la façon dont les acteurs en prennent conscience et l'évaluent par eux-mêmes » (Mesn i e r, 1998, p. 185) . Dans le cad re d u D H E PS, les com pétences de processus mobili

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sé Eë par la fo rmation - et q u i se présentent co m m e autant de d i m e n sions-clés d'u ne m ise en œ uvre de la d é m arche de recherche-action dan ce contexte - pe uvent être énoncées sous la fo rme générale s u ivante : - l'a ptitude à mettre en q uestion (s) des pratiq ues sociales en les analysant dans leu r complexité ; - l'a ptitude à interroger les modèles d'action sous-jacents à ces pra­ tiq ues, en déve lo ppant des facu ltés de diagnostic et d'antici pation ; - l'aptitude à prod u i re de no uveaux savoirs en théorisant des expé­ riences, en men ant des ana lyses inéd ites de l'action et en transmettant les savoirs ainsi form alisés au près des institutions et m i lieux concernés ; - l'aptitude à con cevoir des projets et méthodes d'action en d éve­ loppant de no uvelles formes d'organ isation , en réexaminant les pratiq ues p rofess i o n n e lles e n fo n ction d e s m utat i o n s p e r m a n e ntes q u i les affectent.6.

L'hypothèse générale q u i guide le p résent trava i l est que les acteu rs sociaux, devenus praticiens-chercheurs grâce à la formation DH E PS, ont bien construit, de man ière spécifiq ue, ce type de com pétences au cou rs de la fo r­ mation et q u e c'est bien s u r ces com pétences de p rocessus (à d istinguer s S u r l e s fo rmations par la recherche e t l e s d istinctions q u i s'imposent avec l'activité de recherche, voir la m ise a u point précise p ro posée par M. Fa bre (1994 : 109-111) . 6 - Eléments reformu lés à partir d ' u n d ocument d u R H E PS (Résea u des H a utes Ëtudes en Pratiques Socia les) éla boré p a r u n gro u pe de trava i l en vue d e l'homologation p rofessionnelle d u d i plôme ; groupe d a n s leq uel l'aute u r de ces lignes était partie p renante. -

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Formation professionnelle supérieurepar la R-A : effets ordinaires, effets spécifiques ?

des s i m p les com pétences d'applicatio n, q u e nous allons re pére r dans u n p remier tem ps) q u ' i ls s'exp ri ment d a n s les p ropos méta-discu rs ifs q u i s'entrecro isent dans ces 1 7 témo ignages. Dans le premier cas de figure, les com pétences d'application o u de transfert construites grâce à la formation sont évoqu ' par 00-t.y.pe� pos, dont la « pointe » récu rrente tou rne auto u r l'idée de distanciati >: « }'ai repéré progressivement les éléments qw m ont construite, toutes les compétences acquises dans la sphère du privé que j'ai transfé­ rées dans le domaine professionnel, les multitudes de rencontres por­ teuses d'un sens compris plus tard, tous les changements qui m 'ont ébranlée, toutes les négociations effectuées [... ], une meilleure connais­ sance Ji� ma tacon de me mettre au travail. de mes stratégies d'appren­ tissage, dfl mor:1 écriture. de mes modes de transmission..!> (10 N C) . « Ce travail a, sans aucun doute, développé mes capacités d'écoute et d'analyse, la curiosité et une envie de continuer à étudier. C'est peut­ être déjà beaucoup » (15 M F) . « }'ai appris à mieux argumenter, à mieux m e positionner, à n e plus être uniquement en réaction affective, mais à réfléchir, à mobiliser mes ac­ quis. Je pense avoir, aujourd'hui, une plus grande autonomie de pensée et d'action ainsi qu 'une plus grande capacité à me distancer » (2 FP) . Prise d e distance, mais a u ssi prise d'ass u rance : « ProgressiveffïëntJ'ai appris à prendre de la distance avec les si­ tuations pour mieux les analyser. Je me rends compte également que j'ai intégré un ensemble de connaissances que j'utilise spontanément dans mon travail quotidien » (9 B M) . « Faire une recherche-action est vraiment une aventure intellectuelle personnelle qui laisse des traces profondément ancrées sur lesquelles on continue à s'appuyer dans la suite de sa vie personnelle et professionnelle. Je n 'ai pas seulement appris à organiser mon propos, j'ai aussi appris à le concevoir et à le transmettre. }'ai développé mes capacités intellectuel/es, rencontré des personnes passionnantes et pris de l'assurance » (6 C P) . O n évoquera également le transfert, dans l a pratiq ue p rofessionnelle, de méthodes acgu1ses a u cou rs de la f"Ormauon : « La recherche m 'a conduite à mieux cerner les différentes étapes qui composent tout travail de réflexion sur une quelconque problématique. Ma mission d'agent de développement m 'amène à réunir autour d'une même table des individus (professionnels, représentants associatifs et ha­ bitants) concernés par une même problématique. La démarche méthodo­ logique nécessaire pour favoriser la réflexion de ces groupes et leur production me semble très proche de celle d'une recherche-action et je m 'y sens plus à l'aise aujourd'hui » (? O M) . -

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En quête d'une intelligence de /'agir

Mais, le plus so uvent, les d isco u rs évoq uent des com pétences de processus, « sui generis », constru ites en situation d'expérience profes­ sionnelle, en lien « consu bstantiel » avec la dyna mique créée par l'appren­ tissage de la recherche-action. Pa r exe m p le, l'entrée dans la recherche sur la violence conj u gale - e n richU;,�t..!Ilodififil le regard professionr:ie l det><._ D L, deve n u , dans le même tem ps, méd iate uT' fà'm ilial : « Sur le plan personnel [il reste] un regard plus aiguisé sur la mise en scène de la violence banalisée dans le quotidien, dont la mienne. {... ] Au cours des entretiens de médiation, à travers la manière de présenter les événements familiaux, j'identifie des situations de contrainte, des coups, des objets cassés, des contextes de dépendance financière, de sur­ veillance, de jalousie qui ne sont pas explicitement présentés comme tels. Mon vocabulaire s 'est enrichi, mon écoute a aiguisé son acuité. Situer le conflit et ses manifestations, différencier les actes agressifs ponctuels des agressions répétées dans tous les domaines de la relation, apprécier la cohérence ou la discordance entre une situation apparemment banale et son vécu où se cristallise de la souffrance » (8 D L) .

/,('tique, d'une aptitude à mettre en q uestio n (s) : /'

Rega rd augmenté de com pétences en te rmes de d istan ciation cri-

« La formation DHEPS apprend à être disponible et ouvert au monde. Attentif à ses évolutions et surtout à être critique. Cette dynamique nouvelle du questionnement, dans les processus d'apprentissage, peut être mobilisée tous les jours pour analyser les situations nouvelles dans le cadre professionnel et social et trouver des explications aux enjeux aux­ quels nous sommes confrontés » (4 J P) .

S u r le terrain des pratiq ues, on va même j usqu'à s'identifier aux m u­ tations re pé rées chez les acteu rs dont on est en charge. Les changements re pérés sem blent syn c h rones entre ces acte u rs et le praticien-chercheur :

&

« Plus j'avançais dans ma recherche, plus je constatais que cette construction faite de progressions par petites touches, par modestes avan­ cées était relativement identique à celle des femmes observées qui s'in­ sèrent de multiples façons dans la société et la vie française, à des rythmes différents après des changements, des départs déstabilisants et qui sont à la recherche de nouveaux repères... cette proximité m 'aide à expliquer ma démarche » (10 N C) .

La recherche-action construit de n o uvelles pratiq ues lesq ue lles, à leu r to u r, interagissent sur la posture de cherch e u r :

« L 'élaboration de nouvelles relations professionnels;1:Jénévoles et le travail de la recherche se sont donc faits de manière concomitante. Les deux années de conflits professionnels correspondant aux deux premières années de mon DHEPS ont été difficiles et enrichissantes. Il y a eu des

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Formation professionnelle supérieurepar la R-A : effets ordinaires, effets spécifiques ?

mois où j'étais incapable de travailler car je ne voulais plus entendre parler ni penser à ma recherche tellement ma pratique quotidienne était pre­ nante. }'ai vraiment utilisé la recherche comme une soupape de sécurité, et parfois sans savoir où j'allais. Je savais que petit à petit, une réflexion s'éla­ borait, se nourrissait, que j'allais sortir de cette espèce de confusion pour enfin y voir plus clair, pour pouvoir y mettre des mots, des concepts et en tirer une réflexion argumentée et ancrée dans la théorie et la pratique » (6 CP) .

Les effets re pérés s u r l e s pratiques professionne lles L'o btention d'un d i p lôme u n iversitaire professionnel (de n iveau Bac j + 4) n'est pas à considére r comme u n effet n égligeable dans le champ des pratiq ues professionnelles, dans la mesure o ù celui-ci favorise l'accession à /t5?-J u n meille u r statut professionnel, généralement u n poste d'encad rement 'J.J� «Je citerai d'abord le préalable que constituait l'obtention de ce diplô­ me, ou d'un diplôme de même niveau, pour occuper mon poste actuel » (3 AD) . M a i s cet effet n'a rien de spécifiq ue a u D H E PS. On peut mê e pen­ ser, a co ntrario, q ue la reconnaissance profe 1onne lle favorisée par ce di­ p lôrneesnnoirrs-étevée-et-m-ofns-fcn:tïea « m onlîay'el'»quetet1eô15 ten ue grâce à d'autres formations u niversitaires dlplômantes, actuellement m ieux positionnées sur le marché de la formation : c'est le cas de nombreux D ESS (Bac + 5) auxq uels ces mêmes catégories de praticiens peuvent aujourd'hui faci lement accéder grâce aux d ispositifs législatifs de VAE (Validation des acq uis de l'expérience, Loi de Mode rnisation Sociale de janvier 2002) . Le p ropos im portant e t récu rrent des 1 7 témoins porte s u r u n chan­ � gement de place soit par un position nement no uveau dans l'institutiorV," (Î)) soit par des phénomènes marq u és socialement de ru ptu re et de déplace� ment professionnel.

Il ,

Dans le pre m ie r cas de figure, les réflexions portent, sans grande précision, sur le thème de la « transfo rmation identitai re » provoq uée par la formation : des responsabilités n o uvelles sont exercées avec une nou­ velle d istan ce critiq ue (déjà évoq uée ci-dessus) : « C'est tout au long de ces trois années de formation que s'opère une transformation identitaire et professionnelle. Nous savons que dans la formation et le suivi des personnes en difficulté, l'impact psychologique est très important. La recherche ainsi que les regroupements permettent une régulation extérieure nécessaire à la réflexion [. .. ] La construction de cette nouvelle identité professionnelle basée sur une meilleure connaissance � de soi-même entraine tout naturellement une prise d'assurance impor- � tante. Je me suis reconnue unwace que /'institution me reconnait à pré­ sent. Mes responsabilités professionnel/es se sont accrues et uni'n ouvel/e 2 15

En quête d'une intelligence de /'agir confiance s'est établie avec la direction. Mais la reconnaissance officielle de la fonction n 'est toujours pas envisagée » (9 M B) . « Acteur social, j'ai été confronté de plus en plus à des oppositions dans ma pratique professionnelle alors qu'au niveau social de nouvelles reconnaissances naissaient ailleurs. C'est une expérience pleine d'ensei­ gnements mais en même temps extrêmement déstabilisante du point de vue psychologique. Alors que socialement des responsabilités nouvelles m 'étaient confiées, je me tro uvais confronté personnellement à des ques­ tionnements nouveaux » (4 J P) . « Tous ces événements ont contribué à la construction de mon iden­ tité professionnelle et sociale. En effet, la recherche-action a cette exigence, face au chercheur-acteur, d'être alternativement "au dedans " et "au de­ hors" du champ de recherche et de pratique. Ce précepte guide le regard que je porte sur ma pratique et celle de l'institution dans laquelle je tra­ vaille et me permet de chercher des explications ou des solutions » (2 FP) .

E n ru ptu re avec le positionnement antérie u r, l'acte u r s e construit une autre place dans la même institution, avec u n m e i lleur « e ffet de lisibi lité » et d'intervention sur l'environnement profess · 1 : « Les effets exions se so egalement ressentis dans la place que j'occupe. En tant que responsable de /'ensemble de l'équipe (éducative et administrative) et garante du respect du projet associatif et de sa mise en œuvre, je suis "entre deux" : entre l'équipe et les bénévoles. Je suis le représentant de /'employeur, mais je me dois aussi d'être por­ teuse, dans une certaine mesure, de la parole des professionnels. Cette place est très difficile à tenir. Elle est d'autant plus périlleuse que c'est une toute petite association avec des bénévoles très engagés dans l'action. Lorsque je rejetais mon appartenance professionnelle, je me positionnais comme défenseur des membres de /'association contre les travailleurs so­ ciaux incapables de comprendre le sens de l'action. Puis, petit à petit, j'ai repris ma place et j'ai alors considéré qu 'il fallait que l'équipe me sente à ses côtés pour pouvoir mieux faire face à certaines pressions exercées par les membres de l'association tout en maintenant mon attention tournée vers eux » (6 CP) . « Par la recherche, le monde social dans lequel o n s'inscrit devient plus lisible, ce qui mène à une place d'acteur devenue plus lisible égale­ ment. Et cet effet de "lisibilité" se retrouve tout autant dans le monde per­ sonne/ que professionnel. Ensuite, je citerai comme effet le passage d'un sentiment de rupture d'avec mon environnement professionnel à un sen­ timent d'acceptation de son fonctionnement. Et cela reste lié à la place d'acteur telle que j'ai pu la re-déterminer, et me donner non sans mal, à la suite de mon parcours. Autrement dit, mieux comprendre les systèmes de

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Formation professionnelle supérieurepar la R-A : effets ordinaires, effets spécifiques ?

pensée de mon entreprise m 'amène à trouver des leviers que j'utilise pour que les "mondes culturels" qui s'y côtoient, se parlent et travaillent en col­ laboration, en lieu et place de conflits stériles » (16 AMS) .

U n e fonction n ouvelle est a u ssi so uvent évo q u ée : l e praticien de­ vient volontiers formateu r à son tou r. Ce q u'il a construit dans et à l'occasion f 1 de a..fo r a · n par la recherche-action, i l épro uve à présent le désir de le V ansmettr d'autres : «Je suis investi dans une activité associative de promotion de la mé­ diation familiale et dans le processus de professionnalisation de l'exercice de cette fonction de médiateur familial[... ]J'interviens dans des formations de médiateurs familiaux au niveau de la sélection et du jury de mémoire. Je participe en dehors de mon cadre professionnel à des groupes d'échanges et d'analyse de la pratique entre médiateurs familiaux » (8 D L) . « Le statut nouveau, acquis a u cours e t après le DHEPS, se traduit par des interventions en formation d'acteurs syndicaux sur le thème : "l'évolution de la société" et "les questions urbaines". La méthodologie utilisée est basée d'une part sur le transfert de connaissances et d'autre part sur la participation des stagiaires avec appel à leur sens critique pour une compréhension du monde dans lequel ils évoluent » (4 J P) . « Responsable jusqu 'alors d'une formation continue pour de futurs cadres commerciaux, j'ai élaboré un parcours basé sur celui de la re­ cherche-action : notion de projet à développer, réalisation d'un mémoire dont l'objet provient d'une pratique professionnelle et qui doit tisser théo­ rie et pratique, en allers-retours permanents... Cette formation apporte ainsi une évolution progressive de leur identité professionnelle et sociale. Ayant moi-même fait face aux problèmes que ces personnes rencontrent, je peux plus aisément les accompagner sur le chemin qu 'elles choisissent, pour les aider à se distancier à leur tour, à poser un autre regard sur leur environnement professionnel que, pour beaucoup d'entre elles, connais­ sent depuis l'âge de 16 ans » (16 AMS) .

D a n s l e second cas de figure, i l est q u estion d ' u n changement de p lace a u sens de déplacement vers une autre institution, une autre fonc­ tion, un a utre métier, en conti n u ité ou plus souvent en ru ptu re avec l'acti­ vité antérieu re :

« Ce détachement a ouvert la possibilité d'un départ sur une base professionnelle différente : je suis aujourd'hui formateur et je m 'appuie largement sur les outils créés à l 'occasion de cette recherche-action : acquisitions théoriques pour l'analyse des pratiques et les contenus d'en­ seignement, expérimentation de la position de cadre à partir d'une meil­ leure compréhension de la nature d'une équipe, de ses modes de création, des effets et des moyens de collaboration » (12 JCS) . 2 17

En quête d'une intelligence de /'agir

R P, l u i , attri b u e d i recte m e nt cette m utation a ux effets de la re­ cherc he-action :

« Mon hypothèse généra/e7 étant vérifiée j'ai recherché un nouvel engagement professionnel dans un réseau associatif plus en amont de l'action caritative, pour y cultiver la dimension solidarité. Il est évident, que venant du milieu "catho ", la distanciation et l'analyse opérées par la recherche-action ont été un facteur déterminant dans cette évolution per­ sonnelle et professionnelle [... ] C'est au cœur de cette nouvelle responsa­ bilité que le mouvement CMR (Chrétiens dans le Monde Rural) a fait appel à moi pour prendre la responsabilité de l'animation nationale de ce réseau de 1 500 groupes de base représentant 15 ooo militants, comme secrétaire général » (s R P) .

FM, toujo u rs dans s o n registre de q uestionnement à tendance gé­ néralisatrice, form u le, q uant à e lle, une exigence : q ue toutes ces formes de m utation soient anticipées et accom pagnées au cou rs de la form ation : « La recherche, mise au service de l'action, doit réfléchir à la place

de chaque acteur au début de l'action et doit noter les changements de positionnement dus à la recherche afin d'accompagner les transformations de manière harmonieuse et équilibrée. La réussite de la recherche-action est à mon avis à ce prix ! [... ] L 'acteur qui se met en mouvement et entame une recherche entre pour lui aussi dans un processus de transformation professionnelle et personnelle, car son regard change sur sa propre expé­ rience, celle du public pour lequel il s 'engage et celle de /'institution au sein de laquelle il travaille. Ce regard critique peut l'amener à se séparer de cette institution si le même mouvement n 'est pas entamé par chacun. En conclusion je dirai que la recherche-action est une chance car elle ouvre le regard et met en mouvement un processus de transformation ! » (14 FM) .

Effets d e re lance o u d e p ro lo n ge m ent d e la rech e rche D ' a u t res effets s o n t re p é r a b les d u côté d u p rocess u s d e re c h e rc h e

engagé avec la formation, auquel on a pris go ût, que l'on souhaite so uvent prolonger, soit en prod u isant des écrits auto u r de sa recherche-action, soit en engageant d'autres recherches, dans le champ un iversitaire le plus sou­ vent. I l s'agit donc : - soit d ' u n e sim ple présentation de la R-A dans le contexte profes­ sionnel : « À plusieurs reprises j'ai été amené à présenter les résultats de ma recherche dans le cadre de séminaires ou dans des publications » (s R P) ; 7 « Une action caritative en milieu rural ne peut permettre d'élargir le développement local aux per­ sonnes ou groupes en difficulté que si elle s'appuie sur leurs dynamiques propres inscrites dans une mobilisation collective et solidaire des différents acteurs ». -

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Formation professionnelle supérieurepar la R-A : effets ordinaires, effets spécifiques ?

- soit d'intégrer, dans l'écriture professionnelle des apports issus d i­ rectement de la rec herche-action : « j'ai également réinvesti les produits de la recherche dans la rédaction de certains documents : le rapport d'ac­ tivité, le projet associatif, le projet éducatif, la définition des profils de poste et une grille d'évaluation des entretiens d'embauche » (6 C P) ; - soit de projets concernant une écriture et une posture de recherche i ntégrées à la nouvelle activité : « Écrire à partir de ma pratique et partici­ per à un groupe de recherche sur les pratiques des médiateurs familiaux sont des projets que je concrétiserai à moyen terme » (8 D L) ; - soit d'engager u n e recherche académiq ue, telle u n D EA, ce q u i est le cas, par exe m p le de M DS dont la no uve lle recherche s'est en clenchée d i rectement sur le travail mené avec le D H E PS, com m e l'indiq uent les titres de ses deux mémoires : De l'interdit à l'inter-dit. L 'Assistante Sociale dans l'entre-deux thérapeutique. De la prise en charge à la prise en compte des patients en psychiatrie par /'application d'une méthode d'intervention de Travail Social avec les groupes - Centre Hospitalier Sainte-Anne 1994 1997. (Mé m o i re de D H E PS, 11M DS) ; Des stigmates aux pratiques inno­ vantes : l'Advocacy d'un je. Actions collectives et autoformations solidaires en santé mentale. (Mémoire de D EA, 11M DS) ; - soit, enfi n , d 'éla bore r u n ouvrage à partir de la recherc he-action menée, mais dans u n tout autre registre d'écritu re : « Pour ne pas perdre l'habitude du clavier et des nuits courtes, j'écris un ouvrage. li ne s'agit pas pour moi de réécrire le mémoire, consacré aux personnels soignants de gériatrie ; au contraire, j'ai complètement modifié /'orientation du pro­ jecteur pour le centrer désormais sur les vieillards dépendants eux-mêmes. }'attends de cet ouvrage qu 'il me permette de toucher un plus large public que celui des travailleurs sociaux » (13 NA)8•

Les effets sociaux de la recherch e-action re pérés s u r l'i n stitution o u le gro u p e Lo rs d u colloq ue s u r l a recherche-action o rgan isé en 2000, ce type d'effets avait été sous-estimé par les ra pporte u rs des ate liers où étaient i nterve n u s nos 17 témoi ns, autant q ue par e ux- mêmes, co m m e le montre cet extrait d u com pte ren d u d e synthèse de ces ateliers : « La plupart des rapporteurs ont dit que les effets sur l'institution sont "petits", "difficiles à évaluer", "microscopiques", parfois de l'ordre du clandestin. On est dans la "résistance". Même dans des cas de réussite, l'appropriation par l'institution est peu visible. 8 - Ouvrage p u blié en 2001 : Alfo l d i N oëlle, 2001. La vie toujours. Accompagner le vieillissement. Ba rret-su r-Méouge : Éditions Yves Michel. Coll. Acteurs socia ux.

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En quête d'une intelligence de /'agir « Il arrive que l'institution soit à /'origine de la recherche-action. Des effets de commande sont vécus comme positifs et dans ce cas-là, la légi­ timation est plus grande. Mais dans la plupart des cas, les effets peuvent apparaÎtre après la recherche-action, une fois que l'acteur a été légitimé par un diplôme, par un positionnement qui a changé, parce que l'acteur est da­ vantage associé à une participation à égalité avec d'autres acteurs, d'autres chercheurs qui interviennent dans cette institution. Le cas a été évoqué à propos de développement de politiques urbaines de l'habitat où /'acteur­ chercheur devenait un partenaire à part égale avec d'autres institutionnels. « La question également posée est celle de l'opposition entre l'uto­ pie du changement à /'intérieur même de la recherche-action (la recherche­ action participative, collective n 'est pas le modèle dominant rencontré dans les propos) et les changements qui s 'opèrent dans un deuxième temps. Le cas de l'acteur qui doit sortir de /'institution en amont pour mener sa recherche-action, qui ne peut pas le faire tant qu 'il n 'a pas quitté /'institution a été abordé jusqu 'à celui de l'acteur-chercheur qui doit créer ailleurs une association, un dispositif lui permettant de faire vivre les effets de sa recherche-action » (Mesnier et Missotte, 2003 : 158) .

À re tire tes 1 7 témoignages, o n s'aperçoit q u e l'échelle des effets présentés co m m e collectifs est targe et n u an cée. Dans un premier cas de figure, l'inté rêt des co-acteurs de ta recherche­ action est présenté, en effet, comme faible, sim ple effet de ta bonne re la­ tion q u i s'est établie entre l'acte u r et son m ilieu profession net :

« Les réactions dans le milieu professionnel (pendant la formation) ? Mo t-clef : laconisme. De la part des personnes concernées par ma re­ cherche, c'est-à-dire les aides-soignantes et les agents de service hospi­ taliers, ainsi qu'à un degré moindre, les infirmières : - pas ou très peu d'intérêt pour la recherche ; - quelques remarques relatives à mon engagement personnel, sur le mode admiratif, du genre : "c'est courageux de reprendre des études à ton âge, moi je ne pourrai pas " ; - quelques manifestations de surprise, parfois suspicieuses, parce que ça n 'allait rien me rapporter, ni promotion, ni augmentation de salaire ; - à ma proposition d'organiser une réunion pour leur rendre compte des résultats du questionnaire, j'ai obtenu quelques acquiescements de principe, non suivis d'effet : cette réunion, plusieurs fois reportée pour dif­ férents mo tifs, n 'a finalement jamais eu lieu. « De la part de personnes non directement concernées : le directeur de l'hôpital, le chef du personne/, le cadre infirmier supérieur du service ainsi que plusieurs membres du service administratif: - de nombreuses manifestations d'intérêt ;

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Formation professionnelle supérieurepar la R-A : effets ordinaires, effets spécifiques ?

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- des encouragements chaleureux ; - une curiosité positive, et anticipée, pour les résu!Ja]s' re- /) , cherche » (13 NA) . �"'O u encore, la recherche-action a pu être présentée dans l'institution, a ux collègues, mais si e lle leu r a permis d'identifier u n e argu m e ntation satisfa isante sur les p ratiq ues, elle ne gé n è re pas de change m e nt pour a utant : c'est l'acte u r-cherc h e u r qui en p re n d ra acte e n fa isant rupture avec ce fonctionnement ré pétitif : « Une fois ma recherche terminée, j'ai présenté les résultats à /'en­ semble de mes collègues pour qu 'ils réagissent à mes conclusions et à mes propositions de changement. Lors de cette présentation, mes collègues n 'ont pas véritablement été surpris ou inquiétés par les résultats et cette recherche-action n 'a pas débouché sur un changement de nos pratiques d'évaluation formative. Je m 'attendais, en partie, à un tel résultat car /'éva­ luation a été le thème récurrent de nos réunions pédagogiques durant les huit années de mon activité d'enseignant à /'EPS. Malgré de multiples ré­ flexions, réaménagements et réorientations, nous n 'avons jamais réussi à optimiser notre méthode d'évaluation et à atteindre (ou plutôt "à tendre vers'? les idéaux que nous nous étions fixés. Certes, nous étions plus ou moins conscients de l'insatisfaction des étudiants face au système que nous leur proposions, mais il me semble que ma recherche-action a permis d'étayer cette insatisfaction, de /'analyser et de l'exposer par écrit » (2 FP). D e s effets sociaux bea ucoup p l u s marq u ants sont re péra bles d a n s l plusie u rs té moignages. Dans le cas de BM, c'est l'en q uête menée a u prè I de thérapeutes q u i a déclenché une prise de conscience chez ces acte u r D'individ ue lle, la recherche pre n d a lors u n to u r plus collectif par la pr d u ction d'écrits et la m ise en p lace de stages ou d'ateliers d'échange : « Le premier groupe qui a été mobilisé par ma recherche est ce/u des thérapeutes interviewés dans les entretiens. Les entretiens posent question, troublent, motivent pour de nouvelles réflexions. D'où une mo­ bilisation des personnes interviewées, de nouveaux collaborateurs, de nouveaux engagements, création de commissions, de comités de groupes de travail avec émergence de nouvelles pistes de réflexion [... ] Ces stages [créés à partir de la recherche-action du DHEPS] ont débouché, pour deux groupes qui avaient souhaité continuer ce travail, sur la production d'un écrit collectif» (17 BM) . 0) Concernant la possibi lité d'effets socia ux, tout dépend, selon FM,9"" d e la position de l'acteu r dans son institution : « La position du chercheur dans /'institution est essentielle, en effet si le chercheur est au poste de direction, il n 'aura pas à demander l'adhésion de sa direction mais à se préoccuper de motiver l'ensemble du personnel.

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En quête d'une intelligence de /'agir S'il est salarié, la recherche devra s'inscrire dans le projet de l'institution et récolter l'adhésion du personnel et de la direction. La recherche est in­ timement liée à l'action qui se décline à travers des pratiques qui elles­ mêmes sont mises en place par des acteurs » (14 FM) .

M B entre dans le second cas de figu re évoqué par FM ; les effets so­ ciaux de sa recherche-action vont se prod u i re comme à retardement, à la fave u r de prises de conscience progressives : « Dans l'institution à aucun moment, durant ces trois années de for­ mation, la direction ne s'est intéressée à mon travail. }'ai essayé à plusieurs reprises de parler avec certains éducateurs des observations que j'avais pu faire mais je sentais une réticence de leur part car cela pouvait remettre en question leur façon de travailler. {... } Mais le travail important effectué avec /'ANPE a commencé à porter ses fruits et à entraÎné des retombées au niveau de la Direction qui a pris alors conscience que cette recherche présentait un intérêt. La directrice générale a souhaité assister à la soute­ nance. Ce fut le point de départ pour elle d'une nouvelle réflexion. {... } Plu­ sieurs écrits ont été faits par la direction et le conseil d'administration de /'association concernant cette recherche et les méthodes de travail affé­ rentes. Plusieurs membres du CA sont venus assister à des entretiens de groupe afin de vérifier l'adéquation des méthodes » (9 M B) .

JCS sou ligne, pour sa part, u n effet d e remobilisation d e l'institution, i m p uta ble, selon lui au travai l de re lectu re effectué dans la R-A : « Rendre lisible le processus de création au sein de /'institution, c'était permettre à celle-ci de se remobiliser, de reconnaÎtre des mobilisations déjà existantes à partir du modèle ainsi créé. C'était identifier l'institution dans une démarche de créativité, à travers par exemple, la réalisation en cours d'un projet d'accueil de très jeunes enfants à la journée » (12 J CS) .

ffets de recherche-action collective (!:!} . · "'•

Citons, enfin, q uelques-uns des effets signalés q u i relèvent encore plus nette ment d' une dyn a m i q ue de recherc he-action collective à partir de la démarche i n d ividuelle précédente :

« La durée dans le temps de mon travail a permis une véritable par­ ticipation des populations observées et la mise en œuvre avec elles d'un projet tenant compte des résultats de la recherche. Sa lisibilité en a été améliorée, autant pour le public que pour le Centre Social et les parte­ naires {... } A vec des collègues, nous proposons un travail de réflexion sur les relations interculturelles. Nous pensons à une recherche-action. Dans une démarche d'analyse de la pratique, l'objectif de départ serait de rendre possibles les échanges entre les acteurs sociaux et les populations de cul­ tures différentes afin de les aider à prendre conscience de leurs identités

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Formation professionnelle supérieurepar la R-A : effets ordinaires, effets spécifiques ?

culturelles pour les faire connaitre, les relativiser, mettre en évidence les similitudes et les différences et accepter une démarche de négociation de part et d'autre » (10 N C) . « De nombreux travaux ont été confiés à l'institution [à laquelle j'appartiens maintenant}, notamment dans le champ de la protection de l'en­ fance. lis ont toujours été pour moi l'occasion de mettre en œuvre des démarches participatives des institutions directement concernées par la' question posée. Le processus méthodologique de la recherche-action m 'a toujours aidé à concevoir des travaux dans lesquels les acteurs étaient im­ pliqués, à la fois pour se poser de bonnes questions, élaborer des problé­ matiques à partir des observations que nous conduisions avec eux et à la fois pour rechercher des axes de résolution des problèmes en mettant toujours l'usager, la population concernée, au centre des préoccupations de l'institu­ tion et en favorisant en permanence sa participation à son devenir » (3 AD) . Dans c e dernier cas d e figure, les co-acteu rs im pliq ués dans la premiè recherche-action individuelle sont incités à entre r dans une démarche c tective réinvestissant avec eux tes outils d u D H E PS. « Lors de l'assistance technique à l'élaboration de schéma départe­ mentaux d'équipements sociaux ou médico-sociaux, la dimension de la recherche de solutions par les acteurs institutionnels s'est progressivement substituée à une approche quantitative qui décrit un phénomène, mais ne mobilise pas une équipe, laissant aux autorités administratives toute lati­ tude pour décider d'une programmation. Nous avons cherché à ce que les acteurs, souvent contenus dans un rôle passif, deviennent des chercheurs puis des acteurs plus actifs de la mise en œuvre d'une réponse plus diver­ sifiée aux besoins d'une population dépendante ou en difficultés sociales. « Ce sont les ressorts et les outils de la recherche-action que nous avons cherché à mobiliser en ces circonstances. Il nous revient de pour­ suivre dans cette direction, notamment en associant les usagers ou leurs représentants dans ces démarches de recherche de solutions aux difficul­ tés auxquelles ils sont confrontés. C'est un enjeu de démocratie participa­ tive » (3 AD) .

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D éfi n itio ns d e l a recherche -actio n p a r les acte u rs . Nous terminerons cette présentation-analyse de 17 té moignages par e série de « défi n itions » de ce q ue re p résente ta recherche-action pour s té moins. La commande in itiale (voi r t'a n n exe 1) s'exprimait ainsi : « Si Vo us aviez à défi n i r ce q u'est u n e recherche-action à partir de cette expé­ rience, q ue p ropose riez-vous ? » . D ix tém o ins, sur les 17 ayant ré pondu, nous ont fo u rn i tes ré ponses su iva ntes, qui m é rite raient toutes une ana­ lyse a p p rofondie :

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. « S'inscrire dans une démarche de recherche-action, c'est à un moment donné se repenser en tant qu 'acteur par un regard de chercheur, et c'est une démarche qui ne trouve jamais de fin » (16 AMS) . 2. « C'est l'acquisition d'une boÎte à outils, pas forcément utilisable quotidiennement dans son métier, sa profession, son activité sociale ou culturelle, mais plutôt ponctuellement, voire conjoncturellement. Chaque fois qu 'il est nécessaire de s 'interroger, de trouver une explication à une question donnée à partir d'autoformation et/ou mutuelle. Les processus cognitifs acquis dans le DHEPS me semblent donc être les moyens les plus adaptés pour affronter la complexité de la société actuelle » (4 J P) .

3 . « La recherche-action, e n vue de /'obtention du DHEPS, est tout ce que n 'est pas la formation initiale. C'est un parcours de formation vo­ lontaire, guidé, en relation étroite avec la vie. Cette démarche tient compte de l'individu dans sa globalité, de son rythme, face à ses stratégies de tra­ vail, d'apprentissage, elle facilite la relation aux autres : pairs et tiers, for­ mant ainsi une communauté de chercheurs-acteurs » (10 N C) . 4 . « ... L a recherche-action : un questionnement existentiel, librement décidé, sur ses propres pratiques et dans un lieu de formation approprié. Cette démarche est entreprise en vue de dégager un savoir, une connais­ sance entraÎnant au bout du parcours des transformations sur /'individu et sur ses repères (famille, travail, société, etc.) » (1 SA) .

5 . « ... La recherche-action a été un moyen : de développement per­ sonnel et d'intégration d'un secteur professionnel Oe fais partie du secteur social et suis reconnue par lui) ; d'enrichissement des connaissances et de développement de savoirs ; de modification de mon environnement professionnel (les méthodes d'accompagnement que j'ai établies font écho dans l'association) » (9 M B) .

6. « C'est une démarche méthodo logique qui implique a u moins trois dimensions de "l 'Homme acteur-chercheur" : les dimensions com­ portementale, émotionnelle et cognitive. Ce choix me semble pertinent car /'acteur-chercheur remet en question sa pratique (comportements) et, si­ multanément, convoque inévitablement des émotions et des pensées (cog­ nitions) liées à sa pratique (craintes au sujet de ses performances ou de /'adéquation de ses pratiques, certitudes). Ces trois dimensions interagi:r sent et conditionnent la réussite de la recherche-action : le chercheur-acteur doit être capable de les transcender et de se mettre en position "méta ", c'est-à-dire de poser un regard critique, analytique sur sa pratique, ses émo­ tions et ses pensées, sans les évacuer pour autant. Cette succession d'im­ plication et de distanciation est probablement le principal défi à relever et confère à la recherche-action son intérêt épistémologique » (2 FP) . 2 24

Formation professionnelle supérieurepar la R-A : effets ordinaires, effets spécifiques ?

7. « ... Il s'agit avant tout d'une démarche collective dynamique, et cette démarche interroge davantage le processus même de l'action que la finalité de la recherche » (7 O M) . 8 . « Un processus de recherche, s'appuyant d'une part, sur des res­ sources humaines disponibles qui peuvent être à la fois sujet et objet de la recherche et d'autre part, sur des méthodes visant, outre la production de connaissance, la mobilisation de ces ressources humaines au service de leur implication dans une démocratie participative. En ce sens, la re­ cherche-action concourt au changement social » (3 AD) . 9 . « C'est u n processus d'engagement dynamique de relecture de son itinéraire, de façon globale qui conduit à valoriser ses propres pra­ tiques, à les confronter à des apports théoriques et scientifiques pour en produire des savoirs. C'est particulièrement une valorisation de la per­ sonne et de ses activités (choix divers). C'est une pédagogie du désir qui produit de la confiance au plan individuel comme au plan collectif. j'ai acquis la conviction que la dynamique de la recherche-action devrait, au­ delà de la valorisation du parcours et pratiques individuelles, se dévelop­ per ou s'amplifier au niveau de recherches collectives » (5 R P) . 10. « Il me semble qu 'à partir de la saisie e t de l'objectivation sous tous ses aspects d'une réalité et d'un ensemble de pratiques constitutives d'une institution (d'un segment d'institution) en marche, la recherche-ac­ tion pourrait être la mise en lumière de la double dynamique existant entre modèles théoriques, pratiques des acteurs et changement institutionnel. L 'acteur, porteur de la capacité créatrice de l'institution, invente sans cesse de nouvelles possibilités de collaboration, tisse et enrichit le maillage ins­ titutionnel, permettant qu'émergent de nouvelles pratiques, de nouveaux modes d'action. Dans le cadre de l'institution, il redécoupe et redéfinit continuellement son outil. Il le crée, l'habite et le fait vivre. Un sujet qui mo­ difie ses représentations d'une réalité reconstruit celle-ci à partir de l'expé­ rience perceptive, en lui conférant un sens différent. Dans les événements étudiés, entre ce qui se joue dans les situations concrètes du soir et de la nuiC et modèles théoriques auxquels se réfère l'institution, les acteurs décowrent à propos de la situation d'accueil de nuit, une demande, des besoins, des moyens d'action et des effets de leur action nouveaux, une prise nouvelle sur la réalité et les difficultés de ces enfants et de leurs familles. li s'agit donc là d'une modification de la pensée du sujet quant aux liens qu'il établit de manière réciproque entre savoirs théoriques d'une part, connaissance ou expérience perceptive, situations concrètes de terrain d'autre part. Il utilise, s'approprie les savoirs acquis en devenant capable de les traduire en dispo­ sitifs opératoires. Il tire de la réflexion sur ses pratiques concrètes la pos­ sibilité de créer ou du moins, d'accéder à de nouveaux savoirs » (12 JCS) .

225

En quête d'une intelligence de /'agir

Que lq ues m ots d e co nclusion Les effets ci-dessus re pé rés o n t s a n s doute u n grand intérêt e t com­ po rte nt u ne bonne part d'inéd it, mais i ls ont été constru its dans u n d is­ positif de formation au « coût » de plus en plus é levé, a ussi bien dans le registre de la m o b i lisation d e l'énergie des acte u rs q u e dans celui de la com préhension des institutions q u i financent. Se u ls 5 0 % des inscrits en troisième étape arrivent à re mettre et so uten i r le u r m é m o i re. Cette fo rma­ tion est bien source de transformations fortes - et sûrement aussi pour ceux qui ne vont pas au bout - mais son fonctionnement apparaît, paradoxale­ ment, marq u é d'élitisme (dans un tel processus les apprenants sont placés dans le registre du tout ou rien en termes de reconnaissance u n iversitaire) , malgré son ouverture à des candidats peu d i p lômés, pa rfo is non bache­ liers. Le tissage se rré « entrepre n d re/chercher » est s û rement pro d u cte u r ici d ' u n a p p re n d re q u i transforme l e s identités person n e l les e t p rofes­ sionne lles, mais fa ut-il, po u r autant, risq uer de « perd re ses mains » (les effectifs) à fo rce de les vo u lo i r ga rder p u res ?

226

Formation professionnelle supérieurepar la R-A : effets ordinaires, effets spécifiques ?

Bibliographie 1996. Dia/ogisme et altérité dans les sciences humaines. Pa ris, L' Har­ m attan .

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2 27

En quête d'une intelligence de /'agir

Annexes I

-

Guide de travail à partir duquel 17 Dhepsiens - tous ceux, diplômés anciens ou récents qui ont répondu à la demande -

ont écrit leur témoignage

N . B. La com m ande leu r en avait été passée par les organ isate u rs d u

Colloq ue « L'Actu a l ité d e s rec h e rches-actions » (Pa ris dans les termes su ivants :

I l l,

février 2000)

« L 'objectif de l'exposé est de présenter un regard transversal sur

les processus et les changements opérés par la recherche-action dans votre expérience d'ancien du DHEPS. Il ne s'agit pas d'une tentative d'éva­ luation de la construction du projet de recherche-action dans l'institution (Collège coopératif de Paris ou université de Paris Ill), mais dans le contexte socioprofessionnel ou militant quotidien. « 1. Comment la recherche-action s'est-elle déroulée dans le contexte précis de vos pratiques professionnelles ou sociales ? « 2. Selon quelles étapes ? « 3. A vec l'aide de quelles méthodes ? « 4. Quels ont été les effets, repérés par vous ou d'autres : sur vous­ même ? (évolution personne/le, place dans /'institution en termes de mo­ bilité, évolution, rup tures ... ) ; sur vos pratiques personnelles et in terpersonnelles ? ; sur le fonctionnement des équipes d'acteurs don t vous êtes chargé(e) ou dans lesquelles vous êtes impliqué (e) ? « 5. Si vous aviez à définir ce qu 'est une recherche-action à partir de cette expérience, que proposeriez-vous ? » (Texte signé e t envoyé par P h i l i p p e M i ssotte e t Pierre - M a r i e Mesn i e r en n ove m b re 2 0 0 2 à u n e trentai n e d ' « a n c i e n s » d u D H E PS) .

228

Formation professionnelle supérieurepar la R-A : effets ordinaires, effets spécifiques ?

Classement des 17 témoignages par secteurs etpar thèmes de recherche9 II

-

I - Formation des adultes

1 SA - De l'expérience à la recherche à projet scientifique : une dia­ lectique interculturelle. L 'exemple des étudiants du Collège coopératif de Paris. 2 FP - Pratiq ues d e l'éva luation fo rmative dans une école de soins infirmiers : enjeux péd agogiq ues, psychologiq ues et p h i loso p h iq ues (titre non donné dans le témoignage). Il - Développement social urbain

3 AD - De la participation au changement social par le développe­ ment personnel - L 'expérience de la participation des habitants à /'opé­ ration DSQ (Développement Social de Quartier) Saint-Jean à Châteauroux, 1990-1994. 4 J P - La sign ification d u logement co m m e marq u e u r social pour les habitants d ' u n q u a rtier en ré habi litation de la Seine-Saint- Denis (titre non donné dans le témoignage).

Ill - Développement rural 5 R P - Pou r u n monde rural solidaire : action ca ritative et déve lop­

pement loca l.

IV Prévention spécialisée -

6 CP - Les rôles respectifs, dans le projet de développement social local, des habitants et des professionnels d'une u n ité de prévention spé­ cialisée (titre non donné dans le témoignage). V - Immigration-intégration 7 O M - I m m igration maghrébine : la demande de ra patriement d u corps a u pays d'origine co m m e analyse u r d u processus d'i ntégration e n France (titre non donné dans le témoignage).

9 Les majuscules renvo ient, dans u n « semi-anonymat », a ux initiales d u prénom e t d u n o m d e chaque -

praticien-cherc h e u r. C'est ce système de cod ification qui est utilisé tout a u long de notre ét ude.

229

En quête d'une intelligence de /'agir VI - Médiation familiale

8 D L Vio lence conj u gale et méd iation fa m i liale (titre non donné dans le témoignage) . -

VII - Insertion femmes

9 M B - Insertion professionnelle et sociale de fem mes en CH RS (Cen­ tre d'Hé bergement et de Réadaptation Socia le) (titre non donné dans le témoignage) . 1 0 N C - Femmes immigrées habitant des quartiers dits « difficiles », actrices de leur insertion : les conditions de la réussite. 11 M DS De l'interdit à l'inter-dit. L 'Assistante Sociale dans l'entre­ deux thérapeutique. De la prise en charge à la prise en compte des patients en psychiatrie, par /'application d'une méthode d'intervention de Travail Social avec les groupes. Centre Hospitalier Sainte-Anne 1994 -1997. -

VIII - Santé mentale 12 J CS · Changement institutionnel et engagement des acteurs La création de /'Hôpital de nuit de La Nouvelle Forge, 1979-1984. IX - Santé : travailleurs sociaux en gériatrie 13 NA · L 'épuisement professionnel (« burn-out ») chez les soignants de gériatrie. La parole du sujet face au discours social. X - Santé publique jeunes 14 FM · Le rôle d'acte u r de jeunes d'un FJT (Foye r de Jeu nes Trava il­ leu rs) dans la prise en charge de leu r santé (titre non donné dans le té­

moignage). XI - Entreprise 15 M F · Culture en action : culture au pluriel. Les pratiques culturelles dans les activités sociales de salariés d'EDF-GDF. 16 AMS · Représen tations sociales des cheminots sur leur en tre­ prise : mythes, images symboliques et cultures de la SNCF. XII - Psychothérapie 17 B M · La modé lisation des savoi r-faire de psychothéra peutes uti­ lisant la PN L (Program mation N e u ro-Lingu istique) dans le u r pratiq u e (titre

non donné dans le témoignage).

230

Conclusion Pierre-Marie MESNIER et Christophe VANDERNOTTE

A

u terme de ce tour d'horizon, il nous reste à tracer quelques lignes de force en situant l'apport spécifique de la recherche-action dans le contexte éco­ nomique et social d'aujourd'hui. Mais il nous paraît tout d'abord nécessaire d'en rappeler quelques dimensions essentielles.

Tout d'abord, la recherche-action reconnaît que tout adulte est détenteur d'une expérience sociale que la formation va lui permettre de préciser et de valori­ ser. Cette reconnaissance n'est pas de pure forme: dès l'entrée en DHEPS ou dans le Master DEPRA, le travail individuel et collectif autour de l'autobiographie rai­ sonnée a pour finalité de révéler la singularité des parcours qui deviennent alors le premier capital du groupe en formation. Ce temps de récapitulation et de partage permet aussi à chaque apprenant de dégager des fils conducteurs et des axes de sens. Il constitue un levier essentiel dans la formalisation progressive du projet de recherche-action et du projet professionnel. Par ailleurs, la recherche-action postule que tout acteur est en capacité de produire une recherche à partir de sa pratique. Cette posture qui amène l'apprenant à se distancier de son action et de ses représentations génère une nouvelle intelli­ gibilité des situations et permet d'acquérir de nouvelles compétences. Elle favorise aussi la production de savoirs sociaux transférables qui enrichissent la connaissance des problématiques professionnelles et sociales. Ensuite, tout acteur s'inscrit dans un champ structuré par des logiques sociales qui conditionnent son positionnement. Prendre conscience de ces déterminations à travers les apports des sciences sociales permet aux apprenants d'envisager dif­ féremment leur marge de manœuvre et génère une créativité renouvelée pour faire face aux situations rencontrées. De même, l'adulte ne peut donner sens à son vécu que s'il envisage sa situa­ tion de manière globale, à la fois dans ses dimensions personnelles, sociales, pro­ fessionnelles et existentielles. La question du sens, que ce soit en termes de valeurs ou d'orientation à donner à sa vie traverse donc la démarche de recherche-action en offrant au praticien la possibilité de clarifier son rapport à soi et aux autres dans un cadre social qu'il contribue à produire.

231

En quête d'une intelligence de /'agir Enfin, une autre caractéristique majeure d'un cursus de recherche-action est de se mettre au service du projet de l'apprenant adulte qui trouve là une source unique de motivation dans un processus dont il reste du début à la fin le maître d'œuvre. Les apports de la recherche-action à la formation des adultes

L'adulte qui intègre un cursus universitaire ne peut pas être considéré seu­ lement comme un étudiant venu recevoir les connaissances expertes d'un ensei­ gnant assurant une fonction de transmission d'un capital culturel. Henri Desroche a souvent rappelé cet engagement éthique: « [.. .] Reconnaître que chaque adulte, en vertu de son expérience vécue, estporteur d'une culture qui luipermet d'être simultanément /'enseigné et l'enseignant dans le processus éducatif auquel il participe �. Cette reconnaissance transforme les rapports entre enseignants et en­ seignés: l'adulte en formation n'est plus seulement un étudiant, il devient co-acteur et co-producteur dans un dispositif où apprenants et personnes-ressources sont fi(} bilisées autour d'un projet commun. Cette posture, qui n'exclut pas les différences de rôles et de fonctions, est gé nératrice d'une intelligence collective qui constitue aujourd'hui un enjeu majeur. Le défi est d'importance : comment concevoir une formation professionnalisante qui serait source de développement pour toutes les parties prenantes et qui abor­ derait résolument la complexité des situations professionnelles et sociales? Or, c'est précisément ce que vise la recherche-action, à savoir mobiliser les ressources indi­ viduelles et collectives dans un double mouvement: d'une part, amener les acteurs à questionner les cadres de pensée en remontant aux sources des représentations (c'est la dimension de la recherche), d'autre part, et de manière concomitante, ima­ giner et élaborer des stratégies et des dispositifs en prise avec les besoins réels des acteurs et des organisations (dimension de l'action). Ce double mouvement trou­ vera une nouvelle amplitude dans la formation à l'accompagnement de recherche­ acions collectives et d'individus en mutation. Formation professionnelle et recherche-action

Il suffit de se référer à l'un des nombreux référentiels utilisés aujourd'hui pour évaluer la compétence professionnelle des salariés pour se rendre compte de la place faite aux capacités d'adaptation et de réactivité, comparativement aux com­ pétences métier qui, jusqu'ici, définissaient le professionnalisme. Autonomie, sens 1 - Confé rence générale de l' U N ESCO s u r le développement de l'éd ucation des a d u ltes, N a i robi, 26 nove m b re 1976.

232

Conclusion des initiatives, capacité à travailler en équipe, aptitudes relationnelles, capacité d'anticipation et d'innovation, capacités d'analyse, de synthèse et de résolution des problèmes, qualités d'expression écrite et orale, sont autant de domaines où la re­ cherche-action permet aux apprenants de s'aguerrir et de se développer. Se former à la recherche-action ne signifie pas pour autant adapter les ac­ teurs à un environnement professionnel générateur de stress et soumis à une com­ pétition exacerbée. Un chercheur-acteur est d'abord quelqu'un qui apprend à gérer deux niveaux de logiques: d'une part, le registre de l'action régi par l'implication et l'efficacité, et la logique de recherche porteuse de distanciation et de question­ nements. Cette capacité à mettre en lien ces deux champs spécifiques produit une conscience élargie synonyme d'autonomie et d'aptitude à interroger les situations en profondeur plutôt que de se contenter de « recettes » qui transformeraient les problématiques sociales et professionnelles en exercice de résolution de problème. Une nouvelle culture

Au terme d'une thèse consacrée à l'œuvre éducative d'Henri Desroche, Davide Lago souligne que « cet accompagnement maïeutique est évidemment uneforme d 'initiation. En effet, la personne est accompagnéepour remplir au mieux des tâches constituant un longparcours de redécouverte de soi et de réinstallation dans le monde par le biais de la recherche ». Parler d'initiation, c'est postuler que s'instaure pour les apprenants un nou­ veau rapport au monde nourri par d'autres logiques que celles qui prévalaient avant qu'ils entreprennent cette démarche. L'expérience est là pour en attester: lorsqu'un acteur devient chercheur et auteur, il acquiert non seulement une plus grande confiance dans sa capacité à contribuer efficacement aux missions qui sont les siennes, mais il éprouve également le sentiment de réintégrer un chemin porteur de sens : « Lefait de s 'engager à la fois dans la pratique et dans la théorie pro­ voque unprocessus d 'émancipation et d'épanouissement, voire d'accomplisse­ ment, qui n 'a d'équivalent nullepart ailleurs �. En guise de conclusion, soulignons avec Henri Desroche la profonde synergie qui relie ces accomplissements individuels avec l'engagement collectif auquel est consacré le tome II : «je conçois nos groupes comme autant de cayennes pour un nouveau métier. Ou, si vous voulez, pour un nouveau devoir, celui d 'une créativité cultu­ relle tous métiers, je dirais même tous arts et métiers pour autant que les 2 - Lago D., 2011, Henri Desroche, théoricien de l'éducation permanente, Paris, Ë d itions Don Bosco. 3 - Draper i J . - F. , 2011, L 'économie sociale et solidaire, une réponse à la crise � Paris, Dunod, p. 184.

233

En quête d'une intelligence de /'agir hommes de l'art ou du métier considèrent que cette créativité vécue mérite de devenir une créativité réfléchie, que cette réflexion implique un métier commun (cf. chercheur-acteur), que l'exercice de ce métier postule une solidarité, que cette solidarité s 'inscrit dans le temps et l'espace et que ces unités de solidarité ont tout à gagner d'une interconnexion... sur un tour qui soit un tour de France et qui peut être aussi aujourd'hui un tour du monde selon une échelle et selon des itinéraires encore à préciser »4•

4 Desroche H . , 1978, tducation permanente et créativités solidaires, Paris, Les Ëditions Ouvrières, p. 167. -

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Index desprincipaux sigles et acronymes ACO RA

Atelier Coopératif de Recherche-Action

AG R

Activités Génératrices de Reve n u s

AI F ANPE

Agence I nternationale de l a Francophonie Agence N ationale p o u r !' Emploi

ASSCO D

Arch ives des Sciences Socia les de la Coopération et du Déve loppement

AST E R

Actrices Sociales des Te rrito ires Européens R u raux

BAC B ECC

Bacca la u réat B u reau d' É tudes Com m una uta i res et Coopératives

CAF

Caisse d'Allocations Fam iliales

CCF P C E M EA

Centre de Coord i n ation de la Fo rmation Professio nnelle Centres d ' Entraînement aux Méthodes d' É d u cation Actives

CI L

Certificat d ' i n itiative Locale

CDSFCU

Confé rence des D i recte u rs et des Services de Formation Contin u e U n ive rsitai re

C N FLP

Centre N ational d e Fo rmation Loisirs et Promotion

CV

Curri c u l u m Vitae

CNAM

Conse rvatoire National des Arts et Métiers

DASS

Direction des Affaires Sanitaires et Sociales

D OTE

Direction Départe m enta le du Travai l et de !' Em ploi Diplôme d' État relatif a ux Fon ctions d'An i m ation

D E FA D H E PS

Diplôme d' Études S u périe u res U n iversitaires Diplôme des H a utes Études des Pratiques Sociales

D R FP

Direction Régionale pour la Formation Professionne lle

D RJ S DSQ

D i rection Région a le de la J e u nesse et des Sports Déve lo p pement Social des Qu artiers

Ed E E H ESS E N EA E PH E

Entretien d ' Explicitatio n É cole d e s H a utes É tudes en Sciences Sociales É cole Nationale d' É conomie Appliq uée É cole Pratique des H a utes É tudes

FO L

Fédération des Œuvres Laïq ues

D ES U

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En quête d'une intelligence de /'agir

FS E GED GIS LPAD MIRE O FAD ONG PEI RA R E PAI RA R EVA R H E PS RMI RNCP SCO P UCE UCI USG E R ES

2 36

Fonds Social Européen Genre Et Développement G ro u pement d ' i n té rêt Scientifi q u e Learn i n g Potential Assesment Device Mission I nterm i n isté rielle de Recherche Organisation de Formation et d'Ap p u i a u Développement Organ isation Non Go uvernementale Progra m m e d' Enrich issement I n stru menta l Recherche-Action Réseau des Professionnels de !'Acco m pagnement et de l' inte rvention par la Recherc he-Action Re prise d' É tudes et Va lidation des Acq uis Réseau des Ha utes É tudes des Pratiq ues Sociales Reve n u M i n i m u m d ' i n sertion Réperto ire National des Certifications Professionne lles Société Coopérative O uvriè re de Prod u ction U n iversité Coo pérative Euro péen ne U n iversité Coopérative I nternatio nale Union de Synd icats et G ro u pements d ' E m p loye u rs Re prése ntatifs dans !' É cono m ie Sociale

Ta ble des ma tières Introduction

Face aux défis sociaux contemporains, un chemin de formation nouvelle entre la connaissance et l'action .............. ............................... . . .. ... ............. ........ 7 Pierre-Marie MESNIER et Christophe VANDERNOTfE .

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lère partie

Présentation générale de la recherche-action : origines, fondements, développement ....... ......... ............................ ....... 1 1 .

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L'origine de la formation par la recherche et la recherche-action, sur les traces d'Henri Desroche et de ses compagnons . ........... ..... .. .... ............. 13 Roland COLIN .

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Recherche-action, DHEPS et formation d'adultes .................................................... 2 3 Guy AVANZINI La recherche-action en formation d'adultes, une autre façon de chercher .................. .... ................... . ... . . ....... . . ... . . ..... 37 Pierre-Marie MESNIER et Philippe MISSOTfE Essai de définition .......... ...... ............ .......... .... ... ...................... ......... . ...... 38 Caractéristiques de la recherche-action ................ ............. . . ............. . ... .. 39 Recherche-action et formation d'adultes ............... ... ... . . .. ..... ....... ...... . . 41 Recherche et recherche-action: proximités et différences ............................. 42 Schéma de la recherche-action ..................... ....... ........................ .. ... .......... 45 Bibliographie 53 .

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Recherche-action, genre et développement. Une combinatoire pour le changement ........ ................. . ... . .... . ..... ...... ..... .... 5 5 Marie-Lise SEMBLAT Une pratique ancrée dans une histoire personnelle ... .. .... .... . .. . .. . 56 Recherche-action et approche de genre, pour un autre développement ... 58 La formation, une composante des « pratiques primordiales » de groupes de femmes .... ............................................ ............................. ........ 61 De la formation-action à la formation par la recherche-action . .................... 62 VAE et approche de genre en milieu rural .... ....... .......... .. .. . .. ... .. . .... 63 .

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En quête d'une intelligence de /'agir Vers une approche intégrée « Genre et développement » au Sénégal 64 Le « féminisme territorial» . . .. . ..... . .. . .. . 70 Une dimension éminemment politique ... . . . . . . . . .. 72 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..... . ... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ... 74 .............................................................................................................

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2ème partie

L'apprentissage du processus de recherche-action dans la 1 ère étape du Master (DHEPS-Ml} . . ... ..

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77

Une recherche à quelles conditions? L'acquisition de la posture et des méthodes de la recherche par des praticiens : .............................................. 79 Emmanuelle BETI'ON et Florence VATIN En acceptant la mise en danger de sa propre posture de formateur, mais aussi en jouant son rôle ............................................................................. 80 En ne faisant pas de la recherche « au rabais» ................................................. 82 En se dotant d'outils pédagogiques adaptés .................................................... 84 En adaptant la méthode à la temporalité de la formation .............................. 91 Conclusion et retour sur la recherche ............................................................... 92 Bibliographie ....................................................................................................... 94 Annexe 1 : Représentation graphique de la démarche de recherche-action ........................................................................................... 95 L'autobiographie raisonnée, première étape d'engagement dans une démarche de recherche-action ................................................................... 97 Christophe VANDERNOTI'E Le travail autobiographique à partir de la grille de l'autobiographique raisonnée ....................................................................... 97 Henri Desroche, un pionnier des histoires de vie en formation

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99

Un enjeu initial : élaborer un projet de recherche en lien avec le capital expérientiel de la personne ......................................... 99 Une expérience fondatrice, Économie et Humanisme ................... , ........... 101 La recherche-action comme levier de transformation du monde ............... 101 L'autobiographie raisonnée, vecteur de réappropriation de son expérience globale ................................................................................ 102 L'autobiographie raisonnée, processus d'autoformation ....... . ... . . . . . . 103 L'autobiographie raisonnée, support de conscientisation ........................... 104 L'autobiographie raisonnée, un tremplin pour le projet ............................. 105 .

2 38

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Table des matières Le passage à l'écrit et l'avènement de l'auteur-acteur . Autobiographie raisonnée et processus d'individuation . Conclusion Bibliographie . . . .... ............ ........ .......... . . . . . . . .. . .............. .................

106 107 109 111

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Observer, décrire. Enquête exploratoire et démarche monographique .. . . . .. .. . . 113 Philippe MISSOTfE Entrer dans la recherche par la bonne porte .. ... . . 1 14 Cerner l'objet par un questionnement . . . ... .. . . . . .. . .. . . . 119 Observer, décrire: moins simple qu'il n'y paraît . . . .. ... 121 Plus qu'un modèle figé, une méthode contradictoire . . . .. .. 124 ....................

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La recherche-action, un moyen de penser et de transformer ses pratiques .. . . . .. . . . . Marie-Anne DUJARIER Penser ses pratiques et leur contexte pour l'action . . . ... . .. ... Le parcours de la recherche-action .. .. . Un outil de formation traditionnel utile pour l'avenir .. . .. ... ... . . Bibliographie . ... .. ..... ... . . . . ... ... ..... . . . . ....... ........ . . . . . ... ....................

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127

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128 129 136 137

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En quête d'une pratique sociale de formation soutenue par la recherche-action: l'expérience de Cahors ( 1987-1993) ............................. 139 Arève ATCHIKGUÉZIAN Un contexte personnel . 140 Le Collège coopératif: le ressourcement . ...... .. .. ........ . . .. 144 La mise en place d'un groupe de recherche-action : ses fondements .......... 146 Le Bassin d'emploi de Cahors ........................................................................... 147 Le groupe de recherche-action de Cahors: historique ................................. 148 ....................................................................

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D'une recherche-action individuelle à un engagement collectif. L'expérience de Cahors ( 1987-1993) au cœur de la pratique sociale Roland COLIN

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Mettre en chemin d'écrire, mettre en chemin de penser ...................................... Ghislaine de SURY É crire, un acte qui ne va pas de soi . .. . . .. L'enjeu de la première année: donner le goût et l'habitude d'écrire ......... Au-delà d'une maïeutique de l'écriture: mettre en chemin de penser .. ... ...........

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163

173 174 177 182

2 39

En quête d'une intelligence de /'agir Une formation professionnelle supérieure par la recherche-action : effets ordinaires, effets spécifiques ? Présentation et analyse des témoignages de 17 diplômés du DHEPS Pierre-Marie MESNIER Présentation de laformation DHEPS Un peu d'histoire Le public Finalités de la formation par la recherche-action Principes pédagogiques, organisation, contenus Présentation et analyse des 17 témoignages L'entrée dans un dispositif de formation par la recherche-action: les attentes, les aspirations Le choix de l'objet de recherche-action (R-A) Le déroulement de la recherche-action, les étapes Réflexions globales sur le parcours de recherche-action, les obstacles et l'accompagnement Les effets repérés sur la personne, les compétences construites Les nouvelles compétences acquises et leurs effets Les effets repérés sur les pratiques professionnelles Effets de relance ou de prolongement de la recherche Les effets sociaux de la recherche-action repérés sur l'institution ou le groupe Définitions de la recherche-action par les acteurs Quelques mots de conclusion Bibliographie A nnexes I - Guide de travail à partir duquel 17 Dhepsiens ont écrit leur témoignage II - Classement des 1 7 témoignages par secteurs et par thèmes de recherche

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Conclusion

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Pierre-Marie MESNIER e t Christophe VANDERN01TE Les apports de la recherche-action à la formation des adultes Formation professionnelle e t recherche-action Une nouvelle culture

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Index des principaux sigles et acronymes

240

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189 189 189 190 191 194 196 196 197 201 207 210 212 215 218 219 223 226 227 228 228

2 29 231 232 232 233 235

IRIS•>

.._ ProFoRA __.

IRIS-ProFoRA

Éditer pour promouvoir la recherche-action À la croisée des chemins de ProFoRA et d'IRIS-Formation,

exploratrices

depuis leur création (2003) des chemins de la réflexion, de la formation

et de l'intervention, au travers de la démarche de recherche-action dans la ligne d'Henri Desroche, des intervenants ont créé, en 2011, IRIS-ProFoRA.

I R IS·PRo fo RA : U N B U T, P R O M O U VO I R LA R E C H E RC H E -ACT I O N , U N E AUTRE MAN I È R E D E C H E RC H E R, S E FO R M E R, TRAN S FO R M E R A u travers d e l'éd ition, fa i re connaître l a recherche-action e t tout processu s a lliant l'action et la rec herche q u'elle soit cond u ite par u n indivi d u et/ou u n collectif.

I R IS·PRofo RA : COM M U N I QU E R U N P ROCESS U S Ëditer mobi lise des i ntervenants, professionnels o u non, de la re­ cherche-action po u r m ettre en va le u r leu r démarche et partager le chemin de la conna issance q u ' ils ont o uvert.

I R IS-PRo fo RA : CAP I TALI S E R LES D É MARC H ES PO U R LES PARTAG E R Dans les collectivités, entrep rises, services, associations, d e s cen­ ta ines de tentatives d e changement mobilisant tou s le u rs acte u rs ont lieu chaque a n née. Elles se perdent dans les sables d u temps. L'édition se met a u service d e ces acteu rs de terra i n d evenus par la recherche-action « acte u rs-chercheurs-a uteu rs » po u r q u ' i ls par­ tagent leur no uvelle intelligence de !'agir po u r u n déve lo p pement plus h u m a i n . I R IS-Pro Fo RA les soutient et le u r d o n ne la plume en éd itant et e n d iffusant leurs œ uvres en coopératio n avec le réseau R E PAI RA et l'éd ite u r, nota m m ent L' Harmatta n .

Président d'honneur e t président d u conse i l scientifique : Pierre-Marie Mesnier. Président de l'association : Patrick Chantere/. Secrétai re générale : Nathalie Gey. Responsable éd itorial : Philippe Missotte. Chef de projet édition : Yasmine Revzani. Site inte rnet : www.institut-iris.fr

REPAIRA

Réseau des Professionnels de l'Accompagnement et de l'intervention par la Recherche-Action REPAIRA a été fondé par Christophe Vandernotte et Hélène Fromont. R E PAI RA regro u p e des intervena nts, p o u r la p l u p a rt d i p lômés d u Master d e Paris I l l , spécialisés dans l'acco m pagn e m e n t de p rojets collectifs ou i n d ivid uels (co a c h i n g) p a r la rec h e rche-actio n . R E PA I RA a p o u r vocati o n d e c o n stitu e r u n espace d e p rofessi o n n a lisa­ tion tout e n contri b u a n t à la p ro m otion d e la rec h e rc h e-action :

• A u p rès d e s déci d e u rs e n p ro p o s a n t d e s acti o n s d ' acco m pa ­ gnement d e gro u pes e t d ' éq u i pes e n gagés d a n s u n p ro cessus d e c h a ngement p a rticipatif. • Au p rès d u gra n d p u b lic p a r d e s actions d e coaching centrées sur l'acco m pagn e m e n t d e p rojets perso n n e ls et p rofessio n n els.

Vous trouverez sur son site internet • Des i nte rventions collectives • Des acco m p a gneme nts i n d ivid u els • Des s é m i n a i res thématiq ues •

Des fo rmations :

* Fo rmation

* Fo r m a t i o n

à l'autobiogra p h ie ra iso n née à l'acco m p a g n e m e n t i n d iv i d u e l / c o a c h i n g

p a r l a rec h e rc h e-action

* Fo rmation d 'accom pagnate u rs de rec h erches-acti o n s

collectives

Po u r tout re nseignement

www. repaira.fr

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