Politis Croissance Verte

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  • Words: 30,440
  • Pages: 32
Politis

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CHAQUE JEUDI

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2 3

D É C E M B R E

politis.fr 2 0 0 8

HORVAT/AFP

S E M A I N E

N° 1031

PCF La fin de l’unanimisme GAUCHE Une nouvelle fédération LA POSTE La privatisation pour seul horizon FAMILLE Qui va garder les enfants? GRÈCE Le cri d’une génération CINÉMA « Les Plages d’Agnès», d’Agnès Varda

CROISSANCE VERTE

ESSAI « Le Vrai Canard» , de Karl Laske et Laurent Valdiguié

Le mirage

ÉDUCATION L’école en danger

économique

M 03461 - 1031 - F: 3,00 E

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Sommaire DOSSIER

CULTURE

CROISSANCE VERTE.

CINÉMA. « Les Plages

Le mirage économique.

d’Agnès », d’Agnès Varda.

Pages 4 et 5

Page 20

ENTRETIEN avec Pascal Canfin: « La croissance verte ne peut être un but. »

THÉÂTRE. « Le Repas », de Valère Novarina, et « No Way, Veronika », d’Armando Llamas.

Page 5

Page 21

Le nouvel Eldorado capitaliste. La saga du mensonge vert. Page 6

ROCK. « Snowflake

ÉCOLOGIE SÉDIF. Santini gagne

à bulletins secrets.

Midnight », de Mercury Rev. Page 21 JAZZ. Redécouvrir Andy Emler. Page 22 DANSE. « Danses noires, blanche Amérique », exposition au CND. Page 22

Page 7

MÉDIAS POLITIQUE

TÉLÉVISION. «Pierre

PCF. La fin de l’unanimisme.

Desproges, je ne suis pas n’importe qui », d’Yves Riou et Philippe Pouchain.

Page 8

GAUCHE. Une nouvelle fédération. Page 9

ÉCONOMIE/ SOCIAL LA POSTE. La privatisation

pour seul horizon. Page 12

À CONTRE-COURANT.

« Une crise toujours plus profonde », par Gérard Duménil.

Page 23

IDÉES ESSAIS. « Le

Vrai Canard », de Karl Laske et Laurent Valdiguié. Page 24 « Mourir pour l’Afghanistan », de JeanDominique Merchet. Page 25

Page 13

RÉSISTANCES

ENTRETIEN avec Bernard

ÉDUCATION. « L’école est

Lietaer: «Les monnaies régionales peuvent réduire le chômage».

en danger.» Reportage.

Page 14

Page 26

COURRIER Pages 28 et 29

SOCIÉTÉ BLOC-NOTES FAMILLE. Qui va garder

Pages 30 et 31

les enfants? Pages 16 et 17

MONDE GRÈCE. Le cri

d’une génération. Page 18

Couverture : François Durand Getty Images/Photomontage 2 / POLITIS / JEUDI 18 DÉCEMBRE 2008

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Politis

ÉDITORIAL PAR DENIS SIEFFERT

Politis est édité par Politis, société par actions simplifiée au capital de 941 000 euros. Actionnaires : Association Pour Politis, Christophe Kantcheff, Denis Sieffert, Pascal Boniface, Laurent Chemla, Jean-Louis Gueydon de Dives, Valentin Lacambre. Président, directeur de la publication : Denis Sieffert. Conseil de direction : Pascal Boniface, Laurent Chemla, Jean-Louis Gueydon de Dives, Christophe Kantcheff, Valentin Lacambre, Patrick Piro (président de l’association Pour Politis) et Denis Sieffert. Directeur de la rédaction : Denis Sieffert. Rédaction en chef : Thierry Brun (87). Christophe Kantcheff (85). Michel Soudais (89). Politique : Michel Soudais (89), Patrick Piro (Verts) (75). Écologie, Nord-Sud : Patrick Piro (75), Claude-Marie Vadrot. Économie, social : Thierry Brun (87). Monde : Denis Sieffert. Société : Ingrid Merckx (70), Olivier Doubre (91). Culture : Christophe Kantcheff (85), Ingrid Merckx (70), Gilles Costaz (théâtre), Marion Dumand (BD), Jean-Pierre Jeancolas (cinéma), Denis-Constant Martin (musiques), Jean-Claude Renard (photo), Jacques Vincent (rock). Idées : Olivier Doubre (91). Médias : Jean-Claude Renard. Résistances : Xavier Frison (88), Christine Tréguier. Responsable éditorial web : Xavier Frison (88). Architecture technique web : Grégory Fabre (Terra Economica) et Yanic Gornet. Premier rédacteur graphiste papier et web : Michel Ribay (82). Rédactrice graphiste : Claire Le Scanff-Stora (84). Rédactrice correctrice : Pascale Bonnardel (83). Secrétariat de rédaction : Marie-Édith Alouf (73), Ingrid Merckx (70). Administration-comptabilité : Isabelle Péresse (76). Secrétariat : Brigitte Hautin (86). Publicité-promotion : Marion Biti (90) [email protected] Impression : Rivet Presse Édition BP 1977, 87022 Limoges Cedex 9 DIP, Service abonnement Politis, 18-24, quai de la Marne, 75164 Paris Cedex 19 Tél. : 0144848059. Fax : 0142005692. [email protected] Abon. 1 an France : 147 euros Diffusion. NMPP. Inspection des ventes et réassort : K.D. Éric Namont : 01 42 46 02 20 Numéro de commission paritaire : 0112C88695, ISSN : 1290-5550

Vous avez dit «succès» ? a machine à consensus tourne à plein régime ces jours-ci pour nous faire avaler la leçon : la présidence française de l’Union européenne a été un succès. L’art de la métonymie étant ce qu’il est, les lauriers vont évidemment à un seul homme. La France, c’est lui. Point de sherpas, de conseillers, de ministres, Nicolas Sarkozy, comme d’habitude, éclipse son petit personnel. Le tout rehaussé de quelques anecdotes qui alimentent la gloriole nationale : il a, dit-on, rabroué les autres chefs d’État, privé de micro le président polonais, et s’est vanté d’avoir bouclé son sommet à 13 heures pétantes, à la hussarde ! Mais cela suffit-il à faire un « succès » ? Il n’est pas inintéressant de confronter ce bilan à quelques critères qui semblent échapper à la plupart des commentateurs : l’intérêt des peuples, leur bien-être social, voire la démocratie. Que dire, par exemple, de l’accord entériné par l’Union européenne ouvrant la voie à un nouveau référendum en Irlande sur le traité de Lisbonne ? Les Irlandais, on s’en souvient, avaient rejeté le traité européen lors d’une première consultation, en juin dernier. Eh bien, qu’à cela ne tienne ! Ils revoteront jusqu’à ce que leur vote vire au positif. C’est d’ailleurs la deuxième fois qu’on leur fait le coup. En 2002 déjà, ils avaient été sommés de dire « oui » au traité de Nice rejeté un an plus tôt. Vendredi dernier, à Bruxelles, sous la férule de Nicolas Sarkozy, le Premier ministre irlandais, Brian Cowen, s’est engagé à reconvoquer les électeurs aux urnes avant fin novembre 2009. Pour justifier ce tour de passe-passe, l’Union européenne a fait à l’Irlande une concession de taille : elle a accordé à Dublin le maintien d’un commissaire irlandais au sein de la commission de Bruxelles…

L

Non sans cynisme, le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn, a donné son explication : « Je comprends, a-t-il dit, que les Irlandais aient besoin de quelque chose de palpable qui leur permet de dire : “Nous nous sommes battus et nous avons obtenu le commissaire.” » On imagine aisément que ce pays qui est entré le premier dans la récession, dès le mois de septembre, n’ait aujourd’hui qu’une obsession : son commissaire. On ne doute pas que ce peuple, frappé de plein fouet par la crise, et dont le gouvernement vient d’allouer des milliards aux banques en guise de « plan de relance », ait pour principale

FEFERBERG/AFP

Politis, 2, impasse Delaunay 75011 Paris Tél. : 01 55 25 86 86 Fax : 01 43 48 04 00 www.politis.fr [email protected] Fondateur : Bernard Langlois.

revendication le siège d’un de ses a voulu voir un « succès » là où le technocrates dans l’instance président a dû finalement se résigner à bruxelloise. Voilà donc ce qu’il est entériner le rapport de forces sur le convenu d’appeler un « succès » de la terrain. présidence française et qui s’apparente À propos du troisième point – et non bien davantage à une arnaque le moindre –, la crise économique, il concoctée dans le dos des peuples. faudrait une bonne dose de mauvaise Encore les Irlandais auront-ils une foi pour prétendre que l’Europe a agi chance que les Français n’ont pas eue : unie. Les plans dits de relance sont ils pourront revoter. restés d’initiative nationale. Mais, pour rejoindre la Les uns orientés sur l’offre, plupart de nos confrères, et les autres sur la Il n’est pas osons cette conclusion : demande. L’apparent inintéressant s’il s’agit de juger de la retour au volontarisme qualité de l’arnaque, et à de confronter politique, c’est en effet un l’intervention de l’État, n’a indéniable succès. servi, en Europe comme ce bilan à aux États-Unis, qu’à Mais revenons à notre bilan sauver le capitalisme et à quelques de la présidence relancer la machine critères qui française. Le sommet de libérale. C’est un « succès » Bruxelles a été marqué, si l’on veut pour les semblent quoique plus banques qui ont échappé à discrètement, par la faillite. Pas pour les échapper à la quelques déclarations de peuples. plupart des franche allégeance à l’Otan qui en disent long il y a le «plan climat». commentateurs: Enfin, sur la nature de cette Nicolas Sarkozy, là aussi, Union européenne. est parvenu à un accord l’intérêt des Selon une dialectique avec ses partenaires les peuples, leur très au point, Nicolas plus réticents : Sarkozy a vanté « une l’Allemagne, l’Italie et la bien-être politique [européenne] de Pologne. Mais chaque fois défense indépendante » au prix de concessions qui social, voire tout en « coopérant avec relativisent ce qu’on a la démocratie. qualifié un peu vite de l’Otan ». Mais, entre une défense européenne qui « succès ». Plutôt que n’existe pas et l’Otan qui d’aider massivement les existe bel et bien, l’équilibre de la pays de l’Est à se moderniser, on a formule vacille. D’autant plus que le préféré en rabattre sur les ambitions président français a profité de la écologistes. Vous avez dit « succès » ? circonstance pour confirmer à mots à Qu’importe ! Une habile campagne de peine couverts le retour de la France communication aura au moins servi à dans le commandement intégré de masquer les échecs de la politique l’Otan en avril prochain. Son intérieure. Et à atténuer les effets d’un « arbitrage » cet été dans le conflit premier recul sur la réforme des lycées. georgien était d’ailleurs fortement Mais, la présidence française de marqué de l’empreinte américaine. On l’Union européenne, c’est fini.

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Dossier CROISSANCE VERTE

Le mirage

économique

L

’Union européenne est en route pour un “New Deal vert”, fermement sur la voie d’une économie durable à faible intensité carbone », a salué Stavros Dimas, commissaire européen chargé de l’Environnement, vendredi dernier à Poznan (Pologne), alors que s’achevait le sommet annuel des Nations unies sur le climat (voir encadré). Un optimisme tout diplomatique. Versant clair : l’Union s’engage à porter à 20 % la part des renouvelables dans sa consommation d’énergie d’ici à 2020. Le consensus a été acquis sans heurts : derrière l’objectif, se profilent des taux de croissance à deux chiffres et des dizaines de milliers d’emplois, comme en Allemagne ou en Espagne, qui connaissent une formidable pénétration des énergies éolienne et solaire. C’est la fameuse « croissance verte », aubaine sur laquelle misent désormais la plupart des gouvernements du Nord pour tirer leurs économies de l’ornière. Versant sombre : l’Union, qui s’affiche à la pointe du combat contre le dérèglement climatique, a aussi accordé d’indécentes concessions à ses industries très polluantes, incapable d’endiguer les égoïsmes nationaux. « Une honte », affirment les Amis de la terre, Greenpeace, Réseau action climat et le WWF dans un communiqué commun. Toutes les études montrent qu’en l’absence d’un effort radical et prioritaire pour diminuer les consommations d’énergie, même le plus volontariste des programmes en faveur des renouvelables ne remplira qu’une petite part du défi : d’ici à 2050, diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre mondiales, et même par quatre dans les pays du Nord. Oui mais voilà, réduire les consommations, ça ne fait pas miroiter de la « croissance verte » ! Depuis des mois, le ministre de l’Écologie, Jean-Louis Borloo, ne jure que par elle ; une « révolution » pariant sur l’innovation technologique, qui rendrait compatibles les défis écologiques avec la prospérité économique retrouvée. Il attend 500 000 emplois du Grenelle de

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l’environnement, qualifie de « nouveau concept de keynésianisme vert » le saupoudrage des interventions de l’État – du timide bonus-malus auto au développement des énergies renouvelables. Quant à la récession, elle mettra « la croissance verte au cœur du redémarrage économique (1) ». Àpeine énoncée, la prophétie s’est dissoute avec le plan de relance de Nicolas Sarkozy, une injection de 26 milliards d’euros qui méprise très largement les engagements écologiques du gouvernement (voir p. 6), comme c’est le cas de la plupart des gigantesques opérations de sauvetage lancées dans le monde. « Maintenant que nous devons nous serrer la ceinture, il faut supprimer le luxe environnemental », expliquait à Poznan le président tchèque Vaclav Klaus pour justifier la défense de l’industrie charbonnière. Des propos caricaturaux, tenus par un anti-écologiste notoire, mais qui traduisent finalement assez bien les priorités de gouvernements submergés par l’urgence. Et puis ce néo-keynésianisme vert repose sur des financements très volontaristes. Par exemple, le développement des énergies renouvelables dépend essentiellement de capitaux privés. Depuis que la récession a repoussé le baril de pétrole au-dessous de 70 dollars, certains programmes éoliens, qui pâtissent déjà d’une moindre rentabilité, marquent le pas. Un autre type de pari sous-tend le financement de l’isolation thermique des bâtiments, chantier prioritaire : il tiendrait sur des prêts bancaires que rembourseraient les futures économies d’énergies de chauffage, mais qui dépendent de spéculations sur le prix de l’énergie. Le cas de l’automobile est l’un des faux nez les plus voyants de cette croissance verte fétichisée, qui renvoie la résolution de la crise climatique au rang de sous-produit. Première intervention gouvernementale marquante : le bonus-malus automobile, qui a « déplacé » en quelques mois 43 % des ventes de voitures neuves vers des modèles moins émetteurs de CO2. Mais, bien vite, le ministre du Budget, Éric Woerth, s’est ému

du coût de la mesure pour l’État – 200 millions d’euros. Critique des écologistes également : pour bénéficier du bonus, il suffit que la voiture émette moins de 130 grammes de CO 2 au kilomètre. Performance très moyenne : il ne fallait pas trop défavoriser l’industrie automobile française, concurrencée par des modèles étrangers moins polluants. Elle a d’ailleurs perdu 3 % du marché national à la faveur du bonusmalus ! Il n’est bien sûr jamais question de s’attaquer à l’inflation irrépressible des kilométrages parcourus par les voitures, mais de les convertir à l’électricité, thème de recherche auquel d’importants subsides ont été octroyés par Nicolas Sarkozy. L’économiste Nicolas Baverez, qui en est plutôt proche, crache le morceau (2) : « L’EPR [le nouveau réacteur nucléaire] et la voiture électrique sont les deux mamelles du développement durable. » Vérification du recadrage imposé à une croissance verte sommée d’être économiquement correcte : l’espoir mis par le gouvernement dans l’isolation thermique massive des bâtiments tient beaucoup au fait que

LIMA/AFP

«

Miser sur les industries propres pour résoudre les crises écologiques et économiques : les illusions de la « croissance verte » ont volé en éclats avec la récession, comme l’a montré le sommet de Poznan sur le climat.

Le bonus-malus a déplacé 43 % des ventes de voitures

Le surplace de Poznan

ENTRETIEN

P. P.

les bénéfices attendus, en termes d’emplois et de chiffres d’affaires, ne sont guère délocalisables – les travaux seront effectués sur des maisons qui ne bougeront pas du territoire français. Au fond, de Poznan à Paris, de Washington à Londres en passant par Berlin, la lutte contre le dérèglement climatique n’attise l’intérêt des gouvernements que si elle sert la compétitivité des entreprises nationales. La croissance verte, selon Borloo, doit relancer l’économie française face à une concurrence internationale où l’Inde, la Chine et le Brésil jouent des coudes pour gagner le peloton de tête. Sous les coups de boutoir de la crise écologique et désormais de la récession, ce qui s’élude en permanence, c’est une interrogation fondamentale : l’économie libérale, fondée sur la croissance et la concurrence, peut-elle mener à bien le défi planétaire d’enrayer le dérèglement climatique ? PATRICK PIRO (1) Les Échos, 1er décembre 2008. (2) Le Point, 27 novembre 2008.

«La croissance verte ne peut être un but» DR

Bien maigres avancées au sommet de Poznan. Ce qui menace sérieusement l’indispensable réussite du prochain, fin 2009 à Copenhague, où la communauté internationale doit adopter un ambitieux accord pour relayer le protocole de Kyoto. C’est du quasi-surplace: si le fonds destiné à aider les pays du Sud à s’adapter au dérèglement climatique a enfin pris corps, rien n’est décidé pour son alimentation, et aucun engagement global n’a été pris sur la réduction des gaz à effet de serre (GES). Attendait-on trop de l’Union européenne, autoproclamée en pointe? Son «paquet climat-énergie» vise certes les «trois fois 20% » en 2020: pour la réduction des GES, la consommation d’énergie et la part prise par les énergies renouvelables. Mais la déception est forte au final, l’empilement des dérogations vidant un accord que Greenpeace rebaptise «trois fois quatre» : pour la part des réductions de GES acquise sur le territoire européen (4%, le reste pouvant être obtenu en le finançant à l’étranger); pour les permis de polluer du secteur industriel mis aux enchères dès 2013 (4% au lieu de 100%) ; et 4°C d’augmentation des températures moyenne d’ici à 2100 si on continue sur cette lancée.

Pour Pascal Canfin, responsable de la commission économie des Verts, la croissance verte prônée par le gouvernement est une manière d’inféoder l’écologie à une économie de croissance classique.

La « croissance verte », nouveau slogan à la mode, ne tente-t-elle pas de faire cohabiter deux principes antagonistes – le productivisme et l’écologie ? Pascal Canfin : La croissance verte ne peut pas être un objectif en elle-même. Le but, à nos yeux, c’est la décroissance de l’empreinte écologique, la conversion écologique de l’économie et une meilleure qualité de vie pour tous. Certaines mesures de cette conversion écologique feront augmenter le PIB, car elles créeront des activités nouvelles, d’autres non. La croissance du PIB pour des raisons écologiques sera peut-être une conséquence de la conversion de l’économie, mais ce n’est en aucun cas un but en tant que tel. Au contraire, faire de la croissance verte un objectif peut être très limitatif, car cela revient à confiner l’écologie dans une niche, et à en apprécier l’utilité au regard de ce qu’elle peut apporter au PIB. Résultat, si l’écologie ne favorise pas la croissance, alors il faudrait y renoncer. Or, on sait que certaines mesures écologiques auront un impact négatif sur le PIB. Prenons l’exemple des transports aériens : dans le modèle de la « croissance verte », on parle à la rigueur d’avions moins gourmands en carburant, mais il n’est dit nulle part que le trafic doit être réduit. Le recours à la technologie et aux grands travaux est le grand axe directeur de cette nouvelle approche. Un non-sens ? Il faut bien sûr encourager une révolution technologique verte pour inventer des produits écoconçus, entièrement recyclables, économes en énergies. Mais il ne faut pas s’en tenir à l’aspect technologique, sinon cette révolution se heurtera à ce que les économistes appellent l’effet rebond : on

vers des modèles moins émetteurs de CO2, mais le ministre du Budget s’est ému du coût de la mesure : 200 millions d’euros.

aura des voitures plus sobres, mais s’il y a toujours plus de voitures qui parcourent toujours plus de kilomètres, et on ne réduira pas les émissions globales de gaz à effet de serre. C’est l’Agence internationale de l’énergie elle-même qui le dit : pour diviser nos émissions de gaz à effet de serre par quatre d’ici à 2050, ce qui est la préconisation minimale des scientifiques du Giec pour les pays riches, la moitié du chemin peut être fait grâce à la technologie, mais l’autre moitié implique une modification de nos comportements et une mise à distance de notre société de l’hyperconsommation. Cette partie, qui est la partie la plus radicale de l’écologie, est totalement absente des raisonnements sur la croissance verte. Peut-on même encore parler de « croissance verte » au regard du plan de relance de l’économie présenté par Nicolas Sarkozy ? Le Grenelle de l’environnement, avec 400 milliards d’euros d’investissements sur les prochaines décennies environ, aurait pu constituer un cadre minimal pour la « relance verte » de l’économie. Le Président avait l’occasion de s’appuyer sur ce socle, il aurait pu décréter l’urgence sur l’application des mesures du Grenelle. Mais la majeure partie du plan de relance, c’est la relance classique des traditionnels secteurs porteurs de notre économie : le bâtiment, les routes et l’automobile. Le plan Sarkozy est même par endroits en totale contradiction avec les mesures récemment annoncées par le Grenelle. Par exemple, lorsqu’il renoue avec le programme autoroutier ou avec l’affaiblissement de la réglementation contraignant les constructeurs de grands équipements à procéder à de vraies études d’impacts préliminaires sur l’environnement. Au nom de l’urgence économique, on va donner des passe-droits aux « bétonneurs ». Cela montre à quel point ce gouvernement ne croit pas à l’urgence d’une révolution écologique de la société ! L’adoption des premières lois Grenelle est repoussée en permanence, et Sarkozy nous démontre qu’il n’a pas changé de perspective. Il ne s’est même pas converti à cette croissance verte minimaliste. On est vraiment loin de la rupture ! PROPOS RECUEILLIS PAR PATRICK PIRO Pascal Canfin est notamment auteur de l’Économie verte expliquée à ceux qui n’y croient pas (2007) et coauteur de C’est pollué près de chez vous (2008), éditions Les petits matins (14 et 17 euros). JEUDI 18 DÉCEMBRE 2008 / POLITIS / 5

Dossier DÉVELOPPEMENT ÉCOLO

Le nouvel Eldorado capitaliste « Le vert vaut de l’or», titrait en 2007 le quotidien économique laTribune, dans un numéro spécial sur le Grenelle de l’environnement. On pouvait y découvrir un « Grenelle juteux pour les entreprises» et un capitalisme contemporain qui a depuis longtemps endossé les habits du développement durable et s’est converti à la «croissance verte». En France, cette croissance tant de fois promise par le gouvernement devrait permettre de maintenir ou de créer 535 000 emplois dans le bâtiment, les transports et la protection de la nature, en faisant appel aux grands opérateurs privés. Les chiffres mondiaux, eux, donnent le vertige : on va vers un doublement du marché des produits et services environnementaux d’ici à 2020, soit 2 740 milliards de dollars, estime le rapport Travail décent pour un développement durable publié en octobre par le Programme des Nations unies pour l’environnement et le Bureau international du travail. L’efficacité énergétique, les transports durables, l’approvisionnement en eau, l’assainissement et la gestion des déchets seraient les principales activités bénéficiaires. Dans le seul secteur de l’énergie, les grands industriels se sont engouffrés dans les énergies renouvelables, notamment attirés par les subventions de l’État. En quelques années, le marché a connu une croissance phénoménale: « Son chiffre d’affaires a été de 38milliards de dollars en 2006, soit 26% de plus que l’année précédente», indiquent Greenpeace et le Conseil européen des énergies renouvelables(Erec). EDF, GDF Suez ou Poweo ont racheté des exploitants de parcs éoliens en France ou à l’étranger. Le fabricant de centrales nucléaires Areva s’est lancé depuis 2007 dans l’exploitation de la biomasse. Et Total a renforcé ses investissements dans le solaire photovoltaïque. L’Erec prévoit que les investissements généreront d’importants profits à long terme. Cette perspective attire déjà les fonds spéculatifs: Novethic, filiale de la Caisse des dépôts et centre d’informations et d’expertise sur la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, a dénombré 194 fonds d’investissement environnementaux en Europe, et leurs encours cumulés a dépassé les 25 milliards d’euros. Pas en reste, l’agrobusiness profite de cette croissance… et de la crise alimentaire. « Toutes les grandes banques européennes ont investi des milliards d’euros ces dernières années dans les entreprises lucratives de production d’agrocarburants, comme Cargill, Bunge, ADM, Cosan et Brasil Ecodiesel. Plusieurs de ces entreprises ont été impliquées et condamnées pour leurs activités illégales en Amérique latine», ont dénoncé les Amis de la Terre. On prend les mêmes et on recommence?

THIERRY BRUN 6 / POLITIS / JEUDI 18 DÉCEMBRE 2008

La saga du mensonge vert Comment le gouvernement bafoue allégrement les conclusions du Grenelle de l’environnement, au bénéfice de son plan de « relance ». « L’HORIZON DE NOS SOCIÉTÉS et celui de l’écologie sont longs. Or, la crise qui nous dévore risque de nous rendre aveugles si nous ne parvenons pas à sortir des enchaînements à court terme dans lesquels les financiers nous ont égarés. Les urgences ne doivent rien effacer. » Cette belle phrase prononcée le 24 octobre est signée Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État à l’Écologie. Elle ne savait pas encore que son président allait rapidement montrer qu’il est sourd et aveugle en jetant à bas le fragile édifice, péniblement repeint en vert, de la loi Grenelle 1 avec son plan de « relance ». Au moment où le chœur des économistes entonne le refrain du « développement vert », qui succède au couplet dévalué du développement durable. La croissance verte a perdu sa couleur dans un plan relançant la seule croissance de quelques entreprises. La saga du mensonge vert commence avec les voitures. Promis, pour toute voiture de plus de dix ans envoyée à la casse, les Français recevront 1 000 euros, à condition qu’ils achètent une voiture « propre ». Deux problèmes : d’abord, il n’existe pas de voiture à moteur thermique non polluante ; ensuite, l’heureux bénéficiaire de la prime pourra acheter un véhicule relâchant jusqu’à 160 grammes de CO2 ! Niveau auquel il n’existe aucun bonus. L’essentiel est ailleurs : cet aspect de la relance vise à sauver l’industrie automobile et ses bénéfices. Alors qu’il faudrait aider l’emploi dans les usines travaillant sur le montage des véhicules de transport en commun. Et, comme disent ceux qui enterrent les projets, la taxe climat-énergie chère à Nicolas Hulot et au Grenelle de l’environnement « reste à l’étude ». Et les camions peuvent compter sur l’oubli de la taxe qui les menaçait. Dans sa mouture de première lecture, la loi Grenelle 1, qui ne reviendra pas devant les parlementaires avant deux ou trois mois, privilégie les « transports doux ». Tous les acteurs du Grenelle étaient tombés d’accord, avec bénédiction présidentielle, pour arrêter la construction des autoroutes. En guise de relance, le Premier ministre a annoncé le 5 décembre, pour 800 millions d’euros, la mise en chantier (il a dit déblocage…) de trois

autoroutes : la A63, la A150 et la A355. En marge de cette annonce, François Fillon a signalé qu’il y aurait d’autres décisions allant dans le même sens, afin de soutenir le secteur du BTP. Cela fait sans doute partie de ce que Jean-Louis Borloo, a récemment célébré comme un « miracle » en expliquant que les 280 mesures du Grenelle sont financées par la loi de finances à hauteur de 19 milliards d’euros. En oubliant les mésaventures de son programme de bonus-malus (même si celui-ci était discutable), abattu en plein vol avec d’autres projets par la ministre des Finances et le ministre du Budget. Grenelle 1 prévoit que le consommateur devra pouvoir « choisir en toute connaissance de cause ». Problème : l’étiquetage environnemental destiné à indiquer le bilan carbone des produits aux acheteurs sera remis à une date ultérieure car il aurait risqué d’entraîner des difficultés pour les producteurs et les distributeurs « dans une période délicate ». Il faut y ajouter le projet d’ouverture des grandes surfaces le dimanche, qui aura comme premier effet d’augmenter la circulation des voitures hors de la ville une journée de plus. Pour les clients comme pour les salariés. La loi en devenir prévoit une proportion d’énergies renouvelables de 20 % d’ici à 2020, tout en rendant plus contraignant le développement des éoliennes. Le chiffre n’est rien d’autre que celui adopté par l’Union européenne dans son « paquet climaténergie ». La loi stipule pour l’instant que les cultures destinées aux agrocarburants seront privées de leurs subventions. Les publicités pour la « betterave-carburant » parues la semaine dernière annoncent tout simplement un prochain recul sur ce point car « il faut soutenir un secteur important et générant de nombreux emplois ». Mais, dans le fond, le rapporteur de la loi, Christian Jacob, avait fixé les limites de l’exercice à la tribune de l’Assemblée nationale en expliquant que « la croissance verte ne peut se faire qu’avec le monde économique, pas contre lui, et que l’environnement est le nouveau prétexte pour lever de nouveaux impôts ». La messe était dite. CLAUDE-MARIE VADROT

Tous les acteurs du Grenelle étaient tombés d’accord, avec bénédiction présidentielle, pour arrêter la construction des autoroutes. En guise de relance, le Premier ministre a annoncé la mise en chantier, pour 800 millions d’euros, de trois autoroutes…

Écologie FAUNE

Victoire indienne!

Et le putois?

SA/AFP

La marte et la belette ne sont plus « nuisibles » ! Un arrêté ministériel vient de les retirer de la liste des espèces autorisées à la chasse en raison de leurs « dégâts » – classement bien pratique pour des animaux dont la fourrure est très appréciée. C’était déjà le cas dans plusieurs départements, sous la pression d’associations comme l’Aspas, mais la mesure est désormais nationale, rétablissant une décision prise en 2002 par le Vert Yves Cochet mais défaite par l’UMP Roselyne Bachelot à son arrivée au ministère de l’Environnement. L’Aspas salue la décision, qui passe outre les pressions des chasseurs, mais regrette que l’on ait « oublié » le putois dans cette amnistie, « seul animal de notre faune capable de limiter les populations de rats musqués et de rats d’égout », et qui se fait pourtant de plus en plus rare.

Sur la photo, c’est encore l’anxiété qui précède le verdict du Tribunal fédéral suprême de Brasilia. Puis l’explosion de joie dans les villages pour les 19 000 Macuxi, Wapichana, Ingariko, Taurepang et Patamona qui revendiquent la terre de Raposa Serra do Sol, dans l’État brésilien du Roraima, à la frontière vénézuélienne (1). Ça fait trente ans que leurs droits sur 17 000 km2 de « réserve » sont violemment contestés par l’oligarchie locale, qui a failli en obtenir le démantèlement en menant la bataille jusqu’au plus haut échelon de la justice du pays. Par 8 voix sur 11, les juges viennent finalement de conforter les Indiens, épargnant au pays une jurisprudence catastrophique pour la survie de ces populations – un million d’individus au Brésil dans un état de grande précarité. (1) Voir Politis n° 1012.

NUCLÉAIRE

C’est assez peu courant pour être signalé : sur les écrans de cinéma, cette semaine, la Terre des hommes rouges, film de Marco Bechis, relate sous l’argument d’une histoire d’amour la lutte de survie des Indiens guaranis pour leurs terres à la frontière du Paraguay (voir Politis, hors-série n° 48).

Areva publi-informe la jeunesse

ONDES

Les téléphones mobiles sont devenus courants dès le collège. Les scientifiques réitèrent leur inquiétude devant leur utilisation prolongée par les enfants, et la ville de Lyon affiche sur ses panneaux: «Le portable avant 12 ans, c’est non!» Et le ministère de la Santé? C’est la grande muette, ou plutôt le coministère de l’Industrie: l’an dernier, un vague avertissement sur les risques sanitaires des ondes pour les jeunes cerveaux… début janvier, après la ruée de Noël. Cette année, dix associations (1) ont décidé de suppléer le ministère défaillant avec une

DR

TcherMobile en vue?

campagne de sensibilisation aux risques sanitaires: «Portables, antennes relais, WiFi… Un nouveau TcherMobile». Et saluons l’audace du secrétaire d’État au développement numérique, qui promeut une charte non contraignante visant à interdire l’usage des mobiles aux enfants de moins de… 3 ans. (1) Voir notamment www.agirpourlenvironnement. org, 0140310237

SEDIF

Santini gagne à bulletins secrets C’était gagnable (1), c’est largement perdu : par 88 voix contre 54, c’est un opérateur du privé qui distribuera l’eau aux quatre millions de clients des 144 communes du Syndicat des eaux d'Île-de-France (Sedif). Veolia, titulaire du contrat depuis 1923, et qui aurait surfacturé le Sedif de près de 50 millions d’euros, sera difficilement délogeable. Grosse déception du front des élus PS, Verts, PC et divers gauche favorables à une régie publique, comme à Paris : 10 à 15 municipalités de gauche auraient soutenu l’option adoptée, que défendait André Santini, président du Sedif (et du Nouveau Centre). Jean-Pierre Pernot, maire PS de Méry-sur-Oise, a reconnu en faire partie. Pour les autres, mystère : alors qu’un vote public avait été demandé, c’est à bulletins secrets qu’il s’est effectué, à la demande des élus de droite. Le rapport de forces est même moins favorable qu’en mai dernier, quand Santini n’avait été réélu président du Sedif que par 77 voix. Ses opposants envisagent un recours juridique, mais ils doivent désormais se préoccuper d’une autre bataille : un « Grand Paris de l’eau » est en gestation pour rationaliser la production et l’assainissement. Santini tente déjà d’isoler Paris, accusé de manquer de démocratie et de préparer une hausse des prix. « À Paris, les citoyens ont voté, et l’eau, deux fois moins chère qu’au Sedif, n’augmentera pas », rétorque Anne Le Strat, future présidente de la nouvelle régie publique de Paris, qui aura fort à faire dans les mois prochains.

P. P. (1) Voir Politis n° 1030.

Il est très en colère, le Réseau sortir du nucléaire (RSN), et il y a de quoi : le Jury de déontologie publicitaire (JDP), qui vient de prendre la suite d’un Bureau de vérification de la publicité totalement discrédité, semble bien mal parti. Areva, notre poids lourd mondial du nucléaire, se livre en effet depuis des semaines à une campagne de publicité camouflée (jeux-concours, articles cosignés, « publiinfos » (!), etc.) dans des publications pour la jeunesse – Sciences et vie junior, Images doc, les Clés de l’actualité junior. Le premier aurait clarifié la mention de ses encarts publicitaires, répond benoîtement le JDP. C’est manifestement faux, s’élève le RSN, copie du magazine en main. JEUDI 18 DÉCEMBRE 2008 / POLITIS / 7

Politique PCF

La fin de l’unanimisme

L

es apparences sont sauves. Rien n’a manqué en final du 34e congrès du PCF pour donner l’image d’un parti heureux et réconcilié. Ni les confettis lancés par les délégués à l’annonce des résultats – une tradition dans les congrès communistes –, ni les chants entonnés a cappella pendant le dépouillement. Entamé avec « le P’tit Quinquin », lancé par la fédération du Nord, poursuivi par « Bella Ciao », « la Jeune Garde » ou « la Butte rouge », le répertoire classique rassemble toutes les sensibilités. De la frondeuse Malika Zédiri à l’orthodoxe Paul Boccara, surprenant interprète de « Fanchon » (« Elle aime à rire elle aime à boire… »). Pourtant, contrastant avec cette joie bon enfant, c’est les traits tirés et la mine maussade que Marie-George Buffet a accueilli l’annonce de sa réélection. La numéro un communiste, élue secrétaire nationale en 2001 dans le cadre d’une direction bicéphale avec Robert Hue, rempile pour un quatrième mandat à la tête du Parti, qu’elle dirige seule depuis 2002. Mais la « très large majorité » dont se félicite l’Humanité dans son compterendu, en net recul par rapport au 33e congrès, témoigne autant d’une défiance que de vues divergentes. En mars 2006, la direction que conduisait l’ancienne ministre des Sports avait été reconduite dans ses fonctions par 91,3 % des délégués. Dimanche, 67,72 % ont approuvé la liste de candidats au conseil national qu’elle emmenait. Dimanche, l’événement était moins cette réélection sans surprise que la présentation de trois listes alternatives représentatives d’orientations politiques divergentes. Dans un parti qui refuse toujours le droit de tendances et va jusqu’à nier leur existence, cette situation marque assurément un tournant. D’autant que les scores obtenus par ces listes, auprès de délégués plus enclins que la base communiste à abonder les choix de la direction, sont significatifs. Première de ces listes, celle des « transformateurs », menée par Marie-Pierre Vieu, 40 ans, secrétaire fédérale des Hautes-Pyrénées, a obtenu 16,38 % des voix. Soutenue par les « Communistes unitaires », comme les députés François Asensi et Patrick Braouezec, Gilles Alfonsi, Pierre Zarka ou Roger Martelli, mais aussi d’anciennes présidentes du conseil national comme Dominique Grador ou Joëlle Greder, cette liste rassemblait les partisans d’une « métamorphose

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FEDOUACH/AFP

Marie-George Buffet conserve la direction d’un PCF qui souhaite se maintenir tout en se transformant. Une position d’équilibre mal assurée, qui confirme toutefois la volonté de rassembler aux européennes.

Marie-George Buffet rempile pour un quatrième mandat à la tête du Parti.

du PCF conduisant à l’émergence d’une nouvelle force politique ». Très critique, tout au long du congrès, sur l’« immobilisme », voire le « repli identitaire » de son parti, manifeste par le choix d’exclure du parlement communiste les partisans d’une évolution profonde du PCF, Marie-Pierre Vieu avait justifié la présentation de sa liste par le fait que le congrès avait plus « assumé des reculs » que des avancées. Elle a accueilli le résultat de sa liste, qui aura 29 élus au conseil national, comme un « signe d’espoir ». Et s’est félicitée d’avoir fait mieux que l’addition des deux autres listes alternatives, réticentes ou hostiles à des transformations du PCF. Le député-maire « orthodoxe » de Vénissieux (Rhône), André Gerin, partisan d’une régénération du PCF qui tourne le dos aux « abandons de la mutation conduite par Robert Hue » dans les années 1990, obtient en effet 10,26 %. Tandis que la dernière liste « identitaire », présentée par Nicolas Marchand, obtenait 5,62 %. Dans un parti ultralégitimiste comme le PCF, où la direction est systématiquement reconduite, qu’un tiers des délégués au congrès vote contre cette dernière témoigne d’une crise profonde et d’une certaine rébellion. Sans doute y a-t-il dans ce vote une bonne part de défiance à l’égard de Marie-George Buffet.

Après son échec retentissant à l’élection présidentielle (1,93 %), la numéro un communiste avait annoncé vouloir quitter la direction du parti. Avant de se raviser récemment, faute d’être parvenue à faire émerger une relève incontestée. Ce week-end, Mme Buffet a annoncé que le parti sera géré par une direction collégiale – elle devait être désignée mercredi par le nouveau conseil national – coanimée par Pierre Laurent, directeur de la rédaction de l’Humanité, véritable numéro 2 du parti. Elle a assuré qu’elle n’irait pas au bout de son mandat de trois ans, mais entendait travailler à une transition en douceur. Une promesse dont doutaient certains délégués, rendus méfiants par les virevoltes de leur dirigeante. Au congrès de 2006, Marie-George Buffet avait été l’avocate inlassable d’un rassemblement antilibéral en vue des élections de 2007. Pour ce faire, elle s’était appuyée sur les « refondateurs » contre les « orthodoxes » et les défenseurs de l’identité du PCF qui refusaient de voir leur parti se diluer, sans aller toutefois jusqu’au bout de la démarche. Ce qui faisait dire à Pierre Zarka que « l’ambiguïté du texte [d’orientation s’était] faite contre les partisans de l’affirmation de l’identité communiste ». Cette fois, c’est sur les craintes de ces derniers qu’elle s’est appuyée pour rejeter toute « métamorphose » du PCF en

Politique

Olivier Dartigolles a beau dire que « ce n’est pas un texte auquel on peut faire dire différentes choses », sur deux points au moins le débat n’est pas clos. En décidant de « poursuivre le parti communiste et le transformer », ce texte adopté à l’issue d’une longue bataille d’amendements (1) tente une délicate synthèse entre la tentation conservatrice et les aspirations réformatrices qui tiraillent le PCF depuis la fin de l’ère Marchais. Synthèse dont l’Humanité reconnaît qu’elle n’est qu’« un début de réponse ». Car si le texte affirme que « la voie des transformations du PCF apparaît plus féconde que celle de la recherche de la constitution d’un autre parti aux contours incertains », il ne dit rien de précis sur la « profonde transformation » que le PCF veut engager. Laissant ainsi ouvert le débat et promettant une consultation des communistes à chaque étape. Même la perspective d’un « front progressiste européen », inscrite dans le texte et approuvée par un vote à près de 80 %, malgré les réserves des inconditionnels des listes communistes « rouge pur » (2), n’est pas définitivement acquise. Interpellé par un délégué qui demandait de supprimer un passage placé entre parenthèses qui assure que les communistes « décideront par leur vote, comme pour toutes les élections, de ces candidatures », le rapporteur du texte, Pierre Laurent, s’y est refusé, ouvrant ainsi la possibilité au refus d’une ou plusieurs listes d’union, puisque cette disposition donne aux militants communistes le pouvoir de désigner non pas seulement leurs candidats mais ceux que présenteront d’autres forces politiques. Le maintien d’un semblant d’unité autour de Marie-George Buffet était sans doute à ce prix. Il ne règle en rien la crise du PCF. MICHEL SOUDAIS (1) Intitulé « vouloir un monde nouveau, le construire au quotidien », il a été adopté par 68,7 % des délégués. Il y a eu 24,06 % de votes contre et 7,23 % d’abstentions. (2) André Gérin se méfie de la volonté qu’il prête à Jean-Luc Mélenchon de créer « un PS-bis » ; Nicolas Marchand appelle à considérer le Parti de gauche comme un « rival » ; les fédérations du Nord-Pas-deCalais entendent bien présenter une liste clairement communiste.

Une nouvelle fédération à gauche

M. SOUDAIS

direction d’une force politique nouvelle. Mais aussi défendre une conception moins pluraliste de la direction communiste, minorant ceux qui pouvaient être en désaccord avec l’orientation adoptée. Sitôt élue, Marie-George Buffet n’a d’ailleurs rien cédé sur ce point : « Je mettrai toutes mes forces dans les mois qui viennent à faire en sorte que le conseil national, au lieu d’être un parlement où on refait le congrès, soit une équipe au service du combat communiste », a-t-elle promis dans son discours de clôture. Un engagement qui risque d’être difficile à tenir. À cause du nombre d’élus issus des listes alternatives. À cause aussi des ambiguïtés du texte d’orientation adopté, samedi.

Dimanche, l’événement était moins cette réélection sans surprise que la présentation de Les Communistes unitaires, les Alternatifs, les trois listes Collectifs antilibéraux et la gauche des Verts alternatives lancent une organisation d’un type nouveau. représentatives ILS EN PARLAIENT depuis un certain temps d’orientations déjà. Cette fois, c’est fait : la gauche de politiques transformation sociale et écologiste lance sa fédération. La naissance de la divergentes. nouvelle structure devait être officialisée Dans un parti qui mercredi matin, dans un café parisien où s’étaient donné rendez-vous Martine refuse toujours le Billard, députée des Verts, animatrice du courant Écologie solidaire ; les droit de Alternatifs, héritiers du PSU ; Gilles Alfonsi, Patrick Braouezec, Pierre Zarka tendances et va pour les Communistes unitaires ; Yves jusqu’à nier leur Salesse, Pierre Cours-Salies pour les Collectifs antilibéraux ; la militante existence, cette féministe Clémentine Autain ; les amis situation marque de l’ancien ministre communiste Marcel Rigout, et quelques autres, dont les assurément un altermondialistes de « Mai » et les Alter Réunion des Communistes unitaires le 13décembre. Ekolos, de Francine Bavay, qui ont pris tournant. ont d’ailleurs mené bataille derrière leur décision lundi après une consultation interne… L’énumération suffit à suggérer que nous avons affaire à une initiative originale par sa diversité et son pluralisme entre militants issus d’une tradition productiviste et des écologistes antiproductivistes. Mais ces clivages ne sont plus d’actualité depuis longtemps déjà, tant les Communistes unitaires ont intégré le paradigme écologiste. La nouvelle fédération s’adresse donc à toutes les forces politiques de la gauche non socialiste. Mais elle s’adresse aussi aux « citoyens » n’appartenant à aucun mouvement, ni à aucune organisation. Elle se veut « ouverte », et en devenir, prête à accueillir, selon l’expression de Gilles Alfonsi, des « histoires et des cultures différentes ». Ses initiateurs se revendiquent aussi bien du mouvement ouvrier, de la marche des Beurs de 1983, des grandes grèves dans les services publics de l’hiver 1995, de l’altermondialisme, que du « non » au référendum de 2005. Ils soulignent que leur fédération « n’est pas un parti ». Structure transversale, elle permet la double appartenance. Martine Billard et Francine Bavay, notamment, sont toujours membres des Verts, et les Communistes unitaires, qui apportent dans la corbeille de mariage des effectifs non négligeables, restent pour la plupart au sein du Parti communiste. Beaucoup

Marie-Pierre Vieu lors du congrès (voir ci-contre l’article de Michel Soudais). Des communistes qui n’appartiennent pas au courant « unitaire » pourraient également faire le choix d’une double appartenance. Enfin, des militants du courant Utopia restés au Parti socialiste, pendant que d’autres adhéraient au Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon, pourraient rejoindre la jeune fédération. Au total, c’est, du côté écolo, la plupart des protagonistes de la réunion de Miremont, du mois d’août dernier, qui devraient se retrouver là. L’entreprise est à la fois audacieuse et passionnante. Audacieuse, en ce qu’elle fait le pari d’exister dans un univers encore structuré par des partis aux formes plus traditionnelles – les « fédérés » souhaitent aussi faire porter leur réflexion sur les formes d’organisation les mieux adaptées à notre époque –, et passionnante, parce qu’elle poursuit un travail de convergence entre des cultures politiques différentes. En cela, elle s’inscrit pleinement dans l’esprit de l’Appel de Politis. Un peu plus d’un mois avant le premier congrès du Nouveau Parti anticapitaliste, et trois semaines après le lancement du Parti de gauche de JeanLuc Mélenchon, l’espace politique de la gauche sociale et écologiste s’enrichit d’une nouvelle création. D. S. JEUDI 18 DÉCEMBRE 2008 / POLITIS / 9

EUROPÉENNES

APPEL POUR UNE AUTRE EUROPE Pour des listes unitaires

D

éjà deux mille signataires ont associé leurs noms à l’appel « Pour une autre Europe » lancé il y a une semaine. Tout aussi intéressante que le nombre, la qualité. Toutes les forces politiques sont massivement représentées. Y compris celles dont les directions n’ont pas pour l’instant manifesté le souhait de signer cet appel pour la constitution de listes unitaires représentant tout l’arc du « non » de gauche au référendum de mai 2005. C’est le cas notamment à la LCR et au NPA, où le débat se poursuit, mais dont de nombreux militants ont signé sans attendre. Par ailleurs, de nombreux responsables syndicaux et associatifs, des intellectuels et des citoyens, qui ne revendiquent aucune appartenance, se sont engagés dans la bataille. L’enjeu, rappelons-le, n’est pas mineur. Il s’agit de créer les conditions pour qu’un maximum de députés européens soient élus en juin prochain en rupture avec le traité de Lisbonne. Semaine après semaine, nous vous tiendrons au courant du sort de cette pétition qui découle directement de l’Appel de Politis, même s’il n’est évidemment pas nécessaire d’avoir signé celui-ci pour s’engager dans la bataille européenne. Le texte intégral figure sur notre site, www.politis.fr, où il est possible de joindre sa signature. Nous publions ici une liste de 220 noms qui rendent mieux compte de la diversité des signataires que les 60 publiés la semaine dernière et la quinzaine repris par le Monde dans son édition datée du 11 décembre.

PARMI LES PREMIERS SIGNATAIRES : Dominique Abeille, présidente d’association parents d’élèves (17); Étienne Adam, CNCU, Caen(14) ; Abd-El-Kader Ait Mohamed, militant pour l’égalité, CNCU, Tours(37) ; Lysiane Alezard, conseillère régionale Île-de-France; Gilles Alfonsi, Association des communistes unitaires (ACU); Pierre Allard, maire ADS de SaintJunien et vice-président du conseil général de la Haute-Vienne; Marie-Hélène Amiable, députée maire de Bagneux; Mouloud Aounit, militant antiraciste et conseiller régional; El-Madani Ardjoune, conseiller régional, Tremblay(93) ; Ariane Ascaride, comédienne; François Asensi, député PCF; Clémentine Autain, militante féministe; Gérard Badeyan, Collectif antilibéral et unitaire de Malakoff; Bailly Bagayoko, maire-adjoint de SaintDenis, vice-président du conseil général de Seine-Saint-Denis; Gérard Beck, militant associatif(38) ; Romain Bellamy, Gauche alternative(17) ; Alain Belviso, président de la communauté d’agglomération du Pays d’Aubagne et de l’Étoile; Tarek Ben Hiba, conseiller régional Île-de-France, Essonne; Pierre Bergounioux, écrivain; Bruno Bessière, ACU; Jacques Bidet, philosophe Paris-XNanterre; Gérard Bohner, NPA Clermont-Ferrand; Jean-Jacques Boislaroussie, Alternatifs; Magali Bonet Giovannangeli, 1re adjointe au maire d’Aubagne; Louis Bonnassi, militant syndicaliste de la sidérurgie; Jean-Marc Borel, militant politique, LCR(38) ; Béatrice Bossé, militante féministe(26) ; Paul Bouffartigues, directeur de recherche CNRS Aix/Marseille; Jacques Boulesteix, astrophysicien, directeur de recherches au CNRS; conseiller municipal de Marseille; Lounis Bourad, militant altermondialiste, Lot; Jacques Bourgoin, maire de Gennevilliers, conseiller général; Dominique Boutin, géographe, Alternatifs, Indre-et-Loire; Magali Braconnot, les Alternatifs13, conseillère municipale, comédienne;

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Jean Brafman, conseiller régional d’Île-de-France; Patrick Braouezec, député, Seine-Saint-Denis; Gérard Bras, professeur de philosophie; Robert Bret, ancien sénateur des Bouches-du-Rhône, conseiller municipal de Marseille; Simone Brigando, responsable MNLE Marseille; Michel Buisson, agroéconomiste(69) ; Marylène Cahouet, syndicaliste enseignante; Bernard Calabuig, responsable national du PCF; François Calaret, courant Unir de la LCR, Saint-Denis; Bernard Camboulives, CNCU, Territoire de Belfort; Bernard Cavanna, compositeur; Christophe Cavard, conseiller général du Gard; Eve Chambrot responsable d’une association culturelle, Gauche alternative54 ; Thérèse Chapelet, graphiste; Patricia Chapuis, syndicaliste, militante NPA; Patrick Charles, maire-adjoint ADS de Limoges; Maurice Charrier, maire de Vaulx-en-Velin, vice-président de LaCourly; Lionel Chassaing, cadre territorial; Armelle Chevassu, CNCU, Marseille(13) ; Marc Chovin, militant d’Attac-63, enseignant, CNCU, PG; Arlette Clerc, enseignante, Territoire de Belfort; Marie-Agnès Combesque, écrivaine; Éric Coquerel, PG; Alexis Corbière, 1er adjoint au maire du XIIearrondissement de Paris, Parti de gauche(PG); Jean Cordillot, ancien maire de Sens, PCF, ACU; Emmanuelle Cosse, ancienne présidente Act Up, Paris, rédactrice en chef de Regards ; Pierre Cours-Salies, CNCU, Montreuil, 93; Thomas Coutrot, économiste; Veronika Daee, enseignante, Alternatifs(31) ; Daniel Dalbéra, ancien député; Claude Debons, PG; Bernard Defaix, président du Collectif de défense des services publics; François Delapierre, PG; Christian Delarue, militant altermondialiste et antiraciste; Marc Delgrange, Villeneuve-d’Ascq, ancien conseiller municipal de la Communauté urbaine de Lille; Bruno Della Sudda, ancien conseiller municipal de Nice (06); Michèle Dessenne, porte-parole du M’PEP; Catherine Destom, professeur Morbihan; Richard Dethyre, sociologue; Hayat Dhalfa, PG; Daniel Dizet, syndicaliste et militant associatif(17) ; Marc Dolez, député, PG; Annie Ernaux, écrivain; Michelle Ernis, conseillère municipale 100% à gauche, Saint-Étienne-du-Rouvray; Jean-Claude Eyraud, syndicaliste, mutualiste, conseiller municipal d’opposition de Gap, HautesAlpes; Laurent Eyraud, comédien et directeur artistique; Jean Falco, conseiller municipal d’Auch(32) ; Mireille Fanon-MendèsFrance, Fondation Frantz-Fanon; Alain Faradji, courant Unir de la LCR; Jean-Louis Fiole, conseiller municipal d’Alès(30) ; Régine Flament, syndicaliste, mutualiste, Hautes-Pyrénées; Bernard Floris, maître de conférences, Grenoble; Michèle FoulquierClaveau, syndicaliste, écologiste; Michel Fourgeaud, militant altermondialiste et antiraciste; Ginette Francequin, maître de conférences au Cnam; Jacqueline Fraysse, députée des Hauts-deSeine; Gilles Fromonteil, plasticien; Marie-Noëlle Gagnepain, militante syndicale, politique, féministe(38) ; Raquel Garrido, PG; Bertrand Geay, sociologue, professeur université de Poitiers; Catherine Gégout, ex-conseillèrede Paris, PCF; Jacques Généreux, professeur à Sciences-Po, PG; Karine Gentric, syndicaliste enseignante, altermondialiste (17) ; Susan George, essayiste; Liberto Gimenez, militant alternatif, syndical, antiraciste, responsable d’associations culturelles; Jacques Girault, professeur émérite d’histoire contemporaine, Paris-XIII; Roselyne Gispert, cadre infirmière retraitée, animatrice du Cual Montpellier, ACU; François Gody, PCF, conseiller municipal de Tournefeuille(31) ; Serge Goldberg, militant syndical et associatif; Bénédicte Goussault, sociologue, coordination de l’Omos, Alternative citoyenne; Jean-Louis Griveau, Alternatifs, Finistère; Jean-Louis Griveau, animateur des Alternatifs Bretagne(29) ; Robert Guédiguian, cinéaste; Moustapha Gueye, responsable associatif; Birgit Hilpert, syndicaliste CGT; Christophe Hodé, militant parents d’élèves; Yannick Humbert, militant altermondialiste(17) ; Michel Husson, économiste; Louis Iorio, militant associatif services publics; Nordine Iznani, militant associatif, Nanterre; Pierre Jacquemain, journaliste et sympathisant NPA; Bernard Jacquin, conducteur de travaux, Blagnac; Florence Jardin, maire de Migné-Auxances, viceprésidente de la communauté d’agglomération de Poitiers, divers gauche; Patrick Jarry, maire de Nanterre; Rémy Jean, conseiller municipal, CNCU, Aix-en-Provence(13) ; Catherine Jouanneau, enseignante, militante NPA; Jean-Jacques Joucla Montreuil(93) ; Michèle Kiintz-Tailleur, retraitée université, communiste unitaire(35) ; Alain Lacombe, ancien maire de Fosses(95) ; Alain Ladrange, conseiller général, PCF, ACU; Alain Laffont, conseiller municipal LCR 100% à gauche à Clermont-Ferrand; Yves Laigle Militant altermondialiste (17); Marie-Pierre Lambert militante des Droits de l’homme, Gauche alternative54 ; Pierre Laporte, conseiller général; Sylvie Larue, communiste unitaire; Nadine

Lavigne, syndicaliste(17) ; Jean-Louis LeBourhis, syndicaliste LaPoste(92) ; Frédéric Lebaron, sociologue; Patrice Leclerc, conseiller général des Hauts-de-Seine; Philippe Leclercq, conseiller régional Lorraine, ancien secrétaire des Verts, Gauche alternative54 ; Guy Lecouvette, membre ACU, LaRochelle; Sophie Lemoine, conseillère régionale de Bretagne; Jacques Lerichomme, syndicaliste; Dominique Leseigneur, syndicaliste télécoms; Bruno Leveder, Courant Unir de la LCR, Rennes; Jacqueline Lhomme-Léoment, conseillère régionale ADS du Limousin; Claire Loubignac, écologiste, présidente de la Gauche alternative17 ; Hélène Lunetta, adjointe au maire d’Aubagne; Olivier Madaule, ACU; Céline Malaisé, courant Unir de la LCR; Pierre Mansat, maire-adjoint de Paris; Roger Martelli, historien, communiste unitaire; Gérard Mauger, sociologue; Isabelle Métral, Alternative à gauche38 ; Daniel Metraud, altermondialiste, porteparole de la Gauche alternative17 ; François Meyroune, maire de Migennes(89) ; Dominique Mezzi, journaliste; Noufissa Mikou, enseignante, Dijon, militante Attac; Daniel Mino, retraité EDF, collectif Cap à gauche74 ; Étienne Miossec, Saint-Brieuc; Gilles Monsillon, conseiller municipal d’opposition, AlterEkolos, Vald’Oise; Ricardo Montserrat, écrivain, metteur en scène; Corinne Morel Darleux, PG; Agathe Morin, militante syndicaliste et associative; Frédéric Morin, militant associatif(17) ; Régis Moulard, militant des Alternatifs de Savoie; Henri Moulinier, ACU17 ; René Moustard, dirigeant sportif; Marianne Mugnier, courant Unir de la LCR; Françoise Nay, médecin, militante associative; Gérard Nepveu, chercheur, ancien membre du PCF, Gauche alternative54 ; Richard Neuville, militant altermondialiste(07) ; Jacques Nikonoff, porte-parole du M’PEP; Michel Onfray, philosophe; Chantal Pacteau, chercheuse; Antoine Parzy, enseignant en philosophie; Jean-François Pellissier, membre de l’exécutif des Alternatifs, responsable associatif(75) ; Roland de Penanros, universitaire, CNCU, Finistère; Gérard Perreau-Bezouille, maire adjoint de Nanterre; Jacques Perreux, vice-président du conseil général du Val-de-Marne; Évelyne Perrin, Gauche alternative Champigny, militante d’AC! Stop précarité; Daniel Picq, ancien secrétaire Fédération du PCF de l’Yonne; Thierry Picq, vidéaste, Verts; Christian Picquet, courant Unir de la LCR; Sylvie Pille, altermondialiste Aubagne; Pierre-Yves Pira, syndicaliste enseignant(59) ; Dominique Plihon, économiste; David Proult, adjoint au maire de Saint-Denis; Andréa Queraud, conseiller municipal de Cahors(46), salarié du privé (association FJT); Yves Quintal, enseignant, président association égalité Toulouse et comité paix en Algérie; Christophe Ramaux, économiste; Annette Rameau, enseignante, Verts; Annie Rayne, PCF, ancienne conseillère municipale de Tournefeuille(31) ; Frédérique Riedlin, courant Unir de la LCR, Strasbourg; Marcel Rigout, ancien ministre, député honoraire, ADS; Jacques Rioual, militant d’associations de solidarité internationale; Marie-Claire Robin, enseignante, Verts AlterEkolos, Indre-et-Loire; Daniel Rome, secrétaire national du Réseau école du PCF; Cécile Ropiteaux, Dijon, militante syndicaliste et altermondialiste; Michel Rousseau, militant associatif; Jean-Marie Roux, syndicaliste; Jean-Michel Ruiz, secrétaire départemental du PCFVal-d’Oise; Catherine Sackur, militante féministe(06) ; Jean-Louis Sagot-Duvauroux, philosophe et dramaturge; Yves Salesse, CNCU, Paris; Georges Samson, CUAL Saint-Brieuc; René Santraine, ancien conseiller régional d’Île-de-France; Lucien Sève, philosophe; Denis Sieffert, directeur de l’hebdomadaire Politis ; Marcel Siguret, militant associatif Marseille; Patrick Silberstein, éditeur; Cécile Silhouette, institutrice Rased, militante LCR et NPA Pari-XI; Danielle Simonnet, conseillère de Paris, PG; Francis Sitel, courant Unir de la LCR; Boualem Snaoui, syndicaliste, militant associatif, Sarcelles (95); Philippe Soulier, archéologue; Philippe Stierlin, ingénieur environnement, Paris; Lars Steinau, courant Unir de la LCR; Nadine Stoll, ACU, Toulouse; Stéphanie Treillet, économiste; Renzo Sulli, maire PCF d’Échirolles; Jacques Thomas, retraité, Beaune, Les Alternatifs; Rémy Toulouse, éditeur; José Tovar, syndicaliste enseignant, président de l’Université populaire de Seine-Saint-Denis; Anne Tuaillon, enseignante, militante syndicale et politique (38); Monique Vidal, militante des collectifs unitaires, ancienne responsable syndicale à l’Éducation nationale; Nicole Vieillard-Baron; Claire Villiers, conseillère régionale d’Île-de-France, Hauts-de-Seine; Karel Yon, chercheur en sciences politiques, Lille; Pierre Zarka, membre du conseil national du PCF, ancien directeur de l’Humanité.

Signatures sur le site www.politis.fr

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Économie/Social LA POSTE

La privatisation

pour seul horizon La commission Ailleret sur le développement de La Poste a suivi la voie de la rentabilité financière pour exiger le changement de statut et l’ouverture du capital de cette entreprise publique. d’une campagne de promotion du projet de privatisation de La Poste par ses dirigeants ». Aucun des sujets du dossier n’a été mis aux voix, affirment les syndicats. Le président de la commission, qui a organisé 16 réunions entre le 26 septembre et le 11 décembre, a pourtant estimé, dans une belle langue de bois, que « le travail s’est déroulé dans une ambiance sereine et constructive » et que « les débats ont été libres et ouverts ». Sans autre commentaire, François Ailleret conclut que « la majorité des membres de la commission [se sont prononcés] pour une transformation du statut de l’entreprise en société anonyme ». Pour couper l’herbe sous le pied aux opposants au changement de statut de l’entreprise publique, la commission assure que La Poste sera « détenue à sa création à 100 % par des investisseurs publics (État, FSI ou Caisse des dépôts et consignations) ». Et affirme : « En toute hypothèse, la privatisation est exclue, et des garanties d’ordre législatif devraient être apportées sur le caractère public de l’entreprise ». Cet argument, avec celui de la dette de l’entreprise (sans aucune explication sur son origine), est loin de convaincre puisque, dans le passé, les mêmes avaient prévalu pour aboutir à la privatisation de France Télécom, de GDF et d’EDF. La commission Ailleret admet que « l’hypothèse d’un appel à des investisseurs privés n’est ni souhaitable ni crédible » en période de crise financière et économique… pour se contredire quelques pages plus loin. La création d’une société anonyme présenterait « plusieurs avantages stratégiques, notamment dans la perspective de l’ouverture du marché [européen] du courrier en 2011 ». Ce changement de statut s’impose parce que l’établissement public « n’a pas d’actionnariat, et les investisseurs qui lui apporteraient des fonds propres n’auraient droit ni au versement d’un dividende, ni à une représentation au conseil d’administration ». Et le texte indique que La Poste pourra, le moment venu, « solliciter ultérieurement d’autres investisseurs que l’État pour mener à bien ses projets ».

DANIAU/AFP

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oilà un rapport sur mesure pour préparer la privatisation de La Poste. Clos le 11 décembre, les travaux de la commission voulue par Nicolas Sarkozy et pilotée par François Ailleret, ancien dirigeant d’EDF, ont livré un verdict qui s’aligne sur la volonté du Président et celle des dirigeants de La Poste de créer un opérateur postal privé. Reste la remise officielle du rapport au gouvernement avant que celui-ci ne décide du sort du service public d’ici à la fin de l’année. Transmis dès le 9 décembre aux membres de la commission chargée d’étudier l’avenir de La Poste, le rapport a provoqué quelques remous. Les syndicats ont claqué la porte au motif que « la commission Ailleret, créée pour répondre à la mobilisation contre la privatisation de La Poste, pour un débat et un référendum, a été largement instrumentalisée par l’État », souligne un communiqué de la CFTC, FO-COM et SUD-PTT. Autre raison invoquée : le texte comporte nombre d’affirmations orientées vers des exigences de rentabilité financière, dans la seule perspective d’un changement de statut et de l’ouverture de capital de l’entreprise publique. Contrairement à ce qu’affirme François Ailleret, « les débats n’ont pas été sereins au sein de la commission, sous la pression constante

Selon les syndicats, la commission ne défend que des objectifs de croissance. 12 / POLITIS / JEUDI 18 DÉCEMBRE 2008

« La satisfaction des besoins des usagers de La Poste ne fait pas partie des objectifs du projet retenu, orienté sur la vision d’un “business” postal basé sur la productivité au détriment de la solidarité et de l’égalité de traitement de la

population », estiment la CFTC, FO-COM et SUD-PTT. La commission ne défend que les objectifs de « croissance », de « confortement d’une dimension européenne sur les créneaux pertinents » et de « recherche constante de la compétitivité ». En guise d’argument, le rapport explique que la « réduction du handicap concurrentiel qui affectait La Poste lui a permis de multiplier sa rentabilité par dix en cinq ans ». Pourtant, « le développement des opérateurs postaux ne passe pas obligatoirement par des opérations de fusions et d’acquisitions à l’international, estiment la CFTC, FO-COM et SUD-PTT dans leurs propositions pour le financement du service public postal. L’actualité récente démontre même plutôt le contraire. Le président de La Poste allemande vient d’ailleurs d’annoncer un recentrage de son activité sur le territoire national ». Dans un mémorandum de 27 pages présenté à la commission Ailleret, la CGT rappelle notamment le bilan « désastreux » du processus de libéralisation dans le cadre du grand marché européen amorcé en 1997 et 2002. « L’ouverture à la concurrence et les privatisations ont en effet conduit les opérateurs postaux à orienter leurs choix d’investissement et de tarification en fonction des objectifs de rentabilité financière et de conquête de parts de marché au détriment des missions de service public », rappelle-t-elle en citant l’échec de l’ouverture à la concurrence en Suède et au Royaume-Uni. Le rapport Ailleret garantit les missions de service public « et de service universel dans toutes leurs dimensions », obligatoires dans une loi de 2005, mais sans préciser leur financement. Celui-ci, « déjà fortement supporté par les collectivités locales et donc les contribuables, ne serait plus assuré, comme en témoigne le contrat de service public pour 20082012 signé récemment entre La Poste et l’État », rappelle la CGT. Les organisations syndicales se rencontreront vendredi 19 décembre pour « examiner les conditions de la poursuite » du mouvement social, à l’occasion de la tenue d’une commission d’échanges stratégiques sur la situation de La Poste. Le rapport Ailleret confirme en tout cas que le sort de celle-ci est scellé. Reste à faire avaler la pilule aux usagers, élus et syndicats. THIERRY BRUN

À CONTRE-COURANT GÉRARD DUMÉNIL*

Une crise toujours plus profonde

RETRAITES

Les mères trop avantagées ? Après l’âge limite de départ en retraite fixé à 70 ans et validé par le Conseil constitutionnel, après la suppression envisagée (mais repoussée) de la demi-part fiscale à vie pour les personnes ayant élevé seules un enfant, un nouveau coup se prépare. Il concerne cette fois-ci les mères de famille salariées du privé qui bénéficient d’une compensation familiale résultant de la charge d’enfant. Un rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) consacré aux « droits familiaux et conjugaux », qui doit être rendu public ce jeudi 18 décembre, préconise de réduire de deux ans à un an la majoration de cotisation dont bénéficient les mères. L’instance réunissant parlementaires, représentants des partenaires sociaux, experts et représentants de l’État estime que ces deux années « offertes » ne sont pas « l’instrument le plus adapté » et propose de les compenser par une augmentation de la pension de 100 à 500 euros par an et par enfant. Ces compensations ont été instituées, rappelle la Caisse nationale d’allocations familiales, pour « corriger les déséquilibres liés à l’existence de charges de famille, compenser les interruptions d’activité, pallier le défaut d’épargne résultant de la charge d’enfant » ou encore « encourager la natalité ». La Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) a cependant mis en cause ces compensations, et demandé au gouvernement d’accorder aux pères les mêmes droits qu’aux mères. La Halde juge « discriminatoire » que les hommes ne puissent bénéficier de la bonification qui existe déjà dans le secteur public. Au-delà de la « discrimination » liée à l’évolution sociologique des familles, l’aspect financier semble motiver les membres du COR, qui ont chiffré cette mesure entre 3,5 et 4 milliards d’euros par an, à ajouter aux 3,5 milliards versés au titre de l’assurance-vieillesse des parents au foyer et aux 6 milliards versés au titre de la bonification pour les assurés ayant élevé au moins trois enfants. Le COR suggère des évolutions à « enveloppes budgétaires constantes », mais les associations familiales y voient un marché de dupes. François Fondard, président de l’Union nationale des associations familiales, a rappelé que « les deux années de majoration par enfant sont essentielles en matière de revalorisation des retraites des femmes, qui sont inférieures de 40 % à celles des hommes, surtout parce qu’elles ont arrêté de travailler ». Or, ces inégalités persistent, et la législation européenne précise que le principe d’égalité n’empêche pas le maintien ou l’adoption de mesures en faveur du sexe désavantagé. Comment ne pas voir dans les propositions du COR la préparation de nouvelles mesures de réduction des retraites ?

u fond de leur marasme, les bourses montent un jour, chutent un autre, mais l’économie, la vraie, ne cesse de s’enfoncer. On ne saurait reprocher aux institutions étatsuniennes leur passivité. Au mois d’août 2007, la banque centrale de ce pays, la Réserve fédérale, initiait une série de baisses de son taux d’intérêt. Les journaux assommaient leurs lecteurs des sommes prétendument faramineuses que celle-ci injectait dans l’économie pour soutenir le système financier en crise: un saut de 30milliards de dollars (moyenne janvier-juillet 2007) à 45 (pour le reste de l’année). Puis 115milliards début 2008 (janvier-mars). Pourtant, les montants déversés jusqu’à cette date apparaissent désormais bien modestes. En mars2008, se produisait le premier bond en avant dans la masse des crédits, accompagné d’une diversification des modes d’intervention visant à leur élargissement: une multiplication par un facteur d’environ 4 du soutien total jusqu’à 454milliards (avrilseptembre 2008). Enfin du sérieux. Ce premier cataplasme fut appliqué pendant un semestre. Un an de crise, déjà, mais la fièvre ne tombait pas. Voilà que la Réserve fédérale étend de nouveau le volume de son soutien. Encore une multiplication par 4 : 1 882 milliards en novembre!

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«Dépression» ? On ose à peine prononcer le mot, mais on y songe. Le chômage de masse, la misère…

– Globalisation de la crise. Le dernier trimestre 2008 signale l’extension de la crise à l’ensemble de la planète. Jusqu’alors, on pouvait penser que la vente de titres douteux au reste du monde avait propagé la gangrène aux pays qui financent l’économie étatsunienne par leurs placements. Mais les choses sont plus sérieuses. La GrandeBretagne, petite sœur des États-Unis dans la course à la financiarisation, est profondément ébranlée. Certains s’alarment: peut-on encore sauver Londres dans son rôle de plate-forme financière mondiale? Le beau rêve de Margaret Thatcher tournerait-il au cauchemar? À la confusion financière s’ajoute le chaos monétaire. La tempête des mouvements de capitaux souffle sur les taux de change. Le yen s’envole visà-vis du dollar, alors que tous prévoyaient l’effondrement du billet vert, et la plupart des autres monnaies (l’euro, la livre, mais aussi le réal brésilien) décrochent par rapport au dollar. En quatre mois, le yen s’est apprécié de 16 % ; le réal a perdu 37 % (1). Certains pays dits émergents sont confrontés à la fonte de leurs réserves en devises. Peu après septembre 2008, et pas par hasard, la Banque centrale européenne sort de sa torpeur et déverse à son tour ses crédits sur le système financier. Le FMI intervient à la hauteur de ses moyens mais, surtout, la Réserve fédérale inonde la planète de dollars par le biais de gigantesques opérations d’échange de monnaie (dites de swap). Une charité bien ordonnée qui commence par le désir de préserver la prééminence internationale du dollar.

Trois phénomènes nouveaux sont intervenus autour de septembre 2008 : faillites, récession et globalisation de la crise.

Trois phénomènes nouveaux sont intervenus autour de septembre2008. Ils ont pour noms faillites, récession et globalisation de la crise. – La vague de faillites des sociétés financières prend des proportions alarmantes. Les institutions de refinancement des crédits immobiliers Fannie Mae et Freddie Mac (privatisées dans les années 1970 mais dites «sponsorisées» par le gouvernement) sont reprises en main par l’État. Le monde voit défiler les plus grands noms de la finance au bord de la faillite ou sauvés de justesse: Lehmann Brothers, AIG, Wahington Mutual, Merryl Lynch, Citigroup… – L’économie des États-Unis se précipite dans la récession. Les prévisions pour 2009 laissaient entrevoir des chutes de la production de 0,1%, vite réajustées à 1%, mais de vrais chiffres catastrophiques sont avancés à mots couverts. Si le sauvetage de la finance reste une préoccupation majeure, ce qui inquiète le plus maintenant est la chute de la demande intérieure. Aux ÉtatsUnis, on peut parler d’un effondrement des ventes «de détail». Les conjoncturistes ont les yeux rivés sur le nombre de véhicules vendus, une diminution de 24% en un an. Les géants de l’automobile sont au bord du gouffre. L’ombre de la crise de 1929 plane.

« Disposés à tout », au moins «à beaucoup» : l’extension des soutiens depuis septembre2008 en fait la preuve. Mais tous les indicateurs sont désormais au rouge et signalent que la détermination à agir ne suffit pas à arrêter la glissade. Comment soutenir alors l’activité? Côté offre de crédit, les banques sont au plancher. Côté demande de crédit, les ménages ont crevé le plafond. Reste l’État, le budget cette fois. Tout va reposer sur lui. La mécanique est déjà en marche aux États-Unis: un déficit qui atteint 6% de la production du pays. L’équipe de Barack Obama annonce un plan de 1000 milliards de dollars. De l’autre côté de l’Atlantique, risquons un pronostic: le seuil européen des 3% ne résistera pas à la crise. (1) Par rapport au dollar, entre le 1er août et le 4 décembre. * Directeur de recherche au CNRS.

T. B. JEUDI 18 DÉCEMBRE 2008 / POLITIS / 13

Économie solidaire ENTRETIEN

L’économiste belge Bernard Lietaer est spécialiste des systèmes monétaires et a participé à la création de l’euro. Il préconise la création de monnaies régionales pour sortir de la crise économique actuelle.

La crise financière est pour vous l’occasion de présenter dans un livre, Monnaies régionales, de nouvelles voies vers une prospérité durable, une proposition peu orthodoxe : il s’agit d’encourager l’introduction de monnaies régionales comme complément nécessaire à l’euro. Pourquoi avoir recours à de telles devises ? Bernard Lietaer : Quand on parle de développement régional avec une monnaie centralisée, il y a une contradiction systémique. Une monnaie centrale a comme effet de concentrer les décisions et les ressources. Le cas français est assez clair. Paris est devenu incontournable. Une monnaie régionale couvre un territoire géographique donné, auquel les gens s’identifient. Aussi, ces derniers sont disposés à faire des efforts pour le développement de cette région. Sur le plan social, la monnaie régionale permet une cohésion locale renforcée. Sur le plan commercial, les entreprises locales utilisent la monnaie régionale comme outil de fidélisation, ce qui leur permet de mieux survivre aux assauts des grandes chaînes commerciales. Les monnaies régionales de type crédit mutuel sont créées par les gens ou les entreprises lors de l’échange : le vendeur reçoit un crédit, l’acheteur le débit correspondant. Dès qu’il y a accord pour faire un échange, cette monnaie est donc par définition disponible en quantité suffisante. Au contraire des euros, que l’acheteur doit obtenir de sa banque. Si la banque ne veut pas ou ne peut pas fournir le crédit, tout s’arrête. De nouvelles monnaies sont-elles expérimentées en Europe ? En Allemagne, il y a 28 monnaies régionales en circulation. Un des systèmes les plus mûrs doit avoir 7 ou 8 ans, c’est le Chiemgauer, en Bavière. Un Chiemgauer vaut un euro. Les associations locales peuvent en acheter 100 à 97 euros et les vendre aux consommateurs à 100 euros, gagnant ainsi 3 euros pour leurs propres activités. Les consommateurs achètent des Chiemgauer à l’association qu’ils veulent appuyer, leur donnant des revenus supplémentaires sans qu’ils aient besoin de faire une donation. Puis ils dépensent cette monnaie dans des magasins locaux, soutenant aussi bien les associations que les commerçants. Les boutiques acceptent 100 Chiemgauer comme équivalents de 100 euros et les dépensent pour leurs propres achats, ou les remboursent 95 euros. Elles attirent ainsi des consommateurs additionnels. Elles peuvent ensuite soit utiliser les Chiemgauer pour

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«Les monnaies régionales peuvent réduire le chômage»

La plupart des gens continuent à penser que l’euro est la seule monnaie possible.

payer leurs fournisseurs, soit encaisser les 100 Chiemgauer pour 95 euros. Cela leur coûte donc 5 % de commission, ce qui leur donne une bonne motivation pour faire circuler la monnaie locale plutôt que de l’encaisser en euros. En 2007, ce système représentait cinq millions d’euros pour l’économie régionale. On a récemment fait une enquête auprès des entreprises participantes et des citoyens, et les gens en sont très contents. Notez que ce type de monnaie n’est pas rare : il y en a, entre autres, au Japon et en Suisse. La monnaie régionale permet de diversifier les modèles de développement, et aujourd’hui de faire face aux défis de la crise. Comment une monnaie régionale pourrait-elle être une solution à la crise économique actuelle ? Tout ce que les gouvernements sont en train de faire pour sortir de la crise relève de décisions nationales : on sauve les banques et les entreprises clés avec des centaines de milliards d’euros. Les solutions que l’on propose sont celles que le Japon a testées pendant dix-huit ans sans résultat : renflouer les banques, faire tomber les taux d’intérêts jusqu’à zéro, commencer des grands projets de construction pour une relance économique keynésienne… Je pense que ces mesures échoueront

chez nous aussi car le problème est structurel, non conjoncturel. Même si la crise bancaire semble résolue, les banques ne pourront pas fournir des crédits aux entreprises comme avant. L’économie va ralentir. Aujourd’hui, 5 500 emplois disparaissent en Europe chaque jour ! En France, ne mentionnons que la fermeture d’Amora à Dijon ou le dépôt de bilan de la Camif. Les monnaies régionales ne permettront pas d’éviter la crise, mais je suis certain qu’elles pourront en réduire la longueur et la profondeur. Avec une monnaie régionale, les entreprises pourront se prêter de l’argent entre elles et garder les personnes dans l’emploi. Un tel système a démontré son efficacité en Suisse. Il est utilisé depuis soixante-quinze ans par 65 000 entreprises du pays. Il s’appelle le WIR. La WIR banque fonctionne en deux monnaies : le franc suisse et le WIR. Les entreprises s’échangent des crédits en WIR. Si les entreprises françaises intègrent ce système et s’échangent des activités de l’ordre de 10 % de leur chiffre d’affaires, c’est une bonne partie de la crise qui sera évitée. Dans la mesure où la crise est sérieuse, on a intérêt à mettre en place des systèmes de monnaies régionales dans un avenir proche.

Économie solidaire

Est-il possible de mettre en place ce système en France ? Bien sûr. Vous avez déjà décentralisé le pouvoir aux régions d’un point de vue administratif de façon impressionnante. Mais, vous n’avez pas donné l’outil principal aux régions pour se développer : la monnaie. Mon objectif est de déployer un dispositif de monnaies régionales qui couvriraient la zone euro, et qui seraient compatibles entre elles. Cette monnaie pourrait s’appeler eurocom, « com » comme complémentaire ou commercial. Un eurocom vaudrait un euro. Cette monnaie permettrait de réduire l’impact de la crise pour les petites et moyennes entreprises. Elle aurait pour rôle de connecter des besoins non satisfaits en euros avec les ressources sous-utilisées d’une région, de réduire le chômage dans une localité ciblée et de renforcer le pouvoir d’achat. Chaque région utiliserait l’eurocom en fonction de ses propres priorités. Dans votre livre, vous insistez sur la fonction sociale des monnaies régionales. Serait-ce un moyen de résoudre certains problèmes sociaux ? Effectivement, en plus d’une monnaie régionale pour les affaires économiques de type WIR, on a déjà introduit dans cinq régions de France le système SOL, porteur de plusieurs monnaies à fonction sociales sur une seule carte à puce. Ce système comprend, entre autres, une monnaietemps pour des échanges de services et de connaissances. La plupart des gens continuent de penser que l’euro est la seule monnaie possible. Pourtant, historiquement, en France, les monnaies régionales étaient partout. On a connu plus de mille ans d’histoire avec des monnaies régionales en France. C’est seulement à partir de Napoléon que les derniers vestiges de monnaies régionales ont complètement disparu. La crise économique remet en cause le système capitaliste et mondialisé dans lequel nous vivons. Les monnaies régionales pourraient-elles pallier les effets négatifs de la mondialisation ? Une stratégie de monnaies régionales est un outil efficace pour contrebalancer la mondialisation. En effet, la mobilité globale du capital, qui a transformé le monde en un espace économique unique, n’est pas neutre : elle fait partie des mécanismes qui accentuent l’inégalité dans les revenus et dans l’accès aux ressources de la planète. Une monnaie régionale évite la perte d’identité, recrée les communautés et relocalise l’économie. Elle permet aux entreprises locales de se défendre contre les multinationales. Les Français seront en meilleure condition pour se sortir de la crise avec l’euro et des monnaies régionales.

UNIVERSITÉ POPULAIRE

Changer notre regard sur l’économie

Au service des territoires

Quand Bernard Lietaer et Margrit Kennedy proposent de développer des monnaies régionales, dites aussi complémentaires, ils changent notre regard sur les processus économiques locaux et internationaux. Et tentent d’apporter une réponse à une crise financière puis économique qui est loin d’être achevée. Pour eux, une monnaie régionale « a comme rôle de connecter des besoins non satisfaits en euros avec les ressources sous-utilisées de la région». Leur préoccupation est sociale et écologique, et leur expérience est précieuse. Margrit Kennedy, professeur d’architecture et d’urbanisme en Allemagne, spécialisée dans les techniques de construction écologique, a inspiré avec Bernard Lietear le lancement de 63projets de monnaies régionales en pays germanophone. Cet universitaire classique, professeur de finance internationale, a fait carrière à la Banque centrale de Belgique où il a été notamment responsable de la conception et de la mise en œuvre de l’ECU, le système de convergence qui a abouti à l’euro. Le message que veut faire passer ce spécialiste des systèmes monétaires suppose une révision drastique des théories en vigueur. Un illustre prédécesseur avait déjà emprunté cette voie en imaginant des monnaies duales. Il se nommait Keynes.

La sixième rencontre de l’Université populaire et citoyenne de Paris aura lieu le 13 janvier sur le thème : « De nouvelles politiques pour une économie au service des territoires et des populations ». Organisée par le Cnam, Social Polis et l’institut CDC (Caisse des dépôts) pour la recherche, en partenariat avec Alternatives économiques, Politis, l’Institut Polanyi et I’Institut européen pour l’économie solidaire (Inees), cette rencontre présentera « les politiques publiques qui se mettent en place pour soutenir des formes et logiques économiques au service des territoires et des

populations », regroupées sous l’appellation d’économie sociale et solidaire. L’entrée est gratuite, mais le nombre de places est limité. Il est donc recommandé de réserver dès à présent sa place. Inscriptions : Nadine da Rocha, tél. : 01 58 80 88 29, 01 40 25 10 85, [email protected]

ÎLE-DE-FRANCE

De nouveaux financements Francine Bavay, viceprésidente du conseil régional d’Île-de-France, chargée de l’économie sociale et solidaire (ESS), a obtenu de nouvelles subventions pour ce secteur, à hauteur de 1,3 million d’euros. Présentées le 27 novembre à la commission permanente du conseil

régional, une série de mesures de soutien à l’ESS ont été adoptées. Parmi les organisations subventionnées, figure l’Association pour le droit à l’initiative économique (Adie), les couveuses et coopératives d’activités et d’emploi, Fair Planet, créateur de la marque Tudo Bom. Des conventions triennales ont été adoptées avec, notamment, l’association Chantier École et l’association Pades, programme d’autoproduction et de développement social. Les rencontres « Produit intérieur doux » (20082009), projet porté par la coopérative ouvrière de production (scop) Direction humaine des ressources (DHR), ont aussi obtenu l’appui du conseil régional.

T. B. Monnaies régionales, de nouvelles voies vers une prospérité durable, Bernard Lietaer et Margrit Kennedy, éditions Charles-Léopold Mayer, 256 p., 20 euros.

PROPOS RECUEILLIS PAR MANON LOUBET JEUDI 18 DÉCEMBRE 2008 / POLITIS / 15

Société FAMILLE

Qui va garder

les enfants? Crèches, haltes-garderies, assistantes maternelles… Les systèmes de garde français sont divers mais s’adaptent encore mal à l’évolution des familles et des rythmes de travail, malgré quelques initiatives associatives.

La France a adopté une politique volontariste dans les années 1980 : développement des crèches et autres modes de garde, aides financières pour la famille, reconnaissance du métier d’assistante maternelle, etc. « C’est le résultat d’un mouvement des femmes pour concilier vie familiale et professionnelle, explique Danielle Boyer, sociologue à la Caisse nationale d’allocations familiales (CAF). Mais aussi d’une préoccupation forte pour maintenir un taux de natalité élevé. » Avec l’Irlande, la France détient le plus fort taux de natalité d’Europe (près de deux enfants par femme), et 82 % des Françaises de 25 à 49 ans travaillent. Un record. Pour promouvoir l’accès des femmes à l’emploi, mais aussi faire face au vieillissement de la population, l’Union européenne a fixé des objectifs aux États membres : ils doivent prévoir des structures d’accueil pour au moins un tiers des enfants n’ayant pas l’âge d’être scolarisés. La France est bonne élève puisque 30 % des 2,4 millions d’enfants de moins de 3 ans bénéficient d’un mode de garde. Ce qui ne règle qu’une partie du problème : quelle solution pour les autres ? Bien souvent, il n’y en a qu’une : la famille. C’est-à-dire la mère, pour l’immense majorité. 98 % des bénéficiaires du congé parental, qui interrompent donc leur carrière pour un temps plus ou moins long afin d’assurer la garde 16 / POLITIS / JEUDI 18 DÉCEMBRE 2008

de leurs enfants, sont des mères. « En France, rien n’est fait pour inciter les pères à prendre un congé parental, déplore Danielle Boyer. La question de l’égalité entre hommes et femmes, notamment dans le monde professionnel, n’est pas au centre des dispositifs. Tant que les inégalités se maintiendront dans l’emploi, elles se maintiendront dans la vie privée. » Et tant que les femmes seront globalement moins payées que les hommes, le choix de celui qui s’arrête de travailler pour s’occuper des enfants continuera à se porter sur elles. Érigé en modèle, le dispositif suédois privilégie la coparentalité : le congé parental y est de 16 mois, rémunéré à 80 %, dont 30 jours non transférables, obligatoirement réservés au père. « La plupart ne vont pas audelà des 30 jours. Donc c’est la femme qui reste à la maison, nuance Danielle Boyer. En France, la ségrégation exercée au travail envers les femmes est verticale. Mais, en Suède, la discrimination est d’une autre nature : elles sont cantonnées dans des sphères professionnelles particulières, et surreprésentées dans les services publics. Tandis qu’en France elles ont investi à peu près tous les champs professionnels. Nous n’avons pas la même histoire. » Reste qu’en termes d’accueil la France a encore de gros efforts à fournir. Il faudrait

300 000 à 500 000 places supplémentaires tous modes de garde confondus. Le système accuse également des disparités en termes de coût : malgré le versement à la famille d’aides directes de la CAF via la Prestation d’accueil du jeune enfant, le coût restant à la charge des familles dépend largement du mode de garde. La crèche est le moins onéreux : 230 euros par mois en moyenne, le tarif étant indexé sur les revenus déclarés, contre plus de 300 euros par mois pour une assistante maternelle. Les crèches, qui sont financées par les collectivités et subventionnées par les CAF, n’accueillent que 9 % des enfants gardés à l’extérieur. Le recours à une assistante maternelle concerne plus de 18 % d’entre eux. Si 11 000 places de crèches sont créées chaque année, le rythme est loin d’être suffisant, et la demande ne cesse d’augmenter. Autre enjeu pour la politique de la petite enfance : répondre à la mutation de la structure familiale. La multiplication des familles recomposées, homoparentales ou monoparentales oblige aussi à repenser le système des modes de garde. Le nombre de familles monoparentales explose. Fragiles économiquement, celles-ci n’ont d’autre alternative que de se maintenir

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es parents en savent quelque chose. Pour ceux qui, par désir ou nécessité, doivent concilier vie professionnelle et vie familiale, la recherche d’une place en crèche ou d’une assistante maternelle pour les tout-petits est un moment crucial, voire une source d’angoisse. D’autant qu’en matière de garde d’enfants, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. La France possède l’un des meilleurs systèmes au monde pour les moins de 3 ans : crèches (municipales, associatives, parentales), haltes-garderies, jardins d’enfants, assistantes maternelles, assistants familiaux. Mais si la diversité existe, le modèle français souffre de disparités importantes : pénurie de places, inégalités géographiques, incompatibilité avec les horaires de travail. Comment adapter les modes de garde aux rythmes de travail actuels ? Un dossier de taille pour les politiques publiques.

Les crèches n’accueillent que 9 % des enfants gardés à l’extérieur.

SANTÉ

Psychiatrie

Société

Les initiatives qui se multiplient pour répondre à certaines contraintes horaires sont principalement associatives : crèches parentales, crèches à horaires élargis, etc. À Paris, l’association la Maison des bout’chou a, depuis 1994, ouvert deux crèches collectives « à horaires décalés » dans les XIIIe et XIVe arrondissements. Elles offrent une amplitude horaire inédite : 5 h 30-22 h et accueillent en priorité les enfants dont les parents ont des horaires atypiques. « Le matin, ce sont surtout ceux qui travaillent dans les centres de tri de La Poste, sur les marchés, dans des sociétés de ménage ou dans la restauration collective, et le soir, les intermittents du spectacle, les professions libérales et les parents travaillant dans la vente », explique Odile Paris, chargée de la coordination au sein des deux établissements. Si les horaires sont extensibles, chaque enfant ne peut rester plus de dix heures par jour dans ces crèches. Odile Paris estime néanmoins que ce type de structure ne doit pas devenir la règle. « L’important est de respecter le rythme de l’enfant. Un enfant qui arrive à 5 h 30, c’est un enfant qui est réveillé très tôt. Il s’agit de répondre à un besoin et non d’en créer de nouveaux. Alors, quand on entend parler du travail le dimanche… » Augmenter l’offre. Nadine Morano, secrétaire d’État à la famille, l’a bien compris : le 26 novembre dernier, elle a assuré vouloir créer 200 000 à 400 000 places, tous modes de garde confondus, d’ici à 2012. Mais elle a aussi affirmé ne pas pouvoir « couvrir la France de crèches », déficit de la Sécurité sociale oblige. Comment compteelle donc s’y prendre ? « En assouplissant les normes et en optimisant l’existant », assuret-elle. C’est-à-dire en diminuant le taux d’encadrement, qui est actuellement d’un adulte pour cinq enfants ne marchant pas, d’un adulte pour huit enfants en âge de marcher au sein des crèches, et de trois enfants par assistante maternelle. Cette annonce inquiète le personnel de la petite enfance qui redoute de devoir sacrifier la qualité aux impératifs numériques. Et, par là même, de voir les conditions de travail et d’accueil se dégrader. MATHILDE AZEROT

L’évolution du marché du travail, qui impose de plus en plus de « flexibilité », rend inadéquats les horaires pratiqués par les crèches classiques. Nombreux cumulent donc crèche et baby-sitter, avec le coût supplémentaire que cela implique.

IMMIGRATION

Droit au travail pour les Roms En France, sans travail, on n’a droit à rien. C’est le contrat de travail qui conditionne le droit à un titre de séjour, à un logement, à l’assurance-maladie… Mais le droit de bosser n’est pas donné à tout le monde : les procédures menant au permis de travail sont interminables pour les demandeurs étrangers et coûteuses pour les employeurs, qui doivent verser une redevance minimum de 893 euros à l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations (Anaem). Un véritable frein. En outre, pour bénéficier d’un titre de séjour, il faut faire valoir un certain niveau de ressources, ce qui exclut de fait les emplois à temps partiel. En bref, rien n’incite à l’embauche d’étrangers. Même quand ils proviennent d’un des nouveaux entrants dans l’Union. En effet, contrairement à d’autres pays membres, la France a décidé de prolonger jusqu’en 2011 la période transitoire restreignant l’accès au travail des ressortissants roumains et bulgares. Conséquence : « Sur les quelque 3 000 Roms vivant en Île-deFrance [une estimation, NDLR], seule une poignée travaille légalement », explique Chloé Faouzi, coordinatrice du collectif Romeurop. Et ce, par le biais de la fameuse liste de 150 « métiers sous tension » ouverts aux ressortissants des pays tiers. Soit des postes peu qualifiés représentant 40 % des offres ANPE et couvrant presque tous les secteurs, d’après le collectif. La plupart des Roms sont donc contraints à la précarité ou à l’illégalité. C’est pourquoi une partie d’entre eux a pris l’initiative d’un rassemblement le 10 décembre, à Paris, pour réclamer le droit de travailler. Ils étaient plus de 300Roms, arrivés notamment des bidonvilles de SeineSaint-Denis et du Val-d’Oise, dans 7 bus affrétés par Romeurop, et environ 150 militants associatifs à se retrouver à l’intersection du ministère du Travail et de la Délégation européenne place Édouard-Herriot dans le VIIe arrondissement. Si le ministère n’a pas daigné les recevoir, les manifestants ont reçu meilleur accueil de la part des instances communautaires, qui leur ont témoigné « plus que de la courtoisie : de l’intérêt », se félicite Chloé Faouzi. Il faudra néanmoins un vrai poids politique pour lever le fameux « régime transitoire ». Principal argument avancé par les pouvoirs publics : le chômage. Mais, d’une part, rien ne prouve que les travailleurs roumains et bulgares déséquilibreraient le marché du travail. Et, d’autre part, comment expliquer ce barrage contre certains citoyens européens en particulier ?

I. M.

AFFAIRES DE MARCIAC ET PAVIE

Gendarmes contre profs Les versions divergent. Le récit par les enseignants de l’intervention de gendarmes dans des établissements scolaires de Marciac et Pavie, mi-novembre, a été démenti par le major Jeannyck Tribout, commandant de la brigade territoriale autonome d’Auch. « Le chien n’a agressé personne et n’a démoli aucun ordinateur ou vêtement. Il y a eu des fouilles/palpations de personnes qui ont été “marquées” par le chien, avec leur accord. Aucune personne ne s’est retrouvée en caleçon », a-t-il précisé entre autres choses. Les personnels du Centre de formation et d’apprentissage de Pavie, choqués, réaffirment l’irrespect des forces d’intervention ce jour-là, et la dégradation de matériel. La polémique n’en finit pas de rebondir.

UNIVERSITÉS

Appel du 12 décembre Les enseignants-chercheurs de Paris-I montent au front. Afin de protester contre « la menace de dégradation des savoirs à l’université induite par les réformes en cours», ils ont lancé le 12décembre un appel pour réclamer la suppression du projet de décret sur le statut des enseignantschercheurs et la suspension des projets de réforme sur la masterisation et le concours de recrutement des enseignants. Ils se disent prêts à organiser manifestations et/ou rétention de copies et de maquettes de masters s’ils ne sont pas entendus. [email protected]

IMMIGRATION

Directive de la honte

GOULIAMAKI/AFP

sur le marché du travail ou de s’en éloigner le moins longtemps possible. Plus généralement, l’évolution du marché du travail, qui impose de plus en plus de « flexibilité », rend inadéquats les horaires pratiqués par les crèches classiques (7 h18 h 30). Nombreux cumulent donc crèche et baby-sitter, avec le coût supplémentaire que cela implique. Les crèches d’entreprises proposent plus aisément des horaires élargis, mais rares sont les sociétés qui en possèdent (environ 2 %). « En France, la participation des employeurs dans la vie privée est socialement mal acceptée, note Danielle Boyer. Les entreprises restent réticentes. »

Le 2décembre, Nicolas Sarkozy a annoncé «un plan de sécurisation des hôpitaux» qui fait bondir la profession. Création de 200 chambres d’isolement, contrôle des permissions de sortie, systématisation des soins sous contrainte, utilisation de bracelets électroniques…Une fois de plus, le chef de l’État répond par la sécurité à l’émotion engendrée par un fait divers. Ici, l’agression mortelle d’un étudiant grenoblois par un patient. « Relance d’une politique de la peur», s’insurgent 39soignants dans un appel publié par Libération le 15décembre. « En amalgamant la folie à une pure dangerosité sociale, en assimilant la maladie mentale à de la délinquance, est justifié un plan de mesures sécuritaires inacceptables.»

Votée par le Parlement européen le 18juin, la directive Retour institutionnalisant l’expulsion des étrangers a été adoptée le 9décembre sans débat au Conseil des ministres «Transports, télécommunications et énergie» de l’Union. « Contrairement à ce qui a été indiqué à l’issue du Conseil, ce texte a une incidence sur le droit d’asile, il ne respecte pas les droits des personnes en situation irrégulière, et il n’offre pas de disposition spéciale pour les personnes vulnérables», rappelle un collectif d’associations de défense des migrants qui demande au président en exercice de l’Union, au président de la Commission et au président du Parlement de saisir la Cour de justice des communautés européennes. JEUDI 18 DÉCEMBRE 2008 / POLITIS / 17

Monde

Échos

GRÈCE

ICI…

La révolte de la jeunesse grecque est loin d’être seulement l’affaire de mouvements anarchistes. Toute une classe d’âge est concernée. Reportage.

LABAN-MATTEI/AFP

VITRINE DE GRANDES ENSEIGNES BRISÉES, banques van- 33 ans, avocate, qui a quitté le foyer parental il y a dalisées, rixes quotidiennes entre jeunes émeutiers seulement deux ans. et forces de l’ordre, mises à sac de commissariats, Dans le flot des manifestations quotidiennes à traà Athènes et dans le reste de la Grèce. Le pays vers le pays, les revendications fusent : une meilleure n’avait pas connu un tel chaos depuis la révolution couverture sociale, l’accès à la création de richesses de 1974 et la chute de la dictature des colonels. Le et, surtout, un meilleur système éducatif. En effet, le détonateur : la mort d’Alexis Grigoropoulos, 15 ans, budget consacré par l’État grec à l’éducation est en sous le feu d’un policier le 6 décembre dernier. dessous de la moyenne européenne, selon le Fonds Aux avant-postes de la fronde, de jeunes anarchistes social européen. « Si je veux avoir mon bac, les cours et des mouvements d’extrême gauche. Mais aussi dispensés au lycée ne suffisent pas », assure Alexandra, des novices qui lancent leurs premiers projectiles 17 ans, inscrite dans une école privée allemande à contre la brigade anti-émeute grecque. Constantin, Athènes. La lycéenne reçoit ainsi des cours particu18 ans, fait partie de ceux-là. Étudiant en droit, liers de grec ancien, d’histoire, de littérature, d’ansympathisant d’extrême gauglais et d’allemand. « Je ne suis che mais affilié à aucun moupas la seule, tout le monde fait vement politique, il en ça. » Et d’ajouter, résignée : découd presque chaque soir « Partir à l’étranger pour y trouavec la police dans les avever un emploi ? Je ne le veux pas, nues du centre-ville ou à mais il le faudra bien. » proximité de l’Université polytechnique d’Athènes, « C’est un malaise social qui ne occupée par des étudiants concerne pas les classes popuanarchistes. « Il y a une colère laires mais les classes moyennes, accumulée depuis tant de estime Panayis Panagiototemps, lâche-t-il. Les manipoulos, sociologue à l’Unifestations pacifistes n’ont jusversité d’Athènes. Ces jeunes qu’ici rien donné. Ces émeumanifestent une angoisse de pertes ont un sens politique. dition sociale. » Une angoisse Détruire une banque a un sens comprise par le reste de la politique également, c’est s’en population : professeurs, prendre à ceux qui se font de commerçants vandalisés et l’argent sur notre dos. » parents. « Pour la première fois, L’action des casseurs trouve les parents vont voir leurs enfants même grâce aux yeux de cergagner moins qu’eux. L’éconotains manifestants, qui restent mie ne parvient pas à assurer la à distance des échauffourées mobilité sociale », poursuit le dans les cortèges. « Je n’apsociologue. prouve pas les actes de vandaÀ l’heure de la crise, la peur lisme commis ces derniers jours, du déclassement social explique Néphélie, 20 ans, La «génération 700 euros» crie son ras-le-bol. touche donc en priorité les venue assister à un rassemclasses moyennes. Pour les blement pacifiste de lycéens et d’étudiants devant le manifestants, le départ de Costas Caramanlis, à la Parlement. Mais ici, si on veut se faire entendre, on n’a pas tête du gouvernement réélu en 2007, devient urgent. le choix, malheureusement. » « Nous avons connu trop de scandales politiques ces derniers mois… Ça devait péter, je m’y attendais, affirme Très rapidement, le mouvement devient l’expression Alex, la trentaine. Caramanlis doit s’en aller. » d’un ras-le-bol de la « génération 700 euros ». Cette Démission ou élections anticipées, le Premier misomme est le salaire moyen que peut espérer gagner nistre a exclu ces deux hypothèses vendredi. Un un jeune de 20 à 30 ans pour un premier emploi à malaise social qui fait aussi écho à un malaise politemps plein. Une classe d’âge qui semble ne pas avoir tique au sein de la société grecque. « Cela fait au goûté à une croissance économique que beaucoup moins vingt ans que les gens en ont marre de la politique. de pays européens envieraient (3,9 % en 2007). En Aujourd’hui, le gouvernement est devenu illégitime », effet, le chômage chez les jeunes de 15 à 24 ans constate Panayis Panagiotopoulos. atteint 22,9 %, le taux le plus élevé dans l’Union « Optimiste ? Je me dois de l’être, souffle Kyriaki, étueuropéenne. Pour eux, peu de chances de quitter diante en sociologie, venue manifester pacifiquement le nid familial avant 30 ans, à moins de cumuler deux, devant le Parlement à Athènes. Mais, si j’étais réaliste, voire trois emplois à temps plein. « Comment vou- je dirais que rien ne va changer. Après tout, nos problèmes lez-vous faire avec un salaire de 700 euros et payer un sont ceux de toute une génération européenne. » loyer de 300 euros pour un petit studio dans les quartiers populaires d’Athènes ? », s’interroge Metexia, ARIANE ET STÉPHANE PUCCINI (YOUPRESS.FR) 18 / POLITIS / JEUDI 18 DÉCEMBRE 2008

Recyclage de fonds Éco-emballage, qui collecte les cotisations des entreprises pour organiser des circuits de tri sélectif et de recyclage des déchets d’emballages, plaçait aussi sélectivement une partie de sa trésorerie: aux Îles Caïman, paradis fiscal notoire, où l’on recycle beaucoup d’argent sale. Mais, avec la crise financière, l’organisme aurait perdu au moins 15 millions d’euros. Une goutte d’eau face aux milliards aspirés par la tourmente internationale. Sauf qu’Écoemballage est agréé par les pouvoirs publics: Borloo a demandé la tête du directeur, obtenue lundi dernier, 24 heures avant l’échéance du contrat avec l’État.

Union sacrée Gaëtan Gorce a « remercié» samedi Jean-Pierre Jouyet, le secrétaire d’État aux Affaires européennes, « pour les services qu’il a rendus –dans un contexte politique difficile– à la cause européenne». Et salué «l’élégance intellectuelle et la compétence» de son successeur, Bruno Le Maire, ex-directeur de cabinet de Villepin. Le député socialiste de la Nièvre a tenu à préciser qu’il s’exprimait « à titre personnel et comme militant de l’Europe». Une précision bien inutile au regard de l’union sacrée en vigueur au PS sur ce dossier: « Quand nos engagements européens sont en cause, il n’y a plus de clivages politiques qui demeurent», déclarait François Hollande, le 21octobre, sur RTL. FEDOUACH/AFP

Le cri d’une génération

Réforme, mode d’emploi ! Il circule depuis peu sous le manteau. Le Livre blanc de TF 1 est un petit rapport concocté par la maison Bouygues. Il contient les éléments essentiels de la réforme de l’audiovisuel public imposée par Sarkozy. Ce rapport lui a été remis juste avant la décision du 8 janvier. Il dénonce les contraintes de programmation, l’impossibilité de posséder en même temps une chaîne, une radio et une presse, suggère une seconde pub dans les fictions, un allongement des pubs par heure et surtout la suppression des recettes publicitaires pour le service public. Libéralisation, dérégulation. Y avait qu’à demander ! Bouygues en rêvait, Sarkozy l’a fait.

LE CHIFFRE

29 janvier

2009, c’est la date retenue par l’ensemble des syndicats (CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, FO, FSU, Solidaires et Unsa) pour une journée nationale de grève et de manifestations. « La crise économique amplifiée par la crise financière internationale touche durement une grande partie des salariés dans leurs emplois et leurs revenus. Alors qu’ils ne sont en rien responsables, les salariés, demandeurs d’emploi et retraités en sont les premières victimes », soulignent les syndicats, qui n’ont pas manqué de voir dans le report de la réforme du lycée « un résultat des mobilisations » dans l’éducation. Une nouvelle intersyndicale aura lieu le 5 janvier pour, notamment, « amplifier et construire un rapport de forces ». On n’avait pas entendu cela depuis longtemps.

la

semaine Vu !

EN DEUX MOTS…

Benoît Hamon resterait-il à son poste si Martine Aubry choisissait une ligne politique trop éloignée de ce qu’il défendait dans sa motion? À cette question d’un journaliste dans «Questions de génération», sur France4, lundi, le nouveau porteparole s’en tient à une position de principe: « Il n’est pas question que je sois l’interprète d’une ligne politique que je ne partage pas.» Démissionnera-t-il ? relance notre confrère. « Oui, tranche Hamon, mais j’espère qu’on n’en arrivera pas là.» Voilà la première secrétaire prévenue. Et nous aussi: tant qu’il restera, il sera d’accord.

Le gouvernement va faireexaminer par les députés un projet de loi permettant au gouvernement de limiter le temps dont disposent les députés pour examiner les projets de lois. Le gouvernement a-t-il pris le temps de la réflexion?

OLIVIER BRISSON

…ET AILLEURS L’Europe cède à Israël

Une pointure de héros Le journaliste irakien qui a lancé une paire de chaussures en direction de George Bush est un «héros». C’est l’opinion du Hezbollah libanais, exprimée lundi dans un communiqué. « C’est le baiser d’adieu au nom des veuves, des orphelins et des personnes que vous avez tuées en Irak», a déclaré la formation chiite à l’adresse du président américain. Journaliste d’une chaîne de télévision irakienne, Mountazer al-Zaïdi avait lancé ses chaussures sur George Bush, qui les avait esquivées de justesse, lors d’une conférence de presse à Bagdad.

COUP DE CRAYON…

Notre ami Aurel vient de recevoir le «prix spécial de la parole libre» pour le dessin ci-dessus paru dans leNouvel Obs. Un «prix spécial» pour un «conseiller spécial» qui ressemble évidemment beaucoup à Henri Guaino, auteur du pathétique discours de Dakar prononcé par Nicolas Sarkozy le 26juillet 2007. Voir sur le sujet, dans Politis n°1030, notre article «Leçon d’Afrique pour Sarkozy». www.club-presse-provence.com www.cartooningforpeace.org

Procès d’intention

Le capitalisme de Madoff

BONAVENTURE/AFP

Les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne ont adopté les 8 et 9 décembre, sous l’impulsion de la présidence française, un texte destiné à « rehausser » les relations entre Israël et l’Union. Terrible ironie : ce texte a été entériné le jour même où l’expert de l’ONU sur les droits humains dans les territoires palestiniens, Richard Falk, demandait la mise en œuvre de « la norme reconnue de la “responsabilité de protéger” une population civile punie collectivement par des politiques qui s’assimilent à un crime contre l’humanité ».

Lu !

EMMERT/AFP

de

Entendu ! Hachette toujours Xavier Darcos a choisi Europe1, lundi midi, pour s’expliquer sur le report de la réforme de la classe de seconde: « C’est une décision que j’ai prise moimême, que j’ai mûrement concertée [sic] pendant le week-end, mais évidemment j’ai consulté plusieurs fois le président de la République lui-même, avec qui j’ai eu plusieurs entretiens pour qu’il me donne son accord.» Les concertations étaient telles que, la veille, le ministre révélait « en exclusivité» sa réforme dans un entretien au Journal du dimanche (du même groupe). « Il est temps d’agir», déclarait-il, avant d’estimer lundi que « le climat ne se prête pas à avancer sereinement». Sous SarkoIer, les ministres ont fait leur la devise du Bossu: « Si tu ne vas pas à Lagardère, Lagardère ira à toi.»

Bernard Madoff, ex-patron du Nasdaq, homme aux nombreux amis dans la finance et dans les clubs huppés new-yorkais, est désormais affublé du titre de roi de l’escroquerie. Le prestigieux fonds spéculatif de ce ponte de la finance américaine s’est écroulé comme un château de cartes. Les pertes s’élèveraient à 50 milliards de dollars. La moitié des investisseurs étaient des fonds spéculatifs, le reste de la clientèle étant constitué de banques et de fortunes privées qui ne se sont pas encore fait connaître. L’affaire Madoff devient ainsi le scandale financier le plus important du moment, reposant sur une technique bien connue : promettre des rendements rapides et juteux à des clients tout en puisant dans les dépôts de nouveaux clients pour verser ces rendements. La fraude de Bernard Madoff n’a rien à envier à celle imaginée par Charles Ponzi dans les années 1920. Elle a d’ailleurs été baptisée « chaîne de Ponzi » ou « pyramide de Ponzi » et est devenue un cas d’école qui a suscité de nombreux imitateurs. L’économiste Thomas Coutrot rappelle dans Politis (n° 996, du 3 avril) avec une certaine prémonition que « le parallèle est évident entre la chaîne de Ponzi et le système financier actuel », et souligne que, dans les salles de marché des grandes banques, « exactement la même technique est largement utilisée sous le nom d’“arbitrage” » pour des titres ou des devises. « Comment les Bourses ont-elles pu depuis vingt ans garantir aux investisseurs des rendements moyens aussi élevés ? », s’interroget-il. D’où le développement démentiel des subprimes. Madoff aurait finalement pris plus de risques en promettant la Lune, et son escroquerie aurait pu continuer et passer inaperçue s’il n’y avait eu le krach boursier. Rien n’empêche un système financier totalement libéralisé de recommencer avec un autre Madoff…

THIERRY BRUN

Dans l’hebdomadaire Actualité juive, le journaliste très engagé Clément Weill-Raynal suggère que Pascal Boniface, directeur de l’Iris, a « dérapé lors d’une conférence à Alger », où il aurait, d’après « le quotidien arabophone El Khabar », prôné la constitution en France d’un « lobby musulman […] à l’instar du lobby juif ». Problème : Boniface nie catégoriquement avoir tenu les propos que lui prête le journal algérien. Mais cette minuscule imperfection ne dérange absolument pas Clément WeillRaynal, qui semble considérer cette publication comme une source particulièrement fiable, et qui assène, malgré son démenti, que Pascal Boniface aurait dû « faire preuve d’une plus grande prudence ». Le journalisme, parfois, c’est simple comme un procès d’intention.

Salauds de fonctionnaires Alain Minc voit dans les temps difficiles des raisons d’espérer : « Il y a une partie de la France qui est complètement hors crise », explique-t-il dans le Parisien de lundi. Qui sont ces miraculés ? Les bénéficiaires du paquet fiscal ? Les banquiers à qui le gouvernement vient de voter un secours de 10,5 milliards d’euros ? Le président d’A(lain) M(inc) Conseil ? Nullement : les heureux gagnants sont « ceux qui sont sous statut » – comprendre : les « fonctionnaires », dont l’opulente « épargne est rémunérée à 4 % à la Banque postale ». Des profiteurs, en somme…

JEUDI 18 DÉCEMBRE 2008 / POLITIS / 19

Culture CINÉMA

La grande Varda

C



est quoi, une vieille dame ? À la fin de son nouveau film, les Plages d’Agnès, les amis d’Agnès Varda lui fêtent son anniversaire, apportant en guise de cadeau des balais. En tout, 80 balais, en incluant les quatre petits et adorables balais de chiottes qu’Agnès Varda a installés dans un pot de fleur, et celui qu’on lui a envoyé par Internet. Varda, une vieille dame ? Ce petit bout de femme n’a que 80 ans. Autant dire une gamine, une gamine espiègle, originale et tendre, qui a déjà un long passé, en particulier de cinéma. Tel est le sujet des Plages d’Agnès, autobiographie filmée, autoportrait par cinéVarda interposé, un film « à reculons » qui remonte le temps, et, comme souvent dans ce film, la cinéaste prolonge le mot par le geste et se filme marchant à contresens. « Faire le clown me convient et m’a permis de prendre du recul », dit-elle a posteriori. Aux antipodes de la nostalgie sépia, les Plages d’Agnès ressemble à un collier de perles d’images ramassées sur les plages qui ont jalonné la vie de la cinéaste, qui y retourne pour l’occasion : celles de Sète, de Californie, de Noirmoutier… De son enfance sétoise à son travail de photographe au TNP de Jean Vilar, de son premier film, la Pointe courte (1955, montage Alain Resnais), à ses années de vie commune avec Jacques Demy, en passant par son militantisme féministe ou sa dernière expo à la Fondation Cartier pour l’art contemporain (2006), la grande Varda multiplie les couleurs, les sons, les impressions, les anecdotes. Ne s’appesantit jamais, dévale la pente de ses souvenirs avec un sourire attendri, parfois franchement triste, plus souvent amusé, mais jamais narcissique. Agnès Varda est indécrottablement documentariste. L’intéressent avant tout : les autres. Elle avoue qu’elle ne savait pas si elle aimerait faire ce film sur elle. Même quand sa caméra la filme, Agnès Varda agit comme un miroir où proches, amis, pairs ou collaborateurs viennent se refléter. Pas étonnant que la cinéaste commence son film en installant quelques miroirs sur une plage du Nord (elle est née à Bruxelles). Le dispositif lui ressemble. Il diffracte la réalité en plusieurs représentations, et interroge, mine de rien, le statut de l’image montrée – directe ? Indirecte ?

20 / POLITIS / JEUDI 18 DÉCEMBRE 2008

2008-CINE TAMARIS

Avec « les Plages d’Agnès », la cinéaste de 80 ans revient sur sa vie, plus jeune et libre que jamais. Un film enchanteur aux allures de fantaisie parfois mélancolique et souvent drolatique.

« Les Plages d’Agnès » est un objet à part, une fantaisie mélancolique aux allures de collage surréaliste.

Les Plages d’Agnès est un film d’une liberté incroyable. Pas de quant à soi, pas de « ça ne se fait pas » – ainsi, Agnès Varda tourne une scène où elle pleure à chaudes larmes devant la caméra ses chers disparus qu’elle a photographiés jadis, Seyrig, Gérard Philipe, Noiret, qui joua son premier rôle dans la Pointe courte, mais aussi Sabine Mamou, la monteuse de Jacques Demy qui fut l’actrice d’un de ses films, d’autres encore, et bien sûr le réalisateur des Parapluies de Cherbourg… Elle préfère les correspondances et les résonances au respect des frontières et des allées bien taillées. Pour dire sa vérité, elle mêle images documentaires, archives, rêveries et images de fiction, celles de ses films, Cléo de 5 à 7, L’une chante l’autre pas, Murs murs, Sans toit ni loi, les Glaneurs et la glaneuse…

Les Plages d’Agnès est un objet à part, une fantaisie mélancolique aux allures de collage surréaliste. Ici, la cinéaste reconstitue la silhouette d’une baleine à l’intérieur de laquelle elle repose sur un lit d’étoffes aux couleurs chaudes, pour dire que, jeune fille, les hommes l’impressionnaient et qu’elle avait tendance à vouloir rester à l’abri de leur pouvoir de séduction. Là, elle fait sortir de leur tableau les Amoureux de Magritte, qui, tout en gardant leur drap sur le visage, deviennent un couple de chair et de sang, aux attributs sexuels prêts à s’exprimer…

Il y a une poésie Varda, qui a les mêmes sonorités que les Gymnopédies de Satie, ou les mêmes lignes que les mobiles de Calder, ténues, cocasses et précises. Pour parler de sa vie à Paris, et de sa maison de production, Ciné-Tamaris, qu’elle a créée en même temps qu’elle devenait cinéaste, elle a fait déverser des monceaux de sable dans « sa » rue, la rue Daguerre (où elle a déjà tourné une chronique, Daguerréotypes), créant ainsi « son » Paris-plage. Toute l’équipe de Ciné-Tamaris, entièrement féminine, y est en légère tenue d’été et y réinvente une activité ordinaire de bureau. Agnès V. ou la fée du cinéma. Bien sûr, il y a aussi de la gravité. On est particulièrement ému d’entendre Agnès Varda parler de la maladie qui a tué Jacques Demy : non pas un cancer, contrairement à ce que la cinéaste, très « gardienne du temple » en l’occurrence, a longtemps prétendu, mais le sida. Et c’est avec une douceur infinie qu’elle évoque le tournage de Jacquot de Nantes, film d’Agnès sur la jeunesse de Jacques, dont la fin alors était imminente, chacun le savait, lui le premier. Les Plages d’Agnès est un cadeau. Un cadeau de jeunesse. Un enchantement qui dispense la culture du bonheur. Et puisqu’il n’y a aucune raison de ne pas vous le dire, Melle Varda : nous vous aimons pour ça ! CHRISTOPHE KANTCHEFF

Culture ROCK

THÉÂTRE

La vie des mots Les textes de Valère Novarina et d’Armando Llamas manifestent une grande liberté de langage. Deux pièces jouées actuellement, « Le Repas » et « No Way, Veronica », en témoignent.

Retrouvailles La musique de Mercury Rev se remet en mouvement et retrouve grâce, mystère et inventivité.

Jean Boillot monte No Way, Veronica comme si l’on assistait à un enregistrement dans un studio radiophonique. À droite, un récitant et pianiste, Jean-Christophe Quenon ; au centre, une actrice, Katia Lewkowicz, qui fait toutes les voix en usant d’un charme très cinématographique (elle est ébouriffante) ; et, à droite, un bruiteur, David Maisse, dont le jeu et les sons ajoutent une autre dimension à cette reconstitution comique. Aiguisée par une musique de David Jisse et Christophe Hauser, cette très stimulante soirée amplifie la force des mots en multipliant brillamment les langages – sans jamais représenter ce dont il est question ! GILLES COSTAZ

À SES DÉBUTS, Mercury Rev produisait une musique formidable faite de longs morceaux foisonnants et totalement imprévisibles, un univers sonore luxuriant composé d’un enchevêtrement incroyable de lignes musicales toujours en mouvement provenant d’innombrables instruments en tous genres. C’était comme une jungle sonore truffée de mélodies virevoltantes. Petit à petit, une pop plus grandiloquente a pris la place de cette exubérance. Cette évolution, malgré quelques magnifiques réussites qui ont d’ailleurs donné au groupe son heure de gloire, a aussi marqué une baisse dans l’originalité de la musique. À force d’axer sa pratique sur des arrangements semblables à de lourdes tentures, Mercury Rev a fini par gommer un aspect essentiel de ses compositions : le fourmillement sonore. Devenues plus statiques, elles étaient aussi moins passionnantes. Heureusement, ce nouvel album renoue avec l’esprit des débuts, sans revenir pour autant au style des premiers albums mais en retrouvant un certain nombre de leurs caractéristiques. La première, et la plus importante, est un sens du mouvement et de la dynamique, à travers les relances perpétuelles parfois assez spectaculaires, ces attaques massives, bombardements sonores produits par les machines omniprésentes qui font exploser les passages flottants et les nombreuses séquences répétitives. La seconde est d’être redevenue inventive.

Le Repas, Maison de la poésie, Paris, 01 44 54 53 00. Jusqu’au 21 décembre. À voir aussi : Devant la parole, de Novarina, mis en scène par Louis Castel, à 19 h. No Way, Veronica, théâtre Romain-Rolland, Villejuif, 01 49 58 17 00. Jusqu’au 20 décembre.

ARTHUR PÉQUIN

Avec Armando Llamas, dont Jean Boillot met en scène à Villejuif No Way, Veronica, le langage est une

éternelle parodie. Tout n’est que moquerie et dénonciation des clichés sociaux par le verbe traité dans son deuxième degré. Llamas est mort trop tôt, après avoir eu le temps de voir certaines de ses pièces montées par Lavelli ou Adrien. Celle-ci est un faux film hollywoodien qui nous conte la vie de chercheurs météo sur une île subantarctique où une bombe sexuelle vient perturber un univers purement masculin. C’est à la fois le scénario et sa réalisation, puisque l’auteur décrit les stars, type William Holden et Gina Lollobrigida, en train de s’emparer des rôles.

DR

IL Y EUT UN TEMPS où le théâtre, taraudé par l’absurde, ne croyait plus au langage et cherchait à en montrer le vide ou le mensonge. À présent, tous les auteurs contemporains cherchent à le reconstruire. Dans cette tentative, Valère Novarina est en première ligne. Son œuvre est une danse verbale autour du mystère de la vie. Jusqu’à maintenant, Novarina avait le plus souvent mis lui-même ses œuvres en scène dans une théâtralité mythologique. Peu d’artistes avaient affront son écriture géniale et difficile, sauf Claude Buchvald, qui lui avait donné une nouvelle liberté largement liée à un rôle plus important donné à la musique. Un jeune metteur en scène, Thomas Quillardet, l’aborde à son tour en montant le Repas à la Maison de la poésie. Il réussit son pari avec l’insolence de la jeunesse, en se souciant fort peu de ce qui s’est fait avant lui. « Mangeons et écoutons nos bruits », dit l’un des personnages. Autour d’une table en arrière-plan et devant elle, les personnages vont vêtus banalement ou drôlement. Ils sont tantôt nous-mêmes, tantôt des êtres de fantaisie. Les acteurs, Olivier Achard, Aurélien Chaussade, Maloue Fourdrinier, Christophe Garcia, Julie Kpéré et Claire Lapeyre Mazerat, jouent d’abord dans un registre de fausse querelle théologique, avant d’être plus dans la drôlerie du cabaret puis, en fin de soirée, de nous bouleverser d’émotion. Ce Thomas Quillardet et son équipe ont su mettre à nu le cœur de Novarina.

« No Way, Veronica », d’Armando Llamas, mis en scène par Jean Boillot.

Le résultat est une matière sonore dense et mouvante qui, combinée à la voix irréelle et hypnotisante de Jonathan Donahue, absorbe totalement l’auditeur. C’est une musique impressionniste faite d’une palette de sons très étendue qui mêle les sons classiques, les sons électroniques, les samples (voix d’enfants, bruit de pluie) et les voix, et joue fréquemment sur les contrastes, faisant se côtoyer par exemple percussions cristallines et basses profondes. L’ensemble engendre un monde onirique qui rappelle les meilleures productions de ce que l’on appelait rock progressif dans les années 1970. JACQUES VINCENT Snowflake Midnight, Mercury Rev, Coopérative Music. JEUDI 18 DÉCEMBRE 2008 / POLITIS / 21

Culture JAZZ

DANSE

Un hiver africain JEANNE DAVY

Le Centre national de la danse consacre toute une saison aux différents visages de la danse noire. Une thématique aux enjeux identitaires, chorégraphiques et, forcément, sociopolitiques.

Le MégaOctet rassemble de remarquables solistes.

Reprise et surprise En solo, en trio ou en orchestre, plusieurs occasions de (re)découvrir Andy Emler. ANDY EMLER EST SANS DOUTE un des artistes les plus représentatifs de la génération des musiciens de jazz arrivée à maturité dans les années 1980. Sa culture musicale n’est pas réduite au jazz, mais s’étend de la musique classique européenne au rock, au punk et aux sons extra-occidentaux. Andy Emler a découvert le jazz lors de son passage au Conservatoire national supérieur de Paris (où il a obtenu un prix de contrepoint), grâce à la rencontre avec des condisciples le pratiquant déjà, alors que lui jouait plutôt dans des orchestres de rock. L’apprentissage informel du jazz moderne s’est donc greffé sur une solide formation au piano et à la composition, qui l’aidera à mettre au point un style très personnel lorsqu’il décidera de se consacrer au jazz. Dès la fin des années 1980, il accompagne des improvisateurs réputés et ne tarde pas à organiser des formations dont l’aboutissement sera le MégaOctet des années 2000.

SAISON AFRICAINE au Centre national de la danse. Après une exposition de photos consacrée aux danseurs d’Afrique et un week-end avec la compagnie Salia nï Seydou, point de départ d’une réflexion sur la danse contemporaine en Afrique, la thématique « Soleils noirs, continents partagés ? » fait escale aux États-Unis. « Danses noires, blanche Amérique » : tel est le titre de l’exposition et du catalogue concoctés par Susan Manning (1). Une manière de poser, avec cette première étude historique en français sur le sujet, les danses noires américaines au centre de questionnements identitaires, chorégraphiques et, forcément, sociopolitiques. De 1900 à nos jours, du jazz à Bill T Jones, Susan Manning retrace un siècle de formes mêlant bantam twist (pas de danse), breakdance, charleston, capoeira, ragtime, suzie Q, gumboot (danse des mineurs), fanfare, musichall, swing, claquette, Negro Dance, Black Dance,

Trio Emler, Tchamichian, Echampard, 18 décembre, université de Toulouse. MégaOctet : 20 décembre, 21 h, Le Triton, Les Lilas (93), 01 49 72 83 13, www.letriton.com CD : For Better Times (piano solo), La Buissonne/Harmonia Mundi. DVD : On Air (trio, MégaOctet), In Circum Girum/Socadisc. 22 / POLITIS / JEUDI 18 DÉCEMBRE 2008

WALTER OWEN

Rassemblant huit remarquables solistes, ce petit orchestre sonne comme un grand. Mais les qualités de compositeur et d’orchestrateur d’Andy Emler ne se limitent pas à cela. Il organise ses pièces autour de modules répétitifs, qu’il enchaîne et développe de manière à créer un climat d’audition où la mémoire de ce qui a été repris est sans cesse confrontée à ce qui est en train de changer. L’énoncé par son piano, dans une symbiose parfaite avec la basse (Claude Tchamitchian) et la batterie (Éric Echampard), des phrases répétées, sur lesquelles se placent d’autres boucles jouées par les instrumentistes, ouvre des espaces de liberté où s’engouffrent, notamment, le saxophoniste Laurent Dehors et le trompettiste-vocaliste Médéric Collignon. Lorsque le piano vient au premier plan, il laisse percer des traces de romantisme, mais retrouve une formule similaire dans laquelle la main gauche coule des fondations mouvantes, cependant que la droite peut inventer des lignes inattendues. Ainsi, de la reprise surgit toujours la surprise. DENIS-CONSTANT MARTIN

Janet Collins dans « Spirituals ».

danse «afro-américaine »… Tout un glossaire reliant le geste à une signification, visuels à l’appui. « Qu’est-ce que la danse noire ? », interroge la critique Zita Allen. Des œuvres reflétant la singularité de l’expérience afro-américaine ou des créations plus abstraites de chorégraphes afro-américains ? Une expression vide de sens inventée par des critiques blancs ou une culture chorégraphique venant influencer la « danse blanche » ? Ces questions traversent en filigrane une étude richement documentée où Susan Manning s’attelle pourtant moins à y répondre qu’à évoquer les artistes s’y rattachant. Elles sont en revanche bien davantage au cœur du travail de Salia Sanou dans Afrique, danse contemporaine (2). Ouvrage où le danseur et chorégraphe burkinabé retrace son parcours en même temps que l’ascension de la danse africaine sur la scène internationale ces vingt dernières années. « Doit-on parler de “danse contemporaine africaine”, de “danse africaine contemporaine” ou de “danse de création africaine” ? », lance-t-il. « Chorégraphes et danseurs africains ne peuvent éviter de témoigner et de poser un regard sur les corps malades, sur les corps immigrants, sur les corps méprisés, sur les corps en quête de bonne gouvernance… » La danse contemporaine en Afrique est au centre de controverses, explique Salia Sanou. « Le mode des échanges entre les artistes occidentaux et leurs pairs africains oscille entre fascination et incompréhension tandis que les créateurs africains eux-mêmes se soupçonnent les uns les autres de déviations “traditionalistes” ou “occidentalistes”, voire “universalistes” ». Il en sait quelque chose : lui qui a travaillé avec la chorégraphe Mathilde Monnier se serait vu reprocher d’avoir « blanchi » sa danse. Mondialisation oblige ? « Le propre de la danse contemporaine est de ne pas avoir un vocabulaire figé, estime Salia Sanou. Si, pour les uns, il s’agit de partir d’une gestuelle qui s’inspire de l’héritage des danses sous toutes ses formes (danse africaine de répertoire traditionnel, danse classique et contemporaine), pour les autres, il s’agit sans arrêt d’inventer, d’explorer de nouvelles pistes… » INGRID MERCKX (1) Danses noires, blanche Amérique, exposition et catalogue (CND, collection « expositions », 124 p., 25 euros), du 15 janvier au 7 avril, CND, 1 rue Victor-Hugo, 93507 Pantin. Tél. : 01 41 83 27 27. Site : www.cnd.fr (2) Afrique, danse contemporaine, textes de Salia Sanou, photographies d’Antoine Tempé, éditions Cercle d’art, CND, 112 p. 27 euros.

Médias À

COLL PRIVÉE H. DESPROGES

Un documentaire consacré à Pierre Desproges, soulignant sa différence avec les humoristes actuels.

On retrouve le Desproges sale gosse et canuleur.

ON A DÉJÀ BEAUCOUP ÉCRIT sur Pierre Desproges. On l’a beaucoup vu aussi. Chaque nouveau documentaire renverrait presque à ses propres mots, sur scène : « Il y a une coutume du spectacle qui me gonfle singulièrement, et ça tombe très bien que je vous en parle aujourd’hui, c’est le rappel ! C’est complètement absurde. Dans la vie courante, quand un type finit son boulot… qu’est-ce qu’il fait ? Il dit au revoir et il s’en va ! Il ne revient pas ! On n’imagine pas un plombier ressonnant à la porte après avoir réparé une fuite, juste pour refiler un coup de clé de douze ! » Bon, va pour un rappel. Et ce nouveau docu signé Yves Riou et Philippe Pouchain, Je ne suis pas n’importe qui. Où l’on retrouve le Desproges sale gosse, instable turbulent, canuleur déconnant avec la conscience de l’éphémère, taquinant tôt le vin rouge, amateur de Brassens (qui n’avale rien le jour de la mort de ce dernier mais reprend deux fois des moules à la disparition de Tino Rossi). Un Desproges à rebours des idées reçues, pas vraiment carpette. Agrémentant leur documentaire d’images d’archives familiales tournées en Super 8, retraçant le parcours, de la guerre d’Algérie à l’Aurore, du « Petit Rapporteur » à la scène, s’appuyant sur les entretiens avec sa femme, les réalisateurs insistent sur le phrasé de Desproges. Surtout, ils disent le sabordeur, le bon vivant pessimiste. Qui rit de tout. Mais pas avec n’importe qui, selon son expression au « Tribunal des flagrants délires », quand il s’agit de Le Pen. Pas méchant, Desproges, et provocateur. Qui se moque des

musulmans ne consommant pas de porc mais observe combien « les rues de Paris ne sont plus sûres le soir, les Arabes n’osent plus sortir seuls ». Ou se déguisant en Hitler. Dans cet exercice, les réalisateurs reprennent évidemment le fameux discours sur scène : « On me dit que des Juifs se seraient glissés dans la salle… Vous pouvez rester. N’empêche qu’on ne m’ôtera pas l’idée que durant la dernière guerre mondiale de nombreux Juifs ont eu une attitude carrément hostile à l’égard du règne nazi […]. Arborant une étoile à sa veste pour montrer qu’on n’est pas n’importe qui ! » Décapant, et sans contrainte. Sans ambiguïté aussi, déboutonnant le racisme et l’antisémitisme.

Hasard de la programmation ou pas (quoique les chaînes s’efforcent de pousser du côté du rire en période de fêtes, comme une sempiternelle dinde de Noël gavée de marrons), France 5 diffuse cette même semaine un documentaire consacré à « l’humour et la politique ». D’emblée, s’inscrit de part et d’autre une entente cordiale. Les politiques ont besoin d’humoristes. Et réciproquement. « Ça fait partie du métier » (ce que réfutait Desproges). Santini, Charasse, Douste-Blazy, Boutin, Balkany, Raffarin. Tous pourvus de bonnes intentions face aux humoristes. Livrant ici une série de lieux communs. De l’autre côté, des humoristes qui se plaignent de personnalités aseptisées, de la langue de bois (celle, à vrai dire, qu’ils pratiquent euxmêmes). De Roumanoff à Mabille (tous deux travaillent ensemble), de Gustin à Roucas, de Gérald Dahan à Florence Foresti. Qui jouent le rôle de fou du roi. Des humoristes qui ont au mieux le sens de la bonne formule. Mais sans musique, sans phrasé. Ni miracle alors. Une même platitude, trempée dans l’eau tiède. Tout le contraire de Desproges. JEAN-CLAUDE RENARD Pierre Desproges, je ne suis pas n’importe qui, lundi 22 décembre, 20 h 35, France 5, (rediffusion le jeudi 1er janvier à 15 h). L’humour et la politique, vendredi 26 décembre, 20 h 35, France 5. À voir également, le coffret DVD Comiques de toujours (avec notamment des morceaux hilarants de Robert Lamoureux, Coluche, qui a beaucoup emprunté à ce dernier, Desproges et Jean Yanne), éd. Du Montparnasse.

P O S T E S

RADIO

TÉLÉVISION

SAMEDI 20 DÉCEMBRE

SAMEDI 20 DÉCEMBRE

Terre à terre

Arte, 20 h 15

Metropolis

France Culture, de 7 h à 8 h

Dans le magazine culturel de Rebecca Manzoni, un sujet sur les huit décennies des studios de la RKO. Du grand succès King Kong, en 1933, à Citizen Kane. Une production aujourd’hui disponible aux éditions Montparnasse.

Au programme de Ruth Stégassy, l’urbanisme et le développement durable en Scandinavie.

DIMANCHE 21 DÉCEMBRE

Higelin

Michel Guérard

France Inter, de 17 h 05 à 18 h

France 5, 8 h 50

Sur le plateau de la « Librairie francophone », Jacques Higelin et l’éditrice Clémentine Deroudille, pour la parution du livre Jacques Higelin en cavale (éd. Textuel).

LUNDI 22 DÉCEMBRE

Un condé France Culture, de 9 h 05 à 10 h Par Anaïs Kien et Charlotte Roux, retour sur la sortie sulfureuse, en 1970, du film d’Yves Boisset, Un condé, brossant les collusions obscures entre la haute

AFP

Le sabordeur

V O S

MARCOU/AFP

TÉLÉVISION

pègre et le pouvoir politique, dont Raymond Marcellin (notre photo), alors ministre de l’Intérieur, avait tenté d’empêcher la diffusion en salle. Balle peau, il en assurait ainsi la meilleure promotion.

Il est accolé à une image : le père de la cuisine minceur. L’image est juste, elle demeure réductrice. Il est l’un des chefs de file de cette génération soixante-huitarde. Une bande de potes. Les frères Troisgros, Delaveyne, Chapel, Senderens. Cette flopée de casseroleurs par qui le glas de la cuisine d’Escoffier a dérouillé. Michel Guérard est filmé ici par Jean-Pierre Devillers, retraçant un parcours qui remet loin. Au Lido, orchestrant les desserts. Parallèlement, il réalise des extras chez des particuliers huppés. De quoi se débrider un peu, imaginer davantage. À l’intérieur, ça bouillonne, frémit de modernité. Parce qu’à cette orée des années 1960, le constat est accablant. Selle de veau Orloff, volailles demideuil, homard Thermidor. La gastronomie pionce en fond de casserole. Guérard ouvre un caboulot derrière le périph’ enveloppant Paris comme une raviole. Un cadre modeste. Son laboratoire intime. Où il déboulonne les traditions. Foin des nappages et glaçages, mais une juxtaposition des saveurs. Les trucages disparaissent, les présentations se simplifient pour viser à l’essentiel. Terminé le foie gras servi en grande pompe. Une cuisine fraîche et spontanée sitôt rentrée du marché. C’est une révolution sans prétention, dans l’art des cuissons, et celui, émotionnel, des assaisonnements. Plus tard, installé dans les Landes, il déculpabilise le gourmand, joue sur le fil de la diététique, gavant ponctuellement la gastronomie d’un nouvel opus.

MARDI 23 DÉCEMBRE

Lucky Luke, Daisy Town France 5, 20 h 40 Une petite ville de l’Ouest américain faisant appel au cow-boy solitaire pour ramener la paix. Un dessin animé rarement diffusé, réalisé en 1971.

MARDI 23 DÉCEMBRE MERCREDI 24 DÉCEMBRE

Contes africains France Inter, de 21 h 30 à 23 h Vladimir Cagnolari et Soro Solo, qui animent chaque dimanche « L’Afrique enchantée » (de 18 h à 19 h), reviennent en direct pour narrer une série de contes africains.

L’île au trésor Arte, 21 h Soirée « Théma » consacrée à Stevenson et coup de projecteur sur son énigmatique île au trésor. Avec, pour commencer, son adaptation au cinéma, réalisée en 1972 par Andrew White, portée par la personnalité d’Orson Welles. À suivre par un portrait de l’écrivain dans son ultime adresse, aux îles Samoa.

JEUDI 25 DÉCEMBRE

Victor Victoria Arte, 21 h Par Blake Edwards, une comédie virevoltante, burlesque et glamour. Déguisements, quiproquos et ambiguïtés.

JEUDI 18 DÉCEMBRE 2008 / POLITIS / 23

Idées ESSAIS

Exagérément canardé Pour Laurent Martin, historien, « Le Vrai Canard » de Karl Laske et Laurent Valdiguié est un livre à thèse, systématiquement à charge contre l’hebdomadaire satirique, ce qui en réduit l’intérêt.

Il est vrai que j’avais, dans mon travail comme dans l’interview, formulé d’autres opinions, émis d’autres hypothèses, avancé d’autres explications, plus favorables que celles qu’ont retenues les deux auteurs. Probable que ça ne rentrait pas dans le cadre a priori de leur jugement. C’est là, à mon sens, une différence essentielle entre nos deux entreprises : la mienne s’efforçait de restituer la complexité des choses ; la leur sacrifie toute nuance à la démonstration d’une thèse. Laquelle ? Que le Canard n’est pas celui que vous croyez, qu’il manipule, qu’il est manipulé. Avec ce genre de parti pris, il ne faut pas s’étonner que les gens hésitent à vous répondre et, lorsqu’ils le font, qu’ils exigent de le faire par écrit. Cela dit, la réponse qu’a faite le directeur du Canard à la « une » de son journal n’en est pas une : il est un peu facile, pour éviter de répondre sur le fond, d’invoquer un complot ourdi par le grand capital. La vérité est sans doute plus prosaïque : Laske et Valdiguié avaient pour projet de faire pour le Canard ce que Pierre Péan et Philippe Cohen ont fait pour le Monde : en révéler la face cachée. 24 / POLITIS / JEUDI 18 DÉCEMBRE 2008

ensuite par l’hebdomadaire satirique), une curiosité insatisfaite (quel est l’intérêt des développements sur Alain Guédé, sur Robert Gaillard ?) et une franche incrédulité (le Canard téléguidé par l’entourage de Sarkozy). La question de fond qui court tout au long de l’ouvrage mérite d’être posée : quelle est la bonne distance entre le journaliste et le monde qu’il observe ? Trop loin, et il perd le contact, c’est-à-dire la possibilité de rapporter une information intéressante. Trop près, et il court le risque d’être instrumentalisé. Mais la réflexion est évacuée au profit d’anecdotes sans grand intérêt. Les journalistes du Canard n’ont jamais nié que leurs infos pouvaient servir la straTéléguidé par l’entourage de Sarkozy, le «Canard»? Allons donc ! tégie ou les petites tacY parviennent-ils ? En partie, oui. Ils sont tiques de tel ou tel ; ils ont estimé que la seule beaucoup plus complets et précis que mon question qui valait était celle de la véracité livre sur les plantages et les dérapages du de l’information, qui suppose vérification Canard ; je les trouve assez convaincants et recoupement. À quelques reprises, comme en ce qui concerne l’indulgence envers Mit- dans l’affaire Yann Piat, cette règle n’a pas terrand ou Dumas. Certes, cette indulgence été respectée ; les auteurs du livre peinent est relative et à géométrie variable ; elle à démontrer que cette exception ait à son explique quand même – avec la sociologie tour constitué la règle cachée du Canard. électorale du lectorat, à peine mentionnée par les auteurs – beaucoup du flottement qui Quant au fonctionnement interne du journal, a saisi le Canard au début des années 1980, ses clivages, sa richesse improductive, sa les loupés à propos de la cellule de l’Élysée misogynie – en voie de guérison –, l’opa– des Irlandais de Vincennes aux écoutes – cité des rémunérations ou du capital (mais ou du Rainbow Warrior, ou encore des liens les auteurs oublient de dire que le Canard entre Mitterrand et Bousquet. Ce n’est pas est l’un des seuls journaux français à se que le Canard n’ait pas critiqué Mitterrand conformer à l’ordonnance du 26 août 1944 et son entourage, il l’a fait, et souvent ; mais qui fait obligation aux journaux de rendre tout est dans le ton, le timing, les circons- publics leurs bilans et comptes d’exploitatances atténuantes, le contraste avec le trai- tion), l’impression de déjà-lu, là encore, tement infligé à des personnages que le domine. Cela ne fait pas du livre de Laske journal n’avait pas intérêt à ménager – un et Valdiguié un tissu de mensonges, comme Léotard, un Chirac. le dit de façon à peine voilée la direction du Canard ; mais cela n’en fait pas non plus Pour le reste, je suis partagé entre un tenace l’ouvrage explosif que ses auteurs auraient sentiment de déjà-lu (notamment dans souhaité qu’il fût. mon propre ouvrage, par exemple, à proL. M. pos des quelques journalistes du Canard Le Vrai Canard, Karl Laske, Laurent Valdiguié, Stock, ayant travaillé dans la presse de la colla- 485 p., 22 euros. boration ou d’anciens journalistes com- (1) Le Canard enchaîné : histoire d'un journal promis durant cette période et accueillis satirique 1915-2005, rééd. Nouveau Monde, 2005. FAGET/AFP

D

eux mots de présentation personnelle, pour que les lecteurs sachent « d’où je parle », comme on disait un peu avant et un peu après 68. Je ne suis pas journaliste mais historien. J’ai écrit une thèse sur l’histoire du Canard enchaîné, partiellement publiée en 2001 et rééditée quelques années plus tard (1). Par la suite, j’ai travaillé brièvement au Canard et suis resté en contact amical et professionnel avec le journal, que j’apprécie globalement. Cette mise au point me semble d’autant plus nécessaire que mon nom apparaît à de nombreuses reprises dans ce nouveau livre sur le Canard, soit au titre du travail que j’avais réalisé, et que les auteurs utilisent abondamment, soit comme témoin interviewé par Karl Laske au cours de son enquête. Je suis rangé dès l’avant-propos parmi les historiens « bienveillants » du Canard, dénués d’esprit critique, à l’instar de l’hagiographe Jean Egen, dont je m’étais pourtant soigneusement démarqué. C’est de bonne guerre : il importe de montrer que vos prédécesseurs n’ont pas fait le boulot pour mieux valoriser le vôtre. En l’occurrence, les citations produites par Karl Laske et Laurent Valdiguié, que ce soit des propos que j’ai tenus à l’égard du Canard ou des informations que j’avais fournies dans mon travail, démentent cette accusation de bienveillance.

PARUTIONS

Livre ou agenda ?

Idées

Quitter l’Afghanistan Peut-on maîtriser par la puissance du feu un pays auquel on ne comprend rien ? Non, répond Jean-Dominique Merchet dans un essai efficace et lucide. ON NE VA TOUT DE MÊME PAS ABANDONNER l’Afghanistan à ses démons, à ses talibans, à ses tribus, à ses chefs de guerre? Sous toutes ses formes, depuis sept ans, la question est déclinée comme une rhétorique de l’évidence par les chefs d’État occidentaux. Tous inscrits dans le sillage de George W. Bush, lui-même lancé à la poursuite de Ben Laden au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Le grand mérite de Jean-Dominique Merchet est de reformuler la question sous une forme qui induit naturellement une autre réponse : ne faut-il pas abandonner l’Afghanistan aux Afghans ? Avant de suggérer fortement à la France qu’elle rapatrie ses soldats, le journaliste de Libération se livre à une description minutieuse de ce pays, de sa géographie, de sa diversité ethnique. Cette « antination », selon l’expression du géographe Xavier de Planhol, est « le puzzle le plus extraordinaire qui soit ». Le même concluait de toutes ses études que l’Afghanistan

avait besoin d’être « peu gouverné » pendant « au moins deux générations ». Et Merchet traduit : « Dit brutalement : que l’on fiche la paix à ce pays et à ses habitants. » Or, le moins que l’on puisse dire, c’est que de la colonisation britannique aux troupes de l’Otan en passant par la désastreuse aventure soviétique, l’Afghanistan attire les convoitises. Avec toujours le même constat: l’incapacité à maîtriser ce pays. Le destin des envahisseurs est de se perdre dans des jeux d’alliances avec les différentes tribus avant de découvrir qu’ils sont les dupes de ce jeu trop compliqué pour une tradition politique façonnée par le centralisme et une longue histoire nationale. Le propos de Merchet, solidement argumenté, a le mérite de la clarté : « Il faut trouver la porte de sortie. Et vite. » On ne saurait mieux dire. DENIS SIEFFERT Mourir pour l’Afghanistan, JeanDominique Merchet, éditions JacobDuvernet, 185 p., 19,90 euros.

La petite équipe des éditions du Jeu de la règle, Marie-Liesse Clavreul et Thierry Kerserho, renouvelle l’aventure initiée en 2008 avec la parution d’une version 2009 de leur étonnant livre-agenda intitulé l’Imprévisible. De belle facture, à la fois ludique, engagé et décalé, l’ouvrage recense pour chaque jour de l’année les innombrables journées mondiales ou nationales en tout genre, signale les anniversaires d’événements d’une année en 9, mais surtout « proclame » une journée « de ceci » ou « sans cela », en se jouant avec bonheur du langage quotidien et des expressions à la mode. Exemple du ton de ce véritable tour de force sur 365 occurrences : à la date du 29 mars 2009, à côté de la mention « Retour à l’heure d’été », les auteurs ont fièrement décrété la « journée de la France qui se lève tôt »… Un petit volume qui peut aussi bien se lire que se remplir tout au long de l’année comme un vrai agenda. L’Imprévisible 2009, éditions Le Jeu de la règle (11, rue des Cordeliers, 14000 Caen, www.lejeudelaregle.fr), 384 p., 20,09 euros.

Le monde selon Claude Lévi-Strauss Les cent ans de l’anthropologue français, père du structuralisme, ont été l’occasion de très nombreuses publications. Parmi celles-ci, notons l’ouvrage particulièrement complet de Wiktor Stoczkowski, professeur d’anthropologie à l’EHESS, qui revisite la pensée du maître en s’intéressant notamment à l’itinéraire intellectuel du jeune Lévi-Strauss dans les années 1920, époque de son engagement socialiste. À partir de l’œuvre de Claude LéviStrauss, non sans relever certaines contradictions apparentes en son sein, Wiktor Stoczkowski esquisse une présentation originale de la vision complexe du monde de l’auteur de Tristes Tropiques. Anthropologies rédemptrices. Le monde selon LéviStrauss, Wiktor Stoczkowski, Éditions Hermann, « Société et pensées », 344 p., 32 euros. Signalons également la parution de l’Anthropologie de Lévi-Strauss et la psychanalyse. D’une structure à l’autre, Marcel Drach et Bernard Toboul, La Découverte, « Recherches », 336 p., 30 euros.

Les cartes des civilisations

Le désir d’être à bonne école

Chaque civilisation a produit, selon les époques, sa représentation du monde. Celle-ci est particulièrement observable dans les manières dont les explorateurs, commerçants,

Un sociologue et un géographe mettent en lumière les processus de ségrégation dans le choix des établissements scolaires. BONNE OU MAUVAISE ÉCOLE ? Les différences, de plus en plus marquées, sont de mieux en mieux connues, du fait de la multiplication des « palmarès » des établissements régulièrement publiés par les médias. Demandes de dérogations, d’options « rares », voire fausses adresses sont quelques-unes des techniques employées pour fuir l’établissement le plus proche de chez soi et envoyer sa progéniture dans un établissement plus prestigieux, généralement en centre-ville. La question a de nouveau occupé le débat public à la suite de la promesse, au cours de la dernière campagne présidentielle, de la suppression de la carte scolaire. En dépit de l’argument avancé par le gouvernement, on s’aperçoit vite, à étudier la question, que ce ne sont pas les familles les plus défavorisées qui cherchent à s’éloigner des écoles les plus proches de chez elles, mais, à une écrasante majorité, les plus favorisées en termes de capital économique et de capital culturel, qui ont tendance à recourir à des stratégies d’« évitement » des établissements du secteur dont ils relèvent pour « placer » leurs enfants dans

ceux dotés d’une bonne réputation. C’est ce que démontre, cartes à l’appui, le travail sur la région Île-de-France de Franck Poupeau et Jean-Christophe François, sociologue et géographe, qui mettent en lumière les « processus ségrégatifs » à l’œuvre, selon la distribution des lieux de résidence et des établissements. Des processus qui se trouvent aujourd’hui « accentués » par l’assouplissement de la carte scolaire. Non seulement les familles les plus favorisées (et les plus proches des milieux scolaires, notamment les enseignants) sont les plus à même de disposer de stratégies pour choisir leur école, mais ce phénomène est plus développé dans les zones socialement hétérogènes, ayant donc pour effet un « renforcement global des contrastes sociospatiaux » dans ces quartiers. La mixité sociale autrefois garantie par l’école républicaine risque donc de plus en plus d’être un vieux souvenir. OLIVIER DOUBRE Le Sens du placement. Ségrégation résidentielle et ségrégation scolaire, Franck Poupeau et Jean-Christophe François, Raisons d’agir, « Cours et travaux », 240 p., 17 euros.

géographes ou scientifiques ont, au fil des siècles, « dessiné le monde ». Dans un livre richement illustré, Caroline et Martine Laffon, respectivement réalisatrice de documentaires et philosophe, ont étudié l’évolution des cartes géographiques produites sous les différentes latitudes, depuis les représentations des mondes premiers jusqu’aux cartes satellites d’aujourd’hui. Leur ouvrage propose ainsi une réflexion sur la place accordée à chaque peuple dans le monde et interroge finalement nos propres représentations. Un superbe ouvrage. Dessiner le monde. Histoires de géographie, Caroline et Martine Laffon, Seuil, 192 p., 45 euros. JEUDI 18 DÉCEMBRE 2008 / POLITIS / 25

Résistances ÉDUCATION

«L’école est en danger» Depuis le lundi 8 décembre, des parents d’élèves occupent l’école Bretonneau dans le XXe arrondissement. Ils protestent contre les réformes de Xavier Darcos et s’inquiètent pour l’avenir de leurs enfants. Reportage. Certains accrochent sur la porte et sur les murs des banderoles, des tracts ou des coupures de journaux. D’autres discutent entre eux. L’occupation est symbolique et pacifique. Pourtant, dès le premier jour, l’inspecteur d’académie est venu rencontrer les parents pour faire le point sur leurs revendications et leurs actions. Le lendemain, les parents d’élèves ont reçu une lettre menaçant de les évacuer s’ils refusaient de quitter l’école. « C’était de l’intimidation. Mais, maintenant, nous sommes obligés d’émarger sur un cahier à chaque fois que l’on entre dans l’école », souligne Sandrine Balleux. De nombreux tracts circulent sur lesquels sont scrupuleusement inscrites les revendications des parents d’élèves. Ils rejettent la suppression des heures du samedi matin, transformées en heures supplémentaires pour les enfants en difficulté. « Ça fait trois semaines de moins dans une année », regrette Jean-Pierre Gryson. De plus, ces heures d’aide individualisée assurées par les enseignants sont censées remplacer les Réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased). « Les Rased fournissent un travail de longue haleine de psychologie, de pédagogie et de réinsertion pour les enfants qui ont de gros problèmes, insiste Sandrine Balleux. Ce sont des enseignants spécialisés, qui ont une formation spécifique. Les instituteurs ne pourront pas assurer ce travail en deux heures d’aides par semaine. » Ces nouvelles mesures creuseront les inégalités sociales déjà existantes et auront des conséquences sociales démesurées : « Les gamins en détresse psychologique sont de plus en plus nombreux et les Rased vont êtres supprimés. Je ne sais pas si le gouvernement calcule l’ampleur des dégâts », se désole Agnès Gour, psychologue en Rased.

MANON LOUBET

S

ur les murs de la rue Bretonneau, dans le XXe arrondissement, de gigantesques banderoles scandent les slogans « École occupée», «De la maternelle à la fac, l’école est en danger». Deux tableaux sont accrochés au mur : un pour les actualités du mouvement et un autre pour organiser les relais des parents d’élèves qui occupent l’école élémentaire Bretonneau. « Nous avons décidé d’occuper l’établissement le lundi 8 décembre. Cette occupation a été décrétée à la suite d’une réunion organisée par les enseignants quelques jours avant », précise Sandrine Balleux, parent d’élève et vice-présidente de la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE) de l’école. Tous les jours, de 8 h à 18 h, une trentaine de parents viennent à tour de rôle, par petits groupes de quatre ou cinq, dans le bureau de la directrice. « Nous n’empêchons pas les cours. Nous faisons une occupation administrative, c’est-à-dire que nous utilisons le téléphone de l’école, l’adresse mail et le fax », explique Jean-Pierre Gryson, un père d’une quarantaine d’années. Sur le parvis de l’école, en plein milieu d’après-midi, quelques parents mobilisés parce qu’ils sont inquiets pour l’avenir de leurs enfants s’activent. Il fait froid et ils sont tous équipés de gants et de bonnets.

Des parents d’élèves se relaient pour occuper l’école Bretonneau, à Paris. 26 / POLITIS / JEUDI 18 DÉCEMBRE 2008

Les parents sont notamment préoccupés par l’avenir de l’école maternelle. Déjà, depuis juin 2008, la petite section (réservée aux élèves de 2 à 3 ans) a disparu. Et toutes les sections sont menacées. « Le gouvernement veut instaurer des jardins d’éveil à la place des classes

maternelles, qui dépendront des mairies et pourront être payants ! », s’inquiète Jean-Pierre Gryson. Sandrine Balleux, petit bout de femme aux cheveux très sombres, s’énerve : « Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que quand on ne pourra pas payer le jardin d’enfants, c’est encore maman qui va s’arrêter de travailler pour garder les petits ? » Les parents d’élèves reprochent au ministère de l’Éducation nationale d’imposer de nouveaux programmes sans concertation avec les enseignants et les mouvements pédagogiques. Quand ils en parlent, le ton monte rapidement : « C’est un retour aux programmes de 1923. Tout est fondé sur le par cœur, il n’y a plus de réflexion, se révolte Patrick Brousse, un parent d’élève. On veut faire de nos enfants des robots. » Issus de milieux plutôt aisés, les occupants de l’école Bretonneau se sentent également concernés par la fragilité des enfants les plus démunis : « Les parents formés et fortunés pourront donner une bonne éducation à leurs enfants, mais les autres ne le pourront pas, fait remarquer Jean-Pierre Gryson. Notre système éducatif se résumera à une production d’élite. » Jean-Pierre Gryson et ses collègues de lutte proposent une autre forme de protestation, en occupant les écoles : « Les grèves ponctuelles des instituteurs, le jeudi, sont sans lendemain, et c’est à chaque fois une journée de salaire en moins. Il faut trouver d’autres modes d’action pour soutenir les enseignants. Nous savons bien que ce n’est pas l’école Bretonneau qui va changer les choses, mais cette mobilisation est un bon début. » D’après les parents d’élèves, une trentaine d’écoles du XXe arrondissement sont actuellement occupées ou sont en passe de l’être. Les actions sont très localisées mais les parents espèrent une coordination entre les différents établissements : « Le mouvement s’étend dans le XVIIIe et le XIXe, dans l’Essonne, dans le Val-de-Marne… Les gens sont très mobilisés, il ne faut pas qu’on relâche », précise Jean-Pierre Gryson. Si le ministre de l’Éducation nationale campe sur ses positions, les parents d’élèves occuperont l’école jusqu’aux vacances de Noël et reprendront le mouvement en janvier. « C’est toute l’éducation qui va mal, de la maternelle à l’université, conclut Jean-Pierre Gryson, Si on lutte tous ensemble, je pense qu’on peut gagner. » MANON LOUBET

FAGET/AFP

Ubuesque

ÉDUCATION

Darcos recule La mobilisation citoyenne, des lycéens dans la rue aux parents dans les écoles (lire ci-contre), aura eu raison de la réforme des lycées voulue par Xavier Darcos. Du moins pour le moment. Lundi 15 décembre, le ministre de l’Éducation nationale a annoncé le report de la réforme de la classe de seconde, dont l’entrée en vigueur était prévue pour la rentrée 2009, tout en souhaitant « prolonger les discussions ». Optimiste, François Fillon maintient que « la réforme du lycée sera conduite ». Sauf que les lycéens ne sont pas prêts à avaler n’importe quoi, comme le montrent les manifestations organisées en France, DOM-TOM inclus, depuis plusieurs semaines. Dénonçant une « réforme économique » « faite pour gagner de l’argent », à coups de milliers de postes supprimés, les lycéens ne veulent pas subir le changement mais en être acteurs. Un « détail » que Xavier Darcos avait sans doute mésestimé. Les syndicats n’ont pas tardé à réagir au report annoncé par le ministre. La FIDL, deuxième organisation lycéenne, espère que la suspension de la réforme n’est pas « une simple manœuvre politicienne ». Pour le syndicat enseignant SE-Unsa, qui n’a cessé de dénoncer « une réforme au pas de charge, hypothéquée par les économies budgétaires et concentrée sur la seule seconde », d’autres sujets de tension persistent, comme la menace sur l’aide spécialisée aux enfants en difficulté. Les étudiants de l’Unef donnent eux rendez-vous « en janvier à Xavier Darcos et à Valérie Pécresse pour lever les craintes des lycéens et des étudiants, et répondre à leurs attentes ». Sur le front politique, enfin, Bruno Julliard, tout frais secrétaire national du PS à l’Éducation et exprésident de l’Unef, estime que la réforme oublie d’aborder « les méthodes pédagogiques, la primauté des filières générales sur les filières professionnelles et les métiers de l’éducation ». En attendant la prochaine étape, les lycéens ont décidé de maintenir les manifestations prévues les 16 et 18 décembre, et promettent de continuer la mobilisation après les vacances de fin d’année.

XAVIER FRISON www.fidl.org, www.se-unsa.org, www.unef.fr

Le tribunal de Charenton-lePont (94) a assigné Alexandre Baret, membre du réseau Résistance à l’agression publicitaire, qui refuse de payer une amende pour avoir apposé un autocollant contre la publicité dans une voiture du RER D, le 8octobre dernier. Pour cette infraction de «publicité non autorisée» (!), le procureur a requis 300 euros d’amende. Quant à la SNCF, un peu gênée aux entournures dans cette affaire, elle demande un euro de dommages et intérêts et 500 euros pour les frais de justice. Le jugement sera rendu le 12février. Alexandre Baret réplique que le réseau SNCF est constellé de 57000 affiches publicitaires, tandis que des centaines d’écrans plasma devraient bientôt être installés à des fins promotionnelles. www.antipub.org

SOLIDARITÉ

Soutenir l’Observatoire des inégalités L’Observatoire des inégalités, créé il y a cinq ans, s’est imposé comme un acteur central dans l’analyse des formes d’inégalités touchant la société française. Mais « diffuser des informations de qualité a un coût», et l’Observatoire « dispose de ressources très limitées». L’association a impérativement besoin du soutien de donateurs privés pour poursuivre son état des lieux des inégalités, particulièrement en cette période de crise, qui aura des conséquences graves pour les plus défavorisés. Les dons (déductibles des impôts) sont possibles depuis le site de l’Observatoire. www.inegalites.fr

SANS-PAPIERS

La mobilisation continue La mobilisation s’amplifie pour les 88 travailleurs sans-papiers intérimaires

de Man BTP, une agence de travail temporaire parisienne spécialisée dans le bâtiment et les travaux publics. Le 12décembre, un meeting a réuni 300 personnes, selon les organisateurs, dont 88 travailleurs de Man BTP, des militants de Droits devant!!, Solidaires, et leur comité de soutien, à la mairie du Xe arrondissement de Paris. Les mêmes devaient se mobiliser devant la mairie de Paris et le Sénat, respectivement les 16 et 18décembre. En grève depuis le 3juillet, les 88 de Man BTP, avec d’autres travailleurs sans papiers

annuel (hors taxe) sur les ventes à la Fondation Abbé-Pierre. Le pécule sera attribué à la réalisation du programme de la Fondation « 2 000 toits pour 2 000 familles » en faveur des personnes défavorisées. Un label, collé sur les vitrines de toutes les agences partenaires, donne l’assurance aux particuliers de s’adresser à un réseau de professionnels du logement engagés auprès des mal-logés, et permettra aux acquéreurs et aux vendeurs de faire acte de solidarité. www.agencesolidaritelogement.fr

PRESSE

Bienvenue à Alp’ternatives KOVARIK/AFP

ANTIPUB

des agences Adecco, Perfect Service et Manpower, « ont arraché au gouvernement des critères de régularisation qui profiteront à des milliers d’autres subissant depuis des dizaines d’années la surexploitation, la flexibilité et la précarité», se réjouissent leurs soutiens. Mais cette victoire « ne saurait néanmoins faire l’impasse sur l’insuffisance des critères de régularisation que veut imposer le gouvernement». Au moins deux de ces critères font tache: l’obligation de cinq ans de présence en France et l’exclusion des travailleurs sans papiers algériens. www.droitsdevant.org

LOGEMENT

Contribution utile La toute nouvelle association Agence solidarité logement vise à fédérer des agences immobilières dans toute la France autour d’un engagement commun en faveur du logement. La structure regroupe des agences immobilières s’engageant à donner 1 % de leur chiffre d’affaires

Un nouveau magazine d’informations locales est né du côté de Gap. Le trimestriel Alp’ternatives est édité par l’association Pour une alternative citoyenne à gauche, à l’origine de la liste «Gauche: Gap alternative

DR

Résistances

unitaire citoyenne humaniste écologiste», qui a obtenu 11,8% des voix et 2 élus dans l’opposition à Gap, aux dernières municipales. Le premier numéro, imprimé comme ses prochains camarades sur papier recyclé et distribué sur les marchés ou sur les lieux de travail, s’attarde sur le décryptage de l’expression « gauche de la gauche », le contrat de la ville de Gap avec Véolia, La Poste et le service public, la réforme de l’école ou encore l’éducation au goût et à la biodiversité. Bref, on est entre amis. Bonne chance à Alp’ternatives. Alp’ternatives, trimestriel, 12 p., 1 euro. Abonnements : 04 92 21 37 65. http://jceyraud.blogspirit.com

LOGEMENT

Retour sur le trottoir Un an après, les mal logés de la rue de la Banque sont de retour sur le trottoir (1). « Pour ne pas être oubliées par l’État, les familles ont décidé de recommencer leur mouvement », précise l’association Droit au logement, après avoir passé le week-end à manifester contre la loi « mobilisation pour le logement » de Christine Boutin. Pour le DAL, « les engagements de l’État de reloger dans un délai d’un an les 374 familles de la rue de la Banque, en échange du démontage du campement, n’ont pas été tenus ». Selon le décompte de l’association, 70 des 374 familles ont été effectivement relogées par l’État, 71 par d’autres moyens, et 233 restent sans habitation. « Les propositions de relogement deviennent plus rares : 19 ces trois derniers mois », dénonce en outre l’association, qui en profite pour rappeler sa condamnation à 12 000 euros d’amende pour le campement de l’an dernier. Le DAL demande le relogement des familles, le retrait de la loi Boutin et l’abandon de toutes les poursuites engagées contre des associations.

X. F. (1) Voir Politis n° 973 ou sur Politis.fr, « Salariés, en règle, mais mal logés ». DAL, www.dalfr.org, 01 42 78 22 00.

JEUDI 18 DÉCEMBRE 2008 / POLITIS / 27

Courrier Faire front e remercie Politis de relayer les arguments de Jean-Luc Mélenchon, expliquant son départ d’un parti, le PS, qui n’a plus de socialiste que le nom. Mais, plus encore, sa participation à la construction d’une alternative au libéralisme est une bouffée d’oxygène dans cette France et ce monde broyés par la dictature libérale. C’est pourquoi je remercie également Politis de relayer les arguments de celles et ceux qui œuvrent dans ce sens, célèbres ou anonymes. Il faut reconstruire un front antilibéral comme en 2005 face à la Constitution européenne, aujourd’hui face au rouleau compresseur de cette idéologie qui n’assume même pas son nom. Cet arc contre la dictature des marchés et des fortunes privées devra, comme le font d’autres groupes en Europe (par exemple Die Linke) ou dans le monde, réfléchir à des propositions pour répondre à la crise actuelle, inédite dans l’histoire

J

humaine du fait de sa complexité. Car, si la crise financière et économique est aussi grave qu’en 1930, la crise environnementale présente elle aussi […] des menaces pour la paix dans notre monde, doté, faut-il le rappeler, d’armes capables de détruire toute l’humanité. De toute façon, rien qu’avec les guerres actuelles et leurs contributions à dégrader l’environnement, nous sommes tous perdants. Voilà pour ce triste constat, mais les notes d’espoir sont nombreuses, que ce soit du côté de nombreux États en Amérique latine et/ou de mouvements sociaux un peu partout dans le monde. Et puis, en France, des foyers de résistance se développent, que ce soit aux côtés des sans-papiers ou, plus récemment, du côté de la résistance pédagogique face aux mesures iniques du ministre Darcos. Le blog accessible avec les mots-clés « résistance pédagogique » sur n’importe quel moteur de recherche web fourmille d’informations renouvelées quotidiennement.

POUR POLITIS BULLETIN D’ADHÉSION ou de RENOUVELLEMENT DE COTISATION * À renvoyer, bulletin et règlement de la cotisation, à :

Pour Politis, 2, impasse Delaunay, 75011 Paris. * Je souhaite adhérer à l’association Pour Politis, ou renouveler ma cotisation pour l’année 2009 – Nom : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Prénom : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . – Adresse : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .................................................................. – Code postal : . . . . . . . . . . . . . . . . – Ville : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . – Adresse courriel (1) : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . – Téléphone : . . . . . . . . . . . . . . . . . . * montant de la cotisation 2009 : 10 euros (chèques à l’ordre de Pour Politis). (1) Pensez à nous indiquer une adresse courriel si vous en possédez une, c’est une économie financière et de temps considérable à l’heure de communiquer avec les adhérents. • Pour des raisons d’économie, nous n’éditons pas de « carte d’adhérent ». Le prélèvement de votre cotisation fait foi. Vous pouvez cependant obtenir confirmation de votre adhésion sur simple demande (voir nos coordonnées ci-dessus). • Ces informations resteront confidentielles et n’auront d’autre usage que les besoins de l’association.

28 / POLITIS / JEUDI 18 DÉCEMBRE 2008

Mais ces notes d’espoir appellent, encore une fois, la formation d’un arc antilibéral en France. Un tel front est souhaité par de nombreux concitoyens, et peut faire de gros scores aux prochaines élections, s’il est uni comme en 2005. Il faut qu’il respecte les identités de chaque parti de gauche antilibérale, leurs spécificités et idéologies. Mais il faut bien que chacun de ces partis comprenne qu’il n’a pas réponse à tout, étant donné la complexité des crises de notre époque […]. Tournons la page de 2007, nous avons tous fait des erreurs ; moi aussi, qui ai fait la campagne de Bové, dont la compromission aujourd’hui avec un vrai libéral chez les Verts (et un faux libertaire) me laisse sans voix. Je veux bien l’avouer, tout en tournant la page, afin que nous avancions de nouveau vers ce front antilibéral. À l’heure où des arcs antilibéraux, parfois puissants (je pense en particulier à « Die Linke » en Allemagne), se forment dans différents pays de notre monde, reprenons rendez-vous avec l’histoire. CHRISTIAN DAVID

De la précaution langagière à la provocation omme chaque jeudi, je reçois Cje commence avec jubilation mon Politis, et […] par lire l’édito (hum !), puis le bloc-notes (re-hum !). Je reviens sur l’édito, lis le dossier sur « le poison sécuritaire ». Et là, j’ai envie de réagir. Pour dire à Denis Sieffert qu’avec une infinie prudence il tourne autour du pot pour ne pas nommer la bête immonde que, pour ma part, je n’hésite pas une seconde à baptiser de son vrai nom : le fascisme. Même si « nous ne sommes pas à la veille d’un coup d’État militaire », même s’il est rampant ou larvé, le monstre est là, et bien là, en attendant des jours meilleurs pour lui. Peut-on encore parler de bavures isolées lorsque policiers, gendarmes et juges bafouent ainsi la dignité des personnes, tout en étant couverts par leur hiérarchie et leur ministre de tutelle ? Citons, entre autres : les membres du groupe de Tarnac, simplement soupçonnés, coffrés comme des bandits de grand chemin, sans aucune preuve à l’appui de leur culpabilité ; Vittorio de Filippis menotté, fouillé au corps, humilié tel un dangereux criminel ; la rafle

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ou envoyez un courrier électronique à [email protected] Un site des NMPP indique également où trouver Politis : www.trouverlapresse.com

des enfants de Grenoble dans leur école, envoyés en centre de rétention avec leurs parents et expulsés de France illico presto, car sans papiers ; les descentes policières et le comportement scandaleux des forces de l’ordre dans des établissements scolaires du Gers, dans le but de terroriser les jeunes, avec l’assentiment, ou à tout le moins la passivité des principaux de collège ; le cafouillage gouvernemental sur la question de la prison pour les enfants de 12 ans ; un président de la République (un monarque devrait-on dire) qui s’arroge des droits divins, insulte qui bon lui semble, mais ne supporte pas qu’on en fasse autant à sa personne, nomme qui bon lui semble à la tête de l’audiovisuel public, pour mieux contrôler l’information. Et je pourrais continuer la litanie indéfiniment. Alors oui, comme l’écrit Ingrid Merckx dans l’entretien avec JeanPierre Dubois, « certains font un lien entre le climat actuel et des heures sombres de l’histoire de France ». Et ces heures sombres, pourquoi ne pas les nommer ? Pour moi, ce sont celles de Vichy, de l’Occupation, de la Collaboration, donc celles du fascisme d’État. Et si nous n’y prenons garde, si nous restons passifs, si nous ne réagissons pas, ce gouvernement ira encore plus loin, et peut-être sera-t-il trop tard ! Le bloc-notes maintenant. L’ami Langlois y va un peu fort dans la provocation (mais il l’assume), je

Politis, courrier des lecteurs, 2, impasse Delaunay, 75011 Paris. Fax : 01 43 48 04 00. E-mail : [email protected]

Roland Veuillet en danger

J

e me permets de vous envoyer ce mail afin de relayer une information qui passe, pour le moment, inaperçue dans la sphère médiatique. On a parlé, il y a quelque temps déjà, de l’appel d’offres qu’aurait lancé le ministère de l’Éducation nationale afin de « dépister » les enseignants susceptibles d’avoir une influence syndicale ou idéologique auprès de leurs collègues via Internet. Il semblerait que de tels agissements antidémocratiques aient déjà lieu sur le terrain. En effet, depuis le 6 novembre 2008, Roland Veuillet, conseiller principal d’éducation, est en grève de la faim devant le rectorat de Lyon. Il y passe non seulement ses journées mais également ses nuits (froides, il va sans dire) ! Pourquoi une telle action, si violente, si dangereuse pour sa santé et si anxiogène pour sa famille ? Tout simplement parce que Roland Veuillet a subi une mutation disciplinaire en 2003 pour avoir refusé de faire remplacer les surveillants de son lycée, alors en grève pour la sauvegarde de leur statut, par des élèves majeurs, ce qui aurait été pour le moins dangereux pour les élèves et révélateur d’une certaine inconscience professionnelle ! Roland Veuillet se retrouve donc en banlieue lyonnaise, à Villeurbanne, loin de sa femme et de ses enfants, restés à Nîmes. Le plus risible, si l’on peut dire, réside dans le fait que le Conseil supérieur de la Fonction publique a rendu un rapport qui exonérait Roland Veuillet de toute faute professionnelle, révélant ainsi un dossier « vierge » d’une quelconque action répréhensible. Malheureusement, cet organisme, malgré une dénomination assez flatteuse, ne revêt qu’un rôle consultatif auprès du cabinet de M. Darcos, ministre de l’Éducation nationale. Roland Veuillet risque sa vie pour un simple vœu : que sa situation soit réexaminée par l’administration de l’Éducation nationale et qu’il puisse enfin rentrer chez lui après cette longue et harassante parenthèse pour le moins inquiétante pour notre démocratie et notre liberté de penser ! Les personnels de son établissement viennent de lancer une opération « collège occupé : dossier fermé égale livres fermés ! ». La nuit, plusieurs personnes dorment dans l’établissement, et certains se relaient pour rendre visite à notre collègue devant le rectorat en lui apportant du thé, du café, des bouillottes…

COLLÈGE DES GRATTE-CIEL MORICE-LEROUX, VILLEURBANNE (RHÔNE)

trouve, en défendant Éric Zemmour, qui ne sait plus quoi dire ni quoi écrire pour montrer qu’il existe. Et qui bénéficie dans le milieu médiatique de suffisamment d’appuis pour l’aider à se défendre. Quant à la notion de « race », eh oui, elle n’existe pas, scientifiquement parlant. On peut parler de la race humaine ou chevaline ou canine. Il vaut mieux effectivement dire, « ethnie »,

Pensez-y ! Abonnement web à partir de 8 € par mois

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« type », je n’irai pas jusqu’à employer « gamme chromatique ». Car, bien sûr, s’il n’y a qu’une race humaine, il existe des différences (et heureusement, sinon quelle tristesse) cutanées, morphologiques, culturelles… Le tout étant d’accepter ces différences dans le genre humain, mais aussi d’être conscient qu’il n’existe pas de déterminisme en fonction de telle ou telle ethnie. Les propos de M. Zemmour incitaient plutôt à penser le contraire. Mais bon, lui aussi assume en se revendiquant « de droite et réactionnaire ». Je n’ai pas envie de le défendre et je condamne son affirmation sur l’existence des races. Décidément, je préfère Bernard Langlois en critique de livres, j’en ai acheté plusieurs par lui

conseillés et je n’ai pas eu à le regretter, bien au contraire. Allez, on n’achète pas un journal pour y lire exactement ce que l’on pense, là aussi ce serait triste. Mais il est bon aussi que les lecteurs réagissent à des articles qui les titillent, ou qu’ils informent les autres lecteurs, tels les courriers de Politis du 11 décembre, sur « Des enfants raflés à l’école », « N’oubliez pas les Roms », « Nucléaire », « École à vendre ». Et puis qui aime bien châtie bien. Allez, là-dessus, je m’en vais poursuivre la lecture de mon hebdo préféré. JEAN-YVES VLAHOVIC, SAINT-LÉGER-LES-VIGNES (LOIRE-ATLANTIQUE)

Entrer en résistance près avoir pris connaissance de A l’histoire de Zoé au collège de Marciac, nous nous posons quelques questions. Cette opération policière n’est-elle pas une nouvelle alerte sur les conséquences des choix de société que Nicolas Sarkozy et son entourage nous imposent ? Gérer les rapports humains par la répression, la « terrorisation » et le passage par les tribunaux… À partir de quand pouvons-nous dire qu’une société est sous un régime policier ? En sommes-nous encore très loin ? En effet, en dehors de ce qui est arrivé à Zoé, a priori les membres de la communauté éducative du collège n’ont pas réagi lors de « l’opération ». Cela peut s’expliquer par le fait qu’ils étaient d’accord avec les auteurs ou qu’ils étaient eux aussi terrorisés et avaient peur d’être poursuivis pour outrage et de subir une garde à vue… Que penser quand les honnêtes citoyens ont peur de leur police ? En quoi l’humiliation, l’intimidation sont éducatifs ? En quoi le mensonge est-il formateur ? Visiblement, les enfants s’attendaient à une action de prévention avec les gendarmes, et ils ont vécu un traumatisme. Après cela, comment pourront-ils avoir confiance dans la parole des gendarmes et des policiers, voire dans celle des adultes, en particulier dans celle du CPE et des enseignants qui ont participé et/ou laissé faire ? Faire circuler l’information, c’est déjà entrer en résistance… Il n’est jamais trop tard pour entrer en résistance quand les libertés des citoyens sont en danger. […] JEAN-PHILIPPE ET MARIE-FRANÇOISE LE NOA

Agenda Grenoble : du 9 au 19 décembre, l’association « Drugi Most, un autre pont vers les Balkans » organise la huitième édition du festival Du monde aux Balkans. Au programme, des concerts-spectacles issus d’une résidence artistique, des projections de films suivies de discussions, des concerts, des expositions et une rencontre avec des animateurs de France et de Bosnie-Herzégovine engagés dans un projet socioculturel à Mostar. 04 38 49 02 78, http://drugimost.free.fr

Le Thor (84) : les 13 et 14 décembre, les associations D3P et Fruits oubliés Paca organisent la Fête de la biodiversité paysanne et des variétés anciennes. Salle des fêtes et jardins. [email protected]

Paris VIIe : du 17 au 19 décembre, ATD Quart Monde, le Cevipof et SciencesPo Paris organisent un colloque international sur « La démocratie à l’épreuve de l’exclusion ». En présence notamment de Paul Bouchet, Leandro Despouy, Nonna Mayer, et Serge Paugam, en partenariat avec France Culture. 27, rue Saint-Guillaume. www.atdquartmonde.fr

Paris Ve : le 18 décembre, à 17 h 30, les philosophes Étienne Balibar, Sidi Mohammed Barkat et Alain Brossat présentent la revue franco-italienne de philosophie la Rose de personne/la Rosa di nessuno. Trois ans après, « les révoltes françaises de l’automne 2005 n’ont pas cessé de représenter une énigme politique et théorique de première importance ». Librairie Vrin, 71, rue Saint-Jacques.

Aix-en-Provence (13) : tous les jeudis, de 19 h à 21 h, l’Université populaire et citoyenne du Pays d’Aix, « projet associatif et bénévole », vous propose ses cours : philosophie politique (avec André Koulberg, professeur de philosophie), économie (André-Jacques Holbecq, écosociétaliste), constitution (Étienne Chouard, professeur d’éco-gestion), sociologie (à partir de janvier 2009). La Maison des associations, Lou Ligourès, place Romée-de-Villeneuve. 06 73 34 85 30, [email protected]

Paris XIIIe : le 21 décembre, à 17 h, la pièce de théâtre Zorro el Zapato. Les acteurs, amateurs, ont revu et corrigé une création de la compagnie Tamérantong (dont les pièces sont jouées par et pour des enfants). Un mystérieux personnage masqué sème le trouble, tandis qu’un curieux Gringo McDollar s’intéresse de près au maïs bleu… Le Barbizon, 175 bis, rue de Tolbiac. Tarif d’entrée libre. www.lebarbizon.org

www.politis.fr Consultez l’agenda militant mis à jour régulièrement.

JEUDI 18 DÉCEMBRE 2008 / POLITIS / 29

Le bloc-notes BERNARD LANGLOIS

DU KOUCHNERISME On passera rapidement sur l’aspect le moins ragoûtant de la récente sortie de Bernard Kouchner sur l’inutilité supposée d’un secrétariat aux Droits de l’homme (« je regrette d’en avoir demandé la création ») : ce côté coup de pied de l’âne à une collègue en semi-disgrâce (1) qui se trouve être, de surcroît, sa subordonnée – à qui donc il devrait, en principe, sa protection de suzerain. Mais lui-même est vassal… Telle est la Cour, telles sont ses mœurs, sous Nicolas Ier. Comme elle fut et comme elles furent, rien de nouveau sous le soleil, sous ses prédécesseurs. Le Prince actuel est seulement un peu plus mégalo que la moyenne, et ceux qui le servent enclins à une servilité plus grande. Sur le fond, l’affirmation selon laquelle « on ne peut pas diriger la politique extérieure d’un pays uniquement en fonction de cette question [des droits de l’homme] » est une évidence. Qu’elle sorte de la bouche d’un homme qui a bâti toute sa carrière sur le refus de la real politic, à laquelle il opposait « le droit d’ingérence », lui donne une saveur particulière. D’autant que la polémique tombe à la date anniversaire, le soixantième, de la Déclaration universelle. Autant le travail de terrain du Kouchner première époque, quand, avec l’embryon des MSF, il soignait, pieds dans le sang et la merde, les blessés des guerres lointaines, me semblait digne de respect ; autant le Kouchner politicard, donneur de leçons, emphatique, déclamant la chanson des droits de l’homme en toute occasion et hors de propos, m’a toujours gonflé. C’est ainsi : le « kouchnerisme », variante du « droit de l’hommisme », est une escroquerie intellectuelle consistant à faire croire aux braves gens que les relations internationales peuvent se régler avec de bons sentiments, un sac de riz sur l’épaule et indépendamment de la dure réalité des intérêts et rivalités nationales, et du cynisme sans borne des États, à commencer par ceux qui dominent le monde. Un leurre. Et tout ça pour en arriver là : être le ministre étranger aux affaires d’un Sarkozy qui le considère comme une prise de guerre (sur la gauche) et l’utilise comme un bouffon (il paraît que Nanard connaît tout plein de chansons qui distraient notre Souverain lors de ses longs périples aériens.) Pitoyable !

L’UNIVERS ONUSIEN Le hasard fait que j’assistais récemment à un exposé public d’un homme qui a beaucoup bourlingué au service de la diplomatie française, en Amérique latine notamment. Mais pas seulement : il fut aussi, durant plusieurs années, le directeur général de l’ONU, n° 2 de l’organisation, nommé à ce poste par Pérez de Cuéllar. Et c’est sur l’ONU, son rôle, son fonctionnement que portait sa conférence. À 72 ans, Antoine Blanca, fils d’un répu30 / POLITIS / JEUDI 18 DÉCEMBRE 2008

blicain espagnol exilé en Algérie après la victoire de Franco, professeur, militant socialiste de toujours (proche de Pierre Mauroy), longtemps dirigeant de la fédération nationale des clubs Léo-Lagrange, n’est pas très conforme à l’archétype du diplomate classique : de préférence aristo, formaté ENA, révisé Quai d’Orsay (Mitterrand s’était plu à nommer quelques ambassadeurs atypiques, dont Rouleau est un autre exemple ; et Sarkozy fait de même, en envoyant Rufin à Dakar). Déjà, lorsqu’il était en fonction, son franc-parler faisait grincer quelques dents – dont celles de Boutros Boutros-Ghali, qu’il ne semble pas tenir en très haute estime (c’est lui qui l’a viré, en supprimant son poste, pour complaire aux États-Unis, « qui ne lui en ont même pas été reconnaissants, puisqu’ils lui ont refusé un second mandat » !). Mais même sans pratiquer la langue de bois, le métier oblige à une certaine réserve. Aujourd’hui retraité, Blanca ne se retient guère de dire tout le mal qu’il pense de « l’univers onusien ».

SANS COMPLAISANCE Le mal, c’est peut-être trop dire, car l’homme reste attaché à ces valeurs humanistes qui ont présidé à la création de ce grand forum des nations, comme à cette Déclaration de 1948, que l’on célèbre d’autant plus qu’on la respecte moins. Il apprécie en outre le côté melting-pot de l’immeuble de verre newyorkais et juge au final que « ce serait encore pire si l’ONU n’existait pas ». Disons qu’il en pointe sans complaisance les insuffisances et les dysfonctionnements. Et que, au poste qui était le sien, dans son « grand bureau avec vue sur l’Hudson River juste en dessous de celui du secrétaire général », en charge notamment des problèmes de développement, obligé de fréquenter de franches crapules en ayant à l’esprit les massacres et sévices par elles infligés à leurs peuples (au Darfour, par exemple), sans parler des prévarications, détournement et gabegies de toutes sortes, confronté à la politique indigne d’un FMI voué au seul profit des marchands au détriment des populations les moins bien loties, ou encore aux querelles de préséance et de compétence des « organismes associés » (la FAO et le Programme alimentaire mondial se tirant la bourre), Antoine Blanca le dit sans détour : « Il faut savoir cuirasser son cœur. » La réalité de l’ONU, ce sont l’individualisme et la volonté de puissance des États, USA en tête, leur arrogance envers le reste du monde, qui ne permettent à l’organisation de survivre qu’à l’état de « croupion ».

FAIRE SEMBLANT Reste alors à faire comme si. Comme si les ambassades au bout du monde, les incessants allers et retours, les conciliabules, suppliques ou objurgations pour tenter de

dénouer d’indénouables fils et trancher, en l’absence de glaive, les nœuds gordiens de situations inextricables servaient à quelque chose. L’orateur prend l’exemple de cette mission au Maroc pour mettre en place le référendum sur l’autodétermination du Sahara occidental, sans cesse renvoyé aux calendes : « Chacun savait que cette consultation n’avait aucune chance de se tenir avant que le roi du Maroc ne soit assuré de l’emporter. Je rappelais au secrétaire général cette évidence, qu’il connaissait du reste aussi bien que moi. » « “Allez-y quand même, me répondit Pérez de Cuéllar, je ne vous demande pas de réussir, juste de faire semblant.” »

L’EXEMPLE RWANDAIS Telle est la politique internationale, et ce n’est pas près de changer. Les États sont des monstres froids, qui défendent tous et en priorité leur bout de gras (comme on le voit encore ces jours-ci en Europe face à la crise ou aux périls climatiques : ne pas se laisser prendre aux déclarations triomphales de rigueur). Un lecteur apparemment atteint de psittacisme et se prenant pour le regretté Verschave (2), sans en avoir ni la hauteur de vue ni les méthodes – pugnaces mais toujours empreintes de respect envers ses interlocuteurs –, nous bombarde ces temps-ci dans nos boîtes personnelles de messages électroniques nous reprochant de ne pas parler assez du génocide rwandais, et plus précisément des complicités françaises dans ces massacres de masse, et encore plus précisément des responsabilités socialistes, et singulièrement de celles d’Hubert Védrine, sur qui il fait une véritable fixation. Je pense, personnellement, qu’il y a des complicités françaises (droite comme gauche) qui se sont traduites par le soutien au Hutu Power, clairement responsable des massacres ; et j’ai signé à l’époque la pétition demandant que la justice ait à connaître de ces complicités. On sait qu’il y a par ailleurs des accusations assez précises portées envers Kagame et le camp tutsi (notamment celles du juge Bruguières, reprises dans le livre de Péan). Cela pour dire que les choses sont rarement simples. Incontestable qu’il y a eu génocide, mais le FPR de Kagame a sa part de responsabilités. Incontestable aussi qu’au-delà des accointances du fils Mitterrand (Jean-Christophe, alias Papamadit) avec la famille Habyarimana, le gouvernement français (à l’époque, 1994, sous la cohabitation Mitterrand/Balladur) a réagi sous l’emprise du « syndrome de Fachoda », soutenant sans plus d’examen les francophones contre l’avancée des anglophones, qui se poursuit du reste aujourd’hui dans le richissime Congo ex-belge. Cette politique de la France (mais aussi de la Belgique) dans l’affaire rwandaise est, je crois, un assez bon exemple de ce qu’on appelle real politic, et qui a, en effet, peu à voir avec les droits de l’homme.

Le bloc-notes

Quant à Politis, on peut lui reprocher peutêtre de ne pas traiter suffisamment tel sujet par rapport à tel autre, personne ne prétend que nous faisons un journal exhaustif et quasi parfait. Mais je n’ai jamais encore rencontré d’accusation aussi grotesque que celle que nous fait ce lecteur : de ménager les socialistes et d’avoir des « relations à préserver » avec Hubert Védrine.

LA FIN DU VETO ? L’impuissance de l’ONU, si souvent dénoncée, a longtemps tenu au système du « veto » des membres permanents du Conseil de sécurité, tout au long de la guerre froide. L’impasse tragique du conflit de la Palestine suffit à en illustrer les effets. Dans un ouvrage récent (3), assez révélateur de ce qu’est la diplomatie américaine, j’ai relevé ceci : « Sur le moment, la chute du mur de Berlin ne m’est pas apparue comme la fin d’une époque. Pour moi, la donne a changé le jour où Jim Baker et Edouard Chevardnadze ont condamné d’une seule voix l’invasion du Koweït par l’Irak. Je vois là la fin réelle de la guerre froide. » C’est Brent Scowcroft qui parle, l’ancien conseiller à la Sécurité nationale de Bush père, dans un livre de dialogue avec Zbigniew Brzezinski, son alter ego dans l’Administration Carter. Les deux hommes, le républicain et le démocrate, ont apparemment plus de choses en commun que de réelles divergences : à commencer par la condamnation de la politique de Bush fils et de la guerre en Irak. Ils reviennent sur le passé, leurs expériences dans le premier cercle du pouvoir américain ; ils s’interrogent aussi sur l’avenir, celui de l’après-guerre froide, de l’après-11 Septembre, de la nouvelle donne mondiale, de la crise, de la victoire d’Obama, etc. Avec cet autre point commun (les Ricains sont d’incorrigibles optimistes !) : l’Amérique saura se sortir du marasme où elle est plongée, conserver son leadership et vaincre cette « haine » (4) que lui voue le reste du monde, ce qui fait dire à Ignatius, avec l’acquiescement des deux diplomates : « Le nouveau président va entrer en fonction dans un monde singulièrement hostile aux États-Unis. Je ne me souviens pas d’une seule période où la terre entière ait été aussi remontée contre nous. » Remettre, peut-être, une pincée de droits de l’homme dans le sombre brouet de la real politic ? B. L.

C’est ainsi: le « kouchnerisme », variante du « droit de l’hommisme », est une escroquerie intellectuelle consistant à faire croire aux braves gens que les relations internationales peuvent se régler avec de bons sentiments, indépendamment du cynisme sans borne des États.

(1) Rama Yade qui se défend plutôt bien (par anticipation !) dans Les Droits de l’homme expliqués aux enfants de 7 à 77 ans, Seuil, 120 p., 7 euros. (2) François-Xavier Verschave, membre fondateur de Survie, l’association de référence dans la dénonciation du néocolonialisme, notamment français et en Afrique, http://survie.org. (3) L’Amérique face au monde, Pearson, 310 p., 24 euros, échange arbitré par l’éditorialiste du Washington Post David Ignatius, préface de P. Boniface. (4) La Haine de l’Occident, Jean Ziegler, Albin Michel. [email protected]

JEUDI 18 DÉCEMBRE 2008 / POLITIS / 31

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