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Crise de la presse Les canards enchaînés ?
I Semaine du 12 au 18 février 2009 I n°1039 I
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Le ras-le-bol!
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XXX PIERRE KHALFA xxxxxxxx « Amplifier xxxxxxxxxxx la mobilisation» page x
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SOMMAIRE THÉÂTRE.
LILIAN THURAM L’ÉVÉNEMENT
Pages 22 et 23
avec Pierre Khalfa : « Enraciner et amplifier la mobilisation ». ENTRETIEN
JOCARD/AFP
Scènes de combat.
Pages 4 et 5
LITTÉRATURE. « En enfance », de Mathieu Lindon. Page 23 CINÉMA. « Gerboise bleue », de Djamel Ouahab. Page 24 « Tony Manero », de Pablo Larrain. Page 24
MÉDIAS
SOCIÉTÉ
TÉLÉVISION.
« Sous les drapeaux », d’Henry Colomer.
UNIVERSITÉS.
La faculté de protester. Pages 6 et 7
Page 25
SOCIAL HÔPITAUX. La loi qui va mettre à mal votre santé. Pages 8 et 9 À CONTRE-COURANT. « Pour un contrôle démocratique », par Michel Husson. Page 9
POLITIQUE EXTRÊME GAUCHE.
Le NPA en a déjà ras le front de gauche. Pages 10 et 11
IDÉES/DÉBATS ESSAI.
« La Domination et les arts de la résistance », de James C. Scott. Pages 26 et 27 TRIBUNE. « L’ONU complice de l’État algérien », par Salima Mellah. Page 27
RÉSISTANCES HISTOIRE.
de Vincent Cheynet et Paul Ariès. Page 11 LA FÉDÉRATION. En quête de convergences. Page 12
« La Retirada », de Georges Bartoli. Pages 28 à 30
MONDE
Pages 32 et 33
TRIBUNE
LE POINT DE VUE DES LECTEURS
GÉORGIE. L’impossible neutralité. Pages 14 et 15
BLOC-NOTES
CULTURE
Pages 34 et 35
Une : Jean-Pierre Clatot/AFP
DOSSIER
ROBINE/AFP
MÉDIAS
NUMÉRO SPÉCIAL
Les canards sont-ils enchaînés ? Entretien avec Jean-François Kahn. Des relations trop confraternelles. Pages 18 à 21
Crise sociale, écologique et financière* 2003-2008 six années d’analyses économiques
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ÉDITORIAL PAR DENIS SIEFFERT PAR DENIS SIEFFERT
Avis de tempête écidément, Nicolas Sarkozy est plus à l’aise dans le costume du commis voyageur planétaire que dans le bleu de chauffe du négociateur social. On le signalait mardi matin à Bagdad alors que l’actualité l’aurait plutôt appelé à Pointeà-Pitre. Ce contre-pied s’explique aisément. Car, paradoxalement, le risque est bien moindre dans la capitale irakienne, au milieu de l’armée américaine au « grand complet », que dans le chef-lieu de la Guadeloupe, où gronde la colère populaire. Surtout à une époque où les préfets ne sont plus très sûrs. Des Antilles, nous parviennent ces jours-ci des images insolites. C’est tout un peuple qui exprime son ras-le-bol en allant jusqu’à braver l’un des interdits les plus sacrés de notre système : la propriété. À commencer par celle des grandes surfaces sur leur camelote. Dans une joyeuse pagaille, des femmes qui n’ont pas les apparences de dangereuses révolutionnaires poussent des caddies pleins hors des magasins, bousculant au passage des vigiles débordés et des caissières contrites. Oh, certes, ce ne sont pas les émeutes de la faim de l’été dernier à Haïti ou en Égypte. Nous ne sommes pas ici dans la survie, mais dans une immense lassitude où se mêlent sentiments d’injustice et incrédulité. « Ce qui est pris est pris », semblaient dire ces femmes, « et c’est déjà ça qu’Yves Jégo ne nous reprendra pas ». D’autant plus que le secrétaire d’État à l’Outre-Mer venait, inexplicablement, de quitter l’île pour aller consulter le Premier ministre à Paris, comme si le téléphone et Internet n’existaient pas. Quelques heures auparavant, le sous-ministre avait quitté la table des négociations après avoir refusé au LKP, le Collectif contre l’exploitation, l’augmentation de deux cents euros que celui-ci demande pour les bas salaires. Que nous réserve la suite ? Yves Jégo, dont nul n’avait jamais autant
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Les fameuses «réformes» dont Nicolas sarkozy se glorifie contredisent tout son discours sur la crise.
président de la République envisage d’affecter au financement de mesures sociales ne relèvent même pas du budget de l’État, mais proviennent des intérêts (1,4 milliard d’euros) perçus sur les prêts consentis aux banques. Toute une Quant à Nicolas Sarkozy, il avait déjà logique ! Mais l’incrédulité est d’autant donné, jeudi dernier, des signes plus grande que ces fameuses mesures d’embarras, sinon d’indifférence, en ne disant pas un mot de la grève générale en sociales restent très floues, renvoyées Guadeloupe au cours de son interminable qu’elles sont à un rendez-vous avec les « partenaires sociaux » fixé au 18 février. prestation télévisée. La question, il est Cela dit, dans le genre dilatoire, les vrai, ne lui avait pas été posée par nos centrales syndicales ne sont pas mal non audacieuse consœur et hardis confrères. plus. En ne prévoyant pas de journée À moins que les experts en nationale d’action avant le 19 mars, elles communication qui entourent le ne mettent guère la pression sur le Président ne lui aient suggéré de ne pas trop attirer les regards vers l’hiver chaud gouvernement. D’autres la mettent, la pression. On pense notamment aux des tropiques. Il ne faudrait pas que l’agitation guadeloupéenne prenne valeur chercheurs et aux universitaires, dont la d’exemple. Dans nos contrées, au moins, détermination est exemplaire. Valérie Pécresse en a même trébuché lundi. À la il fait froid. Les frimas ont toujours été veille de la manifestation des chercheurs les auxiliaires précieux des pouvoirs. Mais les avis de tempête qui se succèdent et des universitaires, la ministre de l’Enseignement supérieur a annoncé la de ce côté-ci de l’Atlantique ne nous nomination d’un médiateur, avant de interdisent pas complètement de filer la métaphore météorologique. On ne se sert laisser entendre que sa réforme pourrait être reportée d’un an, puis de se raviser. pas encore soi-même dans les supermarchés, mais les sentiments d’injustice et d’incrédulité sont les mêmes Enfin, dernier épisode de la « relance » qu’outre-mer. Et plus de deux millions de gouvernementale, l’annonce lundi d’une manifestants ont défilé dans nos villes, le aide de six milliards d’euros allouée à nos 29 janvier, malgré la bise. Il est vrai que la deux firmes automobiles. On est ici France a deux handicaps dans la crise. toujours dans la logique néolibérale : ne Son gouvernement ne veut rien céder pas améliorer le pouvoir d’achat des d’un irascible credo néolibéral : les salariés, mais leur promettre un profit milliards vont toujours aux banques ou par ricochet. Sauf qu’en l’occurrence le aux entreprises, jamais à la « ricochet » paraît bien hypocrite. Les consommation. Et le même milliards tomberaient dans l’escarcelle de gouvernement est saisi d’une frénésie de Renault et de PSA en échange d’un privatisations, de l’hôpital jusqu’à engagement à ne pas licencier et à ne pas l’université. En cela, il va à contredélocaliser. Alors que des plans de courant de la crise. Les fameuses licenciements sont déjà dans les tuyaux… « réformes » dont Nicolas Sarkozy se Décidément, on est plus tranquille à glorifie, et qu’il conviendrait, quoi qu’il Bagdad. en soit, de poursuivre, contredisent tout son discours sur la crise. La ligne de force de sa politique demeure plus que jamais le transfert du public vers le privé. Les vagues promesses d’un autre partage entre l’actionnaire et le salarié ne sont, face à cela, d’aucun poids. scruté les faits et gestes, va-t-il revenir aux Antilles avec mission de lâcher du leste ? Ou bien, qui sait, avec des velléités de reprise en main ?
D’où la totale incrédulité de nos concitoyens, et la chute subséquente de Sarkozy dans les sondages au lendemain même d’un exercice tout entier destiné à le faire remonter. D’un point de vue presque anecdotique, il est d’ailleurs remarquable que les seules sommes que le 12 février 2009
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• Les annonces • Une réforme fondamentale • Il faut créer
ENTRETIEN AVEC PIERRE KHALFA
« Enraciner et amplifier la mo icolas Sarkozy « joue la montre » en annonçant « des réunions, des thèmes de discussions qui pourraient traîner en longueur », indiquait l’Union syndicale Solidaires après l’intervention télévisée du président de la République. Déçus par ses déclarations, les huit syndicats signataires d’une plateforme revendicative ont annoncé une nouvelle journée de mobilisation le 19 mars. En attendant, il s’agit de maintenir la pression et de créer un « rapport de force nouveau », souligne Pierre Khalfa, porte-parole national de l’Union syndicale Solidaires.
LES DIVIDENDES VERSÉS aux actionnaires tournent aujourd’hui autour de 50 %.
publiques. Sa proposition de sup- Le président de la République a dit pression de la première tranche de l’im- « toutes les organisations syndicales ». pôt sur le revenu ne touche d’ailleurs Soit Nicolas Sarkozy est quelqu’un pas les 16,5 millions de personnes qui de sérieux, et cela veut dire que Soline sont pas concernées par cet impôt. daires, l’Unsa, la FSU seront inviRelevons que Nicolas Sarkozy a tées à discuter comme les confédéexprimé une nouvelle vision rations syndicales de la société française, traditionnelles, soit il s’agit puisqu’il a parlé de classes Il faut à un d’une parole en l’air, une de moyennes à propos des sala- moment donné plus, comme cela semble riés au Smic. Auparavant, le être capable de être le cas. Pour notre part, Smic, c’était le salaire mini- créer des nous sommes évidemment mum, ce qui était vraiment le convergences de demandeurs que toutes les minimum pour vivre, main- tous les organisations syndicales tenant cela correspond au mouvements soient reçues ensemble. revenu des classes moyennes. existants. La vision présidentielle tire la Le cap des réformes du société française vers le bas. gouvernement a cependant été Une véritable réforme fiscale remet- réaffirmé ? trait en cause les contre-réformes fis- De quoi parle-t-on quand on parle de cales de ces vingt-cinq dernières réformes ? Nous sommes évidemment années. Il faudrait par exemple taxer pour des réformes, mais pas celles que les revenus du patrimoine beaucoup propose Nicolas Sarkozy. Une plus fortement et augmenter l’impôt réforme nous semble fondamentale sur les sociétés, ce qui accroîtrait les aujourd’hui, qui correspondrait à la recettes de l’État tout en permettant nécessité de l’heure : interdire les licende moins taxer les petits revenus. Sup- ciements dans les entreprises qui font primer la première tranche d’impo- des profits. Il est inimaginable que les sition, cela veut dire que tout le monde entreprises anticipent l’aggravation bénéficiera de cette suppression, même de la crise en faisant payer le prix de les hauts revenus. C’est un saupou- celle-ci à leurs salariés. Plus globadrage social qui ne répond en aucun lement, il faut instaurer un statut du cas à la gravité de la situation. salarié qui garantisse une continuité de la rémunération, qui soit financé Quelle suite donner à ce mouve- par une nouvelle cotisation sociale.
LE S TROIS M EN SON GE S DE N ICOL AS SARKOZY
ment alors qu’un rendez-vous a été fixé par Nicolas Sarkozy aux organisations syndicales le 18 février ?
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Politis I Nicolas Sarkozy a proposé aux partenaires sociaux de négocier des mesures sociales. Cela répondil au désaveu massif de la politique gouvernementale du 29 janvier ? Pierre Khalfa I Le président de la
8milliards d’euros : c’est ce que coûterait la suppression de la taxe professionnelle, d’après Nicolas Sarkozy. Faux, rétorque le Syndicat national unifié des impôts (Snui): la facture serait en réalité de 26 milliards. Cet impôt «n’existe nulle part en Europe» ? Faux encore. L’Allemagne et l’Italie, notamment, ont un impôt local sur les entreprises.
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République a compris qu’il ne pouvait pas en rester à une position d’autisme total. Il a enregistré la colère très importante des salariés et compris qu’il fallait leur donner un peu de grain à moudre. Mais ces annonces ne répondent absolument pas aux nécessités de l’heure. Les quelques mesures fiscales avancées posent de très graves problèmes. Par exemple, la proposition de supprimer la taxe professionnelle créera de toute évidence un manque à gagner pour les collectivités locales : qui sera payé par qui ? Pas par les entreprises, puisque l’objectif est d’en réduire les charges. Cela veut dire qu’il y aura un basculement vers la fiscalité des ménages, au moins en partie. Il s’agit d’un nouveau cadeau au patronat sans la moindre contrepartie.
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Et en matière de fiscalité et de protection sociale ? Le gouvernement reste dans une logique de réduction des recettes
À Gandrange (Moselle), «30millions d’euros» ont été injectés dans l’usine Arcelor-Mittal, une école de formation a été créée, et le PDG du groupe a promis «10millions d’euros» pour revitaliser le site, a juré Sarkozy. Or, aucune modernisation n’a été engagée. Mais un plan de fermeture partielle annoncé début 2008 prévoit 575suppressions de postes.
1,4milliard d’euros d’intérêts seront perçus cette année par l’État au titre du financement des banques. «Les prêts aux banques ne vous ont pas coûté un centime d’euro», affirme Nicolas Sarkozy. En vérité, la France est obligée d’emprunter sur les marchés. Le prêt de 25milliards d’euros aux banques ne rapportera pas 1,4milliard mais la moitié, 700millions.
Nous souhaitons que les organisations syndicales soient reçues ensemble pour négocier avec le gouvernement et le président de la République, à partir du texte de la plate-forme intersyndicale que nous avons signé en commun. Il faut défendre le contenu de cette plate-forme auprès du président de la République. Il faut donc que s’ouvre une période de négociations. Mais on ne peut pas négocier à partir des seules propositions du président de la République, qui sont totalement inadéquates. Tout doit être ouvert à la négociation.
Cela veut-il dire que votre organisation est invitée à la table des négociations ?
Les réformes engagées, comme celles du système de santé et dans l’enseignement, n’ont pas été évoquées… C’est évidemment un des gros problèmes. Cela veut dire que toutes les attaques menées contre les services publics, la santé, le projet de privatisation de La Poste et tout ce qui concerne l’Éducation nationale ne sont pas négociables. Le Président n’a pas l’intention de reculer.
Quelle consigne donnera Solidaires devant cette attitude ? Le mouvement syndical a marqué un point très important avec le 29 janvier. Pour nous, il faut enraciner, amplifier la mobilisation le plus tôt possible, et il faut engager un véritable processus de mobilisation
présidentielles ne répondent pas aux nécessités de l’heure • interdirait les licenciements dans les entreprises qui font des profits • un véritable rapport de force avec le gouvernement • ROBERT CASTEL Sociologue.
bilisation »
« Il faut engager un véritable processus de mobilisation populaire. » populaire. Il faut qu’on s’engage dans un processus de mobilisation de longue durée pour créer un véritable rapport de force avec le gouvernement. De ce point de vue, la réunion intersyndicale de lundi, même si elle a débouché sur une nouvelle date, le 19 mars, est décevante. Car elle paraît bien lointaine dans la situation actuelle et, de plus, les modalités d’action ne sont pas encore précisées.
Et s’il n’y a pas les huit organisations syndicales signataires de la plate-forme ? Nous ferons tout pour qu’il y ait les huit. L’unité syndicale est quelque chose de précieux, mais qui ne doit pas conduire à la paralysie.
Nicolas Sarkozy envisage des négociations dans une phase de refondation du capitalisme. Qu’en pensez-vous ? Sa position me rappelle la fameuse phrase du Guépard : « Il faut que tout change pour que rien ne change. »
Imposer des limites au marché
JOCARD/AFP
C’est la ligne présidentielle et globalement celle des gouvernements et des classes dirigeantes dans le monde. Ils ont intégré le fait que le néolibéralisme financier débridé menait à la catastrophe. Ils sont prêts à prendre un certain nombre de mesures pour essayer de réguler la finance mondiale, mais pas à changer de logique économique. Il s’agit en réalité de mieux réguler la finance mondiale pour continuer à la mettre au service de la logique du profit.
On a tout de même entendu le Président parler de redistribution des richesses… Ce sont des phrases. Comment parler de redistribution des richesses et refuser toute augmentation des salaires et des minima sociaux ? La règle des trois tiers, un tiers des bénéfices aux salariés, un tiers aux actionnaires, un tiers réinvesti dans l’entreprise, suppose une baisse importante des dividendes versés aux actionnaires, qui tournent
aujourd’hui autour de 50 %. Pourquoi refuser alors d’augmenter les salaires ? Un amendement a récemment été déposé et a été… rejeté par la majorité sénatoriale avec l’appui du ministre du Travail de l’époque, Xavier Bertrand.
Cependant, la crise remet en question bien des certitudes autour du capitalisme… Il est clair que l’idéologie néolibérale qui a structuré les discours patronaux et gouvernementaux depuis un quart de siècle est morte. Le débat porte maintenant sur le projet de société vers lequel il faut aller. Nicolas Sarkozy veut refonder le capitalisme. Pour nous, il faut sortir de la logique du profit que le capitalisme impose pour créer une dynamique au service des besoins sociaux et des impératifs écologiques. Il faut changer de paradigme et de système économique. Mais les classes dirigeantes ne sont pas prêtes à l’accepter.
La crise financière a été pour beaucoup l’occasion de prendre conscience que le capitalisme ne s’autorégule pas. Cette crise rend manifeste que l’hégémonie du marché n’est pas autorégulatrice mais autodestructrice. Cela veut dire que le marché autorégulé ne fonctionne pas dans l’intérêt même du capitalisme, comme l’a dit Karl Polanyi. Lorsque la loi du profit et la concurrence exacerbée sont laissées à elles-mêmes, elles créent non seulement des injustices et des inégalités, mais aussi des catastrophes. Ce que préconise Nicolas Sarkozy n’est pas à la mesure de ce constat, parce qu’il ne s’agit pas seulement de répartition ou de partage des profits dans l’entreprise. C’est un aspect important, mais le problème fondamental est celui de la régulation. Parler de refondation du capitalisme est une belle formule, mais il ne s’agit pas que de moraliser le capitalisme. Que des patrons et des traders fassent des bénéfices exorbitants est certes immoral et scandaleux, mais c’est un effet de l’absence de régulation. Il faut imposer des limites au marché, des contraintes qui empêchent de faire n’importe quoi. Je ne pense pas que Nicolas Sarkozy puisse le dire ou même le penser. Quelles sont les possibilités de régulation du marché? Elles existent, notamment à travers une négociation conflictuelle entre partenaires sociaux qui représentent ou sont censés représenter les intérêts du travail. Il faut aussi prendre conscience que, pour rééquilibrer le marché, il faut des régulations du travail. Or, ce à quoi l’on assiste depuis au moins une trentaine d’années, c’est à une déstabilisation du statut de l’emploi et au développement de la précarité. Les réformes de l’actuel gouvernement, d’inspiration libérale, vont dans le sens de la dérégulation, c’est-à-dire dans le sens contraire du renforcement du droit du travail. Elles conduisent par exemple à la résurgence du travailleur pauvre, ce qui est très grave. Ainsi, une part croissante de travailleurs ne parvient pas à assurer ces conditions d’indépendances économiques minimales données par le statut de l’emploi.
_Propos recueillis par Thierry Brun 1 2 f évr ier 2 0 09
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SOCIÉTÉ UNIVERSITÉS La mobilisation contre la réforme proposée par le gouvernement prend de l’ampleur. Rencontre avec des étudiants-chercheurs qui témoignent des menaces qui pèsent sur leur statut.
La faculté de protester e corps universitaire est sous le choc. La cause : la réforme du décret de 1984 régissant le statut des enseignants chercheurs (EC). Cette réforme prévoyant de diminuer la charge d’enseignement des EC jugés les plus performants en matière de recherche, sur des critères unanimement contestés, mobilise de manière inédite dans un milieu réputé individualiste et peu politisé. Pour une fois, le mouvement est parti des enseignants : réunis en coordination nationale des universités depuis le 22 janvier, en grève illimitée depuis le 2 février, ils sont actuellement rejoints par les étudiants. Sauf l’appel de la Sorbonne, lancé le 9 février, par 9 présidents et vice-présidents d’université, ils ont reçu peu de soutiens de leur hiérarchie. Quatre présidents, dont le généticien Axel Kahn, se sont prononcés (le Monde du 30 janvier) pour une réforme du statut de 1984, dépassé, selon eux, parce qu’il ne prend plus en compte l’ensemble des activités assurées par les EC : recherche, enseignement et pilotage. Ils ont néanmoins rejeté le texte de Valérie Pécresse, qui peut « donner à penser qu’un mauvais chercheur est un bon enseignant » et présente l’enseignement « comme une punition ». Le 7 février, sur une chaîne de radio, Axel Kahn a même invité Nicolas Sarkozy à retirer la réforme, « mal emmanchée » et assortie de suppressions de postes. Ce que l’éminent généticien – heureux président de Paris-V, faculté renflouée par le Plan campus – a omis de signaler, c’est que ce décret n’était que l’une des conséquences de la Loi sur l’autonomie des universités (LRU), dont découlent la controversée masterisation, la fin du caractère national des diplômes, le démantèlement des organismes publics de recherche, l’externalisation de certains personnels… En outre, cette loi s’inscrit dans le processus de Bologne, qui porte atteinte aux services publics de l’enseignement supérieur partout en Europe. S’ils obtiennent gain de cause pour le retrait de ce décret, les universitaires sauront-ils, ensuite, regarder au-delà du statut des EC ?
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« UN CHERCHEUR PERFORMANT MAIS PAS UN BON ENSEIGNANT ? » François, 43 ans, enseignantchercheur en mécanique à Paris-VI.
Des enseignants et des chercheurs votent la grève, le 2 février, à la faculté Château-Gombert, université Aix-Marseille-I. POUJOULAT/AFP
« VERS UN SYSTÈME À L’ A N G L O - S A X O N N E ? » Anaïs, 31 ans, enseignantechercheuse stagiaire en biologie à Paris-V. Bien qu’elle inclue une revalorisation des salaires, la réforme du statut des EC m’inquiète. Mais j’hésite à faire grève : en tant qu’EC stagiaire, je dois donner 192 heures de cours dans l’année, sans quoi on peut me refuser ma future titularisation. Et quid des étudiants ? Avant d’obtenir ce poste, j’ai été un an au chômage après deux postdoctorats : un de deux ans en Angleterre, et l’autre d’un an et demi à Paris. La réforme nous conduit vers un système à l’anglo-saxonne. En Angleterre, la notion d’« impact factor » est très
prégnante. Cette idée selon laquelle il faut évaluer les performances des chercheurs selon leur « impact » (mesuré via des publications dans des revues plus oumoins cotées :par exemple 26 ou 30 pour Science ou Nature ; 0,7 pour une petite revue française comme Parasite) y est poussée à son comble : l’Imperial College à Londres établit un barème en dessous duquel l’équipe de recherche est dissoute ! Estce ce qui nous attend ? Sans compter la concurrence que la réforme accroît entre les EC et les chercheurs Inserm et CNRS : nous sommes déjà évalués, pourquoi exiger de nous autant de résultats que des chercheurs à temps plein ? L’importance de l’enseignement doit être reconsidérée !
Je suis EC depuis plus de dix ans, considéré comme « non-publiant » : je n’édite pas d’articles dans des revues assez reconnues, notamment parce que je me consacre davantage à mes activités liées à l’enseignement. Certains parviennent à mener les deux de front tout en étant des chercheurs « performants ». Moi pas. La réforme du statut prévoit de renforcer notre évaluation. Mais comment et par qui seront évaluées les « performances » respectives de l’enseignant et du chercheur ? Faut-il être un chercheur performant mais pas forcément un bon enseignant ? Il y a des points positifs dans la réforme, comme la prise en compte d’activités jusqu’alors pas ou trop peu considérées : journées portes ouvertes, orientation des étudiants, surveillance d’examens, fabrication de plaquettes de diplômes, permanence de laboratoire, secrétariat… Mais la modulation des services, soit la répartition des tâches, est le point le plus épineux du texte. Autre problème : le manque de mobilisation. L’université est un milieu hypercompétitif et peu politisé, où règne l’individualisme. On a tous accepté les règles de ce système pervers en l’intégrant. Et je rappelle que le premier à avoir écorné le statut d’EC est Lionel Jospin, qui a augmenté la charge d’enseignement. Aujourd’hui, on doit choisir entre faire son métier d’enseignant a minima pour rendre sa recherche compétitive, ou négliger sa carrière en s’investissant dans les tâches administratives et pédagogiques. On renforce donc la concurrence entre les individus mais aussi entre les tâches ! Au détriment des étudiants.
« REMETTRE EN CAUSE LA LRU » Ralph, 32 ans, chargé de cours de psychologie sociale à l’Université de Bretagne occidentale. On nous appelle les « turbos profs » parce qu’on passe notre vie à courir
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Françoise, 52 ans, chef du
Propos recueillis par Ingrid Merckx
I M M I G R AT I O N Odieux chantage
profite à des expatriés généralement aisés, dénonce la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE). En ces temps où l’État justifie des suppressions de postes massives par des économies drastiques, comment comprendre cette aide de 173millions d’euros par an?
«Coopération». C’est ainsi que le nouveau ministre de l’Immigration, Éric Besson, déguise la «délation» qu’il impose aux sans-papiers BUREAU/AFP face à leurs passeurs dans une nouvelle circulaire. Si l’objectif de punir les exploiteurs plutôt que les clandestins pouvait sembler louable, le principe transpire l’odieux chantage: la circulaire promet des titres de séjour de six mois pour le dépôt d’une plainte, de dix ans pour une condamnation. Et combien pour cette porte ouverte au marché de la dénonciation?
LOGEMENT Ghettoïsation
Référé contre un décret Le délai du nouvel appel d’offres concernant la rétention administrative arrive à expiration, mais les demandes de concertation n’ont toujours pas été entendues. Dix associations de défense des migrants ont donc déposé, le 6février, devant le Conseil d’État, un référé de suspension contre le décret du 22août 2008 qui porte atteinte à la mission d’accompagnement dans les centres de rétention.
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DE SAKUTIN/AFP
Sauvons la maternelle Faire de la maternelle « une école à part entière ». Voici ce que propose le site Internet enfant.com via un manifeste bâti sur les propositions de plus de 2000parents. Parmi elles: un personnel formé à cet enseignement, un soutien et un accueil adaptés aux 2-3ans, des effectifs allégés… À destination de Xavier Darcos: le 6février, des parents se sont enchaînés à des écoles un peu partout en France pour protester contre le démantèlement programmé de la petite école.
On ne prête qu’aux riches L’État prévoit de prendre en charge la scolarité des 80000 élèves français inscrits dans ses établissements à l’étranger. Cette réforme, dont bénéficient depuis un an les élèves de terminale,
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entre facs, laboratoires et domicile… département informatique à Je suis chargé de cours de psycholo- l’Institut universitaire de gie sociale à l’Université de Bretagne technologie (IUT) de Parisoccidentale (UBO), mon laboratoire XIII-Villetaneuse. de rattachement se trouve à Paris X- Les diplômes universitaires de techNanterre, mais je n’y travaille plus. nologie (DUT) sont les derniers Trois ans thésard et allocataire-moni- « vrais » diplômes nationaux. Cette teur, un an au chômage, attaché tem- spécificité des IUT est menacée par poraire d’enseignement et de la loi LRU et le nouveau mode d’atrecherche (Ater) à Grenoble puis à tribution des moyens, le mal nommé Lyon avant d’arriver à l’UBO, je n’ai « Sympa » (système de répartition des pratiquement jamais donné le même moyens à la performance et à l’acticours deux ans de suite. Un Ater à mi- vité), qui ne prend pas en compte le temps est payé 1 200 euros net et n’est nombre d’heures de nos formations pas défrayé pour ses déplacements. professionnalisantes. Résultat : les Les chargés de cours sont payés IUT vont se retrouver avec des dota35 euros l’heure de cours. Nous assu- tions de fonctionnement en baisse rons aussi une somme exponentielle de 20 à 40 % ! Par ailleurs, du fait de la LRU, les Biatoss de tâches administratives et (bibliothécaires, ingénieurs, d’accompagnement des administratifs, techniciens, étudiants, non payées. ouvriers de service et de Les conditions minimales C’est le nombre santé) sont menacés par l’exd’exercice de la recherche de postes que ternalisation de certains seret de l’enseignement ne le ministère de vices et des suppressions de sont plus réunies pour les la Recherche postes entraînant l’emprécaires et une majorité entend bauche de contractuels. des statutaires. La réforme supprimer du statut d’EC n’est qu’un cette année « MÊME DAUPHINE des problèmes auxquels dans S’OPPOSE À LA s’ajoute la fin du caractère l’enseignement RÉFORME ! » national des diplômes, le supérieur. démantèlement des orgaPhilippe, 40 ans, nismes de recherche, la maître de conférences masterisation (fusion non préparée en sociologie à l’université des diplômes d’enseignement Paris-Dauphine. incluant la disparition des IUFM for- Dauphine se mobilise depuis la mimant les professeurs des écoles), et décembre. Du jamais vu depuis trente la fusion des grandes écoles et des ans ! C’est dire si la réforme du décret universités… À l’UBO, de nombreux sur le statut des EC secoue, au-delà diplômes vont disparaître faute d’EC des clivages politiques et entre discisuffisamment « publiants ». Cette plines. Une pétition circule, qui a tendance va s’accentuer : en pro- recueilli 140 signatures sur 300 enseivince, on n’aura plus que des petites gnants. Pas si mal pour cette fac déjà facs n’assurant que des premiers autonome qui, notamment, séleccycles. Pour poursuivre ses études, tionne ses étudiants. Nous redoutons il faudra se rendre dans de grands que le décret accentue cette particupôles universitaires (Paris, Lyon, larité et la transforme en une « busiMarseille), réservés aux étudiants ness school ». Le risque d’une sortie qui en auront les moyens. des diplômes nationaux est préocDerrière le décret sur le statut des EC, cupant. Idem pour le statut des EC : c’est la LRU qu’il faut remettre en la modulation des services va, à budcause ! Car, si ce décret est reporté, les get constant, augmenter la charge universités autonomes pourront ins- d’enseignement du plus grand nomtaurer la modulation des services chez bre. Et ce, dans le pur arbitraire des elles, et étendre le principe d’inégalité présidents d’université, aux pouvoirs des formations… En outre, la LRU renforcés par la LRU. Le désengageest un avatar du processus de Bologne, ment de l’État risque aussi de favoengagement pour construire un espace riser la recherche de fonds privés. Tout européen de l’enseignement supérieur cela permettant de justifier une augavant 2010, qui impose la même mentation des droits d’inscription. logique de destruction des services Au nom de l’autonomie des univerpublics partout dans l’Union. sités, les EC risquent de perdre leur autonomie d’universitaires. La LRU « MENACES SUR a été votée en août sans concertaLE DERNIER “VRAI” tion. Lutter contre les décrets de cette D I P L Ô M E N AT I O N A L loi pourrait permettre de rouvrir E T L E S B I AT O S S » un débat volé !
Bonne nouvelle: le tribunal administratif de Paris vient de donner raison à 15demandes sur les 19 présentées par des candidats au Droit au logement opposable les 28 et 29janvier. Mais, en parallèle, la loi Boutin en discussion à l’Assemblée depuis le 10février met à mal le Dalo en retirant aux associations leur agrément pour accompagner les demandeurs, et en autorisant les préfets d’Île-de-France à reloger les bénéficiaires dans un autre département. Par ailleurs, les députés ont voté la réduction de trois ans à un an des délais d’expulsion. Cela intervient au lendemain de la publication du rapport annuel sur le mal-logement de la Fondation AbbéPierre (FAP). 2009 et 2010, années horribilis, anticipe la fondation, qui met en avant la ghettoïsation croissante des plus défavorisés. Les programmes de rénovation urbaine n’y changeraient rien, du fait de l’insuffisance de logements très sociaux et de grande taille. «Tout concourt à organiser l’accès de ménages immigrés à des types de logements déterminés […] dans les quartiers sensibles et à rendre difficile leur accès au logement social dans d’autres quartiers», d’après la FAP. Sans oublier que la loi SRU sur le logement social est toujours bafouée et que 600000personnes âgées vivent avec une allocation de 628euros par mois. En privilégiant «la fiction d’une société française constituée d’une vaste classe moyenne aisée», le gouvernement se ment à lui-même, attaque la FAP.
PROSTITUTION Femmes chinoises Lotus Bus est synonyme de réconfort pour de nombreuses prostituées chinoises à Paris, témoigne une enquête réalisée par Médecins du monde avec cette association. Cumulant pratiques sexuelles à risques et méconnaissance des moyens de prévention et des dispositifs de prise en charge, ces femmes sont davantage exposées aux infections génitales ou sexuellement transmissibles que les autres prostituées. Venues en France pour subvenir aux besoins de leurs enfants restés en Chine, la plupart d’entre elles ne s’étaient jamais prostituées auparavant. 1 2 f évr ier 2 00 9
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SOCIAL HÔPITAUX En discussion à l’Assemblée nationale, le projet de loi « Hôpital, patients, santé et territoires » ne répond pas à la situation dégradée du système de soins. Cinq professionnels expliquent pourquoi.
La loi qui va mettre à mal votre santé ppauvrissement de l’hôpital public orchestré par les politiques actuelles, déficits, réductions drastiques des postes, soins à flux tendu à l’origine d’une mauvaise prise en charge… Les acteurs de la santé témoignent de la situation catastrophique de l’ensemble de la Sécurité sociale. Une situation qui sera renforcée par le projet de loi « Hôpital, patients, santé et territoires » (HPST), disent-ils. Présenté par la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, comme la plus importante
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réforme administrative depuis ces vingt dernières années, le projet de loi est en débat à l’Assemblée nationale depuis le 10 février, avec pour objectif de « mieux soigner », tout en restaurant « l’équilibre financier du système de santé ». Le projet porté par Roselyne Bachelot met en fait une touche finale à la « destruction de la Sécurité sociale, des hôpitaux et du système de santé », estiment syndicats et personnels hospitaliers. Pire encore, il touche aussi le secteur médico-social et les caisses régionales d’assurance-maladie.
« La Sécu n’aura plus son autonomie » Philippe de Gaudusson, chargé des questions hospitalières à la caisse régionale d’assurancemaladie Midi-Pyrénées, Toulouse. Avec les Agences régionales de santé (ARS), on franchit une étape supplémentaire de la fusion des organismes chargés de la politique de santé dans les régions et les départements. Nous sommes très hostiles au fait de perdre notre identité pour aller nous fondre dans une structure d’État. On est certains qu’on perdra notre liberté d’appréciation sur la mise en place des politiques régionales. L’opposition est très majoritaire parmi les personnels de la Cram. Notre crainte est que la Sécu n’aura plus son autonomie ni son mot à dire, car la gestion de la santé sera totalement étatisée. La nouveauté pour nous consiste à proposer des non-remplacements de postes aux hôpitaux qui contractualisent des plans de retour à l’équilibre. La poli-
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tique des ARS, c’est de continuer cette tendance, de toujours restructurer l’offre de soins. Il est aussi acté que les coopérations seront renforcées entre le privé et le public, notamment pour les urgences. En ce qui concerne la chirurgie, qui est assurée majoritairement par le privé, les services d’hôpitaux publics sont menacés de fermeture parce que le système est organisé de telle manière que les praticiens ont la tentation de partir dans le privé.
« La devise de la direction, c’est “l’équilibre budgétaire” » VERDY/AFP
« Soigner les gens dans un couloir, ça coûte moins cher ! » Loïc Pen, 40 ans, médecin urgentiste à l’hôpital de Creil, dans l’Oise (444 lits). L’hôpital de Creil est en déficit très grave et se trouve donc condamné à faire des économies tous azimuts. On utilise du matériel de récup. Quant aux médicaments, c’est la course au moins cher, donc ils changent très fréquemment. C’est l’enfer pour les infirmières, qui prennent un temps fou pour s’y repérer dans les boîtes de médicaments et risquent des erreurs… Aux urgences, nous sommes 15 médecins alors que nous devrions être 23. Nous sommes épuisés à force d’enchaîner les heures supplémentaires. Des dizaines de patients attendent dans les couloirs pendant des heures,
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et certains, intubés, dans la salle de réanimation des urgences. Finalement, nous avons été contraints d’organiser un service d’hospitalisation sauvage dans les urgences, ce qui, si l’on suit la logique cynique de la tarification à l’activité (T2A), est financièrement avantageux : hospitaliser les gens dans un couloir est plus rentable ! En juillet 2008, l’agence régionale de l’hospitalisation (ARH) a décidé de fusionner l’hôpital de Creil et celui de Senlis. Cette fusion aurait dû être effective au 31 décembre, mais c’était sans compter la levée de boucliers générale ! Du coup, le projet a été annulé… ou plutôt reporté, en attendant le vote de la loi Bachelot pour que la fusion devienne obligatoire.
Catherine Pierrard, 47 ans, sage-femme à l’hôpital de Lourdes dans les HautesPyrénées (357 lits). En 2007, on a commencé à nous dire que l’hôpital de Lourdes devait faire des économies. « Le but de l’hôpital est l’équilibre budgétaire », est devenu la devise de la direction. Depuis, les projets pour réaliser des économies se sont enchaînés. Les plus invraisemblables – par exemple, l’idée de faire conduire les camions des services d’urgence (Smur) par les aides-soignants – ont déclenché des tollés et ont été abandonnés. Reste que 14 lits ont été fermés l’an dernier : la capacité d’hospitalisation en chirurgie a été réduite de moitié, les explorations fonctionnelles de cardiologie sont parties à l’hôpital de Tarbes… Selon les vœux de l’ARH, le service de réanimation est menacé de disparaître, ce qui condamnerait la maternité – que nous avions déjà sauvée
de la fermeture il y a deux ans –, puisque nous n’aurions plus de réanimateur de garde la nuit. Ce serait une catastrophe : des femmes font déjà trois quarts d’heures de route, et certaines accouchent 20 minutes après leur arrivée. La fusion avec l’hôpital de Tarbes, lui aussi en déficit et qui se trouve à une dizaine de kilomètres, va être accélérée par la loi HPST.
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À CONTRE-COURANT MICHEL HUSSON Membre du conseil scientifique d’Attac.
« Une prise de contrôle programmée du médico-social »
Pour un contrôle démocratique
André Giral, 54 ans, éducateur dans un institut médicoéducatif à Montpellier L’institut est géré par une association de parents pour l’enfance inadaptée (Apei) du grand Montpellier, et il chapeaute plusieurs établissements. Il est relativement récent parce qu’il est le produit de la fusion de plusieurs associations, une pratique qui s’accentuera avec les agences régionales de santé (ARS), puisque le secteur médico-social va passer sous la coupe de ces agences. Il y a pourtant un manque de places absolument catastrophique dans certains départements, dans l’Hérault particulièrement. Les services ne suivent pas. On a aussi une déqualification des personnels, un manque de services, des besoins de prise en charge médicosociale qui ne sont pas couverts. La prise de contrôle programmée par les ARS est destinée à mettre en œuvre
Face à la crise, la gauche oscille entre deux projets contradictoires: le
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des politiques de marchandisation. Les responsables patronaux associatifs me l’ont dit : ils se préparent au choc de la confrontation avec le secteur privé lucratif. On rompt avec une logique d’offre de services médicosociaux et de santé au profit d’une logique de résultats.
« Les généralistes ne veulent pas s’installer dans des déserts médicaux »
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Patrick Dubreil, 43 ans, président du Syndicat de la médecine générale et médecin généraliste à Moisdon-laRivière (Loire-Atlantique). Dans le cas de la médecine de ville, les dépassements d’honoraires seront généralisés, avec l’instauration d’un secteur optionnel. Le gouvernement a également décidé de ne rembourser qu’à hauteur de 30 % les personnes n’ayant pas choisi de médecin traitant. Quant au problème de la liberté d’installation, il n’est en rien réglé par la loi Bachelot. Les jeunes médecins n’ont que faire des
incitations financières et des taxations. Ce qu’ils veulent, c’est s’installer dans des zones où les services publics sont toujours présents, où ils peuvent travailler avec un hôpital de proximité qui a des lits d’hospitalisation pour accueillir les malades qu’ils voient en consultation. Pas dans les déserts médicaux qui vont s’étendre à cause de la réorganisation territoriale voulue par Roselyne Bachelot ! Quant à la santé publique, c’est la grande absente de cette loi. _Propos recueillis par Pauline Graulle et Thierry Brun
retour aux Trente Glorieuses et le dépassement du capitalisme. Il existe en même temps une ambiguïté paradoxale, en ce sens que tout le monde ou presque (à gauche) est aujourd’hui «keynésien»: la relance de la demande apparaît comme une réponse immédiate à la crise, et l’augmentation des salaires et des minima sociaux est une sorte de dénominateur commun. Le retour au capitalisme régulé est pourtant hors d’atteinte. Pour des raisons économiques d’abord: l’absence de coordination des plans de relance européens montre que ce sera chacun pour soi. La crise va être le prétexte d’un blocage salarial accentué, dans l’espoir de soutenir l’activité par une compétitivité accrue. Toutes les tares constitutives de l’Europe néolibérale sont mises à nu: pas de politique de change, pas de budget, et interdiction faite à la Banque centrale européenne d’émettre des emprunts. L’ampleur actuelle ou à venir des déficits budgétaires va poser des problèmes de financement des États et creuser les différentiels de taux d’intérêt entre les pays. Mais, fondamentalement, la question est politique: il faudrait, pour reréguler le capitalisme, un degré d’affrontement que les re-régulationnistes ne sont pas prêts à envisager. Prenons un exemple concret emprunté au contreplan du PS qui propose à la fois d’augmenter le Smic et de baisser la TVA. Comment ne pas voir que la combinaison de ces deux mesures est une sorte d’encouragement au vice? Les entreprises prendraient évidemment prétexte de la hausse de leur coût salarial pour ne pas répercuter la baisse de TVA dans leur prix, de manière à conserver leur taux de marge. La seule manière pour qu’il en soit autrement serait de contrôler le comportement des entreprises. Le même raisonnement vaut pour les aides apportées aux banques et, de manière générale, pour tous les plans de relance. Ces derniers risquent bien de ne pas fonctionner, mais une chose est sûre en tout cas: aucun plan de ce genre ne peut spontanément imposer de nouvelles règles de fonctionnement au capitalisme: ni les 50milliards du Comment PS, ni les 100milliards du PG ne peuvent suffire à avancer des contourner l’obstacle. Tout le monde, ou presque, s’accorde aussi pour réponses dire que la question du «partage des richesses» est immédiates à la centrale. Mais, pour certains, ce mot d’ordre serait sousdimensionné et s’opposerait à «la maîtrise des crise tout en conditions de leur production». François Chesnais ouvrant une invoque la Critique du programme de Gotha, où Marx explique que c’est «une erreur de faire tant de cas de ce perspective qu’on nomme partage» parce que «la répartition des alternative ? objets n’est que la conséquence de la manière dont sont distribuées les conditions de la production ellemême» (1). Comment avancer des réponses immédiates à la crise tout en ouvrant une perspective alternative? Toute la question est de construire des médiations entre ces deux objectifs plutôt que de les opposer l’un à l’autre. C’est autour d’une perspective de contrôle démocratique que l’on peut jeter un pont entre mesures d’urgence et projet alternatif. Elle établit une claire ligne de partage entre renflouement et dépassement du capitalisme. Cela signifie d’abord contrôle sur l’usage de l’argent public injecté dans les banques et sur les mouvements de capitaux. Ensuite, contrôle sur l’emploi dans les entreprises: interdiction des licenciements et partage du travail. Enfin, contrôle sur le partage des richesses: salaires et budgets sociaux contre dividendes et rentes d’État. Les choses sont alors plus claires puisqu’il s’agit de pistes que se refusent à emprunter les libéraux au pouvoir, évidemment, mais aussi les sociaux-libéraux. Cela permet aussi de mieux définir les formes de revendications à mettre en avant, par exemple droit de veto sur les licenciements, sur les dividendes et les aides publiques. Si un contrôle des travailleurs s’établit sur le «partage des richesses», il ne s’arrêtera pas là et posera inévitablement la question des «conditions de la production elle-même». Si mouvement social il y a, il saura combiner dialectiquement ces deux cibles. (1) http://tinyurl.com/fcnpa 1 2 f évr ier 2 00 9
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POLITIQUE EXTRÊME GAUCHE Le Nouveau Parti anticapitaliste a officiellement vu le jour le week-end dernier à la PlaineSaint-Denis après quatre jours de congrès. Son premier débat a porté sur la question des alliances.
Le NPA en a déjà ras le front de gauche es 650 délégués du congrès de fondation du NPA représentant quelque 9 100 militants ont tranché. L’appellation « Nouveau Parti anticapitaliste » (NPA) l’a finalement emporté au détriment de « Parti anticapitaliste et révolutionnaire », avec 219 voix contre 213. Le mot « nouveau » a posé problème. Mais, comme l’ont suggéré certains, personne ne s’étonne que « pont Neuf » désigne le plus vieux pont de Paris. Les délégués ont également choisi leurs statuts, leurs orientations et leurs modes de fonctionnement. C’est pourtant la question de la stratégie aux élections européennes de juin qui a été le véritable fil conducteur politique de ces quatre jours. Depuis quelques
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semaines, en effet, le Parti communiste et le Parti de gauche exhortent le NPA à rejoindre leur « front de gauche pour changer l’Europe ». Il s’agit de rejouer le rassemblement qui avait prévalu lors de la bataille pour le « non » au traité constitutionnel européen de 2005. Et c’est bien sur cette question des alliances que le vote des délégués du NPA était attendu puisqu’elle engage l’avenir de la gauche de gauche. Ce premier acte politique du NPA s’est déroulé en trois temps. Premier acte jeudi, lors du XVIIIe et dernier congrès de la LCR. Cent cinquante délégués enterrent leur parti. Mais la Ligue bouge encore. Tout au long de la matinée, les représentants de la plateforme A, majoritaire à la
direction nationale de la Ligue, et ceux de « la B », du courant minoritaire Unir, qui milite en faveur du front de gauche, échangent arguments et contre-arguments sur ce sujet. Tous appellent à Besancenot défend « un front « dépasser la LCR ». Mais durable » pour la plateclairement forme B, « le indépendant NPA ne peut se du PS. satisfaire d’être adossé au seul courant politique national qu’a représenté la LCR ». Il n’est plus temps de discuter des conditions de dissolution de la Ligue, c’est donc sur la stratégie qu’elle impulse au NPA que porte l’affrontement.
Les deux camps divergent même sur « l’ambiance » de cette dissolution. De la tribune, Christian Picquet, le porte-parole d’Unir, la juge « morose ». Il dénonce « un débat à la sauvette », « une logique de repli » et « des calculs boutiquiers qui ne veulent pas s’avouer comme tels ». La charge est virulente et les réactions pas moins. « Nous devrions tous nous réjouir, estime Sandra Demarck. On garde le meilleur de la LCR, et je ne suis pas sûre que ce soit le courant Unir. » Figure montante de la LCR, ces dernières années, Pierre-François Grond considère désuète la tactique d’un cartel des gauches et force le trait : « Il existe aujourd’hui dans la société des pôles de radicalité qui font que les méthodes d’avant ne sont plus valides.
De gauche à droite : Myriam Duboz, Pierre Baton, Myriam Martin et Olivier Besancenot lors de la conférence de presse finale. SOUDAIS
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POLITIQUE T R I B U N E VINCENT CHEYNET ET PAUL ARIÈS* Rédacteur en chef de la Décroissance. Directeur de la rédaction du Sarkophage. Et je me demande, Christian, com- clou : « Comment faire une alliance ment nous pouvons encore discuter avec des traîtres à la classe ouvrière ? » ensemble si tu dis que le NPA est une Même à vingt, les partisans du texte en faveur de l’unité n’ont pas la parsecte révolutionnaire. » Le deuxième acte, à peine moins rude, tie facile pour tenter de convaincre en s’est joué samedi matin. Vendredi, à douceur les nouveaux militants, dont l’ouverture du congrès de fondation beaucoup ne viennent pas de la LCR. du NPA, l’ambiance était plus légère. « Tout le monde nous regarde, insiste La brève séance plénière du matin a Catherine Jouanneau. De ce congrès tout juste permis à Olivier Besance- doit sortir un appel clair au PC et au not de prendre la parole, seul. Sans PG afin que le NPA gagne encore en contradicteur. Dans un discours qui pouvoir d’attraction. Faire un accord tenait plus de la harangue de mee- durable, cela suppose de commenting que du propos de congrès, l’ini- cer un jour. Ne subordonnons pas tiateur du NPA livre sa pensée sur la les alliances aux européennes à des question : il n’est « pas d’accord » pour accords aux autres élections. » Le troisième acte s’est joué « un bon coup électoral » dimanche en assemblée pléaux européennes et défend nière. Avant de passer au « un front durable », claivote, trois intervenants de rement indépendant du PS. des élus au chaque camp essaient de La commission spéciale- conseil convaincre les derniers indément consacrée à cette politique cis. Sur la ligne Besancenot, question stratégique, national du Raoul Marc Jennar s’exsamedi matin, enregistre NPA sont des clame : « Personne n’a le une belle affluence. Deux anciens de la monopole de l’aspiration à textes contradictoires sont LCR. l’unité. Oui à l’unité mais en débat. Avant même que sans ambiguïté ni aléatoire. » la discussion ne commence, Quelques jours auparavant, un délégué suggère qu’« il faudrait des camions du Samu à la sor- dans un mail interne, le même mettait tie de la salle de débat parce que ça en garde ses camarades contre le va chauffer ». « Il ne faut pas qu’on « danger des pressions unitaires » et s’écharpe », s’inquiète un autre. À tort. les invitait à ne pas « sacrifier le proCar les soixante délégués qui pren- jet de société [du NPA] au nom d’un nent la parole n’élèvent pas la voix. unitarisme qui privilégie de manière Mais les argumentations sont féroces. quasi exclusive ce champ électoral qui Samuel Joshua défend le texte pro- est le terrain classique du conservaposé par la direction provisoire du tisme ». La majeure partie des déléNPA, en plein accord avec celle de feu gués n’ont jamais eu connaissance la LCR : « Oui à l’unité, mais à l’unité de cet avertissement. dans les luttes. Une alliance électo- Le texte qu’ils adoptent à 76 % se prorale, c’est des compromis. Mais c’est nonce pour un « accord durable » toujours à nous qu’on demande de les non limité aux européennes ; il ne faire. Quels sont les compromis du ferme pas la porte à des alliances élecPC et de Mélenchon ? » Lui et les par- torales mais les assortit de conditions tisans de la ligne « identitaire » ne refu- telles que le « front de gauche » a peu sent pas l’unité, à condition qu’elle de chance de voir le jour. Le texte qui se fasse « dans la clarté », et la condi- appelait le NPA à y participer n’obtionnent à leurs exigences. La prin- tient que 16 % des voix. Ceux qui cipale d’entre elles soumet tout accord défendaient cette option sont écarélectoral à l’engagement au sein d’« un tés. Ils n’obtiennent que 13 repréfront durable », c’est-à-dire valable sentants au sein du conseil politique aussi pour les élections régionales, où national (CPN) de 191 membres, le PC s’allie traditionnellement avec dont 45 % d’anciens de la LCR, élu le PS. « On connaît le coup. Les années ensuite. Catherine Jouanneau et les paires, ils veulent s’allier avec le NPA. trois animateurs d’Unir, Christian Et les années impaires, ils s’allient avec Piquet, Francis Sitel et Alain Faradji, le PS. Nous en avons soupé de ça », n’y siégeront pas. Ces derniers s’exaspère Joshua. Non sans char- dénoncent le refus du « droit pour ger la barque de nouveaux clivages : la sensibilité européenne d’être repré« Interdire les licenciements ou s’y sentée à la proportionnelle » et accuopposer, ce n’est pas la même chose, sent « une procédure expéditive, évoassène-t-il. De même pour la sortie du quant les pires pratiques ayant nucléaire : le PC est contre. Nous longtemps eu cours au sein d’une pour. » Autant de divergences vite per- partie de la gauche ». çues par des délégués comme insur- Des mots qui sonnent comme une montables. Venue de Cherbourg, rupture. Régine, l’une d’entre eux, enfonce le Jean-Baptiste Quiot
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Un objecteur de croissance tête de liste L’écologie politique est menacée de disparition coincée entre une droite Grenello-compatible et des Verts ralliés à Dany-le vert métamorphosé en Dany-l’orange. La gauche radicale est aussi menacée de disparition, comme le note Jean-Luc Mélenchon, en raison de l’alignement du Parti socialiste sur l’idéologie des « nouveaux démocrates ». Nous qui ne voulons ni d’une troisième gauche socialo-libérale ni d’une troisième voie écolo-libérale, nous devons nous unir. Les milieux de la décroissance et de l’antiproductivisme lancent depuis Lyon un appel solennel au front de gauche et au NPA. Les Objecteurs de croissance sont prêts à prendre toute leur place au sein de cette convergence pour dire non à l’Europe libérale et productiviste, et pour avancer vers un projet assumant à la fois les contraintes environnementales, la justice sociale et la lutte contre la société du mépris.
Cette crise peut être l’occasion historique de rappeler que l’enjeu n’est pas de relancer la machine pour faire grossir le gâteau mais d’en changer la recette. Nous nous félicitons de l’appel du Parti de gauche à remettre en cause le nucléaire. Nous revendiquons avant tout une décroissance Les milieux de la des inégalités sociales en mettant en débat l’idée décroissance et de d’un revenu minimum garanti européen couplé à un revenu maximal. Nous voulons faire l’antiproductivisme du réseau international des Villes lentes lancent un appel et de Slow Food les exemples d’une politique de relocalisation et de réappropriation solennel de nos vies. Il est possible de rendre notre projet désirable par le plus grand nombre. au front de gauche Si aucun accord national n’est possible et au NPA. entre le NPA et le front de gauche, les objecteurs de croissance ainsi que les réseaux antiproductivistes et anticonsuméristes, qui débattent depuis des semaines avec les uns et les autres dans la perspective d’une participation aux élections européennes, appellent à faire régionalement exception. La région Rhône-Alpes peut devenir pour des raisons historiques un lieu d’expérimentations politiques de cette gauche radicale qui assume pleinement la remise en cause des modèles croissancistes et productivistes. Nous proposons de réserver une tête de liste régionale à un objecteur de croissance afin de témoigner que la gauche en a fini avec son passif productiviste et permettre ainsi ce mariage si difficile entre les questions écologiques et sociales. Les objecteurs de croissance font cette proposition parce qu’ils sont justement convaincus que la décroissance n’est pas la petite grenouille qui aurait vocation à devenir aussi grosse que le bœuf, parce qu’ils savent que les questions qu’ils posent sont incontournables pour reconstruire une alternative. Aux partis de gauche de prouver qu’ils prennent au sérieux la question écologique et que, face au « capitalisme vert », ils ont vraiment du neuf à construire. Les Objecteurs de croissance veulent croire en cette convergence possible.
Nous devrons autrement en tirer les leçons et travailler avec tous les antiproductivistes pour nous doter d’un outil politique capable de porter notre projet. *Vincent Cheynet et Paul Ariès sont objecteurs de croissance, au front de gauche et au NPA. 1 2 f évr ier 2 00 9
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POLITIQUE GAUCHE La Fédération a tenu son premier rassemblement festif ce week-end. PCF Elle a aussi arrêté un calendrier et précisé sa position pour les européennes. Ne plus attendre
En quête de convergences
Le conseil national du PCF, réuni samedi, a décidé d’accélérer la mise en route de la campagne des élections européennes. «Il n’y a plus de temps à perdre pour enclencher une dynamique semblable à celle de 2005», a déclaré Marie-George Buffet en conclusion des travaux. Cette décision, annoncée le week-end où le NPA tenait son congrès fondateur, était évidemment un message adressé à la formation d’extrême gauche. Comme le résume l’Humanité (9février), «le PCF mesure le danger qu’il y aurait à laisser prendre du retard à la campagne du front de gauche, dans l’attente hypothétique qu’Olivier Besancenot lève les ambiguïtés de son refus non avoué». Mais cette accélération vise aussi à précipiter les décisions de toutes les formations ou groupes politiques qui réservent encore leur décision.
a toute jeune Fédération pour une alternative sociale et écologique en avait fait un test. Près de 800 personnes ont assisté à son premier meeting national, le 6 février, à Montreuil (SeineSaint-Denis). Une soirée plus festive que politique, où les chansons et prises de parole se sont succédé dans un brouhaha à l’image de la diversité que veut incarner ce rassemblement composé d’au moins huit courants antilibéraux. Pari réussi, donc, pour les organisateurs, qui avaient aussi programmé une journée de travail, le lendemain, à Saint-Denis. Cette réunion, à laquelle ont participé 250 personnes, a constaté que la Fédération existe déjà dans 25 départements. Elle a aussi arrêté un calendrier de travail destiné à faire émerger un projet commun à toutes ses composantes (Alternatifs, Communistes unitaires, écologistes radicaux, collectifs antilibéraux…) d’ici à une assemblée générale en décembre. Ce travail de fond, inscrit dans la durée, est la marque de fabrique
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Comme représentants de l’Appel de Politis, nous avions été invités à ouvrir, jeudi 5février, le meeting de Frontignan (Hérault). C’est bien volontiers que nous avons répondu à cette invitation, parce que les conditions de la plus large unité nous ont semblé réunies. Devant près de 1500personnes enthousiastes, toutes les composantes d’une vraie gauche de transformation sociale et écologiste ont pris la parole, avec Francis Wurtz (PCF) et Jean-Luc Mélenchon (PG), les Alternatifs, les CUAL, le MRC et le M’PEP. Chacun, à sa façon, a affirmé sa volonté d’œuvrer pour des listes unitaires aux européennes de juin prochain. Jean-Luc Mélenchon a appelé l’ensemble de ces organisations à renforcer un «front de gauche». Seul manquait à la tribune le NPA, dont un représentant du courant minoritaire Unir a lu une déclaration. Au total, un premier meeting qui peut avoir valeur d’exemple pour des listes unitaires et respectueuses de la diversité. Denis Sieffert
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Sans surprise, François Bayrou, qui a présenté les têtes de liste du MoDem aux européennes, dimanche, privilégie les sortants. «L’objectif, explique Jean-Marie Vanlerenberghe, responsable du groupe de travail sur la préparation des européennes, est de présenter une équipe crédible qui puisse porter le changement en France et en Europe.» Àsupposer que Jean-François Kahn, un des deux nouveaux dans le casting, soit «crédible», on peine à croire que Sylvie Goulard, présidente du Mouvement européen France et ancienne conseillère de Romano Prodi à la Commission européenne, porte le changement.
« Avec toutes les forces de la gauche de gauche ». PATRICE LECLERC/PHOTOTHÈQUE DU MOUVEMENT SOCIAL
de ce regroupement qui veut inventer un nouveau rapport à la politique. Bien que « la démarche de la Fédération excède de loin la seule question électorale », elle n’en considère pas moins « l’échéance de juin 2009 » comme « un enjeu politique majeur », affirme une des résolutions adoptées samedi. Décidée à « œuvrer pour la constitution de listes unitaires de toute la gauche de gauche » dès son lancement à la mi-décembre, la Fédération s’y félicite notamment du lancement par le PCF et le PG d’un « front de gauche pour changer l’Europe » ou du soutien commun de dix organisations de gauche au mouvement du 29 janvier, estimant qu’il « renforce la pression en faveur d’une convergence de toute la gauche de gauche en juin prochain ». Elle déplore toutefois que « jusqu’à présent il n’existe aucun cadre unitaire pour coélaborer la démarche, les contenus et les listes, alors que sont prises des initiatives qui
esquissent déjà ou préfigurent les grands traits d’une campagne ». En réponse aux exigences du NPA, le texte se prononce pour « un rassemblement poliLa démarche tique durable de la Fédération dans les luttes et excède de loin la dans les urnes », seule question y compris aux électorale. régionales. Mais refuse de faire « de l’accord sur cette perspective une condition préalable à un front électoral aux européennes ». Enfin, elle propose la tenue de réunions nationale et locales « avec toutes les forces de la gauche de gauche prêtes à converger » aux européennes et consultera ses collectifs locaux et ses composantes pour arrêter, dans les semaines à venir, une position qu’elle espère « partagée » pour cette campagne. _Michel Soudais
NPA Indépendance affichée Parmi les nombreuses délégations politiques venues saluer la naissance du NPA, Alain Krivine et Olivier Besancenot n’ont pas manqué de saluer, chacun leur tour, la secrétaire nationale du PS, Marianne Louis (photo). Mais ils ont veillé à ne pas s’afficher ostensiblement avec cette ex-secrétaire fédérale de l’Essonne devant les caméras.
M. SOUDAIS
Unité et diversité à Frontignan
MODEM Changement en trompe-l’œil
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MONDE GÉORGIE Cinq mois après le conflit avec la Russie, retour dans cette république du Caucase. Et retour aussi sur quelques contre-vérités médiatiques. Reportage de Claude-Marie Vadrot.
L’impossible neutralité la Croix-Rouge (CICR) n’ont accès à l’Ossétie. Chaque nuit, retentissent des coups de feu et se poursuivent des règlements de compte : les humanitaires ont pour consigne absolue de quitter la zone frontière dès 16 heures pour ne pas être victimes des nombreux incidents. La télévision et la plupart des journaux entretiennent le mythe d’une attaque russe imminente (possible mais maintenant inutile) et le mythe d’une intervention (hautement improbable) de l’Europe et de l’Otan pour protéger le pays d’une nouvelle invasion. Ce qui évite au président géorgien Saakachvili que soient posées des questions sur sa responsabilité dans un conflit où les Géorgiens, à tort ou à raison, ont « tiré les premiers », exaspérés par quinze ans de harcèlement. Conséquence : le pays s’enfonce dans une crise économique qui fait bondir le chômage et a entraîné, par exemple, la vente de Poti, le grand port du pays, à l’Arabie Saoudite.
Devant les observateurs européens impuissants, les troupes russes poursuivent le blocage de nombreux villages géorgiens. CLAUDE-MARIE VADROT ’est l’histoire de deux républiques autonomes du Caucase, l’Ossétie du Sud (70 000 habitants) et l’Abkhazie (80 000 habitants), convoitées à la fois par la Géorgie, indépendante depuis l’implosion de l’URSS, et par la Russie. La guerre éclair du mois d’août dernier a permis à la Russie de reprendre le contrôle des deux territoires, aux dépens de la Géorgie, qui les avait absorbés au moment de sa propre indépendance, en 1991. En écoutant les villageois des zones affectées par la guerre de l’été 2008, les citadins de Tbilissi (capitale de la Géorgie), les réfugiés ou les Géorgiens vivant encore – et mal – dans le sudest de l’Abkhazie, on comprend que la Géorgie vit un drôle de drame. Il ne date pas d’hier, la Russie tentant depuis 1991 de grignoter ces deux petites républiques. Le conflit a jeté sur les routes 130 000 personnes, dont 35 000, expulsées d’Ossétie du Sud, qui ne rentreront jamais chez elles, les autres réintégrant progressivement leurs villages et réparant les dégâts sur leurs maisons. Des destructions plus
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imputables, d’après les récits, à des milices ossètes et cosaques qu’à l’armée russe, contrairement à ce qui a été dit et écrit à l’époque. En réalité, les haines sont plus entretenues que réelles : Ossètes et Géorgiens continuent à se fréquenter en franchissant clandestinement la limite séparant la Géorgie de sa province perdue. Près de la capitale ossète, délabrée depuis quinze ans, en suivant les clandestins que des soldats russes font semblant d’ignorer pourvu qu’ils acquittent un droit de passage, on constate qu’ils continuent de commercer, les Ossètes achetant aux Géorgiens de la viande et des légumes, denrées rares dans le territoire occupé et beaucoup plus chères. Les uns et les autres assurent ne guère éprouver de rancune, conscients d’avoir été utilisés par leurs gouvernements. La plupart sont de petits paysans survivant sur des cultures vivrières. Les Ossètes racontent que le ressentiment est plus fort dans la capitale, Tskhinvali, parce que la cohabitation avec les Russes et les destructions causées
par les bombardements géorgiens changent la donne. La présence russe croît rapidement : des milliers de fonctionnaires et de plus en plus de militaires. Les citadins ossètes fuient vers le Nord, avec les passeports russes distribués. Il en reste environ trente mille. Dans les années 1990, ils étaient une centaine de milliers. Le blocus de la province reste total, les Russes occupant des villages géorgiens dont Bernard Kouchner et Nicolas Sarkozy avaient « obtenu » l’évacuation dans les deux accords vantés dans le monde entier en septembre 2008. Les Russes agissent à leur guise et rappellent avec leurs troupes qu’ils restent maîtres du jeu. Ainsi, la route menant au village de Pérévi est toujours bloquée par les blindés et les forces spéciales, ce qui interdit aux Géorgiens de retourner chez eux. L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a été priée de déguerpir, et les observateurs européens sont impuissants à contrôler les mouvements des Russes ou des milices. Ni les ONG ni le Comité international de
La privatisation en Géorgie, y compris celle des Le conflit a jeté hôpitaux, crée sur les routes nouvelle 130 000 personnes, une classe de profidont 35 000 teurs. Salomé d’Ossétie du Sud, Zourachbivili, qui qui ne rentreront jamais chez elles. fut successivement ambassadrice de France à Tbilissi puis ministre des Affaires étrangères de Géorgie, avant de diriger l’opposition, explique : « Ce gouvernement est prêt à tout vendre à tout le monde, y compris aux Russes et en pleine guerre ; ainsi, la distribution des eaux de Tbilissi, projet sur lequel, pourtant, la firme française Veolia était sur les rangs depuis longtemps, a été attribuée à la Russie. Tout est mis en vente à condition que les intérêts personnels de quelquesuns soient satisfaits. C’est la poursuite du système qui existait sous la présidence de Chevardnadze. Tous ces appels d’offres sont menés dans la plus grande opacité. Le grand maître de ces privatisations est l’oligarque russo-géorgien Bendoukidze, qui, au nom de l’ultralibéralisme, a vendu les principales richesses du pays : les ressources hydrauliques, les
MONDE terminaux portuaires, les systèmes de distribution énergétiques, les systèmes de communication, les forêts, les mines d’or… Et ce sans aucune condition de tarifs, ni de protection du droit du travail, ni écologique, et donc sans se soucier des intérêts du pays ou de sa population. » Rappelant à la Géorgie et à l’Occident qu’elle entend contrôler le passage de l’oléoduc et du gazoduc transportant les produits pétroliers vers l’Europe, menaçant le projet de nouveau gazoduc (Nabucco) et le raccordement d’une voie de fer – qui relierait l’Europe à l’Asie centrale à travers le pays puis par un ferry traversant la mer Caspienne vers le Turkménistan –, la Russie a atteint son objectif essentiel : effrayer les investisseurs. Elle y est d’autant mieux parvenue que, même si le conflit fut brutal, des médias français, appuyés par Bernard-Henri Lévy, ont exagéré les destructions. À Gori, là ou se dresse toujours l’immense statue de Staline, ville présentée comme « à feu et à sang », seuls deux immeubles ont été touchés, tout le reste de la ville étant intact. Il est vérifié que le philosophe-journaliste n’y a jamais mis les pieds. Une incursion dans le sud de l’Abkhazie permet de constater une présence militaire russe importante et montre une population géorgienne laissée à l’abandon. Difficile de parler de chômage car le travail a disparu. Les plantations de thé ont laissé place à des friches. Les maisons et les infrastructures endommagées par le conflit de 1994 ont été laissées en l’état. La province, administrée par des Russes, est livrée à des mafias vivant du racket. Le désespoir s’est abattu sur la province, souvent privée d’eau et d’électricité, où ne subsiste qu’une activité : la réfection de la ville de Soukhoumi, sur la mer Noire, où seront accueillis de riches touristes russes ou étrangers. Notamment ceux qui assisteront aux Jeux olympiques d’hiver de 2014, attribués à la Russie. Celle-ci contrôle la région pour sécuriser ces jeux « menacés par les Caucasiens », et l’Abkhazie accueillera 60 000 travailleurs chinois pour construire les installations olympiques pour des salaires misérables. Les Abkhazes, qui ne représentaient que 20 % de la population, désertent la province. Et dans une Géorgie en perdition économique, qui augmente ses dépenses militaires, nul n’écoute la petite opposition de gauche, qui explique que la meilleure solution serait que le pays affirme enfin sa neutralité.
HUMANITAIRE Avec le gouvernement géorgien, des organisations aident les réfugiés tout en limitant les méfaits environnementaux du conflit.
Reconstruire sans détruire n une quinzaine d’années, la Géorgie a dû accueillir près de 300 000 réfugiés, soit 9 % de sa population, sur un territoire réduit de 12 500 kilomètres carrés après la déclaration d’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, qui ne sont reconnues que par la Russie et le Nicaragua. La question des 260 000 réfugiés de la guerre en Abkhazie, en 1992 et 1993, n’est pas encore réglée de façon satisfaisante pour ces Géorgiens qui ne retourneront probablement pas plus chez eux que les 35 000 expulsés d’Ossétie du Sud. Le pays, affaibli par la guerre, une grave crise économique et Dès le printemps, une brutale gestoutes les familles tion néolibérale – que ne peuvent vont bénéficier rééquilibrer la d’un jardin de multiplication des plusieurs jardins familiaux centaines de ou la vente de mètres carrés. cigarettes et de cassettes dans les rues –, ressent durement le poids des nouveaux arrivants sans travail ni argent, et la reconstruction des maisons paysannes détruites. Le gouvernement géorgien, le Haut Comité pour les réfugiés (HCR) et une ONG française, Première Urgence, s’efforcent pour une fois de trouver des solutions plus écologiques et surtout économiquement plus satisfaisantes pour aider des réfugiés. L’Europe et les Nations unies ont fourni un effort financier exceptionnel. Les nouveaux réfugiés – ce qui provoque des frustrations chez les précédents –
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Du bois de chauffage « durable » est livré aux réfugiés. ont bénéficié depuis le début de l’hiver de maisons préfabriquées dotées d’un confort minimum. Innovation intéressante : dès le printemps, toutes les familles, selon un plan établi par le HCR et Première Urgence, vont bénéficier d’un jardin de plusieurs centaines de mètres carrés, 5 000 pour ceux qui voudront en tirer un petit revenu, pour lesquels ils recevront des outils et des semences. Ce qui leur permettra de produire un minimum de nourriture dès l’été prochain, et de se sentir moins assistés. Un programme a déjà été expérimenté en
Une situation de quasi-guerre Salomé Zourachbivili, leader de l’opposition, nous livre sa vision de l’avenir face à «l’indépendance» de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie : « Il n’y aura aucune perspective politique tant que le gouvernement de Saakachviliseraenplace,carilaépuisétoute possibilitédedialogue,decrédibilité.Cegouvernement n’a plus qu’une issue, c’est de maintenir cette situation de quasi-guerre pourlaisserlapopulationsouspression;avec le risque que cela tourne à un vrai conflit. Il cherchedetouteévidenceleprétexte,comme
lorsque le Président a emmené son homologue polonais vers Akhalgori, sachant que les risques d’un incident étaient très élevés. De même, la hâte mise à signer un accord stratégique avec les États-Unis, avec une administration sortante, et alors même que les Russes occupent encore des villages sur “territoirepropre”géorgien,signifiebienque le pouvoir géorgien trouve intérêt à provoquer des réactions russes.» _Propos recueillis par Claude-Marie Vadrot
CLAUDE-MARIE VADROT
Abkhazie pour les Géorgiens restés dans la province mais privés d’accès au travail, quasiment inexistant. Pour les gens qui ont regagné leurs villages et leurs maisons détruites, et qui n’ont rien pu récolter en raison de leur exode, Première Urgence a imaginé un programme qui consiste, outre les livraisons en nourriture du HCR pour passer l’hiver, de livrer régulièrement du bois de chauffage acheté à des entreprises dûment certifiées pour le caractère durable de leurs exploitations. Ces livraisons régulières permettent d’éviter des dégâts écologiques irréparables, notamment l’érosion, en écartant la menace qui guette les zones touchées par un conflit : que les arbres des vergers et des rares bosquets de la région soient coupés n’importe comment. Pour les mêmes raisons, les ONG et le HCR, avec la participation du gouvernement géorgien, livrent du bois d’œuvre, qui permet de réparer les maisons ayant été soufflées par des explosions ou incendiées. Deux exemples qui, s’ils étaient imités dans les zones touchées par des guerres, pourraient y limiter les méfaits écologiques à long terme.
_Claude-Marie Vadrot
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LES ÉCHOS
Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (igas) épingle sévèrement les médecins et chirurgiens libéraux qui exercent dans les hôpitaux publics. Les praticiens qui officient en ville ou en clinique sont les mieux payés: le revenu d’activité annuel moyen déclaré aux impôts par les radiologues atteint 168000euros, 155000 pour les chirurgiens. Et le rapport de l’Igas relève des écarts de rémunération allant de 1 à 10 dans les hôpitaux publics, l’activité privée expliquant de telles différences. Le tout, dans l’opacité. On attend encore la réaction de la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot…
Un procès inadmissible Lounis Ibadioune, militant communiste du XVIIIe arrondissement, est convoqué devant le tribunal de proximité de la rue Cambrai le 18février. Les faits qui lui sont reprochés remontent au 4février 2007. Alors qu’il vend l’Humanité dimanche sur le marché Dejean, quatre policiers l’interpellent et le verbalisent. Àla clé, une amende de 172euros pour «vente de marchandises dans un lieu public sans autorisation». Àl’heure où la distribution des gratuits sur la voie publique bénéficie d’une liberté absolue, serait-il interdit de diffuser des journaux d’opinion bénévolement? Le procès fait à Lounis Ibadioune est inadmissible. Des milliers de personnes ont déjà signé la pétition de l’Humanité. Àl’initiative du président de son groupe communiste, le Conseil de Paris a adopté (à l’unanimité!) un vœu demandant au préfet de police de mettre fin à ces interpellations. C’est bien le moins.
Les pressions d’Areva LABAN-MATTEI/AFP
Tensions dans les coulisses de l’émission «Pièces à convictions» (France3). Le titre de l’émission du 11février, «Uranium: le scandale de la France contaminée», a affolé Areva. Le géant du nucléaire a foncé bille en tête vers une procédure pour empêcher la diffusion de ce brûlot, sur la foi d’une dépêche de l’AFP qui évoquait «la thèse du scandale de la France contaminée par les déchets radioactifs, résidus des mines d’uranium», raconte une journaliste de Télérama (numéro du 3février). Areva a saisi, rien de moins, le CSA, qui n’a pas le pouvoir –heureusement!– de jouer le rôle de «censeur». Et Anne Lauvergeon, PDG du groupe, avait décliné l’invitation sur le plateau de l’émission. Or, le rédacteur en chef de celle-ci, Lionel de Coninck, a réfuté les informations de la dépêche AFP. Rien de bien méchant n’était prévu au programme. Au contraire, le propos voulait rassurer. Nous, nous ne le sommes pas…
là-bas Italie : scission à Rifondazione La gauche de (la) gauche italienne va mal. Elle avait pourtant montré l’exemple de la maturité, lors des législatives d’avril dernier, en construisant une alliance entre ses quatre grandes composantes (Verts, Gauche démocratique, Rifondazione comunista et Parti des communistes italiens), à gauche des listes du Parti démocrate (PD). Or celui-ci passa la campagne électorale à attaquer cette alliance, plutôt que la droite, et à appeler au vote utile. La loi électorale acheva le désastre: Berlusconi élu, la gauche de gauche manqua d’un cheveu les 4% nécessaires pour entrer au Parlement. L’alliance ne mit alors que quelques semaines à imploser, et chaque parti retourna à ses querelles internes. Le congrès de Rifondazione, en juillet, montra le spectacle d’un parti divisé, avec un duel très personnalisé entre Nichi Vendola, président de la Région des Pouilles, et l’ancien ministre de la Solidarité sociale du gouvernement Prodi, Paolo Ferrero. Si leurs motions réunirent chacune près de 49% des délégués, on peinait à comprendre leur opposition politique. Finalement, en donnant des gages aux petites mentions des trotskistes ou des orthodoxes nostalgiques de l’avant-1989, Paolo Ferrero l’emporta in extremis sur une ligne de fermeture. À la rentrée, rien ne semblait pouvoir recoudre la plaie ouverte dans le parti. Après avoir licencié le directeur de Liberazione, le quotidien du parti, proche de Vendola, le nouveau secrétaire général s’employa à prendre le contrôle de tout l’appareil. Issue logique: les partisans de Vendola ont annoncé, samedi 31janvier, leur décision de ne pas renouveler leur carte en 2009 et appellent au rassemblement «des formations, mouvements, associations…». Un désir d’unité qui commence donc… par une scission.
en 2 mots
D’OLIVIER BRISSON
VU
ENTENDU Il fallait le secrétaire général de la deuxième confédération syndicale de France pour avouer cela. François Chérèque «ne comprend pas ce que fait le gouvernement». Il l’a dit mardi sur France Inter: «Il y a une perte de sens.» Ainsi, le patron de la CFDT trouvait «très bien» la réforme d’autonomie des universités, «qui avait du sens», puis il y a les suppressions de postes et «on ne voit plus où le gouvernement veut aller». Pour comprendre que, dans une politique néolibérale, l’autonomie des universités prépare leur privatisation, il suffit pourtant d’un peu de «bon sens».
Une simple image en dit parfois beaucoup plus long que n’importe quel discours. C’est en tout cas ce qu’ont dû penser les téléspectateurs guadeloupéens en découvrant le 1er février cette ahurissante réunion du patronat insulaire, chauffé à blanc par la grève. L’intrus se trouve au deuxième rang, tout à fait à droite. Comme le soulignent les Indigènes de la République, qui ont déniché ce précieux document: ceux qui ont accusé Élie Domota et le LKP (Lyannaj Kont Pwofitasion) de «racisme» vont devoir trouver autre chose, pour disqualifier les grévistes. En attendant, pourquoi ne commenceraient-ils pas à balayer devant leur porte?
LU En 2003, alors que la guerre en Irak était imminente, le Financial Times reconnaissait dans le mouvement altermondialiste la seule alternative au projet de Bush pour la planète. La semaine dernière, c’est The Economist, autre institution anglo-saxonne, qui rend une manière d’hommage au Forum social mondial de Belém dans un long compte rendu: «Cher capitalistes,
reconnaissez que vous vous êtes trompés» («Dear capitalists, admit you got it wrong», 5février 2009). Si l’hebdomadaire libéral brocarde «ce jamboree d’ONG, d’anticapitalistes, d’intellectuels de gauche, de bohèmes et d’évêques» trop bigarré pour son austère conception du monde, il lui reconnaît une «inhabituelle unité» et des solutions séduisantes face à la crise du système financier
mondial: rétablissement du contrôle des mouvements de capitaux internationaux, réforme des agences de notation, bannissement des produits financiers «abjects» (hedge funds…), etc. Solutions que TheEconomist juge «plutôt plus intéressantes» que de considérer les finances et la monnaie comme des «biens publics» à gérer démocratiquement. Point trop n’en faut…
DR
ici La santé, ça rapporte
Nos banques, bénéficiaires, ont reçu un prêt gouvernemental de 21 milliards d’euros, qualifié de marginal. Parce qu’il améliore leur marge ?
le chiffre
6,5 milliards d’euros C’est le montant du prêt consenti aux constructeurs automobiles Renault et PSA Peugeot en échange de la pérennité des sites d’assemblage automobile. Nicolas Sarkozy a renoncé à exiger la relocalisation en France de certaines chaînes de montage. Et il n’a rien imposé en termes de versement de dividendes et de bonus. 12 février 2009
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•La presse •En cause : une augmentation •Mais aussi une trop grande
DOSSIER MÉDIAS
LES CANARDS SONT-ILS ENCHAÎNÉS ? n a beau être critique envers « les médias », on ne saurait se réjouir des difficultés d’une presse confrontée aujourd’hui à une crise qui met en péril plusieurs titres. Un journal qui disparaît, c’est toujours une défaite de la démocratie. Or, si les grands titres de notre presse quotidienne survivent encore, c’est peu dire qu’ils vacillent. Une baisse de l’ordre de 4,4 % en valeur est attendue pour le bilan de 2008, selon les Nouvelles Messageries de la presse parisienne. De licenciements en départs volontaires, c’est l’information qui perd en richesse et en qualité. Nous nous penchons cette semaine sur les causes de cette crise. Il en est une qui concerne directement la relation entre le journaliste et son lecteur : la tendance à l’uniformisation de l’information. On ne manque jamais de rappeler à cet égard la distorsion caricaturale entre la presse et l’opinion publique au moment du référendum européen du 29 mai 2005. D’autres exemples pourraient être donnés. À commencer par l’uniformité
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d’un dogmatisme économique à dominante néolibérale. Mais on pourrait aussi évoquer le traitement des événements du ProcheOrient. Multiplicité des titres ne veut donc pas dire diversité. Mais cette uniformité n’est pas le fruit du hasard. C’est la conséquence de l’entrée dans la presse d’une oligarchie financière aux intérêts homogènes. Lagardère, Bouygues, Bolloré, Arnault, Pinault possèdent chacun un ou plusieurs titres. Les autres causes de la crise sont plus aisément reconnues : crise de la publicité, crise de la distribution, augmentation du prix du papier, apparition des gratuits. L’idéologie néolibérale attaque la presse sur tous les fronts : par l’uniformité des idées, mais aussi par la privatisation de services publics. Les éditeurs de presse qui négocient les tarifs avec La Poste n’ont plus aujourd’hui en face d’eux un « service public », mais une entreprise soucieuse de sa rentabilité. La « libéralisation » en cours remet ainsi en cause des aides indirectes. Ce qui revient à traiter l’information comme une marchandise comme une autre. Ce qu’elle ne devrait pas être.
« Il faut sortir du panurgisme » Jean-François Kahn, fondateur de « Marianne »*, analyse les raisons de la crise. Il pointe les facteurs économiques mais aussi la responsabilité des journalistes et des patrons de presse. Politis I Du contexte économique aux contraintes éditoriales, quel regard portez-vous sur la crise de la presse ? Jean-François Kahn I Elle frappe tous les quotidiens. Dans une économie libérale classique, ils fermeraient tous. Il y a plusieurs raisons à cette situation. À commencer par la crise économique actuelle. Si le Nouvel Observateur est déficitaire, c’est lié à l’effondrement de la publicité. L’habitude qu’ont prise les journaux que leurs recettes dépendent de celle-ci, de 40 % à 80 %, joue forcément un rôle. Ça marche tant que l’économie marche. Quand la pub décline, tout s’écroule !
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Les journaux vivant de la pub n’ont pas travaillé les ventes, qui n’étaient plus essentielles. Ils ont truqué les abonnements, gonflant artificiellement la diffusion pour avoir de la réclame chère. À partir du moment où il n’y a plus de pub, chère ou pas, la fausse diffusion ayant un coût et les ventes ayant dégringolé, c’est le déficit. Enfin, la concurrence des gratuits a été mésestimée, Internet compris. C’est d’ailleurs une folie de mettre en ligne le journal du jour. Accepter les gratuits (jusqu’à les imprimer, dans le cas du Monde), c’est se tirer une balle dans le pied ! Certains vous expliquent que distribuer des gratuits devant un kiosque ne fait pas de tort
aux payants ! C’est prendre les gens pour des cons ! On a même dit que les gratuits sont formidables parce que nombre de gens qui n’achetaient pas de journaux pourraient se tourner vers les payants ! La vérité, c’est qu’avec le gratuit on perd l’habitude d’acheter. Cela dit, il y a un élément positif pour la presse écrite : si la pub s’écroule, les gratuits vont disparaître !
Ce sont là des facteurs économiques… Il existe un autre élément incontestable à la crise : la responsabilité des patrons de presse, qui ne sont plus des journalistes mais des industriels qui n’y connaissent rien, gèrent en fonction d’une rentabilité économique. Un titre comme le Journal du dimanche devrait avoir à sa tête un vrai patron issu de la presse. Non, c’est Hachette qui dicte ! Là-dessus se greffe la volonté d’un président de la République obsédé par la presse. On arrive à un contrôle direct ou indirect presque
française souffre d’une crise qui menace la survie de certains titres. des coûts et une chute des ressources publicitaires. proximité de certains organes avec le pouvoir.
total, jamais vu dans n’importe quel pays démocratique, inimaginable il y a vingt ans.
NDLR]. Les choix éditoriaux pèsent beaucoup sur les ventes.
Et du côté du contenu ?
Peut-on parler de censure ou d’autocensure ?
La dictature de la bien-pensance fait que tout le monde dit et écrit la même chose. Les journaux font de plus en plus de pages magazine et moins d’actualités. Tantôt le salaire des cadres, tantôt les meilleurs diplômes pour gagner. C’est une erreur qui a provoqué une déperdition. Il faut renouer avec une actualité plus chaude, plus musclée, réactive.
N’y a-t-il pas aussi un divorce entre la presse et le lectorat ? Oui. C’est le défaut des rédactions. La majorité des moins de 35 ans ne comprennent plus ce qu’on écrit : ni les mots ni les références historiques ou culturelles. On peut le regretter, mais c’est comme ça. Les journalistes, dans une réaction corporatiste, ont refusé de se remettre en question, sous prétexte de ne pas niveler par le bas. Or, la Pléiade n’a pas abaissé le niveau de langue après l’ancien français ! Il ne s’agit pas de baisser le niveau mais d’écrire différemment. D’autre part, les guerres internes dans les rédactions n’arrangent rien. Enfin, certains articles se payent auprès des lecteurs, comme cet éditorial de Serge July injuriant les gens qui ont voté « non » [au TCE en 2005,
Plus ou moins : ça a toujours été ainsi. Mais nous avons aujourd’hui un Président qui téléphone sans arrêt ! L’intervention est continuelle, sur telle personne ou tel article. Ça ne peut pas être sans influence. Il lui suffit de dire : « Virez-moi celui-là. » Parfois, on le prend au mot ! Ç’a été valable à Paris Match. Sans compter le rôle de l’argent distribué par l’État. Pour les journaux exsangues, s’il y a moyen de récupérer deux ou trois millions d’euros, c’est tellement nécessaire qu’on fait attention à ce qu’on écrit. Du côté des journalistes, on accepte parce que c’est l’emploi qui est derrière. Et là, on ne parle même pas de la presse détenue par les amis de Sarkozy !
La presse en ligne, payante ou gratuite est-elle une voie à suivre ? La presse en ligne a contribué à tuer la presse écrite et en même temps a sauvé l’honneur de la profession. J’ai personnellement voté « oui » au référendum, mais j’étais scandalisé que 95 % de la presse soit pour le « oui ». La libre expression sur Internet a rétabli la démocratie. Au fond, on est dans
la situation de l’URSS sous Brejnev, avec la Pravda, la presse officielle, et à côté les samizdats qui faisaient contrepoids.
Quelles seraient les solutions pour redresser la presse ? Les aides à la presse ont valeur d’aspirine. Elles ne changent rien à la structure des journaux, à leurs comptes. L’argent reçu sera vite bouffé, et les journaux retomberont dans la même situation. En revanche, l’État devrait investir, agir sur la distribution, suivant le modèle de la loi Bichet sur l’accès à la presse pour tous et partout, qui doit être traité comme un service public. L’État doit agir pour réduire les coûts de la distribution et permettre aux journaux de sortir des prix imposés par les imprimeries en situation de monopole. Pour le reste, c’est la profession qui doit se remettre en question. Sortir de l’uniformisation. Il y a un côté panurgique, et beaucoup de secteurs où domine l’unanimité, beaucoup d’articles sur la même ligne, liés à un effet d’entraînement. Dans le cas de Kouchner, la presse sera unanime. À le sauver ou à le lyncher. Ce n’est pas un calcul, mais l’idée d’aller là où va le vent.
Quelques « unes » de la presse hebdomadaire. Vous avez dit « uniformisation » de l’information ? DEMARTHON/AFP
_Propos recueillis par Jean-Claude Renard * Jean-François Kahn est également candidat aux élections européennes sous l’étiquette du Modem. 1 2 févr ier 2 00 9
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DOSSIER MÉDIAS
Une mine de papier mâché La crise de la presse trouve notamment ses origines dans les contraintes économiques. De la fabrication à la distribution, celles-ci sont difficiles à contourner.
Le quotidien Sud-Ouest en train d’être imprimé. En France, le prix du papier est bien plus élevé qu’en GrandeBretagne ou en Allemagne. MULLER/AFP
n connaît cette expression bien journalistique : les chiffres parlent d’eux-mêmes. Le plus gros tirage d’un quotidien français est celui de Ouest France, avec près de 800 000 exemplaires. Au rang mondial, c’est la 77e place. Depuis 2000, la presse d’information générale et politique a perdu environ 10 % de ventes au numéro, selon la Direction du développement des médias. Les Nouvelles
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messageries de la presse parisienne (NMPP) ont le monopole de la distribution (détenues aujourd’hui à 49 % par le groupe Lagardère, à 51 % par les coopératives), difficile à contourner par les éditeurs. L’Hexagone compte presque 30 000 points de vente pour la presse quotidienne nationale. Les kiosquiers ploient sous le nombre de titres, exercent dans des conditions déplorables. En 2007, les NMPP ont entamé
Le droit à une information de qualité Pas de «tiers état» aux États généraux. D’où la décision d’organiser, le 20janvier, à la Maison des métallos, à Paris, une édition spéciale des Assises nationales du journalisme, qui se tiennent chaque année depuis 2007 à l’initiative de Journalisme et citoyenneté et réunissent sociétés de rédacteurs, sociétés de lecteurs, syndicats, organisations médias/citoyens, écoles de journalisme… «Il fallait peser dans le débat in extremis, entre la publication du Livre vert et les annonces que s’apprêtait à faire Nicolas Sarkozy, le 23janvier », explique Jérôme Bouvier,
président de l’association organisatrice. Résultat : 14 propositions. Dont une, très symbolique, réclamant l’inscription dans la Constitution d’un «droit à une information honnête et de qualité». Il s’agit, pour la plupart des acteurs de la profession, de restaurer le pacte de confiance avec les lecteurs. D’où cette autre proposition, qui entend inscrire «dans la convention collective nationale un texte déontologique unique et fédérateur». Non pas une simple déclaration de principe mais un «geste d’adhésion». Cette idée a été retenue: une équipe travaille actuellement à la
rédaction d’un texte. Le problème étant: qui va signer? En effet, les rédactions n’ont toujours pas de statut juridique spécifique. Autre proposition: la création d’une instance tripartite (éditeurs, journalistes, public), un «organe de dialogue et non de sanction», insiste Jérôme Bouvier, soucieux de «pulvériser la crainte d’un ordre moral». Selon lui, l’idée d’une information de qualité pourrait reposer sur une forme de traçabilité de l’information, sur le modèle des filières bios et équitables. _Ingrid Merckx Pour en savoir plus: www.pourpolitis.org
un plan de modernisation, avec la création de 570 points de vente. Insuffisant quand chaque année 500 kiosques ferment boutique. Le défaut de distribution s’observe surtout le dimanche. Même à Paris, il est difficile de trouver un journal, tandis qu’en Angleterre ou en Italie, cette journée est justement la meilleure de la semaine. À côté de la diffusion, on trouve d’autres contraintes économiques. Le prix du papier, d’abord. À titre d’exemple, celui de Politis a augmenté de 4,25 % en janvier. Le coût d’impression est aussi contraignant. Comme le rappelait Libération dans son édition du 24 janvier, l’impression de 30 000 exemplaires du Herald Tribune en Chaque année, Grande Bretagne coûte cinq cents 2 334 euros. Elle en coûkiosques ferment boutique. terait 3 845 en France (et 1 661 en Allemagne). Au sombre tableau économique, puisant dans le budget des rédactions, s’est ajoutée la concurrence : la presse gratuite, entièrement financée par la publicité. À lui seul, Métro tire à plus de 2 millions d’exemplaires. Pas de contenu mais une concurrence à la presse traditionnelle. Tout comme les journaux en ligne, payants ou gratuits, avec ou sans pub. La pub, colonne vertébrale des équilibres financiers, et qui décroît chaque année, filant vers le web et la TNT. Bout à bout, voilà donc une presse étranglée. Qui se maintient en partie grâce aux aides de l’État pour la presse d’information politique et générale : des réductions tarifaires pour le transport (60 % des coûts), des tarifs postaux préférentiels (28 % d’abattement), une TVA à 2,1 % sur les recettes de vente (contre 5,5 % pour les autres titres). Dans ce contexte fébrile, ont été décrétés les États généraux de la presse en octobre dernier par Nicolas Sarkozy. Soldés par un Livre vert comprenant 90 propositions. Le Président en a repris quelques-unes, débloquant 600 millions d’euros sur trois ans : la hausse des prix des tarifs postaux est reportée d’un an ; la communication institutionnelle de l’État dans la presse passe de 20 à 40 % ; les cotisations sociales des marchands de journaux sont réduites de 30 % (soit 4 000 euros d’économie par an) ; côté distribution, le portage serait largement encouragé. En chantier, la modernisation des imprimeries pour diminuer les coûts. Remarque : les mesures sont techniques, s’adressent aux éditeurs, non pas aux journalistes. Foin d’une remise en question des contenus, des attentes du lectorat. _J.-C. R.
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ENTRETIEN LAURENT MARTIN Historien.
Des relations un peu trop confraternelles Concentrée en peu de mains, très proche du pouvoir, la presse souffre de son uniformisation. C’est aussi une des raisons de ses difficultés actuelles. es États généraux de la presse, décrétés par le président de la République, donnent le ton : c’est le pouvoir exécutif qui décide. Rien d’étonnant quand on sait qui fait quoi. À la tête du Figaro, de l’Express, de Valeurs actuelles, l’avionneur Dassault est producteur d’armes… commandées par l’État. Également fabricant d’armes, actionnaire d’EADS, Lagardère possède notamment Paris Match, le Journal du dimanche, la Provence, Nice-Matin et 17 % du Monde. Les activités dans le bâtiment de Bouygues (TF 1, mais aussi Métro) dépendent, entre autres, de l’État et des collectivités locales. Arnault détient la Tribune et les Échos, Pinault le Point, Rothschild a 37 % du capital de Libération. De son côté, Bolloré est derrière deux gratuits, Direct soir et Matin Plus. Difficile de ne pas imaginer les accointances, les connivences de caste, entre les patrons de presse et l’État, a fortiori quand nombre d’acteurs sont des proches du Président (Bouygues, Lagardère, Bolloré). Réalité unique en Europe (sauf en Italie). S’il existe depuis la Libération des lois anticoncentration, elles ont peu d’effets. Qu’en est-il alors de l’indépendance des rédactions avec une presse concentrée en si peu de mains ? Les articles sensibles, impertinents ou susceptibles de fâcher passés à
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Le paradoxe italien On sait la mainmise de Silvio Berlusconi sur la télévision italienne (et sur 80% du marché publicitaire). Mais on sait moins que, du côté de la presse écrite, un système d’aides publiques permet depuis 1945 l’existence de dizaines de quotidiens nationaux et régionaux, distribués par de nombreux kiosques bien répartis sur le territoire. Àcôté de grands groupes, comme ceux de laRepubblica ou du Corriere della Sera, de nombreuses coopératives de journalistes produisent des journaux indépendants, et chaque parti politique (même le plus modeste) dispose de son organe. Évidemment, ce système ne pouvait que déplaire à Sua Emittenza. Son gouvernement vient ainsi de «réformer» le système de subventions: à partir de 2010, seuls les grands groupes devraient en bénéficier! _Olivier Doubre
la trappe sont courants (du non-vote de Cécilia dans le JDD aux défauts de la carte Navigo dans Matin Plus). Les journalistes, souvent précaires, souvent pigistes, sont confrontés aux impératifs économiques, à l’immédiateté de l’info, DE SAKUTIN/AFP peut-être pas à la censure mais glissant dans l’autocensure. Le conformisme et le suivisme l’ont emporté sur le recul et l’irrévérence. Résultat, un défaut de contenus, une presse monochrome. Dans ce manque de pluralisme, la seule concurrence, c’est l’uniformité. D’une couverture à l’autre, d’un article à l’autre. Voilà sans doute pourquoi le lecteur accorde peu de crédibilité à la presse, se détourne des journaux. Un lecteur qui n’a pas été convié aux États généraux, alors qu’il devrait être le premier concerné (en réalité, c’est la pub qui est recherchée, non un lectorat). Autant de raisons qui poussent le citoyen à réagir sur la toile, à travers les blogs et les forums, quand l’urgence démocratique coïncide avec la révolution technologique. Avec certains effets : le « non » au référendum sur le TCE tient pour beaucoup aux échanges sur le web.
Arnaud Lagardère possède Paris Match, le JDD, la Provence, Nice-Matin et 17 % du Monde.
_J.-C. R.
Lutter contre la concentration Politis I En quoi une meilleure démocratie interne améliorerait-elle le pluralisme de la presse ? Laurent Martin I Aujourd’hui, le pluralisme de la presse est menacé à la fois par la crise de la presse, qui conduit à la diminution du nombre de titres, et par les solutions strictement libérales qui lui sont apportées (le rachat des titres fragiles, la concentration). La constitution de groupes multimédias puissants, en France et à l’étranger, parfois insérés dans des conglomérats industriels, déséquilibre les rapports de force entre les opinions au sein de l’espace public. Des lois anticoncentration existent en France depuis les années 1980; on pourrait les renforcer en faisant droit aux revendications des sociétés de rédacteurs. Constituées en forum permanent depuis 2005, ces sociétés réclament que leur soit reconnu un statut légal, leur donnant notamment la possibilité d’un droit de veto sur le choix du directeur de la rédaction. Ce pouvoir concédé aux journalistes fait craindre à certains le «pouvoir des soviets». Ce serait plutôt un bon moyen de résister aux caprices de l’actionnaire majoritaire, parfois actionné par le pouvoir politique, visant à imposer ses vues sur le contenu rédactionnel. Cette proposition a été rejetée par les récentset mal nommés «États générauxde la presse». En revanche, ces États généraux demandent la publication régulière et obligatoire des noms des actionnaires et des dirigeants, les données sur la diffusion, l’organisation de la rédaction, les principales sources d’information. Si une telle proposition était suivie d’effet, ce serait déjà une avancée réelle sur la voie d’une transparence accrue. Elle serait encore mieux assurée avec la Les sociétés publication des noms des principaux annonceurs, mais le marché publicitaire est de rédacteurs déjà assez déprimé comme cela…
réclament un droit de veto sur le choix du directeur de la rédaction.
Un observatoire des pratiques de la presse pourrait-il améliorer les relations entre le public et les journaux ? En tout cas, la question de la crise de la confiance du public envers les médias – pas seulement la presse écrite – est posée déjà depuis de nombreuses années, à travers notamment les enquêtes d’opinion. De là, le retour de ce serpent de mer d’une structure disciplinaire permettant de sanctionner les journalistes qui manquent à la déontologie de leur métier. C’est que la profession se vit comme une profession libérale, plus encore que les médecins ou les avocats, qui ont un ordre pouvant prendre des sanctions allant jusqu’à la radiation. Rien de tel chez les journalistes. Il y a bien la commission de la carte, mais elle n’a pas ou n’exerce pas son pouvoir de sanction dans le cas de manquements déontologiques et, de toute façon, la carte n’est pas obligatoire pour exercer le métier. Les États généraux de la presse ont proposé la création d’un observatoire des pratiques de la presse, une instance de débat et de réflexion agissant dans une logique d’autorégulation et de valorisation des bonnes pratiques et non pas de sanction. Pourquoi pas? Mais il faudrait d’abord s’entendre sur la déontologie à respecter. La question se pose également au niveau du code de déontologie que certains proposent d’annexer à la convention collective des journalistes ainsi qu’à celui des chartes rédactionnelles qui pourraient être rendues obligatoires. Qui va élaborer ces textes, qui va veiller à leur application, comment éviter la censure et l’autocensure? Autant de questions pour l’heure non résolues. _Propos recueillis par Christophe Kantcheff
Laurent Martin a notamment publié la Presse écrite en France au XXe siècle, LGF, 2005. 1 2 f évr ier 200 9
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THÉÂTRE
Scènes de combat es rappeurs ne sont pas les seuls à s’en prendre au pouvoir sarkozyste. Certains théâtres de banlieue frappent à leur tour. Et c’est d’autant plus étonnant qu’il s’agit de grosses structures subventionnées. En ce moment même, au Théâtre2Gennevilliers, on peut voir la pièce de Ronan Chéneau, Nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue, mise en scène par David Bobee, qui s’en prend violemment à la politique dite « d’identité nationale », invective la culture française et « la Marseillaise ». Clou de ce spectacle très « craché » du côté du texte et très élaboré du point de vue du style scénique : un ballet de CRS dansant sur la musique du Beau Danube bleu ! L’an dernier, dans un autre point de la couronne parisienne, au théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, Mohamed Rouabhi donnait les deux copieuses parties de sa fresque Vive la France !, où était dénoncée, par le langage du théâtre et la projection d’archives, la politique coloniale de la France à l’égard de ses immigrés. C’était une sorte d’enquête-pamphlet qui contait l’histoire des cités et attaquait sans ménagement l’actuel président de la République. Prend-on les armes dans les centres dramatiques ? Pas tout à fait. Mais quelques équipes y accueillent des artistes fortement rebelles, qui sont libres d’exprimer toute leur fureur. David Bobee, metteur en scène de Nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue, sait qu’il ne bénéficie pas de cette liberté partout. La pièce doit être représentée dans quarante villes après Gennevilliers. Certains programmateurs sont déjà prêts à la retirer de l’affiche ! « Face à l’idéologie sarkozyste, il faut reprendre en main les objets du service public, dit Bobee. Je ne sais pas si nous sommes anti-Français. Inviter des artistes africains – avec tous les problèmes de visa que cela comporte – à participer à un spectacle qui s’interroge sur le ministère de l’Identité nationale, c’est avoir une autre idée de la France ! Dans le spectacle, le drapeau français est noir, blanc et gris parce qu’il a perdu ses couleurs ! » En réalité, au-delà d’une révolte qu’ils sont rares à assumer, les responsables
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Des centres dramatiques de banlieue, comme à Gennevilliers ou Saint-Denis, inventent une nouvelle façon de faire du théâtre, plus proche des gens, et s’engagent contre le pouvoir en place.
de ces appareils cherchent à les faire fonctionner différemment. Ils ne croient plus totalement à la culture traditionnelle ni aux stratégies habituelles de conquête du public. Programmes nouveaux, méthodes nouvelles. On se décale par rapport au fonctionnement, pourtant remarquable, des théâtres d’Aubervilliers (Didier Bezace), de Nanterre (Jean-
TRISTAN JEANNE-VALÈS
Louis Martinelli) ou Bobigny (Patrick Sommier). À la tête du Théâtre2Gennevilliers – rien que cette nouvelle appellation en clin d’œil marque la rupture avec un passé incarné pendant quarante ans par Bernard Sobel – il y a Pascal Rambert, auteur et metteur en scène qui a beaucoup travaillé aux États-Unis. Il a inscrit à son programme la pièce-brûlot de ChéneauBobee, mais son propos est évidemment plus large. Sa volonté politique est grande puisqu’il organise des parrainages de sans-papiers. « J’ai quitté mon rapport verbal au théâtre, mes spectacles sont plus corporels », avoue Pascal Rambert, qui a aussi quasiment éliminé les classiques. « J’aime profondément mon pays, donc je le critique, comme dans ma pièce de la saison dernière, Toute la vie. Il y a une tension sociale hyperviolente, nous la reflétons. Mais mon engagement politique est au service de la beauté. J’invite des gestes artistiques, avec l’espoir de soigner un peu le monde ! Nous travaillons au niveau local et au niveau international. Nous
œuvrons avec la population et nous faisons venir des artistes de New York ou du Japon. J’ai le souci de l’Afrique, je veux que jouent ceux qu’on voit peu sur les plateaux, les Blacks, les Arabes. Je creuse un sillon : la matière vivante des anonymes. » Les répétitions sont publiques, le travail peut déboucher sur des réalisations de films. En janvier, Rambert mettra en scène une pièce écrite avec Éric Méchoulan, Une micro-histoire économique du monde dansée, pour laquelle il mêlera aux acteurs-danseurs trente-cinq personnes de son atelier d’écriture et les quinze membres de la chorale de la ville. Le public de Gennevilliers est d’ores et déjà en progression de 40 %. Au théâtre Gérard-Philipe de SaintDenis, sous la nouvelle direction du metteur en scène Christophe Rauck, entré également en fonction il y a un an, le ton et l’action sont aussi offensifs. Là, il y a un classique à l’affiche, Cœur ardent, d’Ostrovski, mis en scène par Rauck lui-même. Mais aussi la promesse des prochains spectacles :
LITTÉRATURE
MUSIQUE Gérard Siracusa
Scanner, « hurlements en faveur de Guy Debord », par David Ayala, les quatre spectacles de Villes sur le monde urbain… Les activités parallèles sont nombreuses : André Markowicz, qui a traduit la pièce d’Ostrovski, fait travailler des jeunes sur un texte de Dostoïesvki. Des ateliers et des stages se déroulent ici et dans les lycées. Et, très inattendu, un conteneur bleu, plein d’abeilles, enseigne à qui passe la qualité du miel fait en milieu urbain : c’est une initiative d’Olivier Darné, créateur du FMI (Fonds mellifère impartial) et du « miel béton »… « Nous sommes des directeurs illégitimes, dit Christophe Rauck. Seuls nos spectacles sont légitimes. Les pièces de Rouabhi maltraitent-ils la France ou une certaine façon de parler de la France ? Elles posent surtout des questions qui sont les nôtres « Nos enfants et même les nous font peur miennes. Il y a, quand on les dans le système croise dans la rue », une pièce de institutionnel, des Ronan Chéneau spectacles malomise en scène par dorants, qui David Bobee. puent idéologiquement. Ce n’est pas le cas de ce que nous faisons. Mais ce métier, c’est de la vase. Il faut l’accepter pour que poussent quelques lotus. Nous donnons des spectacles politiques et des pièces sur la ville, mais il ne faut pas croire que les gens de banlieue veulent voir des pièces sur la banlieue. Ils réclament de grands textes. Nous prenons notre force dans la ville de SaintDenis : il y a 70 communautés. C’est lourd, c’est complexe, mais cela a une force tellurique. » Ainsi parle Rauck, passé par le Théâtre du soleil d’Ariane Mnouchkine. Rauck et Rambert ne se connaissent pas. Ils donnent vie parallèlement à une résistance qui n’est pas concertée par un mouvement commun. D’autres artistes, à la tête de structures plus modestes, comme Christian Benedetti au Studio-Théâtre d’Alfortville ou Patrice Bigel avec son Usine de Choisy-le-roi, font aussi émerger un théâtre qui change les règles du jeu de la théorie et de la pratique. Ce n’est pas un raz-de-marée, mais la naissance simultanée de nouvelles vagues. _Gilles Costaz Théâtre2Gennevilliers, 0141322626. Nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue, jusqu’au 14février, puis en tournée. Portrait/Portrait, du 6 au 22mars. Théâtre Gérard-Philipe, Saint-Denis, 0148137000. Cœur ardent, jusqu’au 15février, Villes du 23mars au 12avril.
Dinosaure intime our écrire son dernier livre, En enfance, Mathieu Lindon a revêtu sa tenue de « paléontologue ». « Être un enfant, écrit-il dans le court texte de 4e de couverture qui évoque rapidement sa démarche, c’est comme être un dinosaure, ça remonte si loin. » En enfance est un voyage que Mathieu Lindon effectue d’abord en lui-même. Foin de souvenirs nostalgiques recomposés pour l’occasion, et tissés dans un récit attendri. Lindon va à la recherche des traces de son enfance qui perdurent en lui, des impressions, des sensations qui émergent du puits intime creusé par le temps. Pas de narration linéaire, donc, mais de nombreux « épisodes » (110, ils sont numérotés) dont il est l’acteur ou le témoin – l’auteur ne quitte jamais le point de vue de l’enfant –, la plupart inscrits dans la vie courante, à l’école, avec ses camarades de jeux, et bien entendu dans sa famille. Mathieu Lindon étant le fils de Jérôme Lindon, le grand éditeur des éditions de Minuit, le lecteur est sans doute attentif à découvrir un Jérôme Lindon plus familier, tel qu’il ne l’a jamais vu. Mais En enfance n’est certainement pas un livre de révélations de ce type. Simplement, le fils notera ceci, toujours avec la même pudeur : « Lui saute aux yeux que son amour pour son père ne sera
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Dans « En enfance », Mathieu Lindon cherche en lui-même les traces de ses jeunes années.
jamais une histoire complète, toujours à suivre. » L’enfance, quand elle est socialement sans problème, est-elle un univers enchanté ? Chez Mathieu Lindon, elle est surtout une affaire de décalages plus ou moins comiques par rapport au monde des adultes, et de fragilités, qui peuvent le laisser soudain seul au monde, ou être compensées par la tendresse d’un proche. On pense à un Jacques Tati en minuscule, embarrassé non seulement par son corps, mais par les sentiments des autres, sinon par les siens. Le jeu ou l’imagination permettent de s’échapper, des lieux magiques de se protéger. Par exemple, la serre de son grandpère : « Elle ressemble à une oasis, une étape entre le froid et le froid, l’agitation et l’agitation, à une pause. Parfois, à des centaines de kilomètres, dehors ou en pleine classe, il l’ap« Ça remonte si loin…» HÉLÈNE BAMBERGER/P.O.L pelle, elle et ses fleurs et ses plantes, elle et son monde. » Chaque « épisode » se clôt sur une chute d’une tonalité un peu différente du reste, plus grave souvent, où l’écho de l’adulte s’entend davantage. Cet adulte qui aujourd’hui contient l’enfant du passé. De ces liens, il est explicitement question dans les toutes dernières pages (l’épisode 111), mais, en réalité, ils sont sans cesse au cœur du livre. Et Mathieu Lindon les met à nu avec beaucoup de délicatesse. _Christophe Kantcheff En enfance, Mathieu Lindon, POL, 341p., 20euros.
Un solo de batterie, ce n’est pas nécessairement un orage de roulements ponctués d’erratiques éclairs de cymbales, ce peut être de la musique… Avec quelques autres maîtres percussionnistes, tels Max Roach ou le Suisse Pierre Favre, Gérard Siracusa s’emploie à le démontrer. Son dernier disque, bénéficiant d’une remarquable prise de son Radio France, constitue un chef-d’œuvre de la maturité. Il se compose d’une suite de sept pièces qui se succèdent logiquement tout en conservant leur personnalité propre. Siracusa y déploie une infinie musicalité, et par des nuances de hauteur, de timbre et d’attaque fait véritablement chanter les formules rythmiques qu’il énonce comme des thèmes pour les développer ensuite. Il montre par là comment se construit l’improvisation sur une batterie en mêlant des techniques et des conceptions du son qui viennent aussi bien du jazz que de la musique contemporaine. Gérard Siracusa a en effet toujours refusé les frontières supposées séparer les musiques d’aujourd’hui; il a collaboré avec des ensembles comme Ars Nova et Musique vivante, côté «contemporain», et a animé des collectifs d’improvisation plus proches du jazz, comme le Grim de Marseille ou Un drame musical instantané. Il compose, conçoit des spectacles et, régulièrement, propose des œuvres pour batterie solo. Musicien exigeant, virtuose qui ne fait jamais étalage de ses moyens, il est l’un des rares percussionnistes actuels à pouvoir prononcer sur sa batterie de véritables poésies sans paroles. Denis-Constant Martin Drums Immersion, Gérard Siracusa, Signature/Radio France.
CINÉMA Contre la guerre et l’occupation Pour la 3e édition de son festival de films documentaires, qui se tient du 14 au 28février, et dans le contexte de l’agression israélienne à Gaza, Confluences soutient les cinéastes palestiniens et israéliens qui s’engagent contre cette violence insupportable. La programmation du festival s’articule autour de quatre thèmes, sur lesquels le public pourra débattre avec des réalisateurs, journalistes et historiens, à l'issue des projections. Plusieurs cinéastes seront présents, tels Avi Mograbi, qui viendra présenter son nouveau film, Z32, sur les écrans à partir du 18février (voir Politis la semaine prochaine), Asher Tlalim, Avner Faingulernt, Nurith Aviv, Judd ne’Eman… Cinéastes contre la guerre et l’occupation, Confluences, 190,bd de Charonne, 75020Paris, 0140241646, http://confluences.jimdo.com 1 2 févr ier 2 00 9
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CINÉMA
La fièvre du Chili noir
La malédiction atomique
Avec « Tony Manero », Pablo Larrain réalise une fable cruelle.
ony Manero est le nom porté par le personnage de John Travolta dans la Fièvre du samedi soir. Au printemps 1978, le film sort sur les écrans, dans le monde entier. Y compris au Chili, celui de Pinochet, où Tony Manero fait des ravages, en particulier dans l’esprit de Raùl, 50 ans, qui s’identifie totalement à lui. Mâle dominant dans une pension de famille pauvre et déglinguée, où il a ses habitudes avec les femmes de la maison, Raùl (fortement interprété par un comédien très connu au Chili, Alfredo Castro) est un minable sans scrupule, totalement dénué du sens des responsabilités, indifférent à la dictature. Sa seule obsession est de bouger comme Tony Manero, d’être Tony Manero. Le jeune cinéaste Pablo Larrain, dont Tony Manero est le deuxième film, a opté pour un style très réaliste, caméra à l’épaule, gros plans pris sur le vif, image non léchée, avec quelques flous maîtrisés. Sans doute pour se garder de tout effet didactique. Car Tony Alfredo Castro DR Manero est une fable, une fable cruelle, d’une terrible noirceur. Il est tentant en effet de voir dans l’obsession de Raùl l’effet de la fascination que suscitent les ÉtatsUnis sur les « imaginaires colonisés », par l’intermédiaire d’un de leurs blockbusters. États-Unis qui, par ailleurs, furent de solides soutiens au régime de Pinochet. Ce n’est pas non plus un hasard si Raùl, danseur sans talent mais parfait petit autocrate, perd toute humanité et devient un tueur dès lors que son désir d’identification à Tony Manero est entravé. Brut, concentré, le film de Pablo Larrain est comme un pavé dans la mare de l’impérialisme américain.
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En 1960, la première bombe nucléaire française a explosé dans le Sahara, à 50 km de Reggane. SHELLAC erboise bleue porte le nom qui fut donné en février 1960 à la première bombe nucléaire française, dont l’explosion a eu lieu en plein air, à cinquante kilomètres du village et des habitants de Reggane, dans le Sahara algérien (il y eut ensuite Gerboise blanche puis Gerboise rouge : on avait la fibre patriotique dans l’armée du général de Gaulle). Mot français d’origine maghrébine, « gerboise » désigne, non pas une sorte de gerbe, mais « un petit rongeur bien adapté au saut ». Rongés, Gaston Morizot et Lucien Parfait, les deux principaux intervenants du film, le sont pour le restant de leurs jours. Conscrits, ils étaient présents à Reggane en 1960. Morizot, troué de l’intérieur, survit au rythme des hospitalisations incessantes. Parfait n’a plus de visage, bouffé par les attaques répétées d’un cancer cutané. La malédiction atomique, insidieuse, se poursuit. Officiellement, ces deux hommes n’ont jamais été contaminés. Cinquante ans après, le ministère de la Défense français continue de nier tout lien de cause à effet entre la présence dans la zone de tir de plusieurs milliers de soldats et la liste terrifiante des maladies qu’accumulent nombre de vétérans, pour ceux qui survivent. Filmé au ministère de la Défense, dont il est porte-parole, un certain monsieur Bureau n’a rien à envier aux
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Avec « Gerboise bleue », Djamel Ouahab consacre son premier documentaire aux conséquences tragiques des essais nucléaires français en Algérie. Par Bertrand Leclair*.
bureaucrates staliniens dans sa ténacité au déni. Il porte avec un aplomb sidérant une parole mensongère que pulvérise le montage implacable du film. M. Bureau rappelle qu’on a choisi le Sahara parce qu’il était désert ? La caméra file sur les routes du Sud algérien, traverse le ksour et la palmeraie de Reggane, où les malformations de naissance sont anormalement élevées, filme plusieurs Touaregs aveugles depuis qu’ils ont fait face, ignorants, à l’éclair de l’explosion atomique. M. Bureau évoque avec pudeur de malheureux soldats qui ont tendance à rapporter à leur présence à Reggane des maladies bien naturelles à leur âge ? La caméra fixe à nouveau Lucien Parfait. Il lui manque la moitié du nez, le lobe de l’oreille ; sous ses lunettes,
un pansement remplace son œil gauche. Lorsqu’il propose de le soulever, la caméra, impudique mais juste, s’approchedel’excavationparlaquelle on peut voir le fond de la gorge. « J’ai la chance de pouvoir respirer par l’œil », précise Parfait en rabattant le pansement.Cen’estpasleseulmoment violent du film, mais le plus émouvant reste celui où Morizot évoque la honte qui l’a jusqu’ici empêché de parler : la honte d’avoir été un cobaye – car il s’agissait aussi, à Reggane, d’exposer sciemment des soldats pour mesurer les effets concrets d’une attaque nucléaire sur les troupes, et c’est précisément ce qu’il raconte. Si l’on peut regretter quelques mouvements de caméra esthétisants, le film de Djamel Ouahab est nécessaire ; il faut l’affronter. Il est d’autant plus pertinent que le cinéaste, né en France, trame en filigrane la question d’une identité impossible à construire dans un pays persistant à refouler son histoire coloniale, qui n’en est que plus désastreuse. D’évidence, il s’agissait aussi, pour lui, de soulever un instant le voile des mensonges franco-algériens : de tenter de se regarder enfin en face, d’un côté l’autre de la Méditerranée. _B. L. *Bertrand Leclair a publié début 2008 Une guerre sans fin (Maren Sell), un roman sur les conséquences qu’entraînent aujourd’hui les mensonges sur la guerre d’Algérie.
—Christophe Kantcheff
MÉDIAS
À VOS POSTES
Au fil du temps n mouflet en uniforme qui joue au soldat, d’autres bambins qui chahutent dans la paille estivale, une vieille tisserande aux mains calleuses, des Bretonnes tricotant au pied des flots et ressacs, une procession sagement menée, un mariage champêtre peuplé d’un petit monde endimanché, un atelier de confection avec ses machines et bobines infernales, des baronnes et rombières chapeautées, des coquines décolletées, une foule de musiciens, de casseroleurs, des opérateurs fixant la sortie d’usine gavée de bleus de travail… Henry Colomer a choisi une approche originale pour raconter la première partie du XXe siècle. Des prémices de la Première Guerre mondiale, quand le cinéma est encore dans son berceau, à la montée des totalitarismes. Une histoire en noir et blanc, muette, tissée d’archives (françaises, allemandes, yougoslaves, anglaises) avec les étoffes pour dénominateur commun. Drapeaux, vêtements de ville, de campagne, de bord de mer, d’une classe sociale à l’autre. Une autre façon de lire la grande histoire, avec ses uniformes, ses pansements, ses langes et linceuls. Autant de signes qui fixent une époque, témoignent, porteurs de symboles qui vont de la naissance à la mort. Des signes qui identifient, différencient, confrontent. Rythmé par un remarquable montage et par la musique symphonique contemporaine de Jacopo Baboni Schilingi (une composition originale créée pour le film), Sous les drapeaux se déploie en trois mouvements,
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Henry Colomer livre une somptueuse histoire du XXe siècle à travers étoffes et vêtements.
RSAMEDI A D 14I OFÉVRIER
Georges Marchais, en janvier1980, sur l’Afghanistan.
Terre à terre
VENDREDI 20 FÉVRIER
France Culture, de 7h à 8h
Lycée agricole
Sur le gril de Ruth Stégassy, l’association Santé et environnement en Provence. Avec notamment Patrice Halimi et Pierre Souvet, médecins.
France Culture, de 16h à 17h
Incursion dans un établissement d’enseignement professionnel à SaintRémy-de-Provence, spécialisé dans l’huile d’olive et les travaux paysagers.
CO2 mon amour France Inter, de 14h05 à 15h
Denis Cheissoux donne ici la parole aux «gens qui font». Affaire d’initiatives autour de l’environnement.
TSAMEDI É L É14VFÉVRIER ISION Les larmes du désert France5, 15h
LUNDI 16 ET MARDI 17 FÉVRIER
La mafia France Inter, de 13h30 à 14h
s’ouvrant sur la quiétude du début de siècle avant de poursuivre avec la fureur de la Grande Guerre. Roulements de tambour et marches au pas en rangs serrés, défilés, masques à gaz et casques à pointe. Fantassins et cavalerie. Les troufions crevés au fond d’un trou terreux, les déplacements mal assurés dans les tranchées, les cohortes de gueules cassées, de mutilés, les femmes aux labours, les enterrements étirés dans le dégradé de gris endeuillés. Une fois la paix revenue, célébrée en hauts-de-forme et fanfaronnades, ce sera le retour de la musique, des flonflons des années folles, des robes élégantes à côté de tristes hères en guenilles, traînemisère et traîne-savates. La pause ne s’étire guère longtemps, juste avant qu’une autre étoffe ne s’impose, un étendard frappé d’une croix gammée, comme une parenthèse d’horreurs qui ne se refermerait pas. _Jean-Claude Renard Sous les drapeaux, dimanche 15février, 0h35, Arte (45’).
Une histoire de la pieuvre, avec Clotilde Champeyrache, maître de conférences à l’université de Paris-VIII, et Marie-Anne Matard-Bonucci, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Grenoble-III, spécialiste de l’Italie.
LUNDI 16 FÉVRIER
Après Guantanamo France Culture, de 16h à 17h
Retour sur la prison, ou plutôt ce qui advient après la taule, à travers le portrait d’un ancien garde du corps d’Oussama Ben Laden, parti pour une quête pacifiste au Yémen.
Sur une terre aride, un lieu de rencontres et d’échanges qui datent de quelques siècles, entre les Touaregs, éleveurs nomades, les agriculteurs et les pêcheurs. Ainsi se présente la région du lac Faguibine, au Mali, étiré sur 600km 2, alimenté par les chenaux du Niger, une région touchée par les sécheresses récurrentes depuis les années1970. Liées au dérèglement climatique, ces sécheresses ont bouleversé ce qui a longtemps été considéré comme un eldorado, et transformé le cadre en terre de désolation, forçant la population à l’exode. Un drame dont Mohamed Aly s’est fait le porte-parole à l’ONU.
DIMANCHE 15 FÉVRIER
Le roi Arthur DU 16 AU 20 FÉVRIER
Arte, 20h45
Angelopoulos
Une légende qui s’étire, des Monthy Python aux jeux vidéo, gavant l’imaginaire collectif. Après l’incontournable (et réussi) Excalibur de John Boorman, réalisé en 1981, porté par la musique de Carl Orff, un documentaire de Wilfried Hauke articulé autour de la fabrication du mythe. De Tintagel en Cornouailles à Winchester. Toute une épopée plongée dans le XIIIe siècle, trempée de littérature courtoise et héroïque.
France Culture, de 20h à 20h30
Histoire d’un cinéaste. Histoire à la première personne. Écrite, réécrite, courant sur près de quarante ans, de laReconstitution à laPoussière du temps, passant de l’Apiculteur au Pas suspendu de la cigogne, mêlant l’intime et le collectif. Un cinéaste obsédé par l’idée du temps, de l’éternité, dans une poésie imagée cornaquée à la mélancolie, voire à la dépression. Avec une esthétique très personnelle.
JEUDI 19 FÉVRIER
Van Gogh MARDI 17 FÉVRIER
France5, 21h35
Interrogations éthiques
20mai, 29juillet. En 1890, ce sont les dates qui encadrent le séjour de Van Gogh à Auvers-sur-Oise. Ultime séjour avant son suicide, quelques semaines denses, prolifiques, tourmentées. Toits de chaume, portraits, paysages champêtres, bâtiments, églises. Peter Knapp revient sur cette période en puisant dans la correspondance de l’artiste, à l’occasion d’une rétrospective sur le peintre à Amsterdam.
France Culture, de 14h à 15h
Le progrès médical s’accompagne de remises en question éthiques. Un schéma où tout chercheur a le devoir de s’interroger sur les conséquences potentielles de ses activités. Avec Axel Kahn, généticien, directeur de l’institut Cochin.
JEUDI 19 FÉVRIER
Jeux d’archives
L’histoire se raconte par les tissus. DR
France Culture, de 21h à 22h
AZF
Dans le jeu des archives sonores, sont rediffusés ici le discours de candidature de René Dumont à l’élection présidentielle d’avril 1974 (sur l’ORTF) et celui de
France3 Sud, 22h50
Àquelques jours de l’ouverture du procès, huit ans après l’explosion, retour sur le drame de l’usine toulousaine. 1 2 févr ier 2 00 9
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DÉBATS & IDÉES
Ce que dominer veut dire En 1982, Pierre Bourdieu rassemblait dans un essai incisif quelques-uns de ses travaux sur le langage, l’analyse des discours et la linguistique, sous le titre Ce que parler veut dire (1). Il y analysait avec finesse « l’économie des échanges linguistiques », alors que s’achevait le « moment structuraliste (2) », caractérisé selon Bourdieu par les multiples « formes de domination que la linguistique et ses concepts exercent encore sur les sciences sociales ». Cet ouvrage fut en effet l’un des premiers à contester avec force l’un des présupposés les plus anciens de la linguistique (depuis Auguste Comte jusqu’à Chomsky), qui considère le langage comme un « trésor intérieur » pour tous les individus, « universellement et uniformément accessible », c’est-à-dire ce que Bourdieu nomme « l’illusion du communisme linguistique ». Le sociologue démontrait ainsi au fil des pages combien l’expression orale et a fortiori écrite d’un locuteur est conditionnée par sa position sociale, celle de celui ou de ceux à qui il s’adresse, et surtout par son propre capital culturel, économique, scolaire, etc. Depuis près de trois décennies, les sciences sociales outre-Atlantique se sont enrichies de nouvelles branches disciplinaires, aux noms encore rarement traduits en français, comme les cultural studies, les gender studies, les postcolonial studies ou les subaltern studies, que les éditions Amsterdam ont largement contribué à introduire en France. Ces jeunes disciplines, particulièrement foisonnantes dans les universités nordaméricaines, ont toutes pour objet l’étude d’une forme particulière de domination s’exerçant dans les sociétés contemporaines, notamment occidentales. Notre détour par ce rappel succinct de l’analyse bourdieusienne des échanges linguistiques s’explique par le fait que les subaltern studies, en plus de s’intéresser aux formes de domination en général et parfois à la situation de dominés sur un « terrain » d’étude plus restreint (en se rapprochant alors de la démarche de l’ethnologue), portent une attention particulière au langage utilisé par les dominants et les dominés. Figure importante et pionnière des subaltern studies, James C. Scott, s’inspirant beaucoup des travaux de Pierre Bourdieu mais aussi de Michel Foucault sur les structures de l’hégémonie des dominants (sans oublier Michel de Certeau, Edward Said, Gramsci ou Erving Goffman), a ainsi choisi d’utiliser le
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James C. Scott étudie des « fragments du discours subalterne » pour révéler les rapports de sujétion entre les êtres, et les formes de résistance à cette emprise.
double concept de « texte caché » et « texte public » pour désigner les discours des puissants et des subalternes, qui varient en fonction des situations, lorsque les membres de chaque groupe sont entre eux, ou, au contraire, en présence de ceux de l’autre groupe. C’est sans aucun doute l’apport fondamental de l’essai datant de la fin des années 1980, récemment (et brillamment) traduit par Olivier Ruchet, la Domination et les arts de la résistance, qui étudie des « fragments du discours subalterne ». Anthropologue et politiste, enseignant à la prestigieuse université de Yale, James C. Scott a d’abord travaillé dans des lieux où les formes de sujétion sont généralement extrêmement rigides et violentes, notamment en Asie. L’idée centrale de cet ouvrage est ainsi née alors que l’auteur travaillait à tenter de cerner le sens des rapports de classe dans un village en Malaisie. Au fil des entretiens qu’il mène auprès des paysans pauvres et des propriétaires terriens, il s’aperçoit alors que le seul critère de la pauvreté ne suffit pas à expliquer les discours tenus par chacun des membres des deux groupes : leurs propos varient en effet selon que la personne se trouve en groupe ou seule, face à des membres de l’autre groupe ou non, en public ou à l’abri des regards. Mieux, « certains villageois semblaient parfois se contredire eux-mêmes ! » L’auteur ne peut donc plus se limiter à une approche fondée sur les seules relations de classe et doit intégrer une « sorte de logique situationnelle » dans son étude. Il élabore peu à peu, à partir d’études de sciences sociales mais aussi de textes littéraires (comme ceux d’Orwell sur son expérience dans l’armée coloniale en Birmanie ou de George Eliot sur le monde de la paysannerie en Grande-Bretagne à la fin du XIXe siècle), une analyse plus
globale des modes de domination et des formes de résistance qui ne manquent pas de se développer. Pour ce faire, il privilégie, pour mieux appuyer sa démonstration, les lieux ou les situations qui s’apparentent à des « contextes de tyrannie », ayant tous – volontairement – « un certain air de famille ». James C. Scott a ainsi travaillé sur la paysannerie aux XIXe et XXe siècles, l’esclavage dans le sud des États-Unis, le système des castes en Inde, les situations de domination coloniale ou de ségrégation raciale, en se concentrant sur les variations entre les discours de chacun selon les situations. Dans le cas d’un ancien esclave aux ÉtatsUnis, Scott cite ainsi cet extrait de ses mémoires : « Comme je connaissais le pouvoir des Blancs et leur hostilité envers les personnes de couleur, j’évitais toujours dans mon comportement de leur paraître désagréable. […] D’abord, je dissimulais le peu de biens ou d’argent que j’avais en ma possession, et j’endossais autant que possible l’apparence d’un esclave. Ensuite, je m’efforçais de passer pour moins intelligent que je ne l’étais en réalité. Tous les Noirs du Sud, esclaves ou affranchis, savent qu’il leur faut respecter ces quelques règles pour leur tranquillité et leur sécurité. » C’est là un exemple paradigmatique d’un « texte public » : caractérisé par la prudence, la crainte ou parfois « le désir d’obtenir certaines faveurs », il recouvre l’interaction entre subordonnés et ceux qui les dominent. Au contraire, le « texte caché » désigne le discours « qui a lieu dans les coulisses, à l’abri du regard des puissants » et consiste en des « propos, des gestes et des pratiques qui confirment, contredisent ou infléchissent, hors de la scène, ce qui transparaît dans le texte public ». C’est là ce que l’auteur nomme « l’infrapolitique » des dominés. À partir des deux textes, « caché » et « public », James C. Scott peut ainsi observer, « en évaluant le décalage entre les deux types de textes », les interactions entre subordonnés et puissants et donc « l’impact de la domination », notamment sur la parole tenue en public : c’est bien une « dialectique du déguisement et de la surveillance imprégnant les relations des forts et des faibles » qui apparaît ici, permettant alors de mieux comprendre les « schèmes culturels » de la domination et de la subordination. L’auteur ne s’intéresse en effet qu’aux rapports entre dominés et dominants et choisit de ne pas entrer, dans
TRIBUNE SALIMA MELLAH Membre de l’association Algeria-Watch*
L’ONU complice de l’État algérien Décidément, le pouvoir d’Alger n’aime pas ses opposants. Surtout
La prudence ou la crainte dictent souvent le « texte caché » du dominé. AFP ce travail, dans les rapports éventuels de domination à l’intérieur même des deux groupes. Face à l’aspiration à l’hégémonie du texte public de la part des dominants, James C. Scott dénombre quatre grandes variétés de discours politique parmi les dominés. À côté du texte caché proprement dit, qui constitue en lui-même une forme de discours (par définition infrapolitique), les deux extrêmes sont, d’une part, la forme « la plus complètement publique » renvoyant l’image flatteuse que les élites produisent d’elles-mêmes et, d’autre part, à l’opposé, lorsque le texte caché sort au grand jour, par exemple lors de situations de révoltes, quand on assiste à la « rupture du cordon sanitaire séparant le texte caché du texte public ». Mais l’auteur met en lumière – et c’est sans doute l’un des apports majeurs de sa réflexion –, une quatrième forme de discours possible, « situé de manière stratégique entre » les textes public et caché : « C’est la politique du déguisement et de l’anonymat [qui] se déroule aux yeux de tous mais est mise en œuvre soit à l’aide d’un double sens soit en masquant l’identité des acteurs. » À travers cette lecture des différents
discours et pratiques chez les dominés, James C. Scott contribue à renouveler l’approche foucaldienne du couple pouvoir/résistance, mais en se concentrant essentiellement sur les « arts de la résistance ». Il rappelle d’ailleurs, dans l’entretien passionnant publié dans ce volume en guise de postface, « qu’il doit beaucoup » au philosophe français, avant d’ajouter : « Foucault évoque l’idée que tout pouvoir appelle, en réaction, une certaine forme de résistance. Je pense que, même s’il disait qu’il était tout autant intéressé par l’étude de la résistance que par celle des structures de l’hégémonie, il a consacré le plus clair de son temps aux structures de l’hégémonie. Il ne développe pas de réelle théorie de la résistance. » Avec clarté, James C. Scott, lui, s’y emploie. Olivier Doubre La Domination et les arts de la résistance. Fragments du discours subalterne, JamesC.Scott, traduit de l’anglais (ÉtatsUnis) par Olivier Ruchet, éditions Amsterdam, 272p., 22euros. Augmenté d’un entretien avec l’auteur réalisé par Gilles Chanteraine et Olivier Ruchet, d’abord paru dans la revue Vacarme (n°42, hiver 2008). (1)Fayard, 1982. (2)Comme l’a appelé François Dosse dans son Histoire du structuralisme, La Découverte, 1992.
ceux qui s’obstinent à dénoncer les violations des droits humains perpétrées par les forces de sécurité dans leur pays durant les années de la «sale guerre» des années 1990 et jusqu’à ce jour. Et il n’hésite pas, pour tenter de les faire taire, à porter le fer jusqu’au sein de l’ONU, où il trouve aujourd’hui d’étranges complicités. Rachid Mesli en sait quelque chose. Depuis le putsch des généraux algériens en janvier1992, cet avocat défend des opposants, souvent accusés de terrorisme, des familles de disparus, des victimes de torture et de procès inéquitables, etc. Il a lui-même été victime, en juillet1996, d’enlèvement, de détention au secret et de tortures, avant d’être condamné à trois ans de prison pour «apologie du terrorisme». Libéré en 1999, il a repris ses activités d’avocat et de défenseur des droits humains, avant d’être contraint de s’exiler vers la Suisse en 2000, où il a obtenu le statut de réfugié politique. C’était sans compter sur l’acharnement des autorités algériennes, qui le poursuivent depuis 2003 pour… «adhésion à un groupe terroriste» et multiplient depuis les procès et les condamnations. Me Mesli a néanmoins poursuivi son combat, à la fois au sein de la Commission arabe des droits humains (CADH)(1) et de l’organisation Alkarama(2), installée à Genève. Cette Les activités des dernière est particulièrement active devant les instances de l’ONU, en principe en ONG à l’ONU charge de la défense des droits humains exaspèrent un par divers mécanismes, comme l’«examen périodique universel» (EPU), récemment régime qui introduit par le nouveau Conseil des droits de l’homme. accumule les C’est à l’occasion de l’examen dans ce condamnations. cadre du cas de l’Algérie par le Conseil que Rachid Mesli, au nom de la CADH, a pris en juin2008 la parole devant celui-ci(3). Ce qui a vivement irrité l’ambassadeur algérien à Genève, M.Idriss Jazaïri. Celui-ci a donc fait valoir auprès du Conseil le fait que Rachid Mesli serait membre du… GSPC, qui figure sur la liste des organisations ayant des activités terroristes, établie par le Comité des sanctions du Conseil de sécurité. Et, le 19janvier 2009, l’Algérie a invoqué cette accusation absurde pour fonder une plainte devant le Comité des ONG du Conseil économique et social (Ecosoc) de l’ONU, à New York, en demandant la suspension pour trois ans du statut consultatif de la CADH auprès de l’ONU. Cette plainte ne surprend guère : M.Jazaïri, réputé pour ses dérapages verbaux, a plus d’une fois fait l’amalgame entre la défense des droits humains et le terrorisme pour stigmatiser les militants incommodes. Les activités des ONG à l’ONU exaspèrent en effet un régime qui accumule les condamnations, de la part notamment du Comité des droits de l’homme et de celui contre la torture. Ce qui surprend, en revanche, c’est la célérité avec laquelle le Comité des ONG a donné suite à la demande du régime algérien, sans prendre le temps de vérifier ses allégations. Le 28janvier, à peine dix jours après le dépôt de la plainte, il suspendait en effet pour un an le statut consultatif de la CADH auprès de l’ONU. Une décision qui en dit long sur l’instrumentalisation politique de certains organes de l’ONU chargés de la défense des droits humains, au profit d’États qui sont les premiers à les violer de façon continue. (1)www.achr.nu/achr.fr.htm (2)http://fr.alkarama.org/index.php (3)Voir Salima Mellah, «Des crimes contre l’humanité», Politis, 29mai 2008. *Pour une information sur les droits humains en Algérie: www.algeria-watch.org/francais.htm 1 2 févr ier 2 00 9
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RÉSISTANCES HISTOIRE Le 14 février marque les 70 ans de la « Retirada », la retraite des Républicains espagnols défaits par Franco en 1939. Un livre retrace leur douloureux exil en France, entre dessins d’hier et photos d’aujourd’hui.
Souvenirs de l’amère patrie ette fois, c’est la fin. En difficulté depuis avril 1938, écrasés par les bombes, harcelés par les troupes sanguinaires de Franco, Républicains et combattants des Brigades internationales abandonnent l’Espagne au fascisme. Nous sommes le 29 janvier 1939. Trois jours plus tôt, Barcelone, dernier bastion de résistance, est tombée aux mains des franquistes. La férocité des troupes du Caudillo incite les partisans de la République à fuir au plus vite, au plus près, vers la France. En quelques semaines, 465 000 personnes, dont 170 000 civils, prennent la route à travers les Pyrénées, dans la neige et le froid. Ils pensent à ce pays ami qu’ils idéalisent, patrie des droits de l’homme, de la Commune, dirigé par Édouard Daladier, ex-ministre du Front populaire, entre 1936 et 1937. « Ils s’attendent alors à être reçus avec le tapis rouge », raconte Georges Bartoli, reporter-photographe revenu sur la route douloureuse parcourue par sa famille à l’époque. L’auteur de la Retirada (1) montre, en une manière de dialogue par l’image, les dessins de son oncle Josep, artiste-combattant en fuite, et ses photos d’aujourd’hui. Entre les deux œuvres, soixantedix années de souvenirs, de souffrance et d’humiliation. Du pays des Lumières, les fuyards verront surtout la face sombre. La France sera abjecte. « Les hordes rouges déferlent sur les Pyrénées-Orientales », titre un quotidien local, comme un résumé saisissant de l’atmosphère générale, prélude à la France de Vichy. En plus de la méfiance irraisonnée qu’engendre cette « canaille marxiste » dans la population, « le gouvernement de l’époque panique face à l’un des premiers grands exodes des temps modernes », rappelle Georges Bartoli. Rien n’a été fait par le gouvernement français, du reste, pour anticiper une débâcle qui devenait inévitable dès le milieu de l’année 1938. Les autorités ouvrent un premier camp à la hâte sur la plage d’Argelès. D’autres suivront : Barcarès, Rivesaltes, Agde, Bram, Saint-Cyprien… Les premiers « camps de concentration » sont nés. Le brillant concept sera conservé par le régime de Vichy, qui y enverra
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d’autres catégories d’« étrangers indésirables ». Bon an mal an, la vie s’organise. Dessinateurs, artistes, enseignants montent leur « presse des sables » avec les moyens du bord. Des « rincones de cultura », « coins de la culture », accueillent des récitals de poésie. D’anciens professeurs improvisent des cours d’alphabétisation et de français. Mais dans ces camps, on meurt, aussi, de la gale et du typhus. On pleure l’éloignement des proches, envoyés ailleurs dans l’Hexagone ou restés au pays. On subit la douleur de la défaite et la deuxième trahison de la France, après le pacte de non-intervention dans la guerre d’Espagne. Présenté aux pays européens le 1er août 1936 par Léon Blum, sous la pression de
la droite, des radicaux et du RoyaumeUni, le pacte a pour objectif de circonscrire le conflit. Avec la fourniture massive d’armes par l’Allemagne et l’Italie à Franco, puis de l’URSS aux Républicains, le pacte ne sera pas respecté et la guerre mondiale éclatera bel et bien, sur d’autres fronts. Pour certains Républicains, les camps français ne sont qu’une étape vers les camps nazis. 12 000 Espagnols antifascistes sont envoyés à Mauthausen, Buchenwald ou Dachau. 10 000 n’en reviendront pas. D’autres sont recrutés pour combattre sur les fronts de la Seconde Guerre mondiale, qui éclate quelques mois après l’exil. « De 1936 à 1945, de Franco à Hitler, d’une guerre à l’autre ». L’accord tacite avec l’armée française est
clair : vous combattez à nos côtés aujourd’hui, nous vous aiderons à reconquérir l’Espagne demain. Les premiers soldats à entrer dans Paris libéré, les hommes de la 2e DB, sont des combattants espagnols. Mais les accords de Yalta donnent une nouvelle occasion à la France de se dédire. Paris accroche une troisième trahison au revers de son veston et abandonne ses soldats espagnols à leur triste sort, une fois la victoire acquise. Pendant la guerre, d’autres Républicains en exil sont intégrés aux Compagnies de travailleurs étrangers (CTE) puis aux Groupements de travailleurs étrangers (GTE), en France ou en Algérie, où les conditions de vie sont terribles. En Afrique du Nord, de nombreux travailleurs meurent de faim, de maladie ou de la torture. Nombreux sont ceux, aussi, à s’échapper pour rejoindre les rangs de la Résistance française, continuant la lutte armée. Certains, rongés par l’absence de leurs proches, rentrent au pays, malgré les deux à trois ans de camp et le jugement des tribunaux franquistes qui les attend. Dans les années qui suivent la Seconde Guerre mondiale, les exilés restés sur le territoire français s’adaptent de deux façons opposées. « Il y a ceux qui se sont sentis roulés, trahis, et qui ont décidé de tout oublier pour repartir de zéro, explique Georges Bartoli. Ceux-là se sont fait naturaliser français dès que possible, n’ont plus voulu entendre parler de l’Espagne, ont arrêté de militer et ont même fini par voter Giscard, comme le frère de ma mère. Pourtant, en famille, il parlait catalan et évoquait sans cesse le pays. Mais, en dehors du cercle familial, cette identité devait être niée. » De l’autre côté, c’est le « Français, moi, jamais ! » qui l’emporte. « Comme mon père, se souvient Georges Bartoli. Ceux-là ont continué la lutte. Politiquement, ils se sont répartis sur l’offre existant à gauche en France, des anarchistes au PC. » Josep Bartoli, l’oncle de Georges, dessinateur renommé, défendait la République « les armes et le crayon à la main ». Il fuit l’Espagne le 14 février 1939 avec un millier de camarades et les fascistes aux basques. Sa femme, enceinte, (suite page 30)
GEORGES BARTOLI
Josep Bartoli, dessinateur professionnel renommé, défendait la République espagnole « les armes et le crayon à la main ». Georges Bartoli, son neveu, devenu photographe-reporter, est revenu sur les routes de l’exil, appareil en bandoulière. La Retirada publie une large part de l’« œuvre de résistance » de Josep, dessins au trait dur sur la guerre, l’exode et la vie dans les camps. À ces témoignages écrits, répondent les clichés noir et blanc de Georges pris soixante-dix ans plus tard. Clochers en ruine, plages désertes, postes-frontières, pavés usés ou cols enneigés, tout rappelle la douleur de la « retraite ».
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DE QUELS DROITS ?
RÉSISTANCES
CHRISTINE TRÉGUIER
Navigo : impairs et passe Décidément, la RATP respecte bien peu la vie privée de ses clients. Dès 2001, les Big Brother Awards avaient épinglé son passe Navigo, celui qu’à partir de février vous êtes obligés d’avoir en poche, sauf à user de bons vieux tickets. Grâce à une puce RFID délivrant l’identifiant chiffré du voyageur, la RATP allait mémoriser tous ses trajets quotidiens (bus et métro). Mis en demeure par la Cnil, la RATP et le Stif (Syndicat des transports d’Île-de-France) avaient, en 2004, accepté de réduire la durée de conservation de ces «données de validation» à 48heures, et leur utilisation à la seule prévention des fraudes. Ils s’étaient également engagés à proposer un passe «Navigo découverte» non-nominatif, respectant le droit fondamental d’aller et venir anonymement. Et à réaliser une campagne informant de son existence dès la rentrée 2007.
La Cnil s’était alors satisfaite de sa mise en service, bien que
(suite de la page 28) meurt dans le
bombardement du train qui devait l’emmener de Barcelone vers la France. Josep échoue au camp du Barcarès et y contracte le typhus. Il s’échappe à plusieurs reprises, cavale de Paris à Bordeaux avant d’être capturé à Vichy par la Gestapo. Sur le point d’être envoyé à Dachau, il s’évade encore et embarque pour la Tunisie, puis rejoint Casablanca. De là, il s’envole pour le Mexique, où le gouvernement républicain en exil et 20 000 autres compagnons d’infortune trouvent refuge. Fuyards, bagnards, militants de nos partis politiques, soldats de l’armée
tricolore, résistants du maquis hexagonal, simples citoyens devenus français : pour tous, la souffrance de la défaite et de l’exil restera vivace jusqu’au dernier souffle. Elle se transmettra même à la génération suivante. Georges Bartoli, né en France, à Béziers, ne verra pour la première fois la Catalogne toute proche qu’à l’âge 14 ans. Pourtant, lâche-t-il comme une évidence, « je ne me sens pas vraiment français ». _Xavier Frison (1) La Retirada, exode et exil des Républicains d’Espagne, récit de Georges Bartoli recueilli par Laurence Garcia, Actes Sud BD, 164 p., 18 euros.
Une exposition pour témoigner Après avoir inauguré le week-end dernier une plaque commémorative en hommage aux militants de la CNT espagnole («Confederación nacional del trabajo») en exil, la Confédération nationale du travail de la Région parisienne a accueilli l’exposition itinérante de l’association Mémoires partagées, intitulée «Les
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Républicains espagnols pour témoins». La CNT française a été créée en décembre 1946 par des militants de la CNT espagnole en exil, des anciens membres de la CGT-SR (pour syndicalisterévolutionnaire) et de la résistance. CNT,33,ruedesVignoles,75020Paris,www.cnt-urp.org Mémoires partagées : 06 79 37 78 62.
«tardive et payante» (5euros et abonnement non-remboursable en cas de perte). Fin 2008, elle a fait Et si les nouveaux procéder à des contrôles et à une opération de testing dans 20stations de dispositifs métro. Si le délai de 48heures de publicitaires conservation des données est respecté (sauf fraude détectée ou réquisition du métro nous policière spécifique), il n’en va pas de reconnaissaient, même pour la délivrance du passe anonyme: conditions d’obtention grâce à la photo «médiocres, voire dissuasives», refus de délivrance et absence d’information au de notre passe guichet et sur le site navigo.fr. Navigo ? Fâchée, la Cnil a balancé le morceau. Depuis, constate Sophie Narbonne, une des responsables du dossier, la RATP a fait quelques efforts d’information.
Fait du hasard, un article devant être publié dans Direct Matin (gratuit bénéficiant d’une diffusion préférentielle dans le métro) a été censuré car jugé trop «à charge(1)». Il évoquait la vocation lucrative de la récolte de données personnelles par la RATP. Le problème, précise la Cnil, serait une utilisation non autorisée de celles-ci. L’article parlait également des nouveaux dispositifs d’affichages publicitaires interactifs qui débarquent dans le métro. Ceux qui détectent la présence et les mouvements des chalands et pourraient, à terme, tenter de les solliciter par SMS interposés. Projetons-nous un peu et imaginons que lesdits panneaux se mettent à vous voir et surtout, grâce à la photo numérisée fournie pour établir votre passe Navigo, à vous reconnaître. Et qu’ils vous interpellent pour vous vendre leur camelote: «Eh, Richard, une Kro pour la route?» Un cauchemar dénoncé par Résistance à l’agression publicitaire (RAP), qui a déposé un recours(2). Heureusement, la RATP est obligée de vous laisser refuser qu’elle communique vos données à d’autres sociétés et inclue votre portrait numérique dans sa vaste base. Le plus sûr, néanmoins, est d’opter pour un passe Navigo anonyme avec photo analogique, qui n’informe la Régie que sur ce qu’elle doit connaître: la validité de votre titre de transport. (1) L’article a été revu et publié dans le Monde.fr sous le titre «L’utilisation commerciale de données sur les clients de la RATP est contestée.» (2)Voir www.politis.fr, rubrique Exclu web
DE BONNE HUMEUR MOTS CROISÉS PAR JEAN-FRANÇOIS DEMAY GRILLE N° 4
I II III IV V VI VII VIII IX X 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Solution de la grille n° 3 : 1. Baudelaire 2. Intéressés 3. Os. Gavions 4. IRM. Luta 5. Pene. Ce. RI 6. Vers. Iam 7. Eve. Naomi 8. Ring. Ta 9. Entartages 10. Stéphanois
I. Biosphères II. Ans. Vint III. Ut. Inventé IV. Dégrée. Gap V. Éram. RN. RH VI. Lev. CSA. Ta VII. Asile. Otan VIII. Isou. Imago IX. Rentrai. Ei X. Essaim. OSS
HORIZONTAL: 1. Armées inacceptables. 2. Marjolaine. Balthazar pour Bresson. 3. Personnel. Possessif. 4. Mettrez la pâtée. Auréolé. 5. Passent souvent de la rivière au gril. Sa robe n’est pas en solde. 6. Pots de colle. Aubry voudrait la baisser. 7. Logarithmique. 8. Règle l’aquavit. Debord l’a fondée. Positif ou négatif, il n’est plus neutre. 9. Suintait. 10. Elles peuvent se baigner dans le golfe de Gabès. VERTICAL: I. Ils sont six à mener l’enquête. II. La fatigue entraîne sa panne. III. Mesure à Pékin. Manquera. IV. Amatrice de chair fraîche. Ancien amant. V. Mouche le morveux. Lieu d’exil pour un éléphant. Cynique italien. VI. Implique. VII. Figure de la gauche israélienne. Cale. Numéro de Maritie et Gilbert Carpentier. VIII. Marque la déception. Ses racines sont bien visibles. IX. Dedans. Paramilitaire nazi. Asphyxie. X. Distingués à la fin.
SÉBASTIEN FONTENELLE
Les gros esprits se rencontrent Une fois par semaine, le vendredi, leFigaro de Serge Dassault publie, dans ses pages de fin, et sous la forme d’un bloc-notes, la prédication d’un réactionnaire auprès de qui (feu) Ronnie Reagan prend rétrospectivement des airs de collectiviste mou: Ivan Rioufol – also known as Иван Грозный (1). Dans sa dernière livraison, il relève, ravi, qu’«en Grande-Bretagne, des ouvriers réclament la préférence nationale et rappellent la promesse du Premier ministre travailliste de donner “emplois britanniques pour travailleurs britanniques” ». Est-ce qu’on ne dirait pas un peu un antique flyer du Front national? Ah ben si, tiens: on dirait. Et pour cause: la «préférence nationale» est comme chacun(e) sait l’une des plus vieilles lubies du Pen. Lancé, Rioufol se débonde.
Certes, juge-t-il, la droite régimaire qui étend sur nos vies son emprise a ceci de fort plaisant qu’elle est emmenée par un homme (dont le prénom est Nicolas et le nom Sarkozy) qui est aujourd’hui « seul porteur de la modernité». (Vous ai-je bien flatté, Monseigneur?) Mais pour ce qui serait de la perséc… De la Pour Ivan Rioufol, gestion des populations venues d’(un) face aux ailleurs (menaçant)? Ce gouvernement se montre d’une pusillanimité qui ne peut populations qu’affliger l’authentique patriote venues d’ailleurs, sergedassaultique.
ce gouvernement se montre d’une pusillanimité qui ne peut qu’affliger l’authentique patriote.
Ainsi, hurle Rioufol : «Éric Besson,
ministre de l’Immigration, reprend la litanie des bons sentiments en se félicitant de “l’immigration qui a enrichi la France” et du succès de la diversité.» (Éric Besson, c’est bien connu, ploie sous le joug d’une bienpensance qui a déjà fait beaucoup de mal à l’Occident chrétien.) Contre cet avachissement de nos défenses nationales «à l’heure où le chômage augmente, où le pays s’appauvrit, où les tensions identitaires s’exacerbent» (2), Ivan theTerrible, tout proche de son point de fusion, préconise «de poser de vraies limites aux immigrations de travail et de peuplement». (Car il y a déjà teeeeellement d’étrangers dans nos rues, mâme Dupont: ne croirait-on pas Tombouctou?) Deux jours après la publication de cette vigoureuse exhortation à bouter le Sarrasin (mais pas que), le 8 février donc, Le Pen à son tour glapissait que «l’immigration de masse tend à prendre l’allure d’une véritable colonisation». Les deux hommes, par conséquent, disent peu ou prou la même chose, chacun avec ses mots, l’un dans leFigaro, l’autre sur ses tréteaux: décidément les gros esprits font rien qu’à se rencontrer. (1)Ivan le Terrible. (2)L’immigré, on l’aura compris, non content qu’il nous pique nos meilleures sinécures, vient jusque dans nos cuisines manger notre soupe au pistou.
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LE POINT DE VUE DES LECTEURS Abonnés depuis vingt ans à Politis nous avons un peu fait la grimace en découvrant la nouvelle formule. Aujourd'hui, il nous paraît super-chouette! Janick
POUR POLITIS
Assemblée générale 2009 Samedi 14 février, de 12 h 30 à 17 h 15 au Caveau de la République, 1, bd Saint-Martin, 75003 Paris Ordre du jour : échanges sur les activités de l’association et du journal en 2008, votes (renouvellement du conseil d’administration et modifications statutaires), débat sur les projets de l’association et du journal pour 2009. Nous vous rappelons qu’il faut être à jour de sa cotisation 2009 pour participer à l’AG. Vous pourrez vous acquitter de cette formalité sur place le jour de l’AG. Pauline Bureau, coordinatrice de l'association Pour Politis 2, impasse Delaunay, 75011 Paris, 01 55 25 86 86. Présente au journal le mardi.
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BULLETIN D’ADHÉSION ou de RENOUVELLEMENT DE COTISATION * À renvoyer, bulletin et règlement de la cotisation, à :
Pour Politis, 2, impasse Delaunay, 75011 Paris. * Je souhaite adhérer à l’association Pour Politis, ou renouveler ma cotisation pour l’année 2009 – Nom : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Prénom : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . – Adresse : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ......................................................................... – Code postal : . . . . . . . . . . . . . . . . . . – Ville : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . – Adresse courriel (1) : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . – Téléphone : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . * montant de la cotisation 2009 : 10 euros (chèques à l’ordre de Pour Politis). (1) Pensez à nous indiquer une adresse courriel si vous en possédez une, c’est une économie financière et de temps considérable à l’heure de communiquer avec les adhérents. • Pour des raisons d’économie, nous n’éditons pas de « carte d’adhérent ». Le prélèvement de votre cotisation fait foi. Vous pouvez cependant obtenir confirmation de votre adhésion sur simple demande (voir nos coordonnées ci-dessus). • Ces informations resteront confidentielles et n’auront d’autre usage que les besoins de l’association.
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P O L I T I S I 12 février 2009
Ostracisme J’enrage tous les jeudis matin quand j’entends Ali Baddou, sur France Culture nous informer sur les couvertures de « nos » hebdomadaires. Étrangement, il n’est toujours question que de l’Express, du Nouvel Obs, du Point, mais jamais (ou alors très exceptionnellement !) de Politis ou de Marianne. Ceux-là seraient-ils galeux ? Pestiférés ? Et les hebdos cités ne sont pas « mes » hebdos mais « des » hebdos parmi d’autres. Cette formulation est désobligeante pour tous ceux qui ne les apprécient pas et ne les lisent donc pas (même chez leur médecin !). J’ai déjà fait la remarque auprès de France Culture… visiblement sans beaucoup de succès ! […] René Le Maout
Crédit risqué Pour le naïf que je suis, je comprends qu’une partie de l’explication de la « crise » actuelle est due au fait que les banques américaines ont consenti des prêts en prenant des risques sur la solvabilité des emprunteurs. Aujourd’hui, en France, les banques ne semblent pas avoir tiré la leçon de leurs homologues américains. En effet, ne sont-elles pas en train de prendre le même risque, lorsqu’on sait que le crédit permanent (revolving) devient la règle en matière de prêt à la consommation ? C’est un crédit accordé pour une durée illimitée, à taux variable, souvent près de l’usure, dont le remboursement est lié à la situation de l’emprunteur. Il s’adresse, du fait de ses facilités d’obtention, aux plus faibles. Dans une période où le chômage augmente et va augmenter, ne court-on pas le risque de voir ces crédits classés « produits toxiques » dans quelque temps ? Et quand on sait que ce crédit permanent est utilisé dans certains cas pour compenser une baisse du pouvoir d’achat des ménages, on voit que le risque est réel (surendettement). Alain Brunel
Rien de nouveau sous le ciel du Parti de gauche Opposé au contenu du projet de Constitution européenne mais pas à l’Europe, j’ai participé aux réunions des « Collectifs du 29 mai », espérant
DIFFUSION EN KIOSQUE Pour connaître le point de vente le plus proche de votre domicile, de votre lieu de travail ou même de votre lieu de vacances ; si vous souhaitez que votre marchand de journaux soit approvisionné sous huitaine ;
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ou envoyez un courrier électronique à
[email protected] Un site des NMPP indique également où trouver Politis :
www.trouverlapresse.com qu’à l’issue du scrutin qui nous avait été favorable nous nous retrouverions dans un nouveau parti à gauche de la gauche dite socialiste, qui avait voté pour ce projet. Las ! Les croyances, les coutumes, les us politiques communistes, communistes révolutionnaires, socialistes, écolosocialistes, socialo-républicains ont fait que nous n’avons pas su nous entendre sur le choix d’un(e) candidat(e) à l’élection présidentielle, réduisant ainsi à néant l’idée d’une nouvelle association politique. Pourtant, récemment, mais cependant quatre ans après, deux caciques du parti socialiste qui font métier de la politique lançaient le Parti de gauche (PG). J’ai été parmi les premiers soutiens. Or, qu’ai-je constaté, durant ces deux mois d’existence, concernant sa structuration, qui déterminera, on le sait, le caractère plus ou moins démocratique de son fonctionnement ? Un certain nombre de faits qui conduisent à se poser les questions suivantes : – Est-ce un nouveau parti jacobin de gauche ? Sous un prétexte électoraliste sur lequel je reviendrai, son organisation reprend à l’identique le découpage napoléonien en départements alors même que cette division est considérée comme obsolète au niveau territorial français, encore plus au niveau territorial européen. Ses inspirateurs n’ont pas envisagé une organisation au niveau des régions, des provinces, une
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structure fédérative comme c’est le cas dans nombre de pays européens. […] – Est-ce un nouveau parti nationaliste de gauche ? […] « En tant que républicains français, nous prônons l’unité nationale française et l’égalité des droits qui s’y rattachent. » Le mot nation est lancé. Quelle nation ? La nation française construite par des dictateurs […] comme les rois de France, les empereurs […], les Républicains comme Mac-Mahon et Pétain ? […] – Est-ce un nouveau parti colonialiste de gauche ? « Nous sommes républicains, et donc pour l’unité de la République, cet espace commun de droits et de devoirs, qui permet à tout citoyen, de métropole ou de territoires d’outre-mer, d’être égal. » L’organisation du PG reprend les structures coloniales en intégrant les DOM-TOM. Ses fondateurs ignorent-ils qu’en Martinique, en Guadeloupe, en Nouvelle-Calédonie et dans les autres confettis de l’empire français, il existe des mouvements de libération nationale ? Certains, comme en Martinique, sont au pouvoir ! Mais il est vrai que la France métropole soutient ces mouvements chez les autres mais pas chez elle ! […] – Est-ce un nouveau parti électoraliste de gauche ? « Les comités locaux s’organisent au niveau des circonscriptions législatives. » L’appétit de représentation semble se faire pressant à l’approche des élections européennes. On sent que les professionnels de la politique veulent garder leur place. Sur le site Internet du parti, ceux ou celles qui soutiennent le PG ont majoritairement un mandat électif au Parti socialiste, faut-il le préciser ? Quid de la démocratie participative ? De l’usage généralisé du référendum ? – Est-ce enfin un nouveau parti européen de gauche ? Pour ces Républicains à tous crins, ces farouches nationalistes français, ces héritiers du colonialisme français, se revendiquer européens risque d’être difficile. […] L’Union européenne a pour principe fondateur la diversité : des cultures, des coutumes, des opinions, mais
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aussi des langues, ce qui est naturel sur un continent où tant de langues sont parlées. L’attention sans précédent que suscite aujourd’hui la diversité linguistique s’explique par la multiplication des contacts entre les peuples. Les citoyens sont de plus en plus amenés à devoir parler une autre langue que la leur, que ce soit dans le cadre d’un échange d’étudiants, d’une installation dans un autre pays ou lors de relations professionnelles. […] Le respect de la diversité linguistique est une valeur essentielle de l’Union, au même titre que le respect de la personne, l’ouverture aux autres cultures et la tolérance. Ce principe vaut non seulement pour les 23 langues officielles de l’Union, mais aussi pour les nombreuses langues régionales et minoritaires qui sont parlées aux quatre coins de l’Europe. […] Malgré tout cela, je soutiens un parti de gauche de l’Union européenne. Mais je pense qu’il est temps en France de faire du neuf et de raisonner à l’échelle des communautés humaines qui vivent dans l’ensemble français. […] Yves-François Le Coadic
Éducation Abonné à Politis, j’en suis un lecteur assidu. Je ne me lasse pas de découvrir vos points de vue et j’irai jusqu’à dire que le fait même que ce journal existe me rassure, tout au moins me réconforte tant je fais partie de ceux qui ont besoin d’un autre traitement de l’information, d’une autre vision du monde et d’autres perspectives d’avenir. Cela étant, je suis enseignant – plus exactement professeur des écoles – et encore parent d’élève. Et, alors que la crise que traverse le monde de l’Éducation dans son ensemble, alors que la mobilisation des enseignants du primaire et des parents d’élèves concernés existe depuis des semaines, dans des formes nouvelles et inégalées de mémoire – je me réfère là
Paris XIVe : 12 février,
notamment à tous les collectifs qui se sont mis en place partout en France, tant dans leurs modalités de construction et de fédération –, alors que ce que je dénommerai le militantisme citoyen est en train de se construire sur un sceau nouveau, alors que nombre d’enseignants sont ouvertement entrés en désobéissance professionnelle et citoyenne, alors que ceux-là mêmes prennent des risques réels en toute conscience, je ne comprends pas pourquoi vous n’y consacrez pas davantage de places dans vos éditions […].
à 20 h, rendez-vous pour une soirée filmdébat contre les guerres avec Poussière mortelle de Frieder Wagner, une enquête sur l’utilisation massive d’armes nucléaires interdites par les conventions de Genève. Le Moulin à café, place de la Garenne.
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Courpière (63) : 13 février, à 18 h 30, débat sur le thème : « Presse alternative ou comment galérer avec quelques lecteurs » et « Pourquoi les militants n’achètent plus la presse alternative ? » Rencontre avec Christophe Goby, rédacteur de CQFD, Silence et la Galipote. Chez Zicco, av. de la Gare.
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Christophe Rocherieux
Paris XXe : 14 février,
La Bible et l’esclavage Lors de son discours d’investiture, Barack Obama a parlé avec émotion des esclaves qui « ont supporté les coups de fouet », qui « ont péniblement labouré la terre » de leur pays, mais il ignore apparemment que les propriétaires de ces esclaves, en les fouettant, ne faisaient qu’obéir aux préceptes énoncés dans le livre sur lequel il prêtait serment. « Baguette et réprimande procurent la sagesse […], on ne corrige pas un esclave avec des mots, même s’il comprend il n’obéit pas » (Proverbes, 29-15 et 19). […] Dans la première épître de Pierre (2-18-20) : « Vous, les domestiques, soyez soumis à vos maîtres avec une profonde crainte, non seulement aux bons et aux bienveillants, mais aussi aux difficiles. Car c’est une grâce que de supporter, par égard pour Dieu, des peines que l’on souffre injustement ; Quelle gloire, en effet, à supporter les coups si vous avez commis une faute ? Mais si, faisant le bien, vous supportez la souffrance, c’est une grâce auprès de Dieu. » Le nouveau président états-unien, s’il tient à jurer sur des livres, aurait dû faire un meilleur choix : au lieu d’un ouvrage esclavagiste, pourquoi pas le livre de chevet de Gandhi et de Martin Luther King, la Désobéissance civile, d’Henry David Thoreau, qui s’opposa au servage au point d’aider des esclaves fugitifs à passer vers le Canada, et qui fut emprisonné pour avoir refusé de payer une taxe destinée à financer l’injuste guerre de son pays contre les Mexicains ?
à 15 h, l’association Droits des femmesXXe présente une après-midi Valentines : citations-expressions-poésies-slam, rock alternatif. Bar Le Lieu-Dit, 6, rue Sorbier.
Aix-en-Provence (13) : 16 février, à 18 h, l’université populaire et citoyenne du Pays d’Aix propose une conférencedébat avec Philippe Corcuff. Le thème : « sociologies de l’individualisme et nouvelles critiques du capitalisme, le néolibéralisme contre l’épanouissement individuel ». IEP, amphi Cassin, 25, rue Gaston-deSaporta, 06 37 26 91 62.
Toulouse (31) : 19 février, à 20 h 30, Attac, les Amis du Monde diplomatique, les Amis de la Terre en Midi-Pyrénées et le collectif OGM 31 organisent un débat autour du thème : « Semons la biodiversité, nous sommes ce que nous semons », avec Guy Kastler. Salle du Sénéchal, 17, rue de Rémusat, 05 61 80 54 66,
[email protected]
Lyon (69) : 20 au 22 février, l’association Primevère organise son grand salon écolo, bio et alternatif. Eurexpo, av. Louis-Blériot, Chassieu, 04 74 72 89 90, http://primevere.salon.free.fr/
www.politis.fr Consulter l’agenda militant mis à jour régulièrement
Pedro Scaron, Paris 12 février 2009
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BLOC-NOTES
PROCÈS e joueur de flûte Nicolas Sarkozy, dans son numéro de jeudi dernier, m’a fait penser une fois encore au joueur de flûte de Hamelin, héros d’une des plus célèbres légendes germaniques. On sait que ce « preneur de rats », après avoir débarrassé la ville des hordes de rongeurs qui l’envahissaient, s’estimant mal payé par des bourgeois radins, entreprit de se venger en entraînant la jeunesse de la ville, sous le charme de son instrument, jusqu’au fleuve, où elle se noya. Comme avant elle, les rats. Sarko sait jouer de la flûte comme personne. Sa musique démagogique, entraînant la foule des électeurs, l’a hissé sur le trône. Au bord du fleuve pourtant, où nombreux sont ceux qui déjà se débattent pour échapper à la noyade, le charme a cessé d’opérer. Le flûtiste balade encore son monde le temps d’une émission tout à sa main ; mais dès le générique de fin, on se demande : à quoi bon ce numéro de bateleur, qu’avait-il donc de nouveau à nous dire ? Réponse : rien. Ou plutôt si, une chose concrète, un nouveau cadeau aux patrons, la suppression de la taxe professionnelle. Une décision qui plonge les collectivités locales dans des abîmes de perplexité : avec quoi compenser cette perte sèche pour leurs finances ? Allons, les contribuables, un peu d’imagination !
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aux procès Est-ce la faute de nos trop gentils confrères si rien ne vient perturber le déroulé des communications présidentielles ? Pas de faux procès : ils n’ont guère d’autre solution que de servir de faire-valoir. La mise en scène imposée, dans sa solennité kitch, ne laisse guère d’échappatoire, hors celle de refuser – ce qui serait assez mal vu. Mais, fait-on remarquer, c’est l’Élysée qui a choisi les interlocuteurs du Président, ce sont là des mœurs de république bananière ! Certes ! Mais où a-t-on vu que Sarkozy innove ? C’est ainsi, ne vous déplaise, depuis que la télévision existe. En gros, depuis Charles de Gaulle et son compère Michel Droit (« le fier Sicourbe », comme l’appelait Le Canard,
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aussi pugnace interviewer qu’adroit chasseur de gros gibier. Paix à ses cendres). C’est toujours au Château qu’on a choisi le jour, l’heure, les modalités des adresses du Prince à ses sujets ; et les noms des chambellans qui auraient l’honneur de lui tenir le crachoir. Ne le répétez pas : il est même un chef de l’État qui a poussé l’audace jusqu’à se faire interroger par deux journalistes du beau sexe qui étaient à la ville les épouses de deux de ses ministres. Non ? Si ! Tonton, pourquoi tu tousses plus ?
aches sacrées L’une des deux est en ce moment dans le collimateur des médias – enfin, ceux qui ne pratiquent pas le politiquement correct, nous sommes tout de même encore quelques-uns. Par ricochet, la cible principale étant son fringant époux. La reine Christine, comme on l’appelait du temps de sa splendeur, est toujours femme de ministre, le même. Sauf que celui-ci a changé d’attributions ; comme de camp politique : in extremis, quand s’est dessinée l’issue du duel présidentiel. Ainsi des mouches qui changent d’âne : l’important est qu’on puisse continuer à sucer. Ménélas-Kouchner (l’époux de la reine, poux de la reine) fait l’objet d’une charge virulente, menée simultanément par deux confrères de Bakchich (Stéphane Beau et Xavier Monnier) et par l’écrivain sniper indépendant bien connu, Pierre Péan. C’est surtout le bouquin de ce dernier, porté par l’hebdomadaire Marianne – qui en a publié les bonnes feuilles –, qui fait du potin dans le landerneau politico-humanitaromédiatique. Réputation de son auteur oblige, même s’il écrit parfois à la truelle (1). Pour l’essentiel, et en attendant des développements qui ne manqueront pas de venir (quand on tire sur une bonne ficelle, il arrive qu’on dévide toute la pelote), on apprend avec force précisions et détails ce dont on était convaincu depuis lurette sans en avoir vraiment la preuve : Kouchner est nettement plus intéressé par le pognon que par le sort des peuples déshérités (et n’hésite pas à monnayer ses talents auprès des pires dictateurs de la Françafrique) ; Christine Ockrent, sa femme, est moins journaliste que femme d’affaires (on dit d’elle : « femme de ménages », eu égard aux nombreuses prestations privées richement
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rémunérées qui s’ajoutent à des émoluments officiels pourtant fort grassouillets) ; et ils forment ensemble – surnom : « les Thénardier » – « une PME à l’ombre de la République » selon Bakchich, qui commente : « Rarement, le mélange des genres a atteint de tels sommets ! » Sale temps pour les vaches sacrées !
’argument qui tue Je n’entre pas dans les détails, qui sont depuis plus de quinze jours sur la place publique ; si vous venez tout juste de débarquer du Vendée Globe, je vous conseille de vous reporter aux sites de Marianne et de Bakchich, en pointe sur le sujet (2). Je ne m’attarderai pas non plus sur l’aspect politique de l’affaire, et notamment sur les appréciations divergentes que portent Péan et Kouchner sur le génocide rwandais : j’ai envie sur ce point de les renvoyer dos-à-dos (je crois à la complicité française par connivence avec le Hutu-Power et, sans adhérer à la thèse du « double génocide », je ne crois pas que Kagamé soit une blanche colombe innocente…). Je voudrais juste souligner à quel point me dégoûte le style de défense que s’est choisi M. K. en symbiose avec ses alliés. On attendait en effet que le ministre étranger aux Affaires (sauf aux siennes) réponde des faits précis qui lui sont reprochés : ses liens avec Bongo, avec Sassou, d’autres encore ; les amis encombrants qui gravitent dans son orbite ; les activités de sa femme à la tête de l’audiovisuel français à destination de l’étranger et l’épuration qu’elle y mène, dont sont étrangement victimes des journalistes critiques du ministre son mari… Il y avait, somme toute, bien des choses à dire pour tenter de redorer un blason désormais terni (il n’est pour le moment pas question d’autre chose, la justice n’a pas maille à l’affaire), une réputation de preux chevalier qui tourne au tire-laine après que déjà l’homme de gauche ait revêtu la casaque du néo-con. Bref, plaider le dossier. Il le fait à peine. Au lieu de quoi, et avec toute l’orchestration des habitués de l’argument qui tue (les Val, BHL, Adler, j’en oublie, et même Schneidermann s’y est mis, qu’on
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Je voudrais juste souligner à quel point me dégoûte le style de défense que s’est choisi Monsieur K.
PAR BERNARD LANGLOIS
n’attendait pas là), c’est un procès en antisémitisme qui est fait à Péan (3). Le prétexte ? Péan utilise à l’endroit de K. le qualificatif de « cosmopolite » : ce qui renvoie, hurle celui-ci, « aux nostalgiques des années trente et quarante, aux révisionnistes d’hier et d’aujourd’hui… ». Le mot « antisémite » n’est pas prononcé, mais tout le monde a compris : c’est parce qu’il est juif que le médecin sans vergogne est pris à partie par un auteur qui est forcément à ranger dans le rayon des infréquentables judéophobes. Il est des mots, voyez-vous, que vous n’avez pas le droit d’utiliser, et « cosmopolite » en est un. Même si Bernard-Henri Lévy se l’applique parfois à lui-même, pour mettre en valeur son « universalisme ». Oui, mais c’est pas pareil, lui, il est juif, BHL, il a le droit ! Ah, pardon !
uant Il paraît que ce vieux laïque républicain bon teint de Péan (je le qualifierai volontiers de « gaullo-mitterrandien », voyez, pas vraiment un disciple de Faurisson) est bouleversé par cette accusation infamante qui vise à rien de moins que la mort sociale de celui qui en est sali. Rappelons que dans deux procès récents, dont un où le puant BHL (« puant », j’ai le droit ? Ça veut dire, au sens figuré, « imbu de lui-même, fat, égocentrique », tout ça) est venu faire la roue (« Je n’aurais, pour rien au monde, laissé tomber mon ami Philippe Val », pardi ! Asinus asinum fricat) (4), c’est l’ami Siné qui était sous la douche, lui aussi était mortifié. Dans le premier procès, que le vieux Bob intentait au journaliste chafouin qui s’était permis de qualifier sur RTL sa « zone » de Charlie d’« article antisémite dans un journal qui ne l’est pas », provoquant son renvoi de l’hebdo soi-disant satirique, l’accusé (Sarkolovitch, un nom comme ça) a osé plaider que le fait de dire qu’un article est antisémite n’est pas une accusation d’antisémitisme contre son auteur, plus hypocrite tu meurs ! On verra si le tribunal marche dans cette défense pourrie, en tout cas le procureur a requis la relaxe ! Dans le second procès, celui où paradait BHL, c’est la Licra qui poursuivait Siné, et là, c’est ce dernier qui, si le tribunal suit le réquisitoire, devrait bénéficier de la relaxe. Tout ça pour dire à Péan comme à Bob Siné : bienvenue au
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club des pestiférés, les gars ! Mais ne vous mettez plus la rate au court-bouillon : à force de l’utiliser à tort et à travers, l’arme de l’accusation d’antisémitisme s’est fichtrement émoussée, et ceux qui en abusent commencent à s’attirer de vertes contre-attaques : par exemple, cette semaine, et contre Kouchner, les papiers bien torchés de Szafran et de Cohen dans Marianne (5). Cohen, Szafran… Seraient pas un peu antijuifs, ces deux-là ? On rappellera qui est l’avocat de CharlieHebdo : Richard Malka (écurie Kiejman, l’avocat de Kouchner), qui est aussi, parce que rien n’est simple, le coauteur, avec Philippe Cohen, d’une BD très anti-Sarko (la Face karchée…) et qui est encore l’avocat de la « banque des banques » luxembourgeoises, Clearstream, laquelle poursuit notre excellent confrère Denis Robert de sa vindicte inextinguible. En vous invitant une fois encore à l’aider (Denis) en achetant son dernier bouquin, tout en dessins, l’Affaire des affaires, tome 1- L’argent invisible (6), « l’histoire d’un journaliste qui essaye d’informer ses lecteurs dans le monde d’aujourd’hui ». On sait que ce n’est pas tâche facile, et l’on se plaint beaucoup des difficultés de la presse. À mon avis, elle serait moins conformiste et bien pensante, ouvrirait davantage ses colonnes à des Péan et des Robert, arrêterait de prendre ses lecteurs pour des cons incultes et de lécher le cul à des zélites pourries par le fric, que ça irait déjà beaucoup mieux ! B. L. (1)Le Monde selon K., Fayard, 323p., 19euros. (2)Marianne2.fr, bakchich.info (3)Comme y ont eu droit bien d’autres avant lui, je vous suggère un détour par le site Article Onze, c’est édifiant. www.article11.info/spip/spip.php?article293 (4)Son bloc-notes dans LePoint vaut le détour! Quelqu’un peutil expliquer au grand philosophe qui est Philippe Bilger? (5)«Kouchner n’avait pas le droit!», par Maurice Szafran, et «Affaire Kouchner, la contre-attaque honteuse», par Philippe Cohen et Éric Decouty. (6)Coauteurs: Yan Lindingre et Laurent Astier, Dargaud, 206p., 22euros.
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