Le Rôle De L'unesco Dans La Réduction De La Fracture Numérique (mai 2007)

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Université Stendhal - Grenoble 3 UFR sciences de la communication Institut de la Communication et des Médias Master 2 Sciences de l’Information et de la Communication

Du NOMIC au Sommet Mondial de la Société de l’Information: Le rôle de l’UNESCO dans la réduction de la fracture numérique en Afrique Mémoire présenté par : Destiny TCHEHOUALI

Sous la direction de : Monsieur Bertrand CABEDOCHE

- Année Universitaire 2006 / 2007 -

Que Monsieur Bertrand CABEDOCHE trouve ici le témoignage de notre profonde reconnaissance pour sa disponibilité et pour l’encadrement rigoureux qu’il a bien accepté apporter à l’élaboration de ce travail.

Nous tenons également à adresser nos remerciements à Madame Isabelle PAILLIART, pour ses précieuses orientations dans la rédaction du mémoire. Nous ne saurions oublier les chercheurs, sans qui cette œuvre serait restée inachevée et qui de par leurs réflexions ont enrichi la substance des discours soumis à notre analyse. Un remerciement particulier à l’endroit de Madame Annie Lenoble-Bart, Professeur à l’Université de Bordeaux 3 qui, a bien voulu partager avec nous son avis sur les questions centrales de notre problématique de recherche. Madame Annie Lenoble-Bart est Animatrice du GREMA (Groupe de Recherches et d'Études sur les Médias Africains) et Coordinatrice de l'Axe 1 du programme 2003-2006 de la Maison des Sciences de l'Homme d'Aquitaine sur " Modèles et transferts dans la mondialisation des Afriques : Gouvernance, démocratie, transferts et appropriation". Enfin, notre sincère gratitude à tous ceux qui de près ou de loin, par leur soutien moral, leur aide intellectuelle et leurs encouragements, ont contribué aux différentes phases de réalisation de ce travail.

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Je dédie ce travail :

 A mes chers parents qui ont toujours cru en moi et qui à travers

leur amour et leur soutien m’ont toujours aidé, malgré la distance nous séparant, à surmonter les épreuves difficiles de la vie et à relever les grands défis de ma destinée.

 A tous les chercheurs, les institutions, les organisations nationales

ou internationales, les ONG ainsi qu’à toutes les personnes physiques ou morales qui dans le monde luttent pour la réduction de la fracture numérique Nord-Sud.

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SOMMAIRE LISTE DES SIGLES ET ABREVIATIONS................................................5 INTRODUCTION......................................................................................6 Première partie : Cadre théorique et méthodologique de la recherche . . .9 Chapitre 1 : Contexte théorique..............................................................10 I-Genèse de la société de l’information : Un bref détour historique........................10 II-Théories et discours sur les TIC : Délimitation d’un champ de recherche...........12 A-Le paradoxe entre déterminisme technologique et déterminisme social......................12 B-Communication internationale au cœur des Théories du développement et du modernisme.......................................................................................................................14 III-Problématique et objectifs de recherche.............................................................18 A-Problématique...............................................................................................................18 B-Objectifs........................................................................................................................20

Chapitre 2 : Méthodologie de la recherche.............................................21 I-Questions et hypothèses de recherche.................................................................21 II-Intérêt et valeur de la recherche...........................................................................22 III-Méthodes de recueil des données......................................................................23 A-Population d’étude........................................................................................................23 B-Méthode historique et descriptive.................................................................................23 C-Entrevues de recherche.................................................................................................24

Deuxième partie : L’Afrique dans la société globale de l’information......26 Chapitre 1 : Du rapport McBride à la société de l’Information................26 I-L’information à sens unique et la contestation des pays du Sud..........................26 II-Le rapport McBride : « Voix multiples, un seul monde »......................................30 III-Conséquences de l’échec du NOMIC.................................................................33

Chapitre 2 : La facture des fractures.......................................................36 I-Fracture numérique et sous-développement en Afrique ......................................36 A-Fracture numérique et Développement : Quels liens ?.................................................37 B-Le vécu de la fracture en Afrique..................................................................................40 II-Bilan sommaire et critique du SMSI : de Genève à Tunis ..................................43 A-Déclaration de principes et plan d’action de Genève....................................................44 B-Principaux engagements de Tunis.................................................................................47 C-État actuel des lieux .....................................................................................................48

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Troisième partie : Solidarité numérique en Afrique : Vers une dépendance technologique accrue de l’Afrique ou une résorption de la fracture ?.................................................................................................55 Chapitre 1 : Une volonté et une mobilisation internationale manifestes. 55 I-L’e-inclusion à travers la solidarité numérique .....................................................55 II-L’engagement de l’UNESCO : Le PIDC à la loupe..............................................60 III-Les autres institutions internationales : UIT, OMC, PNUD, OIF, BM…..............62

Chapitre 2 : Communication internationale et souveraineté nationale : Les limites des organisations internationales.........................................66 I-Les enjeux géopolitiques de la régulation de la communication internationale....66 II-Les limites de l’UNESCO dans sa lutte contre la fracture numérique.................67 III-Plaidoyer pour une réappropriation culturelle des TIC en Afrique .....................70

CONCLUSION........................................................................................73 BIBLIOGRAPHIE....................................................................................80 WEBLIOGRAPHIE .................................................................................83

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LISTE DES SIGLES ET ABREVIATIONS •

ATU : Union Africaine des Télécommunications



BM : Banque Mondiale



CANAD : Central African New Agencies Development



CEDEAO : Communauté Economique Des Etats de l’Afrique de l’Ouest



CSDPTT : Coopération Solidarité Développement aux PTT



DOT Force : Digital Opportunity Task force



FMI : Fonds Monétaire International



Fonds de Solidarité Numérique



GRESEC : Groupe de Recherche Sur les Enjeux de la Communication



IAN : Indice d’Accès Numérique



NEPAD : Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique



NOEI : Nouvel Ordre Economique International



NOMIC : Nouvel Ordre Mondial de l’Information et de la Communication



OCDE : Organisation pour la Coopération et le Développement Economique



OIF : Organisation Internationale de la Francophonie



OMC : Organisation Mondiale du Commerce



OMPI : Organisation Mondiale pour la Propriété Intellectuelle



ONG : Organisation Non Gouvernementale



ONU : Organisation des Nations Unies



PIDC : Programme International pour le Développement de la Communication



PIPT : Programme Intergouvernemental Information Pour Tous



PMA : Pays les Moins Avancés



PMAC : Pays les Moins Avancés en Communication



PD : Pays Développés



PED : Pays en Développement



PNUD : Programme des Nations Unies pour le Développement



RASCOM : Regional African Satellite for Communication



SMSI : Sommet Mondial de la Société de l’Information



TIC : Technologies de l’Information et de la Communication



UIT : Union Internationale des Télécommunications



UNESCO : Organisation des Nations Unies pour L’Education, la Science et la Culture



UNICTTF: United nations Information and Communication Technologies Task Force

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INTRODUCTION Le développement effréné des technologies de l’information et de la communication (TIC) depuis quelques décennies et la nouvelle configuration du monde en réseaux planétaires est la preuve de la mondialisation de la communication que l’UNESCO définit comme « le symbole du triomphe mondial de l’économie de marché et de la libéralisation du commerce international ». L’effacement des frontières et des obstacles topographiques grâce aux « autoroutes de l’information » permet à la communication internationale d’entretenir l’utopie macluhanienne du village global, tout en nourrissant les imaginaires et les croyances inhérentes à la résorption de la fracture numérique mondiale, à la libre circulation des informations et des données, ainsi qu’à l’échange des connaissances et des cultures dans un contexte global de rééquilibrage des rapports humains. Pourtant, à ces grands espoirs s’impose la réalité de «sociétés à deux vitesses», une société de l’information divisée et fondée sur des bases inégalitaires où se côtoient pauvres et riches, puissants et dominés, profiteurs et exploités, participants et exclus, savants et ignorants. Ceci amène d’ailleurs Marcel Merle1 a affirmé que l’évolution de l’histoire a été scandée par une série d’innovations techniques qui ont mené à deux mouvements contradictoires à savoir, d’une part la tendance à l’uniformisation de la condition humaine et d’autre part à la discrimination croissante entre ce qu’il appelle les « bénéficiaires » et les « laissés-pour-compte » du progrès. Face à la recomposition générale des forces géostratégiques sous-tendant ces inégalités, certains auteurs comme Ignacio Ramonet se retrouvent devant le constat que : « Partout alarme et désarroi succèdent à la grande espérance d’un nouvel ordre mondial. Celui-ci, on le sait à présent, est mort-né. Et nos sociétés, comme lors de précédentes époques de transition, se demandent si elles ne s’acheminent pas vers le chaos »2. Mais de nombreux acteurs économiques et institutions internationales ainsi que quelques auteurs et chercheurs en Sciences de l’information et de la Communication (SIC) tels que Manuel Castells produisent un discours plutôt dithyrambique et promotionnel des TIC comme solution salvatrice pour le développement social et humain et comme issue au chaos géopolitique des inégalités numériques de la société de l’information.

1 MERLE Marcel., Bilan des relations Internationales Contemporaines, Paris, Economica, 1995, pp.40-41. 2 RAMONET Ignacio, Géopolitique du chaos, Paris, Galilée, 1997, p.15.

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De l’ouverture des débats sur le NOMIC dans les années 1970 jusqu’aux récents débats du Sommet Mondial de la Société de l’Information (2003, 2005), beaucoup de réflexions ont été produites. Cependant, durant ces trois décennies les réflexions et propositions qui ont pris corps à l’UNESCO avant de se déplacer et s’étendre à d’autres institutions (Communauté européenne, OCDE, UIT, OMC,….) semblent n’avoir pas réellement contribué à une communication internationale équilibrée et égalitaire à même de nous faire oublier aujourd’hui la ligne de démarcation symbolisant la fracture « Nord/Sud » ou plus spécifiquement les inégalités entre pays occidentaux et pays africains en matière de communication. Qu’est ce qui explique cette inefficacité des stratégies de l’UNESCO dans la lutte pour le développement international de la communication? Y aurait-il des enjeux géopolitiques susceptibles d’argumenter en faveur d’une thèse de manipulation ou d’influence subie par l’UNESCO et dirigée par la toute puissance états-unienne ou occidentale ? Dans la première partie de ce travail, nous proposons quelques éléments de réponse à ces questions à travers des éclaircissements théoriques. Pour ce faire, nous avons tenu à rappeler par une brève genèse comment la notion de « société de l’information » s’est graduellement imposée à l’usage. Ensuite, à partir des controverses et critiques légitimant ou accablant cette société de l’information, nous passerons en revue les discours déterministes sur les TIC, ainsi que les différentes théories de développement, de modernisation néolibérale, et d’impérialisme culturel pour déboucher sur une problématique sous-jacente centrée sur le rôle joué par les organisations internationales et notamment celui de l’UNESCO dans la régulation du déséquilibre des rapports Nord/Sud en matière de communication internationale. Une fois ce déblayage théorique fait, nous présenterons l’Afrique dans la société de l’information en partant du rapport McBride et des conséquences de l’échec du NOMIC pour vérifier les éventuels liens de causalité entre sous développement et fracture numérique tout en nous appuyant sur le vécu de la fracture en Afrique. Dans la dernière partie du travail, nous nous interrogerons sur l’opportunité réelle de la solidarité numérique en Afrique en analysant les actions de l’UNESCO et ses limites dans la lutte contre la fracture numérique en Afrique. Puis nous finirons sur un plaidoyer pour la réappropriation culturelle des TIC comme mesure d’accompagnement de la solidarité numérique, en ouvrant ainsi notre conclusion sur des perspectives de recherches approfondies dans le cadre du doctorat.

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Première partie : Cadre théorique et méthodologique de la recherche

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Première partie : Cadre théorique et méthodologique de la recherche Chapitre 1 : Contexte théorique I-

Genèse de la société de l’information : Un bref détour historique

La Déclaration de principes de Genève adoptée au lendemain de la première phase du Sommet Mondial de la Société de l’Information (SMSI) par les gouvernements - avec des apports importants de la société civile -, signale dans son premier article : « Nous (...) proclamons notre volonté et notre détermination communes d’édifier une société de l’information à dimension humaine, inclusive et privilégiant le développement, une société de l’information, dans laquelle chacun ait la possibilité de créer, d’obtenir, d’utiliser et de partager l’information et le savoir et dans laquelle les individus, les communautés et les peuples puissent ainsi mettre en œuvre toutes leurs potentialités en favorisant leur développement durable et en améliorant leur qualité de vie, conformément aux buts et aux principes de la Charte des Nations Unies ainsi qu’en respectant pleinement et en mettant en œuvre la Déclaration universelle des Droits de l’Homme ». Société post-industrielle, ère technétronique, société de l’information, société de la connaissance…. Autant de pseudoconcepts pour qualifier et identifier la portée des changements technologiques caractéristiques de notre époque. Finalement, c’est l’expression « Société de l’information » qui s’est imposée comme terme hégémonique et ce comme le précisait Sally Burch, « non pas nécessairement parce qu’elle exprime une clarté théorique mais en raison du ‘‘baptême’’ qu’elle a reçu dans les politiques officielles des pays développés en plus du couronnement qu’a représenté un Sommet mondial organisé en son honneur. » Cette notion soulève des ambigüités, et des controverses qui la rendent floue et sans définition précise. Elle ne veut pas dire, par exemple, que chaque personne soit aujourd’hui en possession d’une grande quantité d’informations et de connaissances, mais indique plutôt un déplacement de l’activité humaine de la fabrication de biens vers le traitement de l’information et du savoir. Cette approche fait justement référence à l’apparition du terme information society en 1973 dans l’ouvrage du sociologue et économiste Daniel Bell intitulé Vers la société post-industrielle : une tentative de prévision sociale. Fritz Machlup (1962) et Alain Touraine (1969) précèdent Daniel Bell dans la lignée des précurseurs de la nouvelle société de l’information. A en croire Jeremy Rifkin, l’ère du capitalisme industriel est bien finie, nous devons maintenant passer à autre chose : notamment à une société caractérisée par 10

la prééminence du secteur tertiaire, la centralité de l’information et de la connaissance et l’émergence des nouvelles élites techniciennes et de nouveaux principes de stratification sociale. Gaëtan Tremblay, dans l’une de ses interventions au cours des séminaires visioconférences GPB7 organisés par le GRESEC trouvait dans l’expression société de l’information, « une tentative d’appréhension globale des sociétés contemporaines ». D’autre part, la « société de l’information », en tant que construction politique et idéologique, s’est développée dans le cadre de la globalisation néolibérale qui visait principalement à accélérer l’instauration d’un marché mondial ouvert et « autorégulé ». Cette politique était menée en étroite collaboration avec des organismes multilatéraux comme l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale afin que les pays peu développés abandonnent les réglementations nationales ou les mesures protectionnistes risquant de « décourager » les investissements. Le mythe de la société de l’information a donc été souvent utilisé pour déréguler les marchés des TIC en creusant davantage le fossé numérique Nord/Sud. Il n’y a alors selon Anne-Marie Laulan3 « aucun étonnement devant l’enthousiasme industriel, financier, puis administratif à proclamer la naissance d’une nouvelle civilisation, fondée sur les dispositifs et systèmes que l’économie mondialisée maîtrise fort bien, (et à son profit quasi exclusivement). » Manuel Castells4, l’un des chercheurs qui a le plus développé ce sujet préfère quant à lui qu’on parle de « société informationnelle » plutôt que de « société de l’information » en signalant que si la connaissance et l’information sont des éléments décisifs dans tous les modes de développement, «

le terme “informationnel” caractérise une forme particulière

d’organisation sociale, dans laquelle la création, le traitement et la transmission de l’information deviennent les sources premières de la productivité et du pouvoir, en raison des nouvelles conditions technologiques apparaissant dans cette période historique-ci ». Ce fondement d'une nouvelle « société de l'information et du savoir » est largement critiqué par les chercheurs des SIC qui y relèvent une sorte de déterminisme « informationnel ». Alain Rallet (2004) le substitue d'ailleurs à la notion de « société numérique », alors que Bernard Miège5 trouve plus approprié de parler de société de « communication médiatisée » fondée sur la maîtrise non du contenu, mais des producteurs, et médiateurs de la communication telles que les firmes multinationales, ou les organisations internationales. 3 LAULAN Anne-Marie, Machine à communiquer et lien social. Un texte prononcé à Tunis (SMSI) en novembre 2005, à la table-ronde de la SFSIC. 4 CASTELLS Manuel, L’ère de l’information, 3 tomes, Fayard, 1998-1999. 5 MIEGE Bernard, L’information - Communication, objet de connaissance, de Boeck, 2004.

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Les diverses contradictions et les multiples définitions de la société de l’information partagent toutes cependant la caractéristique commune d’être empreintes de déterminisme, que ce déterminisme soit technologique ou social.

II-

Théories et discours sur les TIC : Délimitation d’un champ de recherche Au carrefour des SIC et des sciences sociales, la question de la fracture ou celle de la

solidarité numérique engendrée par les inégalités de la société de l’information appartient au contexte global des recherches portant sur l’intégration des technologies de l’information et de la communication dans les sociétés. Par ailleurs, il s’avère que l’intégration des TIC dans la sphère publique a favorisé des discours imaginaires, riches en projections voire contradictoires. Toutes les études menées sur les TIC se doivent alors d’être forgées sur l’adoption d’une posture technologique explicite ou implicite qui contribue à la fabrication des problématiques, des méthodes et des axes d’interprétation. Ainsi, s’agira-t-il pour nous ici de confronter quelques discours et théories sur les TIC, de souligner leurs oppositions ou convergences, d’être attentifs à leur révision ou à leur inflexion pour retracer le positionnement de notre sujet par rapport à ces différents courants de pensée.

A- Le paradoxe entre déterminisme technologique et déterminisme social On distingue deux principales postures relatives aux discours sur les technologies de l’information et de la communication. Tandis que le déterminisme technique soutient que les techniques, les pratiques des outils vont résoudre à eux seuls les dysfonctionnements de la société ou influer de façon exclusive les formes de rapports sociaux, le déterminisme social prétend que ce sont les rapports sociaux et les anciennes pratiques qui déterminent les progrès de la technique. Rappelons que les origines du déterminisme technique remontent au 19ème siècle avec la naissance des utopies technicistes qui seront à leur tour relayées un peu plus tard par des auteurs comme Kropothkine, Geddeser, Lewis Munford, Simon Nora ou encore Al Gore avec « les autoroutes de l’information » en 1993. Leroi Gourhan n’hésite pas, par exemple à soutenir que : « Ce qu’il y a de plus humain dans l’homme c’est la technique ». Mais Jacques Ellul en parlant du bluff technologique en 1988, va plus loin car il est, quant à lui, convaincu que : « La technique prend le pas sur le rôle effectif de l’homme dans la société. »

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Cette période est bien d’ailleurs celle de la première génération de chercheurs sur les TIC. Il y avait d’une part les technophobes pessimistes comme P. Virilio, qui dénoncent les effets désastreux des TIC tout en les percevant comme les futurs désastres de l’humanité. D’autre part, les technophiles (prophètes du cyberespace), à l’instar de Pierre Lévy ou de J. de Rosnay et plus récemment les disciples de Michel Maffesoli, qui soutiennent de leur côté que les usages des TIC sont en train de transformer radicalement et positivement la socialité contemporaine. Norbert Wiener s’aligne dans ce courant de pensée quand il considère que l’organisation sociale fonctionne telle une machine autorégulée. A l’opposé de cette posture de déterminisme technique, le courant du déterminisme social appréhende les rapports sociaux et les anciennes pratiques comme les facteurs déterminant ou influençant la technique. Ce courant s’oppose à la vision de M. Macluhan à faire du médium le message. La technologie est le résultat d’une construction sociotechnique. Ici, la technique est pensée en tenant compte de l’antériorité des pratiques sociales. Il est alors beaucoup plus question d’appropriation progressive ou de détournement des TIC au profit des individus ou des groupes. C’est dans cette logique que de nombreuses études d’impacts ont été réalisées par les laboratoires des grands groupes de télécommunication tels que France Télécom R & D. favorisant ainsi des disciplines comme l’économie, et le marketing afin d’étudier l’offre de services à partir des différentes dimensions de l’information : marchandes, cognitives, communicationnelles et politiques. A priori, notre travail pourrait être inscrit dans une démarche de déterminisme social et cela reviendrait à soutenir la thèse selon laquelle les relations internationales et notamment les enjeux économiques et culturels qui les sous-tendent déterminent l’inégale diffusion et utilisation des TIC. Dominique Wolton précise à juste titre qu'« Il est évident que le progrès technique et les enjeux économiques poussent davantage vers le thème de la société de l'information, alors qu’une approche plus critique et sociétale est davantage sensible aux inégalités et aux interrogations sur les liens des modèles cognitifs et rationnels liés à l'expansion des réseaux et des théories de la société de l'information »6. Mais au-delà de ce postulat, il s’agit pour nous d’apprécier le rôle joué par l’UNESCO face au défi d’une société numérique inclusive dont l’accès est conditionné par une solidarité numérique aux pays considérés actuellement comme des exclus et des marginalisés. 6 WOLTON Dominique, Information Et Communication : Dix chantiers scientifiques, culturels et politiques, in Hermès n° 38, 2004.

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Dans cette perspective d’analyse, nous sommes tenus de rester prudents dans nos jugements en visant une certaine neutralité et par conséquent une certaine objectivité nécessaire à toute démarche scientifique ayant pour vocation de relativiser les visions extrêmes d’un phénomène, qu'elles soient positives ou négatives. Par ailleurs, il est important de mettre fin ou tout au moins de pouvoir dépasser le paradoxe nourri par les débats sur les logiques techniques et les logiques sociales. Ainsi, faudrait-il convenir avec Patrice Flichy7 que « la technologie ne tombe pas du ciel mais est un produit sociotechnique. (…) La technologie est donc le résultat d’une construction sociotechnique que l’on peut analyser selon trois aspects : le projet d’un inventeur, des contraintes de technologie, d’usage et de marché, des hasards. (…) ». Bernard Miège critiquant le techno-déterminisme, débouche de son côté sur la nécessité d’une double médiation sociale et technique et parle, comme Serge Proulx, d’ancrage social (le social est dans la technique et la technique est dans le social en permanence). Il est contre l’usage du terme d’insertion sociale des TIC, et nous aussi d’ailleurs, puisque : « les TIC ne peuvent pas être conçus à l’extérieur du social ».

B- Communication internationale au cœur des Théories du

développement et du modernisme Quoique favorisant la croissance économique, les TIC compromettent la viabilité de nombreux systèmes économiques traditionnels dont notamment ceux des pays du Sud compte tenu de leur retard technologique et leur lenteur d’appropriation de ces technologies. Ce qui aggrave les inégalités existantes. La réduction de la fracture numérique est ainsi assimilée à la réduction de la pauvreté. Les pays en voie de développement en général et ceux du continent africain en particulier se trouvent dans l’obligation de faire appel à l’aide et la coopération internationale pour sortir de ce fossé numérique et gravir les échelles du développement. A ce titre, dans son discours de clôture de la Rencontre internationale Bamako 2000, le Chef d'Etat malien d’alors, Alpha Omar Konaré, réitère son appel à une collaboration Nord-Sud, en matière de TIC, en estimant que l'Afrique se trouve dans des conditions politiques et intellectuelles favorables pour une révolution technologique : « Si elle doit se préoccuper des autres aspects du développement, elle ne peut pas pour autant laisser passer l'opportunité d'intégrer la Société de l'information. L'appropriation des TIC par les populations africaines constitue en effet l'un des leviers du développement. » 7 FLICHY Patrice, Technologies et lien social. Colloque national de Paris : Pour une refondation des enseignements de communication des organisations 25 au 28 août 2003.

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Cet appel à la coopération internationale a entraîné l’élaboration de politiques de développement prônées et tant promues par l'ONU, la banque mondiale, le G8, ainsi que par les organisations de coopération et de développement. Le recours aux concepts « fracture numérique » et « société de l'information » aurait ainsi permis à ces institutions de recycler les vieux concepts évolutionnistes et technicistes des politiques de développement et de retrouver élan, légitimité, et même argent. Du moins c’est ce que pensent de nombreux chercheurs du Nord et du Sud dont Marie Thorndal, la socio-économiste indépendante, qui, parlant des organisations internationales affirme qu’elles pratiquent la théorie du « comme si »8, c’est-àdire « Toujours faire semblant qu'on va régler les problèmes du monde sans s'en donner les moyens. Tenir un discours universel en le validant par des événements enthousiastes et généreux mais sans effet. Faire « comme si » le modèle de développement du Nord était généralisable, « comme si » la dette allait être remboursée, « comme si » le rattrapage du Sud était possible, « comme si » la fracture numérique pouvait être comblée. On change de discours, or ce sont les règles du jeu qui doivent être revues. A terme, c'est tout le système du multipartisme qui est en danger et l'ONU décrédibilisée. » En effet, la notion de « société de l’information » et ses corollaires seraient donc mobilisés pour masquer des relations de domination. Il convient de noter que ce n’est pas à partir des années 90 que les Nations Unies et d’autres acteurs de coopération internationale se sont intéressés à l’introduction des TIC en Afrique. Déjà dans les années 1960, des initiatives avaient été prises pour que des TIC contribuent à l’amélioration de la qualité de l’enseignement en Afrique, et d’une manière générale contribuent au développement. Yvonne Mignot-Lefebvre

confirme

d’ailleurs

que : « (…)

Les

premières

technologies

de

communication sont entrées dans les pays du Tiers-Monde en accord avec une vision volontariste véhiculée principalement par les Nations Unies. Elles étaient orientées vers des objectifs éducatifs, culturels et sociaux. Progressivement leur utilisation est de plus en plus liée à des objectifs économiques » 9. La société globale de l'information est bel et bien devenue un enjeu géopolitique autour d’intérêts financiers et économiques, et le discours qui l'entoure reste une doctrine sur les diverses formes d'hégémonie dont les prémisses étaient annoncées déjà depuis la "révolution technétronique" du géopoliticien Zbigniew Brzezinski dans les années 1960. 8

Cette théorie du « Comme si » évoque une figure rhétorique de la langue française appelée « l’hypostase ». 9 MIGNOT-Lefebvre Yvonne, Des mutations technologiques, économiques et sociales sans frontières, in Transfert des technologies de communication et développement, revue Tiers-Monde, 1987, PP487-511, p.498.

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Dorénavant, l'hégémonie mondiale se manifeste à travers une triple révolution : diplomatique, militaire et managériale menée par les Etats-Unis. C'est l'apparition des stratégies de « soft power » et de « global information dominance » qui alternent selon les circonstances la diplomatie des canons et la diplomatie des réseaux (la cyberguerre) pour réorienter le monde en fonction de ce qu'on appelle la démocratie de marché. La politique extérieure nationale de Georges Bush dans les années 80 légitimera la diplomatie des réseaux à travers une sorte de droit international de la propagande : c’est la théorie de l’ingérence, très présente aujourd’hui dans les relations entre Etats, mais aussi dans la régulation de la communication internationale. Pour Isabelle Pailliart, la communication internationale mettrait ainsi fin à la capacité d’un espace territorial à « gérer ses propres modalités d’expression ». Dans la mesure où à travers ce processus, et toujours selon cet auteur, « les frontières géographiques nationales se brouillent »10, la communication donne l’impression générale d’un affaiblissement du pouvoir étatique national. Cette limitation de la souveraineté est « voulue » ou acceptée par les États à travers de traités, chartes, ou conventions... Exemple des projets de coopération technique en matière de communication (PIDC : Programme international de développement de la communication; Canad : Central african new agencies developpement) et de télécommunications. Missé Missé dans l’un de ses articles11 rapporte que : « Sous la contrainte de cette théorie brandie à la fois par les organisations internationales, les opérateurs économiques ou même les organisations de la société civile africaine et non-africaine, tous les Etats africains s’engagent dans cette voie, convaincus ou non». Il faut noter que cette globalisation libérale contemporaine constitue pour le géographe, Yves Lacoste12, «une façon occidentale de se représenter le monde ». Cette vision du monde, sensée se répandre au nom des libertés et du bien de l’humanité, impose finalement sa manière d’envisager les rapports humains, leur organisation, plus particulièrement les échanges économiques mondiaux au détriment du continent africain auquel on conditionne « l’aide » à l’acceptation de ce modèle économique libéral, fixé par les institutions multilatérales, FMI et Banque mondiale en tête. Cette étape de la réflexion nous amène à aborder logiquement la théorie de la modernité ou théorie de la convergence. A ce sujet, Philippe Laburthe-Tolra et Jean-Pierre Warnier dans Ethnologie Anthropologie nous rappellent que : 10 PAILLIART Isabelle, Les territoires de la communication, Grenoble, PUG, 1993, p. 78, 233. 11 MISSE MISSE, Communication internationale et souveraineté nationale : Le problème des « ingérences » dans le nouvel ordre mondial. 12 LACOSTE Yves, « Une autre idée du monde », in Géo, numéro spécial, septembre 2004.

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« La théorie de la modernité est une théorie de la diffusion des innovations à partir d’un centre qui est censé les produire : (…) l’Occident à l’époque moderne. Pour Eisenstadt et ses contemporains, le moteur de cette diffusion, c’est la rationalité scientifique, donc universelle, qui s’impose à des civilisations particulières fondées sur d’autres modes de pensée, qualifiés de « pré-scientifiques », « pré-logiques », voire d’« irrationnels »13. La modernisation est ainsi perçue comme le rouleau compresseur voué à écraser toutes les civilisations pour les réduire au modèle de l’Occident industrialisé.». Cette école de la « modernisation », encore appelée école du « développement », a vite rencontré sa critique, articulée autour de la référence au concept « d’impérialisme », étendu du politique à l’économique et au culturel : « Le concept d’impérialisme culturel est celui qui décrit le mieux la somme des processus par lesquels une société est intégrée dans le système moderne mondial et la manière dont sa strate dominante est attirée, poussée, forcée et parfois corrompue pour modeler les institutions sociales, pour qu’elles adoptent, ou même promeuvent les valeurs et les structures du centre dominant du système » (Schiller, 1976). Toujours dans ce même ordre d’idées, il est important d’évoquer les analyses menées par Bertrand Cabedoche sur La construction de l’étrangéité dans le discours d’information médiatique : actualité de l’accusation d’ethnocentrisme des médias transnationaux ? « Les analyses de la domination se sont seulement affinées, mais elles ne concluent pas toutes pour autant à la réhabilitation convaincante des lectures néo-libérales. » En sciences politiques, depuis les années quatre-vingts, on parle de plus en plus d’« interdépendance inégale » (Coussy14, Hassner, Smouts, Hermet…en 1980), concept qui permet de sortir des analyses classiques de la domination pour identifier comment ces processus peuvent être, non pas subis, mais aussi récupérés, réappropriés et réutilisés par des pouvoirs « dominés » à des fins internes. Le concept permet également de prendre en considération que les puissants sur la scène internationale tentent toujours d’utiliser leur pouvoir exorbitant, notamment pour en garantir la reproduction». Tous ces travaux replacent la réception dans un contexte d’acculturation en remettant en cause les rapports de dominantsdominés.

13 LABURTHE-TOLRA P., WARNIER J.-P., Ethnologie Anthropologie, PUF, Paris, 1993. 14 COUSSY Jean, « Interpénétration des économies et évolution des rapports de dépendance », Revue Française de Sciences Politiques, « Les nouveaux centres de pouvoir dans le système international », vol. 30, n° 2, avril 1980, pp. 262-281.

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En confrontant ces théories, il apparaît légitime de se focaliser sur la communication internationale dans la « société de l’information » tout en recentrant les questionnements fondamentaux sur le rôle des organisations internationales dans ces rapports hégémoniques Nord/Sud ayant hérité dans un passé récent d’une géopolitique de l’information, d’une histoire des cultures, et de nouvelles lois du marché cachant des conflits d’intérêts et de pouvoir pas forcément évidents.

III-

Problématique et objectifs de recherche A- Problématique

Depuis trente ans que se sont ouverts les débats sur le Nouvel Ordre Mondial de l’Information, la communication internationale a semblé stagner, du moins au niveau du sens de circulation de l’information, bien que celle-ci puisse être considérée comme finalement décolonisée tel que le recommandait Hervé Bourges déjà dans les années 1970. Si d’un point de vue économique, beaucoup de facteurs de régulation des flux ont évolué, il demeure que le contexte géopolitique dans lequel cette évolution s’est réalisée n’a pas profondément changé, du moins en ce qui concerne les rapports de force entre l’Afrique et les pays industrialisés de l’occident. Du coup, l’écart entre l’Afrique et les pays du Nord qui était censé se réduire par les belles promesses de la société mondiale de l’information s’est davantage creusé même si les populations de ce continent demeurent confiantes et optimistes sous l’effet des croyances engendrées par les discours de promotion des TIC. Et pourtant, depuis trente ans, au nom de la « coopération internationale », des organisations internationales n’avaient cessé de se mettre au devant de la lutte contre la fracture numérique, affichant leur volonté d’aider les pays du Sud à une appropriation progressive des TIC et à l’intégration de ces pays dans l’e-inclusion. Mais pourquoi alors, depuis l’échec du NOMIC jusqu’au lendemain du SMSI à Genève et Tunis, l’UNESCO, en dépit de sa « solidarité numérique » vis-à-vis des pays africains, n’arrive pas à rééquilibrer les rapports humains en matière de communication et d’accès aux TIC sans que ces pays ne demeurent écartés par les critères géographiques et de frontières privilégiant les pays industrialisés ? Il importe d’interroger à nouveau l’histoire mais en analysant cette fois-ci les éventuels enjeux géopolitiques sous-tendus sans doute par des intérêts financiers et 18

hégémoniques des maîtres du monde. Il serait encore plus intéressant et c’est là l’une des particularités de notre travail, de nous questionner sur les probables pressions et influences que subirait l’UNESCO. Rappelons que les maîtres du jeu que sont les superpuissances du Nord n’hésitent pas pour imposer leurs propres intérêts à «discipliner» les organisations intergouvernementales en les menaçant d’un retrait (comme cela a été le cas pour les EtatsUnis et la Grande Bretagne qui se sont retirés de l'UNESCO pendant plus de 15 ans), et en exerçant, à l’encontre de certains récalcitrants, la politique de la carotte et du bâton. « L’insubordination» et l’attitude hostile à l’égard des intérêts occidentaux ne manquent pas de générer de nouvelles sanctions, telles l’exclusion de la clause de la nation la plus favorisée, ou des restrictions à l’exportation. Les actions des organisations internationales ou intergouvernementales seraient donc soutenues par certains pays industrialisés qui sont les pays (donateurs) finançant souvent les politiques de lutte contre la fracture numérique mondiale. L’UNESCO est-elle financièrement indépendante pour mener jusqu’au bout ses programmes en faveur du développement international de la communication ? Si non, n’estelle pas obligée de répondre à certaines conditions ou de satisfaire certaines exigences qui lui sont imposées ? Pour répondre à ces questions, nous aurons à pénétrer au cœur de la communication internationale et de la souveraineté nationale des pays afin de voir de plus près les grandes actions menées par l’UNESCO, telles que le PIDC ou encore l’organisation du SMSI tout en vérifiant si les enjeux géopolitiques caractéristiques des rapports de force entre pays du Sud et pays du Nord ne sont pas les principaux facteurs de blocage ou d’échec de ces programmes. L’UNESCO, par ses stratégies de diffusion des TIC en Afrique contribue-t-elle davantage à la dépendance technologique de ces pays ? Ou ces actions favorisent-elles vraiment la réappropriation des TIC par ces pays? Il semblerait que le continent africain soit tombé dans le fossé numérique creusé par la mondialisation de l’information, laquelle mondialisation conditionne l’internationalisation et la globalisation des échanges y compris ceux de l’information, et des technologies. Et pour sortir de ce fossé, l’Afrique a-t-elle nécessairement besoin de l’UNESCO ou d’autres organisations internationales ? Pourquoi une solidarité numérique dans la société de l’information alors que cette société dans ses fondements sous-entend déjà des valeurs de solidarité et d’égalité (d’accès universel et de partage de l’information) ?

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Finalement, l’appropriation ou la réappropriation des TIC par les pays africains ne devrait-elle pas de ce fait être repensée à un niveau plutôt national, régional et local qu’international ? Mais les Etats africains ont-ils des budgets suffisants pour une autoappropriation de ces TIC ? Sont-ils prêts à prendre en main leur destin numérique ? Avant le développement économique, à quand d’abord l’indépendance numérique des pays africains les moins avancés en communication ?

B- Objectifs Notre premier objectif à travers ce travail est de proposer une autre lecture de l’évolution de la société de l’information en essayant de montrer que le discours sur la “ fracture numérique ” entre pays du nord et pays du sud n’est pas une nouveauté en soi, mais une croyance récurrente soutenue par les organisations internationales. C’est une analyse rétrospective du discours sur l’informatisation ou l’informationnalisation (Bernard Miège) des pays africains, tel qu’il est promu par l’UNESCO et en même temps une confrontation de ce discours par rapport à la réalité du bilan des activités et programmes concrètement menés en vue d’une équitable régulation de la communication internationale. Le deuxième objectif que nous nous sommes fixés est de démontrer que malgré les bonnes intentions de l’UNESCO, ses programmes en faveur de la réduction de la fracture numérique ont tendance à être orientés vers un déterminisme technologique, synonyme à la fois de modernisation et de développement. En partant du constat que les paradigmes de l’interdépendance et de la coopération internationale sont nourris par un impérialisme culturel, et socio-économique, nous souhaitions pouvoir situer la responsabilité de l’UNESCO dans l’aggravement de la fracture numérique et tirer des leçons de l’échec du NOMIC et des modestes résultats du SMSI. Enfin, le troisième objectif et pas des moindres, est de pouvoir à travers ce travail jeter les bases problématiques et méthodologiques d’une recherche plus élaborée et plus approfondie à entreprendre au cours des trois prochaines années et comparant les stratégies d’action de l’UIT et de l’OMC à celles de l’UNESCO face aux enjeux culturels de la réappropriation des TIC à des niveaux régional et national.

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Chapitre 2 : Méthodologie de la recherche I-

Questions et hypothèses de recherche

Voici un ensemble de questionnements et de suppositions suscités aussi bien par des constatations empiriques que par des discours théoriques et qui doivent faire objet de vérification à travers les tâtonnements de notre recherche :  L’UNESCO subirait des influences et des pressions dans l’élaboration de ses stratégies et dans la réalisation de ses programmes d’action en faveur du développement de la communication. Depuis l’échec du NOMIC et le départ d’ Amadou Mahtar M’bow à la tête de l’institution, celle-ci ne s’est-elle pas pliée aux exigences des bailleurs de fonds et des grands financiers que constituent les Etats-Unis et les pays industrialisés ?  Aujourd’hui, les mesures du progrès vers la société de l’information se font entre autre par des indices statistiques quantitatifs, élaborés par certaines organisations internationales. Ces mesures se rapportent généralement aux indications sur les équipements d’informatique et de télécommunication…comme si la fracture statistique reflétait réellement la fracture numérique.  Aux peuples sous-équipés du Sud, on fait miroiter l’ordinateur pour tous comme un outil miracle pour passer du sous-développement au développement, sans même se préoccuper de l’adéquation entre technologie et contexte d’utilisation. Sont-ce les ordinateurs qui créent la richesse ou est-ce la richesse qui permet de s'équiper en ordinateurs?  Les TIC sont certes abondantes dans la « société de l’information ». Mais elles ne sont ni abondantes, ni accessibles de la même manière partout à travers le monde pour qu’on puisse parler aujourd’hui d’une « nouvelle société de l’information » basée sur des valeurs d’égalité et d’universalité.  Le C de UNESCO est bien Culture et non Communication : La division de l’information et de la communication de l’UNESCO est-elle alors vraiment légitime ? Sa mission est-elle pour autant vouée à l’échec ou du moins reléguée au second plan compte tenu de la priorité donnée à la culture dans les textes fondateurs de l’institution?

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 L’UNESCO ne pourrait à elle seule, à travers ses missions, être à la hauteur du rééquilibrage des rapports Nord/Sud. L’UIT réussirait-il mieux ? Le choix de l’UIT et de l’OMC pour l’organisation du SMSI devrait-il évoquer l’idée d’une certaine punition infligée à l’UNESCO qui, sortant de ses prérogatives, compromet les intérêts des Etats-Unis et de certains pays industrialisés ?  L’UNESCO, à travers son discours déterministe et déterminé de promotion des TIC en Afrique, contribue-t-elle à l’instauration d’une bureaucratie supranationale qui perturberait le libre jeu du commerce mondial (ultralibéralisme ou libéralisme dérégulateur) en défaveur des pays africains?

II-

Intérêt et valeur de la recherche

Ce travail s’inscrit dans le cadre d’une recherche portant sur l’intérêt que manifestent les organisations internationales (UNESCO, IUT, Banque mondiale, Organisation Internationale de la Francophonie, etc.) à la question de l’appropriation des TIC par les pays africains et son corollaire « la fracture numérique » Nord/Sud. Mener une enquête sur une thématique qui se situe au cœur d’une interdisciplinarité (Sciences politiques - Sciences sociales et économiques - Sciences de l’information et de la communication) n’est pas une tâche aisée. Aussi, avions-nous eu dans le cadre de ce travail quelques difficultés préliminaires pour la délimitation du principal axe de notre recherche. Rappelons que le sujet pose à la fois la question de la communication à l’échelle planétaire et celle des relations internationales avec l’arbitrage de l’UNESCO. Quoique la documentation et les théories sur les TIC et la société mondiale de l’information soit foisonnante, Il ne serait pas superflu d’évoquer la quasi inexistence d’ouvrages étudiant spécifiquement le rôle même des organisations internationales dans ce déséquilibre Nord/Sud. En nous engageant sur cette piste de recherche, nous espérons à travers cette étude, pouvoir apporter quelques éléments de réponses susceptibles d’éclairer les actions et discours de l’UNESCO en matière de lutte contre la fracture numérique. Cependant notre travail de problématisation ne saurait prétendre lever toutes les ambigüités et éclairer les contradictions actuelles caractéristiques des décisions et mesures internationales prises dans l’anti-chambre des intérêts des pays industrialisés. L’analyse pourrait être poursuivie dans le cadre d’une thèse dont le point de départ serait les nouvelles problématiques qui apparaîtront dans les conclusions du présent travail.

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III-

Méthodes de recueil des données

Après la délimitation de notre champ problématique à travers l’exploration de la littérature sur les postures de déterminismes technologique et social, nous présentons la démarche méthodologique appropriée pour la vérification de nos hypothèses et la réalisation des objectifs de notre recherche.

A- Population d’étude Nos analyses et investigations portent sur les organisations internationales et plus précisément sur l’UNESCO. Ce choix se justifie par le fait que cette institution a été la scène des débats sur la communication dont l’ampleur et les enjeux ont fortement marqué l’histoire des relations internationales depuis les années 1970. Considérant les nombreuses actions menées par l’UNESCO à travers le monde, nous avons jugé pour mieux évaluer son rôle dans la réduction de la fracture numérique, nous focaliser sur ses programmes et ses actions en faveur de l’intégration de l’Afrique dans la société mondiale de l‘information. Le choix du continent africain s’avère, en effet, pertinent car les pays africains, et notamment ceux de l’Afrique Subsaharienne, constituent un échantillon représentatif de pays du Sud où le seuil de la pauvreté est le plus élevé attirant du coup l’attention des bailleurs de fonds et des organisations internationales en matière d’aide et de coopération au développement. Laquelle coopération inclut la diffusion des TIC en occultant parfois les questions d’appropriation et d’intégration de ces technologies. Laquelle coopération évoque aussi l’idée de la solidarité numérique : un des axes de notre recherche qui justifie une fois encore le choix de l’Afrique car c’est le Chef d’État du Sénégal (Abdoulaye Wade) qui a fait à Genève en 2003 la proposition de constitution d’un Fonds de Solidarité Numérique.

B- Méthode historique et descriptive Pour comprendre le futur, il convient de revenir au passé. Et comme le remarquait B. Miège, « Il importe de se positionner par rapport au temps, le temps court » des étapes de l’innovation, et le temps long des mouvements sociaux ». Aussi, l’interprétation des réalités actuelles du déséquilibre Nord/Sud et la compréhension de la part de responsabilité de l’UNESCO passent-elles par un détour historique et une revue de la littérature sur le sujet devant nous permettre de faire une lecture actualisée de l’évolution de la communication internationale par les processus de communication depuis le NOMIC jusqu’à l’organisation

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du SMSI. Nous remontons l’échelle du temps pour situer notre travail par rapport au contexte historique du rapport McBride tout en parcourant au préalable une bibliographie sélective des réflexions menées depuis l’époque. Analyser les phénomènes de déséquilibre de l’accès à l’information et de fracture numérique pour situer les responsabilités tout en se référant à un contexte historique de tensions dans les rapports Nord-Sud pourrait déboucher sur des conclusions biaisées et une lecture des événements influencée selon qu’on soit au Nord ou au Sud. C’est donc conscient de ces paramètres et dans le souci de dépasser les stéréotypes fondés sur des prises de position subjectives, que nous nous proposons de faire une analyse documentaire et une analyse des discours idéologiques et idéalistes sur les TIC en nous basant ici sur le contenu des principaux documents officiels élaborés lors du Sommet Mondial de Genève et de Tunis (Déclaration de principes, Plan d’action, Engagement de Tunis, Agenda de Tunis).

C- Entrevues de recherche Nous aurions souhaité accompagner les méthodes décrites ci-haut par la réalisation d’entrevues ou d’entretiens de recherches semi-directifs individuels avec quelques personnes ressources notamment des chercheurs en Sciences de l’Information et de la Communication, du nord et du Sud, portant un intérêt au sujet de la fracture numérique. Ceci nous aurait permis d’observer et de comparer la vision qu’ont ces chercheurs (selon leur origine géographique Nord ou Sud) de la problématique de la fracture numérique et le rôle joué par les organisations internationales pour sa réduction en Afrique. Mais compte tenu de l’indisponibilité des chercheurs que nous avons contactés par téléphone ou par mails et considérant le court délai fixé pour la réalisation de notre travail, nous n’avons pas pu obtenir de rendez-vous pour des entretiens en face à face. Néanmoins, parmi les personnes ressources contactées15, une au moins s’est montrée disponible et a répondu à notre demande de collaboration en nous envoyant par mail son point de vue sur quelques questions que nous lui avons posées16.

15 Envois et échanges de mails avec : Claudine Carluer, Anne-Marie Laulan, Annie Chéneau-Loquay, Annie Lenoble-Bart, Emmanuel Eveno, Ken Lohento, Missé Missé, Alain Kiyindou, Loum Ndiaga, Mamadou N’Diaye. 16 Vous trouverez en annexe notre entretien par mail avec Madame Annie Lenoble-Bart.

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Deuxième partie : L’Afrique dans la société globale de l’information « Le numérique est entrain de créer un homme nouveau dans une civilisation nouvelle, la société de l’information, dans laquelle n’entre pas qui veut comme dans les premiers temps de l’humanité. Cette fois, il faut payer pour utiliser les équipements coûteux et complexes, ou rester isolé (…) Au Nord, on possède à la fois l’équipement et l’argent pour payer l’accès ou, si on ne possède pas l’équipement, le prix à payer pour la location, l’accès et l’utilisation. Au Sud, les exclus. Le Nord et le Sud communiquent de moins en moins, avec le risque de ne plus pouvoir communiquer (…) » Abdoulaye Wade, Président de la République du Sénégal. « Fossé numérique et solidarité numérique » in Le Monde, 7 Mars 2003.

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Deuxième partie : L’Afrique dans la société globale de l’information Chapitre 1 : Du rapport McBride à la société de l’Information

I-

L’information à sens unique et la contestation des pays du Sud

Une analyse sémantique approfondie du concept d’information à sens unique nous révèle que le choix du vocable « Information » à la place de celui de « Communication » n’est peut être pas si innocente et hasardeuse. En effet, La démonstration nous est donnée par Antonio Pasquali (2002), qui, se prononçant sur la distinction entre information et communication, argumente: « Informer connote pour l’essentiel la circulation de messages unidirectionnels, causatifs et ordonnateurs, visant à modifier le comportement d’un récepteur passif, tandis que communiquer fait référence à l’échange de messages bidirectionnels, donc relationnels, dialogiques et socialisants entre des interlocuteurs pourvus d’une même capacité, libre et simultanée, d’émission/réception. Tandis que l’Information tend à dissocier et à hiérarchiser les pôles de la relation, la Communication tend plutôt à les associer ; ainsi seule la Communication peut donner naissance à de véritables structures sociales ». Cette explication illustre bien le flux de circulation verticale de l’information à sens unique caractéristique d’une société hégémonique de l’information telle que celle qui légitimait déjà dans les années 1970 les rapports de dominants sur dominés. Notre raisonnement, peut également s’appuyer sur la théorie de l’Américain Norbert Wiener, qui en développant le concept d’information, à la base de la notion de « société de l’information », constatait que ce concept souffrait déjà d’un tropisme originel qui réside dans le schéma cybernétique même du processus de communication. Lequel processus implique une vision de l’histoire comme représentation linéaire et diffusionniste du progrès : L’innovation et la modernité se diffusent du haut vers le bas, du centre vers les périphéries, de ceux qui savent vers ceux qui sont censés ne pas savoir. Toutes ces constatations, toujours vérifiables aujourd’hui, dans les relations que nous qualifions (par simple référence au contexte historique de la géopolitique de l’époque) de relations Nord-Sud nous renvoient donc à la naissance des débats portant sur les inégalités en matière d’information et de communication, à l’échelle internationale.

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En effet, Annie Chéneau-Loquay remarque que les causes premières de la circulation à sens unique de l’information qui dépouille les Etats du Sud et notamment les pays africains de leurs prérogatives de gestion de leur territoire, seraient: « Le passage à une gouvernance internationale qui favorise la mainmise des multinationales sur les infrastructures et sur les services, la remise en cause d’accords internationaux, et la relative dématérialisation des nouvelles technologies.»17 Les grands groupes de presse ou conglomérats médiatiques multinationaux (chaînes de télévision, radios, journaux, magazines,…) ont ainsi exercé un quasi-monopole en écartant les pays du Sud et en favorisant la circulation de l’information et des produits culturels du Nord vers le Sud. C’est sans doute le constat qui fait dire à Ozan Serdareglu que « les émetteurs du Nord assignent une identité à ‘‘l’autre’’ tandis que pour “les autres” (les pays du Sud), l’enjeu n’est pas de communiquer avec le Nord. »18. Dans ce même ordre d’idées, Herbert Schiller tout en restant radicalement opposé au point de vue des chantres de la modernisation du Tiers-Monde, partage néanmoins avec eux la conviction que les médias sont d’importants agents de l’occidentalisation ou plutôt de l’américanisation du globe.19 Le sentiment de frustration, engendré par ce qu’on pourrait nommer sans exagérer le « diktat médiatique de l’Occident », a amené les pays du Sud par la voix de certains chercheurs et de représentants à l’UNESCO à axer leurs analyses sur ces déséquilibres transfrontaliers en contestant les stratégies de domination inhérentes. C’est d’abord la notion du droit à la communication qui a été publiquement avancée par Jean d’Arcy20 en 1969 au moment même où prend forme à l’Unesco le débat sur les libertés dans le domaine de l’information. Cette notion matrice prône le refus d’une communication depuis l’élite vers les masses, du centre vers la périphérie, des riches en matière de communication vers les pauvres et plaide pour le principe de la différence : sans distinction aucune d’origine nationale, ethnique, de langue, de religion. 17CHENEAU-LOQUAY Annie, Le fossé numérique, l’Internet, facteur de nouvelles inégalités ?, in revue Problèmes politiques et sociaux, n°861, p.34. 18 SERDAREGLU Ozan, « TV5, quand le Nord et le Sud se recentrent en français : on n’habite pas un pays, on habite une langue », pp. 187 et s., in Gilles Boëtsch et Christiane Villain-Gandossi (sous la direction de), Les stéréotypes dans les relations Nord-Sud, Hermès, n° 30, CNRS éditions, 2001. 19 MATTELART Tristan, La mondialisation des médias contre la censure, de Boeck, 2002. 20 JEAN d’ARCY est le pionnier de la télévision française, alors directeur de la division de la radio et des services visuels au Service de l’information de l’ONU à New York.

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La Conférence Générale de l’UNESCO organisée à Nairobi (Au Kenya) en Novembre 1976 a finalement été le lieu de formulation des revendications des pays dominés en faveur d’un « rééquilibrage » de l’information entre le Nord et le Sud. Ces revendications sont regroupées en trois chefs d’accusation : Le silence autour du Tiers-Monde, la déformation dont les informations le concernant font l’objet dans les médias des pays du Nord, enfin la propagande culturelle du Nord en direction du Sud. Dès lors émergea une volonté officielle proclamée aussi bien par les pays du Sud que par les organisations internationales telles que l’UNESCO de libérer l’information de l’ingérence étrangère. Mais l’UNESCO, en libérant l’information de l’ingérence étrangère, ne s’était-elle pas ingérée dans la gestion des politiques publiques nationales d’information et de communication des pays du Sud ? Puisque ses actions sont financées par certains pays industrialisés, l’UNESCO était-elle pour autant redevable envers ces pays en servant éventuellement leurs intérêts ? D’où une autre interrogation sur l’orientation donnée aux décisions de l’UNESCO par rapport à sa neutralité effective dans la régulation de la communication internationale. Les interventions et actions de cette organisation internationale favorisent-elles vraiment le développement de l’information en faveur d’un rééquilibrage des flux de circulation ou ces décisions creusent-elles davantage le fossé entre dominés et dominants. Mais avant toutes ces questions, il est primordial de savoir si l’UNESCO a pour mission de réguler la communication internationale alors que le terme même de communication n’apparaît pas dans son sigle. A ce sujet, Wahid Khadraoui nous apporte la réponse dans son mémoire21 pour l’obtention du Diplôme d’Etudes Approfondies en Sciences de l’information et de la communication. Selon lui, quoique le terme « Communication » ne figure pas comme tel dans le sigle de l’UNESCO, « l’importance de ce domaine d’activité n’a pas moins été reconnue dès la création de l’organisation ». En effet, « aux termes de son Acte constitutif, l’UNESCO est expressément chargé de faciliter la libre circulation des idées par le mot et par l’image et de favoriser la croissance et la compréhension mutuelle des nations en prêtant son concours aux organes d’information des masses. »

21 KHADRAOUI Wahid, Fractures Nord-Sud : Origines et enjeux de la fracture numérique, l’Afrique comme exemple, Grenoble : Institut de la Communication et des Médias, 2003, p.36 (Mémoire de DEA SIC).

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Et en réalité, dans la décennie 70-80, l’UNESCO, avec à sa tête Amadou Mahtar M’Bow, était effectivement très sensible à cette question de rééquilibrage des rapports en matière d’information et de communication entre les pays industrialisés et ceux en développement. C’est

d’ailleurs

l’adoption

systématique

par

les

grands

médias

internationaux

« prescripteurs » des schémas de pensée des pays les plus riches que dénonçait à l’époque Amadou Mahtar M’Bow. A la suite du cri poussé par M’Bow, de nombreuses voix se sont relayées pour se faire l’écho des contestations et revendications des pays dominés. Ainsi en 1978, Hervé Bourges a publié son ouvrage « Décoloniser l’information » dans lequel nous notons le remarquable

travail accompli par Bertrand Cabedoche qui rapporte dans le

quatrième chapitre dudit ouvrage un certain nombre d’entretiens et d’échanges avec des journalistes du Nord et du Sud, lesquels entretiens constatent et critiquent les lacunes et stéréotypes forgées sur l’ethnocentrisme culturel22 de la circulation à sens unique de l’information dans un contexte global de dépendance néocoloniale des dominés vis-à-vis des dominants. En 1978, les analyses critiquaient donc une construction médiatique occidentale de l’étrangéité souvent stéréotypée, réductrice et linéaire.23 Mais le regard rétrospectif que nous apportons à la lecture de ces événements nous permet aujourd’hui avec le recul du temps et en toute objectivité d’appréhender réellement non pas la responsabilité des médias occidentaux déjà tant accablés par les accusations des pays du Sud mais plutôt l’ampleur et la violence de l’affrontement diplomatique qui se déchaîna alors à l’UNESCO. Ce qui coûta d’ailleurs son siège à Amadou Mahtar M’Bow et entraîna le retrait des Etats-Unis de l’Organisation. L’UNESCO a été (peut-être d’ailleurs pour la seule fois de son histoire) tellement engagé dans un combat qui compromettait les intérêts des Etats-Unis au point où le conflit diplomatique généré par la revendication du Nouvel ordre Mondial de l’Information et de la Communication a plongé dans une longue crise l’institution qui se proposait de devenir la « conscience du monde et des organisations internationales ».

22 Pour Michel Lemerle : « Par un véritable ethnocentrisme culturel, les pays riches délaissent trop à travers les médias les problèmes du Tiers-Monde. Ils leur renvoient souvent une image déformée d’eux-mêmes, créant ainsi une sorte d’effet multiplicateur de la dépendance …». 23 BOURGES Hervé, Décoloniser l’information, Paris, Editions CANA, 1978, p.134.

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Nous sommes revenus sur cette partie sombre mais très importante de l’histoire de l’UNESCO car elle pourrait justifier aujourd’hui avec le retour des Etats-Unis au sein de l’organisation d’éventuels motifs d’influence et de pression subies par l’UNESCO et qui détermineraient sa position actuelle plus neutre et donc moins engagée par rapport aux questions de régulation de la communication internationale. A quoi donc auront finalement servi la revendication du NOMIC et le rapport rédigé par la commission internationale d’étude des problèmes de la communication de l’UNESCO, composée de personnalités de renommée internationale, et présidée par Sean Mac Bride ?

II-

Le rapport McBride : « Voix multiples, un seul monde »

« D’où provient massivement l’information ? Qui la produit ? Qui la diffuse ? Les flux Nord-Sud n’écrasent-ils pas les cultures sous-développées, balayant les identités locales ou nationales au profit d’une prise de contrôle du signe par une poignée de puissances disposant des techniques et des moyens financiers ? » Telles sont selon J. Decornoy les questions auxquelles avait tenté de répondre la communauté internationale à travers le rapport Sean McBride, rapport intérimaire sur les problèmes de la communication dans la société moderne. Ce rapport a été finalement adopté à Belgrade le 25 Octobre 1980. Notre but ici n’est évidemment pas de revenir sur le contenu détaillé des quatre-vingts recommandations de ce rapport. Ce serait comme le dirait Armand Mattelart « faire une exégèse de plus du rapport McBride en tombant dans le panneau que dénoncent les historiens : les manies de la commémoration ». En effet, les trois dernières décennies nous laissent constater que les technologies ont sensiblement évolué et leur diffusion s’est un peu accélérée quoique le bilan reste mitigé d’un pays à l’autre, et en considérant parfois un même hémisphère géographique (Nord-Sud). Nonobstant l’inconstance géographique du nouvel ordre économique qui selon certains déterminerait l’ordre mondial de l’information et de la communication, il ne serait pas superflu d’analyser les directions principales qui ont orienté le rapport McBride afin de comprendre aujourd’hui si ce rapport était voué à l’échec à travers la nature de ses ambitions peut être trop idéalistes et ayant fait du NOMIC un projet mort-né.

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A un premier niveau d’analyse, nous nous arrêtons sur le constat que ce rapport publié sous le titre « voix multiples un seul monde », a résumé les différents concepts de la théorie de l’information, qui s’avère encore aujourd’hui d’actualité. En effet les rapporteurs, nous semble-t-il, se sont inspirés du modèle psychosociologique d’Harold Lasswell à qui l’on doit le découpage, avec précision, des différents éléments constitutifs de l’information. Selon ce théoricien, on ne peut décrire « convenablement une action de communication » que si l’on répond aux questions suivantes: qui dit quoi, par quel canal, à qui, et avec quel effet ? La description des émetteurs, l’analyse du contenu des messages, l’étude des canaux de transmission, l’identification des audiences et l’évaluation des effets : tels sont les principaux pôles autours desquels, doivent s’ordonner les études en communication. Et ces principaux pôles de recherche sont identiques aux questionnements de la communauté internationale tels que nous les avions formulés au début de cette section : « D’où provient massivement l’information ? Qui la produit ? Qui la diffuse ?... ». Cependant, il existe une autre approche inspirée des sciences politiques : C’est l’approche « institutionnelle » sur laquelle Francis Balle établit un postulat en forme de double inégalité (document CIC n°40/1979). La communication, c’est plus que les seules techniques baptisées médias, mais c’est moins que la totalité des échanges sociaux. Cette double inégalité invite d’une part le chercheur à mettre en lumière les multiples relations d’influences, de complémentarités, d’exclusions, ou de substitutions réciproques entre les différents modes de l’échange social. D’autre part, elle attire l’attention du chercheur sur les différents modes de la communication sociale; la communication interpersonnelle, la communication institutionnelle (entre les organisations, entre les gouvernants et les gouvernés, etc.) et la communication par les médias. Cette approche était sans doute la plus voisine de «l’approche globale», adoptée par les auteurs du rapport de l’UNESCO précité, puisqu’elle a été leur cadre de référence en traitant le concept du Nouvel Ordre Mondial de l’Information. Le contenu même du rapport McBride met d’abord l’accent sur : « l’élaboration de politiques nationales de la communication » incluant pour les pays en développement des stratégies de développement de la radiodiffusion, des capacités de production des programmes, des télécommunications et réseaux de téléphone, sans oublier le développement d’agences de presses nationales, et la production nationale de livres.

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Ensuite, les membres de la commission McBride ont fait ressortir les implications sociales de la communication et les tâches nouvelles à assigner aux médias en tenant compte des mécanismes nationaux d’intégration et de réappropriation des TIC dans les secteurs les plus défavorisés et ceci sans tomber dans le piège de l’acculturation. (‘‘Préservation de l’identité culturelle en éliminant les situations de dépendance mais en favorisant en même temps l’établissement de relations avec d’autres cultures…’’). Enfin, les normes devant réguler les pratiques de collecte de nouvelles et d’opinion n’ont pas été omises par la Commission qui a insisté sur les mesures à prendre par chaque pays afin de gérer ses correspondants étrangers. Le rapport « Voix multiples, un seul monde » fait sauter des verrous mais les nombreuses controverses et interprétations ayant résulté de sa compréhension par les différentes forces en présence ont rendu les négociations difficiles au point où l’Assemblée générale de l’UNESCO réunie à Belgrade en 1980 n’a pas pu approuver le rapport, et s’est contentée d’en prendre acte. En réalité, la revendication du NOMIC signifiait entre autres une élimination des déséquilibres et inégalités en communication, une élimination des effets négatifs des monopoles publics ou privés excessifs, la suppression des obstacles internes et externes qui s’opposent à une circulation libre et une diffusion plus large et mieux équilibrée de l’information. Malheureusement au carrefour des thèses défendues, on note de nombreuses contradictions entre les socialistes (soutenant la décolonisation complète de l’information), les occidentaux (dénonçant l’hypocrisie de la démocratisation vue comme une libération par rapport aux puissances étrangères), et les modérés (soucieux de la sauvegarde de leur indépendance culturelle). Le rapport McBride ne fait donc pas l’unanimité et l’UNESCO dans une posture de juge et arbitre n’est pas arrivé à dépasser les controverses pour rééquilibrer le débat autour d’un consensus qui arrangerait tout le monde. Malgré son caractère universel, global et multidimensionnel basé aussi bien sur la dimension sociale que le développement de la communication au nom du principe de la liberté de l’information, le rapport McBride a fini par accoucher d’un NOMIC mort-né et l’UNESCO

impuissant sombra dans un coma aussi bien structurel qu’administratif et

financier. 32

C’était pourtant prévisible et cet échec était certainement inévitable dans la mesure où ceux à qui profitaient le système de circulation unilatérale de l’information (en occurrence les Etats-Unis) contrôlaient bien le phénomène qui était organisé en faveur du centre du système depuis très longtemps. La grande puissance ne saurait concevoir, de renoncer à sa suprématie et de céder aux organisations internationales la promotion à une échelle mondiale de ce secteur stratégique. Dans son ouvrage « The Amazing Race » paru à New York à la fin de l’année 1983, William Davidson n’a d’ailleurs pas hésité à affirmer, que les Etats-Unis d’Amérique avaient décidé de quitter l’UNESCO précisément parce qu’elle favorise l’instauration du NOMIC. Le retour des Etats-Unis ne confirmerait-il pas alors l’hypothèse selon laquelle l’UNESCO aurait été contraint de revoir ses politiques de développement de la communication dans un sens qui favorise à nouveau les intérêts des Etats-Unis et ceci après avoir subi des pressions et des restrictions budgétaires des bailleurs de fonds américains? Il est en tout cas certain qu’avec l’échec de l’instauration du NOMIC, les rapports Nord-Sud vont d’abord se crisper, puis retrouveront de nouveaux centres d’intérêts grâce aux enjeux économiques suscités par les prouesses techniques irréfrénables des années 80-90 (émergence des débats sur les TIC).

III-

Conséquences de l’échec du NOMIC

La conclusion du rapport McBride et l’échec du NOMIC feront naître le thème de la dépendance culturelle avec Salinas et Paldan : L’analyse du contenu n’est pas importante, mais c’est l’analyse du processus de production de ce contenu qui compte. Ensuite, l’UNESCO a décidé d’éradiquer de son langage administratif, jusqu’au sigle de NOMIC. Ce tabou a paralysé dans l’institution la possibilité d’un retour critique sur le passé et ses contradictions. Finalement, le nouvel ordre mondial de l’information et de la communication a été enterré par l’agence des Nations unies, à la fin des années 80, avec la promotion d’une «nouvelle stratégie de communication» visant à promouvoir une large diffusion de l’information. C’est en effet au milieu des divergences sur le rapport McBride que l’UNESCO a organisé la réunion de la conférence Intergouvernementale pour le Développement de la Communication (DEVCOM). L’un des premiers succès du dialogue Nord-Sud qui a permis à A. M. M’Bow de quitter la tête de l’UNESCO par la grande porte, et sur une lueur d’espoir

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est bien l’adoption par consensus de la résolution 4/21 décidant « d’instituer, dans le cadre de l’UNESCO, un Programme International pour le Développement de la Communication ». Nous reviendrons plus loin sur le bilan dont pourrait se targuer aujourd’hui ce programme notamment en Afrique après 27 ans de coopération internationale pour atteindre les objectifs fixés depuis 1980. Le NOMIC a bien vite été oublié et ceci compte tenu des changements qui se sont opérés dans la décennie 80-90 sur la nature des discours et des débats. Masmoudi Mustapha, qui était l’un des membres de la commission internationale McBride sur la communication écrivait dans son ouvrage24 complémentaire au rapport que : « La commission a mis en évidence les liens qui existent entre le NOEI25 et le NOMIC, ce dernier étant le corollaire et une partie intégrante du premier. Entre les deux, il existe une relation cohérente qui tient au fait que l’information est devenue désormais une ressource économique fondamentale, qui assume une fonction sociale essentielle, mais qui est aujourd’hui inégalement répartie et mal utilisée. »

Armand Mattelart évoque également ce passage à un nouvel impératif industriel et économique lors d’un entretien réalisé par Antonia García C. pour la revue Cultures & Conflits (C&C) sur le thème « Société de la connaissance, société de l’information, société de contrôle ». Il confie à cet effet que : « Au niveau de la politique internationale, les débats ont également changé de nature et se sont déplacés sur un terrain purement économique et technique. Jusqu’au milieu des années 80, les débats sur l'avenir des communications avaient encore lieu au sein de l’UNESCO, en présence de nombreux représentants des pays émergents et en développement. Aujourd’hui, les décisions les plus importantes en matière d'information et de communication sont prises au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), de la Conférence pour le commerce et le développement (UNCTAD), de l’Organisation pour la Coopération et le Développement Economique (OCDE), de l’Union Internationale des télécommunications (UIT) ou de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Dans ces instances, les pays pauvres et en développement sont soit peu représentés, soit soumis à de fortes pressions et menaces de rétorsions. Leur participation aux débats est donc faible. ». Le même constat n’a pas non plus échappé à Jean-François Têtu qui , lors du 24 MASMOUDI Mustapha, Voie libre pour monde multiple, Paris, Economica, 1986. L’auteur décrit ici l’évolution et les objectifs du NOMIC de même que ses dimension technique, économique, sociale et culturelle. 25 NOEI : Nouvel Ordre Economique International.

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Premier colloque franco-mexicain – Mexico du 8 au 10 avril 2002 : Identité, culture et Communication, intervint en ces termes : « Si l’UIT a franchi le cap de deux guerres mondiales, la montée et les désordres des totalitarismes, on voit bien, dans le combat entre les organismes de "régulation" actuels et les tentations d'hégémonie de la part de quelques acteurs économiques majeurs, que l'enjeu n'est plus celui de la maîtrise idéologique dans un territoire (ce qui serait une question de combat culturel), mais celui de la domination des marchés. » Les enjeux que sous-entend ce phénomène sont certes nombreux et les acteurs concernés par l’actuelle mutation sociale et économique se manifestent désormais tant au niveau local qu’international. Les Nations Unies, conscientes de son ampleur et l’ONU se rendant compte depuis quelques années du besoin d’une approche multipartite sur ces questions, a créé un groupe d’étude sur les TIC («UN ICT Task Force ») ayant pour vocation de réaliser un travail de coopération entre les différents acteurs. Il faudrait tout de même remarquer qu’en dehors des déplacements des lieux des débats et de la nature des débats, les acteurs qui animent les débats restent pratiquement les mêmes. Rien n’aurait donc véritablement changé en 27 ans, puisque la communauté internationale est toujours à la recherche d’un ordre dans un contexte de mondialisation et de globalisation qui suggérerait ici l’idée de désordre. C’est à croire que nous en sommes encore à ce que Sylvain Bemba (Congo) préconisait dans les années 1978 : ‘‘assainir la conjoncture économique mondiale’’ et sa phrase, « le bout du tunnel n’est pas pour demain », semble toujours être d’actualité.Des bouleversements géopolitiques sont cependant pointés dans le rapport mondial sur la communication en 1997. L’UNESCO

y affirme que si les

bouleversements géopolitiques ont modifié les relations entre pays du Nord, « au Sud de nombreux pays passent d’un Tiers Monde uniforme et pauvre à un Sud plus différencié ». En effet, l’UNESCO défend ici l’idée selon laquelle la traditionnelle distinction entre pays industrialisés et pays en développement apparaît de plus en plus nuancée. Si de nombreux pays tant qu’en Asie, qu’en Amérique Latine ou en Europe centrale et orientale réussissent des percées économiques, l’UNESCO précise que ces nouvelles opportunités de croissance ne peuvent masquer les inégalités économiques majeures tant entre les pays industrialisés et ceux en développement, qu’à l’intérieur même des pays qui bénéficient de cette croissance. C’est pourquoi notre échelle d’analyse Nord-Sud ne saurait nous élever à hauteur d’une quelconque prise de position radicale d’appréhension des rapports géographiques dominésdominants, mais reste une simple référence historique au contexte des débats sur les inégalités. 35

Aujourd’hui, nous notons tout comme l’UNESCO une certaine évolution de l’échiquier géopolitique qui nous oblige à faire évoluer aussi certains fondements de nos réflexions. C’est ainsi qu’en dépassant les stéréotypes, nous aborderons la question de la fracture numérique et celle de la solidarité numérique dans un contexte d’interdépendance inégale26.

Chapitre 2 : La facture des fractures I-

Fracture numérique et sous-développement en Afrique La problématique des inégalités, notamment entre pays du nord et pays du sud, est

revenue sur le devant de la scène avec l’organisation du SMSI. Toutefois, le contexte a bien changé et n’est plus le même que celui des années 80 que nous avons analysé dans le chapitre précédent. De la chute du mur de Berlin au nouvel ordre mondial prôné par la Maison Blanche, en passant par le développement d’un nouveau capitalisme financier et par la croissance de l’internet auprès d’une vaste population dans les pays les plus riches, le développement de la société de l’information n’arrive pas à être évoqué sans la notion de la fracture numérique telle la bonne senteur d’une rose et la douleur provoquée au toucher par ses épines. Car en effet, les discours sur la société de l’information sont mirobolants et insistent sur le développement de cette société en tant que panacée aux problèmes de sousdéveloppement des pays africains à un point où nous ne pouvons plus nous empêcher de nous demander : Quels liens pourrait-on véritablement établir entre développement et fracture numérique ? Nous tenterons de répondre à cette interrogation en décortiquant le concept d’imaginaire social de la technique, lequel concept renforce les discours favorables à l’installation des TIC en Afrique. Et dans un second temps, il s’agira pour nous de confronter ces belles promesses et théories de développement basées sur les TIC par rapport au vécu même de la fracture en Afrique.

26 Pour Bertrand Cabedoche, « Le concept d’interdépendance inégale avait fini par concurrencer celui de dépendance, trop systématiquement associé à l’externalité et à la domination. Celle-ci existait, mais les minorités n’étaient dépourvues de capacité à révéler leurs particularités et leurs résistances à certains moments. » Cabedoche Bertrand, « Confondre les Représentations stéréotypés de l’Afrique dans les médias transnationaux ? Une démarche épistémologiquement problématique », Colloque ‘‘Globalisation, Communication et Cultures’’, Centre des Nations Unies. Intervention au sein de la délégation des Nations-Unies à Brazzaville, le 17 Avril 2007. p.4.

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A- Fracture numérique et Développement : Quels liens ? La volonté affichée par les pays non-alignés de mettre en place des systèmes d’information capables de participer à l’édification nationale au lendemain des indépendances a été vite étouffée car ces pays manquaient de ressources matérielles et de personnes qualifiées pour utiliser les nouveaux moyens d’information à de véritables fins de développement socio-économique. On voit bien donc que l’association de la technologie au développement n’est pas un phénomène récent dans la mesure où chaque innovation technologique, liée au secteur de l’information et de la communication était présentée depuis les années 60 comme une solution pour que les pays pauvres amorcent le développement. Selon Yvonne Mignot-Lefebvre : « la décolonisation ouvrait pour beaucoup de pays nouvellement indépendants, la perspective d’un développement autonome. Mais des objectifs prioritaires s’imposèrent quel que fut le choix idéologique : décoller économiquement afin de rattraper le plus vite possible les pays riches. La croyance occidentale selon laquelle la technologie permet de résoudre bon nombre de problèmes et de brûler les étapes était alors bien partagée. Les télévisions éducatives sont une illustration caractéristique de cette croyance car elles se situaient dans un secteur résolument de pointe, celui de l’information et de la communication et s’appliquaient au champ de l’éducation de base qui était la préoccupation première des responsables de cette période. Celles-ci furent l’objet, au moins en leur début, d’un engouement extraordinaire de la part tout à la fois des promoteurs, des financiers et des bénéficiaires.» 27 Les bénéficiaires au rang desquels on compte les pays africains sont justement restés pendant longtemps des récepteurs passifs rêvant à un développement miraculeux fondé sur l’imaginaire social des mythes de la technique. Lewis Munford28 affirmait à juste titre : « Mettre en mouvement les grandes masses, les arracher de la vie normale, les projeter de l’histoire immobile vers une histoire accélérée ne peut s’effectuer sans la production de grands rêves sociaux mobilisateurs et des symboles qui les incarnent, (…) ni les idées, ni les rêves ne font les révolutions mais, comment pourraient-elles se faire sans les rêves qu’elles secrètent.» Patrice Flichy confirme également que l’imaginaire social permet à une société de construire une identité à travers l’expression de ses attentes par rapport au futur et une société sans imaginaire serait une société morte. 27 MIGNOT-LEFEBVRE Yvonne, « Technologies de communication et d’information. Une nouvelle donne internationale ? », dans Revue Tiers Monde, t. XXXV, n°138, avril-juin 1994, p.248. 28 MUNFORD Lewis, Du mythe de la machine, t. II, Fayard, Paris, 1974, p. 265-309, in, Patrice Flichy, L’innovation technique : récents développements en sciences sociales. Vers une théorie de l’innovation, La Découverte, Paris, 2003, p. 188.

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C’est de cet imaginaire social que se nourrissent les pays du Sud et notamment les pays africains ainsi que leurs dirigeants qui sont très ouverts et favorables à tous les discours d’installation et de promotion des TIC en Afrique

puisque comme le rappelle Annie

Chéneau-Loquay 29 , les réseaux de communications corrects et la connectivité à Internet sont souvent proclamés par les grands organismes de l’ONU, ou de coopération régionale comme des leviers indispensables au développement de l’Afrique. L’UNESCO aussi défend cette vision selon laquelle les TIC symbolisent une nouvelle civilisation basée sur l’information et le savoir en même temps qu’une nouvelle phase de développement économique, social et culturel. Erkki Liikanen, Commissaire européen chargé des Entreprises et de la Société de l’information, insiste à son tour sur la nécessité de ne pas isoler les TIC et de plutôt « les intégrer à une politique globale de développement et au dialogue stratégique avec les pays bénéficiaires. Telle est en effet la seule manière de profiter des avantages qu’offrent les nouvelles technologies dans tous les domaines de la vie en société. » Dans un article sur « Les modèles d’intégration des pays du Sud dans la « société de l’information : entre assistanat, insertion et intégration», Alain Kiyindou précise que : « la tendance consiste à faire croire que les nouvelles technologies sont obligatoires pour le développement, que grâce à elles, le retard accumulé pourrait être rattrapé et tous les manques comblés. Le rapport du PNUD sur le développement humain, la déclaration de principes du SMSI, le rapport e-inclusion de la Commission de la Communauté Européenne en sont des exemples frappants. On retrouve dans la plupart de ces discours, l’argument du leapfrogging en ce sens que la diffusion des NTIC permettrait d’accélérer le processus de développement des pays “ en retard ” et comblerait ainsi la fracture du développement.» De nombreux projets de coopération technique dirigés par des organismes internationaux ont ainsi vu le jour et visaient à favoriser le développement économique des pays du Sud à travers l’introduction et la diffusion sur leurs territoires de technologies qui étaient considérées comme ‘‘nouvelles’’ à l’époque. C’est justement dans ce contexte de la forte influence exercée par le paradigme de la modernisation sur les théories de développement de ces années qu’il faut mesurer l’importance acquise par les technologies de la communication par rapport aux pratiques de coopération et de solidarité internationale. 29 CHENEAU-LOQUAY Annie (Coord.), Quelle insertion de l’Afrique dans les réseaux mondiaux ? Une approche géographique, in, Enjeux des technologies de la communication en Afrique : du téléphone à Internet, Paris, Karthala, 2000, pp. 23-61, p.42-43.

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Le processus de développement par étapes (du simple au complexe, du traditionnel au moderne), tel qu’il est démontré par Armand Mattelart, place la communication et ses technologies en avant-poste dans la théorie de la modernisation. Ceci se justifie d’abord par l’importance de l’amélioration des infrastructures de télécommunication d’une nation dans le processus de développement de son système d’échanges commerciaux. Ensuite, il faut reconnaître que les moyens de communication sont perçus comme des agents de développement dans la perspective évolutionniste d’un passage linéaire de la société traditionnelle à la société moderne. Ils sont assimilés à des producteurs de comportements modernes susceptibles de remplacer les habitudes productives et de consommations liées à la tradition. C’est sans doute pour cette raison que la thèse modernisatrice s’accompagne de la théorie diffusionniste de l’innovation technologique. Mais ces théories qui servent parfois de pilier idéologique aux stratégies adoptées par les institutions internationales pour éradiquer au nom de la solidarité la misère et le sousdéveloppement des pays africains, constituent une vision déterministe et peut-être trop idéaliste de la fracture numérique. Continuer à croire aujourd’hui que grâce aux TIC, on pourrait “ brûler les étapes du développement ”, et lutter plus efficacement contre la pauvreté est une utopie techniciste de plus. Aux peuples sous-équipés du Sud, on fait miroiter l’ordinateur pour tous, outil miracle pour passer du sous-développement au développement, sans même se préoccuper de l’adéquation entre technologie et contexte d’utilisation. D’où la question qui est souvent posée par les chercheurs en SIC et qui révèle une certaine illusion de la relation de cause à effet : « Sont-ce les ordinateurs qui créent la richesse ou est-ce la richesse qui permet de s'équiper en ordinateurs ?». On ne saurait, en effet, apporter une réponse rapide et tranchée à cette question sans tomber dans un déterminisme technologique teinté de subjectivisme car la question en elle-même sous-entend un rapport direct entre l’accès à la technologie et les possibilités de développement. Or quand la notion de « fracture numérique » est couplée avec le déterminisme technique, elle apparaît plus comme un concept idéologique ou politique que scientifique. Mais puisque notre démarche s’inscrit dans un cadre scientifique, nous dirons que cette question pose la complexité de la fracture numérique face à la relation qui peut exister entre l’incorporation des TIC dans les dynamiques sociales et la transformation sociale qu’elle implique. L’objectivité à laquelle nous prétendons ne saurait être remise en cause si nous concédons à Kemly Camacho que la fracture numérique résulte des fractures sociales produites par les inégalités sur les plans économique, politique, social, culturel, entre les hommes et les femmes, les générations, les zones géographiques, etc.

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Cependant, à en croire Pierre Jalee30 « C’est le caractère asymétrique, des relations d’interdépendance entre le centre et la périphérie qui garantit la pérennité du capitalisme, en même temps qu’il entraîne le développement du sous-développement ». Mattelart Armand et Erik Neveu constateront eux aussi que « La mondialisation des économies constitue un processus de domination qui continue à se produire ». C’est donc à bon droit que l’on peut s’inquiéter de l’envahissement de la « société de l’information » par les acteurs privés et les multinationales qui la métamorphosent en un centre commercial international ou en argument de vente pour ordinateurs familiaux, réduisant ainsi les pays dits arriérés à un marché de plus à conquérir. De plus, c’est un excellent marketing pour les grandes entreprises des télécommunications et de production et commercialisation de matériel informatique que de réduire la fracture numérique à la simple fracture technologique. Et c’est ce qui ressort souvent des discours de l’UNESCO qui considèrent le développement des infrastructures comme le principal moyen de remédier à cette fracture technologique. L’observation des réalités du terrain par le vécu de la fracture met d’ailleurs vite en exergue le caractère stérile de ces discours.

B- Le vécu de la fracture en Afrique Afin de bien appréhender les réalités de la fracture numérique en Afrique, une définition préalable du concept même de la fracture numérique s’impose. Pour ce faire, nous nous référons à la définition donnée par Elie Michel : « D’une manière générale, le fossé numérique peut être défini comme une inégalité face aux possibilités d’accéder et de contribuer à l’information, à la connaissance et aux réseaux, ainsi que de bénéficier des capacités majeures de développement offertes par les TIC. Ces éléments sont quelques-uns des plus visibles du fossé numérique, qui se traduit en réalité par une combinaison de facteurs socio-économiques plus vastes, en particulier l’insuffisance des infrastructures, le coût élevé de l’accès, le manque de création locale de contenus et la capacité inégale de tirer parti, aux niveaux économiques et sociaux, d’activités à forte intensité d’information. »31

30 JALEE Pierre, Le pillage du Tiers Monde, Maspero, 1975. 31 MICHEL Elie, « Le fossé numérique. L’Internet, facteur de nouvelles inégalités ? », in Problèmes politiques et sociaux, la Documentation française, n°861, août 2001, p.32.

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D’après cette définition, la fracture numérique ne représenterait donc qu'une toute petite partie de l'ensemble des inégalités de développement. Ces inégalités caractéristiques du "mal développement" des pays africains se mesurent par l'usage et l’accès aux TIC comme les téléphones portables, l’ordinateur ou le réseau Internet.

Si l’on considère avec Manuel

Castells32 que l’une des conditions nécessaires à l’intégration des Technologies de l'Information et de la Communication c’est l’équité, c'est-à-dire le fait de donner les mêmes chances aux populations rurales et urbaines, aux alphabètes et aux analphabètes, aux femmes et aux hommes, aux populations du Sud et du Nord…, « on est appelé, tout en s’intéressant à la réduction de la fracture numérique, à mener en parallèle une réflexion sur les causes de ces inégalités qui, de l’avis de nombreux experts, dépassent le cadre strictement technologique. » Ainsi critique-t-on le concept de «fracture numérique» en questionnant le discours dominant qui fait des technologies l'unique instrument du bien-être collectif de demain. Le rapport mondial sur le développement humain de 2002 souligne par exemple que malgré la diffusion des TIC en Afrique depuis une décennie, le revenu des 5% de personnes les plus riches au monde reste 114 fois supérieur à celui des 5 % les plus pauvres. Ce rapport ajoute qu’au cours des années 90, le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté en Afrique subsaharienne est passé de 242 à 300 millions confirmant ainsi que la part du commerce extérieur dans le PNB de ces pays n’a cessé de diminuer et reste même largement inférieur à son niveau d’il y a 20 ans. Une régression qui s’accompagne logiquement de la baisse de l’espérance de vie sur un continent dont la population rurale est toujours en recherche d’eau potable, d’électricité et n’a pas fini de relever le défi de l’alphabétisation et de l’éducation. James Steinberg, de la Brookings Institution de Washington, n’aurait-il donc pas raison quand il pense que l'efficacité des TIC comme levier de développement dépend des facteurs qui se trouvent très souvent «en amont», comme les «ressources cognitives» et le degré d'alphabétisation. Et sa pensée est renchérie par celle du commissaire européen chargé des entreprises et de la société de l'information, Erkki Liikanen : «L'accès aux TIC, notait-il, est tributaire de la nature de l'infrastructure d'information et de communication, de l'état de développement des systèmes économiques et juridiques et des capacités éducatives et formatives.»33

32 CASTELLS Manuel, La galaxie Internet, Fayard, 2001. 33 «TIC et développement : combler la fracture numérique», Le Courrier ACP-UE, mai-juin 2002, p.37.

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Ce serait aller trop vite en besogne que de conclure à partir de ces constats et analyses que les TIC ne servent qu’à creuser le fossé des clivages socio-territoriaux en donnant plus d’envergure à l’aspect horizontal de la fracture (entre régions d’un même pays, ou entre différents pays sur le même continent africain). Néanmoins, nous pouvons nous permettre d’affirmer sur la base de ces réalités sociales, ou du moins sur la base de ces réalités statistiques, que ces technologies ne sont ni une réelle priorité, ni comme le prétendraient les discours tenus par les organisations internationales le facteur principal d’amélioration du bien être humain. Encore faudrait-il vérifier si ces réalités statistiques traduisent réellement le vécu de la fracture numérique. C’est une autre manière de se poser la question de savoir si la fracture statistique34 reflète réellement la fracture numérique ou si elle n’est pas plutôt inscrite dans une tendance technicienne et marchande. Cette dernière hypothèse apparaît plus plausible puisque les mesures standardisées du progrès vers la société de l’information par des indices statistiques quantitatifs élaborés par les grandes organisations internationales du néolibéralisme se concentrent sur des indications sur l’infrastructure (« l’Indice d’accès numérique ou IAN » de l’UIT et le «network readiness of economies» de la Banque mondiale). Ces indications légitiment la volonté de certaines multinationales à équiper la planète en matériel informatique et en outils de télécommunication. Or, une autre réalité que nous ne devons pas perdre de face est bien celle de la rapide obsolescence des TIC qui place les pays du Sud dans une perspective de course sans fin, toujours en retard. Même si leur connectivité s'améliore dans l'absolu, l'écart technologique perdure. En définitive, « la techno-utopie d’une modernité dépourvue d’un projet de société a balayé le rêve émancipateur d’un projet de modernité fondé sur le désir d’en finir avec les inégalités et les injustices. Les maîtres du monde incitent d’ailleurs ouvertement à croire que cet idéal est révolu. En lieu et place d’un véritable projet social, le déterminisme technomarchand qui institue la communication sans fin en héritière du progrès sans fin.

La

performance des systèmes de transmission numérique s’est trouvée propulsée en paramètre de l’évolution de la grande famille humaine vers l’ultime phase de son histoire. Le marché comme la technique se muent en forces de la nature. Telle est en tout cas la représentation dominante des TIC au seuil du troisième millénaire » 35. Et cette représentation se traduit bien dans les réflexions ressortant des deux phases du SMSI de Genève (2003) et de Tunis (2005). 34 Dr KSIBI Ahmed, De la fracture numérique en Afrique à la fracture statistique, 71th IFLA General Conference and Council, Du 14 au 18 Août 2005, Oslo, Norvège. 35 MATTELART Armand, Vers quel nouvel ordre mondial de l’information ?, p.273, in L’idiot du village mondial Michel Sauquet (sous la dir.), Editions Charles Léopold Mayer, 2004.

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II-

Bilan sommaire et critique du SMSI : de Genève à Tunis

Le terme « société de l’information » a été formalisé la première fois en 1998 lors de l’Assemblée plénipotentiaire de l’UIT. C’est aussi dans la même année que l’ONU approuve le projet d’organiser un Sommet mondial sur la société de l’information dont l’objectif serait de : « Faciliter effectivement le développement de la société de l’information et contribuer à réduire la fracture numérique ». Mais avant la tenue effective du Sommet, il y a d’abord eu en 2000, l’organisation du Forum économique mondial de Davos qui a lancé la Global Digital Divide Initiative, regroupant des gouvernements, des ONG et surtout de grandes entreprises comme AOL Time Warner et Microsoft, dans le but de «transformer le fossé numérique en une opportunité pour la croissance ». Le G8 est ensuite entré en scène avec la publication de la Charte d'Okinawa sur la société globale de l'information et la mise sur pied de la Digital Opportunity Task Force (Dot Force). En décembre 2001, la Commission européenne a, de son côté, adopté un projet destiné, selon les mots du commissaire au développement Poul Nielson, à «mettre les TIC au service des pauvres de la planète ».Ces stratégies axées sur le développement s'accompagnent le plus souvent de mesures de privatisation et de libéralisation qui sont présentées par leurs promoteurs comme une condition essentielle de la baisse des coûts de connexion et qui sont dénoncées par d'autres comme une aggravation de la dépendance et des inégalités. Le sommet réussira-t-il à unifier ces points de vue divergents par rapport aux enjeux ‘‘techno-marchands’’ du couplage de l’informatique avec les télécommunications pour le tant prôné « accès universel à une multitude d’informations en temps voulu » ? Pour Koffi Anan, « cette réunion planétaire est un moyen unique pour développer une vision commune quant aux moyens de surmonter le fossé numérique.»

36

Même son de cloche chez Yoshio Utsumi, Directeur de l'UIT : « le Sommet doit aboutir à une vision commune entre les chefs d'Etats, le secteur privé et la communauté des organisations non-gouvernementales quant à la façon d'aboutir à un développement durable grâce aux technologies de l'information et de la communication». La préparation du Sommet a regroupé trois conférences préparatoires intergouvernementales (Prepcoms), ainsi que quatre conférences régionales (Afrique; Europe, Etats-Unis et Canada; Asie et Amérique latine). A ces réunions officielles, il faut ajouter une longue liste de manifestations et de rencontres organisées notamment par l'UNESCO qui a toujours joué un rôle déterminant ces dernières années pour promouvoir la liberté d'expression et la libre circulation de l'information. 36 Brochure d'information du SMSI, éditée par le Secrétariat exécutif du Sommet, Genève, juin 2002.

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A- Déclaration de principes et plan d’action de Genève La première phase du SMSI s’est tenue à Genève du 10 au 12 décembre et a eu pour but d'adopter une déclaration de principes et un plan d'action. Nous n’avons nullement l’intention de reprendre ici tous les principes de base énoncés à Genève et sur lesquels repose la construction de la société de l’information. Notre démarche consistera plutôt à faire une analyse de discours en nous attardant particulièrement sur quelques principes qui, malgré leur prétendu caractère d’universalité, pourraient en réalité faire plus d’exclus que d’inclus dans ladite société de l’information. Pour planter le décor, le premier principe s’énonce en tant qu’une conception commune de la société de l’information : « Nous, représentants des peuples du monde, réunis à Genève du 10 au 12 décembre 2003 pour la première phase du Sommet mondial sur la société de l'information, proclamons notre volonté et notre détermination communes d'édifier une société de l’information à dimension humaine, inclusive et privilégiant le développement, une société de l'information, dans laquelle chacun ait la possibilité de créer, d'obtenir, d'utiliser et de partager l'information et le savoir et dans laquelle les individus, les communautés et les peuples puissent ainsi mettre en œuvre toutes leurs potentialités en favorisant leur développement durable et en améliorant leur qualité de vie, conformément aux buts et aux principes de la Charte des Nations Unies ainsi qu'en respectant pleinement et en mettant en œuvre la Déclaration universelle des droits de l'homme. » Des représentants des peuples du monde qui proclament subitement leur volonté commune d’édifier une société de l’information : n’est-ce pas là le retour vers une pensée holiste confondant l’humanité à la société des « Nous » ? L'enjeu « consiste pour nous à tirer parti des possibilités qu’offrent les technologies de l'information et de la communication (TIC) en faveur des objectifs de développement énoncés dans la Déclaration du Millénaire, à savoir éliminer l'extrême pauvreté et la faim, dispenser à tous un enseignement primaire , favoriser l'égalité entre hommes et femmes et rendre les femmes autonomes, lutter contre la mortalité infantile, améliorer la santé des mères, lutter contre le VIH/sida, le paludisme et d'autres maladies, assurer un environnement durable et élaborer des partenariats mondiaux pour parvenir à un développement propice à l'instauration d'un monde plus pacifique, plus juste et plus prospère. (…) ». Il importe de savoir à ce niveau-ci à qui renvoie le pronom « nous » utilisé au début de la déclaration (« l’enjeu consiste pour nous …»). Qui doit tirer parti des possibilités qu’offrent les TIC ? La logique sociale et le contexte de la coopération internationale dans lequel cette déclaration a été faite voudraient que ce soit les pays africains et de façon générale les pays pauvres endettés, analphabètes… 44

Mais dans le schéma de la politique économique globale, c’est d’abord les autoproclamés « maîtres du monde », les grandes multinationales et entreprises privées américaines de fabrication d’équipements informatiques et de télécommunications qui sont les premiers véritables profiteurs de cette situation. Le malheur des dominés pouvant faire le bonheur des dominants, il apparaît qu’aussi longtemps que les pays du Sud resteraient dans leur état de nécessiteux envers les TIC pour amorcer le développement, autant perdureront ces discours fortement imprégnés de déterminisme technologique et dont les intérêts mercantiles sont camouflés par l’intention affichée et la compassion sur-médiatisée d’aide ou de coopération : « Nous sommes résolus à donner aux pauvres, tout particulièrement à ceux qui vivent dans des zones isolées ou rurales et dans des zones urbaines marginalisées, les moyens de devenir autonomes, d'accéder à l'information et d'utiliser les TIC comme outil dans les efforts qu'ils déploient pour s'arracher à la pauvreté. » C’est comme si à la face du monde, on mettait en scène des victimes qu’on vient sauver d’une incendie alors que les auteurs de cette incendie ne sont rien d’autre que les pompiers37 jouant aux sauveurs et profitant les premiers de la situation. Ils en profitent les premiers non pas parce qu’ils ont droit à des honneurs et des médailles après leur acte de bravoure et de sauvetage, mais surtout parce qu’ils en tirent des primes et des avantages financiers importants pendant que les rescapés (ignorants et « idiots du village planétaire ») se contentent de la satisfaction illusoire d’avoir été sauvés. Il va sans dire que les pompiers ici sont les Etats-Unis et leurs vassaux tandis que les victimes sont concentrées dans les 2/3 restants de la population mondiale. Les TIC représentent dans cette métaphore l’eau abondamment déversée pour éteindre le feu, qui, symbolise quant à lui le sous-développement et la misère. Un autre principe atténue cette vision idéalisée des TIC et de la société « salvatrice » de l’information telle que décrite dans le principe précédent : « Nous sommes conscients que les TIC devraient être considérées comme un moyen et non comme une fin en soi. » Puis il est précisé un peu plus loin que « Dans des conditions favorables, elles peuvent être un puissant outil, accroissant la productivité, stimulant la croissance économique, favorisant la création d'emplois et l'employabilité et améliorant la qualité de vie de tous. ». Préalablement donc à la diffusion et l’intégration des TIC comme outils de développement dans un pays, il faudrait des « conditions favorables » qui à notre avis se rapportent à la paix, la stabilité politique, la démocratie et la bonne gouvernance dans un pays. 37 Nous tenons à souligner ici que le métier de pompier est un très noble métier que nous admirons et à l’égard duquel nous avons un immense respect. L’allusion qui y est faite dans notre métaphore ne devrait donc en aucun cas être interprétée comme un éventuel dénigrement ou mépris de la profession. Elle reste en effet un simple rapprochement de faits.

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Nous en concluons que contrairement à ce qui est communément admis, les TIC ne sont pas des facteurs directs de développement d’un pays, mais bien plutôt des éléments de modernisation qui peuvent être très efficaces pour l’essor économique d’un pays si celui-ci réunit des conditions favorables au développement humain et social et bénéficie d’un bon vent de relations régionales et internationales. Référence est justement faite dans la déclaration de principes à l’importance de créer un ‘‘environnement propice’’. « Il est indispensable que les efforts nationaux de développement en matière de TIC soient étayés par un environnement international dynamique et propice, favorable aux investissements étrangers directs, au transfert de technologies et à la coopération internationale, particulièrement en ce qui concerne les finances, l'endettement et le commerce, ainsi que par une participation pleine et entière des pays en développement aux décisions qui sont prises au plan mondial. Améliorer la connectivité et la rendre financièrement accessible à l'échelle mondiale contribuerait pour beaucoup à accroître l'efficacité de ces efforts de développement…Le meilleur moyen de favoriser un développement durable dans la société de l'information est d'intégrer pleinement les efforts et les programmes en matière de TIC aux stratégies de développement nationales et régionales. Nous nous félicitons du Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD)38 et nous encourageons la communauté internationale à soutenir les mesures liées aux TIC prises dans le cadre de cette initiative ainsi que celles qui relèvent d'efforts analogues déployés dans d'autres régions. La répartition des fruits de la croissance alimentée par les TIC contribue à l'éradication de la pauvreté et au développement durable. » En outre, la déclaration de principes de Genève a bien mis l’accent et ceci est peut-être un acquis positif sur « la capacité de chacun d'accéder à l'information, aux idées et au savoir et d'y contribuer». Ceci passe forcément par le renforcement des capacités avec des mots clés tels que : alphabétisation, enseignement primaire universel, formation permanente et formation des adultes, reconversion, apprentissage à distance, sans oublier les capacités nationales en matière de recherche-développement dans le secteur des TIC….

38 Le NEPAD résulte d'une fusion entre le plan OMEGA Sénégalais, sa composante économique dont l'objectif est de combler le retard qui sépare l’Afrique des pays développés et le MAP, Millenium African Plan, élaboré par les Présidents MBeki d'Afrique du Sud, Obasanjo du Nigeria, Bouteflika d'Algérie, et Moubarak de l'Egypte. Les deux plans ont été fusionnés en un seul qui a été adopté par le Sommet de Lusaka en 2001 pour devenir la vision de l'Afrique et sa stratégie pour accéder au niveau mondial par la mobilisation des ressources intérieures et extérieures, en partenariat avec le monde développé. Les TIC sont l’un un des secteurs super prioritaire du NEPAD.

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Tous ces principes fondamentaux de l'édification d'une société de l'information inclusive ont été formulés autour des résolutions de respect de la diversité culturelle, de reconnaissance du rôle des médias, et de prise en compte des dimensions éthiques de ladite société. Ils trouvent leur traduction dans un plan d'action rédigé sous la forme de mesures concrètes, le but étant d’atteindre progressivement les objectifs de développement arrêtés à l'échelle internationale, notamment dans la Déclaration du Millénaire, dans le Consensus de Monterrey et dans la Déclaration et le Plan de mise en œuvre de Johannesburg. Reste maintenant à savoir si les gouvernements et toutes les autres parties prenantes pourront réaliser ces objectifs en coopérant et en travaillant de manière solidaire malgré les conflits d’intérêts qui sont volontairement occultés dans les débats pour donner l’impression que le « Sommet des Solutions » tiendra toutes ses promesses. En effet, la seconde phase du SMSI sera l'occasion d'évaluer les premiers progrès qui auront été réalisés dans la réduction de la fracture numérique.

B- Principaux engagements de Tunis La phase de Tunis visait à approfondir les thèmes liés au développement et à effectuer une première évaluation des actions mises en œuvre depuis le Sommet de Genève. Mais dans les principaux engagements pris à Tunis, on note l’emploi très répétitif de la locution verbale « Nous réaffirmons » ou de l’adverbe « Egalement ». Si le plan d’action de Genève a été une prise de conscience de la fracture numérique, les engagements de Tunis auront été simplement une réaffirmation de cette prise de conscience et une certaine exhortation des gouvernements, du secteur privé, de la société civile et des organisations internationales à œuvrer ensemble pour appliquer les engagements énoncés : « Nous réaffirmons ce qui a été énoncé dans les paragraphes 4, 5 et 55 de la Déclaration de principes de Genève. Nous reconnaissons que la liberté d'expression et la libre circulation des informations, des idées et du savoir sont essentielles pour la société de l'information et favorisent le développement….Nous réaffirmons les engagements pris à Genève et nous nous en inspirons ici à Tunis en nous attachant aux mécanismes financiers destinés à réduire la fracture numérique, à la gouvernance de l'Internet et aux questions connexes, ainsi qu'au suivi et à la mise en œuvre des décisions de Genève et de Tunis, visées dans l'Agenda de Tunis pour la société de l'information. » Nous remarquons en outre que les questions de mécanismes financiers, et d’adoption des TIC par les petites, moyennes et micro-entreprises (PMME) ont fait l’objet d’une insistance particulière dans les engagements de Tunis :

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« Nous reconnaissons qu'il est nécessaire de mobiliser les ressources, tant humaines que financières, conformément au chapitre 2 de l'Agenda de Tunis pour la société de l'information, afin d'accroître l'utilisation des TIC au service du développement et de réaliser à court, à moyen et à long terme des projets d'édification de la société de l'information, dans le cadre du suivi et de la mise en œuvre des conclusions du SMSI… ». On retient également de Tunis la demande faite à l'Assemblée générale des Nations Unies de déclarer le 17 mai Journée mondiale de la société de l'information. Ceci contribuerait à sensibiliser l'opinion, chaque année, à l'importance de ce moyen de communication universel et aux questions évoquées dans le cadre du Sommet, en particulier aux perspectives qu'ouvre l'utilisation des TIC dans les domaines économique et social, ainsi qu'aux possibilités de réduction de la fracture numérique. Aujourd’hui, deux ans après que les rideaux soient tombés du côté de Tunis, il urge de savoir le sort qui a été réservé à tous ces discours et résolutions. Qu’est-il advenu de la mise en œuvre des décisions prises à Genève et à Tunis ? Tous les efforts se sont-ils arrêtés avec la fin du sommet ? Un bref aperçu sur l’état actuel des lieux assouvira sans doute notre curiosité sur l’après Tunis.

C- Etat actuel des lieux Nous ne saurions faire un état actuel des lieux et un bilan au lendemain du SMSI sans préciser qu’il n’y a que deux ans qui ont séparé les phases de Tunis et de Genève et que nous sommes aujourd’hui à peine à deux années après la clôture du sommet. Entre le Sommet sur le développement durable de Rio, en 1992, et celui de Johannesburg, en 2002, dix ans se sont écoulés. Pourtant ces dix années n'ont pas suffi à une réelle mise en œuvre des accords de Rio. Considérant donc l’intervalle court de temps ayant séparé les deux phases du SMSI et les dixhuit mois qui viennent de s’écouler au lendemain du sommet, il s’avère qu’une évaluation de la mise en œuvre du plan d'action de Genève ne peut être que très sommaire. Cependant nous analyserons tout au moins la teneur même des décisions prises lors du sommet afin d’en peser la faisabilité et de nous projeter sur les réelles retombées du SMSI.

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A la première phase du SMSI à Genève en 2003, l’objectif était bien de formuler de façon parfaitement claire une volonté politique et de prendre des mesures concrètes pour poser les bases d'une société de l'information accessible à tous, tout en tenant pleinement compte des différents intérêts en jeu. Ont répondu présents à cette grande messe de l’information 50 chefs d'État ou de Gouvernement et Vice-présidents, 82 Ministres et 26 Vice-ministres de 175 pays, ainsi que d'éminents représentants d'organisations internationales, du secteur privé et de la société civile. Ils ont apporté un appui politique à la Déclaration de principes de Genève et au Plan d'action de Genève qui ont été adoptés le 12 décembre 2003. Mais pour Jean-Louis Fullsack, « le plan d’action de Genève a été peu suivi des faits parce que sa rédaction, pour le moins, laisse quand même des lacunes importantes ou des flous qui empêchent les actions développées. Je pense qu’une des grandes lacunes du plan d’action est qu’il n’a pas réussi à travers toutes ces propositions qui sont telles un catalogue des grands magasins. Il n’y a aucune priorité, aucun échelonnement dans le temps, aucun calendrier et a fortiori aucun financement (…) Le plan d’action est un document tout à fait intéressant parce qu’il contient toute la problématique qu’il faut résoudre mais sans en donner ni un déroulement, ni surtout des priorités.» 39 Et à Alain Kiyindou de renchérir : « le plan d’actions de Genève ressemble beaucoup au plan Marshall parce qu’il est question d’investissement, de voler au secours de populations démunies, de prêts, de donner du matériel à des personnes qui en ont besoin. Ce qu’on oublie souvent, c’est que le contexte n’est pas le même. Le contexte géopolitique a changé parce qu’à l’époque du plan Marshall, il y avait des intérêts économiques bien sûr, mais il y avait surtout des intérêts stratégiques qui étaient évidents. Mais aujourd’hui, ces intérêts n’existent pas. Donc ce plan d’actions qu’on a mis en place aujourd’hui n’est pas accompagné de moyens de réalisation.» Deux ans plus tard à Tunis, il s’agissait justement cette fois-ci de mettre en œuvre ce Plan d'action de Genève et aboutir à des solutions ainsi qu’à des accords sur la gouvernance de l'Internet, les mécanismes de financement, et le suivi et la mise en œuvre des documents de Genève et Tunis.

39 Colloque Open Forum 2005 organisé par l’Agence Universitaire de la Francophonie. Entretien avec JeanLouis Fullsack, Alain Kiyindou et Michel Mathien. A voir sur le site de la Chaîne Colloques et Conférences canalc2.tv :http://canalc2.u-strasbg.fr/video.asp ?idvideo=4218

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Quoique la mobilisation ait été plus forte qu’à Genève (Plus de 20 000 participants représentant 174 pays, 92 organisations internationales, 606 ONG, 226 entreprises et 642 journaux, soit environ deux fois plus qu’à Genève) et même si cette deuxième phase du sommet s’est achevée par l’adoption le 18 novembre 2005 de l'Engagement de Tunis et l'Agenda de Tunis, le sommet a eu du mal à éclairer les controverses, notamment sur le rôle et l'influence de la société civile. Il a pu au demeurant insister sur les questions inhérentes au développement, à la souveraineté nationale, à la liberté d'expression, à l'éducation, à la diversité culturelle ou encore au droit international. Ces sujets ont été directement engagés et privilégiés dans la profondeur des analyses par rapport à la question de fond, celle de la réduction de la fracture numérique autour de laquelle les débats ont tourné mais sans jamais mieux faire que de s’arrêter à des engagements et des promesses en lieu et place des solutions concrètes très attendues. Il est ainsi regrettable que la communauté internationale n’ait pas réussi à trouver les moyens de transformer les principes de Genève en action afin d’éviter la cassure du monde entre ceux qui sont dans l’économie de l’information et de la connaissance et ceux qui restent à sa marge. Aujourd’hui, malgré tous les espoirs suscités au lendemain du SMSI, l’euphorie des TIC a cédé place à une «perspective enivrante d'un monde entièrement interconnecté »40, un monde dans lequel les réalités des inégalités demeurent toujours très alarmantes du point de vue de l’écart qui ne cesse de se creuser particulièrement entre les pays développés et les pays africains : Un Africain sur 40 a le téléphone, et il y a toujours plus de téléphones à Manhattan que dans toute l'Afrique subsaharienne ; 90% des humains sont exclus des réseaux de communication électronique ; 70% des 660 millions d'internautes vivent dans les pays riches (16% de la population mondiale), 5% dans les pays les plus pauvres (40%) ; sur 10 Suisses, 7 ont un ordinateur et 5 surfent sur le Web. En Afrique, 1 habitant sur 130 a un PC et 1 sur 150 a accès au Net. Shashi Tharoor

(Sous-secrétaire général pour la communication et l'information

publique, Nations unies) affirme que « Nous vivons à l'ère de la révolution de l'information, (…) une révolution qui offre beaucoup de liberté, un peu de fraternité et aucune égalité.». Et le SMSI, au regard de ses résultats modestes, semble être effectivement un engagement symbolique en faveur de plus de libertés, en faveur d’un peu de fraternité ou de solidarité, mais pas d’égalité. Solidarité ‘‘numérique’’ ? Oui. Egalité ? Non. Car la solidarité n’a de sens 40 RIFKIN Jeremy, L'âge de l'accès, Paris, La Découverte, 2000, pp. 295-296.

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que s’il existe des inégalités. Eliminer toutes les inégalités et se retrouver dans un monde égalitaire est une représentation holiste, expression d’une certaine hypocrisie des superpuissances, qui en réalité auraient beaucoup à perdre à ce que les principes d’égalité déclarés à Genève et réaffirmés à Tunis soient transformés en actions, puis en réalité. Ces superpuissances et en chef de file les Etats-Unis perdraient d’abord leur domination sur le monde,

avant

de

voir

hypothéqués

leurs

intérêts

économiques

inhérents

à

la

commercialisation de l’information marchande et la diffusion des TIC dans les pays pauvres sous le prétexte de solidarité numérique légitimé par les Nations-unies. Pourtant la question de réduction des inégalités liées à la fracture numérique était très attendue au SMSI au point où ce sommet était qualifié au départ du « Sommet des Solutions »41. A l’arrivée, la Déclaration de la société civile au SMSI, le 18 décembre 2005, intitulée « Bien plus aurait pu être réalisé » résume bien le constat général que le SMSI s’est achevé sans la résolution des deux principales questions dont cette conférence des Nations Unies devait traiter : le financement de l’infrastructure et des services pour « mettre les TIC au service du développement » et la «gouvernance d’Internet ». Le sommet a néanmoins le mérite d’avoir développé les réseaux humains Nord-Sud, d’avoir fait naître de nouvelles collaborations et d’avoir créé des opportunités d’affaires, en associant tous les pays, les gouvernements, la société civile et les entreprises, à un débat habituellement réservé aux décideurs des métropoles technologiques. «Le tout premier résultat de cette grande messe de l’information et de la connaissance, c’est le processus luimême. Dans l’esprit de ses initiateurs le SMSI devait sensibiliser les décideurs des pays en développement à l’immense potentiel (des TIC) pour l’expansion future des économies, l’amélioration du bien être des populations, la cohésion sociale et l’extension de la démocratie.»42 Quoique cet objectif, particulièrement virtuel, fût largement atteint, il demeure un objectif facilement muable en projet hégémonique de gouvernance mondiale via la construction de l’intégration du monde par les technologies. Mais l’UNESCO, puisque c’est sur cette institution que repose nos analyses, a-t-il été réellement impliqué dans ce projet hégémonique ? Nous sommes au premier abord tentés de répondre par la négative vu qu’elle n’a pas obtenu l’organisation du SMSI qui a plutôt été confiée à l’Union internationale des télécommunications (UIT). 41 Cette expression a été utilisée la première fois par Yoshio Utsumi, Directeur de l'UIT. 42 RENAUD Pascal, SMSI : Avancée symbolique, résultats modestes, in Sciences au Sud, n°33.

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Ce choix apparaît d’ailleurs assez ambigu puisqu’il n’est précisé nulle part dans le mandat de l’UIT des questions se rapportant à l'éducation, la liberté d'expression, le respect de la diversité culturelle, la propriété intellectuelle qui ressortent plutôt des prérogatives de l’UNESCO. Ce choix ne saurait non plus prétendre s’être basé sur une quelconque expérience de l’UIT sur le plan des enjeux politiques et sociaux de la société de l'information. Beaucoup d’observateurs dont Antonio Pasquali (ancien Sous-directeur général de l'Unesco pour le secteur de la communication) en viennent alors à la conclusion que le choix de l'UIT « est une façon d'institutionnaliser la sourde oreille faite aux revendications sociales, de donner la mauvaise réponse infrastructurelle à de bonnes questions super-structurelles, et de maintenir la décision à l'intérieur de la sphère du pouvoir » : une certaine volonté d'évincer à priori des thèmes sociaux et politiques controversés de l'agenda du Sommet. Cependant, l’UNESCO n’est pas pour autant resté complètement écarté de ce sommet et des débats qui y ont été tenus. Au contraire, on note son intervention aussi bien en aval qu’en amont de l’organisation du SMSI. En aval parce que l’UNESCO est l’instigateur d’une longue liste de manifestations et de rencontres préparatoires au sommet auxquelles ont participé une coalition d'ONG concernées par la société de l'information 43. Et en amont parce qu’il lui a été assigné trois rôle importants dans le processus de suivi et de mise en œuvre des résultats du SMSI : En effet, l’UNESCO est chargé de mettre en œuvre les activités concrètes du Plan d’Action de Genève dans le cadre de son budget et programme régulier. Avec l’UIT et le PNUD, l’UNESCO s’est engagé à formuler la coordination multi-partenariats des coordonateurs des lignes d’actions. Enfin, l’organisation doit aussi contribuer à faciliter la mise en œuvre cohérente des lignes d’actions dans ses domaines de compétence. Elle agit ainsi comme coordonnateur pour les lignes d’actions suivantes : Accès à l’information et au savoir (C3), Téléenseignement (C7), Cyberscience (C7), Médias (C9), Diversités et identités culturelles, diversité linguistique et contenu local (C8), Dimensions éthiques de la société de l’information (C10). Ces lignes d’action font d’ailleurs directement partie de la stratégie en quatre volets développée par l’UNESCO pour combattre la fracture numérique. Malgré toutes ses missions assez nobles, du moins en apparence, et un peu favorisée par le fait que l’organisation du SMSI ne lui ait pas été attribué, l’UNESCO reste toujours la cible de critiques qualifiant ses discours de « pieux discours » qui n’arrêteront pas l’illusion du numérique.

Référence est souvent faite aux expressions ‘‘baguette magique du

développement’’, ‘‘numérique, salut pour les nations pauvres’’ utilisées par l’UNESCO au 43 CRIS (Communication Rights in the Information Society).

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SMSI et faisant de l’instrument (les TIC), une finalité (le développement). En réalité, il faudrait peut-être reconnaître avec Divina Frau-Meigs44 qu’« en tant qu’agence de l’ONU, l’UNESCO n’est habilité ni à trancher, ni à s’autosaisir des débats. Elle ne fait que refléter les tensions qui existent et se faire l’écho des voix contradictoires. Les étouffer serait contraire à son mandat. ». Mais si nous nous entendons sur le fait que l’UNESCO n’est qu’un messager, qui d’une façon ou d’une autre subirait des pressions de l’ONU en se voyant obligé de tenir des discours d’un certain type, alors il nous serait facile de comprendre que l’UNESCO soit la cible de moult critiques puisqu’il est plus facile de « tirer sur le messager » que sur le message. Parlant de messages, arrêtons-nous sur celui délivré par les représentants des pays en développement et proposant l’idée d’un fonds de solidarité numérique. La solidarité numérique est-il le dernier espoir de développement des pays africains ? Cet espoir sera-t-il transformé en résignation et frustration comme l’ont été les revendications d’un NOMIC ? Quel rôle tiendra l’UNESCO dans la concrétisation de cette solidarité ? Celui d’un messager neutre, celui d’un arbitre influencé ou celui d’un parrain engagé ?

44 Professeur à l’Université d’Orléans, rédactrice en chef de la Revue française d’études américaines et membre du comité de rédaction de Média Morphoses (INA-PUF).

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Troisième partie : Solidarité numérique en Afrique : Vers une dépendance technologique accrue de l’Afrique ou une résorption de la fracture ?

« Nous passons d’une idéologie de compétition

à

une

idéologie

universelle de solidarité.» Adama Samassekou,

Extrait d’une

déclaration faite à l’issue de la Prepcom de Tunis. (Juin 2004)

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Troisième partie : Solidarité numérique en Afrique : Vers une dépendance technologique accrue de l’Afrique ou une résorption de la fracture ? Chapitre 1 : Une volonté et une mobilisation internationale manifestes

I-

L’e-inclusion à travers la solidarité numérique

Le 17 Mai 2006, lors de la célébration de la première journée mondiale de la solidarité de la société de l’information, l’UIT a décerné à Maître Abdoulaye Wade, Président du Sénégal, le prix UIT de la société mondiale de l’information. Un prix que le récipiendaire considère non comme une récompense mais plutôt comme un encouragement à poursuivre avec toutes les bonnes volontés la vulgarisation de l'ordinateur et l'accès du sud au Web. En effet, c’est suite au succès du « Sommet de Lyon », qui a réuni en décembre 2003 plus de 300 élus du monde entier pour débattre des grands enjeux de la société de l’information au 21ème siècle, que les villes de Lyon, de Genève, la province du Piémont et la République du Sénégal ont engagé une initiative mondiale sur la solidarité numérique. L’idée45 du Fonds de solidarité numérique a été ensuite officiellement lancée par le Président Sénégalais à travers une proposition des pays en développement au Sommet de Genève. Cette idée a alors pris forme dans l’un des principes de la Déclaration de Genève à l’issue de la première phase du SMSI : « Nous reconnaissons que l'édification d'une société de l'information inclusive exige de nouvelles formes de solidarité, de partenariat et de coopération entre les gouvernements et les autres acteurs, c’est-à-dire le secteur privé, la société civile et les organisations internationales. Conscients que l'objectif ambitieux de la présente Déclaration - réduire la fracture numérique et garantir un développement harmonieux, juste et équitable pour tous - nécessitera un engagement ferme de la part de toutes les parties prenantes, nous lançons un appel à la solidarité numérique, aussi bien à l'échelle des nations qu'au niveau international. »

45 « J'ai toujours pensé qu'une société de l'information plus équilibrée et plus harmonieuse devrait être fondée sur une généralisation de l'accès à l'outil informatique pour éviter aux pays en retard dans ce domaine les risques d'une marginalisation irréversible. Donner à tous la possibilité de se connecter, d'être à l'écoute, de se faire entendre et de suivre la marche du monde: tel est le sens fondamental du Fonds de solidarité numérique.» Maître Abdoulaye Wade, Président du Sénégal.

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De Genève à Tunis, le principe s’est transformé d’abord en un pacte de solidarité numérique visant à instaurer les conditions propres de la mobilisation des ressources humaines, financières et technologiques nécessaires pour que tous les hommes et toutes les femmes participent à la société de l'information naissante. Puis ce pacte s’est mué en engagement à Tunis : « Nous nous engageons à travailler ensemble à la mise en œuvre du pacte de solidarité numérique visé au paragraphe 27 du Plan d'action de Genève. La mise en œuvre intégrale et rapide de ce pacte, dans le respect de la bonne gouvernance à tous les niveaux, nécessite en particulier une solution rapide, efficace, complète et durable au problème de la dette des pays en développement et, le cas échéant, un système commercial multilatéral universel, reposant sur des règles, ouvert, non discriminatoire et équitable, qui soit susceptible par ailleurs de stimuler le développement dans le monde entier, dans l'intérêt des pays à tous les stades de développement ; elle nécessite également la recherche et l'application effective d'approches et de mécanismes internationaux concrets afin de renforcer la coopération et l'assistance internationales en vue de réduire la fracture numérique. » Aujourd’hui, le résultat est bien là, faisant du Fonds de solidarité numérique (FSN), la première réalisation concrète de l’Agenda de Tunis, une nouvelle organisation mondiale entièrement dédiée à la lutte contre la fracture numérique et créée pour financer le développement d’une société de l’information plus équitable. Mais pour Meryem Marzouki, « s’il a déjà commencé à fonctionner et affiche désormais l’ambition d’ancrer dans le droit international le principe d’un financement innovant pour réduire la fracture numérique », le FSN n’en a pas moins fait l’objet de controverses entre les États comme au sein de la société civile. Les gouvernements du Nord, en particulier ceux de l’Union européenne et des ÉtatsUnis, ont fait valoir leur scepticisme vis-à-vis du fonctionnement des mécanismes de financement existants, notamment en ce qui concerne la transparence de la gestion et de l’attribution des fonds, et l’évaluation de leurs résultats en termes de financement du développement mondial.» 46 Au fait, ce que ne semblent pas avoir compris les pays du Nord, c’est qu’il ne faudrait pas confondre les financements de la coopération bilatérale et le fonds qui serait engagé au nom de la solidarité numérique. Ces pays voudraient que l’Afrique utilise les mécanismes de coopération déjà en place, en les perfectionnant au besoin. Or, la solidarité numérique est un plus qui vient s’ajouter aux mécanismes existants de coopération. 46 MARZOUKI Meryem, Le SMSI, un Sommet pour rien ? Les principaux problèmes demeurent à l’issue du Sommet des solutions, Communication au séminaire international « La société de l’information dans la coopération au développement. Un nouveau défi pour les bibliothèques » 4-5 mai 2006, Séville.

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D’ailleurs dans cette nouvelle coopération, le rôle des entreprises privées et surtout celui des villes et des pouvoirs locaux est déterminant car ils ont été les premiers à appuyer la création du Fonds mondial de solidarité numérique. Signalons au passage que la ville de Lyon est au cœur de cette solidarité puisqu’elle abrite le siège de l’Agence mondiale de solidarité numérique47 qui a pour vocation de favoriser la mise en œuvre de projets de solidarité numérique notamment à travers les mécanismes de la coopération décentralisée. L’agence informe, conseille et fournit l’appui technique nécessaire à la généralisation des bénéfices de la Société de l’information en agissant comme catalyseur dans la mise en œuvre de projets. Elle facilite les synergies entre les porteurs de projets, l'expertise nécessaire pour les mener à bien, les bailleurs de fonds susceptibles de les financer, et toutes autres entités pouvant contribuer à la construction d'une société de l'information créative et solidaire. En outre, l’Agence appuie la mise en œuvre du Plan d’action du Sommet Mondial sur la Société de l’Information (Genève 2003 -Tunis 2005) et la mise en œuvre des engagements issus du Sommet des Villes et des Pouvoirs locaux (Lyon 2003-Bilbao 2005). S’agissant des modalités de financement et mécanismes d’investissement devant assurer la survie du fonds, le FSN propose un mécanisme de financement innovant pour le développement et spécifiquement consacré à la réduction de la fracture numérique (consistant pour les collectivités à introduire une « clause de solidarité numérique » dans leurs appels d’offres relatifs aux technologies de l’information. Cette clause prévoit le reversement de 1% du montant total du marché au FSN.) Le principe du « 1% de solidarité numérique» basé sur la décision volontaire d’institutions publiques ou privées, permet à tous d’agir concrètement pour l’édification d’une société de l’information plus équitable. Prélevé sur la marge bénéficiaire du fournisseur, il n’implique aucun coût direct pour l’institution qui l’applique. Clairement spécifié lors de l’appel d’offre, son application ne peut faire l’objet d’une interprétation ou d’une négociation. Par conséquent, il respecte les règles de la libre concurrence. Les sommes prélevées sur les marges bénéficiaires des fournisseurs de biens et services relatifs aux TIC sont directement réinvesties dans le même secteur d’activités. Cette contribution n’est donc ni un impôt, ni un don, mais un investissement dans les marchés de l’avenir. Les institutions qui appliquent le principe, ainsi que les fournisseurs qui répondent aux appels d’offre reçoivent le label de la solidarité numérique et bénéficient de ses avantages .

47 L'Agence est reconnue par la Commission “Société de l’information” de Cités et Gouvernements Locaux Unis comme l’instance spécialisée dans le soutien aux projets de coopération décentralisée dans le domaine de la solidarité numérique.

57

En somme, on pourrait affirmer que le FSN n’est qu’une fondation privée comme il en existe déjà de multiples, dont les ressources proviennent « des contributions volontaires souscrites par les citoyens, des financements des institutions publiques locales (villes et régions) et nationales, ainsi que du secteur privé et de la société civile ». Rappelons tout de même que ce Fonds récolterait pour l’instant un montant de 8 millions d’euros avec l’espoir chez ses promoteurs, à terme, de canaliser chaque année des dizaines de millions. Il importe de s’interroger sur la contribution réelle de cette solidarité numérique pour la réduction de la fracture numérique en Afrique puisque c’est un choix fait par les Africains eux-mêmes. Aujourd’hui adopté par la plupart des nations du monde, le FSN serait-il un instrument de légitimation et d’accentuation de la dépendance du continent en matière de transfert de technologies vers le Sud? Ou bien le FSN conduira-t-il vraiment vers une réduction de la fracture numérique ? C’est bien ce que semblent répondre les discours en faveur de l’e-inclusion de l’Afrique qui fusent de toutes parts (ONG, puissances du Nord, multinationales œuvrant dans les TIC...). Tous ces acteurs brandissent tel un trophée les efforts consentis au nom de la solidarité numérique. Ceci est bien rapporté à travers un certain nombre d’entretiens effectués par Ndzana Mvogo Godeffroy48, envoyé spécial du CIPUF (Carrefour International de la Presse Universitaire Francophone), au lendemain de la clôture du SMSI à Tunis : « "Nous, en Provence-Alpes Côte-d’Azur, nous nouons des partenariats de solidarité numérique avec les pays de l’Afrique méditerranéens, nous leur faisons des dotations en matériel informatique et nous procédons à des sessions de formation des formateurs ", confie le chef de la délégation de cette région de France. A la question de savoir pourquoi il n’existe pas de partenariat numérique avec l’Afrique subsaharienne, le chef de la délégation considère qu’il appartient aux pays de l’Afrique méditerranéenne de prendre le relais. Microsoft, quant à lui, contribue à la solidarité numérique par des formations en informatique disponibles sur son site ou sur support CD. Cette formation prend le nom de " curriculum ". Après entretien avec le représentant de cette corporation, nous constatons que ses partenaires privilégiés dans le cadre de la solidarité numérique sont en fait les pays de langue anglaise en Afrique. Interrogé à ce sujet, il répond que " pour nouer des partenariats à des centaines de milliers de kilomètres, on a besoin de contact physique ", ce qui, de son avis, n’est pas encore évident en Afrique francophone. »

48

NDZANA MVOGO Godeffroy, Sommet mondial de l’information : L’Afrique à la remorque du numérique, Novembre 2005.

58

Il ressort de ces analyses que la solidarité numérique se réduit à l’installation des réseaux en zone rurale par voie satellitaire, à des dotations en matériel informatique, et à la formation des formateurs. Mais, en prenant en considération le problème d’alimentation en électricité de nombreuses régions en Afrique subsaharienne, on est en droit de s’interroger sur l’effectivité de telles initiatives. Si Internet ne profite qu’aux habitants des grandes capitales africaines, alors on comprend mieux pourquoi la région Provence-Alpes-CôteD’azur ne noue des partenariats en matière numérique qu’avec des pays de l’Afrique méditerranéenne en excluant l’Afrique subsaharienne. L’e-inclusion est donc partielle et s’il est exagéré d’assimiler dès maintenant la solidarité numérique à une solidarité géographique fondée sur

des intérêts économiques de sécurisation des marchés, et de maîtrise de

l’information en tant que capital, nous pourrions en revanche soupçonner que la solidarité numérique soit partiellement un facteur d’aggravation de la dépendance technologique. Bien qu’au Sénégal, par exemple, des jeunes Sénégalais des écoles sont mis en connexion avec des jeunes Canadiens, ou que la télémédecine a commencé par être une réalité dans beaucoup de pays d’Afrique, ce serait tenir un discours de fascination « naïve » que de se mettre tout de suite à applaudir le FSN. Une chose est de transférer les technologies, et une autre est de penser à l’adaptation des utilisateurs à cette technologie.

A ce niveau, il serait déjà

souhaitable que les technologies soient adaptées aux utilisateurs envers lesquels ils sont destinés ou tout au moins que leur transfert prévoie des mesures d’accompagnement pour leur appropriation facile par les bénéficiaires. Ce constat remet en cause le modèle de l’assistanat critiqué aussi par Alain Kiyindou dans les Modèles d’intégration des pays du Sud dans la « société de l’information ». L’assistanat consiste pour l’essentiel à « doter les populations de matériel nécessaire en attendant que les utilisateurs s’adaptent à la technologie. C’est cette vision qui anime encore beaucoup de donateurs qui trouvent d’ailleurs dans la solidarité numérique, l’occasion de se débarrasser des ordinateurs obsolètes. » Une réelle intégration ou inclusion de l’Afrique dans la “Société de l’information” équivaudrait donc à adopter une démarche différente de celle observée jusque-là, « qui consiste essentiellement à greffer les nouvelles technologies dans ces pays. Il s’agirait plutôt de faire en sorte que les nouveaux outils soient complètement en accord avec les capacités et les besoins des utilisateurs, de les intégrer dans les tissus social et économique existant. C’est en tous cas ce qu’essaie de faire l’UNESCO et les États concernés avec la mise en place des Centres Multimédias Communautaires.

59

II-

L’engagement de l’UNESCO : Le PIDC à la loupe

Le PIDC ou Programme International pour le Développement de la Communication est le seul forum multilatéral du système des Nations Unies dont l’objectif principal était depuis sa création en 1980 d’aider les pays en développement, sur leur demande, à « identifier les besoins et domaines prioritaires… et à élaborer leurs plans de développement de l’information et de la communication ». Le PIDC vise également à apporter l’appui requis pour l’élaboration des projets de développement des infrastructures à travers l’assistance d’experts ou de consultants de l’UNESCO. Conformément à la résolution de Belgrade ayant abouti à son adoption, le programme accorde une priorité décroissante aux entreprises de dimension régionale, puis sous-régionale et enfin nationale. Ainsi est confirmée la volonté des fondateurs du PIDC : « d’accroître en particulier la contribution des moyens de communication à un développement économique, social et culturel, endogène et de favoriser l’échange international de l’information ». La spécificité du PIDC est que non seulement ce Programme apporte une assistance aux projets relatifs aux médias, mais il vise également à établir les conditions favorables à l’essor de médias libres et pluralistes dans les pays en développement. Les efforts du PIDC ont eu un impact important dans un grand nombre de domaines dont le développement des médias communautaires et des organisations de radio et de télévision, la modernisation des agences de presse nationales et régionales, et la formation des professionnels des médias. Le PIDC a distribué quelque 90 millions de dollars pour plus de 1000 projets dans 139 pays en développement et pays en transition. Depuis 1980, le PIDC aide donc les pays en développement à accroître leurs capacités en matière de communication et à améliorer la formation dans ce domaine. Le programme intergouvernemental « Information pour tous » (PIPT)49, mis en place plus récemment en janvier 2001, est une autre plate-forme de réflexions et d’actions pour soutenir le PIDC tout en contribuant à la réduction de la fracture numérique.

49 Le PIPT est un programme intergouvernemental créé en 2000. Il est étroitement intégré aux activités du Programme ordinaire de l'UNESCO, en particulier dans le domaine de la communication et de l'information. Le PIPT travaille en étroite collaboration avec d'autres organisations intergouvernementales et des ONG internationales, en particulier avec celles qui sont spécialisées dans la gestion et la préservation de l'information, comme la Fédération internationale des associations de bibliothécaires et des bibliothèques (IFLA) et le Conseil international des archives (CIA). Au début de 2006, on dénombre déjà plus de 50 comités nationaux pour le PIPT qui concrétisent l'orientation du Programme au niveau des pays et permettent d'interpréter et de promouvoir la vision du PIPT dans les communautés locales.

60

Mais depuis bientôt trois décennies, le PIDC dont la création était intervenue dans un contexte justifié de déséquilibre des flux transfrontières et de revendication d’un NOMIC et qui avait pourtant pour but de « réduire l’écart entre les divers pays dans le domaine de la communication » n’arrive pas à prendre un véritable envol. Selon l’expression de l’un de ses initiateurs, Mustapha Masmoudi, le programme donne aujourd’hui l’image d’un mécanisme qui « tourne dans le vide ». En effet, le frein au développement international de l’information et de la communication s’explique par les difficultés financières pour faire face aux urgences multiples dans les pays les moins avancés. Entre temps, le nombre de ces pays, au lieu de régresser avec les programmes de redressement structurels de la Banque mondiale et du Fonds Monétaire International a, au contraire, progressé passant de 25 pays en 1971 à 49 en 1991. Ceci nous fait penser à un probable «développement du sous-développement » en référence à l’expression de Pierre Jalee. Quoiqu’il ait approuvé en vingt ans 700 projets relatifs à la communication dans 130 pays en développement, le PIDC n’a financé que le tiers des projets présentés. Le montant de ces financements s’est élevé à 78 millions de dollars, mais ceci reste une somme de loin en deçà des besoins. « Même multiplié par dix ou vingt fois, le budget du programme ne parviendrait à satisfaire les besoins de la communication du Sud. Il faut explorer de nouvelles pistes de financement » estime le Vénézuélien M. Antonio Pasquali, ancien sous-directeur général de l’UNESCO faisant remarquer que « le progrès technologique caractérisé par l’obsolescence artificielle des TIC et du matériel informatique rend dérisoire tout effort de rattrapage ». Face à l’indifférence de la plupart des pays industrialisés du Nord (excepté l’effort financier remarquable de la France et des pays scandinaves) par rapport à la situation, la mission du PIDC semble relever en plein parcours de l’impossible. Comment, en effet, développer la communication et en équilibrer la circulation quand on sait que le taux de connexion Internet en Afrique ne représente que 0,04% du taux mondial ? A en croire les experts en communication ayant travaillé sur le PIDC, son bilan après des années d’existence se résume à la somme d’un certain nombre de carences s’énonçant en termes de lenteur de procédures, difficulté d’apprécier la manière dont un projet s’intègre dans le plan de développement général d’un pays, de la justifier et de l’évaluer, insuffisance de crédits,… Peut être que les modestes résultats du PIDC et l’impression de blocage qui se dégage de son bilan de fonctionnement trouveraient leurs explications dans les raisons similaires à l’échec du NOMIC puisque le programme était entre autre un instrument stratégique pour baliser l’environnement à un nouvel ordre mondial tant réclamé par les pays du Sud. 61

Heureusement qu’il y a aujourd’hui un regain de confiance des donateurs ayant amené le Bureau du Programme international pour le développement de la communication (PIDC) à décider de financer 74 projets de développement des médias (dont 31 concernent l’Afrique) dans 59 pays en développement, lors de sa 51ème réunion annuelle (du 27 au 29 mars 2007 au Siège de l’UNESCO). Les pays donateurs qui soutiennent le PIDC ont augmenté de manière significative leur contribution financière en 2006, ce qui a permis au programme de recueillir cette année près de 2,7 millions de dollars à consacrer à des projets de développement des médias. Les principaux donateurs ont été le Danemark (445 000 dollars en 2006), l’Espagne (531 000 dollars en 2006), les Etats-Unis (305 000 dollars en 2006), la Finlande (250 000 dollars en 2006), la Norvège (654 000 dollars sur deux ans) et la Suisse (501 000 dollars sur trois ans). La Finlande et la Norvège ont doublé leur assistance financière au PIDC, tandis que la contribution des Etats-Unis a été multipliée par cinq et celle de l’Espagne par dix. Nonobstant ce regain d’intérêt des pays donateurs, les espoirs sont beaucoup plus tournés aujourd’hui vers le Fonds de Solidarité Numérique. Le FSN réussira-t-il là où le PIDC semble être tombé en panne sèche (par manque de carburant financier nécessaire pour conduire ses nombreux projets jusqu’à terme) ? Ou l’histoire n’est-elle qu’un éternel recommencement et que la solidarité numérique est juste l’invention d’un nouveau concept pour entretenir les imaginaires sociaux de la technique en Afrique et ressusciter les espoirs des actions entreprises dans le cadre du PIDC ?

III-

Les autres institutions internationales : UIT, OMC, PNUD, OIF, BM…

L’UNESCO s’appuie dans son combat contre la fracture numérique sur un large éventail de partenaires du système des Nations Unies (PNUD, UIT, OMPI et la Banque mondiale). Il est également assisté par d’autres organisations internationales et régionales (telles que l’Union européenne), des ONG et communautés professionnelles actives dans ses domaines de compétence et bien sûr le secteur privé. Nous ne nous intéresserons ici de façon brève qu’à quelques organismes internationaux dont le rôle devient de plus en plus déterminant en terme de contribution financière par rapport aux intérêts économiques et culturels en jeu dans la maîtrise de l’’information et de la communication sur l’échiquier international.

62

En effet, les institutions internationales et régionales jouent pour la plupart un rôle clé lorsqu'il s'agit d'intégrer l'utilisation des TIC dans le processus de développement et de mettre à disposition les ressources nécessaires pour édifier la société de l'information et pour évaluer les progrès réalisés. Les Nations Unies, en particulier, constituent une arène intergouvernementale aidant à la prise de décision concertée au niveau mondial. Elles représentent des plateformes multi-acteurs basées sur le dialogue. Elles favorisent la réflexion, la prise de décision et l’action autour de problèmes globaux majeurs qui ne peuvent trouver des solutions qu’à travers une véritable concertation internationale. De plus en plus, elles rassemblent les différents acteurs de la société autour d’une même table de négociation, comme ce fut le cas lors du Sommet Mondial sur la Société de l’Information (SMSI, Genève – Tunis). Mais face au débat sur le financement des mesures visant à réduire la fracture numérique, l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) est la première organisation internationale à avoir reconnu officiellement le principe de solidarité numérique et à avoir contribué financièrement à la dotation initiale du Fonds de Solidarité Numérique (FSN). Certains observateurs pourraient expliquer cette prompte diligence de l’Organisation Internationale de la Francophonie par le fait qu’il a à sa tête le Président Abdou Diouf, ancien Chef d’Etat du Sénégal qui a transmis le pouvoir à Maître Abdoulaye Wade, actuel président du Sénégal et initiateur du FSN. Toujours est-il que l’OIF n’est pas reconnue par les Nations Unies comme le chef de file des institutions internationales pour l’édification de la société de l’information. Ce privilège revient plutôt à l’Union Internationale des Télécommunications (UIT) dont « Les compétences fondamentales dans le domaine des TIC - assistance pour réduire la fracture numérique, coopération internationale et régionale, gestion du spectre des fréquences radioélectriques, élaboration de normes et diffusion de l'information - sont déterminantes pour l'édification de la société de l'information. » Le choix de l’UIT comme institution onusienne organisatrice du SMSI, au détriment de l’UNESCO traduit la tendance «technicoéconomique» de la priorité stratégique pour les bailleurs de fonds états-uniens d’accélérer la diffusion des réseaux au Sud. L’intégration des TIC dans toutes sociétés est la priorité affichée aux dépens de son développement culturel et intellectuel. C’est la volonté d’équipement de la planète toute entière, en réseaux et en ordinateurs qui semble prioritaire afin de permettre la croissance économique via l’ouverture de nouveaux marchés.

63

C’est la raison pour laquelle, nous allons nous attarder particulièrement sur cette agence spécialisée des Nations Unies en charge du secteur et du domaine des télécommunications. Créée depuis 1865, l’UIT, avec ses 189 Etats membres et plus de 676 opérateurs du secteur, est

selon

le

terme

employé

télécommunications ». Elle a pour

par

Jean-Louis

Fullsack 50 « la

vieille

dame

des

mission principale de favoriser le développement et

l’extension des réseaux et services de communication et des TIC dans le monde entier. D’où son projet présenté au SMSI et intitulé «Connecter le monde» : un projet qui vise à connecter 800.000

villages à l’horizon 2015. Mais ce projet ne saurait pour l’heure qu’être une

incantation

récurrente

et

sans

grande

crédibilité.

L’Union

Internationale

des

Télécommunications a également signé un mémorandum d’accord avec la société Oracle et avec Cisco Systems en vue de créer cinquante centres de formation dans le monde. Mais l’UIT reconnaît que ses ambitions ne suffisent pas pour relever le défi de la fracture numérique. L’UIT lance alors un appel à d’autres organisations pour appuyer ses actions : « Les efforts déployés en vue d’utiliser ces technologies pour réduire la fracture numérique, ne relèvent plus du domaine réservé de l’UIT »51. Cet appel n’est pas tombé dans des oreilles de sourd puisque très tôt, la Banque mondiale a pris de multiples initiatives, dont son célèbre Programme d’information pour le développement (InfoDev). InfoDev vise notamment la diffusion des conseils sur la politique à suivre en matière d’utilisation des TIC pour le développement et sur la conduite à tenir à cet égard. Le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) n’est pas en marge de cette forte mobilisation internationale autour des inégalités socio-numériques de la planète. Avec son réseau unique 132 bureaux et son équipe de conseillers spécialisés régionaux et mondiaux, le PNUD est en bonne position pour promouvoir l’utilisation à grande échelle des TIC au service du développement grâce à sa vaste expérience dans ce domaine, notamment les projets et programmes de TIC au service du développement : « Certes, il est indéniable que nombre des merveilles technologiques qui fascinent le Nord ne sont d’aucune utilité pour le Sud. Il n’en demeure pas moins que les activités de recherche et développement ciblant des problèmes qui touchent plus spécifiquement les pauvres — de la lutte contre les maladies à 50 Membre du Conseil d’administration de CSDPTT. Directeur-adjoint honoraire de France Télécom, ancien Expert principal près l’UIT. Il a rédigé un article intitulé « L’UIT, la vieille dame des télécommunications, dans la tourmente néolibérale » et dans lequel il dénonce les dérives de l’UIT à travers ses choix et décisions contestables contraires aux intérêts de la communauté mondiale, en particulier à ceux des PeD, et en tous cas contre-productifs pour leur développement. 51 www.itu.int/ITU/PDE/2128-089-FR.doc

64

l’enseignement à distance — prouvent immanquablement que, loin de se contenter de venir couronner le développement, la technologie en est un instrument indispensable. »52 En outre, à la demande du G8, le PNUD réfléchit avec la Banque mondiale aux moyens de réduire la fracture numérique en encourageant des partenariats entre les secteurs privés et publics. Disposant d’un Fonds d’affectation thématique spéciale TIC, le PNUD a entrepris d´aider les pays d´Afrique en commençant par la création de milliers de "cybercafés". Le rôle du PNUD est, avant tout, celui d´un catalyseur de projets plutôt que d ´investisseur. Le PNUD a par ailleurs des contacts avec des grandes entreprises occidentales du secteur dont par exemple la société américaine Hewlett Packard 53 qui a annoncé son intention d´investir pour un milliard de dollars, de manière non lucrative, dans les pays en développement sur un projet d´équipement en site Internet que piloteront des fondations privées. Il ne serait pas superflu de signaler que la plupart des organismes des Nations Unies sont concernés par les technologies, soit parce qu’ils les utilisent, soit parce qu’elles ont une incidence sur le contenu et l’exécution des programmes de coopération technique. C’est d’ailleurs pour cette raison que la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), grâce à son Programme relatif aux Pôles commerciaux, cherche à encourager les petites entreprises des pays en développement à se lancer dans le commerce électronique afin de s’intégrer aux marchés internationaux et aux filières de plus-value. Un autre constat important au niveau de tous ces efforts déployés par les organisations internationales est celui du manque de coordination entre ces projets. Cette pléthore d’initiatives témoigne certes d’une prise de conscience récente de la communauté internationale sur la question des fractures. Mais on en sait peu sur l’efficacité réelle de ces programmes et projets qui, profitant souvent des frontières poreuses de la communication internationale, en viennent même à concurrencer les initiatives locales, les politiques publiques en défiant ainsi la souveraineté nationale des pays censés bénéficier de ces projets.

52 PNUD, Rapport mondial sur le développement humain : Mettre les nouvelles technologies au service du développement humain, De Boeck, 2001. 53 Hewlett Packard a lancé World e-inclusion, un projet qui prévoit la livraison de matériels informatiques aux pays en sous-développement pour une valeur d'un milliard de dollars. Cette livraison, qui doit concerner "près de 1 000 villages" en Afrique, en Inde ou encore en Chine, sera en partie gratuite et en partie financée par des programmes de développement gouvernementaux ou internationaux.

65

Chapitre 2 : Communication internationale et souveraineté nationale : Les limites des organisations internationales

I-

Les enjeux géopolitiques de la régulation de la communication internationale

Armand Mattelart54 nous rappelle que :« C’est à l’Unesco qu’à l’occasion du débat sur le Nouvel ordre mondial de l’information et de la communication (NOMIC) et plus tard au Gatt qu’il apparaît que l’autodétermination dans le champ de l’information et de la communication est imbriquée avec l’autodétermination dans les domaines politique, social, économique et culturel, et que la souveraineté nationale, l’identité culturelle, l’économie nationale et même la sécurité nationale des pays dits en développement sont menacés par la communication internationale. » Les TIC ont ainsi profondément recomposé le monde depuis que la chute du mur de Berlin a consacré de nouvelles doctrines militaires et diplomatiques basées sur la maîtrise de l’information, ou la information dominance, socle de nouvelles façons de faire la guerre et la paix, d’exporter le modèle de la démocratie de marché. La mondialisation ou globalisation de l’économie et des échanges a été ensuite accélérée par les processus de dérégulation, de libéralisation et de privatisation orchestrés par les organisations intergouvernementales avec le soutien des politiques d'aide au développement des pays industrialisés. C’est cet environnement qui selon, Ignacio Ramonet, nous conduit à une géopolitique du chaos, inhérente à la révolution de l’informatique et de la communication ayant entraîné l’explosion des marchés financiers et des réseaux d’information : « La transmission de données à la vitesse de la lumière (300 000 kilomètres par seconde) ; la numérisation des textes, des images et des sons ; le recours, devenu banal, aux satellites de télécommunications ; la révolution de la téléphonie, la généralisation de l’informatique dans la plupart des secteurs de la production et des services ; la miniaturisation des ordinateurs et leur mise en réseau sur Internet à l’échelle planétaire ont, peu à peu, chambardé l’ordre du monde » 55. La communication, au cœur de ce « système hégémonique instable et conflictuel alternant phases de stabilités, de tensions et d’affrontements »56, devient alors un enjeu dont la régulation est l’objet de grands débats car dessinant une cartographie mondiale des rapports de richesse et de puissance. 54 MATTELART Armand, Passé et présent de la "société de l’information": entre le nouvel ordre mondial de l’information et de la communication et le sommet mondial sur la société de l ‘information, p.12-13. 55 RAMONET Ignacio, Op.Cit., p.72. 56 CARROUE Laurent, Mondialisation – Globalisation : le regard d’un géographe, APHG - Régionale de Caen - 22 novembre 2006.

66

Les autoroutes de l’information globales annoncées en 1994 à Buenos Aires à l’occasion d’une conférence générale sur le développement et les télécommunications sous les auspices de l’UIT, ont conduit en 1995 à la « société globale de l’information », appellation adoptée à Bruxelles par le G7 des pays les plus industrialisés. Cette société globale est présentée par les partisans du free flow comme assise d’un

Nouvel ordre mondial de

l’information (NOMI) qui était rejeté quelques décennies auparavant par les mêmes acteurs. Un balbutiement de l’histoire avec peut-être un nouveau départ : celui d’une ‘‘société de l’information’’ érigée en véritable enjeu géopolitique. Solveig Godeluck57 écrit à cet effet que « Le réseau (...) se déploie autour d'un hypercentre américain, presque en étoile, alors que la vertu supposée d'Internet est justement sa décentralisation ». C’est là que réside la vraie fracture numérique. Une fracture apparemment masquée par la volonté des grands pays, détenteurs de la technologie et producteurs de contenus. Derrière ce masque de bon samaritain, les pays industrialisés imposent, ou plutôt diffusent leurs normes et leur pouvoir. Dans cette logique, l’invocation de la souveraineté nationale serait, quant à elle, un moyen pour certains régimes autoritaires des pays du Sud de clamer leur exaspération face à la menace d’une technologie qui les contourne. L’UNESCO, dans sa mission de rééquilibrage de la circulation de l’information, a la possibilité de profiter du terrain balisé par la subversion numérique des territoires pour transpercer le système informationnel des nations indépendantes et pénétrer dans leurs politiques intérieures publiques. N’y aurait-il pas des limites contraignant parfois l’UNESCO à rester dans un cadre bien circonscrit de ses compétences ? Ne se heurte-t-il pas à des résistances idéologiques locales ou régionales ?

II-

Les limites de l’UNESCO dans sa lutte contre la fracture numérique

L’UNESCO situe la lutte pour l’accès universel au cyberespace dans le cadre d’une “ info-éthique ” respectant la diversité culturelle et linguistique, garant du dialogue entre les cultures, sans lequel le “ processus de la globalisation économique serait culturellement appauvrissant, inéquitable et injuste ”. Ces politiques de lutte contre la fracture numérique comportent quant à elles généralement deux volets : d’une part, l’aide à la diffusion de l’ordinateur ; d’autre part, la formation des adultes dans le cadre de centres d’accès publics tels que les bibliothèques, les médiathèques, les associations…Nous revenons ici sur l’exemple des centre multimédias communautaires. Il s’agit en effet de centres locaux où sont 57 GODELUCK Solveig, La Géopolitique d'Internet, Paris, La Découverte, 2002, 247 p.

67

mises à la disposition du public des technologies de l'information et de communication. Le terme “communautaire” se réfère à la fois à la propriété de la communauté et à l'accès de la communauté au centre multimédia. Aujourd’hui, on parle de plus en plus de télécentres communautaires polyvalents (TCP), qui sont des structures offrant une gamme des services dans différents domaines (éducation/formation aux affaires, de la santé au gouvernement local). Une étude récente pour la Banque mondiale, sur les politiques concernant les télécommunications, remet tout de même en cause la rentabilité de ces télécentres dont le fonctionnement est financé par des bailleurs de fonds externes. Les télécentres, selon l’étude, ne peuvent pas être rentables car ils sont conçus davantage en fonction d’une vision des bailleurs de fonds qu’en fonction de ce que les communautés sont réellement capables d’assumer. D’ailleurs le premier problème et l’un des plus cruciaux qui se posent au niveau de ces télécentres et face auxquels l’UNESCO reste indifférent pour des raisons d’insuffisance budgétaire est bien le défaut de maintenance. C’est un problème essentiellement lié au vieillissement du matériel qui est accéléré compte tenu des dures conditions climatiques. Etant donné le coût élevé de l’électricité, rares son en effet les télécentres qui sont climatisés. Ou soit, même quand le budget des factures électriques est alloué par les organisations internationales, les gérants desdits télécentres détournent ces ressources financières et se sentiraient contraints de couper la climatisation pour ne pas avoir à pays de leurs propres poches les factures élevées. On ajoute à ces problèmes de conditionnement des appareils et des technologies, celui du manque de personnel qualifié pour assurer la maintenance informatique même des ordinateurs et fichiers dans le cas des télécentres. Mais l’UNESCO essaie surtout dans ces actions d’intégrer toutes les dimensions socioculturelles afin de contribuer à la réduction de la fracture numérique en plaçant la personne humaine au centre des objectifs de développement. C’est d’ailleurs l’importante contribution de l’institution à la préparation du SMSI qui se résume dans les quatre points suivants : -

s’accorder sur les principes communs qui doivent régir la construction des sociétés du savoir ;

-

accroître les possibilités d’apprendre en donnant accès à des contenus et systèmes de prestation des services éducatifs diversifiés ;

-

renforcer les capacités en matière de recherche scientifique, de partage de l’information et d’échanges culturels ;

-

promouvoir l’utilisation des TIC aux fins du développement des capacités, de l’autonomisation, de la gouvernance et la participation sociale. 68

L’UNESCO participe profondément sur la base de ces stratégies à la formulation de politiques au niveau national et réalise des projets pilotes pour mieux explorer les possibilités d’action multisectorielle sur le terrain, analyser les difficultés réelles, les problèmes les plus urgents et tout ceci afin de proposer des voies de solutions suivant les différents contextes socioculturels. Cependant, l’UNESCO rencontre tout de même dans son combat pour la réduction de la fracture numérique en Afrique des obstacles de natures diverses dont certains ont déjà été évoqués au cours de ce travail. Nous citons entre autres : le problème des infrastructures inadaptées, autant pour les sources d’énergie que pour les équipements informatiques, l’état embryonnaire des réseaux de télécommunication et de diffusion de masse ; l’insuffisance des ressources financières; l’analphabétisme persistant ; l’absence d’un environnement scientifique apte à accueillir ces technologies ; le manque de formation à l’utilisation des TIC ; la maintenance ou l’assistance aléatoire ; les contenus inadaptés voire inutilisables pour des raisons linguistiques ou culturelles. Par ailleurs, l’UNESCO rencontre également des résistances de type idéologique et des réticences relevant de l’ordre de la technophobie. Notons que compte tenu de l’effet promotionnel des discours sur les TIC, il y a plus de simples réticences technophobes que de véritables résistances idéologiques traduisant éventuellement le refus des populations africaines (fortement conservatrices) à recevoir ces technologies pour des motifs de préservation de leur identité culturelle.

Le Président

Abdoulaye Wade se montrait d’ailleurs plutôt rassurant en affirmant que : « l’identité culturelle ne signifie pas que je ne vais pas prendre l’avion parce que mes ancêtres ne l’ont pas inventé. Il est certain que lorsque l’on utilise ces technologies au niveau populaire, le peuple s’y exprime et y crée selon sa culture. Apprenez à des enfants à dessiner avec un ordinateur, l’enfant du Sénégal ne dessinera pas comme un petit Norvégien. C’est un moyen d’expression culturelle à la disposition de tout le monde. De plus, notre culture sera mieux connue à travers le monde grâce aux nouvelles technologies.» C’est justement cette dernière phrase qui confirme l’existence des croyances qui ont fini par s’ancrer dans la mentalité des populations africaines qui, sous l’effet des discours répétitifs élogieux entretenus par les promoteurs des TIC et relayés par les organisations internationales sont aujourd’hui presqu’entièrement convaincues de l’utilité rédemptrice des TIC. Il ne serait pas superflu de mentionner que le contexte des transferts de technologie du Nord vers le Sud suit la logique du schéma de la communication tel que décrit par Shannon et Weaver avec un émetteur (les pays industrialisés) et un récepteur destinataire (les pays 69

africains). L’émetteur apporte la technologie (message) vers les pays africains (destinataires) sans tenir compte du bruit généré par les interférences culturelles du cadre de réception de la technologie. Ici, seul le canal importe réellement, la production du sens n’est pas de mise. L’information est ainsi coupée de la culture et de la mémoire. Et ceci pourrait être aussi une autre justification de l’attribution de l’organisation du SMSI à l’UIT, qui est un organisme technique des Nations Unies au détriment de l’UNESCO qui est la mémoire intellectuelle et culturelle de la communauté internationale. Ce raisonnement sémio-épistémologique permet de comprendre que l’OMC traite la culture comme un « service marchand » à l’égal des autres à l’heure même où la diversité culturelle est au cœur des débats.

III-

Plaidoyer pour une réappropriation culturelle des TIC en Afrique

L’ancien Président français, François Mitterand, déclarait : « Il serait désastreux d’aider à la généralisation d’un modèle culturel unique. Ce que les régimes totalitaires, finalement, n’ont pas réussi à faire, les lois de l’argent alliées aux forces des techniques vont-elles y parvenir ? »58. Cette question posée depuis 1993 reste toujours d’actualité et nous fait penser que la représentation idéologique59 de l’univers symbolique des techniciens, pour ne pas dire des technocrates des TIC, serait de trop oublier les différences des cultures. Aussi une réelle appropriation culturelle des TIC en Afrique s’avère-t-elle nécessaire pour nous rappeler qu’il n’y a de richesses que de cultures. Pour affranchissant l’esprit humain John Perry Barlow, dans sa Déclaration d'indépendance du cyberspace, réclame une indépendance de la liberté de penser, de cliquer et de surfer dans un univers pluriculturel. « Gouvernements du monde industrialisé, géants fatigués de chair et d'acier, je viens du cyberspace, le nouveau domicile de l'esprit. Vous n'avez aucune souveraineté sur le territoire où nous nous assemblons. Nous n'avons pas de gouvernement élu, et il est peu probable que nous en ayons un jour : je m'adresse donc à vous avec la seule autorité que m'accorde et que s'accorde la liberté ellemême. Je déclare que l'espace social global que nous construisons est naturellement indépendant des tyrannies que vous cherchez à nous imposer. Vous n'avez aucun droit moral à nous gouverner, et vous ne possédez aucun moyen de faire respecter votre autorité que nous avons de bonnes raisons de craindre.» Divisée par des fractures sociales, numériques et cognitives, la société de l’information est un alibi idéal pour ajouter de façon subtile à l’hégémonie économique, une autre 58 Le Monde, 25 Octobre 1993. 59 MATTELART Armand, « Les nouveaux scénarios de la communication mondiale », in Le Monde diplomatique, Août 1995, p.24.

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hégémonie qui réduira le monde à un seul modèle de pensée : l’hégémonie culturelle. Comme l’écrit l’administrateur du PNUD, M. Malloch Brown, dans la préface au rapport sur le développement humain (2004), « si l’on veut que notre monde atteigne les objectifs de développement du millénaire et finalement éradique la pauvreté, il doit commencer par relever victorieusement le défi de savoir construire des sociétés intégratrices, qui respectent les diversités culturelles ».

Pourquoi un plaidoyer pour la diversité culturelle60 ? Tout

simplement parce que comme nous l’avons vu tout le long de ce travail, le néo-libéralisme drainé par l’hégémonie économique affirmée de l’hyperpuissance américaine innerve par une hypocrisie sociale de solidarité toutes les actions globalisantes d’un rééquilibrage des échanges à travers le monde. Il ne s’agit pas dans la présente démarche d’essentialiser en prescrivant le type de discours à adopter ou en indiquant la voie à prendre. Chaque peuple doit pouvoir trouver la voie qui est la sienne non pas en se détachant de l’héritage de l’histoire, mais en découplant le passé du présent, et en portant un regard nouveau vers l’Autre. Avec ce regard nouveau porté sur l’autre, l’on ne saurait s’aligner ni derrière les fervents détracteurs de l’occidentalisation du monde au risque de demeurer africanophiles, ni derrière les militants de la décroissance, au risque d’être traités d’anti-développementistes. Et c’est en cela que ce plaidoyer va plutôt en faveur de l’écoute et de la rencontre des cultures en faisant le pont entre ces différentes positions fortement ethnocentristes. De ce fait, la « diversité » ne devrait pas être perçue comme la promotion d’une « disparité » contre l’« homogénéité » ou la « singularité ». Aujourd’hui, la diversité culturelle remplace l’exception culturelle et vise à garantir le traitement particulier des biens et des services culturels par le biais de mesures nationales ou internationales. Synonyme de dialogue et de valeurs partagées, cette notion pourrait être utilisée comme base d’une réappropriation endogène des TIC par les pays africains. D’où le paradigme de glocalization et son fameux leitmotiv : « Think global, act local ». Armand Mattelart au cours d’une interview, confiait justement que pour sortir du néodarwinisme informationnel : « Il faut se réapproprier les nouvelles technologies en construisant une alternative à la société de l'information. Or, aujourd'hui, ceux qui osent parler d'alternative sont aussitôt taxés de technophobes. Il n'y a aucune réflexion sur la question essentielle. A savoir : face à un projet qui se réduit de plus en plus à une techno-utopie, à un déterminisme techno-marchand, peut-on opposer des projets sociaux et d'autres formes d'appropriation de ces technologies qui pénètrent la société ? » 60 La 33ème Conférence générale de l’Unesco, réunie à Paris, a adopté, le 20 octobre 2005, la Convention sur la protection et la promotion de la diversité culturelle.

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La question reste posée et pourrait faire objet d’une étude approfondie à partir d’une démarche ethnométhodologique pour la compréhension des usages des TIC par l’observation de certaines populations africaines en situation de pratiques. La certitude que nous avons à notre niveau est que l’e-inclusion ne saurait se faire sans une démarche dans laquelle les populations concernées prendraient une part active en choisissant les technologies dont ils ont besoin et en les introduisant dans leur espace culturel. Loin de viser des simples transferts, les démarches d’e-inclusion, devraient aider les populations en marge de la “société de l’information” à acquérir les clés d’accès (techniques, économiques, culturelles, etc.) leur permettant de s’insérer de façon dynamique dans les systèmes de communication mondialisés. L’initiation à la création de logiciels, la maîtrise des logiciels existants, l’apprentissage de la programmation, la production des TIC à un niveau local, voilà autant de variables du processus d’appropriation qui, à notre avis, ne devrait plus appréhender les usages sous le seul angle des consommateurs ou récepteurs passifs des technologies que sont jusque là les pays africains. Pour Alain Kiyindou, il s’agit « de promouvoir le processus par lequel les gens deviennent les principaux acteurs de leur propre développement». « Le mot développement, écrit justement Bertrand Cabedoche61 en conclusion de son livre, Les Chrétiens et le TiersMonde, a pu perdre de son attrait au contact de trop d’expériences décevantes. Il reste le seul vocable que partagent tous les humains pour dessiner leur espoir. » Et dans le prolongement de cette pensée, B.Cabedoche constate qu’en « accordant une place fondamentale aux expressions culturelles, certains cherchent à y retrouver aujourd’hui la voie d’une alternative économique, hors développement » 62. L’approche de la diversité culturelle, qui est la nôtre, trouverait bien sa place dans cette logique alternative.

61 CABEDOCHE Bertrand, Les chrétiens et le tiers-monde, Paris, Karthala, 1990 (Coll. « Économie et développement »), p. 255. 62 CABEDOCHE Bertrand, « Confondre les Représentations stéréotypés de l’Afrique dans les médias transnationaux ? Une démarche épistémologiquement problématique », Colloque ‘‘Globalisation, Communication et Cultures’’, Centre des Nations Unies. Intervention au sein de la délégation des Nations-Unies à Brazzaville, le 17 Avril 2007, p.18.

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CONCLUSION Des analyses faites dans les chapitres précédents émerge une série de constats concernant en premier lieu le type et la nature des discours et théories développées sur les TIC aussi bien par des auteurs en SIC que par des organisations internationales ; en deuxième lieu les liens entre le sous-développement de l’Afrique et le vécu de la fracture numérique ; ensuite le bilan du SMSI, et enfin les enjeux de la solidarité numérique à travers l’engagement de l’UNESCO dans la lutte contre la fracture numérique en Afrique. Par rapport aux discours sur les TIC, nous avons pu noter qu’ils se fondent soit sur la théorie du déterminisme technologique, soit sur celle du déterminisme social, ou soit encore qu’ils se positionnent au milieu de ces deux théories sous un paradigme interactionniste entre sphère sociale et sphère technique qualifié par certains de déterminisme socio-technique. L’aspect politisé de ces discours sur la fracture numérique a été dévoilé par des exemples concrets de déclarations de certains dirigeants africains. Ces déclarations prouvent que la finalité de ces discours est que les États africains soutiennent la demande en matière de TIC dans un contexte caractérisé par la libéralisation et l’internationalisation des marchés de télécommunications. Il s’agit là des discours « prospectifs ou préfiguratifs » (Jean Guy Lacroix63), à finalité idéologique et politique, et ayant pour but de convaincre la population de la nécessité de la « nouvelle technologie » pour assurer l’avenir et le progrès d’une « nouvelle société » basée sur les dispositifs techniques de communication. En outre, il y a les discours promotionnels, dont la finalité est économique et commerciale. Ces discours ont pour but de convaincre la clientèle visée de l’utilité, des avantages et de l’efficacité supérieure de la technologie proposée. Enfin toujours selon la catégorisation de Jean Guy Lacroix, nous avons pu relever dans nos analyses les discours de type prescriptif, au sens strict du terme, dont le but est d’initier l’usager aux utilisations prévues et la finalité est organisationnelle ou éducative ».

63 LACROIX Jean-Guy, « Entrez dans l’univers merveilleux de Videoway », dans De la télématique aux autoroutes électroniques. Le grand projet reconduit, sous la direction de Jean- Guy Lacroix, Bernard Miège et Gaëtan Tremblay, Québec, Presses de l’Université du Québec, et Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1994, p. 137-162.

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L’UNESCO alterne ces trois types de discours selon les éventuelles pressions et influences qu’il subirait (de la part des Nations Unies, des bailleurs de fonds, des multinationales privées,….) dans le cadre de la réalisation de ses programmes d’action en faveur du développement de la communication sur le plan international. Ceci confirme partiellement notre hypothèse selon laquelle l’UNESCO à travers son discours déterministe et promotionnel des TIC en Afrique, contribuerait à l’instauration d’une bureaucratie supranationale qui perturbe le libre jeu du commerce mondial (ultralibéralisme ou libéralisme dérégulateur) en défaveur des pays africains. Mais l’organisation a pris actuellement à cœur ces dernières années le combat pour la diversité culturelle. Ce qui sans directement infirmer notre déduction prolonge tout au moins le délai de vérification de l’hypothèse susmentionnée. Au-delà des discours parfois tendancieux et sectoriels64 des organisations internationales, nos réflexions développées sur les conséquences de l’échec du NOMIC après l’étouffement du rapport McBride nous ont amené à vérifier les liens de causalité sous-tendant la relation entre sous-développement et fracture numérique. Il nous a été donné de démontrer ici que les statistiques émises par certaines organisations internationales ne reflètent pas réellement le vécu de la fracture numérique en Afrique. Ces statistiques s’inscrivent dans une logique technico-marchande qui réduit la fracture au manque d’équipement en justifiant par là-même la nécessité de diffuser les technologies et d’équiper en matériel informatique et de télécommunications les pays considérés comme les exclus de la société de l’information. A cet effet, Eric Guichard remarque avec pertinence à travers les résultats d’une enquête réalisée en 2001 « la totale disparité entre une utopie cognitive (l’acquisition des savoirs via les TIC) et sa prétendue mesure au travers de taux d’équipement » 65. A la question formulée dans son article « La fracture numérique existe-t-elle ? », il répond en définitive : « Oui, la fracture numérique existe, et elle n'est que la traduction d'une violente ségrégation culturelle et intellectuelle, qui ne fait que s'amplifier avec les « technologies ». Mieux, elle apparaît finalement, selon la conclusion de l’atelier du vendredi 8 Novembre 2002 à Bucarest lors de la Conférence régionale Europe-Amérique sur la diversité culturelle et la pluralité linguistique,

comme

une

« superposition

de

différentes

disparités

nationales

et

64 Jean-François Soupizet distingue en effet deux courants principaux issus du cloisonnement initial des TIC et de leur application : une approche sectorielle du domaine des TIC et une approche plus générale de leur impact. La première place le développement des infrastructures de télécommunications au centre des préoccupations tandis que la seconde approche élargit l’analyse en y incluant les différents aspects des TIC, tels que l’accès cognitif, les usages, les évolutions économiques et sociales qui les accompagnent. (SOUPIZET Jean-François, La fracture numérique Nord-Sud, Ed Economica, Paris, 2005, pp. 5-6.) 65 GUICHARD Éric, « La ‘fracture numérique’ existe-t-elle ? », Atelier Internet, n 2. .

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internationales : facture géographique, énergétique, technologique, linguistique, éducative et culturelle, mais surtout sociale et économique.» Et cette conclusion est valable à nos analyses sur les réalités de la fracture numérique quoique nous nous accordons avec Annie ChéneauLoquay sur le fait que « l’emploi de cette notion reflète la persistance d’une vision linéaire et déterministe du progrès qui, du courant cybernétique des années quarante avec Wiener à Castels aujourd’hui, et malgré les graves échecs de la « nouvelle économie », voit toujours dans la réduction de cette fracture la voie royale vers le développement et la réduction de la pauvreté66 ». On ne devrait pas, en effet, oublier que tout le monde ne peut pas se développer partout au même rythme. Ainsi, « en mettant l’accent sur les inégalités et sur les retards des pays pauvres, on occulte le fait que tout développement est par essence inégalitaire». C’est d’ailleurs sur cette idée réductrice de l’universalité d’accès au savoir comme édification mythique67 d’une « société de l’information » plus égalitaire et plein d’opportunités de développement pour les pays du Sud que s’est fondée l’organisation du SMSI de Genève et de Tunis. Un sommet dont le bilan s’avère mitigé dans l’ensemble, mais assez positif sur le plan organisationnel selon le point de vue des observateurs présents. La participation de la société civile est reconnue comme une originalité. Mais en réalité, la société civile était mise en vedette au moment où dans l’ombre, les représentants du secteur privé (pour la grande majorité des Américains) influençaient les débats et l’orientaient en tissant les ficelles en arrière plan. Car dans le nouveau contexte d’interdépendance globale et selon la « nouvelle donne internationale68 », les États-Unis au lieu d’affronter les organisations internationales les transforment en véritables vecteurs d’expansion du libre-échange généralisé. De l’ethnocentrisme affiché depuis les années 70, à la tentative d’imposition d’un modèle de modernité aux sociétés considérées comme traditionnelles, en passant par l’impérialisme néo-libéral, la géopolitique de l’information a fini par dessiner une nouvelle cartographie et un nouvel ordre du monde, favorable à l’assouplissement des tensions internationales et au développement de la coopération et de la solidarité numérique. 66 Les fractures numériques en question, quels enjeux, quels partenariats : Thème du colloque international de Hourtin du 25 au 28 août 2003 dans le cadre de l’Université d’été de la communication 67 Pour Michel Mathien, il s’agit de « mythes et de réalités » qui opposent une représentation holiste du monde à travers des rapports égalitaires aux réalités d’une société mondiale tourmentée et déséquilibrée par des rapports de force. (MATHIEN Michel, « La société de l’information » : Entre mythes et réalités, Bruylant, Bruxelles, 2005, 432 p.) 68 MIGNOT-LEFEBVRE Yvonne, « Technologies de communication et d’information. Une nouvelle donne internationale ? », in Revue Tiers Monde, t. XXXV, n°138, avril-juin 1994, p.256.

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La solidarité numérique, nous l’avons vu, est un projet porteur d’espoir et le premier résultat concret du SMSI. Mais face à l’indifférence des superpuissances, le secteur privé s’accapare de ce concept et y investit le plus. Ce qui dénote une nouvelle fois d’enjeux économiques prioritaires de pénétration des marchés au détriment d’un véritable esprit de collaboration Nord-Sud. Un constat qui soulève la tendance d’une certaine dépendance technologique accentuée par cette solidarité censée faciliter l’intégration des pays africains dans la « société de l’information ». La solidarité numérique envers l’Afrique pourrait bien être une équivalence de « la politique de la main constamment tendue » par les pays africains. Le processus d’e-inclusion vient à peine d’être lancé comme palliatif à la fracture numérique que nous nous interrogeons sur les véritables enjeux de cette société inclusive et sur le sort réservé à la solidarité numérique. Une chose est certaine : les actions menées par l’UNESCO pour le développement de la communication internationale, notamment l’installation au Mali, au Bénin, au Burkina, au Sénégal et en Côte d’Ivoire… des « Centres Multimédia Communautaires », ainsi que l’engagement de l’Organisation à travers le PIDC se révèlent être très insuffisantes pour la réduction de la fracture numérique. La plupart de ces actions et de ces projets souffrant de manque de financement, sont souvent entamés mais ont du mal à aboutir et finissent parfois à être abandonnés aux populations qui n’arrivent même pas à s’en servir car ces technologies sont la plupart du temps « inadaptées ». Ce qui confirmerait que l’Afrique soit un véritable cimetière des technologies, des technologies inadaptées. Mais même avec des solutions régionales privilégiant l’adaptabilité des technologies aux réalités locales, force est de remarquer que le coût élevé des projets retarde leur mise en œuvre. C’est par exemple le cas du projet volontariste de constellation de satellites africains RASCOM (Regional African Satellite for Communication) qui peine à être une réalité compte tenu justement du coût de la connexion des zones rurales aux satellites et aux câbles. Tout ceci nous amène à la conclusion des travaux de Raphaël Ntambue-Tshimbulu et d’Annie Chéneau-Loquay : « La coopération avec l'Afrique subsaharienne en matière de TIC s'inscrit dans un contexte où les coûts et les processus de mise en œuvre des projets d'insertion des réseaux télématiques dépassent les capacités financières et techniques locales et exigent à la fois l'intervention extérieure et la participation africaine. »

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Quoiqu’il en soit et sans pour autant

nous enfermer dans une critique de la

coopération Nord-Sud qui condamnerait la manière dont l’aide et la solidarité sont apportées aux pays du Sud, nous lançons un appel à une profonde réflexion sur cette solidarité qui semblerait toujours garder les mêmes caractéristiques de l’aide classique perpétuant depuis toujours la domination historique des pays du Nord sur ceux du Sud. Qu’il nous souvienne, à cet effet, les propos très illustrateurs de Serge Latouche69 : « La main qui reçoit l’aide est toujours en dessous de celle qui la donne ». Cet épineux problème de financement et celui de l’inadaptabilité des technologies est renforcé par d’autres difficultés telles que celle des infrastructures inadéquates, de délestages fréquents et de manque d’énergie électrique dans les régions enclavées et même dans les grandes capitales africaines. Nous avons ainsi montré que toutes ces difficultés limitent les actions de l’UNESCO et posent la nécessité de créer un important fonds monétaire régional et autonome pour la conduite des politiques nationales d’appropriation des TIC en Afrique. En complément et non en concurrence aux engagements internationaux, le Fonds de Solidarité Numérique pourrait, s’il était décentralisé (ce qui suppose une délégation de gestion par grandes régions géographiques, linguistiques et culturelles) et bien géré dans des environnements propices de bonne gouvernance, insuffler une réelle dynamique à la réduction de la fracture numérique en Afrique. De plus, des programmes tels quel le Programme Information Pour Tous (PIPT) de l’UNESCO, dans le cadre duquel les gouvernements du monde entier se sont engagés à mobiliser les nouvelles opportunités pour créer des sociétés équitables grâce à un meilleur accès à l'information, devrait pouvoir être assez valorisé pour appuyer le PIDC et soutenir le rôle des médias face aux défis de préservation du patrimoine culturel et immatériel (savoir) dans le processus d’appropriation locale des TIC en Afrique.

69 Cité par Anne-Cécile Robert, L’Afrique au secours de l’occident, Paris, Editions de L’Atelier, 2004.

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Perspectives de recherches : Vers une nouvelle problématisation Ce travail jette les bases d’une recherche qui débouche sur des perspectives d’approfondissement. Nous avons situé nos questionnements dans une analyse historique contextuelle en procédant à un recadrage élargi sur les divers points de vue et prise de position des différents acteurs du rapport McBride et des revendications du NOMIC jusqu’au SMSI. Nous avons pour se faire mobiliser une revue de littérature sur les enjeux de la communication internationale à travers les rapports de forces auxquels sont livrés les différents acteurs dont les prises de position varient selon le côté duquel il se situe par rapport à la ligne fictive de démarcation entre inclus et exclus de la « société de l’information ». Quelques lignes directrices peuvent cependant être développées dans des recherches ultérieures sachant que : 1- Les débats sont loin d’être clos suite à la prise de conscience internationale et civile des enjeux d’une solidarité numérique au lendemain de Tunis. 2- La solidarité numérique est un concept émergent dont l’évaluation nécessiterait un temps d’observation plus long (2 à 3 ans et voire plus) pour être à même de mieux apprécier les résultats concrets de cet engagement international et la gestion faite du Fonds de Solidarité Numérique FSN. 3- Fractures numériques ou solidarités numériques : Les options sont encore ouvertes, face au rôle éminent que doivent jouer les États africains par rapport aux politiques publiques en matière de TIC pour appuyer les actions de la société civile en vue d’une véritable réappropriation locale des TIC. 4- La diversité culturelle peut être un atout à la réappropriation des TIC par les pays africains et un élément catalyseur de la société inclusive dont l’UNESCO pourrait se servir dans sa lutte contre la réduction de la fracture numérique en Afrique. 5- L’hégémonie culturelle américaine et les stéréotypes qui s’y rattachent resteront irréductibles dans la politique étrangère70 des Etats-Unis et ceci est une source permanente d’influences sur la communication internationale et sur les actions des organisations internationales parfois contraintes de s’orienter pour des raisons 70 Avec l’actuel gouvernement américain, nous sommes loin de la sagesse et de l’humanisme du Président John Fitzgerald Kennedy qui affirmait : « Tous les pays ont leurs traditions, leurs idées, leurs ambitions. Nous ne les recréerons pas à notre image ».

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financières vers la doxa : « ce qui est bon pour les Etats-Unis est bon pour le reste du monde ». 6- La pluralité des usages sociaux des technologies ne saurait être analysée selon l'unique univers symbolique des représentations historiques des relations Nord-Sud, dans lesquelles les cultures minoritaires subissaient la globalisation passive des standards culturels.

Nous souhaiterions contribuer à l’approfondissement de ces axes de recherche à l’occasion d’une thèse doctorale au cours de laquelle notre travail sur les trois prochaines années consistera à :  Approfondir les lectures et confronter les différentes théories sur l’interdépendance dans les relations internationales afin de réaliser une revue critique de la littérature sur le caractère déterministe de l’imaginaire social entretenu par les discours sur les TIC en arrière plan de la géopolitique culturelle de l’information. (Première année)

 Réaliser une enquête en prenant comme terrain d’enquête l’UNESCO et deux ou trois pays de l’Afrique Subsaharienne. Il s’agira pour nous de prendre contact avec les responsables des commissions nationales de l’UNESCO ou les conseillers régionaux en information et communication dans ces pays afin de les soumettre à des entretiens semi-directifs pour pouvoir évaluer l’efficacité des stratégies d’action réelles de l’UNESCO dans sa lutte contre la fracture numérique et comparer ces stratégies par rapport aux attentes des gouvernants et des populations dans le contexte de promotion de la diversité culturelle. Il s’agira de faire une analyse qualitative par théorisation (Pierre Paillé). Nous procéderons à une élaboration progressive des catégories d’hypothèses, dans un aller-retour permanent avec les acteurs de l’Organisation (UNESCO) après avoir exploré les événements et les opinions (y compris celles des populations bénéficiaires des TIC) par rapport à l’impact final réel de la lutte contre la fracture numérique dans ces pays. (Deuxième année)

 Vérifier les hypothèses en les confrontant aux résultats collectés, interpréter puis tirer les conclusions – Relecture et correction du travail (Troisième année)

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UNESCO : http://www.unesco.org/webworld/mdm/fr/index_mdm.html



UNESCO : Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle, 2001. http:// www.unesco.org/culture/pluralism/diversity/html_fr/index_fr.shtml.



WSIS : http://www.wsis-online.net/



WSIS/Geneva : http://www.wsisgeneva2003.org/

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Annexes : -

Annexe I : ENTRETIEN AVEC ANNIE LENOBLE-BART

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Annexe II : CARTOGRAPHIE DE LA FRACTURE NUMERIQUE

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Annexe III : EXTRAIT D’UNE INTERVIEW ACCORDEE AU PRESIDENT ABDOULAYE WADE, LAUREAT DU PRIX UIT 2006 DE LA SOCIETE MONDIALE DE L’INFORMATION

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Annexe I : Entretien avec Annie LENOBLE-BART Madame Annie Lenoble-Bart est Professeur à l’Université de Bordeaux 3 et Animatrice du GREMA (Groupe de Recherches et d'Études sur les Médias Africains). Elle est aussi Coordinatrice de l'Axe 1 du programme 2003-2006 de la Maison des Sciences de l'Homme d'Aquitaine sur " Modèles et transferts dans la mondialisation des Afriques : Gouvernance, démocratie, transferts et appropriation". C’est en nous référant à ces nombreux travaux sur l’insertion des TIC en Afrique subsaharienne et en particulier à son article intitulé « Infos riches et infos pauvres : le fossé numérique et la solidarité numérique dans la cyberpresse en Afrique », que nous avons souhaité échanger avec elle et avoir son point de vue d’experte dans le cadre de notre présente recherche. Elle a ainsi accepté se prêter à quelques-unes des questions que nous lui avons soumises par mail. Voici ses réponses.

 Question 1 : Quel regard portez-vous aujourd’hui avec le recul du temps sur les débats et revendications du NOMIC dans les années 1970 ? A.Lenoble-Bart : Ces débats étaient assez « Intéressants mais utopiques » par rapport aux espoirs qu’ils nourrissaient.  Question 2 : L’actuelle « société de l’information » reflète-t-elle réellement un nouvel ordre mondial de l’information ou n’est-elle que le prolongement du rêve macluhanien ? A.Lenoble-Bart : « Elle n’est que l’illusion d’une société égalitaire toujours basée sur les anciens rapports verticaux (Nord-Sud) de dominants-dominés. »  Question 3 : Les principes et engagements de Genève et de Tunis peuvent-ils apporter, tel qu’ils sont énoncés, des avancées importantes dans les stratégies internationales de lutte contre la fracture numérique ? A.Lenoble-Bart : « Je trouve que ce sont, comme toujours, de beaux discours qui n’aboutissent sur rien de concret. »  Question 4 : Les discours tenus sur les TIC par les organisations internationales en général sont-ils des discours relevant des utopies technicistes ou sont-ils vraiment réalistes et à vocation sociale? A.Lenoble-Bart : « Ce sont surtout des discours convenus pour être dans l’air du temps ! »

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 Question 5 : La solidarité numérique serait-elle une nouvelle forme de dépendance techno-culturelle des pays africains vis-à-vis de ceux industrialisés et développés ? Ou seraitce plutôt une vraie réponse à l’exclusion numérique ? A.Lenoble-Bart : « Je pense les deux. La ‘‘vérité’’ est souvent ambivalente… Et les effets pervers ne sont jamais bien loin mais surtout difficiles à imaginer : ils sont souvent là où on ne les attend pas. Qui vivra verra. »

Annexe II : Cartographie de la fracture numérique en 2005

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Annexe III : Extrait d’une interview accordée au Président Abdoulaye Wade, Lauréat du Prix UIT de la société mondiale de l’information. (17 mai 2006).

M. le Président, que signifie ce prix pour vous? « En portant son choix sur ma modeste personne comme colauréat avec le professeur Muhammad Yunus de ce prix de la société de l’information qu’elle décerne pour la première fois, l’Union internationale des télécommunications honore en réalité mon pays, le Sénégal, mon continent, l’Afrique, et mieux encore, tous les Africains qui ont voulu, ensemble, donner corps à une idée que j’avais simplement émise. Ce prix va tout naturellement à l’Afrique, car c’est en décembre 2003, ici même à Genève, que j’avais proposé le concept de Fonds pour la solidarité numérique. J’accepte volontiers ce prix, moins comme une récompense qu’un encouragement à poursuivre, avec toutes les bonnes volontés, la vulgarisation de l’ordinateur, l’accès du Sud au web, c’est-à-dire à la formation et aux connaissances, pour combler le retard. J’ai toujours pensé qu’une société de l’information plus équilibrée et plus harmonieuse devrait être fondée sur une généralisation de l’accès à l’outil informatique, car il faut éviter que les pays en retard dans ce domaine risquent une marginalisation irréversible. Donner à tous la possibilité de se connecter, d’être à l’écoute, de se faire entendre et de suivre la marche du monde: tel est le sens fondamental du Fonds pour la solidarité numérique. Voilà pourquoi, au-delà même de l’honneur qui m’est fait, j’apprécie positivement que l’UIT maintienne ce dossier de l’information au cœur de l’agenda international. »

Certains considèrent l’internet comme une panacée, d’autres le diabolisent. Quel est votre avis? « Le web, dans ses différentes applications, fait désormais partie de la vie de tous les jours. Que l’on soit du Nord ou du Sud, notre vie est influencée par les bouleversements de l’internet. On communique pour le meilleur, et hélas, on communique aussi pour le pire. Nous sommes donc tous concernés par le numérique, soit par nos propres actes, soit par les conséquences que nous subissons. Toute la dimension de la mondialisation, portée par les valeurs des technologies de l’information et de la communication, se résume en ces termes. On ne choisit pas de participer à la mondialisation: elle s’impose à nous. Comme je le disais lors d’un séminaire que mon Gouvernement a consacré récemment à la mondialisation, même si on n’est pas d’accord sur le fait que la Terre tourne, elle continue quand même son mouvement. C’est ce constat d’une rationalité toute simple qui fonde mon pari sur la vulgarisation des technologies de l’information et de la communication. C’est un rendez-vous avec l’histoire que nos peuples ne devraient pas manquer.

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J’ai eu l’occasion de rappeler que le monde, depuis sa création, se divise de plus en plus en deux communautés: celle qui communique, et celle qui ne communique pas. Et, heureusement, aujourd’hui, l’internet nous permet de combler ce fossé numérique, et le Fonds pour la solidarité numérique nous offre en la matière un mécanisme approprié. Je demeure convaincu que la rencontre des cultures n’aura jamais facilité autant le rapprochement des hommes qu’avec l’application des nouvelles technologies. Le web, à l’image des anciennes écoles de la Grèce antique, doit être vu comme un immense espace où le donner et le recevoir de l’esprit et de la connaissance se rencontrent sans frontières et sans préjugés — comme dirait Léopold Sédar Senghor. »

Que fait le Sénégal pour réduire la fracture numérique? « Par sa superficie, sa dimension démographique et son potentiel en ressources naturelles, mon pays n’a pas d’atouts particuliers. Nous avons donc misé sur la qualité de nos ressources humaines, et c’est pourquoi je consacre 40% du budget national à l’éducation et à la formation — je crois, d’ailleurs, que mon pays est le seul à atteindre cet objectif, alors que l’objectif de l’Union africaine est de 20%. C’est pour cette raison que l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (l’UNESCO) a classé le Sénégal comme leader mondial de l’éducation. En faisant confiance au génie créateur du peuple sénégalais, j’ai pour ambition de créer un système intégré où, du préscolaire à l’université, l’usage de l’ordinateur soit et reste une constante. Nous avons ainsi, il y a quelques années, inauguré le concept de la Case des tout-petits, où les enfants de deux à six ans apprennent à se familiariser avec les jouets modernes dont l’ordinateur de jeu: la génération de la Case des tout-petits sera une génération très particulière, qui vivra avec son siècle. Je considère, en effet, que l’outil informatique est avant tout un outil. Cependant, cette lapalissade est contrariée par la fracture numérique. »

Mais n’est-ce pas un luxe de penser à donner à tous l’accès aux TIC? « En effet, la fracture numérique fait de l’ordinateur, par exemple, une fin, ou encore un luxe dont les seuls bénéficiaires sont nécessairement choisis selon des critères qui échappent à tout esprit épris de connaissance et de réalisation. Car, il faut le rappeler, l’esprit sincère qui a pour culte le savoir sait qu’en le partageant il lui donne l’opportunité de grandir pour le bien de tous. Le programme «un étudiant un ordinateur, un enseignant, un ordinateur», que j’ai lancé il y a quelques années au Sénégal, s’inscrit dans cette démarche. Cela n’est plus un rêve depuis que le maire de Besançon et le Président-directeur général de la Compagnie AXA m’ont offert 30 000 ordinateurs à reconditionner. Cela veut dire que le réseau de solidarité numérique que je suis en train de créer au Sénégal recevra peut-être plus d’ordinateurs qu’il n’en faut. Mais il en suffira d’un par sénégalais et je serai satisfait. Car l’ordinateur n’est pas un luxe, contrairement à ce que l’on croit. Quelqu’un a dit, «mais le Président Wade, au lieu de nous parler de l’ordinateur, pourrait nous parler des moyens de nourrir nos populations». Eh bien, c’est mal comprendre le problème, car l’ordinateur est aussi utile dans l’agriculture que dans les bureaux ou dans les usines. Beaucoup de fermes modernes sont gérées aujourd’hui par l’ordinateur, et elles fonctionnent d’autant mieux grâce aux économies de toutes sortes, et aussi grâce à la recherche de l’efficacité. »

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Pouvez-vous nous citer d’autres initiatives entreprises par le Sénégal dans le domaine des TIC? « J’ai lancé l’Université du futur africain (UFA) qui est en construction avancée. L’UFA a pour vocation de recevoir, sans distinction de pays d’origine, tout étudiant africain remplissant les critères pédagogiques et bilingue. Cet établissement universitaire futuriste sera équipé d’infrastructures de télécommunications de pointe pour permettre à ses étudiants de se connecter à un réseau d’universités partenaires afin de suivre des cours en temps réel par satellite. A la fin de leur cursus, ces étudiants, qui n’auront pas besoin d’aller aux États-Unis ou en Europe pour accéder à la connaissance, recevront les mêmes diplômes que ceux décernés par les universités partenaires, et non des équivalents. Nous comptons par ce moyen contribuer à la lutte contre la fuite des cerveaux dont souffre le continent africain. Autre initiative, l’intranet gouvernemental qui relie les différents pôles de l’administration locale au Sénégal, en attendant la connexion avec nos représentations extérieures. Avec cet intranet, nous avons déjà réduit de manière considérable la facture téléphonique du gouvernement. Nous avons d’ailleurs lancé un programme intranet au niveau de la CEDAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) et bientôt au niveau de l’Union africaine et ceci avec la coopération de certaines sociétés internationales spécialisées. J’apprends que le Sénégal a été le deuxième pays au monde, après le Japon, à avoir relié ses administrations par un réseau unique à fibres optiques. Cette réalisation, produit de l’expertise de jeunes Sénégalais, rendue possible grâce à l’appui financier de la Banque mondiale, a été facilitée par les réformes institutionnelles qui ont abouti à la création de l’agence de l’informatique de l’État du Sénégal. Cette agence a permis à des ingénieurs et informaticiens sénégalais formés et travaillant à l’extérieur de rentrer dans leur pays et d’y valoriser leurs compétences. En outre, le Sénégal travaille actuellement avec une compagnie partenaire pour lancer un logiciel en wolof, l’une de nos langues nationales. »

La solidarité numérique se traduit-elle uniquement par des partenariats NordSud? « La nouvelle dimension de la coopération Sud-Sud dans le domaine de la solidarité numérique est tout aussi importante. En effet, l’Inde et l’Afrique viennent de lancer un ambitieux programme de coopération pour la télémédecine, la gouvernance et la formation à distance, lequel repose sur un réseau à satellite reliant tous les pays africains à l’Inde, et dont le noyau se trouve à Dakar. Le potentiel de la solidarité numérique, par la diversité des moyens mis en œuvre et la variété des domaines d’application, offre à l’humanité une chance sans précédent de vaincre l’ignorance, de combattre la pauvreté et d’assurer à tous des conditions de vie décentes car compatibles avec la dignité humaine. La formidable révolution en cours ne doit laisser personne au bord de la route, et cela est possible. Les jeunes du Sud, mis dans les mêmes conditions de concurrence que ceux du Nord, sont parfaitement capables de se dépasser. Comme je le dis souvent, l’ordinateur est le domaine de la démocratie parfaite: un Sénégalais, un Indien, un Chinois, un Américain, un Français ou un Suédois, placés devant le même ordinateur, avancent tous à la même vitesse — celle de la lumière. » Source : http://www.itu.int/itunews/manager/display.asp? lang=fr&year=2006&issue=05&ipage=laureates1&ext=html

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