Culte Marial Et Dévotion à Nd 3

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12/08/2009

L’exemple de la Bretagne du XIe au XVe siècle Chapelle Notre-Dame de Kernitron (Lanmeur) 10 août 2009 André-Yves Bourgès CIRDoMoC (Landévennec)

S’efforcer de parler de Marie et de son culte en historien  Définir une problématique.  Déterminer un cadre de travail.  Mais, au préalable, parler des sources… 

… car un historien travaille à partir de sources (archivistiques, littéraires, archéologiques, etc., …).

 Mais, aussi, examiner comment ces sources ont déjà été utilisées… 

… car les « traitements » dont elles ont fait l’objet reflètent moins l’objet historique concerné (en l’occurrence Marie) que les questionnements de ceux qui les ont interrogées, en fonction de problématiques et d’enjeux divers, qui ne sont pas tous « historiographiques ».

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Marie aux multiples visages  Marie « canonique »  Marie « vestale »  Marie « patrologique »  Marie « liturgique »  Marie « impériale »  Marie « monastique »  Marie « hagiographique »  Marie « royale »  Marie « gothique »

Marie « canonique »  Luc  Plusieurs chapitres de l’évangile de Luc parlent de Marie : 1

(Annonciation, Visitation), 2 (naissance de Jésus à Bethléem, « Purification » [présentation de Jésus] au Temple, « fugue » de Jésus), 3 (généalogie de Jésus), 8 (famille biologique et famille spirituelle de Jésus : On le fit savoir à Jésus : « Ta mère et tes frères sont là dehors, qui veulent te voir. » Il leur répondit : « Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui entendent la parole de Dieu, et qui la mettent en pratique »).

 Un portrait « sensible » (Marie et son « travail de mémoire »

signalé en 2, 19 et 2, 51).

 Du portrait littéraire à l’icône : 

« De Jérusalem, Eudoxie envoya à Pulchérie l’image de la Mère du Christ qu’a peinte l’évangéliste Luc » (Theodorus lector, vers 520).

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 Les Actes des Apôtres  Dans ce recueil qui se présente comme la suite de l’Evangile de Luc,

Marie n'est citée qu'une fois : "Tous ceux-là, d'un commun accord, étaient assidus à la prière, avec quelques femmes dont Marie, la mère de Jésus, et avec ses frères" (Ac., 1, 14).

 Marc et Mathieu sont beaucoup moins prolixes que Luc  L’Evangile de Marc parle de Marie en deux occasions seulement, au

chapitre 3, quand, avec les frères de Jésus, elle souhaite parler à ce dernier, mais dans un contexte décrit cette fois de manière assez négative (A cette nouvelle les gens de sa parenté vinrent pour s'emparer de lui. Car ils disaient: "Il a perdu la tête »), donnant ainsi à Jésus comme on l’a vu chez Luc, l’occasion d’évoquer sa « vraie » famille ; et, indirectement, au chapitre 6 (N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? )  L'Evangile de Matthieu parle de Marie aux chapitres 1 (généalogie de Jésus, conception virginale) et 2 (naissance de Jésus à Bethléem, visite des mages, fuite en Egypte et retour à Nazareth), et plus rapidement aux chapitres 12 et 13, à l’instar de ce qui est rapporté par Marc.

 Jean  L’Evangile de Jean contient, aux chapitres 2 et 19,le récit de deux épisodes essentiels où Marie, ou plutôt la mère anonyme de Jésus, joue un rôle très important : 

Les noces de Cana  Comme le vin manquait, la mère de Jésus lui dit : "Ils n'ont pas de vin.« Mais Jésus lui répondit : "Que me veux-tu, femme ? Mon heure n'est pas encore venue." Sa mère dit aux servants : "Quoi qu'il vous dise, faites-le."



Le calvaire  Voyant ainsi sa mère et près d'elle le disciple qu'il aimait, Jésus dit à sa mère : "Femme, voici ton fils." Il dit ensuite au disciple : "Voici ta mère." Et depuis cette heure-là, le disciple la prit chez lui.





Le « modèle » de Marie auxiliatrice/médiatrice.

Le « modèle » du monachisme féminin où les religieuses sont confiées à la garde des hommes .

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Marie « vestale »  Les textes apocryphes  Tout ce qui n’est pas dans les Evangiles canoniques et qui figure dans la

tradition mariale a d’abord été transmis par les apocryphes… 

…en particulier ce qui touche à la « virginité perpétuelle » de Marie.

 S’interroger sur ce dernier point qui , comme le souligne Jean-François

Baudoz de l’Institut catholique de Paris, ne préoccupait pas les premières communautés chrétiennes d’où sont issus les Evangiles, c’est donc s’interroger sur la première étape de la « construction » du personnage de Marie, qui emprunte ses traits distinctifs de vierge consacrée, moins à la tradition juive , où l’on ne connaît apparemment rien de tel dans l’enceinte du Temple, qu’à celle des vestales romaines. 

Caractéristique de cette tradition culturelle, le Protévangile de Jacques (milieu du IIe siècle), qui fait le récit de la consécration de Marie, récit utilisé tardivement par Jean Damascène (+ vers 749) et André de Crète (+ vers 740).

 Le rapprochement – mais pour mieux les opposer - entre les vierges de Vesta

et celles qui prennent modèle sur la Virginité de Marie est fait par Ambroise de Milan vers 377 dans son traité spécifique De Virginibus : 

Quis mihi praetendit Vestae virgines et Palladis sacerdotes? Qualis ista est non morum pudicitia, sed annorum: quae non perpetuitate, sed aetate praescribitur! Petulantior est talis integritas, cuius corruptela seniori servatur aetati. Ipsi docent virgines suas non debere perseverare, nec posse, qui virginitati finem dederunt. Qualis autem est illa religio, ubi pudicae adolescentes iubentur esse, impudicae anus ? «Et qui prétend me faire l’éloge des vierges de Vesta et des prêtresses de Pallas? Quelle est cette pudeur qui n’est pas affaire de mœurs mais d’années ; qui n’est pas prescrite à perpétuité mais pour un temps donné? Plus impudente encore une telle intégrité dont la corruption est réservée à un âge plus mûr. Ceux-là nous montrent que leurs vierges ne doivent ni ne peuvent persévérer puisqu’ils ont posé un terme à la virginité, enseignent à leurs vierges qu’elles ne doivent ni ne peuvent persévérer. Quelle est cette religion dans laquelle les jeunes filles sont obligées d’être pudiques et les vieilles femmes impudiques ?»

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Marie « patrologique »  Les Pères de l’Eglise se sont très tôt emparé du « dossier » de Marie dans ses composantes essentielles :  la Maternité divine .  la Virginité perpétuelle (et pas simplement la conception virginale).

 Sur la Maternité divine  Avant même la proclamation du dogme, la Maternité divine était populaire dans certaines communautés chrétiennes, au moins depuis le milieu du IVe siècle, car Julien l'Apostat ne se fait pas faute de reprocher aux chrétiens de proclamer que "vous, Galiléens, vous ne cessez de donner à Marie le nom de Mère de Dieu".  Sensiblement à la même époque une version grecque de la prière Sub

tuum praesidium, conservée dans un fragment de papyrus contient déjà l'invocation à la Theotokos.

 Parmi ces communautés, celle d’Alexandrie, dont la tradition

patrologique est incarnée successivement par Clément (+ 220), Origène (+ 253), puis Athanase (+ 373) et enfin Cyrille (+ 444), paraît avoir été singulièrement en pointe.

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 Sur la Virginité perpétuelle : 

Jusqu’à la fin du IIIe siècle, on peut constater qu’il existe une certaine liberté quant à l’appréciation de la Virginité de Marie : 







Justin (+ vers 165), qui est le premier à appeler Marie « la Vierge » (dans l’absolu), interprète cette virginité comme le signe du projet de Dieu. Irénée de Lyon (+ vers 202) présente Marie, comme « l’avocate » d’Eve, qui « détruit la désobéissance d’une vierge par l’obéissance d’une vierge ». Tertullien (+ vers 240) croit à la conception virginale de Jésus ; mais il présente sa naissance comme normale et sa mère comme une femme qui a eu d’autres enfants.

Puis évolution des positions des Pères de l’Eglise vers une certaine « radicalisation » :  









Clément d’Alexandrie croit à la virginité in partu. Athanase d’Alexandrie croît à la virginité post partum et propose Marie comme modèle des vierges chrétiennes. Hilaire de Poitiers (+ vers 367) affirme la Virginité perpétuelle de Marie, qu’il entend « prouver » par le fait que Marie n’a pas eu d’autre enfant que Jésus. Epiphane de Salamine (+ 403) attribue à Marie le titre de «toujours vierge » (aeiparthenos). Jean Chrysostome (+ 407) est convaincu de la virginité de Marie post partum, opinion qu’il déduit de l’Ecriture, tandis que la virginité ante partum lui apparaît comme manifeste dans le texte sacré. Augustin d’Hippone (+ 430), pour qui Marie prius concepit mente quam ventre (« a conçu [son fils] en esprit avant qu’en [son] ventre »).

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 Ces longues discussions, ces longs débats, ces longues

controverses aboutissent à une doctrine mariale qui constitue la base du culte médiéval :  le dogme de « Marie Mère de Dieu » (theotokos), proclamé par le pape

Célestin Ier à la suite du Concile d'Éphèse, en 431.

 le dogme de la Virginité perpétuelle de Marie, proclamé par le Pape

Martin Ier , à la suite du Concile du Latran, en 649, puis réaffirmé au troisième Concile de Constantinople, en 681.

 Il faut constater que les Eglises orientales et leurs Pères ont

joué un rôle essentiel dans la promotion et en même temps dans la discipline du culte marial.

Marie « liturgique »  Fêtes mariales à Rome  La plus ancienne est celle de la Purification de la Vierge, au 2

février, qui correspond à la Présentation de Jésus au Temple ; fête introduite vers 645.  La fête de l’Assomption, la fête de la Vierge par excellence, au 15

août, introduite vers 650, parait avoir été (au témoignage de Grégoire de Tours) déjà célébrée en Gaule dès le VIe siècle, à la mi-janvier, sous le nom de Depositio sanctae Mariae, à la date du 18 janvier à Auxerre, date et terminologie qui renvoient incontestablement à la fête de la Dormition de la Vierge célébrée en Egypte.

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 Puis, à la fin du VIIe siècle, auraient été, sinon introduites, du moins instituées, voire simplement « codifiées » deux autres fêtes :  Celle de l’Annonciation, au 25 mars.  Celle de la Nativité de la Vierge, au 8 septembre.

 Prières  Sub tuum 







Ὑπὸ τὴν σὴν εὐσπλαγχνίαν, καταφεύγομεν, Θεοτόκε. Τὰς ἡμῶν ἱκεσίας, μὴ παρίδῃς ἐν περιστάσει, ἀλλ᾽ ἐκ κινδύνων λύτρωσαι ἡμᾶς, μόνη Ἁγνή, μόνη εὐλογημένη. A l'abri de ta miséricorde nous nous réfugions, Mère de Dieu, ne repousse point les demandes de notre indigence, mais sauve-nous du péril, ô toi, seule chaste et bénie. Sub tuum praesidium confugimus, sancta Dei Genitrix. Nostras deprecationes ne despicias in necessitatibus, sed a periculis cunctis libera nos semper, Virgo gloriosa et benedicta. Nous nous abritons sous ta protection, sainte Mère de Dieu. Ne rejette pas les prières que nous t’adressons dans les besoins, mais délivre-nous toujours de tous les dangers, ô Vierge glorieuse et bénie.

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 Ave Maria 

En Occident, la première partie de l'Ave Maria (Ave Maria, gratia plena , Dominus tecum ; benedicta tu in mulieribus, et benedictus fructus ventris tui) est introduite dans la liturgie latine aux VIe–VIIe siècles. 



au VIIe siècle, Ildefonse de Tolède, récite plusieurs fois l'Ave Maria lors d'une vision, en se mettant à genoux.

Mais, il faut attendre le XIe siècle pour que l'Ave Maria devienne une prière populaire

Marie « impériale »  La Maternité divine de Marie et sa Virginité perpétuelle…  … outre qu’elles distinguent Marie du commun des mortels et suggèrent que sa Conception, à l’instar de son Assomption, pourrait bien revêtir un aspect proprement « miraculeux » …  … imposent de lui fournir un statut dans l’organisation de la hiérarchie céleste qui emprunte à l’organisation politique sa dimension « impériale » :  

Déjà en Orient, où l’Empire romain perdure. Puis en Occident, quand les Pippinides accèdent au titre d’Empereur.

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 L’écho de cette « idéologie impériale » est nettement perceptible

dans le texte où Alcuin (+ 804), le conseiller de Charlemagne mais aussi dévôt de Marie, décrit le processus de l’Incarnation de Jésus :  « La bienheureuse Vierge Marie en gardant l'intégrité de son corps, l'a

engendré Dieu et homme. Elle, plus blanche que la laine, splendide dans sa virginité et incomparable à aucune autre vierge sous le ciel, fut si extraordinaire et si grande qu'elle devint la seule qui put accueillir en son sein la divinité. En effet comme la laine s'imbibe du sang de la cochenille afin que la pourpre, faite de cette même laine devienne digne d'une majesté impériale - en effet celui qui la revêt exclusivement est digne de la majesté impériale, - de la même façon, quand l'Esprit Saint descendit sur la bienheureuse Vierge, la puissance du Très Haut étendit sur elle son ombre pour que la laine resplendît de la couleur rouge pourpre de la divinité et fut vraiment digne d'être revêtue par l'éternel Empereur ».

Marie « monastique »  Marie clunisienne  Le renouveau monastique incarné par Cluny à partir du début du Xe siècle fait une large place à Marie, dont les abbés Odon (+ 942), puis Odilon (+ 1049) sont de fervents dévots. 



Odon invoque la mère de miséricorde (mater misericordiae), qui rappelle la prière du Sub tuum. Odilon qui, aux dires de son biographe, se « donne » littéralement à Marie, introduit la célébration de la fête de l’Assomption le 15 août comme une solennité majeure.

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 Le long abbatiat du futur saint Hugues (+ 1109) qui couvre la

seconde moitié du XIIe siècle voit se renforcer encore cet engouement marial :  







Hugues décide que les samedis de l’année non chargés d’une fête spéciale seront consacrés à Marie par la messe De Beata. Hugues fonde en 1056 à Marcigny le premier monastère de femmes dépendant de Cluny, que son statut apparente au type de « monastère double » dont déjà Locmaria de Quimper, plus tard Fontevraud ou SaintSulpice de Rennes montrent d’autres formes. Ce monastère est administré par une prieure au nom de la Vierge Marie, qui est l’abbesse en titre. En 1095, le rattachement à Cluny de l’abbaye de Mozac entraine celui de sa dépendance, le prieuré de femmes de Marsac, où la présence de reliques de la Vierge est attestée par Grégoire de Tours au VIe siècle et où la vénération des fidèles s’exerce à l’endroit d’une Vierge noire. Au tournant des XIe-XIIe siècles, se met en place le pèlerinage marial de Rocamadour, autre sanctuaire où est vénérée une Vierge noire, dépendant de l’abbaye clunisienne de Saint-Martin de Tulle. A la Noël 1108, peu avant sa mort, Hugues est gratifié, aux témoignages de ses biographes, d’une vision de la Mère de Miséricorde avec son Fils.

 Les autres nouvelles formes de monachisme qui s’expriment à partir

du XIe siècle sont toutes marquées au coin de la vénération mariale :  Erémitisme 

Robert d’Arbrissel

 Cisterciens (1098) 

Clairvaux 

Bernard de Fontaine

 Chanoines réguliers 

Victorins (1108/1113)   



Hugues Richard Adam

Prémontrés (1120)

 Ordres militaires 

Templiers (1129)

 Chartreux (1140)  Monachisme féminin 

Expérience des monastères « doubles » 

Fontevraud

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Marie « hagiographique »  Une longue tradition hagiographique mariale existe déjà,

celle qui prend sa source dans les textes apocryphes.  Appropriations « régionales », locales des fêtes mariales :  « Empire anglo-angevin » :  

La Feste az Normands (l’Immaculée Conception). L’Angevine (la Nativité).

 Les Vierges de Laon et de Soissons, ou bien sûr celle de Chartres, ou

encore celle de Rocamadour dont le recueil de miracles associe le toponyme au nom de la Vierge en 102 occasions. 

Compétition entre ces différentes Vierges : celle de Chartres apparait en songe à la mère de Guibert de Nogent et, aux dires de Jean Le Marchant, au XIIIe siècle, à une femme guérie après un pèlerinage au sanctuaire marial de Soissons pour indiquer à celle-ci que c’est à son intercession spécifique qu’elle doit sa guérison !

 C’est dans ce contexte que se développe, plus particulièrement en « France », à partir du XIIe siècle un genre particulier, celui du récit de miracles attribués à la Vierge Marie, inspiré plus ou moins librement de traditions antérieures et présenté sous forme d’ouvrages en latin ou en langue vernaculaire.  Ces ouvrages sont à distinguer des recueils plus conventionnels qui enregistrent les prodiges intervenus dans tel sanctuaire marial, auxquels ils empruntent cependant l’essentiel de leur matière.

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 Le récit le plus connu de « Miracles de la Vierge » est celui de Gautier de

Coinci, composé au début à la charnière des XIIe-XIIIe siècles, œuvre aux dimensions imposantes (plus de 35000 vers) et qui a connu une exceptionnelle diffusion (114 manuscrits connus, dont 17 complets).

 Dans plusieurs des pièces que contient ce poème, Marie joue des rôles qui

auraient plutôt leur place dans le répertoire des fabliaux et qui étonnent eu égard au public des moniales de Soissons pour lequel Gautier écrivait :

 Marie se déguise en nonne et prend pendant plusieurs années la place de la

sacristine d'un couvent qui s'était enfuie pour suivre un séducteur.

 Ou bien, à l’instar d'une sage-femme, Marie délivre une abbesse qui se trouvait

enceinte, et fait porter le nouveau-né par des anges dans la cellule d'un ermite.

 Plusieurs de ces anecdotes se retrouvent également dans les recueils

d’exempla utilisés par les prédicateurs pour illustrer leurs sermons.  Ainsi celle où Marie s'oppose à la consommation du mariage d'un jeune homme qui, en jouant, avait mis une bague au doigt d'une statue qui la représentait.  Le prototype de cette histoire est déjà chez Guillaume de Malmesbury, dans son De Gestis regum Anglorum (vers 1120).

Marie « royale »  La tradition patrologique, au prix d’étymologies hasardeuses du nom de Marie,

désigne souvent cette dernière comme « souveraine » ou « reine ».

 On a vu plus haut Marie revêtue de la dignité impériale (au XVe siècle encore, Villon

qui décline la titulature trinitaire de Marie la désigne, outre Dame des cieulx, regente terrienne, comme Emperiere des infernaux paluz, en référence à la tradition apocryphe de sa descente aux Enfers)…  … Mais en France, sous l’influence de la dynastie robertienne, c’est le titre royal qui

prend de l’importance dans la seconde partie du Moyen Âge.

 Les antiennes mariales renvoient à cette dimension royale de Marie (Ave regina

coelorum, Regina coeli laetare, Salve regina)…

 .. Mais aussi l’auteur de recueils comme celui de Rocamadour qui, à vingt reprises,

utilise regina avec un génitif ou un qualifificatif.

 En outre, non seulement, les cathédrales de nombreux évêchés régaliens - outre

Paris, citons Noyon, Senlis, Laon, Sens, Chartres, Bourges, Soissons, Le Mans, Coutances, Reims, Amiens, Beauvais - sont toutes dédiées à Marie…  … Mais encore les rois de France vénèrent la Vierge dans des sanctuaires plus

modestes (Notre Dame de Cléry) ou lui construisent de nouveaux lieux de culte (Notre-Dame de la Victoire, à Senlis).

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 Un aboutissement : le Couronnement de Marie  Prolongement

de

l’Assomption,

au

point

de

vue

théologique…  …Mais qui s’inscrit dans l’idéologie « royale » développée

par les monarchies française et anglo-normande.

Marie « gothique »  De la Vierge de Miséricorde à la Vierge de Pitié  Flamboyant XIIIe siècle : 

La pastorale mendiante :  

 

Franciscains. Dominicains.

Emergence de la piété individuelle (livres d’heures, Légende Dorée). Exempla marials.

 Un certain contexte ou incertain contexte ? (XIVe-XVe siècles) : 



La Grande Peste…  …La guerre de Cent Ans (Jeanne d’Arc) L’acculturation religieuse :     



Les âmes du Purgatoire. La seconde partie de l’Ave Maria. L’Angélus. Le proto-rosaire de Dominique de Prusse. Une démarche de dévotion collective : les confréries.

Une religion « tarifée » : 

indulgences et pardons

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 Un renouveau férial  La Présentation au Temple, au 21 novembre 



Adoptée en 1371 par les franciscains, à l’initiative de son promoteur, Philippe de Mézières, ancien chancelier du roi de Chypre C’est dans l’église des franciscains d’Avignon qu’elle est célébrée en 1372 en présence de Grégoire XI, qui en approuve le formulaire ; mais elle n’est étendue à toute l’Eglise qu’en 1472 par Sixte IV.

 La Visitation au 2 juillet (aujourd’hui au 31 mai)   

Adoptée en 1263 par les franciscains. Instituée en 1389 par Urbain VI. Reçue en 1401 par les dominicains, en 1468 par les chartreux, en 1476 à Cîteaux en 1481 à Cluny.

 L’Immaculée Conception, au 8 décembre 

 

La feste az normans, Anselme de Canterbury (+ 1109) et l’Eglise de Lyon (vers 1130). Adoptée en 1263 par les franciscains . Instituée en 1477 par Sixte IV.

 Controverses  C’est l’Immaculée conception qui (a) fait le plus débat.  Au XIIe siècle :  Le bouillant Bernard de Clairvaux (et le silence d’Abélard ?)  Au XIIIe siècle :  Les « tièdes » : Thomas d’Aquin (OP), Bonaventure de Lyon (OFM).  La formulation définitive par Jean Duns Scot (OFM) au début du

XIVe siècle.  

Parmi les « pro » (OFM) : Guillaume d’Ockham. Deux « contra » (OP) : Jean de Monçon (Juan de Monzon) et Guillaume de Vallan, évêque de Bethléem (Clamecy), puis d’Evreux.

 Le triomphe des universitaires.  Jean Gerson, qui est par ailleurs à l’origine du "recentrage familial" qui verra bientôt la revalorisation du rôle joué par saint Joseph, jusqu'alors presque complètement passé sous silence.

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 Quelques « marqueurs » marials à la fin du Moyen Âge  La poésie  

Le prince (Doulce Vierge Marie,…) Le voyou (Vierge Souvraine,… Vierge digne princesse)

 Nouvelles formes de dévotion  

Notre-Dame de Pitié, prolongement du culte de la Passion Le Rosaire

 Le Transitus Beatae Mariae  

Tradition apocryphe Succès médiéval

Une problématique  Le culte marial s’enrichit à partir du XIIe siècle d’une dévotion particulière à « Notre-Dame », dont la dimension locale est très importante :  Quelles sont les facteurs qui expliquent l’apparition et le développement de ce type de dévotion et des pratiques qui l’accompagnent ? 

la Bretagne présente-t-elle en l’espèce un profil spécifique ?

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Domina chez les théologiens  Saint Jérôme :  mi domina Eustochium — dominam quippe debeo vocare sponsam domini mei (“ma dame Eustochium — car c'est dame que je dois appeler l'épouse de mon Seigneur »)  Ildefons de Tolède (+ 667)  Domina mea, dominatrix mea.  Pascal Ier (817-824)  Ecclesia sanctae Dei Genetricis semperque Virginis Mariae Dominae nostrae quae appelatur Dominica  Saint Anselme de Canterbury :  Domina nostra  Bernard de Clairvaux :  Domina nostra, Mediatrix nostra, Advocata nostra  Albert Le Grand :  Sic dicere possumus Dominae nostrae cujus…

« Notre Dame » dans les récits de miracles de la Vierge  Dans les Miracles de la Vierge (2nde moitié du XIIe –début du XIVe

siècle), dont il a déjà été question, on s’aperçoit que les textes vernaculaires (gallo-roman et ibéro-roman) utilisent pour désigner la Vierge  une forme de type « sainte Marie » dans 80 % des cas  une forme de type « notre Dame » dans 20 % des cas

 Mais si l’on s’attache à connaître le pourcentage dans chacun des

deux grands groupes, on s’aperçoit que la proportion respective est  de 37 % (gallo-roman) et 97 % (ibéro-roman) pour « sainte Marie »  de 63 % (gallo-roman) et 3 % (ibéro-roman) pour « notre Dame »

 Et enfin à l’intérieur du groupe gallo-roman, la proportion est

respectivement

 de 36 % (oïl) et 40 % (oc) pour « sainte Marie »  de 64 % (oïl) et 60 % (oc) pour « notre Dame »

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 A ce constat textuel, il faut ajouter une approche dynamique qui tienne compte de la chronologie des ouvrages concernés :  Depuis la 2nde moitié du XIIe jusqu’au milieu du XIIIe siècle, les forme de type « sainte Marie » sont majoritaires au sein des collections du domaine anglo-normand, mais décroissent.  Dans la seconde moitié du XIIIe siècle, les formes de type « sainte Marie » sont à proportion égale avec les formes de type « notre Dame » au sein des collections du domaine picard.

 Wace, dans son poème sur la fête de la conception de la Vierge (vers

1140) utilise 2 fois la forme « Notre Dame sainte Marie », 3 fois « Madame sainte Marie », 8 fois « sainte Marie » et 8 fois « Notre Dame », ce qui constitue une intéressante confirmation de la tendance décrite précédemment.

 Gautier de Coinci parle des « Miracles de Notre Dame » (vers 1200),

là où sa source soissonnaise (composée vers 1125 par Hugues Farsit) est intitulée De miraculis Beatae Virginis Mariae et où le compilateur des miracles de Rocamadour (1172), dont il a également utilisé le recueil, évoque les miracula Beatae Dei Genetricis et perpetuae Virginis Mariae…  … Mais dans ce dernier ouvrage le terme domina ou l’expression

domina nostra sont utilisés à 50 reprises pour désigner Marie.

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La Bretagne du XIe au XVe siècle : Un cadre géographique, culturel et chronologique

Le cadre géographique et culturel  Homogénéité et permanence du cadre géographique  L’Eglise bretonne (charte de Conan en 990) ; organisation paroissiale  Le duché et l’Etat breton  Bretagne « duale »  Haute-Bretagne (Bretaigne G(u)allou, 1358, 1371)  Basse-Bretagne (Bretaigne bretonante, 1371)  La spécificité basse-bretonne : deux cultures et trois langues  Clercs (breton, français, latin)  Laïcs  

« Aristocratie » (breton, français) Classes populaires (breton)

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Le cadre chronologique  Dynasties ducales autochtones  Comtes de Rennes  Comtes de Cornouaille (1066-1166) 

Constance (1181-1201)

 L’emprise Plantagenêt (2nde moitié du XIIe siècle)     

Le roi Henri II (1166-1189) Geoffroi (1181-1186) Ranulf, comte de Chester (1189-1199) Arthur (1199/1201-1203) La forfaiture de Jean sans Terre (1204)

Le cadre chronologique  Retour aux sources ?  Gui de Thouars (1201-1213)  Alix  Henri de Goëllo-Avaugour  Un lignage capétien et ses tribulations (1213-1514)  Pierre de Dreux  la guerre de succession (1341-1381)  Le siècle des Montforts

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La Bretagne des moines et des chevaliers (XIe-XIIe siècles)  De nouvelles formes du monachisme :  Ermites 

Robert d’Arbrissel



Beauport



Bégard et ses filles



Locmaria, St-Georges, St-Sulpice

 Chanoines réguliers  Cisterciens 

Monachisme féminin

 La société chevaleresque    

Valeurs La culture de « courtoisie » La demeure Le lignage

 La production hagiographique  Histoire littéraire  Histoire des mentalités  Un résidu factuel

 Naissance des « intellectuels »  Pierre Abélard

La Bretagne des évêques et des ducs (XIIIe-XVe siècles)  L’affirmation de la ville  Centre de pouvoir (épiscopal, ducal) : Rennes, Nantes

et Vannes  Couvents et studia (ordres mineurs)

 L’apostolicité des Eglises de Bretagne  Nantes (saint Clair)

 Les catalogues épiscopaux

 L’acculturation religieuse : croix, chapelles, indulgences

et “pardons”  Les relations entre le clergé breton et les ducs de Bretagne  La guerre de succession  Les novi sancti

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Le silence des dévots  Malheureusement, l’abondante littérature hagiographique

bretonne est muette sur le culte marial en Bretagne  Ceci (abondance) explique d’ailleurs peut-être cela (mutisme)  La seule allusion possible nous paraît être contenue dans la vita

de saint Cunwal (XIe siècle, révisée à la fin du XIIe siècle ?), lequel se voit confier par un mythique comte Judaël sa fille Penve(n)an « pour qu’il la garde sous son autorité, tout comme le Christ de sa croix recommanda sa mère à son disciple Jean : il est vraiment approprié que des hommes vierges gardent des femmes vierges .  Peut-être entendons nous ici l’écho de saint Jérôme : « et pour parler avec concision et montrer quel fut le privilège de Jean, ou plutôt de la Virginité de Jean, c’est à un disciple vierge que le Seigneur vierge a confié sa mère vierge ».

 De même, il n’existe pas en Bretagne de recueils de miracles équivalents à ceux dont nous avons rappelé l’existence à propos de plusieurs sanctuaires mariaux, notamment ceux de Laon, Soissons ou de Chartres, en « France ».  Mais c’est de « France » précisément que nous vient, au XIIIe siècle, la première attestation parodique de la dévotion particulière que les Bretons émigrés à Paris témoignent à la Vierge : Et cil s'escri : « Haio! haio! En itrou Maria, en trou! »

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 Les riches enquêtes concernant Yves de Kermartin (1330),

Charles de Blois (1371) et Vincent Ferrier (1453) en vue de leur canonisation n’offrent malheureusement que peu de détails relatifs au culte de la Vierge en Bretagne.  En dehors de l’église paroissiale de Vannes consacrée à la Vierge et de

la chapelle de Bondon, le seul sanctuaire marial cité explicitement dans l’enquête de 1453 est celui de la Bienheureuse Marie des Vertus à Dinan, qui était l’église du couvent des franciscains de cette ville.  Plusieurs témoins rapportent avoir appris leurs prières, singulièrement le Pater noster, le Credo et l’Ave Maria lors de la prédication de Vincent Ferrier ; une femme de Lamballe récite ainsi devant les commissaires le Pater noster, l’Ave Maria et « l’oraison de la Vierge en français » (oracionem B.M. in galico).  Il est question à plusieurs reprises dans l’enquête de 1453 d’un possédé qui, conduit au sanctuaire marial de Bondon près de Vannes, « crache sur la statue de la Vierge en traitant celle-ci de prostituée » (ymaginem B. Marie spuentem et vocantem eam meretricem).

 Le seul récit consacré à un miracle marial, celui du Folgoët (disputé

entre le sanctuaire léonard et la chapelle de Landévennec), dont le proto-texte latin, attribué à un abbé de Landévennec, a pu être rédigé vers la fin du XIVe siècle, n’est plus connu que par une paraphrase en français de la fin du XVIe siècle et emprunte l’essentiel de son ressort « miraculeux » à un exemplum issu du milieu cistercien (?), mais largement diffusé depuis le XIIIe siècle, dans les recueils d’exempla dominicains .

 En revanche les pratiques ascétiques et pénitentielles décrites dans

ce texte mériteraient une exploration plus approfondie :

 Certaines sont « traditionnelles » (Salaün est un pauvre, un mendiant) :  

Le pain et l’eau Coucher à même le sol

 D’autres sont plus « étonnantes » (Salaün est un « fol ») 



L’immersion jusqu’aux aisselles dans l’eau glacée (attestée dans de nombreux textes hagiographiques) : rappel du baptême ? Simulacre ordalique ? Régulation de la libido ? L’oraison mariale codifiée, tout en s’accrochant aux branches d’un arbre (souvenir des saints dendrites ?)

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 On eût aimé que le dominicain Alain de la Roche, décrit comme

breton, mais dont les origines précises, léonardes (Sizun ?) ou « malouines » (Pleudihen ?) restent à éclaircir, nous donnât à voir un peu de la sensibilité mariale bretonne.

 Mais sauf à considérer qu’il incarne une part de cette sensibilité,

dans ses aspects parfois un peu « névropathiques », ses nombreux écrits ne laissent rien voir de la spécificité du culte de la Vierge en Bretagne…

 …qu’il a cependant largement contribué à influencer par le Rosaire

dont l’introduction précoce en Bretagne semble pouvoir être attribuée à la duchesse Françoise d’Amboise, même si la rencontre entre les deux personnages rapportée par plusieurs auteurs ne paraît nullement assurée.

 Demeure le témoignage des débuts de l’imprimerie, qui voient la

publication du récit apocryphe de la Dormition de la Vierge du pseudoJoseph d’Arimathie :  En 1484, en Bretagne (Bréhant-Loudéac) et en français : le Trespassement Nostre Dame.  En breton et à Paris, en 1530 : Tremenvan an Ytron Maria.

 Cette double parution nous confirme au surplus que l’invocation à « Notre

Dame » était traduite à l’époque en breton par « Itron Varia », littéralement « Dame Marie ».  A la chapelle Saint-Adrien, en Plougastel-Daoulas, une longue inscription commémorative en breton datée 1549 évoque YTRO MARIA A COFORT  C’est bien sûr le même terme itron, qui est entré en composition dans le nom de Kernitron < *Ker-an-itron, littéralement « la ville (le village) de la dame », pour désigner le sanctuaire marial de Lanmeur et dont nous avons une première attestation en 1551: Nostre Dame de Kernytron.

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Une méthode  Pour pallier ce silence :  Recours à l’onomastique : 



Toponymie (en particulier en Basse-Bretagne).  …C’était déjà la méthode employée par R. Largillière dans son travail sur l’histoire de la formation des paroisses bretonnes. « Prénomination ».

 Recours aux représentations artistiques.  … à leur éventuelle dimension épigraphique  … et à leurs éventuels prolongements archivistiques  … Et bien sûr utilisation des sources diplomatiques et

annalistiques.

Une « pré-histoire » du culte marial en Bretagne au haut Moyen Âge  Il n’existe quasiment qu’une seule source exploitable : le

cartulaire de l’abbaye de Redon, compilation réalisée au XIe siècle d’actes de la pratique qui couvrent un long siècle IXe carolingien.  Heureusement, la situation géographique du monastère et son

renom d’abbaye impériale qui lui attire de nombreuses donations dans les évêchés de Vannes, Nantes, Rennes et Alet (= Saint-Malo), confèrent aux chartes de ce recueil une certaine « représentativité » de l’espace breton et de l’Armorique franque à cette époque.

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 Reliques  A l’abbaye même ou bien à Laillé (in pago Redonico, in centena Laliacinse) ? La

formulation de l’acte de 852 qui mentionne ces reliques associées à celles du saint Sauveur demeure ambigüe

 Lieux de culte et toponymes  In pago Namnetico, in villa que dicitur Gramcampo… basilica facta in honore

sanctae Mariae et sancti Petri (847 et 850)  Remarquons au passage qu’aucune cathédrale de Bretagne n’est dédiée à la

Vierge, même si à Nantes et Rennes les églises Sainte-Marie ont pu faire partie du groupe cathédral primitif à l’instar de ce qui s’observe dans de nombreux chefs-lieux de cités gallo-romaines à la fin de l’Antiquité.

 « Prénomination »  Donatus et sa femme Maria, donateurs avec leurs enfants d’une vigne située in

pago Namnetico, in villa nuncupante conjuda, in campo qui dicitur longo (854)

 Dans le Chronicon Namnetense, le célèbre Alain Barbetorte est

présenté comme un dévot de Marie dont la bienveillance lui aurait permis de découvrir une source lors d’un combat acharné contre les Normands à proximité immédiate de Nantes.  Le prince aurait été inhumé à Nantes dans l’église dédiée à la

Vierge dans des circonstances miraculeuses

 Mais la date de rédaction de cette chronique, repoussée

récemment à la fin du XIIe ou au début du XIIIe siècle, postérieure donc à l’efflorescence mariale, est trop tardive pour que son témoignage soit retenu.

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L’époque féodale (XIe-XIIe siècles)

Efflorescence mariale  Attestée notamment par les très nombreux Locmaria parsemés sur le territoire que couvrait jadis la langue bretonne.  En effet, les toponymes formés avec le mot breton loc, « lieu consacré » n’apparaissent en Bretagne que dans la seconde moitié du XIe siècle et, en ce qui concerne les Locmaria, pas avant la première moitié du XIIe siècle.

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 Dès la première moitié du XIe siècle, on constate l’existence d’une

communauté monastique « double », placée sous la protection de la Vierge, comme à Quimper :  Fondée par le comte de Cornouaille, Alain Canhiart, sous le vocable de

Sancta Maria in aquilonia civitate.

 le nom de Locmaria apparaît en 1124 seulement (quod britannice Locmaria

vocatur), au moment où l’établissement quimpérois est donné par l’évêque Robert à l’abbaye haute-bretonne du Nid-de-Merle (Saint-Sulpice-desBois), puis à nouveau en 1152.

 Cette dernière venait quant à elle d’être fondée par l’ermite Raoul de la

Fûtaie ; un autre de ses prieurés s’appelait également Locmaria : il s’agit de celui de Plumélec (Morb.), dont le nom est mentionné pour la première fois en 1146.

 Les membres de la dynastie comtale de Cornouaille ont toujours

témoigné un attachement particulier à la Vierge :  Alain Canhiart voulut être inhumé dans une chapelle dédiée à Notre-

Dame (et non dans le monastère qu’il avait fondé à Quimperlé ).  Conan III a singulièrement favorisé l’implantation cistercienne dans le

duché.  Cette attitude protectrice se retrouve encore chez l’héritière de la

lignée, Constance (abbayes de Carnoët et surtout de la Villeneuve).

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L’implantation cistercienne  Les Cisterciens sont arrivés à Bégard, en Trégor, vers 1130,

sans doute à l’invitation de Raoul qui occupait à l’époque le siège épiscopal de Tréguier et se distinguait par son zèle réformateur.   Pour sa part, le duc Conan III est expressément désigné

comme le fondateur laïque de l’abbaye.  L’action des Cisterciens en faveur de la dévotion mariale a pu

être épaulée, ici ou là, par les Templiers, établis en Bretagne sensiblement à la même date et qui paraissent, quant à eux, avoir privilégié le culte du Christ de la Passion.

 A l’instar de celle des Lochrist pour le réseau templier,

l’implantation géographique des Locmaria peut également nous éclairer sur la diffusion du culte marial à partir des établissements cisterciens :  Beaucoup de ces toponymes étaient d’ailleurs moins attachés à

de véritables prieurés qu’à de simples oratoires .

 Parfois même, pour les plus modestes d’entre eux, ils

s’appliquaient apparemment à des emplacements très frustres que l’Église, désireuse de soustraire à toute pratique « magique » d’anciens loci du paganisme, avaient placés sous la protection de la Vierge pour servir à la prière ou au refuge des populations voisines.

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 En tout état de cause, les toponymes formés avec le mot loc, en particulier Locmaria et Lochrist, ont connu dans le siècle qui a suivi l’implantation bretonne des Cisterciens et des Templiers une période d’intense prolifération.  le réseau des Locmaria est ainsi venu renforcer celui, plus ancien, des églises dédiées à « sainte Marie » :  Parfois en se superposant à lui (cf. à Quimper).  Mais le plus souvent en le complétant.

Un ultime indice toponymique : les Kermaria  Enfin, à partir du XIIIe siècle apparaît le toponyme Kermaria.  Kermaria est forgé avec le mot breton ker, qui désignait à l’origine un « village », mais dont le sens bientôt se limite à celui de « demeure » .  Ker Maria, c’est donc littéralement la « demeure de Marie », par quoi l’on désigne un sanctuaire consacré à la Vierge : 

 

Kermaria-an-Draou, à Lannion, ancienne « église sainte Marie » (Eccl. S. Marie de Lannion) en 1163, donnée à l’abbaye Saint-Jacut et plus tard prieuré dépendant de ce monastère, appelée Quermorio-an-Drou dans un pseudo-acte de 1297. Kermaria-an-Isquit, à Plouha, chapelle célèbre pour sa Danse macabre. Kermaria-Sulard, ancienne trève de Louannec, appelée concurremment Ville Beate Marie Insuler et Kermaria en 1330.

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 La première différence Kermaria et Locmaria est nettement

perceptible :

 Locmaria était rapidement sorti d’usage, avant le XIVe siècle,

sans doute à l’époque même où est apparu le toponyme Kermaria.  En revanche, Kermaria va connaître une très longue carrière onomastique, qui n’est pas sans doute pas encore achevée.

 La seconde différence est plus subtile :  Les Locmaria, même lorsqu’il ne s’agit pas de prieurés, peuvent souvent revendiquer une origine monastique .  les Kermaria, même rattachés ultérieurement à un monastère, ont généralement une origine séculière.

Et du côté de la « prénomination » ?  Malgré le succès local du culte de la Vierge, bien attesté donc

par la toponymie, on n’assiste qu’à une lente pénétration du nom de Marie dans l’onomastique féminine bretonne, à partir de la seconde moitié du XIIe siècle.  Dans les débuts, il s’agit d’ailleurs d’apparitions presque

furtives, fugacité aggravée par la modestie de l’échantillon statistique disponible :  En 1153, le comte Eudon [de Porhoët] confirme au prieuré de

Josselin la donation faite par une certaine Maria filia Ysaac et les siens

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 En outre, ces rares attestations concernent surtout des femmes de

l’aristocratie, comme celles qui furent placées à la tête des abbayes déjà mentionnées et dont l’origine bretonne n’est pas toujours assurée. Voir par exemple à Saint-Sulpice-la-Forêt :  L’abbesse Marie, mentionnée en 1124, 1127, 1131, 1146, 1152 et

1156 ; elle mourut le 6 mai 1159.  Une seconde Marie, fille d’Etienne de Blois et de Mathilde de Boulogne, avait été élevée à Saint-Sulpice-la-Forêt. Elle quitta l’abbaye en 1135, au moment de l’accession de son père au trône d’Angleterre, pour rejoindre le monastère de Stratford (Middlesex) ; puis, vers 1150, elle se retira à Lillechurch (Kent), établissement qui fut placé dans la dépendance de l’abbaye bretonne. Vers 1160, le roi Henri II Plantagenet confirma à Marie et à ses moniales la possession de Lillechurch.  Enfin, une troisième Marie, moniale, mentionnée dans une charte de la duchesse Constance à la fin du XIIe siècle en qualité de cellararia.

 En 1330 l’échantillon plus représentatif, au moins à l’échelle

trégoroise, des témoins féminins dans l’enquête sur Yves de Kermartin, ne comprend toujours aucune Marie.

 Elles sont toujours rarissimes en 1371 dans l’enquête sur Charles de

Blois, dont les témoins se recrutent pourtant non seulement en Bretagne mais aussi en Anjou.

 Elles sont encore très peu nombreuses en 1453 dans la partie

bretonne de l’enquête sur Vincent Ferrier.

 En fait, c’est seulement à la fin du XVe siècle que l’on commence à

rencontrer ce nom porté régulièrement en Bretagne.

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Le Bas Moyen Âge (XIIIe-XVe siècles)

Permanence de l’attachement à la Vierge au sein de la lignée ducale  On a vu plus haut que les comtes de Cornouaille avaient

témoigné un grand attachement à Marie, qui a perduré après leur accession au trône ducal.  Ce sentiment était partagé par plusieurs lignages de la haute

aristocratie du duché, comme les membres de la maison de Penthièvre-Goëllo-Avaugour autour de leurs églises castrales de Lamballe, Moncontour, Guingamp, placées toutes les trois sous l’invocation de la Vierge, et de leur sanctuaire marial de Quintin.  Pierre de Dreux à son tour fait preuve de la même dévotion.

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 Pierre de Dreux contribua ainsi notamment à la construction

et à l’embellissement de la cathédrale de Chartres :  Il s’est fait représenter à plusieurs reprises dans les verrières du

lieu, ainsi que sa femme, la princesse Alix, son fils Jean et sa fille Yolande.  On le retrouve, toujours en compagnie de sa femme, parmi les

quelques 783 statues qui ornent le porche méridional : Pierre et Alix, sous la figure centrale du Christ tenant en main les évangiles, sont occupés à donner à manger aux pauvres en les accueillant à leur table.

 La donation faite par Pierre de Dreux surpassait incontestablement celle de

la famille royale qui avait permis peu de temps auparavant l’érection et la décoration du porche nord.

 La munificence de cette donation permet d’en extrapoler le montant, lequel

était peut-être financé par ce que les évêques de Bretagne, à l’exception de celui de Quimper, Rainaud « le Français » (Rainaldus Gallicus), familier du duc et son chancelier, ont qualifié de spoliations.

 Outre que Pierre était à Chartres presque comme chez lui, l’intention

politique n’était évidemment pas absente d’une telle ostentation, comme l’ont souligné de nombreux auteurs.  Bien noter en passant, dans l’historiographie de la fin du Moyen Âge, la

surinterprétation des quelques lignes consacrées par César aux Carnutes dans un sens qui, au delà même de la revendication par plusieurs Eglises des Gaules de leur apostolicité, donne une antériorité absolue à celle de Chartres sur toutes les autres et en particulier sur le siège épiscopal de Paris.

 Mais il n’est pas possible de réduire l’exécution de ce chef-d’œuvre à la

seule rivalité entre Pierre et ses cousins capétiens de la branche aînée.

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Dame du Ciel qui portâtes Jésus Par qui le monde fut tout enluminé L’héritage qu’Adam avait perdu Par son péché fut par vous recouvré (Comme je le crois et comme c’est vérité) ; Défendez-moi, que je ne sois pas vaincu Par l’ennemi qui est félon et enragé.

Les agents locaux du développement marial au temps de Pierre de Dreux  les Cisterciens, même si l’on souligne souvent le relatif manque

d’intérêt témoigné par le prince à l’endroit des abbayes cisterciennes bretonnes.  Les Templiers, à l’évidence beaucoup plus appréciés de Pierre,

car plusieurs d’entre eux figuraient parmi ses hommes de confiance.

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 Les Mendiants : 

les Franciscains, établis à Quimper, peut-être dès 1228, à l’instigation de l’évêque du lieu, Rainaud « le Français ».



les Dominicains établis à Dinan, vraisemblablement en 1232. 

Mais l’anecdote rapportée au XVe siècle par Alain de la Roche, qui fait état d’une rencontre à Nantes en 1218 avec saint Dominique au cours de laquelle Pierre aurait été sérieusement admonesté par le saint, est à l’évidence légendaire .

Les successeurs de Pierre de Dreux  Le duc Jean I, surnommé le Roux, prince casanier et économe, fonde en 1252 l’abbaye cistercienne de Prières.  Son épouse, Blanche de Champagne, fonde en 1260 la seule abbaye de Cisterciennes en Bretagne, au vocable particulièrement évocateur : la Joie Notre-Dame.

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Jean II, le Carmel et Notre-Dame du Mur à Morlaix  La tradition qui avait cours chez les Carmes au XVIIe siècle

rapportait qu’à son retour de la Terre sainte en 1273, Jean, comte de Richemont (le futur duc Jean II), avait installé à Ploërmel quelques religieux du Mont-Carmel, pour lesquels il fit un peu plus tard construire le couvent où il devait être inhumé en 1305

 Mais cette version est écartée par H. Martin.  En 1295, Jean II avait fondé l’église du Mur à Morlaix, qui sera

érigée en collégiale en 1468 et que les habitants de la ville paraissent avoir considéré comme le temple d’une véritable divinité tutélaire.

La dévotion mariale au sein des classes populaires  L’acculturation chrétienne des populations, dont les religieux mendiants ont été les principaux vecteurs au travers de leur inlassable travail de prédication, pouvait être considérée comme en grande partie achevée :  Plusieurs témoins entendus en 1330 à l’occasion de l’enquête sur la vie et les miracles du futur saint Yves de Tréguier se réjouissent de la disparition de certains comportements déviants dont ils avaient été les témoins vers la fin du XIIIe siècle.

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 En outre, le discours des mendiants était relayé par leurs épigones, dont était précisément Yves de Kermartin :  On voit ainsi Yves conduisant un groupe en pèlerinage à Notre-Dame de Quintin, s’attachant en route à édifier ses compagnons et obtenant ainsi de l’un d’eux qu’il rejoigne l’abbaye de Bégard pour embrasser la vie monastique.

La Vierge et son culte pendant la guerre de succession de Bretagne  Ce tragique et durable épisode de l’histoire du duché a donné

l’occasion aux deux camps opposés de radicaliser un discours idéologique dont la dimension hagiographique est fondamentale.

 Marie s’est trouvée ainsi être enrôlée sous chacune des deux

bannières :

 Cependant, Charles de Blois a eu également recours à l’intercession de

novi sancti mendiants ou proche de la sphère mendiante (saint Louis de Toulouse ou saint Yves de Tréguier).  Jean IV a quant à lui clairement privilégié la Vierge.

 Cet enrôlement a donné lieu au développement d’un « miraculaire »

marial qui se présente comme une conséquence directe des circonstances de la guerre.

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 Le camp blésiste n’a jamais manqué une occasion de signaler la

dévotion mariale de son chef :

 Charles fit ainsi réédifier dans le fief guingampais de sa femme les deux

chapelles d’Avaugour et de Restudo qu’il plaça sous l’invocation de la Vierge.

 D’autres témoignages se rapportent à la pratique de cette dévotion par

Charles et notamment à sa façon d’invoquer la Vierge : 

c’est à Charles que l’on doit, paraît-il, « l’usage d’intercaler le mot mater, « mère », dans l’invocation Regina misericordiae, « reine de miséricorde », du texte primitif du Salve Regina ».

 Ayant obtenu des reliques de saint Yves, Charles en dota plusieurs

églises bretonnes parmi lesquels les deux sanctuaires mariaux de Guingamp et de Lamballe.

 De son côté Jean IV n’est pas en reste, du moins sur le terrain des donations :  Le devis de l’église des Dominicains de Rennes en 1371, établi à la demande de

Jean IV, prévoyait que l’un des portails devait comporter trois niches pour les statues de la Vierge, du duc et de la duchesse de Bretagne.

 Au cœur des possessions trégoroises de la maison de Penthièvre, non loin de la

puissante forteresse ducale de Châteaulin-sur-Trieux, qui fut longtemps disputée entre les deux parties, la chapelle Notre-Dame de Runan était également l’objet d’une attention particulière de la part de Jean IV, lequel en confia la desserte à l’un de ses curiales, Alain le Moigne.

 La dévotion mariale du duc s’est fait également ressentir à Nantes, là encore au

profit des mendiants : « aussi le chapitre général des Carmes pouvait-il, le 29 mai 1384, rendre grâce à Jean IV d’avoir permis l’achèvement de l’église et d’avoir édifié, en outre, une somptueuse chapelle à Notre-Dame » (H. Martin).

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 Enfin le vocable Notre-Dame de Bonne-Nouvelle, approprié ensuite par

la dynastie des Montfort et sous lequel étaient placées plusieurs chapelles et églises bretonnes, notamment à Landrévarzec, à Quimperlé, à Trébeurden et à Tréffiagat, ainsi qu’à Locronan ou bien encore à Rennes, comme on le verra plus loin, pourrait faire écho à l’annonce de la victoire remportée par Jean IV sur Charles de Blois, le 29 septembre 1364, près d’Auray.

 Cependant, force est de constater que le vocable a été par la suite

compris de façon différente :  ainsi, par exemple, « à Locronan, haut lieu de la fécondité, la dévotion à saint Ronan tendait à se reporter sur Notre-Dame de Bonne-Nouvelle, invoquée pour les naissances » (C. Prigent).

La guerre et le miraculaire marial  A Rennes, une tradition qui demeure très discutée, probablement d’origine blésiste

et qui avait cours sous l’Ancien Régime dans la paroisse Saint-Sauveur, préconisait qu’à l’occasion du siège par les troupes du duc de Lancastre, la Vierge avait averti les habitants que les Anglais allaient s’introduire dans la ville par une mine creusée sous les murailles.

 Les cloches de l’église paroissiale s’étaient mises à sonner toutes seules et une

statue de Notre-Dame, en pivotant sur elle-même, avait désigné de la main la sortie de la mine, laquelle fut aussitôt obstruée par une pierre ; celle-ci se voyait encore sur place au début du XVIIe siècle, ainsi que la statue miraculeuse désormais appelée Notre-Dame-des-Miracles-et-des-Vertus.

 L’explication rationnalisante proposée par J.-C. Cassard aurait plutôt tendance à

renforcer la dimension factuelle du récit : le creusement de la mine qui faisait trembler le sol a pu en effet provoquer l’ébranlement des cloches et de la statue.

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 Une autre tradition rennaise, mais incontestablement montfortiste quant à

elle, rapportée par Albert Le Grand d’après une Chronique de Jean le Conquérant aujourd’hui perdue, associe la fondation du couvent des Dominicains de Rennes par Jean IV sous le vocable de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle, à l’annonce faite au nouveau duc de sa complète victoire sur Charles de Blois lors de la bataille d’Auray

 En tout état de cause, le nom de Bonne-Nouvelle ne figure pas dans les

différents actes donnés entre 1368 et 1372 par Jean IV au soutien de la fondation du couvent des Dominicains de Rennes.

  « C’est en 1466 seulement, un siècle par suite après cette fondation,

qu’apparaît la première mention du nom de Bonne-Nouvelle, donnée non point à l’église conventuelle, mais à un tableau de la Sainte Vierge placé dans le cloître du monastère et objet d’une grande vénération » (Guillotin de Corson).

 Les Carmes de Nantes sont également à l’origine d’une tradition

montfortiste relative à un miracle marial : en 1365, un noyé aurait été ramené à la vie par l’intervention de « Notre-Dame du Carme » au moment précis où le duc faisait son entrée solennelle dans la ville.

 Jean IV aurait alors souhaité contribuer à l’agrandissement et à la réfection

du couvent, dont on connaît les difficultés à s’implanter et à prospérer. De fait, on a conservé l’acte de donation ducale en date du 5 mai 1365.

 Mais il n’est nullement question dans ce document du miracle que

rapporte la tradition au XVIIe siècle et qui s’inscrit parmi de nombreux autres mis en avant à l’époque par les Carmes nantais pour légitimer leur extension, dans un contexte difficile où les autres ordres mendiants déjà implantés localement se sont longtemps montré très hostiles à l’installation sur place de « concurrents ».

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Une difficile sortie de conflit et ses conséquences sur la pratique pérégrine  Malgré les traités de paix successifs, les soubresauts du conflit se

firent sentir dans le duché jusqu’à la mort de Jean IV et tous les aspects de la vie sociale furent concernés.

 Dans ce contexte d’insécurité permanente, l’activité la plus touchée

fut à l’évidence la pratique pérégrine : probablement la guerre de succession est-elle pour une grande part à l’origine de la désaffection des populations à l’égard de certains pèlerinages, comme celui des Sept-Saints de Bretagne ou bien encore celui de Saint-Mathieu de Fine-Terre.

 Sans doute, à l’inverse, a-t-elle ainsi indirectement contribué au

renforcement de « pardons » locaux, dont les zones d’attraction se révélaient moins étendues.

 Cependant, au mois d’août 1393, la duchesse Jeanne avait pérégriné de Vannes

jusqu’à la chapelle Notre-Dame de la Fontaine, à Saint-Brieuc.

 Ce sanctuaire, qui échappait au contrôle de la maison de Penthièvre et de ses alliés

car il dépendait du régaire épiscopal, faisait l’objet à l’époque d’un pèlerinage fort renommé.

 Ainsi, certains Malouins, que Jean IV suspectait d’avoir été des rebelles à la solde

du sire de Clisson et qu’il avait fait conséquemment emprisonner, excipaient de leur qualité de pèlerins en route pour Notre-Dame de la Fontaine ; ce que se refusait à admettre le duc, lequel les gardait prisonniers :  « Et pour ce que aucuns delx disent qu’ils alloint en pelerinage a Nostre Dame de la

Fontaine, il nest pas vroysemblable que pelerins allassent en celx temps a Saint Brieuc entre tant de gens d’armes ».

 On voit que Jean IV soutenait là une proposition de bon sens, bien qu’elle fût en

complète contradiction avec les circonstances mêmes du voyage de sa femme.

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Jean V et la dévotion mariale  Le long règne de Jean V (1399-1442), partagé en deux par le sombre épisode de

l’enlèvement dont le duc fut la victime en 1420, a vu se développer la ferveur mariale dont la Bretagne moderne donnait encore l’exemple au XIXe siècle.

 Jean V lui-même a largement témoigné de sa dévotion à la Vierge, surtout dans la

seconde partie de son règne ; cette dévotion est alors venue renforcer le véritable projet « national » dont Jean V cherchait à enrichir l’idéologie ducale et qui constitue une étape importante dans la mise en place des structures étatiques de la principauté bretonne.

 L’intérêt montré par le duc pour le sanctuaire du Folgoët, près de Lesneven,

s’inscrit clairement dans cette perspective, d’autant plus que ce dernier se situait au cœur même du Léon, dont les attaches avec le parti de Blois-Penthièvre, très affirmées au cours de la guerre de Succession, étaient encore marquées.

 Or, comme c’est le cas dans plusieurs autres sanctuaires marials, les origines du

Folgoët, ont été volontairement « maquillées » et devront faire l’objet d’un nouvel examen.

La prédication de Vincent Ferrier  L’enquête sur la partie bretonne de la prédication de Vincent

Ferrier relativise l’acculturation religieuse dont faisaient état les témoins de la vie d’Yves de Kermartin ; en effet

 Eo tempore quo M.V. venit in Britanniam, homines erant parum

instructi in fide et oracione dominica et plures, ymo majores, non bene faciebant signum crucis ; regnabant eciam blasphemia, parjuria et quamplura alia delicta in partibus istis.

 Mais ce constat doit être à son tour relativisé, car il s’agit bien

sûr de magnifier l’action du prédicateur catalan

 Et in omnibus ista patria fuit melius per ejus bonam doctrinam

reformata ; que reformacio tenetur adhuc perseverare et attribuitur M.V.

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Retour à la problématique et conclusion provisoire

Quand et comment la dévotion à Notre Dame s’est-elle introduite en Bretagne ?  Le questionnement doit être enrichi de la dimension vernaculaire bretonne  Malgré la rareté des témoignages, il paraît assuré que depuis le XIIIe siècle, la

Vierge est invoquée en Basse Bretagne par la formule « Itron Varia » (Dame Marie ») et désignée « an itron Varia » (« la dame Marie »), sans le possessif pluriel.

 Le possessif pluriel « notre » n’est guère plus présent dans les textes

français antérieurs au XIIe siècle quand il est question de la Vierge.  Au demeurant la Chanson de Roland (vers 1080) privilégie la forme simple

« sainte Marie » et emploie une seule fois l’invocation « dame sainte Marie ».  C’est également dans la Chanson de Roland que « dame » est utilisé comme le

féminin de « seigneur ».

 Nous avons vu que chez Wace, vers 1140, la forme « sainte Marie» était

encore à égalité avec la forme « Notre Dame » (avec 8 occurrences chacune), sans parler de l’utilisation en trois occasions d’une forme avec le possessif singulier « Madame sainte Marie ».

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 Nous avons vu également que dès la seconde moitié

du XIIe siècle, la forme « Notre Dame » avait envahi le domaine gallo-roman d’oïl (anglo-normand, francien et picard), à l’époque :  Où la dynastie royale en France et les Plantagenêts dans

l’« Empire angevin » rivalisent en termes de dévotion mariale, qui s’exprime matériellement sous la forme de la (re)construction de cathédrales.  Où troubadours et troubadours chantent l’amour (inaccessible ou impossible) de la « Dame », mais pour chacun la sienne et donc chacun disant « Ma dame ».

Notre Dame ou Marie « féodale »  Or nous savons exactement où, quand et comment est intervenu le passage de « Sainte Marie » à « Notre Dame » (et le rejet de la forme « Ma Dame ») en terme de dévotion mariale, par le passage qui concerne Chartres dans le Gracial, poème composé vers 1170 par Adgar : Si l'aiment tuit de la cité / Ke si nuls hoem sert si desvé Ki claime oiant d’icele gent/ Sainte Marie simplement Se plurelment ne la nusmast/Si que « notre » la clamast S’il die seulement « ma dame »/Et nient « notre », dunc a tel blame Ke de tuz e huniz e gabez/ E al dei de tuz demustrez

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 Comme la dévotion mariale de Pierre de Dreux était bien

avérée, qu’elle était principalement tournée vers la Vierge chartraine, il faut conséquemment envisager que lui et ses familiers également originaires de « France », notamment Rainaud, aient contribué à la diffusion en Bretagne du culte de « Notre Dame de Chartres », bientôt superposé, sous la seule invocation de « Notre Dame », à tous les cultes locaux rendus à la Vierge.

 Mais c’est dans la partie « francisante » du duché que cette

dévotion s’est principalement imposée, tandis que les populations bretonnantes conservaient la pratique du culte de « Dame Marie ».

 Bibliographie:  La collection Études Mariales. Bulletin de la Société Française d'Études Mariales (SFEM). 

Voir le site Internet de la SFEM : http://www.sfem.free.fr/

 On pourra se reporter, en particulier, au passionnant article de

Mme Paule Bétérous, « Quels noms pour Marie dans les collections romanes de miracles de la Vierge au XIIIe siècle ? », dans La Vierge dans la tradition cistercienne (communications présentées à la 54e session de la Société Française d'Études Mariales, Abbaye Notre-Dame d'Orval, 1998), Paris, 1999, p. 175-192. 

Cet article est partiellement accessible en ligne à l’adresse: http://books.google.fr/books?id=lo8tI1G-aNcC&pg=PA175#v=onepage&q=&f=false

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