POLITIQUE Un diplomate algérien condamné pour espionnage au profit du Maroc
Guerre des services L’affaire du vice-consul algérien n’est qu’un épisode de la banale guerre des services. Cependant, aujourd’hui, et pour cause de lutte anti-terrorisme, les services algériens se livrent à une concurrence féroce avec les services marocains. A qui mieux-mieux pour plaire aux Américains. spionnage, sexe et vidéo». Le film est d’une telle banalité que l’histoire du vice-consul algérien à Casablanca, condamné pour espionnage, en serait devenue presque ennuyante. Accusé d’avoir livré des secrets militaires, notamment des renseignements sur le fonctionnement du Département de renseignement et de la sécurité (DRS) , héritier de la fameuse Sécurité Militaire au Maroc, A.R., diplomate algérien, a été condamné par la chambre criminelle de la cour d’Alger à 5 ans de prison ferme au terme d’un procès qui s’est déroulé à huis clos et durant toute la matinée du dimanche 29 juin à la chambre 1 du tribunal pénal d’Alger. Rappelé pour des «consultations de routine», il a alors été arrêté par le DRS et traduit en justice. Le diplomate, ancien wali de son état, est accusé «d’entretenir des liens spéciaux avec les services de renseignement marocains auxquels il aurait divulgué des informations secrètes sur l’armée algérienne ainsi que des informations sur les affaires économiques ayant trait à la sécurité et à l’unité de l’Etat».
qu’un épisode de cette banale guerre des services sur fond de dossier du Sahara. Cependant, aujourd’hui, et pour cause de contre-terrorisme, il faut rappeler que les services de Mohamed Médienne (dit Toufik), chef du (DRS), et de Smain Lamari, chef de la «Direction» du contre-espionnage (DCE), se livrent à une concurrence féroce avec les services marocains.
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Liaison Selon l’arrêt de renvoi, «le diplomate aurait, à diverses reprises, rencontré un haut fonctionnaire de l’armée marocaine dans un estaminet public pour lui fournir certaines informations sur l’armée algérienne et certaines institutions paramilitaires». La taupe algérienne aurait travaillé pour les services marocains pour une période située entre 2000 et 2002. En poste depuis 1999, ce diplomate de 51 ans était installé avec son épouse à Rabat, avant d’être affecté à Casablanca. Une liaison entre ce diplomate et une femme marocaine aurait été l’origine de cette affaire d’espionnage. Le vice-consul fré-
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Collaboration
• La junte au pouvoir à Alger.
quentait une jeune Marocaine, présentée par la défense comme l’élément clé d’un piège tendu par les services secrets marocains. Deux films vidéo mettant en scène le diplomate et la jeune femme avaient été utilisés pour faire chanter ce dernier. La presse algérienne rapporte que ce dernier a été approché par des agents de la DST marocaine, chargée du contre-espionnage. La défense du diplomate a présenté à la cour des lettres anonymes envoyées par ses contacts au sein de la DST, le menaçant de divulguer les vidéos s’il ne coopérerait avec eux. Les services marocains auraient réussi -selon le procureur- à faire chanter le diplomate algérien en l’obligeant à leur transmettre des renseignements sensibles sur «le fonctionnement des services extérieurs de la DRS, la DDSE, en territoire marocain, les activités politiques de l’ambassadeur algérien au Maroc, Boualem Bessaïeh, les correspondances classées, ainsi que des renseignements sur le personnel mili-
taire et des données économiques sur l’état de l’investissement algérien au Maroc». Pour clore ce tableau idyllique, l’épouse du diplomate aurait été, également, en relation avec un Marocain travaillant pour la DST. Des scènes compromettantes de cette autre relation feraient également partie du lot.
Vidéo Pour la défense, «le diplomate aurait été sujet à des pressions et menaces de la part des services de renseignement marocains qui détenaient deux cassettes vidéo très compromettantes et qui mettaient en relief des relations particulières entre le diplomate algérien et une femme marocaine et entre la femme du diplomate et un Marocain». La cour a estimé que le diplomate avait «outrepassé» ses prérogatives consulaires, en mettant «en danger» des secrets d’Etat et en entretenant un contact avec des agences de renseignements «ennemies» en dehors du cadre
protocolaire. De l’autre côté de la frontière, les services secrets algériens ont tenté de minimiser l’affaire en évitant de mettre le diplomate sous l’inculpation de «haute trahison». Selon la presse algérienne, qui cite des sources proches du DRS, «l’agent double», qui était sous surveillance des services algériens depuis plusieurs mois, était également manipulé par ceuxci. C’est ainsi que des «documents secrets, correspondances estampillées «confidentiel», télégrammes diplomatiques auraient été remis aux services marocains par l’intermédiaire de cette «taupe» dans une opération d’intoxication montée contre les services de la DST marocaine. Même s’il n’en était pas conscient, en livrant des informations à la partie marocaine, il faisait en fait le jeu des Algériens». C’est du moins la thèse rapportée par plusieurs journaux algériens. Nul doute que l’affaire du viceconsul algérien ne représente
Les renseignements américains, autrefois très regardants pour collaborer avec un service secret arabe, apprécient aujourd’hui aussi bien l’apport du DRS dans la coopération antiterroriste que celui des services marocains. Avec l’Algérie, c’est à travers la visite de 48 heures du patron du FBI, Robert Mullen, effectuée secrètement à Alger, début 2001, que cette collaboration s’est renforcée. Après les attentats de Casablanaca du 16 mai, le même Mullen s’est rendu au Maroc pour rencontrer ses homologues locaux. La CIA, pour sa part acquise à la partie marocaine depuis belle lurette, s’est finalement décidée à approfondir ses liens avec les services secrets algériens. Pour la Ntional Security Agency (NSA), sa base d’écoute installée au Maroc, ainsi que des drones aux frontières algéro-marocaines qui couvrent tout le Maghreb, nécessitent une collaboration accrue avec les deux parties. Depuis, l’échange du renseignement est fréquent et les services américains s’intéressent, de plus en plus, aux groupes terroristes marocains ou algériens comme le Groupe isslamique armé (GIA). C’est peut-être cette concurrence qui constitue aujourd’hui, pour les frères ennemis du renseignement, la plus grosse émulation d’un côté comme de l’autre de la frontière.❏
Abdellatif El Azizi
Maroc Hebdo International - N° 565 - Du 4 au 10 juillet 2003