Neologie Tamazight

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Par A/Aziz BERKAI Maître assistant chargé de cours au département de langue et culture amazighes, faculté des lettres et sciences humaines, Université de Béjaïa (Algérie). Intitulé de la communication : Quels critères d’acceptabilité des néonymes et quels modes lexico et terminogéniques : le cas du tamazight (berbère), confronté à celui du français Introduction On peut définir le concept de néologie en le renvoyant 1 à trois démarches relevant de trois domaines différents : - Création d’unités lexicales nouvelles par le recours, conscient ou inconscient, aux mécanismes habituels de créativité linguistique d’une langue, ce qui relève du domaine public ; - Etude théorique et appliquée de la créativité lexicale : procédés de formation des mots, critères de reconnaissance, d’acceptabilité et de diffusion des néologismes ; ce qui relève du domaine scientifique ; - Activité institutionnelle, organisée systématiquement afin de recenser, de créer, de consigner, de diffuser et d’implanter les néologismes dans le cadre d’une politique de la langue ; ce qui relève de la politique linguistique d’un Etat. En terminologie, on distingue deux types de création du lexique : la néologie qui consiste à créer en langue commune et la néonymie qui concerne la création lexicale dans les langues de spécialité. Cette dichotomie tient sa pertinence surtout dans le fait que la néologie est spontanée, ce qui n’est pas le cas de la néonymie qui répond à un besoin de communication bien exprimé. Le tableau ci-dessous illustre les principales différences entre les deux types : Néologie - La création est spontanée ; - Le néologisme appartient à la langue commune (L.C) ; - La durée de son état néologique est longue avant de passer dans l’usage ou de disparaître ; - Sa datation est le plus souvent hypothétique…

Néonymie - La création répond toujours à un besoin de communication bien exprimé ; - Le néonyme appartient à une langue de spécialité (L.S) ; - La durée de son état néonymique est en générale réduite avant de passer dans l’usage ; - Sa datation est souvent très précise…

L’élaboration d’un néonyme répond à des critères bien identifiés par les disciplines qui s’occupent de l’aménagement de la langue ; des critères dont l’importance varie en fonction de la situation sociolinguistique de la langue en question. J.-A. Fishman les résume presque – mais à sa manière de sociolinguiste bien avisé – en écrivant qu’ « il importe peu que les mots soient nouveaux (et parfois aussi l’écriture, de même qu’une partie du système morphosyntaxique et la majeure partie du système sémantique), ce qui importe, c’est qu’ils sonnent juste, qu’ils donnent l’impression d’être justes de par leurs éléments, leurs accents et leurs connotations traditionnelles ; il faut que la nouveauté donne l’impression d’être familière, authentique, de nous appartenir, particulièrement dans un contexte où « les autres » se sont moqués de nous, nous ont exploités, aliénés et assimilés »2. C’est une analyse d’autant plus juste que le critère de « motivation », considéré souvent comme important en terminologie, semble n’avoir aucune importance dans le cas de tamazight. Des termes comme azul (salut), amazigh (berbère), par exemple, qui ne sont pas du tout motivés en kabyle, se sont pourtant très vite imposés dans l’usage, grâce à leur euphonie et à leur caractère hautement communicatif. voir à ce propos J.-C. Boulanger, 1989, L’évolution du concept de néologie, in actes du colloque organisé à Bruxelles les 25-26 mars 1988. Centre de terminologie de Bruxelles, p. 199. 2 Fishman (J.-A.), 1983, Aménagement et norme linguistique en milieux linguistiques récemment conscientisés, in la norme linguistique, textes colligés et présentés par E. Bédard et J. Maurais, p. 387. 1

2 Achab3 constate dans sa thèse ce fait, « paradoxal » pour lui, qu’en néologie berbère ce sont plutôt les néologismes non motivés (idles culture, adlis livre, tasertit politique, tilelli liberté, etc.) qui sont consacrés par l’usage, alors que ceux qui sont motivés sont relativement peu nombreux à l’être. Voici les critères auxquels doit satisfaire un néonyme et qui nous semblent pertinents pour son acceptabilité4 : L’unité notionnelle : le néonyme doit satisfaire au principe fondamental en terminologie (comme discipline scientifique) de la bi-univocité entre dénomination et notion. C’est-à-dire qu’à une notion il ne doit théoriquement correspondre qu’une dénomination et une seule. Ce qui exclue la synonymie, la polysémie et l’homonymie qui sont des facteurs de confusion en terminologie. La langue technique ou scientifique ne doit pas chercher la variété mais la vérité. Etant bien entendu que ce critère n’a de sens qu’à l’intérieur d’un domaine de la science ou de la connaissance bien déterminé. Le terme eau, par exemple, est « un liquide incolore et inodore, transparent et indispensable à la survie », pour le commun des mortels, « une substance composée d’hydrogène et d’oxygène », pour un chimiste, « un liquide dont le point de congélation est 0°c et le point d’ébullition 100°c », pour un physicien, etc. Donc un terme n’a de vrai sens que dans un domaine de science ou de connaissance bien précis. Ainsi, les termes comme arbib (adjectif, en grammaire et beau-fils, excroissance, appendice, en langue commune), tiγri (voyelle, en phonétique et cri, appel, en langue commune), afeggag (radical, en grammaire et chevron de charpente, en langue commune), etc., ne posent aucun problème, ni de polysémie ni d’homonymie en grammaire, bien au contraire, ils présentent l’avantage d’être motivés, ce qui peut faciliter leur implantation, et a posteriori elle l’est manifestement bien. La conformité aux règles de la langue : c’est ce que Fishman, cité plus haut, appelle sociolinguistiquement « sonner juste » et que les linguistes traduisent par grammaticalité, c’est-à-dire le caractère morpho-phonologique qui permet à un terme de s’intégrer dans la langue sans qu’il soit perçu comme un « corps étranger », donc susceptible d’être rejeté. C’est comme la greffe en chirurgie où l’implant doit être génétiquement compatible avec l’organe sur lequel il doit être implanté pour qu’il ait plus de chance de prendre. C’est par ce critère que des termes comme micro (ordinateur) ou portable se sont intégrés dans la langue kabyle (variété algérienne du berbère), après s’être transformés morphologiquement en amik o et apo tabl. La voyelle [o] est une variante combinatoire de [u], apparaissant dans des environnements emphatiques : [aγ om] (le pain, la galette), [a o] (le vent), etc. ; et la consonne [p] est une variante expressive ou sociolinguistique, apparaissant dans le langage féminin et dans certains emprunts au français : Reppwi (Rebbi, Dieu), yeppwa (yebbwa, yewwa, il est cuit), tapwalt (le poêle), etc. La dérivabilité : c’est la capacité qu’a un terme de se laisser transformer d’une catégorie grammaticale à une autre par les procédés de dérivation morphosyntaxiques. Un terme dont le signifiant est court présente une plus grande dérivabilité. En arabe, par exemple, on a d’abord traduit microscope par midjlat al-daqqaq, mais lorsqu’on a voulu traduire unité microscopique, alwihda almidjlawiya al-ddaqqaqeya était lourd et un peu compliqué comme équivalent, on l’a donc simplifié en alwihda almidjlawiya ; par la suite, pour régler franchement le problème, on a proposé un autre équivalent plus court, à savoir almidjher. L’euphonie : un néonyme ne doit pas présenter de grandes difficultés de prononciation, pour qu’il soit accepté. Bien au contraire, il doit permettre une grande facilité de prononciation, donc d’usage. Les termes azul (salut), anzi (proverbe), par exemple, qui ne sont plus des néologismes, parce que bien intégrés dans la langue, étaient des adaptations fautives à partir de ahul et anhi touaregs : on a remplacé le h touareg par le z des parlers du nord, comme si dans chacune de ces deux régions une seulement de ces deux consonnes était attestée. Mais une faute heureuse puisque les consonances de Achab (R.), 1996, La néologie lexicale berbère (1945–1995), PEETERS, Paris, p. 308. voir à ce propos la grille ayant inspiré la notre, proposée par G. Rondeau, 1984, Introduction à la terminologie, gaëtan morin éditeur, pp. 134-135. 3 4

3 azul et anzi sont clairement plus agréables que celles de leurs étymons touaregs, et leur succès l’a bien montré. La correspondance à un besoin : un néonyme répond toujours à un besoin de communication clairement exprimé. Cette communication se charge de l’intégrer dans l’usage et de lui faire perdre, par conséquent, son caractère néonymique. Ce besoin peut être celui de dénommer une nouvelle notion ou réalité, comme il peut être celui de dénommer autrement, dans sa langue propre, une notion déjà existante, en remplaçant, par exemple, un emprunt fait à une langue « dominante » qui est en situation de diglossie avec la première. L’exemple de néologismes comme azul (salut), tanemmirt (merci), tilelli (liberté), et tant d’autres en kabyle, illustre bien ce besoin de communiquer autrement dans une langue maternelle débarrassée de « signes » de « moquerie », d’ « aliénation » et d’ « assimilation », pour reprendre les termes de Fishman. Ce besoin de communiquer autrement est très important et explique en partie le succès de ces néologismes et le fait qu’une langue n’est pas simplement un « outil » ou un « ustensile » de communication, mais « un lieu d’investissements symboliques » et de concentration d’émotions diverses. Si la langue était simplement un moyen de communication, les hébreux n’auraient pas un instant pensé à dépenser tant de temps et d’énergie à ressusciter leur langue, qui était morte depuis le deuxième siècle, alors qu’ils possédaient majoritairement le même outil de communication qui était le yiddish. Cette définition de la langue comme « un simple outil de communication » nous semble être celle des partisans de l’idéologie diglossique, version Ferguson, qui vise à substituer les langues « dominantes » aux langues « dominées », minorées ou minoritaires, comme l’explique si bien la sociolinguistique catalane, en incitant implicitement leurs locuteurs à utiliser le meilleur « outil ». Le besoin donc de communiquer autrement ou de communiquer tout court est important pour qu’un néologisme s’implante. A ces critères on peut ajouter deux autres de moindre importance : La motivation : caractère qui permet à un terme d’être facilement reconnu. C’est une sorte de « reconnaissabilité » qui facilite la compréhension. C’est donc un critère souhaitable dans la mesure où il peut être satisfait. La « licence néologique » : nous avons calqué ici le concept en littérature de licence poétique qui permet à son détenteur d’avoir une certaine liberté d’usage de sa langue. Un néologisme a en effet plus de chance de survivre s’il est créé par un personnage auquel on reconnaît une certaine maîtrise de la langue, un grand écrivain par exemple, que lorsque le créateur est un personnage anonyme, même s’il a par ailleurs une grande maîtrise de la même langue. le mot « négritude » a survécu sans doute parce que son concepteur est un certain Sedar Senghor. Beaucoup de néologismes en tamazight sont passés dans l’usage grâce, en partie, à la notoriété et respect dont jouissait leur créateur auprès des berbérophones, en l’occurrence l’écrivain et grand militant de la cause berbère M. Mammeri. Ces critères énoncés, c’est au final l’usage qui confère et qui ôte le caractère néologique ou néonymique à un terme. « Il ne suffit pas qu’un mot soit relevé comme emploi inédit pour que du même coup il mérite d’être qualifié néologisme. Un néologisme n’existe réellement que s’il entre dans un certain usage », écrit L. Guilbert 5 dans sa créativité lexicale. Il ajoute plus loin que c’est la répétition de l’acte de création qui installe le néologisme « individuel » dans « la société du lexique » ; le néologisme ainsi lexicalisé perd, du coup, sa qualité de néologisme pour devenir un mot « socialement établi ». 2. Typologie des néologismes De nombreuses typologies sont proposées par des linguistes et autres néologues ou terminologues, mais rares sont celles qui prétendent à l’exhaustivité. La plupart rangent les différents procédés dans trois grands « moules », souvent sans souci de détail : la néologie de forme qui consiste à créer un nouveau terme (ou mot) sur la base d’une nouvelle dénomination, la néologie de sens qui est la création d’un nouveau terme sur la base d’une nouvelle notion en rapport avec une dénomination 5

Guilbert (L.), 1975, La créativité lexicale, Paris, Larousse, p. 44.

4 déjà existante, et la néologie par emprunt qui consiste dans le transfert d’un terme d’une langue dans une autre langue. Mais la difficulté réside dans le classement de certains néologismes dont la formation peut relever à la fois des différents procédés, ou d’autres néologismes qui sont tout simplement difficiles à classer dans tel ou tel type. Où peut-on ranger, par exemple, un néologisme obtenu par changement de catégorie grammaticale ? Les linguistes sont partagés à ce propos entre ceux qui considèrent qu’il s’agit de la néologie sémantique puisqu’elle n’entraîne pas de changement au niveau dénominatif 6 , et ceux qui parlent de néologie syntaxique, puisqu’il y a changement de catégorie grammaticale, c’est le cas par exemple de M. Verdelhan-Bourgade (1990), cité par Sablayrolles7. S’agit-il de néologie sémantique ou d’emprunt dans le cas de la création en français du verbe « réaliser » au sens de « comprendre » sous l’influence de l’anglais ? Sablayrolles répond qu’il s’agit des deux à la fois. Quand on crée en français gratte-ciel, ou en kabyle xbec-genni (A. Mezdad(*)), par référence à skyscraper, fait-on un calque morphologique à l’anglais ou crée-t-on un mot composé ou les deux à la fois ? Pour Sablayrolles, ce sont encore les deux à la fois, mais néanmoins dans sa typologie « les procédés ne seront inclus que dans une seule classe », puisqu’il s’agit « dans un premier temps d’un simple récapitulatif ordonné et non encore de l’établissement raisonné d’une typologie » (p. 211). Sa typologie est élaborée dans le cadre d’une thèse de doctorat entièrement consacrée à la néologie : la néologie en français contemporain, soutenue en 1996 et publiée en 2000 avec des corrections et des apports nouveaux. Nous nous sommes inspirés de cette typologie pour l’élaboration de la nôtre, adaptée au berbère. Un sérieux problème se pose pour le berbère et pour d’autres langues ne relevant pas de la famille indo-européenne, qui ne bénéficient pas directement d’énormes travaux sur la néologie, et plus généralement sur la terminologie, élaborés en Occident au prix d’efforts humains et matériels colossaux (colloques, tables rondes, création d’organismes de normalisation nationaux et internationaux comme l’ISO, etc.). Maria Teresa Cabré écrit à ce propos que « dans les pays de famille indo-européenne, où l’on encourage des politiques d’adaptation terminologiques dans le cadre d’un processus de planification néologique, on trouve des références concrètes dans les langues technologiquement dominantes (...). En contrepartie, les langues d’autres familles linguistiques (basque, hébreu, japonais, etc.), plus éloignés de ce modèle, doivent proposer leurs propres modèles de formation et prendre une décision : soit elles favorisent les vraies solutions, et s’écartent alors des solutions plus internationales ; soit elles optent pour le rapprochement en adoptant les solutions d’autres langues dominantes (...) »8. Nous pensons pour notre part que ni une transposition pure et simple des modèles élaborés ailleurs et ni une évolution en vase clos ne conviennent à notre langue. Une solution éclectique est possible. C’est cette solution que nous préconiserons ici dans l’élaboration de notre typologie qui s’articule autour de quatre grands procédés qui sont les suivants : - Le phonétique/graphique ; - Le sémantique ; - L’emprunt ; - Le morphosyntaxique.

a. La néologie phonétique/graphique a. 1. La création ex nihilo C’est une combinaison inédite et arbitraire de sons conforme aux contraintes morphophonologiques d’une structure linguistique. Ce procédé est très peu utilisé dans la néologie, et son caractère arbitraire fait que certains linguistes lui opposent une fin de non recevoir, à l’exemple d’A.

Gaudin et Guespin, op. cit., p. 314. Sablayrolles (J.-F.), 2000, La néologie en français contemporain : examen du concept et analyse des productions néologiques récentes, Paris, Honoré Champion, p. 210. (*) Romancier berbérophone ayant fait cette proposition oralement dans l’un de ses cours de Notation (1993/94) avec la deuxième promotion des étudiants de magister de langue et culture amazighes de l’Université de Béjaïa. 8 Cabré (Maria Teresa), 1998, La terminologie : théorie, méthode et applications, Paris, Armand Colin, p. 265. 6 7

5 Goosse 9 qui « ne trouve aucune séduction à ce procédé, qui est le triomphe de l’arbitraire », contrairement à d’autres linguistes comme A. Sauvageot et J.-C. Boulanger « qui regrettent qu’on ne crée pas de mots ainsi »10. L’exemple qui revient souvent en français pour illustrer ce procédé est celui du terme « gaz » auquel Guilbert 11 propose l’étymon grec khaos. En arabe, Osman Muhammad Ussama12 relève aussi une seule attestation de ce type : il s’agit du terme yaha (quinzaine) mis au point par le Professeur Lakhdar-Ghazal « à partir de l’alphabet arabe et sémitique ancien qui s’articule abgad, hawzin, la valeur numérique de ya dans cet alphabet est de 10, celle de ha est 5 ; d’où 5 + 10 = 15 ». En berbère aussi ce procédé n’est pas exploité, et « le seul néologisme qui pourrait rentrer dans cette catégorie serait le terme warem (vingt), créé « arbitrairement » à partir de mraw (dix) par inversion de l’ordre phonématique de ce dernier »13. Ces deux derniers auteurs, Achab et Osman, sont favorables à l’usage de ce procédé pour l’enrichissement du lexique dans les deux langues. Ce procédé est plutôt utilisé pour la dénomination de certains produits ou marques déposées : kodak, bic, etc. a. 2. La création onomatopéique Elle consiste à imiter un bruit, un son ou un cri de la réalité extralinguistique. La forme acoustique ainsi produite est moulée dans le système phonologique d’accueil. Ce qui donne pour le même son naturel des réalisations onomatopéiques différentes selon les langues : ququεu ou qiqiεi (kabyle), cocorico (français), kikiriki (allemand), etc. Ce procédé aussi est très peu exploité en synchronie, mais bien représenté en diachronie. A la différence de la création ex nihilo, l’onomatopée est motivée par le fait qu’elle reproduit un aspect important de l’objet qu’elle dénomme : fferfer « s’envoler » est une imitation du bruit produit par l’action du vol ; Taper est l’imitation du son ("tap") produit par l’action de "taper" ; etc. Achab14 affirme dans sa thèse que ce procédé n’est pas utilisé dans la néologie berbère à cause du caractère technique et abstrait des termes créés « mais aussi à cause d’une certaine exclusion de tout le langage expressif consciemment ou inconsciemment écarté comme non valorisant pour un travail de modernisation du lexique ». Les créations onomatopéiques sont bien représentées dans la bande dessinée et plus généralement dans le langage des enfants. a. 3. Création par manipulation ou altération phonétique Il s’agit de la déformation d’un signifiant par mauvaise articulation, par ironie ou par jeu : il est une heure moins le Ricard (Coluche) ; C’est le célèbre physicien et non V. Hugo qui a écrit l’art d’être Ampère (P. Dac), etc. En berbère ce procédé est utilisé par Muhend U Yehia auquel Achab15 attribue l’exclusivité de l’usage de ce procédé : Si Pertuf (Monsieur Pertouf) « qui associe (malicieusement) la marque Si de respectabilité, normalement réservée aux clercs, au segment argotique prtf (fouiner, traficoter, flirter), l’ensemble présentant de surcroît l’avantage de la proximité phonique avec le nom propre français de départ » ; Σli n Dellu (< Alain Delon), etc. Ce procédé est aussi utilisé par Fellag : zik yella d amessahi, tura yuγal d amasihi ; Berbèrgerac (Bergerac) ; etc. Même Matoub il l’a déjà utilisé : Leqmayel (< Leqbayel, les Kabyles), Buledyen (< Bumedyen, Boumediene).

Goosse (André), 1975, La néologie française aujourd’hui, Paris, C.I.L.F, p. 49. cités par Sablarolles, op. cit., p. 212. 11 Guilbert (L.), op. cit., p. 61. 12 Osman Muhammed (Ussama), 1998, Recherche méthodologique de la création terminologique en langues de spécialité, vocabulaire de l’informatique en arabe, Thèse de doctorat nouveau régime, sous la dir. de Mme Odette Petit, Université de la Sorbonne Nouvelle, Paris III, p. 255. 13 Achab (R.), op. cit., p. 318. 14 Idem, p. 319. 15 Idem, p. 321. 9

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6 Ce procédé est aussi utilisé par des anonymes en Algérie, en particulier dans la manipulation des noms propres dans certains milieux : Takfarinas > tekfer–nnas ou keffar-nnas « celui qui dévoie les gens », manipulation utilisée dans les milieux islamistes ; Butefliqa (le président Bouteflika) > Butesriqa « le corrompu » ; Butefriqa « le diviseur (des rangs) » ; etc. F.L.N > flan "un tel" ; Canal + (Plus) > canal Blis "la chaîne du diable", utilisée dans les milieux islamistes. Les deux sons [p] et [u] qui ne sont pas attestés en arabe dialectal sont adaptés en [b] et [i], ce qui donne un "bon produit de commercialisation". a. 4. La fausse coupe La fausse coupe consiste à ne pas respecter, involontairement ou par jeu, les frontières habituelles entre morphèmes. Il existe des cas où la fausse coupe s’est lexicalisée et n’est plus perçue comme telle, comme l’exemple de "lendemain" en français. Muhend U Yehia et Fellag utilisent ce procédé en kabyle : Lalla Mjilet (< la lame Gillette), Mme Mjilet (Cheikh Noreddine et Slimane Azem) ; Si Nistri (< sinistré), M. Nistri, etc. (Muhend U Yehia) ; Lalla Bama (< l’Alabama) ; Cheb Roti (< ccabruti, chevrotine), que Fellag a créé en répondant à une question sur le l’auteur de l’assassinat de Cheb Hasni ; etc. Il est aussi utilisé en Kabylie par les enfants comme jeu de mots qui consiste à combiner un composant phonique avec des chiffres en commençant par 1 jusqu’à ce qu’on trouve un mot : abex un, abex deux, abex trois, abex quatre, abex cinq, abexsis (figue) ; agen un, agen deux... agendouz (veau) ; etc. a. 5. Le verlan ou l’inversion Il consiste à créer un nouveau terme ou mot, par inversion de l’ordre des sons d’une dénomination qui peut s’accompagner par un ajout et une modification de certains sons. C’est un procédé bien représenté en français à travers le "verlan", déformation de « à l’envers » : femme > meuf, sœur > reusse, arabe > beur(e), etc. Dans la néologie berbère, l’exemple unique relevé par Achab, cité plus haut, relève de ce procédé : mraw (dix) > warem (vingt). a.6. Les réductions Ce sont des créations phonético-graphiques, parfois plus phonétiques que graphiques comme l’apocope, parfois plutôt graphiques que phonétiques comme la siglaison. a.6.a. L’aphérèse C’est une troncation à l’initial, d’une ou plusieurs syllabes, d’une dénomination qui maintient souvent inchangé la notion : bus (< autobus), bus (< omnibus (anglais)), pitaine (< capitaine), etc. C’est un procédé très peu utilisé, parce qu’il n’est pas facile d’identifier un mot par sa partie postérieur16. Même en anglais, très perméable aux réductions, il n’existe que peu d’exemples : varsity (< university), gator (< alligator), etc. a.6.b. L’apocope C’est une troncation de la partie finale, une ou plusieurs syllabes, d’un signifiant qui laisse inchangé le signifié qui peut toutefois subir de petits changements dans sa «valeur ». Ce procédé est relativement bien représenté, en particulier dans les langues européennes : 16

Tournier (J.), 1988, Précis de lexicologie anglaise, Paris, NATHAN, p. 141.

7 Cinéma < cinématographie ; Métro < métropolitain (< train métropolitain) ; Zoo < zoological garden, jardin zoologique ; etc. En arabe, ce procédé est utilisé dans l’abréviation de certains préfixes : Faw (< fawqa, "sur") : fawtabiεi, " surnaturel " ; Qeb (< qebla, "avant") : qebtarixi, "préhistorique", etc. Il est attesté en kabyle dans certaines abréviations hypocoristiques de noms propres : Muh (< Muhemmed), Ssa (< Ssaεid), Massi (< Massinisa), etc. a. 6. c. La syncope Elle consiste dans la troncation d’un élément central d’un signifiant dont le signifié reste inchangé sauf sa « valeur ». Ce procédé est très rarement utilisé, il est surtout combiné avec les autres types de réductions : amatol : ammonium nitrate + trinitoluène (apocope + syncope)17 ; tahasina (arabe), "les disciples de Taha Husayn"18, syncope de la syllabe "hu", etc. a. 6. d. La siglaison Elle consiste à réduire une séquence de mots à ses éléments initiaux. C’est un procédé qui s’est considérablement développé au cours des cinquante dernières années, reflétant la société contemporaine caractérisée par une multiplication à la fois de découvertes scientifiques et techniques et d’organismes de toutes sortes19. Martinez de Sousa, cité par Abreu20, distingue deux types de sigles : propres et impropres. Le sigle est propre quand il ne contient pas d’initiales d’éléments grammaticaux comme la préposition, et il est impropre dans le cas contraire. Son absence en berbère s’explique par sa nature essentiellement graphique : on abrège d’abord à l’écrit. Le sigle est un phénomène des langues européennes, en particulier de l’anglais, même s’il semble aujourd’hui envahir toutes les langues écrites, grâce au principe du moindre effort auquel il satisfait : A.D.N (D.N.A, anglais) Acide DéoxyriboNucléique ; T.V.A : Taxe sur la Valeur Ajoutée ; H.L.M : Habitation à Loyer Modéré ; etc. La prolifération du sigle devient tellement "sauvage" qu’I.B.M, dans la préface de son recueil de plus de cent pages qui regroupe tous sigles de la compagnie, a mis en garde le lecteur contre l’usage abusif de ce moyen : « il (le recueil) ne doit en aucune façon être considéré comme un plaidoyer en faveur de l’utilisation abusive des sigles, mais comme un document de travail devant aider à la compréhension des textes de la compagnie »21. a.6.e. L’acronyme C’est un sigle qui est prononcé, non lettre par lettre, mais comme un mot. Jean Tournier, parle d’une véritable « acronymanie » qui s’est développée depuis la seconde guerre mondiale. Les acronymes fréquents finissent même par s’écrire en minuscules et être ainsi totalement assimilés à des mots, dont on perd rapidement la motivation : laser : light amplificator by stimulated emission of radiations ; radar : radio detection and ranging ; smig : salaire minimum interprofessionnel garanti ; etc.

Class (A.), 1985, Composés lourds et créations brachygraphiques, in la Banque des mots n°30, p. 142. Osman, op. cit., p. 307. 19 Tournier, 1988, op. cit., p. 142. 20 Abreu (J.-M.), 1994, L’abréviation dans le langage technique, la Banque des mots n° 47, p. 108. 21 Osman, op. cit., p. 319. 17 18

8 Les acronymes et certains sigles, peuvent constituer des bases de dérivation pour d’autres termes : ONU > onusien, smig > smigard, etc. Ce procédé est très ancien en arabe, il remonte à l’époque de l’avènement de l’islam, mais cantonné dans quelques rares formules coraniques qui reviennent tout le temps dans la bouche des croyants22: Basmala : bismi llah (rrehman rrahim), "au nom de Dieu" ; Hellala : la ilaha illa llaha, « il n’y a de dieux que Dieu » ; un acronyme particulier qui ne respecte pas l’ordre et la position des lettres propres au type dominant d’acronymes. a. 7. La néologie graphique Elle consiste à modifier l’orthographe d’un mot sans modifier nécessairement sa prononciation, en suggérant d’autres sens 23 . C’est un procédé qui est particulièrement exploité dans les milieux journalistiques et publicitaires, mais aussi ailleurs : je père-sévère (Lacan) ; œuf course (< of course) ; conseillé pédagogique (un conseiller pédagogique officiel auquel sa stagiaire donnait des conseils), cache–flot (< cash flow), etc. C’est un procédé qui peut - s’il ne l’est pas déjà - être exploité en berbère avec l’usage massif de l’écrit. b. La néologie sémantique La création consiste ici à établir un rapport entre une notion nouvelle et une dénomination déjà existante, ce qui donne un rapport nouveau notion/dénomination, donc un nouveau terme ou mot. L’évolution sémantique des mots peut être ramenée, comme l’écrit Haddadou 24 en citant E. Benveniste, à quatre causes principales : historique, sociale, linguistique et psychologique. Les mots changent en fonction du changement de leurs référents : le mot cabriolet ne renvoie pas chez Guy de Maupassant aux mêmes référents que ceux que nous désignons ainsi aujourd’hui : les cabriolets ne sont plus tirés par les chevaux. En kabyle, amusnaw désigne aujourd’hui le savant ou l’homme des sciences modernes, alors qu’il désignait autrefois le sage. Le changement de l’organisation sociale, politique et culturelle ; des modes de production et de consommation économiques, engendre de nouvelles notions qui trouvent parfois « refuge » dans les dénominations déjà existantes, par polysémisation ou par monosémisation, extension ou restriction de sens : aqrab qui signifiait jadis en kabyle « sacoche, gibecière », signifie aujourd’hui « cartable » ; a ru qui signifiait « pierre », signifie aujourd’hui en plus « pile » ; etc. La cause linguistique est à l’origine du changement de catégorie grammaticale des unités lexicales par le passage de la situation de lexème (verbe, nom) à celle de grammème. « Ce passage s’explique par l’utilisation fréquente de ces mots dans des contextes précis » 25 . L’ancien lexème français "pas" qui acquiert la valeur de morphème privatif en supplantant le "ne" dans la langue parlée, est un exemple de ce phénomène. La préposition berbère deg (dans) des parlers du Nord est sans doute une évolution à partir d’un lexème. En tamaheq (parler touareg) ideg, qui relève de la même racine, est un lexème qui signifie "lieu", et la préposition deg n’est pas attestée dans ce parler, ce qui renforce cette hypothèse. Des raisons psychologiques peuvent aussi être à l’origine de la création du sens et sont caractéristiques d’une « vision du monde » propre. Certains noms d’organes qui prennent souvent des sens figurés dénotent ce mécanisme psychologique de génération du sens : le "cœur" prend en kabyle

Idem, p. 321. Sablayrolles, op. cit., p. 215. 24 Haddadou (M.A.), 1985, Structures lexicales et signification en berbère (kabyle), Thèse de III cycle de linguistique, Université de Provence, pp. 185 et suiv. 25 Idem, p. 186. 22 23

9 plusieurs sens, selon le contexte : nnig wul (envie), yeqqur wul-is (sentiment), seg wul (franchise), etc. L’euphémisme et le tabou qui expliquent certains changements sont aussi à ranger dans ce registre. Sa vitalité en kabyle s’explique d’après Haddadou26 par le figement du processus de dérivation : cette langue qui "n’est plus en mesure" de former des unités nouvelles pour répondre aux besoins des locuteurs « est obligée d’augmenter les signifiés des unités déjà existantes ». Et pourtant dans la néologie berbère moderne « sa contribution globale est relativement faible »27. b. 1. La métaphore C’est l’affectation d’une nouvelle notion à une dénomination qui existe déjà et dont le référent est en rapport de ressemblance ou de similitude avec le référent de la nouvelle notion. C’est une des sources vivantes de la création du lexique autant en langue commune qu’en langue de spécialité. La néologie berbère offre beaucoup d’exemples de ce type : Amumed, "petit rat ou souris" (Kb : 485) > amumed : souris (de l’ordinateur) (L.I : 103) : il y a beaucoup de similitudes entre les deux référents : la forme, la taille, la queue, la couleur, le mouvement. C’est une métaphore faite d’abord en anglais et calquée par les autres langues : souris (français), fa’ra (arabe), etc. ; A ebsi, "assiette" > disque : le sème commun le plus évident est "être rond et plat" ; Arbib, "beau-fils, appendice, excroissance" > arbib : adjectif (grammaire) : le trait commun est "être au second plan, en plus" ; etc. En langue commune, la lexicalisation des métaphores engendre une polysémisation des mots. Le vocabulaire des parties du corps en kabyle est particulièrement investi par ce procédé28 : Tawenza, "mèche frontale, front" > tawenza : "destin, prédestination" : le rapport est établi d’après une croyance selon laquelle le destin des gens est inscrit sur leur front ; Affud, "genou" (Tz : 102) > "vigueur, force physique" ; Tamgert, "cou" > "vie humaine" ; etc. Le problème de la lexicalisation de la métaphore étant « de déterminer à partir de quel moment on peut considérer qu’on a affaire à un nouveau signifié »29, et dans certains cas c’est l’étymologie elle-même du mot polysémique qui est difficile à établir : quel est le sens premier et quels sont les sens secondaires ? b. 2. La métonymie C’est l’affectation d’une nouvelle notion à une dénomination qui existe déjà et dont le référent est en rapport de contiguïté avec celui de la nouvelle notion. Cette contiguïté peut être spatiale : prendre le contenant pour le contenu, par exemple : aimer la bouteille (contenant) pour aimer le vin (contenu), ou temporelle : métonymie de l’antécédent pour le conséquent ou de l’effet pour la cause : "refroidir" pour "tuer" en argot30 ; Yewwe leεfu r-Rebbi ("il est sous la protection divine") pour yemmut (il est mort). A la différence de la métaphore, la métonymie repose sur un lien clair et objectif entre deux référents, fondé sur une contiguïté spatio-temporelle. Il existe, selon le type de rapport établi entre les deux référents, plusieurs types de métonymies : - expression du concret par l’abstrait et inversement : Id., p. 187. Achab, op. cit., p. 322. 28 v. Haddadou, op. cit., pp. 202-203. 29 Gaudin et Guespin, op. cit., p. 303. 30 Gardes-Tamine (Joëlle), 1997, La stylistique, Paris, Armand Colin, p. 19. 26 27

10 tasγart, "bâtonnet" > tasγart, "tirage au sort" : le rapport de contiguïté repose sur le fait qu’à l’origine on se servait d’un bâtonnet pour tirer au sort. - l’antécédent pour le conséquent et inversement : Yewwed leεfu r-Rebbi (« il est sous la misérecorde divine », conséquent) pour yemmut (« il est mort », antécédent). « Elle a vécue » pour « elle est morte ». - la matière pour l’objet : yekkat uzzal, « il manie le fer » pour yekkat asekkin, ddreε, « il manipule l’épée, il est imposant ». Même phénomène pour l’expression « croiser le fer » du français. - le contenant pour le contenu : manger une assiette, boire un verre, etc., pour manger le contenu d’une assiette, boire le contenu d’un verre. Ces métonymies existent sous la même forme en kabyle. - la désignation de l’objet par le lieu ou par l’adjectif relationnel d’un lieu : afilali, cuir rouge d’origine marocaine (Tafilalet) ; ajenwi, « couteau de boucherie », originaire de la ville de Gênes, d’après Boulifa, cité par Haddadou (sus-cité, p. 205). Haddadou qui donne ces deux exemples ne parle pas d’adjectif relationnel duquel dérive pourtant ces deux formes : il n’y a pas de rapport métonymique entre afilali et Tafilalet, mais entre le premier et l’adjectif relationnel afilali ; qui diffère morphologiquement du nom de lieu par la suffixation du schème -i de nnisba (relationnel) arabe. Sinon, ce serait simplement une dérivation morphologique. En français, par contre, la dérivation métonymique s’établit directement entre le produit et son lieu d’origine : du madras pour le tissu fait à Madras 31 . Haddadou semble donc avoir transposé directement ce modèle français sur le berbère. - de l’effet pour la cause et inversement : yeqqur, « il est inerte » pour yemmut « il est mort » ; yessusem, « il s'est tu » pour yemmut « il est mort » ; « refroidir », pour « tuer », en argot ; etc. b. 3. La synecdoque Les linguistes sont partagés entre ceux qui considèrent ce trope comme une figure métonymique, comme R. Jacobson, et ceux, comme J. Gardes-Tamine, qui lui reconnaissent une autonomie par rapport à la métonymie. Elle se distingue en effet de cette dernière en ce que les deux référents sont en relation de dépendance et non indépendants comme dans le cas de la métonymie : « leur définition est toujours liée, qu’il s’agisse de la définition par le genre, qui fonde la synecdoque de l’espèce pour le genre : « la saison des lilas » pour « la saison des fleurs », ou de la définition par énumération des parties, qui fonde la synecdoque de la partie pour le tout : cent voiles pour cent vaisseaux »32. Les types de synecdoques les plus connus sont celles de la partie pour le tout et du général pour le particulier et inversement : ixfawen, "les têtes" pour "les moutons, les bœufs" ; lqahwa, "le café" pour "le petit déjeuner" ; aγrum, "le pain" pour "le repas" ; etc. b. 4. L’antonomase Ce procédé consiste à utiliser un nom propre au lieu d’un nom commun. Le nom propre peut être un anthroponyme aussi bien qu’un toponyme : un sandwich, du nom de lord Sandwich, qui se faisait servir ce mets à sa table de jeu ; Le rugby, du nom de Rugby, ville de Grande-Bretagne où naquit ce sport en 1823 ; etc. En kabyle, certains noms propres sont associés à certaines valeurs ou qualités et sont utilisés comme des noms communs : d Bumedyen, "c’est (un) Boumedienne" pour "il est autoritaire" ; d Fellag, "c’est (un) Fellag" pour "il est très amusant" ; etc.

31 32

Idem, p. 19. Ibid.

11 b. 5. La litote Le désir de ne pas choquer et de ne pas utiliser certains mots tabous conduit à contourner l’usage des termes propres et l’emploie d’ « expressions amoindries qui, petit à petit, peuvent perdre leur valeur atténuée »33. En français, le verbe "décéder" signifie étymologiquement « s’en aller », était moins brutal que "mourir", mais avec la lexicalisation de la figure, sa valeur euphémistique s’est considérablement estompée. On utilise pour le même signifié en kabyle diverses expressions euphémistiques comme isuhel "il est parti", yessusem "il s’est tu", yewwed leεfu r-Rebbi, etc. Il existe beaucoup d’autres exemples en kabyle : aman n tasa irqaqen "l’eau fine du foie" pour ibeccicen/ibeccan, "l’urine" ; aman n tasa izuranen, "l’eau grosse du foie" pour i an "excréments" ; etc. b. 6. L’antiphrase C’est un procédé ironique qui consiste à dire le contraire de ce que l’on pense. Des néologismes sont ainsi crées : une "respectueuse" pour "prostituée", en français. C’est un procédé dont les figures se lexicalisent très rarement. Il est attesté en kabyle, mais nous ne savons pas s’il existe ou non d’antiphrases lexicalisées : ufhim, "idiot" < fhem : "être lucide, clairvoyant" ; umεin, "maladroit" < umεin : "sensé, utile" ; etc. b. 7. Oxymore ou oxymoron Ce procédé consiste à associer deux termes qui normalement s’excluent. On l’appelle aussi "alliance de mots" : un chaud-froid, un vrai-faux interne, une soupe aigre-douce, etc. On relève dans la presse algérienne des constructions de ce type comme "vrai-faux barrage", qui suggère l’existence de "faux-faux barrages", c’est-à-dire des barrages qui ne sont pas le fait des terroristes islamistes. Le titre du dernier roman de Amar Mezdad, tagrest urγu "hiver dans la chaleur" ou "hiver et chaleur" est un cas d’oxymoron non encore lexicalisé. b. 8. La recatégorisation La recatégorisation, reconversion, transfert de classe, dérivation impropre désignent le même phénomène qui consiste à changer la catégorie grammaticale d’une unité lexicale sans changer sa dénomination. C’est un procédé bien représenté dans les langues européennes comme le français et l’anglais : - Adjectif → nom : voiture automobile (adj.) > automobile (n.) ; café crème (adj.) > crème (n.) ; green (adj.) vegetables > greens (n.) (anglais), etc. C’est une conversion qui passe souvent par le stade de l’ellipse. - Nom → adjectif : clé (n.) > moment clé (adj.). Ce procédé est surtout utilisé à l’oral en français : « il est rock », « moi, je serais plutôt montagne », etc. - Verbe → nom : boire, manger, connaître, etc. donnent le boire, le manger, le penser, le connaître. - Adjectif → adverbe : cette conversion concurrence la dérivation en -ment en français : filer doux, rouler tranquille, écrire simple, acheter français, etc. au lieu de doucement, tranquillement, etc. - Nom propre → nom commun : frigidaire (nom propre, marque) > frigidaire (nom commun) ; Paparazzi qui est le pluriel de paparazzo serait le nom d’un camarade de classe insolent et agressif de « Fellini qui, agacé par des photographes importuns qui suivaient Anita Ekberg en 1959 durant le tournage de la Dolce vita, aurait utilisé pour les désigner [le nom de ce camarade de classe] »34. 33 34

Sablayrolles, op. cit., p. 229. Gaudin et Guespin, op. cit., p. 316.

12 En berbère, ce type de conversion est rare, on relève surtout le type : - Adjectif → nom : tamellalt (blanche) > tamellalt (œuf) ; taberkant (noire) > taberkant (café) ; azeggaγ (rouge) > azeggaγ (vin), etc. Ce type comme le fait remarquer Achab, concerne surtout les adjectifs désignant les couleurs. On peut relever un autre type dans la néologie moderne : - Nom → adjectif : tasarut (clé) > awal tasarut (mot clé) (L.I : 79). C’est un calque fait à l’anglais keyword. Même en arabe on reproduit cette recatégorisation par calque : kalima miftah, "mot clé" ; kalima ala, "mot-machine" ; elqana ’ccaca, "tube-écran"35 ; etc. c. La néologie par emprunt C’est un procédé qui consiste en un transfert d’un signe linguistique entier ou d’une partie de ce signe d’une langue dans une autre langue. L’emprunt est un phénomène universel dont aucune langue ne peut se passer. L’anglais qui a emprunté des mots à au moins 130 langues36 est un bon exemple d’ouverture des langues. La proportion des emprunts est fonction des rapports socio-économiques, culturels et politiques établis entre les différentes communautés linguistiques en contact. Il est particulièrement investi par l’idéologie et les sentiments : « la valeur attribuée au mot emprunté est une question sociale et nationale ; selon que l’idiome et le peuple auxquels on fait des emprunts sont regardés inférieurs ou supérieurs, ces emprunts descendent ou montent en dignité » (Nyrop), cité par Maurais37. Selon R. Lafont, cité par Maurais dans la même page, l’importation de lexèmes français a, dans certains cas réduit les lexèmes occitans à des emplois « bas ». Dans ce cas on parle de mélioration des emprunts. Inversement, Michel Masson38 expliquant le rôle de l’idéologie dans le passage des mots d’ une langue à une autre, écrit à propos de l’hébreu que les emprunts faits à l’arabe ont subi une dévalorisation parce que l’arabe symbolise aux yeux des hébréophones "le contraire même du prestige". C’est par ce phénomène appelé par Masson l’ « anti-prestige » que s’explique l’emprunt de la plupart des gros mots à l’arabe dialectal dans l’hébreu moderne. La plus ou moins imperméabilité de certaines langues aux emprunts peut s’expliquer, par delà l’aspect idéologique, par « des raisons purement structurales (par exemple le système consonantique réduit du finnois l’empêche souvent d’accepter des emprunts (...) il peut signifier aussi le rejet de l’opacité au profit de la transparence obtenue par la formation de lexèmes indigènes motivés grâce aux procédés néologiques habituels »39. En arabe, par exemple, « la structure consonantique du mot à base de racines bilitères, trilitères ou quadrilitères en plus du système de dérivation, créent des seuils de tolérance au-delà desquels on ne peut introduire des termes étrangers »40. Pour cet auteur, un mot qui comprendrait plus de 6 consonnes en arabe est "obligatoirement" un emprunt. Plusieurs facteurs peuvent jouer en faveur de l’emprunt : la disponibilité ; le snobisme, qui sert à marquer la différence entre celui qui est initié à une autre langue et une autre civilisation et celui qui ne l’est pas ; l’exotisme : "les mots étrangers ayant un petit quelque chose de mystérieux, de fascinant" ; mais aussi la paresse qui dispense de l’effort de création. On distingue entre deux grands types d’emprunts : c. 1. L’emprunt interne

v. Osman, op. cit., p. 425. v. Tournier, 1988, op. cit., p. 148. 37 Maurais, 1987, op. cit., p. 34. 38 Masson (Michel), 1986, Langue et idéologie : Les mots étrangers en hébreu moderne, Paris. 39 Maurais, op. cit., p. 35. 40 Osman, op. cit., p. 354. 35 36

13 C’est un emprunt fait à l’intérieur d’un système linguistique. La langue prêteuse est soit un état ancien de la langue emprunteuse, c’est le cas par exemple pour les emprunts savants des langues romanes au latin ; soit une langue génétiquement apparentée à la langue d’accueil ou un des dialectes d’une langue. Beaucoup d’emprunts de ce type sont totalement intégrés par le kabyle : amazigh, emprunt fait par I. Ait Amrane41 aux parlers marocains et attesté dans son célèbre chant kker a mmi-s umaziγ (lève-toi, fils de Berbère) (janvier 1945), tilelli (liberté) fait au touareg ; adlis 42 (livre) emprunté au parler de Gourara ; etc. c. 2. L’emprunt externe C’est un emprunt à une langue qui, à des degrés fort variables, est étrangère par rapport à la langue d’accueil. On distingue ici divers types. c. 2. a. Le xénisme C’est un emprunt perçu par l’usager comme un élément étranger. Il s’agit d’un emprunt qui n’est pas encore intégré par le système linguistique d’accueil : Big bang, look, etc. faits par le français à l’anglais, ou pissoir fait par l’anglais au français. En kabyle, des mots comme aparabol (la parabole), lpost (poste-radio), amicro (micro-ordinateur), relèvent de ce type. c. 2. b. L’emprunt intégré C’est un emprunt où la forme empruntée est moulée dans la structure linguistique d’accueil de sorte que l’aspect étranger est complètement gommé : redingote (< riding coat), paquebot (< packet boat), fioul (< fuel), etc. En Kabyle, des mots comme : tamezgida (mosquée) (< masğid), ta allit (la prière) (< alat), u um (jeuner) (< ama), etc. empruntés à l’arabe, ou abidun (< bidon), truzi (< être naturalisé), ssikis (< séquestre), etc. empruntés au français, relèvent de ce type.

c. 2. c. L’emprunt hybride Il est formé à partir d’une base (ou affixe) d’une langue avec une base ou affixe d’une autre langue. C’est un phénomène courant en langues européennes qui adoptent des bases ou affixes pris au grec et au latin. C’est aussi un phénomène que connaît l’arabe et l’hébreu modernes. Osman Muhammad est favorable à l’usage de ce procédé en arabe et affirme que « la pauvreté du système morphologique arabe en affixes représente un handicap sérieux que l’arabe doit surmonter pour pouvoir maîtriser l’afflux de termes techniques et scientifiques » (sus-cité, p. 357). Cette hybridation en arabe a commencé dans le vocabulaire de la chimie : hadidique : ferrique ; kibritite : sulfite ; xallun : acétone, etc. En hébreu moderne quelques schèmes comme -ist, -nik, etc. sont empruntés aux langues européennes et associés à des bases hébraiques : balaganist (homme désordonné) < balagan (désordre) + -ist . Achab est favorable à ce procédé qu’on pourrait utiliser selon lui pour enrichir le berbère, surtout quand il s’agit d’affixes très connus au niveau international comme le suffixe -isme, par exemple. v. Achab, op. cit., p. 72. Il semble que ce soit un mot-fantôme à l’origine, c-à-d une erreur graphique qui au lieu de traduire a lis, du parler de Gourara, par « lèvre », on a traduit adlis par « livre ».

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c. 2. d. Emprunt partiel ou calque sémantique L’emprunt ne concerne ici que le signifié du terme étranger qui est mis en rapport avec une dénomination déjà disponible en langue emprunteuse ou à créer dans cette langue. L. Guilbert43 écrit à propos de ce procédé auquel il est favorable que même s’il « attire les foudres des puristes, représente en définitive un enrichissement de la langue, sans porter atteinte à son intégrité phonologique ». L’acception « comprendre » que prend le verbe « réaliser » sous l’influence de l’anglais, est l’exemple le plus cité pour ce type d’emprunt en français. Le verbe ebbeq connaît le même phénomène en kabyle : ayant habituellement le sens de « ranger », il est employé depuis quelque temps, sous l’influence de l’arabe, au sens d’« appliquer ». Mais le calque sémantique le plus répandu est celui, en langues de spécialité, de création de termes monosémiques avec emprunt de leurs signifiés. Et là les exemples sont très nombreux dans toutes les langues qui possèdent des lexiques spécialisés, où les termes sont souvent calqués sur ceux de la langue-source : mouse (anglais), souris (français), amumed (tamazight), fa’ra (arabe), etc. c. 2. e. Le calque morphologique ou littéral Il s’agit de la création d’un nouveau signifiant dont la structure est calquée sur celle d’un signifiant étranger dont on emprunte le signifié. C’est un procédé également très répandu dans les différentes langues : gratte-ciel est calqué sur skyscraper que Mezdad (cité ci-dessus) a calqué sur le français en xbec-genni ; point de vue (français), point of view (anglais), neqtati nazer (nader) (arabe)44 ; etc. c. 2. f. L’emprunt-calembour Il consiste à remplacer des emprunts directs par des termes aussi proches que possible formellement de ces emprunts « même au prix d’approximations ou d’acrobaties sémantiques » 45 : okul (turc) « école », sur oku « lire » ; soysal (turc) « social », sur soy « race » ; ilit (hébreu) « élite », sur ili « supérieur » ; elem (hongrois) « élément », sur elö « ce qui est en avant » ; Taferka46 (berbère) « Afrique », à partir de taferka « terre, propriété foncière » ; etc. d. La néologie morpho-syntaxique C’est un procédé qui consiste à combiner des morphèmes et des lexèmes pour former de nouvelles unités lexicales simples ou complexes. C’est le procédé le plus productif dans les langues que nous connaissons, en particulier en berbère où Achab relève sa prépondérance dans la néologie moderne. On distingue deux grands procédés morpho-syntaxiques : la dérivation qui combine un lexème et un morphème grammatical, et la composition qui combine deux lexèmes. d. 1. La dérivation

Guilbert (Louis), 1972, Théorie du néologisme, Communication au XXIVe congrès de l’association, le 24 Juillet 1972, pp. 48-49. 44 Bazin (Louis), 1983, La réforme linguistique en Turquie, in La réforme des langues, Vol. 1, Hambourg (sous la dir. de I. Fodor et C. Hagège), p. 171. 45 Hagège (Claude), 1983, Voies et destins de l’action humaine sur les langues, in la réforme des langues, vol.1, Hambourg, pp. 11–69 (dirigé par I. Fodor et C. Hagège), p. 57. 46 Etant entendu que l’hypothèse la plus plausible concernant l’étymologie du mot Afrique est celle qui lui attribue un étymon d’origine berbère, à savoir afri/ifri (grotte) auquel les Romains ont ajouté le suffixe latin –ca pour donner Africa (Nova) qui désigna d’abord le Nord de la Tunisie, où habitaient à l’époque les afris (les habitants de la grotte pour les Romains), avant de désigner l’Afrique du Nord et par la suite l’ensemble du continent. Voir à ce propos F. Decret et M. Fantar, 1981, L’Afrique du Nord dans l’antiquité. Des origines au Ve siècle, Payot, Paris. 43

15 Nous distinguerons ici, à la suite de Achab (p. 339-41), entre trois type de dérivation : grammaticale, affixale moderne et expressive, auxquelles nous ajoutons la dérivation flexionnelle et la dérivation par analogie. d. 1. a. La dérivation grammaticale : elle consiste à combiner des morphèmes grammaticaux, en nombre très réduit et en liste fermée, avec des lexèmes. ♦ Dérivation verbale sur base verbale : elle permet l’expression principalement des formes factitive, passive et réciproque qui s’obtiennent par préfixation. La forme factitive : elle est obtenue par préfixation du morphème factitif ou actif-transitivant s-, réalisé ss- quand il précède une voyelle, y compris la voyelle d’appui e : sselkem (introduire, régir) < lkem (suivre) (Mwj : 9-11) ; Ssemres (employer) < mres (s’employer) (tajerrumt) ; etc. La forme passive : elle est obtenue par préfixation des morphèmes : ttwa- (sur radical court), ttu-, tt- (sur radical long), mm- , nn- , n- : ttwaleγ (être formé) < aleγ (former) (Amawal) ; mmag (être fait) < eg (faire) (utilisé à Bgayet (Béjaïa) et ses environs) ; nnefk (être donné) < efk (donner) ; etc. La forme réciproque : elle est obtenue par préfixation des morphèmes : my- (devant verbe à radical court), m- (devant verbe à radical long), ms- : myagi (être incompatible) < agi (refuser) (lexique des mathématiques) ; msemter (se conseiller réciproquement) < ssemter (conseiller)47 ; etc. La forme complexe : les morphèmes dérivationnels des différents types de dérivés peuvent être combinés pour donner des dérivés complexes : ttwasudder (être ressuscité) < dder (être vivant) [ttwa+ s-]48. ♦ Dérivation verbale sur base nominale C’est un procédé très peu productif. Le seul exemple cité en langue commune est : ssiwel (parler, raconter, appeler) < awal (parole, langue, mot). En néologie, K. Nait-Zerrad (1998) a créé sept verbes ainsi : zref (juger) < azerf /izerf (droit coutumier), par exemple. ♦ Dérivation nominale sur base verbale On forme ainsi le nom d’action verbale (n.a.v), le nom déverbatif concret (n.d.c), le nom d’agent et d’instrument et l’adjectif. Le nom d’action verbale et le nom déverbatif concret : ils sont obtenus en associant à la racine verbale des schèmes vocaliques : a-, a-a-, a-u, etc. : asiwel (le fait d’appeler, de parler) < ssiwel (parler, appeler) ; arway (le fait de remuer) < rwey (remuer) ; asu u (le fait de souffler) < su (souffler) ; etc. Mais aussi d’autres schèmes comme ta-a, ti-t, alternance vocalique + tension consonantique, etc. : tarewla (le fait de fuir) < rwel (fuir) ; tidderγelt (le fait d’être aveugle, cécité) < dderγel (être aveugle) ; affug (le vol) < afeg (voler) [alternance vocalique + tension consonantique], etc. Nait-Zerrad (Kamal), 1998, Lexique religieux berbère et néologie : un essai de traduction partielle du coran, Centro Studi Camito-Semitici, Milano, p. 88. 48 Ibid. 47

16 Le nom d’action verbale (n.a.v) et le nom déverbatif concret (n.d.c) ne se distinguent souvent que sémantiquement : tira (le fait d’écrire et écriture) < aru (écrire), etc. même si des jeux vocaliques ou consonantiques peuvent les distinguer49 : - alternance vocalique : acercer (fait de couler) cercer (couler) acercur (source, robinet) ; aberbek (action d’éclater) bberbek (éclater) aberbuk (obus), etc. - alternance de genre : le n.a.v. est masculin, le n.d.c. est féminin : adari (le fait de s’abriter) ddari (s’abriter) tadarit (abri, paravent) ; arzaf (le fait d’aller en visite) rzef (aller en visite) tarzeft (cadeau de visite) ; azdam (le fait de ramasser zdem (ramasser du bois de chauffage) du bois de chauffage) tazdemt (fagot de bois) ; - alternance de nombre : le singulier est n.a.v, le pluriel est n.d.c : abeccec (action d’uriner) becc (uriner) ibeccicen (urines) ; argam (le fait de blasphémer) rgem (blasphémer) rregmat (blasphèmes), etc. - opposition morphologique : Le n.a.v. est de morphologie berbère, le n.d.c. est de morphologie arabe : a emmel (le fait d’aimer) emmel (aimer) le mala (amour) ; adhac (le fait de s’étonner) dhec (être étonné, s’étonner) ddehca (étonnement, surprise), etc. Le nom d’agent et d’instrument : ils sont obtenus par préfixation de certains schèmes combinés à des alternances vocaliques. Le nom d’agent ou de patient s’obtient en général par préfixation de am[avec ses variantes : an-, si le radical verbal contient une labiale, ou im- [in-] si ce radical contient la voyelle /i/] : anasfal (tentateur) < sfel (pousser, tenter)50 ; amaray (secrétaire) < aru (écrire) (Amawal), etc.

49 50

v. Haddadou, op. cit., pp. 94–95. Nait-Zerrad, 1998, op. cit., p. 90.

17 Le nom d’instrument est obtenu surtout par préfixation du morphème instrumental s-, mais aussi de am-, avec alternance vocalique. La voyelle initiale devient i- en présence de cette voyelle dans le radical verbal : isiqqes (dard) < qqes (piquer) ; asergel (bouchon) < rgel (obstruer) ; amaddaz (pilon) < ddez (piler), etc. En néologie : asafag (avion) < afeg (voler) (Amawal) ; isirew (matrice) < arew (procréer, engendrer) (lexique des mathématiques) ; etc. L’adjectif : il est obtenu par combinaison de schèmes vocaliques ou/et consonantiques avec un radical verbal : a-a-, a-an, u-i-, tension sur la consonne médiane + alternance vocalique, etc., en plus des schèmes du nom d’agent (v. ci-dessus) qui sont aussi utilisés pour la formation d’adjectifs : aberkan (noir) < ibrik (être noir) ; ucmit (laid, vilain) < cmet (être laid, vilain), etc. En néologie : uddis (composé) < ddes (combiner) (Amawal , lexique des mathématiques) ; ameskan (démonstratif) < sken (montrer) (Tajerrumt) ; etc. ♦ Dérivation nominale sur base nominale Les dérivés sont obtenus par l’association des schèmes ams-, ans- et am- à des bases nominales : amsedrar (montagnard) < adrar (montagne) ; amzaγar (habitant de plaine) < azaγar (plaine). Les formations de ce type sont très rares en langue commune. Cela n’a pas empêché ce procédé d’être exploité en néologie : amesfara (progressiste) < afara (progrès) (Amawal) ; amawal (lexique) < awal (mot, langage) (Amawal, Tajerrumt) ; amsekrar (chimiste) < akarur (sorcellerie) (Amawal), etc.

Remarque Contrairement à la formation traditionnelle en langue commune des adjectifs et des autres noms dérivés presque exclusivement à partir de bases verbales, en terminologie moderne ils le sont y compris à partir de bases nominales : udmawan (personnel) < udem (personne grammaticale) (Tajerrumt) ; amiran (actuel) < imir (instant, moment) (Amawal), etc. d. 1. b. La dérivation expressive ou à motivation phonique Les morphèmes de dérivation expressive sont très peu productifs et relèvent pour la plupart de la diachronie, à l’exception de rares morphèmes comme le diminutif -c. C’est en cela, et par le sémantisme de ses produits, souvent à connotation péjorative, qu’elle diffère de la dérivation grammaticale. On distingue morphologiquement deux procédés de dérivation expressive : ♦ Par redoublement Le redoublement peut concerner la base entière ou une consonne avec souvent enchâssement d’une voyelle. Redoublement de la base : en kabyle, seules les bases bilitères sont concernées : gelgel (être boueux , fangeux) < gel (stagner) ; ferfer (voleter, s’envoler) < *fer (base onomatopéique). La répétition de la base peut s’accompagner par un enchâssement d’une voyelle :

18 klukel (aller à petits pas, se blottir, lambiner) < kel (séjourner). En touareg, le redoublement concerne même les bases trilitères : klefklef (s’embrouiller dans ses paroles (involontairement)) (F. II : 791) < k l u f i ( f a i t d e s e m ê l e r d e c e q u ’ o n n e s a i t p a s , d e c e q u i n e r e g a r d e p a s ) (F. II : 789) ; erran erran (fait de tourner sans cesse (fait d’être changeant)) (F. I : 287) < ren (tourner (changer de direction)) (F. I : 285), etc. Redoublement d’une consonne : Chaker relève plusieurs types dans sa thèse, selon que la base est bi, tri ou quadrilitère et selon la position de la consonne dans la base. Le type le plus abondant est le redoublement de la consonne médiane avec enchâssement de la voyelle /u/ au milieu : zlulef (être échaudé) < zlef (griller) ; fsusi (être défait, s’effilocher) < fsi (défaire, se défaire) ; ftutes (être émietté) < ftes (émietter), etc. ♦ Par affixation Il existe un nombre important d’ « éléments idéophoniques », la plupart des préfixes, mais qui sont peu productifs. Un élément idéophonique implique une association motivée d’une image acoustique à une notion, crée en 1935 par C. M. Doke par analogie avec idéogramme qui est une association motivée d’une image visuelle ou graphique à une notion. Jean Tournier 51 propose d’appeler onomatopéiques, les éléments correspondant à un signifié appartenant au champ notionnel des sons, et idéophonique ceux qui correspondent à un signifié n’appartenant pas au champ notionnel des sons. Le même auteur dans son analyse des éléments idéophoniques de l’anglais et dans un texte intitulé « éléments idéophoniques et parenté linguistique » 52 , il s’est contenté de donner un seul exemple, mais très intéressant, où un élément idéophonique, il s’agit du « groupe initial » /ker/, est commun à beaucoup de langues indo-européennes. Cet élément est analysé au même temps comme onomatopéique suggérant un bruit de craquement, de raclement, des sons discordants en général, et comme élément idéophonique correspondant à la notion générale de « non-rectiligne » : Français : cran, créneaux, crépu, etc. Espagnol : crespo (frisé), cresta (crête), cruce (croisement), etc. Latin : cratis (treillis), crispare (onduler), crispus (frisé), crusc (gibet), etc. Néerlandais : kreuken (plisser), kroes (frisé), krom (courbé), kruis (croix), etc. Allemand : krumm (courbe), kragen (col), kraus (crépu), creis (cercle), krollen (enrouler), krone (couronne), etc. Breton : kromm (courbe), kriza (rider), etc. Russe : krivaja (courbe), krivit’ (tordre), krivoj (tordu), etc. Anglais : crabbed (tordu, mal formé), crumple (froisser), crease (pli), etc. Cet élément auquel Tournier53 fait correspondre « la notion générale de « non-rectiligne », c’est-à-dire de ligne courbe ou sinusoïdale, brisé ou en zigzag, et même de lignes croisées ou entrelacées » existe en berbère et correspond exactement à la même réalité. Chaker54 écrit à propos de cette séquence que « Kr/Kwr paraissent noter l’idée de « repli sur soi, enroulé, serré ». Ce préfixe est sans doute apparenté à la racine kr (→ skur « mettre en pelote », takurt, « pelote ») ». Nous pouvons donc rajouter le berbère à la liste ci-dessus, même s’il n’est pas une langue indo-européenne : kkerfe (être écrasé, froissé), kkerčečči (être frisé, crépu), kkernenni (être en boule, être rond), kres (nouer, froncer, rider), kref (être natté, tressé), kkerfef (être ébouriffé), ker (être en boule, enroulé), etc. Il paraît même, au vue de ces exemples tirés du dictionnaire kabyle-français de J.-M. Dallet, mieux couvrir que les langues indo-européennes citées ci-dessus la réalité que lui attribue Jean Tournier. Nous citerons ci-après quelque uns des éléments idéophoniques les plus fréquents en kabyle : Tournier (J.), 1985, Introduction descriptive à la lexicogénétique de l’anglais contemporain, ChampionSlatkine, Paris-Genève, p. 141. 52 Idem, pp. 151-152. 53 Ibid., p. 151. 54 Chaker (Salem), 1983, Un parler berbère d’Algérie (Kabylie) : syntaxe, Université de Provence, p. 482. 51

19 - bb-/b- : bberwi (être sens dessus dessous) < rwey (être remué) ; bbu el (s’étendre négligemment) < el (s’étendre). - bber-/ber- : bberzeγzef (être démesurément long) < zγzf < iγzif (être long) ; bberzegzew (être verdâtre) < zegzew (être vert) ; aberjeγlal (grosse coquille) < ajeγlal (coquille), etc. Ces préfixes expriment « l’ampleur, la démesure avec une nuance péjorative »55. - c- : cemlel (être blanchâtre) < imlul (être blanc) ; cuff (être enflé, enfler) < uff (être enflé). Ce préfixe exprime l’imperfection du procès ou de la qualité. - -c : aεeqquc (perle, grain de collier) < aεeqqa (grain) ; taγedduct (cardon, tige très tendre) < aγeddu (tige, cardon) ; akantuc (brassée d’herbes) < akantu (botte d’herbes) ; taniγmuct (petite figue tendre) < iniγem (petite figue), etc. Cet élément idéophonique à valeur de diminutif est l’un des rares à être productif. - f- : funzer (saigner du nez) <*nzer > anzaren (nez) ; fuγmes (grignoter) < *γms > tuγmest (dent). - j- : jeεleq (être étiré, allongé) < εelleq (pendre) ; jfel (partir au galop) < ffel (partir, franchir). Pour plus de détails à propos de ce mode lexicogénique, on peut se reporter à la thèse de Chaker (p. 47-483) et à celle de Haddadou (p. 145-180), citées ci-dessus.

d. 1. c. La dérivation affixale moderne Les affixes sont ici néologiques et conçus comme équivalents de ceux de la langue-source qui est le français. Ces affixes sont introduits par Tajerrumt n tmaziγt et enrichis par les travaux terminologiques ultérieurs, constituant « un apport qualitatif au dispositif berbère de production lexical »56. On distingue trois types : ♦ La préfixation Elle consiste à créer un nouveau terme par l’ajout d’un affixe devant une base. Le préfixe ar- à valeur de privatif ou de négatif, créé par Mammeri (Tajerrumt) à partir de war (sans) par aphérèse, est l’un des plus réussis : arusrid (indirect) < usrid (direct) (Tajerrumt n tmaziγt) ; armeskil (invariable) < ameskil (variable) (Tajerrumt), etc. D’autres préfixes comme (t)asn- (-logie), créé aussi par Mammeri (Tajerrumt), a eu aussi beaucoup de succès : tasnilsit (linguistique) < tasn- + iles (langue, langage) ; tasnakta (idéologie) < tasn- + takti (idée) (Amawal), etc. ♦ La suffixation Elle consiste à créer une nouvelle dénomination par l’ajout d’un affixe à la droite d’une base lexicale. Les suffixes sont largement moins nombreux que les préfixes. Les plus connus sont les suffixes -man (auto-) et - ri, -isme) créés par l’Amawal et repris par les travaux terminologiques ultérieurs : agucelman (auto-détermination) < aguccel (détermination) + -man (Amawal) ; tange ri (matérialisme) < tanga ( matière ) + ri (Amawal), etc.

55 56

Idem, p. 481. Achab, op. cit., p. 341.

20 ♦ L’affixation complexe Elle consiste à ajouter deux affixes ou plus à une base lexicale pour créer un nouveau terme : tadzunallust (hypocycloïde) < adu- (hypo-) + zun- (oïde) + tallust (cycle) (lexique des mathématiques), etc. d. 1. d. La dérivation flexionnelle Elle consiste à créer de nouveaux termes en combinant les désinences du genre et du nombre avec une base lexicale. La modalité discontinue du féminin t–t et son absence avec leurs différentes valeurs sont une source de création de nouvelles unités lexicales : • Le diminutif : taqabact (petite pioche) est un diminutif de aqabac (pioche). • L’unité d’un groupe ou la partie d’un tout : taxxamt (pièce) ~ axxam (maison). • le normal qui s’oppose à l’anormal : tame ut (femme) ~ ame u (hommasse). • le concret qui s’oppose à l’abstrait : tadarit (abri) ~ adari (le fait de se mettre à l’abri), etc. le néologisme adyan (histoire) est crée ainsi à partir du lexème tadyant (événement, histoire) seul attesté en kabyle57. En français, la féminisation des titres et fonctions relève de ce type : doctoresse (femme docteur) ; écrivaine (femme écrivain) ; etc. d. 1. e. La dérivation par analogie Elle consiste à créer un nouveau signifiant par calque de la morphologie d’un signifiant déjà existant, selon le principe de la quatrième proportionnelle : sélection : sélectionner : : restriction : restrictionner ; nègre : nègritude : : arabe : arabitude, etc. Sablayrolles qui donne ces exemples, note que « les résultats de cette dérivation ne passent pas toujours bien et sont parfois presque unanimement rejetés par les membres de la communauté linguistique comme frêlesse, frêleur, frélité ou frélitude (...) » dont la construction est pourtant régulière. En tamazight on peut exploiter ce procédé pour concevoir des familles morpho-sémantiques de termes à partir d’une forme nominale isolée, par analogie avec un autre nom de même morphologie entrant dans une famille morpho-sémantique large. Nous avons, par exemple, proposé ici à partir du terme isolé tajerrumt (grammaire), par analogie avec taεeggunt (idiote, stupide, muette), les termes grammaticaliser, grammaticalisation et grammaticalité : jjurrem : tajerrumt : : εεuggen : taεeggunt ; jjurrem : ajurrem : : εεuggen : aεuggen ; jjurrem : tijurremt : : εεuggen : tiεuggent. d. 2. La composition Elle consiste à créer une nouvelle unité lexicale par combinaison de deux lexèmes ou plus. C’est un procédé qui n’est pas aussi productif que la dérivation grammaticale, mais il a néanmoins le mérite d’être bien attesté dans la formation du lexique en berbère, contrairement aux langues sémitiques où il est quasiment inexistant. C’est un procédé qui caractérise par contre bien les langues européennes dont une partie importante de la terminologie est conçue ainsi. Selon le type de combinaison des deux lexèmes, on distingue plusieurs types de composés. 57

Idem, p. 39.

21

d. 2. a. Les composés juxtaposés Ils sont formés par le rapprochement ou la fusion de deux ou plusieurs lexèmes. Ceux-là peuvent être reliés par un trait d’union ou soudés l’un à l’autre. Il existe selon la catégorie grammaticale des deux composants, plusieurs types de composés : • Nom + nom : asγersif (aulne) < asγar (bois) + asif (rivière) ; fare mellal (petite quantité de nourriture) < afare (jaune d’œuf) + tamellalt (œuf). • Verbe + nom : magri ij (tournesol) < mmager (aller à la rencontre) + i ij (soleil) ; meččulac (popcorn, amuse-gueule) < mmečč (être mangé) + ulac (rien). • Verbe + verbe : bbi-yerwel (perce-oreille) < bbi (pincer) + rwel (se sauver). En néologie : arusfus (manuscrit) < aru (écrire) + s (avec) + afus (main) ; adriraw (bibliographie) < ader (citer) + tirawt (écrit), etc. Ce procédé qui est quasiment inconnu des langues sémitiques, est sollicité dans la néologie moderne. Michel Barbot58 explique, pour le cas de l’arabe, l’usage de ce procédé peu orthodoxe que « c’est pour endiguer, puis repousser aussi loin que possible, l’invasion croissante des emprunts que ces moyens à peine tolérés ont été mis en œuvre, faute de trouver assez de ressources dans les éléments en place de la pure « εarabiyya » ». Ainsi, nonobstant la nature de la structure consonantique réduite du mot arabe, de nouveaux termes sont créés selon ce modèle, sous l’influence des langues européennes : Barma’ iy (amphibie) < barr (terre ferme) + ma’iy (aquatique) ; εilmitiqni (scientifico-technique) < εilmi (scientifique) + tiqni (technique), etc. Michel Masson écrit à propos de l’hébreu que « la formation par composition, en vogue aujourd’hui, était absolument inconnue en classique »59. L’influence des langues européennes comme l’allemand, le russe et le yidiche est ici évidente, puisque les aménageurs juifs, surtout les premiers, sont très familiarisés avec ces langues : kadursal (basket-ball) < kadur (ballon) + sal (panier) ; kaduregel (football) < kadur (ballon) + regel (pied) ; kolno’a (cinéma) < kol (voix) + no’a (mouvement) ; etc. d. 2. b. Les composés synaptiques Ce sont des syntagmes lexicalisés composés de lexèmes joints par des éléments grammaticaux. La lexicalisation d’un syntagme, c’est-à-dire son caractère de lexie unique, se vérifie par les critères de substitution et d’insécabilité, même s’il n’est pas toujours évident de le faire. Le turque a réglé ce problème par une convention selon laquelle les syntagmes lexicalisés sont écrits d’un seul tenant60. Ainsi, en turc güne bakan (celui qui regarde le soleil) s’oppose à günbakan (tournesol). Ce type de composé a l’avantage d’être transparent, mais l’inconvénient de ne pas être économique et ne pas se prêter facilement à la dérivation. Ce qui explique le fait qu’en hébreu moderne, les composés juxtaposés ont pu être préférés dans beaucoup de cas aux composés synaptiques61. C’est un procédé assez productif en berbère : err a ar (reconnaître son erreur, ne pas récidiver) ; efk tamger (se résigner, se rendre) ; ti urin w-wuccen (b- buccen) (variété de raisin sauvage), etc. Barbot (Michel), 1983, Réflexions sur les réformes modernes de l’arabe littéral, in La réforme des langues, Vol. 1, Hambourg, sous la dir. de I. Fodor et C. Hagège, p. 152. 59 Masson (Michel), 1983, La renaissance de l’hébreu, in La réforme des langues, sous la dir. de Fodor (I.) et Hagège (C.), Hambourg, Buske, Vol. II, p. 470. 60 v. Bazin (L.), op. cit., p. 173. 61 Masson (Michel), 1976, Les mots nouveaux en hébreu moderne, Paris, p. 155. 58

22

d. 2. c. Les composés télescopés ou mots-valises Ce sont des composés soudés, ayant subi des troncations pour l’un de leurs composants ou les deux à la fois pour faciliter leur jonction. Ce type offre l’avantage d’être simple et euphonique, mais l’inconvénient d’être difficilement décodable. Mais le caractère arbitraire du signe linguistique et le critère de besoin – très important en terminologie – réduisent considérablement cet inconvénient. C’est un phénomène très répandu en langues européennes, en particulier en anglais, qui l’ont exporté ailleurs : ambucopter (véhicule qui est à la fois une ambulance et un hélicoptère) < ambulance + hélicoptère [par apocope de l’élément -lance du premier composant et l’aphérèse de l’élément héli- du second composant] ; alphamerical (contenant à la fois des symboles alphabétiques et des symboles numériques) < alphabétical + numérical [apocope du 1er et aphérèse du 2ème] ; etc. En français, le terme informatique est formé selon ce procédé : Infor[mation auto]matique, par apocope du 1er et aphérèse du 2ème. En arabe, malgré son rejet par les conservateurs et les puristes, ce procédé est pourtant bien exploité en terminologie : kahruharari (électrothermique) < kahruba’i (électrique) + harari (thermique) [par apocope du 1er composant] ; naq ara (translittération) < naql (transfert) + uruf (lettres) [par apocope des deux composants] ; kahrutisi (électro-magnétique) < kahruba’i (électrique) + maγnatisi (magnétique) [par apocope du 1er et aphérèse du 2ème], etc. En hébreu moderne : midrexob (aire piétone) < midraka (trottoir) + rexob (chaussée) [par apocope du 1er composant] ; madxom (thermomètre) < madad (mesurer) + xom (chaleur) [par apocope du 1er] ; duwax (rapport) < din (jugement) + we (et) + xecbon (compte) [par apocope du 1er et apocope du second], etc. Conclusion La quasi-absence de la néologie phonétique en berbère, comme les différents procédés de réduction (l’apocope, le sigle, l’acronyme, le mot-valise, etc.) bien qu’ils soient exploités par des langues pas nécessairement européennes comme l’arabe et l’hébreu, s’explique par le fait qu’ils appartiennent avant tout au domaine de l’écrit puisqu’ils jouent sur une « matière visuelle et graphique », et que le tamazight n’a pas encore suffisamment accès aux divers moyens de communication écrite. Il est présent pour l’instant essentiellement dans quelques médias audiovisuels et depuis peu de temps dans l’enseignement, comme langue enseignée et pas encore comme langue d’enseignement. Certains types d’emprunts aussi ne sont pas encore attestés en néologie amazighe, comme l’emprunt hybride qui est un phénomène très courant dans les langues européennes qui puisent essentiellement leurs affixes dans deux sources communes : le grec et le latin. Ce procédé est repris aussi par l’hébreu et l’arabe modernes, mais non sans susciter de vives controverses, en particulier en arabe où ces créations « sont qualifiées de barbares par les puristes »62. Dans ces deux langues, c’est sans doute l’urgence de répondre à des besoins terminologiques énormes qui a ‘’acculé‘’ les Osman Muhammed (Ussama), 1998, Recherche méthodologique de la création terminologique en langues de spécialité, vocabulaire de l’informatique en arabe, Thèse de doctorat nouveau régime, sous la dir. de Mme Odette Petit, Université de la Sorbonne Nouvelle, Paris III, p.358. 62

23 terminologues à user de tous les moyens, en particulier de l’emprunt hybride. Situation que n’a pas encore connue la néologie berbère qui se présente d’avantage comme une ‘’démonstration de force’’ sur fond d’ ‘’affirmation identitaire’’ - donc tout sauf l’emprunt - qu’une nécessité impérieuse, bien que la notion de nécessité est à relativiser ici, puisque rien ne peut se faire sans nécessité. Il se trouve seulement que l’aspect matériel et concret de cette notion semble avoir damé le pion à sa dimension symbolique et abstraite : même le besoin de s’identifier envers - et surtout contre - les autres peut relever de la toute première nécessité pour une communauté qui vit mal avec ces « autres ». Aussi, l’emprunt et son rejet sont deux attitudes qui se produisent dans toutes les langues à des degrés divers et selon la situation de chaque communauté linguistique à un moment précis de son histoire. A l’époque abbasside, à l’apogée de la civilisation musulmane, l’arabe empruntait beaucoup, notamment des termes scientifiques, au grec et au persan et « en raison de la position de la langue arabe dans le monde de l’époque (...) les emprunts ne se sont pas alors heurtés à une réaction de rejet. Le discours puriste n’était plus de mise » ; mais dès lors que cette position sécurisante de la langue n’est plus observée, c’est le retour à la méfiance à l’égard de l’emprunt qui se présente alors, non plus comme un facteur d’enrichissement de la langue, mais bien au contraire, comme un facteur d’appauvrissement, puisque ces emprunts sont sensés remplacer des termes déjà disponibles ou à créer dans la langue. C’est exactement la même posture qui s’observe chez les francophones canadien qui se méfient plus de l’emprunt à l’anglais que les français eux-même qui se sentent visiblement moins menacés que les premiers par ce « danger » qui leur semble un peu loin, si tant est qu’il est senti comme tel. Aussi, à l’emprunt direct ou intégral d’autrefois, les langues modernes préfèrent le calque63. Ce sont tous ces facteurs, c’est-à-dire : absence d’une urgence de dénomination, besoin de s’identifier envers et contre l’autre et disponibilité de l’emprunt indirect (calque), qui semblent déterminer le caractère puriste de la néologie berbère. Les modes expressifs aussi sont marginalisés comme la dérivation expressive ou à motivation phonique qui présente pourtant l’avantage, pour certains schèmes dérivationnels, d’être très vivante et productive en langue commune. Cette marginalisation tient sans doute au fait que les produits de cette dérivation soient perçus comme peu valorisants, donc impropre à exprimer les sciences et les technique dont les terminologies sont regardées comme bien valorisantes. Une étude portant sur l’implantation des différentes terminologies proposées jusqu’ici, ou du moins les plus anciennes et connues, comme l’Amawal n tmaziγt tatrart (lexique de berbère moderne) ou l’Amawal n tjerrumt (lexique de grammaire) de Mouloud Mammeri, est nécessaire afin d’établir une critériologie appropriée de l’acceptabilité des néologismes, et de corriger le cas échéant celle proposée ici qui n’est pas le résultat d’une telle étude. Aussi, nous constatons que la typologie générale des modes de génération du lexique proposée ici, inspirée de celles élaborées pour les langues européennes, le français en particulier, est globalement exploitable pour le tamazight et une grande partie des procédés est déjà exploitée.

63

Deroy (L.), 1980, L’emprunt linguistique, Société d’Editions « les belles lettres », Paris, p.220.

24 Les abréviations utilisées Ch : Destaing (E.), 1938, Vocabulaire Français-Berbère : Etude sur la Tachelhit du Sous, Paris : Ernest-Leroux. Db : Dubois (J.) et alii, 1973, Dictionnaire de linguistique, Paris : Larousse. F.I, II, III, IV : Foucauld (Charles de), 1952, Dictionnaire Touareg-Français, dialecte de l’Ahaggar, Imprimerie nationale de France (Tomes : I, II, III, IV). Kb : Dallet (J.-M.), 1982, Dictionnaire Kabyle-Français : parler des At Mangellat. Algérie, Paris : SELAF. L.I : Lexique d’informatique français-anglais-berbère de Saâd-Bouzefrane. L.M : Lexique de mathématiques. Amawal n tusnakt. Tafransist-Tamaziγt, 1984, Tizi Ouzou : Tafsut, série scientifique et pédagogique : 1. L.S : lexiques spécialisés amazighes. Mw ou Amawal : Amawal n tmaziγt tatrart (lexique de berbère moderne), Bgayet : édition A ar, 1990. Mws : Boudris (B.), 1993, tamawalt usegmi. Vocabulaire de l’éducation Français-Tamaziγt, Casablanca : Imprimerie Najah el Jadida. PB : panberbère. Tg : Delheure (J.), 1987, Agraw n iwalen Teggargrent-Tarumit, Dictionnaire Ouargli-Français, Paris : SELAF. Tq : Cortade (J.M.), 1967, Lexique Français-Touareg, dialecte de l’Ahaggar, Paris : Arts et métiers graphiques. Tz : Dictionnaire tamazight-français de M. Taïfi.

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