Marcel Gauchet

Marcel Gauchet : "Les profs ne peuvent rien seuls" Le débat entre pédagogues et Républicains n’a jamais fait avancer d’un pas la réflexion sur l’Ecole et les difficultés des élèves à apprendre. C’est en substance la thèse de Marcel Gauchet, qui s’impose comme une des pensées les plus utiles pour comprendre notre temps. Influencé par de multiples sources, de Merleau-Ponty à Castoriadis, de Foucault à Rosanvallon, de Furet à Nora, le philosophe entend remettre le politique au centre, y compris dans le débat sur l’Ecole. « L’Ecole ne peut être à l’abri du monde. L’évolution de notre société remet en cause les conditions même qui rendent l'entreprise éducative possible ». Pour Marcel Gauchet, la question ce n’est pas l’autorité du prof qui n’est qu’un représentant de l’autorité des savoirs et de l’autorité de l’institution. « Si on réduit l’autorité du prof à son seul charisme personnel, il y a très peu de chances qu’il y arrive ». Ce qui compte c’est le fonctionnement de l’institution : laisser les enseignants aller au front sans que les autorités les soutiennent, cela ne peut pas marcher. « C’est ce qui se passe aujourd’hui. Les profs sont laissés à l’abandon ». Loin de lui l’idée de mettre la responsabilité sur le dos du seul ministre. Familles et média sont dans le collimateur, pour une raison simple : « L’intérêt des familles c’est que leurs enfants en particulier réussissent. Le problème de l’institution, c’est que tout le monde réussisse à peu près. Ce n’est pas du tout le même objectif». Si la famille cesse d’être « l’allié objectif » de l’Ecole en jouant d’abord le collectif avant l’individuel, elle passe "de la connivence à la discorde". Il voit dans la suppression du samedi matin un sens symbolique : ce « moins d’Ecole » montre une « prise de pouvoir des familles sur les enfants » qui ne va pas dans leur intérêt à long terme

Entre libéral et démocratique, il faut rééquilibrer. Du fait du règne désormais sans partage du « libéral », de la réussite individuelle immédiate, le sens de l’Ecole (travailler aujourd’hui à discipliner sa pensée pour mieux comprendre le monde plus tard) ne va plus de soi : si l’Ecole ne prouve pas qu’elle a une plus-value sur le devenir de l’individu, comment peut-elle garder son sens ? Qu’est-ce qu’un savoir dans un monde qui égalise toutes les convictions ? Qu’est-ce que l’autorité dans un monde qui énonce l’égalité des individus ? Qu’est-ce que la transmission dans un monde marqué par l’instantanéité et la coupure des générations ? Autant de questions centrales pour le philosophe. C’est pourquoi Gauchet et ses co-auteurs ne se réfugient pas dans un nostalgique retour vers le « paradis perdu ». Il demandent que l’Ecole travaille à relégitimer les savoirs, et que les questions éducatives soient à nouveau portées par le Politique, qui se contente trop souvent de les instrumentaliser pour des combats idéologiques. Il ne faut pas transformer l’Ecole en « prestataire de service » des trajectoires individuelles. Marcel Gauchet veut continuer de centrer la priorité de l’Ecole sur le rapport au savoir, aux disciplines, et craint la réduction de l’enseignement de l’histoire ou des sciences. « Quand l’élève ne sait pas pourquoi il apprend ce qu’il apprend, on fabrique du refus scolaire. A tous les carrefours, vous avez du savoir disponible. Pourquoi faudrait-il se « prendre la tête » alors que Google est disponible ? "

Les communautés C'est à cette question que doit répondre l'institution, pour défendre ses valeurs : c'est la culture qui donne forme à l'esprit, disait Bruner. Mals elle n'y répondra pas sans que les enseignants s'en emparent, qu'ils interrogent eux-aussi le cadre de leur action, et qu'ils en réinventent collectivement les contours. De François Dubet à Marcel Gauchet, il semble bien qu’un pont se construise. L’articulation de l’individuel et du collectif demande qu’on sorte du « marché politique » dans lequel « la dimension libérale et économique l’emporte sur la dimension démocratique ». Pour l’un comme pour l’autre, on ne fera rien de bon dans l’Education dans l’impuissance publique. « Même si le temps de l’Education est nécessairement lent, il faut cesser de « décréter » dans l’illusion politique, mais continuer à « parler » ensemble dans la société, dans les salles des profs, pour faire avancer, « mettre en forme ». Le temps de l’actualité n’est pas le temps de la transformation sociale… ». Finalement, on est pas si loin de ce que demande Yves Clot...