Leurs Exportations Pour Augmenter Leur Croissance

  • April 2020
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  • Words: 990
  • Pages: 2
DE LA FRANÇAFRIQUE À LA DÉCROISSANCE Quel est le rapport entre la lutte contre la Franç afrique et le mouvement de la décroissance ? Pour tenter d'y répondre, voici la retranscription d'un petit débat improvisé suite à une conférence sur la Franç afrique :

- La Franç afrique, c'est tragique, révoltant. Mais que faire ! L'Afrique, c'est si loin... - Si loin que ça ? Moi, elle me semble bien proche. Quand je croise une station-service, je pense à l'affaire Elf. Quand je vois des meubles en bois exotiques, je pense au pillage des forêts camerounaises. Quand j'aperçois une centrale nucléaire, je pense aux mines d'uranium de la Cogema au Niger. Quand je vois un téléphone portable, je pense au trafic du Coltan au Congo. Quand je... - Ça va, ç a va, j'ai compris. Bientôt, tu vas me culpabiliser parce que je mange du chocolat... Ne te trompe pas de cible ! Nous n'y sommes pour rien si la Franç afrique existe. C'est plutôt nos dirigeants politiques qui sont responsables de cette situation. - Bien sûr qu'il faut lutter de toutes ses forces contre les agissements des élus, des entreprises ou des militaires français en Afrique. Mais je pense qu'il faut également s'interroger sur le lien étroit entre les pillages de la Françafrique et le mode de vie occidental actuel. Dénoncer les méfaits de Total ou d'Exxon en Afrique sans réfléchir sur sa propre consommation de pétrole, cela me semble aussi incohérent qu'un militant alter-mondialiste qui manifesterait contre l'impérialisme des États-Unis une canette de Coca-Cola à la main. - Tu confonds deux choses : les richesses africaines et la manière dont elles sont réparties actuellement. Si les richesses africaines augmentent, c'est grâce aux besoins de pétrole, de minerais ou de cacao des puissances occidentales. Sans ces richesses, le développement africain est impossible. - Depuis 50 ans, c'est toujours le même schéma développementiste qui nous est servi à toutes les sauces : ''les pays du Sud doivent développer leurs exportations pour augmenter leur croissance économique, seule condition du plein emploi et de l'harmonie sociale''. Depuis 50 ans, la réalité est inverse. Plus les pays du Nord s'enrichissent, plus les pays du Sud s'appauvrissent. 11 Les populations africaines ne bénéficient pas des fruits de la croissance. Ces derniers aboutissent dans les banques des multinationales et des potentats locaux. Et nous, ''petits français'', nous sommes les rouages anonymes de ce système profondément inégalitaire. Au début de la chaîne, des ouvriers africains se font exploiter pour cultiver du cacao ou du coton. A l'autre bout, nous achetons du chocolat ou des vêtements sans nous soucier de leurs conditions de production. Les grandes multinationales prospèrent sur ce modèle économique qui encourage l'apathie et la dépolitisation des citoyens. A mes yeux, la Françafrique et la course à la croissance ne sont que les deux faces d'une même médaille. - Et moi je considère plutôt la Franç afrique comme une dérive du système. Il ne faut pas remettre en cause l'ensemble du modèle économique actuel ! Lorsque les dictatures tomberont, les peuples africains profiteront de leurs richesses. - A t'entendre, il suffirait de meilleurs contre-pouvoirs, de meilleurs gouvernants et de meilleures lois pour faire disparaître la Françafrique. Bref, tu rêves de représentants ''intègres'', d'une République française ''solidaire'', d'entreprises ''citoyennes'', d'un commerce ''équitable'', d'un développement ''durable''. Cet espoir d'un capitalisme ''à visage humain'' me semble fallacieux. Je                

pense que la Françafrique est indissociable d'un système économique basé sur le profit et d'une République où les élus sont incontrôlables. Nous avons besoin d'une profonde transformation de nos institutions politiques et de nos comportements économiques. - Mais qu'est-ce que tu entends par changer nos comportements économiques ? - Le mode de vie occidental actuel est une impasse écologique, sociale et économique. Impasse écologique : 6 milliards d’humains produisant et consommant autant qu'un Américain ou un Européen moyen signifierait la dégradation irréversible de notre environnement vital. Impasse sociale : l'industrie occidentale repose sur l'exploitation sauvage des pays du Sud, la Françafrique en est une éclatante illustration. Impasse économique : alors que les profits capitalistes n'ont jamais été aussi élevés, les inégalités ne font qu'augmenter, au Nord comme au Sud. Partant de ce constat, un minimum de cohérence consiste à tenter de nuire le moins possible dans sa vie quotidienne : utiliser au minimum sa voiture (ou ne pas en avoir), manger des fruits et légumes de saison produits localement, cultiver un potager, bouder les grandes surfaces, préférer les recycleries et friperies, refuser le téléphone portable et autres gadgets polluants, etc. Ces démarches de ''décroissance'' ou de ''simplicité volontaire'' rassemblent de plus en plus de personnes soucieuses de diminuer leur empreinte écologique. Les groupes pétroliers ne seraient rien sans les allées et venues au supermarché, la consommation de gadgets en plastique, l'autoboulot-dodo, les vacances en avion ! La simplicité volontaire n'est pas seulement un acte écologique, elle est aussi un engagement humaniste. - Tu crois vraiment que la décroissance est une faç on de combattre la Franç afrique ? - Le mouvement de décroissance me semble participer du même élan que la lutte contre la Françafrique, celui d'une action pour développer les Biens publics. Tant qu'elle reste minoritaire, cette perspective aura cependant un impact limité. Comme tout projet de société ou toute lutte politique, la décroissance reste insuffisante si nous ne sommes pas plus nombreux. Boycotter à quelques-uns les bois tropicaux n'empêchera pas la destruction des forêts africaines. Quelques vélosophes ne sonneront pas la fin du pillage du pétrole africain. L'enjeu dépasse de loin l'éthique de quelques individus. Elle relève de l'organisation de la société dans son ensemble. Nous sommes tous concernés par la Françafrique. Alors, faisons converger nos luttes : aux mouvements se réclamant de la décroissance d'appuyer la lutte contre la Françafrique ! Aux associations luttant contre la Françafrique d'intégrer la dynamique de décroissance !

Propos recueillis par Jonathan Ludd article publié dans le magazine S!lence, mai 2006

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