Quels Leviers Pour Renforcer La Croissance Re062008

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Les RENCONTRES économiques 2008

« Quels leviers pour renforcer la croissance ? » Jeudi 5 juin 2008

Sommaire

« Renforcer la croissance », par Jean-Louis Levet, économiste, directeur général de l’Institut de recherches économiques et sociales................................................................... 2 Débat ..................................................................................................................................... 9 « Les leviers de la croissance française », par Gilbert Cette, directeur des analyses macroéconomiques et des prévisions à la Banque de France, et Philippe Aghion, professeur à Harvard et membre du Conseil d’analyse économique .................................. 11 Débat ................................................................................................................................... 26

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« Renforcer la croissance », par Jean-Louis Levet, économiste, directeur général de l’Institut de recherches économiques et sociales

Pour les économistes, la croissance se définit par l’augmentation de la quantité des facteurs de production et l’utilisation qui est faite de ces gains de productivité. Elle s’accompagne d’une augmentation des biens matériels et de la quantité de travail nécessaire. Le progrès renvoie aux notions de progrès technique, d’invention et de révolution industrielle. La notion de développement est plus complexe et se réfère à un phénomène auto-entretenu par la formation et l’éducation. Les facteurs de développement préparent l’avenir.

Les facteurs de la croissance Pour Paul Samuelson, un économiste célèbre aux États-Unis, la croissance avance sur quatre roues : Les ressources humaines : sans hommes et femmes formés, la croissance n’est pas possible. Les ressources humaines sont le facteur le plus important ; Les ressources naturelles : l’actualité montre qu’il ne faut pas les oublier. Aujourd’hui, elles jouent un grand rôle notamment dans les économies de rattrapage et bousculent la croissance ; La formation du capital, les routes, les usines, les machines, les équipements ; La technologie au sens large : l’innovation, la science, l’esprit entrepreneurial, l’esprit d’entreprise, les techniques de l’ingénieur. Ces quatre facteurs de croissance ne sont pas utilisés de la même manière suivant les pays, les histoires et les institutions. La Chine utilise à la fois les acquisitions de matières premières, la population active et l’innovation. Le Japon, dans les années soixante, a copié des technologies pour se développer ensuite. Il n’existe pas de modèle optimal de croissance qui, par nature, fonctionnerait mieux que d’autres et qu’il suffirait de copier, la preuve en est la diversité des capitalismes et des modèles.

L’enjeu de la croissance Le défi actuel consiste à favoriser une croissance créatrice d’emplois et à faire évoluer notre mode de développement, en alliant développement humain et développement durable. Le développement humain, solidarité avec le présent, renvoie aux problèmes de logement, de protection sociale, d’emploi, d’insertion sur le marché du travail. Le développement durable, solidarité avec le futur, vise à laisser à nos enfants une planète qui ne soit pas en plus mauvais état qu’aujourd’hui.

Le diagnostic à l’échelle mondiale Depuis plusieurs années, le taux de croissance mondial est d’environ 5 %, principalement tiré par les pays émergents ou à forte croissance comme l’Inde, la Chine, le Brésil, dont la croissance approche les 9 ou 10 %. L’économie mondiale se développe. Pour les économistes, les facteurs de cette croissance mondiale sont forts et devraient être durables :

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L’inflation est faible sur les biens et services du fait de la concurrence, de la globalisation et des bas coûts du travail en Asie ; Les gains de productivité sont importants dans les pays émergents qui apprennent, se développent et deviennent de plus en plus productifs ; Le niveau d’épargne est élevé dans les pays asiatiques et en Europe ; La population active disponible a beaucoup augmenté dans ces grands pays.

L’Europe Pendant 30 ans, l’Europe a connu une croissance considérable. Si, dans les années cinquante, le pouvoir d’achat européen correspondait à 30 % du pouvoir achat américain, il en a représenté 75 % dans les années quatre-vingt. Pendant 30 à 40 ans, la construction européenne a joué un rôle très important en termes d’économies d’échelle, de construction du marché intérieur, de performances des entreprises. L’État français a également beaucoup participé au redressement, à la construction et à la modernisation de l’économie. Cependant, le « business model » de l’Europe n’a pas changé depuis longtemps. À l’heure actuelle, un modèle économique ne peut plus se fonder uniquement sur les économies d’échelle et sur le marché intérieur. Il faut de plus en plus faire appel à l’innovation et à la relation industrie/recherche. L’Europe rencontre des difficultés à passer collectivement de l’ancien modèle des Trente Glorieuses à un modèle plus réactif fondé sur la créativité et l’innovation, même s’il existe des disparités suivant les pays. L’Europe est aujourd’hui consolidée, elle a su créer des liens forts entre les pays européens. En 40 ans, un espace économique important a vu le jour, dans lequel les deux tiers des exportations de la plupart des pays (l’Allemagne est une exception) se font à l’intérieur de l’Union européenne. Aujourd’hui, toutefois, la concurrence ne s’exerce plus entre pays européens mais plutôt entre l’Europe et le « reste du monde ». Or, l’Europe peine à mettre en place une stratégie économique commune et à coordonner ses politiques économiques. Elle se réfugie dans une concurrence fiscale et sociale qui n’arrange pas la situation. La demande mondiale est présente. L’Europe possède des atouts dans la pharmacie, la chimie fine, l’aéronautique, la mécanique, mais elle souffre d’un manque d’innovation. D’ici 30 ans, elle risque d’être bloquée entre un pôle États-Unis/Japon investissant beaucoup dans les nouvelles technologies et l’université, et un pôle Inde/Chine qui aura continué à bénéficier d’un bas coût du travail tout en apprenant. En effet, la Chine et l’Inde n’ont pas vocation à n’être que des zones d’attractivité. Ces pays appliquent une véritable politique de développement économique, dans l’objectif de devenir de grandes puissances technologiques et industrielles, ce qui sera positif si leur niveau de vie et leur pouvoir d’achat s’accroissent. Dans la mondialisation, les institutions et les facteurs de stabilisation économique et politique sont importants pour la croissance. La démocratie a longtemps semblé être en corrélation parfaite avec stabilité politique et croissance, mais la Chine montre actuellement qu’un système autoritaire peut être stable et connaître une forte croissance.

La France La croissance de l’économie française est passée de 5 % l’an à 2 % l’an durant les 40 dernières années de reconstruction et de modernisation. Depuis 10 ans, les variations des cycles économiques sont étroites, entre 1 et 2 %. Le rythme d’augmentation du PIB par habitant a été divisé par 4 en une génération. Lorsque les Français ont le sentiment que leur pouvoir d’achat n’augmente pas, cela correspond à une réalité : s’il y a moins de croissance économique, il y a moins de production de richesses, la distribution est plus difficile et les inégalités s’accroissent.

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Si la majorité des Français connaissent des problèmes de pouvoir d’achat (matières premières, logement), le revenu des patrons du CAC 40 a augmenté de 61 % en 2007. Ces mêmes patrons expliquent ensuite aux salariés qu’il faut continuer à réaliser des gains de productivité, maîtriser les coûts salariaux et ne pas augmenter les salaires. Cela crée dans le champ social une représentation négative de l’entreprise, alors qu’elle est le lieu essentiel de création de richesses. Les atouts de la France sont la qualité de sa main-d’œuvre et de son système de formation initiale. Ce dernier gagnerait toutefois à être davantage relié aux réalités. La structure productive, héritière des Trente Glorieuses et des grands programmes technologiques, met encore l’accent sur les économies d’échelle : de grandes usines sont construites dans le but de réaliser des gains de productivité (automobile, sidérurgie), tandis que les secteurs innovants, notamment les nouvelles technologies, ne sont pas suffisamment développés. Le modèle industriel doit évoluer de façon plus intensive. La France rencontre également des problèmes d’institutions, de relations entre l’université et l’entreprise. Dans l’industrie, le coût unitaire du travail est l’un des plus faibles d’Europe et n’est pas responsable des problèmes de croissance. Les facteurs déterminants sont d’abord des facteurs qualitatifs et l’économie dépend de choix politiques. Baisser le coût du travail pour s’aligner sur l’Inde et la Chine et remettre en cause les systèmes de protection sociale ne permettra pas à 60 millions de Français ou à 300 millions d’Européens de l’emporter face à 2 milliards d’individus. Il faut faire un choix par le haut et revoir profondément nos mécanismes économiques et certains outils de politique économique.

Les réalités économiques Les leviers de performance des entreprises ont changé de nature en 30 ans. Les deux chocs pétroliers des années soixante-dix ont été payés par les entreprises et non par les consommateurs. Les entreprises désinvestissent donc pendant toute cette décennie. Dans les années quatre-vingt, elles doivent réinvestir, baisser les coûts de production et automatiser. Le principal levier de la performance est alors la maîtrise des coûts. Dans les années quatre-vingt-dix, en raison de la concurrence avec le Japon, les entreprises cherchent à fidéliser la clientèle. Elles doivent innover technologiquement et commercialement. Les leviers de la performance deviennent plus complexes, il faut revoir les modes d’organisation. L’économie s’oriente vers une financiarisation et des logiques de court terme de plus en plus fortes. Aujourd’hui, les entreprises sont partagées entre des logiques contradictoires. Dans une logique de long terme, elles doivent investir dans la recherche et la formation et fidéliser leurs salariés. Parallèlement, lorsqu’elles sont ouvertes en Bourse, lorsqu’elles ont des fonds de pension spéculatifs, elles sont poussées vers des rentabilités financières de plus en plus fortes et se trouvent ainsi dans une logique de court terme. Comment articuler les deux logiques ? Dans la mondialisation, les États ont désormais un rôle plus difficile, mais plus important à jouer qu’il y a 30 ans. Il existait alors de nombreuses formes de protection et les entreprises pouvaient se développer à l’abri des autres. Aujourd’hui, la performance des entreprises dépend d’un ensemble de leviers dont l’État n’a pas conscience. La créativité est en rapport direct avec la croissance. Dans le monde de l’entreprise, en amont des pratiques d’innovation, le rôle principal d’un manager est de favoriser la créativité de ses salariés. L’innovation concerne les savoirs technologiques dans tous les secteurs. Les entreprises n’innovent pas assez. Le secteur du textile et de l’habillement peut être très performant dans les usages techniques du textile : l’entreprise THUASNE a créé 800 emplois, ces 20 dernières années, en région Rhône-Alpes, alors que des milliers d’autres étaient détruits dans la production standard de T-shirts bas de gamme. Dans les années 4

quatre-vingt, certains chefs d’entreprise d’usines textiles du Nord ou des Vosges étaient contents de posséder encore des métiers à tisser remontant à 1920 alors qu’en Italie, les métiers à tisser sont changés tous les cinq ans pour une meilleure productivité et une meilleure qualité. Il ne faut pas s’étonner qu’en 30 ans, 300 000 emplois aient disparu dans le textile. Quels que soient les secteurs d’activité, il est possible de se déployer. Le dialogue social est également un outil de performance. Une entreprise, pour pouvoir fonctionner, doit parvenir à mobiliser l’ensemble de ses salariés à long terme sur un projet. Le rôle et la participation des salariés constituent un enjeu important. L’ancrage dans le territoire des entreprises qui travaillent avec des sous-traitants, des fournisseurs, des centres techniques, l’université, leur permet d’agir mondialement et de créer des emplois localement. La stabilité de l’actionnariat permet aux entreprises qui suivent des logiques de fondation, comme dans certains pays scandinaves, de développer une stratégie de long terme sans nuire à la rentabilité financière. La gestion collective de l’information ou l’intelligence économique est la capacité d’une entreprise à bien connaître ses marchés et à créer une culture collective de l’information entre les salariés. À l’heure actuelle, avec Internet, la surabondance de l’information est parfois à la mesure de la pauvreté du sens et la gestion stratégique de l’information est un enjeu de croissance des entreprises. La relation entre les grands groupes et les PME constitue également un facteur de performance. Dans certains secteurs, lorsque les fournisseurs imposent de fortes contraintes à leurs sous-traitants, la relation se passe mal. Dans d’autres secteurs, comme l’aéronautique ou le nucléaire, les fournisseurs ont permis d’améliorer la qualité du tissu des PME. Les politiques technologiques, industrielles, d’innovation ne peuvent plus se contenter d’allouer des aides massives aux entreprises. Il faut identifier clairement leurs besoins, ce qui nécessite d’en être très proche. Le système productif s’est profondément modifié en 30 ans. Il se répartissait alors en PME et grands groupes. Il existe aujourd’hui 12 000 minigroupes qui comptent entre 500 et 2 000 personnes. Des phénomènes considérables de rapprochement d’entreprises et de développement de taille critique se sont produits. L’action publique au sens large doit intégrer ces modifications profondes des structures productives et du contenu de la performance des entreprises.

Les idées reçues Certaines idées reçues pèsent sur la stratégie économique de la France depuis le début des années 2000. La concurrence et la finance sont considérées comme les deux facteurs essentiels de la croissance. La finance est évidemment importante, mais il ne faut pas mettre la production à son service et renverser l’ordre des choses. Une nouvelle crise financière mondiale est apparue. Elle a complètement changé de nature, ne s’arrête pas aux frontières des ÉtatsUnis et se poursuit, quoi qu’en disent certains. La concurrence est un outil essentiel qui, en France, manque parfois à certains secteurs souffrant d’un corporatisme excessif, mais la concurrence ne peut pas être une finalité. Si elle se développe trop en régions, les régions riches deviendront de plus en plus riches et les régions pauvres verront leur pauvreté s’accroître. Il faut prendre garde à l’utilisation parfois idéologiquement excessive de ces concepts. La France n’est pas qu’une addition d’entreprises performantes. La division internationale du travail, selon laquelle les « cerveaux » seraient à l’Ouest et les « jambes » au Sud, est une conception dépassée. Indiens et Chinois travaillent aussi à être des « cerveaux ». La Chine forme déjà 100 000 ingénieurs par an et va en former 250 000 par an dans son nouveau plan quinquennal. Nous n’avons pas vocation à être naturellement plus 5

intelligents, plus formés ou mieux organisés que les Brésiliens, les Mexicains, les Vénézuéliens, les Indiens ou les Chinois. Cette conception pèse pourtant dans certains choix : elle favorise les études poussées et la très haute technologie, mais laisse de côté 90 % du système productif. Or il faut tenir compte de tous les aspects, à la fois la technologie mais aussi l’ensemble du système productif. Si seules les 3 % d’entreprises les plus performantes sont prises en compte, des problèmes d’emploi se poseront. Il est absurde de considérer que les services ont vocation à se substituer à l’industrie. Les services aux entreprises se développent d’autant plus que l’industrie, principal client de ces services, est puissante. C’est le cas en Allemagne, au Japon et en Amérique, pays qui se consacrent à la fois à l’industrie manufacturière et à l’ensemble des services aux entreprises. Plus l’ingénierie et les méthodes d’organisation se développent, plus l’industrie se développe. Le secteur de l’industrie n’a pas vocation à disparaître, mais à se transformer. Il faut développer les services et mettre davantage la finance au service de l’entreprise. En termes d’exportation de services, aujourd’hui, la balance est à peine équilibrée. Il ne s’agit pas de créer dans les services les 5 ou 6 millions d’emplois qui seraient détruits si l’industrie était massivement délocalisée. 6 millions d’ouvriers travaillent actuellement dans l’industrie, 6 millions de personnes sont employés dans les services. C’est le cœur de la population active. L’enjeu est notamment leur formation et leur qualification : actuellement, la formation professionnelle concerne essentiellement les cadres supérieurs et 3 % des ouvriers. L’essentiel des problèmes reste interne à la France et à l’Europe. Il ne faut pas chercher des boucs émissaires de notre impuissance à nous rénover. La formation, la politique économique et l’enseignement supérieur sont autant de leviers sur lesquels il est possible d’agir.

Didier Adès Les patrons du CAC 40 ont des revenus spectaculaires, mais ils ne sont pas nombreux, une cinquantaine, et ils réalisent entre 85 et 90 % de leur chiffre d’affaires hors de France. S’agit-il encore d’entreprises françaises ? 99 % des entreprises de ce pays sont des PME. Les relations ne sont pas les mêmes. La question, pour ces PME, est celle de leur dépendance aux grandes entreprises, avec leur rôle de sous-traitant et leurs problèmes de trésorerie. Les PME sont plus dépendantes du niveau de croissance. Sans parler de l’aspect marginal des revenus spectaculaires, excessivement médiatisés, des grands patrons, quel est le premier levier pour faire fonctionner ces entreprises françaises ?

Jean-Louis Levet En économie, dans un système démocratique, un aspect important est celui de la confiance, de la représentation que les gens se font de leur environnement. Les revenus des grands chefs d’entreprise augmentent fortement, même quand ils échouent et qu’ils partent. Alcatel Lucent est une faillite de la fusion de deux grands groupes. C’était parfaitement prévisible. Aujourd’hui, la directrice générale, sur le point d’être licenciée, dit : « Je pars si vous me versez 8 millions d’euros » (50 millions de francs). Cela pose problème. C’est insignifiant sur un plan macroéconomique, mais fondamental sur le plan psychologique. Comment un pouvoir politique peut-il demander des efforts aux salariés s’il se révèle incapable de combattre de telles inégalités ? Jean-Claude Juncker, un Luxembourgeois qui n’est tout de même pas un grand révolutionnaire, propose de supprimer les « parachutes dorés », alors même que le Luxembourg est un paradis fiscal. Angela Merkel est du même avis, mais la France ne change pas sur ce point. Pourtant, sans entreprises performantes et salariés motivés, il n’y aura pas de croissance, même si l’on réforme l’État. Les Français ont de moins en moins confiance dans leurs entreprises, parce que les grands chefs d’entreprise estiment qu’ils ne gagnent pas assez d’argent, cherchent à en 6

gagner davantage, veulent des « parachutes dorés », des retraites, des stocks options sans fiscalité. Il ne faut pas s’étonner de ce manque de confiance.

Didier Adès J’en reviens à ces 99 % d’entreprises qui emploient l’essentiel des Français.

Jean-Louis Levet Mais ces 1 % pèsent sur la confiance générale du pays. Pour de nombreuses raisons objectives, la France manque d’entreprises de taille moyenne, entre 500 et 2 000 personnes. La France en compte deux fois moins que l’Allemagne. Tous les travaux économiques empiriques ont montré que l’essentiel de l’innovation et de la création d’emplois qualifiés se fait dans les entreprises moyennes. Or, historiquement, l’action de l’État se porte essentiellement sur les grands groupes qui n’ont désormais plus besoin d’être aidés. J’ai été le rapporteur général de la Commission des aides publiques créée par le Parlement en 2000. En 2003, le ministre de l’Économie l’a supprimée, probablement parce qu’elle dévoilait certaines réalités gênantes. 70 % des aides sont aujourd’hui captées par les 500 premières entreprises, dont la taille est supérieure à 10 000 personnes. Les effets d’aubaine sont largement supérieurs à 100 %. Depuis 1982-1983, avec Jacques Delors, jusqu’aux lois Dutreil des années 2000, les pouvoirs publics s’intéressent à la création d’entreprise. C’est un élément positif, mais l’action publique ne propose rien entre la création d’entreprise et les grands groupes. Il faut faire porter l’effort sur ce segment. La croissance des entreprises est un problème. Si la France comptait deux fois plus d’entreprises moyennes, le taux de chômage serait de 4 % et non de 7 %. Il s’agit d’un enjeu essentiel. 5 millions de Français sont aujourd’hui concernés par des problèmes de précarité et de temps partiel subi et non choisi, c’est également un facteur non négligeable. Comment favoriser le développement de la taille des entreprises ? Comment faire en sorte que la fiscalité favorise l’investissement ? Les patrons de PME qui veulent recruter ne peuvent pas le faire parce qu’ils ne trouvent pas de jeunes qualifiés. Comment faire en sorte que le système de formation initiale et professionnelle fonctionne bien ? Comment faire en sorte que les 16 milliards d’euros injectés chaque année dans la formation professionnelle ne bénéficient pas qu’aux cadres, mais profitent aussi aux ouvriers et aux employés ? Il existe également des enjeux de proximité avec le rôle des régions et des centres techniques. De plus en plus, les territoires s’emparent de ces questions de développement d’entreprises. Aujourd’hui, dans les Pays de Loire, en Bretagne, en PACA, des agences d’innovation se regroupent pour limiter le nombre d’organismes. Un rapport du Parlement indiquait, il y a quelques mois, qu’il existe 50 000 organismes d’aide aux entreprises, pour 50 000 PMI performantes dans l’industrie. Il faut diminuer le nombre d’agences qui s’occupent des entreprises. Un nombre considérable d’organismes parapublics travaille au niveau local. Les présidents de région sont parfaitement conscients de ces réalités et regroupent ces agences, comme en Lorraine et en Pays de Loire, où une agence de l’innovation unique a été créée. Les structures locales doivent être au service des entreprises et non l’inverse. Les PME sont quasiment exclues du système d’aide. 10 000 entreprises reçoivent l’essentiel des aides. Il faut faire un vrai choix politique. Le système productif français des PME jusqu’à 500 salariés comporte 20 % d’entreprises fortement innovantes. Elles ont besoin d’un accompagnement très ciblé d’aide à l’exportation ou au partage d’ingénieurs qualifiés. 30 à 40 % ont amélioré l’automatisation de l’outil de production et les systèmes commerciaux, mais restent dans des logiques tayloriennes un peu rigides. Il faut les aider à s’engager davantage dans l’innovation. Enfin, 7

un tiers des entreprises ne sont pas innovantes, conservent des systèmes hiérarchiques forts de 5 ou 6 niveaux, n’ont pas de système commercial et fonctionnent uniquement dans une logique de production : ce sont les entreprises créées dans les années cinquante, dirigées par d’excellents patrons qui sont néanmoins restés dans ce système classique des Trente Glorieuses. Le dispositif d’aide actuel met complètement à l’écart ces 30 % de PMI les moins performantes. L’enjeu est considérable en termes de fiscalité, de formation, de dette et d’emploi. La difficulté, lorsque ces nouvelles réalités sont intégrées, est de parvenir à ajuster les outils de politique structurelle et de politique économique. Il s’agit pour la France de passer d’une logique d’adaptation à une logique d’anticipation. L’adaptation s’est faite pendant 30 ans et le pays s’est beaucoup développé. Toutefois, dans un cadre mondialisé, les capacités d’adaptation ne sont plus suffisantes et deviennent secondes. Il faut désormais des capacités d’anticipation, le rôle du politique consistant à ouvrir des perspectives et à faire des choix, non à gérer des problèmes.

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Débat De la salle Bonjour. Je vous remercie beaucoup pour votre intervention, qui a notamment bien mis en valeur la concentration des aides publiques sur une part assez limitée des entreprises et pas forcément celles qui en ont le plus besoin pour renforcer le tissu économique en France. Je souhaiterais connaître votre avis sur le phénomène de rente, problème peut-être structurel, et sur sa responsabilité dans les difficultés de la France à accéder au même niveau que l’Allemagne. Ce phénomène de rente joue un rôle notamment dans l’accès aux responsabilités en fonction des diplômes de quelques grandes écoles comme l’ENA, l’X, HEC, Sciences Po. Si les gens n’en font pas partie parce qu’ils n’ont pas eu cette possibilité dans leur jeunesse, ils se retrouvent beaucoup plus vite bloqués que dans d’autres sociétés, notamment en Allemagne et aux États-Unis. Il existe peut-être également un problème de transfert entre générations : la génération au pouvoir partage peu, en politique comme dans l’entreprise. Les personnes jeunes doivent attendre longtemps avant d’accéder aux responsabilités.

Jean-Louis Levet Gilbert Cette, Philippe Aghion et moi-même sommes universitaires, nous pouvons parler d’autant plus facilement de la formation des élites. Lorsque j’ai été embauché au ministère de l’Industrie, après ma thèse d’État en 1982, j’étais le seul économiste de toute la direction générale de l’Industrie. Je me suis tout de même bien entendu avec mes collègues. Louis Gallois m’avait embauché. Il était le directeur général de l’Industrie, nous ne nous connaissions pas, il avait lu ma thèse et m’avait dit : « J’aimerais que vous travailliez avec moi. Je travaille avec des polytechniciens géniaux, mais ils ont tendance à expliquer aux chefs d’entreprise comment faire des machines. Je travaille avec des énarques géniaux, mais ils connaissent surtout le fonctionnement de l’administration. J’aimerais travailler avec des économistes qui connaissent la réalité des entreprises. » La formation des élites et le rôle des institutions sont importants. Plusieurs études en sociologie de Boer ont montré qu’au milieu des années quatre-vingt-dix, l’origine sociale des grandes écoles était encore plus restreinte que dans les années soixante. Il existe des formes de « consanguinité » sociale et urbaine, des familles d’énarques, des familles de polytechniciens. Les origines sociales se restreignent de plus en plus. Certaines grandes écoles, y compris de grandes écoles de commerce, enseignent la culture de l’arrogance plutôt que la culture de la modestie. Dans un processus de mondialisation, l’étudiant doit posséder des qualités essentielles. Il doit apprendre à écouter, il apprend en général plutôt l’inverse. Il doit pouvoir travailler en équipe, alors que les écoles et les classes préparatoires développent la concurrence intensive. Il doit être modeste et apprendre à raisonner, à penser, à articuler des idées, à se doter de grilles de lecture pour décoder la réalité. Il doit enfin apprendre l’anticipation et le travail collectif, que ces écoles n’enseignent pas. Lorsque ces étudiants arrivent dans l’administration ou dans l’entreprise, ils ont tendance à considérer qu’ils connaissent les solutions et que les personnes de plus de 45 ans sont vieilles, ne savent rien et n’ont plus de valeur. L’enjeu de formation des élites existe aussi bien dans le domaine privé que dans le domaine public. Certaines administrations ou certains grands groupes sont caractérisés par une concentration de formations du même type. Un patron HEC embauche 25 HEC, un patron X embauche 25 X. Ces personnes ont une intelligence de haut niveau et ne sont pas en cause, mais elles ont reçu la même formation, lu les mêmes ouvrages et ont tendance à penser de la même façon. C’est un problème pour affronter les chocs, anticiper, découvrir des éléments

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différents. François Dalle, lorsqu’il dirigeait L’Oréal, avait choisi de s’entourer de personnes n’ayant pas le même parcours que lui, ce qui apportait une grande diversité. La succession et le passage de témoin sont également des éléments à préparer. Aujourd’hui, lorsqu’un groupe cherche un dirigeant, il passe une petite annonce dans Le Monde. Le patron recruté quitte Airbus qu’il dirigeait depuis un an et se retrouve président de Peugeot. C’est un changement radical. À partir de 55 ans, François Dalle a mis en place un comité de suivi pour choisir son successeur. Le comité a identifié 500 cadres performants dans le groupe L’Oréal, puis 100, 50, et enfin 5 qui ont été testés. Le processus s’est déroulé sur 10 ans. Cette logique d’ouverture dans la sélection et de diversité des élites et des compétences permet à L’Oréal une croissance de 5 à 10 % par an, quand d’autres suivent des logiques de fusion en fonction de critères financiers. Alcatel et L’Oréal démarraient de la même façon il y a 20 ans, Alcatel est aujourd’hui en faillite et L’Oréal est un groupe mondial en pleine croissance. Les institutions jouent un rôle important. L’énergie, l’intelligence collective, les choix de formation et d’ascension dans un groupe sont également essentiels.

Didier Adès Le dirigeant choisi par François Dalle était gallois. C’est également un changement de regard et de culture, ce qui est précieux. Il faut non seulement de la diversité dans les écoles, mais aussi de la diversité dans les conseils d’administration pour pouvoir observer les situations de façon différente. Toutefois, paradoxe pour le champion de la mode et de la coiffure, L’Oréal ne comptait aucune femme dans son conseil d’administration jusqu’à récemment.

Jean-Louis Levet Cela fait partie des problèmes français.

Didier Adès Quel est le principal ressort de l’économie ? Est-ce l’État, les finances, le marché ?

Jean-Louis Levet Ce sont les femmes et les hommes et leur intelligence.

Didier Adès ...leur état d’esprit et leur envie de faire. Avons-nous envie de faire, dans ce pays ?

Jean-Louis Levet En France, le problème principal est celui de la rupture entre l’effort consenti et le résultat obtenu. Beaucoup d’efforts sont développés à l’école, à l’université, en apprentissage, dans l’entreprise. Où est le résultat ? Il faut reconstituer le lien entre l’effort consenti et le résultat. Cela devrait être toute la noblesse du politique.

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« Les leviers de la croissance française », par GILBERT CETTE, directeur des analyses macroéconomiques et des prévisions à la Banque de France, et PHILIPPE AGHION, professeur à Harvard et membre du Conseil d’analyse économique Gilbert Cette Cet exposé présente, en l’actualisant, le rapport réalisé fin 2007 par Élie Cohen, Jean Pisani-Ferry, Philippe Aghion et moi-même, dans le cadre du Conseil d’analyse économique (CAE). Ce rapport constate une insuffisance manifeste de la croissance française au regard de certains critères. Il indique des pistes qui permettraient de l’augmenter et les réformes qui pourraient être réalisées. Il dessine ainsi une stratégie de réformes dont il étudie les coûts et les financements possibles, avant de proposer des éléments de conclusion.

I. Une croissance insuffisante La croissance potentielle France : croissance du PIB (1980-2007) et croissance potentielle (2008-2020)

Source : INSEE, DGTPE La croissance potentielle est l’évolution spontanée de l’économie soutenable, sans tension inflationniste. La Banque de France et la direction générale du Trésor et des politiques économiques de Bercy évaluent cette croissance potentielle à 2 % sur les 15 prochaines années, un chiffre inférieur à celui des décennies précédentes.

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Croissance et contribution du commerce extérieur, 1990-2006

Source : INSEE Contrairement à la situation du milieu des années quatre-vingt-dix, la France ne souffre plus d’une insuffisance de demande interne. Le bâton rouge indique le taux de croissance de l’économie française année par année. Le bâton bleu donne la contribution des exportations nettes à la croissance. La contribution de la demande interne est supérieure à la croissance du PIB, supérieure de ce qui a été enlevé par le fait qu’on exporte moins qu’on importe. Le graphique n’a pas été actualisé. En 2007, le diagnostic est encore moins bon : 2,1 % de croissance, 2,9 % de croissance de la demande interne, - 0,8 % de contribution des exportations nettes, ce qui montre l’insuffisance de la capacité de la France à exporter de façon compétitive. Ce n’était pas le cas au milieu des années quatre-vingt-dix. Les exportations nettes fournissaient alors une contribution positive. L’idée du gouvernement Jospin de dynamiser la demande intérieure pour dynamiser la croissance était légitime dans cette période. Depuis, ce n’est plus le cas. La croissance potentielle moyenne de la France entre 2002 et 2006 est évaluée à 1,9 %. Celle des pays Anglo-Saxons (États-Unis, Canada et Royaume-Uni) est estimée à 2,8 % et celle des pays scandinaves (Finlande, Danemark, Suède) à 2,5 %. L’écart est le même dans les projections actuelles. La croissance potentielle française est donc inférieure à celle de ces pays de référence. Elle est également inférieure à l’évolution spontanée du coût de la protection sociale. Avec une telle croissance, pour financer cette évolution spontanée, il faudrait donc amputer l’évolution de notre pouvoir d’achat d’environ 0,4 point par an. Dans ce cas, le pouvoir d’achat du salaire net progresserait de moins de 1 % par an dans les 15 prochaines années, ce qui est très faible. Les sources d’augmentation Deux sources d’augmentation existent. L’une est transitoire et consiste à augmenter l’input en facteur travail. Il s’agit d’augmenter, dans la population en âge de travailler, la quantité d’heures travaillées. La durée du travail peut être allongée, mais il serait préférable d’accroître les taux d’emploi de la population en âge de travailler. En France, ces taux d’emploi sont très faibles chez les moins de 25 ans et chez les plus de 55 ans. La France est dans les standards de taux d’emploi pour la population médiane de 25 à 54 ans, même par rapport aux pays anglo-saxons, tout en montrant une faiblesse du côté des personnes peu qualifiées. Il s’agit d’une solution transitoire car lorsque la quantité d’heures travaillées a été augmentée, cette source de dynamisation de la croissance potentielle ne peut rien apporter de plus. Une source de dynamisation plus durable est celle de l’augmentation de la 12

productivité globale des facteurs, c’est-à-dire de l’apport productif de la combinaison capital/travail. La France est comparée à trois groupes de pays de référence : les pays anglosaxons, les pays scandinaves et les pays rhénans (Allemagne, Belgique et Pays-Bas). Décomposition de l’écart de revenu par tête

Source : OCDE En termes de revenu par tête ou de PIB par habitant, la France est à 12 % en dessous des pays anglo-saxons et à 3 ou 4 % en dessous des pays scandinaves. L’écart entre la France et les États-Unis seuls est encore plus considérable, avec 25 % de moins pour la France. Décomposition de l’écart d’input en travail

Source : OCDE

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C’est dans l’input en travail que se fait comptablement la majeure partie de la différence. Dans la population en âge de travailler, par rapport aux pays scandinaves, l’apport de l’input au travail est inférieur d’environ 17 % ; par rapport aux pays anglo-saxons, il est inférieur de 25 %. Comptablement, la différence se fait dans ce domaine car, en termes de productivité, la France est particulièrement performante et dépasse de plus de 10 % la productivité horaire du travail des États-Unis et des pays scandinaves. D’autres études montrent que cette approche comptable est faussée, parce que ces deux éléments ne sont pas indépendants : la productivité est d’autant plus élevée que la durée du travail est basse. En termes de taux d’emploi, ce sont d’abord les plus productifs qui sont mobilisés dans la population en âge de travailler. Si la France avait le même input en travail dans cette population que les pays anglo-saxons et scandinaves, son niveau de productivité deviendrait inférieur à celui de ces pays. Contrairement à ce qu’une approche purement comptable laisse penser, pour atteindre le niveau de revenu par habitant des pays scandinaves ou anglo-saxons, il faudrait non seulement augmenter la mobilisation de la population en âge de travailler, mais en outre augmenter le niveau de productivité. L’écart d’input en travail, comptablement, est à la fois un écart de durée du travail et de taux d’emploi, ici décomposé en taux de participation et effet du taux de chômage.

II. Augmenter la croissance potentielle Exercice économétrique Une étude réalisée avec Philippe Aghion, Philippe Askenazy et deux jeunes étudiants, Nicolas Dromel et Renaud Bourlès, sert de base aux éléments de chiffrage de notre rapport. Cette analyse a été développée dans 17 pays de l’OCDE, sur une période de près de 20 ans, et cherche à expliquer la croissance de la productivité globale des facteurs à l’aide de nombreuses variables explicatives, mobilisées sans a priori pour déterminer leur pouvoir explicatif. Plus de 20 variables des finances publiques ont ainsi été étudiées pour expliquer la croissance de la productivité globale des facteurs. Pour chaque variable, l’analyse a tenu compte des effets de distance à la frontière technologique, l’effet de la variable pouvant éventuellement différer selon le niveau productif du pays étudié par rapport aux États-Unis, pays le plus productif structurellement. Il s’agit d’une intuition développée dans de précédents travaux par Philippe Aghion. Cette étude montre que les variables de finances publiques entre pays de l’OCDE ne sont pas significatives : le taux de prélèvement global et le ratio dépenses publiques/PIB ne contribuent pas à la croissance de la productivité globale des facteurs. Cela ne signifie pas que certains éléments des finances publiques n’y contribuent pas, mais les indicateurs très généraux de ce type n’expliquent pas cette croissance. Les variables significatives sont l’enseignement supérieur pour les pays proches de la frontière technologique et les rigidités sur les marchés des biens et du travail, mesurées par les indicateurs synthétiques construits par l’OCDE. Ces rigidités sont d’autant plus significatives qu’on les fait interagir : leurs niveaux croisés sur le marché des biens et sur le marché du travail influencent la croissance de la productivité globale des facteurs, avec un petit retard du côté du marché des biens. Ce constat est important pour la définition de bonnes stratégies de réformes. Il rejoint certains travaux antérieurs selon lesquels ces facteurs ne sont pas indépendants : les rentes que le travail et le capital se partagent sont souvent créées par des rigidités sur le marché des biens, tandis que les rigidités sur le marché du travail influencent le partage de ces rentes entre le facteur travail et le facteur capital. Le retard de deux années de l’effet combiné des rigidités sur le marché des biens et du travail n’est pas sans incidence sur la stratégie de réformes : il vaut mieux commencer par flexibiliser les rigidités sur le marché des biens avant de chercher à intervenir sur le marché du travail.

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Certaines variables interviennent à plus court terme. Les variations de la durée du travail, du taux d’emploi et le positionnement de l’économie dans le cycle influencent la croissance de la productivité. Ces résultats d’estimation sont cohérents avec d’autres analyses. Comparaison avec les pays de référence

La catégorie de population de 15 à 24 ans n’est pas prise en compte car elle n’est pas encore diplômée de l’enseignement supérieur. Concernant la proportion de diplômés du supérieur dans la population en âge de travailler de 25 à 64 ans, l’écart est considérable entre la France et les pays anglo-saxons et scandinaves. Cet écart diminue pour la population la plus jeune de ce segment, un effet flux/stock rapprochant spontanément la France des pays anglo-saxons et scandinaves. Malgré cette proximité apparente, totale avec les pays scandinaves et assez forte avec les pays anglo-saxons, il existe une différence considérable : c’est l’effort financier déployé dans l’enseignement supérieur. Pour une même proportion de la population concernée par cette formation supérieure, en France, l’effort financier est inférieur de plus de la moitié à la moyenne des pays anglo-saxons et également inférieur d’environ un tiers à l’effort des pays scandinaves. Cette situation est très préjudiciable. Du côté des rigidités sur le marché des biens et sur le marché du travail, la situation de la France est assez particulière. L’interaction entre les deux est la variable qui influence le mieux la croissance de la productivité globale des facteurs, elle résulte du cumul des écarts constatés sur chacun de ces marchés.

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Chiffrage

Rattrapage des pays scandinaves

L’exercice consiste à estimer le résultat sur la croissance française d’un rattrapage du niveau scandinave. Les pays anglo-saxons ne sont pas pris en compte parce que leur situation n’est pas irréprochable en matière d’inégalités, contrairement aux pays scandinaves. En termes de croissance pour l’enseignement supérieur, il se produirait une amplification progressive en raison d’un effet flux/stock. Le fait de déployer plus d’argent et de former davantage les gens joue d’abord sur le flux, plus lentement sur le stock. Les personnes plus âgées ne sont plus concernées par cet enseignement supérieur. À terme, le gain de croissance serait de 0,4 point par an pour un effet cumulé considérable de 4 points de PIB au bout de 15 ans. L’effort financier consisterait à rattraper en points de PIB le niveau de dépenses d’enseignement supérieur de ces pays. À terme, l’effort financier net serait négatif : un taux de prélèvements moyen appliqué à ces 4 points de PIB en plus financerait largement les dépenses supplémentaires. Du côté des marchés des biens et du travail, le gain serait immédiat car il n’y a pas d’effet flux/stock. Il serait supérieur aux effets sur l’enseignement supérieur pendant les cinq premières années, avec 0,2 point de PIB de plus par an contre 0,1 point de PIB, mais il resterait ensuite à 0,2 point de PIB par an, tandis que l’augmentation est quasiment continue pour l’enseignement supérieur.

III. Quelles réformes ? Comment se traduirait le fait de rattraper la cible des pays scandinaves en termes de croissance potentielle au niveau global ?

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Scénario alternatif de croissance potentielle

Le bâton vert correspond à la croissance potentielle spontanée qui serait celle de la France sans rattrapage des pays scandinaves. Les autres couleurs représentent la contribution à la croissance qu’apporterait ce rattrapage. La partie rouge indique l’apport temporaire d’une plus grande mobilisation de la population en âge de travailler. Cet apport serait considérable dans les premières années, environ 0,5 point de PIB. Sur le graphique, il est réparti sur une quinzaine d’années car l’augmentation des taux d’emploi des jeunes et des moins jeunes ne se fait pas du jour au lendemain. Toutefois, ce facteur n’influencerait pas la croissance à long terme. La partie jaune correspond à l’enseignement supérieur et s’amplifie régulièrement pour atteindre 0,4 point de PIB. La partie bleue donne l’apport des réformes sur le marché des biens et du travail. Si l’amélioration de la flexibilité porte d’abord sur le marché des biens puis sur le marché du travail, l’apport est d’environ 0,2 point de PIB par an. À long terme, le gain total de croissance pour l’économie française est de ¾ de point de PIB par an avec, de façon transitoire, un gain potentiel d’1 point de PIB. Cette situation permettrait d’envisager le financement de l’évolution spontanée du coût de la protection sociale, des gains de pouvoir d’achat du salaire net supérieurs et une amélioration du niveau de vie économique de la population sans commune mesure avec ce qui se passerait sans ce gain.

Didier Adès Pour quelles raisons un employeur peut-il augmenter le nombre d’heures travaillées de ses collaborateurs ? Il faut que son chiffre d’affaires et ses commandes le lui permettent, sinon il risque la faillite. Comment amorcer ce mouvement ?

Gilbert Cette Il est question de croissance potentielle. Nous nous situons du côté de l’offre, non du côté de la demande ou de la stimulation de la demande. Si l’augmentation des capacités d’offre de l’économie se fait sans rencontrer de demande, elle se traduit par une baisse des prix, elle-même génératrice de demande. L’équilibre offre/demande est réalisé de cette 17

façon. Si davantage d’heures travaillées sont offertes, cela produira à terme une demande accrue qui correspondra à ce surcroît d’offre de travail. Un problème d’ajustement dynamique pourra se poser, mais ce n’est pas le cas aujourd’hui, car il n’y a pas ou peu d’incitation à l’offre de travail pour les 15-25 ans et les plus de 55 ans.

Philippe Aghion Les réformes qui ressortent de l’exercice économétrique ont été reprises dans les programmes gouvernementaux et dans les rapports qui ont fait suite au nôtre. Il faut mobiliser la population en âge de travailler (donc augmenter l’offre de travail), améliorer la flexibilité du marché du travail, stimuler la concurrence et la mobilité sur le marché des produits et revaloriser et réformer l’enseignement supérieur. Mobiliser la population en âge de travailler La durée du travail La réforme des heures supplémentaires soulève de nombreux doutes que nous partageons, exprimés par Pierre Cahuc, André Zylberberg et Patrick Artus : cette réforme risque de produire des effets d’aubaine. En revanche, il serait souhaitable de développer le dialogue social afin que les partenaires puissent engager des négociations par branche, dans l’esprit de l’accord qui vient d’être passé entre patronat et syndicats, même s’il a été ensuite réduit. Il ne paraît pas nécessaire de modifier la durée légale du travail, mais plutôt de procéder par négociation. L’emploi des jeunes Dans ce domaine, le gouvernement n’a pas encore engagé d’action véritable. Une des pistes importantes est de favoriser le cumul emploi/études, comme dans d’autres pays européens. Une façon de l’encourager en France serait d’exonérer les étudiants de toutes les cotisations sociales et de leur donner la Sécurité sociale étudiante, ou d’exonérer des cotisations retraite salariés et employeurs. Ces incitations monétaires favoriseraient le cumul entre emploi et études et donc le travail à temps très partiel, ce qui permettrait aux étudiants d’être mobilisés sans négliger leurs études. L’avantage est également de les préparer à la vie professionnelle en leur donnant un premier contact avec le monde du travail. La France souffre d’un trop grand cloisonnement entre la partie études et la partie professionnelle. Travailler sur ce domaine d’action des jeunes est une priorité. L’emploi des seniors De nombreuses réformes ont déjà été réalisées (lois Fillon). Le gouvernement travaille activement à favoriser l’emploi des seniors. Les efforts portent sur le principe des dispenses de recherche d’emploi, la suppression des limites de cumul pension/revenu d’activité, la suppression de l’âge maximal de l’activité salariée. En matière de retraites, le débat sur la pénibilité du travail et l’inégalité de durées de vie entre professions n’a pas encore été abordé de manière satisfaisante. L’emploi des personnes peu qualifiées Pour insérer davantage les personnes peu qualifiées, il faut développer le travail à temps très partiel et rendre la PPE plus puissante et incitative. La politique familiale doit notamment faciliter la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle et non désinciter l’offre de travail. La PPE doit être davantage ciblée sur les parents de jeunes enfants, pour leur permettre de travailler à temps partiel et leur éviter d’être exclus du marché du travail. Il faut enfin instaurer et développer le RSA. Ce schéma a été en partie réalisé, mais il aurait fallu renforcer davantage l’ensemble PPE-RSA. L’idée de fondre la PPE dans le RSA n’est pas forcément mauvaise, mais l’un ne doit pas se faire au détriment de l’autre. L’argent consacré aux heures supplémentaires aurait pu être destiné en partie à augmenter le paquet PPE-RSA, ce qui aurait produit un effet direct sur l’emploi.

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Le problème des heures supplémentaires est de détaxer les employeurs et de déclencher des effets d’aubaine. Une augmentation PPE-RSA est un moyen d’augmenter le pouvoir d’achat, d’aider à l’intégration des personnes peu qualifiées et donc d’agir sur l’emploi et sur le pouvoir d’achat plus directement que par les heures supplémentaires. Des études sérieuses ont-elles été réalisées sur l’incidence de la loi TEPA ? Combien d’emplois ont-ils été créés ? Un meilleur fonctionnement du marché du travail L’indemnisation et le placement des chômeurs Le modèle danois de la flexicurité est une nouvelle façon de concevoir l’économie. Les danois considèrent qu’il n’est pas possible d’échapper à l’économie de la mobilité. Il faut introduire de la flexibilité en responsabilisant les acteurs. L’État intervient comme catalyseur dans la recherche d’emploi et de qualification. Si les entreprises licencient trop, elles doivent payer plus de pénalités et davantage financer le système. Si les chômeurs veulent bénéficier d’indemnités, ils doivent activement rechercher des emplois et accepter les emplois qu’on leur offre. Cette responsabilisation de tous les acteurs est un facteur important pour établir une culture de la mobilité. Plus un pays est développé, plus la croissance bénéficie de la flexibilité sur le marché du travail. Elle est une priorité. Le problème est de savoir comment la mettre en œuvre. En France, l’obstacle était de disposer de deux agences, l’ANPE et l’UNEDIC. L’une s’occupait du placement, l’autre de l’indemnisation. La fusion des deux est une première étape dans la mise en place d’un vrai service public de l’emploi. Cela ne suffit pas, il faut également bien organiser la fusion et doter l’Agence de l’emploi des moyens nécessaires. Les pays scandinaves comptent ainsi beaucoup moins de chômeurs par agent de l’emploi que la France. Il faut également prévoir une indemnisation généreuse. Dans le système danois, jusqu’à un certain niveau de plafonnement, un chômeur perçoit 90 % de son salaire pendant 4 ans. S’il refuse les emplois ou les qualifications qui lui sont proposés, il perd de l’argent, mais le système repose sur une indemnisation plus généreuse. Le contrat de travail Le contrat unique provoque des réserves. Il faudrait se diriger vers le contrat d’évolution : le chômeur est en contrat avec l’État qui l’aide à se qualifier et à trouver un nouveau travail. Stimuler la concurrence sur le marché des biens Il s’agit de libérer le marché des biens. Des études ont montré que la concurrence est bonne pour la croissance. Les régressions entre pays du graphique suivant montrent des pays à faible concurrence, dont les barrières à l’entrée sont élevées, et des pays à forte concurrence. Les schémas indiquent également la proximité des pays à la frontière technologique. La productivité de certains pays est très faible par rapport à la productivité frontière. Pour ces pays, l’existence ou non d’une concurrence ne provoque pas une grande différence sur le taux de croissance. En revanche, lorsque les pays sont près de la frontière technologique, ceux qui ont plus de concurrence ont les meilleurs résultats.

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Au sortir de la deuxième guerre mondiale, la France était loin de la frontière technologique. L’économie, en rattrapage, pouvait fonctionner avec peu de concurrence, peu de flexibilité sur le marché du travail, peu d’ouverture du commerce, peu d’efforts sur l’enseignement supérieur et l’université. Lorsque les économies ne sont plus en rattrapage et doivent se reposer sur l’innovation pour croître, typiquement les pays frontières, il faut de la concurrence, de la flexibilité sur le marché du travail, des systèmes financiers davantage basés sur le stock market et le venture capital que sur le financement bancaire. L’économie doit être réorganisée et les marchés du travail plus flexibles. Réforme de la distribution En France, des études très intéressantes d’Askenazy ont été réalisées sur le secteur de la distribution et les lois Royer, Raffarin et Galland. Le projet de modernisation de l’économie va dans la bonne direction, mais il n’est pas suffisant. Il faut permettre une concurrence maximum. Ce système nécessitera peut-être de compenser les petits commerçants qui risquent de rencontrer des problèmes de transition. L’ouverture des professions fermées La quatrième licence figurait déjà dans nos travaux et dans le rapport Attali, mais le projet de modernisation de l’économie ne mentionne rien sur ce point.

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Le financement des PME La principale source d’inhibition de la croissance des entreprises se trouve dans le manque d’accès au financement bancaire et au stock market. Notre rapport propose le Small Business Act, qui implique des changements dans le traité européen. Il faut aussi engager une réforme du système financier, rendre le système bancaire plus concurrentiel, développer le capital-risque et les Business Angels. C’est tout cet ensemble qui aidera au développement des PME. Revaloriser et réformer l’enseignement supérieur Performance moyenne des systèmes universitaires des pays européens

Le classement de Shanghai classe les universités qui publient le plus et qui ont le plus de prix Nobel. Dans le graphique, le ratio des performances de Shanghai est divisé par la population. Les États-Unis ont de meilleurs résultats que l’Europe mais, au sein de l’Europe, l’Angleterre fait pratiquement aussi bien que les États-Unis, la Suède et la Suisse font mieux. Selon une idée répandue, la seule façon d’améliorer le système d’enseignement supérieur passe par l’instauration de frais de scolarité et la privatisation des universités. Pourtant, la Suède obtient de bons résultats sans frais de scolarité ni universités privées. Les grands axes de réforme La réussite de la Suède vient de deux éléments fondamentaux : les budgets par étudiant sont plus importants et les universités sont plus autonomes. Il s’agit d’une autonomie bien faite, qui va de pair avec la concurrence et l’évaluation. Les présidents ne peuvent pas faire ce qu’ils veulent. Cette combinaison entre l’autonomie et le budget donne de bonnes performances universitaires et contribue à la croissance. La complémentarité entre les deux axes est indispensable : si l’autonomie ne s’accompagne pas des budgets suffisants, l’impact est nettement moindre. Une étude faite pour Bruegel, un think tank à Bruxelles, montre que les États-Unis consacrent plus de 3 % de leur PIB à l’enseignement supérieur, l’Europe 1,3 % et la France 1,2 %. En termes de budget par étudiant, la France consacre 4 fois moins de moyens que les États-Unis à l’enseignement supérieur. La réforme Pécresse de l’enseignement ne prévoit ni d’augmenter les frais de scolarité ni de privatiser les universités, et elle remet le problème de la sélection à plus tard, ce qui permet d’éviter les problèmes rencontrés par Alain Devaquet, qui avait par ailleurs de très bonnes idées. La démarche de la réforme Pécresse paraissait aller dans le sens d’une meilleure autonomie et d’un financement plus important.

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Cette réforme est toutefois insuffisante. Le président d’université, en France, est élu notamment par les professeurs. Rien n’empêche que des professeurs médiocres élisent un président médiocre. Le président intervient en outre dans le recrutement des professeurs et ils se soutiennent mutuellement. Lawrence Summers, président de Harvard, avait été auparavant secrétaire d’État au Trésor américain. Dans les pays anglo-saxons, le président est nommé par un conseil d’administration composé de gens extérieurs, ce qui permet de séparer les rôles, même si les professeurs conservent un droit de regard sur l’action au jour le jour. La London School of Economics fonctionne de la même façon. Cette distinction est très importante, elle existe aussi dans les entreprises et doit s’étendre aux universités françaises. La réforme ne mentionne pas non plus le système d’évaluation. Il s’agit d’évaluer et de récompenser les bonnes performances. C’est une manière de mettre le président de l’université devant ses responsabilités. Tous ces dispositifs ne sont pas mis en place pour le moment et l’autonomie n’a pas été très bien organisée. Des campagnes promettaient de consacrer des dépenses importantes à l’enseignement supérieur. Pour rattraper la Suède, il faudrait consacrer 0,5 ou 0,7 de PIB par an à ces dépenses, ce qui représente 9 à 10 milliards d’euros. Nicolas Sarkozy disait aux présidentielles qu’il consacrerait à cela 10 à 15 milliards d’ici 2012, ce qui est un peu en dessous du montant nécessaire. Le 29 novembre 2007, Nicolas Sarkozy explique à la télévision qu’il veut vendre des actions EDF pour une valeur de 5 milliards d’euros. Une telle annonce faite le vendredi déclenche une baisse du cours des actions et le montant résultant de la vente est de 3 milliards et demi d’euros seulement. Au lieu de les donner aux universités pour qu’elles puissent recruter et investir, on leur dit alors de faire d’abord des campus dans le cadre de partenariats privé-public, et on leur propose de leur en payer les loyers deux ans plus tard, lorsqu’ils seront construits. Cet empressement préjudiciable à vendre les actions EDF vient en réalité de ce qu’il fallait conclure l’exercice budgétaire 2007 et trouver de l’argent pour réduire les déficits publics. Le motif réel de cette vente ne pouvait pas être indiqué, elle a donc été présentée comme destinée au financement de l’université. Elle a été un outil comptable, comme l’explique le rapport de la Cour des comptes : le montant de la dette publique a été réduit et le ratio dette publique/PIB a été contenu à 64,2 % en clôture de l’exercice budgétaire 2007. Ce processus est symptomatique. Une réforme doit être faite sérieusement. Lorsque les promesses ne sont pas tenues ou lorsque le résultat n’est pas à la hauteur du travail engagé, le risque est de décourager de l’idée de la réforme et de provoquer une perte de confiance.

IV. Stratégies de réformes et coût Coût des réformes préconisé

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La réforme de l’enseignement supérieur coûterait 0,7 point de PIB. La libéralisation du marché des produits pourrait se faire à coût relativement faible, 0,1 point de PIB. L’indemnisation sur le marché du travail se monterait à 0,3 ou 0,4 point de PIB. Le total entraînerait 1,3 point de dépenses supplémentaires. Toutefois, certaines mesures agiraient tout de suite sur la croissance et feraient augmenter le PIB, comme la libéralisation du marché des produits et l’augmentation de l’offre de travail. L’enseignement supérieur coûte dans un premier temps et ne rapporte qu’à plus long terme. L’ensemble augmenterait le déficit public de 0,5 point de PIB, ce qui pose un problème vis-à-vis de Bruxelles.

Conclusion Les réformes doivent être toutes lancées en même temps, mais elles ne produiront pas leurs effets en même temps : la mobilisation de l’offre de travail et les réformes du marché des produits agiront rapidement, tandis que les réformes de l’enseignement supérieur et du marché du travail agissent à plus long terme. Si les réformes sont initiées en même temps, leur coût net en sera limité. Le gouvernement et le rapport Attali ont sous-estimé l’importance des choix de priorités budgétaires : il n’est pas possible de faire ces réformes parallèlement à la TEPA tout en satisfaisant Bruxelles. Le poids des lobbies a été également sous-estimé, ce sera difficile dans la distribution. Il est plus complexe pour un gouvernement conservateur de réformer le marché du travail. De manière très schématique, il réformera le marché du travail tandis qu’un prochain gouvernement de gauche traitera le marché des produits. Il existe des lobbies, mais aussi des coûts de transition à compenser, ce qui renvoie au plan budgétaire. Il faut changer les mentalités. Les Français éprouvent une grande méfiance à l’égard du marché et des réformes. Cette méfiance se retrouve également entre employeurs et employés dans les entreprises. Ce sont d’importants barrages à tout progrès et il faut résoudre ces problèmes. La flexicurité a une vertu supplémentaire, celle d’injecter de la confiance. La négociation par branche avec accords majoritaires de la durée du travail est l’une des bonnes idées initiées par le gouvernement actuel. Il est regrettable qu’elle n’ait pas abouti, elle aurait permis un retour d’une confiance victime d’une réglementation trop forte et de syndicats trop faibles. Il faut trouver un modèle qui favorise le développement de syndicats de masse et un véritable dialogue social, qui déréglemente et développe les négociations au niveau des branches.

Didier Adès Gilbert Cette, en tant que coauteur du rapport, avez-vous des observations à faire ?

Gilbert Cette Sur la question du marché du travail, de nombreuses études montrent le mauvais climat social qui existe en France par rapport à l’étranger, à travers la défiance envers les syndicats, les institutions et l’État. La France se caractérise par les niveaux les plus faibles de l’OCDE en matière de taux de syndicalisation, de négociation collective et de droit conventionnel, et par l’intervention la plus forte de l’État en termes de droit réglementaire, sous forme de production législative ou de décrets. Un droit réglementaire homogène ne permet pas de trouver localement les bons points d’équilibre et les bons compromis. Cela mène à un équilibre de second ordre, sousoptimal par rapport à ce qui serait possible si les acteurs avaient la possibilité localement de trouver leurs propres compromis. Mais comment faire pour réduire le droit réglementaire et accroître le droit conventionnel ? Comment faire pour obtenir plus de négociation collective, plus de contrats et moins d’intervention de l’État ? Si l’intervention de l’État est réduite, les

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salariés sont moins protégés et cela n’augmentera pas de façon directe la négociation collective et le droit conventionnel. L’approche que je développe avec un juriste, Jacques Barthélemy, consiste à mener les deux démarches simultanément. Par la possibilité de créer du droit conventionnel, on efface un peu de droit réglementaire. Cela peut se faire par le droit dérogatoire. Ce droit dérogatoire existe depuis 1946 dans le régime des retraites et s’est beaucoup développé dans le domaine du droit et de la durée du travail. Il s’agit de définir, dans le Code du travail, les éléments d’ordre public auquel on ne peut pas déroger parce qu’ils engagent la santé ou la sécurité des travailleurs. Au-delà de ces éléments, les acteurs seraient libres de pouvoir déroger à tout le reste, à condition de le faire par la voie conventionnelle, par la négociation collective, sous forme d’accords et d’accords majoritaires. La démarche du gouvernement actuel et du Président de la République a consisté à proposer aux partenaires sociaux de négocier entre eux afin d’assouplir de façon équilibrée, par la voie d’accords, le droit réglementaire, et de développer le droit conventionnel. Il s’agit d’une bonne démarche qui a abouti aux accords du 11 janvier et du 8 avril derniers. L’accord du 11 janvier mentionnait la séparation à l’amiable et le contrat de longue durée pour les cadres dans certains projets. L’accord du 8 avril instaurait le changement des règles de représentativité, avec la disparition de la présomption irréfragable de représentativité pour les cinq syndicats et le fait que la représentativité soit liée au résultat des élections professionnelles. Il consacrait également l’accord majoritaire. Cependant, la démarche est biaisée. Elle aboutit normalement à la disparition programmée des trois petites formations syndicales. Il existe peu de syndicats, trois d’entre eux bénéficient de la présomption irréfragable de représentativité : la CGC, la CFTC et FO. Si les règles de la représentativité et de l’accord majoritaire étaient restées inchangées, ils étaient voués à disparaître. Comment leur demander de négocier leur propre disparition ? Logiquement, ces acteurs de la négociation ont tiré le compromis vers le bas, pour refuser ensuite de le signer. Cet accord de déclaration commune qui nécessitait trois signatures sur cinq est devenu une position commune, signée par la CGT et la CFDT seulement, donc un nombre minoritaire de syndicats. L’échec vient également du président de la République. Ces acteurs se sont engagés auprès de leur base à jouer le jeu, ce qui a dû être difficile pour la CGT et pour la CFDT. Lorsqu’ils arrivent à un compromis, le gouvernement décide de transposer dans la loi non le résultat de ce compromis, mais un résultat modifié dans le domaine de la durée du travail, ce qui met totalement en porte à faux les acteurs de cette négociation. Cette démarche était bonne dans son principe, mais elle risque d’être complètement stoppée : par rapport à leur base syndicale, les acteurs de cette négociation ne peuvent pas prolonger ce processus sans passer pour des dupes. Ce sont deux grosses difficultés, l’une par nature, l’autre par comportement individuel.

Didier Adès Comment qualifiez-vous ce problème ? Résistance définitive au changement ? Incapacité de vouloir modifier les choses ?

Gilbert Cette Les partenaires sociaux ont abouti aux accords du 11 janvier et du 8 avril, ce qui montre la capacité de changement des principaux acteurs de cette négociation. C’est l’illustration que les possibilités de changement existent, mais ce sont des éléments très fragiles. Il existe une culture française de la contestation, une certaine attente de l’intervention et de la protection de l’État plutôt qu’une culture de la négociation collective.

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Cette possibilité de changement existait, mais elle a été découragée. Les accords ne sont pas parfaits. Dans l’accord du 8 avril, la définition de l’accord majoritaire a été complètement édulcorée par les positions des trois petits syndicats. Désormais, un accord majoritaire n’est pas réalisé lorsque les signataires sont des syndicats qui représentent 50 % des salariés ou lorsque 50 % des salariés répondent favorablement à une consultation, mais lorsque les syndicats représentent au moins 30 % des salariés. Ainsi, une constellation de syndicats représentant 30 % des salariés peut signer un accord qui deviendrait majoritaire, tandis qu’un syndicat qui aurait eu 49,5 % aux précédentes élections professionnelles ne pourrait pas faire valoir son droit d’opposition parce qu’il n’aurait pas eu 50 %. Cela aboutit à des cas de figure absurdes. La CGT et la CFDT ont accepté ces accords parce qu’ils voulaient la signature des trois petits syndicats pour faire avancer la machine. Le résultat est ce compromis boiteux, qui ne sera pas signé par les trois petits syndicats et qui est transcrit dans le droit social dans un contexte de conflit, parce que gouvernement actuel l’a dénaturé.

Philippe Aghion C’est toute la difficulté que rencontre le réformateur qui, dans ce cas, doit s’engager à faire des réformes sans intervenir. Cet engagement est-il crédible ? Cela revient à déléguer le pouvoir comme dans une entreprise. Il est tentant de reprendre la main, ce qui a été fait dans le cas de cet accord. C’est toujours une grande difficulté. Cet engagement peut être passé avec une troisième partie à qui l’on paie une somme d’argent lorsqu’il n’est pas rempli.

Gilbert Cette Comment empêcher les parlementaires d’intervenir ? Ce sont tout de même des élus qui ont un pouvoir législatif. Réduire leur rôle à la simple transcription dans le droit ce que les partenaires sociaux ont décidé est contre-nature. Les parlementaires sont là pour faire la loi et estiment avoir un pouvoir d’intervention. Plusieurs rapports, dont le rapport Chertier, proposent de limiter le contrôle parlementaire à un contrôle de conformité en droit, pour éviter que les partenaires sociaux n’aboutissent à des accords anticonstitutionnels. Après avis du Conseil d’État, la transcription automatique d’un accord entre les partenaires sociaux pourrait se faire sous forme d’ordonnance.

Didier Adès Vouloir reprendre la main représente une certaine forme de conservatisme et de résistance au changement. Le Parlement a perdu la main depuis longtemps en matière législative. Il ne veut pas de changement en ce qui le concerne.

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Débat De la salle Dans votre exposé, vous ne parlez jamais des ressources naturelles. Vous développez beaucoup la question de l’offre, mais il faut que cette offre corresponde à une demande construite, cohérente et qui ne soit pas critique au niveau des ressources. Ce que vous proposez est très proche du fonctionnement des pays anglosaxons, notamment concernant le marché et l’offre, or c’est un échec en termes d’empreinte écologique et de nombre de terres nécessaires au développement de ce système économique.

Philippe Aghion Au sujet des ressources naturelles, dans les années soixante-dix, on pensait qu’il faudrait aller vers une croissance zéro en raison des problèmes d’environnement et de ressources épuisables. On sait maintenant que ce n’est pas nécessaire, grâce à l’innovation qui permet d’économiser les ressources rares ou d’en utiliser d’autres. Il est donc possible de concevoir une croissance soutenable. Il faut que l’innovation soit propre, il ne s’agit pas de subventionner le CO2, par exemple. L’innovation soulève également le problème du coût : des pays développés ou des pays moins développés, qui doit le payer ? De nombreuses questions se posent, mais l’innovation est la seule manière d’avoir une croissance soutenable dans un environnement dont les ressources sont épuisables. Concernant la demande, la contrainte à laquelle la France fait face actuellement n’est pas une contrainte de demande. Les Allemands font mieux que nous avec la même demande, parce qu’ils ont su innover et intéresser une demande potentielle énorme en Chine et dans les pays asiatiques, que la France n’a absolument pas explorée. Nous n’explorons pas nos ressources de demande parce que nous sommes incapables d’y répondre.

Gilbert Cette Nous préconisons tout de même de développer les ressources. Le coût global de ces réformes correspond au coût de la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat (TEPA), votée en août dernier. La TEPA engendre une dépense improductive. C’est un gâchis de ressources en termes de croissance, cela induit de la demande et non de l’offre. Pour le même coût, il était possible d’engager une dépense publique permettant un gain en offre compétitive, par l’éducation, les réformes sur le marché du travail et tout ce que nous avons expliqué. Dans la loi TEPA, les dépenses supplémentaires en direction des ménages vont créer de la demande, mais cela ne générera pas en soi une offre compétitive adaptée aux besoins de l’économie française. La France est dans une situation négative sur ses échanges extérieurs. Les 13 milliards de la loi TEPA représentent exactement le coût des réformes que nous préconisons. Ils auraient pu produire un gain de croissance considérable qui aurait permis de compenser le problème d’offre compétitive de l’économie française.

De la salle Vous nous montriez tout à l’heure le schéma entre offre et demande. L’écart vient d’un effet d’éviction complètement structurel sur les importations. La France n’est pas la seule à connaître ce type de décalage.

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Gilbert Cette L’Italie, l’Espagne et la France sont les pays les plus touchés de la zone euro. Pour ces pays, la situation est catastrophique. Elle n’est pas structurelle, elle est relativement récente et date du début des années 2000. Cette situation se dégrade continûment. Le problème ne vient pas d’une insuffisance de demande interne.

De la salle C’est le problème de l’offre.

Gilbert Cette L’an dernier, la contribution de la demande interne à la croissance a été de 2,9 %. L’INSEE n’a pourtant constaté que 2,1 % de croissance du PIB en 2007, car les exportations nettes (exportations moins importations) ont contribué pour -0,8 % à la croissance. La France a beaucoup plus importé qu’elle n’a été capable d’exporter. Lorsque vous allez dans un magasin, comme tout le monde, vous regardez les prix des produits. Les étrangers se comportent de la même façon avec les produits français, espagnols, allemands. La France étant incapable d’avoir une offre suffisamment compétitive, la contribution des échanges extérieurs à la croissance est négative.

De la salle Nous n’avons pas les mêmes segments de produits en matière d’importations et d’exportations. Même si le coût de production et le coût du travail étaient réduits au minimum, la France ne serait jamais compétitive par rapport aux produits des pays émergents. Il faut aller sur d’autres segments.

Gilbert Cette Il n’est pas nécessaire de regarder les pays émergents, il existe des pays industrialisés (Allemagne, Pays-Bas) dont le PIB par habitant est équivalent à celui de la France et qui se trouvent dans une situation bien plus confortable.

De la salle Je voudrais faire une remarque au sujet de votre analyse de l’accord en matière de représentativité. Je ne pense pas que les trois petits syndicats soient les responsables de la diminution au niveau des accords majoritaires. Cet accord est très conservateur : des barrières à l’entrée permettent à ceux qui sont en place de garder cette place, que ce soit le MEDEF, la CFDT ou la CGT. Le débat sur la représentativité a été lancé notamment par l’UNSA, syndicat qui subit des procès parce qu’il n’est pas représentatif de manière irréfragable. Il s’agit pourtant d’un syndicat qui prend de l’importance, parce qu’il fait des propositions. L’accord final consiste à bloquer les syndicats qui montent et à éliminer les petits syndicats. Il s’agit d’un accord purement corporatiste qui pose problème, au-delà du gouvernement qui va plus loin que l’accord et élimine même ses propres alliés.

Didier Adès Nous n’allons pas développer davantage. C’est ce que je sous-entendais lorsque je parlais de conservatisme : il s’agit de conserver les positions des uns et des autres.

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Philippe Aghion Je suis en désaccord complet avec votre analyse. Cet accord est étonnant. Au niveau de l’entreprise, de la branche, ou au niveau national pour les accords interprofessionnels, il faudra à terme 10 % des votants (et non des inscrits), 8 % de façon transitoire, avec éventuellement le simple collège cadres pour permettre à la CGC de survivre quelque temps. Dans les entreprises, un syndicat qui n’aura pas eu 8 % transitoirement pourra malgré tout se représenter, en changeant simplement de tête de liste. Cela peut permettre une grande vitalité et un renouvellement important du tissu syndical. C’est le point fort de cet accord.

De la salle Il a été fait référence, dans l’ensemble des interventions, au problème du financement des PME, qui semble être essentiellement un problème de financement privé. Quelles pistes proposez-vous, sachant que le financement public est assez important ?

Gilbert Cette Le financement des PME et de l’innovation est un sujet complexe, qui fait l’objet d’un rapport du CAE. La plupart des éléments de diagnostic et des propositions sont matière à conflit et discussion. Quelques points font tout de même consensus, comme l’évoquait le précédent rapport de Jean-Paul Betbèze et Christian Saint-Étienne. Ainsi, le droit des faillites amène les apporteurs de capitaux, en particulier les banques, à être très prudents dans le financement des PME, en raison du risque d’échec. Si l’entreprise ferme ses portes, les financeurs privés recouvrent leurs créances après l’État, la Sécurité sociale et les salariés. En pratique, ils ne récupèrent rien. Dans d’autres pays, ce n’est pas le cas. Au RoyaumeUni, les apporteurs privés passent avant l’État, ce qui leur permet une liquidation et un accès direct à la prise en main de l’entreprise. Le financement des PME en est facilité.

Philippe Aghion Le financement des PME dépend de nombreux facteurs : le régime des faillites, le crédit interentreprises, les délais de paiement qui peuvent être réduits, le Small Business Act et, à plus long terme, la réforme du système financier.

Jean-Louis Levet Les délais de paiement constituent un problème. La France applique les délais les plus longs d’Europe, en moyenne 90 jours, jusqu’à 120 jours pour certains groupes publics, pour 30 jours en Allemagne. Même une PME performante et innovante peut déposer le bilan pour des raisons de délais de paiement. Les fournisseurs rejettent de plus en plus sur les PME et les sous-traitants la part de risque. Les marchés publics sont un autre élément intéressant. Ils représentent, à l’échelle européenne, 300 milliards d’euros, 3 % du PIB européen. Le débat selon lequel la mondialisation tue les marges de l’État est purement idéologique. Aux États-Unis, le Small Business Act donne 25 % des marchés publics aux PME. Elles peuvent ainsi avoir des débouchés importants, mais surtout des références à l’exportation. Si une PME française a parmi sa clientèle la gendarmerie nationale, elle aura plus de facilité à obtenir la clientèle de la gendarmerie espagnole, chinoise ou indienne. La loi sur les marchés publics mise en place par Francis Mer, il y a quelques années, rééquilibrait la logique de volumes, en permettant de fonctionner par îlots et non simplement par des volumes énormes, parce qu’une PME ne peut pas forcément réaliser 500 000 costumes publics en 15 jours. En pratique, la logique budgétaire prime toujours sur la logique de qualité et, dans les marchés publics même infrarégionaux, on favorise souvent 28

le coût de la réponse plutôt que la qualité, ce qui encourage les entreprises à délocaliser en Chine pour importer en France. Il y a quelques mois, un gros marché public est passé sur des vêtements de gendarmerie. Une entreprise bretonne est en concurrence avec une entreprise scandinave. L’entreprise bretonne, encouragée par la France, crée 500 emplois en Bretagne. Finalement, l’entreprise scandinave remporte le marché public parce qu’elle est 30 % moins chère. On s’aperçoit que les vêtements sont en réalité produits en Chine et réimportés. Favoriser cette logique budgétaire provoque des délocalisations purement défensives et détruit le tissu industriel. L’entreprise bretonne va délocaliser massivement, il y aura en Bretagne quelques centaines d’emplois de moins dans les prochains mois. Le levier des marchés publics est important s’il tient compte à la fois du coût et de la qualité. Un dernier problème, dans la chaîne de financement, vient du fait que les PME n’intéressent pas le système bancaire. Il est plus intéressant pour une banque de placer 5 milliards d’euros sur Vivendi – et d’en perdre 3 – que d’ouvrir un dossier de PME, ce qui coûte déjà trop cher. Lorsqu’un patron de PME veut créer un nouvel outil de production ou développer un réseau commercial, il doit donner des garanties sur sa maison. Le système est absurde. L’enjeu est de mettre en place le système du capital-risque et du capital de développement qui vont aider la PME à franchir des paliers de croissance. OSEO se comporte comme n’importe quelle banque. S’il faut fournir trop de garanties, le patron de PME ne s’engage pas. En revanche, la France dispose d’un atout important : le capitalisme familial. En France, la moitié des PME sont détenues par des familles, ce qui amène les entreprises à s’ancrer davantage dans le territoire national, à stabiliser l’actionnariat et à privilégier la rentabilité économique à la seule rentabilité financière. Le problème de la transmission des entreprises se pose en France depuis 10 à 15 ans. Il faut sortir d’une logique idéologique de cette transmission. Aujourd’hui, 70 % des patrons sont âgés de 65 ans, la moitié de cycle productif va changer d’actionnaires. Les leviers fiscaux sont importants et les entreprises sont vendues à des fonds d’investissements étrangers. Les fonds de pension américains sont en train de prendre le contrôle de toute une série de PME françaises, et n’hésitent pas à réduire les coûts, fermer les usines et délocaliser. Il s’agit de réalités concrètes. Il est regrettable que ni la droite, ni la gauche ne se sentent concernées.

Didier Adès L’enjeu est en effet les PME. S’il y avait plus de tonus dans ce domaine, tout ne serait pas réglé, mais la situation s’améliorerait. Le Small Business Act dépend non seulement de Bruxelles mais aussi de l’OMC, qui donnera ou non son accord, ce qui entraîne beaucoup de lourdeur.

De la salle Je travaille sur un bassin concerné par différentes conventions de revitalisation dans des plans de sauvegarde pour l’emploi. Comment la France s’inscrit-elle dans le choc pétrolier qui va peut-être se produire ? Ses préconisations sont-elles encore fiables ? Le rapport Attali a-t-il pris en compte ce facteur ? Quelles sont les conséquences de l’euro fort par rapport aux importations françaises ? Comment la France va-t-elle réagir et anticiper, avec ces deux facteurs combinés ?

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Didier Adès Selon le président de l’Institut français du pétrole, le baril de pétrole coûte plutôt moins cher qu’en 1973 et il faut moins de temps pour le produire aujourd’hui (Le Monde du 4 juin 2008). Ceci n’engage que son auteur, un lobbyiste parfait, mais c’est peut-être vrai. Le fait est que le passage de 50 dollars à 130 dollars est brutal, même si le baril est descendu ce matin à 122 dollars.

Philippe Aghion Le dollar est bas et l’euro est élevé, les taux d’intérêt américains sont très bas et, par contraste, les taux d’intérêt européens de la BCE sont élevés. Mais vous soulevez la question plus générale de la macroéconomie et de la croissance. La principale critique de la BCE doit-elle porter sur le niveau des taux ? Depuis l’instauration de l’euro, les taux ont baissé, mais cela n’a pas suffi pour que la croissance soit relancée dans la zone euro. Le problème ne vient pas seulement du niveau des taux, il est plus profond. Tous les pays sont actuellement dans une mauvaise passe, mais l’Allemagne a réalisé de très bonnes performances dans les cinq dernières années, avec le même euro que la France. L’euro fort peut poser problème ici ou là, pour Airbus par exemple, mais il réduit les pressions inflationnistes, il y a des points positifs. Rien ne permet de dire que les taux sont trop élevés en moyenne. En général, les gens regardent le crédit en inflation. Le target d’inflation implicite est à 2 % et ce cap est maintenu. Faut-il aller au-delà ? Pour certains, il faut tenir compte du cycle économique et ajuster le target en cas de problème. Cela pose plus la question de la gestion du cycle que celle du niveau moyen des taux. En cas de récession, ne faut-il pas des politiques qui aident davantage les entreprises, qui rendent leur vie plus facile ? Une recherche à laquelle je travaille depuis de nombreuses années montre que, dans une économique caractérisée par la croissance endogène et l’innovation, il est important d’appliquer des politiques contracycliques avec plus de déficit budgétaire en récession et moins en expansion. La politique monétaire s’ajuste à des targets d’inflation qui eux-mêmes s’ajustent au cycle. Les politiques peuvent augmenter l’incitation et permettre davantage l’innovation. Typiquement, en cas de récession, les entreprises qui ont des contraintes financières stoppent la R&D. Leur R&D est nettement plus procyclique que celle des firmes qui ne sont pas contraintes financièrement. La façon de conduire la politique macroéconomique se répercute sur la croissance, mais cela sort du débat sur le niveau moyen de l’euro.

Gilbert Cette En France, le choc pétrolier des années soixante-dix s’est traduit par un important conflit de répartitions. Le choc pétrolier entraîne un prélèvement de l’extérieur sur le revenu produit en France. Au moment du choc pétrolier des années soixante-dix, les salariés n’ont pas voulu payer ce prélèvement. Cela s’est mécaniquement traduit par une baisse considérable des taux de marge, une baisse de la rentabilité des entreprises, un tarissement des investissements et un ralentissement de la croissance, dont la France n’est sortie qu’au début des années quatre-vingts. Le taux de marge s’est alors rétabli pour retrouver ses niveaux antérieurs au premier choc pétrolier à la fin des années quatre-vingts. Les conditions rétablies de rentabilité de l’investissement ont permis à la France de retrouver une croissance plus importante. Le choc pétrolier actuel est complètement différent. Au grand étonnement de tous, alors même que les réformes sur le marché du travail n’ont pas été aussi considérables, ce sont pour l’instant plutôt les salariés qui en ont payé comptablement le coût. Sur le long terme, dans tous les cas, ce sont forcément les salariés qui le paieront, car si la rentabilité du capital n’est pas suffisante, elle interdira la croissance. Ce choc pétrolier a provoqué un 30

prélèvement et une baisse de la distribution de revenus et de la demande interne, mais l’économie montre tout de même une capacité d’absorption des chocs bien plus grande que dans les années soixante-dix. Les États-Unis ont 6 points de PIB de déficit de balance courante, ce qui est considérable, cela représente un tiers du PIB français. La baisse de la monnaie n’a rien d’aberrant a priori, il s’agit d’un mécanisme de marché. Le problème devient crucial dans le cas de monnaies dont la flexibilité n’est pas forte. Il s’agit moins du problème du dollar que de celui de monnaies arrimées au dollar et qui baissent avec lui, ou de monnaies de pays dont les échanges extérieurs sont très largement excédentaires. Cela ne concerne pas seulement les pays émergents : le Japon n’est pas un pays émergent. Le fait que l’euro soit fort par rapport à la monnaie d’un pays dont le déficit courant est considérable n’est pas absurde, c’est ce que nous enseignent tous les manuels. En revanche, le fait que l’euro soit fort par rapport la monnaie de pays en fort excédent de balance courante est un problème. Ce sont des monnaies dont les flexibilités de marché ne sont pas normales.

Didier Adès Cependant, notre capacité à agir sur le yuan est assez limitée. Même les États-Unis ont essayé de faire du décrochage et n’y sont pas parvenus. Notre puissance est un peu limitée. Que faire ?

Jean-Louis Levet Dans la crise énergétique, l’élément nouveau est la gestion des forces entre nations et zones économiques. La Chine en 1973 n’existait pas, la Russie était de l’autre côté du rideau de Berlin. Aujourd’hui, la Chine a un immense besoin de matières premières qu’elle recherche en Afrique. En Afrique de l’Ouest, toutes les zones anglaises et françaises d’influence perdent du terrain. Le combat se déroule entre l’influence américaine et l’influence chinoise. En Algérie, au Kenya, il y a partout des ouvriers chinois à la place des ouvriers algériens, des écoles chinoises se créent. En Algérie, les petits commerces chinois vont tuer tous les petits commerces algériens, une colonisation silencieuse extrêmement forte se produit. L’Europe va sortir de l’Afrique pour les 50 prochaines années. Un deuxième enjeu est celui de la Russie. Vladimir Poutine a perdu la guerre froide mais il ne veut pas perdre la guerre économique. Pendant la guerre froide, il a concentré son argent sur l’armée, aujourd’hui en faillite. Il faut prendre des raccourcis technologiques. Cela se traduit par des investissements massifs pour prendre des actions d’Airbus ou d’Ariane. Si les Européens continuent à jouer la concurrence pour la concurrence, il y aura 30 % de Russes chez Airbus et il faudra expliquer aux Européens pourquoi le savoir-faire part chez les Russes. Dans le même temps, la Russie redevient une grande puissance énergétique et fait du chantage en menaçant ses anciens condominiums d’interrompre la distribution de pétrole s’ils vont à l’OTAN. C’est radical pour ces pays. L’oléoduc pétrolier, comme par hasard, ne passe pas par la Pologne mais par l’Allemagne pour alimenter les pays de l’Europe de l’Ouest. Actuellement, l’Europe est prise en tenailles entre l’Iran, la Russie et la Chine. Derrière le problème énergétique se pose la question de la souveraineté européenne. Si l’Europe n’est pas capable d’appliquer une véritable stratégie énergétique et d’instaurer des rapports de forces équilibrés avec ces pays, ce qui passe par le développement durable, l’efficacité énergétique et la diversité du portefeuille technologique, dans quelques années, elle sera broyée dans ce jeu de rapports de forces dont l’énergie est un révélateur.

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De la salle En matière d’enseignement supérieur, les chiffres que vous avez cités montrent des écarts très importants entre la France et les États-Unis. Il n’est pas question de contester la supériorité des dépenses des États-Unis sur les dépenses françaises, il suffit de voir les locaux des universités françaises et des universités américaines. Toutefois, un artefact de calcul ne peut-il pas expliquer une telle différence ? En France, il est assez facile de séparer recherche et enseignement supérieur : au CNRS, un très grand nombre de chercheurs sont à temps plein en recherche et ne sont pas affectés à l’enseignement supérieur. Aux ÉtatsUnis, la recherche et l’enseignement supérieur sont tellement imbriqués que je me demande comment vous pouvez les séparer dans les calculs, sauf à faire des hypothèses sur le pourcentage de temps attribué à la recherche, pourcentage vraisemblablement totalement arbitraire puisque cela dépend des personnes et des universités. L’écart est tel que je m’interroge sur la façon dont les calculs ont été faits.

Philippe Aghion Le fait de compter le CNRS générerait un peu plus de dépenses en France, mais pas beaucoup plus. Nous avons examiné plusieurs façons de comptabiliser. Nous avons regardé les dépenses en pourcentage du PIB mais aussi en proportion de diplômés. L’écart subsiste. Les régressions de croissance se font aussi bien sur les dépenses que sur la mesure de l’attainment.

De la salle Je voulais vous remercier au nom de tout le monde. C’est particulièrement intéressant de voir l’émulation à l’œuvre et de pouvoir écouter des intervenants de ce niveau. D’ailleurs, c’est une petite remarque incidente, le monde des économistes a changé depuis quelques années en France, avec notamment le Conseil d’analyse économique, mais aussi l’école d’économie de Toulouse et l’école d’économie de Paris qui est en création. Pour faire les réformes que vous recommandez, vous proposez d’investir davantage d’argent public et vous considérez que les dépenses de recherche, point essentiel dans la croissance d’un pays, sont trop faibles en France. Vous avez peu parlé de la répartition des dépenses de recherche entre le public et le privé. La part des dépenses publiques de recherche, en France, est beaucoup plus forte que dans les pays très en avance en termes de niveau de dépenses de R&D par rapport au PIB. La situation des finances publiques en France est extrêmement préoccupante. La France a 1 200 milliards d’euros de dette, ce qui représente 18 000 euros de dette pour chaque personne qui naît. Les dépenses de santé et de vieillissement vont augmenter. Vous considérez que l’argent consacré à la loi TEPA aurait pu être utilisé différemment, mais ces priorités structurantes pour la croissance française des prochaines années pourraient être financées via des réallocations de ressources, dans un univers de concurrence fiscale où le niveau des prélèvements obligatoires est très haut (44 % en France) et difficile à augmenter pour financer de nouvelles dépenses.

Philippe Aghion Je suis d’accord avec certains éléments, moins d’accord avec d’autres. Au sujet de la recherche, dans le rapport, nous recommandons de faire des crédits impôt recherche, pour stimuler la recherche privée et les partenariats public-privé. Il faut stimuler la coopération public-privé et encourager le mécénat et les partenariats. Le côté public doit jouer un effet multiplicateur sur le privé et encourager la recherche privée, je suis d’accord sur ce point. Concernant le coût du projet, une réforme structurelle représente un investissement. Lorsqu’une entreprise réalise un investissement, on examine la net present value. Dans les 32

réformes que nous proposons, elle est largement positive, l’investissement vaut la peine d’être réalisé, il augmente la net present value. Si l’on raisonne comme une entreprise, elle a des contraintes de faillite, nous avons la contrainte des critères et des engagements pris visà-vis des partenaires européens et nous devons négocier avec ces contraintes. Ces dépenses font perdre un peu d’argent au début, mais permettent de le regagner ensuite audelà de l’investissement effectué. La TEPA propose des réductions et une suppression de l’impôt de succession. Ce n’était pas si urgent, les heures supplémentaires non plus. Les réformes, en revanche, sont urgentes et elles étaient claires. Nous pensons qu’il s’est produit une déviation. Bruxelles aurait considéré que nous allions détériorer la balance de 5 %. De nombreuses personnes souhaitent que la dette soit le critère principal et que le long terme prenne le pas sur le court terme dans l’évaluation par les partenaires européens. Les membres de la Commission ne comprennent pas la TEPA. Si la TEPA n’avait pas été engagée, nous aurions pu proposer de réaliser des économies sur le fonctionnement de l’État (pas forcément sur l’éducation). Dans le pacte de stabilité, il existe des clauses dérogatoires. Lorsqu’un pays s’engage dans des réformes structurelles, le coût n’est pas tout de suite pris en compte. Les pays sont autorisés à faire des dépassements pour des réformes structurelles. Il aurait fallu indiquer à Bruxelles les réformes prévues, leur coût, et s’engager sur un effort d’économie par ailleurs. La démarche serait passée. En faisant la TEPA, nous avons perdu cette possibilité. La TEPA nous coûte doublement : c’est de l’argent que nous n’avons pas affecté ailleurs et qui nous coûte également en termes de crédibilité. Pour rattraper la situation vis-àvis de l’Europe au moment où la France prend la présidence de l’Union européenne, nous sommes réduits à supprimer 20 000 postes d’enseignants pour diminuer le déficit public. Cela perturbe l’engagement de réformes audacieuses par ailleurs, même si les autorités actuelles montrent une volonté évidente de réformer.

Gilbert Cette Les dépenses des réformes que nous préconisons sont des dépenses productives qui rapporteront à terme. Dans notre rapport figurent des exemples de redéploiement de ressources que nous n’avons pas détaillés pour des raisons de temps. L’un de ces exemples concerne les incitations à l’offre de travail. Dans une logique du projet de Revenu de solidarité active (RSA), le taux de prélèvement est de 30 à 35 % sur chaque euro gagné, pour que les gens conservent toujours 70 centimes par euro supplémentaire gagné dans le cadre de leur activité. Est-il logique, dans un pays comme la France, de développer des politiques qui incitent les gens à se porter sur le marché du travail, tout en dépensant simultanément beaucoup d’argent pour les inciter à sortir du marché du travail ? Actuellement, près de 4 milliards et demi d’euros par an sont consacrés à la prime pour l’emploi, qui incite les personnes peu qualifiées à trouver un intérêt financier à se porter sur le marché du travail. Parallèlement, on dépense 3 milliards d’euros par an pour inciter les parents de jeunes enfants à sortir du marché du travail. L’ancienne allocation parentale d’éducation est refondue dans la prestation accueil jeune enfant (PAJE) et, de fait, cela concerne surtout les personnes peu qualifiées. Ces signaux totalement contradictoires rendent la politique économique difficilement compréhensible pour le citoyen. Il faut faire un redéploiement. Pour prendre l’exemple de l’ancienne allocation parentale d’éducation (APE) fondue dans la PAJE, au lieu d’inciter les gens à sortir du marché du travail quand ils sont parents de jeunes enfants, il nous semble plus intelligent d’aider financièrement les gens peu qualifiés à concilier l’activité professionnelle avec les frais de garde d’enfants.

De la salle Au sujet des PPP, faites-vous des propositions globales de réorientation de la commande publique, d’une façon générale, comme moyen de soutien à la croissance ? 33

Au plan financier, la grande différence de la France avec les pays anglo-saxons, c’est l’absence de fonds de pension. Y a-t-il dans ces dispositifs un impact à la croissance ?

Didier Adès Parlez-vous de fonds de pension ou de fonds d’investissement ?

Robert Stakowski, mission d’appui aux partenariats public-privé Il s’agit des fonds accumulés en vue de la retraite, investis parce qu’ils sont disponibles.

Philippe Aghion La question mérite un débat à elle toute seule. Les fonds de pension ont eu un rôle important dans la croissance, ils permettent de mitiger les risques. Aux États-Unis, les grandes entreprises les plus innovantes sont celles dans lesquelles les fonds de pension ont pris des parts importantes. Cela a sécurisé les managers qui ont pu innover davantage. Les institutional investors jouent un rôle stimulant pour l’innovation et la croissance alors qu’ils sont considérés comme court-termistes, ce qui est faux.

Didier Adès Ce sont les fonds d’investissement qui sont court-termistes.

Philippe Aghion Sur les fonds de pension, ce sera un glissement. Concernant les retraites, je pense que nous pouvons garder le système de répartition, mais les systèmes de retraite doivent être plus lisibles. Thomas Piketty a récemment écrit un article sur ce sujet dans Libération. Il donne des idées intéressantes de réorganisation et de gestion individuelle, tout en conservant le système de répartition.

De la salle La présentation initiale faisait état du déficit du commerce extérieur, qui pèse beaucoup sur la croissance. Quel serait l’impact de vos réformes sur le renversement de ce déficit budgétaire lié au commerce extérieur ? L’Allemagne a un excédent de croissance extérieure 4 à 5 fois supérieur à notre déficit de balance commerciale. Quel est votre jugement sur ce point ?

Gilbert Cette Lorsque l’on développe l’offre compétitive, il faut cibler la dépense publique pour la rendre productive, innovatrice et porteuse de gain de productivité, ce qui génère un gain de compétitivité. Nous pourrions faire le calcul, sous certaines hypothèses de report sur les prix et de report sur le gain de pouvoir d’achat, de ce gain de compétitivité et donc du gain en exportation et en commerce extérieur. De toute façon, cela ne peut être que favorable en termes de commerce extérieur, puisque le gain de croissance n’est pas lié à un supplément de demande intérieure, mais à un gain de productivité, premier moteur de la compétitivité. Sur ce plan, notre approche nous semble bien correspondre au constat initial.

Philippe Aghion Nous avons parfois senti une tentation protectionniste en matière de commerce extérieur. Une première approche consiste à défendre les champions nationaux, une 34

deuxième approche favorise le commerce et l’ouverture économique. Toutes les régressions montrent que l’ouverture économique est favorable à la croissance, surtout pour des pays proches de la frontière technologique. L’ouverture économique génère toutefois des coûts de transition sur lesquels l’État peut intervenir. Faut-il renoncer à toute forme de politique industrielle ou d’intervention ? Nous ne sommes pas entrés dans ce débat. Engager une politique industrielle, c’est prendre le risque de se tromper de cible. Comment mettre en œuvre des politiques non ciblées qui favorisent les entreprises de manière générale, comme le Small Business Act ? Un débat s’est développé sur la manière d’améliorer notre situation compétitive sans tomber dans une démarche protectionniste ou un désengagement complet de l’État. Cette réflexion est à mener.

Didier Adès Quels leviers pour renforcer la croissance ? Jacques Attali se montre satisfait de voir le gouvernement et le Parlement s’emparer progressivement du rapport, lui donnant 6 ou 7 points. Êtes-vous satisfait également ?

Philippe Aghion Je suis un « agent double » dans cette affaire, je fais partie de la commission Attali. Un certain nombre de dispositions ont été effectivement retenues. D’autres aspects ont été ajoutés, dans la continuité du rapport Attali, sur le numérique ou les secteurs. On peut compter le nombre de propositions reprises, c’est une manière de voir les choses. Je suis peut-être moins optimiste. Il existe un point de divergence entre le rapport Attali et le nôtre, c’est le budget. Je me suis solidarisé du rapport Attali à l’époque parce que je faisais partie de la commission Attali. J’ai même défendu devant le Président de la République une position avec laquelle je n’étais pas d’accord, qui consiste à mettre de côté les aspects budgétaires pour se concentrer sur la réforme de structure. Je pense en réalité que c’était une erreur d’occulter les coûts de la réforme structurelle. Nous l’avons vu avec les taxis qui ne font rien parce qu’ils n’ont pas de compensation. Nous pouvions parler de compensation, mais le sujet a été écarté dans le rapport Attali, pour ne pas fâcher le gouvernement et Nicolas Sarkozy. C’est une insuffisance de ce rapport. Le gouvernement reprend certains points mais, sur des aspects fondamentaux comme le budget, la dynamisation du dialogue social et le problème des compensations, les débats de fond n’ont pas encore eu lieu.

Didier Adès Allons-nous parvenir à renforcer la croissance ?

Gilbert Cette En ce moment, l’équation est complexe. Nous avons gâché nos possibilités en matière de réformes qui coûtent. La crédibilité du Président de la République lui-même, qui a défendu la loi TEPA au conseil Ecofin, est écornée. Il va être désormais difficile de proposer d’autres investissements productifs. Du côté des réformes qui ne coûtent rien, comme les réformes sur le marché du travail, le gouvernement, après un bon départ, sabote la mécanique positive qu’il a contribué à engager. Il faudrait un ressaisissement dans la stratégie de réformes.

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Philippe Aghion Le gouvernement s’était engagé dans une stratégie qui semblait cohérente. Il donne maintenant une impression de flottement. C’est un peu déroutant, quel que soit le bord politique. Qui dirige ? Quel est le rôle du Premier Ministre et du groupe des sept ?

Jean-Louis Levet Malheureusement, ce gouvernement n’a pas de stratégie économique. Le choix de l’été dernier est un choix idéologique qui ne touche pas la majorité des Français. On ne relance pas la croissance en ne s’intéressant qu’à quelques groupes de la société française. Au sujet du rapport Attali, je ne comprends pas qu’un président de la République élu sur un programme économique au mois de juin demande en août à M.Attali de lui définir sa politique économique. Le président Attali lui-même pèche par arrogance en donnant la directive de mettre en œuvre l’intégralité des 300 propositions en trois mois. Il a mis en porte à faux l’ensemble des membres de cette commission de grande qualité par son comportement. Le propre de la politique n’est pas de chercher à avoir raison tout seul, mais de chercher à créer les conditions permettant d’avoir raison collectivement.

Didier Adès Je suis très content de ce qui s’est dit aujourd’hui. On ne pourra pas dire qu’il n’y a pas de liberté d’expression et de liberté de pensée dans cette maison ! Nous avons essayé d’expliquer et de donner quelques bases. Je vous recommande la lecture du rapport du CAE et éventuellement du rapport Attali afin de vous faire votre propre opinion. Nous nous retrouvons le 3 juillet, pour l’information au cœur des enjeux de mondialisation immatérielle. Merci.

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