Les nouvelles technologies du lien social
Thème
Sommaire G Groupe Centrale actualités GGG Editorial G G
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Par Pierre MOSCOVICI
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Remerciements
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GGG Dossier : Les nouvelles technologies du lien social I- Une transformation sociétale irréversible G Le nouveau pouvoir des conversations Luc Bretones et Stéphane Dieutre
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Les influences entre Internet et la société David Fayon
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Connectez-vous à la grande conversation du Web ! Philippe Pinault
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Si je n’engage pas de conversations, je n’existe pas ! Corinne Denis
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Le Web, créateur de lien social
10 II- La fin de l’adolescence du web et de la petite enfance du mobile G L'avenir de la technologie, c'est "pas de technologie" ! Christophe Agnus 12 G Vidéo n’est plus synonyme de télévision ! Martin Rogard 14 G Rich-media et web-TV se généralisent Jean-Louis Bénard 16 G Web 2.0, Génération Y et Entreprise 2.0 : une révolution des usages Frédéric Cavazza 17 G Internet devient la norme Pierre Kosciusko-Morizet 18 III- Un monde d'ubiquité et de connexion permanente G Le Web 2.0, c’est dépassé ! Rafi Haladjian 20 IV- La France dans la course G Internet est une chance pour la France Giuseppe de Martino 22 G Le plan France Numérique 2012 : les élus doivent prendre des initiatives ! - Franck Suplisson 24
Revue publiée par l’Association des Ingénieurs de l’Ecole Centrale Marseille 38 rue Joliot Curie Technopôle de Château-Gombert 13013 MARSEILLE Tél : 04 91 05 45 48 - Fax : 04 91 05 45 49
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Vianney Meunier
Nous remercions David Bourgeois (96), Guillaume Brocail (97), Philippe Germanaz (02), Damien Letexier (06), Vianney Meunier (02), Emmanuel Naudin (04), Michel Reignier (96), Eric Vandewalle (96) qui nous ont aidé à la réalisation de ce numéro.
Comité de rédaction : Olivier SAUVAGE Luc BRETONES Julien LAGIER Raoul MOREL A L’HUISSIER Secrétaire de la rédaction : Valérie KENSEY Commission Paritaire 1108G88559 ISSN : 1959 - 0458 Publicité : SEFE 1, voie Félix Eboué 94000 CRETEIL Tél : 01 48 98 16 73 - Fax : 01 48 98 38 70
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Le prochain numéro de la revue aura pour thème : La chimie face aux défis du siècle. Rejoignez l’équipe organisatrice auprès du
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Thème
Éditorial Enjeux et usages des nouvelles technologies dans la vie publique Le politique s'est longtemps désintéressé des nouvelles technologies, à la fois pour des raisons sociologiques – les élus, pas toujours très au fait des dernières innovations techniques, préférant souvent les relations interpersonnelles, le contact direct et traditionnel avec les militants et les administrés – et logistiques, les appareils administratifs des partis ayant mis un certain temps à adopter les nouveaux outils de communication déjà répandus dans le monde du travail. Mais cette attitude apparaît de plus en plus injustifiée, et surtout intenable. Les exemples qui soulignent à la fois l’intérêt réel des citoyens pour les nouvelles technologies, et la puissance de ces outils, se multiplient. En France, la loi « hadopi » a marqué l’irruption du monde du net dans l’agenda politique. A l’occasion d’une émission relativement confidentielle, « Parlons net » , j’ai évoqué, au détour d’une phrase, la possible, probable, entrée de Claude Allègre au gouvernement. Ce qui avait été mentionné de manière informelle, presque comme une boutade, a dans les heures qui ont suivi pris une ampleur médiatique surprenante et déclenché un « buzz » relativement inattendu Cet évènement s’inscrit dans la continuité d’un processus qui, depuis quelques années, bouleverse les cadres de la politique, en modifiant la relation du citoyen à l’homme politique et l’élu. On est ainsi passé d’une relation principalement « descendante » (dont le Général Charles de Gaulle est l’archétype) à une relation bijective (expérimentée notamment par Ségolène Royal), voire triangulaire (portée notamment par Barack Obama). Rien ne serait moins opportun que de sous-estimer le changement qui s’opère dans la relation entre le politique et les nouvelles technologies. L’homme politique n’est plus dans une tour de verre, sa parole, son expression ne sont plus sacralisées. Pendant longtemps, l’objectif de communication d’un grand élu était de publier une tribune dans Le Monde ; aujourd’hui Barack Obama multiplie les vidéos courtes (5 minutes), mises en ligne sur YouTube – la « weekly address » qu’il a expérimentée dès janvier 2009 – pour privilégier une plus grande réactivité, une plus grande proximité aussi avec le citoyen, quitte à perdre en solennité. Dans ce domaine, dans d’autres aussi, nous avons beaucoup à apprendre de l’approche des nouvelles technologies élaborée par le Président américain. Je retiens à titre personnel du parcours exceptionnel du Président américain deux éléments : - Tout d’abord, nous avons probablement en France une leçon à retenir en matière de maîtrise de la communication politique. En mettant sur pied le premier réseau social « politique » (mybarackobama.com), il a démontré qu’il comprenait parfaitement les mécanismes d’appropriation / diffusion / viralité qui sont au cœur même d’Internet. Dans un pays de près de 10 millions de km2, qu’il est pratiquement impossible de sillonner en personne, il a su créer une relation quasi directe avec des millions de citoyens. C’est un succès majeur, dont nous devons nous inspirer ici. - Plus globalement, il a compris ce qu’Internet changeait en termes de gouvernance. Le Président américain ne se contente pas d’utiliser Internet, il intègre véritablement les nouvelles technologies à ses politiques publiques. Dans son schéma « d’empowerment » du citoyen, le
citoyen change de rôle : il n’est plus seulement « consulté », selon les procédures de « démocratie participative » traditionnelles, il est carrément « missionné » pour participer à la rénovation et à l’innovation. Retenons trois initiatives : - Le site Data.gov tout d’abord, réunit sur un même site Internet l'ensemble des informations et des bases de données aujourd’hui éclatées et dispersées dans les différents départements, agences et bureaux du gouvernement fédéral. On y trouve par exemple – au hasard – une base de données mise à jour chaque mois depuis 1987 par le « Bureau of Transportation Statistics » décrivant les causes de retards des vols aériens intérieurs, les aéroports et les compagnies concernés. Le site précise qu’il revient aux citoyens de suggérer les applications et les usages qui peuvent être faits de la masse d’informations ainsi rassemblées. - « Open Government Dialogue » est un site Internet qui organise une consultation publique en trois étapes sur la modernisation de l'administration – un des thèmes phares de la campagne du Président américain : foire aux idées, discussion sur le fond, et dernière étape, en mode wiki, qui doit aboutir à la corédaction du mode opératoire d'application des idées retenues et validées. - Le Département d'Etat enfin, a invité en mai les citoyens à jouer les ambassadeurs pour le compte des Etats-Unis, via une réflexion sur la "public diplomacy 2.0". Les "citoyens ambassadeurs" sont appelés à prendre part aux efforts diplomatiques de l'Amérique là où ils se trouvent dans le monde ou sur le web, comme jadis on dépêchait les missi dominici aux marges de l’empire. Cette démarche témoigne de la prise de conscience par un département pas toujours réactif du rôle stratégique que joue l'espace public numérique dans l’information et la cristallisation d’une partie de l’opinion publique internationale. Je n’ai pas la prétention de me compter parmi les pionniers politiques des nouvelles technologies. J’ai pu être auparavant réticent ; j’en suis aujourd’hui un partisan convaincu. Pour le politique, les nouvelles technologies représentent une opportunité formidable tout à la fois pour comprendre, convaincre et travailler. Reste qu’il ne faut pas confondre le fond et la forme, et que le net ne remplace pas la politique. Donner la parole et une forme de pouvoir de décision aux citoyens – le fameux thème de l’ « empowerment » si cher à Obama – n’exonère pas l’homme politique de ses responsabilités. Son rôle peut évoluer, subir une inflexion, se réorienter ; mais sa mission fondamentale demeure de proposer une orientation politique et stratégique globale. Soyons lucides sur la puissance, les potentialités, mais aussi les dangers inhérents à cette ouverture du net : le web est aussi le lieu de toutes les rumeurs, de tous les fantasmes, de toutes les dérives et toutes les calomnies, dues au manque de références, de contrôle des sources, à la plasticité des usages et du langage. Barack Obama a su prouver, de manière éclatante, qu’Internet est un outil fantastique pour mieux comprendre, mieux expliquer, mieux organiser, et rapprocher le politique du citoyen. Encore faut-il en comprendre les codes et les limites. I
Pierre Moscovici (Juin 2009)
Remerciements Bernard Vittrant a décidé cette année de ne pas se représenter à la tête de notre Association. Comme cela a été fait au Conseil d’Administration du 25 avril 2009, le nouveau Président Julien Lagier tient à remercier Bernard Vittrant pour les actions qu’il a conduites depuis cinq ans, tant au Comex où il a œuvré avec efficacité pour la création de Centrale Marseille Alumni que pour son action depuis deux ans en tant que Président. Tous les administrateurs, dont Jacques Dorne, s’associent aux remerciements faits à Bernard Vittrant pour son action passée, notamment lors de la création de Centrale Marseille, ayant abouti en un temps record au rayonnement de l’AIECM dans la communauté centralienne. Bernard Vittrant reste administrateur et pourra nous apporter tous les conseils qu’il souhaitera sur les nombreux dossiers que nous avons et aurons à traiter.I
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I- Une transformation sociétale irréversible
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Le nouveau pouvoir des conversations Nous vivons une époque fascinante. Avec Internet, révolutions technologique et sociétale se croisent et se répondent. Des lames de fond sont en marche. Et, pour la première fois dans l’histoire, l’humanité laisse une empreinte à la fois sensible et factuelle de sa marche vers l’avenir sur un média participatif, et non hiérarchisé. Le futur s’écrit à livre ouvert. D’où la nécessité de tenter d’interpréter micro et macro-tendances pour décrypter la matrice de ce monde qui s’invente, sous nos yeux, en temps réel. Alors que notre société connaît des ruptures sans précédent, son miroir technologique géant agit comme un bras de levier phénoménal. Et l’émergence du nouveau pouvoir des conversations est sans doute l’un des constats les plus importants à faire. Chaque « connecté » peut aujourd’hui éprouver le vertige de pouvoir dire son mot sur tout, comme de connaître le point de vue de chacun. Sur Internet, les contributeurs sont à égalité : un blog personnel peut égaler en influence un puissant site institutionnel d’entreprise. Renouant avec les idéaux démocratiques, ce nouveau paradigme rassemble aussi bien individualistes libertaires en conflit avec l’autorité, que promoteurs de nouvelles solidarités ou encore libéraux soucieux de transparence des institutions et des marchés, unis dans le projet d’une révolution internet au service des individus, des initiatives collectives et des libertés. Or, dans le même temps, de nouvelles dynamiques sociologiques s’affirment qui s’emparent de cette nouvelle possibilité de converser : montée en puissance des communautés, défiance à l’égard des médias, des pouvoirs publics, des entreprises et des marques, critique des excès du capitalisme financier, défense du pouvoir d’achat et du développement durable. Les nouvelles pratiques citoyennes des internautes trouvent écho dans la vie politique. L’initiative populaire – utilisée en Suisse et dans certains Etats des Etats-Unis et permettant à un groupe de citoyens d’obtenir par pétition l’organisation d’un vote au parlement ou un référendum sur un projet de loi, une révision constitutionnelle ou une demande d’abrogation de loi – progresse et est inscrite dans l’article 11 de la Constitution française depuis le 23 juillet 2008. Un projet européen prévoyait qu’une pétition signée par un million de citoyens européens pourrait être présentée devant la Commission Européenne. Nous assistons simultanément au développement rapide d’un troc planétaire qui fait une bonne place à la conversation : les échanges C2C (customer to customer), ventes directes entre particuliers, à prix fixe ou aux enchères. Comme l’a mis en évidence le cabinet Think-Out, nous sommes entrés dans le troisième âge conversationnel, celui des conversations numériques.
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Pendant des millénaires, l’humanité a fondé son développement sur les conversations, les échanges directs entre êtres humains au sein de petits groupes. Les conversations étaient à diffusion lente. Ouvrant une nouvelle ère, le « broadcast » des mass media a monopolisé la parole et s’est imposé par sa verticalité. Le diktat du journal de 20 heures et de la publicité en ont été les purs produits. L’émergence de nouveaux leaders d’opinion (entraînant des communautés ou mobilisant sur des causes un réseau mondial plat et maillé), de médias participatifs et de gigantesques espaces de dialogues communautaires, est la caractéristique du nouvel âge conversationnel. En 1999 déjà, Rick Levine, Christopher Locke, Doc Searls et David Weinberger écrivaient dans “The Cluetrain Manifesto” : « les marchés sont désormais des réseaux d'individus connectés les uns aux autres, rendus ainsi plus intelligents, et profondément unis dans un dialogue. Les marchés sont des conversations ! ». Cette vision nous éblouissait à l’époque ; elle est devenue réalité : bientôt 200 millions de blogs dont une estimation à plus de 70 millions pour la Chine uniquement, des forums et wikis sur tous les sujets, 4 milliards d’articles sur l’encyclopédie participative Wikipedia, un partage fluide des photos, vidéos (1 milliard de vidéos vues par jour sur YouTube) et autres supports multimédia, avec fonctions de géolocalisation et commentaires, des réseaux sociaux professionnels, d’amis (50 milliards de pages vues par mois sur MySpace), généralistes, verticaux, des chats, twitts et autres messageries instantanées permettant une connexion permanente à ses réseaux, des univers virtuels et de jeux en forte progression. On le voit, les outils d’expression individuelle et de mobilisation collective sont là. Le contexte socioculturel est favorable. Les nouvelles générations sont « digital natives » et adeptes de la multi-consommation médiatique (multitasking). La presse quotidienne nationale payante s’effondre, la télé ne fait plus son « show collectif live » que sur le sport (coupe du monde de rugby) et un débat « Sarkozy – Royal ». Les chiffres Audimat du 20 heures s’effritent. A contrario, un blogueur seul peut aujourd’hui interpeller sérieusement une marque, une personnalité, un média. Jeff Jarvis, ancien critique TV et blogueur reconnu, s’est exprimé en lettre ouverte pendant plusieurs mois sur le service consommateur, déplorable selon lui, de la firme Dell avant d’obtenir une réponse et un dialogue direct avec le CEO, Mickaël Dell. L’affaire a terni l’image de marque de la société. Dans un autre genre, une vidéo postée sur Internet montrant comment ouvrir un antivol Kensington en quelques secondes avec un simple rouleau de papier toilette, rappelle cruellement que la marque ne vit que par ses consommateurs. Chacun peut faire cette expérience au quotidien : 30% des 100 premières réponses obtenues en cherchant une marque sur Google sont des messages émis par des consommateurs. Les « consommacteurs » ont pris les clefs, et ils ne sont pas prêts de les rendre !
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Les nouvelles technologies du lien social Les marques ne peuvent donc plus ignorer les conversations en cours sous peine de réactions trop lentes ou trop « corporate ». Les mouvements communautaires sont rapides, le bouche-à-oreille marche à fond, et l’agilité est de mise. Ce n’est plus seulement un sujet de communication mais aussi de marketing. Les entreprises qui écoutent, ou donnent la parole, gagnent en temps, en acceptation et en efficacité.
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Plusieurs approches peuvent être utilisées pour écouter, participer ou organiser ces conversations et aller au-delà des services web 2.0 – jeux, vidéos, cours en ligne, conseils vidéo – déjà proposés par exemples par des marques comme Pampers, Nestlé, Blédina ou Nivea sur la cible des jeunes mères, ou Honda qui a revu la conception de ses mini-vans en y associant des mères de famille. Ainsi, les premières plateformes de conversations d’entreprises exploitent le potentiel de bonnes idées et de rebonds des écosystèmes business. Que ce soit en mode intranet dans un ministère, dans le cadre de la préparation d’un forum économique pour le premier assureur espagnol Vida Caixa1 ou encore dans une démarche de co-innovation et feedback avec ses clients à la SNCF2, l’instinct de conversation est mis à contribution d’une démarche de progrès collective. Selon Olivier Ricard, concepteur du service TalkSpirit, « les conversations offrent aux entreprises de nouvelles opportunités puissantes d’associer leurs clients à leurs réflexions pour mieux développer leur business ». Mais le modèle de fédération des commentaires spécifiques à un produit, un service ou une marque sur un terrain neutre fonctionne également très bien. Tripadvisor est un exemple vertical réussi dans le secteur des prestations de voyage. Getsatisfaction, généraliste, propose même en marque blanche un service web de self care par la conversation pouvant si besoin intégrer les échanges trouvés sur Twitter. Bien sûr, écouter ne suffit pas. La création « disruptive » sera toujours nécessaire. Ce n’est pas Steve Jobs qui nous contredira. Et dans ce cas, le buzz de l’innovation vaut toutes les campagnes marketing. Mais comme nous le montre le site Eyeka, les internautes savent aussi produire des idées pour les marques. Finalement, rien n’arrête les conversations. Elles se fluidifient, s’agrègent, font progresser la pertinence, l’intelligence et réchauffent un média technologique froid. La pré-
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cision de ces interactions en chaîne, leur force, sont étudiées de plus en plus finement. Le système « who’s hot » – widget d’Alenty.com – permet par exemple aux blogueurs de gagner en notoriété, de découvrir l'audience de leur blog et de faire connaissance avec leurs visiteurs. Chaque contenu est mesuré en audience au millimètre – une bannière de pub vue à moitié quelques secondes ne sera pas comptée de la même manière que si elle est en plein écran – et l’on peut imaginer un web qui fasse ressortir avec précision – police de texte proportionnelle à la notoriété par exemple – les éléments les plus consultés. D’autres systèmes tels que Digg (vote sur la qualité des contenus) ou del.icio.us (social bookmarking) contribuent à qualifier l’information pour que le meilleur émerge. C’est dire l’extraordinaire capacité d’intelligence collective qu’offrent déjà ces réseaux de conversation. La mesure du retour sur investissements est d’autant plus importante que ces derniers explosent. La marque CocaCola voit par exemple son budget média multiplié par 2,5 sur Internet en un an à 25%, avec notamment Happiness Factory 2, sa fameuse campagne événementielle 2007. Mais on ne contrôle pas une conversation, on y participe ! Et l’on peut se dire que si un réseau humain se renforce au travers d’une marque, elle se différenciera de façon décisive. Ce type d’enjeu est nouveau, difficile à appréhender et demande assurément une stratégie et des acteurs spécifiques au sein de l’entreprise. Quels sont les lieux de conversation ? Faut-il en créer d’autres, des spécifiques ? Où sont les benchmarks et que font-ils ? Enfin, quelles sont les postures à adopter ? Et pour quel résultat ? Autant de questions qui finiront par faire passer les marques de la grande consommation à la grande conversation ! I Luc BRETONES (96) Représentant Institut G9+ et co-animateur Essec Business & Technologie et Centrale Marseille IT, Stéphane DIEUTRE Directeur Associé de Think-Out (études marketing et consulting)
1 - http://www.forocomisionescontrol.net/ 2 - http://www.tgvlab.com
Les influences entre Internet et la société L’individualisation de notre société et la primauté de l’ego cohabitent avec une intelligence collective et collaborative permise avec Internet où chacun consacre du temps - ou du moins est sensible - à des causes qui concernent un grand nombre d’individus (par exemple le développement durable).
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Avec Internet, il devient nécessaire de maîtriser le temps, l’espace, les contenus, les supports, la mémoire, les liens et les parcours. Plus globalement, la maîtrise de l’information devient crucia-
le. Internet et plus généralement les NTIC ont des impacts considérables sur la société. Mondes physique et virtuel s’interpénètrent et des habitudes observées dans le monde virtuel ont des impacts dans le monde physique et vice versa. Les changements qu’Internet apporte à la société Internet redistribue les pouvoirs et plus particulièrement avec le Web 2.0 où les relations deviennent de m à n personnes sur les différents outils (blogs, wikis, réseaux sociaux, etc.). Le principe d’égal à égal que l’on connaît dans les réseaux P2P se retrouve dans la société avec la
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Les nouvelles technologies du lien social tendance à l’aplatissement et au décloisonnement des structures hiérarchiques, au travail en mode projet dans l’entreprise. Des communautés d’intérêts au sein des entreprises et organisations avec des buts communs apparaissent. Les approches descendante et hiérarchique sont toujours valables mais les effets se combinent avec la culture projet. Des rencontres virtuelles faites sur les réseaux sociaux peuvent déboucher sur des rencontres dans le monde physique. Les réseaux sociaux développent l’envie de faire du networking et de maintenir un lien avec ses relations. Par exemple, dire ce que l’on est en train de faire, afficher des informations sur son Wall sur Facebook. Les réseaux sociaux et les moteurs de recherche peuvent aussi permettre de retrouver des personnes perdues de vue dans le monde physique. Des comportements constatés sur le Web ont des impacts sur la façon d’agir en société. Les outils génèrent des réflexes conditionnés. On constate les syndromes du « T’es où ? » avec les téléphones portables et du « Qu’est-ce que tu fais ? » avec le micro-blogging, Twitter et certains réseaux sociaux. Le copier-coller (Word) et le double-clic (souris) modifient également nos comportements en société avec la réutilisation de travaux précédents et la vérification/validation de certaines actions. La recommandation est importante dans l’acte d’achat, qui plus est si elle émane non d’un canal publicitaire mais d’un internaute consommateur. Des études estiment qu’un internaute sur deux est influencé dans les commentaires qu’il peut lire (TripAdvisor pour les voyages ou Amazon pour les produits culturels par exemple). Les achats peuvent aussi bien se matérialiser sur Internet que dans une enseigne physique après collecte d’informations sur le Web. Avec la longue traîne, l’ensemble des titres devient accessible et l’internaute peut trouver exactement ce qu’il cherche ou presque. Il peut même aller jusqu’à fabriquer les objets qu’il souhaite à la demande (Myfab) ou les créer (CrowdSpirit) ou donner vie à des idées (Ponoko) grâce à la communauté des internautes. Il s’agit d’un nouveau marketing collaboratif où il est possible de commercialiser des services rêvés. Plus généralement, les outils sont utilisés selon les besoins et il en va de même avec les logiciels avec l’essor du SaaS1 en devenir. À partir d’articles publiés sur le Web, le journal Vendredi, disponible en kiosque, est réalisé. La société évolue avec Internet Les médias traditionnels sont en perte de vitesse. La presse décline ses titres sur Internet et on y voit apparaître une forme de journalisme citoyen. Toutefois, parmi les blogueurs, on retrouve des journalistes. Notons que, sur les sujets de société, l’agenda reste déterminé par les médias. Et les internautes (par exemple sur Agoravox ou rue89) se positionnent généralement sur les sujets définis par l’agenda médiatique. L’influence sur le Web a remplacé l’autorité ce qui nécessite de faire du buzz et de le maîtriser. Dans la société, ceci se retrouve en politique où les discours de fond sont habilement supplantés par ce que les citoyens préfèrent entendre. Surveiller ce qui se dit (blogs, forums) peut permet-
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tre à certains politiques de collecter des informations utiles pour leur action (de même pour le top management en entreprise sur les intranets et outils 2.0 qui se développent encore timidement). Déceler des signaux faibles peut se révéler un précieux allié pour anticiper les tendances émergentes et influer la prise de décision.
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Le cycle de la version bêta perpétuelle (par exemple Wikipédia ou Google) pousse certains cadres à sans cesse améliorer leurs rapports. Les entreprises sont de plus tentées de faire appel, grâce à Internet, à des contributions extérieures avec le crowdsourcing2. Des forums des utilisateurs voient le jour avec des problèmes exprimés par les clients et la communauté des utilisateurs y répond. Free avec www.aduf.org ou Apple se sont ainsi adaptés aux nouvelles pratiques autour de l’échange de leurs clients qui s’expriment pour canaliser les problèmes et éviter que leur mécontentement soit incontrôlable. Des économies sur le SAV de l’enseigne en découlent. Les services autour du Web 2.0 évoluent très vite. Si une entreprise ne prend pas le virage suffisamment tôt, elle est vite éclipsée. La génération Y, en particulier, est une clientèle infidèle, adepte du zapping. Des mouvements de masse sont rapides. Et un outil peut vite être délaissé pour un autre (par exemple MySpace devenu « has-been »). La communication est abrégée et va à l’essentiel (emploi massif des abréviations notamment pour l'écriture des SMS et des méls) et les dictionnaires traduisent ces évolutions avec l’intégration de nouveaux mots de geeks3 dans leurs nouvelles éditions. Conclusion Les frontières entre la vie professionnelle et la vie personnelle ainsi qu’entre le monde physique et le monde virtuel s’estompent. Il devient nécessaire d’avoir une culture générale numérique et des méthodes et outils pour maîtriser l’information dénichée sur le Web et ainsi avoir un jugement critique sur l’information trouvée dans le flot informationnel que constitue le Web et ce d’autant plus que les résultats qui arrivent en premières positions de Google ne sont pas forcément les plus pertinents mais les plus populaires. Dans ce contexte, il est capital de garder un bon équilibre entre vie physique et vie virtuelle pour ne pas devenir cyberdépendant ni rester en marge des évolutions numériques de notre société.I David FAYON (ENST, ENSPTT, IAE de Paris) est expert NTIC. Il s'attache à la révolution numérique sous ses trois composantes interdépendantes : technique, organisationnelle et humaine. Membre de Renaissance numérique et d'ISOC France, il est auteur de "Clés pour Internet" et "Web 2.0 et au-delà", Economica. Son blog : http://livres-internet-web.over-blog.com Son site : http://david.fayon.free.fr
1 - Le Software as a Service (SaaS) est une technologie consistant à fournir des services ou des logiciels informatiques par le biais du Web et non plus dans le cadre d'une application de bureau ou client-serveur. Ce concept, apparu au début des années 2000, prend la suite de celui d'application service provider (ASP). 2 - Néologisme conçu en 2006 par Jeff Howe et Mark Robinson, rédacteurs à Wired magazine, le crowdsourcing consiste à utiliser la créativité, l'intelligence et le savoir-faire d'un grand nombre d'internautes, et ce, au moindre coût. 3 - Geeks ou nerd : termes anglosaxons désignant des passionnés de technologies de l’information au sens technique du terme.
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Si je n’engage pas de conversations, je n’existe pas ! Corinne DENIS Directrice des éditions numériques Groupe Express-Roularta Le groupe multimedia belge l’Express Roularta1 est composé de plusieurs pôles : déco (Côté Sud, Est-Ouest, Maisons de France…), news (L’Express…), Eco (l’Expansion, l’Entreprise, Mieux vivre votre argent…), Culture (Classica, Lire, Studio Ciné Live…), Féminin-people (Point de vue…), Etudiants (l’Etudiant, Transfac). Corinne DENIS dirige la Business Unit activités numériques de la filiale française du groupe. Cette entité, qui regroupe 45 personnes, gère à la fois les sites des marques papier et un portail Internet dédié aux activités numériques. Ce portail est décomposé en 3 pôles : NewsCulture, Economie et Femmes. AIECM – Le Web révolutionne le monde de l’information. Quelle réponse les groupes de presse préparent-ils pour continuer d’exister ? La première version du site de l’Express a été créée en 1994 sur Compuserve, une plateforme payante. C’était le premier site d’information français ! Les sites des divers groupes de presse, comme celui de l’Expansion, ont fusionné au fur et à mesure de leur entrée dans le groupe l’Express. Les groupes de presse vivent actuellement une véritable mutation. Pour la réussir, outre votre capacité à convaincre et embarquer dans votre vision ceux qui font du papier, il vous faut le soutien des marques. L’activité Internet doit être originale, ne pas se réduire à mettre en ligne les articles de la presse papier. Nos lecteurs nous formulent des demandes spécifiques sur le web. Ils veulent de l’actu chaude, une mise en ligne immédiate de l’information, mais aussi des débats, du recul, de l’analyse et du décryptage de l’actualité. Les internautes attendent de nos portails Internet une véritable différenciation. Nous avons développé une marque à part entière sur ce nouveau support. Nous nous servons de l’information produite par le groupe. Mais pas uniquement. Nous produisons notre propre information à l’aide d’une équipe de journalistes et des internautes. Nous organisons des conversations, créant ainsi de la proximité avec nos lecteurs en leur donnant la parole. Enfin, nous avons créé des services dédiés, comme l’aide à la création d’entreprise, la mise en relation avec des experts… AIECM – Comment organisez-vous les conversations sur vos portails ? Si je n’engage pas de conversations, je suis un simple site compagnon, pas un site Internet et je n’existe pas !
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Hier, notre activité se résumait à créer puis à diffuser de l’information, de l’expertise que les gens achetaient en kiosque. Aujourd’hui, nous travaillons avec la blogosphère. Nous donnons la parole aux blogueurs qui deviennent de véritables éditeurs de contenu, suivant une charte de bonne conduite édictée par mes services. Telle Géraldine Dormoy, animatrice du blog Café Mode sur la plateforme l’Express Styles, très influente sur sa communauté. Les journalistes doivent comprendre qu’ils ne sont plus uniquement des diffuseurs d’information. Ils deviennent des animateurs, des débatteurs d’actualités. Ils doivent porter leur communauté, la faire vivre. Ainsi, ils lisent les commentaires suscités par leurs articles et participent à la conversation en prolongeant le débat. Ils peuvent également inciter les internautes les plus pertinents à s’inscrire sur l’Express Styles pour y ouvrir un blog, un peu à l’image de la plateforme Mediapart fondée par Edwy Plenel. L’Express est très actif dans l’animation des conversations. En ce moment, nous construisons une nouvelle communauté autour de la Culture. Les internautes peuvent s’inscrire sur notre plateforme, échanger un peu comme sur Facebook, et publier des notes et des commentaires. Ils peuvent même décider de virer l’animateur ! Enfin, les internautes peuvent également acquérir des droits d’animation sur des domaines secondaires. AIECM – Que pensez-vous des réseaux sociaux ? Les utilisez-vous dans votre vie professionnelle ? Les journalistes aiment beaucoup ces outils. Christophe Barbier2 anime un groupe Facebook. Je suis présente sur Facebook, LinkedIn et Viadeo. Les réseaux sociaux sont des outils formidables pour récupérer de l’information, mener un début d’enquête. Car malgré tous les efforts que nous pouvons déployer, plus personne ne maîtrise son image numérique ! Les journalistes entretiennent une veille permanente sur ces outils. Ils twittent3 l’actualité en temps réel, utilisent les réseaux sociaux pour garder le contact avec leurs confrères ou encore s’en servent comme d’un CV pour trouver des piges. AIECM – Et la vidéo ? Nous produisons environ 60 vidéos par mois. On pourrait en produire beaucoup plus, mais ça coûte très cher ! Il vous faut des équipes de tournage, de montage, du matériel… La rentabilité est très difficile à atteindre sur ce support. C’est pourquoi nous développons actuellement des techniques de production de vidéos low cost. Nous avons également développé un partenariat avec DailyMotion. I Interview réalisée par David BOURGEOIS (96)
1 - L’Express Roularta édite des magazines, des journaux de petites annonces et des journaux gratuits, possède des chaînes de télévision et de radio, organise des salons et distribue des produits dérivés. 2 - Directeur de la rédaction de LExpress.fr 3 - Usage d'un outil de réseau social et de microblogage qui permet à l'utilisateur de signaler à son réseau « ce qu'il est en train de faire ».
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Connectez-vous à la grande conversation du Web ! Philippe PINAULT Président-Fondateur de blogSpirit Philippe est un serial entrepreneur. Ce trentenaire pressé et décidé fourmille d’idées. Ce qui lui manque le plus ? Du temps pour les développer toutes ! Philippe crée sa première société en 1999, alors qu’il est encore étudiant en seconde année aux Mines d’Alès. Malheureusement, le marché encore balbutiant du commerce en ligne, la visibilité réduite et les coûts importants conduiront cette première aventure BtoC1 à l’échec. Qu’importe ! Philippe, en bon entrepreneur, ne se résigne pas. Entré en Mastère entrepreneur à HEC, il fonde en 2001 sa seconde société, Mandarina. A la conquête cette fois du marché BtoB2, il se spécialise dans la vente de logiciels de commerce électronique (boutiques en ligne) et le développement d’outils de gestion de back-office sur mesure dans des domaines aussi divers que les Ressources Humaines (gestion de CV) ou encore la GED3. Il mène en parallèle une évangélisation du Web dans les écoles de commerce françaises. En 2004, il effectue un benchmark international de ce qui émerge. Trois services retiennent son attention : les réseaux sociaux, les blogs et le partage de vidéos. Il décide de reprendre HautetFort et crée en octobre 2004, avec son associé Olivier Ricard, la plateforme de blogs en marque blanche blogSpirit. Fort de son back-office de gestion de la plateforme conçu sur mesure pour les community managers4, blogSpirit a convaincu une soixantaine de clients prestigieux. AIECM - Quel est le modèle économique de blogSpirit ? Nous avons démarré blogSpirit avec un capital de 16 000 € en 2004. Bénéficiaire depuis sa création, la société est autofinancée. Aujourd’hui, blogSpirit réalise près de deux millions d’euros de chiffre d’affaires, grâce à la vente de licences, sous forme d’abonnement en mode SaaS5, et de services d’intégration clé en main. AIECM - Pouvez-vous nous décrire votre vision de l’Internet ? En 1999, The ClueTrain Manifesto6 décrivait déjà le Web comme une immense conversation. Il aura toutefois fallu dix ans pour en arriver là ! Souvenez-vous des premiers
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BtoC = Business to Customer, activité à destination des particuliers BtoB = Business to Business, activité à destination des professionnels GED = Gestion Electronique de Documents community manager = gestionnaire de communauté Le Software as a Service (SaaS) est une technologie consistant à fournir des services ou des logiciels informatiques par le biais du Web et non plus dans le cadre d'une application de bureau ou client-serveur. Ce concept, apparu au début des années 2000, prend la suite de celui d'application service provider (ASP). 6 - Manifeste regroupant 95 thèses, écrit par Rick Levine, Christopher
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sites Internet. L’interactivité était assez limitée. Pour en arriver à la prédiction des auteurs de la référence du Web, nous sommes passés en dix ans par quatre étapes de maturation. 1 - Entre 1999 et 2003, c’est l’ignorance. Personne ne croit en cette thèse. 2 - En 2004, le NON fait place à la curiosité. Les premiers blogs apparaissent, répondant à un enjeu sociétal pour l’internaute qui a besoin d’exister et de maintenir le contact avec son réseau. Ce nouveau mode de communication prend comme un feu de paille. Les ados se l’approprient pour faire de leur journal intime leur vitrine sur la toile. Skyblog surfe sur la vague et devient très populaire auprès de cette tranche de population. 3 - En 2006, l’intérêt gagne. On ne peut plus ignorer ce qu’on dit de nous sur Internet. Cette mode des blogs transformée en véritable lame de fond mérite qu’on s’y intéresse. Tout le monde veut comprendre. De grandes études sont confiées aux agences de communication et de publicité. L’eréputation7 est née ! Les marques veulent savoir ce qui se dit sur elles, qui parle ; elles veulent tracer toutes les conversations, positives et négatives. 4 - 2009 est l’année de l’action. L’accélération des changements de mentalité se fait sentir depuis le début de cette année. Tout le monde veut se connecter à la grande conversation du Web. Cette accélération récente appelle deux stratégies. Vous pouvez décider d’aller là où sont les communautés, c’està-dire sur les plateformes de réseaux sociaux. Et mener une campagne de Relations Publiques en ligne, faire du buzz-marketing8… Seul hic : le Web est un véritable chaos, totalement déstructuré. Si vous souhaitez repérer les dix bloggers qui comptent pour votre marque, je vous conseille de les attirer chez vous et de vous impliquer. Choisissez une plateforme que vous animez, donnez des outils à vos ambassadeurs pour qu’ils vous représentent, qu’ils parlent de votre marque. Offrez aux internautes la possibilité de noter les billets publiés. Préférez enfin une plateforme disposant d’un back-office solide vous offrant maîtrise, compréhension et animation. AIECM - Que sera le Web dans dix ans ? En 2015, l’actuelle génération Y9 arrivera aux responsabilités. Une génération sensible à ces sujets, qui a grandi avec les réseaux sociaux Facebook et autres Twitter10 ou Seesmic11. Une génération qui fera du Web une immense conversation globale.I Interview réalisée par David BOURGEOIS (96)
Locke, Doc Searls, et David Weinberger. 7 - E-réputation = réputation en ligne, sur Internet 8 - Buzz-marketing : Le buzz (anglicisme de bourdonnement) est une technique marketing consistant, comme son nom l'indique, à faire du bruit autour d'un nouveau produit ou d'une offre. Proche du marketing viral, il en diffère par la maîtrise du contenu (message publicitaire). 9 - Les Anglo-Saxons l’appellent Youth Generation, c’est-à-dire les jeunes actifs de moins de 30 ans. 10 - Service de réseau social et de microblogging. 11 - Service de blogs vidéos lancé par Loïc Le Meur en 2007.
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Les nouvelles technologies du lien social
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Le Web qui crée du lien social : les exemples de Last.fm et Hospitality Club De nos jours, quand on parle de Web 2.0, la première idée qui surgit est celle des réseaux sociaux à usage personnel ou professionnel. Toutefois, la palette s’étend lorsqu’on imagine l’ensemble des services offerts par Internet et orientés utilisateur. Voici la présentation de deux de ces sites pourvoyeurs de lien social et qui ont innové sur la base de services préalables au Web tout en se servant des outils mis à leur disposition par les nouvelles technologies. Depuis Edison et la RTF, la radio a bien évolué. Les moyens d’écouter de la musique chez soi ou en nomade ont changé. On parle aujourd’hui beaucoup du streaming et les radios web se sont multipliées, offrant une myriade de choix aux utilisateurs. Mais qu’il s’agisse de la radio traditionnelle ou des radios web, les choix de programmation sont toujours laissés à des équipes qui les déterminent sur la base de critères forcément subjectifs : popularité d’un titre ou d’un artiste, politique musicale de la station, accords avec certains labels… On est toujours dans une logique de diffusion univoque, où un petit nombre de personnes décide de la musique qui sera écoutée par un grand nombre d’auditeurs. Ces dernières années, un nouveau type de radio a fait son apparition, il s’agit des services de radio personnalisables et communautaires. Le site last.fm en fait partie. Avec last.fm, on aborde un niveau de personnalisation très fin puisqu’il n’existe plus une radio mais autant de radios que d’auditeurs. Fondée par Felix Miller et Martin Stiksel au début des années 2000, la radio innove véritablement lorsqu’elle incorpore la technologie de l’audioscrobbling inventée par Richard Jones dans sa chambre d’étudiant aux Etats-Unis. Cette technologie repose sur une reconnaissance d’un flux musical écouté, que ce soit sur la version flash du site last.fm ou dans le logiciel client installé chez l’auditeur ou même, et c’est là tout son intérêt, dans le baladeur numérique ou le lecteur multimédia de son choix. Chaque morceau écouté pendant suffisamment de temps est « scrobblé », c’est-à-dire que les informations le concernant (Artiste, Titre, Album, Pochette…) et celles concernant l’utilisateur enregistré sur last.fm sont récupérées par le
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Felix Miller, Martin Stiksel et Richard Jones, fondateurs de Last.fm.
serveur pour établir un profil d’écoute musical. A mesure que l’auditeur écoute des morceaux sur son ordinateur et que son profil s’étoffe, un algorithme d’intelligence collective permet de proposer à cet auditeur des morceaux correspondants à ses goûts musicaux lui permettant ainsi de découvrir des artistes méconnus car peu médiatisés ou des titres inconnus d’un artiste qu’il apprécie. Mais la dimension sociale de cette radio d’un genre nouveau prend tout son sens avec la création de communautés : chacun peut entrer en contact avec des voisins définis comme « des auditeurs ayant des goûts musicaux similaires aux siens », ou de faire partager à ses « amis » choisis, certaines découvertes musicales. L’interactivité est massivement utilisée sur last.fm puisque les utilisateurs peuvent commenter les morceaux, se les recommander entre eux, annoncer leur participation à des concerts dans une ville où l’artiste se produit et écrire les biographies d’artistes grâce à la méthode collaborative du Wiki, popularisée par Wikipedia. La communauté dépasse sa dimension virtuelle lorsque des groupes de voisins se retrouvent pour un concert dans la vraie vie, faisant connaissance, pouvant devenir vrais amis, prolongeant les conversations qu’ils ont pu avoir en ligne. C’est ainsi que, partant d’un site de radio web, les liens sociaux entre les individus se développent autour de goûts musicaux et d’intérêts communs. Voici donc un exemple de service communautaire totalement personnalisable qui permet, à la fois aux passionnés de musique de découvrir de nouveaux artistes et aux simples auditeurs curieux, de faire de nouvelles connaissances. Dans le même esprit, un site internet de partage d’hébergement a vu le jour à la fin des années 90. Veit Kühne, un internaute allemand engagé, a vu l’intérêt que pourraient tirer d’Internet des voyageurs répartis à travers le monde. Il s’agissait « de mettre en relation des personnes avides de rencontres et de découvertes » pour trouver des hébergements gratuits et il a fondé le site Hospitality Club. Le concept de ce site est simple : je planifie un voyage au Vietnam. Je vais donc rechercher ceux qui, parmi les utilisateurs inscrits dans ce pays, sont susceptibles de m’accueillir et je vais leur adresser un message en leur demandant s’ils peuvent m’offrir un toit pour la période considérée. En retour, lorsque des voyageurs visiteront ma ville, je leur offrirai le même service. L’idée de réciprocité est simple mais encore fallait-il la mettre en œuvre. Le site est donc formé d’une grande communauté d’utilisateurs enregistrés dans différents pays qui utilisent la messagerie, le chat, les forums pour échanger et se contacter lorsqu’ils ont besoin d’être hébergés quelque part dans le monde. Outre son intérêt économique manifeste pour les voyageurs à petit budget, ce site permet surtout de rencontrer des personnes de cultures et d’environnements extrêmement variés et de partager l’espace de quelques jours des conversations passionnées et des points de vue sur le monde.
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Les nouvelles technologies du lien social Ce concept s’étant développé par le bouche-à-oreille, la communauté des membres d’Hospitality Club organise régulièrement des rassemblements dans certaines villes afin qu’accueillants et accueillis se rencontrent et échangent sur les pays visités. Pour ses fondateurs, le concept de confiance était fondamental à l’origine. Il s’agit d’accueillir quelqu’un dont on ignore tout au départ. Pour cela, un système de recommandations a été mis en place afin de permettre aux membres d’indiquer s’ils font confiance à telle personne, s’ils ont été son hôte ou son invité et de laisser un commentaire. Ainsi, lors d’une nouvelle demande, un hôte peut aller vérifier le sérieux d’une personne sur le site. Nous avons également posé la question à Jean-Louis Pagès, co-auteur avec Jean-Yves Hégron d’un ouvrage sur les nouvelles formes de voyage : Voyager presque gratuit. Il s’est penché sur les sites comme Hospitality Club ou Couch Surfing. Selon lui, « ces sites ne sont que la continuité d’une cinquantaine d’autres et ont tous pour but de mettre en relation des voyageurs. On peut citer Pasporta Servo qui réunit les Espérantistes du monde entier ou encore WAYN, acronyme de « Where are you now ? », qui regroupe quelque 15 millions de membres et dont un Marseillais, Jérôme Touzé, est à l’origine ». Cependant, pour Jean-Louis Pagès, le passage du papier à l’internet « s’est accompagné d’une perte en ligne idéologique au cours du temps. Les communautés qui existaient avant l’arrivée de ces sites étaient basées sur des convictions idéologiques fortes : pacifistes, écologistes et le terme de «communauté» prenait vraiment son sens : Cercle des cyclistes, communauté homosexuelle… Tous avaient des points communs entre eux avant le goût du voyage ». Le site Servas France, par exemple, abrite notamment une communauté de pacifistes. « Aujourd’hui, des gens qui sont attirés par un site comme Couch Surfing (CS) recherchent plus une solution d’hébergement économique. Et si CS connaît du succès aujourd’hui, c’est grâce à son côté très corporate à l’instar des grandes entreprises américaines » nous indique-t-il.
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Bien entendu, Hospitality Club fait un usage important des contenus utilisateurs : profils des membres, groupes, forum, commentaires sur les autres membres, la communauté s’enrichit de ses membres chaque jour un peu plus et fonctionne finalement bien. Couch Surfing atteindra 1 million de membres en mars 2009. « Mais ces sites restent très ancrés dans une technologie 1.0. Ils n’ont pas franchi de cap majeur » nous rappelle Jean-Louis Pagès. Des sites comme WAYN ou le récent site brésilien Yowtrip sont plus avancés sur ce point. WAYN n’offre d’ailleurs pas que l’hospitalité mais également un réseau social de plusieurs millions de membres.
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Pour Jean-Louis Pagès, « le Web 2.0 marque une véritable révolution sociétale dans la façon de voyager. Dans un avenir proche, on peut imaginer qu’il n’y aura plus besoin de préparer autant son voyage en amont pour trouver un hôte. Via les terminaux portables, le voyageur sera géo-localisable et pourra trouver dans un rayon de quelques kilomètres où qu’il se trouve, les hôtes disposant d’une place disponible et les prévenir directement ». Aujourd’hui, Hospitality Club et autres émules n’ont pas de but lucratif. Des volontaires animent donc la communauté. Chez Hospitality Club, chacun est responsable d’un aspect du site en particulier et de ses relations avec l’extérieur. On peut s’interroger sur la pérennité de sites qui n’offrent pas de business models pour durer. Couch surfing qui demande une donation pour accéder à certaines fonctionnalités et être un membre « vérifié » a fait montre d’un modèle économique plus entrepreneurial. Et ceci fonctionne. D’après Jean-Louis Pagès, « ces sites ont encore des chances d’exister s’ils développent des technologies performantes et novatrices. L’idéologie n’a pas besoin d’être le ciment de ces communautés. En revanche, pour les sites dont le but premier n’est pas la recherche de voyages à bas coût mais de permettre aux gens de se retrouver autour d’autres centres d’intérêt, ces sites-là n’ont pas vocation à disparaître. L’important est d’avoir de la biodiversité dans un réseau conclut-il et on a parfois plus de diversité dans un réseau d’une centaine de membres que dans un hub de 15 millions. C’est cette biodiversité qui va subsister ». Finalement, l’expérience Hospitality Club nous montre qu’après plusieurs années, la communauté continue d’exister et croît même régulièrement. Ceci pose donc la question de la viabilité de communautés qui ne sont pas guidées par le profit mais par une expérience humaine de partage et de solidarité. Les contours du web social sont dès lors bien définis.I Vianney MEUNIER (02) Vice-Président Développement International de l'AI ECM Project manager à Air Liquide
L Jean-Louis Pages,
co-auteur du livre « Voyager presque gratuit ».
[email protected]
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II- La fin de l’adolescence du web et de la petite enfance du mobile L'avenir de la technologie, c'est "pas de technologie" ! Christophe AGNUS Fondateur, CEO de Nautilus Medias, entreprise plurimédia. Rédacteur en chef du magazine Nautilus. Ancien fondateur, Président, CEO de Transfert SA, rédacteur en chef du magazine Transfert et Transfert.net (Best French Media Web Site Award in 2000 and 2001), ancien rédacteur principal pour le magazine L'Express, co-fondateur de l'édition en ligne de L'Express en 1995. AIECM - Pouvez-vous nous décrire votre découverte d’internet, l’époque pourtant récente à laquelle les sceptiques étaient légion ? Je me souviens très bien des années 1992-94. A cette période, j’accédais au réseau en mode shell – en code pour faire du goffer, du ftp ; c’était avant Mozaïc. On payait 100 francs l’heure de connexion par crédit de 10 heures ! J’ai encore en tête mon retour des USA en 91 avec un modem à 2400 bauds dans mes bagages ! Deux fois plus rapide que le minitel. Pensez, pour l’anecdote, que j’ai été l’un des 5 premiers abonnés français à Internet grand public, via FranceNet à l’époque. C’était le 12 juin 1994. La photo des cinq premiers abonnés est passée récemment dans Paris Match, quand ils ont fait un dossier sur les 20 dernières années. FranceNet s’est lancée avec un kit à 1440 bauds. Les sociétés WorldNet, Oléane et Imaginet se sont lancées au même moment. J’ai créé « Transfert », un magazine en ligne qui traitait de l’évolution de la société par le prisme des nouvelles technologies. La page d’accueil du site ne devait pas dépasser 70Ko. Tous nos contenus étaient « pesés » en regard des débits accessibles par les internautes (débit de 56k). En 1994, Internet était perçu comme un truc de nerds1, d’Américains, et la plupart des observateurs disaient « cela ne viendra jamais chez nous... ». En 1995-96, les premières vraies propositions d’e-commerce sont apparues sur Internet. Les gens ont juré pendant longtemps que jamais ils n’achèteraient sur le net. En 1995, alors que j’étais reporter pour L’Express, nous avions obtenu 30 abonnements Compuserve gratuits pour les journalistes. Nous n’étions arrivés à en distribuer que 12 ! Cela n’intéressait pas grand monde. Le terme « JAMAIS », je l’entendais en permanence, et dès que quelqu’un le prononçait, je répondais : « notez bien ce qu’il vient de dire » !
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Concernant Internet, on ne dit pas « jamais » mais plutôt « pas aujourd’hui, mais demain je ne sais pas... ».
En 1999-2000, les investissements dans Amazon étaient jugés comme pure folie. Le fait qu’une société aussi innovante reste 4 ans sans générer de bénéfice créait l’émoi. Mais combien savent qu’une célèbre marque de magasins, Le Printemps, a mis 11 ans pour son ROI2? Il fallait donc y croire contre tout le monde dans les années 90. Rafi Haladjian, Patrick Robin et Xavier Niel ont fait de l’argent dans les services minitel et ce sont ces entrepreneurs qui ont financé le lancement des premières offres Internet grand public. AIECM - Comment analysez-vous l’évolution du rapport des marques à l’Internet ? Je prendrai un exemple significatif qui illustre le bouleversement qu’Internet a provoqué dans ce domaine : Nike investissait dans les années 90 20% de son budget de promo dans la création et 80% dans la diffusion. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Ils lancent leur film et laissent les gens le diffuser par viralité. Ils ont radicalement changé leur structure de coûts et testent largement les films. Je l’ai appliqué une fois à mon magazine de mer « Nautilus ». Ce sont les internautes qui ont choisi la couverture entre 5 propositions mises en ligne. Il n’y a pas une grande marque qui n’utilise aujourd’hui la viralité, les réseaux sociaux. Il n’y a plus de certitude, plus de « pape de la communication ». Les labos sont partout ! Avant, les communicants mettaient des sommes énormes dans des campagnes, puis allumaient un cierge en espérant que cela marche. Nous vivons actuellement en flux tendu avec une analyse permanente de la performance. Second Life est à ce titre un bon labo d’essai pour voir ce qui a du succès avant de généraliser. Mais la plupart des entreprises et des marques utilisent mal le potentiel d’Internet. Si vous allez jusqu’au bout de la logique web2, vous acceptez les critiques, et donc pas forcément celles qui sont positives... Cela demande du courage et de l’implication. C’est la raison pour laquelle les marques choisissent souvent des dispositifs qui ne permettent pas une véritable conversation et des réponses ouvertes. Certaines au contraire, décident de le faire et l’assument. Ces dernières sont encore minoritaires. En effet, la nature des sociétés commerciales n’est pas de s’exposer mais de s’imposer ! Un exemple : on a ainsi vu fleurir le concept d’« Evénement », décliné en « livre événement », « disque événement », « film événement ». Ces lancements sont appuyés par des financements très importants. Et tout obstacle à leurs succès est farouchement combattu. Lors de la sortie du film Germinal de Claude Berry, Gérard Lefort, journaliste à Libération, a sorti un papier qui disait
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Les nouvelles technologies du lien social en substance « on n’a pas aimé le film ». Claude Berry, très en colère, a menacé de procès. Un exemple contraire me semble être celui d’Edouard Leclerc qui accepte l’échange car il a confiance dans sa dialectique personnelle. Il est très fort car il y arrive. Ce n’est pas la majorité.
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qui me posait à Roissy, une dame voulait savoir si elle arriverait à rejoindre Orly en 45 minutes : j’ai consulté Sytadin, le réseau routier était au vert alors je lui ai dit que oui contrairement au jugement de nos voisins. Avec l’Iphone, je n’ai pas l’impression d’aller sur le net. L’avenir de la technologie, c’est « pas de technologie » !
Enfin, j’ajouterai que l’anonymat de l’Internet est violent ; une violence démesurée par rapport à la vie réelle. Les commentaires écrits dépassent souvent les pensées. C’est, je pense, la raison principale qui amène les marques à modérer largement leurs conversations. 95% des sites d’entreprises sont modérés a priori. Le web2 ne devrait pas l’être.
AIECM - Le mobile va t-il tout balayer ? Non. Nous disposons de trois écrans : Télévision, Ordinateur et Mobile. Selon notre position, nous utilisons l’outil le plus pratique. Le plus de l’I-phone et les raisons de la révolution qu’il préfigure sont la simplicité et la richesse d’usage. Dit autrement, le style d’usage de l’Iphone marque le début d’une nouvelle ère.
AIECM - Parlez-nous de votre vision du futur des services web. Nous vivons actuellement l’adolescence du web et la petite enfance du mobile. L’essentiel est à venir. Nous entendons d’ailleurs les mêmes arguments contre le mobile que contre Internet par le passé. Je considère le mobile comme l’ « ultimate device ». Et en la matière, l’I-phone en a révolutionné l’usage.
Beaucoup essaient de le reproduire. Le Nokia 95, par exemple, disposait des mêmes fonctionnalités mais rien n’était intuitif. L’I-phone est moins efficace, moins performant, mais orienté usage ; « il fait tout mal, mais il fait tout, et c’est très simple ! ».
Quand un utilisateur de téléphone va une fois sur Google mobile, un utilisateur de Smartphone y va trois fois et un utilisateur d’I-phone cent fois ! L’I-phone n’est pas un téléphone. C’est le prolongement de poche de son environnement virtuel. Je fais tout avec mon I-phone : des photos, mon réveil, mon agenda, la reconnaissance des musiques que j’aime avec le petit programme « shazam3 » , la lecture de livres, de journaux, la consultation des vélibs libres, etc. C’est mon couteau suisse électronique. Le week-end dernier, ma femme me demande de chercher un niveau pour mesurer la pose rectiligne d’un tableau au mur... bien sûr, je sors mon I-phone et l’utilise comme un niveau au centième de degré près avec le programme correspondant. Dans l’avion
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L’âge adulte des services web et des technologies relatives (dont les terminaux) sera marqué par la simplicité de l’interaction, l’absence de problèmes technologiques à l’interaction. Lorsque vous utilisez votre réfrigérateur, votre four à micro-ondes, vous n’avez pas l’impression de faire un acte technologique. L’ordinateur de bord du film « 2001, l’Odyssée de l’espace » parle. Un rêve, porté notamment par Nathan Myhrvold quand il dirigeait la recherche de Microsoft, consiste à supprimer le clavier qui est tout sauf naturel. Dans ce type de vision, la technologie disparaît derrière l’usage. Imaginez dire « courriel pour telle personne » pour envoyer un message avant de le dicter. L’âge IT adulte sera celui de la fluidité.I Interview réalisée par Luc BRETONES (96) & Emmanuel NAUDIN (04)
1 - Nerds ou geeks : termes anglosaxons désignant des passionnés de technologies de l’information au sens technique du terme. 2 - ROI, retour sur investissement 3 - Shazam reconnaît les morceaux de musique dont j’enregistre un extrait lorsque je l’entends.
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Notre objectif : fournir à l’utilisateur une demi-heure de vidéo intéressante par jour Martin ROGARD Directeur France de Dailymotion Martin a démarré sa carrière à 19 ans comme directeur créatif de la société Vibes. En 2003, il devient le responsable du portail du pôle Culture et Education du Ministère de la Culture et met en place les chantiers numériques. Il prend la direction France de Dailymotion début 2008. AIECM – Le parcours de Martin Rogard Martin fait partie de la génération Y1. Rien dans son apparence ne permet de l’identifier comme le patron. Il nous reçoit dans son bureau, dans lequel trône, comme abandonnée, une veste de costume prête à l’emploi en cas de rendez-vous impromptu. Ce talentueux dirigeant, né en 1980, a démarré sa carrière à 19 ans comme directeur créatif de la société Vibes2 et son célèbre jeu persistant massivement multi-joueurs Mankind. Il y fait ses armes de manager. En 2003, il rejoint le Ministère de la Culture, devenant le responsable du portail du pôle Culture et Education. Au cabinet du Ministre Renaud Donnedieu de Vabres, il travaille sur les sujets concernant la création numérique, met en place les chantiers numériques, portail Internet d’accès aux ressources patrimoniales de la base de données du Ministère de la Culture et des musées. Il participe également à la mise en place de la loi DADVSI de 2006 sur les droits d’auteur, libérant les fameux DRM3 et permettant l’interopérabilité. Il rejoint Dailymotion en juillet 2007, d’abord comme Directeur des Contenus. Il est nommé Directeur France le 1er janvier 2008. AIECM – Quelle est la stratégie actuelle de Dailymotion ? Nous souhaitons ajouter de la valeur aux contenus que nous diffusons. Autrement dit, nous passons d’un service qui permet de transformer un fichier vidéo en flash, à un média qui offre à ses utilisateurs et partenaires des outils et moyens humains de mise en valeur. Vous remarquerez que Youtube et Dailymotion ont été créés à 15 jours d’intervalle, suite à la sortie de la dernière technologie de Flash. Par ailleurs, Youtube appartient à Google. Notre réponse ne peut donc pas être seulement technique. La simple recherche parmi des millions de contenus n’est pas suffisante.
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Nous cherchons des partenaires pour nous alimenter en vidéo et co-construire des mises en page thématiques (musique, sport, actus…). Dailymotion reste ouvert aux contributions, mais aussi aux notes, aux commentaires. Nous mettons en avant les meilleures vidéos en page d’accueil de chaque thème. Nous fidélisons une forte communauté de partenaires, les motion makers, en leur fournissant des outils. Ils mettent leurs contenus en ligne et gardent la main en permanence dessus (ils peuvent les
enlever à tout moment). Ce qui compte, c’est l’engagement des utilisateurs. Cette stratégie porte ses fruits puisque près d’un blog français sur deux dispose du player4 Dailymotion ! Si on accumule les visiteurs du site www.dailymotion.com et les vidéos intégrées aux blogs via notre player, nous totalisons plus de 900 millions de vidéos vues chaque mois. AIECM – Quels types de contenus diffusez-vous sur vos pages thématiques ? Nous suivons la théorie de destruction créatrice de Schumpeter5. Nous agrégeons une partie des contenus non diffusés à la télévision. Savez-vous que 97% de la production audio-visuelle professionnelle n’est pas retransmise ? On peut résumer la télévision à une centaine de chaînes qui émettent 24h/24. Cette capacité est très insuffisante pour diffuser l’ensemble des courts métrages, les clips, les productions d’entreprise, de colloques, etc… Dans ce contexte, nous nous attachons à préserver la légitimité du partenaire en diffusant leurs contenus, les chaînes de télé des fédérations sportives s’adressent directement à leur réseau de licenciés. Nous avons conclu des partenariats avec la Fédération Française de Voile, ou encore la Fédération Française de Basketball. Ces fédérations diffusent les vidéos de toutes les ligues à l’aide de notre technologie de production à bas coût. Nous répondons à une quête de sens : aller directement du producteur de contenu au consommateur, avec si possible, une logique d’espaces verticaux thématiques pour améliorer la performance publicitaire. Quand des groupes média non vidéos comme France Inter, le groupe Prisma Presse ou encore Télé Loisirs, passent sur Dailymotion, nous élargissons notre audience. Une application directe des principes de la loi de Metcalfe6. Puis, nous nous efforçons d’attirer les internautes vers nos autres chaînes thématiques. AIECM – Quel est le modèle économique de Dailymotion ? Notre modèle est 100% gratuit pour l’utilisateur. Nous finançons nos besoins de développement grâce à la pub, placée à côté (pavés classiques), à l’intérieur (pre-roll7,
L De gauche à droite : Emmanuel Naudin (04), Martin Rogard, Luc Bretones (96), Eric Vandewalle (96)
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Les nouvelles technologies du lien social instream8) des vidéos que nous diffusons, ou via l’insertion de logos sur lesquels les internautes peuvent être invités à cliquer pour visiter le site web associé ou entrer leurs coordonnées. Nous valorisons ainsi l’engagement de nos partenaires auprès des annonceurs. Nous avons signé 1098 contrats de partenariats en 2008, sur lesquels nous partageons les revenus de publicité sur la base d’un calcul factuel et précis. Notre modèle est pérenne. En effet, 90% de la croissance du marché de la pub des 5 prochaines années aura lieu sur Internet. Et au sein de ce marché, la vidéo est de loin le secteur qui connaît la croissance la plus forte. Toutefois, les attentes de nos annonceurs évoluent. Ils n’achètent plus des utilisateurs uniques ou un nombre de pages vues, mais des engagements. En 2009, nous valoriserons le temps d’exposition des internautes, à la minute près, grâce à la technologie d’Alenty qui chronomètre la durée d’affichage de la pub sur chaque page vue. Ainsi, les bandeaux de bas de page ne sont comptabilisés que lorsque l’internaute fait défiler sa page jusqu’à l’affichage complet du bandeau. Nous recevons environ 15 000 vidéos par jour, mais plus que la quantité, ce que nous visons est de fournir 30 minutes de vidéos intéressantes par jour à nos utilisateurs. Cet élément mesuré grâce à des outils comme ceux de Nielsen représente un message très porteur pour les annonceurs. AIECM – Quels outils avez-vous mis en place pour contrôler les vidéos que vous diffusez ? Dailymotion opère sous le régime juridique, maintenant reconnu par tous, de la Loi de Confiance dans l’Economie Numérique (LCEN). Cette loi précise notre responsabilité d’hébergeur. Les internautes nous signalent grâce au bouton figurant sous chaque vidéo celles avec un contenu qu’ils considèrent comme illicite ou contraire à nos conditions générales d’utilisation (pornographie, incitation à la haine raciale ou violence…). Ces signalements sont traités par une équipe dédiée 24h/24, 7 j/7, et les contenus manifestement illicites sont retirés de notre plateforme, décourageant ainsi leurs auteurs de renouveler l’expérience. La question des droits d’auteurs est plus délicate. Les internautes ne déclarent pas les contenus soumis aux droits d’auteurs car le partage fait partie de leur culture et ne les choque pas. Cependant, nous avons décidé de mettre en place de façon volontaire des technologies efficaces de reconnaissance de contenus. Les équipes Dailymotion réalisent ainsi un fingerprint9 des contenus mis en ligne par les internautes et les motion makers, puis les comparent aux empreintes déposées par les ayant-droits des contenus protégés par des droits d’auteur dans la base « Signature » de l’INA10 ou dans celle de la société Audible Magic11. Si la comparaison est positive, Dailymotion empêche la mise en ligne de la vidéo correspondante.
1 - Les Anglo-Saxons l’appellent Youth Generation, c’est-à-dire les jeunes actifs de moins de 30 ans. 2 - Le studio Vibes a été racheté en 2002 par O2OE (Hong Kong), qui assure encore aujourd'hui l'exploitation du jeu. 3 - DRM = Digital Rights Management, Gestion des Droits d’Auteur en français. 4 - Player = lecteur intégré aux pages du blog ou du site Web. 5 - Economiste austro-hongrois de la fin du XIXe siècle qui liait la disparition de sociétés anciennes avec l’arrivée de nouveaux acteurs innovants et plus performants. 6 - La loi dit que plus il y a d'utilisateurs dans un réseau, plus ce réseau aura de la valeur. 7 - Pre-roll = message de 10 à 20 secondes avant la vidéo.
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Dailymotion établit également des contrats de diffusion directement avec les ayant-droits, les éditeurs ou les sociétés de production propriétaires des contenus, ou encore la SACEM12, la SACD13 ou la SCAM14.
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Grâce à cette organisation, Dailymotion connaît de moins en moins de procès. Par ailleurs, tous les procès ont confirmé la qualité d’hébergeur du site Dailymotion, un statut particulier qui n’impose pas de vérifier la mise en ligne a priori des contenus mais demande aux hébergeurs de retirer promptement toute œuvre protégée signalée. AIECM – Dailymotion est un acteur de poids du web 2.0. Mais utilisez-vous les technologies propres au réseau mondial interactif au sein de Dailymotion ? Nous pratiquons à la fois le Top-Down et le Bottom-Up. Nous animons la communauté des motion makers, qui participent à la création de contenus. Nous avons également déployé un wiki en interne pour établir les spécifications des nouvelles fonctionnalités, et donner accès à l’information à tous nos collaborateurs en même temps. Dans le monde 2.0, l’expertise est recentrée sur l’individu, qui s’inscrit dans un graphe social et véhicule l’information en l’enrichissant. Le Web 2.0 apporte une dimension supplémentaire aux contenus que nous publions sur la toile : la qualification par des acteurs de notre réseau social. Nous parlons alors de recommandation et de réputation. Lorsque vous diffusez une vidéo de façon anonyme sur Dailymotion, vous avez peu de chance d’attirer du monde. Mais lorsque vous publiez une vidéo dans Facebook, vous la recommandez à vos amis. On ajoute de la valeur en distribuant un contenu avec un avis à certaines branches de son réseau social. AIECM – Quelles sont les tendances lourdes du Web 2.0 ? J’en vois deux. La première concerne l’UGC15. Nous allons vers un dialogue entre les contenus professionnels et amateurs, vers l’agrégation et la syndication de contenus. La seconde tendance concerne le DRM. Tous les appareils fonctionneront bientôt en IP16. Les internautes consommeront l’Internet à la demande, via leur téléphone mobile ou via la télévision connectée en WiFi au réseau mondial. Nous devrions assister à l’explosion du streaming. Nokia, qui anticipe largement ce mouvement, est d’ailleurs la société qui prend le plus d’accréditations au MIDEM17 ! Le DRM, contrôle du passage d’un fichier sur un lecteur, sera bientôt devenu totalement obsolète. En effet, pourquoi posséder un fichier quand je peux l’écouter ou le voir quand je veux et gratuitement en streaming sur le Net ? I Interview réalisée par David Bourgeois (96), Luc Bretones (96), Emmanuel Naudin (04) et Eric Vandewalle (96)
8 - Stream = flux vidéo. 9 - Fingerprint = empreinte électronique unique, sous forme de fichier de petite taille. 10 - INA = Institut National de l’Audiovisuel. 11 - La société Audible Magic propose des outils de marquage des bandes son. 12 - SACEM = Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique. 13 - SACD = Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques. 14 - SCAM = Société Civile des Auteurs Multimedia. 15 - UGC = User Generated Content ou le contenu généré par les utilisateurs d’un site. 16 - IP = Internet Protocol. 17 - MIDEM = Marché International du Disque et de l’Edition Musicale.
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Les nouvelles technologies du lien social
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Rich-media et web-TV se généralisent Jean-Louis BÉNARD (ECP 94) Président-Fondateur de Brainsonic Jean-Louis Bénard est un entrepreneurné. Dès sa sortie de Centrale Paris, sa passion pour les services Internet l’amène à fonder une société de service nommée FRA, avec deux camarades. A cette époque, l’Internet était essentiellement résumé à du texte et l’apparition de l’image était marquante. Comme le dit Jean-Louis Bénard : « j’ai démarré tôt, trop tôt d’une certaine manière ». Finalement, il considère que c’est cette arrivée de l’image qui a accéléré le succès d’Internet. En revanche, le manque de formation business à Centrale Paris lui fait rencontrer quelques difficultés sur le démarrage. Entre 1997 et 2000, FRA connaît une croissance importante, passant de 4 personnes à 100 personnes. Il revend sa société à Business interactif (désormais intégrée au groupe Publicis) en 2001, dont il devient le CTO (Directeur Technique). En 2003, la passion de l’entreprenariat le rattrape, Internet se transforme toujours plus vite avec l’apparition de la vidéo et des contenus, il crée Brainsonic, convaincu de la convergence image-vidéo. AI ECM : Présentez-nous Brainsonic, son business model et ses activités. Brainsonic emploie actuellement 80 personnes à Paris et une cinquantaine de sous-traitants en Europe, en Algérie, et en Tunisie. En 2003, malgré la forte vague du marché B2C de la vidéo en ligne, le business model restait difficile à appréhender. En effet, c’est un modèle risqué et l’idée de perdre de l’argent ne plaît pas du tout à Jean-Louis Bénard. Depuis l’origine Brainsonic s’oriente donc vers les marchés B2B / B2B2C. A ce jour, la société est toujours rentable avec une forte croissance. En 2008, elle a réalisé des opérations de croissance externe pour renforcer sa position en achetant notamment Slideo (plateforme UGC1 2.0), Kalitic (moteur de recherche vidéo) et OnePoint TV (video marketing). Brainsonic se concentre autour de deux activités : la production de contenus rich-media2 et l’édition de logiciels en mode SAAS3. Jean-Louis Bénard a finalement appliqué une philosophie de production industrialisée à ce domaine, ce qui lui permet de valoriser les coûts de diffusion et une des raisons de la rentabilité de son entreprise. Brainsonic produit 700 vidéos par mois, 1000 avec OnePoint TV. L’organisation de leur production est très industrielle, ce qui leur a permis de faire baisser les coûts unitaires. Cette capacité unique en Europe de production les amène à couvrir, par exemple, les Tech Days de Microsoft.
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Thème
1 - Contenus mêlant de la video et des slides avec une interaction des individus. 2 - User Generated Content. 3 - Software as a Service.
Leur activité d’édition est focalisée sur une plateforme web-TV de gestion de contenus vidéos. Ils ont à la fois une approche dite « top-down » de publication de contenus, comme la TV du RC Lens ; mais aussi une approche « bottom-up » de partage de contenus vidéo, slides, photos. Ainsi, Brainsonic aide l’un des leaders de la grande distribution dans la construction de ses rayons par le partage de photos entre chefs de rayon mais également un constructeur automobile sur des projets de force de vente par le partage de connaissance. Un autre exemple, ce sont les commentaires partagés entre cinéphiles sur la plateforme UGC ou encore la webtv du Téléthon. AI ECM : Quelle est votre vision du web 2.0 et de son marché ? JLB : Le web 2.0 est constitué d’un aspect technologique, les interfaces riches, et d’un aspect social de partage. Néanmoins, j’aperçois plus de consommateurs de contenus que de vrai partage de publications originales. Cela s’explique facilement par le coût de la production vidéo. On a fait croire aux gens que c’était gratuit et simple, et on les a habitués à cette idée. Ce faisant, on a tué la possibilité d’offres payantes pour encore quelques années. La gratuité actuelle est assurée par les liquidités offertes par les fonds d’investissement. Pour combien de temps encore ? You Tube n’est pas encore rentable ! La crise économique actuelle montre que la réalité économique de ce marché n’est pas toujours proche des propos de certains « influenceurs » et remet en cause certaines promesses du web 2.0. Ce n’est peut-être pas l’Eldorado que l’on espérait ! Il faut savoir que le marché de la vidéo sur Internet est de l’ordre de 70 millions d’euros. Bref un marché en forte croissance, mais encore petit. AI ECM : Comment Brainsonic se différencie de ses concurrents ? JLB : Notre capacité de production à des coûts profitables s’explique par de forts investissements dans notre système d’information et par une organisation très agile et très adaptable aux évolutions du marché. Le nerf de la guerre, c’est le système d’information et le nôtre est en appui de notre métier en fluidifiant les échanges. Il est composé d’applications de CRM, de planification de production, de reporting et monitoring qui nous aident à avoir une approche industrielle tout en intégrant de nouvelles acquisitions. Chez Brainsonic, la hiérarchie est minimale, le management est à plat et nous sommes organisés en mode projet. C’est finalement une pyramide inversée qui laisse la place à l’initiative individuelle.I Pour pouvoir approfondir cet entretien sachez que : Jean-Louis Bénard est co-auteur de l’Extrem Programming. Il est aussi Professeur à Centrale Paris.
Interview réalisée par Luc Bretones (96), Emmanuel Naudin (04) et Eric Vandewalle (96)
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Thème
Web 2.0, Génération Y et Entreprise 2.0 : une révolution des usages Frédéric CAVAZZA Consultant et auteur de : http://www.fredcavazza.net et http://www.entreprise20.fr/
AIECM : Frédéric, en quelques mots, pourriez-vous nous préciser votre parcours ? FC : J’exerce depuis douze ans de manière professionnelle dans le monde de l’internet, que ce soit au travers d’agences ou maintenant en tant que consultant indépendant auprès d’entreprises. Mon background est plutôt fonctionnel et marketing que technique ; je m’intéresse avant tout aux usages que l’on peut faire d’Internet et moins à la technologie en tant que telle. AIECM : Pourriez-vous nous dire en quoi se caractérise le web 2.0 et ce qu’il a apporté ? FC : Tout d’abord, je suis contre l’idée d’opposer le web et le web 2.0. Pour moi, il ne s’agit que d’une continuité du développement et de la croissance de l’Internet. Il y a plus de dix ans que je partage de l’information avec une communauté de gens sur Internet. A l’époque, il s’agissait de SixDegrees, un outil qui a précédé les LinkedIn et Facebook de 1997 à 2001. Il a été vendu par son fondateur en 2000 avec ses plus de 1 million d’utilisateurs pour 125 millions de dollars et a disparu avec l'explosion de la bulle Internet. Les outils étaient peut-être différents mais l’usage était le même : développer son réseau, échanger, lire et partager facilement de l’information en utilisant un simple navigateur Internet. AIECM : Je suis d’accord avec vous. Encore un peu plus tôt, quand j’étais étudiant à l’école, nous utilisions en effet déjà le réseau universitaire pour échanger de l’information et partager avec une communauté de gens, avec des techniques qui paraissent maintenant rudimentaires. Mais peut-être peut-on parler d’une accélération récente grâce à l’émergence de nouveaux outils ? FC : En effet, on peut parler d’une accélération avec le développement d’outils comme les blogs ou Facebook, qui ont rapidement su toucher un large public grâce à leur simplicité d’utilisation, qui ont fait passer la publication de contenu sur Internet des mains des experts aux mains du grand public. Ils ont également mis l’accent sur le développement de fonctions communautaires. Ce phénomène a été largement amplifié lorsque les médias grand public se sont intéressés au sujet et ont relayé la notion de web 2.0.
II
Autant de choses qu’on n’attendait pas, il n’y a pas si longtemps, de l’usage qu’on pouvait faire d’un ordinateur en général et de l’Internet en particulier. AIECM : Que peuvent tirer les entreprises comme enseignement de ces nouveaux comportements, en particulier dans la mise en place d’outils collaboratifs pour ces nouveaux ou futurs employés ? FC : Il faut, je crois, comprendre que ces jeunes de la génération Y n’ont pas la culture de la « grande informatique », de l’ordinateur et de la technique sous-jacente. Par contre, ils compensent énormément par la pratique. Regardez la plate-forme MySpace par exemple : ce n’est pas très ergonomique ni facile à utiliser et, pourtant, les utilisateurs de la plate-forme ont appris à compenser ces défauts pour en faire le meilleur usage. En revanche, même si certains maîtrisent ces outils et ces pratiques, ils ne sont malheureusement pas directement transposables dans le monde de l’entreprise. Aujourd’hui, dans une entreprise, la résistance au changement n’est pas forcément là où on l’attend. Il n’y a pas comme on pourrait le penser - une différenciation marquée des comportements en fonction de l’âge. En effet, les salariés les plus anciens ont pour la plupart connu l’arrivée de l’ordinateur. Ils ont vécu les difficultés générées par ces nouveaux outils dans l’entreprise et dans les faits. Force est de constater qu’ils sont plutôt ouverts à leur utilisation. Cette résistance au changement se ressent moins au niveau des utilisateurs qu’au niveau des DSI1. Essentiellement parce que la gestion d’un système d’information d’entreprise est lourde et coûteuse. Et l’attitude qui prime aujourd’hui est plutôt celle qui consiste à dire : « J’ai une messagerie et un système de fichiers partagés qui fonctionnent, pourquoi en changer ? ». Il faut également tenir compte des organisations et des comportements dans l’entreprise qui ne sont pas homogènes. Par exemple, l’usage des outils collaboratifs n’est pas du tout le même si on s’adresse aux commerciaux ou si on demande l’avis du service juridique. L’enjeu est donc de développer et de reconnaître la capacité à trouver et à utiliser l’information plutôt que de posséder de l’information en tant que telle ; mais cela revient à faire évoluer la culture, ce qui est bien plus complexe finalement que faire évoluer le système d’information vers des outils collaboratifs ou web 2.0. Autrement dit, l’entreprise 2.0 ne se résume pas à un inventaire d’outils web 2.0. Il faut également envisager sérieusement le changement culturel et organisationnel qui va avec. Entreprise 2.0 = Collaborateurs 2.0 = RH 2.0 I
AIECM : Comment voyez-vous cette évolution ? FC : L’évolution est avant tout dans les attentes. Si un jeune, dit de la génération Y, achète aujourd’hui un ordinateur, il va vouloir faire du blog, de la messagerie instantanée avec ses amis, échanger des photos et des vidéos. 1 - Directions des Systèmes d'Information
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Pour en savoir plus, lisez le blog de Frédéric sur l’entreprise 2.0 : http://www.entreprise20.fr/ Interview réalisée par Michel REIGNIER (96)
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Les nouvelles technologies du lien social
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Thème
Internet devient la norme
Pierre KOSCIUSKO-MORIZET Président-Fondateur de PriceMinister
Pierre crée sa première société à 21 ans. Avec un père dans l’administration et une mère professeur, il ne disposait pourtant d’aucune empreinte génétique le prédestinant à cette carrière de bâtisseur d’entreprises à succès. Ce goût pour l’entreprenariat lui est venu lors d’un stage effectué au Vietnam, entre la seconde et la troisième année de son cursus HEC. Après son admission à la majeure HEC entrepreneur en 1998, une de ses missions d’étudiant fut de créer une entreprise. 6 semaines plus tard, il fonde sa première boîte… pour de vrai ! La société s’appelle Visualis, elle distribue des boîtiers de comptage de clients dans les magasins et les centres commerciaux pour estimer le nombre de caisses à implanter. Un problème d’approvisionnement le contraindra à fermer cette jeune société au bout de 9 mois. Qu’importe, ce jeune créateur s’expatrie aux Etats-Unis. Il travaille une année durant au développement de l’activité Internet d’une banque américaine spécialisée dans le crédit à la consommation. Il revient en France en 2000, pour y créer PriceMinister, s’inspirant d’un site américain, half.com. Pourquoi en France ? Pour des raisons culturelles, tout simplement ! Et pourtant, trouver des investisseurs pour monter un projet dans l’Internet ne fut pas chose facile. Les fonds français ne croyaient pas du tout aux sociétés Internet à l’époque. AI ECM - Parlez-nous de PriceMinister, ses chiffres, sa stratégie. PriceMinister emploie actuellement 200 personnes, dont 70 ingénieurs. C’est un savant mélange entre geeks et non geeks. Nos collaborateurs sont orientés tantôt utilisateurs, tantôt marques, ou encore business et parfois techno. Cette diversité donne un site convivial et équilibré. Le groupe PriceMinister, c’est également 3 autres sites, rachetés en 2007 : •
A Vendre / A Louer
•
Planetanoo.com
•
Voyager moins cher
•
Et aussi un site automobile : PriceMinister Auto
PriceMinister se développe rapidement. Nous sommes aujourd’hui le deuxième site de e-commerce en France derrière eBay. Nous serons premier en 2010 !
AI ECM - Quel est le business model de PriceMinister ? La mise en vente est gratuite, nous prenons une commission de l’ordre de 10% à la vente de l’objet. Nous offrons à nos clients une assurance client qui les assure de ne pas être floués lors d’une transaction. Une autre source de revenus est pour nous la publicité qui est possible grâce à nos 2 millions de visites par jour en France. Notre métier d’intermédiaire, sans logistique ni entrepôt, nous permet de limiter nos coûts. La rentabilité est donc bonne. AI ECM - Comment avez-vous découvert l’Internet ? J’ai commencé avec Internet au Vietnam pour rester en contact avec la famille, puis aux Etats-Unis au moment même de la bulle Internet à la fin des années 90. A l’époque j’ai trouvé aisément et rapidement mon appartement ainsi que ma voiture sur la toile. A cette période, les USA étaient un vrai laboratoire de la lame de fond qui allait s’abattre sur le monde entier. Ce que fait Internet, c’est de mettre les gens en relation. Yahoo ! à ses débuts était centré sur cet objectif d’aider les gens à trouver ce qu’ils cherchaient sur la toile. Les sites d’achat/vente, de rencontres, de réseaux sociaux… sont tous au service de la mise en relation. C’est la beauté d’Internet. Mais attention, je ne suis pas un geek, un fou de l’Internet. La preuve, j’ai utilisé le même Palm Pilot entre 2000 et 2007 ! Je lis mes emails sur mon téléphone seulement depuis peu ! AI ECM - Que pensez-vous des sites de réseaux sociaux ? Que vous apportent-ils sur le plan professionnel ? Les réseaux sociaux mélangent vie professionnelle et vie personnelle. Le problème avec ces sites, c’est qu’une fois inscrit, vous ne maîtrisez plus votre image. Je n’ai pas très envie que mes photos personnelles se retrouvent sur Internet. Je préfère de loin les réseaux sociaux réels aux réseaux sociaux virtuels ! Je suis totalement absent de Facebook et de Viadeo. LinkedIn ne m’apporte guère que des contacts de gens qui veulent me vendre des produits. MySpace est un peu différent. C’est un réseau à part, qui regroupe pas mal d’interprètes et de compositeurs. Il se trouve que j’ai une vraie passion pour la musique et MySpace est très ancré dans ce domaine. AI ECM - Comment imaginez-vous le web de demain ? La France compte plus de la moitié de ses foyers connectés depuis 2008. La bascule vient d’être franchie. Aujourd’hui ne pas être connecté est minoritaire! Internet devient donc un média de masse avec une caractéristique nouvelle : c’est la permanence. On peut se connecter quand on le souhaite. La machine est en route et n’est pas près de s’arrêter. Si l’on suit les principes de la loi de Metcalfe1,
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Les nouvelles technologies du lien social l’expansion devrait continuer en s’accélérant. Le marché Internet, hier marginal, attire de plus en plus d’acteurs du commerce traditionnel, drainant toujours plus d’acheteurs vers le e-commerce. Petit à petit, Internet devient la norme. D’un autre côté, on tend à être connecté partout et tout le temps. En Wifi, en 3G, au bureau et même en vacances. Les sites web 2.0 vont grossir plus vite que les autres grâce à l’effet de réseau2. PriceMinister grossit plus vite que les autres grâce à son système de recommandation des produits ainsi que des
Thème
acheteurs/vendeurs. Le succès de PriceMinister réside dans l’achat-vente à un tiers de confiance. L’acheteur a la garantie d’acheter un bon produit et le vendeur est sûr d’être payé.
II
AI ECM - Vous êtes également co-président fondateur de l’ASIC3. Parlez-nous de cette association L’ASIC regroupe les acteurs du web 2.0 et vise à promouvoir le "nouvel" Internet par du lobbying auprès des politiques. Elle a été lancée en décembre 2007 par AOL, Dailymotion, Google, PriceMinister et Yahoo ! MySpace, Facebook, Microsoft, SkyRock et Wikipedia ont rejoint le mouvement. D’autres suivront bientôt. Nous nous considérons comme un lobby du Web 2.0 dans le sens où nous intervenons publiquement et auprès des parlementaires lorsque certaines lois nous semblent ne pas aller dans le bon sens de notre point de vue. Notre premier dossier fut la loi visant à taxer les services Internet. Nous avons réussi à bloquer le projet de loi visant à taxer la publicité sur Internet. En effet, une telle taxe aurait simplement convaincu ce business à se délocaliser au Luxembourg. Heureusement, nous avons réussi à démontrer que cette loi aurait été une erreur.I
L
De gauche à droite : David Bourgeois, Emmanuel Naudin, Pierre Kosciusko-Morizet, Eric Vandewalle.
Interview réalisée par David Bourgeois (96), Luc Bretones (96), Emmanuel Naudin (04) et Eric Vandewalle (96)
1 - La loi dit que plus il y a d'utilisateurs dans un réseau, plus ce réseau aura de la valeur. 2 - Les sites web 2.0 se distinguent des sites traditionnels par leur dimension sociale. Les utilisateurs connectés peuvent recommander un produit et/ou un tiers acheteur/vendeur. 3 - Association des Services Internet Communautaires http://www.lasic.fr/
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Les nouvelles technologies du lien social
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Thème
III- Un monde d'ubiquité et de connexion permanente Le Web 2.0, c’est dépassé ! Place à l’Internet dans les objets communicants Rafi HALADJIAN Créateur de FranceNet en 1994, premier opérateur internet en France, puis d’Ozone et Violet. Après avoir créé plus d’une dizaine d’entreprises dans le domaine des services télématiques dès l’époque des premiers balbutiements du Minitel en 1983, Rafi Haladjian a fondé en juin 1994, FranceNet, tout premier opérateur Internet en France. Son intuition d’alors était que l’Internet, réseau encore confidentiel à l’époque, allait « dans le sens de l’histoire ». FranceNet devint Fluxus en 2000 et fut cédé à BT (British Telecom) en 2001. Rafi Haladjian a quitté l’entreprise en avril 2003. Quelques semaines plus tard, en juin de la même année, il crée Ozone et Violet, étape suivante de la grande aventure de la connectivité qu’il poursuit depuis vingt ans. Ozone, premier opérateur du Réseau Pervasif1 déploie notamment à Paris et dans d’autres villes d’Europe un réseau basé sur la technologie sans fil. OzoneParis propose un accès à l’Internet sans fil aux particuliers comme aux entreprises. Cet accès utilisable de façon fixe comme en situation de mobilité permet d’exploiter l’ensemble des ressources de l’Internet. Ozone a été vendu à Neuf Cegetel en juin 2007, afin que Rafi Haladjian puisse se consacrer pleinement au développement à l’international de Violet. AIECM – Parlez-nous des objets interactifs que vous avez créés L’Internet ne se réduit pas au Web. Il fournit une connexion à un réseau. Un réseau qui peut servir à plein de choses, un peu à l’image de l’énergie électrique qui a d’abord permis de fournir la lumière, puis d’utiliser le chauffage, le fer à repasser, la machine à laver, la télévision ! Je fais du Web depuis 1994, avec Olivier2. L’Internet a beaucoup évolué depuis ses débuts, le Web 1.0, puis le Web 2.0 qui rend l’utilisateur acteur du Web. La prochaine étape, c’est d’amener Internet dans les objets qui nous entourent. Se passer de l’écran. Car il y a une vie après le PC ! Nous avons créé nabaztag (lapin en arménien, ndlr) dans cet esprit. Nabaztag est destiné aux personnes qui veulent interagir sans écran. Simplement à l’aide de la parole et du geste. Donnez un ordre à nabaztag, il l’exécutera !
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La prochaine étape sera franchie avec l’aide de la technologie RFID. Nous pourrons alors créer des interactions tangibles avec d’autres objets pour prolonger les actions vers des services Web, comme par exemple ouvrir un livre pour le faire parler !
AIECM – Quel est le business model de Violet ? Violet développe 2 business : •
Une activité de retailer : la fabrication et la vente d’objets communicants, comme nabaztag:tag, mir:ror3 ou encore dal:dal4. Une activité BtoC permettant aux acheteurs de s’ouvrir vers le monde.
•
Et une activité BtoB vente de services. Nous développons des solutions technologiques et d’infrastructures pour rendre les produits communicants, en partenariat avec des industriels ou des agences en relation avec le client final, comme par exemple les machines à café, les sèche-cheveux connectés via bluetooth ou wifi ou encore d’autres objets, inertes5 ceux-là, connectés via RFID.
Notre business model repose sur notre activité d’opérateur d’objets communicants, vivant 24h/24, se comportant de manière spontanée. Les objets n’étant pas dotés de capacités de calcul comme les ordinateurs, nous facturons à nos clients une redevance selon le nombre d’objets interconnectés. AIECM – Utilisez-vous personnellement et/ou professionnellement les réseaux sociaux ? J’étais accro à Facebook jusque l’an dernier. Puis ça m’a passé. Je collectionne les contacts sur les réseaux sociaux (Facebook et LinkedIn) mais cela ne m’a rien apporté sur un plan professionnel ! Lorsque je veux communiquer, je m’adresse aux médias traditionnels. La télévision touche des milliards de gens, les journaux sont lus par des millions de lecteurs tous les jours. La notoriété de Violet et de ses objets communicants s’est faite sans les réseaux sociaux.
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Les nouvelles technologies du lien social Et je préfère les relations physiques aux discussions virtuelles. Je vais vous conter une anecdote vécue il y a quelque temps. Dans un bus de l’aéroport de Roissy CDG, j’étais assis à côté d’une personne plongée dans le manuel de nabaztag. Nous avons engagé la conversation. Cet homme, qui travaille chez Dreamworks, m’a ouvert les portes de sa société !
Thème
Nos objets vous permettent une synchronisation permanente avec votre tribu à l’aide de la parole ou de gestes, sans interrompre la tâche à laquelle vous êtes affairé.
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Vous êtes connecté en permanence sans vous en rendre compte. Avec nos objets, Internet fait partie de votre vie ! AIECM – Que proposeriez-vous si vous étiez invité à des
AIECM – Comment les objets créés par Violet interagissent-ils avec les réseaux sociaux ? En mettant à jour votre profil sur Facebook ou Twitter, vous produisez en temps réel des informations peu intéressantes, mais qui font plaisir à ceux qui les reçoivent. Ce que le Web 2.0 a apporté à nabaztag, c’est le côté « snack média », le média qui se consomme !
assises NTIC ? Je suggérerais de travailler sur l’utilisation d’Internet au travers d’objets car c’est une technologie émergente. Le Web 2.0, c’est déjà has-been.I Interview réalisée par David Bourgeois (96)
1 - Néologisme technologique du monde de l'informatique en réseau d'objets, le terme réseau pervasif est une traduction littérale de pervasive network, c’est-àdire un réseau pénétrant ou infiltrant (notion de perméabilité). 2 - Olivier Mével, cofondateur de la société Violet avec Rafi Haladjian et co-fondateur en 1995 de l’agence web BaBeL 3 - mir:ror = miroir connecté à Internet pour nous faciliter la vie. 4 - dal:dal = lampe connectée à Internet et qui, par son code couleur, indique différents états. 5 - inertes signifie non alimentés en courant.
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Thème
IV- La France dans la course On n’imaginait pas que nos services permettraient de tels usages !
Internet est une chance pour la France Giuseppe DE MARTINO Directeur juridique et réglementaire chez Dailymotion, Président de l'ASIC. Formation de juriste en propriété intellectuelle. A travaillé à la direction juridique d’AOL France sur la « règle de droit ». Président de
l’AFA1
de 2004 à 2007.
D’origine italienne, Giuseppe De Martino reçoit une formation de juriste en propriété intellectuelle à Assas et à la Sorbonne et débute sa carrière à Rome dans un cabinet d’avocats sur la chaîne des droits (cinéma). Ensuite, il va vivre une expérience intellectuelle unique à travers Skyrock puis Arte en 1994 en tant que responsable de la production et de l’édition vidéo et papier dans un premier temps puis internet en 1995. En 1999, Giuseppe De Martino est appelé à la direction juridique d’AOL France où il travaille sur la « règle de droit ». En effet, la nouvelle génération de médias bouscule le carcan de règles définies dans l’univers du cinéma, de la radio et de la télévision. Internet n’est pas une zone de non-droit mais une zone soumise à de nombreuses règles ; la problématique est de savoir choisir la bonne. Par ailleurs, Giuseppe De Martino est président de l’AFA de 2004 à 2007 et travaille par exemple sur la protection de l’enfance et des données ; il a mis en place un mécanisme d’« approche graduée » avec l’industrie du cinéma. Suite à la fusion AOL et Time Warner, la stratégie du groupe Time Warner Inc. devient opaque et Giuseppe De Martino décide de quitter AOL en 2007 pour rejoindre Dailymotion qui a besoin d’un nouveau management ; il occupe le poste de Directeur juridique et réglementaire. L'Acsel défend les intérêts des marchands, le Geste ceux des éditeurs et l'AFA ceux des FAI. Afin de défendre les intérêts des acteurs pure players2 de l’internet, il crée l’ASIC3 en 2007 et la co-préside avec Pierre KosciuskoMorizet, PDG de Price Minister. AIECM – Parlez-nous de la composition et des objectifs de l’ASIC A l’origine, l’ASIC est composée de Dailymotion, Price Minister et Google. Nous avons été rejoints ensuite par Yahoo, AOL et nous sommes une quinzaine de membres aujourd’hui. eBay devrait nous rejoindre rapidement. L’élément déclencheur de cette association fut l’histoire Neuf-Cegetel qui a bloqué la diffusion du site Dailymotion. Pour cela, nous (Dailymotion) avons mis un message sur le site, indiquant d’appeler la hotline de Neuf-Cegetel qui sauta rapidement sous le nombre d’appels. Ce fut une première publique en Europe.
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L’ASIC est basée sur le principe de la Net Neutrality qui rejoint le principe d’Internet ouvert mis en avant par Google.
Les fournisseurs de « tuyaux » ont pour mission de donner la meilleure qualité de service pour les fournisseurs de contenu. Didier Lombard a dit un jour : « Pourquoi les Cadillac roulent-elles sur les autoroutes françaises ? » Je pense qu’Internet est une véritable chance pour la France. Nous sommes au service des intérêts des communautés. AIECM – Parlez-nous de l’évolution des comportements avec le Web 2.0 Tout d’abord, il y a un changement de comportement de l’internaute qui devient actif. L’utilisateur a une liberté d’agir et on constate un éparpillement de l’audience. Comme Martin4 vous l’a dit, 5 millions de vidéos sont vues sur les 10 millions en ligne chez Dailymotion. Et ensuite, on aperçoit une évolution des modes et des tendances, amplifiée par la facilité d’échanger avec des internautes. Par exemple, sur Dailymotion, nous avons vu naître des phénomènes comme la Tektonic, le Booty Shaking ou le concours de la descente de Pastis. On n’imaginait pas que nos services permettraient de tels usages ! Dans ce cas, le Web 2.0 met à disposition des technologies pour développer la créativité sans notion de création de valeur. Pour certaines, ces évolutions sont de vraies révolutions d’usage du service. En politique, Dailymotion est utilisé pour des débats entre partis. Enfin, plus qu’un rôle de producteur ou prescripteur, le Web 2.0 est un agrégateur, il permet de rassembler les niches. La multitude des contenus et interactions proposés de l’offre produit du volume donc le succès. La multitude est la part de rêve et l’offre est la force. On peut facilement comparer ces offres du Web 2.0 à celle de Canal Satellite qui fédère de nombreuses niches d’utilisateurs autour d’une offre à large choix. Pour information, sur Dailymotion, toutes les catégories : les hommes et les femmes, les jeunes et les vieux, … sont des utilisateurs ; par contre, les producteurs sont en majorité les jeunes hommes. AIECM – Quelle est la position de l’ASIC sur la législation des services Web 2.0 ? Nous faisons face à deux syndromes en France. Premièrement, nous avons le syndrome d’Astérix : on veut imposer nos solutions françaises (locales) comme globales. Contrairement à de nombreux pays, l’état français a la volonté de maîtriser le Web. Par exemple, l’ASIC combat le projet de taxation des services Internet et la régulation des programmes avec le CA. L’ASIC n’existe qu’en France car c’est le seul pays où le besoin de défense des services Internet s’est fait ressentir ! Deuxièmement, nous avons le syndrome de Poulidor : on n’aime pas le succès et on met des bâtons dans les roues de ceux qui réussissent. Devant le succès de Price Minister
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Les nouvelles technologies du lien social et Dailymotion, l’ASIC combat ce syndrome et montre encore une fois l’Internet comme une chance de développement pour la France. Malheureusement, ce n’est pas une priorité pour le gouvernement. Pas d’aides publiques ni de remerciements mais que des taxations ! On demande à l’Internet de financer la télévision publique ! Pour se rendre compte de la différence d’intérêt, nous voyons les Etats-Unis avec Barack Obama qui diffuse de nombreuses propositions sur Internet, et la France avec Devedjian propose une mesure, celle d’équiper les TGV de WiFi… AIECM – Quelles sont les actions de l’ASIC dans ce contexte ? Nous faisons de la pédagogie, nous expliquons le numérique. L’argument du gouvernement pour justifier sa volonté de contrôle et de taxation est que l’arrêt de la publicité sur la télévision provoque une migration des investisseurs publicitaires vers l’Internet. C’est faux, les investisseurs économisent ! L’ASIC représente 3 000 salariés, c’est peu à l’échelle de la France mais certains chantages sont écoutés. Par exemple, nous avons menacé de déménager à l’étranger. Le gouvernement a été sensible à l’image que cela renverrait, celle d’un frein au développement. 1234-
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Néanmoins, l’ASIC a d’excellents rapports avec certains élus, notamment avec Eric Besson, et nous sommes tristes de son départ du Secrétariat d’Etat au développement numérique. L’ASIC a même proposé quelques noms à ce poste, comme Bruno Retaillau, mais de Villiers a refusé. Nathalie Kosciusko-Morizet fut choisie par défaut à ce ministère.
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AIECM – Qui, en politique, souhaiteriez-vous voir pour le développement du numérique ? Et quelles mesures souhaiteriez-vous voir prises ? Nous verrions bien Thierry Solère (Maire-adjoint UMP de Boulogne-Billancourt) qui a une grande maîtrise du sujet des nouvelles technologies. Egalement, Emmanuel Gabla du CSA. L’ASIC est en réactif plus qu’en prospective. Nous poursuivons sur la position d’Eric Besson au niveau du gouvernement et du Président de la République. Le Premier Ministre est très intéressé par ce sujet (ndlr : loi Fillon) mais il n’a plus le temps de s’y investir. Encore une fois, Internet ne doit pas être vu comme une vache à lait mais comme une chance, le gouvernement doit la saisir ! Aux Etats-Unis, Barack Obama l’a compris et voit Internet comme un vrai relais de croissance.I Interview réalisée par Emmanuel Naudin (04) et Eric Vandewalle (96)
Association des Fournisseurs d'Accès Internet. Acteurs de l'internet qui utilisent les infrastructures pour diffuser des contenus et interagir avec les internautes. Association des Services Internet Communautaires Martin Rogard : Directeur France de Dailymotion
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Les nouvelles technologies du lien social
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Le plan France Numérique 2012 : les élus doivent prendre des initiatives ! Franck SUPPLISSON Père du plan France Numérique 2012 Elu au Conseil Régional du Centre. Polytechnicien, énarque et inspecteur des finances. Des débuts au Ministère des Finances dirigé par Nicolas Sarkozy, conseiller au pôle Industrie dans le cabinet de Patrick Devedjian, il participe aux négociations de l’OMC sur les télécoms, l’audiovisuel et l’Internet (Accord Général sur le Commerce et les Services), rejoint Eric Besson, au secrétariat d’Etat chargé du développement de l'économie numérique. Le 15 janvier 2009, il suit Eric Besson dans ses nouvelles fonctions de Ministre de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Développement solidaire en tant que directeur de cabinet adjoint. AIECM – Vous avez participé au Dividende Numérique. Pouvez-vous nous en détailler les apports ? Historiquement, les fréquences ont été attribuées au fur et à mesure des besoins. Ainsi, Radio Londres a bénéficié d’une fréquence très basse. La télévision analogique, puis les télécoms se sont vu attribuer des fréquences toujours plus élevées. Malheureusement, les fréquences les plus élevées sont aussi les plus mauvaises en qualité (mauvaise pénétration des murs). Les télécoms, arrivées en dernier, se sont vu attribuer les fréquences les plus hautes alors qu’ils en font un usage très dynamique, voire intensif ! Ainsi, la technologie qui demande le plus de qualité avait les fréquences les plus mauvaises. Tout est parti d’un constat simple lors de la Conférence Mondiale des Radiocommunications de Genève en novembre 2007 : l’usage des mobiles augmente de près de 40% chaque année. Ils sont très consommateurs de nouvelles bandes de fréquences, pour la voix, la data, la 2G, la 3G, la Télévision Mobile Personnelle... De son côté, l’audiovisuel analogique par broadcasting va disparaître en 2011. Le Dividende Numérique, rétablit une logique d’efficacité en réattribuant les basses fréquences, les meilleures, aux télécoms. La France et la Suède ont été les premiers pays européens à adopter ce plan. Logique pour ces deux Etats à l’industrie télécom puissante, Alcatel en France et Ericsson en Suède. AIECM – Force est de constater que les élus français ont pris beaucoup de retard dans la mise en place de services Internet en faveur de leurs administrés. Quelle en est la raison d’après vous ? La France est en retard sur la question des usages de l’Internet. Les Français se passionnent pour les infrastructures. Ils s’intéressent très peu aux services. Souvenezvous du succès médiatique du Pont de Millau !
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Les dirigeants politiques de notre pays n’ont pas mesuré l’impact d’Internet, qui s’est développé de façon considérable ces dix dernières années. 43% des foyers français étaient connectés en haut débit en 2007 (source Eurostat).
Internet est devenu un media à part entière grâce à son audience. La publicité sur Internet a d’ores et déjà dépassé en volume le hors media et la radio. Eric Besson l’a très rapidement compris lors de sa prise de fonction. Déjà en 2008, lorsqu’il voulait communiquer, il faisait du « bruit » sur Internet. Ce n’est pas le cas des Maires de nos 36 000 communes, dont l’âge moyen atteint 63 ans. Je vous laisse compter le nombre d’entre eux qui n’ont pas grandi avec cet outil… AIECM – Que proposerait l’élu régional que vous êtes pour améliorer le quotidien des usagers ? Les élus doivent prendre des initiatives ! Le Plan Numérique 2012 propose plus de 150 actions, allant du déploiement de la fibre optique au soutien des sociétés innovantes du domaine. La Région doit mettre ses moyens en œuvre pour coordonner les démarches locales, à l’image de ce qui se fait dans le département des Hauts de Seine . La Région doit agir pour généraliser ce genre d’opération aux autres départements de la région, dans le but de réduire toujours plus la fracture numérique. Les sites Internet des régions doivent également devenir interactifs. Ils devraient intégrer de nouveaux services tels le covoiturage ou l’achat de titres de transport régionaux, le maintien à domicile, l’assistance médicale… Le champ des possibles est immense. Savez-vous que voyages-sncf.com, le premier site de ecommerce en France, est né d’une initiative publique ? La Région doit favoriser ce type d’action qui permettra à la France de devenir une nation leader dans le domaine du numérique ! Tous les métiers peuvent être traités, de la formation professionnelle à la santé. Je vous livre deux exemples concrets. Une société des Alpes Maritimes a mis au point un procédé de contact rapide sur les problèmes de santé des personnes âgées. En cas de problème, elles appuient sur un bouton de la commande de la télévision et entrent en contact avec une infirmière spécialement formée, à l’aide d’une webcam installée sur le poste de télévision. En fonction du degré d’urgence de la maladie, l’infirmière oriente la patiente vers le service adéquat, le médecin local, l’hôpital, le SAMU ou les pompiers. Une manière simple et efficace pour répondre à l’engorgement des urgences des hôpitaux ! Dans un tout autre domaine, les transports, surtout en région parisienne, sont un souci quotidien. Chaque matin, l’automobiliste parisien se pose la question s’il doit prendre le périphérique ou un autre chemin. On pourrait imaginer un réseau de webcams installées aux points névralgiques du périphérique, diffusant des images que chacun pourrait consulter sur son téléphone portable.I Interview réalisée par David Bourgeois (96) et Eric Vandewalle (96).
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