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Latitudes Spécial
Tbilissi
édito
G © Ariane Nicolas/ESJ
É OR G I E . P A S CE L L E D E R A Y (C H A R LE S ) OU D E FO RR E S T ( GU M P ), M A I S C E L LE D E M I KH E Ï L E T G I O R GI . P A S AT LA N T A , C A P I T A LE D E L ’É T A T A M É RI C A I N . M A I S T B I L I S S I , C E L L E D U P A Y S . C OC H E Z L A B O N N E CA S E , IC I ON C AUSE CAUC ASE . LA G U E RR E - É C LA I R D ’ A OÛ T 2 008 A BR A Q U É LE S P R OJ E CT E U RS O CC I D E N T A U X S U R C E P E T I T P A Y S , E X - R É P U B LI Q U E S OVI É T I QU E AU X POR TE S D E L’ A S IE E T D U M OY E N- OR IE NT. À L E U R T OU R , 56 FU TU R S JO U RN A LI S TE S S O N T VE N U S , S E P T JOU R S D U R A N T , Y C H E RC H E R LE S C L É S . CE L LE S D E S TA B OU S E N FE R MÉ S À D OU BL E TO U R : M I N OR I TÉ S , R E L I GI ON , S É P A R A T I S M E . C E L LE S Q U I G R I N C E N T O U Q UI R O U I L L E N T : R U S S I E , O T A N , EU R O P E . C E L LE S Q U I B RI L L E N T , F RA GI L E S : C RO I S S A N C E , R É F O R M E S, I N VE S TI S S E ME N TS É TR A N G E RS . L A P R I N C I P A LE E S T A U S S I L A M O I N S É V I D E N T E. L A C LÉ D U C H A M P D E B A T A I L LE RU S S O - GÉ O RG I E N . DE T O U S LE S E X - S A T E L L I T E S S O V I É T I Q U E S , T B I L I S S I E S T L E M O I N S D O C I L E E T E N T E N D L E RE S T E R . L A RU S S I E P R O M E T D ’A U T RE S R E P RÉ S A I LL E S S I S ON VO I S I N C ON T I N U E À F A I R E D E L ’Œ I L À L ’O U E S T . EN A T T E N D A N T , LE D R A P E A U A U X D OU Z E É T OI LE S D E JE A N M O N N E T FL OT T E S A N S C OMP L E X E S U R C E P A Y S D ON T L ’A D H É S I ON À L ’U N I O N E U RO P É E N N E S ON N E C OM ME U N E BL A G U E À BRU X E L L E S . R E MÈ D E MI R A C LE ? L ’ É QU A TI ON E S T / OU E S T E S T P I P É E . P OU R L E S G É O RG I E N S , D É P E N D RE D E L ’OC C I D E N T N E VA U T P A S MI E U X QU ’ Ê TR E S O U S LA C O U P E D E MO S CO U . L E U R P R ÉS I DE N T LE U R A B E A U C O U P P R O M I S . S I X A N S P LU S T A RD , LE S C H OI X P O LI TI QU E S ON T LE G OÛ T A M E R D E S R Ê VE S TR A H I S , BR I S É S P A R LA R E A L P OL I TI K . L ’ A VE N I R S E N T L E GA Z E T L A P OU D R E . LE C OR TÈ GE D E S D É Ç U S S ’ A L L ON G E , MA I S LE U R LI T A N I E A LE C H A R ME FR O N D E U R DES POÈMES ET DES POL Y PHONIES. LE S T S A R S LE S ON T MU S E L É S , S T A L I N E LE S A D É P OR T É S , PO U T I N E L E S M E N A C E E T L’ O C C I D E N T A T T E N D D E VO I R . LE S G É OR GI E N S , E U X , E N O N T VU D ’A U T RE S . LEUR IDEN TITÉ A BIEN SUR VÉC U À DES SIÈC L ES DE DO MINA TIONS ÉTR ANG ÈR ES. D ’E N Q U Ê T E E N RE P O RT A GE , D E Q U E S T I O N S E N C O N F I D E N C E S , L E S GÉ O R GI E N S N OU S O N T MON T RÉ Q U ’I L S N E S ON T D U P E S D E R I E N . O U VR ON S D O N C L E S GU I L L E ME T S , P OU R LE S L A I S S E R P A RL E R E T LE S R E ME R CI E R. D I D I MA D L OB A S A KA RT V É LO . M E R CI L A G É OR GI E . L A 84 E
Ce magazine a été entièrement conçu et réalisé par les 56 étudiants de première année (84e promotion) de l’École de journalisme de Lille (ESJ Lille), en collaboration avec les étudiants géorgiens du Georgian institut of public affairs (GIPA).
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SOMMAIRE La Géorgie est un laboratoire démocratique, un pays fier, en pleine évolution, attaché à ses racines, en train de se dessiner, de se construire un avenir au cœur du Caucase. Le conflit de l’été 2008, la situation géopolitique, le présent, le passé de ce pays en mutation nous ont donné envie de mettre le cap sur sa capitale. Pendant plusieurs mois, la Géorgie et Tbilissi auront donc aussi servi de laboratoire journalistique, terrain d’expérimentation exceptionnel pour les 56 étudiants de la 84e promotion de l’École supérieure de journalisme de Lille. Exceptionnel par la richesse des échanges avec les étudiants du GIPA, partenaire privilégié. Exceptionnel aussi en raison de la densité, de la variété et de la complexité de l’actualité géorgienne. Dans ce laboratoire, les étudiants lillois ont cherché, digéré, analysé des informations. Ils ont utilisé leurs stylos, caméras, micros pour d’abord créer et alimenter un site, pour ensuite peaufiner ce magazine. Après Marseille, Berlin, Londres, Bruxelles, Tbilissi vient enrichir la collection de Latitudes. L’ESJ Lille et les étudiants de sa 84e promotion sont heureux de vous en offrir la lecture.
VOISINAGE ET CONFLITS Caucase-tête p. 12
Sous les toits des déracinés p. 14-15 « Je veux cueillir mes pommes en Ossétie » p. 16 L’Europe comme horizon p. 17 Un œil sur les Ossètes Sachkhere,
Mémoires d’un figurant
PIERRE SAVARY
p. 21
Russie, je ne te hais point Barrage à trois
Repères
Portfolio
p. 24-25 La promesse turque p. 26 Le rideau de fer est levé à Sarpi p. 27
Le parrain américain
p. 6-11
Molière pour les élites
ÉCONOMIE Des travaux et des bas p. 80 Le vin géorgien : embargo pour un nouveau départ Investissement : la Géorgie sort du tunnel p. 85
p. 91
Poti hisse la grand-voile
Ecologie : la carotte financière
p. 92-93 p. 94
Borjomi retient son second souffle
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p. 82-83
p. 84
Bras de fer à Roustavi p. 86-87 Corruption : quand y en a plus, y en a encore Tourisme : Sighanghi, le village victime p. 90 Bazars bazardés
p. 22
p. 23
Staline tour à Gori
p. 4-5
Travailleurs volants non-identifiés
p. 18-19
l’armée atteint des sommets
p. 95
p. 88-89
p. 29
p. 28
p. 20
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POLITIQUE Des roses et des épines p. 30 SOMMAIRE
Comment le général Micha a changé de tactique
p. 32-33
Six ans révolus p. 34 K de divorce p. 35
Popes stars et orthodoxie politique
p. 36
«À sa place, je dé-mis-sion-ne-rais» Un rebelle à Paris p. 37
p. 37
Sur la route du pouvoir
p. 38-39
Les électrons libres de Ratom
p. 40
Les “malgré-nous” de la révolution
p. 41
Le parlement, carrefour des convulsions Un médiateur dans l’arène
p. 42-43
p. 44
SOCIÉTÉ Elle venait d’avoir 18 ans p. 46 Télé mon bon pouvoir
p. 48-49
« Les autorités privilégient le business » p. 50 Comme un Arménien en Géorgie p. 51
Prisons à la peine
p. 52-53
Le bacille de la honte p. 54 Un foyer pour Andro et Sopo
p. 55
Être homosexuel en Géorgie p. 55 Il était une foi p. 56-57 Au purgatoire des paradis artificiels L’Histoire comme une revanche Une police policée p. 60 Mères d’exil p. 61
Fighting Spirit
p. 62-63
L’exode ovale p. 64 50 ans à eux trois p. 65 Un fiasco royal p. 65
CULTURE Poétique intérieure p. 66 Pas de quartiers pour l’Art Nouveau Bémols à la création p. 70 La VO à propos p. 71
Tbilissi fait la nique à l’Eurovision
Quand l’art sort du cadre
p 68-69
p. 71 p. 72-73
En vers et contre la Russie p. 73 Zaliko : le Daumier géorgien p. 73
24h dans la peau d’une fashion victim Armée pour le théatre p. 76 Toiles de rue p. 76 Le folklore séduit encore p. 77 Gaoumarjos ! p. 77
Caucase mon amour
p. 78
p. 58
p. 59
p. 74-75
La dernière semaine d’avril à l’École de journalisme et de management des médias du Caucase s’est révélée aussi dense qu’enthousiasmante. La visite de 56 étudiants et de 9 professeurs de l’ESJ Lille a été le point culminant d’un long projet d’échange international. L’idée d’établir un partenariat entre les deux écoles est née en mai dernier, lors d’une conversation informelle avec Yves Renard, le directeur des projets internationaux de l’école. Peu de temps après, je recevais une lettre de l’ESJ, m’informant que l’école avait choisi la Géorgie comme thème pour le prochain exemplaire de Latitudes. Nous avons pensé que c’était le couronnement des efforts que notre pays avait faits pour devenir une démocratie européenne et que l’intérêt des étudiants français était sincère. Leur voyage a été une réussite. C’était la première fois que notre école participait à un échange d’étudiants de cette échelle. Nous avons été impressionnés par le professionalisme du groupe français : une excellente connaissance de l’environnement politique, social, culturel et économique de la Géorgie, combinée à un intérêt authentique et à un dur labeur. Mais le plus beau résultat de ce voyage est l’amitié qui a lié ces étudiants géorgiens, azéris, arméniens, français, chinois, turcs, congolais, algériens… Nous espérons qu’elle durera tout au long de leur vie professionnelle. Ce magazine est aussi intéressant pour les lecteurs français que géorgiens. Les Français peuvent découvrir notre pays et les Géorgiens verront leur vie sous un angle nouveau. Je conclurai en citant la chanson écrite par les étudiants français sur leur épopée géorgienne : Didi Madloba… Merci beaucoup !
MAIA MIKACHAVIDZE
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REPÈRES Un pays dix fois plus petit que la France
La Géorgie en 2009 Superficie : 69 700 km2 Population : 4,6 millions d’habitants Capitale : Tbilissi Villes principales : Koutaïssi, Batoumi, Soukhoumi, Roustavi, Zougdidi Langue officielle : géorgien Monnaie : Lari (GEL), 1 lari = 0,45 euro Fête nationale : 26 mai (anniversaire de l’indépendance de 1918) Président : Mikheïl Saakachvili depuis 2003, réélu en 2008
GÉORGIE
Une société de paradoxes Croissance démographique (2008) : - 0,325 % Espérance de vie : 76,5 ans Âge moyen : 38,6 ans Taux de fécondité : 1,44 enfant par femme Taux d’avortement : 3,1 par femme Religions : chrétiens orthodoxes (83,9 %), musulmans (9,9 %), catholiques (0,8 %) Indice de développement humain : 0,754 (96e rang mondial, selon les Nations Unies) Classement 2008 pour la liberté de la presse (RSF) : 120e pays sur 173
Vers l'ou e
st
UE, l’espoir lointain Il n’est pas encore question d’une intégration de la Géorgie dans l’Union européenne, même si les pays membres ont peu à peu esquissé un rapprochement. Depuis 2004, le pays fait partie de la Politique de voisinage européen, un partenariat qui implique des relations politiques, sécuritaires, économiques et culturelles intensifiées avec l’UE. La Géorgie est également membre du Conseil de l’Europe depuis 1999.
Otan, l’espoir déçu Au sommet de Bucarest d’avril 2008, l’Otan refuse de signer un “Plan d’action pour l’adhésion” avec la Géorgie (processus de réformes politiques et militaires préparant l’association aux structures de l’Alliance), mais officialise l’intégration prochaine du pays. La guerre contre la Russie en août gèle ce rapprochement. En septembre, une commission officielle est tout de même mise en place pour superviser le rapprochement Otan-Géorgie, et mettre en œuvre des mesures de soutien et de reconstruction du pays.
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États-Unis, l’espoir retrouvé Un accord-cadre de partenariat stratégique entre les États-Unis et la Géorgie est signé en janvier 2009. Il s’agit de renforcer la coopération entre les deux pays, sur les plans économique, diplomatique et militaire. Si Mikheïl Saakachvili, proche des milieux néoconservateurs américains, s’est inquiété de l’arrivée de Barack Obama à la Maison Blanche et de sa volonté de calmer le jeu avec la Russie, il a depuis été rassuré. Hillary Clinton, secrétaire d’État américaine, a reçu en avril à Washington son homologue géorgien pour lui assurer de son soutien sans failles « à l’indépendance et à la démocratie géorgienne ».
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REPÈRES La Russie : un voisin omniprésent La guerre d’août 2008
Les relations entre la Géorgie de Mikheïl Saakachvili et la Russie se sont considérablement dégradées en six ans, menant à la guerre et à la rupture diplomatique. Principales pommes de discorde, le soutien de Moscou aux régions séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, majoritairement russophiles, et le renforcement des liens entre la Géorgie et l’Occident.
La Géorgie déclenche le 8 août une offensive terrestre contre sa province séparatiste d’Ossétie du Sud. La riposte russe ne tarde pas : des ports géorgiens de la mer Noire sont bombardés et des chars déployés. L’Abkhazie, autre région indépendantiste forte du soutien russe, se lance dans la bataille le lendemain. L’armée géorgienne bat vite en retraite et ne peut arrêter la progression des chars russes qui stationnent à une dizaine de kilomètres de Tbilissi. L’Union européenne arrache la signature d’un cessez-le-feu le 12 août. Mais dix jours plus tard, la Russie reconnaît l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie. Un accord de paix est finalement signé le 8 septembre. Les troupes russes se retirent de Géorgie en octobre, mais conservent leurs positions sur les territoires abkhaze et ossète.
Les échanges économiques ont accompagné cette dégradation. En 2006, les Russes décrètent un embargo sur les importations de vins géorgiens pour des « raisons sanitaires » (le marché russe représentant auparavant jusqu’à 85 % des débouchés du secteur) et un an plus tard, doublent le prix du gaz pour leur voisin caucasien. La Russie restait malgré tout son troisième partenaire commercial en 2007, réalisant 9,7 % de son chiffre d’affaires extérieur. Par ailleurs, le géant russe conserve une forte influence culturelle sur la société géorgienne. Outre l’orthodoxie, qui connaît un regain d’intérêt dans les deux pays, la langue de Pouchkine est encore très utilisée là-bas, surtout parmi les plus de trente ans. Les ponts humains ne sont pas coupés non plus : près d’un million de Géorgiens vivent toujours en Russie, pour y travailler et envoyer de l’argent à leur famille (à hauteur de 140 millions de dollars au premier trimestre 2008, selon la Banque centrale russe).
MOSCOU
Dates clés
1600km
1921
1936
Invasion soviétique. La Géorgie forme alors la République socialiste fédérative soviétique de Transcaucasie (RSFST) avec l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
1991
En 1936, la RSFST est dissoute et la Géorgie devient la République socialiste soviétique de Géorgie.
La Géorgie est la première république socialiste à déclarer son indépendance. Le premier président, Zviad Gamsakhourdia, est remplacé dès 1992 par Edouard Chevardnadze, ancien ministre des Affaires étrangères de l’URSS.
1992
2003
L’Abkhazie proclame unilatéralement son indépendance. Quelque 200 000 Géorgiens fuient la république séparatiste.
La révolution des Roses renverse le président Chevardnadze dont le gouvernement est accusé de corruption. Mikheïl Saakachvili investit le parlement, une rose à la main, puis est élu président.
Économie Investissements étrangers
Croissance
(en milliards de $)
(en %)
Chômage
Partenaires économiques en 2008 12,4
2007
(en % de la population active) 20
1200
20
2
2,0
(en millions de $)
1200
1,5
1000 1,0
791
600
0,5 0,45
3,5 12
15 200
USA
9
307
Chine
6
343
Russie
3
467 454
Ukraine
0
400
Allemagne
2009 (prévisions)
Turquie
2008
2007
10
813
800
Azerbaïdjan
14
13,3
2009 (prévisions)
15
1,3
1,2
2,0
2008
0,0
2005
2006
2007
2008
2007
Le 7 novembre, la police réprime la manifestation de l’opposition à coups de matraque et de balles en caoutchouc. Les forces de l’ordre pénètrent dans Imedi, la télévision d’opposition dont la diffusion est arrêtée.
2008
Mikheïl Saakachvili est réélu président à la faveur d’élections anticipées. Il remporte 53,4 % des suffrages.
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Investissements étrangers
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PORTFOLIO
N OUS SOMMES EN 56 APRÈS S TALINE . T OUTES LES CAPITALES D ’ EX-URSS PLIENT SOUS LE JOUG DE M OSCOU . T OUTES ? N ON , L’ UNE D ’ ELLES RÉSISTE ENCORE ET TOUJOURS À L ’ ENVAHISSEUR . E LLE A TREMBLÉ DEVANT LES CHARS RUSSES À SES PORTES , IL Y A NEUF MOIS MAIS N ’A PAS PERDU SON SANG - FROID . C’ EST MAINTENANT LE PRÉSIDENT S AAKACHVILI QUI AFFRONTE LA CAPITALE INDOMPTABLE .
© Renaud
La forteresse Narikala veille sur Tbilissi depuis le IVe siècle.
Entre deux vieux balcons apparaît le dôme du nouveau palais présidentiel, toujours en construction. Les Tbilissiens le surnomment gaillardement “les couilles de Micha”.
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L’agitation de la capitale n’atteint pas le vieux Tbilissi, où se concentrent les maisons typiquement géorgiennes : une cour intérieure avec quelques poules, un balcon en fer forgé ou en bois sculpté pour profiter du climat méditerrannéen. L’architecture orientale, très éloignée des constructions du centre-ville, témoigne du mélange des styles à Tbilissi.
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© Sébastien Borgeaud/ESJ
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Cette jeune militante du parti Alliance pour la Géorgie est venue réclamer la démission du président. Comme des centaines de ses compatriotes.
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© Jacques Matand/ ESJ
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© Sébastien Borgeaud/ESJ
Malgré les efforts des plus déterminés, la mobilisation de l’opposition s’est rapidement essouflée.
Slogans chocs, photomontages... L’opposition cherche à marquer les esprits.
© Renaud Bouchez/ENSLL
Depuis le 9 avril, l’opposition tient le siège devant le Parlement. Ses partisans se disent « prisonniers en Géorgie » et occupent leurs “cellules” jour et nuit.
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Fin d’après-midi, place de la Liberté. Les échecs restent un jeu apprécié dans l’ancienne République socialiste soviétique.
© Noémie Coppin/ESJ
© Noémie Coppin/ ESJ
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Sourires cueillis au marché aux fleurs du vieux Tbilissi.
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© Sébastien Borgeaud/ESJ
Fermée à la circulation pendant les manifestations, l’avenue Roustavéli se transforme en terrain de jeux
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À l’Ouest, l’éden ?
© Aurélien Accart/ESJ
La Géorgie, neuf mois après la guerre ? Vu de Tbilissi, tout va plutôt bien. Déroute militaire face à l’ours russe ? Non. « Notre armée n’est pas à reconstruire », martèle-t-on. L’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, des territoires perdus ? Dans la rhétorique du président Saakachvili, deux provinces rebelles à « réintégrer », simplement. Et les déplacés ? Regroupés dans des logements d’urgence qui ont poussé comme des champignons mais que Tbilissi évite de nommer “camps“. Entre la Géorgie et ses deux provinces, on ne passe plus. Une frontière ? Plutôt une « limite administrative ». Ce serait presque la vie en rose, version après–guerre. Sauf que, par endroits, le port du gilet pare–balles est obligatoire. Et que des murs de sacs de sable séparent les deux camps. Pourquoi tant de précautions sémantiques ? Tbilissi refuse de perdre la face. Visà-vis de la Russie, mais surtout des alliés européens et américain. Le capitaine Saakachvili en a décidé ainsi : cap à l’Ouest ! Drapeau européen omniprésent, éducation à l’occidentale, espoirs d’Otan, la Géorgie attend beaucoup de l’Ouest. Trop ? La Géorgie, théâtre d’un grand jeu qui la dépasse. Au centre de l’échiquier, les Géorgiens. Élevés au biberon soviétique, beaucoup ne savent plus à quel sein se vouer. Casse-tête caucasien.
Caucase Horizon Europe Déracinés p. 16
Mission Ossétie
Cette séquence a été réalisée par : Aurélien Accart, Anne Andlauer, Gayane Avetisyan, Vugar Babayev, Gvantsa Barbakadze, Sébastien Borgeaud, Solange Brousse, Maka Chinchaladze, Eka Chitanava, Malkhaz Chkadua, Teona Chkadua, Tuta Chkheidze, Ani Chumburidze, Noémie Coppin, Jean-Louis Dell’Oro, Noémie Destelle, Pinar Ersoy, Mathilde Fassin, Rudy Flochin, Kristina Garuchava, Nicolas Gauduin, Ia Gavacheli, Kim Gjerstad, Maia Gogitidze, Zaka Guluyev,
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e - tête Staline Tour à Gori
Paroles de soldat
Sarpi dans la focale
Tsira Gvasalia, Ana Iasechvili, Julie Jammot, Suzi Kalachian, Lika Kasradze, Julie Koch, Mariam Kochiachvili, Kamila Mamedova, Tâm Melacca–Nguyen, Natia Metreveli Juliette Montesse, Rusudan Panozichvili, Estelle Péard, Giorgi Pkhachiachvili, Jean-Baptiste Renaud, Marianne Rigaux, Aurylia Rotolo, Roxane Pour Sadjadi, Benjamin Smadja, Natia Sukhiachvili, Chloé Woitier.
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CONFLITS
Sous
des
les toits
déracinés © Anne Andlauer & Sophie Delpont /ESJ
À Tserovani, des maisonnettes de 30 m2 abritent environ deux mille familles déplacées.
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CAUCASE-TÊTE L ORS DU CONFLIT RUSSO - GÉORGIEN D ’AOÛT 2008, DES MILLIERS DE CIVILS ONT FUI L’O SSÉTIE DU S UD ET LA RÉGION DE G ORI . S ELON L ’O NU , PRÈS DE 40 000 N ’ ONT PU REGAGNER LEUR FOYER . L E GOUVERNEMENT S ’ EMPLOIE À LES RELOGER .
« Le gouvernement a payé » Son scepticisme tranche avec la gratitude des autres déplacés. « Bien sûr que les autorités font tout ce qu’elles peuvent. Avec les manifestations de l’opposition en ce moment, elles ne doivent pas avoir le temps de nous construire des maisons , soutient Shura. On n’a pas faim, on n’a pas froid, on a un toit sur la tête donc on est satisfait. » À Tserovani, les déplacés ont aussi un toit. Mais il leur appartient. Sopho, 25 ans, vit avec sa famille dans l’une des 2 100 mai-
© Estelle Péard/ESJ
voir une maison, sons de ce camp, situé à quelques quelque chose à kilomètres au nord de Tbilissi. Au moi. » C’est tout numéro 135 de la 16e rangée. Sans ce que Shura dé- emploi depuis quelques mois, la sire. Cette fem- jeune femme passe le plus clair de me de 60 ans au son temps dans sa chambre. Sur visage fané at- son lit, à côté des peluches, traîne tend, comme tant d’autres, une un sac à main. Le seul objet resplace dans les lotissements d’ur- capé de sa vie d’avant. Le seul gence fraîchement construits. Elle qu’elle ait eu le temps d’emporter vit actuellement dans une école quand elle a fui l’Ossétie du Sud abandonnée du centre de Gori par crainte des bombardements avec plus d’une centaine de dé- russes. Face aux dizaines de milliers de placés. Dans son dortoir, quatre autres femmes. En août dernier, déplacés qui ne peuvent rentrer c’est en chemise de nuit que Shu- chez eux pour des raisons de ra a fui son village situé à 6 kilo- sécurité, les services de Mikheïl mètres de Tskhinvali [Ossétie du Saakachvili ont dû réagir rapideSud]. Après avoir campé dans plu- ment. Avec l’aide internationale, sieurs écoles, elle a trouvé une ils ont fait construire en toute hâte place ici fin août, avec l’aide de la de vastes lotissements pour les Croix-Rouge. « On mange en- reloger. Les habitations ont été semble, on dort ensemble, comme achevées deux mois et demi après la fin du conflit. Ces maisons une famille. » Si Shura s’accommode de la vie alignées, des cubes identiques en communauté, Zizilo, 70 ans, flanqués d’un petit jardin, dessinent de longues regrette de ne pas « On a un toit sur la tête rangées de domipouvoir partager nos. Dans l’imle même dortoir donc on est satisfait. » mense labyrinthe que son mari. Dans la chambrée où elle vit, une qu’est le camp de Tserovani, table, une petite chaise et des lits impossible de se repérer sans le en fer forgé recouverts d’édre- numéro inscrit au marqueur sur dons colorés. Tout cela leur a été les vitres. « Le gouvernement a tout payé : le donné, mais Zizilo reste dubitative : « Je ne sais pas si le gouverne- mobilier, la télé, l’électricité. Les ment a fait de son mieux mais je maisons ont été livrées tout équisais que les pays étrangers et pées », se plaît à raconter Koba l’Église nous ont beaucoup aidés. » Soubeliani, le ministre géorgien L’équipe de Saakachvili lui a aux Réfugiés. Parquet, fenêtres en pourtant promis une maison pour PVC, eau courante : des condijuin. Mais une inquiétude la tions de vie plutôt satisfaisantes hante : le sort de ses enfants. selon les habitants de Tserovani. Hébergés chez des proches, donc Reste que le ministre reconnaît moins visibles, ils n’ont pas quelques carences et promet des bénéficié des distributions de améliorations. À commencer par nourriture, de bois de chauffage des barrières pour délimiter les ou de mobilier.
Mamuka , ancien journaliste, vit dans une école désaffectée de Gori depuis octobre 2008.
terrains, des cabanes à outils et la plantation d’arbres fruitiers. En cette fin d’avril, il fait plutôt froid à l’intérieur des maisonnettes. Dans le salon de Sopho, un poêle électrique vient suppléer le radiateur. « Le gaz est gratuit mais il n’a toujours pas été mis en service », explique Nanuli, la mère de Sopho.
Sans date de retour Les chemins boueux et le sifflement du vent dans les maisons rappellent que ce village a été construit dans l’urgence. Si les autorités ont tenté d’égayer le camp en peignant certaines façades en rose ou en vert pomme, les habitants ne veulent y voir qu’un lieu de transit dans l’attente d’un hypothétique retour. « Ce n’est pas un cadre de vie désagréable mais ça n’a rien à voir
« Ils ont vécu des choses très dures » Sopho Veroulachvili, membre de l’association de psychologie et de psychothérapie, une ONG internationale :
«La grande erreur du gouvernement a été de ne pas accorder assez d’importance aux conséquences psychologiques de la guerre d’août. Les déplacés ont tout perdu, ils ont vécu des choses très dures. Chez les enfants, on observe souvent un manque de concentration, des comportements mutiques, de grosses difficultés à l’école. Il faut les aider à se reconstruire car le stress post-traumatique peut avoir de lourdes conséquences. Si on ne fait rien, ces personnes vont devenir inadaptées à la société. Il y a bien eu quelques projets mais seulement de courte durée. On ne peut pas travailler pendant deux mois et s’en aller en disant que tout est réglé ! Le gouvernement doit prendre ses responsabilités. »
avec ma terre d’origine, celle où je suis née et où je me suis mariée », s’émeut Eteri, une déplacée de 78 ans aux yeux rieurs. Originaire d’Akhalgori [Ossétie du Sud], elle reconnaît pourtant que sa nouvelle maison est plus confortable que celle où elle vivait avant la guerre. Amusée, elle trouve un seul avantage à vivre à Tserova ni : doté de sa propre chambre, son fils de 43 ans va enfin pouvoir prendre femme. Retour dans l’école abandonnée de Gori. À côté du dortoir des femmes, la répartition des colis alimentaires fournis par USAid et l’Union européenne se termine. Manana, une bassine de haricots rouges et des paquets de spaghettis dans les bras, retrouve son mari Mamuka dans la pièce de 10 m2 qui leur a été attribuée. Ce couple connaît bien le sort des déplacés. Tous deux ont fui l’Abkhazie en 1993, lors de la guerre qui opposa cette région séparatiste au gouvernement géorgien. Après une escale de plusieurs années en Russie, d’où ils ont été expulsés en 1997, puis à Tbilissi, ils ont échoué ici en août, parmi la dernière vague de déplacés. « On avait promis à ceux de 1993 qu’ils rentreraient chez eux et ils attendent toujours, soupire Nanuli. Alors pour notre retour, on ne peut rien dire. » Rien, sinon que les maisons de Tserovani ont la solidité inquiétante du provisoire qui dure ■
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CONFLITS
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Je veux cueillir mes pommes en Ossétie Avant la guerre d’août 2008, Zouriko Cervadze avait l’espoir d’ouvrir une usine de transformation de pommes en Ossétie. Il avait tout prévu, sauf la guerre.
À L’ ÉTÉ 2008, Z OURIKO ET L ILI C ERVADZE ONT FUI L’O SSÉTIE DU S UD POUR LA DEUXIÈME FOIS EN VINGT ANS . I LS VIVENT DEPUIS DÉCEMBRE DANS UN VILLAGE DE DÉPLACÉS . D EUX MILLE CENT MAISONS COPIÉES - COLLÉES À DIX KILOMÈTRES DE T BILISSI .
I
l coiffe ses cheveux clairsemés. Elle à Tskhinvali, la “capitale” sud-ossète. La seoffre un café. Il s’agite, elle s’essouffle. maine, Zouriko travaille à l’usine. Le weekDeux lits, une table, trois tabourets. end, il prend l’air en montagne. « Lors d’une promenade, je découvre une Trente mètres carrés. « 0J’ai soixantedouze ans et je vis dans du vide. » À qui source. Je rêve alors de bâtir mon usine d’eau la faute ? Zouriko Cervadze hésite. Lili, minérale. » En 1989, l’eau Baghiati est mise en bouteille. On la boit à Tbilissi et bientôt, essa femme, se tait. Elle est ossète. Lui est né à Nuli, villa- père Zouriko, à Moscou. Il emploie vingt-cinq ge géorgien d’Ossétie du Sud. « Nous avions personnes, ossètes ou pas. Mais la guerre ruine ses ambitions. En 1991, une grande maison là-bas. L’été dernier, nos trois enfants étaient en vacances chez nous. l’usine est détruite et la famille éclate, les parents s’installent à Nuli, les enfants chez une Personne ne s’attendait à la guerre. » grand-mère de Roustavi. Le 8 août 2008, les Cervad« À mon âge, c’est dur Avec le temps, les affaires ze fuient leur foyer à l’aurod’admettre qu’on n’a plus reprennent. Zouriko vend des re, en bus, vers Tbilissi. Ils de chez-soi . » machines géorgiennes à des n’emportent presque rien. « Nos médicaments, parce qu’ils sont chers. » clients russes et ossètes. « Un soir d’août Leur toit pendant quatre mois : une école de 1994, un client ossète me téléphone. Il retient mon fils aîné en otage, refuse de payer la facla capitale. Puis cette maison de béton rose. Zouriko Cervadze aime l’humour. « Si j’avais ture et réclame 55 000 dollars… » Le vieil homsu pour la photo, je serais passé au pressing. » me répète le montant. Deux fois, trois fois. La famille Cervadze emprunte, vend, épuiMais il est amer. D’une guerre à l’autre, il a perdu deux maisons. « À mon âge, c’est dur se ses réserves. Et paye. « Une nuit, les ravisseurs me rendent mon garçon… mais je dois d’admettre qu’on n’a plus de chez-soi. » repartir à pied. » Zouriko est ruiné, une nouRepartir de zéro, deux fois velle fois. Son aîné part travailler en Russie Lili et Zouriko se marient en 1971. Un en- car il faut soigner la mère, malade, et payer fant naît, puis un autre et la famille s’installe les études de la sœur. Cela ne suffit pas : le
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cadet le rejoint en 1999. Tous deux parcourent l’Allemagne, l’Espagne, la France. « Pendant dix ans, je n’ai pas vu mes frères », raconte Eka, la benjamine.
« Cette terre est à moi » L’aîné envoie 300 dollars les mois fastes. L’autre nourrit sa famille à Tbilissi. « J’aurais tellement voulu repartir à zéro une fois de plus et garder mes enfants en Géorgie », soupire Zouriko. Les fils reviennent enfin à Nuli, en février, puis juillet 2008. Un mois avant la guerre. « Mon père ne voulait pas quitter sa maison, raconte Eka. Le 8 août, mes frères ont dû le sortir de force pour qu’il prenne la route avec le reste du village. » La maison de Nuli n’est plus qu’un tas de pierres. « Un ami nous a montré des photos satellites sur Internet… » Son père l’interrompt. « J’ai un jardin là-bas, un grand jardin de pommiers. » Plus ses gestes s’étirent, plus sa voix se déchire. « Ils ont détruit la maison mais la terre est à moi. » Il reprend haleine, droit sur son tabouret : « Je veux cueillir mes pommes. J’en ai eu vingt tonnes l’an dernier. Avec un peu de chance, j’en aurai cinquante l’an prochain. » ■
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CAUCASE-TÊTE
L’image de l’Union européenne s’est renforcée dans l’opinion publique géorgienne depuis la fin du conflit contre la Russie.
L’ ENTRÉE DANS L’U NION EUROPÉENNE SÉDUIT UNE LARGE MAJORITÉ DE G ÉORGIENS . M AIS ILS ATTENDENT PLUS QU ’ UN SYMBOLE . L’ INTÉGRITÉ DU TERRITOIRE ET LA CRISE ÉCONOMIQUE SONT LEURS PRINCIPALES PRÉOCCUPATIONS .
L
a Géorgie a fait un nouveau pas en direction de l’Union européenne (UE), le 7 mai dernier, en signant un partenariat oriental aux côtés de cinq autres républiques d’ex–Union soviétique. Ce texte n’est pas la garantie d’une future adhésion à l’UE, mais un ensemble de projets destinés à favoriser l’intégration de ces pays à l’économie et à la législation européennes. La signature de cet accord intervient dans un contexte où les instances européennes retrouvent progressivement du crédit aux yeux des Géorgiens, après une légère défiance observée à la sortie du conflit contre la Russie.
L’UE séduit à nouveau Fin avril, l’Institut international républicain, un organisme lié au parti américain éponyme, a publié la dernière version de son étude semestrielle sur les tendances de la société géorgienne. À la question « Jugez-vous plus important de rejoindre l’Otan ou l’UE ? », les sondés placent les deux institutions sur le même plan. L’Union a de nouveau la cote : juste après la guerre d’août 2008, 45 % d’entre eux fixaient comme priorité l’adhésion à l’Otan, contre seulement 25 % pour l’Europe. Finalement, les tensions avec la Russie n’ont fait que renforcer l’attraction de l’Union. « Les gens recherchent des garanties de sécurité après l’agression russe de l’été dernier, et l’Union européenne en est une à leurs yeux », estime Gia Nodia, président de l’Institut caucasien pour la paix, la démocratie et le développement. « Les Géorgiens sont inquiets pour
L’Europe
horizon l’intégrité du territoire. La perspective d’une aide Karina Barseghian, une responsable du extérieure ne peut que les attirer. » Selon lui, les Mouvement démocrate. Géorgiens considèrent que l’Union euroMénager les Russes péenne les a soutenus en août dernier. Et c’est bien ce qui ressort des conversations Un consensus politique qui a ses limites. Cerengagées dans les rues de Tbilissi. Même si, tains opposants accusent la politique pro« un peu avant la guerre, il y a eu une petite occidentale de Mikheïl Saakachvili d’être à crispation parce que les Géorgiens trouvaient l’origine du conflit avec Moscou. Le que les Européens, et surtout les Français, ne rapprochement avec l’Europe est souhaité, faisaient pas grand–chose », se souvient mais pas au détriment des relations avec les Antoine Bardon, un importateur français Russes. Pour ses détracteurs, les échanges installé en Géorgie depuis 1996. À l’issue du commerciaux avec les pays européens restent conflit, l’image des Européens s’est renfor- faibles et la Géorgie souffre toujours autant du cée : « C’est le président français [alors à la tête blocus de ses exportations vers la Russie. de l’UE] qui a arrêté les Russes. Sinon, leurs « Quand j’étais ministre des Affaires étrangères, troupes seraient parvenues jusqu’à Tbilissi », l’ouverture à l’Europe était nécessaire. Aujourestime Geno Arotino, un médecin partisan de d’hui, ça se retourne contre nous parce que, l’opposition. finalement, nous sommes touLe contexte de crise écono- « Les Géorgiens sont inquiets, jours aussi dépendants des mique mondiale favorise cet la perspective d’une aide Russes. C’est avec eux que engouement. Outre le pro- extérieure ne peut que les nous passons les principaux blème de l’inflation, les contrats en matière d’énergie », attirer. » Géorgiens espèrent que l’UE analyse Salomé Zourabichvipermettra de lutter contre un chômage qui se li, l’une des figures de l’opposition. développe dans des proportions inquiétantes. L’Europe attire donc... mais ses institutions Son taux officiel est de 14 %, mais des ana- restent un mystère pour 51 % des Géorgiens lystes tels qu’Evelyne Baumann, socio–éco- qui affirment n’avoir « aucune connaissance » nomiste à l’Institut de recherche sur le déve- de leur fonctionnement. « Nous organisons loppement, l’estiment « entre 30 et 40 %. » des réunions avec des hommes d’affaires pour L’intégration à l’UE est d’ailleurs l’un des leur décliner les intérêts qu’ils peuvent y seuls débats où la plupart des opposants sou- trouver », tempère David Darchiachvili, présitiennent les vues du gouvernement. « Bien dent du Comité d’intégration à l’Union eurosûr, nous avons encore un long chemin à péenne. Concernant le reste de la population, parcourir pour être appelés “pays européen”. il se montre d’un fatalisme déconcertant : « Je Nous devons nous montrer prêts pour cela et pense que le problème est trop complexe pour obtenir le statut d’État membre », explique une large partie de la société géorgienne. » ■
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« Nous ne sommes pas là pour imposer la paix »
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LA GÉORGIE DANS LE MONDE
Un œil
Jean-Patrick Boudier, commandant de l’antenne-Gori de la mission des observateurs européens. Le fait que vous ne soyez pas armés constitue-t-il un handicap ? Au contraire, c’est une sécurité. Nous ne sommes pas là pour imposer la paix, mais pour observer et rendre compte, c’est différent. On se protège avec du blindage, des gilets pare-balles et un statut diplomatique. Je crois que ça suffit. Même si en face règne une certaine excitation, nous devons garder notre calme. Si nous brandissions notre arsenal, ça risquerait de dégénérer.
Ossètes
Les mis sions de l’O nu et de l’OSCE* s’achèvent fin juin. Cela change-t-il quelque chose pour vous ? Ça ne changera en rien notre travail ici, qui est de fournir le plus rapidement et le plus objectivement possible du renseignement brut, au ras des pâquerettes, à Bruxelles. Vous ne pouvez pas aller là où théoriquement vous devriez, en Ossétie du Sud et en Abkhazie. Au fond, cette mission n’est-elle pas bancale ? Effectivement, la précision du renseignement serait complète si nous pouvions travailler des deux côtés de la “ligne administrative”. Mais on ne peut pas puisqu’en face, ils ne nous accepteront que si l’Europe reconnaît l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie. Ils ne veulent pas de nous. En ne patrouillant pas de l’autre côté, ne renforcez-vous pas cette notion de “frontière“ ? Ce n’est pas nous qui faisons cette frontière. Ce sont les tranchées, les sacs de sable qui sont autant d’un côté que de l’autre. Et peut–être même plus visibles du côté géorgien ! Chacun y va de sa frontière. *L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe
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L A M ISSION D ’ OBSERVATION DE L’U NION EUROPÉENNE S ’ EMPLOIE À STABILISER LA “ LIGNE ADMINISTRATIVE ” QUI SÉPARE LA G ÉORGIE DE SES PROVINCES SÉPARATISTES .
D
eux snipers sud–ossètes à l’affût dans une lucarne en béton. À droite, un mur de sacs de sable. Entre les deux, agités par un vent froid, les drapeaux ossète et russe flottent sur un étroit no man’s land. Ce décor glacial, c’est l’horizon quotidien des policiers et des militaires postés en lisière de la province sécessionniste. « Faut jamais rester longtemps figé au niveau des checkpoints ; sinon ça pourrait mal se terminer », explique Pascal, l’un des observateurs de l’EUMM (Mission d’observation de l’Union européenne, selon le sigle anglais). Nous sommes à Ergneti,
un village géorgien qui jouxte l’Ossétie du Sud. L’été dernier, Moscou a reconnu l’indépendance de Tskhinvali, la capitale sud–ossète. Depuis, sur 130 km, on ne passe plus l’Administrative border line (ABL), une frontière qui ne dit pas son nom.
Observer et rapporter Le long de cette ligne patrouillent les moniteurs de l’EUMM, arrivés en septembre 2008, au sortir de la guerre. Soixante–huit hommes basés à Gori. Parmi eux, vingt–neuf gendarmes français. Pour chaque patrouille, six hommes dont un russophone. Aucune arme, juste un gilet pare-balles. Leur mission
auprès de Bruxelles : « observer et rapporter. » Tous les jours, les 4x4 blindés des observateurs sillonnent les abords de l’ABL, mais côté géorgien seulement. Impossible, faute d’accord, de pénétrer en territoire sud–ossète. On se borne donc à recueillir des informations auprès des policiers géorgiens en treillis de combat reclus dans une vingtaine de fortins. « À Kvemo Nikozi, les Géorgiens disent avoir entendu des échanges de tirs cette nuit. À nous de vérifier si l’information est vraie. » Direction le poste de police de Dici. Peine perdue : les gendarmes n’en sauront pas plus cette fois. Au retour, dans leur Panhard, les
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CAUCASE-TÊTE Au checkpoint d’Ergneti, les observateurs essaient de tisser un lien avec les policiers géorgiens.
Otan : huit mois de fiançailles fficiellement, personne ne parle encore d’adhésion. Mais les signes de rapprochement se multiplient. Depuis septembre 2008, l’Otan et la Géorgie “discutent“. Un nouveau départ après le report de son adhésion, réclamé par certains pays membres de l’Organisation au lendemain de la guerre. Dernière avancée en date, un plan de partenariat individuel dont la signature est prévue fin mai. Son nom : le Programme national annuel (ANP). Si elle veut rejoindre l’Alliance, la Géorgie doit remplir les objectifs fixés, à commencer par le renouvellement de son armée. La guerre a d’abord démontré les faiblesses de sa défense anti–aérienne. Autre point noir pendant le conflit, la formation des soldats. Des officiers anglais et allemands aident leurs homologues géorgiens à revoir leurs formations. Au lendemain de la défaite contre la Russie, l’Otan a lourdement encouragé la Géorgie à repenser sa stratégie militaire. Le message est passé : en février dernier, le ministère de la Défense géorgien a publié son Ministry’s Vision 2009. La nouvelle doctrine est clairement défensive, renvoyant à un futur hypothétique la reconquête des territoires ossète et abkhaze. Pour l’instant, la Géorgie et l’Otan affichent leur entente. Des exercices d’entraînement des troupes de l’Otan ont eu lieu près de Tbilissi, entre le 6 mai et début juin. Moscou a attendu fin avril pour dénoncer ces exercices, pourtant prévus de longue date. « La Géorgie est un agresseur et nous ne pouvons décrire ce qui se passe que comme une aide militaire et politique à un agresseur », a déclaré Sergueï Riabkov, le vice-ministre des Affaires étrangères, à une agence de presse russe. De son côté, la Géorgie a accusé son voisin d’être derrière une mutinerie dans l’une de ses bases militaires la veille de ces exercices. Le ministre de l’Intérieur a dénoncé une opération destinée « à perturber les manœuvres militaires de l’Otan et à tenter un coup de force militaire. » Avant de tempérer ces accusations le 11 mai dernier, faute de preuves. ■
O
Un
vigies européennes saluent gamins et paysans croisés au gré des villages traversés. « C’est une manière de créer un contact », indique Stéphane, un gendarme. Populaire auprès des “locaux”, la mission l’est peut-être moins aux yeux des policiers géorgiens, parfois sanctionnés pour détention d’armes non autorisées : « On est en permanence en train de les surveiller, concède Stéphane. À leur place, c’est vrai, ça m’agacerait. »
« Tu reviens, on te tire dessus »
Jérôme Darcourt, gendarme originaire de Lille, sert au sein de l’EUMM depuis septembre dernier, où ce russophone fait aussi office de traducteur. « Quand j’ai débuté dans la gendarmerie, il y a vingt ans, l’ennemi, c’était Staline. Si l’on m’avait dit que je servirais un jour dans sa ville natale ! J’ai basculé du Val–d’Oise, mon lieu d’affectation, à Gori en moins d’une semaine, grâce à ma connaissance du russe. Je bénis mes parents de m’avoir fait apprendre cette langue pour échapper à la carte scolaire ! Les conditions de vie sont moins bonnes qu’en France, mais je suis ravi par le côté humain. Quand la mission s’achèvera, je laisserai une partie de moi-même dans ce pays » © Chloé Woitier/ESJ
Avec les Ossètes, les rapports sont plus tendus. « Ces types sont tellement imprévisibles : ils te font un grand sourire puis ils te disent “si tu reviens, on te tire dessus”. » De fait, il arrive que les Sud–Ossètes lâchent une rafale en l’air, surtout en fin de soirée, sous l’emprise de l’alcool. Résultat : pas de patrouille après 23 h, sécurité oblige.
« Le dernier incident sérieux a eu lieu le 29 mars. Un policier [géorgien] a été tué, six autres blessés », rappelle le général Gilles Janvier, chef militaire de la mission à son QG de Tbilissi. Le 23 avril, des délégations ossète, russe et géorgienne se sont réunies sous une tente plantée dans le no man’s land d’Ergneti, sous l’égide de l’EUMM. Espoir rapidement déçu : une semaine plus tard, l’Ossétie du Sud délégait le contrôle de ses pseudo-frontières à Moscou. Une initiative de mauvais augure pour le processus de paix, avec laquelle l’EUMM devra composer. D’autant qu’à compter du mois de juin, et sauf revirement, les contingents de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et de l’Onu devraient plier bagage. Laissant la mission de l’EUMM opérer en solo.
à l’EUMM
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Sachkhere À 2 H 30 DE ROUTE AU NORD - OUEST DE T BILISSI , LA BASE MILITAIRE DE S ACHKHERE FORME DES SOLDATS D ’ ÉLITE SPÉCIALISÉS DANS LES OPÉRATIONS DE HAUTE MONTAGNE . U N MODÈLE POUR LA RÉFORME EN COURS DE L ’ARMÉE GÉORGIENNE , CRITIQUÉE POUR SON MANQUE D ’ ORGANISATION LORS DE LA GUERRE CONTRE LA RUSSIE EN AOÛT 2008.
l’armée atteint des sommets
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© Estelle Péard/ESJ
arnaché en plein vide, le militaire descend tête la première vers la rivière Kvirila. Entre falaise, forêt et usine désaffectée, des soldats d’élite géorgiens s’entraînent, à proximité du camp militaire de Sachkhere. Là, ambiance village de vacances : La base de Sachkhere n’a perdu vue sur le Caucase enneigé, aucun soldat pendant la guerre petits kiosques sous les arbres, d’août. bureaux flambant neufs. On en oublierait presque qu’il s’agit d’une base militaire, « la meilleu- tions, elles, sont financées par des re de Géorgie » selon un sergent. capitaux entièrement géorgiens : Spécialité : les opérations de ministère de la Défense mais haute montagne. Au programme : aussi mécénat de l’enfant du pays, escalade, ski alpin, endurance l’insaisissable milliardaire Bidzina Ivanichvili. ou construction Objectif : obtenir une armée Sur place, une d’igloos. de Depuis 2006, « bien équipée, bien entraînée, résidence bien structurée ». haut standing est des chasseurs destinée aux graalpins français viennent ici deux fois par an dés et aux visiteurs de marque. Un former les futurs instructeurs de étalage de luxe qui peut surl’armée géorgienne – la première prendre, mais Sachkhere se veut promotion est sortie mi–avril. La la vitrine d’une armée géorgienne France équipe aussi la base en en pleine restructuration. matériel dernier cri. Les installaFin mars, le président géorgien
Mikheïl Saakachvili a affirmé sa volonté de « former une armée qualitativement nouvelle. » Après la débâcle d’août l’année dernière face à la Russie, sa hiérarchie avait essuyé de vives critiques, qu’il s’agisse des carences de la chaîne de commandement, du niveau de préparation ou de la combativité des troupes. À l’inverse, le camp de Sachkhere, avec ses équipements ultramodernes et sa formation de pointe, fait figure d’exception dans le pays. Et de modèle
à suivre. Objectif : obtenir une armée « bien équipée, bien entraînée, bien structurée », comme l’explique le ministre de la Défense, Vasil Sikharoulidze. Malgré une réduction du budget de 40 % en un an, il s’agit de mettre sur pied un appareil militaire de qualité à vocation défensive avant tout. Même si, à Sachkhere, un capitaine des chasseurs alpins locaux se dit « prêt à tout. » Il est vrai que les troupes russes, stationnées en Ossétie du Sud, ne sont qu’à 20 kilomètres
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Mémoires d’un L A G ÉORGIE A MOBILISÉ JUSQU ’ À 2 000 HOMMES EN I RAK , SOIT LA TROISIÈME FORCE DE LA COALITION EN TERMES D ’ EFFECTIFS . G IORGI B ARBAKADZE EN ÉTAIT. U NE MISSION UTILE À SA CARRIÈRE . E T À SON PAYS ?
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© Jean-Baptiste Renaud/ESJ
ien ne fera regretter au matricule A253 son aventure irakienne. Ni une année passée à surveiller des checkpoints dans la “Zone verte”, le quartier sécurisé de Bagdad. Ni la condescendance avec laquelle les officiers américains traitaient volontiers les Géorgiens de la 3e division d’infanterie. Car en militaire professionnel, Giorgi Barbakadze considère sa participation comme « une formidable expérience, au contact de soldats d’autres pays ». L’Irak après le Kosovo ou la Macédoine, une aubaine pour un CV déjà bien rempli. De Bagdad, Giorgi conserve moins de souvenirs du front que de souvenirs tout court. Il a vécu les blessures de guerre par procuration, lorsqu’un camarade a sauté sur une mine. Mais comme tout vétéran, il a de
belles histoires à raconter. Par exemple, cette Saint–Georges 2005 fêtée à la géorgienne : à grands renforts de mouton et de chants traditionnels. Par politesse, Giorgi concède que son quotidien irakien n’était « pas passionnant, mais intéressant. » Un rôle de figuration qui a mobilisé jusqu’à 2 000 soldats géorgiens, troisième nationalité de la coalition après les boys américains et tommies anglais. Autant d’hommes qui ne défendaient pas les frontières géorgiennes en août. Une erreur ? « Les Russes ont gagné car ils étaient plus nombreux, mais nos fantassins étaient de même valeur », se défend Giorgi, mobilisé cet été-là pour une dernière mission. Contre les Russes cette fois. « Une grosse erreur de les avoir attaqués », maugrée-t-il, en avalant une rasade d’un café qu’il sert fièrement dans une tasse souvenir aux couleurs de la bannière étoilée
Trois appelés sortent de leur réserve I LS ONT UNE VINGTAINE D ’ANNÉES , N ’AVAIENT PAS CONNU LA GUERRE NI FINI LEUR SERVICE MILITAIRE . E N AOÛT 2008, ILS FAISAIENT POURTANT PARTIE DES MILLIERS DE RÉSERVISTES MOBILISÉS FACE À L’ARMÉE RUSSE .
© Aurélien Accart/ESJ
Vakho Alkhazichvili, 20 ans : “le secouriste”
Rezo Revazichvili, 21 ans : “l’abandonné”
Solomon Aprasidze, 24 ans : “le va-t-en-guerre”
Le téléphone a sonné à minuit, comme pour annoncer une mauvaise nouvelle. Vakho Alkhazichvili est attendu par l’armée à 6 h du matin, au Lokomotiv Stadium de Tbilissi. Des bus y embarquent un millier de réservistes à destination de Gori, où la guerre fait rage. Pour l’étudiant en philologie, âgé de 20 ans, c’est une surprise. En théorie, il n’est pas mobilisable car il n’a pas encore terminé son service militaire : « Je pensais que l’on m’appelait pour effectuer ma troisième et dernière période de 18 jours d’entraînement. » Arrivé sur place, il comprend vite que ce n’est pas un exercice : « J’étais terrifié. On m’a ordonné d’entrer dans des maisons en ruine pour secourir leurs habitants. » Les bombardements russes continuent. Le cauchemar dure trois jours. L’état-major décide ensuite de renvoyer les réservistes chez eux. Trop inexpérimentés
Il n’a toujours pas compris ce qu’il était censé faire à Gori. Rezo Revazichvili y a pourtant passé trois jours, au cœur du conflit d’août dernier : « Une fois arrivé là-bas, un gradé nous a divisés en plusieurs groupes. Il ne s’est plus occupé de nous après ça. » La vingtaine de réservistes a attendu en vain des instructions. Livrés à eux-mêmes, ils sont restés deux jours dans un collège déserté. Effrayés par les avions russes qui « bombardaient des positions très proches », se souvient Rezo. Après une dernière nuit passée dans un jardin public, un gradé est enfin venu les libérer. Mais quelques rares volontaires ont voulu rester. « Ce n’était pas patriotique, juste stupide », juge l’étudiant en médecine. Il jure que s’il doit retourner à la guerre, ce sera « comme secouriste ». Pour être utile à son pays, cette fois
Il n’a pas été appelé. Il est venu quand même dès qu’il a « entendu parler de la mobilisation générale ». Solomon Aprasidze a quitté dans la seconde son poste d’animateur de centre de fitness d’un hôtel de Tbilissi. Quelques heures plus tard, il était à Gori, en uniforme, avec d’autres jeunes réservistes. Dans l’école de sport où ils étaient basés, une bombe a explosé : « Un réserviste a été tué, c’est la seule victime avec qui j’ai été en contact. » Ce n’est pas faute d’avoir voulu se rapprocher du danger. Avec d’autres, il voulait « aller à Tskhinvali, le lieu principal de l’attaque ». Mais l’armée géorgienne avait déjà commencé la retraite générale. « J’étais abattu car j’étais prêt à tout pour mon pays alors que je n’ai servi à rien. » Si la guerre revient, Solomon n’ira plus seul : « Je rassemblerai les vrais patriotes et je viendrai pour me battre vraiment. »
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LA GÉORGIE DANS LE MONDE
Russie, je ne te hais © Navina Kaden/ESJ
point Le théâtre Mardjanichvili a voulu rompre avec l’héritage soviétique mais aujourd’hui, il reprend peu à peu le répertoire russe.
M ALGRÉ LA GUERRE D ’AOÛT DERNIER , LES G ÉORGIENS CONTINUENT À SE DIRE PROCHE DES R USSES . U N ATTACHEMENT RENFORCÉ PAR LA CULTURE . l’aube de ma vie, ô montagnes australes, je me détache de vous. Les avoir vues une fois, c’est s’en souvenir toute sa vie, comme les beaux rêves. Caucase, je t’aime. » La déclaration d’amour d’un poète russe à la Géorgie est lue dans le salon encombré de Tako, professeur de littérature à l’université de Tbilissi. « Pouchkine avait beaucoup d’amis ici. Tolstoï a écrit la plupart de son œuvre en Géorgie. Gorki a publié sa première nouvelle dans Caucasis, un journal géorgien. » À l’évocation de ces noms, un frisson de fierté anime les étudiantes géorgiennes. Elles répondent en russe à Tako qui leur propose une tasse de thé. Il ne manque que le samovar. Du chauffeur de taxi à l’étudiant en droit, les Tbilissiens énumèrent paisiblement leurs points communs avec les Russes. Une religion, l’orthodoxie. Une langue, qui
«
À
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continue à relier ce pays de minorités. Une culture, qui enrichit leur identité au lieu de la détruire.
Troupes russes à Tbilissi En 2002, la capitale a fêté les 300 ans de la ville de Saint–Petersbourg. Mai 2009 : des troupes russes – des acteurs, cette fois-ci – vont franchir la frontière pour célébrer à Tbilissi le 165e anniver-
saire du théâtre Aleksandre Griboedov. Avdantil Vassimachvili, directeur de ce théâtre russophone, prévient : « Il y a les Russes de Lénine et ceux de Dostoïevski. » En avril, les Géorgiens ont applaudi Oncle Vania et La mouette, de Tchékov, interprétés par des acteurs russes. Partout, on se défend de faire l’amalgame entre la politique, la culture et l’être humain.
Pour les ados, ça risque de changer. Ici, comme dans le monde entier, ils délaissent les vieux bouquins au profit des ordinateurs. Sensibles à la présence militaire, aux bombardements, éloignés des théâtres et des bibliothèques, ils ont, selon Tako, une vision des Russes « bien plus négative » que les anciens
Russes et Géorgiens s’affrontent dans les prétoires « À la chute de l’URSS, la Russie a reconnu la compétence de la Cour internationale de justice de La Haye. En clair, ce pays d’ordinaire si hostile aux juridictions internationales acceptait d’être poursuivi par un autre État. C’est étonnant que l’équipe Poutine ait oublié ce détail. » Ce «détail », Tina Burjaliani l’a découvert début 2008. À l’époque, cette Géorgienne termine sa thèse de doctorat à La Haye. En accord avec le gouvernement géorgien, elle monte un dossier accusant les Russes de discrimination raciale envers les populations géorgiennes d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie pendant les guerres des années 1990. Le 8 août 2008, une autre guerre éclate et l’armée russe pénètre en Ossétie du Sud. « Ce conflit nous a poussés à
porter plainte plus tôt que nous ne le prévoyions », raconte Tina Burjaliani, aujourd’hui adjointe du ministre géorgien de la Justice. Déposée en urgence le 12 août 2008, la plainte est également plus lourde que prévue : la Géorgie accuse son voisin d’avoir violé la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CIEDR) non seulement lors des conflits des années 1990 mais aussi en août 2008. Le 15 octobre, la Cour internationale de justice ordonne aux deux parties de protéger les populations concernées et de ne pas aggraver la situation en attendant l’issue du jugement. Qui ne devrait pas intervenir avant plusieurs années
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Barrage à trois
C
haque matin, une cinquantaine de Géorgiens franchissent la “ligne administrative” qui sépare la mère-patrie de la République autoproclamée d’Abkhazie. Chaque soir, ils repassent cette frontière qui ne dit pas son nom, pourtant fermée depuis la guerre d’août dernier. Soldats ? Observateurs européens ? Journalistes ? Non, eux vont travailler à la centrale hydro-électrique de Gali, un district peuplé de Géorgiens, enclavé dans le territoire sous contrôle des séparatistes abkhazes. L’énergie que la centrale transforme vient, elle, d’un barrage sur le fleuve Ingouri, 30 km en amont... du côté géorgien. Singulière installation dont le cœur et le cerveau sont séparés par une frontière, symbole des contradictions de cette région. Avec ses 272 mètres de haut, ce colosse de béton coincé entre deux montagnes est le plus grand barrage-voûte du monde. Sans lui, Géorgiens et Abkhazes auraient bien pu s’ignorer depuis la guerre de 1992. Mais il fournit près de la moitié de l’électricité géorgienne et la totalité de celle de la province sécessionniste. Condamnés à pactiser, les frères ennemis y sont parvenus, non sans aigreurs réciproques. En janvier 2009, l’opposition géorgienne hurle au scandale : Tbilissi aurait « vendu le
barrage aux Russes ». À l’origine de cet éclat, un communiqué posté sur le site web d’Inter RAO, l’EDF russe. Il annonce que RAO et le ministre de l’Énergie de Géorgie ont signé, le 30 décembre 2008, un « protocole d’accord pour le bon fonctionnement de la centrale hydroélectrique de l’Ingouri ». Aucune information concrète sur l’arrangement n’est fournie, hormis sa durée : dix ans. « C’est un accord commercial. Chaque année, nous perdons l’excédent d’électricité produit en été, faute de débouchés », justifie Johny Chania, le directeur du barrage. De fait, une petite partie de la production alimentait déjà le sud de la Russie. Pourquoi, dans ce cas, impliquer cette voisine honnie des patriotes dans le management de l’ouvrage ?
Les Russes en arbitres L’accord devrait être signé d’ici à l’été, si toutefois le contexte politique s’apaise à nouveau. Reste qu’en avril, le statut confidentiel du protocole nourrissait la rumeur et les procès d’intention. « Peut-être n’est-ce qu’un accord commercial, analyse Zourab Abachidze, ancien ambassadeur en Russie. Mais il pourrait y avoir eu chantage de la part de Moscou : ce pacte s’apparente aux réparations que verse le vaincu après la guerre... » Comme d’autres experts, il considère que
cette convention s’inscrit dans la stratégie géopolitique russe : investir dans le potentiel énergétique des pays voisins afin de s’octroyer des moyens de pression. « Les Russes sont déjà présents sur ce marché en Géorgie, assure Mariam Valichvili, vice-ministre de l’Énergie. Ils paient leurs impôts et les salaires des employés. Nous leur faisons confiance. Comme nous, ils veulent exporter de l’électricité en Turquie, via une nouvelle ligne à haute tension. Cette collaboration profiterait à tout le monde. » Sauf aux Abkhazes. Ceux-ci n’auraient pas eu leur mot à dire, et pour cause : le gouvernement géorgien les accuse de consommer plus d’électricité qu’ils n’en paient et de vouloir en revendre aux Russes alors qu’ils n’ont pas participé au financement de travaux récents sur le barrage. Ironie de la situation : voilà Moscou, qui a orchestré et reconnu l’indépendance de l’Abkhazie, appelée à la rescousse par ses ennemis géorgiens pour faire rentrer dans le rang ses protégés séparatistes... Pour Gia Khoukhachvili, président de l’ONG The Center of public projects, c’est une trahison : « L’Abkhazie fait partie de la Géorgie. Imagine-t-on un mari qui vendrait sa fille contre l’avis de sa femme ? » ■
Barrage Centrale électrique
© Infographie/ESJ
Limite administrative Montagnes
ABKHAZIE Jvari
MER NOIRE
ur go
i
Gali In
L E BARRAGE DU FLEUVE I NGOURI RESSEMBLE À S ’ Y MÉPRENDRE À UNE PARABOLE CAPITALISTE : LES G ÉORGIENS ONT L’ EAU , LES A BKHAZES LES TURBINES ET LES R USSES L’ARGENT. M EILLEURS ENNEMIS , ILS SONT CONDAMNÉS À S ’ ENTENDRE , POUR LE SALUT
Conduits souterrains
GÉORGIE Zugdidi
ÉCONOMIQUE ET ÉLECTRIQUE DE TOUS ...
© Julie Jammot/ESJ
Essentiel pour l’approvisionnement en électricité de l’Abkhazie et de la Géorgie, le plus grand barrage-voûte du monde - 272 mètres oblige les acteurs du conflit d’août à s’entendre.
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VOISINAGE
Staline Tour à CONVERGENT POUR VISITER LE MUSÉE DÉDIÉ À L ’ ENFANT DU PAYS , J OSEPH S TALINE . a plus grande figure politique du XXe siècle est née à Gori ». Larisa Gasachvili, guide francophone du musée Staline, résume en ces termes la raison d’être de l’édifice dédié tout entier au dictateur soviétique. Dès ses premiers pas dans l’imposant bâtiment, ouvert en 1957, le visiteur comprend que la polémique n’a pas droit de cité en ces murs. Tapis rouge sur escalier de marbre, statue blanche du Petit père des peuples, auréolée de la lumière céleste dispensée par un vitrail. Mise en scène millimétrée. Pourquoi diable consacrer un musée à l’un des plus sinistres tyrans de l’humanité ? Ukrainiens, Américains, Chinois, ils sont des milliers chaque année à se poser la question. « L’intérêt est strictement historique, justifie Larisa. Ici, on ne parle pas politique. Historiens et journalistes, nos visiteurs les plus assidus, y trouvent des documents et des anecdotes inédits sur la vie de Joseph Djougachvili. »
« À notre camarade ! » La dernière salle, comme un hommage, propose les cadeaux offerts en 1949 au fils de Gori, à l’occasion de son 70e anniversaire. Entre un précieux jeu d’échecs bulgare et un cèdre sculpté à son effigie provenant du Liban, le présent des communistes français n’est autre qu’une vulgaire boîte en bois gravée « À notre camarade Staline ». Dans la cour, la visite se termine par le wagon à bord duquel
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Gori L’imposante statue de Staline donne le ton : à Gori, on ne touche pas à l’enfant du pays. Les visiteurs en quête d’équilibre sont invités à se rendre à Tbilissi au musée de l’occupation soviétique.
Staline a sillonné l’Europe entre 1941 et sa mort, douze ans plus tard. Quitte à brouiller l’image d’austérité du personnage, l’intérieur est tout confort : boiseries en acajou, système anti-incendie et climatiseur. Avant de devenir un despote brutal, le jeune Joseph cultiva son don pour les Lettres. Un amour des livres qui l’a accompagné toute sa vie : sa bibliothèque personnelle contenait plus de 20 000 ouvrages, tous annotés par ses soins. Il reste dans la mémoire collective le premier traducteur en russe du Chevalier à la peau de tigre, poème phare de la culture géorgienne écrit au XIIe siècle par Chota Roustavéli.
L’indéboulonnable Dans les années 1960, les tentatives du Kremlin pour déboulonner la monumentale statue qui domine la place centrale de Gori ont provoqué l’ire générale. Au point que les habitants braquèrent les phares de leurs voitures sur le colosse de pierre pour le défendre. Aujourd’hui encore, tout repas traditionnel se doit de commencer par un toast à sa mémoire. À l’évocation des purges et des goulags, la guide devient moins loquace. Elle consent à ouvrir une étroite salle du rez-dechaussée, créée en 2008, pour retranscrire l’atmosphère répressive des années 1930. Là sont rassemblés en vrac des vêtements de prisonniers et des lettres de leurs familles. Insatisfaite du résultat, l’équipe du musée n’y invite que les plus obstinés, comme l’atteste l’odeur de renfermé. Pourtant, admet Larisa, « c’est contre le peuple géorgien que la répression a été la plus féroce ; il s’agissait de dissuader les autres républiques de se rebeller ». Dernière étape, mais plus légère, celle de l’inévitable boutique souvenirs. Une jeune femme en tailleur militaire propose aux touristes alcools, T-shirts, mugs et autres badges, tous frappés de la célèbre face moustachue. La salle de trop ? ■
©Aurélien Accart/ESJ
G ORI , 60 000 ÂMES . À 76 KM À L ’ OUEST DE T BILISSI . CHAQUE ANNÉE , 20 000 TOURISTES DU MONDE ENTIER ,
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© Noémie Coppin/ESJ
Les habitants de Gori ne roulent pas sur l’or. Seul trésor : leur star locale.
Paroles de Goriens
« L E VENT DE L’H ISTOIRE BALAIERA INÉVITABLEMENT DE NOS TOMBES LES FEUILLES MORTES DE LA CALOMNIE ET DÉCOUVRIRA LA VÉRITÉ », ÉCRIVIT S TALINE . L A BISE DE G ORI AURA AU MOINS REDORÉ SON BLASON ET CELUI DE SES CAMARADES BOLCHÉVIQUES .
l’entrée de l’université de Gori, un grand pas bien de tuer des gens, mais parfois, c’est néportrait de Staline dans son cadre doré cessaire. » Le directeur de l’université, quant à règne en maître sur le couloir. « C’est le lui, prie devant l’effigie de l’enfant du pays. Et moins que je puisse faire pour lui, s’exclame le il n’est pas le seul à Gori. Selon lui, 80 % des directeur Valeri Sakhichvili. Pour moi, Staline Goriens le vénèrent, à commencer par les orétait un grand révolutionnaire. Avec les petits tra- phelins de l’ère soviétique. Maya, 50 ans, enseigne la langue de Pouchkivailleurs, il a pris la Russie et ses champs et laissé en héritage une puissance nucléaire ». Le gou- ne à Gori depuis 20 ans. « J’étais écolière et étulag ? La réponse fuse : « Une création de Trostki. diante soviétique. Je pensais dur comme fer que Staline était bon car il avait batStaline s’est opposé à sa vision agressive du communisme, « Bien sûr ce n’est pas bien de tu les nazis allemands. C’est seumais il ne pouvait pas tout chan- tuer des gens, mais parfois, lement après l’URSS que j’ai apc’est nécessaire. » pris pour les prisonniers ou les ger. » Valeri le moustachu déassassinats. J’ai été choquée. vie rapidement la conversation vers la nouvelle vague. « Staline est Mais Staline reste avant tout un génie. Il appréméconnu par la jeunesse d’aujourd’hui : les ma- hendait la politique comme un grand jeu d’échecs nuels d’histoire ne lui consacrent que trois ou et tout le monde le respectait. Je suis très fière qu’il quatre pages. Car beaucoup lui reprochent son soit un fils de Gori. Depuis, personne ne lui est manque de patriotisme envers la Géorgie, sa ter- arrivé à la cheville dans cette petite ville ». L’assaut russe de l’été 2008 n’a nullement alre natale. » téré la fierté des Goriens pour ce grand fils de Saint Staline la cité. Témoin, Khvicha, 47 ans, chauffeur de Katy, 11 ans, avoue ses lacunes : « Je ne sais taxi : « Il ne faut pas tout mélanger ! La Russie et pas grand-chose à propos de la Deuxième Guer- l’Union Soviétique n’ont rien à voir. Staline aure mondiale, juste que c’est bien qu’il l’ait gagné. rait rejeté l’idée d’une Russie contre la Géorgie. Je n’aime pas trop le fait qu’il ait tué beaucoup de Pour lui, il fallait un seul et même pays, uni. Tout gens, je pense qu’il était plus mauvais que bon. » le monde commet des erreurs et traîne de sales Natia, sa copine de 12 ans, n’a pas découvert affaires, pas seulement Staline. Mais lui, il avait Staline à l’école : « C’est mon grand-père qui de grands idéaux d’égalité et de justice. Il était en m’en parle souvent. Il l’adore. Bien sûr, ce n’est or. » ■
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© Noémie Coppin/ESJ
Gori est l’une des dernières villes au monde où le portrait du petit père des peuples soit encore de rigueur.
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VOISINAGE
La promesse turque
© Renaud Bouchez/ENSLL
T BILISSI ET A NKARA SONT “ MEILLEURS AMIS ” DEPUIS L’ INDÉPENDANCE GÉORGIENNE . L ES DEUX VOISINS ENVISAGENT D ’ALLER PLUS LOIN ET DE CRÉER UN PARTENARIAT SUR LE MODÈLE DU BENELUX . L ES PREMIERS ACCORDS SONT DÉJÀ SIGNÉS . chemin. L’histoire des relations turco-géorgiennes est celle d’un lent rééquilibrage. Dominateurs sous l’ère ottomane, les Turcs sont les “meilleurs amis” des Géorgiens depuis l’indépendance de 1991. Ils furent d’ailleurs, après l’Allemagne et les ÉtatsUnis, les plus prompts à ouvrir une ambassade à Tbilissi. « La Turquie a aidé la Géorgie à un moment très difficile de son histoire en fournissant de l’argent, de la nourriture, des équipements, explique Alexander Rondeli, président de la Fondation géorgienne d’études stratégiques et internationales. Comme le ferait un vrai frère ». La Turquie a aussi épaulé son voisin pendant la guerre d’août 2008 contre la Russie. Elle a été l’une des premières à établir le dialogue entre les deux belligérants. « Il est certain que la présence de la Turquie a été l’un des principaux facteurs dans la décision russe de ne pas envahir toute la Géorgie », commente Alexander Rondeli.
Le premier partenaire
En Géorgie, il existe plus de 300 sociétés turques de toutes les tailles.
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ux confins de la mer Noire, encerclée par des montagnes verdoyantes, la frontière turco-géorgienne s’anime dès les premières lueurs de l’aube. Sept mille Géorgiens la franchissent chaque jour pour une virée shopping. Sans passeport, ni visa grâce à l’accord de libre circulation signé en 2006 par Ankara et Tbilissi, reflet éloquent du rapprochement entre les deux pays. Deuxième étape : l’aéroport de Batoumi. En service depuis 2007, il est situé dans une zone douanière turque. Cevat Gakur habite à Sarpi, village-frontière avec la Turquie. Pour lui, le choix est vite fait : « L’aéroport turc le plus proche est à six heures d’ici. On
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préfère donc celui de Batoumi. Il suffit de prouver notre identité turque et le prix est le même. » Voisins sur 276 kilomètres, les agents frontaliers turcs et géorgiens seront bientôt collègues de bureau. Bâtiments communs, bases de données conjointes : un accord de libre-échange signé en 2008 parachève le tout. Un tel pacte rappelle celui conclu entre la France et la Suisse, qui partagent frontière et aéroport (BâleMulhouse).
« Un vrai frère » Les deux pays envisagent même d’aller plus loin encore. Leur modèle : l’union de la Belgique, des Pays-Bas et du Luxembourg au sein du Benelux. Dans les cénacles diplomatiques, on admet à demi-mot que l’idée fait son
Ceci ne doit rien au hasard. Pour Ankara, la Géorgie est un point de passage essentiel vers l’Azerbaïdjan et les autres pays du monde turc. Un oléoduc et un gazoduc traversent la Géorgie pour alimenter son puissant voisin, l’Europe. « La Turquie a besoin d’une Géorgie indépendante, car elle ne veut pas de la Russie à ses frontières », tranche Alexander Rondeli. La dépendance est réciproque. Ankara est le premier partenaire commercial de la Géorgie et le deuxième pour les investissements. Les hommes d’affaires turcs fournissent plus de 15 % des impôts collectés dans le pays. « Si le commerce s’arrête entre les deux pays, la Géorgie étouffe », assure Kenan Yildirim, président de l’Association des hommes d’affaires turcs et géorgiens. Les routes énergétiques qui arriment la Géorgie à la Turquie et le chemin de fer Kars-TbilissiBatoumi seront bientôt achevées. De quoi mettre sur les rails une union qui ne dit pas son nom. Du moins pas encore ■
Moins cher en Turquie En provenance de la grande ville de Batoumi, des Géorgiennes descendent de leur bus pour passer en Turquie. Elles sont à la recherche de cadeaux. Draps, chaises, tables, caisses en plastique : « Tout est moins cher en Turquie », s’exclame Nino, mère de deux enfants.
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Village scindé
Le poste frontalier est devenu une artère principale de l’économie géorgienne et témoigne des bonnes relations avec la Turquie. Le trafic a été multiplié par trois en deux ans.
Derrière Yalcin Çakir, on aperçoit les maisons de ses concitoyens géorgiens. Le maire de Sarpi, côté turc, se réjouit de la réunification de la grande famille de la ville. À l’époque, il fallait parcourir des centaines de kilomètres à travers l’Arménie pour se rendre chez un parent habitant de l’autre côté. Les habitants de Sarpi, des Lazes, peuple des côtes Est de la mer Noire, ont une culture distincte et une langue qui leur est propre.
U NE NUIT DE 1937, LES R USSES TRACENT UNE LIGNE AU MILIEU DE S ARPI , DIVISANT LA CENTAINE D ’ ÂMES DU VILLAGE ENTRE UNE MOITIÉ SOVIÉTIQUE ET UNE TURQUE . C INQUANTE ET UN ANS PLUS TARD , EN 1988, G ORBATCHEV LÈVE LA LIGNE DE SÉPARATION .
© Kim GJERSTAD
Le rideau de fer est levé à Sarpi
Mafia balayée « C’était terrible, on pouvait à peine marcher en paix dans ce coin avant. » Yasar Karhidze nettoie la place principale du côté géorgien. Les réseaux mafieux et la corruption des douaniers ont été éliminés par le gouvernement actuel.
Queue leu leu Les camions turcs représentent 80 % du transport routier géorgien. Ils transportent de l’électroménager, des légumes, des fruits, et d’autres marchandises en Géorgie, mais aussi en Azerbaïdjan, en Arménie (leur frontière avec la Turquie est fermée), au Kazakhstan, au Turkménistan et en Russie.
Achète mes couettes Cevat Gakur, professeur, s’est reconverti en marchand de couettes et de draps. Le Sarpien turc veut profiter des milliers de Géorgiens qui traversent la frontière pour faire leurs achats chaque semaine.
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VOISINAGE
Le parrain américain pour la démocratie et les libertés. Voire l’ultralibéralisme économique. La plupart des gouvernants ou opposants actuels y sont passés. Ainsi, Giga Bokeria, l’un des plus proches conseillers de Mikheïl Saakachvili, est-il l’un des animateurs du Liberty Institute. Au GYLA, bon nombre de hauts fonctionnaires et de leaders de l’opposition ont fait leurs classes : Davit Ousoupachvili, Tinatin Khidashli, Koba Davitachvili... Mais pas seulement : le ministre actuel de l’Économie, Lasha Zhvania, y a été avocat.
© Sébastien Borgeaud/ESJ
Une avant-garde démocratique
Une centaine d’étudiants géorgiens, arméniens et azéris suivent les cours du GIPA.
L’ ÉLITE GÉORGIENNE A ÉTÉ FORMÉE PAR DES INSTITUTIONS D ’ INSPIRATION OU DE FINANCEMENT AMÉRICAIN . L E GIPA, L ’I NSTITUT GÉORGIEN POUR LES AFFAIRES PUBLIQUES , NE DÉROGE PAS À CETTE RÈGLE .
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eux drapeaux flottent devant cet immeuble du centre de Tbilissi : le géorgien et la bannière étoilée. Serionsnous devant le consulat des États-Unis ? Non, au pied de l’Institut géorgien pour les affaires publiques, GIPA selon l’acronyme anglais. Une bonne centaine d’étudiants y suivent des cours d’administration publique, de
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droit, de sciences politiques ou de journalisme. Hormis la vétusté des murs et des escaliers, rien ne distingue ses salles de cours de celles d’une université d’outreAtlantique. À l’entresol, on retrouve les couleurs de la république caucasienne et celles de l’Oncle Sam, entre les photos du Washington monument, du Congrès américain ou de la Maison Blanche. En Géorgie, les fondations, ins-
tituts et autres ONG balisent l’arène politique. Les associations étudiantes soutenues par l’étranger – États-Unis en tête – ont joué un rôle crucial dans la révolution de 2003. Liées les unes aux autres, elles ont pour nom Kmara !, Liberty Institute, Georgian Young Lawyer Association (GYLA)… Elles ont toutes en commun d’être ou d’avoir été financées par l’étranger, via notamment l’Open Society de Georges Soros. Et de militer
Contribuer à former l’élite démocratique géorgienne… L’idée a germé à l’ambassade américaine en Géorgie. En 1996, on y propose la création d’un institut d’administration publique au cœur de la capitale. Le Congrès américain accepte de parrainer le projet à travers USAid, l’agence américaine d’aide internationale. En 1998, les Américains plaident en faveur d’une école de journalisme à part entière : la Caucasus school of journalism and media management. Cette branche du GIPA devra consolider le professionnalisme des confrères géorgiens. Lesquels, peu considérés dans cette ancienne république soviétique, manquent souvent d’expérience et d’autorité. « Aujourd’hui, l’école est toujours subventionnée par USAid, précise sa directrice Maïa Mikachavidze. En complément, la Fondation Soros finance des projets précis, comme nos magazines. » Le montant des subsides ? 175 000 dollars pour l’année universitaire 20082009, somme qui devrait être révisée à la baisse l’an prochain. « À terme, le but est de réussir à nous autofinancer, car les projets d’aide ne peuvent pas être renouvelés indéfiniment », poursuit Maïa. Elle entend y parvenir en réduisant les frais de fonctionnement de l’institut, en faisant appel aux dons privés et en augmentant les frais de scolarité, fixés à 2 000 euros. Une fortune en Géorgie
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CAUCASE-TÊTE
Molière pour les élites L E FRANÇAIS ? B IEN PEU DE G ÉORGIENS LE PARLENT. S EULE L ’ ÉLITE PROFITE DE L ’ ÉDUCATION À LA FRANÇAISE . E T CE AU SEIN D ’ ÉCOLES
En CP, les enfants découvrent le français pour la première fois.
PRIVÉES DONT LES MÉTHODES PÉDAGOGIQUES FONT AUTORITÉ .
Il faut penser à la jeune francophonie. Les efforts pour introduire le français à l’université sont inutiles tant qu’il n’est pas présent dans les écoles secondaires publiques. IZA JINJIKHADZE, DIRECTRICE DE L’ÉCOLE SAINT-EXUPÉRY
Nous avons fondé cette école il y a onze ans avec mon mari. Nous rentrions d’Algérie et ne voulions pas que nos enfants perdent leur français. C’est l’ambassade de France qui nous a suggéré ce projet. Nous avons débuté avec treize élèves à la première rentrée ; il y en avait cinquante à la fin de l’année. C’est un vrai succès. ROUSSOUDAN TSKHOVREBACHVILI, DIRECTRICE DE L’ÉCOLE MARIE-BROSSET
L
es doigts sont crispés. Le tracé est minutieux. La mine du crayon se meut encore timidement entre les épluchures de gomme, tandis que les lettres de l’alphabet latin émergent lentement entre les lignes du cahier. Sandro, six ans, s’applique à recopier la recette de la salade de fruits. Comme lui, une centaine d’élèves géorgiens apprennent la langue de Molière à l’école MarieBrosset, l’un des deux établissements franco-géorgiens de Tbilissi à être homologués par l’Éducation nationale française. L’autre, baptisé École française du Caucase, s’installera en septembre 2010 dans un bâtiment financé par Bidzina Ivanichvili, parent d’élèves et milliardaire discret. Coût de la construction : cinq millions d’euros. L’ambassade de France ne saurait rivaliser avec une telle générosité. Il se trouve que les enfants du mécène ont goûté au dispositif éducatif français : il tient à en faire profiter son pays. Fauchés, s’abstenir : les frais de scolarité annuels s’élèvent à 4 000 euros. « Dans l’Hexagone, on râle beaucoup contre notre système éducatif, avance la directrice, Virginie
Villechange. Or, à l’étranger, c’est un modèle pédagogique qui fait référence ».
Molière contre Shakespeare C’est un fait, la francophonie est peu présente en Géorgie. Si les aînés maîtrisent un peu le français, seuls 6 % des élèves l’apprennent aujourd’hui. La plupart dans une école privée, « réservée à une certaine caste supérieure », reconnaît Joël Bastenaire, le conseiller de coopération à l’ambassade. Reste que, grâce à l’octroi de bourses, onze jeunes Géorgiens partent chaque année étudier en France. Pour Iza Jinjikhadze, cela ne suf-
Difficulté supplémentaire pour les Géorgiens : apprendre l’alphabet latin.
fit pas : « L’état du français est affreux, pire qu’en 1991 », constate la présidente de l’Association géorgienne des professeurs de français. Elle a organisé en mars le mois de la francophonie, ponctué de tables rondes et de débats. Une initiative qui reste isolée. L’ambassade ? « Elle ne fait rien pour dynamiser la francophonie. » L’École française du Caucase? « Une bonne idée, mais trop chère.» Depuis qu’une loi autorise chaque directeur d’établissement à choisir les langues enseignées, 47 % des étudiants se tournent vers l’anglais. Shakespeare écrase Molière © Marika Kochiachvili/GIPA
JOËL BASTENAIRE, DIRECTEUR DU CENTRE CULTUREL FRANÇAIS
© Marika Kochiachvili/GIPA
Je crois en la francophilie et en l’image de la France. Ne pas être francophone n’empêche pas d’être francophile et d’adhérer aux valeurs d’humanisme et d’esthétique véhiculées par notre pays. La France est là quoi que l’on fasse. À nous de valoriser ce message.
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Des
roses épines
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des
Ils ont dit « Assez ! » Six ans révolus
Président déchu
Cette séquence a été réalisée par Vusala Alibiali, Anne Andlauer, Vuqar Babayev, Gvanca Barbakadze, Temo Bardzimachvili, Pierre-Philippe Berson, Emmanuelle Bonneau, Sébastien Borgeaud, Tamar Boubachvili, Yann Bouchez, Anne Chichinadze, Teona Chkadua, Tuta Chkheidze,
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Démocratie et instabilité Circulation bloquée sur l’avenue Roustavéli : l’artère principale de la ville est occupée par deux cents cellules de prison en fer. Depuis le 9 avril, l’opposition est de nouveau dans la rue. Une opposition éclatée en quatorze partis, et autant de leaders. Leur mot d’ordre, comme leur programme, tient en trois mots : démission du président. Porté au pouvoir il y a six ans par la révolution des Roses, Mikheïl Saakachvili est aujourd’hui poussé dehors par une partie des Géorgiens. Y compris par certains de ses anciens amis passés dans l’opposition. Médias muselés, dérives autoritaires, guerre du mois d’août désastreuse : les critiques se multiplient à l’encontre du président. Paradoxale Géorgie : alors que la démocratie ne s’est jamais exprimée aussi pleinement, le mécontentement grandissant menace la stabilité politique. Depuis l’indépendance en 1991, deux présidents, Gamsakhourdia et Chevardnadze, ont fait les frais de l’opposition. Mikheïl Saakachvili s’accroche au pouvoir, sans rester pour autant sourd aux reproches. Ainsi va la politique géorgienne, faite d’épines et de révoltes.
Un lieu, quatre dates
Opposition éclatée p.38-40
Politiquement incorrect
Ana Dabrundachvili, Keti Ebanoidze, Sophie Ebralidze, Anaëlle Grondin, Tamta Kapanadze, Mariam Kochiachvili, Émilie Legendre, Olivier Monnier, Rusudan Panozichvili, Marianne Rigaux, Benjamin Smadja, Michaël Szadkowski, Haude-Marie Thomas, Clara Tomasini, Léa Zilber.
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Micha Saakachvili, président de la Géorgie depuis 2003.
© David Hizanishviny/AFP
© Onur Çoban
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Comment le général Micha a
F S IX ANS APRÈS SON ACCESSION AU POUVOIR , LE PRÉSIDENT M IKHEÏL S AAKACHVILI A -T- IL VRAIMENT TIRÉ LES LEÇONS DE SON PREMIER MANDAT ? É COUTER SES CONSEILLERS , C ’ EST BIEN . T ENDRE LA MAIN À L ’ OPPOSITION , C ’ EST MIEUX .
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in avril 2009, les mani- Le message est clair : le gouvernefestants de l’avenue ment de Mikheïl Saakachvili tient à Roustavéli sont bien montrer qu’il sait gérer les émeutes tristes. Malgré tous urbaines comme un pays moderne. Depuis novembre 2007, l’Europe leurs efforts, la police refuse de se montrer. et Washington ont accentué leur Où sont passées les aide au bénéfice de la police géorforces spéciales, les gienne. France, Grande-Bretagne, Spetsnaz, qui ont si durement maté Allemagne et États-Unis lui ont enles attroupements de novembre voyé des conseillers. Et les CRS 2007 ? Pas la moindre matraque, ni géorgiens ont troqué leurs tenues le moindre canon à eau à l’horizon. de campagne kaki contre des uniCertes, le parlement est fermé. formes bleu foncé. Mais on circule librement alentour. Tactique et stratégie On défile sans heurts, sans jamais rencontrer d’uniformes. Sur le front de sa communication La clé de l’énigme se trouve à aussi, le gouvernement géorgien a 300 mètres de là, dans un énorme revu sa copie. « Après son accession bâtiment du ministère de l’Intérieur au pouvoir, Mikheïl Saakachvili a qui a longtemps été le siège du KGB boudé les journalistes. Mais depuis à Tbilissi. C’est là, depuis le 9 avril, novembre 2007, il a davantage qu’opèrent les yeux et les oreilles orienté sa com’ sur les plus pauvres de la police. Seize personnes y sur- et les sans-emploi », analyse Zviad veillent en perKoridze, un spémanence la ville. cialiste des mé« Depuis 2007, le président Le décorum sodias géorgiens. a revu sa tactique, viétique s’est acSur le fond cemais pas sa stratégie. » commodé de pendant, la docl’irruption d’une dizaine d’ordina- trine gouvernementale reste la teurs et de six écrans plats. Quatre même. « Depuis 2007, le président a cents caméras disséminées dans la revu sa tactique, mais pas sa stratécapitale informent en permanence gie. Il a compris que la confrontation des fonctionnaires gagnés par la avec l’opposition et les manifestants lassitude. Mais dès que la foule sape sa légitimité », juge Paata Zas’agite sur l’écran, ces messieurs kareichvili, membre du parti Répuavertissent leurs supérieurs dans blicain. Sans renoncer à moderniles ministères et à l’hôtel de ville. ser le pays, Mikheïl Saakachvili
mise sur l’essoufflement de l’élan populaire et s’évertue à tendre la main à ses adversaires. « En un sens, à partir de 2007, l’équipe au pouvoir a cessé d’être “révolutionnaire“ », explique Raphaël Glucksmann, auteur d’un livre d’entretiens avec le président géorgien et son conseiller spécial. Fini les lois que le pouvoir applique seul dans son coin. Place à la concertation. Après sa démission en novembre 2007, suivie en janvier 2008 d’une réélection avec 53 % des voix, le chef de l’État lance la « nouvelle vague démocratique ». « Mon but, argue-t-il, neuf mois plus tard lors de son discours à la nation, est d’obtenir un Parlement plus puissant, disposant de moyens de contrôle plus forts. Nous voulons aussi garantir la propriété individuelle, voir nos médias libres et impartiaux, et notre justice plus juste et indépendante. »
Convaincre l’opposition Encore faut-il convaincre l’opposition de prendre une part active à cette ouverture. « Nous travaillerons en coopération étroite tant avec le gouvernement qu’avec les partis représentés dans l’hémicycle », affirmait dès son élection à la tête du Parlement David Bakradze, le 7 juin 2008. Suffit-il d’offrir à l’opposition la vice-présidence de l’Assemblée ou
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DES ROSES ET DES ÉPINES En novembre 2007, les policiers dispersent violemment les anti-Micha.
a a changé de tactique Mikheïl Saakachvili : tout Giuli Alasania, historienne spécialiste de la Turquie, livre quelques confidences sur la personnalité de son président de fils.
« Nous sommes une famille ordinaire, Micha a reçu la même éducation que la plupart des Géorgiens », confie Giuli Alasania, historienne spécialiste de la Turquie et vice-recteur de l’International Black Sea University de Tbilissi. Dans son appartement cossu, on le voit partout. Des photos du président géorgien sont accrochées aux murs, posées sur les commodes. « Là, il est avec ses deux fils et sa femme. C’était à Noël », expliquet-elle, un sourire en coin. Mikheïl Saakachvili, né en 1967, a fini sa scolarité au moment de la perestroïka. « C’était une aubaine pour lui et tous les jeunes de son âge, raconte Giuli Alasania. Comment quelqu’un comme mon fils pouvait-il vivre dans le système soviétique ? Il a participé à la construction d’un nouvel État, et il en est très fier. »
ma mère
Giuli Alasania est la fondatrice d’une association sur la culture géorgienne à l’étranger.
© Sophie Delpont/ESJ
des sièges au sein des commissions parlementaires ? Ou bien de l’associer à la réforme de la justice ? « En Géorgie, il y a encore un vrai problème de contrepouvoirs », avoue Giorgi Chkheidze, vice-médiateur de Géorgie. Pour y remédier, le président a annoncé plusieurs mesures : la désignation des juges à vie, l’introduction d’un système de jurés populaires et la nomination d’opposants au Conseil suprême de la Justice. Reste que Giorgi Chkheidze n’est pas dupe : « Les promesses de la nouvelle vague démocratique ne seront tenues que s’il existe une réelle volonté politique. » Pas gagné. Le noyau dur gravitant autour de Micha depuis les années 1990 reste en place. Levan Ramichvili et Giga Bokeria, les gardiens de l’idéologie, ont un point commun : le Liberty Institute, think tank du gouvernement fondé en 1996. Le premier en est toujours à la tête. L’autre est devenu vice-ministre des Affaires étrangères. Sans compter Vano Merabichvili, l’influent ministre de l’Intérieur, en poste depuis 2004. Cet homme discret – mais craint par la population – aurait le premier informé le président de l’invasion russe d’août 2008. Face à eux, l’opposition ne semble pas accepter si facilement l’appel au dialogue. Malgré les appels du pied, multiples depuis 2007, le dialogue demeure bloqué. Tout comme la circulation sur l’avenue Roustavéli
Quand elle évoque la personnalité de son fils, elle reconnaît qu’il est quelqu’un de spontané. Selon elle, il a toujours su qu’il ferait de la politique. Mais pour elle, la principale qualité de Micha est son sens des responsabilités. « C’est tout le contraire de ce que prônait l’Union
soviétique, dit-elle. Les gens étaient soumis au système. Aujourd’hui, la plupart des Géorgiens ont changé mais nous sommes une démocratie très jeune. Et certains nostalgiques du soviétisme considèrent encore que l’État, donc la présidence, c’est l’ennemi. »
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ans Sixrévolus
Lors de la révolution des Roses en novembre 2003, Mikheïl Saakachvili bénéficie d’un soutien massif de la rue.
P
arlement de Tbilissi, 22 novembre 2003. Mikheïl Saakachvili entre, une rose à la main. L’image fait le tour des télévisions. Le jeune leader de l’opposition interrompt le discours du président Chevardnadze, poussé à quitter le bâtiment, emmené par ses gardes du corps, puis contraint de démissionner dès le lendemain. Le vieux Renard blanc, ministre des Affaires étrangères de l’URSS sous Mikhaïl Gorbatchev, dirigeait la Géorgie depuis 1992. Dehors, la population manifeste contre le gouvernement. En cause, des fraudes lors des élections législatives de 2003.
Mouvement pacifique L’opposition, emmenée par le trio Mikheïl Saakachvili, Nino Bourjanadze et Zourab Jvania réclame l’annulation du scrutin. La population les rejoint, en un
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mouvement révolutionnaire et pacifique. « La révolution des Roses a commencé en Géorgie », déclare Mikheïl Saakachvili, sous les applaudissements de la foule. Nino Bourjanadze, présidente du Parlement, assure alors l’intérim. Pendant que la Cour suprême de Géorgie annule le résultat des élections parlementaires. Le 4 janvier 2004, l’élection présidentielle anticipée consacre Mikheïl Saakachvili, 36 ans. Le 28 mars, ses partisans [le Mouvement national démocrate] remportent largement les élections législatives. Mikheïl Saakachvili prend alors les rênes d’une Géorgie en crise. Le nouveau président s’engage à faire respecter les droits de l’Homme, lutter contre la corruption et faire revenir l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud dans le giron de Tbilissi. Six ans après, l’opposition, cette fois mobilisée contre Micha, est encore dans la rue, sans rose ni programme.
Ainsi fanent les roses • Au premier anniversaire de la révolution des Roses, Mikheïl Saakachvili apparaît comme le sauveur. Malgré quelques déceptions dues à la précipitation du nouveau gouvernement, la majorité des Géorgiens lui fait confiance. • Deuxième bougie et un bilan déjà plus mitigé. Mikheïl Saakachvili enregistre quelques succès, mais le mécontentement de la population va croissant. Il limoge Salomé Zourabichvili, sa ministre des Affaires étrangères, qui passe dans l’opposition. • Le troisième anniversaire est célébré en 2006 avec des discours enflammés, des inaugurations symboliques et des chants populaires. La publication, le jour même, d’un rapport très critique de Transparency International vient cependant gâcher la fête et relativiser les acquis de la révolution. Le rapport dénonce la présidentialisation du régime et la dérive autoritaire de Saakachvili. • Les commémorations de novembre 2007 ont lieu dans un contexte politique tendu. La Géorgie connaît alors une grave crise politique après la répression violente d’une manifestation de l’opposition. Saakachvili annonce la tenue d’une élection présidentielle anticipée pour janvier, qu’il remportera avec 53 % des voix. • Ambiance morose pour le dernier anniversaire en novembre 2008 : ni cérémonies ni festivités, mais le souvenir amer du conflit russo-géorgien du mois d’août. Mikheïl Saakachvili fait l’objet de nombreuses critiques. On lui reproche une guerre mal gérée, une économie dégradée et une liberté de la presse bafouée. Nino Bourjanadze, qui avait fait la révolution aux côtés de Micha, profite de l’occasion pour lancer un nouveau parti d’opposition. Les roses de 2003 ont perdu de leur éclat © AFP - STR
L A RÉVOLUTION DES R OSES A AMENÉ AU POUVOIR LE PRÉSIDENT M IKHEÏL S AAKACHVILI EN NOVEMBRE 2003. AVEC LUI , DE NOMBREUX ESPOIRS DE DÉMOCRATIE .
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K de divorce D ANS LES CORTÈGES DE LA RÉVOLUTION DES R OSES EN 2003, ILS ÉTAIENT 2 500 ÉTUDIANTS DU MOUVEMENT Kmara ! ( Assez !). D EPUIS , LES RANGS SE SONT DÉGARNIS . B EAUCOUP SONT DÉSORMAIS ADVERSAIRES POLITIQUES . ‘ai commis une erreur. J’ai cru que Chevardnadze parti, l’avenir serait forcément rose. » Luka Tsouladze, 28 ans, n’est pas pour autant nostalgique. « Aucun ex-Kmara ! ne vous dira que c’était mieux avant. Mais ça aurait pu être tellement mieux après… » Désenchanté, plutôt. Il avait 22 ans, le poing levé pour dire « Assez ! », la révolution au ventre. « Kmara ! c’était radical, mystérieux, exaltant. On voulait tout réformer, on lisait Gene Sharp et sa théorie de la lutte non-violente. » Cheveux bruns en bataille, visage long et creusé, il n’a pas changé d’auteur. Mais il a changé de camp. Le Mouvement du 7 novembre [2007], celui du 9 avril, deux ans plus tard, baptisé Ratom ? (Pourquoi ? »)… D’une manifestation à l’autre, un slogan rebattu : « La Géorgie sans Saakachvili ». Le dégrisement a pris du temps. En 2005, Luka Tsouladze rêve d’exporter la révolution à Minsk. Revers. Il dort dix nuits dans une prison biélorusse. Pendant ce temps, la Géorgie se réforme. « Mal », argue-t-il. Justice, éducation, élections… « Ces réformes
sont ratées ou au point mort. Je n’ai pas l’impression d’avoir changé de bord, mais d’avoir été trahi. » La goutte d’eau ? Novembre 2007, les gaz lacrymogènes contre les manifestants, l’état d’urgence. « C’est douloureux de rompre avec ses amis, même quand on ne se comprend plus. »
« Bouillonnement éphémère » Parmi eux, son compagnon de cellule en Biélorussie, Giorgi Kandelaki. Rejoint Kmara ! à 19 ans, le cabinet du président à 23, le Parlement à 26, comme député du Mouvement national démocrate, le parti de Saakachvili. « Kmara! était un bouillonnement éphémère. Un élan, une ouverture vers autre chose, pas un programme politique sur chaque sujet. Que d’anciens membres soient passés à l’opposition ne m’étonne pas. » Irakli Kakhidze, 25 ans, préside le Mouvement des Jeunes républicains depuis quatre ans. Il est, lui aussi, un ancien de Kmara !. « Nous avions un programme, soutient-il. Le pouvoir l’a oublié. Certains jeunes n’étaient pas encore diplômés qu’ils rejoignaient des minis-
tères. Je ne reconnais plus ceux auxquels je parle encore. »
“Drogués” de la politique Sourire offensé de Tea Toutberidze. La fondatrice de Kmara ! est aujourd’hui conseillère juridique de l’ONG Liberty Institute. « Kmara ! a poussé des milliers d’étudiants dans la rue et les plus brillants vers les lieux de décision. La Géorgie avait besoin de leur jeunesse pour sortir de sa sclérose politique. » Pour elle, les dernières manifestations prouvent que « l’apathie politique n’est plus la norme dans ce pays. » À tel point que certains rêvent d’une nouvelle révolution. Et s’inspirent pour cela des recettes de 2003. « La seule chose que nous partageons encore, c’est notre goût pour l’action politique », observe Irakli Kakhidze. « Pour moi et beaucoup d’ex-Kmara !, c’est presque devenu une drogue. » Devant le parlement, à Tbilissi, l’opposition tient le siège depuis le 9 avril. Des anciens de Kmara ! s’y croisent quotidiennement. Si la politique est leur drogue, l’espoir de chaque camp est clair : pousser l’autre à l’overdose
© Victor Drachev/AFP
Les membres de Kmara ! ont fait la révolution alors qu’ils occupaient encore les bancs de l’université. Au centre sur la photo, Giorgi Kandelaki, aujourd’hui député.
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© Régis Genté
Saakachvili et Ilia II : qui manipule qui ?
Popes stars et orthodoxie politique I LIA II, PATRIARCHE DE L’É GLISE ORTHODOXE GÉORGIENNE , INFLUENCE TOUJOURS LA POLITIQUE DU PAYS , AU GRAND DAM DE M IKHEÏL SAAKACHVILI ... LE PRÉSIDENT A TROUVÉ PLUS FORT QUE LUI . t si les monastères prenaient le relais des prisons ? C’est l’esprit du mémorandum signé au mois d’avril par le gouvernement géorgien et l’Église orthodoxe. Les prisonniers pourront transformer leur peine en travaux d’utilité publique dans les centres religieux. « En Géorgie, la religion orthodoxe est de fait une religion d’État » affirme le prêtre défroqué Basile Kobakhidze. Ancien porte-parole du patriarcat, il a claqué la porte de l’Église orthodoxe au début des années 2000, agacé par ce type d’initiatives. Depuis 2002, la Constitution géorgienne intègre un concordat, dans lequel l’État reconnaît un « rôle spécial » à l’Église orthodoxe. Un rôle si spécial que « nous
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les Géorgiens, sommes tous des fils spirituels du patriarche Ilia II », comme l’a proclamé le viceporte-parole du Parlement. Un budget fort de 25 millions de laris (11 millions d’euros, comme celui du ministère de l’Éducation), le retour de terres confisquées sous l’ère soviétique – dont quantité de forêts connues sous le nom de “forêts d’icônes” – des 4x4 de luxe offerts aux dix archevêques de Géorgie… Le président Saakachvili ne s’est pas contenté de réinventer le drapeau national aux couleurs de l’Église, il a aussi dégainé le carnet de chèques.
Un pouvoir en sous-main « Cet argent n’est là que pour soutenir les œuvres sociales de l’Église. Quant aux terrains, ce n’est que la réparation d’une spoliation », assure un représentant d’Ilia II.
Basile Kobakhidze analyse la situation autrement : « Le président a voulu s’assurer le cœur du peuple en achetant l’Église. Mais c’est l’État qui se retrouve aujourd’hui l’otage d’Ilia II. »
Le grand frère orthodoxe Dans un pays où 84 % de la population se déclare orthodoxe pratiquante, les prérogatives d’Ilia II dépassent largement la sphère sociale. Pour l’historien Nodar Ladaria, pourtant très proche du président Mikheïl Saakachvili, « l’Église mène une politique opportune. Elle soutient les hommes politiques en fonction du pouvoir qu’ils lui accordent. » Dans son encyclique de Pâques, Ilia II s’adresse directement au gouvernement et donne son avis sur la politique fiscale du pays. Zviad Koridze, journaliste de té-
lévision réputé, est éberlué : « Certains journalistes ont voulu dire que ce n’était pas à l’Église de parler de tels sujets, mais ont reçu une fin de non-recevoir des rédacteurs en chef. Il faut reconnaître la réalité : l’État a peur de l’Église. » Dans un contexte de fortes tensions avec Moscou, la proximité du patriarcat géorgien avec le grand frère russe ne passe pas toujours bien. Lors de la guerre en Ossétie, l’été dernier, la Russie n’a autorisé que les prêtres à rapatrier les corps des militaires. « L’attitude de l’Église est à la fois nationaliste et pro-russe », précise Béka Mindiachvili, dirigeant de l’ONG Tolerance Center. Pas de haine entre Russie et Géorgie quand il s’agit de religion. Le grand frère orthodoxe entretient ses alliés en Géorgie : il y a trente ans, l’URSS nommait Ilia II
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« À sa place, je dé-mis-sion-ne-rais ! » É VINCÉ DE LA PRÉSIDENCE GÉORGIENNE EN 2003, APRÈS HUIT ANS DE POUVOIR , É DOUARD C HEVARDNADZE PORTE UN REGARD SÉVÈRE SUR M IKHEÏL S AAKACHVILI , CONTESTÉ À SON TOUR PAR LA RUE . À la place du président Saakachvili, démissionneriez-vous ? Moi, jamais je n’ai dû faire face à une opposition si importante ! Pour autant, aucune personnalité ne sort du lot. Seules de nouvelles élections détermineront quel opposant le président doit craindre. Mais je l’ai déjà dit plusieurs fois à la presse géorgienne : à sa place, je dé-mis-sion-ne-rais !
Quel bilan tirer de l’action politique de Mikheïl Saakachvili ? Le bilan est mauvais puisque les gens sont dans la rue. Les premières années, la lutte contre la corruption a été efficace. Mais il a commis trois erreurs : la révision constitutionnelle de 2004 [qui introduit la nomination du Premier ministre par le président], la gestion des manifestations du 7 novembre 2007 et l’intervention à Tskhinvali [la capitale de l’Ossétie du Sud].
En 2003 pourtant, vous n’avez pas quitté le pouvoir facilement... Au contraire, j’ai laissé la place aux jeunes. Dans une lettre, l’ancien président des ÉtatsUnis, George Bush père rend hommage à mon implication dans la réunification allemande et dans la signature de traités de non-prolifération nucléaire. Mais il me félicite également pour avoir choisi la voie pacifique : en démissionnant, j’ai évité une guerre civile.
« Je lis beaucoup, je voyage rarement mais je conseille encore certains hommes politiques » : ainsi Édouard Chevardnadze résume-t-il, fatigué, sa vie de retraité.
© Renaud Bouchez/ENSLL
À
81 ans, il n’a rien perdu de sa ruse. Depuis les hauteurs de Tbilissi, le Renard blanc du Caucase toise la Géorgie de Micha, son révolutionnaire de successeur. Sans nostalgie, l’ex-ministre des Affaires étrangères de l’URSS prône la reprise des relations diplomatiques avec la Russie.
Comment Mikheïl Saakachvili peut-il résoudre la question séparatiste ? Pour le moment, aucun membre de l’Union européenne ou du Conseil de l’Europe n’a reconnu l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. C’est de bon
augure pour l’entrée de la Géorgie dans l’Otan et dans l’Union. Mais cette question nécessite du temps et son issue dépendra du président qui sera à la tête de notre pays. La priorité aujourd’hui, c’est de reprendre le dialogue avec la Russie
Un rebelle à Paris IRAKLI OKROUACHVILI, ANCIEN MINISTRE DE LA DÉFENSE, DEVENU RÉFUGIÉ POLITIQUE, RISQUE ONZE ANS DE PRISON S’IL REVIENT À TBILISSI. a scène se passe début avril. Un vol commercial de la Turkish Airlines est détourné vers l’aéroport militaire de Tbilissi. La raison : l’un des passagers porte le même nom que l’opposant Irakli Okrouachvili. Pourquoi le pouvoir géorgien craint-il tant l’exilé ? Le 25 septembre 2007, sur le plateau de la chaîne de télévision privée Imedi, Irakli Okrouachvili a accusé le pouvoir de corruption, de banditisme et d’avoir commandité des meurtres. Des faits qui remontent à l’époque où il siégeait au gouvernement, à l’instar de plusieurs leaders de l’actuelle opposition. « Si on organise un procès équitable, j’apporterai les preuves de ce que j’avance. Et je ne serai pas le seul à en fournir. » Mais l’ancien ami de Micha a été condamné par un tribunal géorgien notamment pour corruption passive et extorsion. Ses annonces successives de retour – à l’été 2008 pour épauler les forces géorgiennes, puis début avril afin de grossir les rangs des manifestants – ont tourné court. Seul un Micha diminué lui éviterait les menottes s’il foulait à nouveau le sol géorgien
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Irakli Okrouachvili voulait la guerre en Ossétie du Sud, sa terre natale.
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Sur la route du pouvoir
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©AFP, Renaud Bouchez/ENSLL, Sophie Delpont/ESJ
e palais présidentiel doit être sacrément confortable tant il fait d’envieux. Une dizaine de rivaux se relaient depuis le 9 avril dans les manifestations pour exiger la démission de Mikheïl Saakachvili. Ils n’ont aucune envie d’attendre 2013, le terme de son mandat. La ritournelle est connue : les deux derniers dirigeants ont succombé à un coup d’État et à une révolution. La jeune démocratie géorgienne n’a encore jamais connu de succession constitutionnelle. Mais ne cherchez pas de desseins politiques chez les opposants, plutôt des luttes d’ego. Tous reprochent à Micha une concentration excessive des pouvoirs et le déclenchement, en août 2008, d’une guerre vouée à l’échec. De là à proposer un scénario alternatif... Qu’en dit la vox populi ? Selon un sondage IRI-USAID de mars 2009, la moitié des Géorgiens aimeraient laisser une chance à Mikheïl Saakachvili de redresser la barre tandis que 29 % disent soutenir l’opposition. Dans les manifestations, peu d’étincelles. La foule est essentiellement composée de personnes âgées, déboussolées par le “jeunisme“ du président. « Ce n’est pas si mal qu’aucun opposant ne suscite l’engouement général : ils sont obligés de parler un tant soit peu de choix politiques », remarque Akaki Asatiani, ancien président du Parlement. Dans la course, trois anciens alliés de Saakachvili (Nino Bourjanadze, Irakli Alassania et Levan Gachechiladze) ont une longueur d’avance. D’autres aimeraient croire en leur destin. Mais pour tous, la route sera longue pour détrôner le héros de la révolution des Roses
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Irakli Okrouachvili, le provocateur Les autres opposants se méfient de son côté va-t-enguerre. En 2006, après l’interdiction du vin géorgien en Russie, Irakli Okrouachvili avait soutenu que le marché russe était si médiocre qu’on pouvait y écouler « de la m… » Ce coup d’éclat avait obligé la présidente du Parlement de l’époque, Nino Bourjanadze, à présenter ses excuses aux Russes. L’ancien ministre de la Défense, exilé en France, ne vise pas la présidentielle. Plutôt un poste de député. Mais sa condamnation pour corruption le prive pour l’instant de toute ambition électorale.
Nino Bourjanadze, la dame de fer « Saakachvili va démissionner, croyez-moi. » Le regard noir et sévère, les lèvres rouges pincées, le tailleur sombre et les perles scintillantes, la quadragénaire élégante n’en démord pas. À la tête du Mouvement démocratique-Géorgie Unie, qu’elle a créé en octobre 2008, cette ancienne présidente du Parlement est un des leaders les plus vindicatifs de l’opposition. Ex-alliée de Micha, elle a pris ses distances avec lui lors des dernières législatives, alors qu’il refusait de la laisser choisir ses colistiers. Mais c’est après la guerre d’août qu’elle décide de rompre avec lui. « Il est inutile de discuter avec Saakachvili. Pendant les manifestations de novembre 2007, il s’est braqué quand j’ai essayé d’ouvrir le dialogue. » Présentée comme pro-occidentale par les médias, elle passe aux yeux d’autres pour russophile. « Nino était très populaire autrefois, un peu moins aujourd’hui », affirme l’ancien patron du Parlement Akaki Asatiani. Sans doute faut-il y voir un effet des affaires de corruption qui ont terni la réputation de sa famille. Le caractère bien trempé, Nino Bourjanadze demeure inflexible. Comme son modèle, une certaine Margaret Thatcher.
Giorgi Targamadze, l’opportuniste Marbres et dorures. Un écran de télévision dans chaque salle. L’ancien journaliste ne laisse rien au hasard mais son parcours politique dérange. On lui reproche sa collaboration avec le régime autoritaire et corrompu de l’ancien dirigeant adjare, Aslan Abachidze. « Le pays était en guerre civile », objecte-t-il. Lui prône le dialogue avec Mikheïl Saakachvili. Les autres opposants l’accusent de jouer le jeu du président. « Oui, je l’aide parce qu’il est à la tête de mon pays. » Giorgi Targamadze se verrait bien candidat à la présidentielle. Pour se rapprocher des électeurs, il mise sur la démocratie participative. À l’évocation de Ségolène Royal, il esquisse un sourire.
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Levan Gachechiladze, l’enfant chéri de Tbilissi « Si le pays se résumait à Tbilissi, il remporterait l’élection présidentielle haut la main », assure Akaki Asatiani, ancien président du Parlement. Mais la province géorgienne est bien différente de la capitale. Lors des manifestations de novembre 2007, Levan Gachechiladze a entrepris une grève de la faim pour contraindre Mikheïl Saakachvili à convoquer des élections anticipées. Double réussite : le président cède aux manifestants et dix des partis d’opposition choisissent Levan comme candidat à la présidentielle. « Mon principal objectif est de mettre fin au régime présidentiel. » Son idée : un Parlement chapeauté par un Premier ministre fort. Mais à l’élection présidentielle du 5 janvier 2008, le député de Tbilissi ne recueille que 25 % des voix. Il demande depuis le retrait de Mikheïl Saakachvili, dont il dirigea la campagne législative de 1999. Depuis début avril, il promène sa carrure de rugbyman parmi les cellules installées au cœur de Tbilissi. Mais à ce jeu, son frère Giorgi lui a volé la vedette. Le chanteur et humoriste s’est lui-même enfermé dans une réplique de prison, filmée en continu pour l’émission Cell Number Five. Débuté en janvier, le programme télé le plus regardé de l’opposition durera, selon Giorgi, jusqu’à la démission du président.
David Gamkrelidze, le businessman C’est un des rares à n’avoir jamais collaboré avec Mikheïl Saakachvili. Éternel opposant, il s’en prenait déjà au président avant la révolution des Roses de 2003. « Sa démission n’est qu’un détail. Ce qu’il faut, c’est changer de système. » Pour faire de la Géorgie une monarchie constitutionnelle ? Il l’a proposé une fois, mais n’en parle plus. En février, cet homme d’affaires, qui doit sa fortune à la création de la première société d’assurance géorgienne, a rejoint la coalition d’Alassania. Pour l’instant. « S’il y a des élections, ce sera une nouvelle donne. » Première étape : franchir la barre des 4 % récoltés aux élections de 2008. Pas gagné : il lui faudra, pour ce faire, se délester de son image de loser.
Mikheïl Saakachvili, président élu jusqu’en 2013.
Salomé Zourabichvili, la Française Ambassadrice de France en Géorgie pendant la révolution des Roses, cette franco-géorgienne lâche trente ans de carrière diplomatique hexagonale pour devenir, en 2004, ministre des Affaires étrangères. « De la Géorgie. Pas de Saakachvili », précise-t-elle. Avec l’aide des ÉtatsUnis, elle obtient l’évacuation des bases militaires russes du sol géorgien : le premier grand succès diplomatique du pays. Très populaire alors, elle se fait limoger par le président : « Je ne servais plus ses intérêts. » Rancunière, elle compare souvent Mikheïl Saakachvili à Adolf Hitler. Des propos outranciers qui ont terni son image et sa crédibilité. Mais avec seulement cinq ans passés en Géorgie, elle ne pourra pas se présenter à la présidentielle.
Irakli Alassania, le jeune loup Un large sourire, une allure élégante dans son costume italien, un anglais impeccable. Irakli Alassania a tout du gendre idéal. À 37 ans, il est la figure montante de l’opposition. Président du gouvernement abkhaze en exil puis ambassadeur de Géorgie à l’Onu, il rompt en août 2008 avec Mikheïl Saakachvili. Principal conseiller du président dans les pourparlers avec l’Abkhazie, il lui reproche « d’avoir cédé aux provocations russes alors qu’un accord de paix était sur le point d’être signé. » À son retour à Tbilissi en janvier dernier, il fonde l’Alliance pour la Géorgie, coalition de plusieurs partis d’opposition. Son credo ? « L’intégration euro-atlantique et l’entrée de la Géorgie dans l’Union européenne. » Son attitude face à Mikheïl Saakachvili ? « Il doit démissionner mais je suis prêt à discuter avec lui sur la manière de sortir le pays de la crise. » Timide et modéré, son style détonne. Ses pairs vantent son intelligence, son air sage, posé. Son expérience. Contrairement aux vétérans de l’échiquier politique, adeptes du lyrisme, Irakli Alassania parle peu, reste en retrait. Une posture qui pourrait cependant se retourner contre lui : les Géorgiens commencent à douter de ses qualités d’orateur et de son charisme.
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Les électrons libres de Ratom ? D ERRIÈRE LE LOGO AU POINT D ’ INTERROGATION , OMNIPRÉSENT À T BILISSI , SE CACHENT
Ratom ? : un nom et un logo, assez épurés, pour s’ancrer dans la mémoire des passants.
atom ? placardé sur tous les murs de Tbilissi. Ratom ? sur les milliers d’autocollants qui couvrent les vitres du métro. Sur les panneaux d’affichage, les boîtes aux lettres, et jusqu’à la timbale d’un mendiant aveugle au coin de la prestigieuse avenue Roustavéli. Le petit mot, qui sonne comme un roulement de tambour, signifie “pourquoi ?” en géorgien. Un nom et un logo, assez épurés, pour s’ancrer dans la mémoire des passants, attiser la curiosité. Et une méthode. Pour preuve, l’opération commando menée dans la nuit du 24 au 25 avril : les murs de la télévision publique se réveillent retapissés d’affiches aux couleurs du mouvement. La télévision, Merab Tchikachvili la connaît bien. Il y a travaillé jusqu’à son éviction l’été
© Renaud Bouchez/ENSLL
DES MILITANTS FÉRUS DE COMMUNICATION À L ’AMÉRICAINE . I LS RÊVENT D ’ UNE DÉMOCRATIE IDÉALE , ICI ET MAINTENANT. dernier pour « opposition politique pendant la guerre en Ossétie ». Luka Tsouladze, le fondateur de Ratom ?, l’a rapidement embauché pour peaufiner la stratégie de son mouvement d’activistes. Ils ont un but, un seul : la démission du président Saakachvili, à coup de campagnes de communication qui révèlent les faiblesses de la démocratie naissante. Où sont la justice indépendante, la transparence politique ? Leur expérience de consultants dans de prestigieuses compagnies de relations publiques américaines leur donne les moyens de marteler ces questions.
Utopie sur Youtube Merab et Luka sont des hommes cultivés. Ils ont soutenu l’arrivée au pouvoir de Micha, vécue comme l’occasion inespérée de faire de la Géorgie une société d’entrepreneurs. « Ces
hommes ont attendu la démocratie comme le messie, raille l’éditorialiste Nodar Ladaria. Maintenant qu’elle est arrivée, ils ne comprennent pas que les progrès soient si lents. » Passés à l’opposition, les membres de Ratom ? ont inventé une lutte politique inédite en Géorgie, à coup de happenings soigneusement orchestrés. Derrière son ordinateur, Georgi, 19 ans, un diplôme de designer Internet. Ses journées de chômage, il les tue en publiant sur Youtube les derniers exploits des jeunes activistes. Dans la ville bloquée par les manifestations, des voix s’élèvent et accusent Ratom ? de recevoir des fonds russes. « Le gouvernement répand ces rumeurs pour nous discréditer », rétorque Merab. Son modèle politique est bien plus à l’ouest que la Russie. Inaccessible pour le moment
Opposition cherche manifestants en province ingt-quatre avril 2009. Une vingtaine de voitures déboule en trombe dans le centre de Poti. Le cortège de grosses berlines vient de Tbilissi, situé à quatre heures de route. Klaxons, sifflets et drapeaux de l’opposition réveillent le centre-ville dans une ambiance de mariage oriental. Environ 250 personnes se rassemblent autour d’un rond-point, aménagé pour l’occasion en tribune politique. L’auditoire écoute sagement Tina Khidacheli et David Gamkrelidze, deux figures du parti Alliance pour la Géorgie. Au milieu du terre-plein, ils entonnent le refrain classique de l’opposition. Leur discours dure moins de dix minutes et se termine par un appel enfiévré : « Suivez-nous à Tbilis-
En attendant les leaders, les militants locaux d’Alliance pour la Géorgie s’échauffent sur un rond-point.
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© Michae ̈l Szadkowski /ESJ
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si ! » Les deux leaders montrent du doigt les voitures prêtes à conduire les opposants vers la capitale. David Gamkrelidze explique que la révolution des Roses de 2003 a utilisé des techniques similaires. « Saakachvili lui-même était venu en tournée dans la province », confie-t-il. Ici, l’opposition cherche à donner un nouveau souffle à la contestation lancée le 9 avril à Tbilissi. Mais l’engagement est relatif. Une quinzaine de personnes prend place sur les banquettes et repart bruyamment vers la capitale. Irakli se présente comme un radical de l’opposition locale. Pourquoi n’a-t-il pas suivi le mouvement contestataire ? Il répond, gêné et évasif : « Je reste à Poti, pour des raisons familiales, et puis Tbilissi, c’est pas tout près. »
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Les “malgré-nous” de la révolution L E PRÉSIDENT M IKHEÏL S AAKACHVILI N ’ EN DÉMORD PAS : SES OPPOSANTS SONT « DES PERSONNES PRIVÉES D ’ EMPLOI DU FAIT DE NOS RÉFORMES » ET « QUI N ’ ONT PAS RÉUSSI À SE RECONVERTIR » (N EWSWEEK , AVRIL 2009). R ENCONTRE AVEC CES QUINQUAS PERDUS OU LAISSÉS - POUR - COMPTE .
Giga Nebieridze, 44 ans, ancien policier n 2004, le nouveau pouvoir licencie plus de 16 000 policiers. Mesure emblématique de sa campagne anticorruption. Giga Nebieridze travaillait à Tbilissi. On lui attribue un autre poste, dans un village à 60 kilomètres de chez lui. Il démissionne après huit mois. Depuis, Giga enchaîne les contrats d’agent de sécurité privé. « Sous Chevardnadze, je gagnais environ 100 dollars par mois (75 euros). Pour un père de six enfants, c’est impensable. La corruption n’était pas un système, mais LE système lui-même. Les “vieux”, ceux qui avaient plus de 40 ans, ont été mis dehors ou mis au ban sans distinction. Or la jeunesse est loin d’être une garantie d’honnêteté. À 44 ans, je ne me sens pas vieux. Mais je me sens inutile dans cette société qui me catalogue comme tel. »
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© Anne Andlauer/ESJ
Père de famille nombreuse, Giga Nebieridze supporte mal d’avoir été mis sur le carreau à 40 ans.
es magistrats géorgiens sont nommés pour dix ans. En novembre 2005, cinquante juges de la cour d’appel de Tbilissi sont “placés en réserve” jusqu’au terme de leur mandat. En clair, virés. Mamouka Giorgadze a été nommé en mai 1999. Il continue de percevoir son salaire – 640 euros mensuels – mais ne peut exercer son métier. Il préfère démissionner. « La justice n’est pas indépendante. Le problème ne date pas de Saakachvili, mais depuis 2005, l’influence des procureurs est telle que les juges ne sont plus maîtres de leurs décisions. Ceux de ma génération ont été remplacés par des jeunes à qui l’on inculque le devoir d’obéissance. Des cours de district aux cours d’appel, aucune transparence dans la sélection des juges. Les critères sont politiques. Je ne me reconnais plus dans ce système. »
© A.A./ESJ
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Mamouka Giorgadze a soutenu Mikheïl Saakachvili quand il était ministre de la Justice. Aujourd’hui, il veut la démission du président.
Donara Kincourachvili, 53 ans, enseignante endant trente-deux ans, jusqu’en 2006, elle travaille puis enseigne à l’Université d’État de Géorgie. Diplômée de l’Institut de théâtre et de cinéma, Donara n’a jamais cherché à décrocher son doctorat. Or la réforme de l’enseignement supérieur engagée en décembre 2004 a condamné au chômage de nombreux enseignants “non-certifiés”. Il y a un mois, l’université lui a demandé de revenir. « Il fallait réformer l’enseignement supérieur. De l’admission au diplôme, tout le système était corrompu. Les programmes dégoulinaient d’idéologie soviétique. Mais les réformes précipitées mènent souvent aux pires échecs. Quand un ministre se targue d’être trop jeune pour avoir connu Lénine ou Staline, je n’ai pas envie d’applaudir. Mes étudiants ont signé une pétition pour que je revienne, preuve que je n’étais pas si vieille ni à ce point dépassée. »
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© A.A./ESJ
Mamouka Giorgadze, 52 ans, ancien juge
Donara Kincourachvili n’enseigne plus que quatre heures par semaine, contre dixhuit auparavant.
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Le parlement carrefour des convulsions
I NAUGURÉ EN 1953, LE BÂTIMENT A VU ÉCLORE , SOUS SES COLONNES , LES FIÈVRES POLITIQUES QUI ONT BALISÉ L’ HISTOIRE DU PAYS . Q UATRE DATES , QUATRE G ÉORGIENS . I LS Y ÉTAIENT, ILS RACONTENT.
Medea Matcharachvili, 70 ans « C’était trois ans après la mort de Staline. Khrouchtchev avait émis l’idée d’enlever son corps du mausolée de Lénine pour le brûler. Les gens de Tbilissi étaient contre. Il y avait une grande statue de Staline au bord de la rivière, à deux pas du parlement. La plupart des manifestants étaient des étudiants, comme moi. On l’aimait peut-être plus que nos parents, Staline ! Dès la fin des cours, on y fonçait pour lire des poèmes à sa gloire. Il y avait tant de fleurs au pied de cette statue… Ça a duré une semaine. Les Russes nous observaient, jusqu’au moment où ils ont décidé de disperser la manif. On a commencé à sprinter sur l’avenue Roustavéli. Mes amis ont été encerclés par les soldats, qui ont ouvert le feu. Une jeune fille qui prononçait un discours a été embrochée par une baïonnette. Pour s’échapper, les gens couraient sur le pont mais un tank les bloquait. Certains ont sauté dans le fleuve, d’autres se sont fait écraser. Cette nuit-là a été terrible. Pendant plusieurs années, on voyait encore les impacts de balle sur les immeubles. La statue de Staline a été démolie. Les corps n’ont jamais été rendus aux familles. Personne n’a reçu d’excuses de l’URSS, qui a étouffé l’affaire. Jamais on n’a su combien avaient péri ce jour-là. Officiellement, vingt-deux. Je retourne rarement sur les lieux, mais lorsque je m’y trouve, bien sûr je ne peux m’empêcher d’y repenser. »
Au lendemain du XXe Congrès du Parti communiste de l’ URSS, Nikita Khrouchtchev engage son pa ys s ur le chemin de la déstalinisation. Une décision qui déclenche des manifestations d’étudiants, outrés par ce brusque désaveu du “Petit père des peuples”, né à Gori.
Depuis trois jours, des grévistes de la faim campent devant le parlement pour réclamer l’indépendance de la Géorgie. Des milliers de manifestants sont venus les soutenir. Il est 4 h du matin lorsque les troupes spéciales du ministère de l’Intérieur d’URSS interviennent. Les a ffr ontements fer ont « J’avais 21 ans, j’étais étudiante. Ça peut sembler bizarre, mais j’étais prête à vivre des moments forts. Les anciens nous disaient que c’était dangereux mais on se moquait d’eux. On 19 morts et 200 blessés. était enivrés par ces manifestations. Il y avait des belles paroles, sur la patrie, sa défense. On ne pensait même pas à la mort, pas même lorsque j’ai entendu les chars entrer, les matraques cogner. La tension montait, on distribuait du soda et de l’eau stérile aux manifestants pour qu’ils la diluent et s’en humectent les yeux en cas de tirs de gaz lacrymogène. Quand on a vu le sang, les gens se bousculer, j’ai commencé à réaliser le danger, la mort toute proche. Je suivais la foule qui m’a entraînée vers l’église, à côté du parlement. J’entendais juste les bruits très sourds des matraques. Les hommes jouaient un peu les chevaliers, ils nous défendaient, nous encerclaient. Dans les années qui ont suivi, des images me venaient en tête quand je passais devant le parlement. Mais maintenant, elles se perdent, s’effacent peu à peu de ma mémoire. Mais j’ai encore en tête cette odeur de poudre. Ce jour-là, j’ai eu le sentiment d’être une héroïne. »
© AFP, Benjamin Smadja, Sébastien Borgeaud/ESJ
Irma Jajanachvili, 40 ans
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Zviad Dzidzigouri, 44 ans « C’était le jour où Saakachvili est entré au parlement. Toute la population et le parti que je dirigeais, le Front démocratique, réclamaient la démission de Chevardnadze. L’hémicycle était plein de députés lorsque Micha est entré le premier. J’étais à côté de lui, dans les travées. Avant d’être évacué manu militari, il hurlait “Démissionne ! Démissionne !” en direction de Chevardnadze, qui continuait son discours. Et qui a abdiqué le lendemain. Je me souviens que la tasse de thé de Chevardnadze était restée sur le pupitre du perchoir, et que Saakachvili avait bu le breuvage encore tiède ! Depuis, le thé demeure associé à Micha. Il y avait une ferveur particulière ce jour-là. Mais Chevardnadze n’était pas aussi têtu que son tombeur ! Lui avait démissionné sous la pression du peuple, Micha non ! »
Les élections législatives du 2 novembre donnent la victoire au camp Chevardnadze. Les observateurs internationaux dénoncent des fra udes électorales. Le candidat Mikheïl Saakachvili se proclame vainqueur et appelle la population à manifester pacifiquement. Le 22 novembre, les opposants guidés par Saakachvili, armés de roses, interrompent une session du parlement et contraignent le président Chevardnadze à quitter le bâtiment.
Vaja Jamagidze, 46 ans
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« Les manifestations duraient depuis une semaine environ. Tous les jours, des centaines de personnes se réunissaient ici pour que Saakachvili démissionne. Plus la mobilisation durait, plus les déchets s’accumulaient sur Roustavéli ! Je me rappelle que c’est arrivé tôt le matin, vers 8 h. Plusieurs camions-poubelles progressaient vers les barrières qui bloquaient l’avenue. Normalement, nous ne laissions rien ni personne passer ; mais là, l’avenue était tellement sale qu’on leur a permis d’entrer. Brusquement, ils se sont arrêtés et des dizaines de policiers des forces spéciales en ont jailli ! Personne ne pouvait s’attendre à ça. À peine sortis, les intrus ont commencé à disperser la foule à coups de matraque. C’était la panique. Ils frappaient vraiment violemment. Moi, j’ai eu de la chance, j’étais près d’un prêtre qui venait donner des sermons sur les lieux. Je suis resté accroché à lui et les policiers n’ont pas osé le maltraiter. Je m’en suis tiré avec quelques égratignures au bras, mais plusieurs de mes amis étaient en sang. Plus tard, il y a eu de nouvelles élections. On nous dit qu’elles étaient démocratiques ; moi je n’y crois pas. Et c’est pour ça que je suis là encore aujourd’hui, au même endroit, pour réclamer la même chose. »
La foule est de nouveau rassemblée devant le parlement, mais contre Saakachvili cette fois. Les manifestants reprochent notamment au président ses positions pro-occidentales. Au cinquième jour de la mobilisation, la police intervient violemment. L’état d’urgence est décrété le jour même.
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Un médiateur
l’arène © Renaud Bouchez/ENSLL
L A NEUTRALITÉ DE S OZAR S OUBARI , ARBITRE PLACÉ
Sozar Soubari quittera son poste en septembre. Le regard déjà tourné vers la politique ?
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es anciens mafieux sont dans les l’audience d’une institution en mal de prisons. Les nouveaux dans les crédibilité. Avant que ses critiques, de plus ministères. » Violente, excessi- en plus dures, ne finissent par agacer le ve peut-être, la phrase est pro- gouvernement . noncée d’une voix douce. Sans Les plaintes s’accumulent élever le ton. Sozar Soubari, 44 ans, silhouette élancée et Giga Bokeria, vice-ministre des Affaires visage enfantin, n’est pas d’un étrangères, a travaillé avec lui au Liberty Insnaturel colérique. Mais le médiatitute, une ONG, de 2002 à 2004. teur géorgien a la critique froide Désormais, leurs relations ne sont « Quand les et acérée lorsqu’il s’agit de juger violations sont que professionnelles. « L’immense le bilan du régime de Mikheïl l’expression d’une pression de l’opposition a joué un Saakachvili en matière de droits volonté politique, rôle pendant la première année et de l’Homme. c’est au sein d’un demi. Elle l’a déstabilisé au point Sozar Soubari a pourtant œuvré parti que l’on peut qu’il a perdu ses distances avec nos pour l’accession au pouvoir de la politiques. C’est plus faire changer les adversaires nouvelle génération. L’analyste confortable d’être un héros qui choses. » politique, Nodar Ladaria, qui le critique le gouvernement. » Le “décôtoyait sur les bancs de l’Acafenseur public” – son autre nom – démie théologique de Tbilissi au début des se serait ainsi politisé. années 1990, se souvient : « Nous nous Sozar Soubari nie avoir retourné sa veste. sommes battus ensemble contre Édouard « Mon premier rapport devant le Parlement Chevardnadze. » était déjà incisif, insiste-t-il. En 2005, après Après la révolution des Roses, l’ancien mon deuxième, les députés de la majorité ont journaliste de Radio Free Europe est nommé quitté la salle. » Depuis, ses bilans accablants médiateur par le Parlement. Sa mission : sur l’état des libertés en Géorgie se succècontrôler le respect des libertés publiques dent. Il reconnaît le déclin des enlèvements dans le pays. Instauré en 1997 sous l’ère crapuleux et l’amélioration au sein des hôChevardnadze, le poste était symbolique. En pitaux psychiatriques. Mais s’insurge : « La 2004, l’opposition craignait de voir y opérer persécution politique est planifiée. » Les une marionnette du pouvoir. La liberté de plaintes s’entassent sur les bureaux de ses ton de Sozar Soubari a d’abord élargi soixante collaborateurs : 1 500 en 2005,
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ENTRE LE PEUPLE ET LE POUVOIR , EST MISE EN DOUTE . P OUR LE GOUVERNEMENT, IL N ’ EST QUE LE CHEVAL DE T ROIE DE L’ OPPOSITION .
5 100 en 2008. Médias, expropriations, prisons, l’éventail est large. « Parfois, je vais au-delà de mes prérogatives. Notamment quand je demande aux policiers de ne pas frapper les manifestants », confie ce fervent orthodoxe. Allusion à son intervention dans la rue, lors des manifestations du 7 novembre 2007. « C’est mon devoir de citoyen. » Ce jour-là, il dit avoir été frappé par les forces de l’ordre.
Pas assez de poigne Son mandat prend fin en septembre prochain. L’avenir ? Il le voit « peut-être en politique ». « Quand les violations sont l’expression d’une volonté politique, c’est au sein d’un parti que l’on peut faire changer les choses. » Très populaire, Sozar Soubari pourrait-il un jour incarner une alternative à Saakachvili ? Laudateurs comme contempteurs n’y croient pas une seconde. Pas assez de poigne. Sophia Khorguani, son bras droit jusqu’en janvier 2009 : « Il est trop franc pour devenir politicien. Quand je lui ai annoncé que je quittais mon poste pour rejoindre un parti, il m’a dit ceci : “Moi je ne créerai pas le mien. Trop compliqué à gérer.” » Aux yeux de Nodar Ladaria, « c’était une erreur de le prendre comme médiateur ; il était l’un des nôtres, maintenant il est contre nous. » La révolution des Roses aussi mange ses enfants. Mais l’épine Soubari lui reste en travers de la gorge ■
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venait Elle ans 18
Le bacille de la honte Le malaise arménien
Il était une foi
Cette séquence a été réalisée par Anne Andlauer, Flora Beillouin, Pierre-Philippe Berson, Emmanuelle Bonneau, Yann Bouchez, Solange Brousse, Anna Chichinadze, Maka Chinchaladze, Teona Chkadua, Tuta Chkheidze, Noémie Coppin, Pia de Quatrebarbes, Sophie Delpont, Keti Ebanoidze, Sophie Ebralidze, Mathilde Fassin, Rudy Flochin, Tsira Gvasalia, Anne-Claire Genthialon, Maia Gogitidze, Pauline Houédé, Julie Jammot, Khanim Javadova, Tamta Kapanadze,
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Pile et face Voilà dix-huit ans, la Géorgie obtenait son indépendance. Une toute jeune république moderne, tournée vers l’Europe. Une toute jeune république sur laquelle pèse la religion orthodoxe et où règne la censure. Entre ces deux extrêmes, quel est le vrai visage de la Géorgie ? Comme s’il fallait choisir entre pile, une Géorgie occidentale et démocratique ; et face, un pays post-soviétique en ruine étouffé par des valeurs dépassées… La société géorgienne est quelque part derrière les grosses lunettes de soleil des Tbilissiennes, les postes de télé toujours allumés, dans la fiche de paye des policiers et sous le justaucorps des lutteurs. Elle est dans la toux des tuberculeux, les seringues des toxicos, les cauchemars des homosexuels et le regard fatigué des Arméniens. Elle erre dans l’encens des églises. Et, nous l’espérons, quelque part en filigrane sous les lignes qui suivent.
Paradis artificiels
Fighting Spirit
Salome Kasradze, Tamar Kikacheichvili, Julie Koch, Mariam Kochiachvili, Thibaud Marchand, Jacques Matand Dyambi, Tâm Melacca-Nguyen, Sophie Mihailov, Natalie Nozadze, Natia Metreveli, Olivier Monnier, Thomas Lelong, Tamar Paradachvili, Roxane Pour Sadjadi, Jean-Baptiste Renaud, Aurylia Rotolo, Nino Rukhaia, Natia Rusadze, Tskriala Shermadini, Benjamin Smadja, Laura Sprung, Ana Tkeshelachvili, Clara Tomasini, Léa Zilber.
© Pierre-Philippe Berson
Revanche sur l’Histoire
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SOCIÉTÉ
© Rudy Flochin/ESJ
Télé mon
pouvoir L ES G ÉORGIENS
À Rustavi 2, le journaliste vedette se prépare à présenter le Kourieri, le JT phare de la chaîne la plus regardée du pays.
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ONT DEUX RELIGIONS : ORTHODOXE ET CATHODIQUE . I CI , LES GRAND - MESSES DE L ’ INFO ET LES TALK - SHOWS POLITIQUES SONT UN AUTRE MOYEN D ’ ÉXERCER LE POUVOIR . L ES RÉVOLUTIONS SE FONT PAR LE PETIT ÉCRAN .
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ELLE VENAIT D’AVOIR 18 ANS...
Voix discordantes
Prison-réalité Vivre en prison, seul dans une cellule de 15 m2 aux murs recouverts de portraits caricaturaux du président géorgien… Méthode communiste d’endoctrinement ? Non, c’est le choix d’Outsnobi [ci-contre], star du rock géorgien et frère de Levan Gachechiladze, un des leaders de l’opposition. Depuis le 20 janvier 2009, il a juré de ne sortir qu’à la démission de Mikheïl Saakachvili. « Tout le pays est en prison. Micha a instauré un système policier, comme Hitler »,affirme-t-il, sans nuancer. Comparer les camps de réfugiés géorgiens aux camps de la mort nazis ne le gêne pas, c’est son fonds de commerce. En attendant l’hypothétique abdication du président, il reçoit des personnalités de la scène politique et culturelle géorgienne. Des caméras retransmettent les échanges lors d’une émission quotidienne. Aménagée dans les locaux de la chaîne d’opposition Maestro, la fausse cellule est décorée de manifestes, de marionnettes, d’icônes orthodoxes... Un décor de théâtre pour des dialogues sans cesse remâchés. Outsnobi ne sort qu’exceptionnellement. Après trois mois à l’ombre il a pâli mais n’en démord pas : la télé va changer la réalité ■
Depuis l’implosion de l’URSS, le paysage audiovisuel géorgien n’a plus rien de soviétique. En 1995, Rustavi 2 ouvre une première brèche dans le monopole de la télévision d’État. Elle se développe sur le modèle de CNN, devient la plus populaire du pays. Imedi – espoir en géorgien – naît peu après et devient un adversaire de clame-t-on en régie. Pour limiter Saakachvili. Après une fermeture les coûts, aussi. D’abord intertemporaire en 2007, la rebelle dits, les talk-shows politiques, s’est assagie. D’autres expé- dans un studio de 5 m2, occupent riences, comme Iberia ou Chan- une place centrale. « Lors de la nel 9, ont échoué. Le pays comp- première émission politique ici, on te désormais plus d’une dizaine coupait le son des débats et on de chaînes. diffusait de la musique classique à place, s’amuse Tamar Parmi elles, Kavkazia et Maestro la font entendre des voix discor- Tchikovani, la star de Maestro. Il dantes. David Aboukardia, per- fallait allumer la radio pour ensonnage haut en couleur, a fondé tendre la voix des participants et la première, il y a plus de dix ans, suivre la discussion. Astucieux, avec très peu de À l ’ i m a g e d e l a s o c i é t é hein ? » moyens. Il veut peIci, on travaille géorgienne, ser sur les débats avant tout pour le s ch aî nes s ont du pays. Invite une son employeur. très politisées. dizaine d’experts à Les journalistes son émission pour que Micha géorgiens ne forment pas une Saakachvili rende un tableau du corporation autonome : pas de peintre géorgien Pirosmani que le syndicat, ni de code de déontoloprésident souhaitait avoir dans ses gie. « Il y a un vrai problème bureaux. « Cette émission a telle- d’indépendance éditoriale. Les jourment ému la mère de Micha que le nalistes ne séparent pas les faits des tableau a été rendu », se vante-t-il. commentaires », se désole Giga À Maestro, les JT se font sans Bokeria, vice-ministre des Affaires présentateur ni commentaires. étrangères. « Les télévisions sont Pour des raisons d’objectivité, devenues des outils de propagande,
affirme Zviad Koridze, spécialiste des médias. Les sujets reposent sur des stéréotypes qui véhiculent les idées du pouvoir ou de l’opposition. »
Journalisme d’opinion Giorgi Laperachvili, rédacteur en chef adjoint à Rustavi 2, se défend d’être partial : « Si vous dites qu’il y avait des centaines de milliers de manifestants contre le gouvernement le 9 avril, vous êtes un bon gars aux yeux de l’opposition. Si vous dites quelques milliers, comme l’AFP d’ailleurs, vous êtes progouvernemental. » Keti Mskhiladze, médiatrice à la télé publique, est l’une des rares critiques sur les programmes de sa chaîne : « Tout est fait pour décrédibiliser l’opposition en sous-estimant, par exemple, l’ampleur des manifestations actuelles. Lorsque le président va à Sofia pour une conférence sur la sécurité énergétique, on en parle quatre jours à l’avance. » Comme la démocratie, la télévi-
Les tabous dans les médias géorgiens Minorités ethniques et sexuelles, religion, séparatisme… Les médias géorgiens souffrent de nombreux tabous. Le journaliste indépendant Zviad Koridze, qui a travaillé comme directeur de l’information pour plusieurs télévisions, lève le voile sur les trois principaux. « Le débat sur les minorités ethniques et sexuelles n’est pas ouvert en Géorgie. Le pays compte plus
© Julie Jammot/ESJ
V
ingt-deux novembre 2003. Saakachvili et ses partisans envahissent le parlement, une rose à la main, sous l’objectif des caméras. Rustavi 2 aurait bien mérité un bouquet : la chaîne de l’opposition a soutenu sans relâche le héros de la révolution des Roses. 7 novembre 2007. En pleine manifestation, le gouvernement ferme Imedi TV, le canal de la nouvelle opposition. Motif : appel au renversement du régime. Les téléspectateurs assistent en direct à l’entrée des forces de l’ordre dans les studios. Avril 2009. Des manifestants campent plusieurs semaines devant la télévision publique pour dénoncer la « propagande pro-gouvernementale ». Pendant des périodes de tension politique, la télévision est un acteur à part entière.
de 120 nationalités mais n’affiche pas de politique globale claire d’intégration. Pourquoi ? Le mythe d’une identité nationale géorgienne forte et la peur que l’autonomie aboutisse à la perte de territoires. Dans un reality show, un gay a été jeté dehors pour avoir revendiqué son identité sexuelle : aucune réaction populaire ni médiatique. Des groupes nationalistes tels que Orthodox parents
sion géorgienne est encore jeune. Dans une société où les rapports politiques ne sont toujours pas apaisés, difficile d’échapper au journalisme d’opinion. « Les journalistes ne sont pas malhonnêtes. Il leur est juste difficile de se détacher de la vie politique de leur pays », analyse Maia Mikachavidze, directrice du GIPA [Georgian Institute of Public Affairs], une école de journalisme. Saal Udumachvili, présentateur-vedette du Kurieri, le grand JT du soir, se souvient presque avec nostalgie du temps où Rustavi 2 était dans l’opposition : « Ça faisait du bien de faire partie de l’événement. » Entre deux journaux, des reporters de Rustavi 2 admettent les pressions mais disent s’en libérer doucement : « Les politiques n’ont plus la confiance des gens, lance Natia Gogsadze, la journaliste “société”. Si on ne prend pas nos distances, on perd notre crédibilité. C’est dans notre intérêt de chercher à être le plus neutre possible » ■
font pression sur l’opinion et les journalistes s’autocensurent pour ne pas créer de polémique. Les déclarations du patriarche Ilia II sur les questions de société, d’économie ou de politique ne sont jamais critiquées ni même discutées. Le séparatisme, enfin. Si un journaliste parle de l’indépendance de l’Abkhazie en Géorgie, il est considéré comme un traître à la nation. S’il veut aborder le sujet en Abkhazie, il est perçu comme un espion géorgien. Et dans le silence, les problèmes demeurent. » ■
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Droits de l’Homme : E NTRETIEN AVEC G IORGI G OGIA , SPÉCIALISTE DU C AUCASE POUR H UMAN R IGHTS W ATCH , ONG DE RÉFÉRENCE SUR LES QUESTIONS DE DÉFENSE DES DROITS DE L’H OMME ET DES LIBERTÉS .
« Micha se vante d’avoir réduit la torture, dans les prisons. Mais le nombre de cas reste élevé. » vilégient le business. La situation actuelle génère des frustrations que Micha finira par payer un jour.
« Les autorités privilégient le business »
Les libertés fondamentales ne sont pas mieux respectées aujourd’hui que pendant les années Chevardnadze ? Je ne veux pas comparer. La comparaison, c’est l’argument préféré de Saakachvili. Il compare trop souvent. Ça ne doit pas devenir un motif de satisfaction. Micha se vante par exemple d’avoir réduit la torture, notamment dans les prisons. Mais le nombre de cas reste encore dramatiquement élevé.
L
a situation des droits de l’Homme en Géorgi e s’est-elle améliorée depuis l’arrivée de Mikheïl Saakachvili ? Son action est difficile à évaluer en termes d’avancées ou de reculs. À son arrivée, Saakachvili faisait face à un dilemme majeur. Soit il choisissait de consolider son pouvoir et la puissance de l’État, soit il privilégiait les droits et libertés des citoyens. Aujourd’hui, il semble que sa priorité, c’est : « Assurons d’abord la stabilité du pouvoir, ensuite les droits de l’Homme. » Il s’agit d’un vrai aveu de faiblesse politique.
Dans quels domaines? Saakachvili a tellement envie d’attirer les investissements qu’il n’hésite pas à mettre les droits de l’Homme de côté. En 2006, les habitants d’un immeuble du centre de Tbilissi ont été expulsés parce que des investisseurs voulaient raser le bâtiment et construire un centre commercial. Cette décision parfaitement illégale montre que les autorités pri -
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Human Rights Watch a publié un rapport en janvier* sur le conflit d’août dernier contre la Russie. Quelles sont vos principales observations ? Les forces russes et géorgiennes ont violé les lois internationales en visant indistinctement civils et militaires. Cette guerre a tué des centaines de civils et provoqué le déplacement de dizaines de milliers de personnes, aussi bien du côté ossète que géorgien. Par ailleurs, l’usage de bombes à fragmentations, pourtant interdit par les Conventions de Genève, a été remarqué des deux côtés. [Les autorités géorgiennes comptabilisent 370 victimes. Côté russe et ossète, les chiffres avancés suscitent étonnement et critiques : Moscou évoque 1 600 morts, un chiffre difficilement vérifiable.]
Giorgi Gogia souhaite une réforme de la justice géorgienne, à laquelle « personne ne fait confiance. »
© Pierre-Philippe Berson/ESJ
Depuis 2003, on observe tout de même certaines avancées... Sa principale réussite reste sans conteste la lutte contre la corruption, spécialement dans la police. Les progrès sont frappants. Les Géorgiens n’ont plus à donner de bakchich à chaque contrôle policier. Dans un autre domaine, Micha a également limité l’emprise des sectes extrémistes. Il a réduit les violences des mouvements ultra-orthodoxes. Cependant, localement, on observe certains reculs.
Quelle devrait être la priorité en faveur des droits humains ? Il y en a tellement ! À mes yeux, la réforme du système judiciaire est urgente. Personne ne fait confiance à la justice géorgienne. Mais Micha est plus préoccupé par l’instabilité politique actuelle.
Quel regard portez-vous sur la couverture médiatique de ce conflit ? Le nombre de victimes a alimenté la propagande qui a suivi la guerre. Les autorités ossètes ont avancé le chiffre de 2 000 victimes. C’est très exagéré. Le problème, c’est que les rumeurs ont vite acquis le statut de vérité. Les médias géorgiens n’ont pas correctement couvert le conflit. Ils ont présenté une version biaisée des événements *Consultable sur www.hrw.org
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Comme un Arménien © Laura Sprung/ESJ
en Géorgie
75 % des jeunes Arméniens de Géorgie partent étudier à Erevan.
E NTRE 200 000 ET 500 000 A RMÉNIENS VIVENT EN G ÉORGIE , MINORITÉ LA PLUS IMPORTANTE . I LS SE BATTENT POUR LA SAUVEGARDE DE LEURS TRADITIONS , DE LEUR CULTE ET DE LEUR LANGUE . L E SUD DU PAYS , FRONTALIER DE L ’A RMÉNIE , EST LA ZONE OÙ S ’ EXERCENT LES TENSIONS LES PLUS VIVES .
N
«
© Marianne Rigaux/ESJ
‘allez pas dans cette direction, il y a des Arméniens. » Les Géorgiens s’amusent à raconter que si la statue de Vakhtang [ci-dessous], le roi fondateur de Tbilissi, lève le bras, c’est pour décourager les passants de se rendre à Avlabar, le quartier arménien. Ces derniers vivent depuis des siècles sur le territoire géorgien, tout en continuant de parler l’arménien et de pratiquer leur culte. En 1990, lors de la chute de l’URSS, le premier président, Zviad Gamsakhourdia, déclare l’indépendance du pays et pratique une politique ultranationaliste qui menace les minorités. Le malaise s’installe. Depuis, le nombre d’Arméniens en Géorgie ne cesse de diminuer. L’histoire de la statue n’est peut-être qu’une plaisanterie mais elle reflète bien la mésentente qui existe entre Géorgiens et Arméniens. Premier terrain de tension : la religion. Des vidéos postées sur Internet montrent le père Tariel, prêtre géorgien, vandalisant l’église arménienne de Norachen, à Tbilissi. Seule une allée sépare les deux églises, arménienne et géorgienne, et la cohabitation ne se fait pas sans heurt. « Cela fait maintenant
vingt ans que l’Église géorgienne détruit délibérément la nôtre », raconte Sarkis Kartachyan, bénévole au Centre de coopération des Arméniens de Géorgie [ACCG]. « C’est difficile pour moi de venir ici, » confie-t-il avant d’énumérer, les larmes aux yeux, les différentes profanations. « L’objectif de l’association est d’apprendre aux jeunes Arméniens de Géorgie quels sont leurs droits », explique Slava Mezhdoyan, lui aussi membre de l’ACCG.
S’intégrerà la société géorgienne Un groupe de jeunes est rassemblé devant l’ONG. Ils portent tous un teeshirt pour la 94 e commémoration du génocide arménien, perpétré par les Turcs. Affiches et bougies sont préparées en vue d’une manifestation devant l’ambassade de Turquie. « Le devoir de mémoire est une priorité », souligne Slava. La majorité d’entre eux constitue la cinquième génération d’Arméniens de Tbilissi. Certains n’ont jamais mis les pieds en Arménie mais tous se proclament « tbilissien, géorgien et armé-
nien ». Entre eux, ils ne parlent qu’arménien. « Notre culture, notre religion, notre langue doivent perdurer, explique Slava. Nous désirons nous intégrer à la société géorgienne, pas être assimilés. » Temouri Yakobachvili, ministre des Minorités et de la Réintégration des provinces, reconnaît qu’« un des problèmes d’intégration des Arméniens est lié à la langue. » Dans le sud de la Géorgie, dans la région de Samtskhé-Djavakhétie, environ 60 % de la population est arménienne. Dans certaines zones, la proportion atteint même 99 %. Les habitants y ont recréé une petite Arménie où le culte pratiqué est celui de l’Église apostolique arménienne, plus proche de l’orthodoxie russe que géorgienne. L’enseignement se fait en arménien, de l’école primaire jusqu’au lycée. Les étudiants vont à l’université d’Erevan, la capitale arménienne. Mais les services publics sont gérés par des fonctionnaires géorgiens.
« Des mesures insignifiantes » « La langue n’est pas le seul problème, il faut que les Arméniens s’intègrent socialement et civiquement », continue le ministre. « Le gouvernement envisage de financer le cursus universitaire à Tbilissi aux étudiants issus de la province à majorité arménienne », explique Elene Tevdoradze, vice-ministre de la Réintégration. Pour les militants arméniens, « ces mesures sont insignifiantes » et représentent seulement « un moyen d’éviter que cette région ne devienne séparatiste, comme l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud »
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Prisons peine Moment rare : un détenu marche dans la cour extérieure de la prison de Gldani. Cela change des promenades sur les toits, deux fois par semaine.
E N G ÉORGIE COMME EN F RANCE , LA SITUATION DES PRISONS EST UNE INSULTE AUX DROITS DE L’H OMME . A PRÈS PLUSIEURS SCANDALES , LE PAYS EST FORCÉ DE RÉFORMER … M AIS PAS DE RÉVOLUTION POUR LES 19 300 DÉTENUS GÉORGIENS . É TAT DES LIEUX .
A
u cœur de la capitale, un champ de ruines : l’embarrassante prison n°5, symbole de la misère carcérale en Géorgie, est tombée ce printemps. Record battu fin 2007 : plus de 5 000 détenus étouffent dans des murs prévus pour 2 000 personnes. « Ils se relayaient pour dormir, avaient même du mal à se tenir debout », raconte le médiateur Sozar Soubari chargé de contrôler le respect des libertés publiques. Avec moins d’un demimètre carré par prisonnier, les geôles géorgiennes sont comparées aux cachots de Biélorussie, dernière dictature d’Europe.
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Décembre 2007, le transfèrement des détenus commence. Direction la nouvelle prison de Gldani, dans la banlieue de Tbilissi. Vitrine du renouveau carcéral, la prison n°8 fait la fierté des autorités. Et presque le confort des prisonniers. « On a le chauffage en hiver et la clim’ l’été. On prend le nombre de douches qu’on veut. Et entre détenus et gardiens, c’est plutôt calme », confirme Giorgi [prénom modifié] , 35 ans et sept mois passés à Gldani. Mais avec ses 3 600 “locataires”, la prison dépasse tout de même sa capacité d’accueil fixée à 3 000 détenus.
Deux à trois par lit « En cinq ans, la moitié des dixsept prisons a été ramenée au ni-
© Ariane Nicolas/ESJ
Ancienne salle d’attente des visiteurs de la prison n°5.
veau des standards européens », assure Dmitri Shashkin, ministre de l’Administration pénitentiaire. Mais à Gldani, un détenu vit dans moins de trois mètres carrés, soit deux fois moins que ce que préconise le Conseil de l’Europe.
Dans la prison n°2 de Roustavi, ils sont encore deux à trois par lit. Et on ne soigne pas les malades les plus graves : les cancéreux et tuberculeux ne sont pas tous admis dans la prison n°8, la seule dotée d’un hôpital en Géorgie.
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Bad boys et vieux garçons L ES KURDIS , CES PARRAINS DU CRIME , ONT ÉTÉ CHASSÉS DES QUARTIERS SUR LESQUELS ILS RÉGNAIENT ENCORE SOUS C HEVARDNADZE . S ANS QUE LES PETITES HABITUDES LOCALES DISPARAISSENT TOTALEMENT. aakachvili nous a tous baisés. » Tout juste sorti de prison, Levan résume quatre ans de lutte du gouvernement contre le crime organisé en une formule lapidaire. Quatre ans depuis la mise en application d’une loi jugée scélérate par toute la caste des kurdis, les plus hauts gradés du crime organisé soviétique. Le texte, voté en décembre 2005, prévoit de punir la simple appartenance à une organisation criminelle. Une appartenance que ne peuvent nier les kurdis, en vertu de leur code d’honneur très strict. En un temps record, les arrestations et les saisies de biens se sont multipliées, presque toujours sous l’œil des caméras. Le résultat ? Sans appel. Autrefois aristocrates du crime organisé et contremaîtres des prisons, les kurdis se partagent aujourd’hui entre l’exil forcé et un séjour sous les verrous. Un lieu où ils ne règnent plus en maîtres. Leurs lieutenants, quant à eux, jouent toujours de leur statut ambigu dans la société géorgienne, à mi-chemin entre le bandit et le grand frère. « Nous nous occupions seulement de garder le quartier, de protéger ses habitants », résume Levan, l’un de ces durs, souvent appelés “vieux garçons” (dzveli bichebi) pour leur dévotion quasi monastique à leur
«
Sur le papier, la Géorgie veut changer : avec plus de 111 millions de laris (50 millions d’euros), le budget alloué au Département pénitentiaire a été multiplié par douze depuis 2003. Le très controversé Bacho Akhalaia, anciennement chargé du dossier et suspecté d’appartenir au crime organisé, est débarqué de l’organigramme officiel. Pour désengorger les prisons, le nouveau ministère de l’Administration pénitentiaire propose de créer une commission des remises de peines, plus efficace que le système actuel de recommandations. Une goutte d’eau face à la sévère condamnation des délits mineurs, en partie responsable du surpeuplement carcéral.
Climat explosif « La loi est mauvaise. Les condamnations s’accumulent et l’on peut être puni de plusieurs années de prison pour le vol d’une
bouteille d’eau », explique Nana Kakabadze, directrice de l’ONG Les Anciens prisonniers politiques pour les droits humains. Faux, répond l’Administration pénitentiaire pour qui la Géorgie de Saakachvili se contente d’arrêter les criminels laissés libres sous l’ère Chevardnadze. Les émeutiers sont simplement éloignés de la capitale, telles les 600 détenues qui se sont révoltées le 18 avril, contestant leurs conditions d’incarcération. Elles ont finalement été transférées à Roustavi, sans ménagement. Et pas de soupape dans le système pour désamorcer un climat explosif : pour les prisonniers, les grâces présidentielles sont arbitraires. Interrogé sur les conditions d’emprisonnement dans son pays, le médiateur pointe du doigt un manque de considération, presque criminel : « Les détenus doivent être traités comme des êtres humains. Ce n’est pas le cas aujourd’hui » ■
S
rôle. Leur domaine de compétence : tous les problèmes quotidiens du quartier. « Si une voiture ou un téléphone portable étaient volés, il suffisait de venir me voir et, contre un peu d’argent, je rachetais l’objet en question au bichebi d’un autre quartier », explique Levan qui jure que depuis sa sortie de prison, il y a deux mois, il n’assure plus ce rôle. « La plupart du temps, cela se passait sans aucune violence, nous avions un véritable code d’honneur », rappelle-t-il, comme pour mieux se distinguer de ces gamins autoproclamés dzveli bichebi qui traînent dans les quartiers plus qu’ils ne les contrôlent. « Sans nous, le système s’effondre. D’ailleurs, la société géorgienne n’a jamais été aussi violente », juge l’ancien détenu. Sans policiers corrompus ni prisons sous contrôle, la société géorgienne n’a surtout jamais été si peu propice à la tutelle des kurdis et de leurs lieutenants. « Je ne sais pas qui est le dzveli bichebi de mon quartier, raconte Nestan Nijaradze, journaliste qui a travaillé sur le crime organisé géorgien. Quant à savoir si c’est parce que je ne le connais pas ou si c’est parce qu’il n’y en a plus… » Qu’ils aient disparu ou qu’ils se fassent discrets, les anciens caïds ont probablement succombé aux nouvelles mœurs géorgiennes
La Géorgie et ses voyous « Notre produit d’exportation phare vers la Russie n’est plus le vin mais nos caïds. » Même si le président Saakachvili cultive un goût certain pour la provocation, la boutade est chargée de sens. Et pour cause, aujourd’hui comme hier, quelques-uns des plus célèbres parrains du crime postsoviétique sont en fait géorgiens. Le ministère de l’Intérieur russe recense encore cent kurdis en exil rien qu’à Moscou. Si la Géorgie cultive un tel héritage, elle le doit en partie à l’enfant du pays, Staline. Pour mieux contrôler la turbulente république de Géorgie, l’ami Joseph y encouragea l’installation de “bandits en loi”. À moitié tolérés, à moitié combattus, ces voyous étaient chargés de mettre sous tutelle une partie de la société. Staline répétait ainsi une stratégie déjà éprouvée. Dans les goulags, les “bandits en loi” régnaient en maîtres sur les prisonniers.
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Le
bacille de la
honte Avant novembre 2008, les patients étaient soignés dans des locaux insalubres.
L A G ÉORGIE N ’ ÉCHAPPE PAS À LA RECRUDESCENCE MONDIALE DE TUBERCULOSE . M ALGRÉ LES EFFORTS DU GOUVERNEMENT, L ’ INFECTION PAR LE BACILLE DE K OCH RESTE HONTEUSE . ne des malades a refusé de se soigner de peur que sa future bellemère découvre sa maladie et empêche le mariage.» En peu de mots, Lali et Marina, travailleuses sociales au centre national contre la tuberculose de Tbilissi, pointent les préjugés sur la tuberculose auxquels elles sont confrontées tous les jours. C’est toujours la même chose : à l’apparition des premiers symptômes, les malades hésitent à se faire soigner. Peur d’être exclus, de perdre leur emploi ou leur logement.
Regain de l’épidémie Pourtant l’épidémie est inquiétante : tous les ans, la maladie fait 400 morts et 4 000 nouveaux cas sont diagnostiqués. « À cause de ces stéréotypes, les gens consultent pour la première fois à des stades très avancés. On a beaucoup plus de mal à les guérir », explique Archib Sakaia, le directeur du programme national contre la tuberculose. La situation n’est
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pas nouvelle. La maladie connaît sement les recommandations de un regain depuis les années 1990, l’Organisation mondiale de la alors que pendant soixante-dix santé (OMS). « J’ai parlé facileans les Soviétiques étaient par- ment de ma maladie autour de venus à la maîtriser. C’est la moi car la forme de tuberculose Croix-Rouge qui, la première, a dont je suis atteint n’est pas contatiré la sonnette d’alarme en 1995 gieuse. Avant, moi aussi j’avais en découvrant que 6 % des pri- peur de cette maladie, je me tenais sonniers en étaient atteints. Deux vraiment loin des tuberculeux », ans plus tard, l’épidémie ne se confie-t-il. cantonne plus aux prisons. Le Malgré le programme internagouvernement s’y attaque alors tional Stop tuberculose, mené par en instaurant le programl’épouse du président, « U ne me de lutte contre la tuSandra Roelofs, et les maladie berculose. campagnes de prévention Aujourd’hui, le ministère associée à la qui tournent en boucle à la de la Santé consacre 12 % pauvreté. » télé et à la radio, rien n’y de son budget à la malafait. La tuberculose reste la die : du diagnostic au traitement, maladie de la honte. « Toutes les l’État prend en charge toutes les maladies sont stigmatisées, mais la dépenses. La Géorgie est même tuberculose plus particulièredevenu le pays du Caucase qui af- ment », raconte Alexander Kvitafiche le meilleur taux de détection chvili, ministre de la Santé. « Pour de la maladie. les gens, ça reste une maladie soassociée à la pauvreté. En « Se tenir loin des tuberculeux » ciale, Géorgie, les préjugés sont tenaces. Masque sur le visage, teint bla- Par exemple, peu de gens se doufard, Dualize a 49 ans. Cela fait tent que j’ai eu la tuberculose ! » Plus grave, ces tabous autour de un mois qu’il est soigné au centre national. Ici, dans le bâtiment ul- la tuberculose poussent de nomtramoderne inauguré il y a moins breux patients à arrêter leur traid’un an, on applique scrupuleu- tement. « Ces arrêts provoquent
des résistances aux médicaments ; les patients deviennent beaucoup plus difficiles à soigner. C’est le plus gros problème en Géorgie », prévient Archib Sakaia. Si au cours des trois dernières années la situation s’est améliorée, le petit pays du Caucase s’inquiète toujours : 27 % des malades sont résistants aux médicaments ■
La tuberculose en chiffres (2007) Monde • 9,27 millions de nouveaux cas pour 6,5 milliards d’hommes France • 8 548 nouveaux cas pour 63 millions d’habitants 9 personnes sur 100 000 sont touchées Géorgie • 3 703 nouveaux cas pour 4,4 millions d’habitants 84 personnes sur 100 000 sont touchées
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Un foyer pour Andro et Sopo
endroit est paisible. À côté du village touristique de Sighnaghi, perdue dans les vallons de la province de Kakhétie, une ferme isolée. Sur le perron de la bâtisse, Mamet fume une cigarette, Data joue avec un ballon et Sopo se cache derrière les autres. C’est ici que Gela Gligvachvili et Lali Khandolichvili, un couple de quinquagénaires, ont construit un foyer pour recueillir dix adultes handicapés mentaux, abandonnés par leurs parents. « J’animais des ateliers de musique dans des orphelinats pour enfants handicapés, à Tbilissi », raconte Lali. « Je me suis rendu compte qu’ils restent dans ces centres jusqu’à leurs trente ans et parfois plus. On a voulu agir, même si on n’avait pas d’argent. » L’aventure a commencé en 2004 avec quatre pensionnaires
et depuis, six autres sont venus agrandir la famille. « Mes deux enfants sont toujours avec eux : je ne fais plus de différence. C’est la grande expérience de ma vie », explique Gela. Dans ce relais du réseau de tourisme vert Accueil Paysan, entre les ateliers de tapisserie, de bijouterie et les travaux de la ferme, les handicapés ont pu exorciser leurs peurs. Les peintures aujourd’hui colorées d’Andro, un trisomique de 32 ans, ont longtemps été le reflet des traumatismes qu’il a subis lorsqu’il vivait dans la rue. Quant à Osuko, c’est le piano de Lali qui l’a aidé à raconter son histoire. Cette expérience, le ministère de la Santé aimerait bien la voir se reproduire ailleurs. Pourtant, les aides financières qu’il fournit sont encore bien maigres et le pays manque cruellement d’éducateurs spécialisés
© Sophie Guesné/ESJ
D ANS L’ EST DE LA G ÉORGIE , G ELA G LIGVACHVILI ET L ALI K HANDOLICHVILI ACCUEILLENT DIX ADULTES HANDICAPÉS . U NE INITIATIVE INÉDITE DANS UN PAYS DÉPOURVU DE STRUCTURES MÉDICO - SOCIALES .
Andro faisait la manche dans la rue avant d’être recueilli à Sirnari.
« S’afficher en couple, c’est chercher les ennuis » E N G ÉORGIE , IL N ’ Y A GUÈRE QUE LA LOI QUI TOLÈRE L’ HOMOSEXUALITÉ . L A MAJORITÉ DE LA POPULATION SE MONTRE CLAIREMENT HOSTILE ENVERS LA COMMUNAUTÉ GAY ET LESBIENNE . ifficile de trouver un sujet plus tabou en Géorgie. Il y a encore dix ans, l’homosexualité était punie par la loi. Depuis, les textes ont évolué pour coller aux standards du Conseil de l’Europe. Pour les mentalités, c’est une autre histoire. Mené par l’Institut international républicain (IRI) il y a deux ans, le dernier sondage à s’être aventuré sur ce terrain a reçu une réponse on ne peut plus claire : pour 92 % des personnes interrogées, l’homosexualité « devrait être interdite ». « Dans la rue, je reste discret si je marche avec mon ami. S’afficher en couple, c’est chercher les ennuis. Ça ne va pas forcément jusqu’à l’agression mais on est sûrs de récolter des insultes », explique
© Johanna Leguerre/AFP
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Pour 92% des Géorgiens, l’homosexualité devrait être interdite, selon un sondage réalisé en 2007.
Gela, 27 ans. Souvent, les démonstrations d’hostilité ont lieu devant les bars que les homosexuels ont l’habitude de fréquenter. Irakli, trentenaire à la voix lasse, lâche un soupir : « Ils ferment les uns après les autres. De toute façon, je n’y vais plus : on ne s’amuse pas quand on a peur de se faire agresser à la sortie. » Dans la loi géorgienne, l’homophobie n’est pas un délit : ces attaques sont jugées comme de banales altercations. Une association milite pour l’intégration des homosexuels. Inclusive Foundation entend défendre leurs droits par des actions de lobbying. Elle propose également les services d’avocats, de psychologues et de médecins bénévoles.
« Nous essayons de lutter contre les clichés en informant la population géorgienne. Il nous arrive de collaborer avec des ONG pour organiser des discussions publiques », expliquent Paata Sabelachvili et Ekaterine Aghdgomelachvili, les responsables de cette fondation. Du côté de la classe politique, aucun écho. La députée Elene Tevdoradze, n’avait d’ailleurs pas suscité de réaction particulière en déclarant que les principaux problèmes de la Géorgie étaient « le chômage, la drogue, la délinquance et le changement d’orientation sexuelle. » C’était l’année dernière. Elle présidait alors le Comité parlementaire... pour la défense des droits de l’Homme et l’intégration civile !
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Il était une
foi À LA CHUTE DU COMMUNISME , UNE IDÉOLOGIE REMPLACE L’AUTRE . A UJOURD ’ HUI , 84 % DES G ÉORGIENS SE DISENT ORTHODOXES ET L ’É GLISE PÈSE DE TOUT SON POIDS SUR LA SOCIÉTÉ POUR MAINTENIR LES TRADITIONS ET IMPOSER SON CODE MORAL . N OUS AVONS INCARNÉ CETTE RÉALITÉ DANS UN DIALOGUE ENTRE T IKO ET N INO , DEUX PERSONNAGES COMPOSÉS AU FIL DES RENCONTRES .
L
a petite croix accrochée au rétroviseur brinquebale au rythme des coups de volant. Je m’accroche aux regards tristes et bienveillants de la ribambelle de saints qui ornent le tableau de bord du taxi. Devant le cinéma Almarida, au centre de Tbilissi, Nino m’attend déjà, jean violet assorti au bonnet. À peine sortie de la voiture, je l’interroge : — Nino, mon chauffeur de taxi, s’est signé plusieurs fois sur la route. C’est parce qu’il avait peur de mourir ? Elle me regarde, hilare : — Tu sais, ici dès qu’on voit une église, on fait un signe de croix…
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D’ailleurs, si tu venais de la place de la Liberté, tu es passée devant celle où je me suis mariée, il y a deux ans. À 25 ans, comme beaucoup de filles de son âge, Nino est déjà mariée et mère d’une petite Kate de 4 mois. Comme beaucoup de filles, mais pas toutes. Tiko, qui nous attend dans le café, est l’exception à la règle. Son exploit ? Avoir eu un bébé sans être mariée, sans même vivre avec un homme. Le père ? Un ami qui vit à Londres. Une situation impensable qui l’a propulsée au rang d’héroïne locale.
600 laris l’hymen — Je me fiche de ce que les gens pensent, revendique Tiko, jean délavé et épaisse frange brune. C’est vrai
que pour beaucoup, il est impossible de résister à la “loi morale” imposée par l’Église. La semaine dernière encore, j’accompagnais une copine à la clinique... Pour 600 laris (environ 270 euros), elle s’est fait faire un nouvel hymen. Il fallait qu’elle redevienne vierge avant son mariage. Pour le chirurgien c’est une opération très courante. Rien que dans sa clinique, il opère trois à quatre filles par semaine. Non, le plus dur pour moi, ça a été ma famille... Ma sœur, qui a un an et demi de plus que moi, ne m’a pas comprise : elle, elle s’est mariée à 18 ans et a déjà deux enfants. Quant à mon père, il ne m’a pas adressé la parole de toute ma grossesse. De toute façon, si je devais faire la liste de tout ce qui les choque : fumer, ne plus aller à
l’Église, coucher avant le mariage... Pourtant ma mère est comme ma meilleure amie… — Mais alors vous ne parlez jamais de choses intimes avec vos parents ? Comme de sexe, de mecs, ou même de la puberté ? Les deux paires d’yeux de Tiko et Nino deviennent rondes comme des capotes.
« On ne nous a rien expliqué » — Mon Dieu, sûrement pas ! Nos parents se disent tous la même chose : « Nous, personne ne nous a rien expliqué et pourtant on s’en est bien sorti, alors… » — Malheureusement, ce n’est pas l’école qui compense, souffle Nino. Il y a quelques années, une ONG a bien tenté d’enseigner l’éducation
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© Renaud Bouchez/ENSLL
Les huiles de la jeune artiste Tamriko Bochorichvili essaient de bousculer les tabous qui pèsent sur les femmes géorgiennes.
En Géorgie, sainte Nino, saint Georges ou sainte Marie sont en tête des sondages de popularité. Jusqu’à voler la vedette à des icônes un peu moins orthodoxes...
sexuelle à l’école. Mais c’était compter sans les “Parents orthodoxes“, une fédération de parents d’élèves très puissante. J’ai rencontré leur porte-parole auprès du ministère de l’Éducation. Il clame que les manuels étaient en fait des guides pratiques pour prostituées, alors que je les ai vus : c’était simplement la traduction d’un livre français, l’ABC de l’amour. Selon lui, il faudrait parler de reproduction sans évoquer le sexe... Dire qu’il est directeur du département scientifique de l’Institut de psychologie et qu’il enseigne la psychanalyse… Officiellement, au niveau du gouvernement, on ne doit même plus dire “éducation sexuelle” mais “éducation saine et harmonieuse”. Je comprends mieux pourquoi la
Géorgie a un taux d’avortement parmi les plus élevés au monde. En moyenne, dans sa vie, chaque femme se fait avorter trois fois.
Baptêmes à la chaîne — L’Église tente sans succès de changer la donne. Il y a deux ans, le patriarche Ilia II a promis de baptiser personnellement les enfants nés dans des familles en comptant déjà deux. Et ça marche ! Ma mère a des amies qui ont fait un enfant rien que pour ça ! Les baptêmes se font vraiment à la chaîne, ça les a un peu déçus. Mais leur petite fille a maintenant un beau certificat prouvant sa foi orthodoxe, signé de la main du patriarche. — Moi, c’est mon premier enfant. Margo n’aura pas le droit à la béné-
diction d’Ilia II, sourit Tiko, mais il est évident que je la ferai baptiser. — J’espère seulement que le prêtre ne te le refusera pas sous prétexte que tu n’es pas mariée, s’assombrit Nino. Déjà que le mien fait semblant de ne plus me reconnaître dans la rue depuis que je ne vais plus à l’Église. Il y a deux ans, Nino a décidé de ne plus aller se confesser. Elle en avait marre de devoir mentir sur des choses qu’elle estime aussi éloignées de sa foi que le nombre de cigarettes qu’elle fumait par jour. Il faut dire que quasiment tous les Géorgiens ont un “directeur de conscience”, un prêtre à qui ils se confessent, se confient et qui a voix au chapitre dans toutes les décisions importantes de leur vie. Malgré moi, je dois tirer une drôle de tête car Tiko se penche vers moi, avec une voix rassurante : — Tu sais, il ne faut pas non plus exagérer le pouvoir de l’Église sur la vie privée des gens. Pour beaucoup, la religion, c’est plus une culture et des coutumes qu’une loi morale qui dicterait les comportements. — Oui, complète Nino, et puis à la chute du communisme, à quoi les gens pouvaient-ils se raccrocher ? J’ai un ami, Basile, un ancien prêtre qui a quitté l’Église, qui l’explique très bien. C’est comme si la religion était encore plus forte que le communisme parce qu’elle apporte des réponses aux questions métaphysiques.Et ils y trouvent une façon d’exalter leurs sentiments nationalistes, de renouer avec un passé glorieux, une sorte de Géorgie céleste, invincible et éternelle, un panthéon peuplé de demi-dieux historiques... Tu devrais voir comment brillent les yeux de ma mère quand elle parle de ses saints fétiches. Je repense alors aux visages graves et confiants des icônes du taxi et je comprends un peu mieux
L’Église veut des bébés Il y a trois ans, afin de relancer la natalité en Géorgie, le patriarche Ilia II a promis de baptiser personnellement tous les enfants nés à partir du 1er janvier 2007, de famille orthodoxe, dans les foyers qui comptent deux enfants au moins. Cinq journées de baptême ont déjà été organisées lors desquelles 2 300 enfants venus de la Géorgie entière ont reçu le sacrement. Le patriarcat se targue d’être à l’origine d’un bond de 18 % de la natalité pour 2007-2008.
La contraception en Géorgie • 20 % des femmes n’ont jamais entendu parler de la pilule. 54 % ne savent pas comment s’en servir. Près de 20 % femmes estiment que c’est le moyen de contraception le plus dangereux, avec de hauts risques pour la santé. • Taux d’avortement : 3,1 par femme 73 % des IVG concernent les 20-34 ans. 82 % estiment qu’une femme a le droit de maîtriser sa fécondité, y compris en ayant recours à l’avortement. Moins de 2 % s’affirment contre l’avortement en toutes circonstances. Source : étude réalisée en 2005, auprès de femmes de 15 à 44 ans par le National Center for Disease Control and Medical Statistics.
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Au purgatoire des paradis artificiels H AUTEURS DE T BILISSI , MONASTÈRE DE TABOR . E MZARI VIT ICI DEPUIS SIX MOIS POUR ROMPRE AVEC LA DROGUE . R EGARD MAGNÉTIQUE , SÉRÉNITÉ TROUBLANTE . À LE VOIR AUJOURD ’ HUI , DIFFICILE DE CROIRE QUE LES CRISES DE MANQUE ONT RYTHMÉ SA VIE PENDANT VINGT ANS .
«
A
u début, je fumais juste un peu de marijuana, comme beaucoup de jeunes. Quand la guerre a éclaté en Abkhazie en 1992, j’ai dû fuir en Russie. Là, ça a été l’escalade. Héroïne, substituts : je prenais tout ce qui me tombait sous la main. J’ai fait plusieurs cures de désintoxication, différentes méthodes. Aucun résultat. Quand je suis rentré en Géorgie, mon frère m’a parlé de ce programme. Une initiative originale dans ce pays où les toxicomanes sont peu pris en compte. Ici, aucun médicament, juste une psychologue et beaucoup d’introspection. J’ai décidé de m’y installer, je vis comme les moines. Je ne descends jamais en ville, même pour voir ma femme et mon fils. Ce sont eux qui viennent me rendre visite. C’est sûr, j’aimerais pouvoir vivre en famille à nouveau. Mais j’ai trop peur de replonger si je quitte le monastère. »
« Ici, aucun médicament, juste une psychologue et beaucoup d’introspection. » La rumeur de la ville n’atteint pas la montagne de Tabor. Au monastère, trois anciens toxicomanes partagent la vie communautaire des moines. « La journée, je travaille au jardin, avec les bêtes, ou alors je prépare les repas. Ça me permet de me concentrer sur autre chose. » Car la tâche est rude pour obtenir des chèvres et des vaches les vingt litres de lait quotidiens. Dans un coin de la petite église, Emzari vient se recueillir chaque jour devant les icônes qu’il a peintes de ses mains. « Vivre avec des moines m’a beaucoup aidé. Aujourd’hui, je crois et je prie, comme eux. » Du menton, il désigne un jeune homme au sourire timide, resté en retrait : « Lui n’a que vingt ans, et il a décidé de devenir moine. » D’autres résistent à l’immersion, mais ils sont rares. Sur le toit de Tbilissi, le Tabor veille, faute de meilleur berger. Les brebis égarées seront bien gardées
Illustrations : Flora Beillouin/ESJ
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L’Histoire revanche
Tamar Kapanadze enseigne l’histoire depuis quarante-cinq ans.
L E ROI D AVID LE B ÂTISSEUR ET LA REINE T AMAR , GRANDES FIGURES DU PASSÉ GÉORGIEN , COHABITENT DÉSORMAIS AVEC L OUIS XIV ET N APOLÉON DANS LES MANUELS D ’ HISTOIRE . M AIS À L ’ ÉCOLE , L ’ OUVERTURE À L ’E UROPE VOULUE PAR LE POUVOIR PROVOQUE QUELQUES CRISSEMENTS DE CRAIE .
Une réforme à l’européenne Pour la grande majorité des Géorgiens, il n’y a pas de débat possible. L’Abkhazie et l’Ossétie appartiennent bel et bien au territoire géorgien. Le fait même de poser la question paraît déplacé. Pourtant, le débat serait légitime
selon Oliver Reisner, historien allemand, spécialiste du Caucase résidant à Tbilissi. L’indépendance a balayé l’occupant soviétique des livres d’histoire. Quelle place pour la Russie aujourd’hui ? Très peu, quand l’actualité ne cesse de rappeler aux Géorgiens la proximité de leur puissant voisin. Maka, une jeune enseignante, se souvient du manuel de l’époque soviétique : « C’était un gros livre
de 140 pages, dont une centaine pour l’histoire de l’URSS. On consacrait 300 heures annuelles à la Russie et seulement 10 à la Géorgie. » Le gouvernement a lancé une réforme en 2005 : enseigner autant l’histoire de la Géorgie que celle de l’Europe et du monde, le tout à partir de documents historiques. « Le but est de former les élèves comme patriotes et citoyens
du monde », déclare Tamar Djakeli, coordinatrice de la commission de l’enseignement. Dans les faits, la réforme se heurte à la réticence des professeurs qui « sont généralement les plus nationalistes », selon la Française Silvia Serrano, maître de conférences en sciences politiques. Car l’histoire reste un refuge pour un pays dont l’intégrité territoriale est sans cesse menacée
Profs au rabais n Géorgie, l’archétype du professeur est la “vieille fille”. Les femmes célibataires sont majoritaires dans le métier. Pour Lana, institutrice, « la situation des enseignantes est peu enviable, elles ne gagnent pas beaucoup et ont peu de temps libre ». Les journées à rallonge sont courantes, comme en témoigne Madona, professeure de français : « Je gagne 250 laris ( 110 euros ) par mois pour 30 heures de travail par semaine, mais le soir je finis rarement avant 23 h. » En effet, comme beaucoup, elle donne des cours particuliers sans lesquels elle ne pourrait joindre les deux bouts. Certains en viennent même à pervertir le système : ils enseignent le minimum en classe pour ensuite prodiguer des cours particuliers aux élèves. Pour lutter contre cette dérive, Mikheïl Saakachvili a promis une augmentation des salaires à la ren-
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Maka, Catherine, Tamar et Larissa, enseignantes de l’école 23.
© Sophie Delpont / ESJ
œil fier, le chignon serré, Tamar Kapanadze, la soixantaine glorieuse, règne sur la salle de classe. Celle qui a connu le joug soviétique enseigne aujourd’hui l’histoire à l’école 23 de Tbilissi. Au programme ce jour-là, une leçon sur le roi David le Bâtisseur qui vécut au XIIe siècle. « Il a réuni toute la Géorgie en lui rendant des territoires. C’est l’époque où la Géorgie était la plus vaste », déclare une élève sous l’œil attentif de Tamar, qui précise : « Sans empiéter sur les territoires des autres nations. » Comment pourrait-on étendre un royaume sans grignoter ceux de ses voisins ? La petite fille poursuit : « Il faut, encore aujourd’hui, reconquérir les territoires que David nous a rendus. »
trée 2009. Peu y croient. Madona a déjà renoncé : « J’adore enseigner, mais avec deux enfants, je dois trouver un travail qui rapporte plus. »
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Une police policée © Thomas Lelong/ESJ
M AL PAYÉS , CORROMPUS ET MAL ÉQUIPÉS : VOILÀ L’ IMAGE QUE LES G ÉORGIENS AVAIENT DE LEURS AGENTS AVANT 2004. E N UN TEMPS RECORD , LE NOUVEAU POUVOIR A REDORÉ L ’ UNIFORME DE SA POLICE . tion a disparu. En prime, le taux de criminalité a beaucoup baissé. » Avis partagé par sa compatriote Ana Sabakhtarichvili. « J’avais toujours peur de sortir le soir. Aujourd’hui, je peux rentrer chez moi à 2 h du matin sans aucun problè-
« L’image de la police a complètement changé. Aujourd’hui, nous avons une police responsable qui ne se remplit pas les poches. »
« Depuis la réforme, les gens nous adorent », expliquent Amizan Verulachvili (gauche) et Georges Samkharadze, tous deux policiers à Tbilissi.
À
28 ans, Georges Samkharadze a exercé deux métiers : policier et... policier. Cinq années sous Édouard Chevarnadze, cinq ans sous Micha Saakachvili. Le jour et la nuit. Lorsqu’il sort de l’école de police de Tbilissi en 1999, l’État lui offre 90 laris par mois (40 euros) et surtout, le droit de prélever à volonté le portefeuille du citoyen géorgien. À cette époque, on ne marche pas dans Tbilissi sans quelques laris en poche destinés
à satisfaire l’uniforme. Une coutume qui prend fin brutalement en 2004, juste après la révolution des Roses. La corruption devient le cheval de bataille de Saakachvili. Quinze mille policiers sont remerciés en une nuit. Chota Outiachvili, directeur de communication au ministère des Affaires intérieures, ne cache pas sa fierté : « L’image de la police a complètement changé. Aujourd’hui, nous avons une police responsable qui ne se remplit pas les poches. » Seize mille hommes plus jeunes
et mieux payés que leurs prédécesseurs : la formule marche. Peu à peu, la confiance des Géorgiens revient. Et avec elle, le sentiment de sécurité. « Seul 1 % de la population pense toujours que la police est corrompue », se félicite Chota Outiachvili.
« J’aime la police de mon pays » Nana Rafana, une avocate géorgienne, semble convaincue. « J’aime la police de mon pays, assure-t-elle. Elle fait du bon travail. Peut-être que nous n’avons pas une police idéale, mais la corrup-
me. Il y a des policiers à presque chaque coin de rue » affirme-t-elle. À longueur de journée et même la nuit tombée, des véhicules bleu et orange sillonnent les rues de la capitale en silence ou à coup de sirènes. Cette “nouvelle” police a même un nom : les patrolis [patrouilles]. Des agents jeunes, correctement payés et bien équipés qui font la fierté du président Saakachvili. Le policier George Samkharadze, lui, a été promu “Patroli Inspector”. Il gagne désormais 970 laris (433 euros) par mois. Un revenu très décent en Géorgie. « Avec ce salaire, nous n’avons plus besoin de demander de l’argent », explique-t-il. Et tout policier pris en train de demander un bakchich est directement envoyé en prison. De quoi dissiper les tentations
Les chouchous de la fonction publique ille cent soixante-dix laris (522 euros) net par mois. Amizan Verulachvili, policier de 55 ans, gagne trois fois le salaire moyen en Géorgie. La fiche de paie de Marina Kalandadze, professeur d’anglais quinquagénaire, fait pâle figure à côté avec ses 260 laris (116 euros). Il y a cinq ans, pourtant, Amizan Verulachvili gagnait dix fois moins. Ses revenus étaient largement complétés par les bakchichs prélevés dans la poche du citoyen géorgien. Corruption disparue, époque révolue. Les salaires sont désormais confortables et réguliers : en augmentation de 5 % tous les cinq ans. « On leur accorde facilement des crédits » explique Gilbert Hie, directeur général de Bank Republic. Des flics mieux payés que les profs ou que les médecins, voilà de quoi susciter des vocations. Le ministère de l’Intérieur note d’ailleurs une nette augmentation des candidatures depuis quelques années.
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Un policier gagne trois fois le salaire moyen en Géorgie : soit 1 170 laris (522 euros).
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« Un sacrifice pour ceux qu’elles aiment »
Mères d’ E LLES SONT DE PLUS EN PLUS NOMBREUSES À FAIRE CE QUE LEURS MÈRES AURAIENT JUGÉ IMPENSABLE : QUITTER LEUR FAMILLE POUR TRAVAILLER , SEULES , À L ’ ÉTRANGER , SOUVENT ILLÉGALEMENT. C HACUNE A SES RAISONS POUR S ’ EXILER SANS BILLET RETOUR .
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Pourquoi ces Géorgiennes partent-elles ? J’ai surtout voulu comprendre pourquoi ce sont elles qui partent, plus que les hommes. Réponse pratique : les familles étrangères ont besoin de femmes pour s’occuper de leurs enfants ou de leurs parents. Beaucoup vivent chez leurs employeurs. Elles n’ont pas à payer de loyer et économisent plus vite. Il y a aussi l’aspect psychologique. Ces femmes sont d’abord des mères. Elles ont cette idée fixe de nourrir leur famille, de se sacrifier pour ceux qu’elles aiment.
Marina Kevlichvili, 53 ans, aux États-Unis depuis dix ans
Comment s’organise leur départ ? Elles entrent comme touristes. Sur place, elles savent où aller et qui contacter. Des Américaines, des Russes, ou des Géorgiennes qu’on appelle des “agents” les mettent en contact avec les employeurs. Ces réseaux sont illégaux et très juteux. Mais personne ne fait rien car tout le monde, même le pays d’accueil, profite du système.
© Marina Kevlichvili
« À 42 ans, je suis tombée enceinte de mon premier enfant. Je n’étais pas mariée et mon emploi dans un théâtre de Tbilissi ne suffisait pas. Aux États-Unis, j’ai trouvé un travail facilement. Je m’occupe d’une vieille dame 24 heures sur 24, un jour de repos toutes les deux semaines. Je gagne 1 870 euros par mois. J’ai quitté ma fille quand elle avait cinq mois et je ne l’ai pas revue jusqu’à son septième anniversaire. C’est ma sœur qui s’en est occupée. J’appelle ma fille tous les jours pour savoir ce qu’elle mange, qui elle voit, ce qu’elle apprend à l’école... Je l’ai élevée par téléphone. Je lui ai appris à parler, à prier, à chanter. Je commence ma journée quand elle s’endort et parfois, je lui chante une berceuse. Dans mes rêves, je suis avec elle au théâtre » ■
evan Koguachvili a réalisé Femmes de Géorgie, un documentaire sur les Géorgiennes expatriées aux ÉtatsUnis, dont la diffusion est prévue en Géorgie, courant 2009.
Marina Kevlichvili n’a vu sa fille que trois fois en dix ans. Elle rêve de lui obtenir un visa pour les États-Unis.
Nana, 45 ans, en Turquie depuis deux ans « J’ai pris le bus pour Istanbul lorsque mon fils unique est entré à l’université. Sans cela, il n’y serait plus. Je suis femme de ménage pour des familles turques. Je gagne sept fois plus qu’en Géorgie, où j’étais sage-femme. J’envoie à mon garçon la quasi-totalité de mon salaire (525 euros). Je ne me plains pas, mais j’aimerais rentrer plus souvent. La dernière fois, c’était en août 2008. Je ne pouvais pas rester loin de mon fils et de mon pays en guerre » ■
Beaucoup restent plusieurs années. Pourquoi ? Aucune ne veut rester si loin, si longtemps. Mais leurs familles s’habituent à l’argent qu’elles envoient comme à un salaire. Ils disent « Tu nous manques, reviens vite », mais une minute après, ils leur parlent de la voiture qu’ils veulent acheter. Pour ne pas les inquiéter ou par fierté, elles embellissent leur quotidien. Lorsque je tournais mon film, une femme me répétait de le montrer en Géorgie pour qu’on comprenne enfin ce qu’elles vivent
Nana refuse de dévoiler son nom de famille et son visage par peur d’être expulsée de Turquie. © Onur Çoban
« Les premiers mois à Athènes, j’ai lutté pour ne pas perdre courage et rentrer auprès de mes deux enfants. Je m’occupais d’une personne âgée impotente. C’était très dur. Aujourd’hui, je suis baby-sitter à temps plein. Je connais d’autres Géorgiennes qui font la même chose ici. J’élève les enfants d’une autre pendant que les miens sont seuls avec leur père. Je gagne entre 800 et 1 100 euros par mois. Le lendemain de ma paye, je n’ai déjà plus rien car je me précipite pour l’envoyer à mes enfants. Je ne les vois plus mais je sais qu’ils vivent bien. Je resterai tant qu’ils auront besoin de moi... en Grèce. »
Levan Koguachvili a vécu cinq ans aux États-Unis, un “eldorado” pour de nombreuses Géorgiennes.
© Giorgi Japaridze
Lela Chavidze, 44 ans, en Grèce depuis trois ans
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SPORTS
Fighting L ES G ÉORGIENS SONT UN PEUPLE DE COMBATTANTS . L EUR HISTOIRE EST UNE SUCCESSION DE RÉSISTANCES À L ’ADVERSITÉ . L E SPORT A HÉRITÉ DE CETTE CULTURE DE L’AFFRONTEMENT ET PERMET À CERTAINS JEUNES DES MILIEUX POPULAIRES DE S ’ EN SORTIR . I L ASSURE AUSSI LA PROMOTION DU PAYS À L ’ ÉTRANGER .
© Thibaud Marchand / ESJ
Le kimono devient tendance A U PAYS OÙ LA LUTTE EST REINE , LE JUDO S ’AFFIRME COMME UN SÉRIEUX PRÉTENDANT AU TRÔNE .
© Pierre-Philippe Berson / ESJ
ourire séduisant et oreilles en choufleur, Zourab Zviadauri est une star en Géorgie. Vice-champion du monde en 2001 et 2003 et champion olympique à Athènes en 2004 en moins de 90 kg. Mais gare à la méprise, Zourab Zviadauri n’est pas un Levan Tsiklauri (en bleu), grand espoir du judo géorgien, a décroché une médaille de bronze lutteur. Ses pectoraux, c’est le judo qui aux championnats d’Europe de Tbilissi en avril. les a dessinés. « Après ma médaille à Athènes, le nombre art martial présente quelques similitudes avec national a récemment été invité au Japon pour d’inscriptions dans les clubs de judo a grimpé en le sport national. y donner quelques démonstrations. Les titres de L’influence de la lutte se fait d’ailleurs sentir champion du monde par équipe remportés en flèche, raconte Zourab fièrement. Et plus de quatre-vingts dojos ont été construits dans tout dans le judo géorgien, ce qui a valu aux 2002 et 2006 ont propulsé la lutteuse Géorgie le pays. » Aux yeux des Géorgiens, son par- athlètes caucasiens de nombreuses critiques. parmi les grandes nations du judo, aux côtés de cours est exemplaire : né dans une famille mo« Avant, les puristes n’aimaient pas notre style la France, de la Russie et du Japon. Le chamdeste de Kakhétie, région rurale de l’est du jugé peu esthétique et brutal. On a même essayé pion olympique de lutte Revazi Mindorachvili pays, il s’est construit d’ippon en yuko, au fil d’interdire nos techniques. Mais désormais, le reconnaît lui-même : « Avant, la lutte était une des combats. même les Japonais et les Français essayent d’imi- tradition très ancrée. Mais aujourd’hui, la tenCe destin fait aujourd’hui rêver les jeunes ter certaines de nos prises », explique Anzor dance s’est inversée et le judo devient de plus en Géorgiens pour qui le judo présente plus d’at- Martkoplichvili, secrétaire général de la fédé- plus populaire. » La tentation est grande de détraits que la lutte. Davantage reconnu ration géorgienne de judo. Preuve de l’intérêt laisser le justaucorps pour le kimono, une teinternationalement et bien plus médiatisé, cet suscité par le judo made in Georgia, l’entraîneur nue sans doute mieux taillée pour la gloire
Tengiz Roukhadze, président de la fédération de sumo géorgienne.
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Sumos d’adoption engiz Roukhadze, président de la fédération géorgienne de sumo, est fier de ses poulains : trois sont partis embrasser la carrière de sumotori au Japon. Parmi eux, Levan Tsagouria – alias Kokkai – jovial colosse de 150 kg et premier Européen à accéder en 2001 au plus haut niveau de la sélecte ligue japonaise. Les vingt jeunes Géorgiens qui s’entraînent à Tbilissi, dans le seul centre du pays, rêvent de partir eux aussi pour Tokyo. Les sumotoris y gagnent des sommes alléchantes. « Peu partiront, soyons réalistes », concède Tengiz, qui préfère penser aux championnats amateurs. C’est en 1990, lors des championnats d’Europe de judo à Francfort, que des Japonais bien inspirés viennent conseiller à des Géorgiens de se mettre au sumo. Depuis 1998, année de création de la fédération, la Géorgie y fait un malheur. « Nous avons déjà remporté 54 médailles ». La Géorgie, terre de lutteurs, est fertile pour le sport nippon. Son secret ? « Nos sumotoris utilisent parfois des trucs de la lutte géorgienne lors des combats », confie Tengiz avec malice
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« La lutte est une tradition familiale » R EVAZI M INDORACHVILI A GAGNÉ LA MÉDAILLE D ’ OR EN LUTTE LIBRE EN MOINS DE 84 KG À P ÉKIN . À 32 ANS , CET ATHLÈTE ORIGINAIRE DE K AKHÉTIE REVIENT SUR SON EXPLOIT ET LA PLACE QU ’ OCCUPE LA LUTTE DANS LA VIE DES JEUNES G ÉORGIENS .
C
omment a vez- vous commencé la lutte ? J’ai débuté à 15 ans. À cet âge-là, c’est la portée internationale qui m’attirait. Dès le départ, je rêvais de remporter des médailles. J’étais très énergique aussi et je voulais l’exprimer d’une façon positive. Mes parents étaient des gens ordinaires mais ils m’ont laissé suivre cette voie sans problème. Dans les milieux populaires, on se méfie des carrières sportives ou artistiques qui peuvent se révéler incertaines. Que représente la lutte pour la jeunesse du pays ? Ce sport est très important pour les générations actuelles. Tout le monde ne peut pas devenir un champion mais c’est une façon de vivre sainement. La lutte permet de mener sa vie avec sagesse et de s’intégrer socialement. Les jeunes évitent ainsi de tomber dans la drogue ou la délinquance. C’est aussi une tradition familiale. Cette passion se transmet de génération en génération.
La médaille d’or de Revazi Mindorachvili aux JO de Pékin a changé sa vie.
© Pedro Urarte/AFP
Comment avez-vous vécu les jeux Olympiques de Pékin ? Les Jeux étaient l’objectif de ma vie. Je m’y suis préparé le plus professionnellement possible. Pour réussir, il fallait être plus impliqué que d’habitude, plus responsable aussi. Il fallait surtout être prêt psychologiquement. Le reste suit. Tous les sportifs rêvent de devenir champion olympique mais peu le deviennent. C’est une grande fierté pour moi. Le gouvernement avait promis de donner un million de laris (soit 226 a ns de revenu moyen en Géorgie) aux champions olympiques géorgiens. Qu’avez-vous fait de cette somme ? Ils m’ont donné un gros acompte après les Jeux et le reste en janvier. Avec l’argent, j’ai aidé beaucoup de gens de mon village et de mon entourage qui en avaient besoin. Ça a changé ma vie financièrement. Mais le plus important, c’est le prestige olym-
pique. Je suis la même personne qu’avant les Jeux. La différence c’est que, grâce aux Jeux, je suis devenu un modèle pour la jeunesse. Ma médaille d’or a donné un bon exemple à suivre. Ça aide les jeunes à choisir la bonne voie dans la vie et à prendre les bonnes décisions. Comment voyez-vous votre avenir immédiat ? Je continue la lutte. Je m’entraîne chaque jour sans relâche. Mon objectif est de conserver mon titre à Londres en 2012. Mon succès va dépendre de ma condition physique. Pour cette raison, je m’entraîne encore plus. Après la lutte, je vais me lancer dans les affaires. J’ai déjà commencé à préparer l’avenir avec l’argent que j’ai gagné aux Jeux. Rien de concret pour le moment mais les idées sont là. Quels projets ? C’est privé, je n’en parle pas avant de les avoir réalisés. Tout ce que je peux dire, c’est que j’ai des contacts avec la France pour les accomplir
La lutte en chiffres • 600 licenciés • 6 centres
d’entraînement : Tbilissi, Koutaisi, Kvareli, Gori, Batoumi, Ozurgeti
• 6 heures d’entraînement par jour pour toutes les catégories Palmarès (URSS et Géorgie) : • 20 médailles d’or aux jeux Olympiques dont 2 à Pékin en 2008 (Revazi Mindorachvili et Manuchar Kvirkelia en lutte gréco-romaine -74 kg)
• 94 titres
de champion du
monde
• 126 titres de champion d’Europe.
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Sur la pelouse bosselée du stade Sinatle, les bleus d’Akademia enchaînent les mêlées contre les verts de Roustavi.
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© Jacques Matand Diyambi/ESJ
L’exode ovale
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tade Sinatle, dans la banlieue de Tbilissi. À l’entrée, pas de guichet, juste un portail rouillé. Les tribunes se limitent à cinq rangées de bancs en bois. De l’autre côté du terrain, quelques taudis plantés sur une colline, spectateurs indifférents. Le gazon a depuis longtemps abdiqué sous les coups de crampons. Faux rebonds, fautes de main, en-avant, les imprécisions s’accumulent. Pas les points. 3-0, score final. Le préposé du tableau d’affichage a frisé le chômage technique. Les rugbymen d’Akademia Tbilissi viennent de battre Roustavi, lors de la 2e journée de Top League. Le plus haut niveau national. « Nous avons moins de joueurs ici que d’arbitres en Angleterre ! », s’amuse Giorgi Mamardachvili, dirigeant de la fédération géorgienne de rugby, qui recense environ 3 000 licenciés. Selon lui, l’instance nationale aurait besoin d’un peu plus de 2,5 millions d’euros de budget. Elle en perce-
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vait un peu moins d’un million et demi en 2008. La guerre de l’été dernier et la crise financière n’ont rien arrangé : les sponsors – une compagnie minière, une entreprise de construction et une banque – se sont retirés. Résultat : le championnat n’est plus financé que par une marque de bière.
Les “gueux” du stade Les clubs ne versent pas le moindre lari à leurs joueurs, obligés de travailler à côté. Beaucoup rêvent d’aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs. En France surtout. « Tout joueur géorgien serait content d’aller là-bas », affirme Giorgi Elizbarachvili, le buteur du match, parti un an à Châteauroux « pour voir le niveau ». Chaque année, près de 150 joueurs tentent l’aventure à l’étranger. Le Français Claude Saurel, sélectionneur national au début des années 2000, a initié le mouvement : « On a très vite essayé d’amener les meilleurs joueurs en France. Il m’était devenu insup-
portable de les entraîner, alors que certains d’entre eux ne mangeaient pas à leur faim et dormaient dans des conditions épouvantables. » Leur profil plaît, surtout dans la mêlée : « Ce sont des Caucasiens, qui ont une ossature et une musculature naturelle très importantes. Des guerriers qui ne lâchent rien. » L’exode de ces jeunes joueurs est pourtant loin de faire l’unanimité. « C’est un désastre, notre championnat régresse d’année en année ! » s’agace Giorgi Mamardachvili. Moins catégorique, Zaza Khoutsichvili, l’entraîneur trapu de Roustavi, est « content qu’ils aillent en France. Là-bas, ils progressent. Bien sûr, ça diminue la qualité du club local, mais ça améliore le niveau de l’équipe nationale. »
« Fermer les portes » Dans les gradins, Besik Khamachouridze, bonnet des All Blacks vissé sur la tête, a sa solution. « Il faut fermer les portes aux joueurs jusqu’à 22-23 ans avant de les laisser partir », suggère l’ancien in-
Besik Khamachouridze, ancien international géorgien. ternational, qui a porté les couleurs de Béziers et de Toulon. « Les entraîneurs sont sous qualifiés, ajoute Besik Iangavadze, journaliste dans une revue sur le rugby. C’est aussi pour ça que les joueurs s’en vont. » La fédération l’a bien compris et commence tout juste à indemniser les coachs, 200 euros par mois. Ce n’est pas rien en Géorgie. Le journaliste se montre quand même optimiste : « Les ligues de jeunes se développent. Chaque génération est meilleure que la précédente. » Le pays compte désormais quatre-vingts écoles de rugby. Avec pour perspective de dépasser un jour le nombre d’arbitres anglais
© J.M.D./ESJ
L ES PERFORMANCES DE LA SÉLECTION NATIONALE , PRÉSENTE AUX DEUX DERNIÈRES COUPES DU M ONDE , MASQUENT LE MANQUE DE MOYENS DU RUGBY GÉORGIEN . I MPUISSANTE , LA FÉDÉRATION ASSISTE À LA FUITE DE SES JEUNES JOUEURS .
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ELLE VENAIT D’AVOIR 18 ANS
50 ans à eux trois D E T BILISSI À G ORI , TROIS JEUNES G ÉORGIENS PARLENT DE LEUR PAYS ET DE LEURS RÊVES . TATIA. Ongles manucurés, habillée de noir, elle vient d’avoir 18 ans. Comme la Géorgie. Rencontrée dans le bus qui relie Tbilissi à Gori, la ville natale de Staline, elle se dit fière d’être géorgienne. Pourquoi ? « Avez-vu lu l’Histoire de mon pays ? Nous avons une grande culture et notre nation a plus de 2 000 ans », rétorque-t-elle, son regard planté dans le mien. Et la Russie ? « Elle devrait se contenter de son territoire qui est déjà suffisamment grand. » Pour elle, la Géorgie doit avant tout conserver son indépendance, « même si l’Europe a beaucoup à nous apporter » précise-t-elle. Cette étudiante en droit et en économie est orthodoxe pratiquante, ce qui ne l’empêche pas d’aimer la musique électronique. Son rêve est de vivre en paix dans un pays unifié.
GIORGI. « J’ai un peu bu, excusez-moi. » il fête aujourd’hui ses 17 ans. Il habite un village proche de Tbilissi. Son ébriété le gêne un peu mais il m’invite à entrer chez lui, avec toute sa famille. L’occupation de son village par les troupes russes l’été dernier l’a marqué. « Je donnerais tout pour défendre mon pays. Je suis prêt à partir me battre dès qu’il le faut. » Pourtant, il se sent proche de la Russie « car nous avons les mêmes racines orthodoxes », déclare-t-il. Pour lui, il n’est pas question de partir vivre à l’étranger. Tout à coup, son père s’exclame : « Parle en anglais, Giorgi ! » Il articule quelques mots puis, plus à l’aise, répond de temps en temps dans la langue de Shakespeare, entre deux danses endiablées.
© Sophie Delpont/ESJ
MAURICE. À 25 ans, il n’a qu’un rêve : rentrer dans son Abkhazie natale, quittée il y a seize ans, lors de l’invasion russe de 1993. « Heureusement, il y a Internet ! C’est le seul moyen de garder le contact avec ma famille restée là-bas », lance-t-il, lassé par cette situation. Son père est décédé en 2001, sans revoir sa terre d’origine. Au chômage, Maurice vit seul avec sa mère. Celui qui a participé à la révolution des Roses s’oppose aujourd’hui au gouvernement de Mikheïl Saakachvili. Son ambition pour la Géorgie ? Qu’elle entretienne de bonnes relations avec la Russie avant de tourner son regard vers l’Amérique.
David et Anna avaient déjà l’air très concernés pendant la cérémonie. Au même moment, le plus grand journal people de Géorgie, Time, faisait sa une sur l’ex de David.
Un
fiasco
royal
Ç
© AFP
a vous dirait, vous, d’épouser, sur les conseils du patriarche, un vague cousin éloigné pour perpétuer votre dynastie ? Que le fruit de vos amours arrangées devienne le roi d’une monarchie hypothétiquement restituée ? Non ? Eh bien David et Anna Bagrationi non plus. Ce qui devait être un conte de fées à la géorgienne, tourne au fiasco. Trois mois seulement après les noces, le couple princier serait sur le point de divorcer selon les tabloïds. Pourtant, tout avait bien commencé : un maria-
ge grandiose avec 3 000 invités dont le président Saakachvili, une union célébrée par le patriarche Ilia II et l’occasion, pour les quelques historiens que l’affaire intéresse, de réunir deux branches de la famille royale qui se disputent le trône depuis deux siècles. Seulement voilà, il y a de l’eau dans le gaz entre les faux amou-
reux. Et chaque journal y va de son ragot, souvent de mauvais goût : Anna serait chez les nonnes, David découcherait… Prime Time, pâle copie géorgienne du tabloïd anglais The Sun, a même débauché la maquilleuse de l’ex de David pour obtenir des détails croustillants. Face à ces potins, le père d’Anna s’est senti
obligé de confirmer dans la presse quelques « remous » dans le couple. Et de s’improviser conseiller conjugal, en recommandant que « le temps fasse son travail ». Morale du conte de fées géorgien ? Anna et David vécurent heureux. Sans enfant et surtout séparément ■
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Poétique
Bémols à la création p.70
Art hors cadre p.72
Fashion victim
Cette séquence a été réalisée par Safar Baroud, Flora Beillouin, Solange Brousse, Maka Chinchaladze, Tuta Chkheidze, Ani Chumburidze, Noémie Coppin, Noémie Destelle, Pia de Quatrebarbes, Meri Emiridze, Mathilde Fassin, Alana Gagloeva, Malika Groga-Bada, Anaëlle Grondin, Zaka Gulyev, Pauline Houédé,
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La vie en prose Le centre-ville de Tbilissi vibre au son des klaxons. Sur l’artère principale, façades haussmaniennes, soviétiques ou orientales défilent. Entre le parlement, la place de la Liberté et quelques musées, pas moins de cinq théâtres et opéras. Les salles sont pleines de trentenaires. En Géorgie, il n’y a pas d’âge pour les belles lettres et les bons mots. En vers, en prose, a cappella ou pas... Les Géorgiens sont lyriques. C’est dans leur tempérament. Ils n’ont pas besoin de faire partie d’un groupe de folk ou d’un chœur polyphonique. Sur les planches usées des vieux théâtres, lors de banquets aux toasts interminables ou dans un bouquet de roses offert au milieu de la nuit, la poésie est partout. Lorsque le Géorgien aime, c’est en grand et en musique. Et il commence tôt. Après l’école, les cours de chant polyphonique et de danse traditionnelle affichent complet. Pas de doute, la relève est assurée.
Armée pour le théâtre
Folklore encore p.77
Caucase mon amour p.78
Diana Inanachvili, Navina Kaden, Suzi Kalachian, Tako Kikacheichvili, Julie Koch, Mariam Kochiachvili, Mzika Kupunia, Maia Kurkhachvili, Natia Metreveli, Ariane Nicolas, Nana Naskidachvili, Khatuna Noniachvili, Natalie Nozadze, Fériel Oumsalem, Marine Pradel, Roxane Pour Sadjadi, Aurylia Rotolo, Nino Rukhaia, Chi Zhang.
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CULTURE
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L’ancien cinéma Apollo, architecte inconnu (1909).
T BILISSI , SA VIEILLE VILLE , SES BALCONS , SES MAISONS COLORÉES … ET SON HÉRITAGE A RT N OUVEAU . M AIS À L’ INVERSE DES VIEILLES MAISONS RETAPÉES QUE DES NÉONS VERT, BLEU , ROSE ILLUMINENT À LA NUIT TOMBÉE , LES IMMEUBLES A RT N OUVEAU RESTENT DANS L’ OMBRE .
Pas de quartiers pour
A
u détour d’une rue, les vitres étroites et embuées d’une marchroutka – taxi collectif – laissent entrevoir une façade inattendue. Des visages de femme, sculptés dans la pierre, surplombent des balcons en fer forgé aux motifs floraux. Les fenêtres sont asymétriques et leurs montants suivent des courbes folles. Un air de déjà-vu. Bruxelles ? Barcelone ? Réflexe eurocentriste : « Look ! What is that ? » Ma voisine de siège hausse les épaules et désigne de l’autre côté de la route une maison couleur poussin fraîchement sorti de l’œuf. Elle est belle, elle saute aux yeux. Mais là encore, un air de déjàvu. Le rocher de Monaco ? “Main Street” à Disneyland ?
Le Don Quichotte de l’Art Nouveau Nestan Tatarachvili est LA spécialiste de l’Art Nouveau en Géorgie. Un air de savant fou au féminin. Les cheveux frisés en crinière, imper beige un poil trop grand, elle s’emmêle dans ses feuilles, renverse son café, mais ne perd jamais le fil : sauver l’Art Nouveau. Nestan a commencé à s’y intéresser en catimini alors que les Soviétiques interdisaient les re-
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cherches sur cet univers « bourgeois et décadent ». Diplômée de la faculté d’arts de Tbilissi, elle est architecte restaurateur et dirige le Groupe pour la préservation de l’Art Nouveau, une ONG qu’elle a montée au lendemain de la chute de l’URSS. La présence d’un si grand nombre de bâtiments Art Nouveau à Tbilissi est une preuve de plus de l’ancrage européen de ce petit pays du Caucase. La Géorgie commerce et échange tôt avec l’Ouest : les tendances artistiques apparues sur le Vieux Continent n’ont jamais tardé à trouver le chemin de Tbilissi. Les premières expressions de l’Art Nouveau dans la région sont repérées à Bakou. Elles étaient le fait de propriétaires européens occupés au business de l’or noir et désireux de reproduire ici le cadre artistique en vogue là-bas. Trèves de bavardages. Soudain Nestan vous agrippe le bras. C’est parti pour deux heures trente de course dans des rues qui ont dû, il y a bien longtemps, être pavées. Elle connaît par cœur ces maisons, façades, balustrades, pour lesquelles elle se bat depuis plus de vingt ans. Là-haut, un balcon aux formes rococo garni de tiges et de feuilles d’acier. On les distingue difficilement : les locataires ont recouvert le
balcon de tôle ondulée. Là, Nestan pousse une porte. Les yeux du visiteur se laissent doucement dompter par l’obscurité, et on découvre un escalier en fer forgé du style Horta typique de Bruxelles, dont la rampe a été arrachée. « Lorsque je m’en suis rendu compte, j’ai porté plainte, soupire Nestan. Mais les propriétaires, ça ne les intéresse pas, pas plus que l’État. » Avis aux amateurs : cette rampe qui datait du tout début du XXe siècle devrait se retrouver dans quelques mois en Europe où les marchands d’art savent bien monnayer ce genre d’objets.
“Les couilles de Micha” La soif de modernisme du très impatient Saakachvili affecte le patrimoine architectural à un degré insoupçonné. Le vieux Tbilissi est devenu le théâtre d’un immense vernissage. Les façades sont repeintes, bien jolies, pour coller aux goûts occidentaux pendant que l’intérieur pourrit tranquillement. Entre le parlement et la place de la Liberté, un hôtel Park Hyatt de 150 mètres de haut et s’étalant sur 127 000 m2 est en construction. À l’américaine. « Cinq ans de Micha ont fait plus de dégâts que soixante-dix ans de communisme, soutient Nestan. Le gouvernement veut tout faire très vite,
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r l’Art Nouveau Hôtel particulier, début XXe siècle, architecte inconnu.
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il fait du neuf en détruisant l’ancien, ça ne s’ap- refuse désormais de la publier. « Le directeur du pelle pas de la restauration. » Et l’architecte sait journal est un cousin du ministre de la Culture, de quoi elle parle. « Je suis allée devant les tri- explique Nestan. Typiquement géorgien. » À 48 ans, elle vit seule, sans emploi. bunaux. Contre le gouvernement », Malgré Mais notre Don Quichotte géorlâche-t-elle au détour d’une cour la lutte contre gienne n’est pas du genre à s’apicentrale, l’index et le regard levés la corruption, toyer sur un autre sort que celui de vers les colonnes travaillées d’un parapet. Un procès contre le gou- il suffit de payer ses vestiges architecturaux. Au 36, avenue Agmachenebeli, vernement, mais plus précisément pour construire... contre Micha lui-même, au nom de Et pour détruire. elle grimpe les étages quatre à quatre et découvre des murs et des la préservation du patrimoine et contre la construction du Palais présidentiel. plafonds décorés de motifs d’oiseaux et de Le Palais, sur les hauteurs de la capitale, une fleurs, inspirations caractéristiques de l’Art sorte de Reichstag en verre que les Géorgiens Nouveau. Les fresques sont en piteux état. Au surnomment “les couilles de Micha”. En 2004, le gouvernement accorde un permis de construire au milliardaire Bidzina Ivanichvili [191e fortune mondiale selon le magazine Forbes]. Son palais et son parc de mégalomane surplombent Tbilissi. Re-procès. Nestan se bat contre des moulins à vent. Tant pis… pour elle. Elle est renvoyée de son poste de chef de cabinet en charge des constructions au ministère de l’Économie. Ses articles acerbes sur la politique de rénovation du gouvernement lui valent d’être mise sur liste noire. Même Resonancy, journal d’opposition,
Ni clé ni laissez-passer, Nestan Tatarachvili est déterminée à sauver l’Art Nouveau, avec ou sans l’aide du gouvernement.
centre de l’escalier, une odeur irritante. Les habitants de ce bâtiment de la fin du XIXe siècle jettent leurs détritus par-dessus l’escalier. Une maison comme celle-ci, à Bruxelles ou à Nancy serait un musée. Il existe pourtant une institution chargée des monuments historiques. Mais dans cet État qui était soviétique il y a encore moins de vingt ans, et malgré la lutte contre la corruption, il suffit de payer pour construire... Et pour détruire. Nino Chanichvili est expert au Fonds pour la réhabilitation et le développement de la vieille ville de Tbilissi (OCRD). Elle reconnaît volontiers que la politique de préservation de l’héritage architectural est le cadet des soucis du gouvernement. « Les restaurations effectives sont souvent le fait d’entreprises privées dans un but commercial, et les impairs architecturaux sont légion. » Ironie du sort, cette architecture symbole des attaches européennes de la Géorgie est méprisée au moment même où ce pays regarde le plus vers l’Ouest. Nestan a encore bien des moulins à combattre. « L’architecture est comme un miroir. Regardez l’architecture et vous comprendrez ce qui se passe en ce moment dans notre pays » ■
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Bémol
l a à
n o i t a é r c Le groupe 33a mêle instruments traditionnels et modernes.
D ROITS BAFOUÉS ,
U
est lapidaire mais pourtant bien réelle. Dato, guitariste du groupe Stumari et par ailleurs programmateur dans une radio locale, déplore l’absence d’une industrie de la musique. « On ne peut compter que sur soi-même, c’est pour ça que j’ai décidé de m’autoproduire. »
ne paire d’yeux bleus supervise du haut des gradins les allées et venues des techniciens. Dans deux jours, l’amphithéâtre du parc Vaké sera investi par de jeunes musiciens de Tbilissi. L’initiative, c’est à Niaz qu’on la doit. Propriétaire du lieu et chanteur du groupe 33a, il ouvre les portes de son studio et de son magasin d’instruments aux artistes qu’il apprécie. « Je ne suis pas un mécène1 mais je les aide comme je peux. » D’une grand-mère savoyarde, Niaz conserve un français limpide. Il rencontre un certain succès en Europe mais en Géorgie le seuil des 20 000 albums vendus est rarement atteint. « On ne peut pas vivre de sa musique ici. » La phrase
« Manque de respect » Les structures d’accompagnement des artistes se comptent sur les doigts d’une main. Step Record est le label le plus important et n’emploie que huit personnes. À sa tête, Achiko adopte la même philosophie que son ami Niaz. « Je veux décharger les groupes du management et du marketing pour qu’ils puissent se concentrer sur leur musique. » Dans sa génération, une dizaine
© Société des auteurs géorgiens
3 questions à 70
de musiciens seulement vivotent et se montrent pessimistes1 quant à la relève. Le gouvernement ne soutient pas la création musicale et les droits d’auteur sont largement ignorés. « Un manque de respect global. » Bakour Bourdouli résume l’avis de ses amis musiciens. Il estime son travail pillé par le public et par les médias qui refusent de le rétribuer. Il prévoit d’enregistrer un album en anglais à Londres. « Ce n’est pas une trahison de quitter la Géorgie. Je veux que ma musique soit reconnue à sa juste valeur. » Niaz aussi aurait pu quitter son pays à plusieurs reprises, mais l’attachement à la culture géorgienne est plus fort. « Chez nous, on fait de la musique à partir de rien, on chante sans arrêt. C’est une manière de vivre » ■
© Anaëlle Grondin/ESJ
© 33a
STRUCTURES INEXISTANTES , MANQUE DE MOYENS . L ES OBSTACLES SONT NOMBREUX MAIS NE FREINENT PAS LA FERVEUR DES MUSICIENS DE T BILISSI .
Niaz, figure du rock alternatif.
Elgouja Chapatava, président de la Société des auteurs géorgiens
Qu’en est-il des droits d’auteur en Géorgie ? Il y a une loi depuis 1999 mais personne ne la connaît ni ne la respecte. 8 % des œuvres musicales sont protégées contre 98 % en Europe. à chaque nouvelle affaire de droits d’auteur devant un tribunal, nous devons réexpliquer la loi aux juges ! Ils sont totalement incompétents dans ce domaine, c’est alarmant.
Quel est votre rôle ? Notre association est née en 1997 avec l’aide de la Sacem [Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique en France]. Légalement, une seule organisation peut protéger les droits d’auteur en Géorgie. C’est une lourde responsabilité de faire évoluer les mentalités pour que les artistes protègent leur travail et que les médias payent pour les diffuser.
Pourquoi cette loi n’entre-t-elle pas dans les mœurs ? Pour qu’elle s’applique, les artistes doivent être membres de l’organisation. Mais beaucoup pensent encore que cela ne changera rien. La notion de copyright est en contradiction avec la mentalité géorgienne : nous sommes un grain de sable dans une société qui a toujours fonctionné sans règles ■
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La VO à propos
L
e mouvement des lèvres est en décalage avec la voix, les bruits de fond ne sont pas raccord, la qualité du son est mauvaise. La Géorgie fait ses premiers pas dans le doublage des films étrangers. Elle y pensait depuis longtemps mais elle reculait devant le coût. Aujourd’hui, pas d’autre solution. Après le conflit d’août avec Moscou, le transport est devenu incertain et ne permet plus les livraisons des distributeurs russes. Les cinémas géorgiens ont alors dû se tourner vers la Grande-Bretagne pour se procurer des films. Conséquence : fini les traductions en russe toutes prêtes. Le cinéma Amirani s’est rapidement adapté. Désormais, il commande une traduction à des professionnels et enregistre les voix d’acteurs géorgiens célèbres dans son propre studio. C’est une
autre boîte qui mixe les sons. Le tout en une semaine seulement et pour 4 000 laris en moyenne (environ 1 780 euros). « Le résultat est catastrophique car on n’y met pas les moyens, explique Zoura Kviria qui travaille pour Sangouko Studio, le principal producteur de films en Géorgie. Mais il faut comprendre que le marché est presque inexistant. Personne ne veut investir d’argent pour une traduction qui ne sera diffusée que dans deux ou trois salles. » Difficile donc d’imaginer que le business du doublage va se développer. Sangouko, par exemple, n’a traduit qu’un film. C’était une commande d’une compagnie américaine, prête à y mettre le prix. D’après Natia Meparichvili, responsable des relations avec le public à Amirani, la majorité des spectateurs réclame un retour à la version russe. Tous les Géorgiens le parlent et le
© Marika Kochiachvili
A MIRANI , L’ UN DES DEUX CINÉMAS DE T BILISSI , PERD DES SPECTATEURS DEPUIS L’ ÉTÉ DERNIER . P RINCIPAL MOTIF DE DÉSERTION : LA LANGUE . L E PUBLIC NE VEUT PAS VOIR LES FILMS DOUBLÉS EN GÉORGIEN .
Des techniciens de la télévision se sont reconvertis dans la traduction pour le cinéma. comprennent. « Ils trouvent que le géorgien est trop dur à entendre. Avec le temps, leurs oreilles s’habitueront. » Quant aux sous-titres, ce n’est pas la solution aux yeux de Natia. « On va au cinéma pour se
divertir. C’est trop difficile de regarder et de lire en même temps. » Alors depuis huit mois, Amirani propose des séances de films américains en version originale, sans sous-titres. Et elles font salle comble ■
Tbilissi fait la nique à l’Eurovision
© Stephane & 3G
© Anaëlle Grondin/ESJ
E XCLUS DE L’E UROVISION POUR UNE CHANSON ANTI -P OUTINE , LES G ÉORGIENS ONT REBONDI EN LANÇANT LEUR FESTIVAL ROCK - ELECTRO . U N JOLI COUP DE COMMUNICATION PLUTÔT QU ’ UNE RIPOSTE POLITIQUE . Le groupe Stephane & 3G, avec sa chanson « We don’t wanna put in », avait provoqué l’exclusion de la Géorgie à l’Eurovision.
uck Eurovision ». Achiko Gouledani ne mâche pas ses mots. Alors qu’à Moscou, la compétition à paillettes bat son plein, à Tbilissi, il a organisé mi-mai le festival Open Air Alter/Vision avec l’aide du ministère de la Culture. « Un vrai festival rock, de la musique et pas de politique » qui se veut un « contre-Eurovision. » Une histoire alléchante pour les médias. Tel a finalement été le but de l’opération : attirer l’attention sur un festival prévu de longue date mais qui tardait à décoller. Installé à Tbilissi, le Français Raphaël Glucksmann, fils du philosophe, est à l’origine du coup de com’. « Tbilissi, personne ne sait où c’est ! Pour attirer des groupes et faire un Woodstock du Caucase, on s’est servi de l’exclusion géorgienne de l’Eurovision. » Pied de nez aux Russes, le groupe Stephane & 3G était invité à Tbilissi pour chanter We don’t wanna put in, la fameuse chanson ridiculisant le Premier ministre russe Vladimir Poutine. Indésirables à Moscou, ils sont applaudis à Tbilissi ■
F
«
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Quand
Série Pépiniéristes de Gouram Tsibakhachvili. Rappel à l’Homme de ses origines terrestres.
l’Art sort
du cadre L’ART CONTEMPORAIN A -T- IL FRANCHI LA FRONTIÈRE ? L A MAJORITÉ DES GÉORGIENS IGNORENT LA VAGUE AVANT- GARDISTE . P OURTANT CES ARTISTES SONT TRÈS ACTIFS ET RECONNUS À L ’ ÉTRANGER .
À
Tbilissi, les idées neu- géorgiens, de la voiture à la ves se nichent partout, tombe en passant par la bousur le siège d’un bus tique du cordonnier où les poscahotant ou dans un ters de femmes nues touchent loft perché au sommet les figures de madones. « Ce que d’un immeuble sovié- les gens affichent chez eux en dit tique. C’est là que long sur leur système de vaGouram Tsibakhach- leurs. » Mais dans le milieu de la vili a niché son studio photo. photo, Gouram est plus qu’un Dans une déco minimaliste trô- artiste, c’est une institution. nent aux murs les portraits de Pionnier dans l’art du concept, il offre depuis un an Staline et Lénine, une tribune à la nourécupérés sur le « Retourner velle génération avec pavé après leur cette société son magazine Foto. escamotage des endormie » Pour ces jeunes rebureaux et des écoles, rançon de la disgrâce gards, le noir et blanc sert avant historique. Aujourd’hui peintur- tout à immortaliser des camlurés d’un rouge sang évoca- pagnes géorgiennes figées dans teur, ils côtoient Marilyn Mon- le passé, et la couleur à souligner l’angoisse du béton armé roe, icône d’un autre genre. L’humour est, selon Gouram, de l’architecture made in USSR. « le seul moyen d’évincer la pré- Même si une fenêtre s’est ousence diffuse du communisme verte sur l’Occident. Plus gaies, les performances qui pèse toujours sur les mentalités géorgiennes. De dire aux oniriques et absurdes de Kote gens : ça y est, une page est tour- Jincharadze s’inscrivent aussi à née, on peut en rire ! » Dans sa leur façon dans la tradition série Musée privé, la même ob- géorgienne. L’été, il fait venir session d’une société en transit. des artistes de tous pays dans sa Morceaux choisis d’intérieurs maison de campagne, où il ré-
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invente « le rêve de Pirosmani ». Allusion au maître géorgien de la peinture naïve qui, voilà un siècle, souhaitait que les artistes puissent un jour se réunir autour d’un thé pour converser librement de leur passion. C’est chose faite… sous une tonnelle phosphorescente.
« Le silence des poissons » L’innovation n’effraie pas Kote, qui multiplie les audaces déroutantes aux yeux de ses concitoyens, tels ses dialogues avec les poissons. Lesquels tendent à prouver depuis quinze ans la justesse de l’adage “Qui ne dit mot consent”. Sa performance prendra fin le jour où cesseront les tragédies politiques. « Entendre le silence des poissons, grince-t-il, c’est ressentir le cri des sans-voix. » Un cri étouffé par une société qui macère dans un traditionalisme saturé de dogmes. « La période de la perestroïka était plus propice à l’innovation. Maintenant, les clichés MTV sont omniprésents mais les gens res-
David Chikhladze, Heru-RA-HA
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Sadomaso érotique Occuper la ville, la faire vivre, aller au plus près des gens. C’est aussi la démarche des cinq poètes de Pink Bus. Depuis trois ans, ils prennent le bus d’assaut pour y déclamer leurs poèmes. « On se fait parfois applaudir, souvent insulter ou même virer », confie Alex. Lui insère des publicités au milieu de ses poèmes, Zaza flirte avec l’érotisme sadomaso alors que Dato excelle dans l’écriture en vers libres.
Kote Jincharadze, Le rêve de Pirosmani
En vers et contre la Russie
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l tisse son engagement politique au fil d’or. Le poète David Dephy Gogibedachvili est l’auteur du slogan “Stop Russia”, lancé lors du conflit d’août dernier. Une position à l’image de celle de ses compatriotes. L’artisan du verbe le plus en vogue en Géorgie se fait appeler Dephy et a fait du sort de son pays un combat. Après avoir sillonné les tribunes publiques en 2004 pour soutenir Saakachvili, l’homme s’engage depuis août dernier contre « l’envahisseur russe en Géorgie ». « En faisant chanter les mots, en produisant du son. Sans limite », indique
le poète, regard bleu ciel sous son béret penché à la française. Guli Dzgers [Cœur qui bat], dont l’enregistrement est disponible sur Internet, fait entendre en fond le véritable son des avions militaires russes ayant survolé Tbilissi l’été dernier. Le poème a été téléchargé en masse sur les portables géorgiens depuis. « Croire en la Russie est un péché », argue-t-il dans 08.08.08 [date de la première attaque de l’armée russe en Géorgie] avant d’y juxtaposer une lettre d’amour d’un soldat géorgien à sa fiancée. Dephy s’arme contre la guerre en aiguisant ses mots
Zaliko : le Daumier géorgien © Sophie Delpont/ESJ
Leur trait d’union, c’est la volonté de « retourner cette société endormie », comme le résume Chota. Une démarche qui ne passe pas la porte du puritanisme ambiant. En 2007, ils ont ainsi publié un recueil. Un bestseller, du genre autodafé. Les exemplaires s’arrachaient par trois. « J’en brûlerai un au nom de Dieu, un autre au nom de mon père, et le troisième au nom de mon fils », entendait Zaza, libraire à Tbilissi. Alex tempête : « Les gens défilent tous les jours dans la rue pour réclamer la “vraie“ démocratie. Mais dès qu’ils y sont confrontés, ils s’élèvent de toutes leurs forces contre elle. » Si les Pink Bus s’acharnent à Tbilissi, beaucoup d’artistes géorgiens quittent la terre natale pour briser le carcan. Une quête de reconnaissance payante : les créations du tout petit pays caucasien s’exportent et s’exposent, comme à Amsterdam avec Born in Georgia ou à Paris qui met en scène son Tbilissi Underground. La Géorgie, elle, attendra
e lino et le papier peint sont usés. La pièce est encombrée de toiles posées à même le sol. Souriant, Zaliko se lève. L’artiste a les traits taillés à la serpe et le regard acéré. À grand renfort de gestes, il raconte ses débuts. L’apprentissage de la sculpture, le temps où il vendait ses toiles dans la rue. « Les Géorgiens aiment l’art, mais ils n’ont pas les moyens ! » Alors, il y a quatorze ans, il s’est mis à croquer les personnalités politiques. L’ancien président Chevardnadze, Bush père et fils, et maintenant Micha. « Pour moi, [le caricaturiste] Daumier c’est le plus grand ! » Ses dessins se retrouvent sur un jeu de cartes. Les députés y jouent pendant les sessions. Il en rit. Aujourd’hui, Zaliko est revenu à
Après la peinture Zaliko se lance dans la production de dessins animés.
L
ses premières amours, la peinture : « J’aime travailler les couleurs, les dompter. » Malgré les émissions de télé qu’il anime, les fins de mois sont toujours justes. Pour partager et transmettre, Zaliko a ouvert une école pour les enfants. « Je n’en tire aucun bénéfice financier, mais je rêve que l’un d’entre eux devienne le prochain Michel-Ange »
© A. Accart/ESJ
tent mal informés, plongés dans un obscurantisme effrayant. » Après huit ans à New York, David Chikhladze, autre franc-tireur, s’obstine à trancher dans le vif. Pourtant, ses vidéos théâtrales très expérimentales s’inspirent largement des mythologies égyptienne, bouddhiste ou de la spiritualité mystique des cartes de tarot. Des scènes fantasques et colorées qu’il orchestre sur les toits comme dans les rares lieux gays, « seuls endroits vivants et ouverts de Tbilissi. »
David Dephy Gogibedachvili, poète d’une nouvelle génération.
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© Roxane Pour Sadjari
CULTURE D EUX HEURES DU MATIN , DANS UN APPARTEMENT AU CINQUIÈME ÉTAGE D ’ UN IMMEUBLE DE T BILISSI . R EGGAE À FOND . D EUX JEUNES G ÉORGIENNES SE DÉCHAÎNENT SOUS LES FLASHS DES PHOTOGRAPHES . B OUDEUSES OU SENSUELLES , N ATIA ET E KA SONT SUBLIMES DANS LES CRÉATIONS DU DESIGNER AVANT- GARDISTE G EORGE C HAGHACHVILI . C’ EST L’APOGÉE D ’ UNE JOURNÉE DE RÊVE .
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h
dans la peau d’une
fashion victim
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atia, 27 ans, est étudiante. Divorcée, sans enfant, chevelure bouclée noire et brillante. Une pochette Mango (75 euros) et un sarouel Benetton (le double). Son amie Eka a 25 ans. Elle est célibataire, petite et délicate. Une robe NafNaf (100 euros) et sa plus grande paire de lunettes, montures blanches Gucci, perchées sur son tout nouveau nez à 1 500 euros. Deux filles simples qui sont devenues pour nous les héroïnes d’une journée.
Salon de beauté Ici Paris, bureau d’Anuka Mourvanidze Ce matin d’avril, Anouka Mourvanidze, patronne d’Ici Paris Beauty Academy les reçoit en personne. C’est une femme élégante, malgré sa rousseur synthétique et sa paire de Doc Martens. Au mur, son diplôme : “Make Up Forever Academy, Amsterdam”. Elle persuade Natia et Eka de se faire poser des extensions. « Vous vous rendez compte ? Il y a des filles qui perdent deux ans à se faire pousser les cheveux alors qu’il suffit d’une heure pour changer de look ! » Et les trois amies de rire de bon cœur. Marché conclu.
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Anouka Mourvanidze, 35 ans, sait y faire. Elle règne depuis 1997 sur la première académie de beauté à Tbilissi. Entre un spa et une manucure, les citadines géorgiennes viennent y apprendre la coiffure et le maquillage. Le carnet de rendez-vous est plein pour le mois à venir. « Nous avons l’extérieur des yeux tombant et les jambes un peu courtes », explique Anouka. « Voilà pourquoi nous sommes si souvent en talons. » Natia, perchée sur douze centimètres, rougit. Eka s’offusque : « C’est juste que nous voulons être parfaites dans tous les domaines ! » Avec un clin d’œil complice, Anouka déploie son catalogue : sur plusieurs pages, les spécificités des visages caucasiens et occidentaux. À chacune sa palette. Les filles du Caucase sont avantagées par le brun et l’ocre. Vert, gris et rose à bannir. Si on ne peut pas leur étirer les yeux à l’eye-liner, rien n’empêche de sublimer le regard au mascara. Eka bat des cils : ils sont extraordinairement longs. « Les femmes géorgiennes veulent tout : se marier, avoir des enfants, rester belles et réussir leur carrière », poursuit Anouka. Elles sont actives, les Géorgiennes. D’autant que la fin de l’ère soviétique a souvent mis leurs hommes au chômage. Il faut assurer la relève.
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POÉTIQUE INTÉRIEURE
Au siège de Geomodels Agency Tel est le cas de Tako Chxeidze, directrice de Geomodels Agency, une agence de mannequins géorgiens. CV : meilleure top model de Géorgie, prix de la grâce au concours mondial en 1999. À 27 ans, elle est mariée à un diplomate géorgien et mère d’un petit garçon de 7 ans. « C’était très difficile pour moi. Je défilais à Paris, mon Tako Chxeide, ancien top mari était en Suisse et mon fils à de renommée internationale. Tbilissi. Horrible ! Une agence de Tokyo s’intéressait à moi, mais j’ai dit non. Il est plus important pour moi d’être avec les miens. Heureusement, j’ai pu concilier les deux : famille et carrière. » Tako reconnaît que les top models géorgiens ne sont pas très connus dans le milieu de la mode. Peu importe, son agence a une autre ambition : « Pas facile d’apprendre à être jolie mais on peut s’arranger ! Il faut s’entraîner : c’est pour ça que nous donnons des leçons de pose devant les photographes. » Tako accueille ainsi quinze filles, six heures par semaine. Dont Natia et Eka. Pour 800 euros par mois. Le tandem est bouleversé par cette beauté d’1,80 m, aux yeux bleu pâle en amande. En vraie pro, Tako susurre les noms de ses créateurs fétiches, – Lanvin, Prada, Yves Saint Laurent – sans bouger les lèvres, ça évite les grimaces sur les photos.
Chavchavadze avenue Mango, Mango, Mango : voilà le credo de la Géorgienne nantie. Débarquée ici en 2008, la marque, moins chère que ses concurrentes Mexx, Benetton ou NafNaf, fait fureur. « Ce n’est quand même pas très agréable de voir des filles avec les mêmes vêtements que toi dans la rue », minaude Eka avec un sourire pincé. Le duo se rend d’ailleurs chez un créateur hyper connu, histoire de dénicher la robe que personne n’a. « Comme nous vivons chez nos parents, nous pouvons claquer tout notre argent dans la mode », avance Natia. « Moi, j’y consacre 80 % de mon salaire », renchérit Eka. Si l’on en croit les sondages, l’habillement occupe le troisième rang des priorités des Géorgiens, après la nourriture et la santé.
Olegita Studio
© George Chaghachvili
Le couturier George Chaghachvili a gagné un prix de l’avant-garde avec cette collection, lors d’un concours à Copenhague.
Atelierboutique de Bakour Bakouradze
© Roxane Pour Sadjadi
Natia et Eka se sont enfuies, réfugiées chez George Chaghachvili, le professeur Tournesol de la mode locale, dont elles adorent les créations extravagantes. « Ça vous plairait de poser pour moi ? » lance-t-il négligemment, un verre à la main. Natia et Eka sont ravies. Vingt minutes plus tard, les flashs crépitent dans la nuit tbilissienne. « C’est comme ça, la Géorgie, commente le couturier. C’est détruit, sale et beau, un grand n’importe quoi. Et c’est ce n’importe quoi que j’aime. »
Voici donc les filles dans l’antre de Bakour Bakouradze. Sur un présentoir, un ras-de-cou, même pas en diamant, 750 euros. Des pendants d’oreilles (simili émeraude) à 220 euros. Tout est sombre, l’air est moite. Derrière un rideau, un atelier avec des machines à coudre et des murmures de femmes. Une voix, soudain : « Ma collection Black Roses avec Roberto Brava sera sur Fashion-TV ». Roberto Brava ? Connais pas, mais bon. Dans un froissement de rideaux nacrés, BB paraît. Barbe de trois jours, polo noir col en V, pantalon en velours noir brillant. Sous son lustre noir d'inspiration BHV, Bakour est très bronzé et porte une bague à chaque doigt. « Je n’aime pas les magazines de mode, parce que je ne veux pas copier. Je crée mon style. Personne ne m’inspire. Je pars d’un détail. Pour cette collection, le point de départ, c’est la rose. » Il s’allume une Pall Mall ultra-fine et les volutes de fumée qui l’auréolent le font ressembler au génie de la lampe d’Aladdin. BB ne doit rien à personne. Il n’aime ni les interviews ni les journalistes. Ce qui ne l’empêche pas de parler de la Route de la soie, qui traverse la Géorgie, de Tamar, cette reine de Géorgie dotée, à l’orée du XIIIe siècle, de son designer attitré, de la mode géorgienne qui n’a que dix ans ou des pantalons ossètes qui lui ont inspiré ces nouveaux pantacourts taille élastique. À plus de 2 000 euros.
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CULTURE
Armée pour le théâtre L A SCÈNE NE FAIT PAS QUE DIVERTIR ET LE THÉÂTRE M ARDJANICHVILI LE PROUVE BIEN . A U SERVICE DE LA NATION , IL A , À SES CÔTÉS , LE MINISTÈRE DE LA D ÉFENSE .
© Chi Zhang/ESJ
epuis sa réouverture en Géorgie au bénéfice de notre pays. » février 2006, le Mardjani- Un discours anti-Moscou, une rupchvili renaît. Avec son ture avec le passé. Et pourtant, on nouveau directeur artis- reconnaît dans cette pièce quelques tique Levan Tsouladze, le pratiques soviétiques. Ce paradoxe théâtre rompt avec son n’est pas rare en Géorgie. Depuis les événements d’août passé soviétique et son atmosphère “d’ intelli- 2008, la pièce a été revue. Aujourgentsia rouge ”. Ainsi, le ministère d’hui, elle intègre davantage le de la Défense n’hésite-t-il pas à de- conflit avec la Russie et souligne venir l’un des principaux partenaires l’idéal de résistance face à l’envahisseur. pour la pièce Kakout« Je veux restaurer Tsouladze ne cachait sa Tcholokhachvili. la popularité du métier pas ses ambitions Présentée pour la d’officier en Géorgie. avec cette pièce. première fois en mai « Cela ne veut pas dire 2007 et mise en scèIl ne peut pas y avoir que le théâtre va se ne par Tsouladze luide meilleur travail tourner vers l’héroïsmême, elle raconte pour un homme. » me, mais je crois que ce l’histoire du résistant Tcholokhachvili, qui s’est battu genre est nécessaire à la population contre l’invasion bolchévique dans géorgienne aujourd’hui », explique Tsouladze lors de son entretien avec les années 1920. L’œuvre a valu à Tsouladze une Georgia Today. « Kakoutsa Tcholokhachvili est médaille d’honneur du président Saakachvili. Et une quinzaine de fu- mon idéal. Je veux restaurer la popusils (utilisés à grand effet durant le larité du métier d’officier en Géorgie, spectacle) sponsorisés par le minis- parce que je crois qu’il ne peut pas y avoir de meilleur travail pour un homtère de la Défense. En 2007, Tsouladze déclare à l’heb- me », ajoute-t-il. Une fascination héritée de son domadaire Georgia Today que cette pièce sera « une saga héroïque qui père, qui a, lui aussi, défendu sa paservira les aspirations militaires en trie contre l’envahisseur russe
Le théâtre Mardjanichvili, qui a eu 80 ans en novembre 2008, compte parmi les plus anciens de Tbilissi.
© Feriel Oumsalem/ESJ
Toiles de rue
Angelina vend ses tableaux au parc des peintres.
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FAUTE DE MIEUX , DES PEINTRES DIPLÔMÉS DE L ’ACADÉMIE DES B EAUX -A RTS DE T BILISSI VENDENT DANS LA RUE .
«D
ifficile d’être un jeune peintre en Géorgie », déclare Tamouna, sortie en 2004 de l’académie des Beaux-Arts de Tbilissi et reconvertie en créatrice de bijoux artisanaux. Sans subventions, les peintres débutants peinent à présenter des expositions individuelles. « Il est difficile de vivre de ses toiles », poursuit Tamouna. « Les Géorgiens ne s’intéressent pas à l’art, ou alors ils sont plus attirés par les peintres déjà connus. » Plus aguerrie, Angelina se retrouve souvent au parc des peintres, situé sous un pont de la capitale. Diplômée en 1995, elle s’est vite rendu compte de la difficulté de vivre de son art en Géorgie : « J’ai fait une seule exposition universelle à Tbilissi en 1990 et après c’était des expositions collectives. Du coup, je ne vends pas beaucoup en galerie. » Partie quelques années à Berlin, Angelina réussit à exposer et à gagner de l’argent, mais des raisons familiales l’obligent à rentrer en Géorgie. Face à ses difficultés financières, une seule issue : la vente libre de ses tableaux dans la rue
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Le folklore séduit encore À T BILISSI , LES CLASSES DE CHANT
© Safar Baroud/ESJ
POÉTIQUE INTÉRIEURE
Même dans la troupe officielle Sukhichvili, certains danseurs n’ont pas plus de 18 ans.
POLYPHONIQUE ET DE DANSE FOLKLORIQUE CONTINUENT À ATTIRER LES JEUNES GÉNÉRATIONS . a cloche sonne la fin de la classe. Lada Guindadze, 10 ans, ne rentre pas chez lui. Un autre cours l’attend, pas de judo, mais de chant polyphonique. Comme tous les vendredis, ils sont 25 enfants âgés de 6 à 13 ans à assister à la leçon de Nana Valichvili au Children Folk Ethnographic Studio de Tbilissi. Au programme du jour, des chants traditionnels d’Adjarie qu’entonnaient les paysans pendant les vendanges.
Tradition et “version club” A quelques rues de là, une vingtaine d’adolescentes s’échauffent sur le parquet rayé de la compagnie de danse Sukhichvili. Fondée en 1945, c’est une des compagnies les plus renommées de Géorgie. « Vous n’êtes pas en rythme ! Nino, refais-moi ce pas ! » Tata Gomelauri, professeur de danse folklorique, est intransigeante. Les mains sur les hanches et la tête haute, les jeunes filles s’exécutent entre deux essoufflements. Toutes rêvent d’intégrer un jour la troupe professionnelle. Dans une Géorgie tournée vers l’Occident, où les jeunes oreilles se sont habituées au rap et à la techno, on pourrait penser que le folklore est devenu has-been. Loin de là. « J’aime
Un tamada qui porte un toast lors d’un mariage à Tbilissi, en avril 2009.
la musique qu’on entend à la radio, comme j’aime les chants polyphoniques que mes parents m’ont appris » explique le petit Lada. Pour continuer à attirer les jeunes, certaines compagnies n’hésitent pas à mixer tradition et “version club” Iliko Sukhichvili, fils du fondateur de la compagnie, a lancé en 2004 le projet Assa. L’idée : faire entrer la musique traditionnelle dans les boîtes de nuit. À l’ancestrale salamouri [flûte en bois] s’ajoutent des rythmes drum and bass et techno. « Certains nous reprochent d’avoir oublié nos traditions, mais bien au contraire,
assure Khatia Ekizachvili, manager de la compagnie. On s’adapte pour plaire aux jeunes, et ça marche. » Le gouvernement géorgien semble lui aussi vouloir se trémousser sur ces nouveaux airs endiablés. Le ministère de la Culture a financé en 2007 un projet similaire à hauteur de 20 000 euros, dans le but de promouvoir la culture géorgienne lors de tournées à l’étranger. Chants montagnards et danses guerrières vont désormais de pair avec jeans et baskets. Relève assurée, patrimoine sauvé ?
Gao marjos ! u
Manuel de survie à l’usage du néophyte invité à festoyer géorgien
© Thomas Lelong/ESJ
Les supra progressent au rythme de cinq à six toasts par heure.
Lorsqu’on est un homme du monde, il est bon de se tenir au courant des usages en vigueur dans d’autres contrées. Pratique en Géorgie, la boisson nationale, c’est le vin. Une longueur d’avance de gagné. Mais attention ! On ne boit pas n’importe comment. La “p’tite goutte” est déconseillée. En Géorgie, le mot magique c’est tamada. Le tamada est le chef de tablée, mélange de sage, de Dionysos, de joyeux drille en chef, choisi par les convives comme garant de la réussite du supra, le banquet. C’est le tamada qui décide quand on boit (rassurez-vous, la fréquence est plus qu’honnête). Pour cela, il lève son verre, porte un toast à des grands thèmes de la vie comme aux ancêtres, à l’amitié, à l’amour, à Dieu. Gaoumarjos ! Santé ! Langage universel. C’est le moment d’être un homme. Cul sec. À savoir : en Géorgie on boit pour porter des toasts, pas pour s’hydrater le gosier. Un supra géorgien ne compte pas moins d’une vingtaine de toasts. À bon entendeur…
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© Thomas Dworzak/Magnum
CULTURE
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Caucase mon amour T HOMAS D WORZAK , PHOTOGRAPHE ALLEMAND DE L ’AGENCE M AGNUM , A MIS LE C AUCASE EN IMAGE COMME PERSONNE . S CÈNES DE GUERRE , DOULEUR DES CŒURS ET
photos, c’est d’abord parce qu’on les fait pour soi ». Comme celle, cruelle, de ce paysan dont la charrette vient de se briser et qui semble avoir tout perdu. « C’était dans une région reculée d’Abkhazie. Les gens étaient sombres, je me souviens m’être fait jeter une cigarette au visage. Je n’y suis jamais retourné. »
Bienveillance
Thomas éprouve comme une compassion discrète envers la Géorgie. Une empathie qui l’éloigne de plus en plus de la Russie, pays dont il parle pourtant parfaitement la langue et où il a opéré pendant plusieurs mois. « Làbas, les gens sont trop froids. J’ai l’impression qu’on ne parle pas la même langue. Vraiment, je n’en peux plus ». Le reporter de Magnum se défend pourtant de prendre des photos partisanes. « Je refuse la neutralité, mais je ne veux pas être accusateur. Seule l’émotion compte ». La guerre d’août 2008 ? « Les Abkhazes n’ont rien décidé, ce sont les Russes qui ont tout fait. » Cette guerre, justement, Thomas ne l’a pas vécue. Bloqué sur un lit d’hôpital à New York, il s’est réveillé le matin des premiers affrontements. « Tous les clichés que j’ai pris ensuite sont mauvais. À vrai dire, la photo ne m’intéresse plus vraiment. Je trouve ça injuste de vouloir faire une bonne image. Trop facile. » Sans grand regret, donc, il compte désormais habiter la région plutôt que l’emprisonner dans ses boîtiers. « Je n’aime plus le danger. L’âge, l’expérience sans doute. Et la lassitude. » Thomas Dworzak avait pourtant l’art de suAbkhazie. Homme ramassant des débris. blimer la beauté quelque peu monstrueuse du 1993. Des milliers de Géorgiens fuient l’Abkhazie. Caucase. Sa bienveillance manquera
DES CORPS MAIS AUSSI MOMENTS JOYEUX , BEAUX OU SIMPLES . UNE ŒUVRE QU ’ IL A CONSTRUITE AU FIL DES VOYAGES .
© Thomas Dworzak / Magnum
a scène se passe en plein jour, dans une rue de Soukhoumi, “capitale” de l’Abkhazie. Au milieu de la voie où luisent des flaques d’eau trouble, une femme se promène, un lourd manteau noir sur les épaules. Rien d’anormal, si ce n’est le masque à gaz qu’elle maintient sur son visage et qui lui donne des airs de fantôme toxique. Une ombre en souffrance que pas un homme alentour ne daigne regarder. « En 1993, des soldats abkhazes avaient été déterrés six mois après leur mort pour que les familles puissent les identifier. La rue puait », commente l’auteur de l’image. « Personne ne regarde cette femme, c’est terrible. Je crois que c’est ma photo préférée ». Thomas Dworzak sillonne le Caucase depuis la chute de l’URSS. Il en a ramené des clichés durs, souvent troublants, qui témoignent de sa connaissance et de son amour de la région. En doux cynique, il avoue sa fascination originelle pour les sujets difficiles. « C’est avec mes premières photos de guerre en Yougoslavie que j’ai commencé à faire de bonnes “plaques”. Je découvrais tout ». Le sujet le plus dur à capter ? « Les hommes qui pleurent. » Et en vingt ans de carrière, Thomas Dworzak en a vu pleurer plus d’un. En ex-Yougoslavie, en Tchétchénie, en Abkhazie, mais aussi en Irak, en Afghanistan, en Haïti et jusqu’au Pakistan. « C’est triste à dire, mais si on fait de bonnes
Abkhazie. Femme portant un masque à gaz. L’odeur dégagée par les corps de soldats morts se répandait partout dans les rues de Soukhoumi.
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Des travau
et de Duel à Roustavi Débrouille au quotidien
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Cette séquence a été réalisée par Salome Alania, Pierre-Philippe Berson, Marc Daniel, Jean-Louis Dell’oro, Kristina Garuchavva, Kim Gjerstad, Anaëlle Grondin, Sophie Guesné, Pauline Houédé, Julie Jammot, Giorgi Japaridze, Cédric Kalonji Mfunyi, Fabien Lapierre, Thomas Lelong, Thibaud Marchand, Natia Metreveli,
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aux
et des bas
Après l’écoconomie Un 4x4 à 20 000 euros double une Lada tout droit sortie d’un film soviétique sur une avenue déglinguée de Tbilissi. Un building en verre surplombe des villages de maisonnettes en tôles. Un jeune cadre de 23 ans gagne 2 500 euros par mois quand le salaire mensuel moyen ne dépasse pas les 140 euros. L’économie géorgienne, c’est un peu tout cela à la fois. Un développement en forme de champignon avec une croissance annuelle de 12 % jusqu’à fin 2008. Et un taux de chômage qui dépasse officieusement les 30 % de la population active, contre 14 % officiellement. Le gouvernement de Saakachvili a décidé de jouer la carte libérale pour développer le pays. Vite, très vite. Quitte à laisser des gens sur le bas-côté. Quitte à oublier que les fondations doivent être consolidées. Depuis cinq ans, les réformes se multiplient. Lutte contre la corruption, bras ouverts aux investissements étrangers, développement des infrastructures et de transports, rénovation de la capitale… Des réformes estampillées FMI, mais qui pourraient être mises à mal par la crise économique mondiale. Déjà les investisseurs se font plus timides et la croissance au premier trimestre n’a qu’un chiffre.
Poti : le voile levé
Que cache Sighnaghi ?
L’or vert
Olivier Monnier, Ariane Nicolas, Tamar Paradashvili, Isabelle Raynaud, Aurylia Rotolo, Nino Rukhaia, Natia Rusadze, Tskriala Shermadini, Benjamin Smadja, Laura Sprung, Haude-Marie Thomas, Anna Tkeshelashvili, Clara Tomasini, Chloé Woitier, Chi Zhang, Léa Zilber.
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ÉCONOMIE
Vinembargo un nouveau départ LA
SUSPENSION DES EXPORTATIONS DU VIN GÉORGIEN VERS LA R USSIE DEPUIS MARS 2006 AURAIT PU SIGNER L ’ARRÊT DE MORT DE L ’ACTIVITÉ VITICOLE , VIEILLE DE PLUS DE 5 000 ANS . C ONTRE TOUTE ATTENTE , LA DÉCISION RUSSE LUI APPORTE UN SECOND SOUFFLE .
P
osées dans l’obscurité de la cave, elles surprennent : dix grosses cuves en aluminium flambant neuves clignotent au rythme de thermomètres électroniques dernier cri. En Kakhétie, dans l’est du pays, les caves du prestigieux exploitant viticole Teliani Valley n’ont rien à envier aux celliers bordelais. « On a tout acheté en juin dernier », explique Levan Chkhaidze, directeur industriel de Teliani Valley. Un investissement de plusieurs dizaines de milliers de dollars. Étrange illustration du phénomène de crise du vin géorgien. À en croire le directeur industriel, il n’y a pas de gros problème. « On investit, on produit, on vend, on s’agrandit. Sans le marché russe, on va un peu moins vite, c’est tout. » Cette crise tiendrait-elle alors du mythe ? « Ils vous ont raconté des histoires, ils souffrent énormément », confie Antoine Bardon, l’un des seuls importateurs de vin français en Géorgie.
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Deux ans avant la guerre, les esprits s’échauffent déjà entre la Géorgie et la Russie. Au centre des débats : le vin. En Russie, des traces de pesticides sont découvertes dans quelques bouteilles géorgiennes. Ces pesticides sont inoffensifs pour le consommateur mais c’est un excellent prétexte pour le Kremlin. Les autorités russes interdisent les importations de vins du Caucase. Une décision radicale, qui illustre davantage les mauvais rapports entre les deux pays qu’un réel danger sanitaire. Pour l’industrie vinicole géorgienne, le troisième secteur économique du pays, c’est une catastrophe. Avant l’embargo, 70 à 80 % des bouteilles produites sur le sol géorgien étaient exportées en Russie. En Kakhétie, la principale région productrice de vin en Géorgie, nombre de compagnies s’écroulent. Dans ce contexte de crise, Teliani Valley qui n’exportait qu’un quart de sa production vers la Russie est une exception. Le mystère des cuves neuves s’éclaircit. Ailleurs, les stocks
s’accumulent. En 2006, plusieurs millions de bouteilles destinées à l’exportation restent à quai. La même année, l’embargo russe représente une perte de 50 millions de dollars pour la Géorgie. Le marché russe condamné, il reste le vaste monde, avec en première ligne les pays de l’ex-URSS. Les bons rapports entre Viktor Iouchtchenko et Mikheïl Saakachvili faisaient de l’Ukraine un débouché pérenne. Mais aujourd’hui, pour des raisons indépendantes de ses relations avec la Géorgie, Kiev a relevé ses droits de douane. Un autre marché considérable qui s’effondre.
Cap sur l’ouverture Pourtant, les viticulteurs géorgiens ne sombrent pas tous dans la sinistrose. L’optimisme géorgien a la peau dure. L’embargo aurait même quelques vertus : « Cette décision de rétorsion économique n’a pas été qu’une mauvaise nouvelle pour nous, affirme Ekaterine Javakhia, manager des ventes pour Teliani Valley, nous nous orientons désormais vers les
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DES TRAVAUX ET DES BAS
Mer Caspienn RUSSIE
Mer Noire Mer Noire
Tbilissi
GÉORGIE
TURQUIE 0
50
ARMÉNIE
Telavi
Napareuli
AZERBAÏDJAN
100km
© Renaud Bouchez/ENSLL
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En 2006, l’embargo russe représentait une perte de 50 millions de dollars pour la Géorgie. Pas de quoi décourager les viticulteurs. marchés internationaux et nous soignons da- Teliani Valley a ouvert une maison d’hôtes. vantage la qualité de nos produits. » Jadis, les « C’est très demandé », assure Nana ManchaRusses étaient peu regardants sur la mar- rauli, responsable de la guest-house. Publics russe, allemand, coréen, français. Lors de chandise « pourvu qu’elle se boive. » « Notre vin n’est pas cher à côté des vins notre visite pourtant, les cinq chambres proaustraliens ou chiliens mais il doit monter en prettes sont vides. gamme pour séduire les Européens », poursuit Un hôtel dans l’exploitation Ekaterine Javakhia. Il y a quelques mois, l’Allemagne et la Suède ont passé leurs À Napareuli, dans le nord de la Kakhétie, un premières commandes. hôtel champêtre ouvrira ses portes dans Les grosses compagnies de Kakhétie s’achè- quelques mois sur une exploitation traditionnelle. Feux de bois, tent peu à peu une image plus vieilles pierres et vue sur luxueuse, à grand renfort d’éti« Notre production les sommets enneigés du quettes soignées et de merest vendue localement chandising. En parallèle, des et la consommation de vin Caucase garantis. Chez les initiatives improbables appaen Géorgie n’est pas près viticulteurs plus modestes, pas de discours catastroraissent. Le cinéaste et vignede baisser. » phiste non plus : « Notre ron Guiorgui Chengelaia a créé production est vendue locaen avril 2009 le Parti du vin. Un parti politique d’opposition sans grande in- lement et la consommation de vin en Géorgie fluence destiné à réchauffer les relations avec n’est pas près de baisser », confie en souriant la Russie. Commerce oblige. Autre initiative l’un deux, Nodar Korboudiai. En Géorgie en embryonnaire, le tourisme du vin. En 2008, effet, le vin est un plaisir généralisé et tradi-
Située dans l’est du pays, la Kakhétie fournit à elle seule trois quarts de la production de raisin géorgien. Sur la vingtaine d’appellations contrôlées en Géorgie, quatorze sont issues de Kakhétie.
La France le boude et pourtant… Les bouteilles géorgiennes sont encore largement méconnues chez nous. Les foires aux vins françaises laissent peu de place aux crus du Caucase et rien n’indique pour l’heure qu’ils puissent intégrer notre marché saturé, malgré des tarifs attractifs (entre 2 et 15 ¤ la bouteille). Mais sait-on jamais. Plusieurs pays européens ont été séduits. Après l’Ukraine et la Suède, l’Allemagne s’est mise sur les rangs. Une petite revue d’effectifs s’impose. En Géorgie, la star du pinard, c’est le Saperavi. Vin rouge sec, 13 % d’alcool. Dans les cœurs caucasiens, il devance le Khvanchkara, un rouge chargé en sucre. En matière de vin blanc, c’est le Tsinandali qui remporte la mise. Rond en bouche, il est l’exemple même de ce qu’Alexandre Dumas appelait, après son voyage en Kakhétie, « un vin charmant, qui ne grise pas, ou plutôt, entendonsnous bien, qui ne monte pas au cerveau ». À noter le Kindzmaraouli, un outsider chez les vins rouges. La légende veut que Staline le Géorgien en ait fait sa boisson favorite…
tionnel. Dans les supra, ces repas festifs, les invités absorbent quatre à cinq litres de vin par personne. Avec de telles habitudes, le débouché national semble idéal. Pourtant, le marché est très restreint dans un pays qui ne compte que quatre millions d’habitants. D’autant que la plupart des Géorgiens produisent leur propre vin chez eux, en achetant directement le raisin de Kakhétie. Tourner la page du marché russe ne se fera pas en un jour. La situation politique exclut une réouverture vers la Russie pour l’instant. En attendant, Ekaterine Javakhia pense que « le transit illégal de vin géorgien vers la Russie est peu probable. » Une vraie demande subsiste outre-Caucase, où le vin géorgien est très apprécié depuis Staline. Mais théoriquement il n’arrose plus les repas moscovites. À moins que des étiquettes arméniennes ne soient apposées sur des bouteilles géorgiennes, comme le sous-entend Levan Chkhaidze. Malencontreusement, évidemment ■
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Investissement : le bout du tunnel A DIEU OPACITÉ POST- SOVIÉTIQUE , BONJOUR ÉCONOMIE DE MARCHÉ . D EPUIS QUELQUES ANNÉES , LES INVESTISSEURS ÉTRANGERS FONT LE PARI DU MIRACLE ÉCONOMIQUE CAUCASIEN . gros investisseurs commencent à lorgner sur le pays. Fin 2008, un fonds émirati s’octroie aux enchères le port de Poti sur la mer Noire, le plus important du pays.
Guerre de confiance Le vent aurait-il tourné ? Les ambitieux chantiers immobiliers sont à l’arrêt. À la frontière turque, le modeste flux des semiremorques témoigne du ralentissement de la demande. Faut-il y
voir l’impact de la guerre du mois d’août ou bien de la crise mondiale ? Une certitude, le havre de prospérité vacille. Les 4,5 milliards de dollars promis par les États occidentaux après la guerre de l’été dernier renfloueront les caisses de la Géorgie jusqu’en 2010. 80 % des crédits sont déjà attribués. Si l’État s’emploie à maîtriser le chômage et à restaurer la confiance, les experts s’inquiè-
tent du manque d’attention porté à l’agriculture et aux industries, cruellement absentes dans la balance commerciale. Les investisseurs étrangers, si précieux jusqu’à maintenant, auront le dernier mot. Ils ont accordé le bénéfice du doute au gouvernement Saakachvili et à ses réformes. Ils pourront également conclure qu’il est plus sage d’investir dans des pays moins libres, mais plus stables ■
Semi-remorques turcs à la frontière. Ankara est le premier partenaire économique de Tbilissi En 2008, les échanges commerciaux avec la Turquie se chiffraient à 1,2 milliard de dollars.
© Kim Gjerstad/ESJ
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epuis l’arrivée de Mikheïl Saakachvili, c’est le grand chambardement : de jeunes technocrates sont arrivés aux manettes, la corruption a reculé et les chantiers fleurissent. Et depuis 2005, un tout nouveau régime d’imposition, plus avantageux pour les investisseurs, a été mis en place. Autant dire que les capitaux étrangers ne se sont pas fait attendre. Au palmarès des pays propices au business, la Géorgie est remontée du bas du tableau jusqu’au 15e rang mondial. Il faut dire que l’option géorgienne est attrayante. Pour l’Europe, comme pour les pays frontaliers. En 2005, un consortium occidental trace un oléoduc à travers l’Azerbaïdjan, la Géorgie et la Turquie. Un gazoduc est aussi en projet. De quoi faire rêver l’Europe, dépendante du gaz russe. Changement de cap avec les réformes Saakachvili et le boycott russe. En 2009, Ankara devient le premier partenaire commercial de Tbilissi. L’Arménie, l’Azerbaïdjan et l’Asie centrale en bénéficient également. Depuis 2005, les contours d’un pays émergent se dessinent. Banques aux capitaux européens, entreprises de BTP et sociétés d’import-export... De
La longue marche des Chinois D EPUIS 2000, P ÉKIN A INJECTÉ 52 MILLIONS D ’ EUROS EN G ÉORGIE . L A PLUPART DES INVESTISSEURS ATTENDENT UN RÉGIME POLITIQUE STABLE , UN MARCHÉ PLUS SOLIDE ET DE VRAIES OPPORTUNITÉS . ichuan Electric Power Corporation est la première société chinoise engagée en Géorgie. Pionnière, elle a suivi de loin les turbulences de ce pays neuf. Mais les investisseurs chinois n’ont pas vraiment profité des réformes économiques de Saakachvili, victimes de la faillite de l’ancien système. En 1999, Édouard Chevardnadze, l’ex-président géorgien, active les réseaux tissés du temps où il dirigeait la diplomatie de l’URSS, notamment avec la Chine, pour tenter de redresser l’économie. Cette reprise tombe à
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point : Jiang Zemin, le président chinois de l’époque, appelle alors les commerçants à « partir pour l’étranger ».
Rentable... en 2020 C’est ainsi que Sichuan Electric s’est lancée dans l’aventure. Faute d’étude de marché sur place, l’entreprise a plutôt été attirée par les tarifs d’électricité très avantageux promis par Chevardnadze. Une centrale hydroélectrique est construite en 2004 à Khadori, dans l’est de la Géorgie. Un investissement nécessaire : jusque-là, la
région était privée de courant. Mais les habitants n’ont pas l’habitude de payer l’électricité malgré la forte demande en énergie. En 2005, l’ancien gouvernement n’a recouvré que 30 % des factures au point de contracter une dette de 6 millions de laris (2,7 millions d’euros) auprès de Sichuan Electric. L’année suivante, le nouveau régime supprime le contrat existant et ses clauses avantageuses. Il augmente fortement le prix du kilowatt. Un coup dur pour Sichuan Electric, qui mettra deux fois plus de temps que prévu à être rentable : pas avant 2020 ■
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Travailleurs volants non identifiés Z OOM SUR LES REPRÉSENTANTS DE L ’ ÉCONOMIE INFORMELLE À T BILISSI . D ES PERSONNAGES TYPIQUES
vec une inflation estimée à plus de 12,8 % en 2008, un taux de chômage qui s’élève officiellement à 13,6 % et un essor économique longtemps entravé par la corruption, la cohorte de ceux qu’on appelle ici les “travailleurs non identifiés” ne cesse d’enfler. À chacun son petit négoce et son lot quotidien de galères. Les soutiers du secteur informel ne bénéficient d’aucune couverture médicale ou sociale. Mais pour tous, le même objectif : gagner chaque jour sa pitance.
A
DE LA CAPITALE CAUCASIENNE QUI VIVENT DE LA DÉBROUILLE AU JOUR LE JOUR .
Les chariots recyclés Les chariots qui servent d’ordinaire à transporter les courses au supermarché ont une tout autre vocation à Tbilissi. Limonades et bouteilles d’eau s’y entassent pour appâter le chaland dans les rues de la capitale géorgienne. Les vendeurs voient là le recyclage de chariots promis à une seconde vie. Mais les propriétaires des grandes surfaces dénoncent le trafic. La disparition d’une partie de la “flotte” leur coûte chaque année quelques milliers de laris. De quand date cette pratique ? « Une dizaine d’années, peut-être plus », répond Botchia, vendeur ambulant depuis un peu plus de six ans. La société de gardiennage qui l’employait a fait faillite et il a bien fallu dénicher un autre gagnepain. Tous les jours, Botchia sillonne les artères de Tbilissi avec son chariot, à la recherche de clients. « L’attente est longue mais je subviens ainsi aux besoins des miens. La crise dont on parle actuellement ne m’ébranle pas parce que celle que je vis dure depuis des années. » Avec un revenu quotidien de 10 laris (4,50 euros), l’ancien vigile nourrit une famille de sept personnes.
© C.K.M./ESJ
© Cédric Kalonji Mfunyi
Lili s’est installée face au parlement, où sont massés les manifestants.
La vendeuse ambulante Avec pour port d’attache le palais du parlement de Tbilissi, Lili, la trentaine, tient une petite échoppe ambulante. Tout son stock tient dans un petit carton, un coffre converti au besoin en table sur laquelle elle étale sa marchandise, cacahouètes, cigarettes ou mouchoirs. Comme des milliers d’autres Géorgiens, Lili grossit les rangs de cette économie “grise”, clandestine, seule issue pour les actifs dépourvus d’emploi régulier.
Botchia propose ses boissons sur l’avenue Roustavéli.
© C.K.M./ESJ
Le “parcmètre vivant”
Un “parcmètre vivant” dans une rue de Tbilissi.
On les reconnaît à leur gilet vert et à la canne rayée qu’ils brandissent volontiers. Les “parcmètres vivants” de Tbilissi veillent sur les parkings et collectent auprès des automobilistes une redevance forfaitaire. À charge pour eux de reverser chaque jour à la municipalité la somme de 30 laris (environ 13 euros). Le solde, soit 5 à 10 laris, leur revient.
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Bras de fer à
Roustavi A NCIEN FLEURON DE L ’ INDUSTRIE GÉORGIENNE , R OUSTAVI NE S ’ EST PAS REMISE
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es nuages qui assombrissent le ciel de Roustavi ne sortent plus des cheminées, comme à l’âge d’or de la cité industrielle. De cette époque d’intense activité, il reste les longues barres décrépites de logements ouvriers. Récemment repeintes, elles s’alignent, multicolores, à l’entrée de la ville. De l’autre côté du fleuve Koura, on découvre un vieux Roustavi, de style plus classique, tiraillé entre deux places fortes.
La majorité des habitants reste nostalgique du temps où les usines faisaient tourner la ville.
© Ariane Nicolas/ESJ
DU NAUFRAGE DE L ’URSS. L A VILLE EST LE THÉÂTRE D ’ UNE BATAILLE ENTRE LA MAIRIE ET GEORGIAN STEEL , LE GÉANT MÉTALLURGIQUE .
D’un côté, l’hôtel de ville aux allures de parlement miniature, presque immaculé. De l’autre, le siège monumental de la Georgian Steel [ancienne Rustavi Metal Works], reliquat de la grandeur soviétique, érigé en 1947 sur ordre de Staline. Deux centres de pouvoir, deux visions opposées du futur de Roustavi. Chacun a sa petite idée pour faire renaître l’ancienne ville morte de ses cendres industrielles. Leurs projets visent un même lieu, presque aussi vaste que la ville : une friche qui s’étend sur 480 hectares, derrière les
Les barres de logementS comptent en moyenne huit étages... sans ascenseur.
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Contrats annulés
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murs de la forteresse Georgian Steel. Entre deux sonneries de son iPhone, le très jeune directeur commercial, Givi Gigineichvili, 23 ans, dévoile sa stratégie. « Nous allons créer une zone industrielle détaxée », promet-il en feuilletant une brochure du groupe d’investissement émirati Rakia, présent dans la ville portuaire de Poti. Sur ce projet repose en partie l’avenir de Georgian Steel – qui ne s’est jamais redressée depuis la chute de l’URSS – et peut-être celui de Roustavi. La guerre d’août 2008 et la crise économique mondiale ont achevé de faire fuir les investisseurs : contrats annulés, pénalités, surcoûts de stockage... « Il y a encore trois mois, notre marché était mort », déplore Givi Gigineichvili.
© Ariane Nicolas/ESJ
DES TRAVAUX ET DES BAS
Dans l’intimité du
bloc n°15
« C’était vraiment mieux avant, quand toute ma famille travaillait dans les ateliers. » Un schéma peu viable aux yeux du maire : « Il faut admettre qu’il n’y a pas d’avenir sur ces terres pour une zone détaxée. Ça ne peut pas réussir », insiste Mamuka Chikovani. Selon lui, l’industrie ne représente plus une priorité pour Roustavi. Reste qu’il peine à formuler une alternative crédible. Son ambition ? Créer sur les terres de Georgian Steel une ville dans la ville, un nouveau cœur économique qui redynamiserait la cité. Seule ombre au tableau : la municipalité n’a aucun droit sur le domaine de l’entreprise.
Trois générations sous le même toit : la famille Sourmanidze est à Roustavi depuis cinquante ans.
Tourner la page Au-delà de ce pari hasardeux, le maire projette de dépoussiérer l’image ternie de la ville en capitalisant sur son histoire. Il mise sur le passé archéologique de Roustavi pour attirer les touristes. Les plans pour métamorphoser l’artère principale de la ville en rue piétonne sont déjà prêts. Les habitants semblent, eux, moins pressés de tourner la page des usines, vestiges d’une vie meilleure. « Ne croyez pas que je suis vieux jeu, mais c’était vraiment mieux avant, quand toute ma famille travaillait dans les ateliers », lance Leïla. Cette ancienne institutrice de 55 ans survit avec l’argent que lui envoie son fils expatrié en Espagne. À Roustavi, le taux de chômage dépasse les 30 %. « Il n’y a aucun job », assure Gocha, 25 ans. Lui comme beaucoup d’autres n’ont souvent pour seul horizon que le perron de leur bloc délabré ■
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oustavi, un dimanche après-midi. En face du bloc n°15 où réside Akaki Sourmanidze, un ouvrier à la retraite, le temps est comme suspendu. Accrochée aux grillages, une colonne de tapis sèche au soleil. Un coq promène sa crête le long des murs et près d’un garage vide, deux hommes jouent aux nardis, jeu de hasard géorgien proche du backgammon. C’est David, le fils d’Akaki, qui gagne la partie. « Je vis à Roustavi depuis cinquante ans, dont quarante-quatre passés à l’usine », raconte son père. « Mais c’est la première fois de ma vie que je parle à une étrangère. » Dans cette oasis inversée où s’imbriquent des barres d’immeubles croulantes et des terrains vagues, les touristes ne se bousculent pas. Les habitants non plus. Tout au plus aperçoiton des enfants grimpant aux quelques arbres du coin. À notre demande, Akaki nous reçoit chez lui. Enfin… chez « eux » : lui et sa famille vivent à cinq dans 40 m2. Son fils et sa belle-fille dans une chambre, les enfants sur le canapé du salon et lui sur le balcon – qui sert aussi de cuisine. Deux fau-
teuils années 60, vétustes, remplissent la pièce principale, éclairée par un antique poste de télévision. Des livres disposés sur deux étagères cachent les déchirures du papier peint. Un bonnet Chicago Bulls sur la tête, Akaki a le regard vif et douloureux d’un chef de famille en perdition. « Mes deux fils sont au chômage ; l’un d’eux a fait de la prison, trois ans. » Mais il ne se plaint pas. Sa femme est décédée il y a douze ans. Il n’a jamais souhaité se remarier. « De toute façon, avec cet appartement, ça ne serait pas possible. »
Au ralenti À Roustavi, les rues ne portent pas de nom, seulement des chiffres. Comme les écoles. Le communisme n’a laissé ici qu’un cinéma, un hypermarché et – fait rare en Géorgie – presque aucune église. D’ailleurs, on ne trouve aucune icône dans l’appartement des Sourmanidze. Comme Akaki, ils sont près de 80 000 à habiter ces logements devenus ruines, construits pour les ouvriers des usines dans les années 50. Ils vivent au ralenti dans la pénombre des blocs. Face aux montagnes du Caucase ■
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Corruption : quand La corruption vacille mais ne tombe pas
Nina Khatiskatsi, dirige le programme de Transparency International, fondée en 1993 et implantée en Géorgie en 2000.
DES LIEUX DE LA CORRUPTION EN GÉORGIE DEPUIS LE SIÈGE DE L ’ONG À T BILISSI . Comment la corruption a-t-elle évolué en Géorgie depuis l’arrivée au pouvoir de Mikheïl Saakachvili ? Transparency International propose un indice de perception de la corruption calculé à partir de témoignages d’analystes, de fonctionnaires et d’hommes d’affaires. Ici en 2003, l’indice de perception de la corruption était de 2,3 sur une échelle de 1 à 10. Dix représente un État sans corruption. En 2008, cet indice était monté à 3,9. Pour quelles raisons ? Après la révolution des Roses, la corruption de base a diminué de façon drastique grâce
© Jean-Louis Dell’oro/ESJ
N INA K HATISKATSI , SPÉCIALISTE DE LA CORRUPTION À T RANSPARENCY I NTERNATIONAL , DRESSE UN ÉTAT
aux réformes engagées dans les services publics. Des milliers de fonctionnaires ont été licenciés. Plusieurs centaines de personnes ont payé des millions de dollars d’amende. Beaucoup sont également allés en prison. La médiatisation à la télévision des personnes accusées de corruption a donné le sentiment aux gens que s’ils faisaient quelque chose de mal, ils seraient punis.
Quels sont les domaines particulièrement touchés aujourd’hui ? Les plaintes mettent en lumière les privatisations douteuses, les procédures d’attribution des marchés et les aménagements de peine. Le système judiciaire est considéré comme l’une des institutions les moins transparentes et les moins démocratiques. Quelques années avant, c’était la police et l’éducation ■
Les nouvelles règles du jeu
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Sous Chevardnadze, pas de sortie dans Tbilissi sans distribuer quelques laris aux policiers postés à chaque coin de rue. En 2004, ils sont 18 000 à être licenciés en une nuit. Depuis, les effectifs de la police sont en chute libre. Les rares survivants voient en revanche leur salaire multiplié par dix. En parallèle, l’argent des contraventions n’est plus géré par les policiers mais par Bank Republic qui récolte l’argent dès le retour des patrouilles au commissariat.
Les attributions des différentes administrations ont été clairement définies et des guichets communs ont été créés. Plus question de devoir payer dix services différents pour créer une entreprise. Pour les papiers officiels, les prix et les délais dépendaient du bon vouloir du guichetier. Pour obtenir un passeport, ces paramètres sont désormais fixés selon des règles strictes.
Avant 2004, il était courant de glisser un billet pour avoir son diplôme. Une réforme de 2005 a instauré l’anonymat des copies et un nouvel examen national d’entrée à l’université. Les épreuves ont lieu dans des centres d’examen placés sous vidéosurveillance. Un logiciel calcule même les résultats des élèves et gère leur accession ou non à un établissement en fonction de leurs vœux. Les élèves ont droit à sept vœux pour le choix de leur établissement.
La corruption permettait d’accélérer les vérifications sur les marchandises. Aux postes douaniers de Tbilissi, les relations directes entre importateurs et douaniers ont été réduites au strict minimum. À la frontière turque, la Géorgie s’aligne sur les standards de l’OMC [Organisation mondiale du commerce]. Un poste-frontière a été inauguré en mars 2009. Les douaniers géorgiens et turcs y travaillent conjointement. Des amendes et des peines de prison très sévères sont désormais encourues en cas de fraude.
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y en a plus, y en a encore ! L’ EFFORT DU GOUVERNEMENT POUR COMBATTRE LA CORRUPTION N ’A PAS FAIT SES PREUVES PARTOUT. ’est impossible qu’il y ait de la corruption à haut niveau. Si vous prenez de l’argent vous-même, vous ne pouvez pas arrêter les gens sous vos ordres qui font la même chose ». Chota Outiachvili, directeur de l’information au ministère de l’Intérieur, est formel. Pourtant, les accusations se multiplient au fil des ralliements à l’opposition d’anciens membres du gouvernement. Irakli Okrouachvili en est l’incarnation. Ministre de la Défense jusqu’en 2006, il passe à l’opposition en septembre 2007. Peu après, il est arrêté pour plusieurs affaires de corruption. Il vit aujourd’hui en exil en France. Plus récemment, Zourab Noghaideli, un ancien Premier ministre, a accusé le gouvernement de détourner des fonds militaires pour contrôler Imedi, l’une des trois grandes chaînes de télévision du pays.
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Offre désavantageuse Avec la libéralisation et l’afflux d’argent lié au développement économique, la corruption à haut niveau se serait développée en Géorgie depuis 2004. « Elle concernerait un cercle restreint de personnalités plus ou moins proches du pouvoir », selon Nina
Khatiskatsi de Transparency International. Moins visible que le policier dans la rue qui réclame un billet, elle est aussi plus difficile à prouver. Un document de la Commission des communautés européennes d’avril dernier précise que le manque de transparence « paraît aller à l’encontre de l’engagement du gouvernement à combattre la corruption dans le secteur public ». Les processus d’attribution des marchés sont pointés du doigt. Tamar Chougochvili, une avocate géorgienne spécialiste de la corruption a lancé, en avril 2009, une procédure judiciaire à l’encontre de Zimo, une société de travaux publics. En 2006, un appel d’offres avait été lancé pour la construction de la route Tbilissi–Senaki–Leselidze. Zimo avait remporté le marché avec une offre nettement moins avantageuse pour l’Etat que celle de sa concurrente, D and G Technology. « La même année, Zimo aurait versé 400 000 laris au parti politique de Mikheïl Saakachvili », explique Tamar Chougochvili.
Chantiers opaques Le prochain scandale pourrait toucher la construction des
Illustration Emmanuelle Bonneau/ESJ.
Bakchich en haute sphère
6 000 maisons de réfugiés géorgiens, bâties après la guerre d’août dernier. Un chantier financé par l’État, lui-même alimenté par l’aide internationale. Le ministère de l’Intérieur évoque, sans vouloir donner davantage de détails, « des dizaines de petites entreprises » qui se sont partagé le marché. Transparency International a demandé une liste de ces entreprises impliquées. « Cinquante jours plus tard nous n’avons tou-
jours rien reçu » ironise Till Bruckner, un analyste de l’ONG. En Géorgie, la loi sur le droit à l’information impose pourtant au gouvernement de transmettre ces données sous dix jours. La corruption politico–financière n’est certes pas l’apanage de la Géorgie. « Bien sûr, il y a de la corruption dans tous les pays. Mais tout est une question d’échelle », rappelle Till Bruckner ■
Pas de pitié pour les corrompus Un commando de police défonce une porte d’appartement, en sort un homme ensommeillé et le menotte, à terre, en slip. Le tout retransmis en direct sur les chaînes de télévision nationales. Un criminel de guerre ? Non. Un fonctionnaire corrompu. Le péché suprême en Géorgie depuis 2004. L’article 338 du code pénal prévoit de un à vingt ans de prison ferme pour délit de bakchich. Une intransigeance nécessaire selon le ministère de l’In-
térieur. « Nous nous devons de montrer l’exemple », explique Chota Outiachvili, le bras droit du ministre. Quitte à flirter avec l’arbitraire. En 2008, le journaliste Nino Zouriachvili a diffusé dans les cinémas géorgiens Coupable idéal, un documentaire d’investigation. Le film prouvait qu’un policier dont les poches débordaient de billets de banque avait été accusé à tort. Ce dernier est toujours incarcéré.
En Géorgie, la loi sur la présomption d’innocence existe mais le ministère de l’Intérieur souhaite faire venir la télévision lors des interpellations pour corruption. Sur ces images de la chaîne nationale Rustavi 2, Bondo Shalikiani, candidat au siège de deputé en 2004, est arrêté au saut du lit.
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ÉCONOMIE Pas moins de quatre hôtels sont en construction dans le village.
En rénovant Sighnaghi, l’État prétendait avant tout attirer les touristes nationaux. Le but était de développer le sens du voyage chez les Géorgiens tout en sensibilisant la population locale au respect du patrimoine. Tout a été refait de sorte que l’estivant ne puisse rater ses photos.
“Disneyland” raté
le
village-vitrine
S OUCIEUX DE STIMULER LE TOURISME NATIONAL ET DE DYNAMISER LA K AKHÉTIE , LE GOUVERNEMENT A ENTREPRIS EN 2007 DE RÉNOVER LE VILLAGE DE S IGHNAGHI . R ÉSULTAT EN DEMI -TEINTE .
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aisonnettes grises, vieilles femmes vendant au bord de la route la tchourtchkhela, une sucrerie locale à base de noix, et pieds de vigne. Après une heure de route depuis Tbilissi, on pense avoir saisi l’essence de cette région rurale. Illusion : passé un col, au détour d’un virage, Sighnaghi (prononcer Sirnari) apparaît à flanc de montagne. Et le contraste saisit
© Sophie Guesné/ESJ
Sighnaghi, le voyageur. Le village de carte postale a des airs de bourg méditerranéen, avec ses toitures rouges et ses balcons pastels. « Sighnaghi, c’est la vraie Kakhétie, l’âme de la région », lance un habitant. Les villageois rencontrés au gré des ruelles apprécient la rénovation amorcée en 2007. « Nous aimons beaucoup. Maintenant, nous attendons les touristes », confie un quinquagénaire qui espère balader les visiteurs étrangers à bord de son autocar.
Le village a ainsi été transformé en musée vivant à l’atmosphère artificielle. L’élite géorgienne a rebaptisé Sighnaghi “Disneyland”. Les ruelles aux pavés immaculés, les peintures impeccables, les petits cafés à l’européenne, les banques : la bourgade du XVIIIe siècle semble être sortie du néant voilà deux ans. Les autorités n’ont pas lésiné sur les moyens, au risque d’en faire trop. À la clé, un côté factice, voire “chic et toc”, flagrant dès le seuil des maisons franchi. L’envers du décor est moins flatteur. Les dorures égayent les seules façades visibles depuis la rue. Çà et là, des palissades font office de cache-misère. Car les cours intérieures ont gardé leur aspect d’antan : fours à pain traditionnels, caves à vin et poulaillers. Une ambiance réservée au passager qui loge chez l’habitant plutôt que dans l’un des dix hôtels du village-vitrine, où la chambre coûte huit fois plus cher (60 euros minimum la nuit). D’autres sont en chantier, et le prix du mètre carré flirte avec les 400 euros. Désormais, ce sont surtout les étrangers, Britanniques et Américains essentiellement, qui achètent ici. Sighnaghi a perdu en authenticité ce qu’elle a gagné en attractivité ■
L A VILLE DE T BILISSI RÉNOVE K ALAUBANI , UN QUARTIER HISTORIQUE AU CŒUR DE LA VIEILLE VILLE . L’ ENJEU ?
ar ce chantier nous construisons la nouvelle Géorgie », déclarait en février le président Saakachvili, lors du lancement des travaux de rénovation de Kalaubani, quartier ancestral au cœur du vieux Tbilissi. Ambition affichée : faire de cette enclave un îlot touristique où les étrangers viennent admirer les façades des grandes demeures du XIXe siècle. Sergo Kavtaradze, le directeur du fonds de développement et de réhabilitation de la vieille ville, le reconnait : « Les touristes aiment les vieilles pierres,
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alors nous les restaurons. » Le chantier, financé par la municipalité à hauteur de 6 millions de laris (2,7 millions d’euros), prévoit le toilettage des façades et des sous-sols de trente-cinq immeubles. « On aurait aimé qu’ils rénovent aussi l’intérieur des maisons, confie Tengiz Lataria, un retraité de 68 ans. Mais un afflux de visiteurs peut accroître nos revenus. » Micha a d’ailleurs promis des réductions d’impôts à ceux qui ouvriraient des chambres d’hôtes ou des cafés. Reste maintenant à les garnir…■
Le lifting de
© Sophie Guesné/ESJ
FAIRE DE LA CAPITALE GÉORGIENNE UNE CITÉ DONT LE PATRIMOINE HISTORIQUE SÉDUIT LES TOURISTES .
Kalaubani
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©Julie Jammot/ESJ
Bazars bazardés
Les marchands expulsés ont investi les ruelles, à deux pas du centre commercial.
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L’accès en a subitement été a place du Kolkhoze ne se livre pas au premier interdit aux vendeurs et aux venu : il faut l’explorer. clients. Ce commerçant de 55 ans Huit étages de ciment à a réussi à obtenir un eml’abandon, ouverts à tous placement, un privilège au reles vents, cachent de gard des nombreux marchands prime abord un centre qui n’ont pu trouver un nouvel commercial aux dimen- emploi, un pis-aller en pratique. sions modestes. Le Georgian Tra- « Avant, on gagnait jusqu’à 20 laris de Center (GTC) abrite un super- par jour. Ici je m’en fais 7 à 10, pas marché Populi en sous-sol et de plus. » Les étals sont petits. Leur lumineux magasins sur les deux marchandise remplirait tout juste deux ou trois étages supérieurs. Il y a deux ans à peine « Avant, tout Tbilissi rayons du flamboyant savait où nous supermarché. Les trônait ici l’un des plus fameux bazars trouver. Maintenant, il épices se vendent au de Tbilissi, grand n’y a plus personne. » verre et on pèse les noix sur des balances marché couvert, temple des marchands de pri- manuelles, à l’ancienne. Mais les meurs, de fromage à khatchapou- clients ne s’y trompent pas. ri (beignet fourré) et de tchourtch- Beaucoup viennent en ces lieux khélas (guirlandes de noix guidés par la nostalgie, sinon le enrobées d’un coulis de raisin sé- dépit, en souvenir de la belle ché). Lesquels sont désormais époque où la profusion régnait dispersés dans les ruelles alen- dans l’immense bazar. tour, ou entassés dans des sou« Juste assez pour vivre » terrains, domaine des camelots. Madonna tient un petit étal de « C’est la faute à Saakachvili si le fromages près de la sortie, là où marché ressemble à cela maintelumière du jour et lumière artifi- nant », s’emporte Alana, anciencielle se croisent. Dix ans dans le ne vendeuse désormais cliente. bazar et puis s’en va. « C’était une D’autres avouent avoir tourné la institution dans la vie des gens, une page. « Je préfère aller au Populi. part de l’identité de la ville », se C’est plus civilisé et l’hygiène est souvient-elle. « Un jour, on nous meilleure », avoue Louise, poura annoncé que le marché allait tant venue acheter des dattes, infermer », raconte attristé Nadar trouvables au “super“. Mindorachvili, qui propose des La réhabilitation du quartier et légumes et des marinades. le rachat par un homme d’affaires
Nadar Mindorachvili travaille dans un souterrain depuis la fermeture du bazar.
de l’immense bâtisse de béton ont aussi touché les vendeurs de textiles et autres petits artisans. Joujouna Chaverdachvili, 80 ans, loue aujourd’hui, avec dix autres couturières, un minuscule deuxpièces aux portes du GTC. Son visage, strié de rides, ne s’est pas figé. Elle a pourtant été chassée
©Julie Jammot/ESJ
D ANS CERTAINS QUARTIERS , LES CENTRES COMMERCIAUX SUPPLANTENT LES BAZARS TRADITIONNELS . P OUR LES PETITS COMMERÇANTS , LA MODERNITÉ EST HORS DE PRIX .
après trente-huit ans à travailler dans les ateliers. « L’image du quartier a changé. Avant, tout Tbilissi savait où nous trouver. Maintenant, il n’y a plus personne. » Ce cuisant revers de fortune n’altère en rien sa philosophie : « J’ai tout juste assez pour vivre. C’est mieux que de nerien avoir » ■
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ÉCONOMIE
Poti hisse la voile P ORTAIL STRATÉGIQUE DE LA G ÉORGIE , LE PORT DE P OTI APPARTIENT AUJOURD ’ HUI À UN FONDS D ’ INVESTISSEMENT ÉMIRATI . U N SYMBOLE DE LA VOLONTÉ DU PAYS D ’ATTIRER LES INVESTISSEURS .
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1993 à développer cette route commerciale, alternative à l’option russe.
90 millions de dollars En avril 2008, le président Mikheïl Saakachvili est venu en personne lancer le projet pour Poti. Son gouvernement a alors cédé 51 % du port à Rak Investment Authority, un fonds d’investissement venu des Émirats arabes unis, pour 90 millions de dollars. Dans la foulée, Micha a inauguré une zone franche, la première du genre dans le Caucase. Son ambition ? Séduire les entreprises par une politique fiscale attractive. Les biens importés peuvent être reçus, stockés et transformés sans taxe. Et la totalité des profits, rapatriée dans le pays d’origine des entreprises. Ni quotas, ni barrières douanières. Et donc pas de recettes fiscales directes pour l’État. Lequel achève son désengagement dès décembre 2008, cédant le solde du capital (49 %) pour 65 millions de dollars. En clair, Rak détient désormais le port à 100 %. Gestionnaire des
30 hectares, il doit les rénover. Mais surtout bâtir un nouveau complexe portuaire trois fois plus vaste, dont il possédera le terrain et les infrastructures. Le but : at-
teindre les 10 millions de tonnes de marchandises par an. Méthode saine ou pas ? « Pour nous, c’est le management le plus efficace, affirme Édouard ©Michaël Szadkowski/ESJ
oti a un grand avenir devant elle : ce sera l’une des villes les plus riches du monde. » Niko Nikoladze, maire de ce petit port à l’orée du XXe siècle, caressait de flamboyants espoirs. Point d’entrée des marchandises dans le pays, la bourgade est aujourd’hui le port géorgien le plus important de la mer Noire. Mais il reste d’une taille modeste : avec 8 millions de tonnes par an, son activité est comparable à celle de Bordeaux. Poti occupe une position stratégique, au carrefour de l’Europe et de l’Asie, sur l’ancienne route de la Soie. Sur la rive opposée de la mer Noire, la Bulgarie et la Roumanie, admises en 2004 au sein de l’Union européenne, lui font miroiter un marché de 500 millions de consommateurs. À l’est, c’est l’Asie centrale et le marché chinois qui lui lancent des œillades. Le programme intergouvernemental TRACECA [Transport Corridor Europe-Caucasus-Asia] vise depuis
La construction d’un nouveau port devrait créer 20 000 emplois. Une promesse que beaucoup jugent irréalisable.
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Ioura Chikhladze se souvient du bombardement d’août dernier.
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DES TRAVAUX ET DES BAS
Les Russes vus du port
Situé sur une route commerciale stratégique entre Europe et Asie, le port de Poti a vu naître la première zone franche du Caucase.
privées qui faisaient pression pour l’acquérir », accuse Irakli Kakoulia, responsable de la section locale de l’Alliance pour la Géorgie, l’un des partis de l’opposition. Il milite aujourd’hui pour que le gouvernement local soit dédommagé et récolte une partie de la manne. Les investisseurs émiratis se sont engagés à verser 200 millions de dollars (environ 150 millions d’euros) dans les quatre prochaines années pour l’ensemble Machavariani, directeur comdu site. mercial du port. Ce n’est pas comAu moment de la signature, la me en France ou en Europe, où les presse misait sur 20 000 emports sont gérés par des partenabauches. Total rériats public-privé. » 15 000 emplois, visé depuis à la Avis partagé à l’évid o n t 1 0 0 0 0 i n d i r e c t s . baisse : il est audence par le gouverjourd’hui question de 15 000 nement géorgien. Car le projet emplois créés, dont 10 000 indifait écho au libéralisme cher à rects. Des chiffres qui semblent Mikheïl Saakachvili. Libéralisme encore démesurés pour une vilteinté de pragmatisme : l’État développera routes et voies ferrées en fonction de l’activité du port.
le de 48 000 âmes. « Saakachvili souhaite à tout prix attirer les investisseurs, mais devrait d’abord assurer une stabilité dans le pays », avertit David Gamkrelidze, candidat malheureux à la présidentielle et membre de l’Alliance. Pour l’instant, la zone franche peine à attirer les capitaux : seule une dizaine d’entreprises, sur les 300 espérées, se sont installées à Poti. Avec en corollaire un autre risque : que la cité portuaire devienne un simple lieu de passage sans qu’émerge localement la moindre activité industrielle. Certes, Poti hisse la grand-voile. Mais le vent soufflera-t-il ? La guerre d’août 2008 et la crise économique mondiale ont freiné les ardeurs des investisseurs. Comment les ramener à bon port ? ■
Calme plat
Poti, une histoire mythique et cochonne
L’opposition accuse volontiers Saakachvili de « brader le pays ». Dans le cas de Poti, il existe toutefois une clause protectrice : Rak ne peut réorganiser fondamentalement ou liquider le port sans l’aval de l’État. Comme dans beaucoup d’anciens pays communistes, les critiques portent moins sur les privatisations ellesmêmes que sur l’absence de débat ou sur les modalités de l’accord. « L’État a dépossédé le gouvernement local de sa terre pour la revendre aux compagnies
« Nous aimerions nous rendre à Poti. » « Quelle drôle d’idée !? Il n’y a rien à voir là-bas ! » La réaction spontanée de nombreux Géorgiens illustre le formidable mépris que leur inspire la cité portuaire. À ses côtes polluées et ses plages grossières, les estivants préfèrent la radieuse station balnéaire de Batoumi, à une centaine de kilomètres plus au sud. Injuste inversion : les livres d’Histoire consacrent plus de pages à Poti qu’à n’importe quel autre Deauville géorgien. Certes, seule la mythologie grecque exalte le passé légendaire de la ville. Jason et ses cinquante Argonautes y débarquèrent pour se lancer sur les traces de la Toison d’or, symbole du pouvoir usurpé par Pélias, l’oncle du héros. L’aventure de Jason en Colchide [nom hellénique de la Géorgie occidentale] commence à Poti, à
Sept heures du matin sur les quais de Poti. Ioura Chikhladze part en mer. Il n’a pas oublié les bombardements russes de l’été dernier : « C’était la panique dans la ville », se souvient-il. Le 8 août, en pleine nuit, des explosions réveillent la cité endormie. Moscou visait le principal port du pays, site stratégique essentiel. En quelques heures, les bateaux des garde-côtes géorgiens sont coulés. Le port de pêche, situé à quelques centaines de mètres est épargné. Le bateau de Ioura reste intact. Les dockers, eux, étaient en première ligne. Au moment de l’attaque, à minuit, ils étaient en poste à proximité de la zone militaire, bombardée par les Russes. En quelques secondes, ils sont cernés par les explosions. « Nous nous nous sommes tous réfugiés sous les tables », raconte Zaza Koridze, ouvrier sur le port. Ils pointent du doigt les impacts qui criblent leur local et n’ont qu’une crainte : le retour des Russes ■
l’embouchure du fleuve Rioni, qu’il remonta pour aller décrocher la fabuleuse Toison du roi Eétès. Alexandre Dumas ne ramena pas de si glorieux souvenirs, mais ajouta un zeste de notoriété à la morne cité, dépeinte dans son Voyage dans le Caucase. L’auteur des Trois Mousquetaires resta bloqué plusieurs jours à Poti, après avoir manqué sa correspondance en bateau. Sa description de la ville, en 1858, est engageante : « Des cochons grouillaient de tous les côtés dans cette mare immense », note-il, avant d’asséner que « Poti est le paradis terrestre des cochons. » Un hommage qui fait la fierté des autochtones, peu rancuniers. La municipalité a même érigé en 2003 une statue à l’effigie de l’écrivain. Sa formule d’adieu : « À Poti, les distractions sont rares », reste célèbre dans toute la Géorgie ■
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ENVIRONNEMENT
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La carotte financière
Sur le littoral de la mer Noire à Poti .
L A G ÉORGIE EST UNE JEUNE DÉMOCRATIE QUI A TOUT À CONSTRUIRE . L ES EFFORTS DES ASSOCIATIONS ÉCOLOGISTES COMMENCENT TOUTEFOIS À PAYER . L’ IDÉE DÉFENDUE PAR CES ONG : PRÉSERVER L ’ ENVIRONNEMENT PEUT RAPPORTER GROS .
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qu’on ne trouve nulle part ailleurs en Europe », souligne Tamaz Gamkrelidze du WWF, l’association pionnière du combat écologique. Et les efforts ont payé. Les autorisations de déboisement, prérogative transférée au ministère de l’Économie en 2008, sont désormais accordées au compte-gouttes. « Le gouvernement pourrait gagner plus d’argent en préservant les forêts pour le tourisme qu’en les exploitant », plaide Rezo Getiachvili. Mais les effets de cette politique ne seront visibles qu’à long terme.
Mer noire de déchets Sur le littoral de la mer Noire, le voyageur est frappé par le spectacle des déchets Rezo Getiachvili échoués sur le rivage. En plus de la négligence ordinaire, le pays est victime d’un vilain coup du sort. Les murs d’une déchetterie installée sur les bords du fleuve Choroki ont été détruits à l’époque soviétique. Depuis, les immondices finissent leur course dans les eaux du fleuve qui se jette dans la mer. « Le courant se charge alors de les rame-
ner sur les côtes », explique Rezo Getiachvili. En 2007, une évaluation a été réalisée. « C’était un bon document mais les travaux suggérés ont été retardés pour des raisons budgétaires », observe Irina Lomachvili, spécialiste de la biodiversité et du développement durable au ministère de l’Environnement. Autre conflit entre économie et environnement : la construction d’un terminal pétrolier à l’intérieur du parc naturel de Kolkheti, près de Poti. Lieu de repos de plusieurs espèces d’oiseaux migrateurs, ce territoire est protégé. La Banque mondiale, l’un des financeurs du parc, a réagi. Non pas en exigeant l’arrêt du chantier, mais en proposant des mesures susceptibles de limiter les dégâts environnementaux. « Ce projet était problématique sur le plan environnemental, mais il a été jugé crucial pour l’économie géorgienne », explique Irina Lomachvili. Une zone protégée alternative a été choisie pour les oiseaux migrateurs. ■ © Haude-Marie Thomas/ESJ
es désastres naturels coûtent chaque année près de 100 millions de dollars (75 millions d’euros) à la Géorgie », assure Rezo Getiachvili, militant écologiste au sein d’une association caucasienne. Loin des impératifs environnementaux, les autorités parent au plus pressé : construire une économie robuste et pacifier l’arène politique. « Mais si on accordait un peu plus de temps et d’argent à prévenir les catastrophes écologiques, on éviterait d’en payer les conséquences », insiste Rezo. Un exemple ? Ne pas fragiliser les sols en déboisant des zones sujettes aux glissements de terrain. Le gouvernement a entendu l’argument financier. La prévention des accidents naturels arrive cette année en tête des priorités budgétaires du ministère de l’Environnement. Lequel chapeaute depuis quelques mois une nouvelle agence de prévention. Par tradition, la Géorgie doit à son patrimoine naturel une grande partie de sa richesse. Grenier à blé de l’Union soviétique, le pays mise désormais sur le tourisme. Les associations écologistes l’ont bien compris et essaient d’en tirer profit. « La forêt est une richesse de notre pays. On y trouve des arbres
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DES TRAVAUX ET DES BAS
Borjomi retient son second souffle P REMIER PARC NATIONAL DU C AUCASE , B ORJOMI -K HARAGAOULI OCCUPE 1 % DU TERRITOIRE GÉORGIEN . E N AOÛT 2008, DES ZONES PROTÉGÉES RICHES EN RESSOURCES NATURELLES ONT ÉTÉ DÉTRUITES PAR LES FLAMMES . L A R USSIE EST MONTRÉE DU DOIGT.
Pour la population locale, l’impression de retourner à la case départ est déprimante. Les sources d’eau et réserves naturelles faisaient de cet endroit l’un des plus touristiques du pays. À présent, les visiteurs se font rares. « Lorsqu’on a ouvert nos portes en 2003, on comptait 10 000 visites par an. Seuls 2 000 touristes ont été recensés en 2008 », se désole Levan Tabounidze, qui attend désormais la visite de tour opérateurs afin de relancer l’activité. La rénovation d’une partie du parc et sa préservation sont nécessaires, mais Levan Tabounidze ne craint pas l’affluence de visiteurs qui risquent de polluer la réserve. « Si les gens sont de plus en plus nombreux, on se débrouillera pour qu’ils ne se retrouvent pas au même endroit simultanément. On est pour l’écotourisme. C’est un bon moyen de préserver la nature. » Cette année, les retombées économiques sont primordiales. Le parc est en sursis, financé par le ministère de l’Environnement géorgien et par l’Allemagne à hauteur 200 000 euros par an. Personne ne sait ce qui se passera lorsque l’aide allemande arrivera à échéance en juin. De nouveaux fonds, voilà ce que Borjomi-Kharagaouli attend aujourd’hui ■
© WWF Caucase
Les flammes ont ravagé plus de 250 hectares de forêt .
L’eau minérale gazeuse de Borjomi, aux vertus curatives, est la boisson emblématique de la Géorgie. À première vue, le sentier qui mène à la source n’a rien de rassurant. Un pont qui semble tenir par sa simple volonté, un petit chemin de terre à flanc de montagne, une barrière de sécurité effondrée et, au loin, une cabane en fer rouillé, au-dessus de la rivière déchaînée. Pourtant, ils sont nombreux à venir jusqu’ici, munis de bouteilles en plastique. Un peu partout, des vendeurs ambulants proposent des bidons de 5 litres. Car la cabane abrite le trésor de Borjomi : un tuyau dispensant gracieusement de l’eau minérale gazeuse, en provenance directe des entrailles du village. Dans le parc de la ville, des fontaines font couler une eau chaude, légèrement gazeuse que chacun s’empresse de goûter. Car l’eau de Borjomi, fortement minéralisée, est connue dans toute l’ex-URSS pour ses vertus curatives. Mise en bouteille à partir du XIXe siècle, elle fut la boisson des tsars. Aujourd’hui, on la retrouve sur toutes les tables de l’ancien espace soviétique. Et gratuitement, pour qui ose franchir le pont.
À Borjomi, la source est accessible. gratuitement.
© Sophie Guesné/ESJ
8 000 visites de moins depuis la guerre
Sources miraculeuses
© Sophie Guesné/ESJ
odeur de soufre s’est évaporée dans les montagnes du petit Caucase mais elle se répand toujours dans les esprits. À une centaine de kilomètres à l’ouest de Tbilissi, plusieurs hectares du parc Borjomi-Kharagaouli tentent de renaître de leurs cendres. L’été dernier, six incendies ont ravagé la région. Selon les habitants, trois d’entre eux se seraient déclarés simultanément dans le parc, dévastant des espaces protégés où foisonnaient de nombreuses espèces rares. Des témoins de la scène auraient aperçu des hélicoptères juste avant que les flammes se manifestent. Les Russes ? « À ce moment précis, la guerre venait d’éclater. Qui d’autre survolait la Géorgie ? Personne », accuse Levan Tabounidze, l’un des responsables du parc.
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CLICHY DU PATE
La 84e promotion de l’ESJ Lille 5e rang : Marc Daniel, Sophie Guesné, Roxane Pour Sadjadi, Tâm Melacca-Nguyen, Pinar Ersoy, Emmanuelle Bonneau, Marianne Rigaux, Anaëlle Grondin, Chi Zhang, Kim Gjerstad, 4e rang : Jean Louis Dell’Oro, Sophie Delpont, Pierre-Philippe Berson, Aurélien Accart, Yann Bouchez, Clara Tomasini, Fabien Lapierre, Juliette Montesse, Haude-Marie Thomas, Pauline Houédé, Julie Koch, Sébastien Borgeaud, Jean-Baptiste Renaud, 3e rang : Sébastien Dumoulin, Thomas Lelong, Nicolas Gauduin, Laura Sprung, Michaël Szadkowski, Aurylia Rotolo, Thibaud Marchand, Pia De Quatrebarbes, Rudy Flochin, Anne Andlauer, Anne-Claire Genthialon, Mathilde Fassin, Isabelle Raynaud, Feriel Oumsalem, 2e rang : Chloé Woitier, Marine Pradel, Safar Baroud, Ariane Nicolas, Julie Jammot, Solange Brousse, Estelle Péard, Émilie Legendre, Sophie Mihailov, 1er rang : Malika Groga-Bada, Noémie Coppin, Flora Beillouin, Noémie Destelle, Léa Zilber. Absents sur la photo : Jacques Matand Diyambi, Olivier Monnier, Navina Kaden, Cédric Kalonji Mfunyi, Benjamin Smadja.
Didi madloba (un grand merci...)
L’équipe du mag
À tous les étudiants du département journalisme du Georgian institute of public affairs (Gipa), et sa directrice Maia Mikachavidze À Pierre Savary, Jérémie Gandin, Corinne Vanmerris et Yves Renard, qui ont inspiré ce voyage et permis sa réalisation. À Vincent Hugeux, grand reporter à l’Express et poète devant l’éternel, Régis Genté, l’autre Renard du Caucase, correspondant à Tbilissi et à Olivier Michel de France 3 Lyon, épris de Géorgie, pour leur temps, leurs précieux conseils et leur connaissance du terrain. À Yves Sécher, baroudeur chef et maître ès PAO, spécialité karaoké, et son acolyte José Rei. À Damien Leloup, webmaster littéralement “maître du web”. À l’Agence France-Presse et à Magnum pour leurs photos. À Hortense Harang, pour son carnet d’adresses. À Irma Inaridze, fondatrice de Women’s initiatives supporting groups, guide passionnante et passionnée. À la CGTT et son personnel. À l’hôtel Sakartvelo. À Georgian Airways. Aux membres du French Business Council. À la Bank Republic. À l’ambassade de France en Géorgie À l’ambassade de Géorgie en France. À Maka Lolomadze et Lili Sakhltkhutsichvili, qui ont décodé pour nous les subtilités de la langue de Roustavéli. À Jérôme Delavenne et Sandrine Lucas, pour leurs dossiers documentaires aussi denses et complets que les khatchapouris, beignets au fromage géorgiens. À Renaud Bouchez, pour son œil exercé de photographe. À David Bolgachvili, Nicolas Delacoste, Raphaël Glucksmann, Emmanuel Guillemain, Mamouka Koudava, Manon Loizeau, Agnès Montanari et Silvia Serrano qui, chacun dans son domaine, nous ont permis d’appréhender sans préjugés un pays si lointain. Et bien sûr à Joe Dassin, parolier universel et indispensable compagnon de route.
Rédacteurs en chef : Anne Andlauer, Marine Pradel, Jean-Baptiste Renaud Rédacteurs en chef techniques : Solange Brousse, Jacques Matand, Haude-Marie Thomas, Clara Tomasini, Chi Zhang Iconos : Sophie Guesné, Ariane Nicolas, Laura Sprung Infographistes : Aurélien Accart, Estelle Péard, Michaël Szadkowski Illustratrices : Flora Beillouin, Emmanuelle Bonneau Éditeurs en chef : Emmanuelle Bonneau, Sébastien Borgeaud, Pia de Quatrebarbes, Anne-Claire Genthialon, Olivier Monnier Correcteurs : Yann Bouchez, Rudy Flochin, Fabien Lapierre, Émilie Legendre, Isabelle Raynaud, Léa Zilber, Nicolas Gauduin.
Bazars bazardés Sourires en blocs à Roustavi
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Dépôt légal : juin 2009 Directeur de la publication : Daniel Deloit ESJ Lille, 50 rue Gauthier de Châtillon 59046 Lille CEDEX 03 20 30 44 00 - www.esj-lille.fr Imprimerie Artésienne (62)
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Voyage en Kakhétie,
David Bolgachvili
terre promise
International de rugby
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