La Voix Sur Le Chemin

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  • Words: 48,034
  • Pages: 237
Pierre Halmape

hemin La Voix sur le Chemin

Essai

La Voix sur le Chemin ________________________________

Aux voies silencieuses

________________________________ Précédents ouvrages de P.H. en auto-édition : « Le Chemin, c’est le Chemin », 364 pages, 2001 « Cheminements », 236 pages, 2006

_________________________________ ISBN 978-29527643-1-5

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[email protected]

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Introduction Mars 2009 La voix sur le Chemin est le troisième ouvrage rassemblant, au cours du temps qui avance, des écrits sur mes thèmes de réflexion. Le Chemin, c’est le Chemin a été édité en 2001 et Cheminements en 2006. Comme on le voit, le thème du Chemin est récurrent, autant au sens propre qu’au sens figuré. J’ai pas mal marché sur les sentiers du monde. La randonnée pédestre est une métaphore du cheminement intérieur, tantôt avec un guide, tantôt sans. Pour revenir des pérégrinations et pouvoir repartir, il faut toujours trouver un juste compromis entre les sentiers battus et les terrae incognitae. De formation scientifique et technique (il y a des décennies de cela), je m’aventure à travers ces écrits audelà des frontières des disciplines et des modes de pensée académiques, sans toutefois les renier. J’ai bien conscience que tous les sujets de réflexions, que chacun peut aborder, ont déjà été approfondis un jour ou l’autre dans quelque écrit par des spécialistes qui pourraient les réfuter. La masse des savoirs, que nous révèle la fréquentation des bibliothèques, des librairies ou d’Internet, pourrait nous inciter à renoncer à toute 3

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nouvelle recherche personnelle. On ne peut pas tout connaître de tout, mais c’est un devoir moral que d’essayer, avec ses moyens, de participer à l’intelligence du monde. Il faut sûrement trouver des compromis entre l’hyperspécialiste qui sait tout de rien et l’hypergénéraliste qui ne sait rien de tout. N’ayant pas d’enjeu de carrière scientifique ou littéraire voire de notoriété, je m’autorise à conduire mes réflexions de nature scientifique et philosophique aussi librement que possible. Je limite ainsi les carcans intellectuels, le jargon ou le name dropping, qui sont souvent des passages obligés pour ceux qui ont des comptes à rendre aux institutions qui les nourrissent. Mes réflexions sont formulées sur le mode conditionnel, ce qui les prive de l’éclat des certitudes. Elles sont semées à tout vent. Peut-être alimenterontelles les pensées d’autres personnes. Les chapitres sont en principe auto-portants. Certaines répétitions peuvent apparaître. Si ces réflexions ont trouvé un écho auprès de vous, je serais heureux que vous m’en fassiez part : [email protected]

La version papier du livre (noir et blanc) coûte 10 Euros + transport. 4

Sérendipidité 04 10 2006

Sérendipidité, un mot qui fait fourcher la langue, désigne « le processus cognitif qui amène à trouver quelque chose par chance ou par hasard alors qu’on ne le cherchait pas ». L’encyclopédie Wikipédia ou les moteurs de recherche d’Internet permettent de trouver plus d’explications de ce concept. Les cas historiques de découvertes par hasard, donc sérendipiditiques, sont multiples : principe d’Archimède, hélice de bateau, Aspartam, fullerènes, imprimante à jet d’encre, four micro-onde, nylon, pénicilline, post-it, simulateur cardiaque, téflon, viagra, velcro, etc. C’est à se demander si toutes les avancées techniques de l’homme ne sont pas le fruit du hasard. Hasard, orienté, mais hasard tout de même. A moins qu’il n’existe, comme je le suppose, des processus de raisonnements inconscients qui guident vers les solutions. A mon sens, on peut distinguer trois types de découvertes sérendipiditiques : 1) Les personnes qui sont à l’origine des découvertes mentionnées ci-dessus ne sont pas entièrement étrangères à l’objet de leur découverte, sans quoi leur rencontre fortuite avec la situation déclenchant la découverte serait sans suite. C’est parce qu’au fond d’elles-mêmes était tapis une question plus ou moins lancinante que soudain, à l’occasion d’une

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rencontre fortuite avec un objet, se sont mis en place les morceaux du puzzle de la solution. 2) La découverte par hasard peut aussi s’effectuer dans le domaine purement intellectuel lors d’une rencontre avec une situation qui n’a qu’un rapport symbolique avec la question lancinante. C’est le cas de la légende d’Archimède dans sa baignoire, qui y aurait trouvé la procédure pour vérifier la pureté du métal constituant la couronne du roi. Chaque personne a probablement fait l’expérience de la soudaine solution d’un tel problème lancinant apparaissant comme par enchantement. Tout se passe comme si le cerveau était capable de poursuivre des raisonnements de manière inconsciente dans une zone cachée. On met souvent sur le compte de l’intuition ce qui est le résultat d’un raisonnement inconscient qui travaille à partir de nombreuses informations que la conscience n’a pas nécessairement perçues. Certaines personnes mettent sur le compte de la télépathie le fait de penser en même temps, au même endroit, à la même chose qu’un ami. Ce même endroit produit des signes sensibles qui déclenchent des processus cognitifs inconscients conduisant à la même idée pour les deux personnes ayant des vécus communs. Ce processus attribué à la télépathie, n’est probablement pas de la télépathie, mais relève plutôt des processus cognitifs similaires déclenchés par des perceptions sensorielles similaires. 3) La découverte par hasard a aussi une dimension qui dépasse l’individu. Tout se passe comme si des processus cognitifs se

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Sérendipidité

déroulaient à des échelles collectives et historiques. Il n’est pas rare que des découvertes scientifiques se fassent simultanément en des endroits différents de la Terre. Par exemple l’allumette a été inventée simultanément et indépendamment par le Français Charles Sauria et par l’Autrichien Stephen Von Roemer, en 1831. Eugène Soubeiran, en France, Justus von Liebig, en Allemagne, et Samuel Guthrie, en Amérique, ont découvert en même temps le chloroforme, préparé pour la première fois en 1831. La science et la culture qui inventent des savoirs, des concepts et des techniques sont des processus d’intelligence collective, qui émergent nécessairement à travers des individus. Ces individus inventeurs sont les porte-paroles de l’intelligence collective et de ses irruptions dans les consciences et dans l’histoire.

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Multiples intelligences 19 10 2006

L’intelligence humaine repose sur trois composantes : le raisonnement logico-mathématique, le sentiment et l’action concrète. Un problème mathématique présente souvent plusieurs voies de résolution. Par exemple la voie algébrique et la voie géométrique pour l’intégration d’une courbe ou la démonstration du théorème de Pythagore. Notre manière conventionnelle d’effectuer les opérations d’addition, de soustraction ou de multiplication des chiffres n’est pas la seule possible. Certains marchands orientaux calculent encore très rapidement avec des bouliers. Il existe souvent, à côté d’une solution fastidieuse, une solution simple et élégante. Par exemple pour trouver la somme des nombres de 1 à n, on peut additionner tous les chiffres, mais on peut aussi utiliser la formule : Somme des nombres de 1 à n= n(n+1)/2. Les calculateurs prodiges, qui réussissent mentalement des opérations arithmétiques compliquées et battent même les calculettes électroniques, s’appuient sur des processus mentaux mal explorés. Tout se passe comme s’ils utilisaient d’autres algorithmes de résolutions se déroulant dans des strates profondes du cerveau. Certains de ces calculateursprodiges souffrent d’autisme.

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Le mode de calcul des ordinateurs est différent de celui du cerveau humain, ne serait-ce que par l’utilisation de la base 2 au lieu de la base 10. Mais les différences entre le calcul de l’homme et de la machine sont plus profondes. Actuellement des chercheurs développent de nouvelles générations d’ordinateurs quantiques qui seraient capables d’effectuer les opérations informatiques sur de nouvelles bases de raisonnement différentes du calcul binaire. Des expériences de performances cognitives avec des singes ont montré que ceux-ci pouvaient être plus rapides que des humains dans certains exercices de reconnaissance de formes. (Jacques Vauclair, Université de tous les savoirs 2000, L’intelligence de l’animal). Dans ce cas aussi, on peut se demander si l’animal utilise le même algorithme mental que l’humain mais simplement plus rapidement parce que les formes sont moins connotées de complexité que chez l’homme. Ou alors, le singe utilise un autre algorithme de reconnaissance des formes. L’intuition chez l’humain représente une forme de traitement de l’information. Elle présente des avantages et des inconvénients. L’avantage est que l’intuition peut permettre de trouver la solution d’un problème en l’absence d’informations complètes. L’inconvénient est qu’elle n’est jamais sûre, non indépendante de la personne et non reproductible, donc non scientifique. L’intuition est une forme de cognition. Nous sommes entourés de multiples systèmes cognitifs à l’intérieur de notre propre cerveau, chez les animaux, chez les

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Multiples intelligences

plantes et même éventuellement dans le monde minéral. Il conviendrait de creuser notre connaissance de ces systèmes.

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L’ensauvagement du monde 20-10-2006

Thérèse Delpech, chercheur à la Fondation de sciences politiques, a donné ce 19 octobre une conférence sur l’ensauvagement du monde, en s’appuyant sur son ouvrage paru chez Grasset en 2005 « L’ensauvagement : le retour de la barbarie au XXIè siècle ». Thérèse Delpech a été directrice des affaires internationales du Commissariat à l’Energie Atomique, chargée des dossiers concernant la prolifération des armes nucléaires. L’ensauvagement est la manière de Thérèse Delpech de caractériser quatre tendances du XXIè siècle : montée de la violence internationale, l’élévation du seuil d’émotion humaine face à l’horreur, le rapport biaisé au temps (ignorance du passé et incapacité de se projeter dans le futur), la passivité face aux évolutions (renoncement à la liberté d’agir). Les conséquences : pendant la guerre froide, existait un équilibre de la terreur nucléaire entre deux Grands avec des règles du jeu assez claires. Actuellement l’entrée en scène de « petits », face aux plus grands, crée des déséquilibres restructurant le paysage politique. On peut citer l’attaque avec du gaz sarin par la secte Aoun au Japon en 1995, le trafic de technologies nucléaires par une organisation clandestine pakistanaise identifiée qui a permis de doter le Pakistan, l’Iran et la Coré du Nord de l’arme nucléaire. La saisie en Méditerranée en 2000 d’un cargo allemand transportant des

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centrifugeuses, destinées à la fabrication de la bombe atomique, a obligé la Libye, cliente de cette organisation, à renoncer à l’arme nucléaire. Apparemment, le terrorisme islamiste n’aurait pas encore accès à l’arme nucléaire. Thérèse Delpech a évoqué la situation du monde en 1905, à l’aube du XXè siècle, celui des grandes catastrophes. En 1898, le tsar Nicolas II a lancé la conférence de La Haye de 1899 avec comme objectif de conjurer les grandes guerres annoncées par Jean de Bloch, un homme d’affaire polonais retraité qui avait envisagé les scénarios de destruction des grandes nations par les guerres du siècle à venir. En 1905, la défaite de la Russie dans la guerre russo-japonaise a mis en place le jeu d’acteurs de la suite de l’histoire : révolutions russes en 1905 et 1917, montée politique sur la scène internationale des Etats-Unis qui sont intervenus dans la paix entre le Japon et la Russie (Théodore Roosevelt est devenu prix Nobel de la paix en 1906), retour des Russes vers les Balkans. 1905, crise franco-germano-marocaine : Guillaume II a déclaré qu’il protégerait l’indépendance du Maroc contre les visées coloniales de la France. 1905, Sun Yat-Sen, père de la révolution chinoise, édicte le programme politique et nationaliste du futur Guomindang. 1905, publication théories d’Einstein sur la relativité, de Freud sur la sexualité ; exposition des peintres « Fauves », Derain et Matisse. L’aube du XXè siècle est caractérisée par un grand bouillonnement intellectuel côtoyant un désordre politique étendu. Quels sont les signaux forts en 2005-2006 ? En 2005, s’est tenue en Chine une manifestation monstre antijaponaise tolérée par le régime. Les problèmes coréens et

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L’ensauvagement du monde

taïwanais ne sont pas réglés, indiquant que la guerre froide continue en Extrême-Orient. Le Moyen-Orient est le théâtre de multiples tensions et conflits : Israël-Palestine, SunnitesChiites, crise nucléaire en Iran (de connivence avec la Corée du Nord), positionnement délicat de la Turquie par rapport à l’Europe et au monde musulman. L’Europe est mal en point, notamment après le non aux référendums français et néerlandais de 2005. L’ONU reste impuissante à régler les conflits. On observe une explosion démographique au sud de la Méditerranée et une perte de populations au nord. Le sida en Afrique décime les élites et les armées, facteurs de stabilité. Des millions d’enfants orphelins sont abandonnés dans les grandes métropoles africaines. Bref, comme en 1905, en 2006 les temps à venir sont obscurs. Commentaires La géopolitique est un outil d’analyses historiques et géographiques des relations de pouvoir et des conflits dans le monde. Il conviendrait de compléter ces analyses par des considérations anthropologiques et psychologiques aux plans tant des nations que des individus qui les gouvernent. Les nations sont des niveaux d’intégration de la régulation des sociétés humaines qui ont progressivement émergées et ont connu leurs apogées au XIXè et au XXè siècles. L’évolution des relations internationales ainsi que les aspects pervers des nationalismes, qui ont causés des millions de morts dans ces deux siècles, ont conduit à l’émergence d’institutions supranationales telles que l’ONU et l’Union Européenne.

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Les individus se divisent en minorités dirigeantes des nations et en masses d’individus subissant plus ou moins les aléas de l’histoire. Les minorités dirigeantes sont elles-mêmes constituées des leaders politiques et des lobbies d’affairistes avec lesquels ils vivent en symbiose. Par exemple, le lobby du complexe militaro-pétro-industriel américain maintient l’administration Bush en place et lui dicte sa politique. Selon les pays et les époques, les lobbies utilisent et soutiennent différents profils de leaders nationaux. Adolphe Hitler convenait bien à la noblesse et aux industriels allemands, voire américains pendant un certain temps. C’était une époque marquée par des besoins d’idéal, de plein emploi et de revanche nationale sur l’humiliant traité de Versailles. Georges Bush convient à la société médiatique américaine assoiffée de pétrole (consommation de 10 tep par habitant et par an aux US contre 3 en Europe) et de course en avant économique par la guerre. Mahmoud Ahmadinejad, président d’Iran, est de son côté l’instrument des très religieux ayatollahs. La géopolitique est régie par des groupes d’influence bien placés dans les édifices sociaux. Le profil psychologique commun à tous les leaders nationaux est qu’ils possèdent un ego nécessairement bien dimensionné allant jusqu’à la mégalomanie. Ils affichent tous des discours vertueux se disant au service d’une grande cause de civilisation voire divine et qu’ils combattent des opposants corrompus. Comme la course au pouvoir consiste toujours à éliminer des concurrents, les leaders en place sont nécessairement des tueurs parfois encore au sens propre et toujours au moins au

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sens figuré. La gloire d’un homme d’Etat dans l’Histoire, de Jules César à Napoléon, était jusqu’à récemment directement proportionnelle aux nombres de morts dont il s’était rendu responsable. Aujourd’hui il est avéré qu’Hitler ou Staline étaient des psychopathes et des repris de justice. Mais la France aussi continue à entretenir le mausolée de Napoléon aux Invalides à Paris. Un homme, qui a pu assister personnellement de manière récurrente aux boucheries d’une cinquantaine de batailles faisant des centaines de milliers de morts dans des conditions atroces et qui s’est rendu responsable de cinq à dix millions de morts à travers l’Europe, est probablement un pervers. La géopolitique est ainsi aussi tributaire des connexions neuronales de certains individus plus ou moins malades bien placés dans les édifices sociaux. Les processus de sélection des élites dirigeantes favorisent, si l’on y prend garde, l’accès au pouvoir des profils les plus malsains. La perversité consiste à savoir se montrer hyper-normal et répondre à de réels besoins de la nation dans la phase d’accès au pouvoir puis de ne reculer devant aucune abomination pour s’y maintenir. Certaines guerres sont déclenchées par le besoin de course en avant lorsque les situations économiques ou politiques intérieures d’un pays deviennent intenables pour le gouvernement en place (Allemagne en 1938, Etats-Unis dans la lutte contre l’axe du mal, colonels grecs, généraux argentins, guerre Iran–Irak, guerre civile algérienne des années 1990). L’industrie militaire est un bon facteur de relance économique comme le montre l’histoire américaine avec les guerres

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conduites tout au long du XXè et au début du XXIè siècle. Les guerres constituent aussi un processus de «nettoyage interne » des sociétés en envoyant sélectivement au casse-pipe certaines catégories de la population à problème. Pourquoi les peuples suivent-ils les barbares au pouvoir ? La terreur est un instrument de contrôle social puissant. Le dictateur s’entoure d’une cour au sein de laquelle règne un jeu de terreur réciproque alliée à des avantages pour récompenser l’allégeance. Cette terreur est répercutée vers l’administration, notamment policière, et à l’ensemble de la société. Personne n’est dupe, beaucoup en profitent, mais tout le monde subit. Quelques actes de cruauté extrême dissuadent les velléités de résistance éventuelles. On tire dans la foule. La terreur c’est la vie du système. Lorsqu’elle s’épuise, le système, meurt et se décompose. Il est remarquable que des individus puissent insuffler le mode de fonctionnement de la terreur dans un système social, même hautement civilisé comme l’Allemagne nazie ou l’Union soviétique et ses satellites, sans rencontrer d’obstacle majeur. Un régime de terreur recrute facilement au sein de la population des janissaires prêts à exécuter des ordres qui légitiment le passage à l’acte des perversités latentes. En gros, toute population comporte de l’ordre de un pour cent de personnes n’attendant que le signal adéquat pour passer à l’acte barbare. La barbarie institutionnelle dédouane certaines psychopathologies individuelles. On torture et on dépersonnalise des opposants et des présumés terroristes pour la noble cause de sauver des vies d’innocents. L’objectif de la civilisation et de la démocratie serait aussi de contenir ces malades et de les empêcher d’accéder aux sphères du pouvoir.

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Les peuples sont sensibles à un certains nombre de mythes et d’illusions. Le mythe de David contre Goliath est certainement présent dans tous les combats que les petites nations, et notamment aujourd’hui les Islamistes, conduisent contre les nations puissantes. Les guerres de décolonisations, la défaites des Français et des Américains au Vietnam, l’évacuation des Américains du Liban après un attentat-suicide tuant 241 marines en 1983, l’attentat du 11 septembre 2001 contre les tours de Manhattan, les Intifadas montrent que le petit peut gagner contre le grand. Certains leaders politiques des pays pauvres, qui n’ont rien d’autre à offrir à leur peuple, peuvent jouer sur leurs envies de revanche sur la vie en déplaçant leurs ressentiments vers les puissants exploiteurs étrangers. L’affichage de la vertu et de valeurs patriotiques spécifiques constitue un élément important de la construction de l’identité nationale. Il est important de faire croire que la nation en question en a le monopole, même si les faits le démentent. Par exemple, la France, « patrie des droits de l’homme », est un des pays européens le plus souvent épinglé par la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg (vivement que la Turquie prenne le relai !). La vertu a une double face : celle d’éloigner de la barbarie, mais aussi celle de s’autoauréoler, voire de justifier la barbarie contre l’ennemi au motif qu’il ne pratique pas la même vertu. Les kamikazes, sont l’arme absolue et bon marché face aux arsenaux militaires gigantesques des grandes nations. Il serait intéressant d’évaluer le coût de recrutement et de formation idéologique d’un kamikaze. Il sûrement moins élevé que

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l’armement et l’entretien d’une compagnie de soldats. L’efficacité militaire et psychologique du kamikaze est avérée. Paradoxalement, une opération-suicide d’un individu est plus humaine, quant au nombre de victimes, qu’un affrontement entre deux armées dans une bataille rangée. L’attribution du qualificatif de lâcheté à ce genre d’action par des pays, dont les arsenaux militaires sont pleins de bombes (à fragmentation, en particulier) destinées, en cas de guerre, à être larguées sur des villes pleines d’innocents, est une hypocrisie (euphémisme). Les institutions militaires traditionnelles sont prises à revers par les kamikazes. Le terrorisme est d’une grande efficacité psychologique, ce qui est fondamentalement l’objectif de toute guerre. Les conséquences humaines sont évidemment tragiques et inacceptables pour les pays et les individus qui en sont victimes, mais pas davantage qu’une guerre conventionnelle. L’effet le plus dramatique est qu’il mobilise les forces obscures au sein même des nations menacées pouvant conduire à la remise en cause de leur fonctionnement démocratique. Les mandataires des mouvements terroristes, quant à eux, ont intérêts à ce qu’un petit nombre de leurs combattants soient pris et torturés par l’adversaire. Les martyrs renforcent la conviction de la justesse du combat et la détermination des combattants. La lutte contre le terrorisme fait plus de victimes que le terrorisme lui-même et, à son relativement bas niveau actuel de développement, il reste largement bénéficiaire pour le PIB des grandes nations qui en sont touchées. Il paraîtrait que 40 % des Américains pensent que ce sont des citoyens de leur propre pays qui ont participé aux attentats contre les tours le 11 septembre 2001.

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La lutte contre le terrorisme par les pays qui en sont victimes a l’inconvénient pour les complexes militaro-industriels de mobiliser moins de moyens qu’une guerre conventionnelle. Le terrorisme offre aux leaders politiques un levier pour mobiliser l’opinion publique et afficher leurs hautes convictions morales. De plus, comme l’ennemi est invisible, ils peuvent éventuellement avoir recours à des manipulations pour faire durer les états d’alerte, ce qui leur est également politiquement très favorable. Il est cependant douteux que la lutte, la sale guerre, contre le terrorisme puisse conférer de la grandeur à une nation à l’instar des guerres conventionnelles dans le passé, si tant est que ce fût les cas. Les terroristes sont de fait les alliés objectifs des pouvoirs qu’ils combattent. Les kamikazes sont de la chair à canon tout comme les troupiers de base de n’importe quelle armée du monde. La situation géopolitique du monde du début du XXIè siècle est très différente de celle du XXè, bien que la nature humaine soit restée la même. Les nations, comme les individus, ont besoin de sécurité et de considération. La sécurité repose sur les institutions de type militaire, qui doivent faire leur aggiornamento. La considération repose sur la gouvernance de l’Etat et le fonctionnement des institutions. Dans ce domaine, il y aurait du ménage à faire y compris dans les pays démocratiquement avancés. Les systèmes démocratiques, qui sont les moins mauvais systèmes politiques, sont menacés en permanence par la dégradation des mœurs politiques. Les avancées de la modernité sont aussi des menaces pour la stabilité du monde. Ainsi la mondialisation de l’information

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décuple l’efficacité psychologique des actes terroristes. La diffusion mondiale des informations sur les attentats crée par génération spontanée des émules sans qu’il soit nécessaire de disposer d’une orchestration centralisée. Par la télévision et Internet, la majeure partie de l’humanité a au moins une vague idée de ce qui se passe dans le reste du monde. Il se crée ainsi des communautés d’idées, de sentiments et surtout d’envie ou de ressentiment à l’égard des pays riches. Il me semble que les grands éléments structurant la géopolitique du monde dans le demi-siècle à venir sont les suivants. En 2050 : 9 milliards d’humains dont 6 milliards de pauvres. Crise énergétique des pays riches. Crise de l’eau surtout dans les pays pauvres. Montée de la préoccupation environnementale. Montée en puissance de Chine et de l’Inde. Bouleversements inattendus par les technologies de l’information. Lutte pour la prise de contrôle des médias et des systèmes d’information. Mainmise sur les médias par des manipulateurs. Phénomènes migratoires, sous l’effet de la pauvreté, de la démographie galopante, des régimes autoritaires, du changement climatique. Repli identitaire et populisme des pays d’accueil de l’immigration.

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Décadence des valeurs des nations puissantes dans le cercle infernal de la défense contre l’immigration et le terrorisme. Crise des droits de l’homme. Stagnation ou déclin social des pays riches (pas seulement à cause du vieillissement de la population). Vieillissement des populations des pays riches. Emergence d’un Islam européen (tolérant ?). Invention de nouveaux modes de vie localement en rupture avec le modèle marchand. Turbulences, voire le chaos de l’économie mondialisée suite aux manipulations financières.

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Différentes intelligences 12 11 2006

L’intuition qu’il existe à travers l’univers entier, de l’infiniment petit à l’infiniment grand, des formes différentes d’intelligences s’installe en moi comme une certitude. Le postulat que des systèmes cognitifs fonctionnent à d’autres échelles de temps et d’espace ainsi que sur d’autres substrats et selon d’autre modes que le neuronal peut expliquer de nombreux phénomènes et peut-être ouvrir la voie vers des solutions de problèmes apparemment insolubles. Rappel des données du postulat : les fonctions communes aux systèmes cognitifs sont de capter des informations de leur environnement, de les traiter, de les stocker et d’agir sur l’environnement en fonction du traitement de l’information. La cognition est un ordre émergent de la complexification de la matière comme dans le cas en particulier des milliards de neurones du cerveau animal. Les vecteurs de transmission des informations sont les sens dans le cas des animaux. Les informations sensorielles sont transformées en impulsions électriques et chimiques dans les processus cérébraux. Les informations sont transmises par des nerfs, elles sont stockées de la manière holographique dans les neurones sous forme statiques et dynamiques. Le cerveau doit fonctionner en permanence. La cognition est constituée d’objets virtuels qui sont capables de représenter le réel. La cognition est synonyme d’esprit.

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Les métabolismes des organismes vivants sont régis par des systèmes cognitifs répartis au cœur de ceux-ci. Des systèmes cognitifs sont à l’œuvre dans l’ADN lors de la reproduction et de la formation des organismes. Les écosystèmes incluant les systèmes climatiques fonctionnent probablement aussi selon le mode cognitif. On pourrait extrapoler ce paradigme en conjecturant que les lois physiques qui régissent la matière dite inerte relèvent d’un système cognitif. Ceci pourrait expliquer l’émergence de formes symétriques tant au niveau des galaxies que des cristaux. La régularité de la constitution des atomes de la table de Mendeleïev suggère l’œuvre d’une intelligence. Les particularités physico-chimiques de l’eau ou du carbone qui permettent la chimie du vivant relèveraient également d’une forme d’intelligence. Il semble que dès que des objets, quelle que soit leur nature, sont en interaction, quel que soit le mode d’interaction, il se constitue de nouveaux objets aux propriétés nouvelles. Le mode d’interaction est le fondement du système cognitif associé à la structure de la matière. Ainsi toute structure de la matière est le résultat d’une composition à un stade antérieur. On peut imaginer ce processus jusqu’au l’asymptote du néant primordial. Même un chaos est nécessairement constitué d’éléments structurés. Si la structure est la signature d’une intelligence, alors l’esprit est nécessaire à l’apparition de la première trace de matière dans l’univers. La dualité esprit-matière existe à travers la totalité du réel.

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Différentes intelligences

L’esprit ne fonctionne pas selon la même logique dans toutes strates du réel. Des logiques fort différentes font fonctionner le réel. La logique des atomes n’est pas la même que celle des molécules, qui est différente de celle des organismes vivants. Ces empilements différentiels de logiques vont de l’infiniment petit à l’infiniment grand. Mais on observe aussi des coexistences de logiques à certains niveaux d’organisation de la matière. Ainsi dans les organismes animaux les logiques des métabolismes et des relations entre les individus coexistent et sont complémentaires. La santé humaine dépend de l’alimentation, des interactions avec l’environnement, des relations affectives avec les proches. Les systèmes économiques fonctionnent grâce à des rationalités commerciales et financières, ils répondent à des besoins vitaux mais reposent aussi sur des croyances et des illusions. Il en est de même des systèmes sociaux et des systèmes de pouvoirs qui ont des composantes rationnelles et irrationnelles. C’est cette possibilité d’intelligences multiples qu’il faut explorer pour approcher les problèmes individuels ou sociétaux qui émergent avec l’évolution du monde. Il n’est probablement pas possible de poursuivre la structuration du monde actuel selon les logiques anciennes. Donnons quelques exemples de culs-de-sacs des trajectoires imposées par les logiques de fonctionnement du monde. Les systèmes économiques qui ne se maintiennent en vie qu’au prix d’une croissance constante, avec des impacts néfastes sur l’environnement et l’utilisation de ressources non

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renouvelables sont voués à la catastrophe. A moins qu’ils ne changent de logique. Les systèmes économiques qui ravalent une élite favorisée au rang de producteur-consommateur et enfoncent une majorité grandissante dans la misère détériorent la condition et la dignité humaines. A moins que l’on trouve de nouvelles valeurs. Le mode de vie dans les sociétés modernes, caractérisés notamment par la consommation, l’individualisme, le narcissisme n’apporte que bonheur relatif mais crée de nouvelles pathologies sociales et individuelles. Celles-ci en remplacent d’anciennes.

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Diversité cognitive 8/12/ 2006

L’intérêt scientifique, médiatique et politique pour la biodiversité des espèces animales et végétales s’est amplifié au cours des récentes années. La prise de conscience collective pour la biodiversité a été appuyée par les scientifiques qui ont étudié mathématiquement les systèmes complexes aux comportements non linéaires. La diversité des caractéristiques des éléments d’un système confère à celui-ci à la fois des capacités d’ordre, de stabilité et d’évolution. Les écosystèmes entrent dans cette catégorie de systèmes complexes. Le grand public, quant à lui, a été de plus en plus sensibilisé depuis quelques décennies par un certain nombre de catastrophes écologiques spectaculaires d’origine humaine, notamment les naufrages de pétroliers et l’accident de Tchernobyl. Ces événements, qui ont amené les médias à montrer des oiseaux mazoutés ou des enfants soi-disant irradiés, ont eu des répercussions considérables sur la prise de conscience écologique. L’impact médiatique de ces catastrophes, sommes toutes limitées et aux effets réversibles pour la nature, a été bien supérieur à celles dues aux effets probablement bien plus graves de la pollution planétaire rampante causée par les modes de vie basés sur la technologie. L’intérêt pour la biodiversité est une nouvelle étape de la prise de conscience. Il est à noter que celle-ci peut se mesurer dans les sondages par l’intérêt porté aux espèces traditionnellement honnies comme les serpents. En effet en majorité les personnes interrogées en

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France sont prêtes à protéger les animaux nobles, comme les ours ou les aigles, mais non les serpents ou les rats, même si ces espèces étaient menacées. La proportion de gens disant qu’il faut protéger toutes les espèces est plus développée dans les pays d’Europe du Nord. Il est également significatif que la propension à affirmer la protection des espèces soit liée à l’éloignement de l’espèce considérée, par exemple les forêts de l’Amazonie ou les ours des Pyrénées ou des Carpates. Cela engage peu. La diversification est le gène ultime du vivant, voire de l’ensemble de la création. La création explore le champ des possibles par la diversité. A l’instar de la biodiversité, la diversité cognitive pourrait devenir un nouveau champ d’exploration scientifique et de prise de conscience collective. De quoi parle-t-on ? Dans l’acception traditionnelle et sociale, il s’agit de la tolérance base de l’enrichissement mutuel dans les domaines politiques, idéologiques, religieux, culturels, scientifiques. Les sociétés humaines fonctionnent et évoluent d’autant mieux que règne un climat de tolérance entre les divers individus et groupes. Le combat pour la tolérance est vieux comme le monde. Il consiste à rechercher sans relâche l’équilibre, souvent flou, entre l’ouverture vers l’altérité et la fermeture sur l’identitaire. Ces combats ont causé des millions de victimes à travers les âges, mais ils ont également fondé des identités structurantes, nationales, religieuses, scientifiques et personnelles.

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Diversités cognitive

La mondialisation de la culture, notamment par l’intermédiaire des médias et d’internet, met plus que jamais les cultures en contact dans toutes leurs diversités. Le risque de l’émergence d’une culture dominante et l’extinction de cultures minoritaires est à considérer. Mais d’un autre côté ces nouveaux moyens peuvent représenter une chance de survie, voire de développement de cultures minoritaires. Celles-ci sont évidemment à la merci des mastodontes financiers. Mais certaines technologies modernes, comme les blogs, les films vidéo, les courriels, les livres auto-édités permettent la diffusion d’idées à des coûts relativement modestes. Les cybercafés ont fleuris dans les coins les plus reculés du monde. Malgré les idéologies qui les sous-tendent parfois, il est heureux de constater que des David arrivent à bout des Goliath. La diversification des idées a jusqu’à ce jour toujours vaincu les totalitarismes. Avançons plus loin dans l’exploration du principe de diversité cognitive. J’ai déjà émis l’hypothèse que des systèmes cognitifs peuvent exister à d’autres échelles de temps, d’espace est sur d’autres substrats que le système neuronal humain. Au fil du temps cette hypothèse est devenue une conviction intime. J’aimerais pouvoir la prouver scientifiquement, mais il apparaît aussi que tous les systèmes cognitifs ne relèvent pas de la science au sens habituel du terme. Un système cognitif élabore des objets abstraits dans un espace virtuel, espace qui est un ordre émergeant de la complexification de la matière. Ces objets abstraits sont en général des représentations mentales du monde matériel avec lequel le système cognitif est en interaction. On peut donc imaginer des systèmes cognitifs répartis entre l’ADN des cellules jusqu’aux galaxies Il s’agit de

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systèmes « pensant » aux échelles de temps géologiques ou de la microseconde. Est-ce que la caractéristique principale d’un système cognitif serait une certaine part de libre arbitre ? Le libre arbitre serait proche de zéro pour la matière dite inerte. Mais au vu de la diversité des formes des cristaux des minéraux, quelles parts pourrait-on attribuer au hasard et à un certain « choix » ? L’esprit humain serait un système cognitif parmi d’autres. L’homme, au fur et à mesure qu’il se découvre, doit se considérer de moins en moins au centre de l’univers. Son système cognitif fonctionne en interaction avec son environnement selon trois modes : sa raison, ses sentiments, son corps. Les autres systèmes cognitifs dans la nature fonctionnent selon des modes spécifiques. Les métabolismes dans l’organisme fonctionnent selon des logiques physicochimiques. Les animaux possèdent des systèmes cognitifs apparemment moins développés que ceux des humains, mais peut-être avec des fonctionnalités différentes. En tout cas les animaux ont des systèmes cognitifs efficaces qui leur permettent également de survivre face aux aléas de la nature. Certaines espèces végétales (ginkgo biloba) survivent depuis trois cent millions d’années. Les mille millions de milliards fourmis constituent aujourd’hui 10 % de la biomasse sur Terre. Les fourmilières ou les ruches sont des systèmes cognitifs. En tant qu’humains, notre champ d’interaction avec d’autres systèmes cognitifs est contraint par notre échelle de temps et d’espace ainsi qu’aux modes de fonctionnement de notre propre système cognitif (raison, corps, sentiments). Nous pouvons dialoguer avec les instances cognitives de notre corps

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Diversités cognitive

par la méditation et l’exercice physique. Il nous parle par le bien-être ou par la souffrance. La prière est-elle un moyen de dialogue avec le reste du monde, voire avec l’ensemble de l’univers ? Il semble que notre conscience puisse dialoguer avec des systèmes cognitifs extérieurs à travers des symboles et des métaphores. C’est ce que font les religions. La raison scientifique n’est pas seule approche possible et nécessaire pour comprendre et vivre avec le monde. On peut imaginer une évolution de notre représentation du monde en le considérant non seulement comme un ensemble d’objets inanimés, de machines ou d’être vivants soumis uniquement aux lois physico-chimiques, mais comme siège d’une multitude de systèmes cognitifs dont il importerait de comprendre les modes de fonctionnement. Il ne s’agit pas de diviniser la nature, mais de la respecter comme « un être pensant ». Nous avons sans doute à apprendre des modes cognitifs de fonctionnement des systèmes géologiques, des écosystèmes, des plantes, des animaux et des cellules élémentaires des organismes. Nous avons intérêt à les approcher avec respect. La survie de l’humanité en dépend peut-être.

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Emergence et paradigme fractal 01 02 2007

Le numéro de « La Recherche » de février 2007 a consacré un dossier à « L’émergence. La théorie qui bouleverse la physique ». Trois articles constituent ce dossier. Le premier de Michel Bitbol se pose la question « la nature estelle un puits sans fond ? » et propose qu’aucune théorie ne serait vraiment fondamentale. La nature s’organiserait sans fondement originel ni entités élémentaires. Il y a une multiplicité de lois élémentaires pouvant servir aux lois élémentaires. Par exemple les lois de la thermodynamique, qui régissent les caractéristiques de pression et de température des gaz au niveau macroscopique sont supposées fondées sur les lois de comportement élémentaires des atomes. Le modèle des automates cellulaires peut également rendre compte de ces caractéristiques. (Les automates cellulaires sont des objets informatiques constitués de cellules dont on fait évoluer par itérations les caractéristiques en fonction du voisinage de chacune d’elle). Les lois émergentes sont découplées des lois de leur base. Ainsi pour l’eau, la glace, le liquide et la vapeur fonctionnent selon des lois qui ne sont pas déductibles les unes des autres. Le deuxième article est une interview de Robert Laughlin, prix Nobel de physique en 1998, qui soutient que « les lois

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physiques ressemblent à un tableau impressionniste » et que l’on assiste à la fin du réductionnisme. Il s’inquiète notamment que les théories réductionnistes actuelles, telles que la théorie des cordes, sont infalsifiables, c’est-à-dire qu’il n’existe aucune expérience pouvant prouver qu’elles sont vraies ou fausses. La chimie serait un ordre émergent de la physique des particules sans que l’on puisse déduire ses lois des lois de celles-ci. Les recettes de la chimie fonctionnent on ne sait pas fondamentalement pourquoi. La recherche de modèles mathématiques de certaines structures est illusoire. Ainsi les amas de galaxies ressemblent à du pop-corn qu’on est incapable de calculer. Le troisième article, écrit par Cécile Michaut, journaliste scientifique, traite de « la recherche des lois universelles ». Le phénomène d’émergence de comportements collectifs est universel. On l’observe dans les aimants, les tas de sables, les bancs de poissons ou les épidémies. Les états de ces systèmes peuvent changer brusquement en fonction de paramètres internes ou externes, c’est ce qu’on appelle les transitions de phase. Le concept d’émergence a une longue histoire même s’il n’a pas toujours porté ce nom. Anaxagore en 480 av. J.-C. conjecturait que le vide n’existe pas. Aristote en 350 av. J.-C. enseignait que « le tout est plus que la somme des parties ». Pour Plotin en 250, « rien n’est isolé ». Pour Giordano Bruno en ème ème et 20 siècles, un 1584, « l’univers est infini ». Aux 19 ensemble de scientifiques et de philosophes ont traité de ce concept : John Stuart Mill, Paul Joseph Barthez, Lars Onsager, Charlie Dunbar Broad, Samuel Alexander, Stephen Wolfram.

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Emergence et paradigme fractal

Stanford Encyclopedia of philosophy consacre un article aux propriétés émergentes (http://plato.stanford.edu/ ). A ce stade, je voudrais rapprocher ce concept d’émergence de celui du paradigme fractal que j’ai développé antérieurement. Un objet fractal, tel que l’ensemble de Mandelbrodt, est entièrement construit par l’homme à l’aide d’outils informatiques. Il est issu, il émerge du traitement 2 algorithmique d’une formule mathématique Zn=Z n-1 +C. (Peu importe ici pour le moment la signification mathématique de cette formule). Les images émergeant de la formule ressemblent à la suivante.

La caractéristique principale est que la partie fortement structurée (en jaune clair sur l’image) comporte des structures

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La Voix sur le Chemin

emboîtées allant jusqu’à l’infiniment petit. La seule limite est la capacité de calcul des ordinateurs et le temps infini pour calculer une structure infiniment petite. L’image suivante donne un exemple de structure qu’on peut trouver quelque part dans cette structure agrandie plusieurs milliers de fois. On constate que la forme noire se reproduit à de nombreuses échelles de taille.

Posons-nous la question suivante : Serions-nous capables de trouver l’algorithme de fabrication de telles images si nous ne le connaissions pas par avance ? La réponse est non. L’approche scientifique classique pour étudier de tels objets serait de les décortiquer et de les étudier à différents niveaux

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Emergence et paradigme fractal

de taille. Il est vraisemblable qu’aucune des symétries et régularités ne permettent de retrouver la formule mathématique de base ou l’algorithme avec lequel celle-ci est traitée et que l’objet a été créé. Eventuellement on pourrait trouver des lois spécifiques permettant de décrire des images particulières à un certain niveau de taille. L’algorithme de construction de ces images est pourtant très simple, il tient sur quelques lignes de programme d’ordinateur. La science est probablement dans cette situation de quasi impossibilité de remonter vers les algorithmes élémentaires de la complexification de la matière. Un organisme vivant est à certains égards semblable à des images fractales dont on ignorerait l’algorithme fondamental. L’affirmation des théoriciens du concept d’émergence que les lois des différents niveaux d’organisation de la matière sont découplées entre elles reposent sur cette impossibilité de remonter à l’algorithme premier. Rappelons brièvement l’algorithme qui permet la création d’images fractales. Les images sont représentatives du comportement de la suite 2 de nombres complexes Zn=Z n-1 +C pour laquelle Zn=0 sont les coordonnées (x,y) de chaque point de l’image. La couleur de chaque point correspond à un codage du nombre d’itérations de la suite, nécessaires pour que celle-ci diverge vers l’infini. Dans la zone noire de la première image ci-dessus, la suite ne diverge jamais (ou après un temps indéfiniment long) tandis que dans la zones rouges et bleues elle diverge très

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rapidement au bout de quelques itérations. La zone fortement structurée est celle qui correspond au liseré jaune clair de la première image et à l’ensemble de la seconde image. Là le nombre d’itérations avant divergence se situe entre les deux extrêmes de la divergence immédiate et de l’indéfiniment longue. On peut aussi raconter l’histoire de la création de l’image fractale de manière plus littéraire, voire biblique selon la manière suivante. Un démiurge qui possède une certaine capacité de raisonnement et un matériau sur lequel il peut inscrire une œuvre (en principe on peut réaliser des images fractales sans ordinateur avec du papier et des crayons de couleurs, c’est simplement plus long). Le système cognitif du démiurge comporte les notions de nombre, d’espace, de temps et de différents modes d’association internes et externes de ces notions. Ainsi il sait combiner des nombres entre eux et les associer à de l’espace, les dénombrer. Le démiurge maîtrise les concepts et les méta-concepts. Le démiurge prend une feuille de papier (il pourrait aussi prendre un volume ou un espace à plusieurs dimensions), il associe à chaque point de la feuille de papier un nombre selon un certain ordre. Il investit et ordonne donc l’espace. Chaque point de la feuille de papier est caractérisé par les deux nombres de ses coordonnées. (On pourrait imaginer d’avantage de caractéristiques telles que la couleur, la saveur, le champ électrique.) Il introduit ces deux nombres dans une 2 moulinette (ici celle de la formule Zn=Z n-1 +C, mais il pourrait s’agir d’une autre moulinette). La moulinette, qui fonctionne

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Emergence et paradigme fractal

de manière indépendante de l’espace initial, restitue des informations sur le nombre d’itérations nécessaires avant divergence de la série mathématique (il pourrait s’agir d’autres critères). Le démiurge transforme ces informations selon un codage de couleur qu’il a défini lui-même et les applique sur le point de la feuille de papier (par exemple noir si le nombre d’itérations nécessaires avant divergence est supérieur à 10.000, bleu si ce nombre est 1, 4, 7, 10, etc., jaune si 2, 5, 8, 11, etc. vert si 3, 6, 9, 12, etc.). Le démiurge recommence ce processus pour chaque point de sa feuille de papier. Et il voit apparaître un ordre qui peut ressembler à celui des images ci-dessus. On voit donc que le processus cognitif du démiurge est tout de même assez complexe. Les composantes génériques en sont : 1) Association d’univers normalement disjoints (ceux de l’espace, des nombres, des algorithmes, des objets matériels – le papier, les couleurs). 2) Production de processus réflexifs (les nombres se comptent eux-mêmes). 3) Production de processus itératifs (on fait tourner la moulinette jusqu’à ce qu’un certain critère soit réalisé) 4) Production de processus imbriqués (on traite chaque point de la feuille)

Les itérations introduisent la notion de temps. Les processus introduisent la notion de causalité.

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Tous les processus de création et de complexification ne sont certainement pas réductibles à ces processus génériques, mais ils en indiquent la voie. Il semble aussi que le démiurge ne sait pas d’avance ce qui va sortir des processus qu’il met en œuvre, sauf s’il les a déjà essayé et qu’il procède par approximation successives. On peut se poser la question s’il existe un méta-démiurge qui saurait d’avance les résultats des processus et surtout quels processus aboutissent à des systèmes où une intelligence peut discerner un certain ordre. En cheminant sur ce type d’interrogation, on peut aussi se demander si l’ordre discerné n’est pas fonction de l’intelligence qui le considère. Un animal ne verra probablement aucun ordre dans une image fractale. L’homme lui-même a de la peine à caractériser cet ordre. En disant qu’il s’agit de la répétition de motifs similaires à différentes échelles de tailles, on n’a pas épuisé leur caractérisation. La question demeure de savoir si l’ensemble du monde repose sur un processus ultime et si l’homme qui en est le résultat est en mesure d’accéder à la connaissance de ce processus.

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Normalité 18 02 2007

Le concept de normalité est-il inscrit dans la nature ? Il semble que oui, mais la nature a toujours créé des écarts à ce qui ressemble à la norme. Aucun être vivant ne ressemble rigoureusement à un autre. Toute espèce est constituée d’un noyau aux frontières floues qui séparent le normal et l’anormal, le soi et le non soi de l’espèce, l’acceptable et le non accepté. Comme les caractéristiques d’un individu sont multiples, certaines peuvent être dans les normes tandis que d’autres ne le sont pas. La norme n’est pas toujours normée. Les normes auxquelles sont soumis les individus sont multiples : physiologiques, sociales, comportementales. Le noyau de la normalité est un ensemble non seulement aux frontières floues, mais les critères de normalité sont euxmêmes flous et sujets à évolution dans le temps et en fonction de l’environnement. Les exemples sont multiples lorsqu’on considère les groupes sociaux et religieux. Les sociétés excluent et répriment parfois extrêmement brutalement les déviants s’aventurant au-delà de certaines limites des normes. Elles le font d’une part pour permettre leur fonctionnement normal, en punissant les voleurs ou les criminels et d’autre part pour maintenir l’identité du groupe,

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par le racisme ou la condamnation de pratiques religieuses ou sociales étrangères, par exemple. La nature et les sociétés génèrent depuis toujours une part d’anormalité. On pourrait considérer qu’il s’agit d’erreurs. Si on se place d’un point vue local et immédiat (hic et nunc), il s’agit certainement d’erreurs voire de fautes lorsqu’il s’agit de comportements déviants d’individus. Si on se place du point de vue global de l’espèce ou de la société et sur le long terme, on se rend compte qu’une part de déviance est nécessaire au maintien en vie et à l’évolution du système. L’évolution des espèces et leur adaptation à l’environnement changeant s’effectue grâce à la combinaison de patrimoines génétiques distincts dont certains pourraient être considérés comme anormaux à un moment donné. Il est imaginable que le premier singe qui a utilisé un outil pour détacher un fruit d’un arbre était un handicapé physique. Dans la société humaine, des pans entiers de l’activité économique et culturelle n’existeraient pas si tous les hommes agissaient conformément aux normes de la morale ou du code civil : pas de police, pas d’armée, pas de tribunaux, pas de prisons, pas d’administration tatillonne, pas de caissiers dans les supermarchés, pas de marché du luxe et de la vanité, peu de littérature ou d’art. Une telle société serait légumineuse. Les déviants contribuent à la vie de la société. Ils en paient souvent un lourd tribut. La société doit trouver un équilibre du moindre mal dans la répression de la déviance.

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Normalité

Il serait sans doute utile de connaître où se situent les niveaux d’équilibre de moindre mal pour les différentes déviances ou écarts de la norme au sein de la société. Il semble que les écarts supportables, voire stabilisateurs et de moindre mal pourraient se situer autour du pour cent de la population. Il faudrait conduire des études plus précises sur les différentes formes d’écarts comportementaux de la norme. A priori, 90 % des gens ne respectent pas les normes religieuses en matière de sexualité alors que 99 % doivent respecter les normes du code civil. De 1 à 10 % de la population ont fréquenté des prostituées ou ont eu des rapports homosexuels. En matière de vol, 80 % des gens ont dû voler une fois dans leur vie, et seuls 1% volent de manière habituelle. Aux Etats-Unis près de 1% de la population est en prison, en France c’est encore 10 fois moins. Si chaque type de norme connaît quelques pour cent de déviants, la quantité de normes auxquelles sont soumis les individus, fait que probablement 100% de la population enfreint au moins quelques normes de temps en temps. Les régimes totalitaires se targuent de ramener les taux de déviance à zéro. Non seulement cela est illusoire et contreproductif, mais éloigne du moindre mal. La criminalité individuelle sous le régime nazi était tombée proche de zéro, tandis que la criminalité d’Etat avait atteint des sommets inouïs. Ces considérations ont des implications d’ordre moral. -

Comme le moindre mal est une fatalité de la condition humaine, il convient de traiter les fauteurs du mal de

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manière à les empêcher de nuire, tout en faisant preuve de compassion et d’humanité. En tout cas il faut mettre ces déviants à l’abri de justiciers pervers auto-auréolés de normalité. Il faut accepter que les codes moraux ne peuvent pas être toujours appliqués jusqu’au bout de leur logique. La prostitution, l’IVG, la prison ne sont pas de belles solutions, mais des moindres maux, dont il faut sans cesse chercher à améliorer les conditions.

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Plasticité 30 03 2007

Rencontre organisée par la Société Française de Physique le 28 mars 2007 à la Bibliothèque Nationale de France sur le thème « Surprenante plasticité : structures et évolutions ». Au cours d’une série d’exposés, différents aspects du concept de plasticité ont été évoqués en rapport avec les domaines des mathématiques, du monde du vivant, du système nerveux, de la démographie, du béton ou de la théorie de l’information. La plasticité est la propriété d’un système inerte, vivant ou conceptuel de se déformer sous les contraintes de son environnement, tout en conservant certaines de ses propriétés. Dominique Lambert caractérise la plasticité par ses trois ingrédients : la déformabilité, la robustesse et la dynamique évolutive. Waddington a développé la théorie des paysages morphogénétiques de l’espace des phases associé à ces transformations, c’est-à-dire des états d’énergies possibles que peut occuper un système lorsqu’il se déforme.

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Energie

Déformabilité du système

Etats du système

Robustesse

Le paysage morphogénétique peut être à plusieurs dimensions, qui correspondent à autant de paramètres caractérisant le système. C’est ce paysage qui confère la cohérence aux déformations qui ne sont donc jamais entièrement aléatoires. Seuls certains états sont stables, ceux qui correspondent à des creux sur le schéma ci-dessus. Les exemples de processus fonctionnant selon ce principe de plasticité sont nombreux : mouvements des bancs de poissons, embryogenèse, mémoire dans le cerveau, états de la matière (gaz, liquide, solide, magnétisme), évolution des sciences, évolution des sociétés, évolution des individus. D. Lambert postule que la plasticité est en biologie ce que la symétrie est en mathématique : elle transforme, tout en conservant certaines caractéristiques. L’identité du système se maintient plus longtemps que sa forme. Il note aussi que les mathématiques sont des structures d’axiomes plastiques. La mécanique quantique est issue d’une transformation plastique de la mécanique classique.

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Plasticité

Pour un système en évolution, est-on capable de connaître son paysage morphogénétique ? Probablement pas, tant que l’on ne l’a pas expérimenté. Tant qu’on n’a pas vu l’eau geler, on ne peut pas imaginer ce changement de phase par la simple observation du liquide. A partir des observations antérieures, on peut imaginer grosso modo l’évolution d’un embryon vers un être fini, mais on ne peut en déterminer l’ensemble de ses caractéristiques. Mes commentaires L’évolution des espèces vivantes avance de sauts en sauts créant de proche en proche des espèces viables. Il apparaît donc que le paysage morphogénétique se crée également de proche en proche. Tout se passe comme si les constituants biologiques sont soumis aux contraintes du champ morphogénétique et qu’ils le transforment, jusqu’à un certain horizon, au fur et à mesure de l’avancement de l’évolution. Quelque chose dans le vivant est capable de structurer sa future évolution. Il crée son propre champ du possible. Il est auto-référent. Mais on se heurte là aux limites de notre logique. Le champ du possible, par exemple celui conçu au niveau de l’évolution du singe qui conduit à l’humain, doit bien correspondre à un paysage préexistant. La première cellule ovocyte issue d’une fécondation, contient les informations nécessaires à la construction de l’embryon, de l’être final, voire des futures interactions sociales de celui-ci.

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Pour lever cette aporie, on peut envisager que, pour certains processus biologiques, le temps n’existe pas, c’est-à-dire qu’ils « voient » l’avenir. Il y a une non-localité temporelle. C’est aussi le cas d’un photon de lumière qui voyage à une vitesse relativiste de sorte que pour lui le temps est nul, même s’il met, pour nous, des milliards d’années pour nous parvenir d’une étoile lointaine. Le principe universel de moindre action, formulé par Maupertuis, est également lié à cette abolition du temps. Le rayon lumineux dévié par un dioptre suit le chemin prenant le temps le plus court comme s’il « savait » d’avance que ce chemin sera le plus rapide. Les systèmes cognitifs sont aussi capables de se projeter dans l’avenir et donc de déjouer le temps jusqu’à un certain horizon. Dans l’embryogenèse, qui part d’une seule cellule pour constituer un organisme comportant des centaines de milliards de cellules bien agencées, le paysage morphogénétique se crée de proche en proche. Chaque cellule se divise en fonction de son environnement pour donner naissance à des cellules adaptées à l’organe à construire dans l’immédiat ou à des étapes ultérieures. Les embryons des êtres vivants passent par des phases où presque toutes les espèces se ressemblent beaucoup. Ensuite les chemins de l’embryogenèse divergent, parfois par apoptose, le suicide cellulaire, où certaines structures sont détruites, par exemple les palmes entre les doigts des embryons humains. Le champ morphogénétique dans ce cas est structuré par l’ensemble des cellules et comporte la dimension temporelle d’un projet à long terme. Des gènes homéotiques sont spécifiques à certaines zones et organes (pattes, tête) et structurent localement le champ

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Plasticité

morphogénétique. Par manipulation de ces zones, on a fait pousser des yeux sur les pattes de mouches. Le champ morphogénétique est une méta-structure, une structure duale de la structure cellulaire. Son support matériel est constitué des gènes de régulation de l’embryogenèse que les biologistes ont identifiés au côté des gènes codants qui servent à fabriquer les constituants cellulaires. Ce sont ces gènes de régulation qui conduisent pour l’essentiel à la différenciation des espèces vivantes. Lors de l’embryogenèse, les cellules constituent une société en évolution, elles s’échangent des informations sur leur position qui serviront à déterminer les modalités de divisions cellulaires à venir. En fait la morphogenèse d’un individu se prolonge tout au long de sa vie. La néguentropie va dans le sens inverse de la loi naturelle de l’entropie tendant à produire du désordre. Elle apparait dans le vivant et dans la création d’ordre du champ morphogénétique, comme une conséquence de la dualité de la matière biologique et de ce champ. La réflexivité des interactions de ces deux composantes permettrait de remonter le temps, du moins d’en faire abstraction. La matière vivante, mais l’inerte probablement aussi, crée son propre champ de rationalité qui l’accompagne et la structure. En ce sens elle se comporte comme un langage ou un système cognitif réflexif, c’est-à-dire qui est capable de se dire et de se transformer lui-même. La plasticité est une caractéristique des systèmes capables de s’auto-générer. Il existe une méta-plasticité, celle du champ morphogénétique, qui est une plasticité de la plasticité.

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L’exploration du champ morphogénétique de la matière vivante au cours de son évolution s’effectue d’une part par le suivi de chemins déterministes vers le fond des vallées vers des états stables, comme l’indique la figure plus haut. D’autre part les recombinaisons de molécules, ou de patrimoines génétiques permettent de sauter par-dessus des montagnes vers des vallées voisines, vers de nouveaux paysages. Il existe des paysages de paysages permettant ces explorations de paysages multiples. Ces méta-paysages sont issus de la capacité de réflexivité au cœur de la matière vivante.

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Mathématiques dans la nature 08 06 2007

Les mathématiques sont des créations de l’esprit humain qui ont évolué au cours des âges. Elles partent d’objets simples tels que les nombres et des figures géométriques pour se construire et se complexifier en inventant de nouveaux objets. Les raisonnements sont logico-déductifs et en principe rigoureux et reproductibles indépendamment des personnes, du temps et du lieu. Les raisonnements s’appuient sur des objets abstraits et idéaux qui sont des métaphores de la réalité tangible. Un point, un trait, une ligne, un plan ne peuvent pas exister de fait dans le monde matériel à trois dimensions car ils ont une épaisseur nulle. Pour les faire émerger de l’univers mathématiques idéal, il faut en réaliser une représentation comportant une certaine épaisseur en les traçant sur du papier, par exemple. Une ligne tracée avec une règle n’est jamais droite quel que soit les moyens qu’on y mette. De la même manière seule existe, dans le monde matériel, la représentation des nombres qui sont des objets abstraits. Pourtant l’ensemble du monde matériel semble soumis aux lois abstraites des mathématiques et de la logique ; certains aspects de ce monde peuvent être décrits en termes mathématiques. Les petits nombres sont présents dans les structures des plantes et des animaux : pétales des fleurs, membres, doigts, éléments chimiques, astres dans un système planétaire.

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Les grands nombres fonctionnant selon des lois statistiques et heuristiques s’observent dans beaucoup de phénomènes : comportement des atomes de la matière inerte, solide, liquide et gazeuse, dissémination des pollens, multiplication des espèces et des populations, systèmes neuronaux. La géométrie se manifeste dans la nature : une étoile est un point ; la ligne d’horizon, un plan d’eau, le disque solaire ou lunaire suggèrent des formes géométriques idéales. La nature connaît la symétrie ou du moins la quasi-symétrie : cristaux, organismes vivants. Elle introduit des proportions harmonieuses comme celle du nombre d’or (1,618) dans la constitution des organismes. On y rencontre des quasi-spirales dans l’ADN, dans les plantes grimpantes. La croissance des organismes s’effectue de manière quasi-homothétique au cours de certaines phases du développement. La géométrie fractale, qui n’a été formalisée que dans les récentes décennies, est universellement présente. Le monde est un emboîtement d’ordres à différentes échelles d’espace, de temps et d’organisation. Les alvéoles pulmonaires ou les feuilles des arbres, grâce à leurs structures fractales augmentent et optimisent considérablement les surfaces d’échange. Les cycles temporels vont de l’infiniment court des ondes électromagnétiques (rayonnement cosmique, lumière, etc.) aux cycles géologiques. Les organisations naturelles constituent des imbrications de systèmes allant du nanomonde des particules élémentaires jusqu’à l’ordre cosmologique de l’univers dont les dimensions se comptent en milliards d’années-lumière.

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Mathématiques dans la nature

La topologie, c'est-à-dire les propriétés des formes, est caractéristique du fonctionnement de nombreux processus naturels : détermination de l’intérieur et de l’extérieur, liaisons nerveuses ou sanguines, transmission dans les tubes, stockage dans les volumes. La nature fonctionne sur la base d’algorithmes itératifs. Il s’agit de processus qui se répètent de très nombreuses fois lors de l’élaboration de formes : divisions cellulaires lors de l’embryogenèse, évolution des espèces, reproduction des individus, cycles écologiques de l’eau ou du carbone. Les régulations des processus naturelles sont structurées de manière fractale. Chaque régulation réussit à remplir sa fonction grâce à une régulation sur-ordonnée, qui elle-même se détermine en synergie avec cette régulation sous-ordonnée. Le cœur bat grâce à l’organisme animal auquel il permet de vivre. Cet organisme subsiste au sein d’une espèce, l’espèce au sein d’un écosystème. Tout degré de liberté dans un processus de régulation s’appuie sur un élément de régulation plus stable. Ainsi la main du dessinateur s’appuie sur la table pour obtenir la précision du dixième de millimètre du mouvement du crayon. A un niveau supérieur de régulation, l’artiste créateur s’appuie sur un style, une culture. La plasticité qui est cœur de l’évolution part toujours d’éléments préexistants dont elle transforme progressivement l’identité. Tout mouvement a besoin d’un appui stable. Réciproquement c’est le mouvement qui révèle l’appui stable. Le pendule de Foucault pourrait représenter une illustration de cette imbrication fractale des mouvements de l’univers. Le pendule possède un point fixe dans le référentiel de la Terre, qui, elle,

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se déplace dans l’univers. En oscillant le pendule détermine un plan, qui, lui, est fixe par rapport l’univers mais qui tourne en vingt quatre heures sur Terre. Tout mouvement spatial et toute évolution temporelle de tout système révèle l’unité de l’espace et du temps et met le local en rapport avec les infinis. Tous ces aspects des mathématiques dont on observe les traces dans la nature ne sont pas aussi rigoureux que le formalisme des mathématiques, qui travaillent avec des objets idéaux. Hormis les cas particuliers des petits nombres (nombres de pattes ou de doigts), les autres caractères mathématisables sont affectés d’une certaine variabilité. On peut se demander si la nature, tout en affichant des comportements ressemblant à nos mathématiques, ne calcule pas autrement, selon d’autres modes de « raisonnement ». Il serait donc intéressant d’explorer s’il peut exister d’autres manières de raisonner et de structurer des formes. Apparemment la régulation des métabolismes dans les êtres vivants n’est pas modélisable par des mathématiques humaines. Ceci semble indiquer que d’autres logiques que mathématiques sont à l’œuvre. Même dans les mathématiques usuelles, il existe souvent plusieurs voies pour résoudre un problème. Certaines voies sont élégantes, d’autres fastidieuses. On peut faire une multiplication de deux nombre a et b de manière fastidieuse en additionnant b fois le nombre a. De manière élégante on utilise l’algorithme de la multiplication enseigné à l’école primaire. L’utilisation du boulier chinois permet également de

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Mathématiques dans la nature

multiplier des nombres. Les calculateurs quantiques en cours de développement mettent en œuvre encore d’autres algorithmes pour réaliser les opérations d’arithmétique. Il semble donc qu’il existe une pluralité de voies pour représenter, penser et simuler la réalité tangible. Certaines voies sont plus rapides et plus fécondes que d’autres. Mais toutes semblent posséder un champ d’application limité. Des expériences de laboratoires ont montré que certains animaux sont capables, sinon de compter, du moins d’évaluer des ordres de grandeurs. Ils distinguent des différences de quantités d’objets entre 20 et 30 mais non entre 20 et 21. Des expériences avec des bébés humains laissent penser que les notions de quantité sont innées reposant sur des traitements de l’information cognitive spécifique. Un bébé exprime un étonnement lorsqu’on place devant ses yeux plusieurs objets derrière un écran et qu’on ôte l’écran après avoir subtilisé quelques objets. Il saisit qu’il y a erreur. La nature sait calculer selon certains algorithmes spécifiques. Il s’agit peut-être d’un indice de l’existence de systèmes cognitifs répartis au cœur de la matière vivante voire de toute matière.

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La narration comme gène social Vassivières 23 08 2007

Toutes les sociétés semblent se construire autour de la narration d’un ou plusieurs récits. Ces récits peuvent-être de nature religieuse, mythique, légendaire ou historique. Ils racontent les histoires de la création du monde, de la vie des hommes célèbres qu’ils donnent en exemple ou en contreexemple, ou encore les combats entre la vertu et le vice. Ils illustrent la morale et les bons codes sociaux. Ils donnent du sens à la vie de l’individu et de la collectivité. Ils définissent les codes du vivre ensemble. Tantôt les récits remplissent ces fonctions de manière explicite, tantôt ils constituent des métaphores. La métaphore est un récit qui ramène la vie à un niveau plus général et plus simple à comprendre qu’une réalité complexe. Ainsi des récits religieux de la création du monde ont été produits par toutes les civilisations. Ce sont de toute évidence des métaphores dont la vérification scientifique n’a pas de sens. Les évangiles des chrétiens utilisent très souvent des métaphores à travers des formules telles que « le royaume des cieux est semblable à…. ». L’expression « royaume des cieux » est en soit une métaphore. Les métaphores religieuses sont ainsi génératrices de nouvelles métaphores. Elles traduisent dans le langage humain des réalités inaccessibles par la simple raison. La simple raison humaine est limitée par les possibilités de ses langages vernaculaires et scientifiques, bien que ceux-ci soient capables d’explorer une infinité de concepts. Mais une

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La Voix sur le Chemin

infinité de concepts ne permet pas de décrire le tout. Il existe une infinité d’infinités. La raison est limitée par ses capacités de représentations mentales d’un espace-temps à quatre dimensions. La narration métaphorique revêt un aspect dynamique que ne possède pas le symbole qui est statique. Pour que le symbole perdure, il faut lui adjoindre une histoire. Le monde humain se structure à la fois autour de ses symboles statiques et de ses narrations dynamiques. Il s’agit là peut-être d’une analogie entre l’histoire humaine et l’espace-temps des physiciens où la matière est toujours en interaction. La narration déroule le fil du temps. Elle l’invente tout comme la trajectoire d’un objet dans l’espace et dans le temps. Le roman littéraire contient autant de vérités que les traités de philosophie, de mathématique, de médecine ou de théologie. La personnalité de l’individu et les sociétés se structurent ou se déstructurent en fonction des histoires qu’elles ont faites leur. Les histoires racontées sont les fils avec lesquels se tissent les histoires à venir. Les médias modernes, et particulièrement la télévision, imposent les mêmes histoires à l’ensemble de l’humanité. La série télévisée américaine impose une norme de modèle social à toute la planète. Ce modèle social représente sans doute une voie de progrès pour un certain nombre de sociétés où bien des traditions sont rétrogrades, en termes de droits de l’homme notamment. Mais si cette norme devenait universelle le patrimoine culturel de l’humanité s’en trouverait appauvri.

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La narration comme gène social

La narration structurante a besoin de diversité tout comme un écosystème, où les espèces se nourrissent les unes des autres. On peut observer des analogies entre les systèmes narratifs, les écosystèmes et les systèmes génétiques. Les uns comme les autres sont en quête incessante et dramatiquement contradictoire d’unité et de diversité. Ils fabriquent du soi en se décomposant, en se recombinant et en se recomposant sans cesse.

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Métalogique 6 09 2007

Le propos ici est de réfléchir sur la logique des logiques à l’œuvre dans le système cognitif humain et par extension dans la nature. Face à un problème mathématique, il existe souvent plusieurs voies pour le résoudre : l’algèbre, la géométrie, la numérisation. Certains calculateurs de génie, parfois sujets à des troubles cérébraux, réussissent à effectuer mentalement des calculs fort compliqués ou retenir une suite de nombres très longue, telle cette personne qui a récité par cœur plus de 20.000 décimales du nombre π. Le cerveau humain assure également la régulation d’un grand nombre de processus nécessaires à la survie de l’organisme selon des logiques propres. Des concentrations d’hormones véhiculent des informations qui déclenchent et régulent des mécanismes complexes, tels que la digestion, le sommeil, la cicatrisation d’une plaie, l’embryogenèse, les comportements sociaux ou sexuels. L’influx nerveux, constitué de signaux électrochimiques, contribue également à cette régulation. Les signaux de régulation hormonaux ou nerveux sont relativement simples en regard de la complexité des processus qu’ils déclenchent, ce qui laisse penser qu’une part importante de la programmation se situe au niveau local des organes, des cellules ou de l’environnement des individus. La situation est semblable à celle d’une machine où l’ordre de démarrage est

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La Voix sur le Chemin

donné par un simple bouton délivrant un signal binaire qui met en route des mécanismes complexes. La plupart des régulations de l’organisme s’effectuent de manière inconsciente pour l’individu. La conscience n’est que partiellement maîtresse du corps. Certaines informations, de stress par exemple, provenant de la conscience peuvent interférer avec les régulations somatiques de manière involontaire. Différentes techniques, le yoga par exemple, permettent une certaine influence volontaire de la psyché sur le soma. Ces types de techniques semblent reposer sur la recherche d’une relation d’empathie entre ces deux instances. Les langages du corps et de la raison consciente sont différents. Le langage de cette communication est constitué de métaphores élaborées par la raison et transformées en influx nerveux et en productions hormonales. La sophrologie consiste à influencer l’organisme par l’évocation mentale d’images. Comme je l’ai déjà écrit plusieurs fois, des systèmes cognitifs peuvent exister ailleurs que dans le cerveau, notamment dans l’ensemble de l’organisme. Les systèmes cognitifs à l’œuvre dans l’organisme, dont le système immunitaire, ont des langages propres. Un langage spécifique de l’empathie entre l’esprit et le corps cohabite avec les lois physico-chimiques. L’empathie est capable d’orienter les processus physicochimiques. Mais il existe probablement d’autres logiques cognitives à découvrir qui interviennent dans les régulations de l’organisme. Ces régulations semblent souvent fonctionner selon la logique floue, concept mis en œuvre dans certaines technologies les dernières décennies. Ces logiques floues sont

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Métalogique

capables de trouver des solutions très précises exigées par une régulation fine et indispensables à la survie des organismes. La compréhension de l’émergence de la conscience dans le cerveau passe peut-être par la compréhension plus générale de ces autres processus cognitifs. A niveau macroscopique, l’homme, par exemple, dispose de ses mains pour transformer la matière au terme de processus cognitifs plus ou moins complexes expérimentés quotidiennement. On comprend mal, par contre, comment fonctionne l’interface entre l’esprit et la matière au niveau moléculaire. L’esprit semble procéder d’un ordre émergeant d’une multiplicité d’interactions entre du collectif et de l’individuel. Peut-être à l’instar des propriétés physiques de l’eau qui émergent des interactions des molécules individuelles. Le degré de conscience et d’intelligence dans le règne animal est proportionnel au nombre de connexions 15 neuronales dans le cerveau. Il y a 10 connexions dans le cerveau humain. La nature est capable d’inventer des logiques et des processus spécifiques adaptés aux problèmes à résoudre. Ainsi le système immunitaire d’un organisme échappe-t-il à la conscience de l’individu. Il accepte certains parasites et en élimine d’autres. Mais on peut aussi conjecturer que les organisations humaines telles que la médecine, l’hygiène, l’adduction d’eau, la gestion des déchets sont des formes macroscopiques des systèmes immunitaires physiologiques. Il pourrait en être de même pour mécanismes régulateurs liés à la reproduction et à la sexualité nécessaires à la survie des espèces. Au-delà des mécanismes physiologiques conduisant à

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la fécondation et au développement de l’embryon, il a toujours existé une régulation sociale de la sexualité selon des normes religieuses, laïques ou culturelles inscrites dans des codes précis ou dans des « narrations ». Ces normes évoluent en fonction du contexte culturel et des données environnementales. Ainsi les sociétés modernes, où l’espérance vie s’allonge et la protection sociale se renforce, ont besoin de moins d’enfants, ce qui autorise un contrôle volontaire de la fécondité. Ce qui paraissait comme des crimes ou des dérives graves dans les sociétés traditionnelles, tels que l’avortement et l’homosexualité, deviennent acceptables en regard des risques minimes induits pour la survie de l’espèce. Les manipulations génétiques et la destruction de l’environnement naturel par l’homo technologicus sont des menaces bien plus graves pour la survie de sa propre espèce. Il est à peu près sûr que l’écosystème terrestre ne survivra que si la démographie humaine et l’impact des technologies se réduisent à des niveaux raisonnables. Les religions devraient, plutôt que de se focaliser sur la sexualité, qui est très bien régulée par les lois laïques, s’intéresser aux comportements économiques et politiques qui aliènent la dignité d’une partie considérable de l’humanité. Les fonctionnements des sociétés humaines peuvent être vus comme des émanations de systèmes cognitifs collectifs qui s’auto-organisent et donc qui échappent largement au contrôle par des individus particuliers. Ces systèmes n’ont pas de morale, ils sont leur propre fin. Il en est ainsi des systèmes économiques et financiers mondiaux. Mais même à l’intérieur de groupes restreints « un esprit de la meute » peut exercer un pouvoir sur l’ensemble des individus qui le composent. Pour

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Métalogique

transformer un tel esprit, il faut conquérir le pouvoir soit par la force soit en adoptant les règles du jeu de cet esprit pour un temps. La morale semble être elle-même un système utilitaire au service d’une stratégie de survie collective et à long terme dans les sociétés humaines. Les systèmes cognitifs et leurs processus associés sont multiples et divers. Mais ils ont tous en communs d’avoir un but propre. Ce but profondément inscrit dans la nature est la survie. La survie de quoi ? On ne sait pas toujours vraiment. La survie des espèces, de la vie, d’un esprit, d’un mème, sans doute. Mais l’univers est constitué essentiellement de matière inerte, du moins le pense-t-on. Ce qui semble être le moteur ultime de l’univers, c’est la recherche incessante de nouvelles formes pour la matière et les édifices conceptuels. C’est la structuration des espaces physiques et cognitifs qui confère pour un temps une identité à une forme qui part à la recherche de nouvelles formes. Les logiques globales et locales ne sont pas toujours compatibles. Le court terme et le long terme, le bien individuel et collectif ne vont pas toujours de paire. Les systèmes évoluent en réalisant des compromis ou en alternant leurs priorités dans un champ d’injonctions contradictoires. Cela se traduit au sein des sociétés humaines par beaucoup de d’injustices et de souffrances. Il n’y a pas de priorité entre le court et le long terme ou entre le global et le local. Il faut sauver et sacrifier en même temps les deux pôles de ces injonctions contradictoires.

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Nombres sans dimension 17 09 2007

La nature se régule probablement avec des nombres sans dimensions. Elle ne connaîtrait pas les unités (mètres, kilogrammes, secondes) et encore moins les énergies qui sont 2 2 des kilogrammes x mètres / secondes . Pourrait-on inventer une description générale des phénomènes naturels sans faire intervenir ces unités, c’est-à-dire uniquement des rapports entre ces grandeurs ? La mécanique des fluides ainsi que la cosmologie utilisent déjà des nombres sans dimension (Froude, Mach, Reynolds, redshift). La nature posséderait des logiques spécifiques pour traiter les nombres sans dimensions. Les calculs des scientifiques sont en fait toujours des nombres sans dimension au moment des opérations. Les nombres entrant dans les opérations sont liés avant et après à des unités (mètres, secondes, kilogrammes, joules, etc.) mais au moment même des opérations ce sont des nombres purs, voire des symboles de nombre. La description mathématique du monde physique, comme par exemple la chute d’un objet, passe par différentes étapes abstraites. Les humains ont observé le phénomène de la chute des objets pendant des millénaires en concluant simplement que plus un objet est lourd, plus il tombe de haut, plus il cause des dégâts lors de l’impact. Ils ont aussi constaté qu’une pierre, une flèche ou un boulet de canon propulsés dans les airs décrivent des courbes qu’ils ont longtemps assimilées à des arcs de cercles. Pour décrire ces phénomènes scientifiquement il a fallu

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attendre la conjonction de moyens précis de mesure du temps, de l’espace ainsi que des outils et objets mathématiques tels les paraboles. Les savants comme Galilée et Kepler ont mis en rapport toutes ces données pour aboutir à des formulations théoriques les plus simples possibles. L’équation qui donne la position d’un objet lors de sa chute 2 (x=½ .g.t ) doit respecter la cohérence des dimensions : 2 2 {mètres} = {mètres/seconde }. {seconde }. Mais lorsqu’on effectue des calculs à partir de cette formule, les nombres n’ont plus de dimension. On leur redonne une dimension après les calculs. Cela paraît banal, mais il est intéressant de noter que le traitement mathématique des phénomènes physiques passe par un passage dans une phase de nature différente. Les calculs de cette phase peuvent se réaliser par des techniques conventionnelles ou aujourd’hui par l’informatique. La trajectoire d’un objet dans l’espace peut être représentée par une suite de signaux binaires (001101010100100…) dans la mémoire d’un ordinateur. La description de certains phénomènes physiques, comme le comportement de circuits électriques, peut nécessiter un passage dans l’espace des nombres imaginaires (de type x=a+i.b (où i=√1. Ces nombres n’ont pas d’équivalents matériels, ce sont de purs objets mathématiques, mais ils permettent, grâce à leurs propriétés de simplifier bien des calculs de phénomènes ondulatoires. On observe une remarquable unité dans l’univers des nombres réels, iπ irrationnels et imaginaires données par la belle formule e =-1, qui a fait dire à Euler qu’elle est la preuve que Dieu existe.

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Nombres sans dimension

Donc en résumé la procédure de compréhension de la réalité physique est : saisie des données expérimentales sous formes de chiffres affectés d’unités (mètre, seconde, kilogrammes, etc.), traitement des chiffres sans dimension dans les univers mathématiques puis retour dans le monde réel avec nouvelle affectation d’unités.

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Ordre implicite 29 10 2007

David Bohm (1917-1992), physicien américain, a développé la théorie dite de l’ordre implicite (invelopped order, hidden order) qui stipule que tous les phénomènes observés dans la nature sont sous-tendus par un ordre supérieur invisible. Comme « tout est dans tout », à l’exemple de l’image holographique, il n’est pas pertinent de vouloir rechercher une théorie fondamentale. Notre vision du monde est toujours tributaire du point de vue, à l’exemple de l’image d’un poisson dans un aquarium qui change lorsque l’œil de l’observateur se déplace. L’esprit cartésien reconnaît un ordre dans la nature là où il peut ramener les formes à des structures géométriques de référence soit de manière formelle soit de manière métaphorique : point, ligne, triangle, cercle, volume, etc. Ces géométries sont de préférence euclidiennes, bien que celles-ci soient une idéalisation abstraite de la réalité matérielle. Il est plus difficile à l’esprit de se représenter des géométries sphériques ou hyperboliques, voire avec des dimensions supérieures à trois. Par ailleurs ce n’est que depuis quelques décennies que la géométrie fractale est entrée dans le champ de notre représentation du monde, grâce aux mathématiciens tels que Poincaré (1854-1912), E. Lorenz (né en 1917) ou B. Mandelbrodt (né en 1924). Ces géométries, caractérisées par une certaine auto-similarité à différentes échelles de tailles, sont omniprésentes dans la nature et dans les œuvres

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La Voix sur le Chemin

humaines : formes des côtes maritimes, ramifications ramification des bronches ou des branches et racines des arbres, cristaux de glace, fluctuations boursières, organisations hiérarchisées, etc. etc

Fractale mathématique

Fractale naturelle

L’ordre spatial, temporel ou organisationnel du monde est donc transcrit dans l’univers de la raison par des modèles géométriques. Cette géométrie est plus floue, mais tout de même existante, lorsqu’on se réfère aux systèmes marqués par l’empathie, les sentiments, les passions. On hiérarchise aussi ses sentiments. Dans le domaine de la matière, on observe différents types d’organisations entre l’ordre quasiparfaitement géométrique, d’un cristal par exemple, et le quasi-chaos chaos de la fumée. Il faut dire « quasi » car l’ordre et le désordre ne sont jamais absolus. Entre les es deux extrêmes de l’ordre et du

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Ordre implicite

désordre se situent tous les phénomènes naturels, dont le vivant, ainsi que les artefacts d’origine humaine. Il est intéressant d’observer que les structures de la nature connaissent une alternance de symétrie et de non-symétrie, voire de chaos apparent, lorsque passe de l’infiniment petit à l’infiniment grand : noyau de l’atome, nuage d’électrons, cristaux, atomes dans les gaz, cellules organiques, organes, organisme, écosystèmes, Terre, système solaire, galaxies, etc. Les cycles métaboliques du vivant, où chaque être se construit en se nourrissant de l’autre ou de ses déchets, sont des exemples de l’alternance temporelle d’ordre et de désordre de la matière. Certaines plantes sont dites autotrophes, car elles se nourrissent et se construisent en transformant des atomes et des molécules minérales en molécules organiques plus complexes. Les animaux en se nourrissant de ces plantes décomposent et recomposent ces molécules organiques. Certaines plantes et les animaux peuvent également se nourrir de molécules organiques provenant de leur propre espèce. Ces structures hiérarchisées se rencontrent également dans l’univers abstrait des connaissances et dans les institutions humaines. Entre le citoyen et l’Etat existe un certain nombre d’institutions aux structures ordonnées et des zones de quasidésordre et de liberté. Au-dessus des Etats, le besoin s’est fait sentir de créer des structures internationales ordonnées, quoiqu’il existe dans cette strate des institutions humaines encore beaucoup de désordre. On pourrait conjecturer que ces méta-ordres et métadésordres appartiennent à l’ordre impliqué de David Bohm.

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La Voix sur le Chemin

Les strates de ces mille-feuilles de désordres et de chaos apparents que l’on observe autant dans la nature que dans les structures d’origines humaines sont probablement les chaudrons où s’essaient les combinaisons de matière, respectivement d’idées, de comportements sociaux nécessaires à la dynamique de leur évolution. Un ordre peut émerger du désordre apparent d’une strate donnée. Ainsi chaque abeille d’une ruche œuvre selon des mécanismes simples, et elle n’a probablement aucune conscience du projet global de la ruche. La ruche, par contre, constitue un ordre émergent de l’ensemble des actions individuelles de chaque abeille. En observant les abeilles individuellement, on ne peut pas déduire la ruche qui en est issue. Il en est de même dans le domaine de la chimie, on ne peut pas déduire des propriétés des atomes H2O de l’eau, les propriétés singulières de l’eau liquide comme les températures de fusion et de vaporisation, l’anomalie de densité qui est maximale à 4° C et non à 0°C. La conscience est un ordre émergeant de la multiplicité des interactions des neurones. La multiplicité des interactions des éléments d’un système semble être la condition de l’apparition d’un ordre émergent. L’ordre émergent d’un macro-système est donc l’ordre impliqué qui n’est pas déductible des propriétés des microsystèmes qui le constituent. Il se pourrait aussi qu’en général nous n’ayons pas les modèles ou les modes de raisonnement nécessaires pour entrevoir

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Ordre implicite

l’ordre qui pourrait émerger d’un système donné. Il nous manque sans doute des éléments pour déduire les propriétés macroscopiques de l’eau des propriétés microscopiques des atomes. Il en est de même pour l’impact social global de la technologie qu’on ne peut pas déduire des propriétés physicochimiques des semi-conducteurs contenus dans les ordinateurs ou les téléviseurs. Pour les systèmes d’origine humaine techniques ou sociaux les ordres émergents sont parfois prévisibles, parfois ne le sont pas. Ils sont prévisibles dans la construction de machines malgré leur complexité, (quoiqu’un ordinateur puisse devenir instable). Le chômage, les cours du marché du pétrole sont des dés-ordres émergents des règles des jeux économiques.

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Espace 06 08 2007

Le cosmos est un espace dans lequel la matière évolue. Matière et espace ne sont pas les deux seules composantes de ce cosmos, il existe aussi un monde abstrait, platonicien disent les philosophes, celui de la pensée, de la traduction du cosmos en représentation mentale, une capacité propre l’homme et peut-être à d’autres entités. Cette représentation trifonctionnelle du cosmos en espace, matière et esprit, semble généralisable à d’autres domaines du savoir. Elle est également pertinente à d’autres échelles d’observation comme celle des phénomènes sociaux, cognitifs, religieux ou technologiques où les trois composantes sont des métaphores particulières de raison, empathie et incarnation. La présente note est consacrée à une réflexion sur la notion d’espace. Que sais-je de l’espace ? -

Nous et l’univers entier évoluons dans un espace « volumique » à trois dimensions. Le temps représente une quatrième dimension, qui est différente des trois autres à notre échelle humaine, mais peut-être pas pour des objets de tailles cosmiques ou sub-microscopiques ou encore se déplaçant à la vitesse de la lumière, où le temps et l’espace sont indistincts selon certaines théories. Dans la théorie de la relativité, la dimension du temps est

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affecté de la valeur i (où i=√1 qui est un nombre imaginaire. Les physiciens et mathématiciens ayant développé la théorie dite des cordes, postulent que les objets les plus élémentaires constituant la matière évolueraient dans un espace de onze dimensions uniquement pertinent aux échelles de tailles petites. Il s’agit en fait d’objets mathématiques, que la physique expérimentale ne permettra probablement jamais de voir. Certaines observations seraient explicables partiellement par de tels espaces. . La vitesse d’un objet est le quotient de l’espace parcouru en un laps de temps. Pour faire varier la vitesse ou la trajectoire d’un objet, il faut appliquer une force, donc dépenser de l’énergie. Une pierre lancée dans un vide intersidéral absolu ne s’arrêterait jamais. Le plan d’oscillation du pendule de Foucault semble tourner au cours d’une journée, en fait il reste fixe par rapport à l’espace absolu du cosmos. Une force appliquée sur un objet, lui confère une accélération, c’est-à-dire une variation de sa vitesse, accélération qui s’exprime en mètre par seconde au 2 carré (m/s ). L’objet qui se déplace porte une certaine énergie 2 (E=1/2 mv où E est l’énergie, m la masse de l’objet et v la vitesse). Espace-temps, masse, énergie sont donc liés de manière trifonctionnelle. L’énergie se propage dans l’espace soit sous forme cinétique, c’est-à-dire par des objets en mouvement, soit par des ondes comme l’électricité ou la lumière dont les photons n’ont pas de masse. L’énergie peut se stocker localement dans un objet sous forme, d’énergie potentielle comme l’eau dans un barrage, d’énergie cinétique comme des volants

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d’inertie ou de particules sous pression ou mises en température, de liaisons électrochimiques comme dans les hydrocarbures ou de liaisons nucléaires comme dans les noyaux des atomes. Lagrange (1736-1813) a établi une représentation mathématique générale du rapport entre l’énergie et l’espace et le temps (Voir « lagrangien » sur Wikipédia). Cette modélisation a été extrapolée vers les domaines de la mécanique quantique et de l’électromagnétisme. Emmy Noether (1882-1935) a formulé en 1918 un théorème stipulant l’équivalence entre les lois de conservation de l’énergie E, de l’impulsion mv, du moment angulaire et l’invariance lors des déplacements d’un corps respectivement dans le temps, lors d’une translation et lors d’une rotation autour d’un axe. Les phénomènes naturels, les processus vivants ou technologiques utilisent la transformation d’une forme d’énergie en une autre qui représente le fonctionnement de base du réel. Par exemple, la production d’électricité d’origine nucléaire connaît les transformations énergétiques suivantes : énergie de liaison des nucléons dans les noyaux d’uranium, énergie cinétique des noyaux fissionnés, chaleur de l’eau, production de vapeur d’eau, énergie cinétique de la vapeur dans la turbine, énergie mécanique de la turbine, énergie cinétique de l’alternateur, énergie électrique. L’énergie électrique n’est pas stockable de sorte qu’elle doit être convertie immédiatement en chaleur (chauffage, éclairage), en énergie mécanique dans des moteurs, en énergie chimique dans des batteries. Le vivant est un processus d’organisation de la matière qui fait passer cycliquement une forme d’énergie dans une autre en utilisant les mécanismes

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physico-chimiques. Chez les plantes, l’énergie chimique contenue dans les minéraux est transformée en énergie mécanique et en nouvelles formes chimiques pour construire la structure végétale. L’énergie est nécessaire pour fabriquer de l’information. Les animaux utilisent l’énergie chimique des aliments également pour se construire, se déplacer et fabriquer de l’information. Dans tout le monde vivant, les déchets de l’un servent de nourriture à l’autre, de sorte que le vivant dans son ensemble pourrait vivre éternellement, moyennant l’apport de l’énergie solaire. L’énergie qui alimente la Terre provient essentiellement du soleil, une partie vient de la radioactivité et de la compression des roches. Elle est le moteur des cycles climatiques de l’eau et de l’air. La Terre renvoie dans l’espace autant d’énergie qu’elle en reçoit, sinon elle s’échaufferait indéfiniment. Le passage de l’énergie solaire sur Terre sert à créer des structures, donc de l’information. Selon la théorie de la relativité restreinte d’Einstein, d’une part la vitesse de la lumière de 300.000 kilomètres par seconde est indépassable (jusqu’à preuve du contraire) et d’autre part il existe une 2 équivalence de la masse et de l’énergie (E= mc , où E est l’énergie, m la masse au repos d’un objet et c la vitesse de la lumière). La masse d’un objet deviendrait infinie s’il atteignait la vitesse de la lumière en vertu de la formule   / 1  / . La matière est ainsi également un lieu de stockage et de transformation de l’énergie. Selon la théorie de la relativité générale d’Einstein, la matière déforme l’espace dans son environnement, qui n’est donc plus euclidien, mais courbe. La somme des angles d’un triangle n’est en fait pas exactement

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égale à 180 degrés sur Terre. Les systèmes de localisation GPS intègrent des corrections relativistes des distances entre les satellites de référence et l’utilisateur du GPS. Ces corrections, qui tiennent compte du parcours courbe des ondes au voisinage de la masse terrestre, sont de l’ordre de la dizaine de mètres. Depuis Newton (1643-1727), on sait que la force F gravitationnelle d’attraction de deux corps de masse m et m’ est proportionnelle au produit de leur masse et inversement proportionnelle au carré de leur 2 distance(F=K.m.m’/d ). Cette force est à l’œuvre dans les mouvements des astres et sert à expliquer leurs trajectoires. Ces trajectoires sont très compliquées et imprévisibles lorsque de multiples corps sont en interaction mutuelle. L’énergie E est une force multipliée par une distance de déplacement de cette force. Dans son principe de la moindre quantité d'action pour la mécanique, Maupertuis (1698-1759) définit l'action comme suit : « L'Action est proportionnelle au produit de la masse par la vitesse et par l'espace. Maintenant, voici ce principe, si sage, si digne de l'Être suprême : lorsqu'il arrive quelque changement dans la Nature, la quantité d'Action employée pour ce changement est toujours la plus petite qu'il soit possible. » Les mathématiciens ont inventé par analogie des objets mathématiques appelés « espaces » : espace vectoriel, espace topologique, espace de Minkowski. Ces espaces sont caractérisés par les propriétés particulières des éléments qui sont susceptibles de les peupler. Les propriétés mathématiques de certains de ces espaces permettent de décrire les comportements de la matière tant aux niveaux microscopiques,

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notamment en mécanique quantique, qu’aux niveaux macroscopiques. Les objets constituant ces espaces mathématiques sont caractérisés par des propriétés spécifiques. Il peut s’agir de points, de volumes, de masses, de vecteurs orientés, etc. L’utilisation des moyens de calculs massifs des ordinateurs a permis de développer les espaces fractals dont la caractéristique principale est l’existence de dimensions fractionnaires. Les images fractales produites sur écran d’ordinateur ont des dimensions situées entre un, celle de la ligne, et deux, celle du plan. Il apparaît que de nombreux processus naturels relèvent de la géométrie fractale : arborescences des plantes ou des bronches, découpages côtiers, croissance cristalline, fluctuations boursières, etc.

Réflexions Il est curieux de constater que des caractéristiques fondamentales de l’espace comme la distance, la vitesse, la force, l’énergie, la masse sont liées entre elles par des processus mathématiques tels que les multiplications et divisions. Comment la nature effectue-t-elle ces calculs, (ou ce que nous traitons comme des calculs) ? La nature possède vraisemblablement des « moyens calculs » dont les mathématiques humaines n’en sont qu’une variété. A cet égard il est intéressant de rappeler que certains humains calculateurs prodiges réussissant des opérations de calcul mental fort compliqués mettent en œuvre des processus dont ils ignorent eux-mêmes les mécanismes. Ceci laisse penser qu’il existe d’autres méthodes de calculs dans la nature que le quatre opérations de base apprises à l’école primaire.

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Espace

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- La formule F=K.m.m’/d mentionnée ci-dessus peut se visualiser de la manière suivante. La force F s’exerçant entre les masses m et m’ est le résultat de la rencontre de « gravitons » émis par chacune des masses. Les gravitons seraient des particules émises par chaque masse et qui créeraient l’attraction si elles se rencontrent. La densité de gravitons présents à une distance d d’une masse donnée est 2 proportionnelle à l’inverse du carré de la distance (1/d ) car la surface de la sphère sur la quelle se distribuent les gravitons 2 est proportionnelle au carré de la distance (S=4πd ). Par ailleurs la probabilité de rencontre de gravitons nécessaire pour que la force s’exerce, est proportionnelle au produit de leur densité respectives et donc de m.m’. Les comportements mathématiques de la nature sont plus difficilement visualisables pour les autres formules mentionnées plus haut 2 2 telles que E= mc ou E=1/2 mv . - L’ensemble des phénomènes du monde réel est peut-être représentable par la trifonctionnalité constituée d’espace, de matière et de règles. Selon les domaines envisagés, les différentes expressions des ces trifonctionnalités peuvent varier.

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DOMAINE

TRIFONCTIONNALITES

Univers minéral

Espace

Matière

Lois physiques

Cosmos

Champ

Energie

Information

Univers vivant

Ecosystème

Composés organiques

Métabolismes

Univers cognitif

Noosphère

Substrat neuronal

Algorithmes neuronaux

Univers social

Société

Individus

Jeu social

Univers technologique

Technosphère

Machines

Art l’ingénieur

Univers économique

Sphère économique

Argent, marchandises

Règles commerciales

Univers mathématique

Savoir

Ecrits mathématiques

Logique déductive

Univers informatique

Information

Bit, programmes, ordinateur

Algorithmes

Univers langage

Langue

Mots, paroles, écrits

Grammaire

du

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de

Espace

Ce sont les lois d’interaction et de répulsion entre les éléments qui font exister un espace donné. Les structures nouvelles émergent dans l’espace de proximité engendré par l’attraction et la répulsion. -

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Ces univers sont fractals, c’est-à-dire comportant des structures à différentes échelles de tailles, de temps et d’organisation. Ces structures sont plus ou moins auto-similaires et on peut passer d’une échelle à l’autre par transformation plastique, c’est-à-dire par modification progressive. Ces univers sont imbriqués entre eux. Les équilibres locaux dans l’univers sont dynamiques. Le temps, l’espace, l’énergie ne font que passer en laissant provisoirement l’information inscrite dans la matière structurée. Il est intéressant de noter que les lois d’attraction universelle des masses n’entraînent pas seulement le compactage de celles-ci (formation des étolie et des planètes), mais permet également leur ségrégation et différenciation. Le poids volumique d’un corps entraîne que celui-ci s’éloigne ou se rapproche du centre de la Terre en fonction du poids volumique de son entourage. C’est le principe d’Archimède. Un astéroïde qui ne tombe pas directement sur une planète subit une déviation autour de celle-ci et une accélération qui l’en éloigne. Une fusée, un avion à réaction avancent en raison de la conservation de la somme des quantités de mouvements (masse x vitesse) du véhicule et des gaz chauds qui s’échappent à haute vitesse des réacteurs. Un nageur, un avion se maintiennent en sustentation dans un milieu moins dense qu’eux grâce à leurs déplacements qui créent la portance. Tout se passe comme si la vitesse d’un objet augmentait la densité relative du milieu sans lequel il

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évolue. C’est aussi ce phénomène qui entraîne le réchauffement des navettes spatiales rentrant dans l’atmosphère ou la douloureuse expérience d’un plongeon à plat ventre dans l’eau. Le déplacement, donc le temps, la vitesse, l’énergie est la caractéristique fondamentale qui fait exister l’espace. Les structures d’un espace peuvent être très ordonnées à l’instar de l’ordre cristallin où chaque atome est figé dans une place déterminée, ou bien soumis à des ordres plus souples allant jusqu’au chaos tel celui de la fumée. Le vivant fonctionne sur des principes d’ordre intermédiaire entre le cristal et la fumée. Les symétries dans divers domaines (espace, cycles temporels, organisation) sont la signature de l’ordre et de l’information contenues dans un système y compris dans un système cognitif. Le principe de symétrie et de quasi-symétrie est omniprésent dans les structures du réel. On observe des alternances de symétries, de quasi-symétries, de structures très organisées de manière complexe et de structures chaotiques à l’intérieur d’un système lorsqu’on explore les différents ordres de tailles. Ainsi le corps humains révèle des axes de symétries ainsi que des symétries dans les organes à côté de structures complexes, fractales ou réparties de manière pseudo-aléatoire. La matière minérale connaît également ces alternances de symétries en allant du monde sub-microscopique aux dimensions cosmologiques. Mais le sommet de la complexité semble se situer dans les processus du vivant et, selon les dires de certains, le cerveau humain serait l’objet le plus complexe dans l’univers. Pendant la grossesse il se forme 250.000 neurones par minute de sorte que dès la naissance l’homme dispose de 100 milliards de neurones ayant chacun 500 connexions qui seront

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10.000 après quelques années d’apprentissage de la vie. Donc chaque cerveau humain élabore les régulations de son organisme et sa pensée grâce à un million de milliards de connexions neuronales qui sont en rapport plus ou moins direct avec celles des milliards d’autres humains vivants ou ayant laissé traces dans l’histoire du monde. Notre vie terrestre n’est à trois dimensions qu’en apparence à notre échelle de taille. La dimension dans lequel évolue un système dépend de l’ordre de grandeur d’observation. Nous pouvons bouger une main en explorant les trois dimensions de l’espace. Vus depuis la Lune, les humains évoluent dans un espace à deux dimensions à la surface d’une sphère et vus de Sirius, ce sont des points de dimension nulle. Le vivant à la surface de la Terre, de son propre point vue, se développe dans un espace à trois dimensions. La Terre vue de l’espace est plus lisse qu’une orange et les espèces vivantes constituent une mince couche qui fait penser aux efflorescences des images fractales de Mandelbrodt. La structure d’un espace est fonction de la taille et de la distance de l’observateur. Pour fixer les ordres de grandeurs on suppose que la Terre est une sphère de un mètre de diamètre, au lieu de 12.000 Km. Le Mont Blanc serait une aspérité de 0,4 mm de haut, un homme mesurerait moins de 0,1 micron (millième de millimètre), l’épaisseur approximative de la biosphère de 12 Km serait de un mm. Le développement d’un système ne répond pas uniquement aux lois locales, d’une certaine manière il intègre aussi des causalités spatio-temporels provenant d’autres échelles de taille et peut-être d’autres dimensions. L’influence d’un système sur son environnement doit dépendre des dimensions qui sont observables par cet

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environnement. En s’éloignant d’un objet on voit les dimensions caractéristiques de l’objet passer à trois, deux et demi, un et demi, un, un demi, zéro. Mais il existe souvent une distance optimale d’un objet pour voir le mieux ses liens fonctionnels avec son environnement. Les systèmes cognitifs ont pour fonction de créer des représentations du réel qui font apparaître de l’ordre et des symétries. Dans les différents domaines du savoir humain émergent des alternances de symétries, de quasi-symétries, de fractalité, de complexité, de chaos à l’instar de ce que l’on observe dans le monde matériel. C’est la raison pour laquelle un corpus de pensée, une idéologie peuvent paraître tout à fait cohérents lorsqu’on en est proche et dès qu’on en prend de la distance ils peuvent perdre leurs symétries et leur ordre, jusqu’à apparaître complètement chaotiques. Les idéologies politiques ou religieuses en donnent des exemples. A l’instar de la matière, la structure cognitive connaît des limites au-delà desquelles son apparence et sa pertinence se transforment. Tout comme il n’existe pas pour la matière de cristal ou de structure monolithique de taille infinie, il n’existe pas de représentation abstraite du réel totalisante. De telles représentations ont plutôt tendance à devenir totalitaires. Gödel a fait la démonstration de cette incomplétude des représentations pour les théories mathématiques. On peut conjecturer que l’incomplétude est aussi une caractéristique de tout système de pensée. Les systèmes cognitifs sont tributaires de systèmes matériels, tels que les neurones ou les transistors des ordinateurs, qui leur servent de substrat. La matière environnante leur transmet des informations sur des supports matériels ou ondulatoires (lumière, son). Ils traitent ces informations en déplaçant de la matière

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en leur sein. Ils agissent sur la matière pour restituer l’information élaborée ou transformer celle-ci. L’activité cérébrale est visualisable par IRM. L’effet placebo des médicaments ou les « miracles » de Lourdes résultent de l’action de l’esprit sur l’organisme. Imaginons un voyage depuis le fin fond de l’univers en direction de notre planète Terre avec un cône de vision de quelques degrés sur les objets placés devant nous. Imaginons que nous sommes des êtres infiniment petits capables de pénétrer jusqu’au plus profond de la matière située sur notre trajectoire et que nous soyons en plus capables de « voir » les champs de forces auxquels sont soumis les objets que nous voyons.

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Voyage dans les ordres de grandeurs Du fin fond de l’univers en plein vide intersidéral il fait très froid, aux environs du zéro absolu de -273 °C. Quelques particules venues des étoiles lointaines s’entrechoquent et font que la température n’est pas tout à fait nulle. Cette lumière (cette obscure clarté qui tombe des étoiles, selon Pierre Corneille) qui provient des milliards d’étoiles que nous voyons dans toutes les directions contribue à réchauffer le manque d’atmosphère de quelques millièmes de degrés audessus du zéro absolu. Quelle que soit la direction vers laquelle nous partirions, nous rencontrerions une étoile pas forcément visible de là où nous sommes car sa lumière a été absorbée en chemin par des astres éteints ou par des particules de poussière. La théorie admise aujourd’hui pour expliquer l’invisibilité de la plupart des étoiles très lointaines dit que l’expansion de l’univers entraine un décalage de leur spectre de lumière par effet Doppler vers des longueurs d’ondes invisibles. De temps en temps, tous les milliers d’années, une particule plus ou moins grosse, de taille allant du micron à des milliers de kilomètres, passent à proximité, à quelques mètres ou à quelques milliers d’années-lumière. Le « rien » n’existe probablement nulle part dans notre univers. Depuis cet observatoire d’où nous embrassons l’ensemble de l’univers, nous percevons une infinité des grains de poussières dont certains émettent de la lumière. Ils sont uniformément répartis

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dans le temps et l’espace. Nous sommes vraisemblablement face à une symétrie spatiale et temporelle absolue Cet univers paraît en expansion, tous les points lumineux s’éloignent en permanence. Tout se passe comme si, en remontant le temps, cet univers était le résultat d’une explosion initiale, le Big Bang. On pourrait aussi imaginer que la matière apparaisse en permanence sous forme de particules élémentaires en chaque point de cet univers comme si elles franchissaient le mur qui sépare notre espace-temps d’un autre qui nous apparaît comme le vide ou le néant. Certains physiciens parlent de l’énergie du vide et de ses fluctuations qui engendreraient la matière. Notre univers à trois dimensions est peut-être, à un univers de dimensions supérieures, ce que l’univers à deux dimensions à la surface d’une sphère est par rapport aux trois dimensions de la sphère. Les deux dimensions à la surface de la sphère n’existent que parce que la sphère est à trois dimensions. Ainsi notre univers n’existerait que grâce à des dimensions supérieures. On peut se demander s’il existe une imbrication à l’infini d’univers de dimensions de plus en plus nombreuses. On peut se demander si, comme dans notre monde perceptible, les univers à différentes dimensions connaissent aussi des dimensions fractales, de la complexité ou du chaos. En se focalisant sur ces points lumineux, on voit apparaître des filaments qui sont des amas de galaxies. Les astrophysiciens évaluent que notre univers comporte 100 milliards de galaxies avec chacune 100 milliards d’étoiles, c’est-à-dire de soleils comme le nôtre. La taille de l’univers serait de l’ordre de 15 milliards d’années-lumière. L’activité principale de cet univers en expansion consisterait à agglutiner les particules

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élémentaires par les jeux de quatre forces (gravitationnelles, nucléaires fortes et faibles, électromagnétiques) identifiées par les physiciens en vue de constituer des protons, puis des atomes simples d’hydrogène, puis des conglomérats de gaz. Lorsque la densité d’un conglomérat est suffisamment élevée, celui-ci s’allume sous l’effet de réactions thermonucléaires et forme une étoile comme notre soleil. Les réactions thermonucléaires combinent les noyaux d’hydrogène (protons) et forment par empilements successifs les éléments de la table de Mendeleïev dont nous sommes constitués. Les étoiles sont des fabriques de matière qui naissent, vivent et meurent. La brique de base de la matière en interaction dans les étoiles est le proton dont les différentes transformations conduisent à la production de neutrons, d’électrons et de noyaux plus lourds. Les étoiles projettent les noyaux de matière nouvelle et les électrons ainsi fabriqués sous forme de poussière dans l’espace. A bonne distance de l’étoile, là où la température a baissé, ces noyaux s’entourent des électrons pour former des atomes qui à leur tour s’agglutinent à nouveau pour former des astres dont certains sont gazeux, comme Jupiter ou rocheux comme la Terre. De nouvelles étoiles naissent de cette matière lorsque la densité est suffisante pour l’auto-allumage. Il peut aussi se former des trous noirs où la matière devient infiniment dense et qui absorbent toute la matière dans son environnement. Il est probable que les hommes ne connaîtront jamais toutes les catégories d’objets susceptibles d’exister dans l’univers. Les processus stellaires se déroulent sur des millions d’année et mettent en jeu des masses considérables. Notre soleil est considéré comme une petite étoile. Il n’est pas certain que seules les forces de gravitation et thermonucléaires déterminent tous les comportements de la

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matière cosmique. Les ordres de grandeurs des espaces, des durées, des énergies mises en jeu dans l’univers sont incommensurables avec l’échelle humaine. La taille de l’univers 22 est de l’ordre de 10 kilomètres, sa durée d’existence est de 10 l’ordre de 10 années et les phénomènes les plus puissants observés, les sursauts gamma, mettent en jeu des énergies équivalentes à des milliards de soleils. En zoomant du fond de l’univers sur notre système solaire, nous franchissons 99,999… % de l’univers. Et nous avons sans doute raté de nombreuses curiosités. Ce système solaire en soi est une belle curiosité avec ses planètes qui tournent autour du soleil dans presque un même plan et dans un ordre spatiotemporel presque parfait. La Terre est une curiosité encore plus grande. Elle possède une lune qui stabilise son inclinaison sur le plan de l’écliptique de sorte qu’il existe des saisons. Tantôt l’hémisphère nord est orienté vers le soleil, tantôt l’hémisphère sud. Ces saisons, une distance adéquate du soleil ainsi la présence d’une atmosphère et d’eau permettent une régulation de la température moyenne de 15° C. L’eau y existe à l’état liquide et la chimie du carbone conduisant à la vie y est possible. La Terre est la seule planète du système solaire où l’eau est massivement à l’état liquide. Les vents y soufflent à des vitesses raisonnables régulant l’hygrométrie et permettant à la végétation de se développer sur de grandes surfaces. Les autres planètes du système solaire connaissent des températures inhospitalières allant de moins 270°C à plus 600°C et des vents de 600 Km/h. La tectonique des plaques qui s’alimente de la chaleur du noyau en fusion de la Terre, conduit à la formation des montagnes qui jouent un rôle déterminant de réservoir dans la

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régulation du cycle de l’eau sans lequel les terres ne seraient pas irriguées ni les mers alimentées en nutriments essentiels à la vie marine. Le noyau métallique en mouvement génère un champ magnétique terrestre. Celui-ci détourne les violents vents solaires qui autrement balaieraient l’atmosphère comme c’est le cas des planètes sans champ magnétique suffisant. La taille de la Terre est telle qu’elle est en mesure de retenir par gravitation une atmosphère. La Terre s’est formée il y a 4,5 milliards d’années par l’agglomération gravitationnelle progressive des roches et de débris provenant des étoiles qui étaient piégées dans une ceinture orbitant autour du soleil. Elle a fini par aboutir à une forme sphérique presque parfaite. L’eau et les gaz se sont séparés des roches sous l’effet des mécanismes thermodynamiques et gravitationnels. Les cycles de l’eau et de l’atmosphère se sont progressivement mis en place. L’atmosphère primordiale de la Terre était constituée de gaz carbonique. Les premiers organismes vivants pendant quelques milliards d’années ont contribué à piéger le carbone dans les océans et dans les couches géologiques sous forme de calcaire ou d’hydrocarbures. Ils ont progressivement enrichi l’atmosphère en oxygène de sorte que de nouvelles formes de vie ont pu apparaître, dont celle des hommes. Ainsi donc, dans les fournaises des étoiles les noyaux de la matière de plus en plus lourds se sont agglomérés. Après éjection ces noyaux se sont entourés d’électrons pour former des atomes qui à leur tour se sont constitués en solides, liquides et gaz. Il est intéressant de noter que les électrons se sont agglomérés autour des noyaux, constitués de protons et de neutrons, de manière discontinue en passant d’un type de noyau à un autre. Chaque type d’atome a ainsi des propriétés

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chimiques particulières et l’association avec d’autres atomes permet de constituer une variété infinie de molécules. On peut y voir une analogie avec les lettres de l’alphabet qui permettent de générer une infinité de mots, puis d’écrire et d’ouvrir le champ de nouveaux ordres émergents. Ces matières ont formé des structures cristallines et certaines molécules, comme celles de l’eau au niveau microscopique. Au niveau macroscopique, elles ont constitué des rochers, des systèmes planétaires, des océans et des atmosphères. La nature a transité vers le vivant en constituant des molécules de plus en plus complexes, puis des assemblées de molécules, des organismes, des collectivités d’organismes et des collectivités de collectivités que sont les écosystèmes. Les espèces vivantes se sont constituées progressivement au cours d’une évolution qui dure depuis plus de quatre milliards d’années. Les mécanismes de l’évolution ne sont connus que partiellement. La théorie scientifique la plus généralement admise est celle du darwinisme expliquant l’évolution par des mutations aléatoires suivies de sélections naturelles des individus les plus adaptés et donc aptes à transmettre à leur descendance cette mutation. Ce processus est sans nul doute à l’œuvre dans l’évolution (au demeurant Darwin, ne parlait pas d’évolution mais d’origine des espèces), mais il n’est qu’un moyen d’exploration du champ des possibles. Il est difficile d’expliquer par le darwinisme la fabrication de fonctions complexes qui ne marchent que lorsque tous les organes sont présents en même temps (à l’instar d’une tapette pour attraper les souris). Il n’explique pas non plus les cloisonnements entre les espèces (mais cela est moins sûr). L’évolution des espèces fonctionne peut-être comme un langage avec des équivalents de lettres =

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les gènes, des mots = les individus, des récits = des espèces, une littérature = l’écosystème. Certains astrophysiciens ont détecté des traces de molécules organiques tels que l’ammoniac dans les spectres lumineux de certaines étoiles. Depuis quelques années, ils mettent en évidence des systèmes planétaires autour de certaines étoiles. Mais on est loin d’observer de la vie semblable à celle qui s’est développée sur Terre. Mais peut-être existe-t-il des formes d’organisation de la matière autre que la chimie du carbone et de l’eau dont la vie est fabriquée sur Terre. Les écosystèmes fonctionnent grâce à la synergie de l’ensemble des espèces vivantes végétales et animales et du système climatique dans la mince biofilm à la surface de cette bille rocheuse perdue dans l’univers qu’est la Terre. Les espèces vivantes se sont dotées d’artefacts sociaux pour promouvoir leur survie. Il existe ainsi des colonies végétales et animales pourvues de règles et de modes de fonctionnement souvent encore mal connus. Il se pourrait, comme on l’a évoqué pour les abeilles, que ces colonies constituent des « cerveaux collectifs ». Les cybernéticiens étudient depuis quelques années ces systèmes d’agents collectifs où chaque individu de la colonie agit selon un programme très simple mais qui aboutit à des structures collectives très complexes. L’homme a franchi de nouvelles frontières de l’évolution dans la complexification de la matière. Au fil des siècles l’homme a «perfectionné » les organisations sociales héritées du monde animal, notamment grâce à la technologie. (Il convient de nuancer la notion de perfectionnement de l’homme par

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rapport à l’animal quand on songe aux méfaits de la barbarie humaine.) A côté de la biosphère, l’homme a créé une technosphère, qui s’est développée en même temps que la noosphère. Selon Teilhard de Chardin (1881-1955), il s’agit de la sphère de la connaissance, des activités politiques et économiques. Il est difficile d’admettre que l’aventure cosmique et improbable de la planète Terre, avec l’apparition de la vie, soit uniquement le résultat du jeu des champs gravitationnels, électromagnétiques et de quelques autres lois chimiques. On pourrait conjecturer que l’univers est tellement vaste que l’improbable a toutes les chances de se réaliser quelque part par hasard. On pourrait émettre l’hypothèse que les lois physiques en apparence simples recèlent toutes les potentialités de la complexité du monde. Ces réflexions me ramènent toujours à l’hypothèse qu’il existe des formes d’intelligence à de nombreuse les échelles de tailles, de temps et d’organisation de la matière. Ces systèmes cognitifs auraient la possibilité d’agir sur la matière au-delà des lois physico-chimiques, sans s’en affranchir, bien sûr. C’est d’ailleurs ce que fait l’homme et le vivant en général. Le fonctionnement de l’orbite terrestre autour du soleil ou l’anomalie de la densité de l’eau, qui est maximale à 4°C et non à 0°C, paraissent relever de l’acte intelligent au regard de la conséquence pour la vie sur Terre. Le système cognitif humain agit sur la matière par ses mains essentiellement. L’action de systèmes cognitifs sur un système planétaire ou moléculaire est plus difficile à imaginer.

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Tant que l’homme ne disposait pas d’outils, il était une espèce parmi d’autres dans l’écosystème terrestre. Sa technologie et sa culture ont fait émerger un ordre nouveau au sein de la nature. Si une forme de vie existe ailleurs dans l’univers, il est peu probable qu’elle ait développé une culture ou une technologie semblables aux nôtres. Des ressemblances pourraient exister si nous avions un patrimoine génétique commun provenant de l’ensemencement de l’espace par des molécules nomades. Mais le voyage à travers l’espace intersidéral de telles semences durerait des millions d’années et ensuite il faudrait d’autres milliards d’années pour parcourir la chaîne de l’évolution. Ce mécanisme n’est pas absolument impossible mais probablement indémontrable. La technologie humaine, qui a l’inconvénient par rapport au vivant d’épuiser ses propres réserves et agir en prédateur sur la biosphère, se comporte à terme comme un cancer du biofilm terrestre. Il risque de tuer l’organisme qui le fait vivre. A l’échelle des temps paléontologiques, il est probable que le phénomène humain soit un épiphénomène. Comme toute espèce, l’homme finira par disparaître peut-être en même temps que 90 % des autres espèces qu’il aura contribué à éliminer. Les dinosaures après avoir régné 300 millions d’années ont fini par disparaître. L’homme s’est affranchi partiellement des dures lois de la régulation du vivant faites de prédation et de souffrance. En fait il a mis aux point des avatars de cette régulation qui déplacent les modes de prédation et la souffrance et tentant de les tempérer. La science, l’art, la spiritualité sont des ordres émergents du phénomène humain. Sont-ce de simples artéfacts contribuant à la régulation de la société ? Ou bien

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sont-ce des émanations d’un au-delà révélé à l’homme ? Pourquoi la nature a-t-elle attendu 4 milliards d’années pour faire apparaître ces phénomènes sur Terre ? Ma proposition de réponse est encore dans l’existence d’autres systèmes cognitifs non humains, qui à leur manière ont produit des sortes d’art, de science et de spiritualité. L’espace humain est bien plus complexe que l’espace des forces physico-chimiques. Quittons l’échelle humaine vers l’infiniment petit. Si nous descendons via le vivant, nous rencontrons d’étonnantes structures d’organes, de cellules, de molécules avec leur logique propre à chaque niveau, mais intégrés dans la logique globale de l’écosystème. Une aile de moustique est une merveille de biotechnologie. La fabrication ou la réparation d’un organe par les cellules fait appel à des algorithmes des plus sophistiqués, dont on ignore beaucoup d’aspects. Le jeu des neurones fait émerger la conscience. Chaque cellule est une usine en soit. Richard Dawkins (né en 1941), éthologiste britannique, a proposé la théorie du gène égoïste et du phénotype étendu qui stipule que l’ensemble du monde vivant est un outil de prolifération du gène. Il y aurait au cœur ultime de la matière vivante une composition d’atomes et de molécules autoréplicantes à l’infini. De la même manière qu’il existe en informatique des programmes qui peuvent ne jamais s’arrêter, des molécules pourraient constituer une sorte de programme sans fin. Le phénotype étendu dit que le gène ne programme

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non seulement la physiologie de l’individu, mais aussi les comportements sociaux. On peut poursuivre le voyage vers les ordres de tailles plus petites. Les virus semblent être les plus petits êtres dont on ne sait pas toujours s’il faut les classer parmi les êtres vivants ou non. Ce sont parfois de grosses molécules comportant un programme de réplication qui ont besoin de pénétrer dans les cellules des êtres vivants pour accomplir ce programme. Bien des virus vivent en harmonie avec les organismes hôtes. On peut se demander si les molécules d’ADN qui programment la construction des organismes vivants ne partagent pas certaines analogies avec les virus. Les chaînes codantes de l’ADN ne se détruisent que lentement après la mort et peuvent conserver leur information pendant des millénaires selon le milieu où elles se trouvent. Il n’est pas exclu que la vie sur Terre provienne du voyage à travers l’espace intersidéral de molécules codantes. Les connaissances actuelles de la science fixent des limites dimensionnelles floues du vivant : aux niveaux des virus vers le bas et des écosystèmes vers le haut. Il s’agit donc d’un créneau -9 +7 mètres, alors que extrêmement étroit allant de 10 à 10 l’univers exploré par la connaissance humaine est inférieur à -18 + 26 10 (taille estimée de l’électron) et va jusqu’à 10 mètres (taille estimée de l’univers). Les temporalités mises en jeu par le vivant sont difficiles à estimer, elles doivent être de l’ordre de la microseconde pour

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les processus chimiques élémentaires et aller jusqu’à quatre milliards d’années pour l’évolution des espèces. Les -15 temporalités explorées de la matière vont de l’ordre de 10 seconde aux quinze milliards d’années de l’âge de l’univers. Il est intéressant de constater que la temporalité du vivant (4 milliards d’année) se situe dans le même ordre de grandeur que l’âge de l’univers (15 milliards d’années). Il est concevable que la vie soit apparue dans l’univers avant d’apparaître sur Terre. Le vivant semble être un des moyens de complexification de la matière et d’émergence de formes de consciences en son sein. Lorsque descend dans les abysses de l’infiniment petit on rencontre des cristaux, des molécules dont les arrangements géométriques sont des ordres émergents des propriétés électriques des atomes et de leurs états énergétiques. Ces propriétés du niveau microscopique engendrent aussi des ordres émergents au niveau macroscopique tels les états, solides, liquides ou gazeux ainsi que des propriétés de conductivité électrique, de magnétisme. Ces ordres émergents ne sont pas déductibles des propriétés des atomes. Ainsi les propriétés de l’eau liquide ne sont pas déductibles de celles de la vapeur encore moins de la molécule H2O ou des atomes H et O. Les ordres émergeant de l’association de composants ne sont pas prévisibles. Ceci est probablement du fait qu’il existe des interactions du collectif sur le particulier. Une molécule seule ne peut avoir des propriétés de liquide ou de gaz. Ces interactions sont l’ordre émergent.

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En considérant les tailles respectives des atomes, noyaux et -10 -15 -18 des électrons de 10 m, 10 m et 10 m, on voit que la matière est pratiquement vide à près de 100 %. Pour l’hydrogène, si le noyau était une boule de un mètre de diamètre, l’électron serait une poussière de un millimètre navigant à une distance de 100 kilomètres ! A ce niveau de taille les lois de la physique newtonienne ainsi que notre logique sont remplacées par celles de mécanique quantique. Un objet est à la fois une onde et une particule (ou ni l’un ni l’autre). Un objet quantique n’existe qu’à l’état de probabilité. Le formalisme mathématique de description des phénomènes est relativement complexe. L’on peut se demander comment la nature fait pour être si compliquée, à moins que nos capacités humaines de représentations de la nature se heurtent à un mur conceptuel. Le formalisme compliqué et les paradoxes de la mécanique quantique (espace de Hilbert, équations de Schrödinger, incertitudes de Heisenberg, etc.) se ramènent peut-être à une expression simple dans univers conceptuel qui reste à découvrir. J’ai émis, il y a une dizaine d’années, l’hypothèse outrecuidante que les lois d’attractions de Newton appliquées à une multitude corps en interaction dans un espace fractal pouvaient engendrer des comportements à la fois ondulatoires et corpusculaires. La simulation informatique montre en effet que des particules forment des paires avançant liées dans un mouvement hélicoïdal lorsque les forces d’attraction ne 2 décroissent plus en 1/d (inverse du carré de la distance), mais α en 1/d où α est un nombre fractionnaire, indiquant que l’espace est fractal, c’est-à-dire comportant du non-espace. Comme les deux particules en mouvement hélicoïdal sont

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La Voix sur le Chemin

liées, on ne mesure jamais les caractères ondulatoire et corpusculaire en même temps. En fait il faudrait affiner ce calcul pour approfondir ou réfuter cette hypothèse hérétique. Plus bas encore dans les abysses de l’infiniment petit, les théories de représentation deviennent de plus en plus abstruses et incompréhensibles pour le sens commun. La légitimité de certaines théories est parfois plutôt établie par la notoriété, l’autorité et les moyens de communication de leurs auteurs. Annexe Les interactions fondamentales Ce tableau, tiré d’une conférence de Gilles Cohen Tannoudji, indique les interactions fondamentales de la matière. Les trois facteurs (particules impliquées, charge, boson) pourraient correspondre aux trifonctionnalités : matière, espace, lois physique. http://gicotan.club.fr Gilles Cohen-Tannoudji

Interaction

Particules impliquées

Charge

Boson

Forte

Quarks

Couleur

Gluons

Electromagnétique

Quarks, leptons chargés

Charge électrique

Photon

Quarks, leptons chargés et neutrinos

Isospin faible

Bosons vecteurs intermédiares, W+, W- Z0

Toutes les particules

Energie

Graviton

Faible

Gravitation

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Cognition morphogénétique 24 01 2008

L’objectif ultime de la nature est d’explorer le champ de toutes les formes possibles de la matière et de l’esprit. Le processus visible depuis notre condition humaine va de l’agrégation des particules élémentaires en passant par les systèmes galactiques jusqu’au vivant et aux œuvres matérielles et immatérielles humaines. La matière et l’esprit co-évoluent. L’une sert de substrat à l’autre. J’ignore de quoi est constitué le champ des possibles. Je constate simplement qu’il existe des complexions de matière ou d’esprit qui fonctionnent et d’autres qui sont simplement des non-structures. Tous les composants d’un organisme vivant, d’un moteur automobile ou d’une théorie scientifique doivent être agencés d’une certaine manière pour fonctionner, générer du sens et évoluer dans un environnement donné. Le destin de toutes ces structures momentanément stables est de donner naissance par recombinaisons et réplications à de nouvelles structures, puis de se décomposer à nouveau. Les éléments d’un ensemble peuvent être structurés ou non structurés selon le niveau d’organisation. Les atomes constituant un nuage sont très structurés, alors que le nuage l’est moins, mais un ensemble de nuages peut l’être à nouveau à l’échelle du millier de kilomètre. Il en est de même pour le monde géologique.

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Existe-t-il dans le champ des possibles une loi absolue qui confère une viabilité temporaire à une structure donnée ? Peut-on imaginer un autre univers avec des champs des possibles différents ? Comment la nature explore-t-elle le champ des possibles dans notre univers ? Lors du Big Bang à l’origine de l’univers, selon la théorie standard, l’énergie immatérielle du vide s’est soudainement transformée en matière et en ondes échangeant des informations entre les particules. Les quarks initiaux se sont agrégés pour former des particules élémentaires, puis des atomes, puis de molécules, puis des astres, puis des cellules vivantes, puis des organismes, puis des écosystèmes, puis de la technologie humaine. Chaque nouvelle étape s’est développée en coévolution avec les stades antérieurs et postérieurs. Ainsi chaque nouvelle espèce animale est apparue à partir d’une espèce antérieure en s’intégrant dans l’ensemble de l’écosystème préexistant et en le transformant. Chaque nouvelle structure stable apparaissant dans l’évolution de la matière est le résultat d’une exploration du champ des possibles et de la découverte d’une niche étroite de relative stabilité.

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Cognition morphogénétique

La figure ci-contre illustre le domaine étroit du nombre de protons et de neutrons dans les noyaux constituant la matière stable. Au cours des réactions thermonucléaires dans les étoiles, seuls ces éléments élaborés par agrégations successives ont subsisté. Cette courbe de points peut être interprétée comme le champ des possibles des noyaux atomiques. Parmi tous les noyaux et atomes ainsi créés, le carbone possède la propriété particulière de pouvoir former de multiples hybridations avec d’autres atomes et de donner naissance à la chimie organique à la base de la vie. L’eau (H2O), pour sa part, est une molécule aux propriétés singulières indispensable aux êtres vivants. Le système climatique terrestre relève également d’une singularité où la moyenne de 15 °C de la température est telle que l’eau est à l’état liquide permettant le développement de la chimie de la vie. La nature explore le champ des possibles non seulement dans les structures stables comme les atomes, les molécules ou les systèmes planétaires, mais aussi dans les processus dynamiques.

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Cette figure schématise un des processus de synthèse de noyaux au cœur du soleil, il s’agit du « cycle carbone-azoteoxygène » découvert par le prix Nobel Bethe dans les années 1930. Il est intéressant de noter que le carbone qui joue un rôle important pour la nucléosynthèse au niveau atomique est fondamental également pour la vie au niveau moléculaire et pour le climat au niveau planétaire. Ce schéma représente le cycle du carbone au niveau planétaire. Il régule la concentration de CO2 dans l’atmosphère et donc la température. On pourrait rajouter la contribution de la tectonique des plaques à la régulation du carbone atmosphérique. Une partie du carbone dissoute puis précipitée au fond de l’océan est enfouie sous la croûte terrestre. En partie, il est à nouveau rejeté dans l’atmosphère par les volcans cycliquement sur millions d’années.

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Cognition morphogénétique

Il existe donc des interactions multiples de régulation entre la géologie, le climat, la biomasse et le cycle du carbone. Ces régulations mettent en œuvre des mécanismes différents, chacun fonctionnant à des échelles de temps différentes et des substrats différents. La biomasse sur Terre existe grâce aux propriétés atomiques du carbone et elle assure sa propre survie en participant à la régulation de la température au niveau planétaire à travers ses échanges de CO2 avec l’atmosphère. Le monde vivant fonctionne grâce à des processus faisant partie du champ des possibles. Ce schéma, à titre d’illustration de la complexité des processus dynamiques, décrit les métabolismes essentiels au fonctionnement d’un organisme humain.

Les mécanismes de reproduction, qu’ils reposent sur la simple division cellulaire ou bien sur la sexualité lité ovipare ou vivipare relèvent également d’une très grande complexité. Chaque

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stade élémentaire du développement de l’embryon est tendu vers la finalité de l’émergence d’un être vivant. On pourrait, bien sûr, aussi conjecturer que la « vraie vie » se situe dans l’état fœtal et que la « vie habituelle » n’est que le meilleur moyen de réaliser cette vraie vie. « La poule est le meilleur moyen pour l’œuf de se reproduire », a dit quelqu’un. De la même manière on pourrait conjecturer que la vraie vie se situe dans les rêves du sommeil et non à l’état de veille, qui ne serait qu’un moyen. C’est là, au fond, le propos des religions qui affirment que la vie n’est qu’une étape vers un paradis après la mort. Ces exemples illustrent combien une forme émergeant du champ des possibles est tributaire des éléments et des processus propres et ceux du système sur-ordonné auquel elle participe. Les mécanismes d’exploration. Les lois de la physique La nature cherche non seulement les formes et les processus de fonctionnement les plus viables mais également les meilleures procédures de recherche pour ces recherches, à savoir la méta recherche. Le monde de la matière dite inerte semble être essentiellement soumis aux lois de la physique et de la chimie. Aux niveaux subatomiques et atomiques, les lois de la mécanique quantique sont différentes des lois newtoniennes qui président au fonctionnement à l’échelle planétaire. Mais le point commun entre ces niveaux est l’indéterminisme des

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Cognition morphogénétique

trajectoires et des destinées individuelles des éléments dû à la multitude des interactions. En mécanique classique newtonienne il est impossible de déterminer sur une longue durée les trajectoires dès que plus de deux corps sont en interaction. Cette indétermination fondamentale dans les interactions multiples permet à la nature d’explorer le champ des possibles et de découvrir des niches de stabilité. Les lois de la physique ne condamnent pas la matière à suivre un destin écrit d’avance.

Cristal de glace

Simulation de l’univers

Cette simulation informatique de l’interaction de n-corps, selon des lois de physiques simples montre l’émergence de structures. Ici la simulation a permis de retrouver des formes analogues à la répartition de galaxies dans le cosmos. De tels phénomènes sont également à l’œuvre aux niveaux subatomiques. Les lois de physiques simples stipulent que chaque corps est attiré ou repoussé par chacun de ses voisins en fonction de la distance mutuelle et du potentiel (masse ou charge électrique) respectif de chacun. On voit ainsi que même

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La Voix sur le Chemin

des lois apparemment déterministes peuvent générer des formes complexes. Ces formes peuvent être très irrégulières comme sur cette image. Touefois elles peuvent aussi faire apparaître de grandes symétries comme dans les cristaux ou dans les orbites de planètes autour du soleil. Certaines réactions chimiques, comme celles mises au point par deux Russes Belousov et Zabotinsky, peuvent faire émerger des structures spatio-temporelles visibles à notre échelle d’observation (cercles, spirales, pulsations). Elles reposent sur des phénomènes non-linéaires de variations spatiotemporelles de concentrations de produits chimiques activateurs et désactivateurs diffusant dans la solution avec

Réaction chimique de Belousov Zabotinsky

Sulfate de cuivre

des constantes de temps différentes. Il s’agit là d’un phénomène de morphogenèse à partir de quelques composants chimiques, mais on est évidemment encore loin de la complexité du vivant.

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Cognition morphogénétique

Les images fractales, élaborées mathématiquement représentent également l’émergence d’un ordre au milieu de l’informe et du chaos. Elles peuvent être construites à partir d’algorithmes et de formules relativement simples dans les ordinateurs domestiques. Elles relèvent d’un puissant paradigme qui semble sousjacent à de nombreux phénomènes de morphogénèse.

Image fractale par ordinateur

Dans tous ces phénomènes de génération de forme on observe une recherche de symétrie, mais jamais entièrement atteinte. La brisure de symétrie et la quasi-symétrie semblent être des universaux. La symétrie et son corolaire, la quasi-symétrie, s’observent également dans les processus d’élaboration de structures, comme les mécanismes d’action et de réaction ou les forces centrifuges et centripètes qui s’équilibrent. La rétroaction d’un système sur lui-même crée des comportements non-linéaires, c’est- à-dire que les effets et les causes ne sont qu’indirectement liés. Une forme simple de rétraction est par exemple le mécanisme de régulation de la température d’une pièce par l’intermédiaire d’un thermostat et d’un radiateur. Beaucoup plus complexe est la réflexivité d’un langage qui est capable de se dire lui-même. La

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La Voix sur le Chemin

morphogenèse des images fractales comporte dans ses algorithmes une imbrication de rétroactions avec des commandes conditionnelles du type « si la valeur du résultat est ceci alors fais cela, sinon fais autre chose ». Il semble qu’un observateur ou un acteur extérieur soit toujours nécessaire au processus d’élaboration d’une forme d’une certaine complexité. La nature cherche aussi à créer des structures dans des ordres spatio-temporels de plus en plus grands. Les rythmes de l’univers vont du temps infiniment court aux milliards d’années, les symétries de la matière de l’infiniment petit à l’infiniment grand. Le vivant sur Terre est composé de structures spatio-temporelles situant quelque part au milieu des ordres de grandeurs présents dans le cosmos. La conscience qui en émerge explore peut-être des dimensions et des ordres de grandeur immatériels du cosmos. Les lois de la sélection naturelle. Les processus de type darwinien, basés sur des modifications aléatoires suivies de sélection naturelles en fonction de la viabilité dans un environnement donné, sont à l’œuvre dans l’évolution des espèces. Ils permettent aux plus aptes de survivre et d’éliminer les moins aptes. Ils président à la fois à l’évolution de chaque espèce (phylogenèse) ainsi que celle de l’écosystème global. Chaque nouvel individu modifie légèrement son espèce qui, à son tour par ses interactions avec les autres espèces et la nature, modifie l’écosystème. Le déterminisme est plus faible que pour les lois physiques, mais la probabilité de découvrir des formes possibles augmente.

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Cognition morphogénétique

Les systèmes cognitifs Un système cognitif est capable d’établir une certaine représentation abstraite de la réalité matérielle et d’explorer le champ des possibles dans un espace mental pour ne retenir que les solutions qui lui paraissent viables. Les œuvres humaines (technologie, art, organisation) relèvent de mécanismes cognitifs. L’intelligence humaine ne siège pas seulement dans le cerveau mais également dans l’ensemble plus vaste de la culture et des civilisations qui possèdent une dimension historique. Elle repose aussi sur des langages et des formes d’expressions multiples. Les systèmes cognitifs sont capables de donner naissance à des formes de possibles fort complexes, comme le prouvent les œuvres humaines. Tout comme les processus physiques et darwiniens, ils modifient les contextes sur-ordonnés dans lesquels ils évoluent. L’intelligence humaine a généré une technosphère à côté de la biosphère. La conscience du système sur-ordonné échappe en grande partie aux ensembles qui le constituent. L’organisme échappe largement à la cellule individuelle tout comme les organisations humaines échappent généralement à l’individu. Des systèmes cognitifs, s’appuyant sur un langage avec une grammaire, semblent indispensables, à mes yeux, à partir du moment où l’exploration du champ du possible nécessite des processus complexes. L’ontogénèse de l’individu, pour le développement de l’embryon par exemple, fonctionne grâce à un langage et une grammaire chimiques qui stipulent les agencements possibles ou non des molécules. Un langage

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nécessite un locuteur pour lequel il a un sens. Il me semble donc que quelque chose « pense » lorsque l’embryon se développe, lorsque le système immunitaire défend l’organisme, lorsque les métabolismes assurent la survie du corps, etc. Chaque nouvelle forme matérielle s’accompagne d’une nouvelle forme de pensée à toutes les échelles de temps, de taille et d’organisation. On peut conjecturer que des processus intelligents sont à l’œuvre depuis l’origine de l’univers à l’échelle des particules élémentaires comme à celle des galaxies. Des pulsations allant de temps infiniment courts à l’âge de l’univers scandent la vie de la matière. A cet égard, les satellites artificiels fournissent des images de la Terre fort émouvantes montrant des pulsations à l’échelle de l’année dans les mers, l’atmosphère, la végétation, laissant penser à un cœur qui bat ou à une respiration. Les composantes de la cognition Un système cognitif pense son environnement matériel, selon différents modes. L’expérience : Il voit et retient comment l’environnement réagit en fonction des circonstances. C’est le comportement animal typique. La science : Il dégage des lois générales. C’est le fait des humains capables de transposer le comportement de la matière en lois physiques.

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Cognition morphogénétique

L’empathie : Elle est sous-jacente à l’ensemble des activités humaines. Elle suppose un soi et un non soi qui s’attirent ou se repoussent. La cognition suppose un sujet pour qui celle-ci produit du sens. Elle suppose aussi un substrat, à l’instar du cerveau animal, dans lequel s’ancre le sujet. Le sens est-il nécessairement lié à une conscience ? Le fondement de la conscience et du sens est la réflexivité, c’est-à-dire le méta-discours, le discours du sujet sur lui-même. Un système cognitif ne dit pas seulement quelque chose sur son environnement mais aussi sur luimême. Il existe d’autres formes de cognition en dehors de celles qui nous sont immédiates que sont l’expérience, la raison ou l’empathie. Le cerveau semble posséder des modes de calcul autres que l’arithmétique, notamment pour les ordres de grandeur ou pour les trajectoires balistiques des objets. Les personnes douées de capacités de calcul prodigieuses, comme l’extraction de racines carrées de très grands nombres opèrent avec des algorithmes bien mystérieux. Certains animaux sont capables de faire la différence de quantité d’objets lorsqu’elles sont suffisamment différentes. Les oiseaux et les singes savent calculer et ajuster la vitesse de leurs trajectoires lorsqu’ils veulent atteindre la branche d’un arbre. D’une manière générale toutes les espèces végétales et animales possèdent des systèmes souvent complexes d’identification de la nourriture, des proies ou de leurs prédateurs. Le joueur de golf, le tireur à l’arc, le jongleur, le trapéziste, le musicien font appel à des processus cognitifs résultant d’un long

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apprentissage et de la symbiose du cerveau du corps et de l’instrument qu’ils manipulent. L’intuition, l’inconscient des psychanalystes, la spiritualité, l’extase, le spiritisme, les états modifiés de la conscience, la voyance, la prémonition, la télépathie, les miracles, etc. sont des phénomènes plus ou moins attestés, surtout certains exploités depuis la nuit des temps et dans toutes les civilisations. Ils ne semblent pas répondre aux logiques de la preuve scientifique. Certains rejettent ces phénomènes en raison de leur manque de réfutabilité scientifique. D’autres, au contraire, cherchent à en établir la preuve de manière scientifique, ce qui probablement est sans issue et certainement dangereux à cause des abus possibles. Il est vraisemblable que ces phénomènes procèdent d’autres modes de cognition et qu’il ne faille pas chercher à tout passer au crible de la science classique. Nous vivons quotidiennement avec des phénomènes qui ne relèvent pas totalement de la science : le langage, l’art, la musique sont des formes particulières de systèmes cognitifs et de communication. Qui sont les sujets et où sont les sièges de la pensée à ces multiples échelles de temps, de taille et d’organisation de la matière ? Les « Cultures » ou les « Civilisations » qui se maintiennent en vie et évoluent à travers les individus et les œuvres, pourraient être considérées comme des êtres pensants à part entière.

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Cognition morphogénétique

Trifonctionnalité Le système cognitif humain s’articule autour de trois composantes fondamentales : la raison, les sentiments, la matérialité de ses œuvres, que l’on pourrait synthétiser par les trois C : cerveau, cœur, corps. Cette trifonctionnalité se retrouve au cœur des cultures politiques indoeuropéennes selon Dumézil dans le partage des rôles en soldat, prêtre et agriculteur. Elle est présente aussi au cœur de la théologie chrétienne dans la représentation trinitaire de Dieu : l’Esprit saint, le Père et le Fils. Le langage humain est lui-même structuré autour de ces fonctions : la syntaxe, le sens et le signifiant oral ou écrit. Ces composantes s’interpénètrent et coévoluent de sorte l’une ne peut pas exister sans les deux autres. Langage Le système cognitif humain structure les individus et les sociétés. On peut parler de systèmes individuels et collectifs. Chaque mot utilisé par un individu possède un champ de connotations propres qui en modifie plus ou moins légèrement le sens en fonction du locuteur. Le champ de connotation de chaque mot est constitué de l’ensemble des autres mots qu’il évoque. Les définitions du dictionnaire forment le noyau relativement stable du champ, mais selon les individus, les groupes, les nations, les époques, ce champ possède un domaine flou. La psychologie d’un individu ou d’un groupe pourrait être caractérisée par le champ de connotation d’un certain nombre de mots ou de concepts. L’histoire des peuples ou la trajectoire sociale d’un individu pourraient être analysées

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en regard du sens différents des mots dans leur champ spécifique de connotation. Une discipline scientifique évolue en fonction du sens des termes utilisés. Des concepts nouveaux peuvent émerger du rapprochement de mots dans la tête du chercheur. Le paradigme mathématique A priori, il est difficile et probablement impossible de comprendre pourquoi certains phénomènes naturels fonctionnent comme les mathématiques. Par exemple, la 2 chute d’une pierre dans le vide suit la loi x=1/2.g.t .(x est la position, g est la constate d’attraction terrestre, t est le temps). Plus curieux encore est le fait que les phénomènes au niveau atomique relevant de la mécanique quantique fonctionnent comme des objets mathématiques exotiques tels que les matrices hermitiennes qui contiennent des nombres imaginaires i (i=√1. On conçoit mal un électron calculant des racines carrées de nombres négatifs pour déterminer ses trajectoires. Notre représentation du monde part en principe de l’expérience qui est traduite en un langage, par exemple mathématique ou vernaculaire, qui constitue un premier mécanisme d’abstraction. La manipulation conceptuelle des informations constitue une deuxième étape et en quelque sorte un nouveau niveau d’abstraction. Notre action sur le monde consiste alors à revenir de ces profondeurs d’abstraction vers le réel. Les mathématiques participent à ce mouvement d’aller retour entre le réel et des niveaux d’abstraction plus ou moins profonds. L’utilisation des

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Cognition morphogénétique

nombres imaginaires constitue une méthode rendant possible certains calculs de manière simple dans un espace possédant des règles propres et plus abstrait que celui des nombres ordinaires. C’est le cas par exemple pour le calcul de circuits électriques. Par analogie avec ces procédés mathématiques, l’on observe que toutes les réalisations d’origines humaines, techniques, économiques, anthropologiques ou sociales émergent d’un passage dans des univers conceptuels et idéaux. Mais la réalité et les univers idéaux servant de modèles n’ont que des analogies en commun. Ils finissent toujours par diverger. D’où le danger des idéologies trop rigides. Par ailleurs des modes d’activité mentale éloignés de la raison pure, tels que la méditation, les émotions, la spiritualité, la poésie, le rêve constituent par analogie avec les calculs avec les nombres imaginaires, des outils de traitement d’informations profonds. Dans le cortex humain se sont développées au cours de l’évolution de l’espèce des zones dédiées à ce type d’activités, comme le montrent les techniques d’imagerie cérébrale. Les informations ainsi traitées selon des logiques spécifiques remontent parfois à la surface de la raison pour déboucher sur une action sur le réel. Les cathédrales sont nées ainsi.

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Gène, mème, tème 17 04 2008

Le terme « gène » fut proposé par le biologiste danois Wilhelm Johannsen en 1909. Un gène est une séquence d'acide désoxyribonucléique (ADN), support de l'information génétique. C’est un plan architectural du vivant qui en dicte la construction. Les unités d'informations génétiques, qui constituent les gènes, sont transmises de cellules à cellules au cours du processus de la mitose après duplication du matériel génétique (chromosomes). De cette manière, toutes les cellules d’un organisme portent la même information génétique. Cette information commande la spécifié de chaque cellule au sein de l’organisme. Le terme « mème » a été proposé pour la première fois par l’éthologiste britannique Richard Dawkins (né en 1941) dans Le Gène égoïste (1976) et provient d'une association entre gène et mimesis (du grec « imitation »). Il s’agit d’un concept moral ou scientifique , d’une habitude, d’une information, d’un phénomène, d’une attitude, etc., répliqués et transmis par l'imitation du comportement d'un individu par d'autres individus, dans le monde humain ou animal. Le terme « tème » a été introduit en 2008 par la psychologue britannique Susan Blackmore (née en 1951) pour désigner les réplicateurs associés à la technologie humaine. « Earth now has three replicators - genes (the basis of life), memes (the

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basis of human culture) and temes (the basis of technology)”. (http://www.susanblackmore.co.uk ) Dawkins ou Blackmore considèrent que les humains, avec leurs comportements (mèmes) ou leurs technologies (tèmes) sont des réplicateurs, c’est-à-dire des moyens efficaces au service de la survie et de la prolifération des gènes, mèmes ou tèmes dans le temps et dans l’espace. Ces trois entités génétiques, culturelles ou technologiques possèdent à la base des facultés d’auto-reproduction, c’est àdire de réplication. Les cellules se divisent en transmettant le code génétique. Les comportements sociaux se transmettent par imitation ou par des codes plus ou moins contraignants. Les machines servent à produire des machines. Pour chacune de ces entités, à chaque stade de réplication, la transmission n’est pas toujours exacte. Il existe une quasi-symétrie entre les générations. Le processus de sélection darwinien assure l’élimination des mutations non viables. La combinaison des informations génétiques, mémiques ou tèmiques à travers respectivement la sexualité, l’interculturalité et l’intertechnologie assure l’exploration du champ des nouvelles formes plus efficaces que ne le feraient des mutations uniquement aléatoires. Ces trois catégories semblent ainsi évoluer en s’appuyant sur les processus génétiques de type darwinien. L’équivalent existe dans le domaine des algorithmes informatiques dits génétiques qui permettent de trouver rapidement des solutions à des problèmes fastidieux tels que celui du voyageur de commerce. Les algorithmes génétiques imitent la nature en recombinant des solutions transitoires.

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Gène, mème, tème

Une caractéristique intéressante est que les solutions servant à la recombinaison ne doivent pas être nécessairement immédiatement les meilleures. Pour trouver l’optimum global, il faut recombiner des solutions localement moins bonnes. Tout se passe comme dans un paysage montagneux : pour atteindre le plus haut sommet d’un massif, il faut savoir redescendre d’abord dans une vallée. Ainsi, il est possible que le premier hominidé qui s’est servi d’un bâton pour décrocher un fruit d’un arbre était un handicapé physique. Les gènes, mèmes et tèmes ont également en commun de représenter des codes relativement simples en regard des structures complexes qu’ils engendrent. Les gènes sont des structurent moléculaires qui commandent la structuration d’organismes comportant des milliards de fois plus de molécules. Les mèmes, par exemples les dix commandements de Dieu, ont structuré directement et indirectement la civilisation judéo-chrétienne. Les tèmes, par exemple le feu, la machine à vapeur, l’électricité, les télécommunications, les machines à traiter l’information ont bouleversé de manière irréversible les sociétés humaines. Les gènes, mèmes et tèmes agissent en synergie. Les uns modifient les autres au cours de l’évolution des êtres et des objets qu’ils engendrent. Gènes, mèmes et tèmes créent des ordres émergents qui sont plus que la somme de leurs constituants. A court terme, de l’ordre de quelques générations, il est possible de prévoir les structures émergentes. A long terme, la prévision apparaît impossible. Il est difficile d’affirmer qu’il existe un dessein des

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La Voix sur le Chemin

gènes, des mèmes ou des tèmes, même si « tout se passe comme si ». Gènes, mèmes et tèmes s’appuient sur des structures matérielles. Ce sont des objets concrets qui transforment leur environnement. Les concepts, qui sont des objets abstraits, doivent s’incarner dans la matérialité à travers des symboles comme ceux du pouvoir, l’écriture ou les formules mathématiques. L’homme, à la fois associé et extérieur, fournit le sens aux mèmes et aux tèmes. Ceux-ci co-évoluent. Les mèmes et les tèmes disparaitront avec l’humanité. Ils réussissent à survivre en général à la mort des individus particuliers. On pourrait toutefois imaginer une dispersion intersidérale et une survie de certains gènes, mèmes ou tèmes issus de l’humanité après sa disparition, qui est une quasicertitude à l’échelle des millions d’années. L’acteur extérieur qui confère du sens au gène est moins évident à concevoir. L’évolution du vivant semble posséder une direction, celle de l’hominisation. Mais celle-ci pourrait n’être qu’une illusion. Les espèces s’adaptent et survivent dans l’environnement qu’elles créent toutes en commun. Ce processus peut sembler aléatoire. Il ne l’est probablement pas. Tout se passe comme si la microstructure (gène, mème, tème) transmettait à la macrostructure qu’elle génère les mêmes propriétés de réplication. On pourrait parler de génotype, mèmotype et de tèmotype pour désigner les macrostructures issues de ces microstructures. Chacun de ces types se multiplie et se diversifie en fonction des contraintes mutuelles et environnementales. Le monde à un instant donné est la résultante de l’évolution de ces types qu’on pourrait nommer

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Gène, mème, tème

holotype généré par un holème rassemblant gènes, mèmes et tèmes. Le holème serait une sorte de gène de la totalité du monde, en co-évolution avec le gène microscopique. Il peut être considéré comme le responsable de l’émergence et de l’évolution d’un système cognitif global au niveau de la biosphère. Ce gène moléculaire au demeurant pourrait être le résultat d’une évolution plus profonde dans les domaines atomiques ou subatomiques. Les micro- et macrostructures pourraient, tel un serpent qui se mort la queue, être unifiées dans un espace sans dimension spatiale restant à imaginer. Les infiniment petits ou grands, rapides ou éternels, simples ou complexes n’ont pas de limites vus d’une perspective humaine. La question serait en final de savoir qui est le plus égoïste : le gène ou l’holotype ? Auquel des deux devons-nous nos bonheurs ou nos malheurs ? Le génome en nous et l’holotype qui nous dépasse constituent-ils une fatalité pour nos destins ? On aimerait répondre non à cette dernière question. Le libre arbitre existe, bien que celui-ci puisse être considéré comme une ruse, un mème, généré par le gène ou l’holème égoïste. Holèmes ici et maintenant Voici quelques réflexions supplémentaires autour de ces trois concepts de gène, mème et tème. Le concept de gène représente une grande avancée scientifique pour la compréhension du vivant. Vouloir en maîtriser le fonctionnement à des fins médicales ou agricoles représente un risque sérieux, car on ignore fondamentalement

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La Voix sur le Chemin

l’algorithme chimique de transformation du code microscopique en structure macroscopique. On ne peut prévoir les conséquences de n’importe quelle manipulation génétique. Mais il est vrai que dans bien des domaines une connaissance partielle est souvent suffisante. Il n’est pas nécessaire de connaître le fonctionnement d’un circuit électrique pour allumer une lampe en appuyant sur un bouton.Par ailleurs toute évolution se réalise par une prise de risque. L’essentiel est d’avoir conscience des risques que l’on prend et de ne pas les transférer sur ceux qui n’en tirent aucun bénéfice. (Ceci est un mème éthique.) Le concept de mèmes, comme générateurs de comportements complexes à partir d’informations simples, se révèle utile pour comprendre les fonctionnements sociaux des individus, des systèmes politiques ou des civilisations. Il inclut les aspects rationnels (de logique pure) et les aspects d’empathie (et d’antipathie). Par exemple le théisme constitue une légitimation des hiérarchies sociales et la mainmise sur les territoires. Le monothéisme favorise les guerres de religions en imposant des vérités absolues et des textes trop souvent interprétés littéralement. Les commandements de Dieu, les échanges marchands, le sens de la propriété, les fêtes saisonnières, les horloges, les villes construites autour de lieux de cultes, l’école, etc. sont des mèmes très simples dans leur fondements, mais qui ont fait émerger des structures fort complexes nécessaires à la régulation sociale, temporelle ou spatiale. Les codes sont spécifiques aux différents peuples et groupes sociaux, pour leur bien comme pour leur mal. Le malheur de certains groupes est inscrit en filigrane dans leurs codes de langage, leurs dictons, leurs légendes, leurs modes

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Gène, mème, tème

relationnels. L’identité, clanique, religieuse ou nationale des groupes sociaux s’appuie sur des rites, des symboles et des histoires à raconter. Les cultures et les religions investissent les champs collectifs et individuels à travers leurs rites, leurs symboles et leurs histoires. Leur développement et leur déclin vont de pair. Les taux de pauvreté ou de violence d’une société donnée sont liés à ses mèmes. Les individus, et notamment ceux qui détiennent une autorité, n’ont pas toujours conscience des conséquences de paroles dites à la légère en matière de racisme, de d’ostracisme ou de fracture sociale. La synergie des mèmes échappe souvent à la prise de conscience de l’ordre ou du désordre qu’ils génèrent. Il n’est pas évident d’identifier les causes mèmétiques d’un phénomène donné. Dans la marine on dit que lorsque la cuisine est mauvaise sur un bateau la première année, elle le reste pour toujours même si on change de cuisinier. Dans le monde du travail, le mal être ou le taux d’accidents peuvent être très différents dans des unités de production très semblables. Dans un jardin les mêmes plantes poussent différemment à quelques mètres de distance. L’analyse mèmétique d’un phénomène doit s’effectuer de manière multicritère en prenant en compte plusieurs niveaux d’intégration. Le peigne d’Occam (1285-1349), ce philosophe franciscain qui préconisait de rechercher les explications les plus simples à tout phénomène, peut s’appliquer à la recherche d’une cause déterminante. Mais il n’est pas sûr que l’on soit en mesure d’agir sur celle-ci. Ainsi il est peu probable que l’humanité éradique un jour la pauvreté, la maladie, la guerre, la délinquance ou la criminalité. Tout se passe comme si, quel

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La Voix sur le Chemin

que soit le code de régulation sociale dominant en vigueur, il existe toujours une part de la population, de l’ordre de quelques pour-cent qui en déroge. Le mème moral semble avoir besoin de son contraire pour survivre et maintenir son pouvoir structurant. Par une expérience de pensée on peut imaginer l’effondrement de l’économie, voire de la civilisation humaine, si du jour au lendemain disparaissaient la haine, la jalousie, l’envie, la vanité ou le vice sous toutes ses formes. Les tèmes ont engendré la technosphère humaine qui est venue se greffer sur la biosphère en s’accélérant depuis l’ère industrielle sinon initiée du moins accélérée par la mise au ème point de la machine à vapeur au 18 siècle. Les tèmes et les technologies qui en sont issues ont profondément modifié les modes de vie et les mèmes afférents. L’esclavage a pu être progressivement aboli grâce à l’utilisation de forces motrices animales ou issues de la combustion du bois, du charbon ou du pétrole. Les statuts de larges groupes sociaux ont pu évoluer grâce à l’éducation, aux techniques de transport, de la médicine ou des outils domestiques, etc. Grâce à ces tèmes, l’humanité a proliféré à la surface du globe passant de ème siècle à six milliards en 2000 et 9 quelques millions au 18 milliards en 2050. La technosphère a un impact considérable sur la biosphère. Les experts pessimistes prévoient non seulement des dérèglements climatiques dramatiques, mais également l’extinction de la moitié des espèces vivantes au ème cours du XXI siècle à cause de l’activité humaine. Ce n’est que vers la fin du XXème siècle que la prise de conscience environnementale a atteint une masse critique permettant une mobilisation, encore bien insuffisante, des politiques et des citoyens. Le mème de la protection de l’environnement et de

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Gène, mème, tème

la biosphère est en marche. Ce mème devrait déboucher sur des tèmes éco-amènes, c’est-à dire des technologies plus douces pour l’environnement. Mais il faudrait aussi se poser la question si la Terre peut supporter une dizaine de milliards de personnes avec un bienêtre et un impact sur l’environnement similaire à celle d’un pays riche. Il faudra soit changer de système de production soit ramener la population mondiale à un niveau plus bas. Or aujourd’hui l’humanité ne possède ni les tèmes, ni les mèmes nécessaires. Le destin des 9 milliards d’humain à l’horizon 2050 est préoccupant en regard des mèmes économiques et politiques. Il est vraisemblable que l’humanité comportera quelque 6 milliards de pauvres sur ces 9 milliards. Ils seront pauvres économiquement, culturellement et/ou démocratiquement. Probablement plusieurs centaines de millions vivront sous le joug de dictatures et de systèmes religieux fondamentalistes, ou encore dans la terreur d’Etat ou de mafias. Plusieurs dizaines de millions choisiront de migrer pour vivre dans l’illégalité dans les pays «démocratiques » où ils vivront sous le harcèlement policier en assurant le fonds de commerce des partis extrémistes et les carrières politiques de leurs leaders. Trouver les bons mèmes pour éviter ou mitiger les catastrophes annoncées devrait être le premier souci des élites. (Mais le mème d’élite est-il pertinent ?)

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Espaces d’échelles 18 04 2008

Le monde que nous percevons comporte trois dimensions d’espace et une de temps. Les dimensions d’espace ne sont pas orientées, on peut se déplacer dans tous les sens. Tandis que le temps possède une direction, il est irréversible. Il n’existe pas de position absolue d’un objet dans le temps ou dans l’espace. Toute position est définie par rapport à la distance spatio-temporelle à un autre objet. Il existe aussi un espace d’échelles de tailles du monde. Les hommes ont acquis des connaissances sur des objets presque infiniment petits et presque infiniment grands. La matière révèle des structures dans ces deux extrêmes. L’ordre de grandeur d’échelles dans lesquelles se déroule la vie humaine est le mètre et l’heure. L’espace-temps de la vie -3 +8 humaine se situe dans les ordres de grandeur de 10 à 10 -3 +6 mètres (du millimètre à la taille de la Terre) et de 10 à 10 heures (de la seconde au siècle). Les phénomènes naturels observés par la science couvrent un espace d’échelles se -18 +25 situant vers 10 à 10 mètres (de l’électron à l’univers) et -18 +13 10 à 10 heures (de l’interaction des particules élémentaires aux âges géologiques). La matière se transforme et évolue à toutes les échelles de temps et de taille en utilisant de l’énergie.

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La Voix sur le Chemin

L’homme consomme physiologiquement de l’ordre de 100 +11 joules par seconde, soit de l’ordre de 10 joules dans une vie. Certains phénomènes physiques mettent en jeu des énergies -19 de l’ordre de l’électron-volt soit 1,6 .10 joule. Le soleil +26 produit de l’ordre de 10 joules par seconde. Or les sursauts gammas dans l’univers mettent en jeu des énergies des +36 milliards de fois supérieures à celles du soleil, donc 10 joules par seconde. Les cent milliards de galaxies contenant chacune cent milliards d’étoiles fonctionnant chacune, disons, 10 +61 milliards d’années mettrait en jeu 3.10 joules. +26

La masse de l’homme se mesure en kilogrammes et en 5×10 atomes par kilogramme.

Si l'on estime qu'il y a 200 milliards de masses solaires dans 11 une galaxie (2×10 ) et 100 milliards de galaxies dans la partie 11 22 observable de l'univers (10 ) on arrive à 2×10 masses +30 solaires dans l'univers. Une masse solaire vaut 2×10 kilogrammes. La masse de la partie observable de l'univers +52 serait alors de 4×10 kilogrammes. Puisque la masse du -27 +26 proton est de 2×10 kilogramme, il y a 5×10 atomes par +79 +80 kilogramme, donc 2×10 atomes dans l'univers. Disons 10 en chiffres ronds. L’homme est donc perdu au milieu de l’univers non seulement dans le temps et dans l’espace mais aussi dans l’espace des échelles de tailles spatiales, temporelles, énergétiques et massiques. On pourrait penser a priori que les grandes structures mettent en jeu de grandes énergies et ont des durées de vie longues. Mais certains atomes et les galaxies ont des durées de vie tout aussi longues. La densité d’énergie dans le noyau de l’atome est supérieure à celle d’une galaxie.

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Systèmes cognitifs 17 07 2008

Les esprits habitent l’univers. Ce ne sont pas des fantômes au sens habituel du terme. Ce sont des processus nécessaires à la structuration, à la vie et à l’évolution de la matière sous toutes ses formes. Ils impliquent, au-delà des fonctionnements purement mécaniques, la capture, le traitement et la restitution d’informations agissant sur la matière. Ils semblent émerger de la complexité de relations multiples entre des myriades d’éléments à l’instar des cent milliards de neurones du cerveau humain. Ils sont présents à toutes les échelles de tailles, de temps et d’organisation de la matière. Ils prennent la forme de lois physico-chimiques en structurant l’infiniment petit des atomes jusqu’à l’infiniment grand des amas des galaxies. Au cœur du vivant, les modes de fonctionnement se complexifient encore. Ils agissent de manière spécifique en assurant la survie, la reproduction et l’évolution des individus et des espèces. Un vaste spectre de règles propres aux échelles de taille, de temps et d’organisation préside à la structuration depuis le niveau des molécules d’ADN jusqu’à l’écosystème global terrestre. Le caractère intelligent du fonctionnement des métabolismes des plantes ou des animaux, ou les modes de fonctionnement des écosystèmes sont souvent encore considérés par la science comme des mécanismes déterministes et non intelligents, c’est-à-dire ne pouvant impliquer une part de libre-arbitre. Les animaux sont aujourd’hui plutôt considérés comme possédant certaines

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formes d’intelligence et de sensibilité, bien que cela ne les mette pas à l’abri de la cruauté humaine. Descartes disait d’eux que ce sont des machines. Le système cognitif humain représente un saut qualitatif dans l’évolution de l’intelligence animale. Toutes les caractéristiques de l’intelligence humaine, tels que le langage, la symbolisation, les codes sociaux ou les outils préexistent à l’état plus ou moins évolué chez les animaux. L’intelligence humaine a permis de développer des structures sociales, institutionnelles, linguistiques, scientifiques, techniques, etc. fort complexes, qui ont induit des formes d’organisation et de structuration de la matière inédites dans la nature. L’homme a élaboré au cours des âges des objets conceptuels abstraits voire des utopies ou des artefacts qui ont servi à la construction de son monde constitué de dieux, d’institutions, de machines ou d’infrastructures urbaines. Il a réussi à modéliser en partie le fonctionnement de la nature inerte ou vivante. Il a été capable d’élaborer des langages spécifiques permettant de poser et de résoudre des problèmes abstraits dans les domaines scientifiques, philosophiques ou artistiques. Les différents modes de cognition. Le cerveau humain conscient pense selon trois registres : la raison, le cœur et la matérialisation. Cette dernière incarne la conscience dans une matérialité qui peut être constituée d’écrits, de paroles, de rites ou d’objets. L’œuvre matérielle est une partie intégrante de la cognition. Certains affirment que c’est la main qui a formé le cerveau ! Il est peu vraisemblable que la nature ait attendu sur Terre 4,5 milliards d’années avant de faire apparaître la conscience dans l’homme il y a à peine quelque cent mille ans.

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Chaque individu est le lieu d’interaction de multiples systèmes cognitifs. Il y a bien sûr celui qui se déroule au niveau conscient constitué à la fois de raison, de perceptions des sens et de sentiments. Un autre système cognitif est constitué de son inconscient qui travaille en permanence et qui remonte de temps en temps au niveau conscient à travers les sentiments ou encore par des « illuminations ». Le mathématicien Henri Poincaré (1854-1912) avait avoué que ses découvertes étaient souvent le résultat d’un travail de son cerveau à son insu. La psychanalyse, pour sa part, se propose de faire dialoguer la conscience avec l’inconscient. Plusieurs systèmes cognitifs, échappant largement à la conscience de l’individu, régulent les fonctions vitales : métabolismes physico-chimiques, mécanismes de transfert de matières, systèmes immunitaires, cicatrisation, croissance, vieillissement. L’embryogenèse qui construit un organisme, un phénotype complexe, à partir d’un génotype, c’est-à dire relativement peu de molécules, est probablement orchestré par des systèmes cognitifs particuliers. Ces systèmes agissent à des échelles de temps, de taille et d’organisation très étendues. Il est intéressant de noter que le traitement de l’information par les ordinateurs consiste à combiner des suites de myriades de signaux de valeur 0 ou 1 selon des procédures de codage à différents niveaux d’intégration. Chaque niveau possède sa clé de codage qui donne du sens à l’opération concernée et uniquement à ce niveau donné. Les informations entrées par le clavier de l’ordinateur subissent une succession de transformations avant de fournir sur l’écran des signaux à nouveau compréhensible par l’esprit humain sous forme d’image, de texte ou de résultat de calcul. Les signaux

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intermédiaires ne sont « compréhensibles » que par la machine et encore uniquement, à chaque niveau, que pour des signaux particuliers. Le traitement de l’information informatique est constitué d’une succession de codes plus ou moins complexes qui communiquent entre eux de proche en proche. Les nombres recèlent en eux d’étranges potentialités de structures selon qu’ils sont triturés par l’esprit humain ou ses machines à calculer. Ils font la joie des numérologues et plus sérieusement des mathématiciens qui y cherchent et trouvent des symétries, ou d’autres représentations esthétiques. Les images fractales proviennent de la trituration de nombre par l’ordinateur. Leur aspect n’est pas du tout prévisible par la simple observation des formules ou des algorithmes dont elles sont issues. Le programmeur peut certes les changer, en modifiant les paramètres de l’algorithme, pour engendrer des images inédites. Tout se passe comme si les nombres possédaient dans leurs capacités combinatoires des potentialités de faire émerger des structures en fonction du mode de traitement. Il en est ainsi des mots de chaque langue dont les combinaisons laissent émerger des structures pertinentes. On pourrait conjecturer que les atomes et les molécules contenues dans l’univers se comportent comme un super calculateur qui les combine pour faire émerger des structures stables. Le traitement de l’information par les systèmes vivants reste une grande énigme. Il relève des logiques toutes différentes de celles des ordinateurs. Mais peut-être que la séparation des codes est une donnée universelle. Pour le vivant, à côté d’une rationalité déterministe, interviennent de phénomènes

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d’empathie, d’attraction, de rejet, de flou. Il existera peut-être un jour un ordinateur « empathique ». L’individu est également tributaire de systèmes cognitifs sociaux et culturels dont les échelles de taille vont de l’interaction de personne à personne à la civilisation toute entière dans laquelle il évolue. Les civilisations comportent elles aussi des aspects conscients et des aspects inconscients. Ces systèmes sociaux et culturels ont comme substrat matériels, l’ensemble des individus, les lois, les réalisations matérielles, les arts, les lettres, etc. Les logiques cognitives. Il existe souvent, voire toujours, plusieurs voies logiques pour penser un problème. Ces logiques sont fonction des modes de cognition dans ou hors du cerveau humain. Pour résoudre un problème, pour aller d’un point à un autre dans un champ de contraintes matérielles ou conceptuelles il existe plusieurs voies qui sont plus ou moins rapides ou élégantes. Multiplier deux nombres a x b peut s’effectuer de manière élégante selon la méthode apprise à l’école primaire, ou de manière fastidieuse en additionnant b fois le nombre a à lui-même. Par ailleurs, les calculateurs prodiges sont des personnes capables d’effectuer des calculs mentaux avec des nombres très grands (extractions de racines carrées de nombre à 20 chiffres) selon des processus cognitifs peu élucidés. Les ordinateurs, quant à eux effectuent les calculs selon des procédures spécifiques en traitant des suites de signaux prenant des valeurs binaires 0 ou 1. Les calculateurs quantiques en cours de développement laissent entrevoir encore de nouvelles méthodes de calcul.

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Certaines démonstrations comme celle du théorème de Pythagore, peuvent s’effectuer de plusieurs manières. La résolution de certaines équations peut se faire par le calcul, par des méthodes graphiques ou de manière très fastidieuse par la recherche de solutions au hasard. Pour des polynômes 2 3 4 de degré élevé, du type a+bx+cx +dx +ex +…=0, il n’existe pas de méthode simple, hormis par graphisme, de trouver les solutions des valeurs de x qui vérifient l’équation. Réciproquement il est facile de vérifier qu’une valeur de x donnée est une solution vérifiant l’équation. Il existe peut-être une analogie entre cette flèche de la réversibilité, cette asymétrie dans le traitement des équations algébriques, et le deuxième principe de Carnot qui dit qu’il est plus facile de transformer l’énergie mécanique en énergie thermique qu’inversement. La flèche du temps constitue également une asymétrie dans l’évolution de la matière et de l’esprit. Le jeu des symétries et des asymétries est au cœur de leur fonctionnement. Les mathématiciens se penchent sur le problème « P=NP ? ». Certains problèmes dits de classe P, P pour polynomial, prennent un temps de résolution qui croît polynomialement en fonction du nombre x de données, c’est-à-dire comme un 2 3 polynome P(x) = a+bx+cx +dx ….. C’est le cas de la résolution d’un système d’équations linéaires, dont le nombre d’opérations est proportionnel au nombre d’inconnues. D’autres problèmes sont de la classe NP, non polynomiale. Le nombre d’opération est une fonction exponentielle du nombre de données, comme dans le cas du problème du voyageur de commerce. On peut gagner un million de dollars si on arrive à

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prouver que P=NP, c'est-à-dire que tous les problèmes NP peuvent ramenés à des problèmes P. Tous les problèmes NP, en mathématiques ou dans la nature, ne sont pas inventoriés, aussi la question « P=NP ? » semble sans issue. Les problèmes NP demandent peut-être un temps NP pour les inventorier. Dans le problème du voyageur de commerce qui doit passer par un certain nombre n de villes en minimisant la longueur du trajet est un problème NP, non polynomial. Le nombre d’opérations croît comme n ! (n !=1x2x3x4x5x……n). Pour une 64 cinquantaine de villes (50 !=3.10 ), l’exploration de toutes les 64 3.10 trajectoires par le plus puissant des ordinateurs prendrait l’âge de l’univers. Dans le cas du problème du voyageur de commerce, il existe toutefois des algorithmes imités de la nature biologique ou physique qui permettent de le résoudre en un temps polynomial. Ils sont basés sur l’imitation des processus de « mutations-sélection » ou de « recuit simulé ». Ils consistent à partir de solutions choisies au hasard et de les faire évoluer en sélectionnant les meilleures solutions en fonctions de critères donnés. Le problème du voyageur de commerce, qu’on peut résoudre, pour une cinquantaine de villes, en quelques secondes sur un ordinateur domestique, est un exemple de problème non polynomial se ramenant à un problème polynomial (NP=>P). La nature fonctionne partiellement ainsi dans les processus d’ontogenèse et de phylogenèse du vivant ou dans les morphogenèses atomiques et moléculaires. La création des organismes complexes du monde vivant semble impossible si elle repose uniquement sur l’exploration du hasard. La nature a trouvé le mécanisme de recherche des complexions viables par approches successives. Mais ce processus implique une

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strate d’ordre supérieur qui décide qu’une nouvelle solution est viable et meilleure qu’une précédente, tout comme dans la résolution du problème du voyageur de commerce où il faut bien un programmeur humain pour établir l’algorithme. Les métamathématiques ont pour objet le problème des problèmes et de leurs solutions. Les stratégies de résolutions de problèmes sont elles-mêmes le résultat de résolution de problèmes. Une strate cognitive semble avoir toujours besoin d’une strate sur-ordonnée, qui est capable de la « dire ». La physique cherche les lois élémentaires qui régissent le monde. La loi universelle de Newton d’attraction des corps n’est pas unique. Elle est prépondérante à un certain niveau d’organisation de la matière comme celui du mouvement des planètes ou le maintien des objets à la surface de la Terre. Mais d’autres forces sont à l’œuvre au niveau atomique et moléculaire pour empêcher le collapse de la matière. A chaque niveau d’organisation de la matière inerte ou vivante émergent des lois, des logiques, des intelligences spécifiques qui en déterminent la survie, la reproduction et l’évolution. La seule loi universelle est sans doute qu’il n’existe pas de loi universelle. Dans le domaine anthropologique, on observe que des cultures, des religions, des systèmes politiques fort différents sont capables d’assurer les régulations sociales et de développer des savoirs pérennes et pertinents. Il est bien sûr plus agréable de vivre dans certaines sociétés plutôt que dans d’autres.

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Les substrats de l’intelligence à l’échelle humaine sont les cerveaux des individus et les œuvres techniques, culturelles et sociales qui co-évoluent. Chaque substrat co-évolue avec son système cognitif propre à des échelles de temps et d’organisation propres. Micro et macroconscience Chaque entité qui agit selon des processus cognitifs s’inscrit dans des horizons d’ordre spatial, temporel et organisationnel. Elle pense en fonction d’un passé, d’un présent et d’un futur, d’un ici et d’un ailleurs, d’un soi et d’un autre sur-, équi- ou sous-ordonné. Ces horizons sont plus ou moins étendus. Ils dépendent du substrat et des possibilités de capture et de restitution des informations. Chaque conscience est un élément d’une conscience surordonnée dont les logiques peuvent lui échapper. Ainsi chaque individu végétal ou animal ignore le fonctionnement cognitif de l’ensemble de l’écosystème et chaque cellule de cet individu ignore les finalités de l’individu. On ne connaît pas les logiques qui lient les niveaux des microet les macroconsciences. En mathématique des images fractales, on observe que de simples équations peuvent donner naissance à des images macroscopiques fort complexes. Les automates cellulaires donnent également naissance à des images structurées à partir de mécanismes simples. De même les multiples productions microscopiques de pigment dans le poil d’un zèbre donnent naissance à des motifs striées à l’échelle de dizaines de

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centimètres. On sait simuler sur ordinateur l’émergence de certaines macrostructures à partir d’interaction simples de cellules élémentaires. Les différents facteurs qui font passer un travail de l’échelle microscopique vers une réalisation macroscopique mériteraient d’être mieux explorés. Aujourd’hui ces macrostructures simulées par ordinateurs ne rendent pas encore compte de la complexité des formes et fonctionnalités rencontrées dans la nature. Mais les simulations numériques rendues possibles par l’informatique montrent que des macrostructures peuvent émerger du jeu de microstructures qui combinent des facteurs aléatoires et déterministes. Au milieu du chaos apparaissent de temps en temps des formes et des dynamiques de fonctionnements stables . Un article de la revue La Recherche de juillet août 2008 relate que « le contexte échappe aux schizophrènes » selon des expérimentations d’un équipa CNRS-Inserm. Ces malades semblent être en mesure de bien traiter les informations sensorielles épisodiques, mais montrent plus de difficultés que les gens normaux en présence d’informations contextuelles épisodiques plus complexes. La santé mentale serait ainsi une question d’extension de l’horizon du champ cognitif. Ce champ connaît des zones de stabilité et d’instabilité. Il pourrait en être ainsi de tous les domaines sociétaux, notamment de la politique et de l’écologie. Les zones d’instabilités relient des zones de stabilité. Le dialogue des consciences. Notre conscience peut-elle communiquer avec ces systèmes cognitifs répartis à toutes les échelles de l’univers ?

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Probablement pas. La séparation des systèmes cognitifs, tout comme celle des langues humaines constitue sans doute un impératif dans la structuration et la complexification de la matière. Le jeu des équilibres des forces centripètes de l’identité et centrifuges de la diversité semble être à l’œuvre également pour la distribution des consciences dans l’univers. Tout comme ces équilibres structurent la matière, en atomes, molécules, planètes et galaxies, ils structurent aussi la répartition des consciences aux différents niveaux du réel. A côté de notre raison et de notre logique qui fondent les sciences et les techniques, nous disposons de quelques autres moyens d’accès partiel à des modes cognitifs éloignés, par exemple l’art, la littérature, la spiritualité et la méditation. Par la méditation nous pouvons créer des liens avec les processus physiologiques de nos corps. Les religieux considèrent qu’à travers la prière, ils sont en rapport avec les dieux et l’univers tout entier. Les sciences découvrent de nouveaux horizons qui se dérobent sans cesse. Il est très vraisemblable que les causes et fonctionnements ultimes de l’univers, du vivant et de la conscience ne soient jamais découverts, car totalement étrangers à nos modes de fonctionnement intellectuels. Ces phénomènes fonctionnent peut-être en s’appuyant sur des espaces dimensionnels qui échappent à notre réalité perceptible. Mais le langage humain permet des combinaisons à l’infini des concepts. La vérité ultime fait-elle partie de cet infini accessible par le langage humain ? Notre conscience semble également capable d’une certaine forme de communication avec certains autres systèmes cognitifs à travers des métaphores. Les métaphores sont largement utilisées par les religions. Celles-ci deviennent

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souvent des vérités dogmatiques fondant des identités et prétextes à des exclusions ou des guerres de religions. Les édifices et les rites religieux sont des matérialisations de métaphores. Ils sont censés donner une image du royaume des cieux dans un cadre culturel donné. Les relations d’empathies exprimées par la raison ou des gestes rituels ou religieux avec des systèmes cognitifs externes à la conscience, tels que ceux du corps ou de la nature dans son ensemble, permettent une forme de dialogue créant de l’harmonie entre le moi et le non-moi. Il n’est pas question d’hiérarchiser les systèmes cognitifs ni du point de vue éthiques ni en regard de l’évolution du monde. Un système englobant un autre ne lui est pas supérieur. La société n’est pas supérieure à l’individu, elle constitue simplement un ordre émergeant dont se servent les individus pour mieux assurer leur survie. On peut aussi se demander si un tout n’est pas essentiellement l’accentuation d’une partie. Ainsi les structures sociales seraient l’extrapolation de la pensée de quelques individus. L’art, la poésie, la spiritualité. L’art, la poésie, la spiritualité sont des composantes du système cognitif humain et complémentaires de la rationalité et des œuvres. L’intelligence humaine ne fonctionnerait probablement pas si elle n’était que pure rationalité. On pourrait conjecturer que les systèmes cognitifs fonctionnant à d’autres échelles de temps, de taille et d’organisation possèdent également des composantes équivalentes à l’art, la

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poésie ou la spiritualité. La beauté qui existe, même en l’absence du regard de l’homme, dans la nature, beauté colorée allant des minéraux aux paysages ou aux couchers de soleil, semble être un indice de l’existence de formes d’arts naturels antérieurs à l’homme. La nature produit de l’art pour signifier des identités et pour ouvrir celles-ci vers un au-delà d’elles-mêmes.

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Dimension fonctionnelle Fouesnant 25 07 2008

La dimension mathématique d’un objet dépend de la distance et de la représentation qu’en a un observateur. Une galaxie qui est un amas d’étoiles est un objet à au moins trois dimensions ; elle est un point de dimension zéro vue à quelques milliers d’années-lumière. Le disque lunaire ou la mer vus depuis la Terre sont des surfaces de dimension deux. La ligne d’horizon est de dimension une. Mais en regardant de plus près ces objets, on observe que leurs dimensions ne sont pas entières, elles poussent des embranchements vers des dimensions supérieures. Les vagues sur la mer poussent sa surface vers une dimension fractale comprise entre deux et trois, et la ligne d’horizon vers une dimension fractale comprise entre un et deux. De plus, la dimension temporelle intervient qui fait que la dimension fractale n’est pas une constante, mais elle varie selon un découpage du temps qui est lui-même fractal en fonction des ères géologiques, des marées ou du vent. Selon ces facteurs, la longueur fractale de la côte de Bretagne n’est pas continue dans le temps. Au gré des mouvements de l’eau certains morceaux de terre deviennent des îlots ou sont rattachés à la terre ferme de manière brusque et changent ainsi la nature de la frontière entre l’océan et le continent. Les physiciens théoriques qui postulent qu’il existe des dimensions supplémentaires aux quatre de l’espace temps, pensent que celles-ci ne se manifestent qu’à très petite échelle, celle des particules élémentaires. Ainsi un objet donné

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aurait différentes dimensions en fonction de la distance de l’observateur. Dimension zéro pour une galaxie lointaine, passage progressif à la dimension deux au fur et à mesure qu’on s’en approche et dimension trois lorsqu’on se trouve au cœur de cette galaxie. Les fluctuations temporelles peuvent être observées dès la dimension zéro. Les passages par les dimensions entières un et deux sont purement théoriques. Les dimensions entières ne constituent que des repères de pensée. Ces repères ont un intérêt toutefois pratique dans la vie quotidienne des humains. Une table lisse ou les murs d’une maison sont bien des surfaces de dimension deux à l’échelle où on les utilise, même si au microscope électronique elles laissent apparaître des paysages montagneux vertigineux. La dimension spatio-temporelle d’un objet n’est en réalité jamais un nombre entier. Elle dépend de la distance d’observation et de l’usage qui en est fait. On peut étendre cette réflexion vers l’ordre de la fonctionnalité des objets. La fonctionnalité est reliée à la quantité de relations qu’un objet entretient avec son environnement, ainsi que sont incidence sur celui-ci. Cette fonctionnalité dépend aussi de la distance d’observation et de l’utilisation. On pourrait introduire le concept de « dimension fonctionnelle ». Cette notion pourrait s’appliquer aux objets inanimés (atomes, minéraux, planètes, étoiles), aux organismes vivants et aux artéfacts d’origine humaine. A grande distance, la fonctionnalité d’un objet ou d’un être tend vers zéro. Son influence se fait sentir lorsqu’on s’en rapproche. Cette influence (son utilité, son pouvoir) va du plus simple au plus complexe. Un être humain peut être vu comme un simple contribuable, producteur, consommateur, patient, croyant,

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Dimension fonctionnelle

soldat, etc. Vu depuis l’institution concernée sa dimension fonctionnelle est un. Si la réalité était simple, celle-ci n’aurait fondamentalement pas besoin de connaître les autres dimensions fonctionnelles. De la même manière un automobiliste n’a pas à connaître le fonctionnement du moteur de sa voiture ou l’utilisateur de la radio peut ignorer les lois de l’électromagnétisme de Maxwell. Cette réduction de la dimension fonctionnelle des êtres et des objets est la base de l’efficacité technique et dans une certaine mesure intellectuelle. La complexité fonctionnelle apparaît brusquement lorsqu’on entre à l’intérieur des objets : organismes vivants, organisations humaines, machines, matière inerte. Là le fonctionnement de chaque élément est fonction des constituants de l’objet en question. Un organe assume une dimension fonctionnelle de l’ordre de un vis à vis de l’organisme auquel il appartient lorsqu’il n’a qu’une seule fonction. Il se sert en général des fonctionnalités des constituants. Les dimensions fonctionnelles de chaque constituant, quel que soit le niveau d’organisation, dans les faits ne sont rarement de un tant pour les organismes vivants que pour les organisations humaines, les machines ou la matière inerte. Il existe souvent une fonctionnalité principale et des fonctionnalités annexes. L’absence de fonction pour un objet est rare sinon inexistante. Des fonctionnalités négatives peuvent exister. Cependant, la nature semble toujours mettre à profit même l’inutilité apparente, voire le parasitisme. Les prédateurs à bonne dose sont utiles à l’équilibre des systèmes écologiques ou humains.

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La dimension fonctionnelle est à mettre en rapport avec l’apparition d’ordre et de symétrie. De nombreux systèmes fonctionnels sont caractérisés par des symétries spatiotemporelles et organisationnelles. Ainsi les cristaux et les organismes vivants sont structurés selon des axes de symétrie et des cycles temporels. Il faut toutefois observer le bon niveau d’organisation pour déceler les symétries. La symétrie n’est pas la condition sine qua non de fonctionnement d’un système. Tous les systèmes apparemment symétriques connaissent de fait des asymétries ou des quasi-symétries. Le corps humain avec la différence droite-gauche ou les transistors des ordinateurs faits de jonctions négatives–positives de matériaux semi-conducteurs en sont des exemples. Dans le cas des mouvements brownien des particules dans un gaz, la symétrie apparaît dans un espace abstrait des phases ; là, les vitesses des particules partent symétriquement dans tous les sens. Pour comprendre et agir sur le monde dans lequel nous vivons, il faut se placer à la bonne distance d’observation, là où les dimensions des phénomènes sont commensurables avec celles de nos moyens d’action. Et pour finir, une question : quelle est la dimension du néant ?

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Les infinis 09 08 2008

Comme le disait déjà Pascal (1623-1662), l’homme est perdu au milieu d’infinis effrayants. Notre raison est capable de dire ces infinis, mais nos sentiments en sont terrorisés. Les infinis se conçoivent dans le temps, dans l’espace, dans les nombres, dans les échelles de taille, dans les complexités des organisations de la matière et des langages. Le temps est linéaire comme la suite des nombres réels. Les nombres réels sont tous les nombres entiers et décimaux positifs ou négatifs. Ils sont sans fin vers les infinis positif ou négatif. On peut toujours ajouter un nombre à un nombre donné. Entre deux nombres réels, il existe une infinité d’autres nombres. Par exemple entre 1,11 et 1,12 on peut inclure une infinité de nombres commençant par 1,11… Il en est ainsi des instants du temps. Le présent est l’équivalent du zéro des nombres qui est infiniment fugace. Les nombres réels tout comme le temps sont des objets virtuels, utilisés pour la représentation métaphorique de la réalité. Dans le monde matériel, il n’existe pas de nombre parfait. Une chaise ne constitue une unité qu’à notre échelle d’observation. Vue à l’échelle du microscope électronique la frontière entre la chaise et la non-chaise est floue. Le vide entre les atomes qui la constituent en fait un objet de dimension fractale. La matière constituant la chaise est un gruyère de trous de non-chaise.

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Vue d’un atome particulier, la chaise constitue un univers de taille pratiquement infinie. Même doué d’intelligence, l’atome en question ne pourrait pas savoir qu’il appartient à une chaise. Par ailleurs, vue de Sirius, la chaise en question est un point infiniment petit et n’existe pratiquement pas. L’analogie entre le temps et les nombres réels n’est pertinente que comme métaphore. Dans le monde réel, le présent n’est pas un instant équivalent du zéro infiniment court. Le présent a une certaine épaisseur autour de ce point zéro. La mémoire est indispensable à l’existence du réel. La mémoire du passé est inscrite dans les structures de la matière qui perdurent et évoluent selon les domaines à différentes échelles de temps. Le présent géologique évolue avec des constantes de temps de millions d’années, celui des humains de quelques secondes à quelques décennies correspondant aux mémoires immédiates et de longue durée. Celui des cultures s’étend sur plusieurs siècles. Mais le présent dans le monde réel est aussi projection dans l’avenir avec des découpages analogues à ceux du passé. L’ici et le maintenant est donc un concept qui n’est pertinent qu’à des échelles de temps, d’espace et d’organisation données. Si l’infini tout comme le zéro n’existe peut-être pas dans le monde réel, celui-ci utilise le quasi-infini et le quasi-zéro pour sa construction dans différents domaines. Le zéro et l’infini dans le monde réel correspondraient au néant, ce néant qui coexiste avec le réel au-delà de l’infiniment petit des atomes et de l’infiniment grand de la centaine de milliards de galaxies. Ce néant est intimement mélangé au réel partout dans l’univers et au-delà de l’univers. La philosophie taoïste évoque ce néant

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également dans l’ici et le maintenant, aux échelles de temps d’espace et d’organisation de notre quotidien. La nature utilise le quasi-infini sous la forme de l’indénombrable. Le nombre d’atomes et de particules 100 élémentaires dans l’univers doit être de l’ordre de 10 . Le nombre de combinaisons, donc de structures théoriquement 1000 possibles est de l’ordre de 10 . Or seules certaines de ces combinaisons se réalisent sous forme de matière dite inerte ou vivante en fonction de lois physico-chimiques et d’autres que les sciences humaines tentent d’identifier. En fait, on sait juste que ces nombres sont très grands, impossibles à dénombrer. Les sciences poursuivent leurs horizons qui sans cesse se dérobent. Les langages humains, malgré leurs nombres limités de lettres d’alphabets et de sons, permettent de matérialiser et d’exprimer par leurs combinaisons une infinité de concepts, tout comme il est possible d’imaginer une infinité de nombres. Ils constituent un sous-ensemble infini de concepts pertinents. En effet, comme l’a montré le mathématicien Georg Cantor (1845-1918), un ensemble infini peut être constitué de parties elles-mêmes infinies tout comme les nombres premiers constituent un sous-ensemble infini de l’ensemble infini des nombres entiers. Le monde matériel semble exclure le zéro et l’infini qui sont deux extrêmes vers lesquels la matière peut tendre sans jamais l’atteindre. L’infini au-delà de la plus lointaine des galaxies n’existe que conceptuellement. La dimension zéro d’un objet n’existe que dans le monde de notre représentation. Certaines constante physiques dans la nature fixent de limites vers

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lesquelles la matière peut tendre mais sans jamais les dépasser. Ainsi nul objet ne peut dépasser la vitesse de la lumière de 300.000 kilomètres par seconde, sans quoi sa masse deviendrait infinie comme l’a montré Einstein avec sa formule   / 1  / donnant la masse m’ d’un objet en fonction de sa vitesse v, où c vitesse de la lumière, et m sa masse au repos ; lorsque v=c, alors m’=∞. Par ailleurs, la température du zéro absolu de moins 273,15° C = 0°Kelvin, ne peut jamais être atteinte. Elle correspondrait à l’immobilité absolue de tout objet. En laboratoire, la -9 température la plus basse atteinte a été de 10 K. La matière laisse apparaître de curieuses propriétés à ces basses températures comme la supraconductivité ou la superfluidité. La température du zéro absolu où la position d’une particule serait parfaitement définie conduirait à une mise en contradiction du principe de Heisenberg qui stipule que le produit des incertitudes sur la position ∆x et la vitesse ∆v de celles-ci est supérieur à une valeur positive h. (∆x. ∆v  h). Si ∆x tend vers zéro, alors ∆v tend vers l’infini. Une particule à la température O°K atteindrait une vitesse infinie ou au moins celle de la lumière. On pourrait conjecturer qu’elle perd sa masse afin que cette masse ne devienne pas infinie en vertu de la formule d’Einstein. Le monde de la matière est donc borné entre deux limites asymptotiques jamais atteintes, celle de la vitesse de la lumière et celle de l’immobilité absolue. Les ondes électromagnétiques, qui n’ont pas de masse peuvent se déplacer à la vitesse de la lumière, mais pas au-delà. Cet au-

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delà existe-t-il ailleurs que dans notre représentation mentale ? Y a-t-il quelque chose qui puisse exister dans l’immobilité absolue ? On pourrait conjecturer que l’espace lui-même n’est généré qu’à partir du moment à des particules entrent en mouvement.

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Cognition religieuse 19 08 2008

Les systèmes religieux ont évolué au cours de l’histoire de l’humanité de manière à s’adapter aux réalités et aux besoins cognitifs des individus et des collectivités. Ils sont porteurs des mèmes, les équivalents culturels des gènes en biologie, à la base de la stabilité et des évolutions de ces individus et de leurs collectivités d’appartenance. Ils proposent des cadres de pensées tentant de mettre en harmonie les intérêts individuels et collectifs et permettre le vivre-ensemble tout en répondant au besoin de sens inscrit dans l’esprit humain. Ils agissent donc aux deux niveaux de régulation de l’humanité, l’individuel et le collectif. Les systèmes religieux agissent selon les trois instances de ces systèmes cognitifs : la raison, l’empathie et l’incarnation. La raison des doctrines s’exprime par l’utilisation de métaphores et de récits qui traduisent en termes compréhensibles des concepts abstraits. Dieu est un père, l’ordre hiérarchique céleste est une homologie de l’ordre terrestre ; l’un justifie l’autre. Les concepts abstraits sont traduits en narrations, en paraboles, en récits extraordinaires. Ils ne pourraient probablement pas survivre sans ces traductions en des formes facilement représentables et mémorisables par les mortels. Le traitement des informations par l’esprit humain a besoin, pour inscrire les données dans sa mémoire, d’ensembles interconnectés sous forme d’histoires

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ou de métaphores. Un concept ou une valeur morale disparaissent s’ils ne sont pas portés par une narration. Les religions ont constitué des corpus idéologiques, c’est-à-dire des montages conceptuels qui leur confèrent une rationalité basée sur des prémices acceptés de manière empathique par des actes de foi. Leur raison veut aussi qu’elles se montrent adaptables aux les réalités historiques du temps, du lieu et de la nature humaine tout en constituant des références stables. Elles évoluent nécessairement moins rapidement que les sociétés qu’elles régulent. En fait les sociétés et les religions coévoluent. La promotion de l’empathie, de la compassion, de la fraternité ou de l’amour constituent des apports essentiels répondant aux besoins des individus et des collectivités. Une régulation sociale uniquement fondée sur la rationalité voire sur la force ne fonctionnerait pas. Les intérêts égoïstes individuels à court terme supplanteraient ceux à long terme de la collectivité. Compte tenu du potentiel de violence inscrit dans la nature humaine, l’espèce humaine n’aurait pas survécu sans l’empathie. L’empathie interpersonnelle ou pour un groupe se définit aussi par la défiance vis-à-vis de ceux qui ne bénéficient pas de cette empathie. Les religions monothéistes portent en elles les germes de l’exclusion et sont aujourd’hui encore liées à une grande part des violences dans le monde. L’évolution humaine est basée sur l’équilibre des forces de l’empathie et de rejet qui fondent les identités de groupes d’amitié, de famille, de clans, de nations ou de religions. Les principes de raison et d’empathie sont incarnés dans des textes écrits, dans des récits, des légendes, comme la Bible, les Evangiles, le Coran, les Upanishads ou les vies des saints.

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L’appartenance à une religion se traduit par des rites initiatiques ou des sacrements qui marquent les étapes importantes de la vie. Plusieurs rites scandent le temps des individus et de la collectivité : prières quotidiennes, hebdomadaires, fêtes annuelles, pèlerinages. La religion matérialise le temps à différentes échelles allant du quotidien jusqu’aux siècles. Elle investit également l’espace par ses lieux de cultes autour desquels s’implantent les collectivités. Par ses lieux de culte, elle matérialise son espace allant du village à la planète entière. Elle matérialise des concepts par des symboles dans ses lieux de cultes. Une église, lieu de beauté artistique, de calme, d’ordre de propreté (en principe) est une représentation du royaume de Dieu où ses retrouve la communauté des croyants. Le clair-obscur minéral de la cathédrale est illuminé d’en haut par la lumière colorée des vitraux. De nombreux symboles y interpellent de manière subliminale les instincts profonds de la nature humaine de l’éros et du thanatos qui sont des leviers de contrôle individuel et social. La sexualité et la mort sont omniprésentes plus ou moins explicitement. Pour l’éros : culte de la virginité, amande christique, architecture et ornements vulviforme, cryptes utérines, minarets et clochers phalliques, moments paroxystiques lors des cérémonies renvoyant à l’orgasme. Pour le thanatos : représentation de la torture et de la souffrance des martyrs, exaltation du martyr, représentation de l’enfer. Ces représentations de l’éros et du thanatos participent de manière paradoxale à la régulation sociale, de la sexualité et de la violence. La sexualité et la violence sont en même temps repoussées et exaltées. Ces symboles disent que ces deux instincts ainsi transcendés doivent rester sous contrôle social.

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Dans les sociétés modernes, ce contrôle a été repris par les institutions laïques et codifié par les lois civiles. Les us et coutumes des cultures ambiantes jouent également un grand rôle dans cette régulation des pratiques sexuelles et de la violence. Elle peut revêtir des formes différentes d’un groupe ou d’une région à l’autre. Les sociétés patriarcales ont surajouté de multiples règles aux préceptes divins en se réclamant de ceux-ci pour légitimer les pouvoirs établis, souvent mâles et gérontocratiques. Il semble exister certaines valeurs et pratiques communes à l’ensemble de l’humanité dans ces domaines. A côté de la morale positive, subsistent la prostitution, la torture, le crime sous toutes les latitudes et semblent participer à la régulation de l’éros et du thanatos au niveau collectif. Les religions ont probablement compris depuis toujours que le mal est inhérent à la nature humaine et qu’il est illusoire de vouloir l’éradiquer, mais qu’il convient de lutter contre en permanence. L’éradication de la délinquance ordinaire par le régime nazi a aussi développé des moyens et des méthodes plus criminelles encore ayant conduit à l’effondrement des valeurs de la civilisation occidentale. La mainmise des religions sur les instincts vitaux essentiels inscrits génétiquement dans la nature humaine est la base de puissants moyens de pouvoir sur les individus en même temps que de facteur d’identification des groupes. Les tabous alimentaires qui se justifiaient pour des raisons d’hygiène dans le passé sont maintenus dans l’Islam et le judaïsme notamment. Il en est de même pour la circoncision. La chasteté imposée, l’encasernement dans les institutions religieuses, l’interdiction du suicide, la promesse d’un au-delà réservé aux élus, avec éventuellement une résurrection des corps

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complètent cette volonté d’appropriation des corps par l’institution. Les tabous religieux sont souvent avancés afin d’asseoir le pouvoir de quelques personnes dont ils constituent un fonds de commerce au sens propre comme au sens figuré. (Les viandes halal ou kasher constituent un commerce rentable.) L’imposition du célibat des prêtres catholiques remonte probablement à quelque psychopathologie de pères de l’Eglise. Cette mainmise sur l’intimité des personnes n’est pas le monopole des religions, les institutions étatiques (armée, école, internats, police, justice, prisons, santé publique, asiles, administration, etc.) ont développé des pratiques qui en sont des avatars. Ces institutions se sont toutes arrogées le droit de mettre la personne à nu au sens propre et figuré. L’actuel recul des religions est peut-être simplement dû à ces concurrences dans le contrôle social. Les citoyens regretteront sans doute un jour le contrôle par les religions avec lequel il a souvent été possibles de s’arranger alors que les moyens informatiques, administratifs, policiers, normatifs préparent un monde où le big brother sait effectivement tout, contrairement aux représentants de Dieu du passé qui laissaient des lacunes dans le quadrillage de la société. Les guerres de religions ou les luttes entre les factions religieuses ont toujours pris des prétextes idéologiques et spirituels alors qu’il s’agissait pour l’essentiel de combats de chefs. Il semble en effet tragiquement dérisoire de s’entretuer pour le dogme de l’éventuelle virginité de Marie, pour le « filioque » ou l’essence de la sainte Trinité qui sont tous des

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avatars d’anciens mythes païens. La grande tragédie est que d’humbles croyants sacrifient leurs vies au nom d’impostures élevées au rang de vérités divines au service des puissants de ce monde. Les croisés n’étaient pas tous des aventuriers avides de richesses orientales, mais ce sont les Godefroy de Bouillon qui ont récupéré la gloire et ces richesses. Les kamikazes islamistes d’aujourd’hui sont à leur insu au service de ceux qui veulent s’emparer des mannes pétrolières, de la drogue dans les banlieues ou du pouvoir religieux et financier sur les lieux saints de l’Islam. En fouillant bien les textes sacrés tous les fauteurs de violence peuvent trouver la justification de leurs actes. Les religions ont également investi la plupart des domaines de la création intellectuelle et artistiques : architecture, peinture, sculpture, musique, poésie, littérature, etc. Ces œuvres constituent des sommets du patrimoine de l’humanité. Il est coutume de dire que les religions, la catholique notamment, ont retardé les progrès de la science et des techniques. On cite l’affaire Galilée. Mais ce genre d’affirmation mérite un examen anthropologique plus poussé. Il apparaît certes que la science a remis en cause des dogmes sur la création proférés par les religions. Les moyens de communications ont privé les religions du quasi monopole de la diffusion des informations et des savoirs (l’Eglise catholique était contre les chemins de fer ème et les journaux au 19 siècle). Mais il semble que l’essor de la science et de la technologie depuis la Renaissance en occident soit lié au cadre intellectuel définit par le christianisme qui porte dans ses gènes la remise en cause des vérités établies. Jésus était un hérétique juif, c’est pour cela qu’il a été crucifié.

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Les religions proposent souvent des outils pour atteindre la paix de l’âme. La prière, la méditation, l’espérance, le rapport au sur-moi, le pardon, la compassion, la canalisation des passions constituent des éléments profondément nécessaires au système cognitif humain en quête de sens et de survie collective. Le recul des religions traditionnelles conduit de nombreuses personnes à chercher du sens dans la science vraie ou fausse, dans l’étourdissement du quotidien matérialiste ou auprès de sectes ou psy de toutes sortes (il existerait 400 sortes d’écoles de psychothérapies dans le monde). Les religions ont certes péché à travers leurs abus de pouvoirs, mais elles constituaient un moindre mal par rapport au désespoir par absence de sens de la vie ou la barbarie de la violence généralisée. Quelles religions pour le monde d’aujourd’hui ? Dans les sociétés archaïques les religions et les traditions étaient les moyens essentiels pour réguler les comportements individuels et sociaux. Des formes laïques de ces régulations ont progressivement émergé grâce à la politique, l’université, le commerce ou l’art. Dieu a certainement tiré bénéfice de la laïcisation des sociétés, voire de l’athéisme, face aux dérives des religieux. Mais aujourd’hui les religions devraient présenter des contre-pouvoirs face aux dérives de la rationalité du matérialisme. L’histoire du vingtième siècle a illustré les dérives des pseudosciences sociales au service d’idéologies. Même si les foules et certains intellectuels les ont suivies, les théories raciales nazis et l’athéisme soviétiques sont, au-delà des crimes contre l’humanité qu’ils ont engendrés, des aberrations totalitaires vis-à-vis du fonctionnement des systèmes cognitifs individuels et collectifs humains. Mais la

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chute du communisme, avec celle emblématique du mur de Berlin, prive le capitalisme d’un important élément de régulation. La mondialisation des marchés conduit à de nouveaux totalitarismes orchestrés par la logique financière. Une monoculture humaine calquée sur le modèle des EtatsUnis s’impose à la planète entière. Bien que ce modèle, avec un fort fondement religieux, ne soit pas le pire. C’est sans doute l’un des meilleurs pays à vivre qui attirerait le plus d’immigrants si ses frontières du tiers monde s’ouvraient entièrement. Ses universités sont les meilleures au monde. C’est un creuset d’idées alternatives. Mais il s’agit tout de même d’un pays où un pour cent de la population est en prison, un pays qui a besoin d’alimenter son économie par d’incessantes opérations militaires, un pays dont l’empreinte écologique par habitant est la plus importante de tous les temps. La technosphère générée par les humains est un cancer qui diffuse ses métastases dans toute la biosphère. Elle finira par s’éteindre avec l’organisme qui l’a nourrie et qu’elle tue notamment depuis le début de l’ère industrielle il y a deux cents ans. L’espèce humaine aura duré quelque deux cents mille ans, bien peu par rapport à la moyenne des espèces qui durent un million d’années. C’est la rançon de son système cognitif. A moins que… A moins que la science et de nouveaux apports des religions aident à faire évoluer les comportements vis-à-vis de la nature et des humains entre eux. Le matérialisme permet certes aux humains de s’affranchir partiellement de certaines dures lois de la nature qui régulent les sociétés animales ou végétales par la famine, les maladies et les prédateurs. Mais ce matérialisme s’autogénère

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également en suscitant la croissance permanente et fatale des besoins et donc des impacts environnementaux. Il semble que les sociétés développées matériellement atteignent des limites où la croissance n’apporte plus de bénéfice global aux personnes, mais sert uniquement le système lui-même. Dans le domaine de la fabrication de l’électricité par des alternateurs, on parle ainsi d’énergie réactive, qui n’est utile qu’à la machine et non aux utilisateurs. Les crises financières mondiales actuelles sont directement issues des mécanismes d’énergie réactive spéculatifs générés par l’endoproduction artificielle de richesses. Comme pour toutes les turpitudes, si les victimes n’en étaient que les responsables, les crises seraient des bienfaits. Malheureusement ces jeux financiers causent des famines dans les campagnes et banlieues profondes du monde. La formation dispensée dans les universités et les critères de recrutement ou de déroulement de carrières dans les entreprises intègrent insuffisamment le sens des responsabilités sociétales. Des progrès sont à réaliser en veillant à ce que le discours de la responsabilité sociétale ne devienne pas un alibi que tout ambitieux saura asséner lors d’un examen universitaire, d’un entretien d’embauche ou d’un communiqué de presse institutionnel. La force des grandes religions qui a assuré leur pérennité à travers les siècles est leur capacité d’adaptation au présent avec de justes décalages. Les décalages par rapport à l’air du temps sont d’ordre temporel par la référence à la tradition et la projection vers l’éternité. Ils sont de l’ordre de l’espace, les pratiques et croyances locales sont reliées à l’ensemble du monde. Ils sont de l’ordre des valeurs et de la manière de

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penser le monde. Elles régulent sur les frontières où évolue l’humanité : la raison, l’empathie et la matérialité.

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Epigénétique 10 01 2008

Selon Wikipédia, le terme épigénétique définit les modifications transmissibles et réversibles de l'expression des gènes ne s'accompagnant pas de changements des séquences nucléotidiques. Les changements peuvent se produire spontanément, en réponse à l'environnement, à la présence d'un allèle particulier, même si celui-ci n'est plus présent dans les descendants. Le film, passé en 2007 sur Arte, « Un fantôme dans nos gènes » explicite ce concept de transmission de générations en générations de caractères acquis sous la pression de l’environnement, en contradiction avec les théories génétiques traditionnelles. Ainsi certains scientifiques ont observé des pertes de poids dans la descendance de populations ayant subi des famines ou des sensibilités au stress chez les enfants dont les parents ont eux-mêmes été soumis à des stress intenses. Les corrélations d’événements et de conséquences transgénérationnelles ne sont pas faciles à mettre en évidence statistiquement, bien qu’elles soient intuitivement reconnues par beaucoup de gens. Les scientifiques expliquent le phénomène par des modifications induites de l’environnement cellulaire de l’ADN chargé de transmettre l’information génétique. Il s’agit de l’activation ou de la désactivation de certains gènes. L’environnement épigénétique cellulaire reprogrammerait ainsi le gène en fonction de l’environnement de l’individu.

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Ce phénomène pourrait appuyer ma thèse de l’existence d’un système cognitif agissant au niveau de l’ADN. Ce système cellulaire serait en rapport d’échange d’information avec le système cognitif de l’ensemble de l’organisme, peut-être avec la conscience de l’individu, voire avec l’environnement écologique naturel. Cette manière de voir pourrait expliquer la rapidité avec laquelle l’évolution réussit à créer des êtres adaptés à leur environnement. La grande interrogation subsiste dans la théorie darwinienne de l’évolution est la difficulté à concevoir l’élaboration de l’immense complexité des êtres vivants uniquement par des processus de mutations aléatoires suivies de sélections naturelles. Des phénomènes de type épigénétique se produisent probablement à d’autres niveaux d’organisation de la matière vivante, comme l’apparition et la disparition d’espèces, les adaptations mimétiques des plantes et animaux, les stratégies de symbiose entre espèces, les comportements et techniques innés comme les trajectoires des migrations ou la fabrication des nids des oiseaux. Les mécanismes pourraient s’adosser à un système cognitif complexe fait de signifiant et de signifié. Le code ADN est le signifiant, l’équivalent des mots de notre langage humain. Ce code se transcrit en organisation physiologique parce qu’il est porteur d’un sens. Par quoi est donné le sens de l’ADN ? La question est aussi délicate que celle de savoir par quoi est donné le sens de notre langage. Estil auto-référent au niveau microscopique de la complexité de l’ensemble du génome ou se réfère-t-il à un ordre supérieur, celui de l’individu ou de l’ensemble du monde vivant ?

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Il se peut que tous les systèmes cognitifs agissant au sein de la nature soient interconnectés par des langages cachés à notre conscience humaine. Régis Ferrière, de l’Ecole Normale Supérieure, traite des mathématiques relatives à l’évolution des écosystèmes. Dans une conférence de l’Université de tous les savoirs, il a exposé des résultats de simulations par ordinateur de l’évolution de sociétés comportant des taux variables d’individus coopératifs et d’individus prédateurs. Les premiers contribuent au système dans une stratégie gagnante à long terme, tandis que les prédateurs exploitent les ressources du système pour satisfaire leurs besoins immédiats sans contrepartie. Le résultat surprenant est que les systèmes ne comportant que des individus coopératifs ne sont pas pérennes. On se doutait qu’avec que des prédateurs le système n’est pas pérenne non plus. En affinant le modèle selon un mode évolutionnaire permettant des mutations d’individus entre le comportement coopératif et prédateur, il observe que le système se stabilise pour certaines proportions d’individus plus ou moins coopératifs et prédateurs à la fois. Il s’agit certainement de modèles relativement simples qui ne reflètent pas la complexité de systèmes sociaux ou écologiques. Mais il est intéressant de noter cette dualité au cœur des systèmes en évolution. L’évolution du vivant, et apparemment aussi de la matière dite inerte, s’est effectuée par association d’éléments de plus en plus complexes. Le système émergeant de l’assemblage donne plus de chance de survie et de pérennité par rapport au constituant individuel. Notre corps serait ainsi un amas de

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cellules dont il assure de meilleures stratégies de survie. De la même manière notre vie en société, serait la meilleure stratégie pour assurer notre survie et donc celle de nos cellules et donc du gène égoïste dont parle Richard Dawkins. Le vivant est peut-être la meilleure stratégie de la quête de la matière de formes de plus en plus complexes. La technologie humaine, celle qui construit des machines, constitue une voie de structuration de la matière. Mais la matière à travers sa quête de formes sans cesse nouvelles construit aussi de l’information, c’est-à dire des objets abstraits, ou peut-être tangibles dans un autre espace que le nôtre à trois dimensions. Le code génétique constitue le signifiant dans la transmission de l’information d’une génération à l’autre. Le signifié est présent aussi lors de cette transmission sous forme de code épigénétique. Notre destin est de vivre dans cet univers de la quête de la complexité de la matière et de l’esprit. Cette quête ne fonctionne qu’à la frontière entre des injonctions contradictoires, le bien et le mal, le beau et le laid, la joie et la peine, la coopération et la prédation. Un monde sans ce que la morale appelle le mal ne serait pas pérenne. Le paradis où tout est bien n’existe pas sur Terre, mais il faut tout de même en imaginer un comme un artéfact. Sans l’artéfact d’un paradis utopique, le monde n’est pas pérenne non plus. L’épigène transmet donc aussi une bonne part de maladies, de pervers, de criminels, de voleurs nécessaires au maintien de l’évolution.

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Epigénétique

Citation de Denis Noble, biologiste britannique. "Pour moi, la biologie des systèmes est une théorie de la relativité biologique. Son principe premier est qu'il n'existe pas de niveau privilégié de causalité. Ceci est nécessairement vrai dans des systèmes qui possèdent des niveaux multiples s'influençant par des boucles de rétroaction montantes et descendantes. Les gènes et les protéines ne peuvent rien faire par eux-mêmes. Il y a de nombreuses formes de causalité descendante qui jouent sur le génome avec des résultats très différents selon les cellules et les circonstances. De ce fait le concept de "réseau génétique" est fallacieux, de même que l'idée d'un programme génétique", écrit Denis Noble dans la page personnelle de son site. "En fait, il n'y a aucun programme à aucun niveau. Le dogme central de la biologie moléculaire est erroné. L'ADN n'est pas le seul support de l'hérédité et l'importance des mécanismes épigénétiques n'a pas encore été suffisamment appréciée. La persistance des effets épigénétiques sur plusieurs générations les rend sensibles à la sélection naturelle. Il y a donc peut-être une forme de lamarckisme qui attend en coulisse. Dans cette conception de la biologie, les gènes ne sont pas égoïstes mais prisonniers de l'organisme. J'emploierai des exemples de modélisation du cœur pour illustrer tous ces principes" ajoute Denis Noble dans le texte de présentation de sa conférence.

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La musique de la vie 01 09 2008

« La musique de la vie. La biologie au-delà du génome » de Denis Noble, professeur de physiologie cardiovasculaire de l’université d’Oxford, est un ouvrage remarquable que j’ai découvert au hasard de pérégrinations sur Internet. La thèse défendue par D. Noble est que la construction des organismes vivants n’est pas programmée dans l’ADN, que celui-ci n’est qu’un moyen de fabrication des constituants qui ne peut s’exprimer que dans un environnement global. Le développement des cellules embryonnaires a besoin du ventre d’une mère, d’un œuf ou d’une graine. « Nous sommes le système qui permet au code génétique d’être lu ». En fait il existe une synergie entre les processus du bas vers le haut (bottom up) et du haut vers le bas (top down) dans l’organisation de la matière vivante. D. Noble s’oppose également aux thèses de Richard Dawkins sur le gène égoïste qui réduirait l’évolution à une stratégie du bas vers le haut dont le seul objectif est la prolifération du gène. La construction d’un organisme s’effectue à chaque niveau selon des processus spécifiques. Les informations ne vont pas seulement du gène vers la fonction, mais aussi de la fonction vers le gène. Cette réversibilité existe entre les différents niveaux d’organisation.

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Gènes ↔ protéines ↔ voies biochimiques ↔ mécanismes intracellulaires ↔ cellules ↔ tissus ↔ organes ↔ organismes. D. Noble va ainsi à l’encontre des dogmes réductionnistes bien établis en biologie et dans la plupart des sciences, qui consiste à rechercher les mécanismes ultimes dans l’infiniment petit. Il souligne aussi que les métaphores utilisées par la science en orientent la réflexion et parfois constituent un handicap. Parler de bas et de haut pour les niveaux d’organisation de la matière vivante est une manière qui n’en facilite pas nécessairement l’examen. Il développe ses thèses en s’appuyant sur la métaphore musicale, en comparant les gènes aux multiples tuyaux d’un orgue qui ne peuvent donner du Bach que grâce à et dans un environnement complexe matériel et culturel. Il est aussi de ceux qui pensent que certains caractères acquis peuvent être transmis par l’activation, en fonction de l’environnement, de gènes dormants. « L’hérédité épigénétique de chaque type cellulaire détermine la partition qu’il joue ». Les conséquences philosophiques sont que « la finalité de l’existence se trouve au niveau où la sélection naturelle a lieu ». Le vivant n’est qu’une des formes viable dans « l’explosion combinatoire » des arrangements possibles des molécules. « Supposons que 100 gènes soient nécessaires pour une fonction biologique. Le nombre possible de fonctions générées 289 par 30.000 gènes sera de 10 ! De plus dans la réalité chaque gène est impliqué dans plusieurs fonctions qui orchestrent les rapports entre les quelque 200 sortes de cellules de l’organisme humain. »

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La nature utilise le hasard, elle bricole avec ce qui lui tombe sous la main. Elle crée des associations qui assurent une meilleure chance de survie des éléments. « Vous, vos joies et vos peines, vos souvenirs et vos ambitions, votre sens de l’identité personnelle et du libre arbitre ne sont rien d’autre que le comportement d’une grande assemblée de cellules nerveuses et des molécules qui leur sont associées » (F. Crick, prix Nobel de médecine en 1962 avec J. Watson et M. Wilkins pour la découverte de la structure de l’ADN). On note aussi que la nature s’est contentée d’êtres unicellulaires pendant près de 4 milliards d’années avant d’inventer les êtres multicellulaires il y a seulement 542 millions d’années lors de l’explosion cambrienne des espèces. Chaque niveau d’organisation joue son rôle sans connaître le projet d’ensemble. Il n’est pas utile de connaître la mécanique quantique pour construire un pont et pourtant le pont n’existerait pas sans les propriétés microscopiques des atomes et des molécules. « On peut toujours s’émerveiller de la beauté et de la complexité de la vie sur Terre, mais plus personne ne croit que sa logique soit la meilleure possible ». Il est vraisemblable que l’introduction de la morale dans la nature par le biais du cerveau humain soit une tentative d’amélioration de la logique du vivant, où chacun est prédateur et proie, où les faibles sont éliminés, où la régulation se fait par les souffrances, les maladies et les famines. Dans bien des cas, l’intelligence et les progrès humains ont aggravé les souffrances dans le monde vivant.

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Mais la nature n’a pas attendu l’homme pour mettre en œuvre des stratégies gagnantes-gagnantes entre les espèces. La compétition et la prédation ne sont pas les seules stratégies au cœur du vivant. Le mutualisme, la symbiose, le commensalisme ou la simple coexistence sont à l’œuvre depuis la nuit des temps. Les mitochondries sont des organites dans les cellules vivantes qui récupèrent et stockent l’énergie nécessaire à leur fonctionnement. Leur ADN spécifique indique une origine exogène. Il s’agit de bactéries qui sont entrées en symbiose avec les cellules il y a environ deux milliards d’années (voir mitochondrie sur Wikipédia). Les champignons jouent un grand rôle dans la décomposition et le recyclage de la matière vivante. Ils vivent en association sous forme de mycorhizes avec 80 % des plantes terrestres pour lesquelles ils assurent le transport de matière voire d’information. « L’orchestre de la vie se joue sans chef ». Il semble nécessaire, au nom de la doxa académique, de rejeter le finalisme dans l’évolution. « Le chef d’orchestre de l’évolution est l’évolution ». « Le soi n’est pas un objet neuronal. L’activité neuronale est le soi ». Ce sont là des tautologies auxquelles adhère un large spectre de scientifiques. Le livre se termine sur l’évocation du Bouddhisme zen et le taoïsme, des métaphores du monde sans Dieu et sans soi. « Un musicien talentueux oublie ce qu’il joue, il joue c’est tout. »

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Commentaires J’ignore si les métaphores concevables par le langage humain pourront un jour décrire de manière exacte le monde jusque dans les extrémités de ses infinis du temps, de l’espace et de sa complexité. La nature a trouvé à travers le vivant, parmi l’infinité de combinaisons possibles de la matière, les rares, et pourtant en nombres infinis, complexions qui fonctionnent et se reproduisent. Il est remarquable de noter que des êtres vivants de tailles quasi nulles par rapport à l’immensité d’un univers essentiellement minéral puissent penser cet univers. Il n’est toutefois pas évident que des processus mentaux, malgré leur capacité de combiner des concepts à l’infini, puissent reconstituer jusqu’au bout les cheminements de la matière, ni même en saisir la logique. Ainsi notre logique linéaire a du mal à comprendre que la poule et l’œuf ont co-évolué, que le global et le local dans bien des domaines en font de même, tout en ayant des intérêts divergent selon les échelles de tailles. Notre éthique a du mal à admettre que l’imperfection soit inhérente à la création, d’origine divine selon les religieux. Nos représentations scientifiques et morales rencontrent toujours tôt ou tard des limites au-delà desquelles elles sont mises en défaut. Mon intuition, déjà développée ailleurs, mais qui ne fait que repousser l’horizon des interrogations, est qu’il existe des systèmes cognitifs à différents niveaux d’organisation de la matière, notamment vivante, fonctionnant avec des logiques, des échelles de temps et d’espace propres. Un système cognitif collecte, traite et restitue des informations dans le but de transformer son environnement et d’assurer sa propre pérennité.

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Il s’appuie sur la trifonctionnalité de la raison, de l’empathie et de la matérialisation. Les anciens Grecs désignaient cette trifonctionnalité respectivement par le logos, le théos et le cosmos. Le christianisme la désigne par le Saint-Esprit, le Père et le Fils ; l’historien Georges Dumézil (1898-1986) par le soldat, le prêtre et le paysan. Même les parfumeurs divisent les parfums en degrés de volatilité : le fond, le cœur et la tête. Un système cognitif est de la nature de l’esprit, mais il n’existe pas sans la matière par lequel il s’exprime. Même Dieu existe pour les humains essentiellement à travers ses temples, ses symboles et ses croyants. Réciproquement la matière ou une organisation d’origine humaine n’existent sans doute pas si elles ne sont pas « pensées » d’une manière ou d’une autre. Dans les organismes complexes, les liens de causalité paradoxaux dans la genèse et le fonctionnement du particulier et du global sont explicables si l’on admet l’existence de tels systèmes cognitifs. Ils élaborent des représentations abstraites du réel matériel avec lequel ils sont en interaction. Ils savent anticiper une évolution possible en fonction de leur action. Un système cognitif a une certaine perception du temps, de l’espace et de l’organisation dans lesquels il évolue. Le présent, l’ici et la situation ont une certaine épaisseur. Le présent comporte du passé et du futur, l’ici comporte de l’ailleurs, le moi comporte de l’autre. Un système cognitif sait intégrer le non-soi, un certain passé, un certain avenir, un certain ailleurs, un certain autre. Le temps, l’espace, les influences avec lesquels un système cognitif donné fonctionne sont des domaines relevant de la logique floue sans frontières nettement définies ni contingentes.

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Des sociétés se sont structurées en se basant sur le culte des ancêtres en ne regardant ni vers l’avenir ni à l’extérieur. Les programmes politiques des sociétés occidentales sont aujourd’hui tous tendus vers l’avenir, la mondialisation et le changement. Dans les deux cas il y a des dimensions manquantes. La cognition émerge des interactions multiples d’éléments semblables à l’instar des neurones du cerveau. On ne connaît pas le mécanisme quelque peu magique de l’émergence de la cognition de ces interactions multiples. La théorie reste à inventer. Apparemment les neurones, ou tous ces éléments multiples, d’où émerge la cognition, constituent des réseaux que les mathématiciens décrivent comme des graphes avec des nœuds et des liens à la base d’un espace abstrait. Dans cet espace se font et se défont des macrostructures à l’échelle d’une grande quantité de nœuds qui codent, mémorisent et probablement traitent des informations entrantes. Les sens servent à la perception du monde appartiennent à notre système cognitif. Un cerveau ne fonctionnerait pas sans les interactions avec l’extérieur. Un système cognitif biologique fonctionne sur d’autres logiques et évidemment d’autres matériaux que les ordinateurs. L’ensemble des cellules d’un organisme ou le système immunitaire constituent des systèmes cognitifs. Notre état santé dépend des relations cognitives, de raison, d’empathie et matérielles que nous entretenons avec le système immunitaire en nous et le monde hors de nous. Certains médicaments, y

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compris les placebos, sont des messages adressés au système immunitaire. Il se pourrait aussi que les molécules d’eau soient capables de mémoire et que l’écosystème terrestre soit animé par un système cognitif, Gaïa, comme l’avancent certains penseurs encore peu reconnus par la communauté scientifique. On peut développer une vision du monde basée sur une multitude de systèmes cognitifs imbriqués, communicants plus ou moins et agissant à des échelles de temps, d’espace et d’organisation très différents. L’univers de Gaïa est caractérisé par des échelles de temps de milliards d’années. La Terre, les océans, l’atmosphère, l’ensemble des espèces vivantes sont soumis aux processus de régulation orchestrés par Gaïa. L’univers des cellules générant les pulsations cardiaques d’un animal fonctionne avec une échelle de temps de la milliseconde. Ces cellules cardiaques n’ont probablement pas conscience qu’elles sont essentielles pour l’irrigation du système sanguin de tout un organisme et encore moins pour Gaïa. Les systèmes sociaux sont aussi animés par des systèmes cognitifs qui s’auto-entretiennent de génération en générations. Ils ont leurs propres logiques, leurs territoires et leurs temporalités. Ils assurent des stabilités transitoires permettant leur survie et leur évolution de valeurs et de modes de vie. Ils co-évoluent avec les individus qui les constituent. C’est un soi sans cesse renouvelé qui survit au cours des transformations des sociétés. Le territoire est l’aspect le plus concret de leur identité. Les systèmes sociaux ont évolué très lentement dans la préhistoire. Les âges de la

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pierre taillée ou polie, du fer, du bronze ont duré et ont mis des millénaires pour se propager à la surface du globe. Aujourd’hui une nouvelle technologie est inventée, mise en œuvre industriellement et diffusée sur tout le globe en quelques mois, ou années au pire. La technologie fait émerger de nouveaux systèmes cognitifs, de nouvelles manières de penser et d’agir. Les classes sociales ont été bouleversées par les technologies. L’Internet et toutes les nouvelles technologies de l’information (NTI) constituent une révolution culturelle probablement encore plus importante que l’imprimerie. Ces évolutions ne portent pas en soi de valeurs morales. On les en investit. Ainsi ces technologies de l’information sont porteuses de bien et de mal. En bien, elles contribuent à la diffusion du savoir, de l’information, du contrôle des droits humains. En mal, elles permettent l’émergence d’une cybercriminalité, du mal pour le mal, du contrôle totalitaire des sociétés, ou de la manipulation des opinions. Elles ont trouvé leur niche dans l’écosystème social. Toute évolution technique génère du bien et du mal sous des formes sans cesse renouvelées. La morale des systèmes cognitifs n’existe pas en soi. La morale est un moyen de survie à long terme et global. La nature a trouvé qu’il est plus avantageux que les systèmes cognitifs ne communiquent que très partiellement entre eux. C’est ce qui se passe dans la spéciation des plantes, des animaux, des langues. Chaque niveau d’organisation cherche en permanence un équilibre entre le maintien de son identité et sa transformation par le non-soi. Ainsi notre conscience n’est qu’un des systèmes cognitifs à l’œuvre au sein de notre propre organisme et dans les systèmes sociétaux dont nous sommes les éléments. Un système peut agir de manière

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constructive sur un autre dans la mesure où il connaît sa logique propre. Mais il est avantageux pour la pérennité d’un organisme et d’une espèce que des cloisons cognitives les protègent mutuellement. A cet égard on peut se demander si la montée en puissance des technologies de l’information à l’échelle mondiale ne conduit pas à un décloisonnement complet des systèmes cognitifs qui régulent les différentes sociétés et cultures. Il conviendrait d’examiner l’hypothèse qu’une monoculture mondiale associée à un contrôle quasiintégral des individus pourrait conduire à un collapse de l’espèce humaine. D’ores et déjà on observe que le très haut niveau des connaissances de l’homme de lois la nature conduit à une exploitation prédatrice de la nature et à une extinction massive des espèces animales et végétales. D’aucuns pensent que les NTI constituent pour les générations futures une menace aussi grande que le réchauffement climatique. On pourrait aussi supposer que les extinctions massives d’espèces dans les temps géologiques aient été causées par une espèce prédatrice qui a su déjouer les systèmes de défense des autres espèces, jusqu’à disparaître elle-même. Création de formes Il est intéressant d’examiner les processus fondamentaux conduisant à la création de formes. A l’échelle de taille et d’organisation la plus basse (Big Bang, quarks), on ne sait pas comment, la matière, le temps ou l’espace sont apparus. Admettons qu’ils ont toujours existé. Un texte de Saint-Jean dit « In principio erat verbum et verbum erat apud Deum et Deus erat verbum», « Au début était le verbe et le verbe était auprès de Dieu et Dieu était le verbe».

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Le monde matériel aurait été créé par une telle interaction de l’abstrait avec lui-même qui dépasse notre logique. Certains physiciens aujourd’hui pensent à peu près la même chose avec une métaphore différente : « la matière est née de la fluctuation du vide ». Les origines du monde se trouveront sans doute à jamais au-delà de l’horizon de nos entendements. La conjoncture des systèmes cognitifs distribués à de multiples échelles pourrait expliquer l’apparent finalisme que l’on observe dans bien des phénomènes physiques ou biologiques. Il est plausible qu’aucun des systèmes cognitifs imaginables n’aie programmé l’histoire de l’univers du début à la fin. Il serait plus logique de penser que chaque système cognitif structure la matière dans son hypersphère spatio-temporelle et organisationnelle, aux contours plus ou moins flous. Ainsi il s’assure une certaine pérennité tout en transformant l’environnement et contribue à la naissance de nouveaux systèmes cognitifs. L’univers a évolué au gré de l’émergence de systèmes cognitifs. Et de ce point de vue l’homme existe par hasard et non en vertu d’un principe anthropique écrit depuis de toute éternité. Cette conjecture implique que des systèmes cognitifs sont capables d’agir de manière pas tout à fait déterministe non seulement sur la matière inanimée telle que les molécules et les atomes mais aussi sur les lois fondamentales qui régissent cette matière. Osons pousser la conjecture et proposer l’explication par le « fine tuning », le réglage fin des constantes fondamentales de l’univers. Celles-ci déterminent avec une précision jusqu’à la soixantième décimale le rapport des forces d’attraction et de répulsion au sein de la matière. Un écart de la valeur de cette soixantième décimale entrainerait soit un

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compactage total soit une dilution totale de la matière de l’univers, donc pas de structure vivante. Les propriétés singulières de l’eau, telle que la densité maximale à 4°C et non à O°C, sont indispensables à l’émergence de la vie dans les eaux et sont aussi un effet de ce réglage fin. Si la densité était maximale à 0° C, les nappes d’eau seraient gelées en masse la plus grande partie de l’année et la vie aurait eu des difficultés à se développer sur les fonds. L’explosion cambrienne de la vie n’aurait sans pas eu lieu. Les conditions climatiques permettant la vie sur Terre relèvent de mécanismes pratiquement impossibles si elles reposent sur le pur hasard. Les conditions de température de pression, de composition chimique, de gravité, d’irradiation relèvent d’un réglage fin, probablement aussi de l’ordre de la soixantième décimale si l’on considère toutes les combinaisons aléatoires possibles. L’inclinaison de l’axe de rotation de la Terre sur l’écliptique est telle que des saisons existent et évite les températures extrêmes de centaines de degrés en dessous ou au-dessus de 0°C, comme c’est le cas sur d’autres planètes du système solaire. Le noyau métallique en fusion au centre de la Terre produit un champ magnétique qui empêche le balayage de l’atmosphère par le vent solaire comme c’est le cas sur d’autres planètes sans ou ayant peu de champ magnétique. L’eau et le carbone qui sont les éléments chimiques de base de la vie, connaissent des cycles de régulation à l’échelle du globe et celle des temps géologiques où interviennent les océans, l’atmosphère, les espèces vivantes, voire même les volcans et la tectonique des plaques océaniques. Les plaques continentales entraînent sous la croûte terrestre le carbone précipité au fond des océans, carbone que les volcans rejettent

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à nouveau. Il est évidemment difficile à notre vision scientiste du monde de concevoir une forme de cognition régulant la tectonique des plaques ou les volcans. Si des systèmes cognitifs sont à l’origine de tels phénomènes, il est envisageable qu’ils répondent à des injonctions immédiates à leurs échelles spécifiques de temps et d’espace. D’autres systèmes cognitifs apparus par la suite se sont adaptés et ont utilisé leurs propriétés. En conclusion, la musique de la vie est belle parce que nous ne la comprendrons probablement jamais uniquement avec notre raison, mais aussi avec notre cœur qui ouvre notre ici et maintenant sur les infinis du monde.

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Modèles et émergences 30 12 2008 En ce mois de décembre 2008 j’ai assisté à deux colloques à la Bibliothèque nationale de France et à l’université Paris Diderot (c’est dans le même quartier de Paris) organisés respectivement par la « Société française de physique » sur « Les modèles, possibilités et limites. Jusqu’où va le réel ? » ainsi que par « l’Académie européenne interdisciplinaire des sciences » sur « Emergence, de la fascination à la compréhension ». Voici quelques notes prises au cours des présentations et des débats entre les experts de ces interdisciplinarités. En italique, mes réflexions au passage. Les modèles Le modèle n’est pas nécessairement une représentation, par exemple des données, des équations. Le modèle a une vie propre, il facilite la médiation. Le modèle peut être auto-réalisateur et même autoréfutant cycliquement (crises financières). Le réel réfute le modèle. Trois types de simulations informatiques : numériques, algorithmiques, informatiques (grid computing=calculs simultanés sur de nombreux ordinateurs). A Barcelone une église désacralisée héberge un très gros centre de calcul. La simulation de l’évolution de l’univers destinée à rendre compte du fond cosmologique diffus et de la formation des galaxies indique que les propriétés microscopiques des atomes d’hydrogène contribuent à la forme des galaxies.

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L’évolution de l’univers selon le modèle standard implique la présence d’énergie et de matière noires, en quantité supérieure à celles qui sont visibles (20-75 %). Construire une théorie réfutable par l’expérience est une exigence extrême de la science. La modélisation mathématique va au-delà du réel. Il existe plus de 20 modèles du climat terrestre. Les variations climatiques sont surtout dues aux rétroactions consécutives aux effets directs induits par le CO2 ou par le soleil. Les puits de CO2 naturels absorbent aujourd’hui 50 % du CO2 anthropique. Dans 1000 ans, il restera 10 à 30 % du CO2 anthropique actuel. En architecture, la perception est au cœur de l’œuvre. (voir le film sur le viaduc de Millau sur Youtube)  Le modèle sert à penser l’œuvre.

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En physique, il y a aujourd’hui trois modèles standards qui obtiennent un large consensus dans les communautés scientifiques : cosmologique (le Big Bang), les étoiles (les réactions thermonucléaires), les particules élémentaires (les 4 forces fondamentales de gravitation, électromagnétique, nucléaire et faible). Les neutrinos ont une masse. Les modèles standards sont esthétiques.  Les particules élémentaires sont–elles sensibles à l’esthétique des lagrangiens tels que :

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Le darwinisme est un algorithme.

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En biologie, tous les niveaux de la hiérarchie sont donnés ensemble. L’évolution et la sélection se font à tous les niveaux. Même sans sélection naturelle, il peut y avoir augmentation de la complexité par processus stochastiques. Notion de patterns phylogénétiques : organismes, langages, outils.  Quid des patterns fondés sur l’empathie, l’esthétique, la grâce, la spiritualité ?

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Il s’agit de la même image à deux tailles différentes faisant apparaître Albert Einstein et Marilyn Monroe. -

Pour Zwirn, les modèles n’existent qu’à une seule échelle.

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Les deux problèmes les plus difficiles sont les émergences de la vie et de la conscience.  La conscience n’est-elle pas consubstantielle à la matière ?

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Les propriétés de l’eau restent un grand mystère.  L’eau aurait-elle une forme de mémoire et de conscience comme le conjecturent Jacques Benvéniste ou Masaru Emoto ?

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Le modèle standard affirme que la mécanique quantique explique certaines propriétés émergentes pour l’eau ou la conscience. Protestation d’un physicien. Avec les ordinateurs on montre que des règles simples peuvent engendrer des comportements qui ne le sont pas (automates cellulaires).  Les images fractales le montrent aussi. Quelques lignes de programme informatique suffisent à engendrer des images complexes. Le génome bien que compliqué l’est beaucoup moins que l’organisme qu’il engendre.  Le corollaire est que des données simples peuvent induire des processus complexes imprévisibles (effet papillon, nouvelle technologie), semi prévisibles (action de médicaments, modification du taux de change, des cours des matières premières), prévisibles (lois, médicament, mise en marche d’un appareil, décision). En fait les limites entre l’imprévisible, le semi-prévisible et le prévisible sont floues dès que l’horizon des causalités et des effets s’élargit quelque peu.

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Gradation : simple->compliqué->complexe ; exemple : engrenage->poste de télévision->climat Les automates cellulaires sont des modèles servant à l’étude des systèmes complexes.

Automate cellulaire

 Pourquoi certains systèmes complexes sont-ils relativement stables (organismes vivants) ?  Comment forcer un système complexe à se stabiliser (maladie, système financier) ?  Pour un système complexe, il est impossible de remonter à la loi simple qui l’a engendré.  Il n’est pas possible de simuler un système complexe réel à partir d’une loi simple car on ne connaît jamais avec précision suffisante les paramètres de départ. Le modèle s’écarte donc toujours du réel observé. Il donne tout au plus des indications sur le genre de comportement. Avec un automate cellulaire on réussit à créer des cellules avec une membrane. Mais on est infiniment loin de la complexité d’une cellule réelle. Ce n’est pas une question de capacité de calcul, c’est par principe même que le réel et l’ordinateur ne calculent jamais la même chose,

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ni sûrement pas de la même manière. Le calcul de l’ordinateur consiste en une trituration selon des règles définies par une intelligence humaine de suites de signaux 0 et 1. Toutefois à cause de la masse des informations à traiter, les résultats des calculs informatiques ne sont en général pas reproductibles par l’esprit humain. -

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L’émergence serait une vue subjective de la réalité car trop complexe pour l’entendement humain. La complexité est computationnellement irréductible. Pour Wolfram, on ne peut pas remonter les étapes des itérations antérieures d’une évolution. Il existe aussi une émergence objective. Les décimales de  ne sont pas aléatoires, bien qu’elles le paraissent. Pour Delahaye, on distingue deux sortes de complexités : o Complexité aléatoire K dite de Kolmogorov, c’est la taille du plus petit programme nécessaire pour décrire un objet. K est petit pour une image de couleur uniforme, très grande pour une image de points aléatoires et intermédiaire pour une image structurée. o Complexité organisée P dite de Bennet, elle traduit la profondeur logique, c’est le temps de calcul le plus court pour élaborer l’objet. La nature élabore des objets avec des profondeurs logiques de plus en plus grandes.

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La profondeur logique peut être réduite instantanément, par la mort d’un organisme par exemple. La complexité de Shannon en théorie de l’information est une variante de la complexité de Kolmogorov. Un verre qui se brise ou un papier qu’on froisse voient leur complexité aléatoire K croître brusquement. Mais la complexité organisée P croît toujours lentement. Elle caractérise des processus. La véritable émergence correspond à l’augmentation de la profondeur logique.  Il faudrait être capable de programmer des automates dont les lois de composition seraient elles-mêmes évolutives. Mais ce ne seraient pas des automates mais des intelligences.

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Pour Balian, le réductionnisme fonctionne. L’émergence émerge de la physique statistique en passant des propriétés microscopiques des particules aux macroscopiques. Le formalisme à la base s’appuie sur les probabilités non commutatives décrites par des matrices. Ainsi le discontinu microscopique devient continu au niveau macroscopique. L’énergie interne d’un gaz est donnée par le mouvement des particules. La température est le résultat d’une moyenne des énergies des particules. Le déterminisme macroscopique correspond aux  fluctuations statistiques autour de moyennes d’un √

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grand nombre N d’atomes. Les principes thermodynamiques, les lois empiriques en chimie, l’irréversibilité du temps, les transitions de phases émergent aussi des propriétés microscopiques. L’irréversibilité du temps à l’échelle macroscopique apparaît comme telle car les temps sont très grands

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pour les interactions à de longues distances et de nombres très grands de particules.  A l’échelle des temps géologiques, des millions d’années, les roches se comportent comme des fluides, permettant les mouvements tectoniques et le plissement des couches géologiques. -

Les assertions peuvent être vérifiables dans un certain contexte, mais ne sont pas nécessairement vraies dans un autre contexte.  Tout niveau microscopique est macroscopique pour un autre et réciproquement. Les lois changent d’un niveau à l’autre. Il ne doit pas être possible de déduire les lois des niveaux supérieurs ou inférieurs au-delà d’un certain horizon. Le fonctionnement de l’écosystème ne sera sans doute jamais déductible des propriétés des atomes d’hydrogène. Toutefois si celles-ci étaient différentes, les écosystèmes seraient autres, ou ne seraient pas. Mais les propriétés des atomes d’hydrogène sont-elles insensibles à celles des écosystèmes ? Probablement oui. Tout comme il existe une irréversibilité du temps, il existe une irréversibilité des causalités lorsqu’on passe du microscopique au macroscopique. La conscience est cette propriété de la matière de donner une certaine épaisseur temporelle au présent en intégrant un peu de passé et de prévision du futur dans son action. Ainsi l’émergence provient de la capacité de la matière d’élargir ses échelles de taille, de temps et d’organisation au-delà de son hic et nunc.

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Pour Coullet, de nombreux phénomènes émergent du comportement non linéaire des équations qui les décrivent, les battements du cœur, les champs magnétiques dans les flux turbulents, la stabilité des navires, déjà étudiée par Archimède, les arcs en ciel, la cinquième voix (quintina) dans la polyphonie musicale en Sardaigne. Cette voix, qui n’est émise par aucun chanteur, émerge du chant collectif. http://www.ethnomus.org/ecoute/animations/quinti na/seq1.html

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Hunneman rapporte que l’univers est un grand calculateur. L’émergence est imprédictible. L’épistémique est différent de l’ontologique : notre compréhension des choses n’est pas le réel.

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Denise Pumain note que les sciences sociales ne sont ni comportementales ni mathématiques mais historiques et géographiques, donc inscrites dans le temps et l’espace. Toute structure géographique est faite d’un centre et d’une périphérie. La grande ville fait émerger l’innovation. Les modèles s’appuient sur les équations différentielles, les automates cellulaires et les multi-agents.

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 Des automates cellulaires à base de logique floue pourraient-ils être intéressants pour l’étude de certains phénomènes réels ? -

Kupiek traite de l’émergence en biologie et de la différenciation cellulaire. Le modèle déterministe ne prédit pas la variabilité moléculaire et cellulaire, notamment l’explosion combinatoire.

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Le modèle darwinien de mutation aléatoire suivi de sélection naturelle correspond à une stabilisation a posteriori des expressions stochastiques des gènes. La simulation par automate cellulaire de la formation d’une membrane ressemblant à celle d’une cellule biologique ne constitue pas un saut qualitatif. Walliser distingue quatre niveaux déterminant les comportements des systèmes économiques : neuronal, mental, individuel, collectif. En économie on observe des causalités ascendantes et descendantes (conditionnement social) ainsi que des émergences synchroniques et diachroniques à des échelles de temps différentes. Enfin on distingue les émergences réactives et réflexives (l’acteur A sait, ou ne sait pas, que B sait qu’il sait). La fixation du prix d’un bien est un problème d’émergence qui est une complexification de la loi de l’offre et de la demande. Les bulles financières, qui finissent toujours par éclater, reposent sur le fait que chacun se croit plus intelligent que les autres. Les bulles financières se forment très vite dès qu’on enlève de la rationalité. La genèse des prix s’effectue à partir des données suivantes : Coordination des acteurs par des normes de conformité ; Action sur les croyances : nomenclature, déontologie ; Représentations collectives : monnaie, droit ; Organisations : institutions. Hayek (prix Nobel) a théorisé la genèse évolutionniste des institutions sur la base de l’auto-organisation. Les agents ont une rationalité limitée, des interactions limitées, une dynamique quasi stationnaire, un rôle significatif des aléas.

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 Les grands systèmes de régulations des sociétés (religieux, politiques, financiers, etc.) semblent bien répondre à ces critères. Les conflits, dont les peuples font les frais, pourraient être l’expression de volontés et d’intérêts de certains à maintenir ces rationalités et interactions limitées. -

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Les raisons de création d’une institution ne sont pas les mêmes que celles qui servent à la maintenir. Les normes de conduite se classent en trois catégories : épistémique (se servir des modèles, des retours d’expérience), comportementale (éviter les accidents), évolutionniste (s’adapter à l’environnement). Les problèmes en suspens sont : l’ajustement entre les hiérarchies et les cycles de vie. La solution semble résider dans une approche intermédiaire entre éductive et évolutionniste en prenant en compte la rationalité limitée des acteurs. (« éductif » n’est pas dans le Larousse, il semble être un néologisme inventé par des pédagogues qui dénote l’éveil et l’éducation) Pour Banos, la ville est un système vivant représentable par une logique multi-agents. La formation de ghettos est simulable par informatique. On observe que la ségrégation des individus est élevée aussi bien pour les faibles que pour les forts degrés de leur tolérance vis à vis de la différence. Les minorités ont tendance à se regrouper aussi bien dans les cas où elles sont très bien ou très mal acceptées. La ségrégation passe par un minimum pour une valeur intermédiaire de la tolérance.

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 Il doit être intéressant de simuler les évolutions possibles des villes lorsque progressivement l’énergie deviendra de plus en plus chère. Il faut avoir conscience que le développement des villes depuis plus d’un siècle est lié à l’énergie abondante et pas chère. Les grands centres commerciaux accessibles qu’en voiture devront se reconvertir. Les campagnes se désertifieront encore plus. -

Domain a exposé l’étude de l’émergence des défauts dans les cuves de réacteurs nucléaires sous l’incidence du flux de neutrons. Ces défauts augmentent la température de rupture fragile de l’acier, ce qui constitue un risque en cas de refroidissement des circuits qui fonctionnent normalement sous pression de 150 bars et vers 300 Jardin chimique °C. L’étude prend en compte toutes les échelles de taille du matériau allant des atomes à la cuve en passant par les cristaux et les molécules. Les défauts engendrés par chaque neutron migrent dans le matériau pour former des macrostructures fragilisantes.  Le matériau « vit ». Ces phénomènes sont à rapprocher des « jardins chimiques » qui sont des formes macroscopiques issues de la chimie minérale ressemblant à du vivant. Le phénomène des jardins chimiques a été étudié notamment par Leduc (1853-1939) selon « Pour la Science » de janvier 2009.

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- Bersini tout en se réclamant d’un scientisme pur et dur fait référence à Stuart Kaufmann (à voir sur http://www.youtube.com/watch?v=uzulLkfEaq4 ) qui prône une nouvelle spiritualité pour sauver la planète et l’humanité.  Il paraît en effet que la raison seule ne saura motiver l’espèce humaine à adapter ses modes de fonctionnement actuels qui constituent de grande menace pour la survie de biosphère. La technosphère, le développement humain planétaire et la préservation de la nature sont le théâtre d’injonctions contradictoires. -

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Tirard explicite les différentes théories scientifiques sur l’origine de la vie depuis celle de Darwin en 1856. L’ADN est décrit vers 1953 par Watson et Crick. En 1986 les propriétés auto catalytiques de l’ARN sont mises en évidence. Une grande partie de code génétique a des fonctions inconnues à ce jour. Elle semble participer à la régulation des l’expression des gènes (cis-régulation). La science construit un récit de l’émergence de la vie. Y a-t-il émergence ou processus historique ? Cabanac de l’université Laval de Québec s’attaque à l’émergence de la conscience. La conscience sert à modéliser la réalité. Un quale (des qualia) est un objet de conscience. Il correspondrait à l’expression subjective d’une sensation, selon Wikipédia. Il caractérise la présence de conscience chez les animaux supérieurs (au-dessus des poissons et des batraciens, qui n’auraient pas de conscience) par un certain nombre de signes comme des émotions et l’hédonisme (plaisirs gustatifs, sens du confort), le sommeil ou présence d’un cortex. La conscience

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serait, selon ce classement, apparue il y a 325 millions d’années. Cabanac aurait même identifié le gène responsable de la conscience commun à toutes les espèces qui en expriment les caractéristiques. Il a droit évidemment à une volée de bois vert de la part de certains membres de l’assistance. Quelqu’un dit que la conscience c’est la capacité de reconnaître ce qui existe. Donc l’amibe doit avoir une forme de conscience.  Je reste convaincu que des formes de conscience n’ont pas attendu l’apparition de l’homme ni même de la vie pour accompagner l’évolution de la matière. La beauté existe dans la nature minérale en dehors du regard de l’homme.

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Gilles Cohen Tannoudji (le frère de Claude, prix Nobel de Physique en 1997) conclut le congrès avec un exposé sur le fondamental, l’universel, l’effectif et l’émergent. Le réel physique s’adosse à quatre constantes universelles G, c, k, h qui définissent des limites intrinsèques ; G= constante de gravitation, facteur de proportionnalité de la force d’attraction de deux corps -11 -1 -2 =6,674 2(10)×10 m³·kg ·s ; c=vitesse de la lumière -1 dans le vide, indépassable =299 792 458 m·s ; k=constante de Boltzmann, qui relie la température à -23 -1 l’énergie d’un système =1,380 650 5(24)×10 J·K ; h= constante de Planck, quantum élémentaire d’impulsion, relie l’énergie et la fréquence d’un -34 -1 photon=6,626 069 3(11)×10 kg·m²·s (ou J s ). La vitesse de la lumière c structure l’espace et le temps. L’univers est une sphère sans bord à quatre dimensions. Le réel est constitué de la matière, du temps et de l’espace.

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Ce qui émerge c’est des propriétés du fondamental, l’affleurement du fondamental à la surface des horizons de nos connaissances.  La science physique pure et dure finit-elle par se perdre dans les horizons flous de ses métaphores ?

Conclusions IMHO (in my humble opinion, bien qu’il s’agisse sans doute de fausse modestie lorsqu’on s’intéresse à de tels sujets épistémiques et néanmoins ontologiques que sont la modélisation et l’émergence du monde), j’avancerais les conclusions provisoires et prudentes qui suivent. Sur ces colloques proprement dits : l’interdisciplinarité est en vogue depuis fort longtemps et chaque nouvelle génération de scientifiques semble la redécouvrir. Tant mieux. La disciplinarité est certes indispensable pour approfondir un domaine particulier de la connaissance ; mais on observe depuis toujours dans les communautés savantes l’émergence de systèmes de pensées auto-référents prenant un domaine particulier comme prétexte à la construction de chapelles intellectuelles se protégeant de la réfutation avec leurs codes, leurs jargons, leurs mécanismes de pensée, leur « name dropping » et leurs réseaux. Dans les milieux scientifiques, il règne la loi du « scientifiquement correct ». Il y a des pestiférés infréquentables dont personne n’ose parler tout en tournant autour, par exemple Benvéniste et sa mémoire de l’eau, Lovelock et le système écologique global Gaïa, Denis Noble ou Richard Dawkins et leurs théories biologiques hétérodoxes, le physicien David Bohm et l’ordre implicite. Personne n’a évoqué les phénomènes épigénétiques qui vont à l’encontre du dogme que les caractères acquis ne sont pas transmissibles d’une

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génération à l’autre. Par contre on se réfère à l’envi à des théories que seuls quelques humains sont en mesure de reconstituer ou ont vérifiées, par exemple les théories d’Einstein des relativités restreintes et générales, tous les calculs de la théorie quantique des champs, les modèles standards cosmologiques, etc. Comme tous les modèles de connaissance (théologie, philosophie, sociologie, politique), la science dure n’est pas à l’abri de l’auto-référence. Il paraît évident que les problématiques des modèles et de l’émergence sont très vastes et qu’il faut effectuer des choix parmi les nombreux aspects. Ainsi on pourrait étendre ces concepts d’émergence à l’évolution des idées, à la psychanalyse, à la politique, à l’histoire, etc. Les modèles sont par essence une transcription du réel dans un espace mental virtuel, parfois en s’appuyant sur des représentations graphiques ou des schémas. Ils ne sont pas le réel. Ils finissent toujours par rencontrer des domaines où ils se mettent en contradiction avec eux-mêmes ou bien avec des faits qu’ils n’arrivent pas à expliquer. Cette affirmation reste vraie (partiellement, car elle est aussi une affirmation réfutable !) pour les modèles des phénomènes naturels et des artéfacts créés par les humains. Un modèle rend compte correctement de la réalité dans un champ limité dans l’espace, dans le temps, dans une échelle de taille, dans un réseau d’interconnections. Les frontières du champ d’application d’un modèle sont floues dans ses différentes dimensions. Les métaphores sont une variété de modèles particulièrement utilisés dans les domaines des sciences dites molles et notamment dans les doctrines politiques et religieuses. La démocratie « le gouvernement du peuple par le peuple », les dieux « le royaume de Dieu est semblable à… » sont des métaphores, des utopies et des artefacts autour desquels se structurent les sociétés humaines. Ils sont probablement (peut-être) des affleurements de réalités transcendantes.

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L’émergence est une manière de voir les processus d’évolution des systèmes et de rapports entre les différents niveaux de taille et de fonctionnement de ces systèmes. La genèse d’un macrosystème, ayant des propriétés non prévisibles à partir des microsystèmes qui le constituent, se réalise toujours dans un environnement où ce macrosystème sera appelé à exister. Selon Denis Noble, l’ADN ne peut se développer que dans un organisme préexistant. Les êtres vivants ne se réalisent et ne survivent que dans des écosystèmes complexes. Les propriétés émergentes de l’eau, qui ne sont pas déductibles de celles de ses molécules, sont données dans certaines conditions de température et de pression. L’environnement du macrosystème participe à l’émergence des nouvelles propriétés. Les microsystèmes portent en eux de manière potentielle, mais rarement identifiables, les propriétés émergentes qui se réalisent en fonction de l’environnement du macrosystème. Dans l’embryogenèse, les gènes spécifiques des cellules sont activés en fonction de leur environnement particulier et construisent ainsi des organes. Cela implique que les gènes ont intégré les schémas des structures paternelles et maternelles d’où ils sont issus. Il conviendrait d’identifier les mécanismes communs, s’ils existent, de l’émergence de systèmes aussi différents que la matière dite inerte, le vivant ou la conscience et la culture. Pour le vivant, on observe différents niveaux d’intégration dont les uns sont nécessaires aux autres pour se développer avec des logiques spécifiques. Ils fonctionnent sur la base de cycles temporels et organisationnels. La formation de l’embryon a besoin d’une graine programmante et d’un environnement nourricier (œuf des ovipares ou ventre maternel des vivipares). La graine est produite et programmée par la structure macroscopique parente. Il paraît logique de penser que la programmation des gènes s’effectue de manière plus ou moins perceptible au cours de la vie de la macrostructure parente par des phénomènes épigénétiques

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qui créent ou activent des fonctions dans le code génétique. Une fois sorti de la phase embryonnaire, l’individu grandit dans plusieurs environnements imbriqués qui le nourrissent et lui enseignent des comportements de survie. La nourriture provient d’écosystèmes qui eux-mêmes sont le résultat d’évolutions aux propriétés émergentes. Il en est de même de la culture qui transmet des comportements. Les individus tout comme les environnements naturels ou culturels naissent, grandissent, et meurent avec des échelles de temps et de taille spécifiques. De génération en génération, ils élaborent et transmettent de la « profondeur logique », de l’ordre émergent constitués d’informations, de logiques de fonctionnement et d’artefacts nouveaux. Les informations qui constituent les entités sont transmises de génération en génération grâce à l’existence de multiples éléments (gènes, individus humains, animaux, plantes, objets sociaux et culturels) à l’intérieur de chaque ensemble (sociétés, écosystèmes, culture) de sorte que la mort d’un élément ne menace pas la survie de l’ensemble et, sans doute bien au contraire, n’entrave pas son évolution. Pour la matière dite inerte les processus d’émergence de nouvelles propriétés lors du passage d’un ordre de complexité au niveau supérieur est peut-être simplement dû au changement d’échelle de temps et d’espace. Le temps et l’espace ne sont pas les mêmes au niveau des atomes et à notre échelle humaine. Pour les atomes, l’espace n’est peutêtre pas égal à la vitesse x temps. Selon la théorie de la relativité un photon que nous voyons venir du fond de l’univers y est parti il y des milliards d’années, alors que pour lui qui se déplace à la vitesse de la lumière, le temps n’existe pas. Il est ici et là-bas « en même temps », dans son référentiel de temps. Les particules qui s’agrègent depuis le Big Bang forment des roches, des gaz, des liquides, du feu, des systèmes cosmiques qui sont tous des ordres émergents des interactions

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entre les micro- et les macrostructures qui fonctionnent à des échelles de temps et de taille différentes. J’ai observé, il y a quelques années déjà, en faisant des simulations numériques d’interactions de corps multiples a basées sur la loi simple d’attraction de Newton F=G . m . m’/d des formations et des dispersions d’agrégats, des comportements ondulatoires en fonction des valeurs de l’exposant a. La valeur de a n’est égale à 2 que dans un espace euclidien. Si a est différent de 2 et fractionnaire, l’espace est fractal, ce qui est peut-être le cas dans les petites échelles de taille. Des ordres différents émergent en fonction des valeurs de a et donc de la forme de l’espace. Avec ces simulations, on peut observer que le comportement complexe d’un cluster de particules est influencé par le comportement de tous les autres. De telles simulations pourraient être poursuivies notamment en considérant le temps comme un objet fractal. L’émergence de la conscience au cœur du vivant est reconnue comme le problème le plus difficile à expliquer. La conscience ne serait-elle pas simplement un phénomène émergent à chaque niveau de complexification de la matière que sont ses nouvelles règles de fonctionnement du macrosystème ? La conscience dans la matière inerte serait les lois physiques et celle dans le vivant serait les règles de fonctionnement propre à chaque niveau d’organisation. Celle des cultures et des organisations humaines serait constituée des multiples modes de fonctionnement des artefacts (objets et institutions) qui accèdent à une certaine autonomie par rapport à leurs créateurs. La nature et les artefacts humains semble explorer de vastes champs des possibles de formes physiques et de logiques de fonctionnement dont seules certaines sont pertinentes et viables. Ces formes émergeant à l’horizon de la réalité sont en nombre infini parmi l’infini des complexions envisageables, à l’instar de l’infinité des nombres premiers parmi l’infinité des

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La Voix sur le Chemin

nombres entiers. Seules certaines règles de fonctionnement (éventuellement en nombre infini) permettent aux automates cellulaires ou aux générateurs d’images fractales de faire émerger des structures qui font sens pour l’observateur humain. Il a été démontré qu’il n’est pas possible de prédire à long terme l’évolution d’une machine de Turing ou plus simplement du climat. Le champ des possibles ne semble pas modélisable autrement que par l’expérimentation. Il est son propre modèle dans notre espace-temps. Ségrégation des langages La différenciation des logiques de fonctionnement entre les niveaux d’organisation de la matière semble constituer une loi fondamentale. Le Big Bang a correspondu non seulement à la dispersion de l’énergie primordiale, mais, comme lors de l’effondrement de la tour de Babel, à la ségrégation des langages. Cette ségrégation est nécessaire à la construction d’entités nouvelles. Alternance des symétries Lorsqu’on observe les structures de la matière à différentes échelles de tailles, on constate des alternances d’ordre (des symétries) et de chaos apparent en passant par des quasisymétries ou des symétries fractales : gaz, cristaux, roches, organismes vivants, paysages, planètes, systèmes solaires, galaxies, fond diffus de l’univers. Ces alternances d’ordre et de désordre peuvent également s’observer dans les domaines temporels et organisationnels (cycles de vie, turbulences, vie et mort, destruction et reconstruction, crises, catastrophes, etc.). Déterminisme, hasard et libre arbitre Le destin d’un être humain est conditionné par trois facteurs : les déterminismes génétiques et environnementaux, les hasards également génétiques et environnementaux et le libre arbitre qui se fraye des passages entre ces contraintes. On

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Modèles et émergences

peut se demander si l’ensemble de la création ne fonctionne et n’évolue pas selon ces trois facteurs. Le hasard est un moyen efficace pour explorer le champ des possibles et de permettre l’adaptation d’une structure à son environnement. Le libre arbitre est plus difficile à concevoir pour des organismes qui sont réputées ne pas avoir de conscience. Mais le fait que des imperfections apparaissent pour des corps censés soumis exclusivement à des lois physiques rigoureuses, comme les cristaux, peut laisser penser qu’une forme de liberté existe par rapport à ces lois. Les aléas du hasard constituent la première forme d’émancipation du déterminisme. La construction d’organismes complexes capables de se reproduire et de fonctionner de manière analogue laisse penser que des choix « intelligents » s’effectuent à différents niveaux d’organisation de la matière allant de l’ADN au système solaire afin de permettre la vie. Consciences réparties La question du dessein intelligent a été appropriée et confisquée par des religieux et des politiques à des fins d’idéologie et de monopolisation de la vérité. A mon avis, on pourrait examiner cette question sans évoquer Dieu et la politique. Dieu, s’il existe, se situe au-delà de cette question de l’œuvre d’intelligences fonctionnant à différentes échelles de temps, d’espace et d’organisation de la matière. Le dessein intelligent, que je préfèrerais appeler intelligence ou conscience répartie, devrait rester un sujet de réflexion scientifique et philosophique. Quitte à faire évoluer ce qu’on entend par réflexion scientifique. En tout état de cause, point n’est nécessaire de justifier des guerres barbares pour cette question. Prudence Les simulations numériques des phénomènes naturelles avec des automates cellulaires, des approches multi-agents ou darwiniennes ne sont que des approximations et des

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métaphores de la réalité beaucoup plus complexe. Le réel est dans bien des cas son propre et unique algorithme. Et tous les algorithmes censés décrire une même réalité finissent par diverger entre eux. Les théories soi-disant scientifiques ont justifié et causé des ème dizaines de millions de morts au 20 siècle. Il n’est pas exclu que des simulations numériques puissent justifier des génocides. Ils montrent déjà que les prédateurs sont nécessaires à la stabilité d’un système. L’utilisation des modélisations financières à des fins prédatrices ont conduit en 2008 à la plus grande des crises financières mondiales.

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Ordres et désordres souterrains 29 01 2009 Derrière tout système fonctionnant selon certaines règles coexistent d’autres ordres ou chaos souterrains et a priori cachés. C’est à l’occasion de manipulations spécifiques des éléments du système que l’ordre souterrain peut apparaître. Donnons quelques exemples. En mathématique, les nombres sont les éléments ordonnés d’un système sur lesquels on peut effectuer des opérations d’addition, de soustraction, de multiplication, de division et d’élévation à une puissance. Ces opérations permettent de faire apparaître des propriétés particulières de certains nombres : ils sont pairs ou impairs, premiers, etc. Sur Wikipédia on trouve que la plupart des nombres ont des propriétés particulières. Ainsi on peut en choisir au hasard et constater ces particularités, comme les montrent les encadrés en annexe. Nombres aléatoires ou pseudo aléatoires Il est possible de générer à l’aide d’algorithmes spécifiques des suites pseudo-aléatoires de nombres. (Voir Wikipédia nombres pseudo-aléatoires). La suite des chiffres de π = 3,1 415 926 535 897 932 384 626 433 832 795 028 841.... est aléatoire tout en étant parfaitement déterminée par plusieurs manières possibles de les calculer telles que par exemple

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Ce nombre π recèle des curiosités : est la formule d’Euler qui a fait dire à celui-ci que sa beauté est la preuve que Dieu existe. En outre la somme des 20 premières décimales de π donne exactement 100 et la somme des 144 (= 6x6x4) premières décimales donne exactement 666. Les images fractales La construction des images fractales procède d’un principe similaire. Dans ce cas les algorithmes sont légèrement plus compliqués que pour les nombres indiqués ci-dessus. Cette image étonnante résulte de la computation de nombres à l’aide d’un algorithme donné. D’autres algorithmes donnent d’autres images. Mais n’importe quel algorithme ne permettrait pas révéler de telles singularités dans l’univers des nombres. On peut dire que ces images constituent un ordre souterrain des nombres. Les objets mathématiques Les mathématiciens inventent ou trouvent sans cesse de nouveaux objets abstraits dans ce monde souterrain des

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Ordres et désordres souterrains

nombres et des figures géométriques. Ces objets (groupes, corps, espaces algébriques, etc.) et les langages associés échappent pour la plupart à l’entendement du commun des mortels. Espace des phases et attracteurs En physique, l'espace des phases est un espace abstrait dont les coordonnées sont les variables dynamiques du système étudié (vitesse, accélération, énergie, etc.).

Dans cette expérience l’espace des phases est déterminé par l’angle θ par rapport à un axe de référence quelconque de l’aiguille aimantée. dθ/dt est la vitesse de variation de cet angle θ. Sous l’action du pendule métallique, l’aiguille aimantée est soumise à un mouvement chaotique. Pourtant ce mouvement représenté dans l’espace des phases laisse apparaître un ordre sous-jacent illustré par l’attracteur étrange du graphique.

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La Voix sur le Chemin

L’attracteur de Feigenbaum,

ci-après, représente le

comportement de la série . X pourrait être, par exemple, la population de lapins en présence d’une

population de renards. μ est le rapport du taux de reproduction des lapins sur le taux de prédation par les renards. Plus il y a de lapins, plus il y a des renards et plus il y a de renards plus les lapins sont éliminés. En partant de gauche à droite, jusqu’à μ=2, la population des lapins se stabilise, puis elle oscille entre deux valeurs, puis entre quatre valeurs, puis huit et ensuite elle entre dans une zone chaotique vers μ=2,55. Lorsque μ augmente encore de nouvelles zones de stabilités apparaissent.

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Cette représentation est loin de la réalité où bien plus que trois facteurs sont en général en jeu (les lapins, les renards et leur taux relatif de survie μ). Lorsque de nombreux éléments d’un ensemble interagissent et rétroagissent, ce type de comportements stables, oscillants ou chaotiques apparaît en fonction du temps et des couplages entre ces éléments. De nombreux systèmes fonctionnent de cette manière : l’écosystème terrestre, les sociétés humaines, les systèmes financiers. Il est remarquable que ces systèmes fort complexes trouvent les zones de stabilité relative et ne soient pas toujours entièrement chaotiques. Ils le sont certainement sur de grandes échelles de temps. La multiplicité des facteurs et les constantes de temps des interactions semblent propices à créer des zones de stabilité plus larges. On imagine aussi, à partir de cette représentation, que la stabilité d’un système complexe, proche d’une bifurcation, peut facilement sombrer dans la mer de chaos qui l’entoure, voire disparaître. L’extinction des espèces vivantes, le changement climatique, les guerres, les crises financières et économiques relèvent de ces mécanismes. Certains systèmes complexes portent en eux de manière sousjacente un espace des phases avec des archipels de stabilité au milieu d’un océan de chaos. Quelle gouvernance faut-il pour maintenir de tels systèmes dans ces archipels de survie ?

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Le paradigme fractal

Cette image de représente l’ensemble de Mandelbrodt, archétype de l’image fractale. Il s’agit de la représentation du 2 comportement de la série Zn+1=Zn +C. Z et C sont des nombres complexes comportant donc une partie réelle x et une partie imaginaire i.x (où i=√1. Le plan où s’inscrit l’image est le plan complexe, les valeurs réelles sont en abscisse et les valeurs imaginaires sont en ordonnée. L’algorithme de fabrication de l’image procède de la manière qui suit. Chaque point du plan est exploré systématiquement, ses coordonnées (x,y) donnent les valeurs de C=x+i.y ; ensuite 2 on lance les itérations de la série Zn+1=Zn +C. L’algorithme attribue une couleur à chaque point du plan en fonction du

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nombre d’itérations nécessaires pour que la série converge vers zéro ou diverge au-delà d’un nombre très grand. Dans la partie noire de l’image, la série converge très rapidement vers zéro en quelques itérations. Dans la partie bleue extérieure, elle diverge rapidement vers des valeurs infinies. Dans la partie colorée et fortement structurée, la série « hésite » plus ou moins longtemps entre la convergence et la divergence. Ici l’image s’inscrit dans un plan de coordonnées x et y compris approximativement entre -1 et +1. On peut zoomer théoriquement à l’infini sur les parties structurées, il apparaît toujours de nouvelles structures. J’ai déjà développé antérieurement le concept de paradigme fractal qui indique que la construction de ces images revêt des similarités avec celles de nombreuses structures présentes dans la nature. Voici les aspects principaux de ce paradigme. -

Les structures se développent aux frontières. Elles se développent à une infinité d’échelles de tailles. Elles émergent de processus itératifs. Elles apparaissent en fonction d’un environnement matériel et mental préexistant.

Aujourd’hui je m’interroge sur la dualité des nombres imaginaires nécessaires à la construction des images fractales. Je conjecture que l’émergence de structures repose sur l’interaction « d’objets » de nature différentes. Ici les nombres imaginaires nécessaires à la construction des images fractales sont des « fictions », puisqu’ils émanent de racines carrées de nombres négatifs qui sont censés ne pas exister. Il est entendu

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que les nombres réels sont aussi des fictions, qui nous apparaissent réels que par habitude. Ils sont cependant de nature différente des nombres imaginaires. Le terme imaginaire pour désigner les nombres qui portent ce nom est une métaphore. Ils sont de nature différente des nombres ordinaires puisqu’ils font intervenir i (où i=√1 , c’est-à dire la racine carré d’un nombre négatif qui n’existe pas dans le monde des nombres réels. La construction de structures de manière générale semble nécessiter des l’interaction d’éléments de nature différentes : le matériel et l’abstrait, la réalité et les mythes, le corps et l’esprit, etc. Le réel et l’imaginaire La construction du réel résulte de la conjonction du réel et de l’imaginaire, elle pourrait se représenter de la manière suivante : Réel+imaginaire =>substrat=>programmeur =>algorithme (itération, sélection) =>réel émergent. Ce qui donne pour les images fractales : Nombres complexes=>ordinateur+ écran =>programmeur =>programme=>image fractale. Ce qui donnerait en politique sur de grandes échelles de temps : Réel+mythes =>terrain social => gouvernement=> programmes =>nouvelles règles de fonctionnement =>nouvelle réalité.

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En fait le processus d’itération intervient aussi aux métaniveaux supérieurs. Il y a des itérations dans les itérations et des algorithmes dans les algorithmes. Ordres et désordres Ces exemples montrent la coexistence de l’ordre (déterminisme, symétrie) et du désordre (chaos) au sein des systèmes où plusieurs éléments sont en interaction. Les nombres ordonnés recèlent des ordres cachés, mais on peut également générer des suites de nombres aléatoires à partir d’algorithmes particuliers. Les images fractales, qui sont des structures à la fois chaotiques et possédant certaines symétries, sont générées à partir de processus parfaitement déterministes, tout comme l’attracteur de Feigenbaum. Le pendule et l’aiguille aimantée fonctionnent selon des lois déterministes et génèrent des mouvements chaotiques qui se révèlent structurés dans l’espace des phases. Evidemment on peut se demander si notre vision du chaos n’est pas simplement due au fait que notre cerveau n’est pas directement capable d’identifier un ordre comme dans le cas du mouvement de l’aiguille aimantée. Chaos pseudo aléatoire Le chaos n’est jamais total. Tous les phénomènes sont à l’extrême pseudo-aléatoires. Ils émanent souvent de phénomènes déterministes. L’aléatoire peut être rigoureusement reproductible comme les décimales du nombre . En général l’aléatoire évolue à l’intérieur d’un domaine limité comme la vitesse des molécules dans un gaz, les cours de la bourse ou les phénomènes météorologiques.

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Selon le niveau d’observation certains phénomènes sont chaotiques ou ordonnés. Vues de l’espace lointain les conditions de température et de pression atmosphérique sur la Terre sont étonnamment stables. Vue à l’échelle des millénaires, l’histoire de l’humanité semble évoluer selon certaines logiques quasi déterministes. Les langues Les langues sont des systèmes de signes ordonnancés par de règles, tout comme les nombres. Toute la production intellectuelle humaine (littérature, science) a émergé des langues. Il est reconnu que certaines langues sont plus favorables que d’autres au développement de certains domaines du savoir ou de l’art. Mais il semble exister des corpus communs à l’ensemble de l’humanité qui s’expriment différemment selon les cultures (musique, danse, religions, etc.) Evolution du réel L’émergence de structures ordonnées dans l’ensemble de monde matériel ou conceptuel semble se réaliser à partir des ordres sous-jacents qui apparaissent progressivement dans un système ordonné préexistant. Ces ordres sous-jacents peuvent générer à leur tour de nouveaux ordres sous-sous jacents. Les mécanismes reposent sur la rencontre d’éléments de nature différente, d’algorithmes de computation de ces éléments, d’un substrat matériel, et probablement d’une intelligence extérieure au système pour qui la structure sous-jacente et le processus sont porteurs de sens.

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Chaque individu naît avec un certain patrimoine génétique qui détermine son destin dans un certain domaine pseudoaléatoire. Le hasard, la nécessité et une part de libre arbitre interviennent au niveau de l’individu et de son environnement. Les destins individuels suivent ainsi des trajectoires qui sont relativement bien regroupées autour d’un attracteur dans une espace des phases multidimensionnels dont les coordonnées sont la culture, le pouvoir, la santé, le bonheur, la richesse, etc. L’ensemble des attracteurs de tous les individus d’un groupe constitue un super attracteur qui détermine un ordre émergent. L’ordre émergent dans l’espace réel est peut-être la transposition de l’attracteur global résultant de la juxtaposition des attracteur individuels dans l’espace des phases. Les sociétés et les civilisations se structurent à partir d’un récit fondateur qui est l’ordre initial à l’instar des nombres en mathématique. A partir de ce récit émergent un ensemble de nouvelles logiques. Il en est notamment ainsi des mythes religieux. Conclusion Tout système organisé émerge d’un sur-système déjà organisé. Ainsi tous les systèmes organisés sont imbriqués comme des poupées russes. L’émergence d’un système est le résultat de l’interaction de réalités d’ordres différents. Seules certaines compositions de ces ordres donnent naissance à des structures pertinentes dans un espace donné. Dans le domaine des images fractales, les structures apparaissent sur une frange fine de valeurs de nombres réels et imaginaires. La vie sur Terre se développe sur

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une frange fine entre la roche et l’espace intersidéral. Les civilisations se constituent autour d’un subtil dosage de mythes et de matérialité. Celles-ci ci s’évanouissent ou stagnent lorsque l’un des deux attracteur prend le dessus. Notre réalité recèle des univers à découvrir ou à faire exister. ANNEXE Exemples de propriétés singulières de nombres entiers pris au hasard selon Wikipédia.

, la somme de quatre nombres premiers consécutifs (191 + 193 + 197 + 199), la somme de dix nombres premiers consécutifs (59 + 61 + 67 + 71 + 73 + 79 + 83 + 89 + 97 + 101), un nombre triangulaire, un nombre hexagonal, un nombre Harshad , la fonction de Mertens retourne 0 pour ce nombre , un nombre sphénique, un anti-indicateur, un nombre Harshad,

Evidemmentt le nombre 666 bat le record des singularités découvertes.

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- un nombre abondant. - Puisque 36 est un carré et un nombre triangulaire, 666 est le sixième 2 2 nombre de la forme n (n + 1) / 2 (carrés triangulaires) et le huitième 2 nombre de la forme n(n + 1)(n + n + 2) / 8 (nombres doublement triangulaires). le rapport harmonique des chiffres décimaux de 666 est un nombre e entier : 3/(1/6 + 1/6 + 1/6) = 6, faisant de 666 le 54 nombre avec cette propriété. - un nombre palindrome en base 10, - un nombre uniforme, - un nombre de Smith. - un carré magique à inverse premier basé sur 1/149 en base 10 possède un total magique de 666. - un membre des indices de nombre premier dans la suite de Padovan, 3, 4, 5, 7, 8, 14, 19, 30, 37, 84, 128, 469, 666, 1262, 1573, 2003, 2210, (sont les premiers de ceux-ci). - la somme de presque tous les chiffres romains (excepté M), du plus petit au plus grand, I + V + X + L + C + D ou du plus grand au plus petit, D + C + L + X + V + I est égale à 666, - (1 + 5 + 10 + 50 + 100 + 500 = 666), - la somme de tous les nombres de 1 à 36 (1 + 2 + 3 + ... + 35 + 36) donne 666, ce qui en fait un nombre triangulaire.. On peut donc écrire que

: , en remarquant que 36 est la somme des nombres de 1 à 8,

; - la somme des positions dans l'alphabet, multipliée par 9, de chacun des chiffres romains (I, V, X, L, C et D) qui le composent : 81 + 198 + 216 + 27 + 108 + 36 = 666

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- (I, neuvième lettre, donne 9 * 9 = 81; V, vingt-deuxième lettre, donne 22 * 9 = 198...), - Une autre manière de calculer est de poser le calcul suivant, où on retrouve quatre fois le nombre 666 : (6 x 6 x 6) + (6 x 6 x 6) + (6 x 6 x 6) + (6 + 6 + 6) = 666, - De plus, on peut remarquer, que la somme des carrés des nombres premiers jusqu'à 17 donne 666. Ainsi : 2² + 3² + 5² + 7² + 11² + 13² + 17² = 666. - nommé le Nombre de la bête, jusqu'en 2004 où une équipe de chercheurs ont identifié le chiffre 666 comme étant le nom chiffré de l'empereur Néron. Les hébreux se donnaient des chiffres et des nombres à la place des noms (voir documentaire BBC). Ainsi Saint Jean pouvait échapper, comme les autres, à toutes représailles. 666 n'a jamais été le nombre de la bête, encore moins celui d'un quelconque 'diable'. Mais la légende persistera toujours.

On pourra consulter Wikipédia pour l’explication des catégories (nombres triangulaires, de Smith, etc.) dans lesquelles les mathématiciens ont classé les nombres. Donc en cherchant bien on trouve pour tous les nombres des singularités et des catégories de régularités.

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Crise financière 15 02 2009

La crise financière, la pire de tous les temps disent certains spécialistes, est tombée sur le monde en quelques mois. Plusieurs scandales financiers en ont été les précurseurs depuis une dizaine d’années : l’affaire Enron aux Etats-Unis, le Crédit lyonnais en France. Le processus s’est accéléré depuis 2007 avec les subprimes, les faillites de banques et l’affaire Madoff aux Etats –Unis, l’affaire Kerviel en France et les effets dominos dans l’ensemble du monde capitaliste y compris en Chine communiste. Les effets sont l’écroulement des bourses qui n’alimentaient directement ou indirectement pas seulement de grosses fortunes mais aussi les fonds de pensions, les petits épargnants ou les entreprises petites et grandes. Le système permet à de grandes fortunes de gagner davantage d’argent en spéculant qu’en créant de la richesse réelle par l’investissement dans le travail. L’impact sur l’activité économique touche le plus douloureusement les millions de personnes se retrouvant au chômage, même si ce sont certains riches qui ont perdu le plus d’argent. L’opinion publique a été à plusieurs reprises choquée par revenus exorbitants que s’attribuent les dirigeants d’entreprises qui délocalisent leurs activités vers des pays à moindre coût de la main-d’œuvre. Les gouvernants et les institutions bancaires nient leurs responsabilités en désignant des boucs émissaires tels que Kerviel ou Madoff qui ne pouvaient agir que dans le respect

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des règles douteuses et louches mises en place et admises dans les milieux financiers. Les grandes industries automobiles et les institutions bancaires se tournent alors vers les Etats pour obtenir des milliards de dollars et d’euros afin d’éviter le collapse complet des économies nationales. Curieusement la plupart des Etats sont surendettés auprès d’institutions bancaires, dont certaines réclament le soutien de leurs Etats, donc des contribuables. Les politiciens reconnaissent que le monde financier mondialisé a complètement échappé à tout contrôle. Au nom de la théorie libérale qui stipule que la main invisible du marché possède des vertus morales et régulatrices suffisantes, ils ont laissé faire, lorsqu’ils n’ont pas profité eux-mêmes personnellement des méfaits du système. Comme simple citoyen n’ayant d’autres sources d’information que la presse et Internet, j’avancerais quelques hypothèses explicatives des causes génériques possibles de cette situation de crise. Certaines hypothèses se complètent mais peuvent aussi s’exclure mutuellement. 1) La théorie du complot. Elle est peu probable mais pas à exclure totalement, sachant que plus un mensonge est grossier, plus il est crédible, comme dans l’histoire des armes de destructions massives attribuées aux Irakiens. La crise a pu être montée de toutes pièces afin de cacher les détournements massifs d’argent par les systèmes financiers. Les milliards perdus sont en partie de l’argent réel des épargnants gagné par leur travail. Où sont-ils passés ces milliards ? La crise est

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peut-être une entourloupe de plus pour certaines banques, des grosses entreprises ou des corporations destiné obtenir des milliards d’argent public. La crise pourrait résulter de la « guerre des gangs » de la haute finance. Celle-ci est partiellement sous contrôle du grand banditisme international, qui pilote par ailleurs certains gouvernements ainsi que les trafics des drogues, des armes, des organes ou des humains. Elle pourrait avoir été initiée par les puissants fonds financiers du monde arabe, indien ou chinois qui prennent leur revanche contre l’Occident. La crise arrange bien certains gouvernants qui peuvent arguer du cas de force majeure d’origine internationale pour expliquer leur impéritie et leurs échecs. Dans beaucoup de pays, ces gouvernants seraient, selon les théoriciens du complot, les hommes de paille de puissants lobbies financiers, militaires et industriels. La chute du bloc soviétique en 1989 a privé le capitalisme d’un contre-pouvoir régulateur. La mondialisation et sa régulation vertueuse par la main invisible du marché sont des leurres. Il est illusoire de vouloir faire fonctionner sans autorité souveraine à l’échelle mondiale un système financier et commercial global. Sur les milliers de financiers dans le monde, il est évident que tous ne peuvent pas être honnêtes et vertueux si on ne les y oblige pas. Internet n’est pas étranger à l’apparition de la crise. Une première bulle spéculative Internet a éclaté et atteint son apogée en 2000. Internet n’est pas que

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vertueux en terme culture, il ouvre de larges possibilités aux manipulateurs, aux malveillants ou aux criminels à tous les échelons de l’ordre social. 8) La complexification plus ou moins volontaire des mécanismes financiers rend difficile leur contrôle. Elle permet à des corporations d’aigrefins de profiter de leurs failles. La titrisation des créances hypothécaires revendables de mains en mains a créé un écran de fumée sur les risques dont elles sont porteuses. La mathématisation des mécanismes financiers donne l’illusion de la scientificité. Elle applique à des phénomènes à fortes composantes humaines et culturelles des lois statistiques valables pour la matière. 9) La culture des traders de la génération arrivant au pouvoir actuellement et brassant des milliards, semble être celle de gamins dont l’éducation a été forgée par les jeux électroniques où les considérations humaines et morales sont absentes. On tue et on gagne en appuyant sur un bouton. Kerviel, 35 ans environ, a avoué que le jeu sur les marchés financiers est aussi grisant qu’un jeu électronique. 10) Même si tous les acteurs du système financier agissaient honnêtement, il est possible, pour des raisons systémiques, que celui-ci ne puisse pas fonctionner sur le long terme de manière stable. Vu sa complexité, il est d’ailleurs étonnant qu’il connaisse des périodes de fonctionnement stable, certainement grâce à des interventions humaines régulatrices. En effet on démontre mathématiquement que lorsque plus de trois corps physiques sont en interaction, leurs

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comportements peuvent être tantôt stables, cycliques ou chaotiques. Ceci même s’ils sont régis par des lois déterministes. 11) Fasse le ciel que cette crise ne pousse pas certains gouvernants vers la généralisation des conflits militaires comme porte de sortie. Au demeurant, les guerres localisées conduites dans les dernières décennies constituent un élément de la course en avant visant à maintenir la pérennité économique des complexes militaro-industriels. Mais les guerres se retournent presque toujours contre ceux qui les déclenchent. 12) Comme après 1929, la crise pourrait renforcer les menaces existantes et latentes. Parmi celles–ci on peut citer : montée des extrémismes (comme le fascisme et le nazisme à l’époque) ; justification du terrorisme contre le modèle occidental suivi d’une spirale de répression avec atteinte aux valeurs démocratiques ; paupérisation accrue et révoltes des minorités, notamment des quelque 20 millions d’immigrés en Europe ; paupérisation accrue des pays africains et exodes massives de sans papiers ; synergie de la crise économique et du changement climatique voire de l’apparition de grandes épidémies. 13) La dématérialisation excessive de l’économie, notamment à travers les produits financiers, en augmentant le risque de déstabilisation et de comportement chaotique, est selon ma thèse, la cause générique de la crise.

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C’est ce dernier point que je voudrais développer en me servant de la métaphore des images fractales.

Axe des nombres imaginaires

Axe des nombres réels réels Les zones claires sont celles correspondant à des combinaisons de nombres imaginaires et réels où des structures apparaissent. En noir il s’agit de zones non ou peu structurées. Les systèmes d’objets structurés de notre monde semblent fonctionner à l’image de ces représentations fractales. Ils ne fonctionnent que dans certains domaines étroits de combinaison de réel et d’imaginaire. Tout pourrait se passer dans un système financier comme si son point de fonctionnement se déplaçait en permanence à la recherche de possibilités dans un tel espace multidimensionnel constitué de réel et d’imaginaire. Il peut rencontrer des zones noires localisées de non fonctionnement temporaire ou se néantiser définitivement dans le grand espace noir. Cette représentation

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laisse entrevoir que le non fonctionnement d’un système peut survenir par trop d’imaginaire ou par trop de réel ou par une mauvaise combinaison des deux. L’argent en soi est une représentation imaginaire de la valeur des biens et du travail humain. Il est un élément essentiel des mécanismes d’organisation, de fonctionnement et de développement des sociétés humaines tant qu’il existe un rapport « raisonnable » avec la réalité matérielle. Or certains produits financiers spéculatifs sont de plus en plus fictifs et de plus en plus étrangers à la réalité matérielle. A force de s’éloigner de la matérialité des choses, ils finissent par éclater comme des bulles. L’argent perdu dans la crise financière est à la fois de l’argent réel basé sur des valeurs matérielles ainsi que de l’argent fictif issu de la spéculation. Le problème est que les petits épargnants ont perdu l’argent réel fruit de leur travail. Mais cet argent réel est bien passé quelque part. Ce dont les gouvernants ne parlent pas. Cette métaphore du réel et de l’imaginaire est également à l’œuvre dans la technologie de la production d’électricité par un alternateur qui transforme de l’énergie mécanique en énergie électrique. Cette dernière est décrite par un nombre mathématique complexe à deux composantes : l’énergie active, celle qui est réutilisable sur le réseau électrique, et l’énergie réactive qui émane du fonctionnement du système et qui est représentée mathématiquement par la partie imaginaire d’un nombre complexe. Le système électrique a intérêt à maintenir l’énergie réactive la plus faible possible.

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La Voix sur le Chemin

La gestion des affaires doit aussi trouver le juste équilibre entre l’énergie investie dans fonctionnement du système et sa production réutilisable en aval. Ce besoin de juste équilibre entre le réel et l’imaginaire semble relever d’une loi fondamentale de la Création. Il n’est pas seulement nécessaire au fonctionnement des systèmes financiers ou technologiques il l’est aussi pour les questions sociétales. L’imaginaire doit rester en rapport avec la réalité. Le tout matérialiste, d’un côté, ou le tout religieux et idéologique, de l’autre, finissent par bloquer les sociétés dans leur évolution voire les font disparaître. Le fondamentalisme financier est aussi délétère que le religieux. Les rapports amoureux sont aussi soumis à cette loi. Les crises comme les guerres font des victimes essentiellement parmi les innocents, mais elles redistribuent parfois les pouvoirs au sein d’une société. Après cette crise il est probable que le monde ne sera plus comme avant. Mieux ? Pire ? Faudra-t-il réapprendre à vivre simplement ? Pauvrement comme la plupart de nos ancêtres ?

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Sommaire Introduction...................................................................... 3 Sérendipidité .................................................................... 5 Multiples intelligences...................................................... 9 L’ensauvagement du monde .......................................... 13 Différentes intelligences................................................. 25 Diversité cognitive .......................................................... 29 Emergence et paradigme fractal .................................... 35 Normalité........................................................................ 43 Plasticité ......................................................................... 47 Mathématiques dans la nature ...................................... 53 La narration comme gène social .................................... 59 Métalogique ................................................................... 63 Nombres sans dimension ............................................... 69 Ordre implicite................................................................ 73 Espace ............................................................................. 79 Voyage dans les ordres de grandeurs ............................ 93 Cognition morphogénétique ........................................ 107 Gène, mème, tème ....................................................... 125 Espaces d’échelles ........................................................ 135

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Systèmes cognitifs......................................................... 137 Dimension fonctionnelle ............................................... 151 Les infinis....................................................................... 155 Cognition religieuse ...................................................... 161 Epigénétique ................................................................. 171 La musique de la vie ...................................................... 177 Modèles et émergences................................................ 191 Ordres et désordres souterrains ................................... 213 Crise financière ............................................................. 227

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Imprimé en mars 2009 Imprimeur : Sprintoo Dépôt légal : mars 2009 Imprimé en France

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