LA PENSEE POLITIQUE DE MACHIAVEL Cours en accès libre d'histoire des idées politiques
Né à Florence en 1469. Sous les Médicis, plusieurs complots éclatèrent. En 1494, la révolte populaire obligea le duc Pierre à s’enfuir et la république fut proclamée. Le moine Savonarole établit un gouvernement théocratique qui s’exprima par une dictature et la répression contre les vices, le règne de l’argent et le pouvoir des puissants jugés corrompus. La population florentine se lasse de ces excès et condamna Savonarole qui fut brûlé sur le bûcher en 1498. Machiavel mène une vie retirée jusqu’à la fin de la dictature de Savonarole. Il est admis par concours aux fonctions de secrétaire de la seconde chancellerie de la république florentine (sorte de ministère chargé des relations extérieures). Dans ce cadre, il effectue plusieurs missions diplomatiques à l’étranger. La chute de la République et le retour au pouvoir des Médicis perturbe sa carrière : il est jugé trop lié au régime déchu. Il prend une retraite forcée à la campagne pendant laquelle il écrira plusieurs ouvrages dont le Prince (dédié à Laurent de Médicis – Machiavel espérait entrer dans ses grâces). Machiavel ne s'interroge pas, à la façon des utopistes, sur ce que devraient être les États, mais sur ce qu'ils sont, et sur les lois, tirées de l'histoire, qui président à leur constitution, à leur vie et à leur déclin; lorsqu'il envisage l'ensemble des moyens de conserver le pouvoir, il ne se pose pas les questions sur la nature profonde de l'être humain qui intéresseront, après lui, Hobbes ou Rousseau. Ce qui le passionne est plutôt de découvrir la façon la plus efficace d'exercer le pouvoir, qui n'est pas toujours la manière forte. Le meilleur moyen de dominer les hommes qui ont goûté à l'indépendance est encore de leur octroyer certaines libertés. Et, dans le même sens, Machiavel déconseille au Prince de s'attaquer aux Républiques, qui "ont plus de vie, haïssent et désirent la vengeance plus âprement". Si la pensée politique de Machiavel a pu paraître ambiguë, c'est paradoxalement parce qu'en dévoilant la vérité du pouvoir, elle a pu être utilisée par des personnages qui n'y ont vu qu'un manuel cynique d'instauration de la tyrannie. On attribue au Prince de Machiavel le renouveau de la pensée politique occidentale. Ce livre qui s'est placé en rupture avec les doctrines médiévales dont il a rejeté la part métaphysique n'est cependant pas le premier traité politique moderne et s'inscrit comme le Courtisan de Castiglione dans la continuité de la culture classique et plus particulièrement à la Rome antique (Cicéron, Traité des devoirs). Le Policratus de Jean de Salisbury (1115-1180) publié pour la première fois à Bruxelles en 1480 et le Songe du vergier (1378) avaient déjà initié le renouvellement de la pensée politique en considérant l'Etat comme un phénomène social ou un organisme sujet aux maladies et en plaidant pour la sécularisation de la pensée politique. L'objet de son étude est l'exercice du pouvoir. Il explique comment on se l'approprie et comment le maintenir (69). Il tire de ses constatations des lois régissant l'action politique. Il analyse d'abord finement les motivations des différents groupes ou individus qui composent la société et fort de sa connaissance étroite de la nature humaine, il élabore l'attitude que le prince devrait adopter. Le Prince 1) La Religion L’adoption d’une manière d’agir en accord avec les grands principes religieux (acceptation de la souffrance, mépris des choses de ce monde, pardon des offenses…) conduit certainement à l’échec politique. Pour conquérir et conserver une principauté, il faut avoir et exercer la force, ce qui est le contraire de la douceur évangélique. Machiavel n’est pas pour autant antireligieux ou désireux de détruire l’église. Il pense même que la religion peut favoriser le bon fonctionnement de l’Etat, à condition que le Prince utilise la religion et non pas qu’il soit contrôlé par elle. Machiavel marque une hostilité à l’égard de l’Eglise romaine. Loin de favoriser l’unité italienne, l’Eglise, par son mauvais exemple, y a détruit tout sentiment de piété et l’a doté de tous les vices. Sans oublier sa responsabilité dans la division politique du pays. 2) L’Unité de l’Italie Machiavel souhaite le renforcement et l’unification de l’Italie (c’est d’ailleurs sur ce thème que s’achève le
Prince) autour d’une personne capable de la réaliser. Il songea d’abord au pape Julien II puis à Laurent de Médicis. Cette unification est la finalité ultime du Prince, elle amènerait la paix et la prospérité à toute l’Italie. Tous les moyens doivent être employés pour y parvenir. Au dernier chapitre du "Prince", Machiavel exprime son désir de voir l'Italie débarrassée des invasions étrangères et revenir à ces temps, où elle "était dans une certaine mesure équilibrée" (156). Il pense que les règles qu'il décrit pourraient amener Laurent de Médicis à se comporter comme un grand homme et a sauver la nation. Les troubles dont la péninsule souffre créent une situation tout indiquée pour parfaire cette entreprise. La première étape serait de mettre sur pied une armée d'une organisation nouvelle, prenant le meilleur des tactiques militaires européennes; la seconde serait peut-être d'engager Nicolas Machiavel comme conseiller du Prince? 3) La Notion d’Etat Machiavel est le premier auteur à avoir employé le mot Etat dans son sens moderne : l’Etat est un cadre dans lequel diverses formes de pouvoir son exercées. Machiavel distingue deux sortes de gouvernement : les républiques et les principautés. Dans le Prince, il attache son attention aux principautés. 4) Les Principautés Machiavel distingue deux sortes de principautés : les principautés héréditaires et les principautés nouvelles. Les principautés héréditaires ne présentent pour lui qu’un intérêt médiocre. En effet, les principautés héréditaires sont faciles à acquérir et faciles à conserver à condition " de ne pas outrepasser l’ordre et les mesures établies par ses prédécesseurs et de céder à propos aux évènements…". Il va donc s’attacher à étudier les principautés nouvelles ou principautés non héréditaires. Machiavel en distingue deux : les principautés mixtes (constituées d’un Etat existant auquel on a rattaché d’autres terres) et les principautés écclésiastiques (difficiles à obtenir car il faut payer). Les principautés nouvelles présentent un danger d’instabilité, car le peuple peut espérer qu’un nouveau prince sera supérieur au prédécesseur. Il existe plusieurs moyens pour que le Prince conquiert le pouvoir : la force et la chance. Quelle que soit le type de principauté, " on ne doit jamais laisser subsister un désordre pour éviter une guerre ". 2. Les qualités que le prince doit avoir Une fois le pouvoir acquis, il faut le conserver. Seul un grand homme peut maîtriser les puissances étrangères et ses sujets (peuple et grands). Pour ce faire, il doit posséder le talent, le mérite, le courage et la sagesse. Il s'en tient au bien, s'il le peut, mais sait entrer dans le mal, s'il le faut (143). Mi-homme, mi-bête, il incarne l'équilibre dont un État bien réglé a besoin, en usant à bon escient de la loi comme de la guerre (152). Conformant ses actions avec la situation, il conserve son État et instaure un ordre social et "international" durable. L’art militaire Les Princes doivent " faire de l’art de la guerre leur unique étude et leur seule occupation ; c’est là proprement la science de ceux qui gouvernent ". Le pouvoir est toujours le fruit de l’emploi efficace de la force. L’armée de mercenaires présente des inconvénients (coût, fidélité fragile) c’est pour cette raison qu’elle ne devrait constituer qu’une force d’appoint à une armée nationale (fidèle car elle se bat pour elle-même, moins coûteuse car il suffit d’assurer son entretien). Ce prince idéal doit disposer de bonnes armes. Il peut ainsi s'assurer de ses ennemis et se concéder l'amitié des faibles. Bien que l'art de la guerre soit le moyen principal d'arriver à ses fins (127), le prince peut aussi faire preuve de ruse et de scélératesse, pour manipuler ses adversaires. Toutefois, voulant restaurer l'ordre de sa monarchie, s'il doit commettre des actes cruels ou répugnants, il doit le faire sous couvert d'un bien paraître que rien ne peut altérer. La Ruse Les qualités qui font louer ou blâmer les hommes ne sont pas celles qu’ils ont réellement mais celles qu’ils paraissent avoir. Il n’est donc pas nécessaire d’être mais seulement de paraître. La vertu n’est pas un bien en soi, il est même parfois dangereux de la pratiquer dans un milieu qui ne la reconnaît pas. Il vaut mieux ne pas pratiquer la vertu plutôt que de risquer de perdre le pouvoir. Parce qu'il conseille aux princes la ruse, parce qu'il leur dit de ne pas tenir leurs promesses, on a fait de Machiavel un immoraliste. C'est plutôt d'amoralisme qu'il faudrait parler. Machiavel ne se préoccupe nullement
de morale. Il ne cherche pas à nous expliquer à la manière de la philosophie classique ce que doit être la cité juste mais il veut analyser la chose politique avec un jugement de type scientifique à l'exclusion de toute considération morale. En ce sens Machiavel est le fondateur de la science politique moderne. Machiavel constate que la pauvreté est un mal, en rupture avec le modèle traditionnel valorisant la générosité, il écrit qu’ " un prince, pour ne pas devenir trop pauvre, pour pouvoir défendre ses états s’ils sont attaqués, pour ne pas surcharger ses sujets de nouveaux impôts, doit peu craindre d’être taxé d’avarice puisque ce prétendu vice fait la stabilité et la prospérité de son gouvernement ". " Un prince doit évidemment désirer la réputation de clémence, mais il doit prendre garde à l’usage qu’il en fait ", d’une manière générale, il vaut mieux qu’il soit craint qu’aimé. Cependant, il " doit se faire craindre de telle sorte que s’il n’est pas aimé, du moins il ne soit pas haï ". Enfin, si certes " il est très louable pour un Prince d’être fidèle à ses engagements ", il ne faut pas risquer de perdre le pouvoir par un excès de vertu. Il faut donc essayer d’être honnête, mais si besoin est déroger à cette honnêteté. La Propagande Machiavel fait la théorie du gouvernement d’opinion. Le Prince doit donner une image de lui-même qui lui assure le soutien de la population. Il n’est pas nécessaire à un Prince d’avoir toutes les qualités " mais il lui est indispensable de paraître les avoir ". Les vertus que l’on aime chez les hommes ordinaires sont peu appréciées chez les princes et peuvent même être dangereuses. Le Prince " doit persévérer dans le bien lorsqu’il n’y trouve aucun inconvénient et s’en détourner lorsque les circonstances l’exigent ". 3. Les grands traits de la conception Machiavélique Une vision pragmatique de la politique : naissance du concept de la raison d’état. La politique a une fin (le bien général) et cette fin justifie les moyens qui vont être employés pour l’atteindre. Machiavel prône un gouvernement pragmatique, détaché de la morale et de la religion, ayant parfois recours au mensonge ou à la force dans le but d’apporter, à terme, le bien général. Cette attitude diffère profondément de la pensée médiévale contemporaine à Machiavel. Le machiavélisme est souvent présenté comme moralement condamnable. Edward Meyer a recensé 395 références à Machiavel dans la littérature élisabéthaine et pour tous ces auteurs le machiavélisme est l’incarnation du mal. Pour Spinoza " il est certain que cet homme si sagace aimait la liberté et qu’il a formulé de très bons conseils pour la sauvegarder ". Hegel, lui, fit l’apologie de Machiavel. Antonio Gramshi, marxiste, fit, au XXe siècle, l’apologie de Machiavel, mettant en parallèle son œuvre et celle de Marx. Pour Gramshi le Prince moderne est le parti communiste.