Festugiere Paciencia Recherches_de_science_religieuse.pdf

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Recherches de science religieuse

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Recherches de science religieuse. 1910. 1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de la BnF. Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 : - La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. - La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits élaborés ou de fourniture de service. CLIQUER ICI POUR ACCÉDER AUX TARIFS ET À LA LICENCE 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit : - des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sans l'autorisation préalable du titulaire des droits. - des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèque municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateur de vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de non respect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter [email protected].

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par L. POUQUET, H. GAUTHIER, J. KLEIN volume

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THÉOLOGIE HISTORIQUE

'Hellénisme et Christianisme A SAINT ÙRÉGOIRE DE NAZIANZE ET SON TEMPS

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Docteur èa lettres, Professeur aux Facultés Catholiques de l'Ouest

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Athènes.

volume in-8 niiin (m-3Sa Dansla même collection (RAPPEL).

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LE GNOSTIQUE DE

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SAINT CLÉMENT D'ALEXANDRIE. Opuscule inédit Fènelon, publié avec une introduction par le P. Paul Dirooit, S. i. Un volume in-8 cavalier (3oo 58 /ranco. 55Bernard fr. » LA DOCTRINE DDMARIAGE SELON SAINT AUGUSTIN, par le P. Altes Pebkiii*, O. F. M., docteur en théologie. UnTolume in-8 cavalier (a8o pp.) 30 fir. franco 33 fr. » K Réimpression:

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Dom Ch. Poulbt, Moine bénédictin de la Compagnie de HISTOIRE DE L'ÉGLISE, Solesmes. Préface du BéréreodÎBsime Dom F. Cabrol, abbé de Farnborough. Quatrième édition revue et augmentée. ru 'i I. Antiquité et Moyen Age. Début des • Temps Modernes. – II. Les Temps

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RECHERCHES DE

SCIENCE RELIGIEUSE

RECHERCHES DE

SCIENCE RELIGIEUSE PARAISSANT TOUS LES DEUX MOIS

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TOME XXI.

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ANNÉE 1931

PARIS, VIIe

AUX BUREAUX DE LA REVUE 15, RUE MONSIEUR, 15

Nos lecteurs ont pu se rendre compte de l'effort que nous avons poursuivi durant ces dernières années pour étendre largement le champ de nos Recherches. De nouveaux et précieux concours nous sont venus, et pour ne parler que des Bulletins, nous avons pu, grâce à eux, ajouter aux chroniques habituelles un Bulletin d'Histoire de l'Église, un Bulletin du Judaïsme ancien, un Bulletin dit Byzantinisme et dans le présent numéro un Bulletin de l'ancienne Fhilosop/ae reli-

gieuse des Grecs.

Ces enrichissements ont été appréciés de nos amis qui ont bien voulu nous encourager. Le nombre de nos lecteurs et abonnés s'est beaucoup accru, signe évident de l'intérêt croissant que prenait la

Revue. Nous sentons trop le prix de cette confiance pour ne pas tenter un plus grand effort. Nous remercions à l'avenir les nouveaux collaborateurs et lecteurs qui voudront bien nous accompagner sur cette voie. La condition de cet enrichissement est une augmentation du volume des fascicules. Nous avons donc résolu d'accroître leur nombre de pages en portant chacun de nos 5 fascicules habituels uniformément à 128 page*, reportant ainsi sur les fascicules de février, d'avril, d'octobre et de décembre l'excédentdu fascicule double de juin et ajoutant de plus une feuille à chaque fascicule. Ce qui portera de 576 à 640 le nombre annuel des pages des Recherches. Nous sommes heureux d'accroître le volume de la Revue sans imposer à nos lecteurs de charges nouvelles, la générosité de notre sœur aînée les Études partageant magnifiquement avec nous la prospérité que Dieu lui a donnée depuis dix ans. Nous prions en retour nos lecteurs de nous soutenir de leur amitié dans cet effort que la situation présente rend un peu paradoxale. Les Recherches ne sont pas encore, en France et surtout à l'étranger, connues de tous les professeurs et savants à qui elles peuvent rendre service Nos anciens amis encourageraient efficacement nos efforts en faisant connaître la Revue autour d'eux, et notamment à leurs élèves. Ils nous permettront ainsi de poursuivre efficacement le but que le P. de Grandmaison nous avait proposé en fondant les Recherches et qu'il a constamment eu devant les yeux poursuivre selon nos forces les progrès des Sciences religieuses et, par là, servir l'Église.

LA PRÉDICATION DE L'ÉVANGILE

PAR

LE

CHRIST NOTRE SEIGNEURt

Le ministère personnel du Christ Notre Seigneur ne se comprend bien si l'on ne se rappelle ce qu'était, au temps de Jésus, la population de la Palestine. Les Juifs y apparaissent, étroitement groupés autour du Temple et de la ville sainte, en contact constant avec les écoles rabbiniques, scrupuleusement fidèles à leurs traditions. Ces traits, qui distinguent le judaisme palestinien de celui de la diaspora, ont une grande importance pour l'histoire du christianisme naissant. Mais ils ne doivent pas nous faire oublier que dans la Terre sainte, de la mer au Jourdain, de Dan à Bersabée, Israël n'a pas tout recouvert ni même tout dominé il n'y a réussi à aucune époque de son histoire, mais, surtout pendant la période hellénique et romaine, il est refoulé et tenu en échec. Sur la côte, philistéenne et phénicienne, le judaïsme ne s'est jamais profondément implanté. Des nombreuses villes côtières, seules Joppé et Jamnia avaient une population en majorité juive partout ailleurs l'élément païen était prédominant. Des temples se dressaient en l'honneur des vieilles divinités phéniciennes, comme Marnas ou Astarté, ou surtout des divinités helléniques ou hellénisées, le Soleil, Zeus, Apollon, Athéné, Poseidon dès le règne d'Auguste, le culte impérial apparaît; on trouve un temple de Rome et d'Auguste à Césarée, de même qu'on en trouve aussi dans l'intérieur du pays, à Samarie, à Césarée de Philippe. Quand la guerre t. Cette esquisse doit faire partie d'une étude sur les origines de la mission chrétienne.

juive éclata, en 66 p. Ch., des conflits surgirent partout entre les diverses populations de la côte, et le plus souvent ce furent les Juifs qui furent écrasés2. Au reste, la constitution même de ces cités les soustrait & l'influence du judaïsme sous les Asmonéens, elles avaient été soumises aux autorités de Jérusalem; Pompée les « délivra », et dès lors elles jouissent d'une large autonomie municipale. Hérode le Grand, personnellement gagné à l'hellénisme, le favorisa largement dans les cités grecques il y bâtit des théâtres, des stades, des temples il y fit donner des jeux. Aussi sur toute la côte l'hellénisme est florissant 3. Il l'est aussi dans la Décapole'1. On comptait d'abord dans ce groupement dix cités dont le nombre s'accrut peu à peu; elles sont toutes situées au nord-est de la Palestine, et pour la plupart au delà du Jourdain la plus éloignée et aussi la plus importante est Damas plus au sud, au pied de l'Hermon, Panéas, appelée plus tard Césarée de Philippe plus au sud encore et près du lac de Génésareth, Hippos, Gadara, et plus tard, Julias, Tiberias dans les montagnes de Galaad, Pella au sud-est, Gerasa de l'autre côté du Jourdain, Scythopolis plus au nord, près de Nazareth, Sepphoris, qui fut sous Gabinius le chef-lieu de la Galilée Hérode Antipas l'agrandit, l'embellit et en fit, au dire de Josèphe, l'ornement de toute la Galilée5. Si l'on se rappelle enfin que Jéricho et ses environs étaient gagnés à l'hellénisme, on constate que le noyau central de la Judée est de toutes parts entouré de cités grecques ou 2. A Ascalon, par exemple, 2 5oo d'entre eux furent massacrés; à Césarée, 20000; à Gaza, au contraire, les Juifs se soulevèrent et pillèrent la ville Jos., B. il, i3, 7 11, 14, 4 il, 18, 1. 5. 3. Un rhéteur d'Ascalon, Antiochus, fut maître de Cicéron. 4. Sous Hérode, et à sa cour, on trouve Nicolas de Damas, historien

et philosophe; près du lac de Génésareth, à Gadara, vivait l'épicurien Nicodème, contemporain de Cicéron, dont les œuvres nous sont connues par des fragments considérables retrouvés à Herculanum dans la même ville et vers la même date, le poète Méléagre compose ses épigrammes. Cf. Schurer, II, p. 53 sqq. 5. A. XVIII, 8, i.

hellénisantes. Et ce qui intéresse encore plus directement l'histoire du christianisme naissant, c'est la prédominance de cet élément païen au nord-est de la Palestine, tout autour du lac de Génésareth, dans ces vallées profondes et verdoyantes où se déroulera en grande partie le ministère évangélique. Au centre même du plateau de Judée, des colons assyriens ont été jadis établis des Israélites sans doute se sont mêlés à eux, et de plus en plus nombreux, mais sans pouvoir s'assimiler les premiers occupants, et sans garder eux-mêmes le contact avec les populations proprement judéennes. Les Samaritains sont méprisés des Juifs, et leur rendent leur mépris ainsi que la femme de Sichem devait le dire à Jésus, Les « il n'y a point de relations entre Juifs et Samaritains » Samaritains, sans doute, ne sont pas des païens, et les rabbins les en distinguent ils se réclament de la loi, mais de la loi anté-deutéronomique, telle que la connut et la pratiqua jadis Israël. Là encore le paganisme a pénétré les ruines de Samarie l'attestent aujourd'hui de la ville d'Achab et de Jézabel peu de traces subsistent ce qui apparaît surtout, ce sont les colonnes hérodiennes de Sébaste, la ville toute païenne bâtie par Hérode le Grand. A la frontière nord de la Samarie, tout près de la Galilée, en face de Pella, la ville de Scythopolis est, elle aussi, en majorité païenne les Machabées l'avaient soumise, mais Gabinius l'a affranchie. Si l'on sort de Scythopolis dans la direction de Jezraël, après quelques kilomètres seulement, on est en Galilée. La population juive n'y est pas schismatique, comme en Samarie elle est fidèle et si quelques coutumes religieuses la distinguent des Juifs de Judée, ce sont des nuances insignifiantes et que les rabbins eux-mêmes jugent telles mais ce n'est qu'une population récemment implantée dans le pays, et encore clairsemée. Au temps de Judas Machabée, les Juifs qui résident en Galilée ne peuvent se défendre contre la population païenne venue de la côte Simon Machabée vient à leur secours et, pour les soustraire au danger, il les ramène

tous en Judée avec leurs femmes et leurs enfants (1 Mach., v, 14-23). Les conquêtes de Jean Hyrcan ne dépassèrent pas la Samarie la Galilée ne fut annexée à la Judée que par Aristobule Ier (104-103). Quarante ans plus tard, Pompée c'était le début de la domination entrait à Jérusalem romaine puis la Galilée fut soumise à Hérode qui la gouverna comme stratège avant de devenir roi des Juifs, en 377 avant Jésus Christ. Hérode fit la chasse aux brigands, qu'il força dans leurs cavernes il pacifia le pays, mais il ne songea guère, pas plus que ses maîtres païens, à protéger le judaïsme galiléen contre l'hellénisme et le paganisme. La Transjordane, comme la Galilée, fut conquise et judaisée assez tardivement par les Machabées. Alexandre J an née renversa les petits chefs de clan qui se partageaient le pays et imposa aux populations les mœurs juives. Là encore, Pompée et Gabinius, en restituant aux cités grecques leur indépendance, rétablirent en fait l'hellénisme. Il ne resta sous l'influence juive que la région de Transjordane la plus proche du fleuve, la Pérée, et encore la population y est-elle très clairsemée c'est, dit Josèphc (B. J., ni, 3,3), une contrée déserte et sauvage. Ainsi des trois provinces juives que l'on distingue alors, Judée, Galilée et Pérée, la Judée seule a une population israélite dense et homogène. Il était nécessaire d'insister sur cet état de choses, qui fait mieux ressortir la réserve de Jésus et mieux comprendre les conditions du premier apostolat chrétien. Il n'était pas besoin de sortir de Palestine pour entrer en contact avec des païens on les trouvait partout, non point comme des hôtes de passage, mais comme des citoyens de plein droit et puissamment établis. La Palestine nous apparaît donc déjà ce qu'elle est de nouveau aujourd'hui, un pays où différentes nations son: mêlées et où, sous la domination d'un pouvoir étranger, ces nations rivales s'isolent les unes des autres pour se maintenir. Au sein de l'empire romain qui le domine, de l'hellénisme qui menace de l'absorber, le judaïsme ne se maintient dans

la Palestine même qu'en luttant contre une invasion qui de toutes parts l'enserre et le pénètre. Il est presque chassé du littoral, tenu en échec dans la vallée du Jourdain, et le massif montagneux où il se retranche, au centre du pays, est battu par cette marée montante qui l'environne, le pénètre, s'y infiltre et tend à le désagréger. Pour se défendre contre ces menaces, toutes les forces vives de la nation sont tendues; le judaïsme se resserre, s'isole et aussi, dans sa partie la plus saine, il s'attache à Dieu, à la loi, à ses promesses. Pour l'Israélite tous les païens sont impurs, et tout contact avec eux est une souillure. Pour décider saint Pierre à aller chez Corneille le centurion et à manger avec lui, il faudra le songe symbolique trois fois répété. Quand il se présente à son hôte, il s'en explique « Vous savez, dit-il, que le contact et la société des étrangers est interdite aux Juifs. Mais pour moi, Dieu m'a fait comprendre que je ne devais regarder aucun homme comme impur » (Acl., x, 28). Peu après, quand saint Pierre monte à Jérusalem, on l'interroge sur sa conduite qu'on ne peut comprendre « Tu es entré chez des incirconcis et tu as mangé avec eux! » (th., xi, 3). Il doit raconter de nouveau la vision qui l'a décidé6. Tous les ustensiles de cuisine empruntés à des païens devront être purifiés avant de s'en servir, on les passe au feu ou à l'eau bouillante. Beaucoup plus encore doit-on s'abstenir de tout ce qui a été souillé par le culte des idoles sur ce point d'ailleurs les premiers chrétiens gardèrent la même réserve, et s'interdirent longtemps de toucher aux viandes offertes en sacrifice aux idoles. Quant à l'idolâtrie elle-même, c'est une abomination, et elle est repoussée avec horreur par tous les Juifs. Malheu6. Même en dehors de la Palestine, les Juifs s'en tiennent à cette règle, au prix des contraintes les plus gênantes. Des prêtres, emmenés comme prisonniers à Rome, après la grande guerre, se nourrissent exclusivement de figues et de noix pour éviter la souillure des aliments païens (Jos., Vie, 3).

reusement, l'enseignement rabbinique tend à faire dévier cette foi religieuse dans le sens d'un nationalismeexclusif et étroit Eléazar ben Azaria, interprétant DetU., xxvi, 17, fait dire à Dieu « De même que vous me reconnaissez comme le Dieu unique dans le monde, ainsi je vous reconnais comme l'unique peuple sur la terre 7. » L'espérance messianique est, elle aussi, haute et vivace, mais en même temps farouche et jalouse. L'indépendance nationale est brisée les brillantes espérances qu'avait fait naître le règne des Machabées s'éteignent avec leur race les Juifs ne s'abandonnent pas ils comptent sur les promesses de Dieu, mais ils y voient leur domination sur tous les peuples, et l'abjection où ils vivent est pour eux un scandale' intolérable « Tu l'as dit, pour nous tu créas le monde et les autres nations issues d'Adam, tu as dit qu'elles n'étaient rien, qu'elles ressemblaient à du crachat, à l'écume qui déborde d'un vase. Et maintenant, Seigneur, voici que ces nations qui ne sont rien, se sont mises à nous asservir, à nous dévorer. Et nous, ton peuple, que tu as appelé ton premier-né, ton unique, ton amour, nous sommes livrés entre leurs mains. Si c'est pour nous que le monde a été créé, pourquoi ne possédons-nous pas le monde comme notre héritage ? Jusqu'à quand l'attendrons-nous ? n (IV Esdras, vi, 55-59.) Ce livre est écrit après la grande crise opprimés, humiliés, dispersés, les Juifs ne peuvent détacher leurs yeux des rêves qu'ils ont nourris depuis si longtemps ils attendent la revanche triomphale où tous leurs ennemis seront écrasés, et où eux régneront pour toujours. On comprend leur colère en face de l'enseignement du Christ et des apôtres. Quand saint Paul prisonnier veut se défendre devant les Juifs, on le laisse raconter en détail son éducation première et sa conversion mais dès qu'il rapporte les paroles du Christ lui disant « Va, je t'enverrai au loia vers les nations », l'indignation éclate; les Juifs vocifèrent^ 7. BACHER,

Die Agada der Tamiaiten, I1, p. 226.

déchirent leurs vêtements, réclament sa mort (Act., xx, 1-21). La même colère avait accueilli toutes les déclarations de Jésus sur la vocation des gentils. A cette foi religieuse répond la vie morale elle témoigne d'une volonté louable et d'un grand effort, mais elle est de plus en plus chargée d'observances rituelles qui l'emprisonnent et l'alourdissent. Depuis la réaction machabéenne, la loi est plus que jamais vénérée les Juifs s'y attachent comme à la parole de Dieu, et tout autant comme à leur patrimoine national les gentils n'ont pas reçu de Dieu ces commandements Israël seul détient ce message. Ce sens du privilège est pour les Juifs une force, et les psaumes l'exaltent volontiers mais c'est aussi un danger, et saint Paul devra abattre sur ce point l'orgueil de ses compatriotes « Tu es fier de te dire le guide des aveugles, la lumière de ceux qui sont dans les ténèbres, le maître des ignorants, le précepteur des enfants, ayant reçu la formation de la science et de la vérité par la loi, ainsi tu instruis les autres, et tu ne t'instruis pas toimême tu enseignes qu'il ne faut pas voler, et tu voles tu défends l'adultère, et tu le commets tu maudis les idoles, et tu es sacrilège tu te glorifies de la loi, et par la transgression de la loi tu déshonores Dieu car, ainsi qu'il est écrit, le nom de Dieu est à cause de vous blasphémé parmi les nations » (Rom., 11, 17-24). Les adversaires que vise l'apôtre sont ceux que Jésus démasque déjà dans l'évangile ces pharisiens se complaisent dans leur connaissance de la loi, qu'ils surchargent à plaisir d'exigences méticuleuses ils en simulent l'observance, mais ils en laissent le fardeau aux autres, et ce fardeau est accablant « ni nos pères ni nous n'avons pu le porter », dira saint Pierre (Act., xv, 10). Les Israélites humbles et sincères qui gémissent sous ce fardeau, viendront à Jésus, le Maître humble et doux, et ils sentiront que son joug est doux, et son fardeau léger. Les autres repousseront ses avances, et se complairont dans leur orgueil.

Quand on étudie, dans une histoire de la mission chrétienne, le rôle personnel du Seigneur Jésus, on peut se proposer avant tout la solution d'un problème qui a été souvent discuté Jésus Christ a-t-il voulu que l'évangile fût prêché aux païens? a-t-il même prévu cette mission et cette évangélisation 8 ? On peut aussi, sans exclure cette question, dont l'importance est capitale, ne la considérer cependant que comme un aspect partiel d'une étude historique plus vaste suivant quel plan et quelle méthode Notre Seigneur a-t-il conçu et entrepris l'œuvre d'évangélisation ? C'est cette étude d'ensemble que nous essayerons d'esquisser ici. Nous n'avons pas, d'ailleurs, à faire une œuvre apologétique, mais historique; nous supposerons donc la fidélité des récits évangéliques nous nous efforcerons de retracer, en les suivant, l'œuvre personnelle de Notre Seigneur, ses efforts pour gagner le peuple juif à l'évangile, la vocation des apôtres et les instructions qu'il leur donne en vue de la conquête du monde. Cette immense perspective, toujours présente à la pensée du .Maître, est éclairée par un bon nombre de ses démâ"fches, de ses sentences, de ses paraboles. Ce n'est point par un exposé didactique que son plan se révèle c'est par une prudente accumulation des traits qui tous tendent au même but et font apparaître le dessein divin Israël n'est point dépouillé de ses privilèges c'est à lui qu'ont été confiées la loi et les promesses c'est lui aussi qui sera le dépositaire et le héraut de l'évangile. C'est donc lui d'abord que le Christ devra s'efforcer de conquérir c'est lui qui devra ensuite, s'il le veut, conquérir au règne de Dieu le monde païen. Israël, dans son ensemble, se dérobe à cette vocation glorieuse du moins c'est parmi ses fils que seront choisis les apôtres qui auront le mandat de convertir le monde. 1,'œuvre personnelle de Jésus sera l'évangélisation du peuple juif et la formation des apôtres. Dans les récits de l'enfance, le Christ apparaît déjà comme 8. Cette question a été très bien traitée par M. uni die Heidenmtssian (Miinster, 1908).

Meinertz, Jésus

le Sauveur d'Israël et du monde entier dans

le message de

l'ange à Marie: « Il sera grand, et sera appelé le Fils du Très Haut, et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père, et il régnera sur la maison de Jacob pour les siècles, et son règne n'aura pas de fin » (Luc, i, 32-33). Dans son cantique la Vierge bénit Dieu d'avoir secouru Israël et accompli les promesses faites à Abraham (i, 54-55), mais son horizon dépasse son peuple, et lui fait contempler toutes les générations qui la proclameront bienheureuse (48). L'annonce faite par l'ange à Joseph (Mt., 1, 21) et aux bergers (Luc, il, 10), c'est le salut du peuple de Dieu, et sa joie c'est lui aussi que chante Siméon, mais il voit briller ce salut « à la face de tous les peuples, lumière qui éclairera les nations, et gloire de ton peuple, Israël » (Luc, 11, 3i-33). Anne « parle de l'Enfant à tous ceux qui attendent la délivrance de Jérusalem » (38) et bientôt arrivent les mages, les prémices de la gentilité a Où est le roi des Juifs ? » demandent-ils (Mt., Il, 2) ils ont compris que le salut vient des Juifs, mais qu'il est accordé à tous les hommes. La mission du précurseur devait être limitée à Israël c'est ainsi que l'ange l'avait annoncé (Luc, i, 16), et que Zacharie l'avait chanté (68-79) toutefois, à la lumière des prophéties d'Isaïe (ix, i i,viii, 8), le père avait aperçu cet astre qui allait se lever du haut du ciel, pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et l'ombre de la mort (79 cf. Mt., iv, 16). Quand Jean Baptiste commence à prêcher, c'est en effet à Israël qu'il s'adresse; tout son effort tend à dissiper le terrible malentendu qui va opposer le peuple de Dieu à son Messie Nous avons pour père Abraham! « Ne dites pas Car, je vous le dis, Dieu peut de ces pierres susciter des enfants à Abraham» (Mi., in, 8-9 Luc, III, 8). Tout au cours de cette histoire nous retrouverons cette confiance hautaine des Juifs ils sont les fils d'Abraham par droit de naissance, le salut leur appartient, et à eux seuls Jésus devra leur apprendre que, s'ils ne font pas les œuvres d'Abraham, ils ne sont pas enfants d'Abraham, mais esclaves du

péché (/n., vin, 33-59) et saint Paul, que ceux-là sont les fils d'Abraham qui marchent sur ses traces et, comme lui, ont la foi (Rom., iv, 12). Après le baptême de Jésus, Jean, le montrant à ses disciples, leur dit Q Voici l'Agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde » (Jn., i, 29. 36). L'horizon s'entr'ouvre déjà, et, par delà Israël, le monde entier apparaît. Ce ministère du précurseur s'achève bientôt par l'emprisonnement de Jean et sa mort violente ce grand effort, qui avait ébranlé la Palestine tout entière, n'a pas duré un an.. Sitôt brisé, quel fruit durable a-t-il produit? A première vue on le distingue mal Jean a eu sans doute la gloire de baptiser Jésus mais a-t-il efficacement préparé son œuvre ? On n'en peut douter. Les meilleurs témoins en sont les apôtres le point de départ de l'évangile, c'est le baptême de Jean (cf. Act., r, 32) et en effet la moitié des douze apôtres ont été disciples de Jean avant de l'être de Jésus {Jn., I, 35-5i) et sur le peuple juif l'action du précurseur a été si profonde et si durable que, deux ans après sa mort, les pharisiens n'osent, par crainte de la foule, mettre en doute sa mission divine (Mt., xxi, 24-26). Ainsi l'œuvre personnelle de Jésus, la vocation et la formation des apôtres, l'appel au peuple juif, a été très efficacement préparée par le précurseur mais Jean Baptiste n'a songé qu'à disparaître, à s'effacer devant son maître, à lui envoyer ses disciples les plus chers qui ont été les plus grands apôtres, Pierre, André, Jean, Philippe et les autres. Par ce désintéressement comme par la puissance de son exemple et de sa parole, Jean Baptiste est le modèle des

apôtres. Après trente ans de silence, Jésus paraît enfin. 11 commence son ministère par l'humiliation du baptême, par une prière et un jeûne de quarante jours. Au baptême, la sainte Trinité se révèle, par la voix du Père, par la descente du Saint Esprit sur le Fils. Au désert, après la tentation, les anges descendent et servent Jésus. Toutes ces manifestations célestes, dont l'évangile est si sobre, sont accumulées au seuil du ministère du Seigneur pour nous faire entendre

qu'une ère nouvelle commence, le ciel s'ouvre Dieu va habiter désormais parmi nous c'est ce Fils bien-aimé en qui le Père a mis toute ses complaisances, et que tout homme doit écouter. Le démon pressent la portée immense de cette théophanie par la tentation il s'efforce de détourner Jésus de sa voie, vers un messianisme tout charnel. Les appâts qu'il propose à Jésus sont bien grossiers, l'adoration qu'il ose lui demander est révoltante mais, derrière le tentateur, Jésus aperçoit l'immense foule des Juifs charnels qui, au seul nom du Messie, rêvent prodiges et puissance de restauration du royaume d'Israël, et domination sur le monde entier. Les apôtres eux-mêmes, jusqu'à la venue du Saint Esprit, ne sauront pas se défaire de ce messianisme humain à Césarée de Philippe, Pierre protestera contre la perspective de la passion « A Dieu ne plaise, Seigneur, cela ne t'arrivera point! D Au jour de l'Ascension encore, les apôtres impatients demanderont « Est-ce maintenant que tu vas rétablir le royaume d'Israël ? » Et si les apôtres sont si lents à croire, que seront les autres disciples ? Tout au long de son ministère, le Christ sentira que ces foules, si promptes à l'acclamer, ne le comprennent pas vraiment sa parole n'a pas de prise sur elles. C'est là ce qui rendra son ministère si douloureux c'est là ce qui, dès le premier jour, donne à cette scène de là tentation un caractère si émouvant. Jésus chasse Satan sans lui répondre directement mais plus tard, quand saint Pierre se fera inconsidérément tentateur, Jésus lui répondra avec une sévérité exceptionnelle « Arrière de moi, Satan tu m'es un scandale, parce que tu ne penses pas comme Dieu, mais comme les hommes. j> L'œuvre d'évangélisation commence cependant après avoir accueilli près du Jourdain ses premiers apôtres, que Jean Baptiste lui a envoyés, Jésus confirme leur foi à Cana par un miracle, il se rend à Capharnaüm, puis, à l'approche de la Pâque, il monte à Jérusalem. Son premier effort a pour objet la ville sainte {Jean, ii-m) c'est la cité du Grand Roi, c'est là que Dieu habite, c'est là que la Sagesse a établi sa

c'est l'unique lieu sur terre où Dieu agrée les sacrifices. Dans les parvis du temple les docteurs enseignent, les maîtres en Israël ils sont assis dans la chaire de Moïse le peuple leur doit un respect docile, et le leur rend n'est-ce pas eux d'abord qui doivent reconnaître le Messie, le Fils de Dieu, et le faire reconnaître aux Israélites fidèles ? Et en effet ce sont eux que visent les premiers efforts de Jésus. C'est d'abord la purification du temple {Jean, n, 13-ij), les miracles faits à Jérusalem (Jean, II, 23) pendant les fêtes de Pâque c'est l'entretien avec Nicodème {Jean, ni) ce maître en Israël, malgré ses hésitations, est gagné par Jésus et continue à le soutenir un peu timidement peut-être d'abord, mais fidèlement (Jean, v, 5o xix, 39). Les autres chefs religieux de la nation qui avaient déjà repoussé l'enseignement du précurseur (Jean, I, 24 Ml., xxi, 24-27), s'opposent aussi à la prédication de Jésus, et de plus en plus violemment 9. Leur hostilité forcera bientôt le Christ à quitter Jérusalem, puis la Judée elle le poursuivra en Galilée elle paralysera les sympathies populaires par des controverses, puis par des calomnies atroces, enfin par la persécution ouverte mise au ban des disciples de Jésus, la condamnation portée contre lui (Jean, xi, 47-53), l'ordre donné à tout Juif de le dénoncer à la police du sanhédrin (ib., 57) enfin l'arrêt de mort. Cette hostilité des chefs du peuple a exercé sur la nation tout entière une influence décisive sans doute le peuple lui-même a sa part de responsabilité, nous le rappellerons tout à l'heure; mais cette responsabilité est beaucoup moins lourde que celle de ces mauvais guides, de ces aveugles conducteurs d'aveugles10. Ils n'entrent pas dans le royaume des cieux, ils demeure

la

9. C'est ainsi que Jérémie jadis avait été reçu par eux voyant l'incrédulité d'Israel, il essayait de l'excuser « Je me suis dit Ce sont les petits seulement, les insensés, qui ne savent pas les voies de Iahvé, la justice de Dieu. Eh bien, j'irai aux grands et je leur parlerai car eux, ils savent les voies de Iahvé, la justice de Dieu. Mais eux aussi ont brisé le joug, rompu les liens » (Jérémie, v, 4-5;cf. X, 21). io. Cf. A. CHART7E, L'Incrédulité des Juifs dans le Nouveau Testament (Gembloux, 1929), p. 175 sqq. et 344 sq.

(

empêchent les Juifs d'y entrer ils ont fermé le royaume (Mt., xxiii, i3) et leur péché est rendu plus grave non seulement par l'autorité qu'ils exercent, mais par la science qu'ils possèdent « Si vous étiez des aveugles, vous n'auriez pas de péché mais maintenant vous dites Nous voyons clair Votre péché demeuré»(Jean, ix, 41) ll. Le peuple juif, dans son ensemble, n'aura pas vis-à-vis de Jésus et de l'Évangile l'attitude obstinément hostile des pharisiens à certains moments, par exemple après la première multiplication des pains et au jour des rameaux, il semblera gagné, soulevé par un enthousiasme messianique qui paraît irrésistible mais bientôt cet élan passionné se brise et tombe* La raison manifeste de ces abandons succédant si vite à une adhésion si cordiale est le malentendu qui sépare Jésus de son peuple: le Christ est le serviteur de Iahvé, le Messie humble et doux prédit par Isaïe, qui ne brise pas le roseau froissé, qui n'éteint pas la mèche fumante sans doute il est roi, mais d'un royaume qui n'est pas de ce mondeil est sauveur, mais non pas d'Israël seul, il est Sauveur du monde» (Jean, IV, 42). Ces perspectives sont trop profondes et trop étendues pour les Juifs que préoccupent avant tout le salut d'Israël et la restauration de son royaume aussi Jésus s'efforcera-t-il de convertir les âmes pour pouvoir se révéler à elles. Le Père cherche des âmes « qui l'adorent en esprit et en vérité » Jésus veut des fidèles qui fassent la volonté de son Père céleste c'est là sa vraie famille, « son frère, et sa sœur, et sa mère » (Marc, III, 35) il veut des âmes humbles et simples comme celles des enfants celles-là seules le comprennent « Je te rends grâces, ô Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que tu as caché tout cela aux sages et aux Depuis une quinzaine d'années, bien des plaidoyers ont été publiés en faveur des pharisiens de l'évangile, non seulement par des Juifs, par exemple ABRAHAMS et Khusner, mais par d'autres historiens, par exemple HERFORD, The Pharisees (1924). On lira avec profit sur cette question la discussion du P. Lagringe, l'Évangile de fésus Christ, p. 456-472. 11.

prudents, et de ce que tu l'as révélé aux enfants. Oui, mon Père, tel a été ton bon plaisir » Son effort près des Juifs est donc un effort de conversion avant d'être un effort de démonstration et jusqu'à sa mort cet effort n'a porté que peu de fruits durables il a semé la moisson lèvera plus tard, fécondée par son sang sous le souffle de C'est à Jérusalem d'abord que Jésus fait œuvre de Messie, par la purification du temple, par sa prédication, par ses miracles Jérusalem était le centre religieux d'Israël, et de là tout dépendait le Christ devait dire « II ne convient pas qu'un Prophète meure hors de Jérusalem » et aussi « Jérusalem, Jérusalem, que de fois ai-je voulu rassembler tes enfants. et tu ne l'as pas voulu » Aux premières années de l'Église, les apôtres, sur l'ordre de Jésus, seront fixés à Jérusalem, ils y resteront même pendant la persécution ils y concentreront leurs efforts il faudra la ruine de la ville sainte pour déplacer le centre du christianisme et le porter définitivement à Rome. Cette première prédication de Jésus, faite pendant la fête de Pâque, atteint non seulement les habitants de Jérusalem, mais les pèlerins, et prépare ainsi la mission de Galilée (Jean, iv, 45) beaucoup d'auditeurs sont touchés, mais sans être vraiment convertis Jésus ne se fie pas à eux. Et déjà les pharisiens ont pris l'éveil Nicodème n'ose venir que de nuit bientôt le Christ doit quitter Jérusalem du moins il s'en écarte le moins possible, il reste en Judée, il y prêche, il y baptise comme faisait Jean mais là encore la jalousie des pharisiens le poursuit, et il doit gagner la Galilée en passant par la Samarie 12, Désormais c'est sur la Galilée que Jésus porte son effort il y trouve une population rude, ardemment nationaliste, mais moins étroitement surveillée par le sanhédrin que celle

l'Esprit.

La traversée de la Samarie est marquée par l'entretien avec la Samaritaine et la conversion de nombreux Samaritains qui reconnaissent en Jésus le Sauveur du monde (Jean, iv, 42) c'est un épisode plein de promesses ces promesses se réaliseront dès les premières années de l'Église {Act., vin, 5 sqq). 12.

de Jérusalem.

y prêche d'abord l'avènement du règne de Dieu comme le faisait Jean Baptiste, puis la loi nouvelle cette prédication morale reste pendant les premiers mois au moins le thème de son enseignement il pouvait la faire entendre facilement des humbles et des pauvres, qui se nourrissaient des cantiques de la Bible et surtout des psaumes il les préparait insensiblement par la conversion du cœur à la foi au Père céleste, au don d'eux-mêmes à l'Évangile et au Christ. Les apôtres le suivent dès lors, non encore comme des fondés de pouvoir, mais comme des disciples assidus, ainsi que plusieurs d'entre eux avaient suivi Jean Baptiste ils assistent à ses miracles, ils s'initient à sa vie religieuse, à ses prières, à sa compatissante charité, ils sont formés par cette vie commune avant d'être instruits par ses instructions explicites. Pendant cette première période, la plus paisible et la plus heureuse du ministère évangélique, Jésus parcourt toute la Galilée, prêchant dans les synagogues, annonçant l'évangile du royaume, guérissant toute maladie et toute infirmité (ML, iv, 23). On peut se faire une idée plus précise de la vie du Seigneur à cette époque en lisant (Mc., I, 21-34) le récit de son séjour à Capharnaûm le jour du sabbat, il enseigne dans le synagogue, il y délivre un possédé et toute l'assistance admire l'autorité de sa parole; en sortant de la synagogue, Jésus entre dans la maison de saint Pierre et s'y tient toute la journée du sabbat il guérit la belle-mère de son hôte. Le soir venu, les gens de la ville, que le repos sabbatique ne retient plus, accourent: et lui présentent tous les malades et les possédés. Le lendemain matin, avant l'aurore, Jésus sort de la ville et se retire à l'écart pour prier Pierre le poursuit «Tout le monde te cherche », lui dit-il. « Allons ailleurs, répond Jésus, dans les bourgs voisins, pour y prêcher là aussi car c'est pour cela que je suis sorti. » Ainsi dès ces premiers jours, Jésus ne s'appartient plus l'ascendant de sa parole, la bienfaisance de ses miracles attirent la foule s'il entre dans une maison, « la ville entière se rassemble devant la porte » (Mc., i, 33); s'il se retire, on 11

le poursuit et ce n'est plus que pendant la nuit qu'il peut s'isoler pour prier. Le centre religieux de cette action, c'est le synagogue au dernier jour de sa vie, il dira au grand prêtre « J'ai toujours enseigné dans la synagogue et dans le temple, où tous les Juifs se réunissent, et je n'ai rien dit en cachette (Jean, xviii, 20). Pendant les derniers mois de sa vie, l'accès de la synagogue lui sera rendu plus difficile par lesPharisiens mais, autant qu'il le pourra, il se mêlera à la vie religieuse de son peuple, à sa prière publique, à ses fêtes. Le récit que saint Luc (iv, i6-3o) a tracé de la prédication dans la synagogue de Nazareth fait revivre dans tous ses détails cette scène si émouvante Jésus se lève pour faire la lecture: on lui remet le livre d'Isaïe, il l'ouvre et lit: « L'Esprit du Seigneur est sur moi, car il m'a consacré par l'onction pour porter la bonne nouvelle aux malheureux. » il ferme le livre, le rend au serviteur, s'assied, et tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui et il leur dit Aujourd'hui est accomplie cette Écriture que vous venez d'entendre ». Après un premier émoi d'admiration, les auditeurs se ressaisissent et s'irritent. Ce n'est d'abord qu'une mesquine jalousie de clocher « Ce que tu as fait à Capharnaùm, fais-le donc ici, dans ta patrie » « nul prophète n'est reçu dans sa patrie », répond Jésus, et il rappelle que, pendant la grande famine, Elle n'a secouru qu'une veuve, et c'était une femme de Sidon Élisée plus tard n'a guéri qu'un lépreux, et c'était un Syrien. Cette fois ce ne sont plus seulement des rivalités locales qui s'irritent, c'est l'orgueil national qui se révolte on entraîne Jésus pour le tuer. Dans ce raccourci, toute l'histoire du ministère galiléen apparaît vive admiration d'abord, puis révolte mais en ce moment ce que nous remarquerons, c'est la méthode de Jésus il ne vient pas effacer, mais accomplir c'est dans la synagogue qu'il prêche c'est le texte prophétique qui lui sert de thème il n'a qu'un mot à y ajouter, mais c'est le mot décisif « Aujourd'hui cette prophétie est accomplie. » Plus tard, saint Irénée, répondant à Marcion q ui prétendait opposer Jésus aux

prophètes, dira a Qu'a-t-il apporté de nouveau ? Lui-même, et, en se donnant lui-même, il nous a donné toute nouveauté » Ces prédications dans les synagogues et les villages ne sont encore que l'aurore de l'Évangile. Les foules que la parole du Christ a touchées, que ses miracles ont émues, accourent de toutes parts, non seulement des bords du lac et de la Galilée, mais « de toute la Judée, de Jérusalem, de la côte, de Tyr et de Sidon » (Luc, vi, 17). Nulle synagogue ne saurait contenir cet immense auditoire Jésus prêche soit sur une colline, soit sur les bords du lac. Dans ces foules il n'y a pas que des auditeurs de bonne volonté et de bonne foi des adversaires sont nombreux, venus soit des environs, soit même de Jérusalem pour épier le Maître et entraver son action. Saint Marc a réuni dans un même chapitre (11) ces différentes attaques et en marque la progression à la guérison du paralytique de Capharnaiim, ils sont assis silencieux et se disent en eux-mêmes « Comment cet homme parle-t-il ainsi ? Il blasphème. » Au festin de Lévi, ils abordent les disciples « Pourquoi votre maître mange-t-il avec les publicains ? » A propos du jeûne ils disent à Jésus lui-même « Pourquoi tes disciples ne jeûnent-ils pas ? propos des épis froissés « Pourquoi font-ils ce qui n'est pas permis le jour du sabbat ? » Après la guérison de l'homme à la main sèche (111, 6), ils complotent déjà sur les moyens de le faire périr. Enfin ils l'accusent d'être possédé du démon et de chasser Satan au nom de Satan (m, 22). Cette opposition croissante, venant de ceux qui détiennent les clefs de la science, ne peut manquer de faire grande impression sur les foules. De plus, l'objet même de la prédication du Christ va leur devenir une occasion de scandale; elles ont pu suivre sans grand'peine la doctrine religieuse et morale exposée dans le discours sur la montagne maintenant elles vont être mises en face du règne de Dieu, un règne si

A

i3. Haer., IV, 34,

1

(P. G., 7, io83-io84).

différent de celui qu'elles rêvent Avec plus de docilité, plus de désir de s'instruire, elles auraient pu suivre cet enseignement nouveau; mais elles restent ce qu'elles ont toujours été, promptes à l'enthousiasme, prêtes à suivre Jésus au désert, sans penser même à prendre des provisions, mais lentes à se convertir elles contemplent la lumière qui brille devant elles, elles s'y complaisent, et elles l'oublient. Aussi l'enseignement du Seigneur change-t-il de forme à cette époque il devient plus constamment parabolique cette transformation est si notable que les apôtres en demandent le motif « Pourquoi leur parles-tu en paraboles ? » Et Jésus leur répond « C'est qu'à vous il a été donné de connaître les mystères du royaume des cieux, mais qu'à ceux-là cela n'a pas été donné; car à celui qui a on donnera encore, et il sera dans l'abondance mais à celui qui n'a pas, même ce qu'il a lui sera enlevé » (Mt., xnr, 10-12). Sans doute, Jésus ne parle pas en paraboles pour aveugler ses auditeurs; étant donné leurs dispositions, il ne pouvait faire mieux pour eux; cette forme d'enseignement leur était familière, elle leur proposait la vérité sans les heurter de front et en les invitant à une recherche plus diligente mais ils négligèrent cette recherche, ils prirent plaisir à écouter les paraboles, sans se mettre en peine d'en pénétrer le sens. Les apôtres seuls en demandent et en reçoivent l'interprétation; ainsi, à partir de cette époque, leur groupe se distingue plus nettement de la foule; ils sont les dépositaires des secrets; ils en auront la dispensation comme de fidèles économes. Par là, Jésus fait servir l'inertie même des foules à l'organisation future de son Église, à la distinction hiérarckique des pasteurs et des fidèles. Ces traits essentiels de la constitution de l'Église se dessinaient déjà dans le choix des douze apôtres; c'est une des scènes les plus solennelles de l'évangile; elle est, au rapport de saint Luc (vi, 12), précédée d'une nuit de prière, et suivie du discours sur la montagne. Jésus appelle « qui il veut » (Mc., ni, i3; cf. Jean, xv, 16); il choisit ainsi « douze

hommes qui seront avec lui, qu'il enverra prêcher, qui auront le pouvoir de chasser les démons » (Mc., m, 14-15). Bientôt, en effet, il les envoie à travers la campagne galiléenne, non pas aux gentils ni aux Samaritains, mais aux brebis perdues de la maison d'Israël (Mt., x, 5-6); « et ils partirent, parcoururent les villages en annonçant la bonne nouvelle et en guérissant partout » (Luc, ix, 5-6). Ce n'était là qu'une mission d'essai, mais elle remua profondément le pays et inquiéta Hérode Antipas (Luc, ix, 7) quand les apôtres reviennent près de Jésus, ils sont si pressés par les gens qui vont et viennent autour d'eux qu'ils ne trouvent plus le temps de manger (Mc., vt, 3i). Jésus les conduit au désert, mais la foule l'y suit « ému de pitié à la vue de ces pauvres gens qui étaient comme des brebis sans berger » (Me, VI, 34), le Seigneur les enseigne et guérit leurs malades puis, les voyant sans pain, dans le désert, il multiplie pour eux les petites provisions d'un enfant, cinq pains, deux poissons, et il en nourrit cinq mille hommes. A ce miracle, la foule enthousiaste veut se saisir de Jésus pour le faire roi (jean, VI, 5). Jésus s'est retiré seul sur la montagne il a passé le lac dans la synagogue de Capharnaûm, il révèle la doctrine du pain de vie; en vain il essaye d'élever ses auditeurs de la nourriture périssable à la nourriture qui demeure; déconcertés par une doctrine trop haute pour eux, ils s'écrient « Ce discours est dur; qui peut l'écouter ? », et beaucoup de ses disciples se retirent et l'abandonnent (Jean, vi, 60-66); et Jésus dit aux douze « Voulez-vous vous en aller, vous aussi ? Simon Pierre lui répond « Seigneur, à qui irionsnous ? Tu as les paroles de la vie éternelle Il (67-68). La crise suprême, que dénouera la mort de Jésus, n'éclatera qu'un an plus tard, à la Pâque suivante; mais à cette Pâque de Capharnaüm, on la pressent déjà après la multiplication des pains, c'est déjà l'enthousiasme des Rameaux; après le discours sur le pain de vie, c'est la désertion comme au soir de la Cène, et déjà le Seigneur peut dire aux douze

Un de vous est un démon » Judas est déjà traître du moins les onze autres, et Pierre à leur tête, sont fidèles. Pendant l'année que Jésus va encore passer sur terre, il poursuit son ministère auprès des Juifs, mais en concentrant de plus en plus ses efforts sur le petit troupeau des apôtres. Poursuivi par les intrigues des pharisiens et la jalousie d'Hérode, il doit quitter la Galilée; il traverse le pays de Tyr et de Sidon, mais sans faire connaître son passage (Mc., vu, 24) une Cananéenne le poursuit, en le suppliant de délivrer Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues sa fille possédée de la maison d'Israël » la femme s'approche et se prosterne Il ne convient » Jésus répond « « Seigneur, aie pitié de moi pas de prendre le pain des enfants pour le jeter aux petits chiens. Eh Seigneur, répond-elle, ce sont les petits chiens qui mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. 0 femme, reprend Jésus, ta foi est grande; qu'il te soit fait comme tu le veux »; et sa fille est guérie (Mt., xv, «

<<

21-28).

Un peu plus tard, Jésus se trouve avec ses apôtres aux environs de Césarée de Philippe; il est là encore entouré d'une population hellénique, et son principal effort est consacré au petit groupe des apôtres « Qui dit-on qu'est le Fils de l'homme ? leur demande-t-il; et les disciples répondent Les uns disent que c'est Jean Baptiste, d'autres Élie, d'autres Et vous, que dites-vous Jérémie, ou un des prophètes. Tu es le Christ, Fils du Dieu vivant, répond que je suis ? Simon Pierre. Et Jésus reprend es heureux, Simon, fils de Jean car ce n'est pas la chair et le sang qui te l'a révélé, mais mon Père, qui est au ciel»(Mt., xvi, 16-17). Cette révélation décisive est un des sommets de l'histoire évangélique. De là on peut comprendre la révélation progressive du Fils de Dieu et en reconnaître la source. Il y a plus d'un an que Jésus a commencé de prêcher et a groupé ses apôtres il en a fait les compagnons de ses voyages, les témoins de ses miracles, les confidents du mystère du royaume de Dieu; et maintenant il les interroge sur lui-même « Qui dites-vous que je suis ? »

-Tu

La réponse, ce n'est point lui qui l'a dictée; c'est le Père céleste qui la révèle, et bienheureux celui qui a reçu cette révélation, et qui a cru Quant au peuple juif, on saisit, à travers le rapport des apôtres, les incertitudes de sa foi; Jésus est assurément un être surnaturel mais encore qui est-il ? on ne le sait. A de certains moments, par exemple après la multiplication des pains, on a salué en lui le Messie, mais le Messie que l'on attend, le roi triomphant d'Israël; il s'est dérobé à cet hommage et, depuis lors, on hésite. Du moins les apôtres croient; huit jours plus tard, leur foi est solennellement confirmée par le témoignage du Père, sur la montagne de la Transfiguration « Celui-là est mon Fils bien-aimé, en qui je me suis complu; écoutez-le. » Et en même temps que retentit cette voix céleste, apparaissent Moïse et Élie s'entretenant avec Jésus. Naguère, Jésus disait aux Juifs de Jérusalem « Vous scrutez les Écritures; ce sont elles qui me rendent témoignage » {Jean, v, 3 g). Aujourd'hui, ce témoignage apparaît, non plus dans un livre, mais dans une apparition vivante. Cette scène de la Transfiguration, intimement liée par les trois synoptiques à la confession de saint Pierre, est la garantie donnée par Dieu lui-même à cette foi qu'il a inspirée ll. Cette grande lumière devait éclairer toute l'Église; mais pendant la vie du Christ elle est comme sous le boisseau seuls Pierre, Jacques et Jean ont été témoins de cette théophanie, et Jésus leur a dit « Ne parlez à personne de cette vision, jusqu'à ce que le Fils de l'homme soit ressuscité

a

Plus tard, saint Pierre écrira Ce n'est pas en suivant des fables habilement imaginées que nous vous avons fait connaître la puissance et l'avènement de Notre Seigneur Jésus Christ, mais c'est comme ayant vu sa majesté de nos propres yeux. Car il a reçu de Dieu le Père honneur et gloire, quand de la gloire magnifique une voix se fit entendre sur lui disant Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je me suis complu. Et nous avons entendu cette voix venant du ciel, quand nous étions avec lui sur la sainte montagne. Et nous tenons pour d'autant plus certaine la parole prophétique, à laquelle vous faites bien de prêter attention» (II Pet., I, 16-19). 14.

d'entre les morts » (Mi.,xvn, 9). Ce secret était imposé sans doute par les ambitions charnelles du peuple juif; une vision si manifestement divine, loin de les guérir, les eût exaltées la mort de Jésus devait ruiner ces espérances terrestres; sa résurrection, ouvrir vers le ciel de nouvelles perspectives. Mais, si ce secret est commandé par la prudence, il est inspiré aussi par le souci de confier le mystère du Christ à l'Église et

A vous le mystère du royaume de Dieu a été donné mais à ces gens du dehors tout arrive en paraboles» (Mc. IV, 11) sans doute, « il n'y a rien de caché qui ne doive être découvert rien de secret qui ne doive être produit au grand jour » (ib., 22); mais tout cela ne sera découvert qu'en son temps, et par ces intendants fidèles qui puiseront dans le trésor de leurs cœurs toutes ces choses, vieilles et nouvelles, qu'ils enseigneront à tous (Mt., xiii, 52). Ces deux scènes solennelles de la confession de saint Pierre et de la Transfiguration rayonnent de la gloire du Fils de Dieu mais sur elles aussi s'étend l'ombre de la croix Jésus, sentant ses apôtres affermis par la révélation céleste, les charge de cet autre secret, si lourd à porter « Il faut qu'il aille à Jérusalem, et qu'il souffre beaucoup des anciens et des grands prêtres et des scribes, et qu'il soit mis à mort et que, le troisième jour, il ressuscite » (Mt., xvi, 21); à cette perspective, saint Pierre se révolte, et Jésus doit le réprimander sévèrement. Huit jours plus tard, en descendant de la montagne, nouvelle prophétie les hommes ont fait à Jean Baptiste tout ce qu'ils ont voulu; « c'est ainsi que le Fils de l'homme, lui aussi, doit souffrir de leur part » (Mt. xvri, 12). Les apôtres n'osent plus protester; ils se taisent, mais sans comprendre. Quelques mois plus tard, en montant de Jéricho à Jérusalem, Jésus répète et précise ses avertissements « Voici que nous montons à Jérusalem, et le Fils de l'homme sera livré aux grands prêtres et aux scribes, et ils le condamneront à mort, et ils le livreront aux gentils, et ils se moqueront de lui, et ils cracheront sur lui, et ils le flagelleront, et ils le tueront, et après trois jours il ressuscitera » à ses chefs.

«

(Mc., x, 33-34) et, cette fois encore, « ils ne comprirent rien de tout cela, et cette parole leur était cachée, et ils n'entendaient pas ce qu'il leur disait» (Luc, xvni, 34). Si les apôtres avaient été plus dociles, ces avertissements les eussent préservés du scandale terrible qui, bientôt, les dispersera. Du moins, le souvenir des paroles de Jésus sera plus tard pour leur foi une lumière et un réconfort il n'a point été surpris par ses ennemis ni arrêté malgré lui il a marché sciemment et volontairement à la mort. Pendant les six derniers mois de sa vie terrestre, la prédication de Jésus se fait plus pressante la fin approche, la nuit pendant laquelle nul ne peut travailler, il faut profiter des dernières heures du jour rien de précipité toutefois ni de fiévreux, mais une grande flamme de zèle; c'est maintenant surtout que l'on sent que Jésus est venu sur terre pour y allumer un incendie et le propager. C'est à cette date que l'on voit autour de Jésus non plus seulement le groupe intime des douze, mais la petite armée des soixante-dix les instructions que leur donne le Christ en les envoyant en mission (Luc, x, 3-12) sont semblables à celles qu'il avait données aux apôtres pauvreté, désintéressement, foi et zèle apostolique ils devront eux aussi aller de village en village, de maison en maison, portant partout la paix du Christ et ses grâces si une ville les repousse, qu'ils la quittent en secouant sur elle la poussière de leurs pieds au jour du jugement, elle sera traitée plus sévèrement que Sodome. Les disciples partent, vraisemblablement à travers la Judée et la Pérée, ils prêchent, ils chassent les démons, ils reviennent pleins de joie « Seigneur, les démons eux-mêmes nous sont soumis en ton nom. » Et Jésus leur répond « Je voyais Satan tombant du ciel comme un éclair.» Cette vision est plutôt le présage de l'avenir que le symbole d'une réalité présente bientôt le prince de ce monde croira triompher de Jésus en le faisant condamner à mort, et c'est alors qu'il sera définitivement vaincu et jeté dehors (Jean, xii, 3i xvi, 11). Les Juifs ne seront point tous associés à ce triomphe de

beaucoup ont été par lui évangélisés en vain, et leur responsabilité est terrible. C'est vers cette date que le Christ, quittant la Galilée, maudit les villes du lac, Chorazin, Bethsaïda, Capharnaiim (Luc, x, 13-15) bientôt il pleurera sur Jérusalem et prédira sa ruine (Luc, xix, 41). Pendant ces derniers mois, il multiplie ses efforts sur la ville sainte pendant la fête des Tentes, la fête de la Dédicace, et enfin pendant la semaine qui précède la Pâque. Quelques-unes des péripéties de cette lutte sont racontées en grand détail par saint Jean, et il n'y a pas de drame plus pathétique la foule immense que les fêtes font affluer dans les parvis du temple est tantôt soulevée par l'enthousiasme d'une foi naissante, tantôt révoltée dans son orgueil et prête à lapider le Christ. Dès le premier jour de la fête des Tentes, Jésus n'est pas encore arrivé qu'on entend déjà les murmures qui courent, à mi-voix, à travers la foule les uns disaient les autres non, mais il séduit la foule mais, « II est bon par peur des Juifs, personne ne parlait de lui librement » (Jean, vu, i2-i3). Jésus paraît les gens de Jérusalem, mis en garde par les pharisiens, répètent les calomnies qu'ils ont entendues « Tu es possédé du démon» (vu, 20) puis s'étonnent de le voir enseigner librement « Les chefs auraient-ils donc reconnu qu'il est le Christ ? » Jésus enseigne parmi la foule, beaucoup l'ont suivi en Galilée ils ont été touchés par ses miracles ils sont maintenant émus par sa parole ils croient en lui « Le Christ, lorsqu'il viendra, disent-ils, fera-t-il plus de miracles que celui-ci n'en a fait? » (3i). Les pharisiens envoient des policiers pour le saisir c'est le grand jour de la fête Jésus parle il se tient debout, et il s'écrie « Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi, et qu'il boive » Dans la foule, certains disent « C'est le prophète » D'autres Christ vient « C'est le Christ » D'autres « Est-ce que le de Galilée ? » Aux policiers qui reviennent vers eux, les grands prêtres et les pharisiens disent « Pourquoi ne l'avez-vous pas amené ? Jamais homme n'a parlé comme cet homme. » Et les pharisiens répondent « Est-ce que vous Jésus

vous êtes laissé séduire, vous aussi? Est-ce qu'un seul des chefs ou des pharisiens a cru en lui ? Mais cette foule qui ne connaît pas la loi, ce sont des maudits. » Le conflit, si aigu déjà, va s'exaspérer encore au cours des prédications du Christ et en face de ses miracles, de la guérison de l'aveugle-né, de la résurrection de Lazare. Des signes si manifestes touchent beaucoup de témoins, mais non pas tous Jésus l'avait dit « S'ils n'écoutent pas Moise et les prophètes, même si quelqu'un ressuscitait d'entre les morts, ils ne croiraient pas » (Luc, xm, 3i) en face des œuvres les plus certainement divines, l'homme peut toujours fermer les yeux et dire je ne vois pas15. C'est ici surtout qu'apparaît la responsabilité des pharisiens dans l'incrédulité du peuple juif. Malgré tous ses préjugés et tous ses rêves de gloire, le peuple est touché par les discours de Jésus et par ses œuvres il subit l'ascendant de sa parole et il y cède mais il est arrêté par l'impérieuse incrédulité de ses chefs « Est-ce qu'un seul des chefs ou des pharisiens a cru en lui ? » Et la sanction suit l'exemple tout disciple de Jésus est mis au ban de la synagogue, peine terrible et redoutée surtout des âmes les plus religieuses. Pendant la dernière semaine de la vie de Jésus, la crise est à son paroxysme Jésus est condamné à mort par les chefs de la nation pour quelques jours encore, il est protégé par l'attachement enthousiaste de la foule la résurrection de Lazare exalte les espérances des Juifs c'est l'entrée triomphale à Jérusalem et dans le temple les pharisiens s'en irritent en vain. Jésus n'a plus rien à ménager il voit la mort en face, c'est l'aube du salut du monde. « L'heure est venue, que doit être glorifié le Fils de l'homme. Maintenant c'est le jugement de ce monde maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors; et moi, quand j'aurai été élevé de iS. C'est la réponse des pharisiens à l'aveugle-né {Jean, IX, 29); c'est aussi celle qu'ils opposent aux interrogations pressantes de Jésus au sujet de la mission de Jean Baptiste et de son origine divine « Nous ne savons pas » (Marc, XI, 38).

terre, j'attirerai à moi tous les hommes » (Jean, XII, 23-3 1-32). Cette foule qui l'acclame va, dans quelques jours, réclamer sa mort ce sera l'apostasie du peuple mais de ce grand égarement bien des Juifs se repentiront, à la prédication des apôtres. Tout cela, Jésus l'a devant les yeux pendant les derniers jours de sa vie il parle, et il sait que ses paroles ne passeront pas. Dans la parabole des vignerons, il expose plus clairement qu'il ne l'a jamais fait, et la transcendance de son origine divine, et le dessin homicide des chefs du peuple, et le châtiment de la nation « Je vous le dis, le règne de Dieu vous sera enlevé, et sera donné à une nation qui lui fera porter ses fruits » (Mt., xxi, 43). « Que signifie ce qui est écrit: La pierre qu'ont rejetée ceux qui bâtissaient est devenue la pierre, le faîte de l'angle. Quiconque tombera sur cette pierre sera brisé et celui sur qui elle tombera sera réduit en miettes(Luc, xx, 17). Ainsi aux yeux des Juifs hésitants apparaît dans sa majesté terrible ce Fils de l'homme dont ils n'avaient jusque-là connu que l'humble douceur. Ces traits s'accusent encore davantage dans la malédiction des pharisiens (Mt., xxni), dans la prédiction des catastrophes suprêmes (xxiv), dans le tableau du jugement dernier (xxv). Mais c'estl'amour encore qui dicteau Sauveur ces avertissements sévères les invectives contre les pharisiens s'achèvent dans un sanglot « Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-je voulu réunir tes enfants comme une poule réunit ses poussins sous ses ailes, et vous ne l'avez pas voulu Voici qu'on va vous laisser votre maison déserte » (Mt., xxiii, 37-38). Si on arrête à la veille de la mort de Jésus cette étude de l'évangélisation des Juifs, il semble qu'un si grand effort a été presque stérile certes, l'enthousiasme a été ardent, et parfois sa -flamme a gagné le peuple entier, soit en Galilée, soit même à Jérusalem mais cette flamme est tombée aussitôt au lendemain de la multiplication des pains, c'est Capharnaüm cinq jours après l'hosannah des rameaux, c'est le toile. Les

apôtres eux-mêmes ont vivement senti cet échec « II est venu chez lui, et les siens ne l'ont pas reçu. » Pour saint Jean (xn, 38), comme pour saint Paul (Actes, XXVIII, 26-27), comme pour le Christ lui-même (ML, xm, 14-15), cette incrédulité des Juifs c'est le mystère d'aveuglement prédit par Isaïe (vi, 8-10). Toutefois, dans ce peuple rebelle Dieu a trouvé de vrais disciples, qui peu à peu vont former l'Église naissante. La parole du Christ, dont l'écho a semblé si tôt s'éteindre, va retentir dans leurs cœurs et sera portée par eux dans le monde entier la bonne nouvelle deviendra l'évangile. Ce sera l'œuvre du Saint-Esprit « Je vous ai dit ces choses tandis que je demeurais près de vous mais le Paraclet, l'Esprit-Saint, que le Père enverra eu mon nom, c'est lui qui vous enseignera tout, et vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit (Jean, xiv, 25-26). Ainsi le ministère de Jésus, même auprès des Juifs, a le caractère d'une préparation il a semé dans les larmes les apôtres récolteront dans la joie. Si les Juifs avaient été dociles, le règne de Dieu leur eût été confié comme à des intendants fidèles, et ce peuple, dont le prosélytisme était si ardent, fût resté le peuple de Dieu et fût devenu le peuple missionnaire, chargé de répandre dans le monde entier l'évangile apporté sur terre par le Fils de Dieu. Ils ont repoussé cette mission et ont été déchus de cette gloire le règne de Dieu a été donné à d'autres. Le motif de cette infidélité et de cette déchéance est manifeste l'orgueil national des Juifs n'a pas souffert la perspective d'un royaume de Dieu ouvert à tous ils ont prétendu s'en réserver le privilège ils en ont été chassés. Cette disposition providentielle, exposée par saint Paul, apparaît déjà surtout dans l'épître aux Romains, ix-xi clairement dans l'évangile nous en avons déja reconnu quelques traits, particulièrement dans la parabole des vigne16.

Cf. Ch^rue, l'Incrédulité des Juifs, il.

2«Si -33z.

rons. Nons la comprendrons mieux en considérant brièvement l'évangélisation des païens, telle qu'elle a été voulue et prédite par Jésus. Le ministère de Jésus s'est, nous l'avons vu, restreint à l'évangélisation des Juifs « Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël » (Mt., xv, 24) quand il envoie les apôtres en mission après les avoir groupés autour de lui, son premier mot est « N'allez pas chez les gentils n'entrez pas dans les villes des Samaritains mais allez plutôt aux brebis perdues de la maison d'Israël » (Mt., x, 5-6). Cette réserve apparaît plus manifestement intentionnelle si l'on se rappelle le mélange des races en Palestine ces villes païennes et samaritaines, on les trouve partout sur son chemin si l'on n'y entre pas, c'est qu'on les évite de dessein formé. Les quelques relations que Jésus a eues personnellement avec des paiens accusent la même réserve le centurion de Capharnaiim n'ose pas se présenter lui-même envoie des Juifs qui le recommandent chaudement « Il est digne que tu lui accordes ce qu'il te demande car il aime notre nation et c'est lui qui nous a construit la synagogue » (Luc, VII, 5). La Cananéenne qui vient demander la guérison de sa fille, est d'abord renvoyée par les apôtres et écartée par Jésus (Mt., xv) les Grecs qui sont venus à Jérusalem pour la Pâque et qui veulent voir Jésus n'osent pas l'aborder directement ils expriment timidement leur désir à Philippe, « qui était de Bethsaïde de Galilée)) Philippe avertit André, et tous deux présentent la requête à Jésus (Jean, xn, 20-22). Tous ces faits sont significatifs ils marquent clairement que les prémices de l'Evangile appartiennent aux Juifs mais ils font comprendre aussi que les païens doivent être, après les Juifs, appelés au royaume de Dieu. C'est déjà ce qu'on entrevoit dans l'épisode de la Cananéenne, dans la réponse apparemment sévère qui lui est faite par Jésus « Laisse d'abord les enfants se rassasier» (Marc, vu, 27) c'est ce qui est expressément déclaré par le Christ quand il admira la foi

il

du centurion de Capharnaüm, et dit à ceux qui le suivent « En vérité, je vous le dis, je n'ai trouvé chez personne en Israël une telle foi. Et je vous le dis, beaucoup viendront de l'Orient et de l'Occident, et prendront place à table avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des cieux, tandis que les fils du royaume seront jetés dans les ténèbres extérieures » (Mi., vin, 10-12). Une prophétie semblable est faite par Jésus aussitôt après la démarche des Grecs rapportée par Jean, xn, 2022 « L'heure vient où le Fils de l'homme doit être glorifié en vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé ne tombe en terre et n'y meurt, il reste seul mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit". C'est maintenant que ce monde est jugé c'est maintenant que le prince de ce monde va être jeté dehors et moi, quand j'aurai été soulevé de terre, j'attirerai tous les hommes à moi » (xn, 23. 24. 3i. 32) 1S. Au reste, tout l'enseignement de Jésus tendait là il est vrai que c'est aux Juifs qu'il est adressé d'abord mais, dès les premières prédications du Christ, il a le caractère d'une religion universelle ce qui lui imprime avant tout ce caractère, c'est la foi au Père céleste tous les hommes sont ses enfants, il les aime tous, et, à son exemple, le chrétien doit les aimer tous il n'y a plus d'ennemi pour lui le Samaritain même est son prochain I9. Quiconque s'engage courageusement dans Ainsi que l'interprète saint Augustin, ce grain devait « mourir par l'infidélité des Juifs et être multiplié par la foi des gentils » (in Joann., tract. 5i, 9- P. L., 35, 1766). 18. Dans une de ses premières prédications, à Antioche de Pisidie, saint Paul dira aux Juifs qui le repoussent: « II fallait vous annoncer à vous d'abord la parole de Dieu mais, puisque vous la repoussez et que vous vous jugez indignes de la vie éternelle, voici, nous nous tournons vers les gentils » (Actes, XIII, 46). A coup sûr, l'universalité du salut n'est pas douteuse pour saint Paul (v. p. ex. Rom., x, 11-13), mais ce salut est offert « d'abord au Juif, puis au Grec » (Rom., I, 16). C'est déjà l'enseignement de saint Pierre dans un de ses premiers discours de Jérusalem (Act., III, 26). 19. Cf. Grmjdmaison, Jésus Christ, I, p. 393 « Au lieu de se restreindre à un groupe ethnique uni par le lien du sang ou chichement entrebâillé aux prosélytes capables de prendre sur eux tout le fardeau 4e la Loi, y compris la circoncision, la nouvelle justice voit un frère 17.

cette voie, quiconque s'efforce de « devenir le fils du Père céleste, qui fait luire son soleil sur les méchants et sur les bons, et répand sa pluie sur les justes et sur les injustes », ne peut plus limiter son amour à ses frères, comme le font les païens il doit être parfait comme son Père céleste. Ici encore apparaît la pédagogie de Jésus il convertit en même temps qu'il enseigne dans ce judaïsme palestinien, où les rivalités ethniques étaient si jalouses, si passionnées, on ne pouvait, sans les convertir d'abord, faire comprendre aux Juifs l'universalité du message évangélique une seule force pouvait les soulever jusque-là, c'était l'amour du Père céleste, le Seigneur unique de tous les hommes c'est de là que saint Paul partira plus tard « Il n'y a pas de distinction de Juif et de Grec, car le même Dieu est le Seigneur de tous, répandant ses richesses sur tous ceux qui l'invoquent » (Rom., x, 12). Les auditeurs du Christ sentent bien où tend cette prédication, et c'est là ce qui les révolte c'est pour cela que les gens de Nazareth veulent se saisir de Jésus et le mettre à mort, et que les pharisiens de Jérusalem s'indignent de lui entendre dire que la vigne leur sera enlevée pour être donnée à d'autres vignerons qui lui feront porter ses fruits. Du vivant de Notre Seigneur, ces grandes perspectives restent ordinairement voilées Jésus, par les dispositions religieuses qu'il inspire, prépare les cœurs à la prédication universelle de l'Evangile il la fait entendre parfois par quelques traits de ses paraboles 20 ou par quelques brèves sentences mais ce ne sont que des indications discrètes et rares. Saint dans tout homme vivant dans le rustique ignorant des finesses de la Torah, dans le publicain profiteur et méprisé, dans le païen détesté, et jusque dans ce faux-frère qu'est le Samaritain. Le prochain va jusque-là. » 20. Le champ ensemencé par le Fils de 1 homme c'est le monde (Mt., XIII, 38) la parabole du grain de sénevé et celle du ferment font entendre l'expansion du règne de Dieu la parabole du festin nuptial (Mt., XXII, 1-14) fait entendre l'infidélité des Juifs et, après leur punition, la vocation des gentils (8-10).

Thomas, expliquant la réserve du Seigneur vis-à-vis des païens, donne entre autres raisons 21 celle-ci, que Jésus voulait par là enlever aux Juifs tout prétexte à calomnie cette intention, marquée déjà par saint Jérôme (w Mt., 10), fait bien entendre l'attitude prudente du Maître non seulement il n'accorde son ministère qu'aux Juifs, mais il ne révèle que très discrètement l'extension future de l'évangile. Aux derniers jours de sa vie mortelle, ses prédictions sur ce point sont plus claires on les relève dans le festin de Béthanie (Mc., xvi, 9 Mt., xxvi, i3), dans la parabole des vignerons (Mc., xn, 9) et surtout dans le grand discours eschatologique (Mt., xxiv, 9-14 Luc, xxi, 24}. Après la mort et la résurrection du Christ, l'heure est venue de l'évangélisation du monde entier la parole de Jésus n'est plus une prophétie, mais un ordre « Toute puissance m'a été donnée au ciel et sur terre. Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, leur apprenant à garder ce que je vous ai commandé. Et voici que je suis avec vous, tous les jours, jusqu'à la consommation du siècle » (Mt., 28, XXVIII-20). Le Fils de Dieu est, par droit de naissance, Maître et Roi du monde 22 il l'est aussi par droit de conquête Il s'abaissa, se faisant obéissant jusqu'à la mort, et la mort de

«.

aimera à relire sur cette réserve du Seigneur vis-à-vis des païens, saint Thomas, III*, qu. ;2, art. 1 Conveniens fuit praedicationem Christi tam per ipsum quam per apostolos a principio solis ludaeis exhiberi. Primo quidem ut ostenderet per suum adventum impleri promissiones antiquitus factas Iudaels, non autem gentilibus. Secundo, ut eius adventus ostenderetur esse a Deo. Quae enim sunt a Deo ordinata sunt, ut dicitur Rom., xill, 1. Hoc autem debitus ordo cxigebat, ut ludaeis, qui Deo erant propinquiores per fidem et cultum unius Dei, prius doctrina Christi proponeretur et per eos transmitteietur ad geute=. Tertio, ut ludaeis auferret calumniandi materiam (cf. Hier., in Mt., 10). Quarto, quia Christus per crucis victoriam meruit potestatem et dominium super gentes. Apoc., II, 26; Phil. 11,8. Et ideo alite passionem suam noluit genttbus praedicari suam docsed post passionem dixit discipulis Mt., xxvm, 16 cf. Jo., tnnam 21. On

XII, 24. » 22.

«

C'est l'enseignement de Jésus lui-même dans la parabole des

la croix. C'est pourquoi Dieu l'a exalté et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse aux cieux, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue confesse que Jésus Christ est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père » (Phil., 11, 8-n) « il est digne, l'Agneau immolé, de recevoir la puissance et la richesse et la sagesse et la force et l'honneur et la gloire et la louange» (Apoc., v, 12). Cette gloire du Christ, achetée par son sang, est celle qui apparaît dans ces paroles de Jésus ressuscité par la vertu de sa passion il a conquis sur le monde entier un droit nouveau il l'exerce en envoyant à toutes les nations ses apôtres. Quand il marchait à la mort, Jésus saluait son supplice comme son exaltation il allait désormais attirer à lui tous les hommes (/m., xh, 32) l'heure en est venue. Et, parce que le don du Père ne peut être frustré, Jésus sait qu'il a désormais cause gagnée « C'est maintenant le jugement du monde c'est maintenant que le prince de ce monde est jeté dehors » (xn, 3i). « Ayez confiance, j'ai vaincu le monde Il (xvi, 33). Il n'y a rien de plus saisissant dans l'évangile que cette assurance triomphale de Jésus au soir de la Cène, dans dont un traître cette salle où ses douze apôtres sont seuls renfermés avec lui. Une heure plus tard, c'était l'agonie, puis l'arrestation, « le Pasteur frappé et les brebis dispersées » tout semblait perdu, et c'est alors que tout était sauvé. « Il a effacé l'acte qui portait notre condamnation il l'a fait disparaître en le clouant à la croix il a dépouillé les principautés et les puissances, et les a livrées publiquement en spectacle, en triomphant d'elles(Col., 11, 14-16). Et ce triomphe a délivré la gentilité captive. Confiants dans cette assurance de Jésus et dociles à son ordre, les apôtres vont recueillir les fruits de sa mort. JULES

LEBRETON.

vignerons cet enseignement sera repris et développé par saint Paul, Col., i. i3-2O, cf. Hebr., i, i-5.

LES IDÉES DE CLÉMENT D'ALEXANDRIE SUR L'UTILISATION DES SCIENCES ET DE LA LITTÉRATURE PROFANE'

Ce travail se propose d'éclairer un point particulier de l'histoire, déjà tant étudiée, des rapports du Christianisme et de la pensée antique.- Il ne s'agit pas ici d'aborder le problème complexe des influences possibles exercées par l'Hellénisme sur le Christianisme à ses débuts mais, plus simplement, d'étudier l'attitude d'un penseur chrétien du troisième siècle commençant en face de la culture profane, de voir comment il l'a appréciée et jugée, dans quelle mesure il a cru

pouvoir s'en servir. Clément d'Alexandrie est ici pour nous un témoin de choix. Cet Athénien philosophe avait longtemps erré à la recherche de la vérité avant de la rencontrer dans le christianisme et quand il adhéra définitivement et, on peut en être sûr, de toute son âme, à la foi nouvelle, il ne renonça à aucune des richesses dont au cours de son pèlerinage s'était accru son trésor. En devenant chrétien, il reste philosophe, passionnément épris de philosophie. Il est un des premiers à cesser de maudire l'hellénisme, il veut au contraire incorporer l'hellénisme au christianisme et enrichir celui-ci de toutes les ressources de celui-là. C'est que l'Église, au cours du deuxième siècle, s' était largei. Il nous est très agréable, au début de ce travail, d'exprimer toute notre reconnaissance à M. l'abbé G. Bardy, qui en a été l'inspirateur, à M. A. Puech, qui a bien voulu le diriger, au R. P. Lebreton, qui l'accueille aujourd'hui avec tant de bienveillance.

ment répandue, et dans tous les milieux. Tertullien l'a dit assez haut, et avec assez de fierté2. La prédication de l'Évangile ne s'adresse plus seulement aux humbles, aux petits, aux pauvres. Il y a maintenant des riches parmi les chrétiens, et cette société déjà nombreuse ne s'accommoderait plus de la communauté de biens primitive. Il y a parmi les chrétiens des savants, des philosophes, auxquels ne suffirait plus la foi commune ils ont gardé de leur origine le désir d'une connaissance supérieure, ésotérique, et aussi d'une connaissance organisée, systématisée 3. Clément fut l'homme qui répondit à cette double nécessité il avait posé et résolu le problème pratique de l'usage des richesses il posa et résolut aussi le problème théorique de l'utilisation des richesses intellectuelles du paganisme*1. Et ce qui fait ici son originalité, et qui sera l'objet propre de cette étude, c'est qu'il ne se contente pas de garder à la science et à la philosophie toute sa chaude sympathie, de les utiliser largement, de s'en servir pour essayer d'édifier la première synthèse théologique, il voulut, semble-t-il, justifier cette attitude et en faire la théorie. Ce sont ces théories de Clément sur l'utilisation de la culture profane que nous allons essayer de dégager des passages où les a éparpillées la fantaisie de l'auteur, en tâchant de les préciser, de les identifier, d'en déterminer l'origine et la portée véritable. Il ne faut d'ailleurs pas se dissimuler la difficulté de l'entreprise, surtout quand il s'agit d'un auteur comme Clément. Qui nous dira, d'une façon décisive, si les Stromates, en toutes leurs parties, représentent toujours bien la pensée exacte de leur auteur, si Clément prétend incorporer à sa

Tert., Apologet. 37,

Scapulam, 5. 3. Cf. Lebreton, le Désaccord de la foi -po-pulaire et de la théologie savante dans l'Église chrétienne du troisième siècle. (Revue d'Histoire Ecclésiastique, xix, iç>23, pp. 481-506; xx, 1924, pp. 5-37). Cf. W. W.Wagner, WAGNER, t~f~ Wert MH~ und ~K'<MM~ Griechiscken Bildung Verwertung der C~<-A<.fC~K FtMMM~ 4.Cf. im Urteildes Klemens voit Alexandria. (Zeitsckrift fur wissenschaftliehe Theologie, +5, 1902, p. 213.) 2.

4.

J.

Ad

doctrine les fragments disparates, les « blocs erratiques », dont on a pu déceler la présence dans les Stromates5, ou si ceux-ci ne sont pas par endroits des recueils d'Extraits, des Excerpta, des Eclogae, où peuvent se retrouver des opinions complètement étrangères à la véritable pensée de Clément ? Une chose pourtant pourra nous éclairer, en dehors des textes de Clément lui-même ce sont les témoignages qui nous renseignent sur la façon dont on utilisait l'hellénisme à Alexandrie. Et ce sont ces documents eux-mêmes qui nous aideront à tracer le plan général de cette étude. Nous savons par Origène que Pantène avait eu à cœur d'étudier « les enseignements des hérétiques, et ce que les philosophes font profession de dire sur la vérité0 » et qu' a il n'en avait pas retiré un médiocre avantage pour son enseignement ». Pantène avait donc donné à son disciple l'exemple de cette large culture, utilisée comme préparation, irapaerneuri, à l'enseignement de la théologie. D'autre part, nous savons par Grégoire le Thaumaturge quel était le programme que suivait Origène dans ses leçons de Césarée « C'était d'abord la physique, tpucrio'Xoytapuis ce que Grégoire appelle -rà tmv îcpwv uad'/ju.sitTCdv, c'est-à-dire la géométrie et l'astronomie puis t«i Ôet'aç âpsrà; rà^ rcepl -/iôo;, c'est-à-dire l'éthique et pour finir, la théologie et la méta-

physique'.

»

5. Cf. P. WENDLAND, Quaestwnes

monianae, De Musonio Stouo démentis Alexandrini alioruinque auctore. Berolmi, 1886. W. CHRIST, Philologischen Studien su Klemens Alexandrinus. Munchen, 1900. W. BOUSSET, [udisch-Christliche Schulbetrieb in Alexandria und Rom. Literarisclae Untersuchungen su Philo und Klemens voit Alexandria, Justin und Irenaetes. Gottingen, 1915. 6. Dans EUSÈBE, H. E. VI, 19. Cf. Clément, Strom. I, 11 Ed StàllllD, II, p. 9 X00OT|TlX0U TE Jta'tàxOdToXlXOUÎ.ELU.lôVOÇxàâv6lTlBf£TO(iEV9Ç. 7. GREG. Thaum. Aôyoç -/«pKTTflptoî, 7-13. P. G., X, 1049 ss. – Cf. B«iF. PRH, Projets littéraires de DENHEWER, G. A. K. L., 11, 7; cf. J2i. Clément d'Alexandrie, R.S.R. 1928, p. 235. Ce résumé du passage en question du Discours de Grégoire est M

Nous n'avons aucune raison de croire que l'enseignement d'Origène n'était pas le même à Césarée qu'à Alexandrie, ni qu'il ait sur ce point modifié les traditions de son maître Clément. Car celui-ci, s'il faut en croire les divisions de son grand ouvrage, Protreptique, Pédagogue, Stromate, devait suivre une méthode analogue 8. Et c'est précisément un programme semblable qu'esquisse Clément en divers endroits des Stromates, particulièrement dans le sixième, où il montre quel est l'avantage de VlfvjY.'kioç -rraiSsta tout l'ensemble des connaissances humaines orientées vers la philosophie, et la philosophie conduisant à la vérité révélée, à la théologie les connaissances « encycliques » aident l'âme qui cherche à trouver la foi la philosophie aide l'âme qui croit à trouver la gnose9. Nous nous bornerons, en cet article, à la première partie de ce programme, l'utilisation de Yif/.w.'Xuxz iraiàeta. Mot et la.CiLOSe A plusieurs reprises, Clément emploie, pour parler de la culture générale dont il désire que s'enrichisse son gnostique, le terme d'syxuy-'X.t.oç xatSeta. En l'absence d'index complet de Clément, on ne saurait prétendre donner une liste exhaustive des passages où Clément emploie ces termes. En voici quelques-uns on en pourrait sans doute trouver bien d'autres Strom. I, 30; t. II, p. 19, sy*. ti.aGvipt.aTa. Strom. I, 93; t. II, p. 60, – Ttaiôst'a. Strom. I, 99; t. II, p. 63, Strom. II, 2; t. II, p. 114, Strom. III, 5; t. II, p. 197,

I.

'Eyxû/Xioç TO«&eia, Le

– – – – – –

emprunté à F. BoULENGER, Grégoire de Nasiame, Discours Funèbres. (Textes et Documents. Paris, 1908), p. lxxvih sq. Grégoire de Nazianze avait suivi à Athènes, avec Basile et Césaire, le même cycle d'études; cf. Éloge de Césaire, V (Ed. Boulenger, pp. 12 ss.); Éloge de Basile, XXIII (Ed. Boulenger, pp. io6 ss). 8. Cf. Bardeshewer, GAKL, II, p. 41, note 3. 9. Strom. VI, 91 II, p. 477. duvspfà toî'vuv t% stÀoootptor; tx |Aa6-)î|a-a, xki «ùtJjtj 'fiXoaoola dç to ttcst àl-r^Etaç Sia^aëEiv, et Strom. I, 3o II, p. (d'après Philon, v. ci-dessous). 19

Strom. VI, 83; t. II, p. 473, t«ç (xotôviastç ta; 1-x. Strom. VI, 94; t. II, p. 479, t$|v è-ptwc).iov. Strom. VII, 19; t. III, p. 14, kyx. icasos-'a10.

Il n'est peut-être pas sans intérêt de dire que ce n'est pas bien longtemps avant Clément que le mot èyxuyAto? avait commencé à désigner l'ensemble des connaissances qui constituaient l'instruction « classique ». On le trouve déjà chez Denys d'Halicarnasse, chez Strabon, chez Philon d'Alexandrie; et il n'est pas sans intérêt de souligner l'usage que fait Philon de ce terme car précisément on peut noter que Clément fit ici à Philon des emprunts nombreux, qui vont souvent jusqu'à l'imitation Le mot se retrouve à Rome chez Vitruve plus tard chez Pline l'Ancien, Quintilien on le rencontre plusieurs fois chez Plutarque, chez Lucien, chez Athénée. Parmi les chrétiens, on peut citer Origène et Grégoire de Nazianze une scholie d'un manuscrit de saint Basile, reproduite au passage indiqué de l'édition de Bâle de Grégoire de Nazianze, explique ce mot en des termes qui nous ramènent à Clément pour le scholiaste, èyy.u/Aioç rouSeuciç, c'est l'ensemble de toutes les sciences et de tous les arts, grammaire, poésie, rhétorique, philosophie, mathématiques, que le sage doit parcourir, wcrcep àia tivoç xuxtau 12. Ce « cycle de toutes les connaissances, que doit parcourir le sage », c'est bien ce que Clément propose à son gnostique,

littérale11.

idée

EXXrp/txî) îiatio. D'autres termes encore expriment la même 'EMnjvutSi p.a(hj[urta oeîa Strom. I, 29, VI, gi t. II, p. 18, 478. 'EMaivtjcn -/pï;(TTO^.a8:a Strom. I, 17 t. II, Strom. VI, 89 t. II, p. 476. p. 12. IIoXufi.aOta Strom. I, 26 t. II, p. 14. «DcXojjiaOta Strom. VI, 'EiX-rçvtx1}) 7rpoi:aiSeîa Strom. I, 3; t. II, p. 24. 89 t. II, p. 476. 'EXXrjvixtôv ÔTroS£iY(Jt.aTa Strom. 1, 44 t. II, p. 29. 'EXÎ.tivix'ï) 8t8ot




–III, LVIII,

167.

Vitro ve, praef. lib. VI. PLINE L'ANCIEN, H. N. praef. 14. – QUINTILIEN, I, 10. Plutarque, Moral., p. n35 E;Alex.,p. 219, C. 7; Moral., 7 E. – LUCIEN, Amor. C. 45. Athénée, I, p. 1C; IV, 12.

p.

ce sont toutes les sciences de son temps. Il les énumère plusieurs fois, et ses listes coïncident avec celles de Grégoire le Thaumaturge, de Grégoire de Nazianze, du scholiaste de saint Basile. Voici, par exemple, au sixième Slromate, un long passage, que nous commenterons plus loin, sur ce que peut emprunter à chaque discipline le chrétien qui s'exerce à la gnose « Ainsi, il (le sage) se consacre aux exercices qui le préparent à la gnose, et emprunte à chaque discipline, irap' l/sasTou (Aaôvj[/.aT0Çj ce qui est utile à la vérité »,et il énumère ainsi la musique, l'arithmétique, la géométrie, l'astronomie, la dialectique". Ailleurs u, commentant Exode, 28, 3 « Tu parleras à tous les sages, toïç uoçoiî tîj Siavoia, ceux que j'ai remplis de l'esprit d'intelligence, icvdjpia «îoQvfdeuç », il énumère les arts et les sciences. Les artisans sont les cïoçqI tti «ïtowowc, les savants ont

reçu de la sagesse souveraine le icveû|jw atoÔTloeu»;15. Voici d'ailleurs tout le passage « Ceux qui s'occupent des arts manuels jouissent de sens particulièrement développés c'est l'ouïe pour celui qui est appelé communément musicien, le toucher pour le modeleur, la voix pour le chanteur, l'odorat pour le parfumeur, la vue pour celui qui grave les empreintes des cachets. Mais ceux qui s'adonnent aux arts libéraux, oî âjwpl tîïv iraio'eiav oiecTpijJov-re;16, ont reçu en partage l'intelligence ouvaiofhxjtç, grâce à laquelle les poètes s'attachent aux mètres, les sophistes au beau langage, les dialecticiens aux syllogismes, les philosophes à leurs spéculations particulières. » Origène, Contra Celsum, III, 58; M. G. p. 184 B; XIII, p. 588 A. XI, 997 B. Philocalia, C. r3. Ef. ad Greg. M. G. XI, 88. GREG. NAZ. in Basil. XII, 2 éd. Boulenger, p. 82. Basil., p. 79, 14, éd. de Bâle. Cf. SUIDAS, éd. Gaisford, I, 1139. Cf. encore ZONARAS, p. 600. 13. Strom. VI, 80; t. II, p. 471. 14. Strom. I, 26; t. II, p. 17. 15. Alors que dans le texte, xfathistc veut dire intelligence, Clément le prend ici pour sensation^ organe et opération d'un sens et l'oppose à 30*{a, Stavota, auvott
16. Sur ce sens de •KtuZsla, cf. PLATON, Gorg. 470 e.

Ce qu'il faut remarquer ici pour notre propos, c'est ce mot de rociÂsia désignant en bloc tout l'ensemble de la culture

intellectuelle. Ailleurs, c'est seulement un groupe restreint de disciplines qu'il énumère. Ainsi, s'inspirant de Platon", il oppose à la philosophie, science de la vérité, les autres sciences qui ne sont que des chemins vers la vérité 18 « La philosophie n'est pas dans la géométrie, avec ses postulats et ses conséquences, ni dans la musique, purement conjecturale, ni dans l'astronomie, empêtrée dans l'observation de phénomènes matériels, passagers, et dans des théories simplement vraisemblables elle est la science du vrai luimême et de la vérité. » Voici encore une de ces listes incomplètes, où l'on s'étonnera un peu de trouver, à côté des mathématiques, la magie mais nous sommes en Egypte, et à peu près à l'époque d'Apulée 19 « En conséquence, il faudra parler rapidement, dans la mesure où elle est utile, de ce qu'on appelle éducation encyclique de l'astrologie et des mathématiques, de la magie et de la sorcellerie c'est que tous les Hellènes se rengorgent à leur propos, comme si c'étaient de grandes sciences 20. » 17. République, 5, 475 d. e. 18. Strom. I, ç3 II, p. 5g-6o. Voir sur ce sujet, G. Bardy, Origène 19. Strom. II, 2; II, p. 114. et la Magie, R.S.R- 1928, n° 1, surtout pp. 1285 i32-i33. Sur l'astrologie, un curieux passage de Clément (Strom. VI, 147-148; II, p. 507-508) est Sur à rapprocher du texte d'Origène que M. Bardy cite p. i3i.

l'opposition à la magie dans le christianisme, cf. HARNACK, Mission, I, p. 255. 20. Voir encore Strom. I, 43 II, p. 20 '/p-r^TOjiaO^ spr^t tov itâvra hr.\

ôstt

àX^Oeiftv àv«.ojo:pia; ocùttjç Speicô^Evovxb yç>rj<j'.y.oi àvsmêoûXguTov cpu^âirs^v

T-J)v

Tf[V

îtl'dTÎV.

La même chose un peu plus loin, 44, à comparer avec Platon Gorgias, 465 C. (éd. A. Croiset, p. 134).

L'Utilisation de

II.

l'E-pcuxluoç iwttàeta.

Eî; ocst îu^pïiffxoç cette restriction nous amène à nous demander quel usage Clément veut que l'on fasse de ces connaissances. C'est qu'il ne les envisage que du point de vue

d'un utilitarisme assez étroit. Sans doute on devine que ces connaissances lui plaisent, qu'il s'y intéresse vivement, qu'il s'en amuserait même volontiers et bien inconsciemment peut-être, il en fait parfois étalage cependant il ne veut pas être un dilettante; la science pour lui n'aqu'un but, servir à la vérité, à la philosophie Tïap'éKacrrou fi.KOijp.aTo; tô irpôi<popov Tvj àV/iOîia îvatxëàvaiv. (Strom. VI, 80 II, p. 471.) Il le déclare expressément, un peu plus bas que les lignest que nous venons de citer « II faut éviter ce qui ne sert rien, ce qui consume le temps d'une manière stérile. La science du gnostique est pour lui un exercice préparatoire à la possession exacte de la vérité, autant du moins que cela est possible, et à la réfutation des discours sophistiques qui empêchent le progrès de la vérité. Il ne négligera donc rien de ce qui appartient aux connaissances encycliques et à la philosophie grecque, mais il ne les étudiera pas comme essentielles il les regardera, quoique nécessaires, comme secondaires et accessoires. Ce dont les artisans de l'hérésie font un usage trompeur, le gnostique l'emploiera pour le bien 20 hts. » Et encore « La gnose n'est pas davantage le produit d'un art, ni de ceux qui visent au gain, ni de ceux qui soignent l; corps elle ne provient pas non plus de l'éducation encyclopédique il est déjà beau que celle-ci puisse préparer l'âme et

à

la servir 20 ter. » Il ne faut donc pas s'attacher aux sciences pour ellesmêmes, car la philosophie est la maîtresse, les sciences ne sont que les servantes bis. Strom. VI, 82, 83; II, p. 473. Trad. G. BARDY. Clément d'Alexandrie [Les moralistes chrétiens, textes et commentaires. Paris, 20

1926], p. 266.) 20 ter. Strom.

Strom. VI,

89

VII, 19; III, p. II, p. 476.

14.

Trad. Bardy, p. 91. Cf. aussi

Quand l'Écriture dit

ne fréquente pas trop l'étrangère21, elle nous invite à nous servir de la science mondainetti xocfu>«) Ttaiiïeia, mais à ne pas nous y arrêter, à ne pas nous y attacher car les ressources données à chaque génération selon les circonstances convenables préparent la parole divine; mais certains, pris au piège par les charmes des servantes, ont oublié la maîtresse, la philosophie, et ont vieilli honteusement, ceux-ci dans la musique, ceux-là dans la géométrie, d'autres dans la grammaire, un grand nombre dans la rhétorique. Mais de même que les sciences encycliques concourent à la philosophie, leur maîtresse, ainsi la philosophie,elle aussi, coopère à l'acquisition de la sagesse. Ainsi la sagesse est la maîtresse de la philosophie, comme celle-ci l'est de la 22 » la science science préparatoire, •7vp''77auïua22. Et Clément développe longuement cette idée, en allégorisant l'histoire de Sara et d'Agar; au temps où Sara, c'est-àdire la sagesse, était stérile et sans fruit, it a fallu recourir à «l'étrangère », à la servante, Agar l'Égyptienne, c'est-à-dire à la « science mondaine », pour préparer les esprits à recevoir la vérité. « Evsgt'-v oùv irpo– a!suOevTa èirl tv;v àpyi-ccoTOcv/iv ooipiav lJ..I eXOeîv, «fiV,: tg I(ipa£7.iTi/.ôv ye'voç aîîÇeTai. » (îbid 3i p. 20.) C s trois pages sont inspirées de Philon 23; des passages entiers sont même copiés mot à mot; ainsi, entre autres, la jolie comparaison que nous avons citée ci-dessus yÎcÎyi yôp tivsç toïç cpilrpoiç Tiov fJEpa7aivi<ï(tw (îe^eacOév-Ei; wAtywprioav tvïç ^eciroiv/i?, «

1,

1

çiXoijOçixç,

-où Karey/ipacav,

y..t.

Un emprunt de ce genre n'a rien qui doive nous étonner de la part de Clément. Au surplus, nous pouvons ici toucher du doigt une des sources de la pensée de notre auteur. Ce n'est pas ui un de ces « blocs erratiques » auxquels nous faisions allusion plus haut. Si le développement est emprunté à Philon, Clément s'est réellement incorporé l'idée pour parler 21.Prov. 4, 20. 22. Strom. I,29; II,p.19.Cf. eruTSf^àxoîvuv ol)g(toï.«c xi ccÙty)v\ œo<7oç.ta eic tô thoï ïk-rfitMc 8;aXaë£Ïv. Strom. VI, 91 23. De Congressu eruditionis gratia, p. 77 sqq.

xat II, p. 477.

\L<x.br^La.-ca,

comme W. Bousset, il s'agit ici d'une pensée qui est « spécifiquement clémentine24 ». Elle se retrouve, en effet, en d'autres passages des Stromates, où rien n'indique que nous nous trouvions en présence d'Excerpta de Philon. Ainsi, à la suite du passage que nous venons de citer, mais en dehors de toute influence philonienne a La philosophie est une recherche de la vérité et de la nature des choses, mais la formation préparatoire (– poiras^Eia lyxuxlw; xai&eta) au repos dans le Christ exerce l'esprit et éveille l'intelligence25. » Négligeons le « repos dans le Christ », mais retenons les mots yujjLvo^etv et #ieysipeiv ils indiquent expressément le service que Clément attend de cette « propédeutique » Kpttizotièeia. il s'agit avant tout de préparer l'esprit, de le rendre plus souple, plus agile, plus apte à comprendre les

=

2 c

réalités supérieures Comment s'opère cette gymnastique intellectuelle, ces exercices d'assouplissement destinés à tenir toujours en éveil l'âme du gnostique, Clément l'explique longuement au sixième Stromate « II se consacre donc aux exercices qui préparent à la gnose, et emprunte à chaque discipline ce qui est utile à la vérité le gnostique recherche dans la musique la proportion Spezifisch clementinisch ». W. BOUSSET, Schulbetrieb, p. 225. C'est à propos d'un autre passage de Clément que M. Bousset emploie cette expression. 25. Strom. I, 3a t. II, p. 21 t^v te au upoTtaiSêiocv tï|ç èv XpiîjTw ivx24. «

•nauoecoî "fv\i.\
26. Nous retrouvons les mêmes termes un peu plus loin dans le Ier Stromate c'est la conclusion du passage analysé plus haut, p. 44, qui commente un texte du V° livre de la République. (Strom. I, 93 t. II, p. 60) oùS'àuTÔ; [Platon] tyjv ÈYxûxXtov irasSsîav auvxe^etv irp'bç xà^a:8ov îs'êwdt, auvepyeîv Si upôç tb S'.Eyeipeiv xal WY-fupMfâzw nobi ta vov^à t^v

..¡,uZ~v.

Ailleurs, c'était la même idée sous une autre image (Strom. I, 17 t. II, p. 12) àoé [loi xaiT^ç 'EMiTivtxîjî /pY,(TTO[i.a8tai; oxapiràçirpo'/topetTû». xaSbwrsp S' oî yewpyol itpoaposusavrsç tt|v y^jv, outw 5t, ko\ rçitstî Ttjl itOT<(Aa) ttôv 7tap

"Ettr^ \6'{<àv jtpoaoScûojAEV to yswSsç âuTwv.

dans les harmoniques; dans l'arithmétique, il remarque les progressions ascendantes et descendantes des nombres, les rapports des uns avec les autres, et la manière dont la plupart des choses dépendent d'une proportion dans les nombres dans la géométrie, il contemple la matière elle-même; il s'habitue à penser un espace continu et une substance immuable, différente de celle des corps l'astronomie le soulève au-dessus de la terre elle l'élève par l'esprit jusqu'au ciel elle l'entraîne dans le mouvement des astres elle lui fait décrire successivement les choses célestes, leur harmonie réciproque c'est d'elles qu'Abraham partit pour s'élever jusqu'à la connaissance du Créateur~. a Ces idées, que l'on retrouve exprimées en termes analogues chez Grégoire de Néocésarée~, Clément les développe longuement, en cherchant dans l'Écriture des exemples d'utilisation de ces différentes sciences Abraham fut astronome le même Abraham fut mathématicien~. Laissons de côté les considérations sur les compagnons d'Abraham, au nombre de 318, symbole de la rédemption du monde (3i8 == TIH T = ]a Croix; 'H = 't'/icoC~). Ces spéculations ne sont plus de notre goût mais Clément, comme ses contemporains, s'y complaît visiblement, et il transcrit tout au long une grande page de Philon sur le nombre 120, terme imposé par Dieu aux années de l'homme (Gen.,6,3).Ces considérations sur les nombres polygonaux, sur les progressions arithmétiques, géométriques, harmoniques, sur les dimensions et les proportions de l'arche de Noé, ne prouvent-elles pas que Clément s'intéressait vivement et sincèrement à ces sciences ? Ces spéculations, que sans doute il a glanées çà et là, il se les incor27. Strom. VI, 80; t. II, p. 4yt. Trad. Bardy, p. 63, modifiée. 28. Grég. Thaum-, cil., 8, P. G., X, 1078 C. t'f~ {t~, &<; &noëct9p
nabe, 9,

8.

il s'y attarderait volontiers "° mais le souci d'une vérité supérieure à atteindre le fait passer plus outre ytM~ETpMtt

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La musique, c'est David qui nous en donne l'exemple, dans ses psaumes et ses prophéties. Et à propos de l'harmonique et de la diatonique, du mode dorien et du phrygien, Clément allègue Aristoxène et prétend démontrer que c'est la musique « barbare c'est-à-dire juive, qui a servi de modèle à Terpandre pour son hymne àZeus. Et la cithare, n'est-elle pas le symbole de ceux qui laissent vibrer leur âme aux coups du divin musicien ? o! npocE~M~xpo~-rs; -r~ ~y<x<; wo jjt.oucTiyeT'/i T<~ XUO~M

Mais la musique, comme les autres arts libéraux, avait sans doute aussi ses adversaires parmi les chrétiens. Clément les réfute au moyen de considérations générales, qui peuvent s'appliquer à toute la culture grecque, et qui montrent combien il avait l'esprit large, ouvert, sympathique à tout ce qui est beau et utile, pour s'en servir comme d'une préparation, inteliectuelle, à la foi « Mais, à ce qu'il paraît, la plupart de ceux qui se font inscrire (les catéchumènes~, comme les compagnons d'Ulysse, abandonnent grossièrement la raison ce ne sont pas les Sirènes, mais le rythme et la mélodie près desquels ils passent en se bouchant les oreilles, par ignorance, persuadés qu'ayant une fois prêté l'ouïe aux sciences grecques, ils ne Au contraire, pourront plus trouver le chemin du retour. celui qui butine tout ce qui peut être utile à l'instruction des 3o. Cette curiosité universelle, toujours en éveil, parfois naïve et un peu enfantine, est un des traits les plus saillants et les plus attachants de la physionomie intellectuelle de Clément. Il est bien grec en cela. 3]. Strom. VI, 86; H, p. 474. 32. Strom. VI, 88; II, p. 475-476. C'est une chose assez curieuse, et bien significative pour notre propos, que cette épithète d'Apollon appliquée au Christ. Comparez les statues d'Hermès Cr;ophore, transformées en images du Bon Pasteur. Cf. G. BOISSIER, /"tM ~:< ~'a~aH~jn~, II, p. 44.

catéchumènes, surtout s'ils sont grecs (carau Seigneur est la terre et sa plénitude~ <), celui-là ne doit pas, à la manière des animaux sans raison, renoncer au désir d'apprendre il doit, autant que possible, ramasser partout ce qui peut aider ses auditeurs. Mais il ne doit s'attarder à ces matières que dans la mesure où il y trouve de l'utilité quand il a recueilli cet avantage, il doit pouvoir retourner à la véritable philosophie, après s'être procuré partout de solides et inébranlables arguments pour la foi. « Il faut donc s'attacher à la musique pour l'ornement et la parure du caractère » Laissons-le se reprendre encore une fois, et se résumer avant de conclure les formules sont d'ailleurs Intéressantes « L'astronomie a aussi son utilité. En nous faisant connaître les phénomènes célestes, la forme de l'univers, la révolution du ciel, le mouvement des astres, elle amène notre âme plus près de la puissance créatrice elle nous enseigne aussi le retour des saisons, le lever et le coucher des constellations. (la géométrie) rend l'âme extrêmement intelligente elle la dispose à reconnaître le vrai, à réfuter le faux, à découvrir les similitudes et les analogies, à poursuivre le semblable sous le différent, à trouver une longueur sans largeur, une surface sans profondeur, un point indivisible, à nous élever, d'un mot, des choses sensibles aux réalités intel-

ligibles"

D

Voici enfin, en conclusion de tout le passage, une formule,

23,

33. Ps. 34. Strom. VI, 89; II, p. 476. 35. Strom, VI, 90; II, p. 477. Trad. Bardy, p. 267.

A propos de

cette méthode, E. de Faye note très justement « C'est le programme d'études que trace Platon dans la République. Non seulement Clément adopte les mêmes disciplines, mais il veut que son gnostique les étudie dans l'esprit et de la manière que veut Platon. Comme celui-ci, le catéchète chrétien entend faire servir ces sciences à élever les esprits jusqu'aux idées éternelles, jusqu'à Dieu. C'est donc à la philosophie qu'il demande les moyens de hausser la pensée jusqu'à la contemplation de Dieu et du monde invisible. n De ~'(?~!g:M<~f de la ~t<7c.f
beaucoup plus nette sans doute et plus claire que tous les développements qu'elle résume, mais qui d'autant mieux met en relief la pensée de Clément

Ainsi les sciences collaborent à la philosophie, et la philosophie elle-même sert à saisir la vérité. n Et il continue par une image a Pareillement, la chlamyde était d'abord de la laine brute, puis on l'a cardée, elle est devenue du fil, une trame, enfin on l'a tissée. Ainsi il faut préparer d'avance l'âme, et la travailler de maintes façons, pour qu'elle soit excellemment disposée, il y faut beaucoup d'exercice, de gymnastique, et d'expérience~ «

Telle est la première tâche que Clément assigne aux sciences libérales former et préparer l'âme, l'aider d'une il en est façon positive dans son ascension vers la vérité une autre défendre contre les attaques de l'erreur et de l'incrédulité, la foi déjà possédée. Toutes les sciences peuvent servir à cette besogne apologétique Je dis que c'est un savant utile, ~pv,<7TO;-Mt67i!~ celui qui ramène tout à la vérité, et qui sait cueillir dans la géométrie, dans la musique, dans la grammaire, et dans la philosophie elle-même, tout ce qu'elles ont d'utile, afin de pouvoir garder la foi à l'abri de toute attaque, KvsTupouXeuTo~ » Mais c'est surtout la dialectique qui assumera cette tâche, la dialectique que Clément, après Platon, appelle « le couronnement de la science, puisqu'elle empêche les sophistes de fouler aux pieds la vérité~ ?. <[

l'École des Hautes Études, section des Sciences religieuses, p. 4). Cf. Rép., I. Noter, par ailleurs, la ressemblance de ces développements avec les « ascensions dialectiques )) du Banquet. 36. Strom. VI, gi; II, p. 477. 3~. Clément indique d'ailleurs nettement que leur ambition doit se borner à ce rôle de propédeutique elles ne sauraient prétendre atteindre la Vérité par elles-mêmes. Strom. VII, !0;III, p. !4(passage cité plus haut, p. 40). 38. Strom. I, 43; M, p. 29. 39. Strom. VI, 8t II, P. 472. Cf. ~?~. VII, p. 534 E. Sp'Miv Saxe? 0', M~v 6yt!),

MTtt~p 9p:Yx6; TO?; ~.K~~Ot~tV /j ~Ct~XTtX~ Tj~V STWM XHsOatt~

Notre gnostique saura donc beaucoup de choses et «. qui général de poursuivra la vérité distinguant

]!

est ce en ce qui est particulier. Car la cause de toute erreur et opinion fausse, c'est de ne pouvoir discerner par où les choses se ressemblent les unes aux autres, et par où elles différent. S'Lt l'on ne parcourt pas soigneusement les arguments suivant les définitions, on confond sans le savoir ce qui est général et ce qui est particulier, et fatalement on tombe par suite dans lu confusion la plus inextricable. La distinction des noms et des choses, dans les Écritures elles-mêmes, engendre dans les âmes une grande lumière car il est nécessaire de faire attention aux mots qui ont plusieurs sens, et de chercher ce qu'ils signifient réellement; c'est ainsi que se fait le juste discerne-

ment"

n

La clarté du style aide à la transmission de la vérité, et la dialectique empêche de succomber aux attaques des hérésies. L'enseignement du Seigneur a une valeur propre et se suffitlui-même, étant force et sagesse de Dieu. L'intervention de la philosophie grecque ne rend pas la vérité plus forte, mais elle rend impossibles les tentatives de la sophistique elle empêche les embuscades frauduleuses contre la vérité, et c'est avec raison qu'on la représente comme la palissade et le mur de la vigne. La vérité selon la foi est comme le pain nécessaire pour la vie la propédeutique ressemble à un supplément et à un dessert « le repas se terfriandise », selon le ThébainPindare".M « mine par une Et, dernier argument de Clément en faveur de la dialectique qui, comme la pierre de Lydie, sait distinguer l'or vrai du faux, la dialectique n'est pas œuvre de Satan puisque c'est par la dialectique que le Christ a pu réduire au silence le tentateur et ses sopbismes «

.10.

Sttom. VI, 82; H. p. 4~2,4~3. Trad. Bardy, légèrement modinée,

pp. s65, zoo. 4t. Strom. I, 99, too;H, p. 63.64. Trad. Bardy, légèrement modifiée, p. 52, 53. Pindare, fragm. t:4 C, Schrèder -,cf. Athénée. XIV, p. 64! C42. Ce n'est pas ici le lieu d'insister sur cette thèse de la philosophie, œuvre du démon.

Comment n'est-il pas nécessaire que celui qui désire atteindre la puissance de Dieu, puisse expliquer en détail les choses intelligibles ? Comment n'est-il pas utile qu'il puisse définir les termes ambigus, et les homonymes qui changent de sens suivant leur place dans la phrase? C'est par une expression amphibologique que le Seigneur mit le diable en défaut au jour de la .tentation. Et pour moi, je ne vois pas comment le prétendu inventeur de la philosophie et de la dialectique aurait pu se laisser égarer par une tournure équivoque~. f Nous pouvons négliger ces considérations peut-être aventureuses sur la tentation de Jésus mais il faut souligner et admirer les formules si nettes, et définitives, par lesquelles Clément a précisé le rôle que peuvent jouer les sciences et la L'en" philosophie dans l'acquisition et la défense de la foi seignement du Seigneur a une valeur propre et se suffit à luimême, étant force et sagesse de Dieu. L'intervention de la philosophie ne rend pas la vérité plus forte, mais elle rend impossibles les tentatives de la sophistique. e Clément a été le premier à envisager le problème que posent les relations de la science et de la foi et du premier coup, il l'a résolu. Il n'exagère pas le rôle de la science, il ne le minimise pas non plus; et sa réponse est si précise et si juste qu'à ces formules du troisième siècle, on ne pourrait, de nos jours encore, rien trouver à redire, rien non plus à ajouter. «

Utilisation de la rhétorique et de la sophistique

III.

Dialectique » nous avait entraînés presque jusqu'à la « Philosophie », bien au delà des « connaissances encycliques ». Il nous faut encore y revenir Clément, d'ailleurs, nous donne lui-même l'exemple de tels détours. w connaissances encycliques », ces sciences Parmi humaines vers lesquelles Clément se sent si vivement et si généreusement attiré, il en est une dont nous ne l'avons pas La

<

ces

43. Strom. I,

44

II,

p. 29.

Trad. Bardy, p. 63.

encore entendu nous parler. C'est la science, ou plutôt l'art de la parole, qui établit les règles du bien dire, qui cherche à revêtir une pensée juste d'une forme claire, élégante, harmonieuse, à assembler les mots et les phrases de façon à intéresser, toucher, convaincre l'auditeur ou le lecteur. Il semble que Clément devait faireservir à ses fins cette rhétorique il eût pu en faire un excellent instrument d'apologétique, en parlant aux Grecs leur langue, et en ne refusant à la vérité aucun des ornements dont se pare l'erreur~ Et cependant, par une de ces contradictions auxquelles il nous a accoutumés, Clément nous déclare tout net qu'il se moque complètement du a style hellénique )). 11 1s répète plusieurs fois, en termes précis, qui ne semblent pas avoir été suffisamment remarqués jusqu'ici. E. Norden fait à propos des écrivains chrétiens la remarque suivante « Depuis l'époque la plus ancienne jusque loin dans le moyen âge, ils ont presque sans exception défendu le point de vue théorique qu'il fallait écrire avec le style le moins orné (~an.z ~c~!tc/~), mais en pratique, ils ont fait juste le contraire~. » Bardenhewer s'insurge contre une affirmation aussi générale, et réclame une exception pour les Pères Grecs, plus raffinés, plus cultivés, plus lettrés que les Latins. « Aucun écrivain de l'Eglise grecque n'a, que je sache, défendu le point de vue qu'il fallait écrire avec le style le moins orné )) Et Bardenhewer réfute les autorités alléguées par Norden~, une lettre discutée de saint Basile à Libanius et une homélie de Synésius de Cyrène. Avaient ils l'un et l'autre oublié les déclarations si expresses de Clément 44. Cf. Strom.

I, t

t. II, p. 3

xM/acpz OMTrojjLUM.sTTtïpmTMwv

*~pX;j)6tV;

Ed.

NORDEN, Z~f!~t~~MM.?~'?-<9.M, II, 46. BARDENHEWER, G. A. K. L., p. 66. 45.

47. Die antike

I,

ÂMK.C.M, II, p.

52f),

53t.

p.

5a<).

Nous avons déjà dit souvent que nous n'avions ni l'habitude ni le souci d' « helléniser car cela n'est bon qu'à séduire la multitude et à l'entraîner loin de la vérité mais la véritable philosophie, ce n'est pas par la langue, c'est par la pensée qu'elle est utile à ceux qui l'écoutent. A mon avis, celui qui s'occupe de la vérité ne doit pas composer ses phrases avec application et rénexion, mais il doit chercher à dire simplement, comme il peut, ce qu'il veut. Ceux qui s'attachent aux mots et qui s'en occupent, laissent échapper les choses » «

M

Ailleurs, il définit les Stromatès, bigarrés comme un jardin ou une prairie émaillée de fleurs « Remplis de choses qui viennent comme elles se présentent à la mémoire, sans aucun soin du plan ni du style 51, mais, au contraire, éparses pêlemêle à dessein, les Stromates nous présentent une esquisse bigarrée comme une prairie~. » Cette déclaration se trouve au début du VIe Stromate en voici une autre, tout aussi nette, à la fin du VII"; Clément prend ici une autre comparaison « Les Stromates, pour ainsi dire, ressemblent non pas à ces parcs bien cultivés, aux arbres bien alignés, pour la joie des yeux, mais plutôt à une forêt ombreuse et touffue, plantée de cyprès et de platanes, de lauriers et de lierre, de pommiers, en même temps que d'oliviers et de figuiers et où à dessein croissent pêle-mêle les arbres fruitiers et les autres. le jardinier en prendra et en transplantera quelques-uns pour en faire un joli parc bien orné et un bois agréable. Ainsi les 48. Nous ne savonsà quels passages, sans doute perdus, des œuvres de Clément se réfère cette allusion. 4ç. 'E~v~E!~ ici « parler correctement grec ». Cf. Aristt., /?A~< 3, 5, I. Cf. Strom. VII, ni t. III, p. 79 T~v ~n- aux "EX)~~ ebm pou\o\'Ta[ [o~ 2'cpM~.KTS?;j. 5o.

5t.

Strom. II, 3; t. II, p. M4.

S'&; ~TU~6V StetxexaeofpjtMOtt. TO?;

52. Strom. VI,

~)

j~V~T~ eMoucr: X~ j~T6

2, II, p. 42j.

TT)

T~E~ p-~TE

T7] <&p~TS:

Stromates ne visent ni à l'ordre ni à la phrase, puisque c'est à dessein qu'ils ne veulent pas être hellènes quant au styte ils ont été composés en vue de la diffusion secrète des dogmes, et non pour le bel ordre des phrases 5' ils veulent que leurs lecteurs, s'il s'en rencontre, sachent se donner de la peine pour trouver. » Ces déclarations rejoignent celles des Pères Latins que cite Bardenhewer~ « In ecclesiasticis rebus non quaerantur uerba, sed sensus, id est panibus sit uita sustentanda, non siliquis. s (Hieron., Ep. 21 ad Dam., c. 42.) « Quid ad nos quid grammatici uelint? Melius in barbarismo nostro uos intelligitis, quam in nostra disertitudine uos deserti estis. » (August., Enarr. in ps. 36, serm. 3, 6.) « Indignum uchementer existimo, ut uerba caelestis oraculi restringam sub regulis Donati. H (Greg. Magn., Mor. in lob, proem.,c. 5.) D'ailleurs, Clément ne ménage pas ses sarcasmes à l'adresse c'est-à-dire les beaux de ceux qu'il appelle les « sophistes » parleurs, les assembleurs de mots et de syllabes, ceux qui, dans la déchéance de la vraie littérature, s'amusaient à écrire l'éloge du Perroquet, de la Mouche, de la Calvitie, qui, comme au temps de Socrate, étaient des « athlètes en diset qui, comme Protagoras, « habiles à parler », cours pouvaient en même temps plaider le pour et le contre' 53. CMT' OUV T?,! TT~EM!; TJT6 TYj; ~pMCM~ CTO'/O'VTKt T~V )E~f< OU'/ *EXXf,'<Et Et~Xt pouA~TOt'.

Ot

YT~M~KTs!

X0(~

En Usant avec Wliamowitz otxoAOKQ~ct' au lieu de KAr;9e[Xv de L. III, p. 78, 79. 55. Strom. VII, m 56. G. A. K. L., I, p. 70, yi. 57. Cf. dans 1p Pr[)treptique,VHI, 77; I, p. 5~, ce que Clément dit des Écritures ypt~x: on t~x: yu~vx~ xojj.}jt.toT:x-f~ x~ T~; Exibe xofM~ 5~.

t!'Mv~xcneTM~Lu~o!<x'?txo)ctXE~'<~uiap/'iUcct:Voirencore'P.CELABRIOJ-LE,

Histoire de la ~«f~~KrC
t7

~8~

L'art du sophiste, que recherchent les Grecs, est une puissance imaginative, qui par des mots fait passer pour vraies «

des opinions fausses « Ceux-là imaginent des recherches et des controverses, chasseurs de petits mots, amoureux d'arts insignifiants, querelleurs et disputailleurs a, comme dit Démocrite. « ces misérables sophistes, étourdis par leur propre bavardage, consacrent le travail de toute leur vie à la distinction des noms, à la qualité des termes, à leur composition et à leur combinaison ils paraissent plus bavards que des tourterelles ils caressent et chatouillent honteusement les oreilles de ceux c'est un fleuve de paroles, qui veulent être chatouillés mais une toute petite goutte d'esprit. Comme dans les vieux souliers, tout s'en va sans force, seule la langue demeure C'est à eux que s'applique l'Écriture « Le Seigneur convaines e naît les pensées du sage, II sait qu'elles sont Ceux que l'Écriture appelle sages, ce sont les sophistes, ceux qui sont habiles en paroles et en artifices.C'est à eux et à ceux qui leur ressemblent, à ceux qui s'occupent de discours vides que dit très bien la divine Ecriture « Je perdrai la savants* « sagesse des sages et je détruirai la science des

Et pourtant, malgré un mépris aussi afnché pour le style 61. Strom.

I, 3o; II, p.

d'Aristophane,

25, 26. Ces termes, qui rappellent

levers cité

Asyowra ~x5~ xot: StxatM xxStxx,

sont empruntés au ~o~/t!~ de Platon

cf. p. z3o C; 236

C(c9:VT
TMV~); 240 D (~EuS~Sd~o:); 226 A (EpiTTtx~, KYMTKTTtXTj). Voir ta note de Stâhlin, I[, p. 26. 62. Cf. II Tim., 4, 3 xvf)9o~ewt T~v <xxo~v. languette du soutier; 63. Jeu de mots diHiciIe à rendre; -~ScM! cf. Plat. Corn. (Athénée, p. 677 A). cf. Strom. I, 4~; II, p. 29 64. 1 Cor., 3, 20, d'après Ps. o3, n <jo~T:x~ jjL~ fp'.?LO
=

/mp!v.

pro-

et les stylistes, n'y a-t-il pas, chez Clément aussi, « ein » ? On Zwiespalt zwischen der Théorie und der Praxis trouve dans les Stromates une phrase comme celle-ci « Les philosophes grecs refusent volontairement la vérité par dédain du langage des barbares n Aveu semblable à celui que fera plus tard saint Augustin « Cum adtendi ad illam scripuisa est mihi indigna quam Tullianae dignitati turam, compararem' )' Et ces philosophes, ces lettrés, né fallait-il pas chercher à leur présenter la vérité sous une forme il se soucie attrayante ? Si au moins dans les Stromates peu de la composition, Clément ne néglige pas autant le style qu'il veut bien le dire. Et il ne faut pas oublier que dans le Protreptique et dans le Pédagogue, plus « finis n sans doute que les Stromates, qui sont restés en tout point inachevés. Clément fait montre d'un souci plus grand de la composition et du style. L'exhortation qui termine le Protreptique, la prière au Christ qui ferme le troisième livre du Pédagogue atteignent à la grande éloquence et ne seraient pas indignes de figurer à côté des pages les plus célèbres de la littérature classique. Ce n'est pas ici le lieu de faire l'étude de ses procédés de style mais quiconque a un peu fréquenté Clément ne peut oublier son vocabulaire si expressif, parfois si pittoresque, sa période souple et harmonieuse, sa langue volontiers atticisante. M. Norden a pu rapprocher de la prose sophistique la plus raffinée le début du Protreptique, avec ses phrases découpées, ses chutes rythmées, et souvent rimées, ses figures et ses ornements, et le comparer au prologue du roman pastoral de Longus, à peu près contemporain~ Qu'il suffise de rappeler ici qu'on a pu, au terme d'une étude purement philologique, ranger Clément au nombre des « atticistes B BARDENHEWER, 67. NORDEN, die antike ~'MM.M, II, p. 5z(). G. A. K. L., I, p. 6&. 68. Strom. VI, 67; II, p. 465. 69. AUG., Confess. III, V, 9, éd. de Labriolle, I, p. Si. 70. Die antike ~MMf~-OM, II, p. 54Ç. 7:. J. ScHAM, der <~<
IV.

Utilisation des poètes

Après les sophistes,
Ailleurs, fidèle à sa théorie du Verbe inspirateur de la sagesse humaine comme de la parole sacrée, il aime à noter les points de contact entre les poètes et l'Écriture. Comme Platon est « divinement inspiré n, qu'il est le « Moïse parlant grec 73 a, Homère est, lui aussi, l'interprète de la parole divine. De plusieurs textes de saint Paul, il rapproche deux Ktemens auf eine Stufe zu stellen ist mit jenen sophistischen Erneuerern der griechischen Kunstprosa, die nach ihrer Nachahmung

p. t/3

«

der attischen Muster in der griechischen Literatur- und Sprachgeschichte unter der Namen Attizistengemeinhin bekannt sind. » V. le=, restrictions et les précisions de A. PuECH, Hist. de la H«. grecque chrétienne, t. II. Paris, 1928, pp. 355-356. ~2. Strom. V, 24; II, p. 3~0, 3-~1. 73. Strom. 1,42; II, p. 28.
vers de ï'ZHode' Ailleurs, c'est Isaïe qui est rapproché

d'Homère~.

Clément goûtait-il beaucoup la poésie ? Nous ne savons mais il a bien connu les poètes, et il les a largement utilisés. Nous avons pu relever une liste de yoç passages de poètes, auxquels renvoient les notes de l'édition Stâhlin II n'est pas sans intérêt, même pour qui ne considère que la pensée religieuse de Clément, de noter, dans ce total, la part de chacun des principaux poètes. Homère est en tête: en 190 passages, Clément le cite ou s'en inspire il semble l'avoir bien connu personnellement, assez pour incorporer à son développement de nombreuses allusions à des faits racontés dans l'Iliade ou l'Odyssée, ou des termes, des images, des comparaisons homériques". Après Homère, les poètes cités le plus souvent sont les tragiques 166 références, parmi lesquelles, chose curieuse, 101 d'Euripide. Au contraire, de Sophocle, on ne trouve cités qu'une quinzaine de fragments, et, des grandes tragédies, seulement 5 citations. Des comiques, no passages 25 sont de Ménandre et 9 seulement d'Aristo-

phane.

Ces chiffres ne sont pas inutiles ils nous font comprendre quel était le véritable état d'esprit de Clément à l'égard des poètes poésie ne l'intéresse pas pour elle-même; nulle part, il ne laisse percer la moindre émotion, la plus légère

la

Strom. IV, :33; t. II, p. 307 Éph. 4, n-[3; 1 Cor., t2, y-n et Iliade, XIII. 730, y3). 75. Strom. V, gc); t. II, p. 3~ Is. 41, 25 io, 6, et tiiade. VII. oc). 76. Signalons, outre Homère, les tragiques et les comiques, un bon nombre de fragments des Hymnes Orphiques, des Oracles Sibyllins, d'anciens philosophes écrivant en vers, Empédocle, Héraclite, Parmënide, etc et de nombreuses citations de l'ytMM~~ZeKy. de Cléanthe. .P/t~K, C~M
~4~)'

admiration devant un beau vers. Il est avant tout moraliste, et il ne cherche qu'une chose, des sentences. Au V Stromate, parlant de la recherche et de la connaissance de la vérité, laquelle n'est le privilège que d'un petit nombre d'âmes élues, il cite, après plusieurs passages de Platon et du Nouveau Testament, quatre vers du stoïcien Ce n'est pas la multitude qui a le jugement Cléanthe '< raisonnable, etc. )', puis il ajoute a Mais le comique dit d'une façon plus sentencieuse et en peu de mots Il est honteux de juger les belles choses d'après le bavardage de la

foule".H»

Ces mots sont à retenir voilà ce que Clément demande aux poètes, des sentences, des '~M{M~, et il préfère la brièveté du comique inconnu à la « philosophie poétique a de Cléanthe, parce qu'elle est ~
qu'un obscur dicton anonyme. C'est un proverbe qui vient

Strom. V,
-;Ctt

Ut0\' <Ïj~a OUK o!5~ ëltM; a~tOCO~EVOC-

apporter à la Parole inspirée l'appui de la sagesse humaine, mais ce n'est rien de plus. Clément n'a aucun souci litté-

raire".

On arrivera à la même conclusion si l'on observe dans le détail la façon dont Clément utilise les poètes. De même qu'il va chercher chez les historiens des faits sur lesquels il bâtira sa démonstration, ce sont aussi des arguments qu'il demande aux poètes il est bien de sa manière, « concordantiste » à l'extrême, d'étayer l'autorité de l'Écriture par celle des poètes grecs. Et c'est de la sorte qu'il faut comprendre, par exemple, la massive série de citations de poètes du VF' Stromate Clément prétend y démontrer que les Grecs, empruntant leurs théories à Moïse, ont été les « voleurs a dont parle l'Évangile de saint Jean (10, 8) pour le prouver, il montre qu'ils ont commencé par se voler entre eux, et il aligne dans cette vue une longue file de passages parallèles, dans lesquels, dit-il, les poètes grecs se sont copiés les uns les autres 82. Au deuxième livre du Pédagogue, les deux premiers chapitres sont consacrés aux repas ce sujet avait déjà depuis longtemps excité la verve des moralistes aussi, à côté de l'Écriture, Clément ne manque pas de citer des de passages sentences de Ménandre ou d'autres comiques. Mais ici, l'érudition s'étale moins indiscrète, la proportion de citations est beaucoup moins dense qu'au VIe Stromate, et ces citations s'insèrent tout naturellement dans le texte, où elles alternent avec des passages de l'Ecriture. A ce point de vue encore, l'allure de l'ensemble est bien différente, et peut contribuer à Si. ESCHYLE, Prométhée, 44 Strom. V, 5 t. II, p. 328. SOPHOCLE, ~M
mairien alexandrin.

nous donner une vue exacte de la façon dont Clément connaissait et utilisait les poètes. Voici quelques exemples Il ne saurait jamais être sage, celui qui prend une nourriture trop abondante, à la façon des Gentils il enfouit son esprit dans son ventre, pareil absolument au poisson appelé âne, qui, d'après Aristote~, a, seul de tous les animaux, le coeur dans l'estomac. Celui-là, le comique Épicharme l'appelle le ventre formidable », sxTponceXoyonyTpM~. Tels sont les hommes qui ne s'occupent que de leur estomac, « qui font « leur dieu de leur ventre, n'ayant de goût que pour les choses a de la terre j). A ceux-là, l'Apôtre ne prédit pas de bonnes choses « Leur fin, dit-il, c'est la perdition" a «

Ailleurs, dans une description de l'ivresse « Quand on a pris du vin sans modération, la langue est entravée, les lèvres tombantes, les yeux égarés comme si la vue était noyée par l'excès d'humidité et forcés de mentir, ils s'imaginent que toutes choses tournent en rond, ils ne peuvent compter les objets éloignés, et voir qu'ils sont uniques « et il me semble que je vois deux soleils », disait dans son ivresse le vieillard thébain~ » Plus loin, eniin « Il ne faut pas être alourdi par le vin pour se livrer aux méditations divines, car, selon le poète comique, « l'homme ivre ne peut penser à beaucoup de « choses, et même il ne peut penser à rien du tout~ » C'est ainsi que dans les passages du IV° Stromate qui traitent du martyre, les citations se font de plus en plus rares. Il y a sans doute encore bien des souvenirs profanes 83. 84. 85. 86. 87.

Aristt., frag. 326 Rose; cf. Athénée, p. 315 E. Epicharme, frag. 67 Kaibel; cf. Athénée, p. 32~ F. Phil., 3, i~. Paedag., II, 18; t. I, p. 167. Eur. Fa<-c&. ot8; Paedag. H, t8 t. I, p. 170. Paedag., II, 22 I, p. tô~ Ménand., fr. 779; C. A. F., III,

p.6.

ainsi, montrant que, chez les chrétiens, les femmes comme les hommes sont prêtes au martyre, et aussi bien qu'eux savent mourir généreusement, il ne peut s'empêcher de se souvenir de ses lectures, et de citer Euripide" mais ici, la proportion est encore moins forte sur 77 pages, 62 citations. De ces fragments de poètes, épars à travers le livre IV, qu'on nous permette de citer un exemple, particulièrement intéressant. It s'agit de la mort du martyr~ s'en va vers son cher Sei« Dès lors, plein de courage, il gneur, pour lequel il a livré volontairement son corps et aussi son âme' comme ses juges l'attendaient, et il entend notre Sauveur lui dire, à cause de la ressemblance de sa vie, ces paroles du poète «
appelons-nous le martyre consommation », non parce que l'homme y trouve la fin de sa vie, comme le pensent la plupart, mais parce qu'il manifeste l'oeuvre consommée de l'amour, 5-rL re~to~ ~pY~ M'YctT~c e~et~To.Clément est tout imprégné d'hellénisme, et ne peut s'en défairetout naturellement les expressions d'Homère viennent sous son calame n'est-il pas émouvant de le voir chercher à utiliser les mots du vieux poète pour leur faire exprimer ce qu'il y a de plus profond et de plus inouï dans la religion nouvelle, la paternité divine et la fraternité dans le Christ?
Rien d'étonnant si, dans les ouvrages plus techniques de Clément, VIlle Stromate, Excita, Eclogae, Adumbrationes, on ne trouve pour ainsi dire pas de citations de poètes~. Mais

0~

fr. 545, 546. Strom. IV, 63; II, p. 277 Eur., Strom. IV, t-).; II, p. zS~, z55. (Trad. Bardy, p 309, légèrement modifiée.) 90. Clément veut dire que le martyr non seulement livre son corps àlatorture, mais qu'il accepte de donner son âme, c'est-à-dire d'aller jusqu'à la mort. ~u~ = ici « souffle vital, vie comme très fréquemment en grec. a). Cf. A, i55 E. 35c) < f~. Une seule citation~ dans le VIlle Stromate, 5; t. III, p. 82, Ménandre, fr. 67), C. A. F., III, p. 214. 88. 89.

3o8.

il ne sera pas inutile de noter qu'il n'y en a pas non plus dans le Quis dives salvetur. Quand il cesse de s'adresser à ses auditeurs du Didascalée, païens curieux du Christianisme ou chrétiens « gnostiques x, pour ne s'adresser qu'à la masse des chrétiens sans prétentions intellectuelles, Clément semble oublier son hellénisme pour ne plus se souvenir que de l'Évangile. Ne. peut-on pas dire de lui ce qu'on a dit de son disciple Origène « Trop facilement, nous nous le représentons comme un savant enfermé dans son cabinet de travail. Il n'en est rien. Ce savant est un apôtre. Il préfère encore la chaire de l'église à celle du didascalée et pour les ignorants qui viennent l'écouter, sa parole se fait plus simple, son explication plus humble~ a? Et n'est-ce pas là qu'est le vrai, le meilleur Clément? Est-il téméraire, au terme de cette étude, d'essayer d'en dégager deux remarques plus générales, qui peuvent contribuer à éclairer la physionomie de Clément, à faire comprendre le vrai caractère et de son hellénisme et de son christianisme ?

Clément n'est pas, comme on serait tenté peut-être de le croire trop souvent, ce que nous appelons un humaniste. Certes, son hellénisme est sincère et profond il a très vivement subi l'influence de la philosophie et de la littérature grecques, sa pensée en porte la marque ineffaçable il est persuadé qu'elles sont choses bonnes et utiles: on le verrait mieux peut-être si on observait son attitude en face de la philosophie comme nous venons d'observer son attitude en face des lettres et des sciences. Mais cet hellénisme n'est pas celui d'un artiste ou d'un poète, c'est celui d'un moraliste qui songe avant tout à mettre toutes ses connaissances au service de la foi qu'il prêche ou qu'il défend. Il n'aime les poètes que parce qu'ils lui fournissent des sentences ou des arguments les arts ne servent qu'à préparer l'âme à la foi. 93- G. BARDY, Z.:M~a<Mr< grecque e/eMMc.

"IL

1

Paris, t~ïS, 1

1.p.L 79. #1

Et nous pouvons aussi mieux comprendre son christia-

nisme. Quoi qu'on en ait voulu dire, Clément est réellement et profondément chrétien son hellénisme n'est pas pour lui un moyen de se créer un christianisme nouveau, supérieur au christianisme des fidèles et de l'Eglise. Il ne veut s'en servir que comme d'un moyen pour attirer au Christ ou pour lui conserver des âmes qui autrement demeureraient païennes, ou se perdraient dans les folies d'une fausse gnose Non seulement, dit l'Apôtre, il faut devenir un vrai Juif à cause des Juifs et de ceux qui sont sous la Loi, mais il faut aussi à cause des Grecs devenir un vrai Grec, pour les les gagner tous, xcn ~m -rc~ "E~wot; "E~~<x, MK TM~TK: XM~MMME~ f PIERRE

CAMELOT,

Facultés catholiques de Lille.

f)4. Strom. I, j5: t. II, p.

u, cf. I Cor., 9, 20-2:.

NOTES ET MÉLANGES LA RELIGION DES PRIMITIFS D'AMERIQUE' 1

En abordant la nouvelle œuvre du R. P. W. ScHMiDT, S. V. D. les Religions des ~M~M primitifs ~MM~~M~, on éprouve un sentiment de respect.) et un peu, de crainte, devant ce monument; mais bientôt on se rassure, et, avec l'auteur, on s'attache à ces peuplades lointaines qui, dans leurs misères et leurs souffrances, cherchent Dieu, et qui, souvent, l'ont trouvé. Dans les premières pages, l'auteur nous expose sa méthode, que connaissent déjà les lecteurs des par les Chroniques du R. P. Pinard de la Boullaye il s'agit des vrais K primitifs )), c'est-àdire des peuples dont la culture doit se rapprocher de celle des premiers hommes et ne s'est pas laissé contaminer par des institutions plus récentes totémisme, matriarcat, magie; si leur religion a pu s'altérer ou se refroidir, elle peut aussi être restée très vivante et avoir laissé de ses traces même dans des religions qui lui ont succédé en comparant les caractères communs de ces différentes « cultures », on se rapproche de l' « Origine de l'idée de Dieu », et l'on s'aperçoit qu'elle n'est pas celle qu'imaginaientjadis les maîtres de l'ethnologie. Le plan de l'ouvrage est simple les « cercles culturels » primitifs ayant été refoulés peu à peu par l'invasion des Blancs jusqu'au bord des Océans, ou au fond des montagnes, l'auteur distingue quatre régions 1° quatorze tribus ou groupes de tribus en Californie centrale; 2° six tribus au nord-ouest de l'Amérique, 3" une vingtaine de peuplades sur une longue bande de terre, de l'océan Pacifique à l'océan Atlantique 4° enfin, au sud, trois tribus da.ns la Terre de Feu. Sans doute on s'étonnera de ne trouver de « primitifs » ni en Amérique Centrale, ni dans la plus grande partie de l'Amérique du Sud; mais en ces régions, les peuplades étaient ou trop accessibles pour n'avoir pas été touchées par des civilisations étrangères, ou trop inaccessibles pour qu'on ait encore pu les étudier sérieusement.

~yc~,

Der Ursprung der Gottesidee, eine %r~t.fc7~
i. D'après l'ouvrage du R. P.

SCHMIDT.

L'auteur s'est servi des travaux des plus grands ethnologues de t'écote allemande et américaine Boas, Groeber, Radin, Curtin, Lowie; et, pour les Fuégiens, des explorations de ses confrères, fes PP. Gusinde et Koppers Voici quelques-unes des découvertes qui nous ont frappé elles regardent Dieu, sa nature et ses attributs, l'âme et la conscience morale, enfin les attitudes de l'âme en face de Dieu. Presque toutes ces tribus sont monothéistes; le nom sous i.– lequel elles adorent l'Être suprême dit qu'elles voient lui,

ce ce en qu'elles attendent de lui. Voici, par exemple, les « Noms divins » que lui donnent les tribus septentrionales; ils ressemblent, ou sont identiques, à ceux qui ont cours en d'autres régions (pp. 860 et suiv.). Le nom qui revient le plus souvent est celui de « Père », en Calitornie, chez les Wiyot et les Wintun, puis chez les Iowa et les Porno, « mon Père », « notre Père )), chez les Pah\in et les Arapaho; et cette périphrase si touchante des Ojibwa\ « Mon Père, dont je suis l'enfant3 ». Sans doute, ce nom pourrait ne signifier, comme chez les Grecs et les Romains, qu'un sentiment de respect et de soumission à l'égard du Maître de l'univers; mais, comme nous le verrons plus loin, il s'agit bien ici d'un « nom de famille ». « Le Créateur )) ou « notre Créateur », « notre grand Père le Créateur)), revient aussi fréquemment(Menomini, Sioux-Winnebago, Arapaho, Iowa). D'autres noms manifestent la crainte et le respect que l'on éprouve en lui parlant le Tonneur », chez les Sinkyone et les Kato « le Grand Chef » ou « le Grand Secret H chez les Indiens de la Thompson-River, ou « le Gouverneur de la terre et du ciel » qu'invoquent les Cheyennes; « la Force des forces M, chez les Mascc

coutens.

L'Être suprême est aussi appelé « l'Esprit, le Grand Esprit »; c'est qu'on le croit vraiment au-dessus de la terre, des corps, de la matière « Le Grand Esprit, dit le chant d'un clan des Mascoutens (p. 5i8), on ne peut le voir; on ne peut même pas découvrir ses traces (faut-il rappeler l'habiteté des Indiens à suivre le gibier ou à carte serait fort utile nous sera-t-il permis de l'espérer dans une prochaine édition ? 3. Nous ne pouvons nous empêcher de songer à une réflexion d'Origène (De (?~
trouvé.

M

dépister leurs ennemis?). Comment pourrais-je le connaître? Je ne vois pas l'esprit, je ne sais même pas à quoi il ressemble. » Dans les tribus Fuégiennes (~ZA'/MM, p. 893, /7a~!Kïc'K/M~, y<MM<MM, p. 969), on dit qu'il est un esprit, « comme une âme après la mort, mais qui n'aurait jamais eu de corps »; « il ne mange ni ne boit on ne peut expliquer comment il se soutient. » (p. 893). Chez les Sioux-Winnebago, on raconte l'histoire d'<w chercheur de Dieu M (pp. 609 et suiv.): jeune homme, il voulait, comme saint Augustin, voir Dieu; son père lui avait dit « C'est un des nombreux dons qu'accorde le Créateur aux esprits si tu jeûnes avec constance, tu obtiendras cette bénédiction. H I! se mit donc à jeûner, en méditant « Le Créateur doit être plus puissant que les esprits, puisqu'il leur a donné leurs pouvoirs je veux arriver à une vraie connaissance du Créateur. » Au bout de quelque temps, découragé, il se marie; avec sa femme, dans la solitude, il recommence à se mortifier ils vont jusqu'à sacrifier leur unique enfant au Créateur, pour obtenir sa « bénédiction H. Mais il n'obtient d'abord que de fausses apparitions des oiseaux, qui s'enfuient en le narguant; il avait envie (le mourir. Enfin, le Créateur l'entend et lui parle«Tu veux me voir, m'a dit ton père. Je ne puis me montrer à toi mais je suis ce rayon de Jumière regarde-le. tu m'as vu HH est difficile d'imaginer un symbolisme plus pur loin de tous les phantasmes, de toutes les apparitions magiques, Dieu ne se montre qu'aux âmes dégagées de la terre, et qui lui ont tout sacrifié ou plutôt, il les apaise par un rayon de sa lumière, « car la lumière venait de lui » (p. 611). Il est c~w~. « G'K~Ni'~aAa~ vit encore; il n'est pas mort; il ne mourra pas; ii est le même qu'autrefois. Tant que ')e monde sera, il vivra. » (Wiyot, p. 38)'.c'est leur manière de chanter notre .
au delà des étoiles » (Halakwulup, p. 972); « les étoiles sont comme ses yeux » (id., 969; cf. Seik'nam, p. 89~ et suiv.). Il a créé ~WM~~ c'est une croyance à peu près commune. « Créé u au sens strict du mot, c'est-à-dire qu'il n'a pas seulement « ordonné » une matière préexistante, mais qu'il a tiré le monde du néant par sa seule volonté; même, les récits s'ingénient tous pour faire comprendre combien peu lui a coûté ce grand ouvrage. Les Wiyot disent « H n'eut besoin ni de sable, ni de terre, ni de bâtons. il créa la terre en joignant d'abord les mains, puis en les étendant. Pour faire les hommes. il n'eut qu'à penser, et ils existèrent. I) créa tout, rien qu'en le désirant. Tout ce qu'il pense (c'est-à-dire tout ce qu'il veut) existe. » (P. 37.) «

Les Kato possèdent deux récits lyriques de ta création, l'un court, l'autre assez long, tous deux fort beaux. Ils représentent le« Tonneurn dans son éternelle solitude*, n'a qu'un serviteur, Nagaitso qui obéit ponctuellement à ses ordres. Ils « étendirent les rochers. en cheminant dans le ciel)), « ils trouèrent le ciel, pour laisser passer les nuages et les vents. » Après chacune de ses œuvres « C'est bien », dit le « Tonneur )). Puis, c'est la création des plantes; de l'homme, avec chacun de ses organes. « tout était beau ». Une légende décrit la promenade du « Tonneur H dans sa création comme un grand chef Indien, il est accompagné de son chien; mais il s'en va à grands pas, à si grands pas, que son chien a peine à le suivre, et que son maître doitl'encourager; et il voit « Les plantes ont poussé, les rochers ont grandi, les vallées s'abaissent, les montagnes s'élèvent. tout vit, tout est beau. le pays était bon. Va vite, mon chien! )) Au retour, les animaux, les ours, les oiseaux, les cerfs se sont multipliés, l'herbe a grandi, l'eau est bonne. ils en boivent un peu et se remettent en route. Vite, mon chien, nous arrivons vois, c'est tout près. » En ce style familier semble passer un grand souffle il évoque les larges espaces, les tempêtes sur la mer ou dans les hautes futaies, une vision qui rappelle le C~~M~ de la chapelle Sixtine, ou. le Iahvé de la Genèse' Z?<~< aime /'A<7~/K~, et- lui a donné la création « Le Ciel (l'Être suprême) est heureux simplement parce que l'homme existe.» (Tsimshian, p. 38o) « Si A~
il

(~)

Il est seul o (p. 38), disent les Wiyot. Les Lenape commencent ainsi le récit de la création 4.

«

Au début, en ce lieu, de tout temps, au-dessus de la terre. Sur la terre, un nuage était étendu, et là était le Grand Esprit. Au début, à jamais, perdu dans l'espace, partout, était le Grand

[Esprit. 5. Dans le même récit

Alors le vent souffla violent, il fit clair, et les eaux coulèrent, largement, puissamment, et des groupes d'îles s'élevèrent, toutes fraîches, (ibid.) et elles restèrent

là.

(p. 417).

J/

Il est le ~Mï, « la puissance du ciel la vie et de la mort lumineux », donne la force à tout être. il décide la mort de ceux qui doivent mourir » (Haida, p. 38y), il est « la Force des forces » (Mascoutens, p. 5t8). Krœber raconte qu'un vieillard, chez les Gros-Ventres », lui disait « Je pense que l'Homme Blanc d'enhaut (t'Être suprême) m'a pris en pitié, qu'il m'a permis de vivre si longtemps » (p. 672). Les Maidu (Amérique du Nord-Est) racontent que le Créateur avait permis aux hommes de rajeunir, quand ils vieillissaient, en se plongeant dans une certaine mer (p. 128); les Wiyot pensent qu'il lui suffisait d' éternuer pour rajeunir l'homme (p. 37). <:

f<

II. –

M

~c/MMf, lui <MM/, a un esprit. et le corps semble n'être que le vêtement de cet esprit, c'est pourquoi les hommes doivent prendre soin de leur esprit, afin de pouvoir atteindre le ciel et être admis dans la maison de GM~M~a'c~, car il nous a donné de passer quelque temps sur terre. et, quand l'heure sera venue, nous nous dirigerons vers lui. )) (Lenape, p. 42~ et suiv.). Qu'est donc cet esprit ? Voici la traditiondes Halakwulup, dans la Terre de Feu «C'est quelque chose comme l'air. qui pénètre le corps. a Créé par ~W<M, il existait avant d'animer le corps, « au delà des étoiles a; l'âme, créée pour <M~M corps, vient l'animer quand il est développé, et à la mort, s'en retourne facilement, puisqu'elle est comme de l'air vers Ac/<M, pour lui rendre ses comptes (p. 9~2 Car l'Être suprême est le Législateur de la morale, pour et suiv.). beaucoup de tribus (par exemple, les Patwin, p. 258; les Tsimshian, p. 380, les Lenape, p. 4.17, 448; les Selk'nam, p. 864, les Yamana, p. 93o, les Halakwulup, p. p~s.). Il récompense et il punit: « ~c~jw~e~ dit aux hommes que, s'ils étaient bons, ils seraient emmenés après leur mort, par le sentier droit, qui est lumineux, au pays des esprits s'ils étaient mauvais, ils seraient emportés par le sentier gauclie, vers les ténèbres » (Maidu, p. 38i et suiv.). Ses commandements ne sont pas de vagues exhortations à bien faire, ils sont précis et concrets respect et amour de Dieu et du prochain (cf. le discours annuel chez les Lenape, p. 43i H Ce que vous faites pour les malheureux (estropiés, aveugles) sera sûrement récompensé » et chez les Patwin, p. 38o Dieu « aime ceux qui ont pitié des pauvres s), pureté, victoire sur les passions de la chair; il veut que ses commandements « soient observés de génération en génération. comme s'il était lui-même présent )) (Wiyot, p. 38 et suiv. ); il écoute, il voit celui qui fait le mal « Celui d'en-haut est toujours là, tout près. ne t'amuse pas avec la femme d'un autre. il est tout près, il te voit » (Selk'nam, p. 894). <(

Le paradis, c'est habiter près de tui, « en un pays où tout est plus beau qu'ici, où tout est nouveau, tout est agréable la lumière qui y brille est bien plus lumineuse que notre soleil. Tous les hommes y auront le même âge; les malades (blessés, estropiés, aveugles) paraîtront aussi sains que les autres, car c'est lachair qui est endommagée, l'esprit reste indemne » (Lenape, p.43i). Quantà l'enfer, les croyances sont moins précises, ceux que l'on interroge avouent leur ignorance; certaines tribus Fuégiennes croient que les malheurs de cette vie, la mort prématurée. sont la punition des péchés.

III.

Leur attitude religieuse. « Quand je parle de ces choses (de Dieu et de l'âme), dit à Curtin un des Wintun les plus intelligents qu'il ait rencontrés, je suis rempli de crainte, j'éprouve une sorte de frisson. )) (p. 77). La conversation du P. Gusinde avec quelques Indiens, dans la hutte du vieux ?'~wMM~, chez les Selk'nam, tribu de la Terre de Feu, laisse aussi cette impression de crainte mystérieuse « Nous restâmes longtemps à l'écouter, dans un silence plein de respect; pour laisser pénétrer les sentences, chacun se recueillait de temps à autre, on entendait un profond soupir. on parlait de 7'<~MM~ )) (p. 897). Ce n'est pas l'inquiétude, la terreur, 'l'effroi que provoquerait le récit de mvthes épouvantables. c'est le sentiment intime qu'éprouvent les enfants quand ils entendent parler de l'aleul, ou quand ils écoutent sa voix. « Le Grand Esprit est le seul que nous sentions en nous quand nous faisons un acte bon », dit un Mascoutens, « nous sentons qu'il est vraiment grand. on n'a pas le droit de se jouer de Dieu ou de ses paroles on doit le respecter, lui, et ce qu'il nous adonné M (pp. SiS.Siç). Ils sentent qu'ils sont protégés, aimés par lui « II est bon, l'arc-en-ciel est le symbole de son amour l'amour du Grand-Esprit pour nous Vous serez toujours aimés, si vous vivez dans la justice, car le Grand Esprit. est le seul qui vienne nous secourir » (ibid.). Ils sont heureux quand ils sentent cette présence de Dieu en eux, autour d'eux un vieillard Haida demande « Que la Puissance du ciel fasse régner la paix sur moi, qu'il ne permette pas que je sois triste » (p. 387). Et si nous allons au milieu des Arapaho, assemblés pour la prière solennelle à
spirituelles et corporelles. » Puis, la prière s'élève encore: « Que nos pensées montent au ciel, le siège de la sainteté »Ne croirait-on pas assister à un chant de notre liturgie, tissé de prières bibliques:

/K ~M~M ~w7//
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n–



Nous n'avons pu dire tout ce que nous aurions voulu par exemple, nous n'avons pas noté certaines traditions péché originel, déluge. ni certaines institutions, très importantes cérémonies d'initiation, associations, danses religieuses. Il ne faudrait pas s'imaginer non plus que chacune de ces tribus ait toutes ces croyances il. est des peuplades qui sont plus favorisées que les autres, et souvent, les plus déshéritées sont les plus religieuses. Mais comment ne pas remercier le R. P. Schmidt de nous avoir révélé un monde d'âmes ? Au lieu d'avoir assisté à une discussion scientifique », nous avons vu vivre ces non-civilisés que l'on voulait nous présenter comme des êtres inférieurs, la honte de l'humanité Et puisque ces peuplades s'éteignent, que bientôt elles ne seront plus. il était temps de recueillir leur témoignage et d'apprendre d'elles ce que nous ne saurons jamais assez que l'homme a besoin de Dieu. t<

1

Florennes (Belgique).

GABRIEL

HORN.

BULLETIN D'HISTOIRE DES RELIGIONS

I. Introductions générâtes, manuels, livres de textes. II. Religions des non-civilisés. III. Religions des civilisés

I. Introductions générales: [. H. PINARD DE LA BOULLAYE, S. J., professeur d'Histoire des Religions à l'Université grégorienne, l'~M~f comparée des Religions, 3e édit., revue et augmentée. Paris, G. Beauchesne, 1929. T. I..S~M histoire dans le MCK~~ occidental, xvi-586 pp., 66 francs. T. II. Ses méthodes, xi-5/3 pp. 2. WuRM, ~aM~Mc/z der ~?~<~tOMj~Mc/e/ in durchgreifender Neubearbeitung von Alfred BHJM-ERNST, Calmer Vereinsbuchhandlung. Stuttgart, 1929. 647 pp., in-8. nmarks.–3. Théodore RoBlxsoN, professeur à l'Universttê de Cardiff, /M~c~MC~CM à l'histoire des religions, la religion primitive, l'animisme, le Monothéisme, l'Islamisme, le Christianisme, trad. de l'anglais par G. Roth, agr. de l'Univ. Paris, Payot, 240 pp., 20 francs.–4. Kurt LATTE, prof. Univ. Basel, Die ~?~M~?'7?fM< und der ~yKCf~~MMM~ der Kaiserzeit, 1927. Tubingen, Mohr, in-8, 5. Erich SCHMITT, Vt-94 pp., prix 4 m. 3o; en souscription, 3,9o. Privatdozent in Berlin, Die CA/~MC~, 192~. 3o pp.,4m. 80,en sousc., 4,30. 6. Walter SCHCDRING, prof. Hamburg, Die /<:tK~ 1927. 33 pp., 7. Richard THURNWALD, prof. Univ. i mk. So; en sousc., i mk. 60. Berlin, Die ~t~gc~o~~MC~ ~M~r~~M und ~M~vcfttM~M, I92/. 48 pp., S. K. F. GELDt~ER, prof. Univ. Marburg. 2 mk. 20; en sousc., 2 marks. ~~M?KM~MK~~?'t!/<M
Gabon, Polythéisme et /e(«'A<ï~tg, Bloud et Gay, 1929. !2 francs. t6. Henri A. JUNOD, The Lite of a S'OM
I.

Introductions générales, manuels, livres de textes

1. L'Étude comparée des ~i!oKï,du R. Père H. Pinard de la Boullaye, est arrivée à sa troisième édition. Nous ne nous permettrons pas d'analyser ce livre que les lecteurs des Recherches connaissent certainement. Cette nouvelle édition s'est enrichie de plusieurs additions que l'auteur énumère à la page xi du tome 1~. Nous dirons un mot des plus importantes la « condescendance )) (suYxxTKêaTt!) ? 269-278; pp. 552-5yi~. « Voici le problème en termes abstraits si l'Absolu de quelque manière entre dans ]a trame des faits con-

i. Thèse patristique de

~pyi. Dans le numéro des Recherches de mai-septembre Jp~p, 2~0, l'auteur étudiait déjà. « Les infiltrations paiennes dans l'Amcienne Loi », d'après les Pètes de l'Église, et la théorie de condescendance ».

la

tingents, doit-il révéler sa présence par une intransigeance rigide, ou par une condescendance presque indéfinie, ou encore par un juste tempérament de rigidité et de miséricorde?. » (p. 553). C'est saint Justin qui, le premier, propose une réponse dans le Dialogue avec Tryphon, à propos de la loi mosaique; s'il n'emploie pas le mot de « condescendance », il affirme la thèse Dieu, dans

la religion juive, « a consacré certains rites dans le goût des religions ethniques », par pure bonté, pour empêcher son peuple de passer au polythéisme. Saint Irénée, Tertullien, Clément d'Alexandrie, Tatien ont repris la même thèse pour Origène, l' « économie » divine de l'incarnation est le type de la « condescendance H saint Athanase, saint Cyrille de Jérusalem, Eusèbe, Diodore de Tarse, Théodore de Mopsueste, les Pères cappadociens, saint Jean Chr\sostôme. en Occident, saint Ambroise et saint Augustin ont développé et précisé la même doctrine; elle a peu évolué, mais elle s'est adaptée à ceux à qui elle s'adressait, chrétiens, juifs ou paiens affirmant toujours, en même temps que la transcendance de Dieu, son indulgence paternelle sans jamais se contredire ni s'avilir, il a compris la faiblesse humaine, il lui a permis tout ce qu'il pouvait lui permettre sans déroger à ses droits souverains. 2. Après avoir étudié les méthodes comparative, historique, anthropologique (ancienne et nouvelle), psychologique, l'auteur expose en cette nouvelle édition la méthode sociologique c'est le chapitre vin (§§ 535-588, pp. 387-488). Quels sont, quels furent, quelles doivent être les rapports entre la société et la religion ? Pour résoudre ce problème, il faut se servir à la fois de l'A?.f<<w~, de la psychologie (ethnique, grégaire, communautaire), enfin de la M~A~ecoM~a~a~e (étude des rapports entre les sociétés profanes et les religions, causes qui commandent ces rapports, réactions qu'ils provoquent); l'histoire permettra d'étudier l'évolution religieuse dans les différents stades des sociétés, suivant qu'elles sont ou très primitives (proches du type familial), ou plus évoluées (du type tribal), ou plus hiérarchisées, ou enfin ~<M<
miner et d'apprécier la valeur sociale du besoin religieux dans la marche des civilisations, de comprendre comment et pourquoi les problèmes spirituels et religieux dominent leur histoire, comment « au fond des questions économiques, à plus forte raison au fond des questions sociales, on découvrira la question religieuse )) (p. 487). M. Blum-Ernst, directeur de l'Institut évangélique à Schiers, réédite le /<MM~ ~'AM~ des religions de Wurm. La « Science des religions a, dit-il dans son Avant-propos (p. 6), à mesure que les peuples se mêlent davantage, devient de plus en plus nécessaire, et il souhaite qu'elle hâte l'avènement du règne de Dieu dans les âmes. L'ouvrage, comme celui de Wurm, est divisé en trois parties i) 2.

religions des peuples primitifs (Afrique, Asie, Amérique, Australie et Océanie) 2) religions nationales Proche-Orient et Égypte, Chine et Japon, religions ariennes en Asie (Indous, Brahmes, Parsis.), en Europe (Grecs, Romains, Celtes, Germains.) enfin, Comme le Ma3) religions « universelles »: Bouddhisme, Islam. nuel de Chantepie de la Saussaye, l'auteur n'étudie pas les religions chrétiennes il suppose que ses lecteurs les connaissent assez d'ailleurs, « les religions paiennes ne supporteraient pas la comparaison », car, bien qu'elles aient chacune leur part de vérité, « la foi chrétienne s'oppose au paganisme comme la vérité absolue o à l'erreur (p. i3). L'auteur a passé de longues années dans les Indes, et il étudie la philosophie et les religions hindoues avec une particulière compétence. Son exposé des religions « primitives est peut-être moins satisfaisant il ne tient pas compte (du moins ne semble-t-il pas les connaître) des derniers travaux de l'école historico-culturelie, d'Andrew Lang, du R. P. Schmidt et des ethnologues américains~ et le « primitifsemble se confondre pour lui avec le « sauvage H. Cependant, ses conclusions sur la religion primitive sont les mêmes que celles de ces auteurs. Par exemple, il remarque qu' « en beaucoup de tribus nègres, on est surpris par l'élévation, la pureté, la spiritualité de l'idée de Dieu » (p. 59), il est frappé de la spontanéité de leur prière, de leur recours à l'Etre suprême dans la détresse il se plaît à citer leurs tournures de langage et leurs proverbes, et voici sa conclusion « Pour la plupart des tribus nègres, l'Être suprême estincréé, éternel, z. Ou même des ouvrages français. (sauf Raoul ALLIER, cité p. 63o, et quelques autres, très rares).

omniscient, partout présent, plein de sagesse et débouté. Seigneur de la vie et de la mort. » (p. 5f)). Dans l'Insulinde, il rapporte les proverbes des Batak, à Sumatra « Ce que Debata (l'Être suprême) veut, ce qu'il a fait, l'homme ne doit pas le changer ))~ « .CMa~ est un juste juge, il regarde les victimes de l'injustice »,- et cette prière des Dajak, à Bornéo « 0 Z~/Mtara, viens à notre secours! M – car ils savent qu'ils sont « les enfants de sa puissance », qu'il aime les hommes et punit le crime, qu' « il nedortpah, qu'il entend toutes leurs paroles » (pp. pu 97). Si ces peuples sont dégénérés, s'ils sont terrifiés par des institutions magiques, obscures et immorales,- certains débris de leurs croyances témoignent de leur antique foi en la bonté du « Père », en sa puissance qui pénètre ie monder – l'idée de Dieu chez les Australiens lui paraît plus pure que chez d'autres primitifs: « C'est un Père, sa nature est toute céleste, et la mythologie n'a pas altéré leur croyance en un seul Dieu, Maître du Ciel, etc. )) (p. i3i). Et voici comment s'achève toute l'étude sur les primitifs » l'auteur n'ignore pas leurs faiblesses et leurs hontes, mais il ne peut méconnaître la pureté de leur foi « Partout, nous avons trouvé la foi en un Dieu Père (Allvater, C~
<(

Cette belle œuvre, qui n'a pas voulu être une Apologétique, mais qui a seulement voulu vulgariser quelques notions d'histoire des religions (p. i.S-14); s'achève, après une étude sur l'Islam et sa mystique, par un appel vibrant à l'apostolat <( Le Christ conquerra le monde de l'Islam, comme il a conquis l'âme indienne: car il est le Salut des peuples, et les peuples ne seront sauvés que par la foi en son nom. » p. 638). 3. Le titre du livre de M. Théodore Robinson, ses sous-titres et le tableau de la page 12 ne laissent aucun doute l'auteur croit à l'évolution des religions; toutes sont parties d'un fondement que l'on ne peut préciser, mais qui est à la fois religion, superstition, magie, sorcellerie. du « divin », que les « primitifs )) craignent ou qu'ils essaient de se concilier. Bientôt, ils en viennent à concevoir ce « divin )) comme une sorte d'âme qui se cache dans toute la nature c'est l'animisme. L'animisme se divise bientôt en totémisme, fétichisme, « polydémonisme )) ce dernier serait déjà un essai de détermination dans ce bloc amorphe le « divin » se morcelle en « génies » qui, peu à peu, passent au rangde « dieux »; alors la

religion se partage en deux courants l'un s'attache au culte de la nature, et nous avons les différents polythéismes indo-européens (teutonique, celtique, grec, persan, indien); l'autre se transforme en chaque village, chaque tribu élit « monolâtrie x locale ou tribale son protecteur, qu'elle adore seul, en excluant ou en tolérant les autres dieux ainsi seraient nées les religions assyrienne et israélite et, de cette dernière, le christianisme et l'islamisme. Ce tableau semble très clair; malheureusement, il est factice, et l'auteur ne l'explique pas clairement c'est que la réalité est sans doute plus complexe et ne se résigne pas à entrer dans des cadres aussi simples. Il faudrait que les formes supérieures de la religion"3 fussent toujours nées de ses formes inférieures le christianisme serait né de l'animisme, en passant par la « monolâtrie » tribale et le « polydémonisme )). Les faits qui contredisent la théorie sont négligeables si l'on objecte, par exemple, qu'il existe un monothéisme très pur chez des tribus primitives, l'auteur répondra d'abord que la civilisation des Australiens, des Fuégiens, des Pygmées. « est certainement fort loin d'être primitive » (p. 39); ensuite, que la croyance en un monothéisme-primitif, « bien qu'elle ait eu récemment l'appui d'historiens ayant étudié (sic) les religions d'une manière scientifique, parait inconciliable avec ce que nous savons du développement des religions pendant la période historique » (p. 4.3). On devine la pensée de l'auteur on a pu trouver des traces d'un monothéisme primitif, sans doute; mais cette conclusion ne doit pas être vraie, car elle contredit ma théorie. Ailleurs, le ton est moins afSrmatif « Nous avons vu comment CM peut faire remonter toutes les religions connues à une phase animiste, d'où elles évoluent K~M~M~ vers le polythéisme, en passant ~/CM par l'intermédiaire du polydémonisme » (p. 148). Mais on devine ce qui pour l'auteur est normal et naturel, comment les choses doivent se passer « Les phénomènes naturels ne suggèrent pas, à la plupart des esprits scientifiques, l'idée d'une divinité suprême à l'origine du monde. Tout, au contraire, tend dans la direction opposée n (p. 44). Les Australiens et les Fuégiens ne sont pas des esprits « scientinques H c'est leur grand malheur, pense M. Robinson 3. Queltes sont ces « formes supérieures H?

Parfois, un panthéisme idéaliste, qui n'admet pas de divinité personnelle, comme le Bouddhisme primitif; plus souvent, c'est un christianisme épuré de tout symbole. Cf., par exemple, p. 172, !~3, où nous apprenons comment, après Josias, la religion juive est devenue personnelle, après avoir été seulement « communautaire »; les Juifs auraient commencé, alors seulement, à avoir le « sens intime de Dieu )) I

Ces citations permettent de deviner quelle sorte de « phylogénie )) l'auteur croit découvrir dans l'histoire des religions; il est fidèle à la méthode de Frazer et de Tylor, car ce sont les seuls auteurs, ou à peu près. qui semblent compter à ses yeux~. Dans leurs numéros d'octobre 1926 (p. 448 sqq.), et de février 1029 (pp. 147-148), les 7?f~~f~~ analysaient les premiers fascicules du ~M~c~f.M~~Z/'c~M de A. Bertholet, et rendaient à cette collection un hommage qu'elle mérite en un petit volume, un spécialiste réunit les textes les plus importants qui concernent les religions anciennes et modernes; après la religion que fonda Zoroastre, celle des indigènes d'Amérique et celle des Grecs, voici qu'apparaissent, depuis 1927, celle des Romains, des Chinois, des Indiens Jainas, des indigènes de l'Australie et de l'Océanie (Sudseeinseln), Je Védisme et le Brahmanisme, les cultes égyptiens, germains et celtes. Ne pouvant analyser en détail ces ouvrages, on nous permettra de consacrer à chacun une courte notice. Dans le recueil de M. K. Latte sur la religion des Romains, les textes de l'époque impériale tiennent une grande place,–à peu près la religion antiquey apparaît bien ce qu'eite la moitié de l'ouvrage; est une parente pauvre, qui ne subsiste que grâce aux emprunts que lui consentent les religions étrangères, les cultes grecs d'abord, puis les mythologies égyptiennes, thraces, perses, gnostiques. souss ces oripeaux, qu'est devenue la religion primitive des paysans du Latium? Ces documents montrent bien qu'elle disparaissait, malgré les efforts de Symmaque et de Julien l'Apostat. 4.

Z.



5. – M. E. Schmitt, après avoir cité les formules et les cérémonies chinoises se rapportant au culte de la Nature et des ancêtres, donne de longs passages du Z«M-~< (morale de Confucius) et de la doctrine de Meng tze sur l'amour des hommes et la justice; certains sont assez élevés, par exemple, celui-ci « Celui qui possède l'amour de son prochain, s'i! agit conformément à cet amour, est capable d'atteindre ie plus haut point (de la perfection) »); ces beaux prin-

La traduction, en général, est correcte. Quelques distractions pourtant par exemple, p. 40 « .Quand nous avons à faire à des survivances. n;p.48 .Alors, il (l'enfant) joue avec (ses pieds, probablement). « .Que les prophètes se soient rendus compte des conséquences. »; p. t86 ~$. « Tout le but de la pensée musulmane, s'agissant de Dieu », etc. 4.

cipes, ni le taoïsme ni le bouddhisme n'ont jamais pu leur donner une couleur religieuse. L'ascèse des Indiens Jainas, que M. Schubring nous permet d'entrevoir, promet à ceux qui suivent le sentier tracé par le moine divinisé Mahavira de les libérer de la chaîne des nécessités (du Karman), et de les introduire dans le pays des Libérés, des Parfaits, où ils n'auront plus aucun désir. 6.

M. R. Thurnwald distingue, parmi les peuples de l'Océanie, trois groupes dont l'intelligence, la culture, les croyances sont très diSerentes les Australiens, les Papous-Mélanésiens, les Polynésiens-Micronésiens. Pour décrire leurs religions, l'auteur se sert des ouvrages de Strehlow, Keysser, Wirz, Rivers, Fox et Drew. Malheureusement, il ne semble pas connaître l'étude du R. P. W. Schmidt dans le premier volume de Der Ursprung der Gottesidee (2' édition, 1926, pp. 334 483), sur la religion des peuples du sud-est de l'Australie. M. Thurnwald y aurait vu que ces tribus n'ignorent pas l'Être suprême Bundjil, pour la tribu Victoria, Mungan-nyaue chez les Kurnai, Nurrundere chez les Narrinyai. et combien d'autres, dont il ne parle pas. Par contre, il nous donne d'abondants renseignements sur le fétichisme et la magie, sur le Shamanisme et les croyances superstitieuses au mana et aux 7.

~~M.

Le Panthéon innombrable du Védisme et du Brahmanisme nous apparaît dans l'œuvre de M. Geldner Indra, le dieu des dieux, Marut, dieu des tempêtes; Parjanya, dieu des pluies, Agni surtout, le dieu du feu; Prajapati, dans le Tandyabrahmana, apparaît comme l'origine première de toute création « Prajapati, au commencement, était seul dans le monde. Il ne possédait que la Parole. La Parole était sa compagne. Il pensa Je veux envoyer loin de moi cette Parole; elle se déploiera dans l'Univers. It envoya la Parole loin de lui elle s'en alla, elle se déploya dans le Tout. » (p. 99)~8.

9. Chacun des centres religieux d'Égypte: Héliopolis, Hermopolis, Thèbes, Memphis, Ëtéphantine, a eu non seulement ses dieux particuliers, mais aussi sa théologie et sa cosmogonie; le florilège de M. Kees permet d'admirer, en même temps que leur foi intense, les prières simples et confiantes qu'adressaient à leur dieu les pharaons et les prêtres, les architectes et les ouvriers de ces temples séculaires. 5. Le rôle de la « Parole n évoque le

quelques Pères platonisants.

«

Logos

n

de Philon et de

10. Nous n'avons pas beaucoup de documents authentiques le plus souvent, nous sur les antiques croyances des Germains sommes obligés de nous en tenirà ce qu'en disent les écrivains classiques, grecs ou latins. M. Schroeder estime surtout le témoignage de Tacite, qu'il cite largement. Il se sert aussi de poèmes danois et islandais, des récits des Eddas et des Sagas. 11. La religion des Celtes est moins connue encore le christianisme, qui s'est répandu plus rapidement parmi ces peuples, y a aussi exercé une influence plus radicale. César, dit M. Krause, est le seul témoin digne de confiance il n'affirme et ne décrit que ce dont il est sûr, ce qu'il a pu voir de ses yeux. Si l'on voulait se passer de lui, il resterait à interpréter des monuments et quelques inscriptions travail fort difficile. Quant aux documents proprement littéraires, comme ils ne remontent pas plus haut qu'au douzième siècle de notre ère, ils ne peuvent être d'une grande utilité.

II. – Religions des non-civilisés 12.

livre de M. R. Allier, paru en 1927, nous met en face – Leproblème les hommes sont-ils tous de même nature?

d'un grave Peuvent-ils, d'un pôle du monde à l'autre, se comprendre et s'aimer? Ou bien les différences qui les séparent sont-elles irréductibles, et y a-t-il deux humanités l'une destinée à servir l'autre, un monde d'esclaves et un monde de maîtres? S'il est possible de trouver une réponse « scientifique » à cette question, elle doit intéresser tous ceux qui pensent que, étant hommes, rien d'humain ne leur doit être étranger. En 1926, le R. P. Pinard de la Boullaye, en rendant compte, ici même, d'un ouvrage de M. R. A. (la .P~'e~~g~ la conversion ~s les peuples non-civilisés, Payot, 1025), jugeait qu'il était « une contribution de tout premier ordre à la psychologie religieuse et à l'ethnologie générale )) (p. 474); le livre que nous analysons aujourd'hui mériterait de sa part de semen nous excusant de notre retard blables éloges. philosophes )), Voltaire, Buffon, Rousseau, étaient persuadés que les peuplades d'Amérique et d'Océanie, à l'abri de notre civilisation corruptrice, avaient conservé l'état de nature primitive, qu'ils étaient bons et heureux, que nous devrions, pour retrouver le bonheur perdu, nous mettre à leur école. Au dix neuvièine siècle, si Auguste Comte croyait encore à l'unité de l'espèce humaine, si, après lui, l'école anthropologique anglaise Au dix-huitième siècle, les

«

ne doutait pas de l'identité de l'esprit humain, l'école sociologique moderne, dont M. Lévy-Bruhl s'est fait l'interprète, soutient la thèse de l' « hëtërogénéité radicale de la mentalité civilisée et de la mentalité non civilisée ». Il la soutient, non pas comme une hypothèse de travail, mais comme une doctrine arrêtée, dont il croit trouver la preuve dans les relations des explorateurs et des missionnaires tous s'entendent pour accuser le non-civilisé d'une inaptitude déconcertante à l'attention, au raisonnement logique; à la pensée abstraite. D'où vient ce défaut? Les sauvages ont-ils bien une intelligence humaine? Sont-ils des hommes?

Leur croyance à la magie semble avoir été l'origine de leur inférioil a des rité. ( Ce n'est pas ta seule croyance du non-civilisé notions sur la vie, sur la mort, sur le devoir et la faute. « mais il n'y a pas une de ces notions qui ne soit innuencée par la croyance à la magie, sous-jacente à tout ce qui se passe dans l'esprit du noncivilisé » (p. 38). Or, cette croyance est cause à la fois d'un « arrêt de l'intelligence » (ch. n) et d'une « désagrégation morale H (ch. III) arrêt de l'intelligence j s'il existe chez les sauvages, à côté du recours à la magie, une certaine technique rationnelle, s'ils savent composer de mortels poisons pour leurs ftëches, fabriquer avec beaucoup d'habileté des filets et des canots. le succès de leur chasse et de leur pêche ne vient pas, croient-ils, de leur science, mais d'une vertu mystérieuse, d'un « mana » qu'ils ont invoqué et auquel ils attribuent une force invincible. Cette croyance est stérile; elle n'aide à découvrir aucune qualité réeUe » (p. ~5-~j.6); elle est nuisible, car elle empêche d'améliorer ce qui a été découvert, et si elle fortifie la confiance en ce qu'on a fait par des moyens rationnels, elle la dénature, ou encore, elle asservit les individus et les tribus à « ce qu'ont fait les anciens »; par exemple « Un sentier a des puissances secrètes. Aussi longtemps que l'expérience n'est pas fâcheuse, on conserve le sentier qu'arriverait-il avec un chemin nouveau? » Quand il s'agit de découvrir un coupable, on préfère aux enquêtes judiciaires trop longues et trop compliquées, le procédé de l'ordalie il est hasardeux et risque d'être injuste, mais il est expéditif, et l'on a l'impression qu'étant mystérieux et sacré, il est plus sûr (p. 65 La croyance à la magie pervertit le sens ~
n,

f<

~).

raison, que la magie ne cesse de contredire, a perdu toute sa force « L'intensité de l'émotion remplace la distinction (la naïveté, la franchise) de l'idée; le royaume de la magie est le « royaume de l'illogisme. » Cette vie de « peurs morbides, de vertiges meurtriers », ne se retrouve-t-elle jamais chez nous, dans les « sociétés supérieures »? Est-il si difficile de découvrir chez nous des traits de la mentalité sauvage? Sans doute, « il n'est pas toujours commode de vérifier l'authenticité des faits invoqués », et « quand ces faits sont authentiques, il est. malaisé d'en préciser la signification exacte » (p. i35). Du moins, personne n'ignore la puissance qu'ont encore les fétiches, les objets d'ambre, d'or, de fer (« touche du fer n !), l'influence que l'on attribuait pendant la guerre et depuis aux « chaînes de prières »; certains faits sont du domaine public, par exemple les accusations d'envoûtement que porta Maria Mesmin contre le curé de Bombon. dans le monde populaire, des paniques subites, parfois suivies de meurtre, naissent souvent de la croyance à un mauvais sort, qu'aurait jeté une personne bien inoffensive. On trouve donc chez nous des «gestes analogues » à ceux des sauvages; sans doute, ces réactions violentes sont-elles affaiblies, « leur puissance d'entraînement est infiniment plus réduite que chez les noncivilisés )); elles existent pourtant; et, en d'autres circonstances, pourquoi ne produiraient-elles pas les mêmes effetsa La distance qui nous sépare d'eux n'est donc pas un « abîme ». Dans notre vie quotidienne, nous sommes souvent « au seuil de la magie )) (ch: vi). Sous ce titre, l'auteur décrit l' « irrationnel » qui, à notre insu, commande nos démarches. Pourquoi le joueur croit-il qu'en désirant violemment le succès, il le produira? Pourquoi les spectateurs d'une course encouragent-ils le jockey et sa bête, comme si leurs cris pouvaient les amener plus sûrement au but? Pourquoi laissons-nous souvent un événement quelconque le hasard déterminer le choix de nos décisions, et nous abandonnons-nous comme à un monde obscur de puissances qui nous entourent? Serait-ce seulement une faute de raisonnement, un sophisme du genre post hoc, ergo propter Ace? C'est plutôt, comme le démontre l'auteur (p. 182 sqq.) que, profondément, nous sommes des êtres de désir, que le désir peut devenir violent au point d'obscurcir notre raison. La psychologie de l'enfant est révélatrice de nos tendances profondes « L'enfant a le sentiment vague, mais puissant, en acquérant des mots, de pénétrer dans la réalité, de la dominer n'est-ce pas là l'origine des formules magiques? n (p. 2t3 sqq.). L'enfant est

convaincu qu'il peut agir à distance, que le soleil, la lune, le vent, lui obéissent~. Ces observations ne nous permettent guère d'affirmer qu'il y a entre les non civilisés et nous une différence essentielle et irréductible. Mais voici le « vrai problème (ch. vi) où sont les vrais « primitifs »? Sont-ce les premiers sauvages venus? En étudiant l'état actuel des non-civilisés, leur mentalité, leur langage, on peut affirmer qu'un état intellectuel supérieur a dû précéder celui auquel ils sont tombés aujourd'hui (p. 236). Le sauvage peut n'être qu'un « dégénéré »; il semble maintenant n'avoir plus de sens moral, mais « il n'y a certainement pas eu de peuplades dans lesquelles les drames de conscience ne se soient pas produits. et il serait bien extraordinaire qu'ils n'aient pas laissé de traces. » (p. 250). En effet, une étude approfondie démontre que, si des peuplades se sont arrêtées à un degré inférieur, la faute n'en est pas à « une malformation du germe initial », ni seulement à un « manque de stimulant », mais à cette vie de terreurs continues qu'a créée leur croyance à la magie, et surtout à « l'exaspération des sens qui est née de leur amour du plaisir charnel, de la polygamie (p. 264). Le temps n'a pu qu'enraciner, que fortifier cette déchéance. I! faut donc étudier ces peuplades sauvages, et tâcher de découvrir celles qui, ayant été plus isolées, sont restées plus fidèles à leurs traditions primitives; et l'on finit par s'apercevoir que « les peuplades les plus archaïques ne sont pas les plus grcssières », et que « la mentalité dans laquelle la croyance à la magie est le facteur dominant est caractérisée par une vraie désagrégation spirituelle )) (p. 275). M

M

M. R. Allier conclut son ouvrage par un appel émouvant aux nations colonisatrices si elles ne veulent pas seulement exploiter les non-civilisés, si vraiment elles veulent leur bien, et se faire accepter par eux, elles doivent comme l'expérience le prouve assez réformer leur vie morale, leur enseigner l'Evangile et, dans ce but,



M. F. STROWSKI dit, dans une conférence sur « la Dramaturgie moderne » (parue dans la Revue des Co:
décembre iczf)) « L'instinct du jfu dramatique. résulte du besoin de fiction et de mensonge naturel à l'enfant. L'enfant aime à être trompé, parce qu'il est enfant, et à tromper les autres, parce qu'il appartient à l'espèce humaine. Sa facilité d'illusion est immense.» (p. 2). Peut-être la remarque de M. F. Strowsky est-elle trop sévère pour l'enfant, sans doute; on peut le tromper facilement, et il aime s'illusionner. Mais « illusion » n'est pas toujours « mensonge ». ier

leur envoyer des missionnaires 7; ainsi elles provoqueront en eux une renaissance, la « naissance d'un nouveau moi. » (pp. 287 et suiv.)

En lisant deux ouvrages de M. Lévy-Brùh) « Les Fonctions mentales dans la société primitive » et « La Mentalité primitive », M. 0. LEROY, tout en reconnaissant la, « subtilité )), la « diction aisée H de leur auteur, ne peut s'empêcher de le contredire, en opposant au « prélogismea, au « mysticisme » primitifs la « Raison primitive. « La réfutation est péremptoire )), dit le Père Pinard de la Boullaye dans son Étude comparée de Z'c/7'f des ~& gions (troisième édition. T. II, p. 222, n. 2). « L'idée que se fait M. L.-B., de l'esprit primitif, dit M. O. LEROY, n'emprunter la réalité qu'une partie de ses éléments)), elle « ne doit pas grand'chose à la vie » (p. 281). Voici, par exemple, commentM. L.-B. rejette le monothéisme primitif «La mentalité primitive. comme on sait, est surtout concrète et peu conceptuelle. Rien ne lui est plus étranger que t'idée d'un Dieu unique et universel. Elle procède par participations et par exclusions » (p. i?5 et suiv.). Affirmations sans preuves, qui viennent toutes d'un préjugé évolutionniste. M. 0. L. les réduit à ce syllogisme, dont presque tous les termes sont tirés des ouvrages de fauteur (p. i33) 13.

L'idée d'un Dieu unique est un concept, Or, la mentalité primitive est très peu conceptuelle, Donc rien ne lui est plus étranger que l'idée a'un Dieu unique. A quoi l'auteur répond par cet autre syllogisme

«

en forme ))

L'idée d'un Dieu unique n'est pas étrangère à la mentalité [primitive, (et il l'a prouvé par nombre de récits de voyageurs anciens et [modernes) L'idée d'un Dieu unique est un concept, Donc la mentalité primitive n'est pas anticonceptuelle (:~<). En outre, la méthode mérite d'être condamnée elle accumule des faits, sans aucune critique, et elle croit avoir ainsi justifié ses affirmations l'auteur emploie des adverbes comme « toujours n,

Protestants ou catholiques. l'auteur est protestant, il se sert surtout des relations de missionnaires protestants, et ne semble pas Sur voir de différence entre les diverses confessions chrétiennes. ce point, il comprendra que nous ne puissions être de son avis nous devrions même le combattre, mais serait-ce ici le Heu ? 7.

immanquablement )), « jamais )), quand « parfois » conviendrait mieux aux faits qu'il raconte. « Qes écarts réitérés de la normale nous entraînent, en fin de compte, bien loin de la réalité » (p. 47). Beaucoup de concepts sont vagues et flottants « primitif », « prélogique », « mystique », et reçoivent des explications « successives et contradictoires » par exemple, le primitif est tour à tour le « bon sauvage », le primitif-animal, le primitif-mystique. l'étiquette «prétogique » groupe des phénomènes tout à fait hétérogènes. «

(p. 261).

Le travail hâtif de M. L.-B. ne méritait pas plus que cette critique si sa méthode avait été plus sévère, la réfutation eût été plus forte celle-ci suffit 8. 14. Mgr Le Roy nous transporte en pleine brousse, à la recherche des « Pygmées ». Le livre qu'il publie aujourd'hui n'est qu'une réédition de celui qui parut naguère, en 1807 ou 1898, sous le même titre, et qui était devenu introuvable. Les amis des missions et les ethnologues ne peuvent qu'être reconnaissants à l'auteur du service qu'il veut bien leur rendre. c'est qu'en effet, il s'agit de « En pleine brousse », disons-nous découvrir dans)a forêt ou dans le désert de petits hommes toujours en fuite, toujours à l' « école buissonnière H, au point qu'ils sont invisibles les Nègres le croient, et eux-mêmes en sont persuadés. Pourtant, l'auteur a vu ces êtres légendaires, « hauts d'une coudée )), dont parlaient Ezéchiel, Homère, Hérodote, Aristote. et qui, disait-on, devaient se défendre contre les attaques des grues. Jusqu'au milieu du dix-neuvième siècle, on avait douté de leur existence. aujourd'hui, nous en sommes sûrs, il semble que nous les entendons parler. Ils sont répandus par îlots dans toute l'Afrique, depuis l'Atlas jusqu'au Tanganyika, depuis les Somalis jusqu'au Congo, au Zan-

P.

8. Celle du R. Père CHARLES dans la Nouvelle Revue théologique (février io3o, pp. !to-i2&), qui critique aussi le dernier ouvrage de M. L.-B., /aM~ ~'M!~M, n'est pas moins forte elle conclut ainsi mais « Que le primitif soit difficile à comprendre, c'est bien sûr.

qu'il soit incompréhensible parce qu'il est plongé dans le prélogisme. c'est une de ces affirmations pernicieuses, à laquelle la vraie science est totalement étrangère. Nous n'avons pas voulu dire autre chose H (p. 126). 9. « Une coudée u, c'est bien peu On préfère croire que les Pygmées en avaient bien deux, et même trois Mgr LE ROY reconnaît d'ailleurs (p. n) que le texte d'Ezéchiel « est interprété très diversesement par les commentateurs

».

guebar, et jusque sur les rives de l'Orange. Sous différents noms, c'est la même race; ses caractères physiques varient bien suivant tes tribus qui l'avoisinent et auxquelles elle s'allie parfois, mais un habitué reconnaît vite un Négrille au milieu d'un groupe de Nègres sa petite taille, sa grosse tête, ses sourcils épais, son teint bronzé, mais plus clair que celui des Nègres, ne permettent pas de le confondre avec eux. Si le « Pygmée classique n'existe nulle part, t'un ou l'autre de ses traits se retrouve partout (p. 3j8). Non pas que le chercheur découvre en eux une humanité inférieure, comme d'aucuns l'ont rêvée au contraire, quand il étudie leurs caractères intellectuels, moraux, religieux, sociaux. et qu'il les compare aux tribus nègres qui les environnent, ou même aux nations civilisées d'autrefois. et d'aujourd'hui, il trouve « chez ces humbles représentants de la grande famille humaine moins de fégendes extravagantes, moins de pratiques barbares, moins de rites obscènes )) que chez les nations « civilisées (p. 221). « On peut être heureux, et même intelligent, sans avoir tout le confort d'un Parisien » (p. 96). Et le missionnaire s'étonne (et se moque un peu.) de « notre vanité ridicule, à nous, qui commençons par nous mettre simplement au plus haut degré de l'échelle intellectuelle, et qui plaçons les autres plus bas, à proportion qu'ils nous ressemblent moins. ))(p. 97). Les Négrilles connaissent et adorent Dieu, ils en ont une notion très simple, mais très pure. Dieu, c'est, dit Mba-Solé, le danseur dont le missionnaire nous a décrit les splendides évolutions (pp.u8-rzï), c'est H l'auteur du ciel, des astres, de la lumière, des yeux, où la pupille nous renvoie son image et où réside la vie. H M

(P. 187).

L'Être suprême est pour eux, au contraire de ce que croient leurs voisins, les Bantous, un Dieu personnel et souverain qui, dans la vie future, récompense ou châtie les âmes des morts par contre, les Négrilles ignorent presque toutes les superstitions apparitions d'âmes des ancêtres, mânes, esprits mauvais, amulettes (dans toute l'Afrique, on peut reconnaître un NégriDe à ce signe qu'il ne porte pas d'amulette) quant aux sorciers, ils n'ont chez eux aucun pouvoir (p.

189).

Mais alors, peut-on se demander, pourquoi ne sont-ils pas plus « civilisés H? Pourquoi ne se décident-ils pas à quitter leur vie nomade, à travailler la terre, à s'établir enfin dans une vie moins misérable ? A cette question, l'auteur répond d'abord en critiquant ce que nous appelons « civilisation n, et en niant que l'élévation de la pen~

sée et des mœurs suive naturellement le progrès matériel. Et puis, cette vie nomade leur plaît, où, comme dit le « philosophe x rencontré en un coin perdu de la forêt de Sokoké, près du Kilimandjaro « Sans cultiver la terre plus que les singes, nous avons la viande des animaux, le miel des abeilles. les fruits de )a forêt. et nous vivons. c'est Dieu qui a planté pour nous. )' (p. 104. et suiv.). Enfin, et surtout, il semble que leur destinée soit de « fuir ') partout les Négrittes, et en Asie les Negritos, qui sont de leur race (p. 3a6), « se sentent poursuivis, recherchés; aucun privilège ne leur est plus précieux que celui de se rendre invisibles; quand on les regarde, ils disparaissent. Quand il meurt quelqu'un au' camp, ils s'en vont « Dieu les a vus » Ils ne tuent personne, ni dans En songeant à cette leur tribu, ni dans les tribus étrangères. » fuite éternelle, on comprend que le missionnaire se souvienne de la fuite de Gain devant l'Éternel. Ses souvenirs personnels sont ses documents les plus précieux, et parfois l'on est ému en l'entendant se souvenir de ses chers Noirs, de leur amour pour la « vie de la forêt » (pp. 202-20.). ces pages lyriques sont de toute beauté !) mais il se sert aussi des récits des explorateurs Stanley et Livingstone. des travaux des savants, Surtout de ceux de A. de Quatrefages' enfin de tout ce qui peut jeter quelque lumière sur ce pauvre peuple, le dernier de la terre, qui veut rester obscur et ignoré, tant il est honteux de vivre, et à qui pourtant le prêtre, l'évêque a voulu consacrer tant d'années de sa vie.

15.–C'est la même émotion qu'inspire

petit livre du R. P. M. Briault Polythéisme et Fétichisme. Après avoir étudié, fort succinctement, les cultes antiques ou modernes assyrien, hindou, chinois et japonais, germain et celte, grec et romain. où il ne choisit que les éléments proprement religieux, et trouve toujours un reflet d'un monothéisme primitif, une souvent bien pâle « tendance au monothéisme H, il se demande (p. 6~) si la croyance en une multiplicité de dieux ne serait pas venue d'une « déviation de la pensée et du langage M, si elle ne serait pas la « traduction le

io. Que Mgr Le Roy critique cependant (p. i5o), quand le savant (trop « scientifique H!) se défie du témoignage des missionnaires sur la religion des Noirs.

populaire » d'une foi primitive en l'infinité des attributs divins. Mais il se hâte d'en venir aux « Primitifs qui existent encore, au milieu desquels il a pu vivre, et où, malgré la difficulté de cette étude, il a cru découvrir, comme Mgr Le Roy, l'essentiel d'une religion très pure une croyance morale, le respect d'une autorité dont ils savent l'universelle et invincible puissance (pp. 80 et suiv.). En une série de notes judicieuses, l'auteur étudie Dieu c/<M les primitifs (pp. 80 et suiv.) c'est un Être transcendant, invisible, immortel, c'est le Créateur, la Puissance, la Vie. l'Ame (pp. 100 et suiv.), la loi morale qui, malgré ses lacunes, « ne laisse pas voir chez le Nègre la grimace d'un animal )) (p. i23), et ne permet pas de méconnaitre qu'il est vraiment un /WM~M, une conscience; dans le culte de ces tribus K primitives », l'auteur n'a pas de peine à distinguer I'
16.

Henri A. Junod appartient à la mission de la Suisse romande. Après sept années passées à Rikatla et diverses excursions chez les Ba-Sontos du Basontoland, et chez les Ba-Venda du Transvaal, il publie en seconde édition son étude sur les Thongas. Dès son apparition, l'ouvrage avait été très remarqué. Un chapitre préliminaire décrit la tribu, les clans qui la composent, le pays qu'elle occupe, et relève ce qu'on peut'connaître de son passé. Il est traité, ensuite, en six parties 1° des individus (hommes et femmes, de la naissance à la mort) 3* de la famille et du village; 3° de la vie nationale (clans, chefs, justice, armée); 4° de l'agriculture et de l'industrie 5° de la vie littéraire et artistique 6° de la religion et des superstitions (magie, sorcellerie, divination, tabous). Les additions plus notables concernent le système de parenté, les rites de la chasse, le culte des ancêtres et diverses comparaisons avec les tribus voisines. M. H. A. Junod a vécu longtemps au milieu de ces populations. Avec impartialité, il en signale les mérites et les vices, en vue de servir à la fois la science, l'évangélisation et les intérêts des Thongas M.

eux-mêmes. Dans un avenir plus ou moins proche, estime-t-il, quand leur civilisation aura achevé sa transformation, ils seront heureux d'en trouver une description si consciencieuse. En présentant cette monographie comme un modèle, nous ne croyons guère en exagérer le mérite. D'un bout ài'autre, on yadmire la richesse et la précision des informations. On éprouve donc quelque difficulté à indiquer quelles pages méritent plus spécialement de retenir l'attention. En un sens, tout est utile, parce que très détaillé. Nombre de traits, qui sembleraient accessoires, pourront aider à éclairer bien des problèmes. Bornons-nous à citer les pages consacrées aux relations de parenté (t. II, p. zi~-So~), à l'origine de la polygamie (I, 282-285), aux idées des indigènes sur les maladies et leurs causes (II, 473-470), aux notions morales et à leurs relations avec les tabous (II, 573-583), aux phénomènes de possession (II, 479-504) Ce qui concerne le culte des ancêtres est particulièrement développé 3~2-~28~. La comparaison des Akombas, des Ba-Ila et des Bagonda amène M. H. A. Junod à cette constatation importante « I! semble que plus large est devenue l'unité sociale (en passant du groupe familial aux clans composites ou mêlés d'éléments hétérogènes, puis aux royaumes), plus se sont accrus le pouvoir etl'importance des dieux-ancêtres (II, p. 5g3-5~) aux dieux familiaux qui font a peine figure de dieux, se superposent les dieux régionaux, finalement les ancêtres de la famille régnante, dont l'autorité s'étend plus loin et dont le culte prend plus de relief. L'idée du Dieu suprême, partagée par tous les Bantous, s'oblitère

Il,

à

proportion.

Les Thongas sont-ils à considérer comme primitifs ?Plutôt comme des sous-primitifs, conclut l'auteur, après avoir esquissé, avec les réserves qui s'imposent, quatre stades de leur évolution. Dans l'ordre matériel, on peut noter quelques progrès, surtout par influence des peuples voisins; dans l'ordre religieux, il y aurait plutôt immobilité, voire dégénérescence, si l'effacement du Dieu suprême date du siècle dernier (II, 623-628). l'idée M. H. A. Junod se rallie à la thèse du Rév. Soderblom de Dieu dériverait, selon les milieux, de la notion de force, ou de l'animisme, ou de la notion de causalité (11, 5p6). Cette solution marque un progrès de l'apriorisme rigide de l'ancien évolutionnisme. On peut estimer toutefois que l'auteur l'aurait jugée insuffisante, s'il avait étudié avec autant de soin que ces « semi-primitifs )) les plus primitifs des primitifs: Paléo-Asiates, Paléo-Australiens,PaléoCaliforniens, Negritos, Négrilles etFuégiens.

Le P. Martin Dobrizhoffer, Jésuite autrichien (i~y-t~t), passa près de vingt ans dans la mission du Paraguay. Après son retour au pays natal, à la suite de l'expulsion des Jésuites en 1767, il publia ses souvenirs sous le titre Historia de j4~c~& Z'My~Z~~M~<M
i7.

18. Dans la forêt de Teutoburg, sur les bords de la Lippe, non loin de Paderborn, quelques rochers sculptés, quelques ruines là, bien des siècles avant les missionnaires attestent chrétiens, avant même les légions de Varus et de Germanicus, un foyer de civilisation et de religion germaniques. M. Teudt les a étudiés de très près et, à son avis, les historiens se sont grossièrement trompés en affirmant que les Germains étaient des sauvages avant d'avoir été en contact avec les Romains et les Francs de l'Ouest (Charlemagne et ses comtes), (pp. 11 et suiv.). En ces débris, l'auteur a découvert une véritable culture, originale et autochtone, en particulier une science du cours des astres semblable à celle des mages chaldéens (p. ao8). Malheureusement, pense M. Teudt, le christianisme est venu; et, pour s'implanter en Germanie, il a détruit de fond en comble tout ce qui pouvait rappeler les vieux dieux germaniques. Charlemagne surtout (ein brutaler. Tyrann) (p. i56 et suiv.), avec ses méthodes sanguinaires, sa soif de gloire et d'argent. fut le fléau de l'Allemagne sans lui, le peuple germain, sain, robuste, intelligent, peuple de poètes, de penseurs, de musiciens, se serait développé dans la paix peut-être même aurait-il appris des Goths un christianisme plus proche de lui, plus pur, sans ce mélange d'élé-

qu'ileut

I! existe de ce livre une traduction anglaise, par MissSouthey: -4M account of the ~~t~OtM, an ~MM~MM
n.

~C~

ments étrangers inassimilables, que lui apportèrent les envoyés d'Aix-la-Chapelle. (p. i3). Quoi qu'il en soit de ces plaintes et de ces hypothèses (nous laisions aux historiens le soin de les juger !), les destructions de Charletrop radicales pour nous permettre de magne ont été radicales, savoir rien de bien précis sur les anciens cultes germaniques.

III.

Religion des civilisés

19. Les Grecs étaient-ils religieux ? se demande au début de son beau livre M. Walter Otto; ils nous ont laissé bien des monuments de leur religion récits gracieux ou tragiques, chœurs de fêtes, temples, tombeaux, statues et bas-reliefs. toute leur vie, comme ils disaient, « était pleine des dieux », leur pensée et leur prière montaient naturellement vers eux.–Pourtant, cette religion nous laisse froids serait elle trop artistique pour nous émouvoir? regretterionsnous de n'y pas trouver cette intimité avec leur dieu qui est pour nous le « sentiment religieux » ? Nous nous demandons si, perdus dans l'Olympe, les dieux ont jamais obtenu des âmes grecques ce sacrifice total d'elles-mêmes, que nous croyons être l'essence de la religion. Avons-nous raison ? Et, parce qu'il est trop étroit, notre jugement n'est-il pas injuste ? M. Otto le pense. Les Grecs avaient l'esprit religieux mais pour le comprendre, il faut segarder de le confondre, ou même de le trop comparer avec celui des Orientaux. (M. 0. réserve à ceux-ci l'antipathie, peut-être le mépris, que d'autres ont pour la religion grecque.). H faut donc Fétudier en elle-même Religion et rites « primitifs » (avant Homère) Avec Homère, l'avènement des Olympiens; La nature des plus grands de ces dieux: Zeus,Athènè,Apollon et les rapports des hommes avec eux; Enfin le Destin est-il un dieu, ou une puissance qui s'oppose aux dieux ? Tout en regrettant de ne pouvoir suivre notre auteur dans le détail de ses recherches, nous en signalerons quelques-unes. RELIGION « PRIMITIVE H I. Sans cesse revient cette distinctiondeux royaumes divins apparaissent dans nos documents une révolution, dont les poèmes homériques gardent la trace, a dû détrôner les anciens dieux 11

& En parlant des

«

primitifs », M. 0. veut sans doute parler des

Dans les poèmes d'Hésiode et de Pindare, dans les tragédies d'Eschyle et de Sophocle, on devine ce que dut être le pouvoir de ces dieux obscurs, et la terreur qu'il inspiraient implacables, ils proclamaient les lois indéfectibles de la Nature, ils les vengeaient quand elles étaient violées tout excès (S6?t<) contre l'ordre, contre les droits du sang, de l'hôte, de la mère, était une insulte aux dieux éternellement elle exigeait une réparation. Ce sont des puissances/MM<M~<M qui dominent dans lareligionprimitive Déméter, Gaia, Rheia, les Euménides. Le .Fe~~K'M est la Puissance des éléments, dont rien n'arrête la fureur, dont rien n'émeut l'indifférence, car la Terre-Mère est impersonnelle; comme tout est né d'elle, tout aussi rentre en elle. Alors, les dieux apparaissaient sous des formes d'animaux à moins que ce ne fût leur nature primitive, dont il resterait une trace dans Homère « Héra aux yeux de vache H, « Athene aux yeux de chouette. )) ou qu'on ne dise, comme le préfère M. 0. (pp. 3y38), que les concepts primitifs, tout en étant « simples )), étaient « mouvants n, qu'ils ne se sont solidifiés qu'avec notre civilisation un dieu pouvait être aussi bien une eau courante qu'un taureau ou un être humain, car la divinité était encore liée à l'être élémentaire des choses H, elle n'avaitpas encore la«claire liberté des formes spirituelles L'histoire de ces dieux nous est restée sous forme de Mj~A~ en ces horribles légendes, l'informe personne des dieux est noyée dans l'immensité de l'événement où ils jouent un rôle mariage d'Ouranos et de Gaia, déluge de Deucalion, luttes avec les Titans, naissance d'Athènè provoquée par un coup de hache sur la tête de Zeus. les Grecs se moquaient plus tard de ces légendes, mais ils s'en souvenaient, ils s'en servaient. M. Otto dit qu'elles sont « primitives », parce qu'elles sont étranges, monstrueuses, magiques. cela prouverait plutôt qu'elles ont été inventées par des esprits d'une culture au moins grossière. Les vrais « primitifs M, nous le savons maintenant, sont plus simples vraiment simples. <(

».

2.

LES DIEUX D'HOMÈRE

II semble que sur le sombremarais des dieux détrônés, une aurore apparaisse de l'Olympe où règnent les nouveaux dieux, le Soleil de la lumière et de l'esprit chasse les puissances de ténèbre, de sang, de générations déjà civilisées qui précédèrent Homère, non des tout premiers Hellènes. Les « primitifs );, selon lui, adoraient les dieux de la terre et de la mort.

mort. Celles ci vivent encore, mais la pensée et l'amour des hommes s'élève naturellement vers la jeunesse des nouveaux vainqueurs. L'auteur les passe tous en revue mais une vision t'arrête celle où il contemple la déesse d'Athènes, la Vierge aux yeux clairs, la déesse qui fut toujours le symbole du génie grec ~Ac~. Elle est d'abord la déesse de la guerre Athèna jP/f~M<M; elle parcourt les rangs des soldats, et les redresse quand ils plient; elle descend du ciel dans un nuage sombrepour renverser les remparts et détruire les villes. Mais, plus encore, elle est l'amie des gM~~f~ Tydée, Diomède, Ulysse; elle les conseille et les réconforte. Elle est bien celle qui est sculptée sur un métope du temple d'Olympie K Sur la tête d'Héraklès pèse une nuéeelle va l'écraser Mais invisible pour le héros, la claire figure d'Athènè s'est glissée derrière la nuée et, avec L'élégance propre à la divinité grecque, elle la touche; Héraklès se sent une force de géjnt il va pouvoir l'impossible )) Bien qu'elle soit toujours en relation avec ses protégés, on ne parle jamais d'amour à son sujet si elle n'a pas le visage froid et sauvage d'Artémis, elle ne provoque jamais la sensibilité elle est l'~p:jj.o~x.Tp-fj, la Fille du Puissant, et son origine la garde des faiblesses de la femme. Elle est femme cependant elle a l'intelligence rapide du moment présent. Quand on l'appelle déesse de la spéculation, de la « musique », de la beauté artistique. on se trompe elle est la déesse du«positif », de la claire Victoire, « celle qui est toujours là ». Elle est terrible, comme la femme «Avec toute sa grâce, la femme est plus dure que l'homme, quand sa volonté est engagée M mais elle n'est pas terrifiante comme les antiques Puissances si elle réprimande Achille, elle le remplit d'ardeur, quand il aperçoit son visage. Nous nous sommes attardés à décrire l'image d'Athènè, parce qu'elle est le symbole de la divinité grecque. Les dieux de l'Olympe sont des dieux de vie, de lumière, d'intelligence ils ignorent la mort non pas qu'ils méprisent les antiques puissances, ils les respectent; mais ils préfèrent les oublier, et jouir de leur éternelle jeunesse. Leurs fidèles ne craignent plus les morts, car ils brûlent les cadavres, et ils adorent la nature vivante, car elle est divine « Partout présente, la divinité se confond avec tous les phénomènes de la vie »; elle est « l'Essence suprême, l'Être immuable qui plane dans )a lumière éthérée, loin de la terre et pourtant elle est là, toute proche.

)).

Les dieux ont une forme humaine le visage humain exprime la perfection divine « La révélation la plus sublime de la Nature doit êtrel'expression la plus fidèle du Divin » (p. 3o3). Le plus souvent les dieux ne font pas de M/f~f/M ont-ils besoin de prodiges pour se manifester ? Tous les actes des dieux se passent selon les lois de la nature « Le quotidien, l'ordinaire, révèle le divin aussi bien que l'extraordinaire, le prodigieux » (p. 290). Pour découvrir le divin, l'intelligence n'a qu'à suivre sa nature.

Pour les Grecs, l'esprit n'est pas l'infini, au-dessus des sens, loin de toute forme l'esprit est clarté, forme parfaite dans la nature, il est donc divin. La forme humaine des dieux exprime l'unité de la Nature parfaite et de l'Esprit « Le dieu porte des traits humains pour montrer que toutes les formes de l'univers se reflètent en lui, en ce qu'elles ont de plus spirituel ); Les dieux sont des esprits.

le visage de l'homme. Enfin, la nature des dieux est ~a~~ au delà du Bien et du Mal, du Juste et de l'Injuste. ils veulent la Gloire et ce qu'ils promettent à leurs fidèles, ce n'est pas le Bonheur, mais la Grandeur quant à ceux qu'ils laissent mourir, ils ne les abandonnent pas, car ils les font grands. « La divinité peut tendre la main à l'ennemi, glorifier le criminel. il ne faudrait pas croire qu'elle l'aime, ni qu'elle lui pardonne elle connaît seulement des régions où. ces valeurs (le Juste, l'Injuste.) sont dépassées. » Cette interprétation nietzschéenne de la religion homérique nous semble fidèle elle est

païenne. Si la divinité est la nature parfaite, l'homme sera divin dans la mesure, non pas où il dépassera la nature (où il sera M~M/M~),mais où il s'y conformera, où il sera « naturel )) il fera la volonté des dieux en cherchant à connaître la Nature, car « la conscience des réalités éternelles quand elle est claire, devient volonté » (p. 23i). On voit naître ici l'ébauche d'une théorie dite « platonicienne M, et qui est surtout grecque le mérite et la faute ne sont pas dans ce que nous appelons <( volonté )), ils sont d'abord et surtout dans l'intelligence la Vérité connue, la Pensée (yvM~), est le tout de l'homme et quand Homère veut dire qu'un homme est bon, il dit qu'il sait le bien si cet homme est mauvais, il dira qu'il est « aveuglé n. Mais, qu'est-ce qui l'aveugle ? Le plus souvent, c'est la Moire mais si les poètes ont souvent décrit l'action ter(Motooc), le Destin rible de cette force obscure, jamais ils ne l'ont définie. Etait-elle une ainsi conçue, Personne? Il semble que la religion « primitive Le Destin.

l'ait

mais Homère ne voit en la Moire qu'une puissance impersonnelle, négative, comme Nyx ou comme Okéanos les dieux se soumettent à elle, comme les hommes, et ne cherchent ni à la comprendre ni à se la concilier. Elle est l'éternel « non » de la Mort qui s'oppose à l'éternel « oui H de la Nature, de la Vie divine. Les dieux ne sont pas, comme on l'a parfois pensé, les exécuteurs du Destin:j)s ne veulent que la vie et la victoire de ceux qui leur sont chers s'il en résulte la mort de leurs ennemis, il laissent s'accomplir le Destin, mais ils ne t'ont pas voulu. C'est en ce sens que Achille dit à Hector « Le jour fatal m'arrivera quand il plaira à Zeus », c'est-à-dire quand il voudra donner aux Grecs la victoire sur moi (II, 22, 365). Le livre de M. W. Otto, œuvre originale d'un érudit et d'un philosophe, permet de mieux apprécier l'effort, souvent impuissant, de la pensée grecque vers le Divin. Pourtant, une remarque nous semble s'imposer. M. Otto croit à une évolution de la religion grecque des grossiers fétiches ou des revenants dont ils avaient peur, et qu'il essayaient de se concilier, les Hellènes se seraient élevés peu à peu, puis tout d'un coup (avec Homère), à la splendeur d'une reli-

gion vraiment humaine, pleine de beauté, d'intelligence, de spiritualité. Comme nous l'avons suggéré, la période que l'auteur appelle « primitive » nous semble plutôt un âge de décadence, et l'aurore qui monte sur l'Olympe n'est sans doute qu'un souvenir lointain de la religion vraiment primitive, du temps où les hommes devaient croire à ]a spiritualité du Créateur, et invoquer sa Providence ce temps-là, les dieux d'Homère et ceux qui les adoraient l'avaient bien oublié 1

20. Dès l'Avant-propos de son étude sur les Mystères d'Éleusis, M. V. Magnien nous avertit qu'il n'a pas cru nécessaire, ni même utile, -.après les travaux de Mommsen, de Lenormant, de Foud'exposer encore le résultat de ses recherches. Le sujet de cart, son travail, c'est la doctrine, on pourrait dire la philosophie, les dogmes éleusiniens. Comme il ne croit pas que cette doctrine ait beaucoup évolué depuis ses origines (nos documents peuvent remonter au vie ou au VU" siècle avant Jésus-Christ), jusqu'à son déclin (v" siècle après Jésus-Christ), l'auteur ne croit pas non plus devoir tenir compte de la date des documents «Nous avons le droit de recueillir des traits épars ça et là dans tous les auteurs grecs et de les assembler, sans tenir compte de la date où ces documents se présentent à nous. o (p. 8). EtCHEtCHES SCtENCt ML. XXI. 4 d


Sur ce point, nous nous permettrons l'une ou l'autre observation il L'auteur reconnaît lui-même (p. 39) qu'en passant d'un pays à un autre, d'Égypte en Crète, puis en Thrace, puis à Athènes, « les Mystères variaient nécessairement sur quelques points plus ou moins importants n c'est, en effet, le, sort des institutions humaines; naturellement, elles évoluent, elles changent; 2° il nous semble aussi qu'en passant des couches inférieures du monde grec jusqu'aux classes supérieures, jusqu'aux cercles intellectuels, la doctrine a dû se transformer; en passant par les écoles pythagoriciennes, et surtout platoniciennes, il nous semble difficile que, tout en leur livrant ses mythes, elle n'ait pas été marquée de leur empreinte que, par exemple, le symbole de la mort et de la renaissance du grain de blé, le mythe de la résurrection de Dionysos-Zagreus, ne soient devenus peu à peu, par le travail de la pensée philosophique, le symbole de la survie, de la spiritualité, de l'immortalité de l'âme. L'étude des Mystères nous découvre sans doute certains traits essentiels de l'âme religieuse le besoin de connaître le sacré, l'inconnu qui se cache derrière le voile, le besoin d'être initié à une société particulière, loin du profane, le besoin de purification, le sentiment, non pas du péché, mais de la souillure profonde de l'âme, de son impuissance à s'élever, si elle n'est pas initiée, jusqu'au divin; le besoin de Dieu, le désir de s'élever jusqu'à lui ou de vivre sa vie, loin de la terre mais, ce que nous ne trouvons pas dans la doctrine des Mystères, – etcequi nous paraît plus essentiel encore à l'attitude religieuse, c'est l'humilité, l'aveu de sa faiblesse morale et de sa faute, la contrition, la douleur d'avoir peiné celui que l'on devait aimer, l'amour enfin, la joie d'être avec Dieu et de se donnerà lui. Selon sa méthode, M. V. M. se sert de textes de Clément d'Alexandrie (par exemple pp. 94, io5, 108, i55, 159), où il croit découvrir une description assez exacte des cérémonies de l'initiation éleusinienne, de Yépoptie; sans doute, Clément d'Alexandrie s'est beaucoup servi du langage des Mystères pour exposer la doctrine chrétienne, et c'est assez regrettable – mais ces descriptions sontelles si claires qu'elles nous révèlent le détail des rites éleusiniens ? Si les meilleurs exégètes (le R. P. Lagrange, par exemple), leur attachent un grand crédit, l'auteur doit bien reconnaître qu'elles laissent dans l'ombre une bonne partie du « Mystère ». En faisant ces remarques, nous n'avons pas oublié la valeur de cette œuvre comme il le désirait {Avant- -propos, p. 7), l'auteur, grâce à son érudition, a pu soulever un peu le voile qui nous cache les Mystères, et nous suggérer ce qu'éprouvaient, ce qu'attendaient les nouveaux initiés.

Pourtant, nous ne demanderons pas aux Mystères ce qu'ils ne peuvent nous donner: une explication des symboles et des dogmes chrétiens, comme si la prédication de l'Évangile n'avait été que le développement splendide de leurs croyances les plus pures. L'oeuvre dont M. Reitzenstein nous a donné en 1927 une troisième édition pourrait nous le faire croire. Cette « dissertation » {Vortrag) lue au Predigerverein d'Alsace-Lorraine, à Strasbourg, le 11 novembre 190g, est suivie de nombreuses notes scientifiques, dont plusieurs sont nouvelles dans la présente édition: par exemple les notes: Culte oriental et hellénistique (p. 1Ô7); Philosophe et Prophète (p. 236); Union d'amour avec le Dieu (245). L'auteur, qui peut se servir des connaissances historiques et philologiques les plus variées une véritable encyclopédie -essaie de trouver dans cet assemblage de doctrines superstitieuses les plus hétéroclites, dans ce magma de rites sensuels, ridicules ou cruels, que fut trop souvent la religion du monde hellénique, non pas l'origine de la doctrine chrétienne ce serait trop paradoxal mais la « condition » presque suffisante de succès de l'Évangile, de la doctrine de Paul en particulier. Il dit, par exemple, à propos du charisme du Tcpocpr^c, tel qu'il est décrit dans la Ira Épître aux Corinthiens (XIV, 24) « Personne ne dira que rivôouaiaaijiôi; des premiers chrétiens a été emprunté (entleknt) au paganisme mais on ne peut contester que sa «forme », son « mode » (Form ttnd Aufiassung) n'ait été pris (entnommen) d'ailleurs » (p. 240) quelques lignes plus haut, l'auteur avait été plus audacieux encore « Properce (IV, i) décrit le phénomène [du prophétisme] comme il se passait chez les chrétiens des premiers temps » (p. 2^9). Il découvre dans Pausanias, dans Apulée et dans quelques inscriptions qu'Isis « appelait u ses adorateurs, et que ceux-ci se glorifiaient d'avoir été « destinés » à son service. Et il conclut, avec la même prudence « Nous ne dirons pas que la doctrine paulinienne de la prédestination est mais nous pouvons dire avec certitude. dans ce venue de vocabulaire des Mystères, [il y a] un présupposé (nous traduirions volontiers zen terrain de culture) qui rendait possible la doctrine [de Paul], et qui a été son auxiliaire (p. 255). Ailleurs encore, M. Reitzenstein se défend de parler d' « origine » paienne, d' « emprunt » aux Mystères, mais pourtant, il ne peut s'empêcher de flairer partout dans les Origines chrétiennes « l'influence des concepts hellénistiques » (p. 259)12. 21.

là.

12.

Il est vrai qu'il comprend à sa manière les expressions de

Paul:

Il est vrai, pense-t-il, que si Paul n'a pas emprunté à l'Iran la doctrine de la vie du Christ en nous et dans l'Église, que si l'origine de ce dogme doit être cherchée dans « la vie personnelle de l'Apôtre », la « forme de sa pensée » (Denkform) était soumise à l'influence du monde qui l'entourait; or, ce monde était grec: donc, le moule de sa pensée fut surtout hellénistique. Jusqu'à quel point? L'auteur sent combien il est dangereux de préciser davantage, mais on devine la solution qui le tenterait, s'il se laissait aller le christianisme ne serait qu'un hellénisme plus ou moins judaïsé, mêlé d'ailleurs de mazdéisme, de mandéisme, de mithraïsme, de gnosticisme. mais cet « ardent chasseur de similitudes » n'ose peut-être plus trop s'abandonner à cette « course fiévreuse » à travers les systèmes les plus obscurs peut-être trouverait-il plus sûres des routes plus traditionnelles.

22.

L'époque où naquit le stoicisme est tout le monde en convient une époque de décadence morale et religieuse. M.Bevan nous' montre comment ce système philosophique qui n'intéresse pas directement l'histoire des religions a été pour certaines âmes élevées un refuge qui croyaient-elles leur permettrait d'échapper au naufrage des vieilles mythologies (p. 95)- C'était un « catéchisme de morale pratique ». Puisque nous sommes « embarqués », puisqu'il faut agir, coûte que coûte, Zénon et Chrysippe essaient de formuler des règles d'action; ils les justifient comme ils peuvent, par un « système dogmatique. d'un niveau inférieur à celui de la philosophie de Platon et d'Aristote » (p. 72). Ce serait ce souci d'action pratique qui pense M. Bevan (je ne sais si tous les exégètes du stoïcisme seront de son avis) le justifierait de ce « matérialisme grossier » dont on l'a toujours accusé; en disant que Dieu est un corps, le stoicien exprimerait « sa répugnance pour tout enseignement qui réduirait Dieu à une idée abstraite, (son) ardente conviction que Dieu est bien une réalité concrète » (p. 35). « Son panthéisme ne serait que sa persuasion de la présence de Dieu, de sa pronoia, dans la matière qu'il gouverne et qu'il rappelle à lui » (p. 37-38). Mais qu'est-ce que Dieu ? Où va le monde? Quelle est sa fin? N'est-elle que cet « éternel recommencement dont l'idée semble « éminemment choquante » a notre auteur (p. 44), et qui, ainsi

Scxottou

ne peut vouloir dire que Dieu dit juste (Gott spricht ge-

recJtt) (p. 25g). i3. Ces expressions sont tirées de la conférence prononcée à la 3e Semaine d'Ethnologie religieuse de Tilburg, en 1922, par le P. L. de Grandmaison, sur Les mystères païens et le mystère chrétien (p. 457).

n'est qu'un puéril aveu d'impuissance ? Le Portique reste muet. Cette morale que n'appuie aucun dogme, et qui ne propose aucun but certain, laisse donc dans un vide désolant, et si elle a donné « à d'innombrables hommes, pendant des siècles, la puissance d'agir et de souffrir avec un courage admirable. » (p. 73), elle n'a pu répondre à leurs aspirations profondes par exemple, elle n'a pu montrer au sage comment il pouvait s'apitoyer sincèrement sur la peine de son ami sans perdre sa paix intérieure, elle n'a pu que lui conseiller une grimace égoiste. « qu'il soupire avec son ami dans la peine, mais sans que ce soupir vienne dti cœur. » à notre avis,

(p. 66).

Qu'est-ce que le scepticisme? Une philosophie ? Non pas. Encore bien moins une religion! « L'expression d'une lassitude » (p. 123); ce sourire méprisant de gens distingués renonçait à donner aux hommes ce « guide pour l'action » qu'ils demandaient et qu'ils croyaient découvrir dans le stoicisme et le néo-platonisme ils vont bientôt le trouver dans l'Église (p. 142). 23. L'étude minutieuse du Dr J. P. Koets nous permet de deviner l'attitude des âmes grecques en face des dieux. Quels sentiments éprouvaient-elles ? Qu'est-ce donc que la SEwiSa'.jAovfa ? D'après l'étymologie, ce peut être une frayeur en face du divin, ou une timidité superstitieuse, ou encore, un respect religieux où se mêlent la confiance et la crainte. Suivant leur état d'esprit, les écrivains emploient ce terme ou pour exprimer leur estime, ou comme une raillerie; l'auteur ne veut pas décider quel était l'usage le plus fréquent; d'ailleurs, ajoute-t-il (p. 3) « même si nous possédions l'ensemble de la littérature grecque, nous ne saurions pas encore le sens que l'on donnait aux mots dans la vie quotidienne car, dans la littérature, au moins dans la littérature des anciens, on entend rarement la voix de l'homme du commun {the matt in the street, whose voice is rarely Jieard in literatute). » L'ouvrage comprend trois chapitres 1° 8EiartSo:ilui.ovta et ses dérivés employés en un sens « favorable » 2° .en un sens « défavorable »; 3° l'usage de ces mots chez les auteurs chrétiens. Xénophon semble avoir été le premier à se servir du mot SsictSsci'uuv; après lui, Aristote, Diodore de Sicile, Flavius Josèphe. saint Luc dans les Actes des Apôtres (17, 22, 25,19). paraissent le comprendre au sens que les Latins donnaient au mot « religio ». Avec Théophraste et Ménandre, le terme devient une raillerie raillerie des philosophes (cyrénaïques, cyniques, péripatéticiens, épicuriens, stoiciens), qui se moquent des vieux racontars et de l'attitude dévotieuse de ceux qui y croient encore, de Julien

l'Apostat qui se moque des chrétiens les historiens « éclairés» croient que la OEKîioaijxov'a (toute religion) est bonne pour le peuple, tandis que Plutarque n'appelle de ce nom que la superstition. Les auteurs chrétiens saint Justin, Clément d'Alexandrie, Eusèbe, les Pères Cappadociens, ne désignent par ce terme que ce qu'ils croient les vraies « superstitions », les religions paiennes. L'usage de ce livre nous semble indispensable à quiconque voudra étudier la mentalité grecque et romaine aux premiers siècles de l'ère chrétienne. 24. En cet ouvrage qui prépare une étude plus étendue sur « le dieu de l'évangile et le dieu de la loi », si M. Bill s'occupe des religions antiques, ce n'est qu'en passant son but est de rechercher le fondement de la morale et du droit dans la philosophie grecque et romaine. La religion a-t-elle été à la base de la morale dans la philosophie antique? Homère croit bien que Zeus récompense le roi juste et punit l'injustice; mais sa « justice » est une vertu « aristocratique » « la protection du faible par l'homme puissant et fort » (p. 16). Pour Hésiode, au contraire, « le devoir religieux par excellence » est la lutte contre l'injustice Zeus est « le père et le protecteur » de la justice (p. 20-23), et c'est lui qui inspire aux rois les justes jugements (p. 23). Quand cette conception patriarcale se fut éteinte, M. Bill pense que la loi écrite dut être considérée, elle aussi, comme « une révélation de la déesse de la Justice », mais la seule preuve qu'il puisse en donner serait la loi de Solon, où Dihi est une divinité puissante en même temps qu'une notion abstraite, et l'obéissance aux lois de la cité, « une action religieuse au service de la divinité » (p. 26). Mais ce caractère religieux de la loi écrite ne se maintint pas non plus, et ce fut, au contraire, la « loi non écrite dont on revendiqua, comme l'Antigone de Sophocle (v.454), l'origine et la valeur divine (p. 39). Durant la période classique, en répondant au relativisme des sophistes, les penseurs comprirent l'utilité des vieilles légendes religieuses pour imposer l'obéissance aux lois Platon, en particulier, parle souvent de la nécessité de la croyance aux dieux pour assurer une législation raisonnable (pp. go-1o2). N'aurait-il eu que cette conception utilitaire de la religionP M. Bill ne le dit pas et nous ne le croyons pas: toujours est-il que,, du moins dans les « Lois », la religion a surtout ce caractère. Certains textes de Plutarque prouveraient qu'il a essayé de mieux comprendre la justice de Dieu, et comment elle pouvait se conci-

lier avec sa bonté (pp. 226 et suiv.); mais cette doctrine reste trop indécise pour que nous puissions y voir une religion, encore moins l'origine de la loi chrétienne.

En septembre i55i, saint François Xavier commençait son apostolat au Japon. Après être resté quelque temps à Yamaguchi, il crut pouvoir s'en aller au Bungo, en laissant là le Père Cosme de Torrès et le F. Juan Fernandez il savait que les difficultés ne leur manqueraient pas, mais il savait aussi qu'ils sauraient en triompher elles ne manquèrent pas, en effet; nous pouvons en juger par les lettres que publie le Père Georg Schurhammer. (Cf. Saint François Xavier, par le P. A. Brou. Beauchesne, 1912, t. II, p. 23o et suiv.). 25.

Au plus fort d'une crise où leur vie était en danger (du 29 sep-* tembre au 20 octobre), tandis que les ennemis recherchaient les bonzes pour les tuer (pour quel motif précis, on l'ignore), au milieu des incendies et des massacres, calmes et sans se laisser émouvoir, ils rapportaient à saint François Xavier et à leurs confrères d'Espagne et des Indes les événements qui se passaient autour d'eux. Les bonzes affolés étaient venus les assiéger dans leur maison (p. 66) et, sans leur laisser un instant de répit, leur posaient les questions les plus variées sur tout le domaine des sciences philosophiques et théologiques. Le F. Fernandez, pour qui la langue n'avait plus de secret, servait d'interprète et de greffier, et notait fidèlement les demandes et les réponses des deux partiesnous entrevoyons ainsi l'état religieux du peuple qui s'ouvrait à l'Évangile. dont nous avons encore l'original La lettre du P. de Torrès, (il se trouve dans le recueil manuscrit, en possession de la Compagnie de Jésus: E-pistolœ Japonicœ, fol. 22 r. – fol. 25 v.), est d'abord un récit de sa vie, de sa vocation à la Compagnie et aux missions des Indes; puis, l'auteur ébauche une description de la religion japonaise et de ses différentes sectes (p. 48 et suiv.) les adorateurs de Skaka {Cakya-mum Bouddha), né 8000 fois, ou 800 fois (p. 6r), le plus auguste de leurs dieux les adorateurs d'Amida ils ont une confiance sans limites en leur dieu (qu'ils se représentent sous la figure d'un homme ou d'une femme, suivant les sectes), ils croient que, seul, il peut les sauver, et que les plus grands pécheurs, à l'heure de la mort, peuvent encore échapper à leur perte, s'ils invoquent avec confiance Amida; d'autres, plus ignorants, adorent le Soleil et la Lune: il n'est pas difficile de les réfuter, pense Torrès (p. 49, n. 24); ceux qui donnèrent le plus de mal furent les Zenshu, moines contemplatifs, que leurs longues méditations ont rendus plus inaccessibles à la Loi de Dieu (p. 49, n. 25) les uns sont maté-



rialistes, et croient que l'âme meurt avec le corps, d'autres la croien t éternelle, d'autres croient à la métempsychose {ibid.) inutile, disent les premiers, de chercher une « Voie tout s'en retourne au Nirvana, le Principe qui n'est ni bon ni mauvais, ni vivant ni mort il n'y a pas de différence entre l'homme et la bête: tout s'en retourne

»«

aux quatre éléments » (p. 68 et suiv.). S'ils admettent un Dieu, ils ont peine à comprendre comment il est sans corps, sans figure ni couleur, immatériel et, d'autre part, si l'âme est aussi immatérielle, comment elle se distingue de lui comment laforme » de l'homme (Ku) ne se dissout pas après sa mortOù est Dieu ? Qu'est-ce que le diableEst-il mauvais par nature, ou par sa fautePourquoi Dieu, qui est toute bonté, lui permet-il de tenter les hommes et de les perdre? Pourquoi les péchés contre le sixième Commandement son tils défendus? Pourquoi y a-t-il du mal dans le mondeComment les « simples », parmi les infidèles, pourront-ils être sauvésP En lisant cette dispute, on comprend l'admiration de saint François Xavier et du Père de Torrès pour l'intelligence pénétrante et curieuse des Japonais (pp. 47, 48); « Ils sont excessivement intelligents. plus curieux que tous les peuples à moi connus »; « les réponses de saint Thomas et de Scot ne suffiraient pas » à répondre aux Zen-shu. (p. 62);on comprend aussi leurs exhortations àleurs frères d'Europe: si les Japonais sont fiers et belliqueux, s'ils sont trompés par l'hypocrisie des bonzes (p. 57 et suiv.) ils sont « très portés à la piété» (p. 60); « plus prêts qu'aucun peuple du monde à recevoir notre sainte foi » (p. 47), et, s'ils l'embrassent, comme « il n'y a pas de peuple au monde qui soit aussi constant. ils souffriront tout pour la garder » (p. Sx). Florennes {Belgique.) GABRIEL HORN.

BULLETIN

D'ANCIENNE PHILOSOPHIE GRECQUE I. Ouvrages généraux. Léon ROBIN. La Pensee grecque et les Originesde l'esprit scien1. tifique. Édition revue et corrigée. Paris, La Renaissance du Livre, 1928. In-8, XXI-486 pages. Prix 35 francs. Abel REY. La Science dans l'antiquité. I. La Science orientale 2. avant les Grecs. Ibid., irg3o. In-8, XVII-495 pages. Prix 35 francs. (Ces deux ouvrages appartiennent à la Bibliothèque de synthèse historique.)

II. La philosophie antéplatonicienne. 3. Paul TANNERY. Pour l'histoire de la science hellène. De Thalèsà Empédocle. Deuxième édition par A. Diès. Avec une préface de M. Federigo Enriques. Paris, Gauthier-Villars, 1930. In-8, XXI435 pages. Prix 80 francs. Théodore GOMPERZ. Les Penseurs de la Grèce. Tome I. La Phi4. losophie antésocratique. Traduction de M. A. Reymond, couronnée par

l'Académie française. Troisième édition française conforme à la quatrième édition allemande. Paris, Payot, 1928. In-8, vi-557 pages. Prix 40 francs. 5. John BuRNET. L'~iurore de la philosophie grecque. Édition française par Auguste Reymond. Paris, Payot, 1919- In-8, vi-436 pages. Prix 24 francs. John BURNET. Greek fhilosophy. Part I. Thales to Plato. Lon6. don, Macmillan, 1914. In-8, x-36o pages. Prix 12 sh. 6. III. Platon. John Burnet. Platonism. Berkeley, University of California 7. Press, 1928. In-8, i3o pages. Prix 2 doll. 25 franco. 8. Auguste DIÈS. Platon. Paris, Ernest Flammarion, ig3o. In-16 jésus, 221 pages. Prix 12 francs. Perceval FRUTIGER. Les Mythes de Platon. Paris, Alcan, 1930. 9. In-8, 295 pages. Prix 35 francs. René MUGNIER. Le sens du mot 6eïoî chez Platon. Paris, Vrin, io. 1930. In-8, i52 pages. Prix 20 francs. The Epinomis of Plato, translated with introduction and 11. notes by J. H4RWARD. Oxford, Clarendon Press, 1928. In-8, 146 pages. Prix 5 sh.

IV. Aristote. 12. – W. D. Ross. Aristote. Pans, Payot, iç3o. In-8, 419 pages. Prix 3o franco. René MUGNIER. La Théorie du premier moteur et l'évolution de 13. la pensée aristotéliczenne. Paris, Vrin, 1930. In-8, 232 pages. Prix 3o francs. I Ce bulletin ne saurait mieux commencer que par la nouvelle édition de la Pensée grecque. Un livre comme celui-là, nourri de faits et animé de vues synthétiques, permet de suivre, à une des périodes les plus riches et dans une race particulièrement douée, l'évolution philosophique et religieuse de l'humanité. L'hylozoisme des physiologues milésiens pose déjà le problème de Dieu « Tout est plein de dieux », dit Thalès; mais en même temps il s'applique à ne déifier qu'un élément, l'eau; et ses successeurs tendront comme lui à l'unité. Aucun des présocratiques cependant, ni Platon lui-même. n'ont fait la théorie du Dieu unique; on les eût bien embarrassés en leur donnant le choix entre monothéisme et panthéisme; seulement ils ont tous cherché, sous des formes diverses,a. élaborer l'idée de parfait. La difficulté a été longtemps que perfection impliquait limitation. et l'axiome, qui remonte au pythagorisme, demeure vrai de tout l'humain; tant que parfait et imparfait se confondaient avec limité et illimité (irsposç, direipon), la question restait insoluble. L'Unde Parménide, k parfait, donc sphérique », la déduction est de lui. désigne l'espace limité et rempli par la matière. Tannery avait cru que Mélissos,le premier, était sorti du dilemme;il a reconnu ensuite que son point de vue, comme celui de Parménide, restait réaliste et spatial. L'Idée du Bien de Platon échappe aux bornes de la matière, mais il lui manque la personnalité; l'acte pur d'Aristote se spiritualise plus encore, mais en se vidant. Et dans toutes ces philosophies palpite le même effort de l'humanité à tâtons vers l'inengendré, l'impérissable1. Plus tard, le néoplatonisme préférera l'infinité à la

r.

perfection 2. Deux notions souvent associées. Cf. J. LebreïON, Histoire du dogme de la Trinité, t. II, note C, ArENNHTOS dans la tradition philosophique et la littérature chrétienne du deuxième siècle, p. 638-639 (Parménide iYsvïiTOV-ovoiXîSpov Platon àyéwntov-àvûXsQpov et &*{bn[";
On pourrait, sous la conduite de M. Robin, reprendre l'itinéraire de la pensée grecque en se plaçant à d'autres points de vue qu'au point de vue religieux qui est celui des Recherches. Le livre excelle par la lucidité de l'exposé et la justesse des proportions; la part un peu mince faite à la dernière période s'explique par le manque d'originalité de systèmes éclectiques ou syncrétistes et par le caractère à demi oriental du néoplatonisme « Ce n'est déjà plus la pensée grecque » (p. 7). Le livre III, la culture humaine, qui forme le centre de l'ouvrage, consacre trois chapitres remarquables à Socrate, Platon et Aristote. Au sujet de Socrate, M. Robin, qui a plusieurs fois combattu l'opinion nouvelle de Burnet et de Taylor (voir nos 6 et 7), s'arrête à une position moyenne, sans doute la plus juste, sur la foi d'Aristote. Ce n'est d'ailleurs pas qu'Aristote lui inspire une sympathie particulière; la conclusion de son étude ne lui reconnaît ni profondeur ni originalité, mais seulement un savoir encyclopédique et des qualités de présentation (p. 370). Platon, au contraire, obtient le tribut d'admiration qu'il pouvait attendre d'un de ses meilleurs

interprètes; après l'analyse détaillée des principaux dialogues, une page écrite con amore (283) caractérise son génie « à la fois hardi et mesuré », conciliateur des contraires, et son influence multiforme.

Dans le tome XIII de la Bibliothèque de synthèse historique, qui devait primitivement résulter d'une collaboration entre MM. Léon Robin et Abel Rey, le « désir de laisser au volume son unité » avait « limité la place assez étroitement pour l'étude des origines de la science ». Il y avait donc place, à côté de la pensée grecque, pour un exposé spécial de la science dans l'antiquité. De cet exposé, qui formera une série complémentaire de l'évolution de l'humanité, M. Rey vient de publier le tome I, la Science orientale avant les Grecs. Deux autres volumes traiteront de la science hellénique et de la science hellénistique3. L'idée était heureuse de remonter aux sources orientales de la science grecque. A vrai dire, la science chinoise et la science hindoue n'ont pas agi directement sur elle,-ce qui n'enlèvepasleur intérêt aux livres IV et V. Mais la science chaldéo-assyrienne 2.

avant tout la perfection; le néo-hellénisme, l'infinité; et pour lui l'infini entraîne nécessairement l'effacement de ces formes nettes, précises, délimitées, où la pensée grecque se complaisait. » 3. Sur les débuts de la science hellénique, M. Rey a publié son cours de la Sorbonne dans la Revue des cours et conférences, 1929-1930: 3i.i, p. 23-3i, 148-155, 276 288, 347-359, 452-463, 658-672 (l'École ionienne) 3i. 2, p. 82 96, 163-179 (Pythagore), 367-38i (l'Éléatisme).

(livre II) et la science égyptienne (livre III) lui ont fourni de nombreux éléments. Les prolégomènes insistent sur les obstacles que rencontre l'historien de ces temps reculés rareté des documents et difficulté de leur interprétation ils situent la science orientale dans son milieu technique, si important à une période « où la science ne se distingue pas encore nettement des techniques ». Ce dernier chapitre abonde en détails pittoresques, empruntés pour une bonne part aux peintures des tombeaux égyptiens (p. 79-97);on goûtera moins celui des « origines », trop dépendant des théories de Lévy-Bruhl et de Frazer. Progrès matériel qui a son prix, l'auteur renonce à la cryptographie des volumes précédents, si souvent critiquée, et indique ses références au moyen de titres abrégés.

II Le célèbre et introuvable livre de Paul Tannery, Pour Vhistoire de la science hellène, vient d'être réédité par les soins de M. le chanoine Diès. Mme Paul Tannery, à qui nous devons l'initiative de cette seconde édition, savait que nul n'était plus à même de comprendre la pensée de son mari, et, tout en la respectant, de mettre l'œuvre au courant des derniers progrès. Un travail surtout s'imposait indiquer pour chacun des précieux fragments, disjecta membra, que l'antiquité a parcimonieusement conservés, la référence aux Fragmente der Vorsokratiker puis signaler en note, entre crochets, les divergences qui séparent le texte de Diels et les traductions de Tannery. Réduit au recueil médiocre de Mullach, Tannery avait suppléé à ce désavantage par une intelligence divinatrice, et sa traduction reste aujourd'hui encore, dans bien des cas, « la plus vraie ou la seule vraie » mais, s'il avait vécu, il l'aurait souvent adaptée au texte critique de Diels. La revision de M. Diès fournit toutes les concordances désirables. Ce à quoi il n'a pas touché, c'est la rédaction si pleine et ferme de ces études. L'exposition large et claire, l'ardeur du jeune savant à débrouiller les questions les plus difficiles firent leur succès en 1887. A cette date, la Philosophie des Grecs de Zeller, dont Boutroux avait mené la traduction jusqu'à Platon, restait le seul ouvrage d'ensemble sur les origines de la spéculation grecque; ni Burnet, ni Th. Gomperz n'avaient encore publié les leurs. Tannery offrait au public français un livre écrit pour lui, où, partant des faits établis par Diels, dans les prolégomènes de sa magistrale édition des Doxographi Graeci, il reconstituait la doctrine des cosmologues ioniens, puis celle des Éléates, d'Anaxagore et d'Empédocle. Des 3.

vues naïves sur le monde, où se plaisait l'imagination des premiers penseurs, il dégageait les hypothèses fécondes, parfois géniales. On peut dire qu'il a fixé les grandes lignes des systèmes qu'il a

étudiés. Dès l'introduction (p. n), il oppose sa méthode à celle des historiens philosophes, qui fait trop bon marché des thèses purement scientifiques, et montre comment l'histoire philosophique doit se compléter par l'histoire scientifique, surtout quand il s'agit de physiologues, c'est-à-dire de savants. Ici le polytechnicien triomphe. Mais réjouissons-nous que ses travaux sur les mathématiques anciennes lui aient fait sentir « la nécessité de la philologie » et l'aient (c finalement conduit à (s') en occuper dans une mesure de plus en plus large ». Cette formation si vaste l'a préparé, mieux qu'aucun autre, à son rôle d'historien de la science hellène. Le philosophe et le savant se meuvent à l'aise parmi les problèmes de l'infinitude du temps et de l'espace (p. 100-101), les hypothèses de l'évolution périodique ou continue de l'univers (p. 116-117); l'helléniste discute le sens des fragments, la portée des témoignages antiques. Comme l'ouvrage de Tannery, celui de Gomperz a été récemment mis à jour. M. Henri Gomperz, fils de l'auteur et son successeur à l'Université de Vienne, a introduit dans le texte les changements que Th. Gomperz avait notés sur son exemplaire de travail; dans les notes, il a complété et rajeuni les références, renvoyé, en particulier, aux Vorsokratiker pour les fragments contenus dans ce recueil; et sur la quatrième édition allemande,publiée en 1922, M. Auguste Reymonda revu sa troisième édition française du tome I. Quand le tome II, actuellement sous presse, aura paru, les Penseurs de la Grèce seront redevenus accessibles. De ce monument, dont Henri Weil et Alfred Croiset, pour ne nommer que ceux-là, avaient depuis longtemps loué la valeur, je n'entreprendrai pas un nouvel éloge. L'originalité de Théodore Gomperz, qui éclate dans chacun des tableaux où il fait revivre une époque, dans le moindre portrait qu'il brosse d'un philosophe, ne l'a pas rendu aveugle aux mérites de ses devanciers. Paul Tannery, souvent cité, reçoit plus d'un hommage. La Philosophie des Grecs de Zeller reste « l'ouvrage capital », encore que Gomperz suive une méthode absolument différente. Le titre même l'indique, abstrait chez l'un, concret chez l'autre les héros de Zeller sont des concepts, ceux de Gomperz des hommes. Il commence par décrire l'habitat grec et montre l'importance des colonies, « champ d'expériences de l'esprit hellénique. Presque 4.

toutes les grandes nouveautés en sont sorties » (p. 3i). Après des c'est là, il faut bien le vues sur l'origine des idées religieuses, dire, la partie vieillie de l'introduction, et le plaidoyer pour le fétichisme au sens large, qui s'inspire de la Civilisation -primitive de Tylor, date étrangement, la Théogonie d'Hésiode, « Romain parmi les Grecs », donne l'occasion d'étudier la signification du Chaos, qui pour Hésiode occupe tout l'espace, sans être à proprement parler ni fini ni infini (p. 66). Au début du chapitre premier du livre Ier, consacré aux philosophes naturalistes de l'Ionie, une note indique les buts que doit se proposer l'histoire de la philosophie ancienne, et dont le principal est de connaître nos origines grecques afin de pouvoir nous en affranchir. Constamment, Gomperz demandera aux systèmes le secret de leur influence à travers les siècles. Avec les Ioniens, le problème de la matière passe au premier plan, et une géniale anticipation énonce deux propositions essentielles de la chimie moderne l'existence des éléments de la matière, l'indestructibilité de celle-ci eau pour Thaïes, l'infini pour Anaximandre, pour Anaximène l'air et pour Héraclite le feu. Le raccourci puissant de Gomperz rapproche des dates éloignées mais Il justifie l'ordre qu'il a suivi et avoue sa répugnance à séparer Xénophane et Parménide (p. no, n. i). Tannery et Burnet avaient opté pour l'ordre rigoureusement chronologique. Notons que Thalès apparaît beaucoup plus pratique dans l'histoire que dans la légende il sait prévoir non seulement une éclipse, mais, tout au profit de son commerce, une abondante récolte d'olives. Quant à Héraclite, « c'est un philosophe exclusif dans le sens le moins favorable du mot, c'est à dire un homme qui, sans être réellement supérieur dans un seul domaine, se considère comme supérieur aux meilleurs représentants de tous » (p. 91). En dépit de ce jugement sévère, Gomperz rend pleine justice à la fécondité de ses paradoxes son flux perpétuel prépare l'atomisme, et sa théorie de la relativité, qui assure dans la sensation une part à la subjectivité du moi, s'oppose au conservatisme aveugle en matière de droit et d'institutions; il l'a d'ailleurs limitée en proclamant, comme but suprême de la connaissance, la loi universelle qui régit tous les phénomènes, et par là il a donné naissance au déterminisme stoïcien. L'orphisme et le pythagorisme annoncent en plus d'un point Parménide et Empédocle. Au livre deuxième, de la métaphysique à la science positive, l'histoire de l'école d'Ëlée, de Xénophane à Zénon, est celle du développement de l'esprit critique. Ionien d'origine, Xénophane de Colophon a quitté pour Élée, après la conquête perse, sa patrie déshonorée; du même coup, il rejetait l'idéal

dégradé de la religion grecque. En abattant la couche anthropomorphique, il met au jour la couche primitive, celle de la religion de la nature; son panthéisme rejoint celui des physiologues, et sa conception d'une divinité oscillant entre l'esprit et la matière nous interdit de faire de lui le premier monothéiste; aussi bien, écrit justement Gomperz, « le monothéisme pur, absolu, est toujours apparu aux esprits helléniques comme une impiété » (p. 198). Même difficulté pour le sens plastique des Grecs à concevoir l'infini. Parménide, qui était de plus poète et disciple de Pythagore, a borné son être pensant, en le représentant sous la forme d'une sphère bien arrondie; et ce « nouvel Icare s'est lourdement abattu dans les régions banales de l'existence corporelle » (p. zo8). Cela ne l'a pas empêché d'affirmer l'immutabilité de l'Être, par quoi il a ajouté au postulat de la constance quantitative, implicitement contenu dans la doctrine de la matière primordiale, celui de la constance qualitative et de croire que son être matériel était en même temps un être spirituel. Plus encore que Parménide, Mélissos et Zénon ont hérité de Xénophane une tranquille hardiesse. Mélissos, « l'enfant terrible de la métaphysique », tente un saut périlleux de l'infinité du temps à celle de l'espace; mais, par une contradiction qui rappelle celle de Parménide, il admet l'extension spatiale de l'Être tout en lui refusant la corporalité. La dialectique de Zénon devait aboutir aux négations de Gorgias; bien interprétées néanmoins, ses célèbres apories, que Gomperz résout plus élégamment que personne, ont servi la psychologie de la sensation et la notion de continu. Un parallèle des deux contemporains, Anaxagore et Empédocle, introduit à leur étude (p. 244). La théorie d'Anaxagore sur la matière, dont elle met toutes les formes dans des particules primitives, contredit les faits constatés par la science moderne; du moins, par son recours constant aux combinaisons et aux séparations, il essayait de montrer que tous les phénomènes matériels résultent de mouvements. Ses erreurs proviennent avant tout de sa foi aveugle en la véracité des sens; on n'avait point encore distingué propriétés primaires et propriétés secondaires. Finaliste inconséquent,– le Socrate du Phêdon lui reproche assez de n'avoir pas tiré meilleur parti de son Nous, – et par là médiocre théologien, Anaxagore naturaliste se dégagea entièrement des liens de l'ancienne mythologie. Chez Empédocle, qui tient de Xénophane son panthéisme et sa haine de l'anthropomorphisme, le principe général de l'attraction des semblables se corrige et se complète par celui de l'union des dissemblables; au-dessous de ces deux forces inhérentes à la matière, deux puissances prédominent tour à tour, déterminant l'alternance des périodes cosmiques, l'Amitié et la Discorde. A

chaque victoire de l'Amitié, la matière unifiée devient Sfiiairos, « divinité bienheureuse ». Parmi les dieux secondaires « à longue vie », mais non éternels, faut-il ranger « l'intelligence sainte et prodigieuse dont la rapide pensée parcourt le monde entier », et où Ammonius nous apprend à voir Apollon ?Gomperz se refuse à identifier ce « démon » avec le Sphairos ou à lui subordonner celui-ci; mais Ammonius ajoute qu'Empédocle étendait ces caractères à la divinité tout entière4. Le professeur alexandrin, Gomperz le reconnaît, « a probablement lu encore dans leur contexte original les vers qu'il est seul à nous communiquer intégralement » (p. 291, n. 2); si l'application qu'il en fait « à tout le divin » (itssl wj Oeiou -z'nôç) est bien d'Empédocle lui-même, et non de l'exégète, nous aurions là un fragment d'inspiration presque monothéiste. Ce livre second finit à Hérodote de même le troisième, l'époque des lumières, dont une des épigraphes, tirée d'un papyrus d'Herculanum, oppose la té^vvj à la œû
4. Cf. la note de M. Diès, p. 346 de TANNERY, Pour l'histoire de la science hellène, 2" éd. Les vers 2-3 de ce fragment des Ka9ap[«.o' le 134e de Diels, reproduisent les vers 1-2 du fragment 29, qui appartient aux «Ducrixâ et où il s'agit du Sphairos; M. von WILAMOWITZM OELLENDORU, qui en fait la remarque, juge cela « très significatif pour l'opposition des deux poèmes ». (Silsungsberichte der preussischen A kademie derW issenschaften, 1929, ph.-hist. Kl., p. 644.) 5. L'Aurore de la philosophie grecque, préface, p. VI.

Un autre mérite du livre est la discussion très serrée des témoignages et des fragments, ceux-ci traduits in extenso, ceux-là cités en note dans l'original; parmi les témoignages, Aristote a une part de choix, bien que Burnet, non sans quelque partialité peut-être, regarde ses indications comme moins historiques que celles de Platon. Les très nombreux rapprochements entre les divers systèmes et quelques paragraphes plus généraux permettent de suivre l'évolution de la philosophie grecque primitive; car le morcellement apparent du livre tient à un souci pédagogique et n'exclut en aucune façon l'esprit de synthèse. Qu'on lise seulement le premier paragraphe de l'introduction Caractère cosmologique de la philosophie grecque à ses débuts; de telles pages classent un historien. Si fidèle que soit, de l'avis même de l'auteur, la traduction de M. Auguste Reymond, on ne songe pas à regretter de devoir lire Greek philoso-phy dans le texte, tant est limpide et savoureux l'anglais de Burnet. L'ouvrage date de 1914; les circonstances l'ont privé à cette époque d'une partie de sa publicité1"; mais plusieurs réimpressions- j'ai en mains celle de 1928 – en attestent le succès durable, et sa valeur littéraire, l'intérêt aussi des thèses qu'il défend le garderont longtemps de la vieillesse. L'introduction expose des vues personnelles sur l'impossibilité d'écrire l'histoire de la philosophie. La conviction y reste forcément subjective, car si un effort de sympathie peut établir entre l'historien et le philosophe un contact d'âme à âme, la foi qui s'ensuivra colorera les documents et en inspirera l'interprétation. Tout ce qu'on peut faire, c'est de déterminer les influences qui ont marqué une doctrine; de montrer le lien du développement philosophique et du progrès scientifique; enfin de déblayer le terrain et d'indiquer la voie. Encore faut-il savoir ce qu'est la philosophie. Par philosophie, Burnet entend « tout ce que Platon entendait et rien que cela »; la philosophie, en effet, n'est ni la mythologie ni la science; pourtant « il ne peut y avoir de philosophie là où il n'y a pas de science rationnelle » (p. 4), et, par sa tendance à satisfaire les plus hautes aspirations de l'âme, la philosophie ancienne « renferme beaucoup de ce que nous appellerions maintenant religion » (p. 12). Le 1. I, le Monde (p. i5-ioi), résume l'Aurore de la philosophie grecque, auquel il renvoie pour les détails. Le 1. II, Connaissance et morale (p. io3-2oi), commence aux sophistes et finit sur Démocrite; mais plus de soixante pages traitent de la vie, de la philosophie et 6. Il a cependant provoqué deux articles considérables de M. ROBIN Revue des Études grecques, XXIX, 1916, p. 129-16S Revue de Métaphysique et de Morale, XXIV, 1917, p. 205-224.

du procès de Socrate, et leur originalité demande qu'on s'y arrête. Si Burnet a mieux que personne mérité de Platon, dont il a donné la meilleure édition complète, qu'il a étudié toute sa vie, oseronsnous prétendre qu'il l'a dépouillé au profit de Socrate? C'est la vérité, cependant. Ilfaut, dit Burnet, prendre les dialogues de Platon dans leur sens naturel; « la charge de la preuve incombe, non à ceux qui adoptent ce présupposé, mais à ceux qui le rejettent » (p. 178; cf. p. 349-35o). « Si le Socrate de Platon ne représente pas le vrai Socrate, on a grand'peine à imaginer ce qu'il peut représenter » (p. 179). N'arguez pas du témoignage d'Aristote en dépit du prétendu « canon de Fitz-Gerald », sur lequel Burnet partage l'avis de son collègue A. E. Taylor', Aristote ne distingue pas le Socrate de l'histoire du Socrate de Platon. Quant à Aristophane et à Xénophon, ils ne font que déformer le Socrate de Platon, « le premier légitimement, pour l'effet comique; le second moins légitimement, pour des raisons apologétiques » (p. 149). Mais l'apologie de Xénophon dépasse le but jamais on n'aurait mis Socrate à mort s'il avait été ainsi. D'ailleurs, des deux périodes que comprend la vie de Socrate, la première scientifique, la seconde apostolique, Xénophon ne connaît que celle-ci, tandis qu'Aristophane s'attache à celle-là (p. 144); seul Platon retient.tous les éléments faut se fier à lui ou se résoudre à ne rien savoir, car nous n'avons pas le droit de prendre au hasard chez lui de quoi embellir Xénophon. Conformément à ce principe, Burnet retrace d'après Platon l'itinéraire intellectuel de Socrate; il fait revivre l'étonnant personnage, avec son ironie, « ce sens de l'humour qui voit les choses dans leurs justes proportions n (p. i3a), et ses airs inspirés, ses extases. Il cite largement le portrait d'Alcibiade; car le Banquet est pour la connaissance de Socrate une source de premier ordre; mais le Phèdre aussi est historique, Burnet l'affirme après Bruns et le Phédon, qui ressemble si souvent à une autobiographie, lui livre l'essentiel de la philosophie socratique. Socrate y tient, d'accord avec les pythagoriciens, la théorie des formes s. Cette théorie apparaît déjà dans

il

Cf. Varia Socratica, Oxford. 1911, p. 4101 et A. DIÈS, Autour de Platon, p. IJ6-IJ7. M. Diès énonce la règle en ces termes Des formules – (uxpanriç etô 2tuxpdcT7);, « la première désignerait la réelle personne de Socrate, la seconde la drantatis persona des dialogues ». Or cette règle a été réhabilitée par W. D. Ross dans l'introduction de son édition de la Métaphysique {Autour de Platon, p. 216-218). 8. Burnet évite à dessein le mot idée, qui « porte presque invinciblement le lecteur à préjuger que les s?Sti de Platon sont des concepts hypostasiés » (A. Diès, notice du Parménide, les Belles Lettres, 1923, p. 4, n. 1 cf. Autour de Platon, p. 14S-146). 7.

l'Euthyphron, le Mènon et le Cratyle; on n'a pu le nier qu'en raison d'un cercle vicieux: la théorie, disait-on, ne se trouve pas dans les dialogues proprement socratiques; mais ces dialogues ne sont jugés tels que parce que la théorie en est absente. Non content de mettre au compte de Socrate la doctrine du Phédon, Burnet lui attribue les développements qu'elle reçoit dans la République, en particulier le célèbre passage sur l'Idée du Bien 9. Socratique également, la théorie des parties de l'âme qu'expose la République (p. 177-178). fondation de l'Académie et le Que reste-t-il donc à Platon criticisme du Thèètète et du Farmémde la logique du Sophiste, les théories de l'État du Politique et des Lois philosophie des nombres, que nous connaissons par le Philèbe et Aristote, et la philosophie du mouvement qui s'épanouit dans le Timée (livre III, p. 2o3-35o). Ce serait assez pour sa gloire. Quand toutefois, dans son désir d'assurer à Socrate la propriété de la théorie des Formes, Burnet va jusqu'à dire qu'après le Parménide, « où elle est apparemment réfutée », le Timée est le seul dialogue où il en soit fait mention (p. i5S), il oublie les textes du Sophiste, du Politique, même des Lois, par lesquels Brochard a démontré, contre Lutoslawski, que Platon s'est inspiré jusqu'au bout de la théorie des Formes 10. I. Bruns, qu'il estime tant, et avec raison, concluait plus prudemment « Bien que Platon fasse honneur à Socrate de la théorie des Idées, sa formation par Socrate demeure pour nous un mystère11. »

La

la

III Quarante ans après son entrée à l'Université de SaintAndrews comme « assistant » de Lewis Campbell (1887), Burnet donnait sa synthèse du platonisme aux Sather classical lectures de 7.

9. Burnet s'élève contre l'identification de l'Idée du Bien avec Dieu (p. 169, n. i) il admet à la fois que le Bien est au-dessus de Dieu et

que le Démiurge du Timée est « le Dieu le plus élevé qui soit ». Cette opinion rappelle celle de Brochard et se heurte aux mêmes difficultés. Cf. A. Bremond, Archives de Philosophie, t. II, 1924, p. 396-399; et voir plus loin, n° 10. 10. Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne, Alcan, 1912, p. i5i-i68. 11. Das literarische Portrât der Griechen, Berlin, Hertz, 1896, p. 286. Dans un article récent, Der platonische SoArates (Symbolae Osloenses, VII, 1928, p. 1-24), M. G. K.UDBERG cite constamment Bruns mais il prête moins au Socrate historique et énumère les ubstacles qui s'opposaient chez Platon à la fidélité du portrait. Voir aussi les conclusions de M. DlÈS, Autour de Platon, p. 180-181.

Berkeley. Ce cours, publié en 1928, l'année de sa mort, comprend huit chapitres introduction, Platon et Socrate, la théorie des Idées, l'Académie et Aristote, Platon et Denys, les Lois, mathématiques, théologie. Il dénote un admirable professeur. Chaque leçon forme un tout, sans que le maître s'interdise les rappels et les anticipa. tions les idées importantes ou nouvelles reviennent aussi souvent qu'il est nécessaire, jusqu'à cinq et six fois, et ces redites évoquent la manière des derniers Dialogues, qui ouvrent un jour sur l'enseignement de l'Académie 12. Il faut, dit Burnet, distinguer la part de Socrate, celle de Platon et celle d'Aristote dans la formation de la science moderne. Socrate n'a rien écrit; cela tient peut-être à ce qu'à l'époque de Périclès Athènes n'avait pas de prose littéraire quoi qu'il en soit, nous ne connaîtrions rien de lui sans Platon. Xénophon ne compte pas. Afin de perpétuer la mémoire de Socrate, Platon a créé un genre, le dialogue personnellement, il disparaît: il ne se nomme que trois fois dans ses œuvres, les Lettres exceptées, et ne rapporte aucun fait postérieur à la mort de Socrate, qui marque pour lui la fin de l'histoire d'Athènes. En compagnie de Socrate, il a revécu les années glorieuses qui précédèrent la guerre du Péloponèse, et, les yeux fermés à la fin lamentable de ses proches, Critias et Charmide, s'est fait comme le témoin de leur adolescence pleine de promesses. Le soin qu'il prend de n'attribuer à Socrate que des propos réels ou vraisemblables, le silence que dans les derniers dialogues il lui fait garder sur les sujets qui sortent de sa compétence, garantissent le caractère authentiquement socratique des dialogues plus anciens, en particulier du Phedon. L'activité de Platon au cours de ses voyages en Sicile inspire .à Burnet des jugements nuancés. Dion s'est montré piètre diplomate. mais il n'a pas supplanté Denjss comme il l'aurait pu, et a fait son possible au contraire pour le rendre digne de sa situation. Denys semble avoir éprouvé à l'égard de Platon un véritable attachement, leur première amitié s'exprime dans la lettre XIII, que Burnet, loin d'y voir un faux, considère comme « le document le plus important de toute la collection » (p. 76); si l'élève n'a pas davantage profité du maître, c'est que ses dons naturels ne furent pas cultivés assez tôt. A défaut de Den)s, Platon eût trouvé en Alexandre, si mal compris d'Aristote, le disciple de ses rêves. La sévérité de Burnet pour Aristote prouve, une fois de plus, que les platonisants lui sont difficilement équitables. Imbu de la supé Je me permets de renvoyer là-dessus à ma thèse Une formule -platonicienne de récurrence (Paris, Les Belles Lettres, 1929). 12.

riorité de la vie contemplative, Aristote a négligé de suivre l'évolution politique -de son temps; biologiste éminent, c'est le seul titre l'insuffisance de sa de gloire qu'on ne songe pas à lui disputer, formation mathématique l'a fermé à la théorie des Idées; quant à son astronomie et à sa physique, elles ont retardé le monde pourdes siècles. Alors que Platon, au témoignage de Théophraste, avait inventé le système héliocentrique13, Aristote revint au système géocentrique du Phédon. Le chapitre consacré aux Lois abonde en vues intéressantes*Elles servirent de guide aux nombreux législateurs envoyés par l'Académie dans les États qui s'adressaientà elle pour la refonte de leurs constitutions. Le détail des prescriptions, qui nous semble infini, apparente l'ouvrage aux Institutes et à l'ancienne jurisprudence romaine. Sans doute celle-ci a des lacunes que Platon n'aurait pas tolérées ainsi elle exclut la religion et les sciences, dont les Lois traitent longuement. Mais les ressemblances avaient déjà été signalées par Cujas, et il a fallu la déplorable spécialisation du siècle dernier pour qu'elles rentrassent dans l'ombre. Les édits des « préteurs pérégrins » finirent en effet par constituer un corps de lois, moins romain qu'hellénistique, et comme nombre de cités hellénistiques tenaient de l'Académie leur code, la loi romaine remonte en somme aux Lois de Platon. Les Lois ont été également la source de ce qu'il y a de meilleur dans la Politique d'Aristote, avec des vues historiques beaucoup plus larges, qui devancent le dix-neuvième siècle, comme l'intérêt que Platon porte à l'éducation première et au « jardin d'enfants » annonce la pédagogie la plus moderne. L'importance de la dernière ceuvre de Platon explique les erreurs de ceux qui n'en ont pas tenu cpmpte dans leur exposition du platonisme. On ne peut davantage sans les Lois se faire une juste idée de la théologie platonicienne. Burnet oppose leur théorie de l'âme à la théorie des formes du Phédon, qu'elles paraissent ignorer sur ce point d'ailleurs, il se montre moins affirmatif que dans Greek Philosophy et se défend de « dire que Platon a renoncé à la théorie » (p. 120). Les Lois traitent de l'âme et de Dieu sans le secours du mythe, qui était un élément socratique plutôt que platonicien; elles en démontrent l'existence à partir du mouvement. La preuve platonicienne de l'existence de Dieu n'est pas un argument en faveur du monothéisme, bien que sans aucun doute Platon crût personnellement en un seul Dieu. Bien plus, « c'était la croyance de tous les Athéniens intelligents à cette époque » (p. 118). Nous avons vu (p. 5) l'avis difféi3. Il n'est pas impossible d'interpréter dans ce sens Epinomis 987 b S.

rent de Gomperz. Burnet eût-il été aussi catégorique si, au lieu d'attribuer exclusivement à Socrate la doctrine de la République, il y avait cherché une autre source de la théologie platonicienne? A s'en tenir aux Lois, il a gagné de préciser une philosophie vivante, mais au prix d'une mutilation. Cette réserve ne peut atteindre la valeur de Platonhm, pas plus qu'un rapide aperçu ne saurait prétendre en épuiser la richesse. A côté du Plato de son collègue et ami A. E. Taylor, l'oeuvre de Burnet restera comme le testament d'une pensée originale et suggestive. Jusqu'à ces dernières années, il n'existait en français que 8. des monographies sur Platon; pour trouver un exposé d'ensemble, il fallait revenir à des ouvrages vieillis. Après les chapitres importants de M. Robin dans la Pensée grecque et de M. E. Bréhier dans son Histoire de la philosophie, nous venons d'avoir deux livres de M. le chanoine Diès Autour de Platon, dont le P. Horn a analysé ici même les pénétrantes études", et, gerbe enfin liée. un Platon. M. Diès a mis dans ce petit livre sa science unique du sujet; il s'y est aussi constitué l'héritier d'un demi-siècle de recherches platoniciennes. Deux points paraissent acquis. L'accord semble fait sur les grandes lignes de la chronologie, au moins pour les deux dernières périodes. Si tous les dialogues dits « socratiques «changent de place l'Ion et le Protagoras, par exemple, figurent avec les systèmes, tantôt au début, tantôt à la fin de la liste, on assigne à la maturité de Platon un groupe qui comprend la République, Phèdre, Théétète et Parménide, et nul ne discute plus l'ordre SopJtiste, Politique, Philèbe, Timée, Critias, Lois (p. 84-85). La méthode stylistique, objet de tant de querelles, aura au moins donné ces résultats. Mais les Dialogues ne passent plus pour les seules œuvres authentiques les Lettres, si longtemps rejetées en bloc, jouissent d'un crédit de plus en plus considérable. Burnet inclinait à les admettre toutes, sauf la première; le professeur américain L. A. Post irait presque aussi loin; dans son édition de la collection Budé, le R. P. Souilhé apporte les meilleurs arguments pour l'authenticité des plus importantes, VII et VIII; Wilamowitz et Howald se déclarent également en faveur de VI. Ceux-là mêmes qui restent sceptiques utilisent en fait le témoignage des Lettres, sans lesquelles nous ne saurions à peu près rien de la vie de Platon, et en particulier de son activité politique. Or Wilamowitz avait déjà représenté Platon comme « un Athénien de haute naissance, qui veut passionnément agir sur son époque15». Sans limiter à cet aspect la riche physionomie de son 14. 15.

Recherches, XIX, 1939, p. i53-i57. E. Bréhier, Revue de Métaphysique et de Morale, XXX, 1923, p. 563.

héros, M. Diès lui fait la part qu'il mérite; n'est-il pas, en effet, celui qui a valu à Platon une place parmi les « grands coeurs »? A l'épigraphe de la collection, tirée de Lacordaire « C'est le propre des grands cœurs de découvrir le principal besoin des temps où ils vivent et de s'y consacrer », répond à merveille celle du livre, empruntée à la profession de foi de Socrate dans le Gorgias « J'estime que je suis à peu près le seul aujourd'hui à pratiquer la vraie politique. » Plus qu'une autre philosophie, le platonisme répugne à une présentation abstraite. Dans le livre de M. Diès, l'oeuvre de Platon se mêle aux événements qui remplirent son existence, depuis les premiers dialogues, nés du désir de ressusciter « le vrai visage de Socrate ». jusqu'à la sérénité prudente et résignée des Lois. A deux moments surtout, la vie a meurtri Platon la mort de Socrate a ruiné son espoir de jouer un rôle dans la cité et l'a replié sur lui-même; l'échec de ses expériences de Sicile lui a manifesté les utopies de la République. M. Diès flétrit comme il le mérite le communisme de Platon « Devant pareilles imaginations, le mot de Pascal s'impose au souvenir à vouloir viser plus haut que nature, Platon est tombé au-dessous » (p. 166). Mais, délivré de ce « cauchemar n, il rend hommage au défenseur du « droit des gens », au prédicateur du « royaume de justice », au clairvoyant censeur des mauvais gouvernements. La politique de Platon doit être jugée pour elle-même; son « insuccès pratique » fut « la rançon de son action sur la pensée des siècles » (p. 216); et ce que fut cette action, la conclusion le montre, en un hymne fervent aux « destinées du platonisme ». Fermerez-vous le livre sur ces belles pages ? Je ne le pense pas l'image vous reviendra des premières années de Platon, de son sourire éclos au spectacle de la gloire d'Athènes, et vous vous remettrez à lire un début dont je n'ai pas assez dit le charme. Car cette vie attire et retient, comme un aimant. A la fin de son étude sur les mythes de Platon, M. Perceval Frutiger dresse la liste impressionnante des publications qu'ils ont suscitées. Peu de problèmes, en effet, sont aussi importants pour l'interprétation des Dialogues, Mais la variété des moyens que Platon met en œuvre se dérobe aux simplifications arbitraires. Il ne suffit pas de rencontrer le mot jjlùôoç ou un terme plus ou moins analogue pour avoir le droit d'appeler mythique un morceau j rejetant ce critérium trop facile de Couturat et de Willi, M. Frutiger discute les emplois de jùiOoç et de muStâ (p. 14, n. i), avec une maîtrise lexicographique dont il donne d'autres preuves; je pense à la note sur cppoupâ (p. 58, n. i). Dira-t-on, après Croiset et Hirzel, que le mythe se confond en pratique avec le discours suivi, par 9.

opposition à la dialectique du dialogue? Mais Platon se libère peu à peu de la forme dialoguée, sans pour cela renoncer à la dialectique. Selon M. Frutiger, trois caractères essentiels distinguent les mythes platoniciens « symbolisme, liberté de l'exposé, imprécision prudente de la pensée volontairement maintenue en deçà de la franche affirmation » (p. 36). Sera mythique, « outre les récits nettement légendaires, mais à l'exclusion des allégories, tout ce que le philosophe expose, soit d'une façon symbolique, soit en marge de la « science » véritable et sans l'aide de la dialectique, c'est-àdire comme une probabilité, non comme une certitude » (p. 37). Cette définition s'applique au livre II de la République et au livre III des Lois; elle convient moins, quoi qu'en dise l'auteur,aux livres VIII et IX de la Rëfublique la réalité ne peut-elle offrir un exemple de pareille décadence ? Aristote, qui critique au livre V de la Politique l'évolution platonicienne de la cité, donne comme historique, au livre III, une succession semblable des diverses formes d'Etat. La plus grande partie du Pitèdon résiste victorieusement à l'épreuve; malgré les apparences, le mythe y a peu de part; faut-il même, avec M. Frutiger, regarder comme mythique l'argument contre le suicide (p. 58-6o) ? Phédon reprend, sous une forme dialectique, l'exposé de la réminiscence de Ménon (p. 75-76). La description de la véritable terre a un sens symbolique qui l'apparente à l'allégorie de la caverne; l'auteur montre bien le parallélisme des passages (p. 64-66) de même, pour la doctrine de l'âme, il rapproche les textes de Platon de ceux d'Empédocle, de Pindare et des tablettes orphiques (p. 254-260). En 114 d, il traduit correctement àOâvaiôv ye -/j tyuyii œatWai oSaa par « il est manifeste que l'âme est immortelle » (p. 14, n. i); le « beau risque » ne concerne que le'` mythe final, et non le fait de la survie. « Scientifiquement certaine aux yeux du philosophe dès l'époque du Phédon, 1'immort.ilité de l'âme devait le rester jusqu'à la fin » (p. i37). Sur la religion de Platon, l'étude des mythes n'apporte pas les lumières qu'on pouvait espérer. M. Frutiger sous-estime un peu la part de la théologie dans l'oeuvre de Platon (p. 122-123). Pourtant il défend la théodicée du livre X des Lois, nettement dialectique, sauf dans les pp. 903 b-9o5 c, où il est question d'une pluralité de ôeo!. « Or il est bien certain que, pas plus dans les Lois qu'ailleurs, Platon n'a admis le polythéisme » (p. 12,?, n. 2); mais le législateur de la future colonie des Magnètes devait tenir compte du culte public. Comment classer les mythes, qui ne peuvent se ramener à une formule unique (p. 171)? D'après le rôle qu'ils jouent par rapport à

l'exposé de la doctrine. Ils se répartissent en trois groupes les mythes allégoriques; les mythes génétiques, par lesquels l'auteur « substitue. le récit d'une genèse fictive à une analyse conceptuelle », comme pour l'origine du langage, dans le Craiyle les mythes parascientifiques. Après avoir montré tout le long de son livre l'utilité philosophique des mythes, M. Frutiger les étudie du point de vue littéraire et découvre à cette occasion deux raisons nouvelles de leur présence dans les Dialogues l'influence de la tradition, l'imagination de Platon (p. 275). Les dernières pages analysent avec enthousiasme et précision la poésie des mythes. L'index alphabétique des ouvrages cités témoigne d'une vaste lecture. Je relèverai seulement deux omissions. Puisque M. Frutiger indique sous le nom des commentateurs les principales éditions des dialogues, il pouvait mentionner celle que A. Croiset a donnée de Protagoras dans la collection Budé la Notice consacre au mythe une page délicate, qui méritait d'être citée p. 183-184 16. Les Études de philosophie grecque de G. Rodier (Paris, Vrin, 1926) auraient dû l'être, au moins pour leur chapitre toujours intéressant sur preuves de l'immortalité d'après le Fhêdon n et la « Note sur la politique d'Antisthène », qui interprète le mythe du Politique.

les

La thèse de M. René Mugnier complète utilement celle de M. Bovet, le Dieu de Platon d'après l'ordre chronologique des dialogues. L'introduction passe en revue les théodicées rudimentaires des antésocratiques. Le premier chapitre fait l'inventaire complet, avec commentaires, de tous les passages où se trouve le mot « divin ». Ce chapitre, qui compte près de cent pages et occupe les deux tiers de l'ouvrage, et le tableau final qui le résume, s'inspirent de la méthode suivie par le R. P. Souilhé dans son étude sur Suvapiç. M. Bovet avait relevé les principaux emplois du mot 9edç, et utilisé, semble-t-il, tous les passages où le mot se rencontre; mais il n'en dressait pas la liste. M. Mugnier, lui, s'est placé délibérément au point de vue lexicographique, apportant ainsi une nouvelle contribution au futur dictionnaire de Platon; avant Sûvajt'.ç, le travail avait déjà été fait poureTîoç et 'Ma. par Ritter dans ses Nette Vnteruickungen pour ÏGov et y.iYt\
Pour l'analyse littéraire de ce mythe, voir encore Th. BmT, Kritik und Hermeneutik (Iw. Mûller, Handbuch, I, 3), Munich, Beck, io.i3, p. 62-63 et J. A. N.MRN, Greek prose composition, Cambridge, Univer16.

sity Press, 1927, p. 7-8. t7. Progr. Breslau, 1914.

Un important chapitre des Varia Socra-

phiques de Platon demanderaient une étude semblable ls. Pour les principales particules de liaison logique, j'ai donné un dépouillement complet et un classement 19. Il apparaîtra peut-être que la disposition du répertoire, qui repro. duit l'un après l'autre tous les textes intéressants, ne va pas sans quelques redites; on se demande également pourquoi certains de ces textes, aussi importants que les autres, ont été relégués dans les notes 20. L'extrême brièveté du second chapitre jure un peu avec l'étendue du premier. Quant au troisième, du Dieu de Platon, un des juges de l'auteur lui a reproché à la soutenance d'y esquisser une tica d'A. E. TAYLOR (p. 178-267), The Words tXSo;, I8ék in Pre-Platonic Literature, étudie la terminologie antéplatonicienne de la théorie des Idées;et la thèse récente de M. René SCH4ER.ER 'Eitwnrçjitti et Té^vt). Étude sur les notions de connaissance et d'art d'Homère à Platon [inclusivement] (in-8 de xu-220 pages, Mâcon, Protat frères, rg3o), tient compte de tous les textes, de même que la contribution du R. P. Souilhé à Phzlosophia perennis, Festgabe Joseph Geyser. la Bst* fioïpœ chez Platon (t. I, Regensburg, Habbel, 1930, p. i3-25). 18. Comme d'ailleurs, dans un autre ordre, tous les termes théologiques dont se servent les Pères. Cf. J. de Gheixinck, S. J. (et collaborateurs), Pour l'histoire du mot" « Sa-cramentunist. I. Les Atttênicêens. Louvain et Paris, 1924, p. 2-3 « Il y a longtemps que la philologie moderne s'est rendu compte de la valeur de la lexicographie. La langue théologique a bénéficié pour une part appréciable de ce reaouveau d'efforts. » et plus loin, parlant des histoires des dogmes (p. 34 35) « Le point de vue duquel ont été écrits la plupart de ces ouvrages, pour ne pas dire leur totalité, ne leur permettait pas de comprendre dans leur horizon le domaine lexicographique. Pendant longtemps, leurs auteurs n'ont pas tenu suffisamment compte des secours que la lexicographie prêtait à leurs recherches, pour donner à leurs résultats une base plus objective. n Études sur quelques -particules de liaison chez Platon oûv et ses rQ. composés, âpa, -coîvuv. Paris, Les Belles Lettres, 1939. 20. Parmi les interprétations plus discutables, je signalerai celle 7 (p. 23), où la suppression de ob, proposée en note, d'Afol. 27 détruirait la phrase. Elle a été bien expliquée par Keck en 1861 et par Munscher en 1865; dans un récent article [Classical Philolo gy XXIII, 1928, p. 68-70), M. P. SHOREY a repris leur interprétation, dont la clé est que « tou olùtoC dans la seconde proposition ne renvoie pas au personnage que suppose la première. Il y a deux personnages supposés » (p. 68). La seconde proposition forme la contre-partie négative de la première; ou porte sur les deux. Dès lors, la traduction nouvelle que M. M. Croiset a donnée du passage dans la deuxième édition de l'Apologie de la collection Budé (Platon, Œuvres complètes, t. I), ne vaut pas celle de la première édition, qu'il suffit de modifier ainsi

e

synthèse qui ne s'appuyait pas sur les analyses précédentes; et en effet M. Mugnier y traite en vingt pages un sujet vaste et difficile. Impossible de définir la nature du Dieu de Platon sans fixer le rapport du Démiurge et de l'Idée du Bien21. Après avoir identifié (p. i23) Dieu avec le Démiurge, il identifie (p. i3i) au Démiurge l'Idée du Bien le Démiurge du Timée et l'Idée du Bien de la République (f sont deux aspects de la divinité »; l'Ame du monde des Lois en est un troisième aspect (p. i36); elle émane de Dieu, comme en émanent les astres et même les âmes individuelles; car la théodicée platonicienne se définit « un immanentisme émanatiste » (p. i3c)). A ce compte, tout est Dieu? M. Mugnier n'hésite pas à conclure « Tout est divin chez Platon la Divinité pénètre tout, elle se retrouve chez tous les êtres, d'une manière éminente chez les uns. d'une manière moins élevée et plus dégradée chez les autres. Si les êtres sont êtres, c'est parce que Dieu constitue leur essence et ils sont tels dans la mesure même où Dieu leur est immanent » (p. 142). A cette théorie je ferai une double objection. D'abord aucun texte ne nous autorise à faire de l'Idée du Bien le Dieu unique auquel Platon aspirait sans le connaître; et ni le R. P. Bremond, ni M. Diès, qui ont exalté sa piété, ne sont allés jusque-là22. Quant à faire admettre par une personne tant soit peu sensée qu'un même homme peut croire à des démons sans croire aux dieux, et, inversement, qu'un même homme peut nier l'existence des démons sans nier celle des dieux et des héros, voilà qui est radicalement impossible. » 21. Cf. A. Rivaud. Notice à son édition du Timée (Paris, Les Belles Lettres, iQ25), p. 37-38. M. Rivaud termine par cet aveu son exposé de la question « En vérité, il est impossible de dégager des textes une solution cohérente. En beaucoup d'endroits, le Démiurge se distingue de l'Idée du Bien, tandis qu'ailleurs l'Idée du Bien paraît supérieure à Dieu même, qui ne fait que la contempler et l'imiter dans ses opérations. » 22. M. A. DiËs <: Allons-nous donc identifier totalement le Démiurge et son Modèle? Nous serions très excusables de les identifier en tant qu'ils représentent ou symbolisent la Divinité suprême. Mais nous sommes contraints de les distinguer en tant qu'ils représentent, l'un, l'Objet par excellence, l'autre, le Sujet par excellence. » (Autour de Platon, Paris, Beauchesne, 1927, p. 55o.) Il est vrai que M. Diès réunirait la cause efficiente et la cause exemplaire dans l'Être Universel, le TravTsXâîî ov du Sophiste, plénitude parfaite de la seule réalité véritable, de la réalité spirituelle (p. Le P. A. BREMOND {Archives de Philosophie, t. II, 1924, p. 401) « Le Modèle peut être une Idée éternellement conçue dans l'esprit duDivm Ouvrier. En l'entendant de la sorte, on ne fait pas violence au texte, «

574).

Ensuite, cette identification une fois admise, rien ne permet de porter atteinte à la transcendance du Dieu artisan et modèle; si ses prétendues émanations sont dieux, ce n'est que par analogie 23. D'ailleurs la construction de M. Mugnier témoigne d'une forte dia. lectique et, bien que dépassant les résultats de son enquête, a le mérite de poser à nouveau un problème passionnant.

ri. – \JEf inomis, « appendice aux Lois », rappelle

celles-ci par le fond et par la forme. Longtemps considérée comme la dernière œuvre de Platon, l'authenticité en a été contestée dans les temps modernes sur le témoignage de Diogène Laerce, qui ne dit pas clairement si Philippe d'Oponte a composé le dialogue ou l'a seulement écrit sous la dictée comme les Lois, et pour la raison générale que les idées exprimées ne sont pas platoniciennes. Depuis une vingtaine d'années, la querelle a repris. Deux dissertations allemandes, celle de Herm. Reuther, De Epinomide platonica (Leipzig, 1907), qui défend l'authenticité, et celle de F. Muller, Sttlistischt Untersuchungder Epinomis des Philippos von Opus (Berlin, 1927), qui attribue le dialogue à Philippe, ont trouvé chacune leur patronage. M. Ràder, qui avait soutenu par des arguments semblables la cause de Platon dans Platons phïlosophische Entwickelitng (190S), a naturellement donné raison à Reuther; M. Ritter,dont les hésitations de 1888 avaient, nous dit-il, disparu à une nouvelle lecture du dialogue, occasionnée par le livre de Râder, a salué avec enthousiasme le travail de Müller, qui paraissait apporter, grâce à une étude approfondie du style, les arguments décisifs pour l'attribution à Philippe. Mais, dans le même temps, les meilleurs platonisants mais on l'interprète et on dépasse, je crois, la pensée de Platon. Il reste en deçà. Je ne veux pas lui faire dire plus qu'il n'a dit. » Cf. p. 404 « Le mouvement naturel de notre pensée est d'identifier le Bien et le Démiurge. Platon n'est pas allé jusque-là, mais il y tendait. » Il reste que le Démiurge est une personne, tandis que le Bien n'en est pas une on dirait que Platon a séparé les attributs de la divinité. Cf. L. de GRANDMAISON, Jésus Christ, Beauchesne, 1927, I, p. 350. 23. A. Bremond, ibid., p. 404, n. 2 « Comment concilier ce panthéisme au moins apparent avec la transcendance et la personnalité nettement affirmée du Démiurge? L'antinomie de la transcendance et de l'immanence est mieux résolue dans le Bien de la République et le Beau du Banquet (211 b) « Le Beau un, simple, éternel et tous les autres beaux participent de celui-là de telle manière que, soit qu'ils naissent, soit qu'ils périssent, lui n'est ni plus grand ni moindre et n'éprouve aucun changement. »

anglais, Burnet et A. E. Taylor, se prononçaient en faveur de l'authenticité. M. J. Harward ne cite pas la dissertation de Reuther; il ne pouvait connaître celle de Müller, dont il aurait sans doute discuté les arguments. Mais il a étudié de son côté le style avec beaucoup de finesse, en le comparant à celui des Lois (p. 47-58); sans avoir pu lire Platonism, il s'accorde avec Burnet pour voir dans YEpinomis très âgé, soucieux de laisser un « un ouvrage dicté par un homme souvenir de ses dernières découvertes » (Platonistn, p. 86; cf. Harward, p. 20-21). L'introduction ne traite pas seulement la question de l'authenticité; elle montre la portée religieuse du dialogue (p. 19-25) et expose en détail l'œuvre scientifique de l'Académie (p. 58-75). La traduction, très exacte d'ordinaire, rendra d'autant plus de services, même en France, que la direction de l'Association G. Budé a séparé VEf inomis des dialogues suspects, édités tout dernièrement par le R. P. Souilhé, et ne la publiera qu'en appendice aux Lois 2
tament et celui de Philon.

rables par le moyen des volumes )), c'est-à-dire« qui peuvent se comparer si on les rapporte à des volumes »27;la formule mathématiquement exacte serait auxquels correspondent des volumes, lesquels sont commensurables; mais le texte ne peut signifier cela. Souhaitons que l'excellent livre de M. Harward amène des lecteurs à l'Épinomis. A travers ses obscurités, le dialogue jette un jour sur certains points de la théodicée des Lois (voir surtout 988 ab) et sur les sentiments de Platon au soir d'une longue vie foi en la formation mathématique, paix de l'âme unifiée, espoir d'une mort bienheureuse et d'un au-delà meilleur (991e-992 c; cf. 973 c).

IV – En une traduction exacte, dont il faut seulement regretter l'anonymat, la maison Payot offre au public français l'Aristote du professeur Ross. Nul doute qu'il ne rencontre un favorable accueil. Le Système d'Aristote d'Hamelin, si suggestif, tirait un peu trop magistralement, il Aristote à l'idéalisme; surtout il ne traitait, est vrai, que la logique, la physique et les principales théories métaphysiques, sans un mot des sciences naturelles pour la morale, une leçon publiée après coup par M. Robin n'indiquait que les grandes lignes. Absolument objectif, le livre de M. Ross n'omet aucune des parties de l'œuvre, aucune des questions que pose

i2.

l'aristotélisme. Le premier chapitre esquisse la vie d'Aristote et trace de lui un vivant portrait « Nous avons parfois tendance à ne voir dans Aristote que l'intelligence incarnée. Mais son testament nous apporte le témoignage le plus clair d'une nature reconnaissante et affectueuse n (p. 17). Puis vient une vue d'ensemble des ouvrages, dont M. Ross discute l'authenticité en tenant grand compte de la grammaire et du style, d'après les travaux d'Eucken. L'ordre psychologiquement le plus probable suppose une émancipation progressive de l'influence de Platon (p. 31); le mouvement général de l'oeuvre « va de l'étude de l'au-delà des phénomènes vers un intense intérêt pour les faits concrets à la fois de la nature et de l'histoire » (p. 33). Sur la nature de Dieu, Aristote est arrivé à des « apories ». Dieu agit sur le mouvement du premier ciel, comme un objet d'amour et de désir (p. i38) mais la connaissance qu'il possède n'est pas la connaissance de l'univers (p. 257); il ne connaît et ne pense que Berl. Phil. Woch., XXVIII, Greek Philosophy, I, p. 322-323. 27. Cf. RAEDER,

1908, c. 835;

Bornet,

lui-même. Certaines images donnent à croire qu'Aristote se représente parfois Dieu comme dirigeant le développement de l'histoire du monde (p. 260). Malgré tout, la conception qui semble prévaloir dans son esprit est celle d'une aspiration inconsciente de la nature vers des fins (p. 261); il n'a pas vu qu'elle implique une contradiction. Une téléologie plus satisfaisante est celle de son éthique « c'est par la catégorie de moyen et fin qu'il interprète l'action humaine » (p. 263). M. Ross, qui établissait, à propos de la biologie, la scala naturae d'Aristote (p. 166), dresse, d'après le livre IV de Y Éthique à Nicomaque, le tableau tripartite des vertus et des vices (p. 285) cette division un peu factice devrait faire place à un système de dualités, car « chaque vertu n'a qu'un vice pour contraire » (p. 287). Malgré des traits remarquables, l'homme « magnanime » d'Aristote ne fait qu'annoncer en le diminuant le sage stoicien (p. 291). Le « syllogisme de l'incontinent » donne lieu à une étude détaillée (p. 3o9-3n). Les deux derniers chapitres traitent l'un de la politique, l'autre de la rhétorique et de la poétique;la poétique d'Aristote est restée beaucoup plus vivante que sa rhétorique (p. 382). Bien qu'il suive de près les principaux textes, M. Ross, on le voit, ne s'interdit pas d'apprécier l'œuvre. Les faiblesses d'Aristote ne lui échappent pas; il lui arrive pourtant de le grandir lorsqu'il dit qu' « en logique. il n'eut pas de devanciers » (p. 16), il oublie qu'on a pu nommer Platon '< le fondateur de la logique scientifique »8S. Toutefois, sur la valeur de l'aristotélisme, il ne porte pas le jugement d'ensemble qui lui revenait plus qu'à tout autre. Le livre se termine par une bibliographie choisie29 et par un index rerum, plus détaillé que l'index de la seconde édition anglaise, mais qui aurait dû se doubler d'un index nominum.

Philologus, LXXV, 1918-1919, p. 52. Cf. mes Études sur quelques particules de liaison chez Platon, p. 3t5 sv. 29. Cette bibliographie a été traduite, comme le reste de l'ouvrage, sur la première édition anglaise; elle mentionne cependant quelques travaux postérieurs à 1925. Dans la première section, elle omet à tort les commentaires de Berlin. De même que la seconde édition anglaise, elle donne encore comme étant sous presse l'édition de la Métaphysique publiée par l'auteur en 1924. Pour la Constitution d'Athènes, l'édition de G. Mathieu et B. Haussoullier dans la collection Budé (1923, 1930) devrait figurer à côté ou à la place de l'ancienne traduction de Th. Reinach. Le De Inter-pretatione a été traduit et commenté par Mgr Laminne (Bruxelles, 190 1). L'erratum, déjà considérable, serait facile à allonger. P. 9, n. 4, lire 280 Kjp. n, n. 1, lire Mét. A p. 408, lignes 6 et 7, au lieu de 120, lire 190;p. 411, 1. 17 du bas, lire De Partibus Animalmm. 28. C. RITTER,

i3. De la théorie du premier moteur, sur lequel Y Aristote de Ross pouvait paraître un peu bref30, M. René Mugnier a fait le sujet de sa thèse principale. Il part du livre de M. Ch. Werner, Aristote et l'idéalisme Platonicien, où Dieu est l'âme du monde; il établit, à l'encontre de cette opinion, que les sphères, étant non pas continues mais contiguës, donc distinctes les unes des autres, ne constituent pas un être un par soi, et que le premier moteur ne peut être l'âme que de l'une d'entre elles, la sphère des étoiles fixes ou premier ciel. En même temps il retrace, à la suite de Jàger, l'évolution de la pensée aristotélicienne. Dès son Dialogue sur la philosophie, Aristote semble avoir rejeté le Démiurge de Platon. Plus tard, son principe de la connaissance et son principe de la destinée de l'âme humaine le vouent logiquement à une doctrine d'immanence, parce qu'ils méconnaissent radicalement l'individu. Pourtant, arrivéà la théorie immanentiste dupremier moteur, Aristote ne s'y tient pas; il finit par admettre une pluralité de moteurs immobiles, âmes des différentes sphères célestes. Tous ces moteurs, comme le premier, informent une « matière par analogie » incapable de les multiplier; ils constituent donc chacun une espèce. L'intellect actif, qui partage les attributs des moteurs célestes, constitue un nouveau moteur. Ces vues intéressantes s'opposent en plus d'un point à la thèse classique, d'après laquelle le premier moteur est extérieur au premier ciel31. M. Mugnier, qui a rappelé que. pour Aristote, « tourner sur soi, ce n'est pas se déplacer » (p. 72), n'a pas de peine à prouver contre Carteron que la rotation du premier ciel sur lui-même n'entraîne pas pour l'âme qui le meut, le premier moteur, la nécessité d'un point d'appui (p. i2o). Il répond moins bien à une objection qu'Hamelin faisait déjà à Zeller. Hamelin se rangerait à l'interprétation, classique chez les commentateurs d'Aristote, qui n'accorde le titre de Dieu qu'au moteur du premier ciel (p. 357); mais il refuse d'admettre avec Zeller que les moteurs des sphères ne soient pas autre chose que leurs âmes (p. 358, n. 1). M. Mugnier tient pour établi que le premier moteur est une âme (cf. p. 116), il ne le prouve qu'imparfaitement (p. 124 sv.); son livre, à vrai dire, manque de conclusion, et, pour réunir les éléments de sa démonstration, il faut recourir à la table des matières, bien rédigée et fort utile. Lyon-Fourvière. E. DES PLACES. 30. Cf. p. i35 de l'édition française. 31. Cf. ROBIN, La pensée grecque, 2* éd., p. 345-347. Le Gérant

J. DUMOULIN.

Imprimerie J.

Dumoulin,à Paris.

LES COMMUNAUTÉS JUIVES A ROME AUX PREMIERS TEMPS DE L'ÉGLISE

III. Leur organisation intérieure1 Au dire de M. La Piana, l'Église de Rome, sortie du judaïsme, aurait modelé son organisation sur celle des communautés juives. a II semble, écrit-il, qu'à Rome, plus que partout ailleurs, l'organisation chrétienne primitive ait imité de plus près l'organisation synagogale des Juifs 2. » C'est donc dans les communautés juives qu'il faudrait chercher l'origine des cadres ecclésiastiques et l'on ne se rendrait vraiment compte de la genèse de la primauté que si l'on a une notion précise de l'organisation de la juiverie romaine. La question vaut la peine d'être étudiée avec soin. Une fois de plus on verra avec quels critères subjectifs procèdent certains critiques en une matière dont l'importance exceptionnelle mériterait l'emploi de méthodes plus scientifiques. Différentes influences contribuèrentà donner aux communautés juives l'aspect qu'elles présentent dans la diaspora. Il faut signaler spécialement, comme ayant servi à déterminer leur forme, le Sanhédrin de Jérusalem, le système synagogal, et surtout les associations du monde gréco-romain. Il est impossible de se faire une idée exacte de l'organisation de 1

Cf. un précédent article, Recherches de Science religieuse, 20 (iç3o), p. 269-297. Ne voulant pas encombrer le bas des pages de notes trop nombreuses, nous renonçons à donner la référence de la plupart des inscriptions juives que nous citons ou que nous utilisons. On les trouvera sans peine dans notre ouvrage en préparation Recueil des anciennes inscriptions juives. 2. La successione efiscofale in Roma e gli albori del primato, Roua, 1.

loai, p.19.

ces communautés, si on ne les replace pas dans leur cadre historique, et l'on n'aboutit qu'à brouiller les notions en voulant expliquer, comme le font certains savants juifs, toutes les fonctions et tous les rouages des communautés juives de la diaspora par des sources purement rabbiniques. Le terme de comparaison qui s'impose et qui l'emporte sur tous les autres est le monde gréco-romain au milieu duquel les Juifs ont vécu et auquel ils se sont, dans une très large

mesure, assimilés. a) Le Sanhédrin.

Le Sanhédrin de Jérusalem

appelé tantôt Y^pouoia3, tantôt ouvé^piov ou Tf&cr&jTéptov 5, se composait de soixante et onze membres parmi lesquels on peut distinguer un triple élément: les grands-prêtres (apy tepeïç) c'est-à-dire en premier lieu le grand-prêtre en fonction, puis ceux qui avaient quitté la charge, et enfin d'autres membres des familles sacerdotales, les Docteurs de la Loi (ypaj/^aTeïç) et les Anciens (lïpea&kspoi) e. Parfois on voit apparaître des ap/ovTe;7, appellation qui semble désigner les membres du Sanhédrin en général. Il avait des pouvoirs d'ordre politique, législatif et judiciaire; car, même après la conquête romaine, les Juifs de Palestine conservèrent une certaine autonomie Rome savait respecter les traditions locales, et la réserve était d'autant plus conseillée en Judée que la loi religieuse y dominait toute la vie sociale. Aussi, le Sanhédrin de Jérusalem resta-t-il, pour toutes les affaires juives intérieures, soit religieuses soit civiles, l'autorité nationale suprême, naturellement sous le contrôle des procurateurs romains il décidait en dernier ressort des questions de droit civil et fonctionnait comme cour suprême dans les causes criminelles. Cependant, les sentences capitales devaient être ratifiées par 6; il Mach. i, io; 4, 44; 11, 27; III Mach. JosÈphe, Ant. 12, 3, 3; t3, 5, 8; cf. 4, 8, 14.

3. I Mach. 12, 21

1,

8; Act.

5.

4. JOS., Ant. 14, 9, 3-5; i5, 6, 2; 20, g, 1 Vita, 12. 5. Act. 22,5; cf. Le. 22, 66; parfois $aMi,Bell. Jitd.2, i5, 6; 2, 16, 2; cf. poussin-aï, Bell. fud., 2, 17, 1. 6. Me. 11, 27. 7. Act., 4, 5 cf. Le. 23, i3. 35 24, 20; Jo. 3, 1 7, 26; Act., 3, 17.

le représentant de Rome. Le Sanhédrin disposait également d'une police particulière, et, avec la tolérance des autorités romaines, il étendait ses interventions même au delà de la Judée, par exemple à Damas 8. Après la chute de Jérusalem, en 70, les Juifs se donnèrent à Jamnia un nouveau sanhédrin; mais quoique Rome lui reconnût une certaine compétence, d'ailleurs fort limitée, en matière législative et judiciaire, il ne fut guère qu'une assemblée de savants. A l'image du grand Sanhédrin, il y avait à la tête des communautés juives de Palestine un Conseil ({J&iTXvi), composé des Anciens de la localité (irpeo&JTepoi) et chargé de faire la police, de juger des affaires moins importantes et d'appliquer certaines peines, comme la flagellation 9. Cette organisation de la mère-patrie demeura pour les Juifs de la diaspora un modèle qu'ils s'efforcèrent d'imiter, du moins en ce sens qu'ils eurent le souci de se donner une organisation administrative, financière et judiciaire à part. Et, de fait, ils gardèrent non seulement le droit de légiférer sur toutes leurs affaires intérieures et d'exercer une surveillance morale et religieuse sur les membres de la communauté, mais encore celui de poser des actes de juridiction civile ou pénale, ainsi que celui d'avoir une caisse commune et des propriétés corporatives. Tous les Juifs de l'Empire romain jouissaient de cette situation privilégiée. Nous verrons comment les Juifs de Rome conservèrent, avec ces franchises, l'essentiel de l'organisation dont le Sanhédrin offrait l'image; chaque communauté avait à sa tête un Conseil chargé de veiller aux intérêts religieux, civils et financiers de la collectivité. b) Le système synagogal. En Judée, l'administration 8. Act., 9, 1-2. Sur les petits sanhé9. Mt. 5, 22; 10, 17; Mc. i3, 9; cf. Le. 7, 3. drins, cf. Cf. SchOrer, SCHURER, Geschichte GMC~t~~ ~M des judischen Fo/~M im /<MM, /!<~MC/ Volkes !M Zeitalter Jesu, Leipzig, III, 1909, p. 71-121 Felten, Neutestamentliehe Zeitgeschichte, Regensburg, 2* éd., igz5, I, p. 3i5-3i7-

Z~

des affaires religieuses, comme celle de toutes les autres, revenait au Sanhédrin, non au sacerdoce. Les prêtres, comme tels, n'avaient d'autre fonction que de s'acquitter, au Temple de Jérusalem, des cérémonies prescrites. Dans les autres villes de la Palestine et dans la diaspora, le centre des réunions religieuses était la synagogue on y priait, on y lisait et expliquait la Loi. Un archisynagogue, aidé d'un ministre ('jirïipér»];) 10, était chargé d'assurer la bonne marche des différents offices liturgiques. Le culte constituait un domaine nettement distinct de celui de l'administration. L'archisynagogne pouvait, à t'occasion, faire partie du Conseil des Anciens; mais les attributions de l'un et de l'autre étaient, A Rome, comme par elles-mêmes, différentes et séparables. ailleurs, chaque communauté avait sa synagogue et son personnel particulièrement affecté aux affaires du culte. L'institution qui exerça c) Les cités et les associations 11. sur l'organisation des communautés juives l'influence la plus profonde, ce furent les associations du monde gréco-romain, elles-mêmes calquées sur les cadres administratifs des cités 10.

Le. 4, 20.

Sur l'organisation des cités, cf. Marçuardt, Romische Slaatsverualtwng, 2e éd. il, p. no-i36; m, i35-i44 {– Handbuck der rômischen Altertumer, IV); MOMMSEN, Rbmtsches Staatsrecht, 1887, p. 5qo-83ï (= tiandbuch der rôrn. Alt., III); LlEBENAM, Stadteverwallung im r'omischen Kaiserreiche, Leipzig, igoo. Sur l'organisation des « collèges » et associations, cf. MOMMSEN, De colle giis et sodaliciis Romanorum, Kiel, 1843; Foucart, Des associations religieuses chez les Grccs, Paris, 1873; Max Cohn, Znm rômischen Vereinsreeht, Berlin, 1873; Pernice, M. Antistius Labeo. Das romische Privatrtcht im sweiten Jahrhundert der Kaiserzett, Halle, 2e -éd. 189S, p. 289-310; DAREMBERG et Saglio, art. Collegium, dans Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, 1, 2, Paris, 1887, p. 1292-1297; art. Fabri, ibid., 11, p. 947-959; SCHIESS, Die r'omischen Colle gia funeraticia nach den Inschriften, Munchen, 188S; Lieuenam, Zur Geschichte und Organisation des rômischen Vereinswesens, Leipzig, 1890; le même, art. Fabri, dans DE RuGGIERO, Dizionario epigrafico di antichità romane, Roma, ni, 1895, p. 4-18; WALTZING, Étude historique sur les corporations professionnelles chez les Romains depuis les origines jusqu'à la chute de V Empire d'Occident [Mémoires publiés par V Académie royale de Belgique, t. 50), 4 voL, Bruxelles, 1895-1900 (ouvrage fonda11.

grecques auxquelles les Romains avaient laissé une autonomie plus ou moins grande, suivant qu'il s'agissait de cités « libres a ou de cités « sujettes ». En effet, différentes villes des provinces d'Asie et de Grèce avaient le droit de s'administrer elles-mêmes et ne dépendaient des autorités romaines que sur des points déterminés. Elles étaient gouvernées par un Conseil ou sénat {{JwV/f ou yepouoîa) composé des personnages principaux de la cité, élus par le peuple. Un comité exécutif choisi dans son sein (les stpyovTit) avait entre ses mains l'administration effective de la ville. Parmi les fonctionnaires, le grammateus ou secrétaire du Conseil12 avait une situation spécialement importante. Il dirigeait les débats, comptait les voix, donnait aux décrets Dans les Actes leur teneur définitive, gardait les archives. des Apôtres, i9,35, on voit le grammateus d'Éphèse apaiser une émeute populaire. Dans les municipes romains, dont la constitution et l'administration répondaient en général à celles de la ville de Rome, le choix des fonctionnaires, l'approbation des lois et les mesures intéressant la ville revenaient d'abord à l'assemblée du peuple (comitia), plus tard au sénat (senatus, curia, ordo decurionum) Les affaires étaient gérées par deux fonctionnaires, élus chaque année, les duumviri juri dicundo, en grec ap^ovTeç, ou «TTpa-cïiyoil3, iro rel="nofollow">.iTaép^a'. l4, qui présidaient le sénat et les assemblées populaires et rendaient, dans une mesure restreinte, la justice. A côté d'eux, il y avait les mental sur la question); le même art. Collegium, dans DE RUGGIERO, Dieionario epigr., H, Roma, 1892, p 340-406; le même art. Collegia, dans D. CABROL, Dict. d'Arckéol. Chrct., III, 2, Paris, 1914, col. 2107ZIEBARTH, Das griechische Vereinsîsesen, Leipzig, 1896; KORNE2140 MANN, art. Collegium, dans Pauly-Wissowa, Real-Encyclopàdie der christlichen Altertumswissenschaft, j" Halbband. Stuttgart, igoo, col. 380-480; Pot and, Gesckichte des griechischen Vereimwesen, Berlin, 1909. 12. il était souvent à la fois le secrétaire du Conseil et le secrétaire du peuple, YpafiputTett -rijç [iotAr,? x<x\ tou Bi^ou. 13. Cf. Act. 16, 20. ai. 35- 36. 38. 14. Cf. Act. 17. 6. 8.

diuumviri aediles, les licteurs, les scribes, les prêtres, et une foule de fonctionnaires subalternes. Plusieurs des fonctions municipales semblent être deveaues avec le temps, de-ci rie-là, héréditaires, et c'est ce qui explique qu'on puisse rencontrer des décurions enfants, âgés de quatre, cinq ou six ans. C'est cette organisation des cités hellénistiques et romaines qu'imitèrent les associations de tout genre qui se mirent à pulluler à travers le monde gréco romain vers le temps de

Jésus-Christ.

Les associations (ôïkcoi, Ifcwot, collegia), dans leurs formes extérieures comme dans leur organisation intérieure, sont des cités au petit pied. Les jurisconsultes romains euxmêmes font le rapprochement 1S. Ils avaient leur statut et leur administration propres, et pouvaient posséder une caisse commune, un lieu de réunion (schola ou templum), un terrain pour la sépulture des membres. Malgré leur très grande variété, elles présentent partout les mêmes grandes lignes. Leur constitution est démocratique: ce sont de petites républiques tous les fonctionnaires sont élus par l'assemblée générale des membres de la société (cwn&oç, conienlus) et à l'expiration de leur mandat ils doivent lui rendre compte de leur gestion ils sont en charge pour un an, parfois pour cinq ans, mais peuvent être Comme le nombre des membres d'une société pouvait dépasser mille, l'administration était confiée le plus souvent à un comité (yepouoiae, irpoeSpta, ordo decnrionum), composé d'Anciens marche des affaires était assurée par un certain nombre de fonctionnaires. Les plus haut placés étaient les présidents (àpyovT«$, èTna-râ-rat, magistri ou quinquennales ;dans le midi de l'Italie maiores ou praepositi), dont le nombre pouvait aller jusqu'à dix. Ils convoquaient les réunions, veillaient à l'observation des statuts, exécutaient les nouveaux décrets, contrôlaient la caisse, prépa-

réélus.

La

i5. Dig.

m,

4, i.

raient les festins. Entre leur élection et leur entrée en charger ils portaient le titre de magiitri designati. On trouve aussi des magistri ou des quinquennales perpetui, élus à vie; c'était probablement un titre honorifique décerné à d'anciens présidents particulièrement méritants, quelque chose comme nos présidents honoraires. Dans les associations religieuses, les magistri étaient rem-

placés par les sacerdotes (tepeîç, âp^tcp»;) Presque toutes les associations avaient aussi un ou deux intendants (lizi^Xtri* curatores), qui avaient à administrer les biens de la communauté, à gérer les finances, à surveiller l'exécution des décrets un ou plusieurs trésoriers (quaestores, arcani, tscjjugu) chargés de la caisse; un ou plusieurs secrétaires (tabularii, notarii, ypa^aaTeiî), nommés à vie, comme d'ailleurs les autres employés subalternes. Dans les petites corporations, le président pouvait cumuler plusieurs charges. Un peu en dehors et au-dessus de ces fonctionnaires, on voit apparaître l'avocat (actor, syndicus, defensor collegii, <ïuv<îix.o;, ê/t^iy.o;, TrpoaTotTïiç?), qui avait à représenter le collège devant les tribunaux et dans toutes les affaires juridiques, et les patrons, parfois même des patronnes (patronus, patrona, icpo«rrstTi!ç ?), choisis le plus souvent parmi les personnages considérés et assez riches pour pouvoir rendre en libéralités l'honneur qu'on leur accordait. Les corporations imitaient ainsi Ls cités, les coloniae, les municipes, les provinces, les nations qui, sous l'Empire, voulurent tous avoir leurs protecteurs ou patrons. Un autre titre se rencontre souvent dans le personnel de ces sociétés « le père » (paler, ica-rvip cuvô^ou) ou « la mère » ({«iTYtp) du collège. Dans les associations religieuses où l'on célébrait des mystères d'origine orientale (par exemple, ceux de Mithra, d'Isis, de Jupiter Dolichenus), le mot pater marquait le degré d'initiation le plus élevé. Dans les collèges professionnels ou funéraires, le « père » semble parfois se confondre avec le président ailleurs, « père » ou « mère » peuvent être synonymes de « patron « patronne ».

ou

D'autres fois encore, ces titres paraissent être purement honorifiques. d) Les communautés juives. Nous allons trouver les lignes essentielles de ces cadres administratifs dans les communautés juives de Rome. Les inscriptions montrent que les Juifs de Rome avaient formé un assez grand nombre de communautés distinctes. Nous en connaissons aujourd'hui avec certitude treize 16, mais il dut y en avoir une bonne vingtaine. Elles portaient le nom de ouv«ywy-/î, synagoga, mot qui, à Rome, ne désigne jamais l'édifice où les Juifs s'assemblaient pour prier; ce dernier y est toujours appelé upocsuyo, proseucha17. Dans la ville voisine d'Ostie, la communauté juive portait probablement le nom â'universitas Iudaeorum 1S, comme celle d'Antioche, d'après une ordonnance impériale de l'an 2i319. LA -/jpousw, LE CONSEIL DES ANCIENS, ET LE yspouciapy/iç, LE PRÉSIDENT DU CONSEIL

i.

Chaque communauté juive de Rome était gouvernée par un Conseil des Anciens, la Gerousia. Quoique le mot ne soit pas encore attesté épigraphiquement, du moins d'une façon certaine 20, l'institution existait sans aucun doute, puisque près de vingt fois on voit apparaître sur les inscriptions le président de la gerousia, le yepouatâp^ïiç. On ne sait au juste combien ce Conseil avait de membres la gerousia d'Alexandrie se composait, d'après les rabbins, de soixante et onze Anciens il est vrai qu'elle avait sous sa juridiction toute la 16.

Cf. Recherches de Science religieatse,

17. PHILON, Leg.adGaium, 2j(=Cohn JUVÉNAL, Sat., m, 296; CIL VI 9821.

20 (igSo), p. 282-295. 568s.); VI, § 156 s. MANGEY

II

E. Ghislanzoxi, dans Notizie degli Scavi, !~o6, p. 410-415 le mot Universitas a été suppléé par l'éditeur. 19. Cod. Justin. I, g, 1 cf. Schurer, op. cit., III, p. 75. 20. Il se trouvait très probablement sur l'inscription déjà citée d'Ostie. Malheureusement, le texte est mutilé; il ne reste que les lettres GE à la fin d'une ligne; mais le mot Gerusiarches s'y lit deux fois. 18.

nombreuse juiverie de. l'Égypte. Selon toute probabilité, le Conseil était élu, chaque année, par l'assemblée générale des membres de la communauté. Ce devait être une sorte de sanhédrin local, modelé en partie sur le Sanhédrin de Jérusalem, en partie sur la gerousia des associations grecques et romaines. Si l'on s'en rapporte à ces analogies, car les renseignements directs manquent, il avait à administrer la communauté, à pourvoir à ses intérêts religieux, à la représenter devant les autorités romaines, à surveiller ses finances et ses propriétés, à exercer, dans une certaine mesure, la juridiction civile sur ses membres et à procéder aux sanctions nécessaires. Le gerousiarque, comme son nom l'indique, était le" président de ce Conseil. C'était un des personnages les plus importants de la communauté et il ne cédait le pas qu'au « père de la synagogue », dont nous parlerons plus loin. Les inscriptions se contentent le plus souvent de noter simplement le titre, comme elles font du reste pour toutes les autres dignités mais lorsqu'elles donnent des précisions, elles rattachent toujours le personnage à une communauté déterminée, jamais à une gerousia suprême Quintianos et Annis sont gerousiarques de la communauté des Augustenses, Judas (?) est gerousiarque des Agrippenses, Symmachos, des Tripolttains. Il est clair que chaque communauté avait sa gerousia et son administration propres. Il est à observer que le titre se rencontre encore sur une inscription juive de la Campanie et sur deux épitaphes de la catacombe juive de Venosa en Apulie 21 jamais on ne le trouve sur les inscriptions païennes, quoique le terme de gerousia y soit très fréquent. 2.

Les

TrpeaëÛTÉpoi, LES

Anciens

Le Sanhédrin de Jérusalem se composait en partie de 21. Un certain Ursacius, dont trois filles sont enterrées à Rome, est dit « d'Aquilée, gerousiarque ». Remplissait-il cette fonctionà Rome ou à Aquilée? Il est difficile de le dire.

xf eo&mpoi, et dans les associations grecques, les membres du Conseil portaient souvent le même nom. Le titre existait dans les communautés juives de Jaffa, de Cilicie, de Smyrne, de Bithynie, deChypre22. Aussi était-on surpris de ne jamais le rencontrer sur les inscriptions juives de Rome, et l'on se demandait si, dans cette ville, les membres du Conseil n'étaient pas tout simplement les archontes, si souvent mentionnés33. Mais cette question n'a plus de raison d'être. En effet, le titre se présente sur une inscription découverte, en 1919, dans la catacombe juive de Monteverde2*. L'épitaphe étant mutilée, l'éditeur n'y reconnut pas le mot important; mais Clermont-Ganneau le devina25, et une inspection directe du marbre pc rmet de proposer avec certitude la lecture suivante fM"TTfo[5]wpoî [irpecSj'j-spoç [ÉvQâfte ttsjr-e. L'inscription est II est à peine besoin ornée d'un cbandelier à trois branches. de noter que le mot TîpeoÈÛTepoç n'est pas une indication d'âge, mais de dignité le titre était sans doute conféré aux chefs des familles les plus considérées. Il reste pourtant à expliquer pourquoi il ne se rencontre pas plus souvent. Schiirer en voit la raison dans le fait que « les TrpeoCÛTepoL, les membres de la gerousia, n'étaient pas des

magistrats proprement dits; ils étaient trop nombreux pour qu'on crût devoir en faire mention 26 ». Peut-être le hasard des découvertes y est-il aussi pour quelque chose et l'avenir nous réserve-t-il des surprises. Ce qui paraît certain, c'est voit des femmes porter le titre de TtpEsêiJTÉfœ, en Thrace et à Venosa. A Rome, une certaine Ur(s)a e-t appelée iifîaQÛTrfi. Il s'agit probablement de femmes de xpz<:Ç>\i-zepo: (Kr\USS, Synagogale Alterttimer, Birhn-Wien, 1922, p. 144), ou d'un simple titre, accordé par l'u'-agf, à des « femmes pieuses et vénérées dans la communauté » (JuiitR. Les luifs dans l'Empire romain, Paris, 1914, I, p. 441, note 8). 23. 5CUÙRER, op. ci' m, p. 85; (faussi du même: Die Gemeindeveifassung der /uden in Rom zn der Kaiserzeit, Letpzig, 1879, p. 18 s. JlSiER, I. p. 441, note 2. 24. I'aribeni, Notizie degli Scavi, 1919, p. 67, n. 16. 25. La nécropole ]ui\e de Monteverde, dans Revue archéologique, 22 On

Se

sér.,Il(1920I,

p. 366.

26. SCHLRER, Die Gemeindeverf., p. ig.

que les membres de ce presbyte Hum juif ne jouaient pas vm rôle considérable et n'exerçaient qu'une influence lointaine sur la direction de la communauté. 3. Les «p/ovreî

La conduite réelle des affaires était dévolue à des magistrats qui sont mentionnés près de cinquante fois sur les inscriptionsjuives de Rome, les âp^ovreç. Il n'y a guère de doute que, selon les analogies que nous avons relevées, il& n'aient formé le comité exécutif de la gerousia. On en trouve d'ailleurs également dans des communautés juives de Campanie, d'Espagne, de Syrie, de Lycie, d'Egypte, de la Cyrénaïque, de l'Afrique Proconsulaire. Combien y en avait-il dans chaque communauté? Il nous est impossible de le préciser. A Bérénice, en Cyrénaïque, il y en avait neuf; ailleurs encore, on en trouve plusieurs. A Rome, un certain Nicodème est appelé 6 «p^cav SiëoupTicwav à prendre ici l'article au sens strict, il résulterait que la communauté de la Subura n'avait qu'un seul archonte; mais si l'on songe aux incorrections multiples dont les lapicides romains se sont rendus coupables, on se gardera de tirer uneconclusion ferme de ce seul texte. Les archontes étaient élus pour un an, par toute la communauté, au mois de septembre, à la fête des Tabernacles. C'est ce qui nous est affirmé dans une homélie27, dont l'auteur est probablement Pontius Maximus28, qui écrivit à Rome, avant Constantin29 Iudaei « mensem Septembrem ipsum novum annum nuncupant, quo et mense magistratus sibi designant, quos Archontas vocant. In illa solentnitate 27. De solstitiis et aequinoctiis D. N. Jtsu Christi et Joannis

Baftis-

homélie placée parmi les sfiuria de saint Jean Chrysosrome tae, dans les anciennes éditions, par exemple Opera Divi Johannis Chrysostomi, Venetiis, 1548, 11, fol. 272. 28. Cf. D. WILMART, dans Journal of Theological Studies, 19 (igr3); p. 3i6 s.

29. Cf. A. Vaccari, Pontius Maximus, dans Rassegna lingue e letterature classiche, 2 (1920), p. 3a6-328.

italiana di

scenopegiae.

Le mois de septembre (Tischri) marquait le commencement de l'année civile des Juifs. Ils pouvaient être réélus, et l'on connaît une dizaine de Juifs romains qui ont été « deux foisarchontes » Jason, Maron, Sabbatis, Caelios Quintos, Gaudentis, Proculos, Eupsychos, Pomponis, Ioustos. Le fait que sur les cinquante personnages qui avaient été revêtus de cette charge, une infime minorité seulement l'avait été à deux reprises et que personne ne l'avait été un plus grand nombre de fois, avait fait penser que la réélection ne pouvait se faire qu'une seule fois30. Cette conclusion est aujourd'hui démontrée fausse; une inscription encore inédite31nous présente un certain Domitos qui avait été -rpiç â'pywv. Du reste, dans les associations professionnelles, il n'est pas rare de trouver magistei iterum, ter, quater 32 A l'instar des magistri perpetiti des corporations et d'autres titres conférés à vie dans les associations grecques, il y eut des archontes à vie, è\% [itou, locution qui offre de nombreuses variantes &tà flio, £aëiou, diabiu, et hors de Rome dia vin, iabius. Il est vrai que ces expressions ne mentionnent pas la dignité ainsi accordée à perpétuité mais il est très probable qu'il s'agit de la magistrature la plus fréquente, l'archontat. Toutefois, il semble bien que ce titre ait été purement honorifique et ait désigné les archontes honoraires. Souvent il est spécifié dans quelle communauté l'archonte exerce sa charge Maron, Nicodème et un troisième dont le nom est tombé, sont archontes des Siburenses, le père d'Isidora est archonte des Hébreux, Aper, Gaudentis et Pomponis sont archontes des Calcatenses, Proclos est archonte de la »

Muller, Die fitdische Katakombe am Monteverde Leipzig, 1912, p. n3; Mûller-Bees, Die Inschriften der 30. N.

zu Roui, judi'-cken

Katakombe am Monteverde tu Rom, Leipzig, 1919, p. 4; cf. SCHURER, Geschichte, III, p. 86. 31. Nous la publierons et la commenterons dans la Rivista di Archeologia Cristiana. 32. Cf. WALTZING, Étude historique sur les corporations professionnelles, i, p. 368 iv, p. 359.

communauté des Tripolitaint Haros de celledes Volumnenses, un autre de celle des Augustenses. On voit dès lors ce qu'il faut penser de cette affirmation de Krauss «ô apywv, sans plus, est un dignitaire de la communauté entière, c'est-à-dire de la gerousia », dans laquelle l'auteur veut voir le Conseil suprême de toutes les communautés de la ville 33. Des prêtres pouvaient devenir archontes Judas et José sont dits a archontes et prêtres (Ueeîç) et frères » c'est signe aux deux frères aucun droit que leur sacerdoce ne donnait de participer au gouvernement de la communauté. Il en est de même de l'archisynagogue qui, comme tel, n'a aucune part à la direction des affaires, ainsi qu'il ressort de l'inscription suivante « Stafulo arconti et archisynagogo honoribus omnibus fu(n)ctus. » Si l'archisynagogue avait été de droit archonte, point n'était besoin de spécifier les deux fonctions. Sans doute, Stafulus avait-il auparavant rempli encore d'autres charges, par exemple celle de gerousiarque, puisque, selon la formule souvent usitée dans les inscriptions classiques quand il s'agit du cursus Iwnorum dans la cité ou dans les corporations, il avait passé par toute l'échelle des honneurs. Sur d'autres points encore, les Juifs suivaient les usages reçus dans l'organisation des cités. On a vu qu'il n'était pas rare de voir figurer, sur les inscriptions, des « décurions enfants ». Dans les communautés juives de Rome, il y a des Annianos, âgé de huit ans et deux ii archontes enfants » mois, est âpytav vtÎttioç; il est vrai qu'il est fils de Iulianos, père de la communauté des Campenses. Ailleurs, on voit des p.s'X'XofpyovTEi;, des archontes désignés, comme dans les corporations, où il y avait des magistri designati, c'est-à-dire des magistrats nommés, mais non encore entrés en fonction. Aelius Primitivus, âgé de trente-huit ans, est mellarchonte. Le titre, chez les Juifs, s'applique non seulement à des hommes faits qui sont sur le point d'accéder à la charge, 33. Op. cit., p. 148; cf. p. i3g.

mais encore à des enfants, probablement parce que la situa. tïon de leur famille leur assurait le droit d'expectative à l'archontat Alexandre, «pj^wv itocoïiç Tt^ç, rappelle le souvenir de son « enfant très doux, Alexandre, mellarchonte ». Siculus Sabinus, âgé de deux ans et dix mois, est pûlupim des Volumnenses Marcus Cuyntus Alexus, âgé de douze ans, est a grammateus » et « mellarcon » des Augustenses. Les grandes charges semblent être devenues l'apanage de quelques familles et l'organisation, en principe très démocratique, des communautés juives tendait ainsi à devenir aristocratique de fait. Pourtant, on ne constate pas que la même fonction ait été affectée à la même famille elles n'étaient donc pas proprement héréditaires. Dans l'épigraphie juive de Rome on rencontre encore d'autres titres sur la significatîon desquels le plus sage est d'avouer notre ignorance. Une épitaphe de Porto nous présente un Trpoap^wv ailleurs apparaît un archon alti ordinis enfin, on trouve les expressions è^ap-^cov ou « exarchon », et certains auteurs, comme Juster, Krauss, la Piana, voudraient faire de ce personnage le chef suprême de toutes les communautés juives de Rome. On verra plus loin ce qu'il faut penser de cette théorie. On ne voit jamais une femme remplir la fonction d'archonte. 4. L'ap^wv

ira
Trois fois on rencontre, en grec, l'expression à'pywv tocoyic tijatç, et une fois, en latin, archan pases tessimen (apj^wv Traaviî tt,ç TijATjç?). Tant qu'on ne possédait que l'un ou l'autre texte, on pouvait songer à sous-entendre a^wç, archonte digne de tout honneur, et rapprocher cette locution de 1 Tim. 6,1 « Que les serviteurs estiment leurs maîtres dignes de tout honneur, ir«07iç TifAviç i!;iou;31 ». Mais aujourd'hui cette traduc34. C'est ce que font BEES, en éditant les inscriptions trouvées par N. Mûller à Monteverde, op. cit., p. 123, et Deissm\n\j dans une

note, ibid.

tion ne peut plus se soutenir. En 1919, fut trouvée une inscription juiveainsi conçue Oiico; ceù'mo?. 'Evôa&e Ketre Eîtyu^oç 5lçap^(wv), âp)((wv) ira<mç Ti|J.9i«, xa! çpovriffnte. 'Ev etpïi'vij xoi(Wi«t« aÙToD. 'Etwv vé33. Il s'agit ici d'un cursus honorum; Eupsychos est évidemment un personnage considérable: il a été deux fois archonte, archonte roc
nous cherchons la signification marquent une fonction importante, une dignité distincte des deux autres qui l'encadrent, mais comparables à elles. Or, dans les papyrus d'Égypte, le mot -ripî, entre autres significations, a celui de cens souvent il désigne plus spécialement les payements à effectuer, les redevances à acquitter36. Selon toute probabilité, l'ap/wv icsfeviç tija-^ç est donc le magistrat chargé de recueillir les différentes redevances que les Juifs devaient verser, les impôts ou taxes qu'ils avaient à payer, en général les fonds destinés à alimenter Ja caisse comune sorte de receveur général 31. mune On comprendra sans peine que la marche d'une communauté nécessitait des dépenses considérables il fallait pourvoir à l'entretien du culte, payer les fonctionnaires, maintenir en état la synagogue, les écoles, les hôpitaux, les cimetières, subvenir aux besoins des pauvres, construire, le cas échéant, de nouveaux édifices, acheter des terrains funéraires, procurer la sépulture aux indigents. Les Juifs de Rome et des provinces avaient été expressément autorisés par Jules César38 35. Paribeni, dans Notizie degli Scavi, 1919, p. 62 s., n. 3. 36. Cf. Stephvnus, Thésaurus linguae graecae, s. v.; S. REINACH, Traité d'Épi graphie grecque, Paris, i885, p. 524; Preisigke, Worterbuch der griechtschen Papyrusurkunden, Berlin, 1925-1929, s. v. 37. C'est aussi dans ce sens que l'expression est interprétée par Paul

VOGELSTEIN und RIEGER. Geschickte der Juden ln Rom, Berlin, 1896, I, p. 41 (« caissier de la communauté ») et art. Gemeinde, jùdische, dans /udtsches Lexikon, II, Berlin, 1928, col. 961 (« directeur

RIEGER,

dans

des impôts »). 38. JosÈphe, Ânt.

14, 10, 8.

à recueillir de l'argent pour les dépenses communes, et ce droit leur fut toujours reconnu. II était d'ailleurs la condition indispensable à l'existence de toute association tout collège

autorisé avait une arca communis et pouvait posséder un local pour les réunions, ainsi qu'un lieu de sépulture commune3*. Et le judaïsme fut toujours, aux yeux des pouvoirs romains, une religio licita 40. La caisse était alimentée par les contributions ordinaires des Juifs41 dont chaque communauté fixait le montant, par les collectes, par les donations et les legs, par les amendes judiciaires. Ajoutons que les Juifs de la diaspora avaient à verser, chaque année, deux drachmes au Temple et devaient envoyer aux prêtres de Jérusalem l'équivalent en argent des redevances prescrites par la Loi. Au témoignage de Philon, il y avait, presque dans chaque ville, une caisse (rap-sta rw îcâv £p-/i|jwtTCi)v) qui centralisait ces sommes, ainsi que les offrandes qu'on faisait spontanément au Temple, et les transmettait à Jérusalem. Après la destruction de la ville, les communautés payaient, d'un côté, le didrachme aux autorités romaines (fiscus judaïcus), et de l'autre, elles s'imposaient librement pour subvenir aux dépenses générales du patriarcat (aurum coronarium) 42. C'était une grosse charge que de veiller au payement des impôts et des différentes redevances, de gérer ces fonds, de transmettre à qui de droit les sommes dues par la communauté. Elle répondait à celle du questeur (arcarius, T^fustç) dans les associations grecques et romaines. 3o. W4LTZING, art: Collegia, dans Dict. d'Arch. Chrét., III, 21 13. 40. Cf. noire précédent article, dans Recherches de Science religieuse, 20 {1930), p. 275-277. 41. Cf. PHILON, De spec. Leg. 1,§ 143 s., éd. COHN (= MANGEY ii 234;. 42. Cf. Schurer, op. cit.,1, p. 655.659; n, p. 3[2-3i7;m, p. nq. 148 s., Juster, Les Juifs dans l'Empire romain. Leur condition juridique, économique et sociale, Paris, 1914, 1, p. 280-288; cf. PHILON, De spec. Leg., I, § 76-78, éd. COHN (= MANGEY, n 224).

5. LE fpovTis-nfc, L'ADMINISTRATEUR DES BIENS

Le çpovTi>rofc, qui se rencontre souvent dans l'épigraphie grecque, s'était déjà présenté, à plusieurs reprises, sur les inHern^iupou scriptions juives à Jaffa ((ppov-rum ATie^avfîpiaç. Ilivapa xat AotAtavoO çpoTiTôv çjiomtkttôjv), à Sidé, en Pamphylie (<}ipovTi(7Tflî ttjî àyi(i>T«Tïiç irprâ-nn?
=



xi Si; [
Ce dernier texte montre que c'était une charge distincte de l'archontat et élective, mais que le même personnage pouvait

être réélu. Dans le cadre administratif des villes, le
tion des biens de la communauté, des édifices, des cimetières, ainsi que de la mise en valeur des biens meubles ou immeubles, propriétés, terrains, maisons, qui constituaient la richesse de la communauté. Il n'y a aucune raison de l'identifier avec l'arcbisynagogue, comme voudrait le faire Juster46. Le fait qu'à Sidé on voit le «ppovrurnfc surveiller les travaux exécutés dans la synagogue et qu'à Égine c'est l'archisynagogue qui s'occupe de la réparation du local, prouve tout simplement que l'un et l'autre fonctionnaire avaient intérêt à la bonne conservation de l'édifice où se tenaient toutes les réunions. 6. LE

Yp«O[X*Tê'J«, LE SECRÉTAIRE

L'appellation de grammateus se rencontre vingt-trois fois sur les épitaphes juives de Rome actuellement connues. Mais quelle est l'exacte signification du mot? C'est ici un des points où l'oubli des conditions historiques au milieu desquelles les Juifs de la diaspora ont vécu et la tendance à vouloir expliquer toute leur organisation par les sources purement bibliques ou rabbiniques sont le plus cruellement vengés. En voulant à tout prix ramener les ypatiAri.aT£Ïç de nos inscriptions auxscribes et aux docteurs de la Loi de l'Écriture et du Talmud, on s'est mis dans l'impossibilité de comprendre leur rôle. D'après 46. Op. cit., I, p. 45 r, note 2 KïtAUSS, Synagogale Alteriùmer, Berlin-Wien, 1922, p. 116, croit que le mot répond à l'hébreu Metnounn'eh et il y voit l'archisynagogue; BERLINER, Geschichte der Juàen in Rom, Frankfurt, 1893, I, p. 67, trouve dans ce mot hébreu l'équivalent d'archonte. A la fin' d'une inscription juive de Rome, consacrée à un cer-

tain hneros,ox\ lit l'expression énigmatique MOYNN4. Sur ce mot, voir GARRUCCI, Dissertazioni archeologtche di vario argomento, Roma, i865, H, p. 181 BERLINER, op. cit., I, p. 70; ScHilRER, Gemeindevetfassungi p. 32; Vogeistein und RIEGER, I, p. 44; S. KLEIN, Judisch-Palàstinisches Corpus Inscriptionum, Berlin-Wien, 1920, p. 60, note 3. S. KR4USS, op. cit., p. 123, identifie le mot avec l'hébreu Metnountiëk et y voit le hazan de la synagogue. Étant donné que toutes les autres fonctions des communautés juives de Rome sont désignées par des mots grecs, il est invraisemblable que Mounna signifie une fonction de la.communauté.

Schürer, les ypae{*fi*-«ïç ne sont pas des fonctionnaires proprement dits de la communauté, ce sont des docteurs de la Loi, des techniciens de la science juridique iT Berliner pense aussi que ce sont des hommes instruits dans la Loi ou des scribes au sens vulgaire du mot 4R. Vogelstein et Rieger voient en eux des hommes experts à copier les rouleaux de la Loi pour l'usage des synagogues, ou à rédiger, selon toutes les formes prescrites, les actes de mariage, les libelles de divorce, les contrats de toute espèce 49 L'étude des inscriptions montre que le ypa^jMCTe'jç n'est pas le pauvre hère qui, à prix d'argent, met sa plume à la disposition des gens du peuple qui veulent faire rédiger un contrat, ou qui gagne sa vie en transcrivant sur le parchemin les livres de la Thora, ni même le savant qui applique aux difficultés de chaque jour la science apprise à l'école des rabbins. C'est un personnage officiel, un fonctionnaire fort considéré, qui croit avoir le droit de perpétuer son titre sur le marbre, aussi bien que les autres dignitaires de la communauté. Six fois sUr vingt-trois, il est explicitement spécifié de quelle communauté le défunt était grammateus 50 et si, sur les autres inscriptions, le titre n'est rattaché à aucune communauté particulière, c'est parce que ces détails, qui aujourd'hui nous paraissent importants, ne présentaient aucune utilité pour les contemporains qui savaient de qui il s'agissait; pour les gerousiarques eux-mêmes et pour les archontes, qui étaient assurément des personnages officiels d'une communauté déterminée, il est rarement noté dans quelle communauté ils exerçaient leurs fonctions. Pour comprendre le rôle des yp*jj.[iet-r8Ïç juifs de Rome, il faut les mettre en parallèle avec le ypajjtjjiaTetiç51 du Sanhédrin Die Gemeindeverfassung, p. 3o. Op. cit., I, p. 70. Op. cit., p. 47. Voir J. B. FREY, Inscriptions inédites des catacombes juives de Rome, dans Rivista di A rcheologia Chrisliana, 5 (1928), p. 285. 5t. Josèphe, Bell. Jud. 5, 1$, 1. 47. 48. 49. 50.

de Jérusalem, surtout avec les ypat~~atTe! des cités grecques où ils comptent parmi les personnalités les plus influentes, et avec les YpM~{Mt-e~ des associations où ils ngurent sur la liste des fonctionnaires, quoiqu'ils n'y occupent le plus

souvent qu'un rang subalterne. Il est difficile de dire s'il y en avait plusieurs par communauté. Ils étaient sans doute élus par l'assemblée, mais à vie, car on n'a jamais rencontré l'expression ~r
dans Rivista di

~~i-A.

C~< 20 (1938), p. 285 s.

rédiger le compte rendu des séances de la gerousia et des assemblées générales, de conserver ces pièces et tous autres documents, officiels ou privés, aux archives, à tenir à jour la liste des membres de la communauté~.

7.

I~Ë ~p'XTTKt~t, LE PATRON OU AVOCAT

L'expression se rencontre deux fois sur les inscriptions juives de Rome un certain Gaios, âgé de soixante-douze ans, est appelé ~soTxi");. Un autre, Caelios, est npo~ï~T~ de la communauté des ~4grt~etMM. H s'agit donc d'une fonction officielle, rattachée à une communauté déterminée Mais de quelle fonction ? Dans les associations religieuses d'Egypte, le ~ocrx-ro; s'identifiait souvent avec le président~. Ailleurs, ce personnage avait des attributions assez variables parfois il semble être une sorte de ~o~oo, surtout là où l'influence de Rome se fait particulièrement sentir~ il représente l'association au dehors, il prend la défense de ses intérêts, spécialement près des tribunaux et dans les affaires juridiques~. C'est, en somme, un défenseur et un ~ro~c/~tf légal. C'est un personnage de ce genre que désigne sans doute, chez les Juifs de Rome, le mot ~poT-ro'T~. Il dut y en avoir un dans chaque communauté, puisqu'on spécifie que Caelios est le npQc?KTVif; des

~gït~e~

Nous ne partons pas de l'Kp'/t-jrpati~ctTEU! /lM~M~ Herodes dans lequel d'aucuns ont voulu voir un Juif; CIG Q0< il est clair que l'inscription est paienne. 54. Contre SCHCRER, Die Gf)Me!M~M~
55. POLAND, G~~e&tC&<e des ~tM/tt.!C~MK t~B~~tM~W~CM. p. 363-366. C'est dans le même sens que PHILON emploie généralement les mots

cf. LEI&ECANC, PAtZ~m
TtpooïTtTftC

l'Apôtre.

et

Tcp')
8. LE HXT~p ou

LA {MtTTJp(tUV~YMY?)~,

LE PERE OU LA MERE DE LA COMMUNAUTÉ

Le premier titre se rencontre une dizaine de fois sur les inscriptions juives de Rome, le second, d'une manière certaine, au moins deux fois. Dans les associations grecques et romaines, on trouve fréquemment des « pères » et des « mères du collège M~. Là où l'on célébrait des mystères de provenance orientale (par exemple,, ceux de Mithra, d'Isis, de Jupiter Dolichenus), le le degré d'initiation mot- « père désignait, on l'a vu, le plus élevé. Dans les collèges professionnels on funéraires, le « père n semble parfois se confondre avec le président. Ailleurs, a père ou « mère o peuvent être synonymes de d'autres fois enfin, ces titres « patron M ou « patronne )~

paraissent être purement honorifiques. Chez les Juifs, ces titres se donnaient à des personnages particulièrement considérés~. Sur l'inscription de Domnos, dont nous avons parlé plus haut, la mention de TKt~p c~KyMy~ Bs~om~M~ vient en tout premier lieu, et les titres qui suivent sont pourtant d'importance « trois fois archonte, deux fois administrateur des biens ». Sur l'inscription de Castel Porziano, dans le voisinage d'Ostie, on voit aussi le il est suivi du a père B de la communauté passer le premier gerousiarque et d'un autre dignitaire qui semble être le diabiu, l'archonte à vie. Veturia Paulina, matrone romaine qui a passé au judaïsme à l'âge de soixante-dix ans et qui meurt à quatre-vingt-six, est honorée du titre de « mère des M y avait synagogues du Champ de Mars et de Volumnus aussi des « mères » des communautés à Brescia et à Venosa

58. WALTZÏNG, ~M~P historique sur les corporations ~W/~MtCKMcH~ p. 268 iv, p. 372 s.; Po~AMB, i, p. zio ss. 3o5. 386. 400. 430. 44.6-449 S?! s.S. LIEBENAM, LlEBENAM, ZM~ Zur Geschichte note uxad O~MM~MM des Organisation ~M op. cit., 0~. C<
n,

~jM~/t~t t~~tMM~~M, Leipzig, 5<).

G~C~t:

note 2. On sait que les membres du Sénat romain s'appelaient ~
LlEBENAM,

t8f)o, p. 218,

.S'MKg~ p. 22~.

dans cette dernière juiverie, elles s'appelaient ~at~a~. Le relief donné aux personnages porteurs de ces titres apparaît aussi dans une autre inscription, où il est expressément spécifié que la défunte, du nom d'Irène, était la femme de Clodius, lequel était le frère du « père de la synagogue du Champ de Mars à Rome x. Il fallait bien arriver, par quelque détour que ce fût, à rappeler la grande illustration de la famille

Étaient-ce là toujours des titres purement honorifiques, de simples distinctions, une sorte de présidence d'honneur? Il ne le semble pas. Du moins en certains cas, le « père z prend une part active à des actes administratifs. Sur l'inscription de Castel Porziano, il est en tête des dignitaires qui proposèrent à la communauté l'achat d'un terrain funéraire pour en faire don au gerousiarque C. Iulius Iustus. Assurément, au quatrième siècle, il est assimilé aux fonctionnaires, puisque Constantin, en 33i, énumère hiereos et archisynagogos et ~at~M .synag~arMm et ceteros qui synagogis dc.sëfMMttt, et leur renouvelle à tous le privilège de l'immunité, sans doute en raison des charges inhérentes à leur titre". Rien n'empêche d'admettre que ces personnages aient eu certaines attributions particulièrement honorables, comme, par exemple, la direction des œuvres de bienfaisance et d'assistance dans la communauté car, dans les milieux juifs, le sentiment de la solidarité fut toujours très développé. Ce put être là spécialement le rôle des « mères x de la communauté. On pouvait être a père » ou « mère x de plusieurs communautés à la fois Mniaseas est « disciple des sages et iMTTJp ou~YMyK~a. Veturia Paulina est « mère des communautés du Champ de Mars et de Vo~umnus a. Si c'est la circoncision qui donne accès à la vie éternelle, que feront vos veuves, vos mères de la synagogue eUes-mêtnf's ? quid facient viduae, quid <'
Mi!

C~.

r~

«

9. L'e~K~KYMYO;, L'ABCHISYNAGOGUË

Cette dignité se rencontre souvent dans les associations païennes du monde grec spécialement dans les associations religieuses de l'Egypte" D'ailleurs, le terme cu~e~'MyT) était très répandu hors du judaïsme et avait le sens général de « réunion64. L'archisynagogue était un « président de réunion a, surtout de réunion religieuse, et l'on comprend ainsi la facilité avec laquelle le terme passa des associations gréco.romaines chez les Juifs. Ce n'est donc pas de la cwxyMpi au sens de cotM~tMtMtM~, que l'archisynagogue tire son nom, mais de la swa~Ny'o au sens de ~tnnow; il n'est nuDemcnt chef spirituel d'une communauté de fidèles » il se con« le tente de présider les assemblées religieuses. Cette nuance a son importance pour la détermination du rôle que l'archisynagogue joua dans les communautés juives. Le titre est très répandu chez les Juifs on le trouve à Jérusalem, en Galilée, à Sepphoris, en Pisidie, en Cilicie, en Ionie, en Phrygie, en Carie, en Egypte, en Afrique Proconsulaire, en Maurétanie, en Grèce, en Italie; dans ce dernier pays, il fut général on le lit à Venosa, à Capoue, à Brescia, à Porto (inscription inédite), à Rome. A Rome, il ne s'est encore rencontré sur les inscriptions POUND, 0~. Ct~ p. 247 ss. 355-357; ZlEBARTH, DtM ~~fAt'X' <*t< Vereinswesen, p. t~.4; Ju~TER. 0~. c<j! I, p. 450-453; SCHURER, ii, p. 5n s.; ni, p. 88. Plus souvent encore, on y trouve l'expression Tuva~MYO! ou
<

f.

64. Cf. KRAUSS, Synagogale ~<MM~r, p. 2-17 SCHbRER, op. <-<< n, p. 5o5 s., note ):. 65. Contre Tu. REINACH, dans Revue des Études '/Mt!'M, 71 (
c~

opinion.

que cinq fois, et il faut bien reconnaître que ces textes sont d'un laconisme désespérant. On y voit cependant que la fonction s'exerce dans une communauté déterminée Polymnis est « archisynagogue de la communauté des Vernaculi t le nom Isaak est « archisynagogue de la communauté de. est malheureusement tombé L'archisynagogue peut remplir d'autres charges dans la communauté Stafulus est « archonte et archisynagogue », comme Alfius Juda, à Capoue, comme peut-être Isaak, à Rome". Ses fonctions propres ne lui donnaient donc pas le droit d'intervenir dans l'administration de la communauté. De fait, comme le nom l'indique et comme toutes les analogies invitent à le penser, le rôle de l'archisynagogue se réduit à la surveillance à exercer sur la célébration des offices du culte il préside les assemblées religieuses, fait la police de la synagogue, désigne les personnes qui doivent lire la Thora ou adresser une exhortation au peuple' prend soin du matériel de la synagogue. Dans une inscription mutilée de Porto, il semble bien être question des réparations exécutées au compte d'un archisynagogue 69. La mention de travaux accomplis pour la construction ou l'embellissement d'édifices cultuels par les archisynagogues se rencontre à Égine, à Sepphoris, à Jérusalem, à Acmonie en Phrygie, à Sidé en Pamphylie. Avant la destruction du Temple, Théodotos, archisynagogue à Jérusalem, pouvait être en même temps npE~ xon 66. L'inscription est encore inédite. 67. Voir aussi Codex n à Act. t4,

2:0:~ ap~~ui/KyMYOt TM~ 'louSxttuw

ap'/wt6! Ti)t
<

60.

Inscription encore inédite.

et ce cumul n'a rien

singulier

car les prêtres n'étaient pas obligés d'être toujours présents an Temple. La fonction semble avoir été élective", comme toutes les grandes magistratures de la communauté. Cependant on ne trouve jamais d'archisynagogue qui ait été nommé deux ou trois fois. A Acmonie, on voit, à côté de l'archisynagogue en titre, un archisynagogue à vie (~x ~t<~) celui-ci précède même celui-là et tous deux ont le pas sur l'archonte. A l'instar d'autres appellations conférées à vie, c'était sans doute un titre purement honorifique. Dans certains cas, la fonction resta dans la même famille au point de paraître héréditaire. A Jérusalem, l'archisynagogue ~Théodotos est fils et petit-fils d'archisynagogues. A Venosa, l'archisynagogue Joseph est « fils de Joseph, l'archisynagogue Aussi ne sera-t-on point surpris de voir, également à Venosa,, un enfant de trois ans, Kallistos, recevoir le même titre. A une époque tardive, il fut même conféré à des femmes. C'est ce qu'on peut constater à Smyrne et à Myndos en Carie. Pour elles, le titre était, à coup sûr, purement honorifique. A Rome, l'on ne trouve rien de semblable.

~~KM~yMYo:,

ro.

Le

de


mmpsTTj;, LE MINISTRE

A l'archisynagogue était adjoint, pour l'aider dans les

fonctions plus humbles du service synagogal, un personnage de moindre importance, le 'j~ps-r~. Le terme ne se rencontre qu'une seule fois sur les inscriptions juives de Rome, et sans aucune explication
dans~'M'tMt~M,

p. 25t, contre Th. KEINACH, dans Revue des Études /MK' 71 (tÇ20\ p. 50. /Mf~c~c Cc«M~t~M~ JusTER, ~je&MA~M'/teK c~. e!< I, 71.~t.Cf. Cf. ELBOGEN, 1924, p. tK s. ELBOGEN,éd.,judische ~Ctttef Eeit7ttiCklUMg, 26 éd" Frankfurt, 192~, p. 483 s. JUSTER, Op. cil., i, p. 452, prétend le contraire. 70. Cf VINCENT,

1921,

in

toutes les synagogues; le Nouveau Testament le mentionne~ et il en est fréquemment question dans les écrits rabbiniques où il reçoit ]e nom de Ha~on". Saint Épiphane parle des 'A~efWt-CM~ TM~ ITOtp' <[U~O?~

~KXO~MK

epjMjveuO~MV

UtmpeTM~

d'après son explication, c'était une sorte de ministre ou de serviteur. Mais il serait absolument erroné de voir en eux le modèle sur lequel furent créés les diacres chrétiens~ les attributions des uns et des autres dînèrent considérablement. Sa fonction consistait à remettre les rouleaux des Livres saints au lecteur et à les reprendre à exécuter la flagellation sur ceux qui avaient été condamnés à cette peine à remplir différents autres services. On ne voit pas que jamais le boxott ait eu un rôle à jouer dans la formation spirituelle de la communauté ou qu'il se soit occupé des pauvres, comme les diacres chrétiens. Juster, juif lui-même, l'appelle le sacft~<Œ!M et c'est bien l'appellation qui lui convient. De ces wr/jperat on en rencontre dans beaucoup d'associations grecques

il.

LES tEp~e, LES PRÊTRES

I! reste à dire un mot d'un terme qui se lit sur les inscriptions juives de Rome, cependant moins souvent qu'on ne l'a cru~ Trois fois il y est question de prêtres, Moe?;, et une fois

d'une

tspK?M.

72. Le. 4. zo; cf. Mt. 5, 25. y3. Cf. KRuss, p. 121-131; ELBOGEN, c~. cit., p. 485-487; STtUCK BmERBECK, A'<'M~K<ar, IV, p. t47-t4ç; cf SCHCRER, op. Ct<

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p. 5t5, le même: GcMC!M~
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du Bosphore Cimmérien. La suivante, donnée par Juster, parle selon toute probabilité, du gerousiarque, !tpa«txp~ 'forme

Ce ne peuvent être là que de simples titres, rappelant la descendance aaronitique de ces personnages. Aucune fonction n'y correspondait plus, car, depuis la disparition du Temple de Jérusalem, en 70, et la destruction de celui de Léontopolis en Egypte, en ?3, il n'y avait plus, pour les Juifs, ni autel, ni sacrifice, ni sacerdoce en activité. Au deuxième siècle, un docteur de la Loi, Theudas, avait bien essayé d'introduire à Rome l'usage de manger l'agneau pascal prépare selon les prescriptions rituelles anciennes, requises pour le sacrifice. Mais les rabbins de Palestine désapprouvèrent cette manière d'agir et parlèrent d'excommunication L'appellation de à plus forte raison, de « prêtresse w, ne pouvait « prêtre donc être qu'une distinction hononfique, basée sur l'apparte. cohaMtMt nance à la race sacerdotale. Tout au plus, prononçaient-its, comme aujourd'hui, à certains jours fixés, des bénédictions sur le peuple. Le titre d'<x?~Epe'!< grand-prêtre, n'existait plus chez les Juifs et l'on doit, sans hésitation, traiter comme païennes les inscriptions sur lesquelles il se rencontre". On ne le trouve plus que dans certaines associations païennes~, car tous les collèges, même les collèges industriels, avaient à accomplir des cérémonies religieuses, et lorsque la corporation n'avait pas de prêtre, c'était le président qui s'en acquittait* A cause de ces pratiques idolâtriques, inséparables de la vie des associations païennes, les Juifs ne purent jamais en faire

les

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partie'

corrompue de yepouTmp/Yt;, qui se rencontre ailleurs. Il serait du reste inexplicable que le fils porte le titre de prêtre et d'archonte, tandis que le père n aurait que celui d'archisynagogue, car chez les Juifs la dignité sacerdotale était héréditaire et, sur les inscriptions juives, ~d; n'a jamais le sens de filiation adoptive. 80. F~a~t. 19 a. cf. VOGELSTEIN und RIEGER, cil. I, p. /o. 8t. CIG63o3 et 6406, inscriptions qu'on a été parfois tenté deconsidérer comme juives.

c~

82. Cf. POLAND, o~. p. 343-345. 83. Cf. WAt.TZÏNG, Étude &t~<~f~!<e sur les c~~cra~tOM~ ~a/ej.ttonMcH~.f, !I, p. 3oo. 84. WALTZING, art. C~~
Mais si les prêtres juifs n'avaient plus de fonctions sacerdotales à remplir, ils pouvaient être revêtus de magistratures civiles, et l'on voit à Rome deux frères, Judas et Joseph, qui sont « archontes et prêtres Les fonctions énumérées sont les seules qui se présentent sur les inscriptions juives de Rome, car les<[ docteurs de la Loi*, dont la mention se trouve sur différentes épitaphes, n'ont jamais, comme tels, appartenu aux cadres administratifs des communautés de la diaspora. Dans les communautés juives de la capitale, on peut donc distinguer deux catégories de dignitaires i. Ceux qui ont part à l'(M~tKMttatt<w qu'on pourrait appeler civile, si, chez les Juifs, les affaires civiles et les affaires religieuses n'étaient étroitement unies; ce sont le président du Conseil des Anciens, les archontes, le receveur général des contributions, l'administrateur des biens, le secrétaire, l'avocat, peut-être aussi les a pères B des communautés 2. Ceux qui forment ce qu'on peut appeler le ct~g~juif l'archisynagogue et l'appariteur de la synagogue. L'administration est, par elle-même, laïque ni ceux qui portent le titre, purement décoratif, de '< prêtres », ni les ministres du culte n'en font nécessairement partie" Sa grafico, n, Roma, t8o2, p. 358-36o;

RAMSAY,

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tsraêlites d'Italie « Les communautés israélites sont conçues comme des corporations laïques et les administrations dirigeantes (Conseils et Comités exécutifs, outre le président) sont choisis par voie de désignation de la part d'un corps électoral spécial. Le premier caractère est très important le législateur a rejeté les aspirations de quelques courants juifs qui voulaient faire des communautés des centres essentiellement religieux, avec le rabbin pour chef, au lieu du président qui est un laïque. »

compétence s'étend aux questions religieuses aussi bien qu'aux matières civiles, financières, judiciaires. D'autre part, le « clergé n est bien renfermé, si l'on peut dire, à la sacristie. L'archisynagogue est l'ordonnateur des offices religieux ses attributions sont purement liturgiques et ont pour champ d'activité exclusif la synagogue il n'a, comme archisynagogue, aucune part à l'administration, il n'exerce aucune fonction doctrinale, il n'est même pas prêtre et ne remplit aucun ministère proprement sacerdotal. L'organisation des communautés juives imite, dans ses grandes lignes, l'organisation des cités et des associations du monde gréco-romain. Cependant, on constate en même temps, entre celles-là et celles-ci, de telles divergences qu'il est impossible d'assimiler, sans plus, les premières à des collèges. Les Juifs font partie d'une communauté par naissance, non par libre élection. Aussi les communautés juives gardent-elles un caractère national nettement marqué un non-Juif ne peut y entrer qu'en devenant Juif par adoption et en acceptant le sceau des enfants d'Abraham, la circoncision. Leur mode de fonctionnement et l'étendue de leur compétence les mettent également à part des autres associations. Enfin, la reconnaissance officielle des pouvoirs romains va à la nation juive, non aux communautés particulières celles-ci sont licites par le fait qu'elles se rattachent à la nation, autant de caractéristiques qui mettent les communautés juives dans une catégorie d'associations toute spéciale. Il est facile de se rendre maintenant compte des différences essentielles qui distinguent l'organisation des communautés juives de celle de l'Église~. l'organisation hiérarchique de l'Église primitive, on peut consulter, à des titres divers HEINRICI, Die Christusgemeinden /i'o~
Die neueren ~'O~C~MMgfM liber die ~K/itM~? des Freiburg i. B., tgoo; H. BRUDERS, Die 7<MMg der

DUNIN-BORKOWSKI,

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Les membres de la hiérarchie ecclésiastique, les ~u~M&ï, les ~~M, les diacres, n'ont aucun parallèle dans les communautés juives en ce qui concerne les fonctions. Quant au nom, seuls les wpmëuTtpot. se rencontrent d'un côté comme de l'autre, mais leur rôle est tout différent. Dans les communautés juives, les presbytres ont une place tellement effacée que le titre même ne s'est encore présenté qu'une seule fois ils sont membres du Conseil, et c'est tout; la communauté est effectivement administrée par les archontes. Dans l'Église, les presbytres ne sont pas seulement les conseillers habituels de l'évêque, mais ils sont ses auxiliaires dans le ministère pastoral, célèbrent les saints mystères, conjointement avec lui ou seuls, dans leurs « titres n, instruisent les catéchumènes, ont une part active et continue dans l'administration de la communauté chrétienne. L'évOque est le chef suprême et effectif de la communauté rien ne peut se faire sans son approbation, et il est nécessairement à vie tandis que le gérousiarque, comme d'ailleurs tout magistrat de la communauté juive, n'agit qu'au nom de la gerousia et au nom de la communauté qui l'a nommé pour un laps de temps déterminé. Enfin, le diacre est le bras droit de l'évêque, et si ses fonctions comportent une part d'administration temporelle et le soin des pauvres, il a aussi un rôle spirituel à remplir la courageuse prédication de saint Etienne et l'activité apostolique du diacre Philippe (Act. 6-7 8, 26-40) montraient

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Kirche von den ~~<~K Jahrzehnten der <<M<<~MC&~M H7t~.MMt~!< an bis zurn n. Chr., M&)nz, 1904 (Forschungen zur christlichen Literatur-und /?
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tout ce qu'impliquait la dignité de diacre. En réalité, il n'a rien de commun avec le hazaw juif, si ce n'est une vague analogie du nom et le fait de se trouver dans une situation subordonnée.

D'ailleurs, la communauté chrétienne est organisée selon un tout autre esprit et sur un tout autre plan que les communautés juives. Dans l'Eglise, il n'y a qu'une seule autorité, celle du clergé, car elle est une société essentiellement religieuse, non civile ou nationale, et les cadres de sa hiérarchie sont constitués par les différents degrés du sacerdoce. Sa loi est l'Evangile pour tout ce qui ne regarde pas la religion, la communauté chrétienne relève uniquement de la législation romaine. Son organisation est monarchique, non démocratique le peuple a bien une certaine part dans la désignation du chef religieux suprême, de l'Évêque de Rome, plus pour rendre témoignage aux vertus du candidat présenté par le clergé que pour l'élire à proprement parler.~ En tout cas, il ne paraît être pour rien dans le choix des presbytres et des diacres qui dépend uniquement de l'autorité supérieure. Les dignitaires de l'Église ne sont pas les délégués du peuple il n'a aucun droit sur eux ils sont ses chefs, non ses mandataires. Et tous sont à vie; leur pouvoir d'ordre est attaché a un caractère indélébile, et leur pouvoir de juridiction ne relève que des chefs hiérarchiques, ou de Dieu seul, quand il s'agit de l'Ëvêque de Rome. Aussi bien n'est-ce pas tant sur une comparaisondétaillée des dignitaires de la Synagogue et de l'Eglise qu'insiste M. La Piana. S'il soutient que, « à Rome, plus qu'ailleurs, l'organisation chrétienne primitive a imité de plus près l'organisation synagogale des Juifs a, c'est parce qu'il prétend que, d'un côté comme de l'autre, les communautés ou paroisses étaient groupées sous une autorité centrale, laquelle était, chez les chrétiens, un collège de presbytres ayant à sa tête le membre le plus ancien, chez les Juifs une ~~ou~M centrale, présidée par l'e~p~Mv, qui est mentionné deux fois sur les inscriptions. Mais ni chez les uns ni chez les autres, du

moins dans les premiers temps, ce président n'aurait eu de pouvoirs spéciaux de gouvernement il disparaissait derrière le collège dont il était l'émanation et le représentant. C'est ce qui expliquerait, d'après M. La Piana, comment ni dans la Lettre dite de saint Clément aux Corinthiens, ni dans la Lettre de saint Ignace aux Romains, ni dans le Pasteur J'Ho'MM~, il n'est question de l'évêque de Rome à l'instar de ce qui se passait chez les Juifs de Rome, c'était un personnage secondaire. « Aux yeux des Eglises répandues dans le monde romain, le chef de l'Église romaine, s'il y en a un, n'existe pas.x Ce qui est au premier plan, c'est la communauté avec son collège de presbytres. Au cours du deuxième siècle seulement, le président de cette assemblée aurait concentré peu à peu le pouvoir entre ses mains, laissant dans l'ombre l'autorité du collège. Nous ne pouvons entrer ici dans la discussion de toutes ces théories. Notons seulement que, même dans l'hypothèse où tous les Juifs de Rome auraient obéi à une gerousia centrale, il ne s'ensuivrait pas encore que l'Église n'a eu un chef unique que par esprit d'imitation elle aurait pu avoir par institution divine ce que les Juifs auraient créé eux-mêmes en vue d'une meilleure administration de leurs communautés. Mais puisqu'on prétend que l'organisation unitaire des communautés juives a été le point de départ et le modèle de l'organisation ecclésiastique romaine, examinons le bienfondé de cette affirmation. Les sources littéraires sont muettes sur l'existence à Rome d'un gouvernement central juif. M. Juster, qui, le premier, s'efforça d'accréditer cette thèse, apporte deux arguments, l'un tiré du Talmud, l'autre du Nouveau Testament. < Les sources talmudiques, écrit-il, parlent d'un chef suprême de la A cela communauté de Rome R. Mattias b. Heresch~. a il est facile de répondre les sources talmudiques parlent d'un docteur de la Loi qui fut, à Rome, chef d'une école 87.

0~. cil., I, p. 4z[, note 4.

rabbinique~.cequiesttontdinêrent. -«Les Actes, 28,17 ss., ajoute M. Juster, supposent de même un centre dirigeant des Juifs de Rome Paul s'adresse aux chefs de la communauté qui lui déclarent n'avoir rien reçu de Judée, Actes 28, 21 (et l'on ne peut pas non plus supposer que ceux de Judée aient L'argument se correspondu avec chaque groupe à part). ') retourne contre M. Juster, car les Actes ne parlent nullement des « chefs de la communauté », ce qui impliquerait l'unité, mais « de ceux qui étaient les premiers des Juifs((fov; MTM! Tt<M, ~ou~ctn~ TMMTou~), ce qui s'entend fort bien des gerousiarques, c'est-à-dire des présidents des différentes communautés. Quant aux relations épistolaires avec la Judée, elles n'obligent nullement à admettre « un centre dirigeant » à Rome; étant donné l'esprit de corps des Juifs, déjà relevé par Cicéron, les informations importantes pouvaient faire rapidement le tour des communautés. Il n'était même pas besoin d'un bureau de renseignements central. La documentation épigraphiqne est encore moins concluante. Juster~, Krauss"° et La Piana" s'appuient tous trois sur l'expression ëxafchoK, rencontré deux fois sur les inscriptions juives de Rome, pour faire du personnage ainsi désigné une sorte d'e~xpyo;, chef suprême de la juiverie romaine. Pour qu'on puisse juger sur pièces, voici les textes ce sont deux épitaphes de la catacombe juive de Monteverde C. FMT~ntM~ Iulianus e~ea~c~ow qui vixit annis XXVIII. 88. Cf. Wn.HELM BACHER. Die Agada der T~MM/~t, 1,2*= éd., Strassburg, n)o3, p. 380-384. 89. 0~. cit., i, p. 420 s.. note 4 Les paroisses juives u étaient reliées

entre elles par un Sénat central, la gérouzie, qui les commandait. Les récentes découvertes d'inscriptions juives à Rome montrent l'existence de fonctionnaires centraux de la communauté, ainsi un ~dcp~cv, corruption peut-être de E;


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Dans le premier cas, il s'agit d'un homme qui n'a vécu que vingt-huit ans, âge vraiment trop précoce pour qu'onsoit investi de l'autorité suprême dans une juiverie aussi importante que Rome. Dans le second texte, l'exarchonte exerce sa fonction dans une communauté particulière, celle des Hébreux, qu'on connaît par d'autres inscriptions il est donc positivement exclu qu'il ait été le chef suprême de toutes les communautés. D'autre part, le mot MMfcho~ ou ~<tp~m~ est évidemment un dérivé de xp~M-~ et ne saurait être identifié avec ~acp~o;, MecygMe, terme qui une signification bien déterminée, surtout chez les fonctionnaires byzantins. Pour des raisons linguistiques, on peut donc dire avec Bees et Deissmann~ que exarchon est un simple synonyme de aù-ro5.

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Ajoutons qu'une fédération des communautés juives sous une direction centrale, à Rome, est hautement invraisemblable. La loi romaine était très large pour les associations funéraires mais craignant qu'on ne voulût utiliser les collèges à des fins politiques et profiter des réunions pour fomenter des complots, elle interdisait la fédération de plusieurs collèges entre eux et ne permettait les assemblées qu'une seule fois par mois. Sans doute, les communautés juives n'étaient pas régies par la loi des associations ordinaires elles jouissaient de privilèges spéciaux et leur droit de réunion était inconditionné. Mais les raisons qui avaient dicté à l'Etat romain son attitude à l'égard des associations devaient également entrer en ligne de compte en face des communautés juives, d'autant plus qu'elles avaient uo caractère ouvertement national et que, pendant près d'un siècle, Rome eut à réprimer les révoltes des Juifs de Palestine et d'Afrique. Et l'exemple d'Alexandrie, où les Juifs possédaient depuis les Ptolémées une organisation unitaire, mais 92. MCLLER-BEES,

leverde, p. ao.

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où les troubles étaient continuels, n'aura pu que confirmer les autorités de l'Empire dans leur sentiment. Il est pourtant un fait qu'il faut expliquer. « L'unité de la communauté juive prise dans son ensemble, écrit M. La Piana, apparaît également dans le fait que les cimetières juifs n'appartenaient pas à quelque synagogue particulière, mais étaient la propriété de toute la communauté. La preuve irréfutable de ce fait se tire du matériel épigraphique qui a été trouvé dans les catacombes. Les inscriptions funéraires des Juifs ordinaires ne mentionnent pas, en règle générale, la synagogue dont le défunt était membre mais les tombes des fonctionnaires, dans la plupart des cas mentionnent la synagogue à laquelle le fonctionnaire se rattachait. Or, le fait que nous trouvons des fonctionnaires de différentes synagogues ensevelis dans le même cimetière, et des fonctionnaires de la même synagogue ensevelis dans différents cimetières, montre que les Juifs pouvaient choisir leur lieu de sépulture dans n'importe lequel des cimetières de la communauté » Il semble donc bien qu'il faille conclure à

l'existence d'une organisation centrale qui possédait et gérait les biens de la collectivité, comme ce fut le cas pour les chrétiens de Rome. L'argument, tel qu'il est présenté, paraîtra convaincant. Pourtant, il s'évanouit quand on contrôle avec soin les faits allégués' Si l'on fait abstraction des épitaphes inscrites sur des sarcophages, dont la provenance est généralement inconnue, ainsi que des inscriptions dont le lieu d'origine est incertain, on constate que dans quatre catacombes seulement sont mentionnées des communautés. On constate aussi, avec surprise, que le pêle-mêle prétendu des communautés sept communautés et des cimetières n'existe aucunement

la

vérité. 93. « Dans la plupan des cas o ne répond pas 0~. Foreign
sont mentionnées uniquement dans la catacombe de Monte~M~M~~M~M, Calcarenses, Hébreux, Triverde politains, t~KCCMH, FohtWM~HS~), une huitième dans la seule catacombe de la Vigna Randanini (Hefodtt), une neuvième dans la seule catacombe de la via Nomentana (SekeHût), une dixième dans le seul hypogée de la Vigna Cimarra (Elée). Restent deux communautés, car l'unique inscription qui nous fait connaître l'existence de la communauté d'hca du Liban est de provenance inconnue. La communauté des Campenses est nommée une fois à Monteverde, une autre fois à la Vigna Randanini mais dans les deux cas, c'est par accroc qu'elle est mentionnée il s'agit, non des défunts déposés dans ces cimetières, mais d'un de leurs parents" Ennn, les .S~~stMM semblent, à l'ordinaire, s'être fait enterrer à la via Nomentana, où la communauté est nommée trois, peut-être même quatre fois cependant, pour des raisons de voisinage, de parenté ou pour des motifs que nous ignorons, l'archonte Maron s'est fait ensevelir à la Vigna Randanini et l'archonte Nicodème à Monteverde. La règle est donc que chaque communauté est rattachée à un cimetière déterminé deux seuls cas font exception On avouera que c'est une base bien fragile pour étayer la thèse de l'existence d'un gouvernement juif central à Rome Il était naturel que les différentes communautés juives de Rome s'entendissent entre elles pour la question des cimetières, comme pour d'autres questions pratiques mais elles ne cessaient pas pour autant de conserver leur autonomie. Aujourd'hui encore, dans différents pays, le même cimetière juif sert de lieu de sépulture à un grand nombre de communautés souvent très distantes, en tout cas parfaitement indépendantes. Un simple accord entre elles pour l'établissement

(~f!6M~

Annianos, archonte enfant enseveli à la Vigna Randanini, est « fils de Iulianos, père de ta communauté des Campenses Irena », enseveli à Monteverde, est [(t'épouse de jeunesse de Clodius, frère de Quintos Klaudios Synesios, père de la communauté des Campenses de Rome x. g6.

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«

d'un comité d'administration du cimetière commun suffit à tout expliquer Nous pouvons donc conclure par ces paroles, écrites par Schürer déjà en 1879 et qu'aucun fait nouveau n'est venu infirmer a Il n'y a pas la moindre trace d'une organisation unitaire de toute la juiverie romaine sous une seule yepouc~K

»

Les Juifs de Rome avaient-ils accepté l'autorité du patriarche, lequel, surtout à partir de R. Juda ha-Nasi, à la fin du deuxième siècle, semble être devenu le chef du judaïsme, au point d'en être considéré comme le représentant attitré par les pouvoirs romains ? Nous n'avons aucun document littéraire ni aucun monument épigraphique qui permette de l'affirmer. Du reste, la première mention officielle du patriarche se rencontre dans une lettre de l'empereur Julien, en 362. Cependant, il n'y a pas non plus de raison pour le nier, car les Juifs de Rome continuaient à garder le contact avec la mère-patrie. Ce qui est certain, c'est que l'autorité du patriarche s'exerçait en Palestine et dans les pays environnants où Origène pouvait la comparer à celle d'un roi "°. Si elle s'étendit jusqu'en Occident, elle dut être plus nominale que réelle. Elle était d'ailleurs avant tout d'ordre liturgique le patriarche réglait le calendrier juif et fixait les fêtes les mois intercalaires étaient annoncés aux communautés par des lettres circulaires il détermina aussi certaines formules de prières. Voir par exemple, Moïse GiNSBURGER, rabbin, Der israelitisclte ccM /MM~Ac~; Gebweiler, 1904, p. 25 les membres de quarante-et-une communautés différentes, et pleinement autonomes, d'Alsace et de l'est de la France, trouvèrent leur sépulture dans ce cimetière de Jungholz, administré par un comité composé des délégués de ces communautés mais ce comité n'avait rien à voir dans l'administration des différentes communautés. 08. C
~M~

On ne voit pas que, en Occident, II ait jamais fait acte de juridiction si, en Orient, il nommait ou révoquait par ses envoyés (apostoli) des juges et d'autres magistrats des communautés ce dont sa vénalité s'arrangeait fort bten,– il ne semble pas avoir jamais exercé pareil pouvoir en Italie. Les Juifs entourèrent leur patriarche de respect, par nostalgie de la royauté perdue et par fidélité à la famille de David dont les patriarches prétendaient descendre par les femmes. Notons enfin que c'était un pouvoir de fait, non de droit. Après la destruction de Jérusalem, quelques rabbins se réunirent à Jamnia et se constituèrent en sanhédrin l'autorité était collégiale. Mais R.Juda ha-Nasi finit par s'imposer à l'assemblée et à concentrer toute l'autorité entre ses mains. L'existence même de ce pouvoir du patriarche était d'ailleurs bien précaire: elle dépendait de l'acceptation des docteurs juifs et de l'agrément des autorités romaines. Il arriva au patriarche d'être relevé de sa charge par un vote de la majorité des membres du sanhédrin, comme ce fut le cas pour Gamaliel II, ou encore d'être déposé par le gouvernement romain, comme cela se fit pour Gamaliel VI, en /~i5. Du reste, la famille des Hillélites s'éteignit à cette date et le patriarcat disparut pour toujours. Au surplus, le patriarche de Palestine avait un rival constant dans la personne de l'exilarqu~ de Babylonie, qui était fort de l'appui du roi de Perse et était reconnu par une bonne partie des communautés d'Orient. La grande autorité qui faisait l'unité de la juiverie romaine, c'était la Loi. Le judaïsme n'eut jamais de pape. Il est donc impropre de parler de la communauté juive de Rome. Sans doute, grâce à l'identité de race, de religion, d'aspirations, les Juifs formaient-ils un tout moral mais juridiquement, il n'y avait à Rome que des communautés. Malgré les efforts qu'on a faits, il a été impossible de trouver 100.

Cf. S. EPIPHANE, Haer. 3o,

tt

PG

4t, 424.

la plus légère indication positive d'une fonction dépassant le cercle d'une communauté particulière~ Le christianisme n'a rien eu à emprunter à l'organisation des communautés juives de Rome. ~'<w~S~MKtK~yw~a7~.

JE~N-BAPTISTE

FREY.

Les consistoires centraux Israélites qui ont été crées en différentes régions ont toujours été l'oeuvre des pouvoirs civils, qui pouvaient ainsi plus facilement exercer leur influence sur l'ensemble des Juifs d'un pays. C'est ce qui s'est fait également en Italie par le décret législatif du 3o octobre ig3o. Voici ce qu'on peut lire dans l'article Une importante inno. déjà cité du Messaggero du i" février to3: vation qui est aujourd'hui introduite (dans l'organisation du judaïsme en Italie), c'est l'Union obligatoire de toutes les communautés israélites existant dans le royaume et dans les colonies. Depuis 1920 déjà, il existait un Consortium entre les communautés, mais il avait un caractère facultatif. Le pas en avant qui se fait aujourd'hui avec la reconnaissance de l'Union comme une fédération obligatoire est certaincment important; mais il est pleinement justifié. La fédération obligatoire des Communautés israélites italiennes répond à toutes ces exigences; et c'est aussi l'intérêt de l'État de pouvoir traiter avec un organe autorisé central, étranger et supérieur au particularisme des corporations juives particulières, responsable de l'action que le judaïsme développe en Italie et ailleurs dans ses rapports avec les groupements israélites étrangers. Enfin, l'affirmation du judaïsme italien en Orient, qui peut marcher parallèlement avec des intérêts nationaux, réclamait la reconnaissance d'un corps unitaire, capable de parler et d'agir au nom de toutes les communautés du royaume et des colonies. Une condescendance excessive aurait pu créer artifile où il n'y a pas de traditions en ce sens, ciellemcnt en Italie, Grand Rabbinat et donner naissance à une espèce de pouvoir religieux central du judaïsme. Mais le législateur s'est tenu en garde contre toute exagération. L'Union (c'est-à-dire le Conseil central composé des délégués des diverses communautés particulières), aussi bien que les communautés particulières, a un caractère éminemment laïque. Du reste, le péril d'ingérence excessive de la part des rabbins est conjuré par le fait qu'eux-mêmes, comme les membres de la direction laïque de l'Union, sont soumis au choix du corps électoral. » Ces lignes sont hautement instructives à plus d'un point de vue. L'organisation intérieure des communautés romaines est restée en substance la même, depuis l'origine, et il a fallu attendre !o3tpour trouver une gerousia juive suprême. 101.


LE LES

.<

ACTES

CENTENAIRE D'ÉPHÈSE

DU CONCILE.

ROME ET LE CONCILE

L'année io3i ramène le i5* centenaire du concile d'Ephèse. Des milieux nombreux et fort divers en ont envisagé la célébration. Dans certains d'entre eux tout au moins, on peut prévoir qu'elle donnera lieu à des études d'histoire ou de théologie plus ou moins érudites. Peut-être même se complaira-t-on ici ou là à publier des recueils de travaux consacrés à en rappeler les circonstances ou à en préciser les décisions. On pourra parler à ce propos de monuments du centenaire. Mais le monument propre du concile lui-même restera celui que vient de lui élever le D'Schwartz dans son édition nouvelle de ce qu'on est convenu d'appeler les Actes dit concile d'JÊ~!<~ t. Acta

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~~M~M<<'<Mt.t edidil EDW~RDUS SCHWARTZ. y<M!M.r 1 CcM~tMM ~M:MKM. Vol. 1 Acta graeca, IQ27-ta3o. Vol H Collectio ~C~CK~M~t~, I02&. Vol. III-IV: Collectio Ca~tHCHJtJ, 1923-1929. C'C~~C~
P'

Ces cinq volumes sont de dimensions fort inégales. Le vol. I, en dont ta pagination ne se suit 8 fascicules 7 de texte, r de tables Pour les pas, contient 82 pp. de préfaces et <)yt pp. de texte. autres, on a: vol. II, pp. XII + 128 vol. III, pp. xxn – 25 5 M~. IV, pp. XXII -}- 23o vol. V, pp. XXXVI 4:6. Dans les pages qui suivent, les renvois aux divers volumes sont faits en chiffres romains. Pour les vol. 1 et V, l'exposant en chiffres arabes indique le fascicule ou la partie. Les fragments d'~c~T coptes, publiés et traduits en français par BOURIANT en )S<)2, traduits en allemand et commentés par W. KRAATZ dans les T. u. U. en !<)04, sont laissés ici complètement de côté. Voir ce qu'en ditJueiE dans le Dictionnaire de théol. catlzol. à l'art. Éphèse, col. t4y. Dans ce qu'ils ont de particulier, M. SCHWARTZ ne paraît leur reconnaître aucune valeur historique. Voir son mémoire Cyrill M):~ der .VoMc& Viktor dansles.y<<SMMg~~
Préparée dès avant la guerre par les soins de la Société scientifique de Strasbourg, elle n'a été réalisée en fait qu'après la guerre. Il est facile de comprendre les difficultés de tout genre qui l'ont fait retarder ou ont failli la rendre impossible. Mais ni l'auteur ni l'éditeur ne se sont abandonnés eux-mêmes. La Société de secours ~oMf la science alle. Mïondc les a soutenus surtout il leur est venu, et à plusieurs reprises, de la part du pape Pie XI, un appui dont l'auteur tient à rendre témoignage qu'il a été décisif L'œuvre ainsi menée à terme se rattache à une entreprise plus considérable qui envisage la publication des Actes de tous les conciles œcuméniques. Les 5 volumes consacrés au concile d'Éphèse en représentent le tome I. Les tomes II et III sont déjà en vue; ils auront pour objet le concile de Chalcédoine et les disputes qui s'y rattachent. Dès 191~ avait paru un volume, le 2°, du tome IV destiné au concile de Constantinople en 553 On ne peut que souhaiter de voir se poursuivre cette entreprise. Dès maintenant le monument élevé par elle au concile d'Epbèse permet d'apprécier les services qu'elle est capable de rendre si les circonstances lui permettent de se poursuivre. On doit aussi rendre témoignage à la science, au labeur, à la constance de celui qui, malgré tant de bouleversements, de ruines et de deuils quelques-uns très cruels, a su mettre sur pied ces 5 volumes in-4°. L'érudition qui s'y étale dans les préfaces a de quoi éblouir les profanes, mais, jusque dans les recherches qui s'y poursuivent pour arriver à la découverte de l'auteur d'une collection ou d'un manuscrit, s'accumulent des renseignements historiques extrêmement précieux pour Plurimum auxilii tulit generosa summi pontificis Pii papae XI liberalitas, quae in spissis tenebris velut lux satutifera effulsit. Qua plus semel praestita, id effectum est ut hoc opus secure continuari possit ». (V, p.xvn.) /C/:aMMtJ Af
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II

ceux qui ont à s'occuper de Nestorius, de ses erreurs et de la doctrine qu'a entendu y opposer l'orthodoxie catholique. I.

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Actes

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du concile

Après l'hérésie d'Arius, aucune n'a touché à un point plus profond de la révélation chrétienne que celle qui se rattache au nom de Nestorius. De ce point de vue, le concile d'Ephêse est d'une importance souveraine. Les trois conciles oecuméniques qui suivent ne font, en quelque sorte, qu'en développer la doctrine ils précisent que, contrairement à la pensée de Nestorius, l'unité de personne n'empêche point les deux natures de persister dans le Christ avec leur activité propre et Or, les circonstances mêmes dans lesquelles fut tenu ce concile ont fait que le dogme capital ainsi défini ou plutôt solennellement confirmé ne se trouve exprimé dans aucune formule qui puisse lui être attribuée en propre. Ici, pas de profession de foi spéciale, pas de canons, pas d'anathèmes doctrinaux on se borne à déposer un évêque considéré comme hérétique. La nature même de son hérésie ou de la doctrine qu'on lui reproche de contester se doit dégager des faits qui ont amené ou consacré sa déposition. De là l'importance des documents qui concernent ses œuvres ou ses gestes, les œuvres et les gestes de ses partisans ou de ses adversaires, les Actes officiels surtout de l'assemblée où il fut condamné. Seulement, on sait la vivacité avec laquelle fut contestée dès l'abord et sur place l'autorité de cette assemblée et la légitimité de cette condamnation. Quatre jours à peine après la sentence rendue contre Nestorius, les deux évêques qui en avaient été les promoteurs les plus résolus, Cyrille d'Alexandrie et Memnon d'Ephèse, furent déposés eux-mêmes par l'assemblée des évêques orientaux siégeant également à Éphèse sous la présidence de Jean d'Antioche et se prétendant eux aussi le véritable concile. La doctrine que Cyrille avait voulu lui opposer en la condensant dans ses 12 anathématismes était l'objet à son tour d'ana-

distincte.

thèmes indignés et elle eut longtemps à se défendre contre le soupçon des hérésies les plus perverses. Choc violent et douloureux de deux tendances, de deux écoles, de deux Eglises le retentissement s'en prolongea plus de deux siècles. Lors même, et ce fut bientôt, qu'on ne songea plus à défendre la personne ou la doctrine propre de Nestorius, on se passionna pour ou contre ceux qui l'avaient combattu ou soutenu. Des partis se formèrent ainsi, qui se heurtèrent à Chalcédoine et que Justinien essaya vainement de mettre d'accord en faisant condamner les Trois C~c~t~ Mais la nécessité où ils se trouvèrent les uns et les autres de justifier la position prise par eux à l'égard de saint Cyrille, de Nestorius ou du concile d'Éphèse est ce qui nous a valu de posséder encore les documents les plus importants relatifs à l'ensemble de cette crise. 1

De très bonne heure, en effet, dès le lendemain peut-on dire du concile, des dossiers furent constitués qui se devinent ou se reconnaissent dans les collections plus complètes parvenues jusqu'ànous. Ils en représentent le noyau primitif, autour duquel se sont groupées les pièces que les auteurs de ces collections postérieures ont trouvées ailleurs ou se sont empruntées les uns aux autres. L'origine et le but particulier des recueils ainsi formés en expliquent l'exclusivisme. On n'y a conservé que les documents relatifs à Nestorius, à saint Cyrille et aux controverses qui se rattachent à leurs doctrines~. Mais le même motif a fait prolonger la documentation jusqu'à l'accord de ~33 entre saint Cyrille et les évêques orientaux. L'évêque d'Alexandrie ne consentit, en effet, à accepter Rien sur ce qui fut fait contre le pëlagianisme ou les partisans de Célestius réfugiés en Orient. Seule une collection des Actes grecs publiée ici pour la première fois fait connaître les décisions prises contre les Messaliens (P, p. ny-nS) et sut quelques autres questions particulières~, p. nS-t24\ .t.

la formule de foi proposée par Jean d'Antioche qu'autant que celui-ci souscrirait avec ses adhérentsà la déposition prononcée à Éphèse contre Nestorius. C'était exiger et obtenir que la légitimité et l'autorité du concile fussent acceptées de tous, comme accepter la formule élaborée par ses adversaires était accepter que la doctrine sanctionnée par lui fut dégagée de toutes les équivoques redoutées ou dénoncées par eux. Aussi peut-on dire que les Actes du concile se prolongent jusque-là. Les négociations et les discussions qui aboutirent à cet accord sont indispensables à connaître pour apprécier exactement le sens et la portée du dogme finalement accepté et retenu comme tel par l'Eglise. Ceux donc qui ont accueilli les documents se rapportant aux circonstances de cette longue et pénible mais capitale <' affaire x, de quelque motif qu'ils se soient inspirés, ont très heureusement contribué à rendre possible l'intelligence d'une des assemblées conciliaires les plus troublées et les plus décisives. Ce sont leurs collections qu'a publiées M. Schwartz. Les principales en sont celle qu'il appelle la FattcoMa (V) et qui occupe les 6 premiers fascicules du vol. I, le 7e étant réservé à celles qu'il appelle l'~t~tMCK~t.s (A) et la Segueriana (S) ainsi qu'à quelques autres de moindre étendue. Le vol. II contient la collection dite P~ron~tM~ (U). La CasiMem~t~, où se distinguent nettement deux parties, occupe deux volumes. La première, reproduisant, avec quelques retouches, une collection antérieure qu'on appelle Y'MtOH~!HM (T) et désignée pour cela par le sigle CT, est publiée au vol. III. La seconde, désignée simplement par la lettre C, et publiée au vol. IV, fait partie, comme la première d'ailleurs, d'un -S~ModtCMw constitué à Constantinople, dans la seconde partie du sixième siècle, par le diacre romain Rustique afin de démontrer l'illégitimité de la condamnation des Trois C7
Sauf les trois dernières, ces dénominations sont tirées des bibliothèques où se trouvent les principaux manuscrits d'après lesquels en est établi le texte. Ni les unes ni les autres ne disent rien par elles-mêmes de la nature ou de l'origine première des groupes de pièces qu'elles servent à désigner. Seules, la Vaticana, la .S~MëWaMa et !ï~g)KgM~ ont conservé les documents en langue grecque. La seconde rentre toute dans la première; elle n'a aucune pièce qui ne s'y retrouve 5. La troisième, au contraire, en possède 35 qui font défaut dans les précédentes et, si 20 d'entre elles étaient déjà connues par des traductions latines, i5 étaient jusqu'ici complètement ignorées. Les autres collections n'ont que des traductions latines. Elles semblent toutes avoir été constituées au sixième siècle et à l'occasion de la querelle des Ttot~ C~M~x'tres. La plus ancienne, au jugement de M. Schwartz (II, p. vni), serait la Palatina après viendraient la TMn?Hët]~y et la F~roMStt~, toutes trois remontant aux débuts de la querelle (V, p. vu). La Casinensis, au contraire, est postérieure au concile de 553. L'origine de ces collections est ce qui explique le choix des documents ainsi groupés. L'histoire de la Casinensis est des plus significatives à ce point de vue. Elle est l'œuvre, avonsnous dit, du diacre de Rome, Rustique. Ce neveu du pape Vigile avait accompagné son oncle à Constantinople; mais son opposition irréductible à la condamnation des Trois C/Mpitres l'avait fait d'abord excommunier et déposer, puis exiler en Thébaide. Revenu plus tard à Constantinople, il y vécut chez les moines Acémètes, qui, eux aussi, restaient les défenseurs intraitables du concile de Chalcédoine. La bibliothèque du couvent contenait les documents les plus précieux sur les controverses qui s'étaient déroulées en Orient depuis un siècle et demi. C'est en y puisant qu'il put composer le 5ynodtCMw dont notre Casinensis représente la première partie. 5. L'ordre seul en est différent. M. Schwartz, pour ce motif, n'en

publie que le sommaire (J7, p. 3-i6).

Il retouche pour cela, d'après les textes grecs à sa disposition, une version déjà. existante [T] des Actes d'Ephèse, mais surtout il ajoute, à la suite les extraits faits et traduits par lui, d'autres collections qu'il a également sous la main. L'une de celles où il puise le plus abondamment est un ouvrage sur la querelle Nestorius-Cyrille intitulé par son auteur Tragédie. Cet auteur n'est autre que le comte Irénée qui a été pour l'ancien évêque de Constantinople un ami de la première et de la dernière heure. Venu à Éphèse à titre privé, mais du consentement de l'empereur, en même temps que le délégué officiel, le comte Candidien, c'est lui qui a le plus efficacement soutenu le patriarche. C'est lui aussi que Jean d'Antioche et ses évêques ont chargé de porter et de faire accepter à la cour la sentence de déposition rendue contre Cyrille et Memnon. La cause de son ami une fois définitivement perdue auprès de l'empereur, il en a partagé la disgrâce lui aussi a été envoyé en exil. Mais, tandis que Nestorius devait y finir ses jours, lui avait été de nouveau admis à la communion de l'Église et le successeur de Jean d'Antioche en avait fait un évêque de Tyr. Sa fidélité à Nestorius cependant ne s'était pas démentie il tenait pour une trahison et une duperie l'accord de 433. Aussi ne tarda-t-il pas à être déposé et exilé de nouveau. Rallié dès lors officiellement aux Nestoriens, il se consacra de nouveau à défendre leur cause. Sa Tragédie était à la fois une histoire du duel CyrilleNestorius et une apologie de son attitude personnelle pendant et depuis le concile. Mais elle était aussi une critique acerbe et ironique de ceux qui, comme Jean d'Antioche et finalement Théodoret de Cyr, après avoir combattu la doctrine du patriarche d'Alexandrie, avaient consenti à rentrer en communion avec lui. Le tout appuyé sur des pièces officielles ou authentiques que ses relations antérieures avec les Orientaux lui avaient permis de recueillir en grand nombre~ Sa documentation en particulier sur Théodoret était d'autant plus abondante qu'ils avaient été longtemps d'accord à désapprouver et à combattre l'accord de 433.

Pour quelqu'un qui avait été, lui aussi, la victime de son zèle à protester contre la condamnation posthume d'un évêque admis par le concile de Chalcédoine à siéger comme juge de la foi, c'était là un fonds d'un prix inestimable. Aussi Rustique y puisa-t-il à pleines mains pour le .S~HoJ/cwM destiné dans sa pensée à montrer l'illégitimité de la sentence rendue contre les Trois C/M[/~r
la

Usque adeo negavit sua fuisse Nestorius quae. ab eo dicta leguntur. Quis ei neganti non facile crederet, dum videat. universos haereticos totis viribus non solum non negare propria dogmata, sed etiamvindicare? )' (C. 8
«

d'Irénée. Le plus grand nombre d'entre elles se rapportent à la période postconciliaire et concernent les discussions auxquelles donnèrent lieu, chez les Orientaux surtout, la préparation, l'acceptation on le refus de l'accord de ~33. Cette collection est donc d'une importance exceptionnelle pour qui veut suivre les contrecoups qu'eut en Orient la réconciliation de Cyrille et de Jean d'Antiochc. Elle n'était pas inconnue. Au dix-septième siècle, l'augustin belge Christianus Lupus l'avait eue entre les mains et en avait publié la plus grande partie Baluze avait reproduit ce texte, en l'annotant, dans sa Nova collectio fourt~c'~w' De là il était passé tel quel dans Mansi~, puis dans Migne 11. Mais la présentation qui en avait été ainsi faite ne permettait pas d'en discerner le véritable sens Lupus n'avait parlé que d'extraits. Baluze, qui n'avait pas réussi à voir le manuscrit, avait déduit du texte imprimé qu'il s'agissait d'une réfutation de la Tragédie d'Irénée et avait fait précéder son édition du titre conservé jusqu'à nos jours 5'yno~tCMw adversus tragoe<~t<wt Irenaei. A vrai dire, il ne s'était pas si complètement mépris sur le but de l'auteur. La pensée de Rustique était bien à l'opposé de celle d'Irénée. Où celui-ci s'était proposé de montrer l'inconstance ou la faiblesse d'âme de Théodoret, lui trouvait de quoi établir sa constante orthodoxie. Mais l'adversaire ou les adversaires visés, nous l'avons vu, n'étaient point là, et il n'y a pas lieu de parler d'une réfutation de l'hérésie. Tout en poussant inlassablement sa pointe contre la condamnation des Trois Chapitres, c'est bien un Synodicuw qu'a voulu faire et que nous a laissé Rustique et il fut assurément le premier à se réjouir que la Tragédie du fou-

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1

gueux ami de Nestorius lui en eût fourni de si nombreux et de si précieux éléments.

II Il s'en faut que l'on puisse se rendre compte pareillement de la manière dont se sont formées les autres collections. La Palatine cependant laisse entrevoir, elle aussi, l'intention de son auteur. M. Schwartz, qui la date de l'époque où Justinien engageait sa campagne contre les Origénistes et contre les Trois C~a~ttre~, croit pouvoir la mettre au compte des moines scythes qui le soutinrent jusqu'à le gêner dans une entreprise où il leur semblait voir une réaction nécessaire contre le concile de Chalcédoine et contre les fauteurs du Nestorianisme (V\ p. vin-ix). Par son origine et sa tendance, elle s'opposerait donc à la Casinensis comme les moines scythes s'opposaient eux-mêmes aux Acémètes chez lesquels devait puiser plus tard Rustique. Et, de fait, tandis que celui-ci devait accumuler dans son .SyttodtCMMt les documents propres, pensait-il, à innocenter Théodoret, les auteurs de la Palatina, après avoir fait précéder les Actes d'Éphèse des livres de Marius Mercator, sur les rapports de Nestorius et de saint Cyrille, les faisaient suivre d'une série de pièces destinées à faire ressortir les erreurs des Orientaux. en général et de l'évêque de Cyr en particulier 12. Ainsi insèrent-ils plusieurs des lettres de ce dernier que devait retenir aussi et transcrire Rustique; mais celui dont le diacre de Rome devait plaider la bonne foi, l'auteur ou les auteurs de la Palatine le qualifient impitoyablement d'hérétique et de sceleratissisnus ~V\ p. 170"). Par contre, ils ne s'intéressent pas aux Actes des Orientaux eux-mêmes, soit à Éphèse, soit après. Sauf les allusions qu'y fait Théodoret dans ses lettres, on ne trouve rien dans leur recueil qui concerne l'union de 433. 12. Cyrilli
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Cette dernière omission manifestement intentionnelle est caractéristique de l'état d'esprit qui a présidé à la formation de la Palatina. Toutes les autres collections, en effet, s'intéressent plus ou moins à cet épilogue ou, pour mieux dire, à ce couronnement de l'œuvre du concile. Même la FeroM~y, qui semble d'origine romaine et s'attache presque exclusivement aux documents officiels, si elle laisse complètement de côté les Actes des Orientaux, insère les lettres de l'empereur ainsi que de Jean d'Antioche et de Cyrille sur l'accord de /).333 et elle se termine par deux lettres du pape Xyste III qui en prend acte et s'en félicite. L'absence des Actes des Orientaux dans la Palatina et la Veronensis n'a rien d exceptionnel. Aucune des collections primitives dont dérivent les collections actuelles ne semble les avoir contenus. Ils n'étaient pas dans la TwoMCM.sî.y c'est par Rustique qu'ils ont été Insérés,à la suite, dans la Casinensis (n° 87-88) et, si les collections grecques nous les donnent en y joignant les relations ou correspondances avec la cour qui s'y rattachent, c'est tout à la fin et comme sous la forme d'un appendice ajouté après ce coup". Ils s'y présentent d'ailleurs dans le même ordre que dans la traduction qu'en a faite Rustique dans son Synodicum et M. Schwartz en conclut très justement qu'ils dérivent de la même source Ces additions, même, lui semblent si manifestement avoir été faites en dehors de toute préoccupation de parti qu'il croit devoir les fixer à une époque plutôt basse, le septième siècle par exemple Le résultat de ces constatations ou comparaisons est de mettre en lumière les deux sources principales d'où nous vient l'ensemble de notre documentation sur la crise doctrinale qui se rattache aux noms de Cyrille et de Nestorius. Fa<:MM< n°~ !5t-j64 c'est la fin de!&co!)ection ~–~«'Aa~'aKa, ~<&
I'

L'une, d'origine cyrillienne et probablement alexandrine, représente sans doute le noyau primitif de nos collections actuelles. C'est d'elle que leur viennent les Actes proprement dits du concile d'Éphèse, et, si tant d'autres pièces s'y trouvent annexées, la cause en est dans le besoin qu'éprouvèrent longtemps les milieux restés fidèles à la mémoire et à la doctrine du patriarche d'Alexandrie de justifier avec preuves à l'appui, soit la légitimité de son attitude à l'égard de Nestorius, soit l'invariabilité de sa pensée avant ou après son accord avec Jean d'Antioche. Ainsi s'explique la présence, dans toutes nos collections, d'une série de documents sur ce qu'on peut appeler les préliminaires du concile ainsi s'explique notamment que les plus considérables d'entre elles, la FattcaMa en particulier, reproduisent ~t s~~M~o l'ensemble des lettres, sermons ou ouvrages de toute nature consacrés par saint Cyrille à exposer sa doctrine contre Nestorius. Pour permettre d'en apprécier l'importance, qu'il suffise d'observer que, dans l'édition par M. Schwartz de cette collection, se trouve reproduite la plus grande partie des œuvres de saint Cyrille contenues dans les tomes76 et 77 de la patrologie de Migne. Moins abondante, l'autre source est, en un sens, plus intéressante les documents qui en viennent sont plus rares et jusqu'ici moins connus. C'est la source nestorienne, où a puisé d'abord l'auteur de la Casinensis et qui, plus tard, a permis aux curieux d'histoire de compléter la ~attca~a et l'/lt~tMëH~.s en y joignant les Actes des Orientaux avec la correspondance qui s'y rattache. Nous avons dit le nombre et l'étendue des pièces que s'était complu à en extraire le diacre Rustique. Elles font le grand prix de sa collection cent quatre-vingt-deux au moins d'entre elles ne nous sont pas autrement connues. Et, si l'on ajoute que vingt-cinq des autres ne le sont en dehors d'elle que par l'~t~nteM~, ellemême jusqu'ici inédite, on se rendra compte de l'importance qu'il y avait à en posséder une édition exacte et complète. C'est maintenant chose faite et, du monument ainsi élevé au

concile d'Ephèse, la publication de la Casinensis et de l'Atheniensis constitue assurément la partie la plus nouvelle et la plus précieuse. Celle-ci, en effet, inconnue jusqu'à il y a quelques années, en plus des vingt-cinq pièces traduites par Rustique dont elle est la seule à avoir conservé le texte grec, contient aussi quinze autres lettres qui lui sont exclusivement propres. La plupart, plusieurs entre autres de saint Cyrille et une de Jean d'Antioche au pape Xyste III, se rapportent à l'accord de 433. Aussi, et bien que la plus grande partie de son contenu soit le même que celui de la Vaticana, est-ce par elle et par la Casinensis que se peut suivre le mieux l'histoire de 1 episcopat oriental depuis sa rupture éclatante avec le concile jusqu'à sa réconciliation avec saint Cyrille. C'est là en particulier que se trouvent les relations les plus circonstanciées sur les démarches faites par les deux partis à Constantinople pour solliciter l'adhésion définitive de l'empereur. On y peut lire, et en grec dans l'~4~D!~M~M, la correspondance échangée entre les Orientaux et leurs mandataires auprès de ce dernier. Sur le dénouement de la crise, en un mot, c'est ici que se trouvent les renseignements les plus nombreux et les plus précis. Leur origine d'ailleurs ajoute à leur prix. Venant de ceux qui avaient été le plus engagés dans la résistance au concile, ils permettent de pénétrer plus à fond leur psychologie, et ce n'est point chose de peu d'importance dans une question qui, malgré sa réelle portée doctrinale, s'aggrava surtout du fait des préventions réciproques et des rivalités d'Églises ou de personnes.

III L'ensemble de ces collections est donc ce que M. Schwartz a publié sous le titre d'~ic~ du concile d'É~h~c. A une exception près, elles étaient toutes déjà connues. La Vaticana, qui la huitième ne contenant que occupe six parties sur sept du vol. I, et qui sert ici de terme général de les tables comparaison pour toutes les autres, avait servi de base à

l'édition romaine des conciles publiée en 1608 par ordre de Paul V. Elle avait été reproduite par Labbe et par Mansi, les nouveaux éditeurs y ayant seulement intercalé quelques pièces latines tirées d'ailleurs. Aussi M. Schwartz a-t-il bien fait de dresser (11, p. xxi-xxiv) le tableau des correspondances entre ces deux dernières éditions et la sienne. Il y a même très heureusement ajouté (p. xxiv-xxvi) celui de la correspondance entre ses volumes et ceux de Migne (PG 76 et y y) où se trouvent les œuvres de saint Cyrille qui font partie de cette collection fondamentale. La Palatina était aussi bien connue depuis l'édition qu'en avaient faite Garnier etBaluze" et nous avons dit comment l'était aussi déjà la Ca~tn~MM. Le grand mérite de l'œuvre de Schwartz ne tient donc pas à la nouveauté des documents publiés. Encore qu'on y rencontre un certain nombre d'inédits, surtout dans l'Atheniensis, ce qui la distingue est l'application à reproduire les collections telles qu'elles existent, en y laissant les pièces chacune à leur place propre. De ce point de vue, le travail est d'une supériorité incontestable. Des renvois multiples permettent de retrouver les documents qui se correspondent d'une collection à l'autre. Seuls, parmi les grecs, ceux de la t'ah'ca~a sont tous reproduits in extenso on y renvoie à elle pour tous ceux de la .S~MeWatMt et pour ceux de l'/lt~M'ëM~M qui sont les mêmes et l'on se borne, pour cette dernière, à publier ceux qui n'existent pas ailleurs. Les collections latines, au contraire, bien que contenant elles aussi, en bien des cas, les mêmes documents, sont données i'M e.x<eM~o partout où leurs traductions diffèrent. C'est tout profit pour l'histoire du langage L'édition de Garnier est de t6y3, celle de Baluze de t684. Migne (PL 48. 65-ioSS) reproduit celle de Garnier. L'erreur commune des deux éditeurs fut, parce que les « ~'rF-s~ Marius A/~c~
tbéologique il n'est pas sans importance de voir en quels termes et sous quelle forme ont été connus en Occident les les sermons, lettres et écrits de tout genre où s'expriment les doctrines qui ont été si âprement discutées en Orient pen-

dant plusieurs siècles. lei encore, des renvois mutuels per. mettent de procéder à toutes comparaisons utiles et, de ces divers points de vue, l'œuvre, encore une fois, est faite de main de maître. 'L'érudit cependant a eu moins d'égard aux besoins et aux commodités de ceux qui veulent étudier l'histoire. Les documents leur sont livrés à l'état brut, tels qu'ils sont conservés dans les manuscrits. Les apparats critiques qui les accompagnent sont chargés de sigles multiples qui permettent de discerner leurs variantes mais, comme l'a dit un connaisseur, a c'est ici la philologie qui se trouve ~ainsi] le mieux servie H. Aucune de ces collections ne présentant les documents suivant leur ordre chronologique, le travail reste tout à faire de les coordonner et de les enchaîner. Or, ce travail, M. Schwartz ne s'est nullement préoccupé, au cours de ses volumes, de le faciliter. Ses préfaces, encore une fois, sont pleines de données qui peuvent y aider mais, elles aussi s'intéressent uniquement à l'histoire des collections ellesmêmes. L'utilisation en est d'ailleurs extrêmement laborieuse distribuées entre les divers fascicules d'un même volume, elles sont difficiles à retrouver il y faudrait une table spéciale qui fait complètement défaut". Fort souvent, de plus, elles supposent connues des publications très spéciales de l'auteur dans des recueils eux-mêmes fort rares. Le latin enfin dans lequel elles sont écrites a de quoi décourager le lecteur le plus attentif. Décidément les philologues et les éditeurs du dix-septième siècle étaient plus humains. M. Schwartz est très sévère pour la plupart de ses devani7. Chaque volume ou partie de volume a sa table particulière, mais aucune ne fait place au contenu des préfaces. Il n'y a pas non plus de table commune pour l'ensemble des Actes. Les tables du vol. 1 peuvent en tenir lieu dans une certaine mesure.

ciers. II parle de l'o~twa futilitas de Labbe (I\ p. xvjn), de la socordia et levitas de Mansi (IV, p. xx) son mépris s'exhale à plusieurs reprises contre Lupus, le premier éditeur de la Casinensis (IV, p. xix et xx), et personne ne saurait contester la supériorité des méthodes actuelles dans l'établissement et l'édition des textes. On accordera aussi volontiers que les additions successives faites à l'édition romaine de la Vattcatta par Labbe et Mansi ne facilitaient guère l'histoire du concile. Mais on ne pourra pas s'empêcher de remarquer en même temps que les cinq volumes de cette nouvelle édition de ses Actes ne présentent, eux aussi, qu'une juxtaposition de collections documentaires à la fois fort semblables par leur contenu et fort diverses par leur ordre. Pas plus qu'ailleurs, nul fil conducteur n'y est apparent et un travail fort utile resterait à accomplir qui ordonnerait tous ces dossiers multiples suivant l'ordre chronologique Hors de quoi, et eu égard à l'enchevêtrement de ses préfaces, il faut l'admiration sincère qu'inspire la richesse et la loyauté de son érudition pour se garder d'observer que, si la critique est aisée, l'art de la clarté demeure décidément bien difficile. Mais on relèvera tout au moins la phrase où ce mépris affiché pour les prédécesseurs fait méconnaître jusqu'aux services rendus encore tous les jours par la patrologie de Migne Cloaca illa ttMA;ÎW
l'f

t8. Ce travail, M. Schwartz en a lui-même tracé le cadre dans chronologicus qu'il a inséré parmi les tables du premier volume (18, p. 6-t4). Sans !e dire, il y mentionne aussi à l'occasion les pièces

qui sont publiées dans les autres volumes. Ici encore seulement i~e remarque l'absence de tout souci de clarté dans la disposition typographique. On y passe sans transition et sans que rien attire le regard des dates attestées par les documents à celles que l'on établit soi même. « gesta as~ synodum. Certa <~t~o~t<M <M~maMM ~<
/S~

C~M.

Une sévérité poussée à ce point d'injustice relève-t-elle bien encore et uniquement de la préoccupation scientifique ? Nul doute, en tout cas, que les éditeurs de jadis, dont Migne a reproduit les travaux, n'aient joint à cette préoccupation, très réelle aussi chez eux, celle de rendre les'textes qu'ils publiaient accessibles et utilisables pour un public aussi étendu que possible. De là les traductions latines dont ils les accompagnaient et les notes historiques dont ils les illustraient. Ici, rien de tout cela. Pour les cent soixante-douze pièces de la t~attca~ft, on en est réduit à chercher une traduction latine, soit dans les diverses collections latines publiées aux volumes suivants, soit dans Mansi, soit, pour les œuvres de saint Cyrille qui en font partie, dans Migne où elles sont éditées à part. Décidément, nos éditeurs actuels sont trop avares, pour leurs lecteurs, de ces sortes d'Q~7M)MSM
tf). DEVREESSE. ~/
Les Actes du 6~MCt~ t~'&A~f, dans
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des q.

commodément, le profit en vaut beaucoup plus que la peine. II. Rome et le concile Le monument imposant ainsi élevé au concile d'Éphèse n'en change cependant pas l'aspect. L'histoire n'en est nullement transformée; on ne saurait même pas dire que les points obscurs en deviennent tous beaucoup mieux éclairés. L'ordre des faits en particulier reste bien tel qu'on le connaissait déjà. M. Devreesse dans la Revue des sciences ~Mo~o~ht~MM et théotogiques (1929, p. 229-242 et 408-431) et M. Amann à l'article Nestorius dans le Dictionnaire de théologie ca~to* lique (t. X, p. 86 sqq) se sont appliqués à l'établir tel qu'il résulte des documents ainsi publiés; on peut le comparer avec celui qui était communément admis jusqu'ici, tel, par exemple, qu'il se trouve dans l'Histoire <MtCtë)wc de l'Église (t. III, ch. 10) de Mgr Duchesne ou dans l'article É~/t~e, par le P. Jugie, dans le même DtCttOtHMtre; on n'y constatera point de différence notable. Le grand avantage de cette nouvelle édition des Actes J'É~~Me se trouve donc ailleurs. Il consiste à donner aux recherches qui se peuvent entreprendre sur ce terrain si mouvementé un point de départ solide et assuré. Voyons-le aujourd'hui pour une des questions les plus obscures qui se posent au sujet de cette tragique affaire quelle y fut l'action de Rome. Ce sera rendre hommage à l'intervention souveraine qui a rendu possible l'érection de ce monument du concile ce sera aussi, croyons-nous, projeter d'avance quelque lumière sur le rôle qu'y joua saint Cyrille, ainsi que sur le sens exact de la doctrine de foi définitivement consacrée par le concile.

I.

AVANT LE CONCILE

L'action de Rome est au point de départ de la déposition de Nestorius; on la retrouve au moment de l'accord entre Jean d'Antioche et Cyrille d'Alexandrie n'aurait.elle point

pesé plus qu'on ne le dit d'ordinaire sur les événements qui se sont déroulés dans l'intervalle de ces points extrêmes? Rome, assurément, n'a pas eu l'initiative du concile. La convocation semble, au contraire, avoir eu pour but de prévenir ou d'enrayer, sinon l'action personnelle du pape, du moins celle de son délégué d'Alexandrie. Mais il y a, dès avant et en dehors de toute perspective du concile, le jugement porté par saint Célestin sur le cas et la doctrine de Nestorius. Quelles qu'en aient été les circonstances et quels les motifs, c'est lui qui a déclenché la procédure et Nestorius ne sera ou ne restera déposé que pour avoir refusé de s'y soumettre. Le pape, en effet, dès la notification qu'il en a faite, l'a présenté comme décisif. Sa lettre à Nestorius, en particulier, est écrite avec une vigueur, pour ne pas dire avec une dureté, qui doit lui enlever toute illusion. On a compris son jeu dans ses traités, extraits de sermons et de livres, il ne songe qu'à envelopper sa pensée. Victime de sa faconde, il cache le vrai dans l'obscur, puis confond le tout en confessant ce qu'il avait nié et en s'appliquant à nier ce qu'il avait d'abord confessé~ Aussi, qu'il renonce à soulever dans l'Église des questions qui ont perdu tant d'hérétiques~. Dès maintenant, lui voici faite la troisième sommation requise les deux premières lui ont été adressées par Cyrille. Si donc cette commination ne le décide pas à rejeter ses erreurs, il se trouvera par le fait même totalement exclu du corps épiscopal et de la société chrétienne~. L'hypothèse n'est pas exclue, le vœu, au contraire, s'exprime qu'il se rétracte pour s'en tenir à la doctrine commune, qui est celle de Rome et de toute l'Église aussi bien que de l'évêque d'Alexandrie. Mais cela, il le faut « Nous le voulons )', écrit le pape~, et Nestorius doit se tenir pour 20. 2[. 22. 23.

I', 822-2'; So~-s (Mansi IV. 1028 A; io3o B). F, Si~'M, et cf. 77~-78~ (M. m32 E, et cf.

r, 8os-(M. to29 B-C). P, 82~" <M.

(M. io33 C).

t025 A-B)

assuré que telle est sa décision. Aussi dix jours seulement lui sont donnés, à partir du moment où lui sera remise cette lettre, pour désavouer « clairement et par écrit a ses nouveautés. Faute de l'avoir fait, qu'il se sache exclu de toute communion avec l'Église catholique Ce qui lui est ainsi intimé est, en effet, la sentence officielle, le jugement même du pape à son sujet « '!wepM< ro~u~ ïoOt TMUTY~ '~M.M'~ 6Mcn T~ MK~MCM. Tuwo~ Tvj; '~u.eiMCt!; xpM!SM;~D ce que l'évêque d'Alexandrie est chargé de lui notifier est la décision pontifiou plutôt, comme le cale elle-même (?o TMtp* -~M~ MpKM.ew~) porte la lettre à Cyrille, la sentence du Christ lui-même «

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On ne lui laisse pas d'ailleurs ignorer à quel point, à Rome, on est résolu à en poursuivre l'exécution avis est donné, le prévient-on, au clergé et aux fidèles de sa ville épiscopale d'avoir à le considérer comme exclu de la communion avec le pape, s'il refuse de se rétracter~. Et, de fait, une lettre du même jour (10 août 43o; Jaffe 375) notifie a aux prêtres, aux diacres, au clergé, aux serviteurs de Dieu- [moines] et à tout le peuple de Constantinople le texte officiel de la sentence rendue contre leur évêque. Rendue en vertu de l'autorité du pape (
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II n'y avait donc pas à se méprendre sur la pensée et la volonté de Rome, l'on comprend que Jean d'Antioche se 24.

25. 26.

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83<~ (M. io36 A).

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(M. io36 A). 83~ (M. io36 A).

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=7.I',77"(PG77.93C). 28. 1~ 82-83 (M.
39.I~S9"(M.T0~5B). 3o.

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863

(M. to~o D).

soit ému des conséquences qu'elle pouvait avoir. « Telle est notre sentence, ou plutôt celle du Christ lui-même portait la lettre" qui lui en communiquait le texte; et elle ajoutait que, dès maintenant, les dépositions ou excommunications prononcées par Nestorius étaient annulées lui, au contraire, si, dans le délai fixé, il n'avait pas envoyé sa rétractation, le pape le séparait de sa communion 32. Au reçu de cette communication, Jean craignit pour l'évêque de Constantinople; surtout il craignit que l'évêque de Constantinople, en se raidissant ou en méconnaissant la portée de l'affaire, ne déchaînât les plus grands malheurs sur lui et sur l'Église. Sans avoir peut-être encore été avisé ofnciellementde la convocation du concile 33, il n'ignorait pas que Nestorius s'y attendait ou même travaillait à l'obtenir. Par l'intermédiaire tout au moins du comte Irénée, ils étaient en relation~, et l'cvêque d'Antioche ne dissimulait pas à son collègue qu'il faisait corps avec lui contre l'opposition de ses moines « Vous savez que déjà, lui écrivait-il, la plupart des ascètes étaient contre nous (xœO'jt.M~) songez à ce qu'ils vont faire maintenant et avec quelle assurance ils vont MOM~ tenir tête )) (7EOMC. VO'
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F~Max~TM'/j ~i ŒYtMo})~ ~KO' ~~MW, }<.S~O~ 81 UX' €)M3 XptTTOU E~T~tYj<.E~jV ~C!t T~V OtTtOfpM! » (I',

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32. 1', c)~(M. to49A-B). 33. La convocation du concile est du 19 novembre; la lettre de Jean ne parvint à Nestorius, d'après M. Schwartz (I*, 9), que peu avant

le 7 décembre. 34. 1', <)3~<' (M. toôt A). 35. I',t)6'(M. 1068 B). 36. « "E~Et JMW. 7j~K;Mpt ~pTfpTMW TTj:KY[~ TOtOXE[<.j*KT
rius. Le hasard a voulu qu'au moment où elles lui sont par-

venues, tout un groupe d'évêques, Théodoret de Cyr, entre autres, se trouvassent auprès de lui eux aussi sont ardemment attachés à l'évêque de Constantinople (~pt ce ~nx~upMt ~tKxen~en). Or, eux aussi le supplient de ne pas sous-estimer cette affaire (xatTat
I'. 96~" (M. to6S C). I',f)4~ (M. to6i E).

r, 96~ (M. to6S D).

cela, non seulement l'Occident et l'Egypte, mais jusqu'à la Macédoine elle-même". L'état d'esprit qui se révèle ici est donc plein de présages. Sur la question même du Osoroxo;, la pensée de Jean d'Antioche est aussi juste et aussi ferme que possible. Aussi, tout en déplorant que les choses aient été ainsi poussées à bout, supplie-t-il Nestorius de l'accepter le danger, actuellement, est surtout que sa raideur ou sa fatuité ne le fasse se briser contre le verdict de Rome. Mais, à cela près, et pourvu que son acceptation du mot imposé le permette, on est disposé à le soutenir. De l'amertume s'est déjà amassée dans les âmes dès maintenant, ceux qui ont provoqué les mesures prises contre l'évêque de Constantinople peuvent s'attendre à rencontrer ici de la mauvaise volonté. On y verra de mauvais œil leurs initiatives et, d'avance, on y est prédisposé à prendre parti pour le fils de l'Église d'Antioche qu'on est fier de voir siéger dans la ville impériale. Tout cela cependant ne fait que confirmer l'importance attribuée à la décision de Rome. Si l'on met tant d'émotion à solliciter Nestorius de l'accepter, c'est qu'on la tient pour définitivement arrêtée. A plus forte raison la considère-t-on de même à Alexandrie. Personne ne croira qu'elle seule ait mis en mouvement Cyrille. Mais désormais, tout en poussant lui-même et à sa manière, qui n'a certainement pas toujours été des plus heureuses, la campagne doctrinale déjà commencée, c'est la sentence rendue par Rome qu'il met en avant. Sa lettre à Jean d'Antioche le dit nettement il y a 'chose jugée le synode romain a rendu une sentence officielle (~epx Te-ruwMxs) tous ceux qui veulent rester en communion avec l'Occident doivent s'en tenir à elle" Sa
1~,

I',

r,

951~" et 94~-2. (M. :o65 C-D et to64 C). 92~ (PG 77-96 C). 92~ (PG 77.96 D).

sa lettre à Juvénal de Jérusalem, il l'invite à marcher d'accord avec lui Célestin ayant officiellement pris parti, le mieux serait d'écrire les uns et les autres à Nestorius et à son peuple conformément à cette décision~ Ainsi fait-il lui-même en tout cas. Sa Synodique à Nestorius et la lettre qu'il écrit en même temps au clergé et au peuple de Constantinople portent l'une et l'autre que l'évoque aura à se rétracter dans le délai nxé par saint Célestia~. Dans aucune de ces lettres, il n'invoque pour agir la délégation reçue du pape, mais celui-ci l'a clairement notifiée texte du jugement (S~tp T'~<~ intéressés. Le CE 'ni: aux -~u-STe~ xp:
44.«

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to3A~. Le mot -n~o; latio /crMM – est l'expresston consacrée pour désigner le texte officiel d'un décret ou d'un jugement. L'édit de Milan était une Plus tard, t'édn d'Heraclius prescrivant le silence sur les « ~/Mf! deux opérations dans le Christ restera connu sous le nom de « Type To-/

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45. 46. 47.

I',3~ et n3~ (PG77.:o8 B et I',

83°-" (Mansi 4.m36 A-B). Il, 80~ (Mansi 4.) 045 D).

[240.

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voulons que tu prêches ce qu~ tu lui vois prêcher~. Et, dans la lettre à l'évêque d'Alexandrie, il déclarait que, connaissance prise de tout ce qui avait été écrit par lui sur le sujet en question, il y trouvait si exactement exprimée sa Aussi propre pensée qu'il renonçait à y rien ajouter l'investissait-il de sa propre autorité et se le substituait-il pour poursuivre avec résolution et vigueur (cm~ëe? cTEppoT~ït) l'exécution de la sentence rendue Acte hardi, acte inouï dans l'histoire du Siège aposto<' lique B, note à ce propos Mgr BatiSol~' c'est l'union des deux sièges traditionnellement considérés comme les deux premiers de l'Église dans l'action qui s'impose contre une doctrine où l'on voit de part et d'autre le renversement de la foi traditionnelle. Mais il est à prévoir que cette action, pour avoir à s'exercer contre le titulaire d'un siège aspirant manifestement à prendre la première place, se heurtera à des oppositions considérables. Raison de plus pour éviter tout ce qui pourrait inutilement en compromettre le succès. On s'accorde généralement à constater et à regretter que l'évêque d'Alexandrie ne l'ait point fait. La connaissance qu'il avait des subtilités et des équivoques où il estimait, comme le pape, que Nestorius enveloppait sa vraie pensée, le lui fit mettre en demeure d'accepter la sienne propre. N'avait-il pas lu dans la lettre pontificale destinée à Nestorius que celui-ci aurait à prêcher ce qu'il lui verrait prêcher à lui-même? On ne se contenterait donc pas, le prévint-il, qu'il adhérât à la formule de Nicée l'expérience avait appris qu'il en donnait une fausse interprétation. Aussi lui demanderait-on de s'engager par écrit, non seulement à 48. 49.

r, 83~

(Mansi 4.:o33 C).

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77.92 A). 50 « SuvaeOMT~ sot n~ «u9cw~f; -coB ~{MtEpou 9p
nostrae ~~M adscita, W~ nostra usus, ~r~<e
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anathématisM ses erreurs, mais aussi à tenir et à enseigner la doctrine commune à tous les évêques de l'Orient et de l'Occident Voilà pourquoi on lui communiquait une exposition de la foi qu'il devrait accepter lui aussi ~M~ dolo; et les douze anathématismes, dont on la faisait suivre, lui indiqueraient ce qu'on lui demandait de rejeter 53. Nous n'avons pas à rechercher ici si les anathématismes ajoutaient ou non à l'exposition de foi qui les précédait. Il est incontestable que la terminologie en prêtait à l'équivoque et l'on sait assez les armes que surent y découvrir contre Cyrille tous ceux qui, partisans ou non de la doctrine de Nestorius, regrettaient l'action ainsi engagée contre sa personne. Mais, quoi qu'il en soit de leur rédaction et de la doctrine qui s'y trouve ou qu'on y pouvait trouver exprimée, on ne saurait dire qu'ils aient motivé la résistance de Nestorius aux mesures prises par Rome contre lui. L'envoyé chargé de porter à Constantinople la Synodique de Cyrille en même temps que les lettres de Célestin n'y parvint que le 3o novembre. Or, dès avant cette date, Nestorius se trouvait couvert contre tout ce qui pouvait le menacer de ce côté. Le 19 novembre, était partie une lettre impériale à tous les métropolitains qui les convoquait pour la Pentecôte de l'année suivante à un concile à Éphèse. Le but de la réunion, portait la missive « sacrée n, était de parer aux troubles et divisions résultant de controverses récentes. Elle parlait aussi en termes vagues d'irrégularités à redresser mais elle spécihait surtout qu'en attendant le jugement à rendre par l'assemblée, toutes choses devaient rester en l'état. Il était bien entendu que jusque-là a aucune innovation ne devait être faite par qui que ce soit a. A elle seule, cette prohibition constituait un vrai t~efo mis à l'exécution des décrets de Rome. Mais, à Constantinople, on ne s'en tint pas là. Ce sont surtout les initiatives ou les 52. P, 34'~ 'M (PG 77.io8-t0t)). 53. (PG 77.120 B). 54. 1~, !t5~ (Mansi 4.tn3 E).

r, 40"

démarches de Cyrille qu'on s'était appliqué à prévenir ou à paralyser. En même temps que la lettre commune de convocation au concile, une lettre personnelle lui avait été adressée, qui était destinée non seulement à lui barrer le chemin de Constantinople, mais aussi, s'il était permis d'employer ici cette expression, à lui casser les reins La lettre impériale, en effet, s'était faite aussi dure que possible. Comme entrée en matière, des reproches. Il est étrange qu'un évêque ait à se faire pardonner par l'empereur étrange aussi qu'un évêque prétende résoudre à force d'entêtement et d'audace les controverses religieuses qui relèvent d'un concile. Leurs Majestés impériales, en tout cas, ne sauraient, même en ces matières, s'en laisser imposer par les menaces d'un puissant quelconque ou qui se croit tel. Quoi qu'il en soit, ce sont elles maintenant qui se chargent T?), n~c ye~~T;; f de pourvoir à la paix a NBv ~Ep.e\'<}<m Lui est un fauteur de troubles après les évêques, ce sont leurs Majestés impériales elles-mêmes qu'il a essayé de diviser en s'adressant séparément à elles, à l'impératrice et à l'auguste Pulcbérie. Qu'il le sache bien cependant il y a et l'on pourvoira à ce qu'il y ait union entre l'empereur et les Églises. Même à lui on lui pardonne afin de lui enlever tout prétexte de crier à la persécution pour cause de doctrine. Mais l'empereur ne veut pas de troubles dans les cités ni les Églises. Quant au jugement que rendra le concile, que personne ne se flatte d'y échapper. L'autorité impériale, d'ailleurs, saurait l'en empêcher. Comme elle approuve ceux qui s'empresseront de se rendre à l'assemblée, elle ne saurait tolérer Vaticana, n° 8 (1~, 73-74). La lettre se donne elle-même commeaccompagnantlaconvocationcotnmune àun concile « "HM~ Së' ETCjMt Stj~M -~poLjJLjMt~Qt » (1~, 74~ M. MLt T~ S'~aSttZY MTK -CM ~{:0~<M LIBERAT (B~M~M?M, 5; PL 68,976 D) 4.1112 C). que suivent col. sur ce point M. DEVREESSE (7~. cit. p. 24:) et M. AMANN (~c. :o7) a donc eu tort de fixer à plus tard l'envoi de la lettre générale de convocation. 56. I', 73'~ (Mansi, 4.t!OQ D). 55.

que quelqu'un s'y présentât en ayant l'air de vouloir y faire la loi au lieu de prendre part à une délibération. Cyrille devra donc se rendre au concile à la date que porte la lettre de convocation. Mais qu'il ne se flatte pas de rentrer en grâce avec l'empereur à moins qu'il ne renonce à semer un trouble déplorable et qu'il n'accepte de laisser discuter les questions. C'est à cela qu'on reconnaîtra si, dans ce qu'il a fait jusqu'ici de déplacé, de dur et de déraisonnable, il ne s'est pas laissé guider par le ressentiment personnel ou l'amour de la vaine gloire et si à l'avenir il est résolu à marcher droit (xat rà è^ç sv&û«iç gfiéXsw). « Prétendrait-il [d'ailleurs] faire autrement, nous ne le supporterions pas37.» C'était le dernier mot de la lettre une menace. Elle devait briser l'évêque d'Alexandrie. Non seulement l'indiction du concile enrayait toute son activité. Lui-même, au concile, devrait se présenter en accusé plutôt qu'en juge. Nul doute que ces mesures n'aient été prises d'accord avec Nestorius et à son instigation. Liberat dit que Théodose écrivit à Cyrille sur sa demande58. Tillemont l'admet a On croit que ce fut dans ce dessein pour détourner l'orage de qu'il tira de ce prince la lettre fulminante dessus sa tête qu'il écrivit à saint Cyrille », et Mgr Batiffol était du même avis « Pouvait-on penser que la sentence romaine du août serait ignorée par Nestorius et que, s'il la connaissait, il ne prît pas ses mesures pour y parer00 ?» De par ailleurs, on le voit, vers la même époque, se retourner encore vers Rome. Il sait déjà que, grâce à Dieu, un concile est convoqué pour traiter d'autres affaires ecclésiastiques61 mais il fait savoir aussi, sur le ton le plus

i

M. 1 112 D.) 57. « 'Ou yàp êtépojî av IOsXovto; àvellofjLEÛa. » (I1, 74" 58. « Subripuit pio principi Theodosio, ut sacram ad eum dirigeret et a sua eum persecutione compesceret» (Breviarium. 4; PL 68.976 B). 59. Mémoires -pour servir, T. XIV, p. 36z. 60. Op. cit., p. 358. Nestoriana. p. 182): 61. Coll. Palatina 55 (V1, p. 182; Loofs « Placuit vere, Deo adjuvante, etiam synodum inexcusabiliter totius

etc.

orbis terrarum indicere

frofter inquisitionem aliarum rerum ecclesias-

dégagé, que Cyrille, effrayé des plaintes dont il a été l'objet auprès de lui, cherche à se dérober. Pour lui, il ne s'oppose pas à ce qu'on emploie l'expression Ôsotoxoç, pourvu qu'on ne la prenne pas au sens d'Arius et d'Apollinaire. A vrai dire, cependant, celle de j^pioTOTôxo; continue à lui paraître préférable, comme ayant été employée par les anges et les évangiles. Au reste, suggère-t-il, quand deux sectes risquent de sortir de l'Église pour s'attacher exclusivement l'une à âeoToxoç, l'autre à «vôptoicoToxoi;, ne s'impose-t-il pas de s'en rapporter à qui, les mettant en garde contre les deux dangers, leur propose de s'en tenir à l'expression de ^pwroTÔnoç qui signifie à la fois les deux natures ? Pour lui, le concile devant se réunir pour traiter d'autres affaires, il ne croit pas que ces questions de mots puissent y donner lieu à des recherches difficiles ou empêcher qu'on n'y reconnaisse la divinité du

Christ. Nous ne savons pas s'il fut répondu à cette lettre. Elle n'ajoutait rien à ce qu'on savait déjà de la pensée de Nestorius et l'on avait déjà pris parti. Mais le ton dégagé qu'y affecte l'évêque de Constantinople dénote l'homme habile qui se croit à l'abri. Grâce à la cour et au concile, il n'a plus rien à craindre. Les évêques chargés par Cyrille de lui intimer les résolutions arrêtées à Rome et à Alexandrie peuvent venir il recevra les documents, mais il ne daignera même pas donner audience à ceux qui les lui auront remis fiZ. Désormais, à ses yeux, l'offensive cyrillienne est enrayée et c'est l'évêque d'Alexandrie plutôt qui aura à se justifier. Nestorius cependant sent bien que lui aussi aura à s'expliquer. Aussi, s'il omet de répondre à l'ultimatum pontifical, s'applique-t-il, par contre, à donner satisfaction au monde de la cour et à ceux des évêques qui se sont déjà montrés disposés à lui accorder leur appui. ticarum ». On ne voit point, d'après cela, comment M. Schwartz (Is, 8) peut conjecturerpourcettelettreune datedebeaucoupantérieure. 62. 3o novembre 430: I2, 37" 3
V,7.

On sait qu'il y réussit. En réponse à la lettre émue de Jean d'Antioche, il fit tenir à celui-ci des extraits de deux sermons prononcés les 6 et 7 décembre 430 63, après la réception donc de l'ultimatum romain, et où il se flattait d'avoir gagné à ses vues « le clergé, le peuple et les dignitaires de la cour» 64. Et le patriarche d'Antioche, en effet, se laissa convaincre lui aussi. Au reçu de ces explications, il se félicite de ce qu'à Constantinople l'agitation s'est calmée on s'y est entendu sur l'appellation de (Jeotoxo; et le saint évêque n'a pas eu à se rétracter il n'a eu qu'à expliquer pourquoi il évitait cette expression mais la preuve qu'il l'admettait déjà, c'est la promptitude avec laquelle, à la suite des avertissements reçus d'Antioche, il s'en est déclaré d'accord Quia vero sic et ante sapuerit, inde conjicimus quia et cito consensit65. Ne discutons pas l'optimisme où se complaît ici Jean d'Antioche. L'expression dont il avait dit à Nestorius que beaucoup de Pères l'avaient souvent employée sans que personne jamais en eût pris ombrage, Nestorius affectait de dire qu'elle n'avait jamais été employée que par des hérétiques60. Mais, pour l'évêque d'Antioche lui aussi, il ne s'agissait plus tant du Ôïotoxo; que des anathématismes de Cyrille. Nestorius, à l'en croire, les lui aurait transmis sans lui dire comment ni à quelle fin ils étaient venus à sa connaissance. « Ils sont colportés à Constantinople comme étant de Cyrille » et Jean se refuse à le croire mais il y découvre 63. Coll. Palatina, nos 23-24 (V1, p. 39-46; LOOFS Nestoriana, p. z97-3zi; le second se trouve aussi dans la Casinensis, nos 78, 7-10; IV. 6-7; Mansi 5.754-756. 64. Post-scri-ptum (coll. Casinensis, n° 78,6; IV. 67"10; Mansi. S. 754

C-D) d'une lettre à Jean d'Antioche, écrite, dit le Synodicum de Rustique (IV. 434) avant l'arrivée de l'ultimatum. 65. Lettre à Firmin de Césarée en Cappadoce (coll. Canisensis, n°79 IV. 7-8; Mansi. 5.756-757. 66. Palatina, n° 23; V1, 4027 m 41" «M-, 44-45 n° 24 V1, 4620 •»»•; C. n° 78 IV, 710 de même dans une lettre à Jean lui-même, où, contrairement à M. DEVREESSE (loc. cit. p. 236, note 1), j'ai bien de la peine à ne pas reconnaître la réponse à la lettre si émue que lui avait écrite le patriarche remarquer IV, 55!«- (Mansi 5.753-754).

l'erreur d'Apollinaire et il engage son correspondant à les combattre67. Ainsi fait-il d'ailleurs de toute part68. C'est donc bien qu'ici également on considère l'affaire comme ayant changé d'aspect le premier auquel on prétendra demander compte de sa doctrine sera l'évêque d'Alexandrie. (A suivre.)

Enghien.

PAUL

GALTIER.

Casinensis, n° 79 (IV. 85 *«•, Mansi 5.756-757). Peut-être l'incertitude sur l'auteur des anathématismes n'est-elle ici qu'affectée. La lettre a pour but de gagner ou de retenir à la cause commune un évêque qui, de fait, au concile, interviendra plusieurs fois contre les Orientaux. Plus tard cependant, lors des négociations pour la paix, Jean écrira à Cyrille lui-même qu'il n'avait d'abord pas pu croire que les anathématismes fussent de lui (Atheniensis, n» 108 I', i5i34; Mansi 5.857 B). 68. Casinensis, u" 224 (IV. i6331-36 Mansi 5.916. Voir Schwartz: 67. Lettre à Firmus

I8, 9)-

NOTES ET MÉLANGES

LA CONDITION DU CORPS DU CHRIST DANS LA MORT Les Pères du quatrième et du cinquième siècle, commentant les paroles du Christ en croix Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné? [Mt., xxvii, 46), se sont parfois exprimés comme s'ils croyaient à une séparation effective de son corps d'avec la divinité. Tel n'est pas, tant s'en faut, le sentiment commun des théologiens ils pensent, au contraire, que la mort sépara son corps de son âme, sans séparer l'un ni l'autre de la divinité. Mais on a signalé une séparation d'avec la divinité dans les textes suivants Eusèbe, Dem. Ev., iv, 12 i3, PG., XXII, 281 D-284 A.; 288 CD; saint Athanase, De Incarn. Verbi, 22, PG., XXV, i36 AB; saint Epiphane, H. xx, 2, PG., XLI, 276 D.; lxix, 62, PC, XLII, 3o5 C-3o8 B; saint Hilaire, In Mt. (xxvn, 46), xxxm, 6, PL., IX, 1074 B-1075 A; saint Ambroise, In Lc. (xxm, 46), x, 127, PL., XV, i835 C-i836 A; Ps. Ambroise, De Trin. (ou De Symbol. Ap.), i3, PL., XVII, 525 A.; Leporius, Libell. emendat., 9, PL., XXXI, 1328 C-1329 A. L'exégèse de ces textes ne va pas sans difficultés; les meilleurs interprètes ne s'accordent pas toujours. Ainsi autrefois Petau et Dom Coustant, au sujet de saint Athanase et de saint Hilaire. Tandis que Petau trouvait l'idée de la séparation chez saint Hilaire et non chez saint Athanase, Coustant la trouvait chez saint Athanase et non chez saint Hilaire. De nos jours, l'examen a été repris avec un très grand. soin par M. J. Lebon dans la Revue d'Histoire ecclésiastique de Louvain, 1927, p. 5-42; 209-242; il conclut à l'idée de la séparation chez l'un et l'autre Père. En matière si délicate, il est permis de conserver quelques doutes; les nôtres subsistent, même après l'étude très objective de M. Lebon. Nous avons indiqué brièvement la raison, dans notre récent traité De Verbo incarnato, p. 140-1 (Paris, 1930). La présente note n'a pas pour but de reprendre la discussion,

peut-être épuisée, mais de verser au dossier un texte qui paraît n'avoir pas été aperçu. Dans la lettre adressée vers l'année 432 par deux évêques espagnols, Vitalis et Constantius, à Capreolus, évêque de Carthage, il est question de certaines assertions entendues en Espagne et qui rejoignent celles de Nestorius. PL., LIII, 849 B c

Hominem purum dicunt pependisse in cruce comprehensum aiunt Recessit Deus ab eo. Quibus parvitas nostra sic dicit Nunquam Deus recessit ab homine, nisi quando dixit de cruce Heli Heli, lamma sabactani Deus, Deus meus, quare me dereliquisti f

L'assertion rapportée par les deux évêques espagnols est manifestement incorrecte; mais la réponse qu'ils y ont opposée ne l'est guère moins, car ils paraissent supposer, à l'instant de la mort, une séparation réelle entre l'homme et la divinité. La réponse de Capreolus ne souligne pas cette incorrection mais, defait, elle ne la reproduit pas. On lit, 854 AB Hic homo quisquis es, qui putas Deum Christum ab homine Christo passionis tempore separatum, non recordaris eum passuris discipulis suam praesentiam fideliter pollicentem. (Mt., x, to. 20). Itane ille qui servis facientibus Domini voluntatem suam divinam praesentiam promisit, donavit, exhibuit; in quo nullo existente peccato pro nostra salute mortem subiit innoxiam, ut Patris faceret voluntatem, divinum auxilium sibi carnis tempore denegavit? Et Deus hominem quem ob haec sustinenda nulla compulsus necessitate suscepit, in hac perfunctione destituit?. ADHÉMAR

D'ALÈS.

AUTOUR DE DENYS L'ARÉOPAGITE Le problème, depuis longtemps soulevé par les écrits aréopagitiques, a pris récemment un aspect nouveau. Un spécialiste de ces écrits, le R. P. Stiglmayr, a cru pouvoir, en effet, en attribuer la paternité à Sévère d'Antioche 1. Il faut bien dire que la thèse du R. P. Stiglmayr n'a pas rencontré un accueil très favorable. M. R. Devreesse2 en particulier

J. Stiglmayr, Der sogen. Dionysius Areofagita und Severus von Antiochien, dans Skolastik, 1928, t. III. p. 1-27 161-189. Sur ces articles, voir la recension sympathique de A. d'Alès, dans Recherches de Science religieuse, 1929, t. XIX, p. 537-539. 2. R. Devreesse, Denys VAréopagite et Sévère d'Antioche, dans Archives d'histoire doctrinale et littéraire du Moyen âge, t. IV, 1.

1929-1930.

et M. J. Lebonn'ont pas hésité à la combattre, et l'étude de M. Lebon, qui est peut-être à l'heure actuelle le meilleur connaisseur des écrits et de la doctrine de Sévère, semble bien difficile à réfuter. Remarquons cependant que certains arguments mis en avant dans la controverse n'ont peut-être pas toute la portée qu'on serait tenté de leur accorder. M. Devreesse fait grand cas d'un témoignage de Libératus, sur lequel nous voudrions faire ici quelques réflexions.' Dans le Breviariuln causae Nestorianorum et Eutyc1lianorum, écrit entre 56o et 566, le diacre Libératus est amené à raconter les origines de l'affaire des trois chapitres. Il rappelle entre autres comment Proclus de Constantinople ayant écrit aux Arméniens, son tome fut porté à Alexandrie. Sed Basilius diaconuslquidam sumens tomum Procli, quem Armenis scripserat, Alexandriam venit et Armeniorum libellos suis libellis annectens, obtulit Cyrillo eiusdem urbis antistiti. Quibus, ut ferunt rumores, permotus, Cyrillus quatuor libros scripsit, tres adversus Diodorum et Theodorum, quasi essent nestoriani dogmatis auctores, et alium de incarnatione librum, in quibns continentur antiquorum Patrum corrupta testimonia, id est Felicis papae romani, Dionysii Areopagitae Corinthiorum episcopi et Gregorii mirabilis, 0au|«rroup'YOÏ cognominati. Et licet in eis libris, Theodori dicta laudentur contra Arianos, ipsum tamen magistrum Nestorii fuisse contendunt 4.

Le mot Areopagitae, qui est omis dans l'édition de Garnier et par suite dans celle de Migne, fait bien partie du texte de Libérat, et doit y être maintenu, comme le notait déjà Tillemont3. Il est d'ailleurs curieux que ce mot soit suivi de la qualification d'évêque de Corinthe les témoignages anciens, en particulier celui de saint Denys de Corinthe lui-même, font de l'Aréopagite le premier évêque d'Athènes 6. De toute évidence, Libérat est mal renseigné sur l'identité de son personnage. Peut-on cependant, comme le fait M. Devreesse, entendre à la lettre le texte de Libérât, et en conclure que les écrits aréopagitiques étaient déjà en circulation aux environs de 435-440, donc bien longtemps avant la naissance de Sévère? Il ne le semble pas. La question serait résolue si nous avions à notre disposition les écrits 3. J. Lebon, Le pseudo Denys l'Aréapagiie et Sévère d'Antioche, dans Revue d'histoire ecclésiastique, iq3o, t. XXVI, p. 880-91 5. 4. Libératus. Breviar., 10 P. L., L XVIIl, 991. 5. Tillemont, Mémoires, t. XIV, Paris, 1709 p. 643. 6. Ap. Eusèbe, H. E., IV, 23, 3; édit. Schwartz, p. 364, 14-16.

de saint Cyrille qui sont ici mentionnés. Ces écrits ont disparu, à l'exception de quelques fragments Il serait toutefois remarquable que saint Cyrille eût cité seulement ici l'Aréopagite, alors qu'il avait à sa disposition, depuis longtemps déjà, un dossier patristique, dont il aimait à se servir. De ce dossier, tous les éléments n'étaient pas de très bon aSoi, puisqu'on y voyait figurer des faux apollinaristes. Or, parmi ces faux, figuraient un fragment de Félix, le très saint évêque de l'église de Rome, un écrit xaTà (tspoç tcïgt!; attribué à saint Grégoire le thaumaturge, et deux lettres adressées à un certain Denys 8. Saint Cyrille avait cité le fragment de Félix dans l'Apologie pour les douze anal/iémattsmes* il ne serait pas surprenant qu'il eût continué à utiliser les productions apollinaristes10. De fait, lors de la conférence de Constantinople tenue entre catholiques et sévériens en 53i, Hypatius d'Ephèse déclara que le& livres de Cyrille contre Diodore et Théodore avaient été interpolés et que l'ouvrage entier était suspect. La raison qu'il en donna fut précisément la présence des citations apollinaristes Nam et beati Iulii famosam illam epistulam manifeste Apollinaris ostendimus fuisse scriptam ad Dionysium, illam autem quam Sancti Gregorii mirabilium factoris dicitis testificationem suadete Severo.

7.

O. Bardenhewer, Geschichte der altkirchlichen Literatur, t. V, Fribourg, 1924, p. 54. 8. Sur la tradition manuscrite de ces lettres, cf. H. Lietzmann, Apollinaris mon Laodicea und seine Schule, Tûbingue, 1904, p. 147-149.

La première lettre est complète; on en trouvera le texte dans Lietzmann. op. czt., p. 256-2Ô2. De la seconde lettre, nous n'avons plus qu'un fragment, édité dans Lietzmann, op. cit., p. 262. Il est probable qu'à l'origine ces lettres, soi-disant écrites par Jules de Rome, ne mentionnaient que le nom du destinataire. Les copistes ont voulu préciser les uns ont qualifié Denys d'évêque de Corinthe, les autres d'évêque d'Alexandrie. Ni les uns ni les autres, n'ont pris garde à l'anachronisme qu'ils commettaient. LXXVI, Cyrille d'Alexandrie. capitibus; G., Apol. P. pro. 9. xit 344 A. Cf. Concil. Ephes., Actio I; Mansi, Concil., 1188 C Eutychès, EPist.ad Leon. pap. P. L LIV, 716 A, cite encore la lettre de Félix, et en même temps Jules, Athanase et Grégoire. 10. Saint Cyrille cite encore, la lettre à Prosdocius sous le nom de Jules, dans VApol. pro xn capit., P. G., LXXVI, 341. Au témoignage de Léonce de Byzance, Contra monophys. et nesto1., P. G., LXXXVI, 1828, il citait, sous le même nom le De unione dans un florilège perdu; cf. H. Lietzmann, op. cit., p. 91 et 116.

IV,

confiteri, quia incorruptum carnis ipse decrevit, et tunc nobis credendum est, quoniam et ea quae de una natura dixit,ipsius sunt11. Selon les vraisemblances, le texte de Libératus doit être altéré, et au lieu des mots Dionysii. episcopi, il faut lire luliï ad Dionysium Areopagitam Corinthiorum episcopum. Déjà G. Voisin avait proposé cette correction12, qui a été acceptée par H. Lietzmann13 elle semble s'imposer. Le témoignage de Libératus ne nous permet donc pas de croire que les écrits aréopagitiqu'es étaient en circulation durant la première moitié du cinquième siècle 14. Mais on voit que, si le premier témoin connu de ces écrits demeure Sévère d'Antioche, il ne s'ensuit pas que Sévère lui-même en soit l'auteur. La démonstration de M. Lebon reste sur ce point décisive 15.

G.

BARDY.

n. Collat. Constant., Mansi, Concil, VIII, 821.

G. Voisin, L'Apollinarisme, Louvain, 1901, p. 1 55. H. Lietzmann, Apollinarisvan Laodicea,p.• 91-92- LeR. P. d'Alès, qui a bien voulu lire cette note, suggère de lire le texte de Libératus avec la correction Felicis papae romani ad Dionysium, etc. Cette correction est certainement plus simple, puisque le nom de Félix est fourni par les manuscrits et les éditions de Libératus. Seulement, elle se heurte au fait que nous connaissons des lettres de Jules à Denys – malgré l'anachronisme, tandis que nous ne connaissons pas de lettre de Félix à Denys. Le correspondant de Félix, dans les pseudépigraphes apollinaristes est Maxime d'Alexandrie. Cf. G. Bardy, Paul de Samosate, 2e édit., Louvain, 1929, p. 139-143. Cette remarque n'est d'ailleurs pas absolument décisive, car, dans la tradition syriaque de ces écrits, le nom de Félix remplace parfois celui de Jules. 14. On peut noter ce que Tillemont, Mémoires, t. II, p. 56g, écrivait à ce sujet, en prenant à la lettre la formule de Libératus « Nous n'osons pas néanmoins assurer que ces écrits n'eussent pas déjà été cités près de cent ans auparavant par saint Cyrille d'Alexandrie, dans un ouvrage contre Diodore et Théodore. Les sévériens le soutinrent dans la conférence de 532. Les catholiques au contraire le nièrent positivement aux sévériens, mais en prétendant que l'ouvrage entier 12. 13.

contre Diodore et Théodore était supposé.n 15. Cette note était imprimée lorsque nous avons eu connaissance du travail beaucoup plus complet de M. H. C. Puech sur le même sujet. Cf. Libératus de Carthage et la date de V apparition des écrits dionysiens. École pratique des Hautes Études, section des sciences religieuses. Annuaire ig3o-ig3i. Les conclusions de M. Puech sont les mêmes que les nôtres. -Il nous semble pourtant que les arguments présentés ici gardent quelque intérêt, à côté du travail de M. Puech.

BULLETIN DE THÉOLOGIE HISTORIQUE

I.

II. Les Pères. III. Les Scolastiques. VI. SaV. Théologiens modernes. L'Eglise

Saint Augustin. IV. Acta Tridentina. crements.

I.

Saint Augustin

Miscellanea Agostiniana. Testi e Studi publicati a cura dell'Ordine eremitano di S. Agostino nel XV centenario dalla morte del Santo Dottore. Volume I. Sancti Augustini Sermones fiost Maurinos reperti. Studio ac diligentia D. Germani Morim O. S. B. Roma, tipografia poliglotta Vaticana, MDCCCCXXX. In-4, XII-847 pages. Chanoine DESPINEY, Le chemin de la foi d'après saint Augustin. Vézelay, 1930. In-t6, XII-528 pages. Prix ^francs. Marie Comeau, docteur ès Lettres, ancienne élève de l'École pra tique des Hautes-Études, Saint Augustin, exégète du quatrièzne évangile. Paris, Beauchesne, ig3o.In-8, X-420 pages. (Études de théologie historique). R. P. Thonna-B*rthet, des Augustins de Malte, L'Évangile commenté par saint Augustin. Paris, Lethielleux, io,3o. In-8. vi-295 pages. Gaston LECORDIER, docteur en théologie, La Doctrine de l'Eucharistie chez saint Augustin. Pari-s, Gabalda, 1930. In-8, XVI-142 pages. Bernard ALVES PEREIRA, O. F. M.,docteur en théologie, La doctrine du mariage selon saint Augustin. Paris, Beauchesne, ig3o. In-8, xii. 247 pages (Bibliothèque de théologie historique). Publications augustiniennes du Centenaire. Dr Theol. Bernhard NISTERS, Die Christologie des hl. Fulgentius von Ruspe. Munster i. W.,Aschendorff, ig3o. In-8, 1 16 pages. Prix 5,8oR. M. (Münsterische Beitrage zur Théologie, 16). Dr Georg SCHREIBER, Joseph Mausbach (1861-1931), Sein Wirken fur Kirche und Staat, Schlichte Gedâchtnisblatter. Münster i. W., Aschendorff, 1931, 32 pages. Le quinzième centenaire de saint Augustin nous promet une ample moisson d'études augustiniennes; et comme le ciel a ses caprices, on ne risque pas de se tromper en pronostiquant que la récolte s'étendra sur plus d'un automne. Dès aujourd'hui, nous avons la joie d'engranger les premières gerbes.

II convient de saluer d'abord le recueil des sermons de saint Augustin publiés depuis les Mauristes insigne monument de la piété filiale vivante dans l'ordre des ermites de saint Augustin, et de l'éru-

bénédictine.

dition L'édition mémorable des œuvres de saint Augustin, préparée par les moines de la Congrégation de Saint-Maur, fut publiée à Paris, en onze volumes in-folio, de 1679 à 1700. Depuis cette date, plus de six cents nouveaux sermons ont vu le jour, attribués à saint Augustin. Mais il y a sûrement, dans cet amas, beaucoup moins de grain que de paille. Dom Germain Morin, qui a fait pendant un demisiècle la chasse aux inédits augustiniens, a cru devoir procéder à un triage sévère en vue du magnifique in-40 qu'il publie sous ce titre Sancti Auguslini sermoues fost Maurimos reperti. Tel recueil qui comprend plus de deux cents titres n'en présente, à son gré, qu'une vingtaine de vraiment recevables. Voici le relevé exact de l'édition nouvelle

par Michel Denys, à Vienne, 1792. 9 sermons publiés par Octave Praja Frangipane, à Rome, 1819. y sermons publiés par A.-B. Caillau, à Paris, en i836 et 1842. 26 sermons publiés par Angelo Mai, à Rome, en i852. 1 sermon publié par François Liverani,Florence, en i863. 23 sermons publiés

4 sermons publiés dans le Florilegium Casimnse, de 1873 à 1877. 5i sermons publiés par Dom Germain Morin, de 1890 à 1929. sermons publiés par Dom André Wilmart, de 1912 à 1930.

il

En tout, i32 titres. Les athétèses prononcées fermement contre tant de pièces, qui figurent dans la Patrologie de Migne et ailleurs. seront quelquefois discutées. On peut être sûr qu'elles n'ont pas été prononcées à la légère. Quant aux pièces maintenues, toutes sans exception donnent une impression de sécutité, avec le sentiment d'une pensée réellement homogène. Les traits authentiquement augustiniens s'y retrouvent à chaque page. Notons, parmi les acquisitions les plus précieuses, de nombreuses prédications pascales, surtout des sermons ad infantes, où Augustin parle de l'abondance du cœur, sans prendre la peine de se renouveler beaucoup. De nombreux panégyriques des martyrs africains, dont sept de saint Cyprien particulièrement remarquables le splendide discours De ordïnatione episcopi, découvert par Dom G. Morin parmi 34 sermons inédits que contenait un seul manuscrit de Wolfenbutte (p. 563 375), et qui est vraiment la perle de ce riche écrin, deux autres sermons publiés par Dom Wilmart, l'un sur le mot de l'apôtre saint Jacques Quicumque lotam legem servaient offendai

autem in una, factus est omnium reus;l'autre sur la parole du Seigneur Ego siim via, veritas et vita (p. 673 et 694). Ce volume fera époque dans l'histoire de l'augustinisme. Le volume de M. le chanoine Despiney sur le chemin de la foi, d'après saint Augustin, témoigne d'une familiarité avec la pensée du saint Docteur, maintenue durant plus de vingt ans et constamment orientée vers un but précis. C'est à l'œuvre apologétique de saint Augustin que fauteur consacrait, il y a déjà longtemps, sa thèse de doctorat en théologie, soutenue devant l'Institut catholique de Paris. Depuis lors, iln'a pas dévié de cette voie. Les pages qu'il nous présente aujourd'hui ramènent ses conclusions primitives, avec une plus grande fermeté de dessein et une plus grande richesse de développements. Une première partie retrace l'évolution personnelle d'Augustin, qui aboutit à la profession de la foi catholique et à l'héroïsme chrétien. Une seconde partie monnaye, au profit d'un grand nombre d'âmes, cette expérience personnelle. Dans la première partie, on pense bien que l'auteur s'attache principalement au texte des Confessions. Sur la route, il fait bonne justice des théories superficielles qui ont cru mettre Augustin en contradiction avec lui-même et déceler dans les écrits de sa jeunesse, voisins des souvenirs de Cassiciacum, une histoire plus véridique que celle des Confessions. En réalité, l'histoire intime d'Augustin est allée se développant en profondeur. A ses débuts, il paraît avoir mis une sorte de pudeur à se raconter lui-même; devenu évêque, il trouve dans le jaillissement perpétuel de sa gratitude envers Dieu et dans son amour des âmes un stimulant nouveau, qui ramène du fond de sa conscience des souvenirs plus poignants et des exclamations longtemps contenues. Les pages où M. Despiney rétablit l'harmonie des deux versions successives nous ont intéressé particulièrement. Il marque d'ailleurs, dans la conversion d'Augustin, les étapes principales. Au préalable, la connaissance de l'existence de Dieu, de l'immortalité de l'âme, des sanctions de l'autre vie. Puis l'inquiétude religieuse, providentiellement avivée par la lecture de YHortensius. L'attention prépondérante donnée à l'autorité du genre humain. Lerôle essentiel de l'autorité enseignante qui impose la foi et une règle de vie. L'appel ultérieur à un critère non plus humain, mais divin, que fournissent les Écritures. L'adhésion ferme à l'Église catholique, en qui brille le sceau de la divinité. L'effort de la raison docile pour approfondir les vérités de foi. Ces étapes, on les retrouve dans la deuxième partie, dont le traité De utilitate credendi a fourni la trame, sans préjudice de multiples emprunts aux divers écrits apologétiques d'Augustin. Travail très solide, très mûr, où l'auteur ne craint pas de se répéter, pour enfoncer, en modifiant la forme, les idées dont il est

plein. Œuvre de théologie pastorale, digne d'être offerte en hommage au docteur d'Hippone. Mademoiselle M. Comeau a emprunté aux Tractât us in loannem les sujets de deux thèses doctorales, couronnées en Sorbonne par une mention honorable. L'une a pour titre Saint Augustin exégète die quatrième évangile; l'autre: La rhétorique de saint Augustin. La ° première seule nous retiendra ici. L'auteur caractérise finement cette exégèse si étrangère au programme scientifique d'une exégèse moderne, mais toujours jaillissante et pleine d'âme. La part faite du sens littéral et du sens allégorique, on nous introduit au traitement augustinien des figures de l'Église, des paraboles, à l'analyse de lafoi, à l'exégèse despnncipaux textes théologiques. La Trinité, le Christ, l'Église, la vie intérieure du chrétien autant de sujets que les Tractatus touchent et parfois renouvellent. Ce volume témoigne d'une science étendue et abonde en vues ingénieuses sur un de ces livres qu'on n'épuise pas. Je n'ai pas lu sans quelque surprise, à la dernière page, l'allusion à une « seconde conversion » d'Augustin, qui aurait coincidé avec la composition des Tractatus. Que cette date réponde à un certain approfondissement de sa vie intellectuelle, on peut le soutenir avec quelque apparence de vérité, encore que l'ouverture de la controverse pélagienne nous le montre, quelques années plus tôt, déjà en possession de ses idées les plus personnelles. Mais si l'on entend parler de sa vie spirituelle, je ne vois plus; car dans le développement harmonieux de cette vie, depuis le baptême, on ne perçoit aucun à-coup. Peut-être changerais-je d'avis en relisant l'oeuvre entière da saint Augustin dans l'ordre même où elle fut écrite mais tant de précision m'étonne, et je demeure tenté de soupçonner là quelque grossissement. Dans son volume sur l'Évangile commenté par saint Augustin, le R. P. Thonna-Barthet a groupé des extraits en langue française, glanés dans l'oeuvre entière du saint docteur, suivant l'ordre de l'histoire évangélique. M. l'abbé G. Lecordier publie une synthèse de la Doctrine de l'Eucharistie chez saint Augustin, présentée à la Faculté de Théologie de Strasbourg pour le doctorat en théologie. Synthèse intelligente, bien informée, d'une intention sûrement excellente, d'une actualité que nous aimons à croire éphémère, car elle consacre le meilleur de son effort à redresser les idées de R. Lawson. Tout le .monde sait aujourd'hui qui est R. Lawson et quel Protée emprunta ce pseudonyme pour combattre la doctrine catholique de l'Eucharistie représentée par saint Augustin. Il serait temps, croyons-nous, de faire le silence sur une triste littérature, où nul chrétien n'ira

chercher l'édification et où peu de naïfs iront chercher la science. Le livre du R. P. Bernard Alves Pereira sur La doctrine du mariage selon saint Augustin existe depuis près de vingt ans. Il fut présenté à l'Université de Fribourg (Suisse) comme thèse pour le doctorat en théologie. Nous en eûmes dès lors communication, et son impression fut décidée. Mais les circonstances d'abord, puis la mort de l'auteur ont arrêté l'exécution de ce projet. Heureusement, des mains pieuses avaient recueilli le manuscrit et l'ont mis au jour en ce quinzième centenaire de saint Augustin. Notre reconnaissance est acquise au R. P. Léonard de Carvaiho e Castro, qui nous fait partager l'héritage de son confrère. L'œuvre de saint Augustin a été scrutée avec un soin minutieux et l'on s'étonnera peut-être qu'elle renferme, dans un domaine restreint, tant de richesses. Outre les traités que leur titre même désigne comme exposant la doctrine du mariage, De bono coniugali. De sancta Virginitate De bono viduitatis De coniugiis adulterinis; De nuptiis et concupiscentia, d'autres, moins spéciaux, font à cette doctrine une large part; notamment De Genesi contra Mamchaeos; De sermone Domini m monte De Genesi ad litteram De Civitate Dei. Quant à ceux qui touchent le même sujet en passant, la liste en serait fort longue. Les conclusions de saint Augustin se résument en trois mots, par lui souvent ramenés proles, fides, sacramentum tels sont les trois biens du mariage. La procréation des enfants, dont la' fin providentielle est de préparer pour le ciel des élus; la foi conjugale, que les époux doivent se garder l'un à l'autre, inviolablement; le sacrement, qui, de par l'institution divine, représente l'union indissoluble du Christ et de son Église. Cette trilogie, qui apparaît après l'année 401 dans le De Genesi ad Ittteram, exprime une pensée déjà mûre. L'auteur nous fait assister à son éclosion, et ce n'est pas son moindre mérite d'avoir, par un constant égard à la chronologie, retracé les progrès de la doctrine augustinienne. Il note, en finissant, les points où ce progrès s'affirme particulièrement. Augustin n'a pas compris d'emblée que la bénédiction divine sur le premier Crescite et multiplicamini marque la fin la plus couple humain essentielle du mariage; il avait rêvé d'abord d'une alliance surtout mystique entre époux et n'est parvenu qu'avec le temps à cette conviction, que la génération sexuelle ne fut pas conditionnée par le premier péché. Augustin n'a pas compris non plus d'emblée la parfaite réciprocité de droits entre les époux l'obscurité de certains textes du Nouveau Testament, la diversité d'avis entre les Pères, enfin l'influence du droit romain l'inclinèrent quelque temps à faire la condition de la femme plus rigoureuse que celle de l'homme, du

point de vue de l'indissolubilité du lien conjugal. Augustin n'est pas arrivé à une solution entièrement nette sur la condition de la nature avant le péché et le rôle de la concupiscence. Il n'est pas non plus arrivé à une solution entièrement nette quant aux causes légitimes de séparation entre les époux. Autant de jugements mûris et nuancés. Ce livre agite longuement une question diversement résolue par les théologiens en donnant au mariage le nom de sacrement, Augustin prend-il ce nom en toute rigueur technique, selon la définition classique du concile de Trente ? L'auteur s'arrête à une conclusion très prudente. Augustin n'a dit nulle part, en propres termes, que le consentement des époux a par lui-même la vertu de produire lagrâce sanctifiante, ce qui est la marque d'un sacrement proprement dit. Mais les développements où il montre dans le mariage chrétien une représentation du grand sacrement du Christ et de l'Église insinuent assez qu'il est oeuvre sainte et cause de sainteté. Çà et là quelques tours légèrement exotiques rappellent que l'auteur fut un Franciscain portugais. D'ailleurs, le P. Alves Pereira possédait fort bien notre langue. Son étude honore le docteur d'Hippone et enrichit la littérature théologique française. A l'occasion du centenaire, des numéros intégralement augustiniens ont paru dans certaines Revues nommons le Gregorianum, les Siudiën hollandaises, la Revue de Philosophie. D'autres Revues ont répandu sur l'année entière une large contribution augustinienne: ainsi la Nouvelle Revue tlzéologique. De vieilles controverses ont été reprises, notamment la question du caractère anji-augustinien du Commomtorium de Vincentde Lerins. Ce caractère, que nous n'avions jamais vu très distinctement, nous apparaît aujourd'hui démontré par des travaux décisifs, entre lesquels nous citerons: Dom M. Cap-

puys, Le premier représentant de l'augustbtisme médiéval, Prosper d'Aquitaine, dans Recherches de Théologie ancienne et médiévale, 1929, p.3oç337, et J. Madoz, S. J., Contra qitiên escribiô San Viceute de Lerins su « Commonitario », dans Es.tua.ios Eclesiasticos, 1 ç3 1 p 5 -34 Le poin t cri tique est, à nos yeux, l'attitude prise par Vincent à l'égard de la récente lettre du pape Célestin. Le pape, vengeant la mémoire d'Augustin, écrivait aux évêques de Gaule Desinat incessere novitas vêtus tatem {PL., L, 529). Et Vincent reprend ces mêmes paroles {ib., 684), sans nommer personne, mais dans un contexte qu'explique seule l'intention de les tourner contre Augustin. Il faut sans doute reconnaître ^ette perfidie.

Saint Fulgence de Ruspe, le grand augustinien du sixième siècle commençant, devait être associé en cette année séculaire à la gloire

de son illustre modèle. En s'attachant à sa christologie, le Dr B. Nisters a choisi sûrement le chapitre le plus intéressant de cetteœuvre doctrinale. Dans sa monographie, établie avec beaucoup de soin, je n'ai noté qu'une lacune l'auteur n'a pas connu les deux thèses soutenues, l'année précédente, sur Fulgence, par le R. P. Lapeyre. Une comparaison s'imposait. Elle tourne à la satisfaction du lecteur et à l'honneur des deux maîtres qui, sans se connaître, ont résolu avec une touchante unanimité les principaux problèmes d'histoire et de chronologie. La solution donnée par les anciens témoignages reçoit quelquefois de la critique interne une confirmation appréciable. En étudiant de près son texte, M. Nisters a noté dans les écrits de la première manière (Contra Arianos liber unus Ad Thrasamundum ZibrillI), des traits qui les distinguent nettement des ouvrages postérieurs prédominance d'expressions de couleur antiochienne, qui plus tard disparaîtront tout à fait assumftio (ou acccftio) hominis;absence d'allubions aux controverses christologiques actuellesnestorianismeet monoph} sisme. La dernière section, consacrée à la science du Christ, présente un très spécial intérêt: là encore l'auteur note uneévolution. A ses débuts, Fulgence paraît se rencontrer avec les. Antiochiens pour faire la paît d'une certaine ignorance dans le Christ; plus tard il y renonce complètement, pour s'attacher plus étroitement à la thèse augustinienne. M. Nisters note chez Fulgence l'alliance d'une pensée très traditionnelle, pénétrée d'Écriture sainte, avec un don littéraire éminent que sert une langue précise enfin un sens théologique très sûr, qui parut notamment dans la réponse faite, au nom de l'épiscopat africain, à la consultation des moines scythes. Nous ne clorons pas ce chapitre sans saluer la mémoire d'un éminent connaisseur de saint Augustin, disparu ya peu de jours. Après une vie féconde pour l'Église, Mgr Joseph Mausbach mourait le 3i janvier ia3i. Dans son œuvre littéraire très considérable, il faut relever surtout les deux volumes sur l'Ethique de saint Augustin parus à Fribourg-en-Breisgau en igog, réédités en 1929; et le volume publié cette année même en collaboration avec Mgr GrabAurelius Augustinus. Hommage de la Gdrresgesellschaft, à mann l'occasion du quinzième centenaire. Les pages émues publiées par le Dr Georg Schreiber au lendemain de cette mort témoignent du grand vide qu'elle a creusé.

il

II.

Les Pères

Misucii FELICIS Octavius. Recensuit Dr Josefus Martin, in Univer-

sitate Wirceburgensi Professor extraordinarius. Bonnae, P. Hanstein, 1930, in-8, 86 pages. Prix 3 R. M. (Florilegium Patristicum,

fasc. 8). Chanoine L. BAYARD, Professeur à l'Université catholique de Lille, Tertullien et saint Cyprien. Paris, Gabalda, 1930, in-12, 295 pages (Les Moralistes chrétiens). De Orosio et sancto Aitgustino Priscillianistarum adversariis Commentatio historica et philologica. Specimen litterarium inaugurale pro gradu doctoratus in Universitate Carolina Noviomagensi (submittebat) J. A. Davids. Hagae Comitis, 1930, in-8, 3oi pages. Hellénisme et Christianisme. Saint Grégoire de Nazianze et son temps, par E. Fi.eury, docteur ès lettres, Professeur aux Facultés catholiques de l'Ouest. Paris, Beauchesne, 1930, in-8, Xll-383 pages. Nestorius (E. Amann). Eglise nestorienne (E. Tisserant). Articles du Dictionnaire de Théologie catholique, 1930. Dr theol. Klaudius Jussen, Die dogmatiseken Anschauungen des Hesychius von Jérusalem. I Teil Theologische Erkenntnislehre und Christologie. Münster i. W., Aschendorff, iç3i, in-8 vn-184 pages. Prix 9,80 R. M. (Münsterische Beitrage zur Théologie, 17). F. Nau, Quelques nouveaux textes grecs de Sévère d'Antioche, à l'occasion d'une récente publication. Revue de l'Orient chrétien, 38 série, t. VII (1929-1930), pages 3-3o. Dr Karl HANSMANN, Ein neue1ttdeckter Kommentar sum fohannes Evangelium. Untersuchungen und Text. Paderborn, Schoningh, 1930, in-8, 322 pages. Prix 16 R. M. (Forschungen Ehrhard-Kirsch, 16, 4-5). Les idées politico-religieuses d'un évêque du neuvième siècle. Jonas d'Orléans et son « De institutions regia n. Étude et texte critique par Jean REVIRON, docteur en théologie. Paris, Vrin, ig3o, in-8, 199 pages. (Thèse de l'Institut catholique de Paris. Collection: L'Eglise et l'État au Moyen âge, dir. H. X. Arquillière).

La question, toujours pendante, de la priorité entre Tertullien et Minucius Felix est reprise par le Dr Josef Martin, de Wurzbourg, à l'aide d'un critère nouveau. Ce critère est la relation de VApologeticum d'une part, de l'Octavius de l'autre, avec le Quod idola dit non sint, couramment attribué à saint Cyprien. Tenant cette dernière attribution pour acquise, l'auteur observe en un certain nombre de passages que le Quod idola est plus voisin de VApologeticum que l'Octavius. Il en conclut que l'Octavius procède de l'Apologeticum à travers le Quod idola; que conséquemment il est postérieur au Quod idola; et donc Minucius Felix écrivit non seulement après Tertullien, mais après saint Cyprien. L'argumentation est intéressante) je n'oserais la dire décisive. D'abord elle suppose acquis ce que tout le monde n'accordera pas sans difficulté l'authenticité cyprianique du Quod idola. De plus,

je ne vois pas qu'elle supprime la nécessité d'un contact direct entre V Apologeticum et VOctavitis. Choisissons un exemple entre ceux qu'a réunis M. Josef Martin. Apolog., 26, i sq. Videtur igitur, ne illa regna dispenset. ne ille vices dominationum ipsis temporibus in saeculo ordinavit. regnaverunt et Babylonii antepontifices et Medi ante XV viros et Aegyptii ante Salios et Asyrii ante Lupercos et Amazones ante virgines

Idol., 5. Octav., 25, 12. R egna autem non Et tamen ante eos merito accidunt, sed dispensante diu regna sorte variantur. Cete- tenuerunt Asyrii Medi rum imperium ante Persae Graeci etiam tenuerunt Syri et Per- et Aegyptii, cum Ponet Graecos et Ae- tifices et Arvales et gyptios regnasse co- Salios et Vestales et gnovimus.ita vicibus Augures, non habepotestatum Romanis rent. quoque ut ceteris imperandi tempus obvenit.

sac

Vestales.

La comparaison de ces textes montre immédiatement, dans la première et la troisième colonne, des traits communs, dont la rencontre ne peut être fortuite, et qui pourtant n'ont point passé de l'une à l'autre colonne en traversant la deuxième colonne, car ils n'y figurent pas. C'est d'abord ce dispensare. regna, très caractéristique puis le déploiement d'érudition relatif aux sacerdoces du paganisme romain. Donc on n'échappe pas, ce me semble, à la nécessité d'un contact direct entre 1' Apologeticum et l'Octavius. Reste à savoir qui, des deux auteurs, s'est inspiré de l'autre. M. Josef Martin démontre rigoureusement, à mon sens, le fait d'un contact direct entre le Quod idola et l'Octavius; mais les textes qu'il produit s'expliquent aussi bien si le Quod idola procède de VOctavius, que si VOctavius procède du Quod idola. Et qui empêche de supposer que l'Octavius est à la base de tout le développement? J'avoue ne pas le bien voir. Donc la possibilité que l'Octavias ait servi de base à l'auteur de l' Apologeticum et qu'ensuite les deux écrits aient été utilisés par le compilateur du Quod idola ne me semble pas exclue. Le volume sur Tertullien et saint Cyprien, donné par M. le chanoine Bayard à la Bibliothèque des Moralistes chrétiens, est tel que le promettaient la science de l'auteur et sa longue familiarité avec le texte des deux Africains. Une introduction sobre, des extraits judicieusement choisis, parfois reliés par un bref sommaire, et rangés sous trois chefs I. La vie chrétienne et la vie païenne: II. Les devoirs du chrétien III. Devoirs particuliers et certaines catégories de personnes; une traduction fidèle et limpide; trois index: textes de Tertullien

et de saint Cyprien, index alphabétique, table analytique des chapitres. Ensemble parfaitement conçu et achevé. La secte priscillianiste, après avoir troublé durant deux sièclesl'Église d'Espagne par un ascétisme intempérant et des dogmes ruineux, disparaît de l'histoire au Concile de Braga (563), laissant derrière elle un souvenir semblable à un mauvais rêve. Une documentation assez pauvre et fragmentaire ne permit, durant longtemps, de dessiner qu'assez vaguement le caractère de l'hérésie et la silhouette de l:hérésiarque. La découverte de onze traités priscillianistes, conservés dans un manuscrit de Wurtzbourg et publiés en 1889 par Georges Schepss, ramena l'attention sur le mouvement priscillianiste; mais les espérances qu'elle avait fait naître furent suivies d'une réelle déception, telle était la bizarreiie et l'obscurité de ces documents. Cependant d'autres découvertes vinrent grossii le dossier du priscillianisme, et les travaux de valeur ne manquèrent pas, parmi lesquels il faut rappeler les Antipriscilliana de Kuenstle (Fribourg en Br., 1906). En 1909, dans une thèse de Sorbonne, Ch. Babut reprenait toute la question priscillienne, et concluait à une réhabilitation complète de Priscillien. Ce travail considérable et méritoire, mais paradoxal et fragile, nous valut, par contrecoup, les répliques très solides de M. Monceaux (1911) et de M. Puech (1912). Le verdict de l'histoire objective paraît désormais fixé tout en déplorant avec un saint Martin, avec ..n saint Ambroise, avec un Sulpice Sévère, la sentence politique rendue à Trèves (385) contre Priscillien et ses disciples, tout en flétrissant la mémoire de l'usurpateur Maxime qui l'a dictée, on doit dire que l'Église catholique ne pouvait reconnaître sa tradition authentique dans l'enseignement de la secte qui prétendait monopoliser l'ascétisme chrétien et imposer la formule du dogme. Au cours de ces dernières années, un seul fait réellement nouveau s'est produit dans l'histoire du mouvement priscillien c'est l'intervention de Dom G. Morin qui, s'attachant au premier des traités de Wurtzbourg, y reconnut le plaidoyer présenté pour la secte au concile de Bordeaux en -385 par l'évêque Instantius, lieutenant de Priscillien. Par ailleurs, la marque de la même main dans les onze traités est indéniable dès lors, c'est tout le bloc dont la propriété devait être déniée à Priscillien pour être restituée à Instantius. La revendication (1910) apparut généralement décisive; dès lors, la question priscillienne se présente sous un nouveau jour. Telle est encore la conclusion de M. J. A. Davids qui, dans une thèse écrite en latin pour l'Université de Nimègue, d'un point de vue volontairement restreint, mais bien choisi, a renouvelé toute l'étude du mouvement. Un premier chapitre en expose l'histoire, un.

deuxième la doctrine un troisième s'attache au Commonitonum écrit par Orose pour saint Augustin; un quatrième à la réponse qu'y fit l'évêque d'Hippone. La thèse de M. Davids me paraît un modèle d'enquête exhaustive et judicieuse. L'auteur possède à fond la littérature du sujet, et l'apprécie avec une entière équité. Sans vouloir aggraver les charges qui pèsent sur la mémoire de Priscillien, il établit, par une discussion très solide et très nuancée, le bien-fondé des griefs de gnosticisme et de manichéisme, énoncés contre Priscillien par des contemporains tels que Philastre et Sulpice Sévère, repris par un juge tel que saint Augustin, qui souligne encore la parenté du priscillianisme avec le moins bon origénisme. La cause ne saurait être instruite avec plus de modération et de prudence. L'auteur avoue s'être d'abord senti incliner par le plaidoyer chaleureux de Babut, et puis avoir cédé à la force des raisons contraires. S'il est excessif de voir dans Priscillien un héritier de l'ancienne gnose, il n'est que juste de prendre acte des accusations de gnosticisme et de manichéisme formulées dès le quatrième et le cinquième siècle, et corroborées par trop d'indices. La tradition garde tous ses droits. Un seul détail m'a surpris dans la thèse de M. Davids. Parmi les sectes hétérodoxes copieusement anathématisées par Instantius, qui espérait ainsi se blanchir, figure la secte novatienne, à qui Instantius reproche ses repetita baptismata. M. Davids (p. no) s'étonne de ce reproche, qui ne lui semble pas répondre aux positions dogmatiques des Novatiens. La chose est pourtant bien claire, et il n'avait pas lieu de s'étonner. Dès ses origines, la secte novatienne affecta de réitérer le baptême conféré par les catholiques, comme en témoigne une abondante littérature depuis saint Cyprien; elle conserva cette attitude au cours du quatrième siècle. Les Priscillianistes les en blâmaient violemment, et espéraient par là se justifier aux yeux des catholiques en quoi ils se trompaient, car les catholiques leur demandaient des explications nécessaires sur leur propre doctrine, non des anathèmes contre autrui. Mais le grief articulé par Instantius devant le Concile de Bordeaux n'offre rien d'énigmatique. Le livre de M. E. Fleury sur Saint Grégoire de Naeianze et son temps n'est pas un livre de théologie ni un livre d'édification. C'est un livre de psychologie et d'histoire, très bien informé, agréablement écrit. Plutôt dur à saint Grégoire, et assez souvent discutable. Au demeurant, d'une lecture fort amusante. Le quinzième centenaire du concile d'Éphèse coïncide avec l'apparition, dans le Dictionnaire de Théologie catholique, de deux importants articles sur Nestonus et sur/' Église Nestorienne. Tous deux rendront de précieux services. Mais le premier, dû à M. l'abbé E. Amann,

appelle, à notre avis, de sérieuses réserves, du double point de vue de la théologie et de l'histoire. La générosité envers la personne de Nestorius y passe quelquefois les bornes, aux dépens des égards dus au magistère de l'Église. Le deuxième article a pour auteur principal Mgr Tisserant, conservateur des manuscrits orientaux à la Bibliothèque Vaticane. Nous sommes à l'aise pour louer sans arrièrepensée l'œuvre personnelle de Mgr Tisserant. Hésychius de Jérusalem, moine et exégète durant la première moitié du cinquième siècle, n'a pas encore trouvé d'historien, peutêtre parce que la bonne volonté a reculé devant l'état d'une tradition littéraire fragmentaire et flottante. Largement débrouillée de nos jours par le Dr (aujourd'hui cardinal) M. Faulhaber, par Mgr Giovanni Mercati, par le slavisant V. Jagic, par l'arménisant méchitariste C. Tscherakian, par le P. A. Vaccari S. J. et l'abbé R. Devreesse, cette tradition littéraire appelle une synthèse. M. Kl. Jiissen nous la promet, et les prémices qu'il nous donne aujourd'hui font bien augurer de l'œuvre entière. En deux chapitres d'introduction, l'auteur. s'oriente dans la biographie d'Hésychius et dans le triage des oeuvres authentiques. Nous reproduirons sans commentaire les conclusions de sa consciencieuse enquête, p. 46-47 · Commentaire sur le Lévitique, PG., 10 Œuvres authentiques. XCIII, 787-1180; Commentaire sur Job, ed. Tscherakian, Venise, ioi3; Gloses sur Isaie, ed. Faulhaber, Freiburg i. B., igoo; Gloses sur les petits Prophètes; Gloses sur les Psaumes, PG., XXVII, 649-1344; Commentaire sur les Psaumes, PG., XCIII, 1179-1340 et LV, 711Commentaire des cantiques de l'A. T., ed. Jagic, Vienne, 1^7; 784 Fragments sur Daniel et sur S. Jacques, PC, XCIII Homélies mariales, PG., XCIII, 1453-1478; Fragment historique sur Théodore de Mopsueste, PG., XCII, 948 B et LXXXVI, io3i D. 2° Œuvres controversées. -Commentaire anonyme sur les Psaumes, ed. Jagic, Vienne, 1917; 2uvay<»yji dbcopitôv xoù Wasuiv. PG., XCIII, 1391-1448. Chapitres sur les petits prophètes et 3° Œuvres apocryphes. Isaïe, PG., XCIII, 1345-1386; Ilepi virtyewç xai àprc^ç, PG., XCIII, 1479- 1544; Martyre de S. Longin, PG., XCIII, 1545-r56o; Éloge de S. Procope, Perse; Homélie de Sévère d'Antioche, PG., XCIII, 1452 D; Fragment dû à Hesychius de Milet, PC, XCIII, 1449 AB. La première partie de l'ouvrage (p. 48-82) met en lumière les carac-

tères généraux de l'œuvre théologique d'Hésychius. Par le caractère allégorique de son exégèse, il se range nettement à la suite des Alexandrins et s'oppose aux Antiochiens. Telle chaîne parvenue jusqu'à nous présente Hésychius et Théodoret comme les deux.

types bien tranchés de deux exégèses rivales et ce rapprochement, à lui seul, montre en quelle estime on tenait Hésychius. Notons toutefois que, par son indifférence complète à l'égard de la tradition philosophique, il s'écarte de la voie ouverte par Clément et Origène. La deuxième partie (p. 83-184), beaucoup plus considérable, situe Hésychius dans les controverses christologiques de son temps. Ici encore, il apparaît disciple des Alexandrins, et l'on peut tenir pour certain que, lors du conflit éphésien, il n'inclina nullement au sens de Nestorius. Très ferme sur la distinction des natures, il marque avec plus d'énergie encore l'unité de la personne du Christ, et ne montre pas de goût pour les expressions plus ou moins ambiguës dont le nestorianisme put se faire une arme, telles que xuputxà; avOpwrcot et autres semblables. Les lignes suivantes du Commentaire sur le Ps. XCII marquent bien l'orientation de cette christologie, PC, LV, T0 IvSûsaoOai

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14S.3-

1468.

Poursuivant, avec le soin que l'on sait, la publication des Homiliae cathédrales de Sévère d'Antioche d'après la version syriaque, M. l'abbé M. Brière vient de donner à la Patrologie Orientale les Homélies 78 à

83.

Cette publication a été pour M. l'abbé F. Nau l'occasion de recherches, patientes à travers les mss. grecs de la Bibliothèque Nationale. Ces recherches nous valent la mise au jour d'assez nombreux fragments qui accroissent, dans une proportion très notable, l'héritage grec de Sévère. Plusieurs de ces fragments demeuraient enfouis dans les chaînes; d'autres avaient vu le jour sous divers noms, notamment sous ceux de Syméon Métaphraste et de saint Cyrille d'Alexandrie. Les acquisitions les plus notables concernent l'homélie 89, sur « l'homme qui allait de Jérusalem à Jéricho et qui est tombé entre les mains des voleurs »; et l'homélie 94: « A ceux qui furent perplexes quand on lut le chapitre de l'évangile de saint Matthieu sur la généalogie et la venue dans la chair de Notre Seigneur, Dieu et Sauveur, Jésus-Christ. » On peut désormais, grâce à M. Nau, lire dans le grec original à peu près la moitié de ces deux homélies. Un manuscrit grec du dixième siècle, acheté en 1837 par lord Curzon au monastère Caracalla de l'Athos, légué en 1917 au British Museum où il figure sous la cote Add. Ms. 39605, a servi de base à une publication faite en 1930 par le Dr Karl Hansmann à Pader-

born. A la première page du manuscrit, un lecteur du quinzième ou du seizième siècle avait mis cette note rpr^opîou NÚ!rOT¡ç aayop.sv~ Qtoyvuxsia. L'éditeur du vingtième siècle intitule sa publication Un commentaire récemment découvert de l'Évangile joannique. Disons tout de suite que ni l'un ni l'autre de ces titres ne nous renseigne exactement. L'attribution à saint Grégoire de Nysse doit être immédiatement écartée pour s'en convaincre, il suffit de parcourir l'Index nominum, où figurent divers hérétiques postérieurs au quatrième siècle Nestoriens, Agnoïtes, Monothélites, Iconomaques. Il faut d'emblée descendre jusqu'au huitième siècle. Pour ce qui concerne le prétendu Commentaire sur saint Jean, c'est une manière de parler. En réalité, nous avons là le texte, plus ou moins mutilé, de neuf homélies, sur des textes disséminés dans le quatrième évangile et ailleurs. Hom. I, sur Io., I, 1-9; Hom. II, sur Io., I, ii-i3; Hom. III, sur Ia.1, 14; Hom. IV, sur/c, III, 28-3o; Hom. V, sur Io., VIII, 3i-36; Hom. VI, sur Io., XIV, 7-11; Hom. VII, sur Io., XV, 18; (l'hom. VIII manque); Hom. IX, sur Mt., XI, 27; Hom. X, sur Mt., XIX, 12. On n'a donc pas là un commentaire suivi, ni du seul saint Jean. Quant au travail de l'éditeur M. Hansmann, il est admirable, de soin et de correction. Une introduction de quatre-vingts pages satisfait, dans la mesure possible, la curiosité du lecteur. L'anonymat du pseudo-Grégoire de Nysse n'est pas levé. Mais les allusions historiques répandues dans les Homélies V et VII visent une situation très particulière et suggèrent une date précise. L'Église byzantine est livrée à des évêques courtisans, indulgents aux scandales impériaux et traîtres à la morale chrétienne. La correspondance de saint Théodore Studite, sous l'empereur Nicéphore et le patriarche du même nom, offre des coïncidences remarquables avec les homélies du pseudo-Grégoire. On peut les dater des années 809-811. Cette publication honore grandement les presses de Schoningh.

Notable représentant de la renaissance carolingienne, évêque dévoué à l'empereur Louis le pieux, Jonas d'Orléans, durant un épiscopat de presque vingt-cinq ans (818-843), exerça une influence pacifiante et édifiante, dont témoigne notamment son traité De institutions regia. Les conseils que Jonas donne à Pépin roi d'Aquitaine, pour le ramener au respect envers son père et empereur et au soin de son propre salut, n'ont rien de très original, mais sont hautement représentatifs d'une société où les doctrines théocratiques du moyen âge commençaient de s'élaborer. A ce titre il mérite de retenir l'attention. Après le De via regia dûàSmaragde (dernières années de Charlemagne), après le De ardine palatii dû à Adalhard (vers 83o), probablement avant le De tomfaratione regiminis ecclesiastici et politici dû à

-Agobard (833), il marque un stade non négligeable. M. l'abbé Reviron date l'opuscule de l'année 83i. Il a donné tous ses soins à une édition critique, incomparablement plus commode que celle insérée au tome CVI de la Patrologie latine; il l'a munie d'une introduction qui éclaire toute la vie et l'oeuvre de Jonas. Cette thèse doctorale, présentée à la Faculté de théologie de l'Institut catholique de Paris, ne mérite que des éloges.

III.

Les Scolastiques

Doctoris irrefragabilis ALEXANDRI DE HALES Ordinis Minorum Summa Theologica. Studio et cura PP. Collegii S. Bonaventurae ad fidem codicum edita. Tome III. Secunda pars Secundi Libri. Ad Claras Aquas, Floreotiae, 1930, in-fol., LX-8'io pages. Amato MASNOVO, Da Gugltelmo d'Auvergne a s an Tomaso d'Aquino. Volume I. Guglielmo d'Auvergne e l'ascesa verso Dio. Milano,« Vita Università (fubblicazioni délia Pensiero ig3o, in-8, vm-283 pages. e », del Sacro Cuore, 16). Saint THOMAS d'Aquin, La Somme Théologique. Édition de la Revue des Jeunes. (RR. PP. R. Malard, J. Webert, R. Bernard, A. B. Boulanger, M. Misserey). Dr Martin GRABMANN, O. Professor an der Universitât, München, Die Werhe des hl. Thomas von Aquin. Eine literaThistorische Untersuchung und Einfuhrung, 2to vollig neugearbeitete und vermehrte Auflage. Münster i. W., Aschendorff, 1931, 8°, XVI-372 pages. Prix 19,40 R. M. (Beitrâge, 22,1.2). The desire of God inthe Philoso~hyof Tlaotnas Aquinas, by James'E. O' MAHONY, O. S. F. C., M. A., Ph. D., agrégé en philosophie à l'Université catholique de Louvain. Cork University Press, 1929, in-S, XXVI-2Ô3 pages. AEGIDII Romani Theoremata de esse et essentia. Texte précédé d'une introduction historique et critique, par Edgar Hocedez, S. J. Louvain, 1930, Xiv-(iz7)-i89 pages. (Muséum Lessianum, section philosophique, 12). Der Liber firoftugnatorius des Thomas Anglicus und die Lehruttterschiede zwischen Thomas von Aquin und Duns Scolus. 11. Teil Die trinitarischen Lehrdiffereazen. Von Dr Michael SCHMAUS, Professor an der deutschen Universitât in Prag. Munster i. W., Aschendorff, 1930, XXVIII-666-334 pages et 3 planches. Prix: 45, 5o R. M. (Beitrage zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters, 29). Raymond M. Martin, O. P., maître en théologie, la Controverse sur le Péché originel au début du quatorzième siècle. Textes inédits. Louvain, 1930, in-8, xvi-428 pages. (Spicilegium Sacrum Lovaniense, 10). Dr Josef Santeler, S. J., Der Kausale Gàttesbeweis bei Herveus Natalis, nach dem ungedruckten Traktat de cognitione primi principii. Innsbruck, Rauch, 1930, in-8, iv-92 pages.

St

Mélanges Mandonnet. Études d'histoire littéraire et doctrinale du moyen âge. Paris, Vrin, 1930, 2 vol. in-8, 5i2 et 499 pages. Prix de chaque volume j$ francs. (Bibliothèque thomiste, i3 et 14). Florilegium Patristicum tam veteris quam medii aevi auctores complectens. Ediderunt Bernhardus GEYËR et Johannes ZELLINGER. Bonnae, sumptibus Petri Hanstein. O-puscula et Textus historiam Ecclesiae eiusque vitam atque doctrinam illustrantia. Series scholastica edita curantibus M. GRABMANN et Fr. PELSTER, S. I. Fasc. 8 Durandi DE S. Porciano. Tractatus de habilibus q. 4. Ad fidem codicum mss. edd. Jos. KOCH. Monasterii i. W., Aschendorf, 1930, in-12, 80 pages. Prix t,5o R. M. Fasc. 10 Quaestio de Universali secundum viam et doctrinam Guilelmi de Ockham. Ed. M. Grabmann. 1930, 40 pages. Prix o.çS. Alfonsus Vargas Toletanus und seine theologische Lehre. Von Dr Theol. Josef KURZINGER. Munster i. W., Aschendorff, 1930, xvi23o pages. Prix: to,85 R. M. (Beitrage zur Geschichte der Phil. u. Theol. des M. A., 22,5.6). Efhemerides Theologicae LovaJ. Bittremieux. Divus Thomas nienses. Mgr CARAME. Traducteur de saint Thomas en arabe. Le tome III de édition d'Alexandre de Halès, publiée à Quaracchi, renferme la Secunda Pars Secundi Libri, et nous conduit jusqu'au milieu de la Somme Théologique. Il est dédié à saint Augustin, docteur préféré d'Alexandre, en son quinzième centenaire. Les tomes précédents ont reçu de la presse beaucoup d'éloges, tempérés par quelques desiderata. A ces desiderata, vraiment peu réfléchis, la première page du tome III apporte une réponse très pertinente. Et l'effort magnifique des vaillants éditeurs se soutient sans fléchissement. C'est une bonne fortune rare d'opérer sur un si grand nombre de manuscrits presque contemporains de l'original. Pour le présent tome, les éditeurs ont pris comme base huit de ces manuscrits, tous du treizième siècle, témoins de la tradition parisienne ou dérivés immédiatement de cette tradition. Outre ces huit manuscrits, qui se répartissent en deux familles, on nous en décrit six autres, qui ont été lus intégralement; et encore vingt-sept autres, plus ou moins constamment collationnés. Les tâches secondaires qui s'imposaient n'ont pas été négligées. Signalons en particulier le répertoire des références fausses, aux œuvres des Pères et des Scolastiques, rencontrées dans la tradition manuscrite et redressées au prix de remplit douze colonnes (p. xxxquelles recherches patientes! 1

xxx

vi).

Il

Sur l'objet de ce tome III, les dernières pages des Prolégomènes fournissent une orientation sommaire. Alexandre y traite d'abord de la morale fondamentale. L'inclination de la nature humaine vers Dieu est manifestée par l'attrait de la béatitude, qui est l'empreinte du Créateur. De ce principe tout augustinien, le docteur irréfragable tire la loi de notre ascension vers Dieu. De cette ascension, le libre arbitre est la condition essentielle. Par le péché mortel, l'homme se laisse détourner de sa fin; par le péché véniel, il se laisse, non pas détourner, mais plus ou moins distraire. Dans la question du mal, Alexandre s'attache encore à la trace d'Augustin, et combine la pensée d'Augustin avec celle de ses grands disciples Anselme et Richard de Saint-Victor. En théologien, il tire tout de l'idée du Bien identique à l'Être, et conçoit le mal comme une pure privation. Dieu est source universelle du bien le mal naît d'une défaillance du libre arbitre créé, à laquelle Dieu pourrait s'opposer, mais que, pour. des fins providentielles, il préfère permettre. Enfin on appelle notre attention sur la question des Juifs, si actuelle au moyen âge. Alexandre la traite (n. 740-748) en des pages remarquables par la justice et l'humanité. Guillaume d'Auvergne, maître de l'Université de Paris, fut appelé en 1228 au gouvernement de cette Église, qu'il exerça jusqu'à sa mort, arrivée en 1249. Les débuts de son épiscopat furent marqués par une crise universitaire, qui provoqua l'exode de nombreux écoliers et maîtres vers Toulouse, Angers, et d'autres villes. L'attitude intransigeante prise en cette circonstance par Guillaume d'Auvergne, de concert avec la reine régente Blanche de Castille, ne contribua pas précisément à résoudre la crise et valut à l'évêque un avertissement sévère du pape Grégoire IX. D'ailleurs, à cette date, Guillaume avait eu l'heureuse inspiration de donner à l'Université son premier maître dominicain. Avant sa mort, il vit arriver à Paris Thomas d'Aquin, étudiant. Par son œuvre personnelle, il fait très honorable figure dans la galerie des docteurs médiévaux. M. A. Masnovo, professeur à l'Université catholique de Milan, a marqué les traits personnels du maître dans une étude que nous prenons grand plaisir à signaler. A la date où Guillaume d'Auvergne quittait l'enseignement pour monter sur le siège épiscopal de Paris, l'aristotélisme, importé d'Espagne, essayait de pénétrer dans l'Université, mais se heurtait à de fortes barrières. Ces barrières allaient être levées, avec mesure, par l'acte pontifical de I23i, qui restreignait le pouvoir de l'évêque, ouvrait au Stagirite les portes de la Faculté des arts, mais réservait

expressément l'enseignement de la théologie. Dans l'École du treizième siècle, l'augustinisme représentait la tradition, l'aristotélisme représentait la nouveauté. Les premiers maîtres dominicains, tel Roland de Crémone, ne lui étaient pas favorables. Guillaume d'Auvergne lui aussi, dans son enseignement, s'était tenu sur la réserve; et il continua de s'y tenir, dans le gouvernement de son Église. M. Masnovo rend très vivante, à nos yeux, cette époque dont l'œuvre doctrinale de Guillaume d'Auvergne permet une vue cavalière. Il nous montre le docteur parisien étranger d'une part à l'intempérance ontologique d'un saint Anselme et au réalisme exagéré d'un Guillaume de Champeaux; étranger d'autre part à l'innéisme conceptuel qui a laissé des traces dans l'œuvre d'un Alexandre de Halès, et à l'éclectisme de son homonyme Guillaume d'Auxerre. Il nous le montre d'ailleurs plein d'estime pour l'aristotélisme soit pour l'aristotélisme latin d'un Boèce, soit pour l'aristotélisme juif ou arabe d'un Maimonide ou d'un Avicenne mais faisant passer ces données suspectes au crible de sa raison, et n'empruntant rien qu'à bon escient. Épris de spéculation à l'égal de saint Anselme, il se tient en garde contre tous les mirages. Au point de départ de sa doctrine sur Dieu, il place la notion de l'Être par essence, seul nécessaire, postulé par tous les êtres contingents et il inaugure dans l'École la distinction réelle d'essence et d'existence en l'être créé, destinée à un si grand avenir. Cependant il laisse en quarantaine telle thèse aristotélicienne, comme l'unité de forme substantielle dans les composés que nous offre la nature pour forcer les portes de l'École, cette idée hardie attendra l'initiative géniale du jeune Thomas d'Aquin. Guillaume d'Auvergne n'est qu'un précurseur; mais dans cette génération féconde en grands hommes, on serait en peine d'en nommer un plus grand. Le livre de M. Masnovo appelle quelquefois la discussion; mais il suscite d'abord la réflexion et lui offre un aliment savoureux. L'édition nouvelle de la Somme 'Ihêologique, publiée par une équipe de théologiens dominicains, progresse avec une régularité dont il faut grandement se réjouir. Le R. P. R. Mulard, O. P., présente en termes lumineux le commentaire classique des questions de saint Thomas sur la grâce, la IIac q. 109-114, selon l'école dominicaine. Au cours de cette exposition, il a cru opportun de me mettre en cause, p. 3o6. Par là il me fait un devoir de déclarer que je crois, autant qu'homme du monde, à la vérité de ces paroles « Saint Thomas juge. que l'idée d'une prédétermination divine n'est à écarter qu'au cas où on regarderait cette prédétermination comme nécessitante. » D'ailleurs,

vraisemblablement, personne au monde n'en doute. Aussi ne voiton pas bien la portée d'une assertion aussi évidente. Il y aurait plus d'avantage à noter que, en fait, saint Thomas s'abstient toujours d'associer à l'idée d'une motion divine librement consentie idée qui circule à travers toute son oeuvre le nom de prédétermination qu'il écarte ce terme de l'ordre physique, et le réserve pour l'ordre idéal. Ce point de fait est facile à vérifier je l'ai vérifié ailleurs. Il s'impose aux maîtres dominicains eux-mêmes, quand ils échappent à l'empire de toute préoccupation d'école, pour se laisser faire simplement, par le texte du saint docteur. C'est que l'idée de détermination est formellement exclusive de toute indétermination et de tout flottement possible. Et de là suit que, pour lancer, au seizième siècle, l'idée, réellement inédite, d'une prédétermination physique non nécessitante, il a fallu pratiquer une brèche dans l'authentique tradition thomiste. Le point de lexicographie auquel nous venons de faire allusion se retrouve partout; ainsi dans les développements qui rapprochenr et opposent détermination et motion. Un exemple entre mille. I" q. 62 a. -9, il s'agit de la motion divine qui porte les prédestinés au degré de béatitude marqué par Dieu. In uno quoqut moin motoris inteutio fertitr in aliqind determinatum, ad quod mobile ferducere intendit. Le degré de béatitude visé par Dieu est affaire de détermination idéale; la trajectoire de l'âme est affaire de motion efficace, et l'on sait de reste que la motion efficace n'est pas, de soi, nécessitante. Mais on se gardera de faire enjamber la détermination sur la motion. Les raisons métaphysiques de l'une et de l'autre sont distinctes, comme les points d'application. Ne rouvrons pas un débat épuisé. On doit au R. P. J. Wébert, dans la même collection, le traité de la Pensée humaine (Ia q. 84-89) au R. P. B. Bernard le traité du Péché (la IIM q. 71-78).

Le traité des Sacrements est amorcé heureusement par le R. P. A. B. Boulanger, qui nous donne Baptême et Conftrmation; par le R. P. L. Misserey, qui nous donne Mariage. Ces volumes, d'une précision lumineuse, donnent une impression extrêmement bienfaisante solidité, honnêteté, sobriété. La merveilleuse activité de Mgr M. Grabmann nous vaut, sur les œuvres de saint Thomas d'Aquin, une synthèse au courant des dernières recherches critiques. Reprenant un mémoire substantiel par lui publié en 1920, l'éminent maître se complète et, au besoin, se corrige avec une candeur scientifique très persuasive. L'édition nouvelle s'est accrue de cent pages. Dans le chapitre d'introduction, nous relevons un hommage à

Capreolus. Princeps Thomistarum, ancêtre toujours bon à écouter, car son avis a du poids non seulement quant à l'exégèse thomiste, mais dans les questions d'attribution littéraire. Le chapitre H (p. 53-n5) passe en revue les plus anciens catalogues des œuvres de saint Thomas, et d'abord le catalogue dressé par Barthélemy de Capoue lors du procès de canonisation et assez communément désigné de nos jours comme « catalogue officiel ». On sait l'importance prépondérante attachée à ce catalogue par le R. P. Mandonnet, Des écrits authentiques de saint Thomas d'Aquin (Fribourg, 1910). Mgr Grabmann a formulé à cet égard des réserves; il les renouvelle à l'occasion du mémoire pénétrant et précis publié par le R. P. S\nave dans les Archives d'histoire doctrinale et littéraire dit moyen âge (1928, p. 25-104). Mgr Grabmann ne demande qu'à faire Sienne la conclusion de ce dernier mémoire « Le catalogue officiel primitif constitue une preuve de premier ordre en faveur de l'authenticité des écrits qu'il mentionne. Mais ce serait à nos yeux se leurrer que de lui donner une valeur absolue cette valeur, hors de pair, n'est ni exhaustive, ni exclusive. » Néanmoins, il hésite à voir dans ce document hors pair la conclusion pure et simple d'une enquête dominicaine faite vers l'année 1279 sur les exemplaires parisiens. Trois autres catalogues remontant au quatorzième siècle, deux de Prague, l'autre du Vatican, sont l'objet d'un examen attentif. Le chapitre m (p. 116-240) étudie minutieusement la tradition manuscrite des opuscules de saint Thomas durant les treizième et quatorzième siècles. Le chapitre IV (p. 241-361) dresse le catalogue des œuvres authentiques du Docteur Angélique commentaires bibliques, commentaires aristotéliciens, grands ouvrages systématiques, opuscules, sermons, divers. Un appendice de quinze pages énumère les apocryphes. Dans ce dernier chapitre, où l'auteur évite de majorer les certitudes acquises et multiplie les appels à des recherches ultérieures, nous relèverons deux détails. On rencontre parmi les Quaestiones disfutaiae, p. 276-281, la célèbre Quaestio de unione Verbi incarnati, dont l'authenticité, souvent révoquée en doute, semble avoir été définitivement établie par le R. P. Pelster. En prenant acte de cette certitude nouvelle, Mgr Grabmann se garde bien d'accueillir une conjecture qui n'en est à aucun degré solidaire, et que le critère interne suffisait à déconseiller c'est qu'on aurait, dans cette question, le dernier mot de saint Thomas sur un point très débattu, dernier mot postérieur même à la IIIa de la Somme. D'après l'enquête paléographique de Mgr Grabmann, on peut fixer avec une

grande précision le lieu d'origine et le temps de cette question Viterbe, 1268. L'Office du Saint Sacrement est signalé p. 3i7-32i, et son attribution à saint Thomas ne fait aucun doute. Mais l'hymne si pieuse Adoro te, qui n'appartient pas à cet Office, mérite une étude à part. Tout récemment, Dom Wilmart s\ appliquait avec une science admirable et, sans vouloir conclure, laissait voir que l'authenticité lui paraissait douteuse. Mgr Grabmann hésite aussi, mais demeure attaché à la tradition manuscrite qui, dès le quatorzième siècle, revendique l'Adoro te pour saint Thomas. Très distingué, l'Essai sur Le désir de Dieu dans la philosophie de saint Thomas d'Aquin, présenté à l'Université de Louvain comme thèse d'agrégation par le R. P. J. E. O'Mahony, O. S. F. C. Le sujet n'est pas neuf, mais les efforts de l'exégèse depuis plus de quatre siècles ne l'ont pas tant éclaircil que compliqué. L'effort du R. P. O'Mahony marque un pas décisif vers la lumière. On sait qu'en diverses parties de ses ouvrages, très particulièrement au IIIe livre ConUa Gentes, saint Thomas revendique pour l'âme humaine un désir naturel de la vision béatifique. On sait aussi le scandale éprouvé par de nombreux lecteurs devant une affirmation qui paraissait méconnaître la disproportion essentielle de la nature et de la surnature. On sait enfin combien de penseurs s'efforcèrent d'atténuer le scandale, en biaisant plus ou moins avec les énoncés de saint Thomas. L'auteur ne renouvelle point ces tentatives. Il accepte les énoncés de saint Thomas selon leur pleine et claire teneur, et il observe que d'autres énoncés paraissent les contredire très directement. De cette apparence, il se gardera bien de conclure à une contradiction interne dans la pensée du saint docteur; mais il conclut à l'existence d'un problème très délicat, dont la solution exige une lecture pénétrante des textes. A cette lecture, il a donné tous ses soins. Si l'on a souvent pris ombrage du désir naturel de la vision béatifique, c'est qu'on imaginait une sorte de continuité entre le désir de la nature et les actes par lequel il peut être donné à l'homme de tendre vers ce but surnaturel. La thèse du P. O'Mahony dissipe la chimère de cette continuité. Elle montre d'ailleurs, dans l'aspiration profonde de la nature, l'indice non équivoque d'un dessein providentiel, et le gage d'une intervention divine qui opérera le raccord. Parmi ceux qui ont contribué à l'éclaircir, nous nous plaisons à rappeler le P. Guy de Broglie, Recherches, années 1924-1925 Revue de Philosophie, 1924;Archives de Philosophie, 1925, et aussi le P. M. D. Roland-Gosselin, Béatitude et Désir naturel, dans Revue des Sciences philosophiques et théologiques, 1929, p. 193-222. 1.

Entre l'aspiration vers Dieu fin surnaturelle, et l'effort de la nature, l'antinomie est manifeste on l'a maintes fois soulignée dans le texte de saint Thomas, et pour la résoudre on s'est avisé de sacrifier l'un des deux termes, d'atténuer lesexpressions du Docteur angélique, pour les accorder dans une conception hybride, qui ne sacrifierait ni la nature à la grâce ni la grâce à la nature. Telle n'est pas la solution de l'auteur il estime que les deux lignes de pensée thomiste, essentiellement distinctes, doivent être maintenues intégralement l'une et l'autre, au sens le plus rigoureux et le plus formel. L'accord est à ce prix; la rigueur même dissipe un, scandale qui naîtrait de la confusion des idées. 11 nous adresse particulièrement à la Ia q. 62, intitulée De perfectione angelontm in esse gratiae et gloriae, et nous fait observer la distinction parfaitement nette de deux fins proposées à la nature raisonnable; fins dûment hiérarchisées. Fin prochaine, proportionnée à Teffort de la nature; et fin suprême, répondant à l'intention de Dieu, auteur de la nature. L'effort présent de la nature raisonnable tend immédiatement vers des biens finis; mais il ne saurait aboutir à la pleine satisfaction de la nature raisonnable, incapable de se reposer en rien de fini. Cet effort, plus ou moins dispersé, plus ou moins hésitant, traduit un élan plus proiond, qui est l'élan de la nature vers le seul Bien capable de procurer son repos vers Dieu même, centre de gravité de toute la création, et d'abord de toutes les créatures raisonnables tout effort vers un bien fini est fonction d'un élan mystérieux vers la perfection de la nature raisonnable il implique et exprime à sa manière cet élan, qui est le fond même de la nature raisonnable; et c'est le privilège redoutable de la nature raisonnable de pouvoir mal orienter son effort, de pouvoir errer dans son choix, parce qu'elle est libre. Mais son erreur même renferme un hommage implicite à la souveraineté de ce premier Être, en qui tout le créé trouve son achèvement. En disant que toute nature créée, que d'abord toute nature raisonnable gravite vers Dieu selon sa loi de nature, saint Thomas entend énoncer une vérité absolue, qui ne comporte aucune atténuation. Ce disant, il n'oublie nullement que, pour rendre cette gravitation finalement efficace, Dieu même doit intervenir. Mais si l'on veut entrer dans sa pensée, il importe de distinguer exactement les deux plans que lui-même distingue, et qui répondent aux deux fins hiérarchisées de la nature raisonnable. Le plan de l'expérience psychologique montre l'agitation perpétuelle de la nature raisonnable, impuissante à se satisfaire dans ses ébats à travers tout le créé thème fréquemment repris par saint Thomas, notamment dans le troisième livre Contra Gentes. Le plan

de l'analyse ontologique montre Dieu attirant à lui cette nature qu'il a fondée jamais contente hors de Dieu, elle aspire réellement, par tout le fond d'elle-même, à se reposer en Dieu thème diffus dans toute l'œuvre du saint Docteur. Dès lors, de deux choses l'une ou la nature raisonnable est condamnée à n'atteindre jamais sa perfection propre, ou elle l'atteindra en Dieu. La seconde hypothèse répond seule à ce que la raison nous découvre des attributs divins, et nous concturons que Dieu même intervient, par les voies qu'il a prévues, pour préparer à la nature raisonnable la perfection dont elle saura se rendre digne. Cette solution, qui ne sacrifie ni la nature ni la grâce, fait justice à la force adamantine des lormules thomistes. Nous aimons à y retrouver, beaucoup mieux expliquées, les raisons que nous opposions naguère à l'argumentation péremp-toïre du R. P. Gardeil z, et qui n'eurent pas le don de le convaincre. Sur quelques détails, le R. P. O'Mahony nous laisse des regrets nous n'approuvons pas sa sévérité pour le R. P. Bainvel (p. 146). Sa transcription des textes latins, souvent fautive, oblige à de notables rectifications. Mais la dissertation nous paraît, somme toute, magistrale nous invitons le lecteurà approfondir ce que nous avons très imparfaitement esquissé. Je saisis l'occasion de rectifier mon texte, lu trop vite, cité inexactement et glosé indûment par le R. P. Gardeil. Dans un panégyrique de saint Thomas, prononcé à l'Institut catholiqqe de Paris en 1925, et publié dans le Bulletin de cet Institut, p. 8r, j'avais dit « Il y a au fond de la nature des virtualités que la nature ne connaît pas. Le rayon X qui les décèle a été donné largementà notre docteur. » Le Révérend Père imprime « II y a au fond de la nature des virtualités que la nature ne connaît pas. Le rayon X qui les décèle a été donné largement par votrj docteur. » Les mots que je souligne sont aussi étrangers à ma pensée qu'à mon texte. Je ne les ai ni prononcés, ni imprimés, ni écrits. Ces mots ne pourraient s'entendre que d'une lumière dont le Docteur angélique serait le dispensateur. Et ils suggéreraient que, guidé par saint Thomas, on peut s'acheminer à la découverte de virtualités déposées au fond de la nature. Dans le mot virtualités, le P. Gardeil voit l'idée de tendance active vers un terme positif et déterminé. Il croit devoir s'opposer au texte qu'il me prête. C'est tâche facile. En réalitê, je n'ai parlé ni de telles virtualités ni d'une telle lumière. Le mot virtualités n'éveillait dans mon esprit d'autre idée que 2. Voir Revue Thomiste, 1926, p. 524-527.

celle du terme de l'intention divine, déposant au fond de la nature une puissance obédientielle, qu'il appartient à Dieu de réduire en acte. La seule lumière dont j'aie parlé constamment est la « lumière de la face de Dieu », selon le texte dudit panégyrique Signatum est super nos lumen vultus tut, Domine. J'ai parlé de son rayonnement dans l'âme de saint Thomas, sans insinuer autre chose. Réellement, la discussion du P. Gardeil passe à côté de mon texte. Je n'accuse pas son bon vouloir, mais j'eusse préféré qu'il me donnât acte de ma rectification. Parmi les auditeurs de saint Thomas d'Aquin, Gilles de Rome, docteur des Ermites de Saint-Augustin, a laissé le renom d'un penseur vigoureux, sinon d'un disciple toujours fidèle. Son œuvre philosophique, d'accès difficile, n'est guère lue de nos jours; ceci est particulièrement vrai des Theoremata de esse et essenlia, consacrés à la question fameuse de la distinction réelle entre l'essence et l'existence bien qu'il ait connu, paraît-il, les honneurs de trois impressions successives, la dernière en i522, l'ouvrage manque à toutes les bibliothèques. Le R. P. E. Hocedez a voulu combler cette lacune. Son édition critique, appuyée sur un examen attentif et .un classement des manuscrits, conforme dans l'ensemble au meilleur témoignage, qui est celui du manuscrit parisien Arsenal 355 (du quatorzième siècle), précédée d'une Introduction très soignée, munie d'appendices et de tables, peut être considérée comme un grand bienfait. Des recherches précises accomplies par le P. Hocedez, il résulte que les Tlieoremata virent le jour entre 1278 et 1286. A cette date. Henri de Gand venait de se déchaîner contre la doctrine de la distinction réelle. Gilles défendit cette doctrine avec persévérance, non pas simplement pour faire écho à saint Thomas, mais avec une certaine indépendance. En étudiant les rapports de la quantité à la matière et aux accidents, il croit entrevoir une solution plus complète et plus profonde du même problème. Il enseigne que dans tnut être il n'y a qu'un seul esse proprement dit. une seule et unique existence de la substance et des accidents. D'ailleurs, il distingue essence et existence comme deux choses, réifiant les concepts avec une outrance étrangère à saint Thomas. Et peut-être doit-il être en partie rendu responsable des oppositions passionnées soulevées par la réponse thomiste. Désormais chacun pourra se faire sur ce point une idée personnelle. On doit encore au P. Hocedez deux autres contributions notables à la théologie du treizième siècle, parues dans le Gregorianzim au cours de l'année 1930.

Sous ce titre Deux questions touchant la distinction réelle entre l'essence et l'existence (1. c., p. 365-366), il donne la parole à un disciple anonyme de Henri de Gand; les deux qtiaestiones (qui défendent la position contraire à Gilles de Rome) sont éditées d'après le ms. 491 de Bruges. Sous ce titie La théologie de Pierre d'Auvergne (i. c., p. 526-552), il analyse l'oeuvre (encore inédite) de ce théologien, attaché à Henri de Gand et surtout à Godefroid des Fontaines. Théologien éclectique, car si l'influence de Henri de Gand pouvait l'éloigner de saint Thomas, l'influence de Godefroid des Fontaines l'en rapprochait Nous devons nous borner à signaler ces deux mémoires substantiels et bienfaisants. Le professeur M. Schmaus qui, en 1927, étudiait dans un livre magistral le traité de saint Augustin, De Trinitate, poursuit ses travaux historiques sur le mystère le plus insondable de la foi chrétienne. Dans un volume de plus de mille pages, fruit d'un minutieux et patient effort, il s'attache aux théologiens du treizième siècle, prenant d'abord pour guide l'énigmatique Thomas Anglicus, dont il s'efforce de lever l'anonymat; mais élargissant le champ, pour faire revivre tout le mouvement des écoles. Une première partie, qui renferme les deux tiers de l'ouvrage, examine les divers aspects du mystère d'abord et surtout la trinité dans l'unité; puis, à part, la théologie de chacune des personnes divines. Le dernier tiers est la partie documentaire il nous apporte une édition critique de textes totalement ou du moins pratiquement inédits. Le geste est généreux et digne d'être proposé à l'imitation les théologiens qui ne peuvent espérer lire dans des éditions comil faudra sans plètes et définitives tous les grands scolastiques doute attendre pour cela plus d'un siècle apprécieront la libéralité de l'éditeur qui met à leur portée tous les textes les plus notables sur un point de première importance. Voici donc les auteurs mis à contribution par le professeur Schmaus Thomas de Sutton, 0. P. (f 1298). Richard Fishacre, O. P. (f 1248). Nicolas Trivet, O. P. (f i328). Jean de Naples, O. P. (f après i336). Pierre Jean Olivi, O. M. (f 1280). Guillaume de Ware, O. M. (f vers i3oo). Jean de Reading, O. M. (xive siècle).

L'auteur ne prétend pas avoir identifié avec une entière certitude

Thomas Anglicus mais en avouant un reste de scrupule, il s'enhardit à nommer Thomas de Sutton. Les dernières pages de la première partie permettent un regard d'ensemble sur les conclusions acquises. Le treizième siècle a vu s'épanouir deux synthèses trinitaires, dont l'attraction s'exerça diversement dans l'École. La synthèse thomiste procède surtout de saint Augustin et de saint Anselme; elle peut se résumer dans la formule célèbre Omnia sitnt unum, ubi 1zon obviat relationis oppositio. La synthèse bonaventurienne procède immédiatement du penseur le plus original qu'ait produit le moyen âge, Richard de Saint-Victor; elle reflète plutôt l'axiome Bonum diffusivum sui. L'une et l'autre synthèse a ses lumières et ses ombres. La synthèse thomiste, semblable à un diamant par sa solidité, par son éclat, fondant exclusivement sur les relations d'origine la distinction des personnes, sauvegarde évidemment leur essentielle unité, leur consubstantialité d'ailleurs, en faisant appel à la foi, elle laisse l'homme en face d'un m) stère impénétrable. La s}nthèse bonaventurienne, appuyée sur la fécondité essentielle du premier Étre, demande peut-être un moindre effort à l'esprit; mais le rôle prépondérant qu'elle assigne nécessairement à la personne du Père, à titre de premier principe, ne jette-t-il par quelque ombre sur la parfaite égalité des trois personnes? Entre ces deux synthèses, l'École se partagea, non pas nettement, non pas sans flux et reflux de l'une vers l'autre. Et d'abord, il est très remarquable que le grand aristotélicien du treizième siècle, saint Thomas, est, dans la doctrine de la Trinité, résolument augustinien que d'autre part saint Bonaventure,représentant de l'influence augustinienne, exploite largement, avec la pensée de Richard de Saint Victor, la tradition des Pères grecs, voire même l'héritage d'Aristote et de Platon. Rien ne montre mieux comment, dans la vie de l'École au treizième siècle, il n'y a pas de cloison étanche entre les influences rivales, mais de fréquents échanges et comme des chassés-croisés A tout prendre, la synthèse thomiste domina dans l'Ordre de saint Dominique, la synthèse bonaventurienne dans l'Ordre de saint François; mais ce partage ne fut rien moins que rigoureux, et souvent chacun prit son bien où il le trouvait. Dans ce conflit d'influences, un maître très écouté, Henri de Gand, prend une position éclectique. Plein de réminiscences franciscaines, il s'approche de saint Bonaventure en appuyant sur la fécondité du premier principe. Mais il ne laisse pas de s'ouvrir largement à la théorie psychologique de saint Augustin, en admettant que les personnes sont constituées et distinguées par les relations

d'origine. Dans son cône de lumière se meuvent Godefroid des Fontaines, Jean de Paris, Guillaume de Ware. Scot est lui-même un éclectique. De l'ancienne tradition franciscaine, il a retenu le relief propre du Père, constitué à part, antérieurement à tout rôle actif dans la procession des personnes. Mais il s'approche de saint Thomas en décrivant le Verbe divin comme une connaissance engendrée; en assignant pour racine aux processions divines une distinction entre les puissances de connaître et d'aimer. Le rôle dévolu à sa distinction formelle et objective dans la constitution des personnes divines est peut-être son trait le plus original, et non le moins discutable. M. Schmaus prend plaisir non pas tant à opposer qu'à rapprocher ces deux grandes lumières de l'École que furent saint Thomas et Duns Scot. Pour lui, Scot est le grand critique, saint Thomas le grand synthétique, et l'on sent bien que ses préférences vont à saint Thomas. Mais dans l'infirmité présente de nos esprits, il estime que nous ne saurions disposer de trop de lumières; que si la synthèse thomiste projette sur le fond du mystère un faisceau de splendeur incomparable, les suggestions scotistes nous aident à fouiller certains coins d'ombre; et que nous devons savoir gré à la divine Providence de ces multiples secours ménagés à notre faiblesse. Le R. P. Raymond Martin, O. P., nous avertit que son volume touchant La Conzroverse sur le péché originel au début du quatorzième siècle ne constitue pas une étude, mais une édition de textes, pour une grande part inédits. Mais quel heureux choix de textes, et quelle splendide édition Trois noms sont au premier plan Henri de Gand, Durand de Saint-Pourçain, Hervé de Nédellec; mais plusieurs autres interviennent dans cette galerie Robert de Colletorto, Pierre de la Palu, Jacques de Metz, Jacques de Lausanne, Jean de Naples, sans compter les anonymes. Tout concourt à l'illustration d'un point critique dans le mouvement doctrinal de ce premier quart du quatorzième siècle. Henri de Gand représente l'augustinisme. Il définit le péché originel une affection morbide, contractée par l'âme à la suite de son union avec le corps. Cette affection réside, selon lui, dans la volonté; tare héréditaire imprimée par la volonté du premier père, et péché personnel, à ce titre puni par Dieu. Tout autre est le criticisme de Durand. Pour lui le péché originel n'est qu'un péché improprement dit, seulement une dette de la peine. D'ailleurs, il affecte la volonté, non la substance de l'âme. A travers trois éditions successives de son Commentaire sur les Sentences, Durand maintient cette idée fondamentale, par où il s'oppose

à saint Thomas et encourt les avertissements réitérés des Supérieurs de son Ordre. Hervé de Nédellec, mort Maître général des Frères Prêcheurs (i323), fait grande figure soit dans la lutte contre Henri de Gand, dont l'enseignement ne lui survivra guère, soit dans les avertissements donnés à Durand avec la science d'un Maître, la fermeté d'un Chef, la bonté d'un Père. Ce point d'histoire théologique est éclairé d'une très vive et très nouvelle lumière. Nous retrouvons Hervé de Nédellec dans la dissertation du R. P. J. Santeler, S. J., sur la preuve de l'existence de Dieu; et nous apprécions la solidité de son esprit en regard de Henri de Gand, en regard de Durand, en regard de Scot, en regard de l'averroisme latin. L'Ordre de saint Dominique1 a voulu honorer la carrière scientifique très féconde ciu T. R. P. Pierre Mandonnet par la publication d'un recueil de Mélanges qui forment deux beaux volumes. Une telle publication ne s'analyse pas; mais il suffira d'en transcrire la table des matières pour faire entrevoir dans son heureux épanouissement le renouveau d'études thomistes dont le P. Mandonnet fut le plus ardent promoteur. Tome I. Cl. Suermondt, O. P. Le texte léonin de la Prima Pars de S. Thomas. Sa revision future et la critique de Baeumker. P. Glorieux Le « Contra tmpugnantes » de S. Thomas. Ses sources. Son plan. A. Mansion Le commentaire de S. Thomas sur le « De sensu J. Deset sensato » d'Aristote. Utilisation d'Alexandre d'Aphrodise. trez La lettre de S. Thomas d'Aquin dite lettre au lecteur de Venise, M. D. Chenu, O. P. Les réponses d'après la tradition manuscrite. de S. Thomas et de Kilwardby à la consultation de Jean de Verceil (i2yi). M. M. Gorce, O. P. La lutte « Contra Gentiles » à Paris au C. Spicq, O. P. L'aumône obligation de justice ou treizième sièle. Th. Deman, O. P. Le de charité? S. Thomas, 2a 2ae q. 32 a. 5. péché de sensualité. J. Wébert, O. P. « Reflexio ». Étude sur les opérations rêflexives dans la psychologie de S. Thomas d'Aquin. La révélation des vérités divines naturelles, P. Synave, O. P. Gilson Réflexions sur la controd'après S. 'Thomas d'Aquin. verse S. Thomas- Augustin. – E. Hocedez, S. J. Gilles de Rome et R. M. Martin, O. P. Les questions sur le péché S. Thomas. originel, dans la « Lectura thomasina » de Guillaume Godin, O. P. B. F. M. M. Jugic Georges Scholarios et saint Thomas d'Aquin. A. Pérez Xiberta, O. C. Le thomisme de l'école carmélitaine. Goyena, S. J. Teologos no espagnoles formados en Espana, professores M. Van den Oudenrijn, O.P.: Une ancienne version de la Minerva. arménienne de la Somme de S. Thomas.

Et.

Ch. H. Beeson Insular influence in ihe quaestiones Tome II. and locutiones of Augnstine. V. Grumel Le surnaturel dans l'humanité du Christ viateur, d'après Léonce de Byzance. G. Théry, O. P. M. L. W. Laistner RiviL'entrée du psendo-Denys en Occident. P. Fournier Essai pullensis 74 and the Scholica of illartin of Laon. M. D. Rolandde restitution d'un manuscrit pénitentiel détruit. Gosselin, O. P. Sur les relations de l'âme et du corps, d'après Avicenne. M. Asin Palacios Un aspecto inexplorado de los origines A. M.' Jacquin, O. P. Les « rationes de la Teologia escolastica. J. De Ghellinck, S. J. Un chapitre necessariae » de saint Anselme. dans l'histoire de la définition des Sacrements ait douzième siècle. A. Landgraf Das Sacramentum in voto in der Frnhscholastik. G. Incombe A. Wilmart, O. S. B. Magister Adam Cartusiensis. La Snmma Abendonensis – M. Dulong Etienne Langton, versificateur. A. Masnovo Guglielmo d'Auvergne e l'Universilà di Parigi dal 1229 O. Lottin, O. S. B. La théorie des vertus cardinales, de al i23i. E. K. Rand Friends of the Classics in the times of I23o à iz5o. St Thomas Açuinas. – F. Olivier-Martin Les chapes de plomb. H. D. Simonin, O. P. La connaissance humaine des singuliers matériels, d'après les maîtres franciscains de la fin du treizième siècle. J. Koch Phtlosophtsche und theologische Irrtumlisten von 1270-1329. M. GrabEin Beitrag 211T Entwickelung der ihcologischen Zensurcn. mann Studien iteber den Averroisten Taddeo di Forma (ca. i3ao). Thorndike Lynn Francisais Florentmus, or Paduamis, an Inquisitor of the fifteenth century, and his 1 reatise on Asirology and Divination, A. Walz, O. P. Ztir LebensMagic and popular Superstition. geschichte des Kardinals Nicolaus von Schonbcrg, O. P. – A. G. Little The Fnars and the foundation of the Facidty of Theology in the UniG. Lôhr, O. P. Die Dominihaner ait den ver sitof Cambridge. deutschen Unwersitaeten ana Ende des Mittelalters. Béla Ivânyi Bilder ans der Vergangenheil der unganschen Dominikanerprovins miter Benuetzung des ZentralarcMves des Doniinikanerordens in Rom. Au héros de cette fête intellectuelle, longue vie et glorieux travaux

l

Le Florilegium Patristicum inauguré à Bonn par feu G. Rauschen s'est enrichi récemment de plusieurs fascicules particulièrement remarquables. Nous avons déjà signalé la nouvelle édition de l'Octavius par le Dr Josef Martin. Un moine bénédictin, Dom Benno Linderbauer, a revu avec un soin pieux le texte de la Règle de saint Benoît et nous le livre avec prolégomènes, apparat critique important, notes précieuses. C'est là un travail pour les siècles. Deux traités anselmiens classiques, le Cur Deushomo et le Monologion, ont été revus par Dom Fr. Schmitt; ses éditions critiques

seront acueillies avec reconnaissance dans les écoles. M. H. Ostlender nous apporte de l'inédit les Sentenliae florianenses, conservées depuis le douzième siècle par un manuscrit unique, au monastère autrichien de Saint-Florian, nous rendent un écho direct des leçons de Pierre Abélard avec les Sententiae de Roland, éditées par Gietl, et celles d'Omnebene, encore inédites, elles confirment ce que l'on savait déjà de cet enseignement:même indécision dans la théologie trinitaire, même tendance à l'adoptianisme christologique, au semipélagianisme, même conception tout exemplaire de la Rédemption. Dans un fascicule consacré exclusivement à Eckard, M. B. Geyer a réuni divers écrits de ce maître original, déjà publiés par Longpré, Grabmann et Denifle, mais dispersés en des recueils d'accès difficile, et qu'on aime à pouvoir manier si commodément. Le lecteur appréciera sans doute avant tout les questions conservées par un manuscrit d'Avignon et qui renferment le développement, hardi jusqu'au paradoxe, d'une thèse chère à Eckard Dieu ne serait pas tant l'Etre pur que l'Intelligence pure, l'intelligence marchant devant l'être etl'être n'étant, à le bien prendre, qu'un attribut propre de la créature. On remarquera aussi l'esquisse d'un panégyrique de saint Augustin, prononcé à Paris, plein d'idées puissantes, mais qui demanderait une forte adaptation pour être porté dans une chaire du vingtième siècle. Enfin, le R. P. W. Lampen, O. F. M., réunit dans un même fascicule les textes de cinq maîtres franciscains, illustrant la doctrine de la causalité sacramentelle Alexandre de Halès, saint Bonaventure, Richard de Middleton, Guillaume de Ware, Duns Scot. Il faut applaudir à cette entreprise, car la doctrine de l'école franciscaine, sur ce point, prête à discussion. Le choix des autorités ne pouvait être meilleur. Le temps n'est pas encore bien éloigné où des professeurs de théologie, interrogés par des étudiants sur les recueils de textes théologiques, se voyaient trop souvent réduits à indiquer des collections protestantes. Le Florilegium Bonnense promet de combler cette lacune. Parmi les Opuscula et 7extus dont Mgr Grabmann et le R. P. Pelster dirigent la publication, M. Josef Koch édite pour la première fois, d'après 5 mss., une question de Durand de Saint-Pourçain sur les Habitas (fasc. 8). La question, assez développée, renferme des assertions un peu étranges, notamment elle rejette l'existence d'habitus acquis, d'ordre intellectuel ou moral, dans les puissances de l'âme. Une autre question, beaucoup plus courte, due à un thomiste anonyme et publiée d'après un manuscrit unique d'Erfurth, combat l'assertion de Durand. Mgr Grabmann lui-même édite, d'après un ms. du Vatican, l'œuvre d'un anonyme qui représente avanta-

geusement la pensée de Guillaume Ockam sur les Universaux, d'après une discussion datée de Paris, i36a. Alphonse Vargas de Tolède, né vers i3oo, ermite de saint Augustin, étudia la théologie à Paris et y conquit le grade de maître, au cours des années iJ45-i348. Successivement évêque de Badajoz, puis d'Osma, il devait mourir archevêque de Séville en i366. Aux qualités d'un homme d'Église il alliait celles d'un homme de guerre, et en fournit la preuve comme lieutenant du Cardinal Albornoz, envoyé en i353 par Innocent VI, pape d'Avignon, pour châtier les rebelles des États pontificaux. L'activité intellectuelle de Vargas nous est connue par un commentaire sur le premier livre des Sentences de Pierre Lombard, professé à Paris en 1346, publié à Venise en 1490. Ce commentaire représente, sans beaucoup d'originalité, la doctrine commune de l'école égidienne. Un certain abus de la dialectique en rend la lecture peu attrayante; mais sur une question particulièrement délicate, celle des relations entre la science et la foi, l'auteur se montre bien au fait des divers courants doctrinaux qui partagent les esprits au quatorzième siècle. L'étendue et la variété de son information justifient l'effort de M. Josef Kiirzinger qui, dans sa thèse doctorale, consacre à l'œuvre de Vargas une étude critique très attentive. Très classique, la doctrine exposée par M. le chanoine J. Bittremieux, dans une série d'articles donnés à Divus Thomas (Placenza) et tirés à part, sous ce titre: Deus est suum esse, creatura non est suum esse. Très classique et très bienfaisante, encore que non universellement reçue. Ainsi vont les fleuves, là pénétrant le sol de leurs eaux et là glissant sur la pierre. La dissertation de M. Bittremieux a les allures d'un beau fleuve. Du même auteur, aux' Ephemerides Tlreologicae Lovanicnses, une dissertation très solide pour établir que, selon la pensée de Cajetan, comme selon la pensée de saint Thomas, la justice originelle, bien qu'enracinée dans la grâce du premier homme, s'en distinguait adéquatement. En composant la Summa contra Gentiles, saint Thomas d'Aquin avait particulièrement en vue les Mahométans, alors si redoutables en Espagne et ailleurs, et impossibles à joindre sur le terrain des 'Écritures chrétiennes. On peut douter que l'intention du saint Docteur ait porté tous ses fruits, ne fût-ce qu'à cause des difficultés de pénétration dues à la diversité de langues. Or ce vœu semble, après sept siècles, à la veille d'être réalisé Sa Grandeur Mgr Carame, évêque maronite, titulaire de Myndo, résidant à Rome et consulteur de la Congrégation pro Ecclesia orientait, bien connu par ses publica-

tions sur le droit canonique rapproché du droit musulman, vient de mettre la dernière main à une traduction de la Summa contra Gentiles en langue arabe, qui sortira prochainement des presses de Beyrouth. Les Recherches de Science religieuse se doivent de saluer cet acte de courage et de zèle. IV.

Acta Tridentina

Concilium Triientinum. Diariorum Actorum Epistularum Tractatuum Nova Collectio. Edidit Societas Goerresiana promovendis inter catholicos Germaniae litterarum studiis. Tomus XII. Tractatuum -pars prior, complectens tractatus a Leonis X temporibus usque ad translationem Concilii conscriptos. Collegit edidit illustravit Vincentius SCHWEITZER. Fnburgi Brisgoviae, Herder. In-4, LXXX et 884 pages.

Prix: 60 R.

M.

La publication des documents relatifs au Concile de Trente, poursuivie avec une inlassable ténacité par la Societas Goerresiana promovendis inter catholicos Germaniae litterarum studiis, avance lentement, mais sûrement. Inaugurée en 1901 par un volume de Diaria, elle compte aujourd'hui 2 volumes de Diaria,4 volumes d'Acta, i vo lume d'Epistulae, i volume de Tractatus, soit déjà 8 volumes. Six autres sont en vue, soit i de Diaria, 2 d'Acta, 1 d'Epistule, 1 de Tractatus, plus un quatorzième et dernier volume, de Supplément. Nous sommes donc à plus de moitié; il est permis de jalouser nos neveux, qui jouiront de l'oeuvre complète. Le premier volume de Tractatus, qu'on nous offre aujourd'hui, s'étend depuis les préliminaires du Concile jusqu'à l'année 1547, qui vit la vne session. Le contenu en est moins homogène que celui des volumes de Diaria, d'Acta et d'Epistulae, puisqu'il s'est agi de recueillir des documents de toute nature et de toute provenance, entre lesquels une relation commune à l'oeuvre du Concile forme l'unique lien. Documents souvent d'une haute importance, qui projettent sur la trame des délibérations conciliaires une lumière très appréciable. L'éditeur, M. Vincent Schweitzer, dédie le volume à Sa Sainteté Pie XI, en la solennité de son jubilé sacerdotal. La préface s'ouvre par un hommage ému à la mémoire de Mgr Etienne Ehses, qui fut, durant plus d'un quart de siècle, l'ouvrier le plus actif de la tâche commune: on lui doit en effet les quatre volumes d'Acta déjà parus, il est mort à Rome en préparant le cinquième et le sixième (19 janvier 1926), et repose au campo santo germanique, à l'ombre de la basilique de Saint-Pierre. Les Tractatus réunis dans ce volume existaient pour la plupart

dans les diverses archives de Rome et d'Italie; mais quelques-uns se cachaient au loin, en Espagne, en France, en Allemagne, en Suisse, en Autiiche. Le travail d'invention et de collation a rempli de longues années les prolégomènes de l'éditeur nous le font entrevoir. Pour ne pas grossir outre mesure un recueil déjà très lourd, on s'est interdit en principe la reproduction des pièces déjà publiées par Le Plat, Baluze-Mansi, Labbe-Cossart, Doellinger, et autres; sauf un très petit nombre de pièces aberrantes, qui avaient trouvé un éditeur de fortune, mais demeuraient pratiquement inaccessibles, ce volume ne renferme que de l'inédit. En tout, 127 pièces, distribuées en sept séries et un appendice. La première série (i-i3)appartient au tempsdeLéon X, d'Adrien VI et de Clément VII (années 1521-1534). La préoccupation d'une réforme urgente dans l'Église s'y affirme à chaque page; parfois avec la préoccupation de ne pas mêler la réforme de la curie romaine avec le règlement de la question luthérienne. A cet égard, on notera les avis motivés d'un théologien espagnol, Jacques Lopez Zuniga (io), qui déconseille la convocation d'un concile général. La deuxième série (14-51) représente les douze premières années de Paul III, avant la convocation du concile (1534-1545). Le projet de concile se précise, et des points spéciaux sont abordés. On notera les communications du légat pontifical Jérôme Aléandie (16, 44); de canonistes tels que Thomas Campegio évêque de Feltre (21, 22, 33, 34,35,36,37) et Antoine Massa (23); de théologiens tels que le cardinal Gaspar Contareni (19, 20, 38, 39) d'un humaniste tel que Sadolet (1540). Tel mémoire atteint les proportions d'un juste volume celui de Jean Cochlaeus pour le baptême des enfants (24); celui de Frédéric Nausea en huit livres, sur la question du concile (46). Tel autre présente un intérêt dramatique Jean Hauner, prêtre de Nuremberg, converti du luthéranisme et confesseur de la foi, se recommande à Pierre Paul Verger, nonce et bientôt évêque, lequel, par une évolution contraire, passera au luthéranisme ety mourra(i4). La troisième série (5a-6o) nous introduit au Concile de Trente, dont les premières sessions (janvier-février 1546) virent poser plusieurs questions préalables. Question grave et angoissante: faut il inviter les luthériens à venir discuter?Question bizarre, du moins pour le lecteur du vingtième siècle, qui ne pense guère au SaintEmpire quel ordre de préséance entre le roi des Romains et le roi de France, au concile ? Wolfgang Lazius, philosophe et médecin royal à Vienne, tranche le nœud péremptoirement par l'histoire, en remontant, par delà les empereurs issus de Charlemagne, aux premiers Césars chrétiens, et même à Marc Aurèle le roi de France doit hommage et obéissance au roi des Romains. Il conclut, p. 462

« Ad postremum, quam inconveniens essetetnunquam auditum inter duas Aquilas Lilium mediare, omnes inteiligant, et quod dignior aquila et vetustior liliis sit, sicut animans vegeïabili. » La quatrième série (6i-y5), relative à la quatrième session du Concile, éclaire la question du canon des Écritures (mars-avril 1546). La cinquième série (76-91), relative à la cinquième session, se partage entre la doctrine du péché originel et la discipline de la résidence étpiscopale (mai -juillet 1546). La sixième série {92-119), relative à la sixième session, est remplie par la doctrine de la justification (juin 1546-janvier 1547). Jérôme Seripandi, général des Ermites de saint Augustin, tient le premier rang par le nombre et l'abondance des mémoires, qu'il rédige ou qu'il provoque (94, 95, 102, io5, 106, 108 ajouter 92). On notera aussi les mémoires substantiels de André Vega O. M. (96) de BarthéJemy Spina, O. P*, maître -du sacré Palais (116); de François Romée. Maître général 0. P. (119); du Cardinal Pôle (io3, 104); d'Alphonse Salmeron, S. I. (100, 117). La septième série (120-121) s'occupe des sacrements (janvierfévrier 1J47). L'appendice (1-6) ajoute plusieurs pièces intéressantes, notamment le mémoire où Henry VIII d'Angleterre prend position contre le futur concile (i, fin mai 1537), et la réponse opposée par Albert Pighius i< adversus furiosissimum libellum Henriei Angliae regis et senatus eius » (2). La langue de ces pièces est presque toujours le latin, quelquefois l'italien. Avec une conscience admirable, l'éditeur nous oriente vers les dépôts d'archives où il a puisé il indique, le cas échéant, tes éditions existantes ou les versions en d'autres langues.

Une très grande liberté d'esprit préside à son annotation historique: à côté des auteurs catholiques, on y rencontre beaucoup d'auteurs protestants appartenant au dix-neuvième ou an vingtième siècle; parfois même tel room, qui ne s'imposait pas, traversera les siècles à ta faveur de cette magistrale édition. V.



Théologiens modernes.

L'Église

E." PeillaubEj La destinée humaine. Paris, Grasset, ig3o. In-12. 28o pages. Prix i5 francs (collection: la Vie chrétienne). Origù dïvino-a-posloUcu doctrinae electionis S eaiissimae Virginis ad gloriam coelestem quoad corpus. Disquisitio dogmaticaauctore Francisco Salesio MtrELLïR, 1S. J., Theologiae in Pent. Unirersitate Gr«g©riasaa iectore, Oeniiponte, Rauch, igSo. In-'S, ïgfâ pages. ïlnemtê de l'Église au Christ, par le R. 'P. Sidoine Hurtetest, A. A. Paris, La Bonne Presse, 1930. xtvm-424 pages. Pris12 francs.

R. Janin, Les Églises séparées d'Orient. Paris, Gay, i93o, In-J2, zoo pages. Prix: i5 francs (Bibl. cathol. des Sciences religieuses). Herm. DieckM4NN, S. J., De Revelatione christiana Tractatus philosophico-historicus. Friburgi Brisgoviae, Herder, 1930. In-8, XXU-694 p.

Prix 20 R. M. Herm. Lange, S. J., De Gratia Tractatus dogmaticus. Friburgi Brisgoviac, Herder, 1929. In-8. xiv-612 pages. Prix: 18 R. M. Ludov. LERCHER, S. J., Instittttiones Theologiae dogmaticae in usum scholarum. Oeniponte, 19.^7-1930, 4 vol. in-8., x-658 xxvi-5io 612; 763 pages. Prix 42 R. M. H. NOLDIN, S. J., Summa Theologiae moralis. Recognovit et emendavit A. SCHMtTT, S. J., Oeniponte, Rauch, 3 vol. in-8. Canonicus J. M. HERVÉ, S. Th. Dr, Manuale Theologiae do gmaticae. Vol. I, de Vera religione. De Ecclesia Christi. De fontibus revelationis. Parisiis, Berchc et Tralin, 5e éd., 1929, Xvm-621 pages. Gaston Rabeau, professeur à l'École Massénade Nice, A-polo gêtique Pans, Gay, ig3o. In-i2, 176 pages. Prix: i5 francs (Bibl. catholique des Sciences religieuses). R. P. Martin Jugie, A. A., Theologia Dogmatica Christianorum orientalium ab Ecclesia catholica dissidentium. Tomus III. Theologiae dogmaticae graeco-russorum expositio. De Sacramentis seu Mysteriis. Tomus IV. De Novissimis. De Ecclesia. Paris, Letouzey et Ané, 1930 et ig3i. In-8, 5 10 et 666 pages. Reinhold SEEBERG, Lehrbuch der Dogmengeschichte. IIIr Band Die Do gmengeschichte des illittelalters. 4e neu und durchgearbeitete Auflage. Leipzig, Delchert, 1930. In-8, XVIII-797 pages. Prix: 27 R. M. Ktov. I. AOrOSETOT, xsOijyr.Tov êv -zS> 'AO^vt^iv |0vtx<ï> 7rav£7ttsrr;t«u>, 'H «l'iXosW» Twv [laT£p(ov xai toù [iisou auôvoç. MÉpoç A'. Athènes, Kollaros, 1930. In-8, 394 pages. Los manuscrites Vaticanos delos Teologos Salmantinos del siglo X VI, por el Emmo. Sr. Cardenal Francisco EHRLE. S. J. Primera edicidn espanola, corregida y aumentada a cargo del Padre José M. MARCH, S. J. Madrid, igio. 8°, xvi-i36 pages. Prix 6pesetas. (Biblioteca de Estudios Eclesiâsticos, série de opûsculos, 1.) J. DE BLIC, S. J., Barthélemy de Médina et les origines du Probabilisme. Ephemerides Theologicae Lovanienses, 1930, 66 pages. R. P. Paul Dudon, S. J., Le Gnostique de saint Clément d'Alexandrie. Opuscule inédit de Fénelon, publié avec une introduction. Paris, Beauchesne, 1930. In-8, xil-3oo pages (Études de Théologiehistorique). Ch. URBAIN et E. Levesque, L'Église et le Théâtre. BOSSUET, Maximes et Réflexions sur la Comédie, précédées d'une introduction historique et accompagnées de documents contemporains et de notes critiques. Paris, B. Grasset, 1930, 31pages (La Vie chrétienne). F. CAYRÉ, A. A., Précis de Patrologie. Paris, Desclée, t. I, 1927, xxiv-740 pages; t. II, 1930, vi-923 pages. Le livre du R. P. Peillaube sur la destinée humaine est une de

ces synthèses harmonieuses où tout s'accorde et se fond: raison, foi, piété. Existence et nature de la destinée humaine; réalisation de la destinée; modèles de vie divine. Le premier livre appartient d'abord à la raison, sans préjudice de la piété en découvrant l'homme à lui-même, il lui montre au fond de sa nature des désirs inassouvis et déjà l'invite à se dépasser. Le deuxième livre appartient surtout à la foi, car il traite des réalités dont le croyant vit la grâce, qui fonde la surnature; les vertus, qui l'équipent pour l'action; les dons du Saint Esprit, qui la portent. Le troisième appartient tout entier à la piété. « Soyez parfait comme votre Père céleste est parfait. » Cette parole du Christ nous découvre l'idéal, mais combien désespérant. Heureusement le Christ est lui-même la voie et le modèle vivant qui a posé devant nous. Il a fait plus pour aller à lui-même, il nous a encore donné une médiatrice Marie, sa mère selon sa nature, la nôtre selon la grâce. Il n'est que de nous remettre en ses bras. Le R. P. François Müller publie, sur l'origine divino-apostolique de la croyance à l'Assomption corporelle de la Sainte Vierge, un volume qui rend éloquent témoignage de sa doctrine et de sa piété. Reproduisant une doctrine assez commune. il commence par poser en principe que nulle croyance ne saurail être définie comme de foi divine si elle n'est contenue formellement dans le dépôt de la révélation faite aux Apôtres. Pour établir que tel est bien le cas de la croyance à l'Assomption corporelle de la Sainte Vierge, il apporte trois arguments. Le premier est tiré de l'association de la Sainte Vierge au Christ duns la victoire sur la mort. Le second est tiré de l'Immaculée Conception. Le troisième est tiré de la maternité virginale, garantie de droit contre la corruption du tombeau. Un appendice examine l'accord des Églises orientales sur cette pieuse croyance. Sur la conclusion, il est facile de s'accorder avec le R. P. Mùller. Sur la marche de l'argumentation, l'accord est plus laborieux. Car d'une part les témoignages historiques rares et tardifs paraissent insuffisants à établir le fait d'une révélation formelle, héritée des Apôtres. D'autre part fort heureusement l'exigence d'une telle révélation paraît excessive. Et je me sens confirmé dans cette manière de voir par l'argumentation même du R. P. Müller. Sans doute, il ne requiert qu'une révélation formelle implicite. Et il la détinit ainsi, p. 18 « Revelatio formalis implicita alicuius veritatis habetur eo quod includitur in quibusdam principiis revelationis, ita ut sola resolutione terminorum vel analysi horum principiorum depromi possit absque deductione. » Mais les réactifs employés ici n'ont-ils pas une autre portée?

Plus je considère les trois arguments énumérés ci-dessus, moins il m'est possible de n'y voir qu'une simple analyse des termes ou une simple résolution de principes formellement révélés. Je ne puis me défendre d'y voir des exemples excellents d'argumentation théologique, d'ailleurs pleinement satisfaisants dans l'espèce. Il me semble que c'est par un véritable abus de mots que l'on parle ici de révélation formelle, fût-elle implicite et que l'on rendrait mieux raison de la genèse de certains autres points définis par exemple l'Immaculée Conception de la Sainte Vierge, ou la transsubstantiation eucharistique,-en reconnaissant franchement le rôle de l'argumentation théologique, instrument providentiel d'explicitation de quelques dogmes, contenus dans le dépôt divino-apostolique à l'état de révélation virtuelle.

Je m'explique Bien des données demeurent plus ou moins longtemps inaperçues dans le dépôt de la révélation il n'appartient qu'au Saint Esprit de les faire apparaître. D'ailleurs le Saint Esprit use à cet effet d'instruments humains la confession spontanée des fidèles, le travail réfléchi des docteurs, sont les agents permanents de cette manifestation progressive que sanctionne le magistère solennel de l'Église. A la condition de ne mettre en œuvre que des principes certains, appartenant au patrimoine universel de l'esprit »^'main, la raison théologique a son rôle marqué dans ce travail d'explicitation du dogme, que l'Église accomplit sous l'impulsion de l'Esprit divin. L'appréciation officielle des critères de définibilité ressortit au magistère solennel, sanctionnant l'effort de la raison théologique. N'est-ce point l'histoire de la plupart des dogmes? Ainsi, de l'union étroite entre le Christ et sa Mère, la raison théologique conclut-elle par analogie à l'Assomption de la Vierge, qui apparaît comme un juste corollaire de l'Ascension du Seigneur, à ce titre virtuellement révélée. Sauf avis meilleur, c'est à cette conception que je me vois ramené, en réfléchissant sur la pratique de l'Église. Le livre du R. P. S. Hurtevent sur l'unité de l'Église du Christ n'est pas un voyage de pénétration dans un domaine inconnu, mais plutôt une mise au point des thèses principales qui constituent un traité classique de l'Église. A cela près, il réunit tous les genres de séduction solidité du fond, larges aperçus ouverts sur l'histoire et sur le monde, éloquence entraînante, actualité d'aujourd'hui et de demain. Ajoutons un prix dérisoire, permis seulement aux presses qui travaillent pour l'amour de Dieu. Une première partie montre dans les affirmations constantes de l'Église la revendication d'une double unité unité spirituelle des

âmes qui participent à une même vie surnaturelle, sous l'influx de l'Esprit divin unité visible des hommes qui professent la même foi, participent aux mêmes sacrements, sous la conduite des mêmes pasteurs, obéissant au vicaire du Christ en terre. Une deuxième partie montre dans l'Écriture, dans la tradition, dans la vie présente de l'Église la réalisation du dessein formé par le Christ et par lui ébauché: t'Eglise catholique centrée à Rome, étendant sur tous les peuples ses rameaux gonnés d'une sève divine, en attendant de s'épanouir éternellement sous le regard de Dieu. Beau dessein, bien exécuté; il ne manque plus au livre que de faire le tour du monde, nous le lui souhaitons de grand cœur. Après avoir retracé, en homme parfaitement averti, l'histoire et la condition présente des Eglises orientales séparées de Rome, )e R. P. Janin se résume dans une statistique finale. On peut évaluer l'effectif de ces Églises, pour le rite byzantin, à 16ooooooo, dont 140 ooo ooo de race slave; pour le rite arménien à 3 ooo ooo pour le rite syriaque à 80000; pour le rite chaldéen à ~.60000, pour le rite copte à un peu moins de 8000000, soit un total d'environ 172000000. H ajoute les rénexions suivantes, qui n'ont pas besoin d'être soulignées: « Les peuples orientaux évoluèrent dans un cadre différent de celui du reste de la chrétienté. Leurs conceptions religieuses se modifièrent peu à peu sous diverses influences intervention du pouvoir civil, ambition personnelle de certains prélats, hostilité envers le catholicisme, et plus tard infiltration des théories protestantes et rationalistes. Pour certains peuples, l'asservissement plusieurs fois séculaire aux musulmans ne fut pas sans produire des changements profonds dans les idées et dans les mœurs et une défiance instinctive des Occidentaux. Tout cela explique pourquoi il est si difficile aujourd'hui à un catholique de l'ouest de l'Europe de comprendre exactement la mentalité des Orientaux dissidents, et à ceux-ci d'apprécier sainement l'Église romaine. » (P. 191.) Le R. P. H. Dieckmann, quipubliait en ipso un magistral ouvrage De Ecclesia en deux volumes, vient de disparaître prématurément, après quinze années consacrées à l'enseignement de la théologie fondamentale. Il laissait inédit un traité De Ti~WM cAf~/tCK~, dont le R. P. A. Merk s'est fait l'éditeur avec un soin pieux et une discrétion presque excessive, car il s'est interdit de compléter la pensée de son confrère, là même où il sentait que cette pensée appelait des compléments, pour lesquels le temps seul a manqué. Cette publication, qui achève de nous livrer l'œuvre du P. Dieekmann, fera mieux sentir tout ce que le scolasticat de Valkenburg a perdu en la personne de ce maître. Le livre comprend deux parties la première consacrée à la notion

de révélation divine, la seconde à la mission divine de Jésus-Christ. L'auteur fait preuve d'une grande ouverture d'esprit et d'une longue familiarité avec la littérature du sujet. L'érudition est abondante et bien à jour; la rédaction extrêmement claire. La disposition matérielle, qui rejette les notes à la &n de chaque thèse et oblige le lecteur à feuilleter souvent le votume pour trouver le renseignement désiré, ne semble pas tfès heureuse. Mais ce détail matériel n'arrêtera pas les travailleurs assez avisés pour se mettre à si bonne école. Le traité De Gya~, professé à Valkenburg par le R. P. H. Lange, après avoir subi plusieurs fois l'épreuve de l'enseignement, est livré au public sous la forme d'un imposant volume. La préface nous initie à la genèse de l'œuvre. A ses débuts, l'auteur avait pris pour thème de ses leçons le traité classique du P. Christian Pesch. Che min faisant, ii rencontra le traité magistral du P. B. Beraza, qui représente avec tant d'éclat l'enseignement des scolasticats espagnols; il s'est attaché particutièrement à ce guide, et lui rend un hommage auquel tous les lecteurs applaudiront. Le développement se réfère, comme il convient, aux questions de saint Thomas, la 11'% q. ïop-u~; d'ailleurs le P. Lange en modifie quelquefois l'enchaînement et distribue la matière à son gré, sous sept titres Nécessité de la grâce,Gratuité et surnaturalité de la grâce la Grâce de la justincation Nature de la grâce actuelle; Grâce suffisante et'efficace, Distribution de la grâce Lp mérite. Dans l'ensemble, il suit de très près, de plus près que beaucoup d'autres auteurs, la vulgate moliniste, de préférence au congruisme suarésien et beHaroainien. On pourra, se séparer de lui sur divers points, mais on le trouvera toujours informé on devra nécessairement recourir à lui pour Tonnaître l'état des questions. L'Université d'Innsbruck, déjà riche 'd'ouvi'ages importants,. vient d'ajouter à la liste de ses publications scolaires un mamjel de théologie dogmatique, dû au R. P. L. JLercher. Le premier volume avait vu le jour en 1927, le quatrième et dernier achève de paraître en n)3o. Deux mille six cents pages, d'une rédacëofn sTibstantieU'e et alerte, réalisent le programme d'un bon livre d'enseignement, qui aborde tous les problèmes scolastiques essentiels sans négHger va partie positive. La typographie,, nette et lumineuse amatgré sa densité, fait honneur aux presses de F< Rauch~ La même université pu'Mie en vingtième édition la théologi& morale du R. P. H. No!di
les yeux, atteste l'effort de l'auteur pour rendre parfait ce bon livre d'enseignement. La méthode apologétique, le miracle, le martyre, l'unité de l'Eglise et sa sainteté ont bénéficié d'une revision particulièrement attentive. Malgré un effort visible de condensation, le volume s'est accru d'une quarantaine de pages. Mais n'estimons pas le progrès d'après un critère si matériel. L'/l~c/c~ de M. G. Rabeau n'est pas une maçonnerie quelconque, bloquant selon un dessein classique des développements d'emprunt. Cadre et matériaux, tout porte la marque d'un esprit personnel et actif, qui trouve dans sa richesse acquise l'audace d'une architecture inédite. Le premier tiers prépare le travail en étudiant les conditions générales d'une apologétique sa nécessité, sa nature. Il y a des apologétiques accidentelles, redevables de leur efficacité à certaines circonstances de fait. Il y a une apologétique des simples, que l'apologétique scientifique ne supplante pas elle bâtit sur son fondement. Il y a des conditions subjectives qui donnent prise aux raisons de croire; mais les vraies raisons de croire sont extérieures au sujet. Les deux autres tiers du volume font œuvre constructive. Le problème de la Religion est posé par la science, posé aussi par la vie. L'auteur nous achemine de la religion surnaturelle au catholicisme, de l'Église à Jésus-Christ. La brève conclusion, sur la religion de Jésus et l'humanité, pourra causer une certaine déception. L'auteur brasse trop d'idées, en trop peu d'espace, introduit trop d'hypothèses, soulève trop de problèmes qu'il ne résout pas. La place de ces considérations m'eût paru plutôt marquée dans les préliminaires; mieux eût valu laisser le lecteur, au terme d'une ascension dans la lumière, devant le rayonnement souverain de Jésus-Christ. Parler d'éteignoir serait irrévérencieux; mais ces dernières pages n'ajoutent rien à la splendeur d'une œuvre par ailleurs intéressante et salutaire. Le R. P. Jugie publiait en 1926 le tome 1~ d'une 7~<Mc~ dogM<M~ des C~y~~M<M
surtout à cœur les besoins des théologiens occidentaux, l'auteur commence régulièrement par exposer sur chaque point la doctrine du Concile de Trente, puis procède à l'examen des divergences. D'un point de vue didactique et surtout scolaire, cette marche est pleinement justifiée; mais elle a l'inconvénient d'alourdir un peu l'exposition et de masquer les perspectives. Un volume a!erte, abordant de front la théologie orthodoxe et ne touchant au Concile de Trente que par manière de post-scriptum, aurait donné plus de satisfaction à beaucoup de lecteurs. Et sans doute, ce regret sera plus vivement senti par les Orientaux eux-mêmes, qui auront l'impression d'être un peu sacrifiés, dans un ouvrage dont ils font les frais. Quant aux Occidentaux, ils auraient mauvaise grâce à déplorer ce renversement de perspective, puisque manifestement on a pensé surtout à eux. Redisons que tous les éléments d'information nous sont largement et loyalement fournis; c'était l'essentiel. Avant même d'avoir pu annoncer ce tome HI, nous recevons le tome IV et dernier, comprenant le traité des fins dernières et le traité de l'Église. L'importance de ce volume n'a pas besoin d'être soulignée il traite précisément les points les plus litigieux entre catholiques et orthodoxes; l'auteur se meut en pleine controverse. La question du Purgatoire qui, au concile de Florence, divisa profondément l'Orient et l'Occident, demeure toujours pendante chez les Orientaux. Quant à la constitution de l'Église, la doctrine de la pentarchie, puis de la tétrarchie, classique dès les controverses christologiques du cinquième siècle, aboutit, par une évolution séculaire, à la constitution de diverses autocéphalies, sur lesquelles le P. Jugie nous communique une documentation actuelle, puisée à de bonnes sources. L'histoire de la théologie orientale séparée, au cours du dernier millénaire, peut se résumer en peu de mots. L'Orient en est resté à la doctrine des sept premiers conciles œcuméniques. Tous les points décidés depuis lors par l'autorité des conciles unis au Saint-Siège, ou par l'activité personnelle du successeur de Pierre, demeurent pour les Orientaux simples ~<~<~«M~M/ d'ailleurs on rencontre parmi eux toutes les nuances les uns reprochant à l'Église romaine ces décisions comme des hérésies proprement dites, les autres les voyant avec plus ou moins d'indifférence. La croyance de l'Orient séparé sur l'ensemble de ces points n'est pas, comme on se l'imagine quelquefois, fixée dans l'immobilité, mais plutôt livrée à tous les hasards de l'anarchie. Telle est la conclusion de ce très solide volume. Le tome II, resté enarrière et qui doit contenir tout le fond de la dogmatique chrétienne, n'est certes pas ie moins vaste, mais il est

si bien amorcé par les multiples travaux du P. Jugie, qu'on ose en escompter l'apparition pour une date pas trop lointaine. Les théoiogiens posséderont alors une base d'opération complète et bien précieuse. des Z~MW, par Le troisième volume du ~/<M~/ M. Reinhold Seeberg reparaît en quatrième édition, après une refonte complète. Dans la préface, l'auteur dit tout ce qu'il doit à l'abondante littérature théologique accumulée au cours des dernières années, particulièrement à la littérature catholique. Ce témoignagesincère est confirmé par d'abondantes références. Nous ne sommes plus au temps où nos frères séparés ignoraient tranquillement ce qui se dit ou se fait dans l'Église romaine. On peut même dire que pour la connaissance du christianisme médiéval, l'ouvrage de M. Seeberg l'emporte sur ceux de ses émules hier disparus, Harnack et Loofs. Les pages d'information exacte et d'analyse pénétrante ne se comptent pas. D'ailleurs les points sur lesquels nous devrions marquer un dissentiment plus ou moins profond restent très nombreux. Notons en passant l'aversion de l'auteur pour la mariologie catholique (p. 267). Des chrétiens accoutumés à voir dans la piété enversla Mère du Christ une part intégrante de l'esprit de famille surnaturelle, éprouveront toujours un regret mêlé de surprise devant une telle incompréhension, d'ailleurs non universelle. On tient aussi à nous rappeler que le treizième siècle découvrit l'Antéchrist en la personne du Pape (p. 3o6). M. Seeberg résume l'histoire du christianisme médiéval en quatre périodes. La première, qui finit avecl'empire carolingien, est caractérisée par l'emprise germanique de l'empire sur l'Église romaine. La deuxième x" au xn" siècle voit l'Eglise s'émanciper de l'État. En même temps le rationalisme apparaît avec les premiers scolastiques, le mysticisme avec saint Bernard. La troisième période xill* siècle marque l'apogée de l'Église romaine dominant le droit germanique, l'harmonie de la théologie avec la philosophie réalisée par saint Thomas, mais aussi l'éclosion d'aspirations personnelles dans la politique d'une part,. dans la mystique de l'autre. La quatrième période –xi~-xv" siècles voit le divorce entre l'État et l'Eglise à force de s'imposer dans lecadre de l'action et de la spéculation, l'idée romaine l'a fait éclatera La synthèse~ la chrétienté est mûre pour la Réforme protestante. est rapide et ingénieuse, mais tout de même peu profonde. Identifier l'esprit germanique avec le levain qui travaille les sociétés modernes, c'est lui faire tort, et beaucoup de ses représentants les plus authentiques s'inscriront en faux contre un point de vue si ethnique et si terrestre. Dans l'émancipation progressive des géné-

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rations nouvelles à l'égard de l'Église, ils reconnaîtront plutôt un chapitre de la lutte entre deux cités, décrite par saint Augustin, et se refuseront à voir dans Luther un bon génie. Notons une confusion amusante. P. 121-173, on nous renvoie à la Bibliothèque de l'école de Chartres. Lisez école des Chartes. Par ailleurs, M- Seeberg n'ignore pas et cite pertinemment l'abbé Clerval, historien des écoles de Chartres au moyen âge. De M. K. I. Logothetis, professeur à l'Université d'Athènes, nous avons reçu le tome I" d'un ouvrage consacré à la P/M/<M<M des Pères et du moyen âge. Pages sereines et lumineuses qui constituent, pour la bibliothèque scolaire de langue grecque, une pré-cieuse acquisition. Ce beau volume couvre toute la période antérieure à la renaissance carolingienne, finissant pour les Grecs sur le nom de saint Jean Damascène, pour les Latins sur le nom de saint Bède. 11 témoigne d'un commerce intime avec les œuvres des Pères et d'une large compréhension. L'auteur réagit, en toute droiture et franchise, contre beaucoup de déformations infligées par une exérèse rationaliste à la tradition chrétienne. Les Pères grecs sont le plus copieusement et, je crois aussi, dans l'ensemble le plus heureusement présentés. Les affinités de race disposaient l'historien à pénétrer leur génie et à nous en retracer une image fidèle. Nons noterons ici quelques observations. L'affinité de l'hérésie arienne avec la pensée origéniste est justement marquée, p. 186, mais je voudrais voir souligner davantage la différence. D'autre part, l'hérésie trinitaire d'Arius est seule touchée, non l'hérésie christologique où il fut rejoint par Apollinaire. Au sujet de saint Athanase, p. 193, on peut s'étonner de ne pas voir signaler, à côté des Discours contre les Ariens, les très importantes Epîttes à Sérapion; et de voir au contraire signaler sans réticence les deux livres contre Apollinaire, qui sans doute procèdent de l'école athanasienne, mais ou il est difficile de reconnaître l'oeuvre personnelle d'Athanase. Au sujet de saint Grégoire de Nazianze, p. 235, on s'étonnera probablement de voir imputer à ce Père l'affirmation d'une apocatastase qui supprimerait l'enfer éternel. Une telle doctrine est facile à découvrir chez saint Grégoire de Nysse; mais chez saint Grégoire de Nazianze je ne la reconnais pas, même aux trois pages où l'on nous renvoie (C~ xxxix, 19; XL, 36; xxx, 6). A propos de Macaire l'Egyptien, p. 260, l'auteur ne touche pas les controverses récentes relatives à cette œuvre, plus que jamais suspecte. A propos des Pères Cappadociens, je ne me souviens pas d'avoir vu discuter la question du néonicénisme, soulevée il y a plus d'un demi-siècle et parfois si maladroitement résolue. Entre les Pères Latins, saint Augustin obtient, comme il conve-

nait, le traitement le plus généreux. Cette longue étude, de presque soixante-dix pages, résume une enquête judicieuse et pénétrante. On nous permettra néanmoins de ne pas souscrire à ce jugement, touchant la doctrine augustinienne de la prédestination, p. 3~.3 EhtKt Ttpoyav~! ëï! o!)tM;

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saint Paul, le mystère des voies divines, saint Augustin ne laisse pas de maintenir intégralement le fait du libre arbitre humain. Çà et là, quelques lapsus faciles à corriger. P. 280, 18, saint Augustin paraît mourir à Milan (au lieu d'Hippone)! P. 363, 1. 4, il faut sans doute comp)éter « Basile <~ et Grégoire ~ rel="nofollow"> de Nazianze». Ces observations minutieuses n'entament pas notre estime pour ce livre très soigné. M. Logothetis parle une belle langue, remarquablement claire; les habitués du grec ancien le liront sans effort, pour peu qu'ils soient familiarisés avec les principales articulations de la phrase grecque moderne e!vo[', vx, 9x, S~, etc. Une très heureuse initiative, dont il faut grandement féliciter la direction des Estudios <'<MM.eM, met à la portée de nombreux lecteurs le mémoire composé en i88~-i885 par celui qui devait être l'Éminentissime cardinal Ehrle, sur les manuscrits de théologiens de Salamanque, du seizième siècle, conservés à la Bibliothèque Vaticane. Dans la pensée de l'illustre auteur, ce mémoire était une pierre d'attente pour une histoire de la Scolastique. Il reparaît aujourd'hui en langue espagnole, mis à jour, corrigé, augmenté par le R. P. José M. March. En même temps qu'une orientation à beaucoup de travailleurs, il apporte un regain de gloire à des maîtres dont on a plaisir à transcrire les noms Francisco de Vitoria, Domingo de Soto, Melchor Cano, Bartotomé Carranza de Miranda, Vicente Barrôn, Diego de Chaves, Domingo de las Cuevas, Ambrosio de Salazar, Juan de la Pena, Pedro de Sotomayor, Mancio de Corpore Christi, Bartolomé de Medina, Pedro Hernandez, Juan Gallo, Juan Vicente, Domingo de Guzmân, Alfonso de Luna, Domingo Banez, Juan de Guevara, Luis de Léon, Pedro de Uceda Guerrero, Juan de Medina. En applaudissant à ce début, souhaitons que le présent volume amorce une longue série. L'excellente revue madrilène a tant d'autres trésors à nous livrer! Le probabilisme moral jouit présentement, dans la conduite des âmes et dans la pensée de t'Egtise, d'une vogue si universelle et si autorisée qu'on peut bien parler, à son sujet, de doctrine œcuménique. D'ailleurs l'application reste délicate car dans l'appréciation des probabilités de droit et de fait, le jugement personnel entre en jeu; tant que les théologiens seront des hommes, des flottements se produiront quant à la pratique, les uns inclinant au laxisme, les

autres au rigorisme. Et ceci explique le plus ou moins de sympathie manifesté par les divers auteurs, selon leurs tempéraments respectifs, pour un instrument facile à fausser. Mais la valeur théorique de l'instrument n'est pas bonnement contestable. Dès le seizième siècle, elle fut établie rigoureusement par toute une lignée d'excellents théologiens; ce point d'histoire ne devrait pas être mis en doute. H vient d'être rappelé, avec un nouveau luxe de précisions, par le R. P. J. de Blic, spécialisé dans ce domaine depuis nombre d'années. Il s'agissait particulièrement de Barthélemy de Medina, 0. P. (i528-i58o), thélogien de Salamanque, assez communément désigné comme le père du probabilisme. Désireux de remettre l'auteur dans son milieu, le P. de Blic ne se limite pas à l'œuvre personnelle de Medina, mais enquête avant et après, cite largement ces précurseurs de Medina que furent Sylvestre de Priero, Cajetan, Vitoria, Cano, Dominique Soto. Sotomayor, Thomas Mercado, et quelques-uns de ses successeurs. H établit que, s'il y a quelque exagération à considérer Medina comme le « père du probabilisme )), il n'y en a aucune à le tenir pour l'un des plus fermes anneaux d'une chaîne forgée à Salamanque, et où figurent notamment Vitoria (-j- i5~p), Soto (-]- 156o), Cano (i56o), Mercado, tous théologiens de marque. Le probabilisme de ces théologiens ne consiste pas, comme on l'a dit, à permettre de négliger le conseil pour s'attacher au seul précepte; il consiste à ceci n'est point affaire d'opinion théologique; permettre de choisir entre deux lignes de conduite, recommandées par des raisons graves ou de graves autorités. C'est la formule du probabilisme classique. Medina ne l'a point inventée, mais il la fait sienne sans restriction, comme la firent leur après lui d'autres maîtres dominicains, Dominique Banez (y 1604), Pierre de Ledesma (j i6ro), Grégoire Martinez (-j- i63~), Martinez de Prado ('j- 1668), etc. Citons seulement Ledesma, en sa T~~c~a ~M~M, II, Tr. 8 c. 22 concl. iidub. 2 C~MM, quando inter duas opiniones /K~ altera est

probabilior, iudex possit sequi solum ~C~f!M<M!, relicta ~fC&!M«7/~?. M~K~ T~OM~~K~ esse probabilius quod, stando in iure <&~MC liceat iudici sequi opinionem ~f~
à les découvrir et ne les ont jamais monopolisées. Moins que jamais. on pourra soutenir cette erreur flagrante, après le très solide mémoiredu P. de Blic (soixante-six pages compactes des .E~<~w~< gicae). On y lira notamment comment, un siècle avant leP.Decbamps~ Laynez, générât de la Compagnie de Jésus, énonçait la thèse probabiliste, non comme une nouveauté, mais comme l'écho fidèle des maîtres de Salamanque, auxquels il se référait expressément. Déjà historien du quiétiste espagnol Molinos (Paris, 1921), le R. P. P. Dudon vient d'ajouter à l'histoire du quiétisme français un chapitre très neuf. Sous ce titre :Zc~M<~M< de j<MM/C7~MM<MMMdrie, et sous une attribution hypothétique au barnabite La Combe, les archives de Saint-Sulpice possédaient un manuscrit mystérieux, qui en i<)2~ fut communiqué au P. Dudon par l'obligeance de M. Levesque. Le sagace chercheur flaira aussitôt un écrit authentique de Fénelon, et ne tarda point à transformer sa conjecture en certitude 3. Le traité de Bossuet sur la Tradition des nouveaux niystiques fournit à lui seul une démonstration péremptoire; les confirmations ne manquent pas. Lors des dénonciations qui se produisirent en i6p3 contre la doctrine spirituelle de Madame Guyon, Fénelon composa le Gnostique pour la défendre. On peut dater la composition de t'été 169~ La ZV~OK des nouveaux est une réfutation opposée dès lors par Bossuet à l'écrit de Féneton et demeurée inédite, parce que Fénelon lui-même se garde de divulguer son Gnostique. En 1753, la Tradition des nouveaux mystiques fut, pour la première fois, publiée par Leroi, d'après l'autographe de Bossuet; le Gnostique a vu le jour seulement en rp3o. On trouvera dans le volume du P. Dudon tous les détails désirables sur les Conférences d'Issy, où Bossuet, évêque de Meaux, Antoine de Noailles, évêque de Châlons, et Tronson, supérieur de Saint-Sulpice, se réunirent, d'abord en juillet-août 1694, puis en février-mars i6c)5, pour exercer une pression amicale sur l'esprit de Fénelon, nommé entre temps (début i6p5) à l'archevêché de Cambrai. Afin de « mettre des bornes » à son esprit, ils arrêtèrent le texte de trente-quatre articles qu'ils signèrent avec lui (10 mars i6p5). Les papiers de Saint-Sulpice ont fourni, outre le texte du Gnostique, celui du Mémoire ~M~ l'état passif, où Fénelon précise un point capital de sa doctrine, et dont le présent volume donne seulement une analyse avec des citations. Cette publication très opportune éclaire la marche de l'esprit de Fénelon le Gnostique est une première édition, beaucoup plus naïvement enthousiaste et beaucoup des /<M~/a<M des Saints, plus gravement incorrecte, de

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3. Voir Recherches de

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religieuse, juillet 1927, décembre 1928-

qu'Innocent XH condamnera le

mars 1699. Dans toute cette histoire, la droiture de Féneton et son humilité n'ont d'égales que ses illusions. On ne saurait trop recommander la lecture d'un volume qui permet de mesurer les aberrations de ce chimérique esprit et la profondeur des ravages exercés dans cette influence sacerdotale par une femme visionnaire et dominatrice. On saura gré à MM. Ch. Urbain et E. Levesque d'avoir réuni, dans un volume attachant, tous les documents relatifs au fameux débat sur la comédie, où Bossuet prit l'offensive contre le P. Caffaro, religieux théatin (1694). Ce dossier montre sous un jour favorable la conduite de Bossuet, qui, avant de-lancer dans le public ses fameuses /t/<MH'~M.y et Réflexions la Cow~ s'était adressé à Caffaro dans une lettre confidentielle. Le retigieux théatin apparaît en posture ~2

très humble, protestant contre l'indiscrétion dont il est victime. Il n'a jamais écrit la lettre publiée sous son nom, mais seulement, quelques amées plus tôt, une dissertation latine, où il exposait en théologien à quelles conditions la comédie peut servir la cause des bonnes mœurs. On lui a fait dire en français que la comédie française réalise effectivement ces conditions. Le coupable est le comédien Boursault. Le R. P. F. Cayré vient de conduire jusqu'au terme son Précis de Patrologie, en deux volumes. Si le nom de précis demeure rigoureusement juste, celui de patrologie a fait ici preuve d'une élasticité imprévue, puisqu'il s'étend jusqu'à saint François de Saies. Entrepris pour l'initiation des étudiants, l'ouvrage ne laissera pas de rendre service aux maîtres Nous n'essaierons pas d'analyser ces i 700 pages, d'une typographie très deuse et pourtant lumineuse. Dans une si vaste carrière, l'auteur ne pouvait fournir constamment un travail de première main, mais il montre à chaque page une information pénétrante, consciencieuse et bien à jour, un loyal souci d'objectivité, le don d'une rédaction aterte et lucide. Aucun sujet de quelque importance, dans la littérature religieuse des seize premiers sièctes chrétiens, ne lui échappe. Précieux vademecum pour le voyageur qui n'a pas le choix entre les livres de référence, le répertoire du P. Cayré rendra service à tous. Le travailleur avisé voudra l'avoir toujours à portée de la main..

VI. – Sacrements UMBERG, S. J., <«K<ï Mc?<MMM<<<MMt.

J. B.

Professor in Universitate Oenipontana, SysOeniponte, Rauch, 1930. In-8, vin-nz pages.

Prtx 2,40 R. M. A. D. SERTIUANGES, membre de l'Institut, Le Baptême

et la

C
Paris, H. Laurens, tozo In-8, 208 pages, 12S gravures. Prix 20 francs. (Anthologies illustrées). Nicolas 0. DERtsi, La CoMy<<<MC
mation.

s.

Prix t5 R. P. DE VOOGHT, 0. S. B., Causalité du Sacrement de Pénitence. ~~A~M~~t~M 7'heologicae Z~OT'ttKteM~ to3o, p. 633-675. Manuel QuERA, S. J., Otra ~<'s sabre el
Le R. P. Umberg, après avoir dispersé dans plusieurs recueils d'importants travaux de théologie sacramentaire, esquisse une synthèse qui, à ma connaissance, ne fait double emploi avec aucun ouvrage existant. La doctrine De Sacramentis in ~M~~e passe facilement pour une tâche plutôt ingrate elle peine pour assembler des éléments assez peu homogènes et doit postuler des analyses délicates. Le R. P. Umberg nous livre le travail d'un persévérant labeur et d'utiles suggestions. Le volume du R. P. Sertillanges surle Baptême et la Confirmation, dans la collection des Anthologies, est une contribution artistique à la Théologie des Sacrements. Texte et gravures en font une mine précieuse pour les chrétiens initiés. Le volume sur La Cc~M/~K< esencial del ~cy~c~ la Misa, que M. l'abbé Nicolas 0. Derisi nous adresse de Buenos Aires, a été offert par lui en hommage à Notre Seigneur Jésus Christ, le jour où il monta pour la première fois à l'autel. Dans ces prémices d'un nouveau prêtre, on trouvera beaucoup plus que des promesses: une pensée théologique ferme, une information étendue, un accent profond de piété sacerdotale. L'auteur déclare s'attacher de préférence à la trace au P. Christian Pesch il a fait choix d'un bon guide; d'ailleurs il ne s'en tient pas prisonnier et accueille volontiers diverses suggestions. Certaines pages paraîtront discutables ainsi nous ne croyons pas que la note de destruction soit si nette dans la notion très compréhensive du Sacrifice que donne saint Thomas d'Aquin (p. 25) l'idée d'offrande, comme telle, occupe le premier plan. L'auteur se montre généralement accueillant aux grands

ensembles, un peu pointilleux quant au détail. Mais plutôt que d'accumuler des critiques, redisons combien nous avons goûté le parfum de cet aimable ouvrage. Sous ce titre 7~<* ~/jf~ of /~i'A aM~ human ~~<M~M, contrasted and defined, le R. P. M. de La Taille ne nous apporte rien de proprement inédit, mais une illustration et une défense, en langue anglaise, de son vaste ouvrage eucharistique, intitulé Le but de cette publication est double vulgariser les thèses fondamentales de l'ouvrage précédent, et répondre à certaines critiques, qui se sont produites en pays anglo-saxon. Une première partie- la plus considérable est traduite du français ou du latin; la seconde partie est originale, mais a déjà vu le jour dans des Revues de langue anglaise. On se convaincra que l'objection ne trouve pas l'auteur désarmé. Le R. P. De Vooght, 0. S. B., revient dans les .E/~M< ?~f<7logicae sur la causalité du Sacrement de Pénitence, et me fait l'honneur d'une discussion dont je le remercie bien sincèrement. Mais il m'est impossible d'accepter la présentation qui est faite de ma pensée, en ces termes « Le P. d'Atès a repris contre la doctrine thomiste une objection tirée de la doctrine courante. JI Je n'ai eu certainement conscience de reprendre aucune objection contre la doctrine thomiste, mais bien d'objecter contre l'interprétation donnée par le Révérend Père à la doctrine thomiste, et dans laquelle j'avoue ne pas reconnaître celle-ci. Et la distinction demeure à mes yeux, même après cette discussion subtile et nuancée. Que l'absolution sacerdotale soit transmettrice de la grâce, j'y consens volontiers en cela consiste t'c~K~ c~e~/M/M. Mais la grâce n'entre pas dans l'âme sans la contrition. Si la contrition est déjà dans l'âme, l'absolution n'a pas à l'y mettre. Si elle n'y est pas encore, il peut arriver que l'absolution l'y mette. Telle est à mes yeux la doctrine de saint Thomas, à laquelle je n'ai rien objecté. Sur la doctrine du Concile de Trente relative à l'attrition, un article très solide du R. P. M. Quera dans les Estudios eclesiasticos, mettant en pleine lumière le parfait accord des enseignements présentés sess. vi, c. 6 et sess. xiv, c. 4. On pourra discuter eneore s'il faut parler de bienveillance à propos de ce mouvement par lequel mais on Deum tanquam omnis ~~M~ fontem diligere Mf~'MM~ devrait s'accorder à reconnaître que le nom d' « attrition d'amour )) est on ne peut plus décevant pour caractériser cette ccM~M !M~
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2~

Z~M.

Le terrain était piétiné depuis vingt siècles par les Pères de l'Ëgtise, par les canonistes, par les moralistes chrétiens, par les légistes civils. On ne s'aviserait guère d'y chercher'du nouveau. Mais telle est parfois l'inadvertance de notre âge que des vérités fondamentales disparaissent de l'horizon presque sans laisser de traces, et surtout sans laisser de regrets. La présente Étude MM<w~ constitue, en faveur d'une vérité de cet ordre~ la plus juste et la plus opportune des revendications. L'auteur s'était proposé d'écrire un traité sur la ~e~~ra~'fM de
que l'autorité ecclésiastique intervenait profondément, sinon toujours efficacement, dans la vie familiale, pour remédier aux abus. La vie moderne a changé tout cela. L'individualisme issu de la Renaissance et l'étatisme issu de l'absolutisme royal ont progressivement éliminé la juridiction de l'Eglise de la sphère des réalités historiques. L'individualisme suggérait que la vie conjugale est affaire entre époux, et qu'une volonté divine, source et régulatrice de la société familiale, ne doit pas troubler la fantaisie des époux par une ingérence indiscrète. Le gallicanisme soustrayait progressivement à l'Eglise toute législation matrimoniale. Dès le seizième siècle, la juridiction séculière s'attribuait le droit de régler les questions accessoires, comme celles de la dot. Au dix-septième, elle revendiquait les causes de séparation de corps, et déniait tout droit en cette matière à l'official, en accueillant les appels comme d'abus. Au dix huitième, elle arrachait le dernier lambeau resté aux mains de l'Église quant à l'obligation de la vie commune, les instances en adhésion. Au dix-neuvième, l'institution du mariage civil réduisait la société conjugale à la condition précaire d'association temporelle le mariage religieux, auquel d'ailleurs elle interdisait de procéder antérieurement au mariage civil, était relégué au rang d'affaire purement privée, d'ordre spirituel, sans nulle conséquence dans la vie extérieure. Les dispositions relatives à la séparation de corps offraient le moyen de tourner.la loi de l'Église, et préparaient des conflits plus graves pour l'heure où la séparation, transformée automatiquement en divorce, ruinerait à jamais l'espoir de refaire un foyer brisé. L'Église a souvent fermé les yeux. Assez d'autres graves soucis l'empêchaient d'ailleurs de multiplier, à l'égard de l'État, des protestations inopérantes, et le silence dont elle a pris l'habitude a eu pour effet trop naturel d'endormir les consciences, en leur permettant d'oublier un droit que l'État s'attribuait avec tant de désinvolture. Les officialités qui ont pris la peine de rompre cette prescription on nous cite celle de Maurienne, sous Mgr Rosset, en 1880, et celle de Strasbourg sous Mgr Ruch en 1925, –- constituent de très rares exceptions. Il ne manque pas de moralistes et de confesseurs, appliqués au soin des consciences individuelles; où sont les juristes attentifs à dire le droit de l'Église? Avec une rude franchise, l'auteur souligne ce qu'une telle situation présente de douloureusement anormal; et s'il prend acte de la disposition récente des Accords du Latran, abandonnant aux tribunaux italiens la connaissance des causes de séparation de corps, il note expressément que c'est là, de la part de l'Église, concession pure, rendue plus inoffensive dans l'espèce par la fermeté de la loi italienne à l'égard du divorce.

Le point sur lequel il a principalement à coeur de réagir contre l'opinion régnante, c'est le caractère illicite d'une séparation de fait, consommée par les époux, de leur propre autorité, sans recours préalable à l'Eglise. Certains cas d'urgence exceptés, que l'Église a toujours admis, la règle générale demeure. Rompre la cohabitation quant au toit, par simple convenance personnelle, c'est aller contre l'institution du mariage, et pour être amiable, une telle séparation ne devient pas légitime. L'ancien droit n'admettait pas aux sacrements les époux ainsi séparés. On entrevoit la portée religieuse et aussi la portée sociale d'une pareille thèse, appuyée sur une vue compréhensive de l'histoire du droit ecclésiastique. En révélant sans ambages ce qu'il considère comme une plaie très profonde de la société présente, l'auteur se garde par ailleurs de tout pessimisme; il prend même soin de noter certains indices qui peuvent faire pronostiquer, pour un avenir assurément lointain, un redressement de l'opinion publique, un refoulement de l'absolutisme laique et une restauration de la famille appuyée sur l'Évangile. Œuvre d'un juriste éminent,ce beau livrese recommande non seulement au moraliste catholique, mais au sociologue et à l'homme d'État. Le volume de 1160 pages très denses publié par la librairie Gay, grâce aux soins de l'infatigable abbé R. Aigrain, sous ce titre Z~M~a, comme pendant au volume déjà intitujé Ecclesia, ne rentre pas directement dans le cadre de ce Bulletin. Mais il rendra aux théologiens trop de services pour que nous ne nous empressions pas de le signaler. A qui veut prendre de l'ouvrage une connaissance superficielle et rapide, deux voies s'offrent. La plus scientifique consiste à lire attentivement la table des matières. La plus attrayante consiste à faire comme les enfants, en tournant simplement les pages et s'arrêtant d'abord aux illustrations. Aussitôt les questions se pressent. D'ordinaire, on atteindra vite la réponse, en recourant à l'index alphabétique très copieux, qui couvre 42 pages à 3 colonnes. Signalons encore le lexique des principaux liturgistes, oeuvre personnelle de l'abbé Aigrain 56 pages de notes biographiques, sobres et précises. Histoire et doctrine sont fondues dans ce répertoire qui groupe vingt-trois noms d'auteurs, l'Ordre de saint Benoît tenant, comme il convenait, le premier rang. Et on n'en soupçonnera la richesse qu'après l'avoir longtemps pratiqué. Paris. ADHÉMAR D'ALÈS. Le CtvaKf

T.

DUMOUHN.

Impnmene J. Dumoutin, à Paris.

LE SYMBOLE

D'UNION DE L'ANNÉE

4~3

ET LA PREMIÈRE ÉCOLE NESTORIENNE'1 Au temps du concile d'Éphèse et durant les mois qui suivirent immédiatement, le parti nestorien offre un spectacle étrangement douloureux nous l'entrevoyons dans la compilation du comte Irénée, arrangée au siècle suivant par le diacre romain Rusticus, et entrée sous cette forme mitigée dans nos collections conciliaires 2. Le coup de tête de Jean d'Antioche avait scindé l'épiscopat catholique en deux conciles ennemis; de longs efforts furent nécessaires pour calmer les esprits et préparer un accord qui n'intervint qu'après vingt-deux mois. Encore ne rallia-t-il point tous les dissidents. Quinze évêques orientaux s'opiniâtrèrent dans le

schisme~ Or, à l'heure la plus sombre de cette histoire, s'était pro-

~A~

(sous i. Ces pages sont extraites d'u-n volume sur Le Dogme presse, Beauchesne). 2. On trouvera une édition quelconque soit chez Mansi, t. V, soit chez Migne, P. G., LXXXIV. Nous citerons de préférence les ~îe<
duit un fait providentiel qui devait plus tard rendre possible un rapprochement, mais dont la portée ne semble pas avoir été aperçue dès lors par ceux qui l'avaient posé. Le comte Jean était venu de Constantinople pour publier une sentence impériale qui, loin de calmer les esprits, les excita davantage Théodose II avait cru faire œuvre politique en abat. tant les têtes des deux partis il avait frappé de déposition Nestorius d'une part, Cyrille d'Alexandrie et Memnon d'Éphèse de l'autre. Combien son calcul était faux, il dut le comprendre en lisant le rapport adressé à Constantinople par le comte Jean\ Mais, avec ce rapport, il reçut une lettre émanée du conciliabule oriental réuni à Ephèse autour de Jean d'Antioche~. On y lisait, vers la fin, ces mots Nous confessonsNotre Seigneur Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, Dieu parfait et homme parfait, [composé] d'une âme raisonnable et d'un corps, engendré du Père avant les siècles selon la divinité, [engendré] en ces derniers jours de la Vierge Marie selon l'humanité, à la fois consubstantiel au Père selon la divinité et consubstantie! à nous selon l'humanité. Car de deux natures l'union s'est faite aussi nous confessons un Christ, un Fils, un Seigneur. A raison de cette union sans confusion, nous confessons que la sainte Vierge est Mère de Dieu, parce que le Dieu Verbe a pris chair et s'est fait homme, et dès l'instant de sa conception s'est uni le temple pris de la Vierge. &

Il faut reproduire, d'après le texte original où elles se ren-

contrent pour la première fois, ces lignes" qui appartiennent CO., I, iv,

1920).

Le texte grec original, demeuré inédit, nous a été rendu tout récemment par la publication du Codex ~i~
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104, p. 53-55.

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en propre à Jean d'Antioche et furent souvent reprises dans la snite, par l'une et l'autre parties. Ces lignes, écrites ou du moins signées par Jean d'Antioche dès le commencement d'août 431, manifestent l'extrême mobilité de son esprit, et marquent une avance décisive vers les positions cyrilliennes. Elles ne laissent pas de surprendre le lecteur qui fait réflexion sur le contexte, sur la date et sur le milieu. La lettre débute par un hymne à la sagesse impériale. Elle abonde en récriminations amères contre l'indiscrétion de l'Égyptien qui, selon sa coutume, a troublé le monde entier. Elle s'achève par un vœu énergique pour l'extermination des Kc~M~ata de Cyrille, obstacle insurmontable à la paix, et pour le retour pur et simple à la foi de Nicée. Depuis la rupture entre les deux groupes éphésiens, il ne s'est écoulé guère plus d'un mois, et l'animosité est aussi vive que jamais. Cependant, la lettre apporte de quoi faire justice aux exigences principales de Cyrille. Cyrille, dans son troisième anathématisme~, a parlé d's~Mc~
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l'usage des anciens Pères pour traduire une donnée traditionnelle~. De la part d'un Antiochien tel que Jean, l'aveu a son prix. Mais en le consignant dans une lettre intime, il ne risquait rien. Au contraire, le renouveler dans un document officiel, à une pareille heure, n'était-ce pas en quelque sorte trahir la discipline du parti ? La conduite de Jean serait inexplicable sans les circonstancesqui la rendaientopportune, sinon nécessaire. Des nouvelles inquiétantes étaient venues de Constantinople. L'empereur, harcelé par des rapports officiels qui donnaient toujours le beaurôle aux Orientaux, ne laissait pas de prêter quelquefois l'oreille à d'autres sons de cloches. Le comte Irénée, arrivant d'Éphèse à Constantinople, constatait que les Égyptiens l'avaient prévenu de trois jours et qu'ils n'avaient pas perdu leur temps On avait réussi à persuader Éphèse Scholasticius qu'à chambellan Nestorius grand au n'avait pas voulu supporter le nom de SeoToxot' Et il fallait que cette rumeur eût causé quelque émoi, puisque Nestorius lui-même n'avait pas dédaigné de la démentir par une longue lettre au même Scholasticius, que nous pouvons lire en latin C'est par de tels bruits qu'on avait décidé Théodose II à frapper Nestorius en même temps que Cyrille et Memnon. Il fallait à tout prix, fût-ce au prix de quelque surenchère, I, i, t, 14, p. 93-96. ou P. G., LXXVII, 1449-1457. I, iv, i, 109, p. 6o-6i. Texte grec,l, i, 5, 164, p. t35-6. !0.~1CO., I, I, 5, 104, p. t35, 21-23 Tt)V ~EI/TOt [Jt.S-~OTrpmM-MTOV K~

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~T~ETO *E!?SO<j< T~! 860TOXOU mM~C. ji. ~4C'0.j I, IV, i, to3, p. 5t-53. Voici les premières lignes de

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cette pièce Ammiror amatricem Dei animam tuam, et certe dum firma sit circa fallacias non expansa, quomodo fabulas approbaverit immuni dorum, dicentesde nobis quod abiuraverimus vocem qua Dei Genitrix nominatur. Quam nos, sicut nosti, saepius diximus, diximus vero ita ne aut purum hominem quis suspicaretur Dominum Iesum Christum aut Deum humanitate mudum. – Nestorius ose faire appel aux souvenirs de Scholasticius, et de fait nous lisons une allusion expresse à Ja i ~MToxo; dans la deuxième des trois homélies de Nestorius éditées par M. Nau. Le Livre d'Héraclide, p. 355, 1. i. Tou~u Ss r~ ÛeoToxM ?t<):p9sv({)

et


empêcher que la rigueur impériale s'étendît à tout le parti; et il n'y avait pas de temps à perdre, car le comte Jean avait ordre de demander aux deux conciles une exposition de leur foi 12. Jean d'Antioche estima que la prudence commandait une déclaration catégorique en faveur du O~mM;. On peut croire que cette déclaration ne fut pas du goût de tout le monde. Fut-elle du goût de Théodoret, esprit beaucoup moins prompt que Jean aux résolutions extrêmes ? Nous ne le savons pas il y a lieu d'en douter. Les Orientaux évitèrent de se compter sur un document qui pouvait les diviser, et la lettre adressée à Théodose II nous est parvenue, soit dans la version latine de Rusticus, soit dans le grec original, sans signature, comme la pensée collective du concile réuni autour de Jean. Cependant, nous verrons que tel ami de Théodoret refusa dès lors de s'engager c'est Alexandre de Hiérapolis, qui devait rester jusqu'au bout l'âme de la résistance. Quand, après dix-huit mois, ce texte fut communiqué à Cyrille d'Alexandrie et saisi par lui avec empressement pour servir de base à une réconciliation, les récriminations éclatèrent, dans les rangs de ceux qui s'étaient tus jusque-là, par conviction ou par politique.

Nestoriusdevait semontrer,plusque toutautre,implacable. Au lendemain de la réconciliation, Théodoret lui a communiqué fraternellement la lettre de Cyrille à Jean d'Antioche, en ajoutant que pour sa part il en est satisfait et n'y trouve pas d'hérésie que par ailleurs on lui couperait les deux mains plutôt que de le faire consentir aux mesures prises contre la personne de Nestorius 13. Il n'est pas un de ces caméléons qui prennent à chaque instant la couleur du milieu.

70,8-

'EnStO~ 8: HpOTTET~KTE, euTeëefTMTOt potdt~ p.ET~ T~V <JYX(XT~6eT[V -rauTTf)~ TT~ Otpp~YOCt ItMTSM! X~ TtEpI T~; OtytZ; xxt BeoToxou IIxpQE~ou Y~MptoOf~Qn u~MV r~ ot~u~tpë~TM EU(Te6e!tt (tObTOy&p 12.

~CO., I, I, 7,48,

p.

'!j)~ aur~YYSt).~o [~YatXo~pETtecTaTO; xott eySo~OT~TO? xopt. *ItM~(;). u. ACO., I, IV, 2, 208, p. i5o, 7-14 Dico enim, sicut coram veritate ipsa, frequenter eis [litteris] perlectis subtiliterque discussis, inveni ab illa eas haeretica amaritudine liberas easque timui ullo modo maculare, dum certe oderim non minus aliis illarum patrem sicut totius

Théodoret poursuivait la réalisation d'un programme aussi débonnaire que chimérique dissocier la formule d'union, dont il appréciait hautement le bienfait, et les mesures prises contre les personnes qui faisaient obstacle à l'union. A Himère de Nicomédie, chassé de son Église pour cause d'attachement à la cause nestorienne, il écrira Les lettres venues récemment d'Égypte nous ont paru conformes à la doctrine apostolique, et nous sommes prêts à communier avec l'Egypte et Constantinople, pourvu que justice soit rendue à vous et à l'homme innocent qui expie des crimes imaginaires. Sachez que, pour rendre aux auteurs de ces violences notre communion, nous attendons que vous et les autres évêques dépossédés ayez récupéré vos Eglises. Le programme de Théodoret était la négation même du programme poursuivi par Cyrille d'Alexandrie, qui ne cessa de voir dans la condamnation de Nestorius et des siens la première et plus essentielle base de l'union. Mais Jean d'Antioche s'était engagé sans réfléchir dans quelle mesure il serait suivi. Pour chacun de ses adhérents, les conditions d'une union effective restaient à débattre. Théodoret n'était pas près de se rendre, et l'on s'explique aisément que l'évêque d'Alexandrie ait jugé opportun d'écrire à l'évêque d'Antioche pour lui signaler l'attitude inquiétante de l'évêque de Cyr Toujours est-il que la démarche fraternelle tentée alors par Théodoret près de Nestorius échoua complètement. La réponse de Nestorius le montre plus que jamais fermé Anundi perturbationis auctorem, et spero non me soluturum poenas hoc de hoc in die iudicii, quia iustus iudex intentionis inspector est. His autem quse contra tuam iniuste et inique facta sunt sanctitatem, nec si ambas manus meas quilibet abscidat, patior assentire, procul dubio divina mihi cooperante gratia et animae imbecitlitatem roborante, et manifestum feci et illis per litteras qui exigere nitebantur. 14. ACO., I, iv, 2, 160, p. toy-ioS. i5. ACO., I, iv, 3ot,p. 23t. En grec, P. G., LXXVII, 63, p. 328. – L'opposition de Théodoret ne devait pas faiblir de sitôt, et l'on croit en retrouver la trace même après la mort de Cyrille d'Alexandrie, dans des pièces datées de l'année 448 et conservées par le Code Justinien. ~C
aux raisons sur lesquelles un accord vient de se conclure. Cyrille, d'accord avec Jean d'Antioche, appelle Marie Mère de Dieu, parce qu'elle a mis au monde l'Emmanuel selon la chair. –Qu'est-ce donc que l'Emmanuel, réplique Nestorius, sinon le Dieu Verbe ? La parole de Cyrille est une folie et un blasphème~. A cette fin de non-recevoir, sèche et hautaine, plusieurs voix font écho. Alexandre de Hiérapolis, répondant lui aussi aux avances de Théodore! constate l'enfantement du dessein perfide t6. ACO., t, iv, 2, 209, p. 151, 23 sqq. Si de caelo, inquit, et non ex

virgine sanctum corpus dicimus factum Salvatoris omnium Christi, quomodo iam Dei genetrix intellegitur? Quem namque omnino peperit, nisi verum sit quod Emmanuhel genuerit secundum carnem? Hae voces eius et insensatae et blasphemae plurimum sunt. Insensatae quidem, quia ut bene dici demonstret carnem non esse de caelo, utitur bac voce qua Dei genetnx nominatur, qui per omnia immurmurat auribus omnium quod eam id quod maius est deceat appellari. Si igitur amplius est genetricem Dei vocari, quomodo maioris nomen id quod minus est designet ? Qualiter vero ille qui eam vocem quae est Emmanuhel, tanquam divinitatis quae ex virgine nata est, Dei Verbi significativam accipiens, dum propheticum testimonium profert et frequenter sursum ac deorsum clamans de virgine « Genuit secundum carnem Emmanuhelem )), nunc humanitatis partus significativum suscepit hoc nomen, theotocos nomen, quare EmoMtnuhelis protulit nomen, ut nomen Verbi tantummodo deitatis partae de virgine ? Si vero Emmanuhelis vocabulo Verbum, quod partum est, significari dicit, eo quod idem vocabulum praedicet <( nobiLSCum Deus x, quare rursus id ipsum ut non deitatis sed carnis, quae est ex virgine, significativum dicit et proclamat vocesquasdam sibimetipsis contrarias? Et hoc quidem demonstratio est eorum quae ab ipso dicta sunt dementiae verum repetens easdem voces, cerneetiam quantasit blasphemia. Non perterretur vesanus hominibus praedicans quia Dei nomen sig&ificativum est geniturae carnalis, ita ut sit carnis genetrix Deigenetrix. 17. ACO., I, IV, 2, t82, p. i3o, 10-17 Vix tandem quae parturiebant et sculpiebant mox post deiectionem Aegyptii, qui circa honorandissimum Paulum cum domno Johanne, parere nunc et ad lucem deducere valuerunt; memor est autem sanctitas tua quia nec in illo pertuli eis communicare consilio de epistula illa quae apud Ephesum facta est. In superficie quidem quasi ex occasione lohannis comitis scripta est, tanquam dixisset imperator ut ei aliquid indicaremus de voce qua dicitur theotocos, i. e. enixa Deum in veritate autem vox haec, ut

conçu à Éphèse même, après la déposition de Cyrille, dans l'entourage de Jean d'Antioche, par Paul d'Émèse et autres. L'évêque de Cyr n'a sans doute pas oublié que dès lors l'évêque de Hiérap'?lis dénonça les premières faiblesses et refusa d'approuver la lettre qui fut adressée à l'empereur par le concile oriental, après la mission du comte Jean. Sous prétexte de donner à la cour le gage demandé, par une déclaration favorable au Théotocos, on trahit la vraie foi et l'on flétrit Nestorius, docteur de la vraie foi. Au reste, sur -les incidents d'Ephèse et sur les anathématismes cyrilliens, Alexandre est bien documenté il se propose d'y penser à loisir. Alexandre veut bien accorder 18 qu'il y eut un temps où, dans les fêtes et les panégyriques, on put, sans trahir la foi catholique, appeler Marie Mère de Dieu tout court, et s'en tenir là, en toute innocence et irréflexion. Mais maintenant la question dogmatique est soulevée reprendre ce mot sans addition, serait faire Dieu passible, avec Cyrille. Si tes gens qui proposèrent ce mot et celui qui l'accepta avaient une conscience droite, qui les empêchait de s'accorder sur le nom de Mère du Christ, qui dit tout ? ou bien de supplémenter le nom de Mère de Dieu par celui de mère de l'homme ? C'eût querebatur a nobis, ad proditionem et calumniam illius qui rectam fidem docebat, insertaest. 18. ACO., I, iv, 2, !82, p. [3o, 3i-4o: Et quidem ut in festivitatibus sive praeconiisatque doctrinis incircumspecte Dei genetrix sive Deum enixa ab orthodoxis tantummodo sine adiectione diceretur, vel deicidae ludaei, vel quia Verbum incrassatum est et quaecumque sunt talia, quae magis insuspecte dicta ab orthodoxis invenimus, sane nulla accusatione sunt digna, eo quod nec dogmatice sint posita ista et, ut dixi, non maligne sint dicta, quippe non a sordida voluntate, sed nec tali tune quaestione proposita. At vero post corruptionem totius orbis et ex quo praedicari nunc coepit passibilis Deus ab impiis Cyrilli capitulis, dogmatice poni solam vocem quae enixam pronuntiat Deum, i.e. theotocon, absque illa quae pronuntiat hominis genitricem, i. e. anthropotocon, nihil est aliud nisi ea quae Cyrilli sunt, praedicari. Les concessions faites ici par Alexandre au style oratoire pourraient être un écho de Thëodoret lui-même, écrivant d'Éph~se aux moines orientaux, <E~. t5t, P. G., LXXXIII, p. t42o D.

été marcher sur la trace des grands docteurs de l'Église qui firent front contre l'hérésie d'Apollinaire. Ainsi parle un sectaire, que le rédacteur de la Collectio Casinensis appelle « un second Nestorius Alexandre, qui jusqu'ici est resté d'accord avec Théodoret, va rompre avec lui et avec tout le parti oriental rallié à Rome. Euthère de Tyanes est plus long et plus lourd. Dans une épaisse diatribe~" qu'il adresse à Alexandre de Hiérapolis, comme pour éclairer son zèle, il s'attache surtout à établir que la pensée de Nestorius se trouve tout entière dans le symbole d'union, et que Cyrille n'a rien dit de neuf, que des blasphèmes~. Il pleure sur ceux qui ont accepté la communion de l'hérétique et n'ont couvert Nestorius de fleurs que pour le trahir. Ceux-là, c'est Jean d'Antioche avec les siens. Pourtant, si l'on en croit Irénée, l'historien de la secte, Jean d'Antioche et les siens pensaient au fond comme Nestorius, et s'ils adhérèrent à la sentence qui le frappait, ce fut pure hypocrisie. Pour prouver son dire, il assure que Nestorius n'a fait que reprendre la doctrine de Théodore de Mopjo. ACO., I, n',3,258 a, p. i8g,24:Atexander,i.e. quasi alter-Nestorius. =o. ACO., I, n, 3, 2<)t, p. 2t3-22t. Euthère s'attache à réfuter la célèbre lettre de Cyrille à Jean d'Antioche. EucppatVMOMMv ot oupot~o:, I, ~4, t27,p. 15-20;P. G., LXXVII, 173-181. Il lui oppose la deuxième lettre de Nestorius à Cyrille. P. 2t5, 22-25. Nestorius 2!. L. C., p. 2[5, 14-18. Cyrille Confitemur DNIC Filium Dei, Vox significans et divinitatem et Deum perfectum et hominem per- humanitatem, i. e. id nomen quod fectum ex anima rationali et cor- est Christus, Patres vera dicere pcre, ante saecula quidem de Patre facit utraque. Consubstantialis

genitum secundum deitatem, ultimis vero diebus eundem ipsum propter nos et propter nostram salutem ex Maria sancta virgine secundum humanitatem, consubstantialem Patri eundem secundum divinitatem et consubstantialem nobis secundumhumanitatem. P. 2:7, !o-![. Cyrille Duarum naturarum unitio facta

Patri Christus, verum est; etenim secundum divinitatem consubsistit. Consubstantialis nobis secundum humanam naturam, verum est; et homo est enim.

P. 2:7, i4-t6, 26-29. Nestorius: Ut propositis nominibus quibus-

sueste, et il cite à l'appui trois témoins non suspects Cyrille d'Alexandrie~, Théodote d'A~cyre", Rabbula d'Édesse". Or, pensait-il, Théodore de Mopsueste parlait comme les Pères les plus illustres~. est. Propterquod unum Christum, unum Dominum, unum Filium confitemur.

f

dam communibus utrarumque naturarum signifieativis, neque ea quae filiationis et dominationis sunt incidantur, nec ea quae naturarum in singularitate filiationis confusionis exterminio periclitentur. Ubique divina Scriptura, quotienscumque dominicae dispensatiomis memoriam facit, generationem passionemque non divinitatis Christi tradit, sed humanitatis, ita ut vocetur circa scrupulosiorem appellationem sancta Virgo genetrix Christi et non genetrix Dei. Euthère de Tyanes avait-il conscience de transcrire, sous le nom de Cyrille, le texte même arrêté deux ans plus tôt par Jean d'Antioche et présenté à Théodore II, au nom du conciliabule nestorien ? On ne saurait le dire. D'ailleurs, il est notable qu'il n'est pas allé jusqu'au bout l'adhésion formelle donnée dès lors par Jean au y&c~<7Cfj n'est pas reproduite par lui en propres termes. Une fausse attribution à saint Athanase nous a valu la conservation d'un écrit original d'Euthère; on le trouve sous ce titre CoM/M
Le raisonnement d'Irénée ne saurait prévaloir contre tes textes que nous avons cités et qui montrent les intransigeants de la secte si éloignés du symbole d'union. De Théodore de Mopsueste à Nestorius la continuité est réelle; mais des anciens Pères à Théodore de Mopsueste, la distance était grande et malgré l'accoutumance, due à leur éducation orientale, les amis de Nestorius ouvraient quelquefois les yeux. Irénée lui-même était capable d'ouvrir les yeux, s'il est vrai qu'il ne refusa jamais d'admettre le OeoToxo! Le fait nous est garanti par Théodoret. Bien que postérieur de dix-huit ans, le témoignage de Théodoret n'est pas suspect nous pouvons l'admettre, bien qu'il complique terriblement le rôle personnel d'Irénée~. Jean d'Antioche avait ouvert les yeux, en pleine crise éphésienne, sous la pression des circonstances. Paul d'Êmèse et Acace de Bérée devaient les ouvrir à leur tour, bien que Paul eût, à Ephèse, suivi le parti oriental et engagé dans cette aventure la signature d'Acace. Par eux, vers la fin de l'année 43z, Cyrille d'Alexandrie fut saisi des lignes écrites d'Rphèse à Théodose II par Jean d'Antioche, plus d'un an auparavant; lignes qui renfermaient la solution toute prête d'un conflit réputé insoluble. Lors des négociations qui, à l'automne de 43i, amenèrent à Chalcédoine des délégations des deux conciles et se terminèrent par l'échec irrémédiable de la cause orientale, Acace de Bérée avait passé par une véritable agonie, dont nous trouvons la trace dans une lettre alors adressée par lui Un an après, le même Acace de à Alexandre de Hiérapolis clarissimi Patres, testis est synodus Orientis. Igitur, inquit, Nestor:us eadem praedicavit quae cuncti clarissimi Patres. Rusticus, qui nous a conservé ce raisonnement d'Irénée, ne le prend pas précisément à son compte, mais il ébauche une apologie de Théodore. 26. Théodoret à Domnus d'Antioche, !io, P. G., LXXXIII, Oux o!SxjJt.E~ OtUTOV TtCtpXtTYjS~jJLSVOV TtMTTOTë QeOTOXO~ Mt~ECKt T~ 1305 B K~OtV

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OpOV~M~TX T')?; eue:YY6~!)to!< SoYjAMt~.

iv, 2, 13o, p. 85, 24-25 Omnem linguam superant ad loquendum quae per concinnationem diaboli dicta et acta sunt. 27. ACO., I,

Bérée adressait au même correspondant une autre lettre d'un accent tout di&érent il lui communiquait sa dernière pensée, l'invitant à considérer avec calme la réponse mémorable de Cyrille d'Alexandrie et à en apprécier toute l'exactitude doctrinale28. Il faisait prévoir l'adhésion qu'il allait y donner avec Jean d'Antioche, et pressait Alexandre de se joindre à eux. L'appel ne fut pas entendu; mais la lettre d'Acace demeure comme le testament de l'évêque centenaire et l'épilogue du conflit éphésien. ADHÊMAR

D'ALËS.

I, IV, 2, t43, p. 93, 32-37 Sipossibile est fatigari usque ad nos, facies bene; si vero, sicut scripsisti, nunc usque pedibus doles, inspiciens litteras Deo arnicissimi episcopi Cyrilli et cognoscens quanta usus sit acribia pro fidei causa, scribens ad nos acquiesce ad ea quae nos rescribemus cum consilio Deo amicissimi atque sanctissimi lohannis episcopi et Pauli ac reliquorum qui Antiochiae reperti fuerint domini episcopi. 28. ACO.,

LE

CENTENAIRE D'ÉPHÈSE ROME ET LE CONCILE

II.

(~~)

LE CONCILE

On sait ce qui arriva. La lettre impériale n'avait point produit sur Cyrille l'effet d'intimidation attendu. Au concile, il ne parut pas seulement en son nom personnel il s'y présenta aussi comme tenant la place de l'évêque de Rome a Cyrille, évêque d'Alexandrie, qui tient aussi la place du du saint archevêque de l'Église de Rome », disent de lui les Et, depuis, on s'est offusqué, on s'offusque Actes du concile parfois de ce titre. Du fait de la convocation du concile, la délégation reçue de saint Célestin n'était-elle point devenue sans objet? L'examen de la doctrine n'était-il pas tout à reprendre? En continuant à se prévaloir d'une mission reçue en vue d'une tout autre hypothèse, l'évêque d'Alexandrie n'aurait-il pas fait preuve de cet esprit de domination qui lui fut si reproché et qui contribua tant à envenimer la querelle entre lui et Nestorius, entre son Église et celle d'Antioche et des évêques orientaux? Nous n'avons pas à apprécier ici le caractère de Cyrille ni l'ensemble de sa conduite à l'égard de l'évêque de Constantinople. Mais, du point de vue de la pensée de Rome sur le concile lui-même, il est manifeste que son attitude est très 69. « Kup'OU *A~6~
53").

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exactement celle qu'on entendait l'y voir prendre. Ici les documents sont on ne peut plus explicites et l'on n'y regarde pas toujours d'assez près.

On y voit d'abord que le pape ne considérait nullement la convocation du concile comme ayant mis fin à la délégation donnée par lui à l'évêque d'Alexandrie ou comme ayant éteint l'action déjà engagée contre Nestorius. Cette convocation lui avait été sans doute notifiée en même temps qu'aux autres métropolitains. Il y répondit en envoyant à Ephèse trois délégués qu'il chargea en même temps d'une lettre destinée à être remise à l'empereur si, pour rejoindre l'évêque d'Alexandrie, ils devaient aller eux-mêmes à Constantinople. Cette lettre était, en effet, plutôt sèche. Après des félicitations banales pour le zèle de leurs Majestés à conserver la foi pure des erreurs condamnées, le pape se bornait à annoncer qu'il se ferait représenter à « ce concile qu'elles ont voulu » (~M!C .yyMo<7o ~MatM esse jussistis). Ainsi marquait-il qu'il leur laissait toute la responsabilité de l'avoir convoqué. Une phrase suivait cependant, qui rappelait clairement le jugement déjà porté sur la question de doctrine à y examiner au nom de Dieu, il suppliait leurs Majestés de ne « rien permettre à la nouveauté qui trouble » tout (ne quid turbidae novitati licere. ~n)ttMa~) et de ne prêter aucun appui (neve facultas aliqua tribuatur) à ceux qui « prétendent réduire la puissance de la majesté divine à ce que comprend Ainsi caractérisait-il l'erreur de Nesla raison humaine torius et, par là même, il montrait suffisamment qu'il la tenait pour définitivement condamnée. Mais cette persistance dans l'attitude déjà adoptée se marquait plus encore dans la lettre écrite la veille (7 mai 431) à l'évêque d'Alexandrie lui-même. Il y répondait précisément à la question que celui-ci lui yo. JafFe 38o; coll. P~~M~Mt~, n" 4 (II, 25).

7:. Comparer ce qu'il dit de ses « nouveautés » dans les lettres lai notifiant et à son Église sa condamnation ccM. t~cM~.ttJ, n"~ 2 et 5;

II.

811.

8~.

!2~.

t7".

savait posée sur la conduite à tenir au concile à l'égard de l'évêque de Constantinople. Aux termes de la sentence rendue contre lui, Nestorius, n'ayant pas souscrit à temps sa rétractation, devait être considéré comme déposé et ne faisant plus partie du corps épiscopal. De ce chef, on devait refuser de l'admettre au concile, et c'était une attitude possible. Mais, entre temps, la convocation du concile était survenue. En y appelant les évêques,

l'empereur avait paru vouloir éteindre ou suspendre toute action déjà engagée contre quelqu'un d'entre eux. En fait et bien que la sentence de Rome eût touché Nestorius, il n'avait pas été mis en demeure de faire connaître sa réponse. Peutêtre, quoique les délais impartis fussent largement écoulés, y aurait-il lieu de l'admettre au concile en lui demandant de rétracter à ce moment-là même les doctrines condamnées. [Ainsi fera-t-on vingt ans plus tard à Chalcédoine pour Théodoret.] Cyrille donc avait demandé au pape s'il y avait lieu de procéder ainsi avec Nestorius ou s'il fallait considérer la sentence portée contre lui comme ayant déjà produit son effet 72. La réponse du pape est très claire il accepte la suggestion de Cyrille. Bien que les délais soient passés, Nestorius peut être encore admis à se rétracter et, par suite, à siéger au concile. Dieu aime que l'on facilite au pécheur sa conversion. Puissent donc Cyrille ou le concile procurer au pape la joie d'apprendre que l'affaire s'est terminée par la correction désirée (~M~MM M~~MM votiva c~y~c~cMe discamus). Ce qu'il désire, c'est la paix de l'Église et le salut de celui qui est en voie de se perdre. Cela ~cependant, il ne le veut que si le malade consent à reconnaître son mal (si ~M<M ~M~< aegritudinem confiteri). Aussi ce qu'il en dit n'est que ppur ne pas rebuter celui qui peut-être accepterait de se corriger. Car, ya. « Quaeris utrum sancta synodus recipere debeat hominem a se ~a~<M<
s'il s'obstine ou si, comme dit le pape, il préfère des épines aux raisins qu'on lui offre, c'est lui-même qui se sera condamné et la sentence déjà portée produira tout son effet (M~M~, ~MMM/t~ statutis prioribus, ~M /M<< ~<~M~). I! devra seulement reconnaitre que lui seul est l'auteur de sa perte et que, loin d'être avide de son sang, on lui a offert le remède

Il n'y a pas trace, on le voit, dans cette lettre d'une hésitation ou d'un retour en arrière quelconque. Encore moins le but en est-il, comme on l'a dit, de calmer l'impatience de Cyrille le souhait de voir Nestorius se rétracter et rester ainsi dans la foi commune s'exprimait également dans les lettres antérieures. A Rome comme à Alexandrie, on continue donc à tenir sa doctrine pour définitivement condamnée et, si l'on est disposé à l'admettre au concile, on entend de part et d'autre qu'il ait d'abord à se rétracter faute de quoi, comme le portait la décision promulguée, on devrait le tenir pour déposé. Entre Cyrille, par conséquent, et le pape, l'accord reste complet et le pape, en lui répondant, lui a exprimé sa satisfaction de cet échange de lettres qui assure entre eux la communauté de vues et l'attitude Nos WMC~K nobis consilii ~<ï?'(!'cï~att0tt
(II, 26).

totale avait été déjà donnée à l'évêque d'Alexandrie, celui-ci restait tout désigné pour présider à ses délibérations, et les instructions mêmes données le lendemain de cette lettre (8 mai 43i) aux trois délégués que le pape y envoyait montrent à l'évidence qu'on le considérait comme devant en avoir la direction. La première, en effet, de ces instructions était de se conformer en tout aux vues de saint Cyrille Ad fratrem et CC~MCC~tMM MO~TTtMt Cyrillum consilium vestrum omne conT.'crftte et quidquid in ejus videritis arbitrio facietis. Aussi leur est-il prescrit uniquement « d'assister D aux séances de l'assemblée Ut interesse conventui debeatis. Il n'est pas question pour eux comme il le sera plus tard à Chalcédoine pour les délégués de saint Lêon~ – d'y présider. Ils auront seulement à s'assurer qu'on y a fait droit à l'autorité du siège apostolique Auctoritatem sedis e~o.sto?tcse custodiri debere MMM~a~tt~. Dans les délibérations, par conséquent, il leur appartient de juger les avis des autres; mais ils ne sauraient laisser discuter le leur. Au cas où ils arriveraient, le concile déjà fini et les Pères déjà dispersés, ils auront à rechercher quelle aura été la conclusion. Si tout s'y est passé conformément à la foi catholique, et qu'ils apprennent que Cyrille est parti pour Constantinople, ils iront eux aussi pour remettre à l'empereur la lettre du pape. En cas contraire, et s'il y a désaccord, ils jugeront sur place de ce qu'ils ont à faire en s'inspirant, comme il a été dit, de l'avis de Cyrille. Conjicere poteritis quid cum consilio supra dicti nostri fratris agere dcbeatM Ces instructions données au lendemain de la réponse sur la conduite à tenir à l'égard de Nestorius sont on ne peut formules sont à comparer. « Praedictum /fa~~M et <-<~<.f~pum meum vice MM
en 3

1

plus significatives. Il allait de soi, pour Rome, que l'évêque d'Alexandrie parût au concile comme le dépositaire de la pensée du pape. La volonté s'y manifestait aussi clairement que le concile acceptât la décision déjà prise au sujet de Nestorius. Mais cette intention se marquait plus nettement encore dans les lettres écrites le même jour, que les envoyés du pape devaient remettre à l'empereur et au concile. Nous avons déjà résumé la première. La seconde ne parlait, elle aussi, pour les envoyés pontificaux que de l'assistance aux délibérations de l'assemblée Qui his ~Ma~ o~t~
Quand les envoyés munis de ces instructions arrivèrent à Éphèse et purent communiquer cette lettre au concile, l'essentiel de son œuvre était déjà réalisé. Nestorius était déposé et l'on peut donc se demander si les instructions mandées en dernière heure à Cyrille eurent aucune influence sur la procédure suivie à son égard. Elles étaient datées du 7 mai et c'est le 22 juin que le concile s'ouvrait et prononçait la sentence de déposition. Par contre, les légats du pape, porteurs des lettres du 8 mai, n'arrivèrent à Ephèse que dans les premiers jours de juillet. Si donc la lettre destinée à Cyrille leur eût été confiée elle aussi, elle lui serait également parvenue après coup. Mais on peut croire qu'il avait ses courriers spéciaux, et, de fait, à la diRérenee des lettres pour l'empereur et y6. Jaffe 379.

Cc~. F~~M~Ky~,

n<'7(II.24).

pour le concile, celle qui lui est adressée ne porte point qu'elle doive lui être remise par les légats. Il n'est donc pas impossible qu'elle l'ait touché soit en route nous savons qu'i! fit escale à Rhodes soit à Éphèse même après son arrivée dans cette ville. Ne serait-ce pas après et pour l'avoir reçue qu'il se serait décidé à ouvrir le concile? Quoi qu'il en soit, on n'a qu'à suivre le procès-verbal de cette première séance (22 juin 431) pour constater qu'on y a procédé avec Nestorius comme l'avait suggéré Cyrille et approuvé Célestin. Sans tenir compte du défaut de rétractation dans les délais fixés, on l'avait invité à paraître au concile. Officiellement, on l'avait sommé de se rétracter et c'est sur son refus de comparaître que, se référant aux décisions déjà prises à son sujet, on l'avait déclaré déposé de son siège En agissant ainsi, les évêques groupés autour de Cyrille ne se sont assurément pas bornés à appliquer l'ordonnance rendue par le pape. Ils ont bien entendu juger eux aussi. C'est pourquoi tous les rétroactes de l'affaire ont été évoqués, et les doctrines professées respectivement par Nestorius et par Cyrille ont été examinées. Mais il n'en est pas moins apparu qu'on avait égard aussi au jugement rendu déjà par Rome. Dès l'ouverture de la séance, le résumé de l'affaire a rappelé que Célestin avait déjà fait connaître sa manière de voir et qu'il y avait au dossier une ordonnance formelle de lui~. Cette ordonnance a été lue et la lettre la contenant a été désignée comme une lettre sur la foi "Awep ctirecret~E Tce~ ï?~ -msTSM; Il a été rendu compte que notification en avait été faite en son temps à Nestorius en même temps que de la .S'VMod~M~ de Cyrille~ Aussi les Pères, en rendant leur jugement, spécifient-ils qu'il leur a été dicté à la fois par les 77. Coll. Vaticana, n°33-63 (1~, 68

et

13, 16).

3

64); résume dans

n~

67

et 88 (1~ 66-

Mansi 4-'i34-ts32 et i3o8.

78. « r~YpCMTMt TK sbtO~Ot. TUTtO~ ~tXVMOV ~EptS/O~TÛt » (ibid. 8~. Mansi 4. 1129 B.) Mansi 44.cFy7 Vaticasaa,ne n° 49(1~. "77 D). 49 (Iz, 369-'0; Mansi ;g. Coll. Fa~MH~ 79. 80. n" 49-51 (1~, 36-37 Mansi 4.'r8o).

C~.

36'

n"34, 1~

canons et par la lettre de Célestin KstTe~E~MTs; xwo r! TM~ xavo~MV XMt ex T~ eir~TO~~ ToG (xytNTatïou TrafTpo; '~(~ x~t i'j).).StTOupyoS Ke~ETTtvou

Les envoyés de Rome, par conséquent, quand ils arrivent à Éphèse, peuvent s'assurer, comme il leur a été prescrit de le faire, que l'autorité du siège apostolique a été respectée et que la foi antique a été bien servie. Sans que- rien dans les documents laisse apercevoir aucune hésitation de leur part, ils vont droit à Cyrille. Le juillet, ils prennent séance au concile dirigé par lui et c'est dès lors que se marque le mieux l'unité et la continuité d'action entre le pape et le concile. Dès l'abord, en présentant la lettre envoyée aux Pères, le prêtre Philippe, un des trois légats, rappelle que le pape, dans la lettre écrite l'année précédente à l'évêque d'Alexandrie, a déjà porté son jugement (Mptc~) sur l'affaire qui les occupe 82. Les deux évêques ses collègues demandent alors qu'on ordonne la lecture de la lettre dont ils sont les porteurs. On y verra, font-ils remarquer l'un et l'autre, à quel point l'évêque de Rome a le souci de toutes les Eglises ~av ~n
i

Cette sentence est juste: au nouveau Paul, Célestin; au nouveau Paul, Cyrille; à Cétestin le gardien de la foi, à Célestin d'accord avec le concile; à Célestin la reconnaissance de tout le concile Un Célestin, un Cyrille. Une foi du concile, une foi de t'olMu~Ew,

Cet hommage ainsi rendu à Célestin, le légat Projectus

54~

Mansi 4.1212 C). Le rapport 81. Coll. Vaticana, B" 6t (1~, envoyé à l'empereur portait de même que Célestin avait déjà condamné lesdoctrines de Nestorius et rendu son jugement contrelui: « Kt~MT~o~

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4.J2~oC.) 82. 83. 84.

Mansi 4.1281 B). 7~ a" :oô, to6,3~(I~54"Mansi4.t28tC).

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(P, 57; Mansi 4.t288 C-D).

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prend la parole pour préciser le sens où il était demandé au concile de donner son adhésion à ce qui avait été décidé par le pape on n'entendait point par là faire la leçon au concile (eux w; c~Muc~M ~~K
~mof s~E~xe x~t T~o~ TM Ttpaty[MtTt. Aussi est-ce conformément à ses indications (o) MxoXoufhiMMT~; iMn ~Et~) que nous avons rendu le décret, où nous nous sommes inspirés du jugement canonique et aposto-

lique ))

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Après cela, il ne restait plus qu'à sceller ofnciellement l'unité ainsi constatée. Ce serait l'effet de la confirmation accordée par les légats au jugement du concile. L'un d'eux, Arcadius, demande donc que communication leur en soit faite. Plus précis encore, après avoir remercié des acclamations au pape par lesquelles s'est manifestée l'union a des membres avec la tête a, car, le concile ne l'ignore pas, Pierre est la tête de toute la foi ou même des apôtres, le prêtre Philippe « "I~Ot TCtUTK & XM tCdUatt âp~E XK~ vSv UTtO}<.V1~M[ )t<XT7i~:MCE~, Et! ~SpX; XE~eu<M)TE Tt~pMTXTM XyeoOKt XOCT& TOV XK~MOt XOtV~! m
85.

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57~

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demande communication de tout ce qui a été fait au concile avant leur arrivée, afin que, conformément à la volonté du pape, comme aussi de l'assemblée, ils puissent le confirmer par leur approbation personnelle~. C'était insister beaucoup sur le rôle du pape et l'on comprend que l'auteur probablement oriental de la collectio Turonensis 88 ait omis d'y insérer ces quatre derniers discours. Des acclamations à Célestin, il passe directement à la réponse que fait Théodote d'Ancyre à la demande des légats. Celui-ci cependant exprime également sa joie que la lettre de Célestin et l'arrivée des légats aient démontré la justice de la sentence rendue par le concile il rend aussi hommage au zèle du pape et à sa sollicitude pour la foi et promet qu'il sera fait droit à la demande des La séance ainsi terminée fut suivie le lendemain (11juillet) de celle où l'on procéda à la confirmation et à la notification officielle de la sentence conciliaire contre Nestorius. Le procès-verbal ne s'en trouve pas non plus dans la collection Turonensis, et il n'est intéressant, en effet, que par l'affirmation qui y est faite de l'autorité du Saint-Siège. Les légats, ici, sont bien fidèles à la mission qui leur avait été donnée d'en assurer le respect. La lecture des Actes qu'ils ont faite leur a permis de constater personnellement que le concile a procédé canoniquement. Mais ils demandent que lecture leur en soit donnée de nouveau en séance afin que, conformément à leurs instructions, ils puissent confirmer le jugement rendu (~u~N~ rx xE)tpt;jLevat pe~M<~)' Le concile accepte et lecture est donnée, en effet, de la sentence où il fait profession de suivre, en même temps que les canons, la lettre du pape 91. Les

légats"

58~ Mansi 4.1289 C-D).

8;. Vaticana, n° 106,

23 (1~,

88. N" 35 (~111,92-94)-

Je ne vois pas que M.

SCHWARTZ (1~

noté cette omission. 89. Vaticana, n° 106, 24 (13, S8-59; Mansi 4.t28o D-F). 90. Ibid., 26 (1~, Sg~ Mansi 4.:293 B). 91. Ibid., 29-30 (1~, 60; Mansi 4.T293-t29Ô).

53" °

ait

trois légats prononcent alors eux aussi sur la déposition de Nestorius. C'est l'occasion pour le prêtre Philippe, qui parle le premier, de rappeler la haute autorité du siège dont il représente le titulaire. II n'est douteux pour personne, il est plutôt connu de tous les siècles que le saint et bienheureux Pierre, exarque et tête des apôtres, colonne de la foi, fondement de l'Eglise catholique, a reçu de Notre Seigneur Jésus Christ, sauveur et rédempteur du genre humain, les clefs du royaume et que pouvoir lui a été donné de lier et de délier les péchés. Or, Pierre, jusqu'à maintenant et toujours, vit et juge dans ses successeurs.

Suit un hommage aux empereurs dont le zèle pour la foi leur a fait convoquer le concile. Après quoi, le légat constate que Nestorius s'est condamné lui-même en refusant de venir au concile où il aurait pu trouver le remède à son mal. Son refus de comparaître, même si longtemps après l'expiration du délai fixé par le siège apostolique, justifie donc pleinement la sentence rendue contre lui puisqu'il n'a pas voulu se corriger, que sa part soit avec celui dont il est écrit E~~co~atitw ejus acct~Mt a~f~. L'évêque Arcadius reprend les mêmes idées. Puis Projectus conclut de même, en ajoutant qu'il le fait en vertu de Pautorité du siège apostolique et comme exécuteur, avec les autres légats, de sa sentence « 'op~M <xu<~TMc<; T~ 0~5 MOSTQ~XVi~ )M~6~p6~ HOEsëEKX [JLSTX TWV tÏ~E~OMV T~ MTTOOXTEt~ E
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C'était fini, et il ne restait plus qu'à signer. Avant d'inviter les légats à le faire, Cyrille, au nom du concile, prit acte de leur jugement. Représentants du siège apostolique et du concile des évêques d'Occident, ils ont exécuté les décisions déjà prises par Célestin (ix Qj)Kj9~iK ~<x?K. K.s'XecT~ou

(f,

60-61; Mansi ~.t~ô-tz~y).– On reconnaît dans ce discours les idées mêmes qu'avaient exprimées Célestin dans sa lettre à Cyrille en vue du Concile. Mansi 4.t3oo A). 93. Ibid., 33 (I", 92. Coll. Vaticana, 3t

6~

~:6t€ftCMv)

Nestor!

et adhéré à la sentence rendue par le concile contre

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Ainsi se trouvait officiellement constatée et afnrmée l'unité d'action entre le concile et le pape. Elle devait se manifester encore quelques jours plus tard dans les séances des 16 et 17juillet, où, après sommation faite à Jean d'Antioche de venir soutenir l'accusation d'apollinarisme lancée contre Cyrille et Memnon, l'excommunication fut prononcée contre lui et 33 de ses partisans les trois légats présents à la séance souscrivirent, eux aussi, la sentence rendue Deux mois plus tard, deux d'entre eux, le prêtre Philippe et l'évêque Arcadius, feront partie de la délégation chargée de représenter le concile aux conférences de Chalcédoine. Décidément, on ne pouvait plus s'y tromper à Constantinople Cyrille et le concile avaient pour eux le pape et avec lui tous les évêquesde l'Occident, donc, comme aimait à le faire remarquer l'évêque d'Alexandrie, tout l'ensemble de l' « œcuménicité' e. Aussi ne saurait-on douter du poids dont pesa auprès de l'empereur cette intervention des légats. Aussitôt après les séances de ratification, le concile lui en avait représenté la signification. La déposition dont on venait de frapper Nestorius, le pape l'avait décidée longtemps avant que ne se réunît le concile, et il en avait informé l'évêque d'Alexandrie dans la lettre où il le chargeait de le remplacer~. Mais, avait-on ajouté, ce qu'il avait fait dès lors, il venait de le confirmer par la lettre qu'il avait écrite au concile et par les légats qu'il y avait envoyés. Ceux-ci, d'ailleurs, rendaient aussi témoignage pour le concile des évêques d'Occident 98. Faticana, 34 (t~,

62~

Mansi 4.j3oo B). <)5. n"" 87-90 (13, !5-a6; Mansi 4.i3o5-t325). 96. Rapport à l'empereur sur les séances des t6 et v~ juillet. Vaticana, Ti" 92 (1~, 28-3o; Mansi ~.iSzS-tS~). e~
~6~ 'PJ)~

Or, faisait remarquer le rapport envoyé après le 17 juillet, on ne saurait admettre que la trentaine d'évêques groupés autour de Jean d'Antioche suffisent à tenir en échec les décisions d'autorités si considérables* Quoi qu'on en eût à Constantinople contre l'évêque

d'Alexandrie, il était difficile de se soustraire à ces considérations, et le comte Irénée, quand il arriva pour remettre les rapports des Orientaux, ne put s'empêcher de constater l'impression qu'elles avaient produites~ Dès l'abord, il se rendit compte que la cause de « l'ami » était désormais perdue. Sans peine, et pour punir Cyrille de l'avoir emporté malgré les mesures d'intimidation prises contre lui, l'empereur accepta de ratifier aussi sa déposition. Mais celle de Nestorius resta également acquise. Dans les efforts qui suivirent pour dissiper l'imbroglio ainsi créé, il ne fut plus question de revenir sur le jugement porté contre lui. Le but poursuivi fut uniquement d'humilier et d'abattre Cyrille en obtenant des deux groupes d'évêques qu'ils s'unissent dans une condamnation commune de ses anathématismes. Mansi 4.t32C) B). 99. F
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ennemis, entre autres, sans doute, l'irréconciliable comte Irénée. Toujours est-il qu'à la date de cette lettre et de ce bordereau Maximien était depuis assez longtemps evêque de Constantinople. M. ScHW~RTZ (I8, i3) les place au cours des négociations pour la paix d~ 432. –M. AMANN (loc. cil., col. ti~) place également ici une lettre d'Acace de Bérée (Alep) déplorant que les largesses de Cyrille aient étouffé la voix de la vérité (Casinensis, n° t3o IV, 85; Mansi 5.829). Mais cette lettre parle de l'eunuque Scholasticius comme étant déjà mort. Or ce Scholasticius est signalé dans la lettre et le bordereau ci-dessus comme ayant émargé lui aussi aux gratifications de Cyrille. La lettre d'Acace, par conséquent, si elle est authentique, ne peut être que postérieure à cette date. Au moment où s'affrontent à Constantinople

III.

APRHS LE COXCILE

On sait que ce but ne put pas être atteint. Après quelques semaines employées à lasser soit les Pères retenus à Éphèse, soit les mandataires qu'on les avait invités à envoyer les uns et les autres à Chalcédoine, il fallut se résigner à leur rendre la liberté et à laisser la sentence portée contre Nestorius produire tous ses effets. Il lui fut donné un successeur. Ce devait être la conséquence de sa déposition et sans doute est-ce jusque-là qu'avait été dès l'abord la pensée de Célestin en chargeant Cyrille de pourvoir, s'il y avait lieu, à l'Église de Constantinople~\ Cette pensée, en tout cas, s'entrevoit dans les instructions aux légats. Une issue du concile conforme aux exigences de la foi comporte, dans l'esprit du pape, l'hypothèse d'un voyage de Cyrille à Constantinople. Et l'on voit, de fait, qu'à peine acquise la déposition de Nestorius le concile s'est préoccupé de le remplacer. Dès le 23 juin, une lettre aux prêtres et clercs de tout ordre les porteurs des rapports des deux groupes d'évêques, Scholasticius est encore un puissant chambellan dont le comte Irénée (F~'MtM, n° 164 15, 135; Mansi 4.1392) déplore qu'il ait prêté foi à certains propos attribués à Nestorius à Ephèse. De fait il lui porte une lettre personnelle des Orientaux lui demandant son appui auprès de l'empereur (Vaticana, n° 162 P, 133; Mansi 4.t385) et Nestorius lui-même, sur le rapport évidemment du comte Irénée, lui écrit quelque temps après une longue lettre pour lui expliquer le sens de ses paroles à Ephèse (Casinensis, n" io3 IV, 5i-53; Mansi S.777-770; t.oOFS Nestoriana, p. tot-tg.t). D'après ce qui précède, cette lettre d'Acace ne peut pas non plus, comme le propose M. DEVREESSE (loc. c!< p. 4to), être antérieure à l'ouverture des négociations entre Jean et Cyrille. Postérieure à la mort de Scholasticius, elle ne saurait s& placer qu'après le mouvement d'arrêt dans ces négociations auquel fait allusion la lettre d'Epiphane contenant le fameux bordereau et aussi la lettre de Cyrille à ses agents à Constantinople (Alheniensis, n° 187 1~, t54 et IV, 123-124). Nouveau motif d'en suspecter l'authen-

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chargés de l'administration des biens de son Église, en même temps qu'elle leur notifiait la déposition prononcée la veille, les prévenait qu'ils auraient à rendre compte de leur admiCe successeur, on a hâte à nistration à son successeur Ephèse de le voir nommé. Le rapport à l'empereur sur les séances des 10 et 11juillet y fait allusion. Maintenant que l'affaire pour laquelle a été convoqué le concile se trouve menée à bonne fin, on supplie l'empereur de permettre que, dégagée de ce premier souci, l'assemblée puisse donner ses soins à l'Église de Coastantinople~. En même temps, une lettre au clergé et au peuple de cette ville invite tout le monde à prier désormais pour que soit désigné celui qui sera digne d'occuper ce siège Telle est bien là aussi la pensée commune. A peine l'empereur lui a-t-il fait communiquer la nouvelle que Nestorius est déposé, le clergé écrit au concile en le priant de pourvoir Église l'ordre rétablissement de dans malheureuse cette au c'est tout ce qui reste à faire à qui se préoccupe d'assurer le triomphe de la foi~. Finalement, l'empereur lui-même se rend à l'évidence. A Chalcédoine, où il est venu discuter avec les deux groupes de commissaires envoyés d'Éphèse, nul doute que les légats qui se trouvent parmi eux ne lui aient remis, comme le leur prescrivaient leurs instructions, la lettre du pape dont ils étaient porteurs pour lui. Décidément, le concile de Cyrille était bien, comme il le prétendait, œcuménique. Le mieux était donc, au lieu de poursuivre une union des deux groupes d'évoqués manifestement impossible, de retourner à Constantinople et de donner un successeur à Nestorius. Ainsi futfait. Théodose, laissant là les délégués des Orientaux, emmena avec lui ceux du concile et, par leurs soins, le 25 octof~tM~a,

Mansi 4, 1228 C-D). n° 107 (F, 64~ Mansi 4, t3ot D-E). Mansi 4, t3o4 D). 104. Ibid., n" 85 (P, io5. n" 86 (P, i5i-=-; Mansi 4, t432 D).

t02. io3.

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n° 65 (1~, 65

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bre, le prêtre Maximien fut consacré évêque de Constantinople. Cette fois, tout était fini. Cyrille n'était pas venu lui-même dans la ville impériale, comme l'avait pensé Célestin, mais les légats avaient travaillé en personne à ce dénouement. ,Tout au moins sont-ils parmi les délégués d'Ephèse qui font connaître au pape le choix du nouvel évêque~ Cette lettre officielle loue surtout son expérience des affaires de l'Église et son dévouement aux pauvres aussi a-t-il obtenu les suffrages des indigents comme celui des plus grands person-

nages, y compris celui de l'empereur. Mais les légats ont certainement joint à ce document leurs rapports particuliers sur les événements qui ont acheminé à cette solution le pape, dans sa réponse, fera allusion à ces informations reçues de par ailleurs" Le prêtre Jean et le diacre Epithymète, qui lui ont porté l'acte officiel, lui ont remis aussi d'autres lettres, une de l'empereur en particulier, une de Maximien lui-même et une de Flavien, évêque de Philippes, qui, comme les légats, faisait partie des commissaires du concile. Tout ce dossier était arrivé à Rome à la Noël de ~3i. II n'y fut répondu que le i5 mars 432 mais les lettres écrites alors mettent comme le sceau pontifical à l'œuvre accomplie en commun par le pape, par Cyrille et par le concile au cours de ces deux dernières années. Il nous reste cinq de ces lettres, dont quatre dans leur texte latin. Celles-ci sont adressées à l'empereur, à Maximien, au clergé et au peuple de Constantinople, aux évêques enfin qui, avec le synode permanent de la ville impériale, lui ont toô. /l~t~K<e)M<.f, ne 84 (U, t24-i25). Projectus n'est pas nommé dans

la suscription, mais une lettre de Cyrille le nomme parmi ceux qui ont pris part à la consécration (Atheniensis, n'oo). Il était donc venu rejoindre les sept commissaires du concile. 107. Ibid., c°85 (1~, i25-t29); F<~M<'Kw, n" 26 (II,o8-tO!), JaSe 385. – Peut-être le pape fait-il allusion à des prêtres d'Antioche, qui seraient restés à Rome jusqu'après l'élection de son successeur. Voir ScawARTZ I", p. !2 et les observations du P. PEETERs dans ~Ma/cf~ FcH~M~MKa, ig3o, p. 3()2.

fait part de l'élection du nouvel évêque~ Ces deux de) nières sont les plus significatives. A Théodose et à Maxi mien, âpres les félicitations et compliments d'usage, sain Célestin a surtout demandé de veiller à ce que le condamn d'Éphèse soit mis hors d'état de continuer à répandre se erreurs: l'empereur devra le reléguer~ Avec le clergé et le peuple de Constantinople, le pap~ s'étend davantage. Il s'épanche même, peut-on dire~" N'est-ce pas à lui qu'ils doivent d'être délivrés de Nestorius Leur charité doit s'en souvenir, il les avait exhortés à 1: patience maintenant ils en recueillent le fruit le perfide est allé rejoindre Judas, car ç'est bien un perfide et l'on s gardera de ne voir qu'une erreur dans sa perfidie Nec ~< ~r~d!<M ~M:c dabo ~otM~n ct')'orM. Mais, puisque le voili écarté, qu'on n'y pense plus. Et le pape revient alors sur 1 passé. D'abord, sa sollicitude pour eux: ~M~g )M~, vobis in M~ tKf~itto ~M!'<M, CK~'a, quae sollicitudo tunc ha&Mtt/ Les jour! étant trop courts pour s'occuper d'une affaire si grave, il i passait les nuits; la pensée qu'un loup ravisseur s'était intro duit dans la bergerie ne le laissait pas dormir. Quem enin caperet delectatio ~o))Ktë!tdt, sic vigilante fa~of~" ? Puis, après avoir félicité le troupeau ainsi menacé de s'êtr< mis en garde, d'avoir résisté en face et d'avoir évité celu qui voulait les séduire, c'est à saint Cyrille que le pape ren voie l'honneur et le mérite de les avoir éclairés et soutenus L'éloge, ici, serait à citer en entier. Ils ont la ses lettresils les savent par cœur, et elles méritent,

eu

to8. jaffe, 385, 386, SSy, 388 (Veronensis, n"~ 26, 23,24, 25). La 5~, trë; courte et adressée à l'évêque Flavien, de Philippes, pour le félicite de son action au concile, n'a été conservée que par l'Atheniensis, n" 91

(r, ~43).

Eum vestra clementia ab omni societate removeat, ut facul tatem aliquos perdendi non habeat (:8Q~). too.

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no. Jaife, 388 (11,92). H!. II, o3~.

tous'

effet, d'être retenues par L'évêque d'Alexandrie a essayé de sauver son collègue il lui a tendu la main du maître qui, en le sauvant lui, espérait en sauver beaucoup d'autres. Les injures qui ont accueilli ses avertissements ne l'ont pas découragé. Tout éloigné qu'il était, il a pourvu au salut des âmes confiées à un autre. Comment le père de famille ne lui dirait-il pas .E~~ serve bone et ?Mclis '"?

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Pierre cependant n'a pas abandonné, lui non plus, ce malade si gravement atteint. e Et le pape, reprenant à son compte l'ensemble des événements qui ont abouti à sa déposition, fait ressortir la patience dont on a usé envers lui. « Alors qu'il paraissait s'imposer de retrancher du corps de l'Eglise ce membre tellement gâté (tale l'M/MM~), nous lui avons donné le choix entre le fer et la guérison. Mais lui, abusant de notre application à suivre l'exemple de celui qui ne veut point que périsse un seul de ses petits, il a opté pour la mort. Il a repoussé le remède et a choisi d'être retranché. )) On n'a rien négligé pour le guérir on l'a averti et fait «

avertir en frère. « Nihil ~a~cocMw, nihil in ~oc ~HMM~ ~M~zaf

turum. » Mais il vint un moment où nous ne pouvions plus différer notre condamnation sous peine de paraître prendre parti pour le voleur et l'adultère. Or, là-dessus, c'est lui qui partit en guerre (Ca~t~MW ad cei-tainen exposcit), qui demanda à être jugé. Ce qui se passa alors, le pape ne l'ignore pas, car Cyrille l'a informé de tout (Nec nos ~~ta~M!M fe~M~ ~M~t.s ignaros, gMarMm nobis ofdwetK ~a~ctt~'atf~ MO~t CyftHî relatio ~a~/cct<)~ Après avoir demandé le concile, c'est donc lui qui a refusé d'y comparaître. C'était s'interdire le pardon il n'y en saurait avoir pour celui qui s'obstine Mais, c'est déjà trop s'être étendu sur lui. La lettre s'achève sur une exhortation à écouter les enseignements du nouveau maître qui leur est donné. t En lui, c'est le pape tl3. II, ç3~ n3. II, <)4' it4. II, 9~95~.

4.:32ç-t33y).

ti5.

11, 95-96.

C'est le n° 82 de la Vaticana (13,5-9; Mamsi,

lui-même qu'ils entendront, car c'est d'une commune voix que la foi une doit être prêchée. » Pour faire son éloge le pape n'aurait pas à emprunter le témoignage d'autrui « c'est nous qui vous l'avons donné puisqu'il a été choisi parmi les

nôtres~ ».

On ne saurait trop remarquer ce langage. L'intention s'y manifeste de rattacher à l'initiative de Rome les mesures qui ont abouti à la déposition de Nestorius. La pensée surtout s'y affirme très nette de la sollicitude de Pierre s'étendant à toutes les Églises où la foi est menacée. Le concile lui-même, dans le rapport qu'il avait envoyé à Rome après les séances de juillet, avait eu soin de rendre hommage à cette sollicitude. Elle est admirable, y était-il dit. Mais, « c'est votre habitude, y ajoutait-on vous, si grands, vous vous faites remarquer en tout et vous faites votre œuvre propre de l'affermissement des Églises~" ». Dans sa réponse, le pape va accentuer plus encore ces idées. Le but, ici, est surtout d'assurer les conséquences des résultats déjà obtenus. Ils sont le fruit de la fidélité des évêques à collaborer avec le pape. Hujus ~tt fideliter peractae rei vos e%6CH~fc.s Mob~CMw /itM~e videmus Lui-même s'est trouvé associé à eux dans la consécration du nouvel évoque ~M~r~M~KM~ nec nos dt~fMM~ absentes cum ejus co~tî t~'ba tMy~CŒ dtc~reMtw" Mais, maintenant qu'on a ainsi remédié au passé, il faut songer à l'avenir. Il ne faudrait pas que les branches coupées poussent des rejetons Ne possint MMg~ ac magis quae abscissa sunt ~HMAussi a-t-il demandé à l'empereur d'éloigner la cause lare n6.

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nostris » (II, 97~). Le nouvel du avait en effet antérieurement séjourne à Rome (Jaife, 3ç2 II, uo'"?). A nobis ~a~M~ est qui est electus ~f

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du mal. Antioche est trop près peur qu'on y laisse Nestorius et puis, n'est-ce point de là que le mal est parti ? Question délicate le pape ici n'en veut pas trop dire peut-être, à Antioche, s'est-on seulement laissé tromper. En tout cas, ce n'est point là la place du maître de l'erreur. Sola decet tales ~om~M solitudo 122. A eux, en tout cas, de veiller. Ils ont fait aboutir cette affaire. S'ils veulent n'avoir pas travaillé pour rien, une œuvre urgente s'impose donc encore. Et le pape insiste. H en sait plus qu'eux-mêmes ne lui en ont écrit; la distance ne saurait empêcher sa sollicitude de se rendre présente à tout Omnes habet Petri apostoli cura ~a~~M~, et nous devons compte à Dieu de ce que nous savons. C'est pourquoi, il leur demande d'appuyer auprès de l'empereur la demande qu'il lui a adressée de reléguer Nestorius à eux de faire sur place ce que lui recommande de loin Facite ~'ae.~H(~ quod ~o~a~KM~ absentes. Obligé par sa charge de pourvoir en général au bien de tous, le danger spécial que courent les habitants d'Antioche lui fait un devoir tout particulier de leur porter secours' Ainsi se traduit dans cette lettre le sentiment de l'universelle responsabilité du successeur de Pierre. Elle ne s'affirme pas moins dans les indications qui suivent sur la ligne de conduite à tenir à l'égard de ceux qui ont participé aux erreurs ou aux manœuvres de Nestorius. « Vous y avez déjà pourvu dans votre jugement », écrit le pape aux évêques, « mais nous aussi nous décrétons ce qui nous paraît à faire ». C'est dire que Rome entend bien !21. II. Q~s-100, !22. II, t00~. t23. II, 1 < ~~c~MtHtK~ !2~. « Quanquam legatur
100~

le concile avait fait remarquer qu'au lieu de déposer, comme ils l'auraient mérité, ceux qui avaient osé déposer Cyrille et Memnon, on s'était borné à les excommunier, s'en remettant pour le reste au jugeMansi, 4,i336-D). ment du pape lui-même (Vaticana, n° Sz 1~'j

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suivre jusque dans ses dernières conséquences l'affaire qu'ellemême a engagée.

Ici d'ailleurs, et la personne de Nestorius écartée, il s'agit surtout d'apprécier les responsabilités particulières des divers intéressés. Or, Rome est tout spécialement habituée à traiter ces sortes de cas où il y a à tenir compte de tant de choses. Saint Célestin le dit expressément Multa t'CMMda sunt in talibus causis, quae apostolica sedes semper aspexit 125. Et il cite l'exemple des partisans de Célestius à l'exception des chefs, les autres, quand ils se rétractent, peuvent être et ont été reçus, en effet, quelques-uns à la communion. Ainsi faudra-t-il faire dans le cas présent Hoc tKOt~o ut fratelnitas vestra sequahtr exetn~~nt~ Nestorius restant exclu, ceux qui ont été excommuniés pour avoir partagé ses doctrines ne pourront remonter sur leurs sièges et rentrer dans la communion du pape qu'autant qu'ils auront condamné ces erreurs et ceux qui y demeurent attachés. Le cas de l'évêque d'Antioche est l'objet d'une attention spéciale. S'il y a espoir de le voir se rétracter, que les évêques se mettent en rapport avec lui mais lui aussi devra adhérer à la foi du pape et il devra aussi, comme l'ont fait les Cêlestiens pour les doctrines de leurs maîtres, condamner par écrit les nouveautés blasphématoires de Nestorius. Sinon, lui aussi doit s'attendre à être l'objet des mesures que commande à l'Eglise l'intérêt de la foi (Intellegat de se quoque Ecclesiam quod fidei nostrae respectus tMt~'efa~ ordinare). On l'espère cependant de la miséricorde divine, tous rentreront dans le droit chemin, si, comme il a été dit, le chef et la cause de tout le mal est écarté d'Antioche C'est le dernier mot de saint Célestin sur Nestorius et le concile d'Éphèse. Il meurt quelques mois plus tard (27 juillet z).32). Mais avant de mourir il a posé les principes d'après lesquels se liquidera la crise et se fera la paix. Dès avant 125. 126. 127.

II, t00". II, to~. II, iof~.

même que sa mort soit connue à Constantinople, l'effet de ses recommandations suprêmes s'y fait sentir. C'est sur les conseils de Maximien et des autres évêques auxquels il les a directement adressées que l'empereur prend l'initiative d'inviter Jean d'Antioche à se réconcilier avec Cyrille 128 les conditions auxquelles il lui fait connaître qu'on est disposé à lui rendre la communion catholique sont celles-là mêmes qu'a indiquées Célestin désavouer la doctrine de Nestorius et souscrire à sa déposition~ Décidément, comme le remarque Mgr Batiffol, « la seule autorité qui sortait [de l'imbroglio intacte et grandie était celle de Rome 130 a. La victoire remportée sur celui que Célestin n'avait pas cessé de considérer comme l'ennemi de la divinité du Christ était bien due, en effet, à la décision et à la fermeté du siège apostolique. Tout ce qui s'était passé à Ephèse avait en elles sa justification la meilleure. En voulant couper la route à Cyrille, l'empereur avait seulement compliqué et prolongé la crise; mais son parti pris'et ses maladresses n'avaient fait qu'en retarder l'issue. Finalement, il était arrivé ce que le pape avait décrété dès l'abord faute de désavouer la doctrine qui lui était attribuée, Nestorius avait été déposé. Ce triomphe de la foi était donc bien aussi un triomphe pour Rome. Mais Rome ne prétendait nullement s'en réserver tout l'honneur et tout le mérite. Célestin lui-même, en se réjouissant du succès obtenu, s'était appliqué à rappeler la part qu'y avait eue l'évêque d'Alexandrie. Jusqu'au bout, par conséquent, il avait tenu à marquer l'union qui, dès l'abord, s'était établie entre eux. Et maintenant que l'auteur du mal était mis hors d'état de nuire, c'était encore d'un commun accord que tous deux ouvraient les bras à ceux de ses adhérents qui accepteraient de se détacher de lui pour revenir à la communion de l'Église. tz8. Cyrille l'atteste dans une lettre à Acace de Mélitène (Vaticana, n° 128 1~ 2t<- Mansi, 5, 3t2 A PG 77.r84 A-B). i2<). Vaticana, n" i2o; r', 3-4; Mansi, 5, 277. 13o. <3~. cit., p. 3~3.

La ligne de conduite, en effet, que nous avons entendu saint Célestin recommander à leur égard, son successeur, en la confirmant, atteste qu'elle est adoptée d'accord avec saint Cyrille. L'empereur lui-même en avait donné l'assurance à Jean d'Antioche Cyrille, comme Célestin et les autres évêques, ne demandait, pour rendre sa communion, que la souscription Le nouveau pape, dès le à la déposition de Nestorius lendemain de sa consécration, signifiait nettement sa volonté de persister dans la même attitude. Son langage garde la même fermeté que celui de Célestin. « Au sujet de Jean d'Antioche, et de ceux qui avec lui se sont mis à la suite de Nestorius, voici ce que nous avons décidé qu'on devait observer (-rouTo Mptcct~
!3t. )3z. 333.

(I', 4~; Mansi 5, z8o C-D). Lettre à Cyrille. Jaffe, 39o. CeH. ~M~M.ft.f, n° 100 (1~, !44
n° !2o

tempête les a tous saisis mais, le chef emporté dans l'abîme, Cyrille propose que les autres soient sauvés. « Or, conclut le pape, tel est aussi notre jugement ((«v) qu'on s'en tienne à ce qui a été déjà écrit il comptera comme catholique, si, en souscrivant aux dépositions prononcées par le concile, il fait preuve lui-même d'être un évêque catholique" » Et, après avoir recommandé à tous d'oublier les injures reçues au cours de cette crise douloureuse, le pape exprime sa volonté que les évêques se communiquent mutuellement sa lettre. « Tous doivent savoir, en effet, que, dans une affaire si grave, et bien qu'on y ait depuis longtemps abondamment pourvu, le siège apostolique ne saurait s'endormir. Sa sollicitude pour toutes les Églises lui interdit de se tenir en dehors de ces soucis 135. » C'était nettement indiquer qu'on était résolu à Rome à ne pas perdre de vue les derniers développements d'une affaire si heureusement et si honorablement réglée. Aucun document ne nous reste qui permette de suivre son action dans les négociations qui aboutissent à l'accord de 433. Mais il écrivit à ce propos, nous le savons, au vieil évêque de Bérée, Acace, qui servit comme de médiateur entre les deux patriarches à réconcilier 13c. Lui-même, après coup, parlera aussi de plusieurs lettres écrites à Maximien de Constantinople pour lui faire remarquer l'esprit conciliateur de saint Cyrille137. L'accord, en tout cas, se fera sur les bases fixées par lui et son prédécesseur souscrire à la déposition de Nestorius. Comme il ne sera pas demandé à Jean d'accepter les anathématismes de Cyrille, on devra renoncer à exiger de celui-ci 134. I7, 1452-27. 135. V, 14533-37. 136. Lettre d'Acace à

Alexandre de Hierapolis (Atheniensis F, 1472 Casinensis, n° 144 IV, 9331 Mansi 5, 83o D). 137. Lettre à Cynlle. Jafre, 39i (II, 1082*-25).

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106

qu'il les rétracte lui-même. Jusqu'au dernier moment, les milieux qui, à Constantinople et ailleurs, lui gardent rancune se flatteront de réussir à l'humilier et à l'abattre en lui imposant ce désaveu pour triompher de leurs intrigues, il devra recourir à des moyens caractéristiques d'une cour où tout était jeu et trafic d'influences 138 mais finalement i38. C'est à ces négociations, au cours de 432, que se réfèrent la lettre de son archidiacre à Maximien et le bordereau annexe des gratifications à distribuer pour stimuler le zèle de certains personnages et

solliciter la bonne volonté ou désarmer l'hostilité de certains autres. Rustique, dans son Synodicum {Casinensh, nos 20,3 et 294 IV, 221-225) nous a conservé les deux pièces, dont Mansi, comme Lupus et Baluze, n'a reproduit que la première (5, 987-989). Mgr BvriFFOL a commenté le tout dans ses Études de liturgie et d'archéologie cltrétienne, p. i54179. Lui aussi seulement antidate encore un peu les faits auxquels se rattachent les deux documents. C'est la cour et Maximien lui-même qui, dès le début des négociations pour la paix, auraient demandé à Cyrille le sacrifice de ses anathématismes (p. 155). Et Libérat (Breviarium S) le dit, en effet. Mais son résumé ne serre manifestement pas les documents d'assez près ne vient-il pas d'écrire que, dans sa lettre à Jean et à Cyrille pour les inviter à se réconcilier, l'empereur les menaçait, en cas de refus, de les exilerà Nicomédie La lettre à Jean, que nous avons, ne parle nullement d'exil elle suggère seulement' une entrevue à Nicomédie. Et elle ne dit pas non plus qu'on songe à demander à Cyrille le sacrifice de ses anathématismes pour lui, elle' se borne à indiquer qu'on l'a également sommé de se rendre à l'entrevue s'il veut recouvrer les bonnes grâces de l'empereur. Les seules conditions de paix dont parle l'empereur sont celles qu'on exigera de l'évêque d'Antioche (Vaticana, n° 128 14;Mansi S. 281 A). De fait, au témoignage de Cyrille (Atheniensis, n° 117 F, i549) et de son archidiacre, ce sont les Orientaux qui ont prétendu exiger le retrait des anathématismes. Résolu à faire exécuter les ordres de son maître qui veut la réconciliation à tout prix, Aristolaüs, le délégué de l'empereur, a d'abord vivement pressé Cyrille de faire ce sacrifice c'est alors que celui-ci, sans rien retirer, a accepté de déclarer qu'il n'avait jamais rien écrit qu'au sens contraire à la doctrine de Nestorius (Lettre d'Épiphane IV, 22220-23). Mais, après avoir paru d'abord se contenter de cette explication, les Orientaux sont revenus à la charge et tel est le moment précis où paraît s'être produite la crise de confiance à laquelle font allusion la lettre de l'archidiacre et celle de Cyrille que nous venons de citer. Telle est donc aussi la date précise à laquelle doit se placer l'effort suprême tenté à Constantinople pour ranimer le zèle des amis et obtenir qu'on renonce à encourager ce retour d'audace des Orientaux.

l'accord aboutira et la nouvelle en parviendra à Rome au jour anniversaire du couronnement du pape Xyste III (3i juillet 433). On ne connaissait jusqu'ici que par sa réponse les lettres que lui écrivirent à ce propos les deux évêques réconciliés. L'Atheniensis (n° 121) nous a conservé le texte de celle de Jean d'Antioche. Il s'y trahit bien quelque raideur. Elle s'ouvre par des félicitations au pape pour son élévation au trône apostolique on peut s'en promettre que l'Occident ne sera pas seul à jouir de ce flambeau la lumière s'en propagera jusqu'aux extrémités de la terre. D'ailleurs, le grand nombre d'évêques qui s'est trouvé à Rome au moment de sa consécration semble bien indiquer qu'elle a été agréée de Dieu. Cependant, à Antioche, on n'est encore informé de tout cela que par Cyrille, à qui sans doute le pape en a écrit. L'évêque attendra donc pour lui manifester officiellement ses dispositions fraternelles d'avoir reçu la synodale d'usage lui faisant part de son avènement elle est attendue et elle sera la bienvenue dans tout l'Orient. Il y a urgence cependant à l'informer de la fin des troubles qui ont agité l'Église et c'est l'objet de la présente lettre. On y joint la profession de foi « sur l'économie de la chair du Christ dont on est tombé d'accord à Alexandrie et à Antioche « Il faut que votre siège apostolique la connaisse lui aussi n, dit Jean en toutes lettres; « elle est bien conforme à la foi traditionnelle 139 » On comprend aisément la joie qu'eut le pape à pouvoir communiquer ces nouvelles aux évêques réunis autour de lui. Mais lui-même s'en est exprimé dans sa réponse aux deux intéressés. Leurs lettres lui étaient arrivées en même temps c'est aussi d^même jour (17 septembre 433) que sont datées celles qu'il leur écrit l'une et l'autre sont consacrées à prendre acte de l'heureux résultat. Avec Jean d'Antioche le ton reste plus uniquement officiel. Il est heureux que Nestorius n'ait pas .été suivi Nunc

1

irap'7rZTpidXV 7j[X(Sv 9.««7jVT^v'ltOtp

jrp^l x*^ sxOsarîv, jjvrtva15910-11.) EX'JSO'!V,"lj'JTIVOt XOt, ^v "IV àaoctoXtxbv Ct':toO'tOAtXOV èxe-vov eXE!VOV Ôpôvov YvSva:, irocTpùJav oSsav » (I", 15910"11.)

139.

Mais le pape prend se vere exulem, nunc se sentit ejectum au compte du siège apostolique tout ce qui s'est dit contre lui. a Votre dilection n'ignore pas ce qui s'est passé notre admonition pour essayer de le sauver; comment nous avons voulu le retenir pour l'empêcher de tomber dans l'abîme. Pour qui considère de quoi il y allait, il ne saurait y avoir de doute que Nestorius n'a que trop tardé à être condamné. Ne prêchait.il pas [du Christ] qu'il est né seulement homme (hominem namque natum eum tantummodo prœdicabat), ce qui était ruiner et supprimer le mystère de l'Incarnation, ou plutôt combattre le fondement même de notre foi et de notre

salut111.»

Cependant, ce n'est déjà plus là que le passé. a Que votre sainteté, reprend donc le pape, prêche ce qu'elle écrit. L'expérience actuelle vous a appris en quoi consiste l'accord avec nous. Le bienheureux Pierre transmet dans ses successeurs ce que lui-même apprit. Qui voudrait se séparer de l'enseignement de celui qui fut lui-même parmi les apôtres le premier maitre 142 ? » On est plus libre en s'adressant à l'évêque d'Alexandrie. Ici la joie se sait plus partagée, et elle s'exprime plus à l'aise. Mais l'objet en reste le même l'unité rétablie dans l'Église, Nestorius resté seul en dehors. « Nos frères nous sont revenus ils nous sont revenus à nous qui, d'un même zèle, nous sommes appliqués à guérir leurs âmes. Notre frère Jean ne s'était [décidément] pas associé à celui qui nous a quittés il ne s'était pas laissé prendre à ses blasphèmes. L'issue finale montre bien que s'il avait réservé sa condamnation, il ne l'avait pas refusée 143. » 140. Jaffe, 3g2 (II, io83«). 141. II, 1091142. « Haec sanctitatem tuam volumus

praedicare quae scribis. Expertus es negotii praesentis eventu quid sit sentire nobiscum. Beatus Petrus apostolus in successoribus suis quod accepit hoc tradidit. Quis ab ejus se velit separare doctrina, quem ipse inter apostolos primum magister edocuit? » (II, log2*). 143. Jaffe, 391 (II, io;8-3«).

Et, le discours devenant plus personnel encore, il félicite Cyrille de la modération qui a rendu possible ce retour à l'unité. « Réjouis-toi, frère très cher maintenant que nos frères nous sont revenus, réjouis-toi de ta victoire. Ici, nous nous félicitons de n'avoir rien précipité, maintenant que nous recueillons le fruit de notre patience. Nous avons attendu nous savions bien que nos frères ne produiraient pas des épines, mais des raisins. Et voilà qu'il nous est donné d'entendre ta sainteté donner à l'évêque d'Antioche le titre de venerabilis vir et de domnas. Tu as bien fait de nous ;nvoyer une brève relation sur tout le cours de cette affaire. Nous ne sommes pas surpris que tes adversaires aient voulu te faire l'injure de te déposer. N'est-il pas fréquent que la calomnie s'attaque à la vérité sans que le mensonge puisse jamais l'emporter? Les persécutions sont toujours à désirer pour qui prêche la vérité. C'est par elles que se prépare la récompense du ciel. Tu as souffert du mensonge pour faire triompher la vérité141. » Suit la réponse à une requête dont l'objet nous échappe en faveur de quelques clercs d'Antioche elle donne l'occasion au pape d'attester l'esprit de conciliation dont a fait preuve l'évêque d'Alexandrie « Nous attendons donc les clercs de notre frère Jean, et ils seront les bien venus. A lui nous saurons répondre comme il convient à sa dignité et comme le demande la peine que tu as prise. Nous l'avons déjà écrit souvent à notre collègue Maximien tu n'es pas difficile pour ouvrir la porte à ceux qui reviennent. » Et la lettre s'achève par l'approbation accordée de la part du pape et du synode romain à l'activité si méritoire de Cyrille celui pour l'honneur duquel elle a été déployée lui en aura adouci les amertumes. Haec ad venerationem tuam

| fraternitas

mecum sancta scribit, probans tuos in omnibus et i confirmans labores, qui tanten graves aut amari non esse potuerunt, quia huic impensi sunl cujus onus levé et jugum \suave portamus™'

1

144. 145.

II, io7«-io821 II, 108"

CONCLUSION

Jusqu'au bout, on le voit, Rome se plaît à marquer son plein accord avec Cyrille. A ses yeux, les efforts qu'il a dû déployer n'ont eu pour but que de sauvegarder la foi à la divinité du fils de Marie. C'est là la pensée qui avait animé saint Célestin quand il avait confié à son zèle et à sa vigueur la poursuite de l'action engagée contre Nestorius. Elle seule aussi reste présente à l'esprit de Xyste III quand il met le sceau de son autorité au règlement dernier des querelles qui se sont engagées à ce propos. Le dossier proprement romain concernant le concile d'Éphèse s'encadre donc entre ces deux lettres. On aime qu'il se ferme par le témoignage rendu à la magnanimité et aux vues hautement religieuses de celui qui porta vraiment tout le poids de cette longue campagne. Beaucoup lui ont été et lui restent fort sévères il convenait que Rome lui rendît Assurément, l'évêque d'Alexandrieagi aussi, ou même surtout, en son nom personnel il en avait le droit. Rome, d'autre part, n'a jamais assumé la responsabilité de chacune de ses démarches, de ses polémiques ou de ses formules doctrinales. Mais il fautreconnaître que d'avance saint Célestin lui avait ouvert le plus large crédit et on ne saurait contester qu'il se soit toujours tenu en communication suffisante avec celui dont il se donnait comme le représentant. Sa façon de procéder contre Nestorius, au concile, fut très exactement celle que Rome avait voulue et lui avait mandée. En l'approuvant dès leur arrivée à Éphèse, et en se tenant dès lors étroitement unis à lui, les légats du siège apostolique n'ont fait que se conformer à des instructions attestant la persistance d'une parfaite communauté de vues entre lui et le pape. C'est cette union qui assura le triomphe de Cyrille et qui lui valut d'arriver à un accord avec les Orientaux sauvegardant sa dignité d'évêque et de docteur. Le pape cependant, en lui adressant la lettre d'action de grâces et de félicitation que nous avons dite, ne faisait en

justice.

quelque sorte que lui payer une dette elle vengeait le délégué de Célestin des avanies qu'il s'était attirées en poursuivant la mise à exécution du jugement de Rome. Dans lejugement à porter sur lui par l'histoire, cette approbation constante doit peser plus qu'elle ne'fait d'ordinaire elle atteste que, d'un' bout à l'autre de la crise, il est resté très réellement le « remplaçant » et le dépositaire de la pensée du pape. On peut se demander s'il n'a pas personnellement ajouté parfois à cette pensée romaine; mais ce qu'il a fait approuver par le concile et ce que, par son accord avec les Orientaux, il a reconnu avoir fait l'objet propre et unique de ses efforts est très exactement ce que Rome a voulu et approuvé. Aussi est-ce surtout l'autorité doctrinale du siège de Rome qui ressort de cette histoire du concile. Convoqué sans lui et plutôt contre lui, il a finalement tourné à son honneur et à son avantage. Sans émettre aucune profession de foi, sans dire anathème à aucune doctrine formellement énoncée, en se bornant à déposer Nestorius, il a consacré le jugement porté sur son enseignement par le pape Célestin. Sur quoi proprement a porté ce jugement? En quel sens et dans quelle mesure a-t-il atteint la pensée propre et personnelle de l'évêque de Constantinople? Ce n'est pas ici le moment de le rechercher 146. Mais il reste que la foi de l'Église manifestée par le concile d'Ephèse est celle-là même que l'évêque de Rome avait voulu sauvegarder en exigeant de Nestorius qu'il renonçât, sous peine d'être exclu du corps épiscopal, à exposer et à expliquer comme il avait prétendu le faire la maternité divine de Marie. Enghien. 146. On

Paul GALTIER.

nous permettra de renvoyer sur ce point à ce que nous en avons dit dans notre De Incarnatione ac Redetnftione, nos 101-114, et p. 63, note

1.

L'ARGUMENT DES DEUX GLAIVES (Luc xxii, 3 8) DANS LES CONTROVERSES POLITIQUES DU MOYEN AGE SES ORIGINES ET SON DÉVELOPPEMENT

Quelques années avant son couronnement, vers 798, CHARLEMAGNE, grand lecteur de la Bible et des Pères de l'Église, soumettait un jour la difficulté exégétique suivante à la sagacité d'Alcuin, son conseiller et son théologien Il y a un passage de l'évangile selon saint Luc, lui écrivait-il, où le Christ Notre Seigneur, étant sur le point d'aller à sa passion, ordonne à ses disciples de vendre leur tunique et leur bourse et d'acheter un glaive. Et comme on lui répondait qu'il y avait là deux glaives, il dit cela suffit. Je pense que Pierre s'est servi de l'un d'entre eux pour couper l'oreille à Malchus. Mais alors, le Seigneur lui dit « Remets ton glaive au fourreau, tous ceux qui prendront un glaive périront par le glaive. » Ne semble-t-il pas se contredire en ordonnant d'abord de vendre sa tunique pour acheter un glaive et en disant presque aussitôt après que ceux qui prendront un glaive périront par le glaive? Si le glaive est la parole de Dieu, si le Sei. gneur, en ordonnant d'acheter un glaive, a voulu signifier la parole de Dieu, comment peut-on dire que tous ceux qui recevront la parole de Dieu périront par la parole de Dieu 1?

Le futur empereur ne se doutait guère que ces textes allaient devenir fameux dans les querellespolitiques des âges I. Monumenta Germaniae historica (M. G. H.). Efistolae, t. IV, p. 205. La lettre de Charlemagne ne nous est connue que par la réponse d'Al-

cuin, mais celui-ci nous avertit qu'il transcrit littéralement le passage que nous avons cité « Ut eadem ponamus verba, quae in illis legebam. » Charlemagne rapproche les deux passages, Luc 22, 36-38 et fo. 18, 11.

suivants entre les papes et ses successeurs. Il n'apercevait pas encore dans les deux glaives de saint Luc le symbole du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel. Mais en bon chrétien, désireux de s'instruire, il cherchait seulement à résoudre une apparente contradiction dans le texte évangélique et soulignait les difficultés de l'interprétation allégorique qui représente le glaive comme l'image de la parole de Dieu. A notre tour, nous voudrions reprendre l'examen des versets évangéliques qui ont attiré l'attention de Charlemagne. L'histoire de leur interprétation au moyen âge est intéressante à plus d'un titre. Elle ouvre des aperçus très clairs sur le développement des controverses politiques entre le onzième et le quatorzième siècle mais elle permet en outre de suivre, dans un exemple remarquable, l'évolution de l'exégèse allégorique en théologie, évolution pacifique d'abord, puis déclin à partir du quatorzième siècle devant les attaques répétées de l'esprit critique grandissant. Dans la présente étude, il nous suffira de montrer comment est née l'exégèse qui assimile les deux glaives des apôtres aux deux autorités suprêmes de la chrétienté, comment elle a été exploitée de part et d'autre pendant les deux siècles où elle a • régné sans conteste2. I

Avant d'analyser la réponse d'Alcuin, voyons rapidement ce que les Anciens ont pensé des difficultés soulevées par le roi des Francs. Ils ont été embarrassés comme lui par l'obscurité des textes et leurs interprétations sont multiples. Les Grecs semblent être tous d'avis que le précepte de

2. Sur ce sujet on peut consulter

Bozio, De tenvporali Ecelesiae l' ttnonarchia. I. Rome, 1601, p. 464-504. POSADOWSKY-WEHNER A. von, \De duobus universalis monarchiae gladiis. Dissertatio. Vratislav, 1867 EICHMANN, Acht und Bann im Reichsrecht des Mittelalters. Paderborn, 1909, p. 40-55. Ce dernier auteur a rassemblé aussi un certain nombre de textes dans Quellensammlung sur kirchlichen Rechtsgehchichte und zum Kirchenrecht. II (Kirche und Staat). Paderborn, 1914, ip. 7-1 5.

vendre sa tunique pour acheter un glaive doit être pris au figuré. A deux reprises, Origène est trop heureux d'invoquer ce passage pour défendre la thèse qui lui est chère la lettre tue et l'interprétation allégorique s'impose'. Saint Jean Chrysostome et saint Cyrille d'Alexandrie sont très proches des commentateurs modernes qui voient dans les paroles du Maître une allusion discrète aux dangers qu'allaient courir les Apôtres, et dans la réponse des disciples un nouvel exemple de leur grossière inintelligence4. D'après saint JEAN Chrysostome, Notre Seigneur annonçait à mots couverts la scène de la trahison quant aux deux glaives, c'étaient sans doute les deux grands couteaux qui avaient servi à découper l'agneau pascal5. Saint CYRILLE pense que le regard de Jésus dépassait l'avenir immédiat Le Seigneur prédisait ainsi les graves événements qui allaient s'accomplir en Judée. Mais les disciples ne comprirent pas la profondeur de ses paroles, bien plutôt, ils s'imaginèrent que le Maître avait dit il faut avoir des glaives, à cause de l'attaque dont je vais être l'objet de la part du traître et de ceux qui doivent se saisir de ma personne. Ils lui répondirent donc « Il y a ici deux glaives », « C'est assez »7 répliqua le Sauveur, presque avec un sourire. comme s'il voulait dire c'est assez de deux glaives en vérité pour faire face à la guerre qui doit fondre sur le peuple juif alors que plusieurs milliers de glaives ne suffiraient pas 6!

Quant aux Pères latins, ils inclinent à prendre à la lettre l'ordre d'acheter un glaive, mais ils se demandent alors pourG. 13, 1255. In Levit., vil, 5. P. G. 12, 488. P. LAGRANGE, Évangile selon saint Luc. Paris, 1921, p. 556-558. A. PLUMMER, The Gospel according to S. Lnke. Edinburgh, 1901, p. 5o5-5o6. 5. In Matt.,hom. 84, n° 1. P. G. 58, 75 1 Même interprétation chez le pseudo-ATHANASE, Dicta et interfretationes farabolarum Evangelii, Q. 33. P. G. 28, 722. Saint BASILE, utilisant la variante àpàt 6. In Luc, P. G. 72, 918. (au lieu de àpâroi, v. 36), propose une interprétation assez différente î Notre Seigneur prédit à ses apôtres qu'oublieux de la loi nouvelle, ils oseront prendre des glaives pour se défendre. Regula i.5i. P. G. 31, I25o. 3. 4.

In Matt., xv,

2.

P.



quoi le Seigneur en interdit ensuite l'usage à Pierre « Seigneur, dit saint AMBROISE, pourquoi m'ordonnez-vous d'acheter un glaive et m'empêchez-vous ensuite de frapper Peut-être pour me faire savoir qu'il faut être prêt à me défendre, mais qu'il n'est pas nécessaire de me venger'.» Saint AUGUSTIN avoue que « le Seigneur avait certainement une volonté cachée en prescrivant de porter des armes dont il interdirait ensuite de se servir8 », mais il ne pousse pas plus loin ses investigations. Il était réservé aux subtils défenseurs de la papauté au moyen âge de scruter ce mystère de la volonté divine. Ce coup d'oeil rapide sur l'exégèse patristique du texte de saint Luc nous a mis en présence d'interprétations très variées, mais dont aucun n'échappe entièrement au symbolisme. Les Grecs considèrent comme une métaphore l'achat des glaives; les Latins entrevoient des profondeurs cachées dans l'interdiction d'user d'un glaive dont le Christ avait ordonné l'achat. Le fait est important à noter. Plus tard, en effet, lorsque les théologiens critiques entreprendront de ruiner l'allégorie des deux glaives, le mélange des figures et de la réalité dans ces fameux versets leur rendra la tâche plus difficile. Ils pourront nier du moins et à bon droit la valeur de cette allégorie au nom de la tradition aucun Père n'a eu l'idée de voir dans les deux épées des Apôtres le symbole de l'autorité temporelle et de l'autorité spirituelle. Pour saint Ambroise, elles représentent l'Ancien et le Nouveau Testament et la parole de Notre Seigneur « c'est assez », indique que « rien ne manque à celui qui est muni de la doctrine de l'un et l'autre Testament9 o. BEDE le Vénérable voit dans leur présence une disposition providentielle « Elles suffisent, dit-il, en témoignage de la libre Passion du Sauveur; l'une pour nous montrer chez les Apôtres l'audace

?.

In Luc.,

P. L. 15, 1817. Contra Faustum, xxII, 77. P. L. 42. 450. 9. In Luc., X, 5r. P. L. 15, 1817; cf. pseudo-JÉRôME (Fortunatianus d'Aquilée?) Elpositio in Lucam. P. L. 30, 567. 7. 8.

X, Si.

au service de leur Maître, et chez le Maître, qui allait mourir, la miséricorde et le pouvoir d'opérer des guérisons; l'autre, qui devait rester au fourreau, pour nous apprendre qu'il n'a pas été permis aux Apôtres de faire tout leur possible pour la défense du Seigneur10. n Cependant l'usage répété de certaines expressions de l'Écriture devait acheminer peu à peu les esprits vers l'interprétation qui triomphera au moyen âge. Le glaive est le signe de la juridiction et du droit de punir a Ce n'est pas en vain qu'il (le prince) porte l'épée, dit saint Paul, étant ministre de Dieu, pour tirer vengeance de celui qui fait le mal11.» S'il y a un glaive matériel, il y a aussi, selon l'Écriture, un glaive spirituel qui est « la parole de Dieu », nous dit encore saint Paul12. On ne tardera pas à voir dans la sentence d'excommunication l'exercice de ce glaive spirituel et, pour en montrer les terribles effets, il suffira d'évoquer l'exemple mémorable d'Ananie et de Saphire « Phinées, dit saint GRÉGOIRE LE GRAND, en châtiant l'impureté, a apaisé par son glaive la colère de Dieu et Pierre a frappé et tué par sa parole ceux qui osaient lui dire un mensonge13.» Mentionnons enfin la grandiose description du Verbe de Dieu dans l'Apocalypse « De sa bouche, nous dit saint Jean, sortait un glaive aigu à deux tranchants11. » Dès la fin du septième siècle, ce texte sera employé pour symboliser la double juridiction spirituelle et temporelle en 682, le pape Léon II, sanctionnant les décisions du sixième concile oecuménique (Constantinople, 680), disait a Par la décision du concile et par l'effet de l'arrêt impérial, comme par un glaive spirituel à deux tranchants, avec les anciennes hérésies la nouvelle erreur a été frappée à mort15. » 10. 11. 12. 13.

17.

In Luc., vi. P. L. 92,6oi-6o2,

Rom., XIII, 4. Efhes., vi, In Ezechielem, I. nom. 7, n. ]4. A-poc, I, 16. 15. Efist. III, P. L. 96, 406.

11.

P. L. 76,

846.

Si nous examinons maintenant la réponse cTAlcuin à Charlemagne, nous devons d'abord constater un prodigieux développement de l'allégorisme dans l'explication des versets de saint Luc. Notre théologien franc passe d'abord en revue les multiples acceptions symboliques du glaive, avec les textes d'Écriture à l'appui10. Après ces préliminaires, il lève sans peine la contradiction qui embarrassait son prince il suffit de remarquer en effet qu'il ne faut pas toujours traduire « glaive » par « parole de Dieu » Dans le cas présent, il y a un glaive qui plaît au Christ et qu'il faut acheter, c'est la parole de Dieu; il y en a un autre qui lui déplaît et qu'il ordonne de remettre au fourreau, c'est la vengeance des injures. Puis, après avoir analysé la signification symbolique de la bourse et de la tunique, il en arrive aux deux glaives « Ce sont, dit-il, l'âme et le corps, dans lesquels chacun doit combattre selon la grâce qui lui a été donnée par Dieu et suivant la volonté du Seigneur. Et ce sera « assez » pour la volonté de Dieu, si nous remplissons ses préceptes avec notre corps et avec notre âme17.Mais il reste encore une question à résoudre pourquoi des deux glaives l'un reste-t-il au fourreau ? « Nous avons dit que les deux glaives signifient le corps et l'âme. Ils doivent agir sous l'impulsion d'une foi unique, de telle sorte que la foi, qui est cachée dans l'âme, se montre au dehors dans les œuvres par l'intermédiaire du corps 18. » Nous voilà encore loin, semble-t-il, du sacerdoce et de l'empire; en apparence seulement. Puisque l'un est préposé aux fonctions spirituelles, l'autre aux fonctions matérielles et corporelles, ne peut-on pas » dire qu'ils sont entre eux comme l'âme et le corps, et pourquoi dès lors le symbolisme des deux glaives ne leur serait-il -pas également appliqué ? Alcuin n'arrive pas dans sa lettre à Dès cette époque, on possédait des recueils alphabétiques des divers symboles tirés de l'Écriture; voir par exemple dans D. Pitiu. Sficilegium Solesmense, t. II, l'édition de la Clavis du pseudo-MÉLlTON, au mot Gladius, avec les textes parallèles de saint Grégoire le Grand, de Raban Maur, et de Pierre le Chantre, etc., p. 3o2-3o3. 17. M. G. H. Epistolae vi, p. 207. 18. Ibid., p. 308. 16.

cette dernière conclusion; y est-il parvenu plus tard? Une lettre de 799 permettrait de le supposer. A cette époque, comme l'on sait, Charlemagne domine l'Église au spirituel aussi bien qu'au temporel et personne n'en paraît étonné, Alcuin moins que tout autre « Votre pieux souci de protéger les Églises du Christ, lui écrit-il, et de les purger, à l'intérieur, de toute doctrine perverse n'a d'égal que votre soin de les garantir et de les défendre à l'extérieur, contre les dévastations des païens.» Et il ajoute « C'est la puissance divine qui a muni de ces deux glaives votre excellence vénérie19.Y a-t-il ici réminiscence du texte de saint Luc? C'est assez probable; et ainsi, par un curieux hasard, le premier théologien qui semble avoir considéré les deux glaives de l'Évangile comme le symbole de la double autorité, temporelle et spirituelle, les place d'emblée dans la main de l'Empereur

Deux siècles s'écouleront encore cependant avant que l'Ecce duo gladii hic soit explicitement rapporté aux deux autorités suprêmes de la chrétienté. Dans l'intervalle, les commentateurs se contentent de répéter docilement la leçon apprise chez saint Ambroise et chez Bède le Vénérable les deux glaives rappellent les deux Testaments et la libre Passion du Sauveur20. Mais on s'habitue de plus en plus aussi à désigner par le glaive l'exercice de la juridiction spirituelle. Pour Paschase RADBERT, par exemple, les deux glaives représentent le pouvoir de lier et de délier « L'un frappe pour vivifier, l'autre pour venger tout crime et toute désobéissance et retrancher du corps de l'Église celui qui n'aura pas voulu 19

20.

M. G. H. Epist. iv, 282.

Walafrid StribON, Glossa ordinaria in Lucam. P.

L. 114, 340. –

Maur, De Universo, xx, 6. P. L. 111, 538. DRUTHMAR, Exp. brevis in Lucam. P. L. 106, 1514. – Le moine ANGELOMUS, vers 8S1, écrivant à l'empereur Lothaire qui lui a demandé un commentaire du Cantique des Cantiques, le représente comme « accinctus gladiis divinarum scripturarum » (M. G. H. Epist. v, 629).

RABAN

se corriger"1. » Dans les lettres du pape NICOLAS Ier (858867), le « glaive de l'anathème », le « glaive spirituel s, le « glaive de Pierre », sont des locutions courantes pour les formules ou les menaces d'excommunication22.Le même pape représente saint Pierre maniant le glaive corporel contre Malchus, le glaive spirituel contre Ananie23. Au dixième siècle, nous entendons parler déjà de l'union des deux glaives. Au concile anglais de 969, où fut envisagée une sérieuse réforme morale du clergé, le roi Edgar s'adressant à Dunstan, archevêque de Cantorbéry, et aux prélats assemblés, leur dit Le temps est venu de nous lever contre ceux qui détruisent la loi de Dieu. J'ai dans les mains le glaive de Constantin et vous celui de Pierre. Joignons les mains, unissons le glaive au glaive, et rejetons les lépreux hors du camp pour purifier le sanctuaire de Dieu24.

Un siècle plus tard enfin, cette union des glaives est clairement rapportée au texte de saint Luc par saint PIERRE DAMIEN (y 1072). Dans un sermon pour la Dédicace, après avoir rappelé les cérémonies de l'onction royale, il ajoute Heureux le roi qui joint son glaive royal au glaive sacerdotal, de telle sorte que le glaive du prêtre adoucisse le glaive du roi et que le glaive du roi aiguise le glaive du prêtre. Ce sont là les deux glaives dont il est parlé dans la Passion du Seigneur « Il y a ici deux glaives ». Et le Seigneur répondit « C'est assez. » La dignité royale s'accroît, le sacerdoce s'étend, l'un et l'autre sont grandement honorés, lorsqu'ils sont unis par une alliance heureuse et bénie du

Seigneur25..

21. Expos, in Matt., XII, 26. P. L. 120, 916; cf. In Matt., vi, 10. P. L. 120, 43 1. 22. Efist. 47, 49, 88, i23, 146 M. G. H. Epist. vi, p. 325, 333, 433, 641, 694. Efist. 123 M. G. H., ibid., p. 641. P. L. 138, 515-516 « Ego Constantini, vos Petri 'gladium

23. 24.

habetis in manibus. Jungamus dexteras; gladium gladio copulemus. » pi. HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Histoire des Conciles, iv, 83o. 25. Sermon 69, P. L. 144, 900 « Felix si gladium regni cum gladio jungat sacerdotii, ut gladius sacerdotis mitiget gladium regis et glatiius regis gladium acuat sacerdotis. Isti sunt duo gladii. »

C'est donc en dehors de toute polémique que les glaives des Apôtres sont devenus peu à peu le symbole des deux pouvoirs de la chrétienté. Depuis longtemps le glaive représentait la puissance royale. L'Église, de son côté, s'est lentement habituée à considérer sa juridiction comme l'exercice d'un autre glaive, le glaive spirituel. Il est alors tout naturel que, faisant œuvre commune, les autorités spirituelles et temporelles aient figuré leur accord par l'union de deux glaives. Enfin, le goût de l'exégèse allégorique aidant, le texte de saint Luc s'est trouvé fort à propos pour illustrer ce symbole.

Il eût été sage de s'en tenir aux expressions de saint Pierre Damien et de n'utiliser l'argument des deux glaives que comme une simple comparaison. Mais, à partir de la querelle des Investitures, les polémistes, en quête de preuves scripturaires pour appuyer leurs thèses, ne vont pas tarder à découvrir des profondeurs insoupçonnées jusque-là dans les paroles des Apôtres « Voici deux glaives a, et dans la réponse du Maître « C'est assez. » De part et d'autre, c'est à qui déploiera le maximum de subtilité. Deux siècles s'écouleront ainsi en vaines discussions, avant que ne se fasse entendre, à propos de ce texte, la voix de la plus élémentaire critique. Il est juste de le reconnaître ce ne sont pas les théologiens pontificaux qui ont commencé à raffiner le symbolisme le premier coupable, c'est l'empereur des deux glaives HENRI IV lui-même, l'homme de Canossa. En 1076, il écrit aux évêques de Germanie pour dénoncer le grand forfait d'Hildebrand qui a osé usurper à la fois la royauté et le sacerdoce

qui

Ce faisant, dit-il, il a méprisé la sage disposition de Dieu a voulu que les deux dignités du sacerdoce et de la royauté reposent principalement sur deux têtes et non pas sur une seule, comme nous le donne à entendre, lors de sa Passion, le Maître et Sauveur luimême, sous le symbole des deux glaives qu'il déclare suffisants. Comme on lui disait « Seigneur, ilaici deux glaives », il répondit

C'est assez. » Il signifiait par là qu'il estimait nécessaire et suffisante la dualité des glaives dans l'Église, un glaive spirituel et un glaive matériel à l'aide desquels tout ce qui est nuisible doit être exterminé. Voilà l'économie établie par Dieu et qui a été détruite par la folie d'Hiidebrand36. «

r

Pour l'empereur germanique, le texte évangélique ne sym-

bolise plus seulement la concorde des deux pouvoirs, il doit prouver leur distinction, leur indépendance réciproque. Dangereuse exégèse Elle devait induire les théologiens en tentation et leur donner l'idée de tirer du même texte la thèse diamétralement opposée papa habet utrunzque gladium. Mais à la fin du onzième siècle, nous n'en sommes pas encore là. GRÉGOIRE VII ne fait aucune allusion à ce texte dans sa correspondance, et pourtant comme son prédécesseur et son modèle, Nicolas Ier, il parle fréquemment du glaive de Pierre, lorsque, vers la fin de ses lettres, il lance la menace d'excommunication 27. Quant aux nombreux traités issus de la querelle des Investitures, ils ne font qu'une place très restreinte à l'argument des deux glaives. Les partisans des solutions conciliatrices l'utilisent volontiers, à la manière de saint Pierre Damien, comme le symbole de la concorde entre les pouvoirs et de leur mutuel appui. Tel, vers PLACIDE DE Nonantula « Le glaive impérial, dit-il, a sa raison d'être dans l'Église pour que ceux qui ne craignent pas le glaive spirituel soient rappelés à la justice par la peur du glaive matériel. C'est pourquoi le Seigneur répondit aux apôtres qui lui disaient avoir deux glaives en leur possession « C'est

mi,

26. M. G. H. Conslittttion.es et Acta, I, p. ii2-n3 « In quo piam Dei ordinationem c ontempsit, quae non in uno, sed in duobus duo, id

est regnum et sacerdotium principaliter consistere voluit, sicut ipse I Dominus Salvator in passione sua de duorum gladiorum sufficientia typice intelligi voluit. Cui enim cum diceretur«domine ecce duo | gladii hic respondit « satis est », signifi cans hac sufficienti dualitate », spiritualem et carnalem gladium in ecclesia esse gerendum. » 27. Registre v, 5; vi, 14 vi, 26; vil, 4; vin, 3; etc., édition C4SPAR (M. G. H. Efistolae selectae Ii),p. 354, 418, 439,464,52o. S'il n'emploie pas la métaphore des deux glaives, Grégoire VII utilise par contre celle des deux luminaires (Reg, vu, 25; éd. C4SPAR, p. 5o5-5o6).

assez », i. e. il vous suffit de défendre la justice par le glaive spirituel et le glaive matériel28. » Tel encore l'anonyme de la même époque De Anulo et Baculo qui exprime en vers la même thèse Sacra duos memorat gladios scriptura fuisse, Discipulos Domini quos ipse refert habuisse. Simonis est unus, quem papa videtur habere, C,ommissae plebis vitium resecando severe. Qui superest gladium rex debet jure tenere, Ut feriat quos ecclesiaevidet ipse nocere=0.

Dès le début du douzième siècle, l'allégorie des deux glaives commence à devenir courante en dehors même de la littérature polémique sur la question de l'investiture; elle continue de symboliser la distinction et la concorde des pouvoirs. On la trouve par exemple dans une lettre d'HILDEBERT DE LAVARDIN, évêque du Mans. Vers 1112, il avait été traîtreusement emprisonné par Humbert Capreolus, officier de Rotrou, comte du Perche30. De sa prison, il put faire parvenir un message à son confrère l'évêque de Séez, lui demandant de fulminer l'excommunication contre le coupable Vous nous visiterez (dans notre prison) si, avec Pierre, vous frappez Malchus qui persécute le Christ en nous. A la Cène, il y eut deux glaives vous l'avez lu et vous l'entendez. Pierre brandit l'un contre Malchus, tandis que Malchus mettait la main sur le Christ. On ne lit pas que l'autre ait été dégainé. L'un et l'autre se trouvaient à juste'titre chez les disciples du Christ, puisque maintenant encore l'un et l'autre se trouvent chez les membres du corps du Christ. Membre du Christ, est le roi; membre du Christ, le prêtre. Le glaive 28. De honore Ecclesiae, 3j, dans M. G. H. Libelli de Lite, 11, p. 585. Lite, 29. De Anulo et Baculo, vv. 33-38, dans M. G. H. Libelli de m, 725. Deux autres polémistes se contentent de recommander la

|

distinction et la concorde des deux glaives, sans mentionner explicitement le texte de saint Luc DEUSDEDIT Contra invasores et simoniacoi, Prologus, dans M. G. H. Libelli de Lite, 11, 3oo; GEOFFROY DE Vendôme. Libellas quartus, dans M. G. H. Libelli de Lite, 11, 692. 3o. Gesta efiscoforum cenomannensium, c. 35, dans D. Bouquet Recueil des Historiens des Gaules et de la France, t. XII, p. 547; cf. Histoire littéraire de la France, t. XI, p. 267-268.

du roi, c'est l'arrêt de la Cour; le glaive du prêtre, c'est la rigueur de la discipline ecclésiastique. Vous avez lu que l'évangéliste les a figurés en disant « Seigneur, voici deux glaives. » S'il se fût trouvé quelqu'un qui m'eût libéré avec le glaive royal, je n'aurais pas demandé que l'on dégainât pour moi le glaive sacerdotal".

Hildebert insiste sur la présence des deux glaives entre les mains des disciples qui représentaient l'Église. Un peu plus tard, le théologien belge GEOFFROY DE Bath (ou BABION, -j- n35) met l'accent sur leur dualité et note le blâme que s'attira Pierre pour avoir manié le glaive matériel Un glaive matériel est donné aux ministres temporels, un glaive spirituel aux ministres spirituels. Ce qui regarde l'étole ne convient point aux rois, de même l'évêque ne doit pas remplir les fonctions royales. C'est pourquoi Pierre, le représentantdes ministres spirituels, mérita d'être réprimandé pour avoir usé du glaive matériel, en cou pant l'oreille du serviteur (du grand prêtre)32. Ep. P. L. 171, 227. Enarr., in Matth. xxvi, parmi les œuvres d'Anselme de Laon, P. L. 162, 1476. Ce commentaire attribué par les anciens à saint Anselme de Cantorbéry, puis à Anselme de Laon, doit être restitué à GEOFFROY DE BATH; cf. VIGOUROUX, Dictionnaire de la Bible, t. I. Paris, i8g5, col. i35o. Aucun développement nouveau dans HONORÉ D'AUTUN Summa gloria (vers 1123) 26, dans M. G. H. Libelli de Lite, ni, 75. Voici encore quelques-unes des multiples variations sur le thème des deux glaives au début du douzième siècle SIGEBERT de GEMBLOUX (vers no3) voit dans le texte de saint Luc deux glaives spirituels, le glaive de la mortification et celui du martyre, et il s'étonne que le pape Pascal II offre au comte Robert de Flandre un troisième glaive pour dévaster l'Église de Cambrai. (Leodicensium epistola adversus Paschalem-pa-pa.nl, Dans les illiscellanea 2, dans M. G. H. Libelli de lite. il, p. 452). insérées parmi les œuvres d'HuGUES de Saint-Victor, les deux glaives sont l'anathème et les bons conseils {Miscellanea, L. VI, tit. 16. P. L. 177, 819). Quant aux commentateurs de l'Écriture, ils continuent toujours à parler des deux Testaments ou à reproduire les réflexions de Bède le Vénérable, v. g. BRUNO D'ASTI, In Lucam, 11, c. 24, P. L. 31. 32.

lfà,teS-,Z\cnkW.ksCiXBLYSOVOiATk,DeConcoTdiaE-i
– l'usage du glaive n'est plus permis désormais aux apôtres

signifie que du Christ (De victoria Verbi Dei, Sancto, vi, i3, P. L. 167. 1745).

IV, 8.

P.

L. 169,

1299

De Spiritu

Jusque vers le milieu du douzième siècle, l'exégèse allégorique du texte de saint Luc s'est donc exercée dans un sens nettement favorable à l'indépendance réciproque des pouvoirs. Sans doute, on glorifiait leur union, puisque les deux glaives sont in Ecclesia, mais les plus ardents défenseurs de la papauté eux-mêmes se défendaient vivement de vouloir les confondre. Signalons seulement une exception elle est le fait d'un apologiste du pouvoir royal, bien connu pourses opinions extrêmes, l'auteur anonyme des Tractatus Eboracenses, qui écrivait aux environs de i ioo. Il subordonne sans restriction le sacerdoce à la royauté, et va jusqu'à déclarer l'onction royale supérieure à l'onction sacerdotale33. Ces thèses permettent d'expliquer le passage assez obscur où il traite des deux glaives. Après avoir cité la formule du sacre concernant la collation du glaive, il ajoute Gladius enim iste duplex est. Alius enim in materia, alius in sacramento. In materia corpus, in virtute spiritus est et anathematis ministerium obtinet. Unde merito dici potest «Ecce gladii duo hic », et responderi « satis est » a4.

L'auteur distingue évidemment entre le glaive, substance matérielle (in materia), et le glaive, signe sensible (in sacramento). En soi ce glaive n'est qu'un objet corporel, mais il est l'indice d'un pouvoir spirituel en tant que glaive matériel, il opère le châtiment extérieur des coupables; mais il est en même temps le signe du « ministère de l'anathème », qui est purement spirituel. D'où il faut conclure que le pouvoir du roi est à la fois spirituel et temporel, que la dignité royale comporte les deux glaives35. 33. Tractatus Eboracenses iv, dans M. G. H. Libelli de Lite, ni, pp. 667, 669. 34. Ibid., p. 669. 35. Voir le texte similaire, ibid., p. 674 «Gladius quippe eorum, etsi

per materiam corporeus est, sed per virtutem sacramenti, Spiritus Sanctus est, ut quos materia corporis per justitiam exterius interficit, sacramenti virtus per Spiritum sanctum interius vivificet. » el

Il L'opinion de l'anonyme d'York resta isolée, elle n'eut aucun écho au moyen âge. Saint Bernard, par Contre, en professant que le pape possède les deux glaives, va faire entrer dans une phase nouvelle l'histoire dt notre argument scripturaire. Ce n'est pas qu'il ait eu conscience d'apporter un enseignement nouveau. Il a grand soin de rappeler au pape, et très énergiquement, qu'il ne doit pas se comporter en seigneur temporel, que son rôle consiste, non pas à dominer, mais à'donner l'exemple36. Lorsqu'il lui attribue la double juridiction temporelle et spirituelle, il ne fait que reproduire en substance la pensée du grand maître de la génération précédente, Hugues DE SAINT-VICTOR. Dans son De Sacramentis, Hugues insistait avec force sur la subordination de la royauté au sacerdoce; la puissance spirituelle, disait-il, l'emporte comme l'esprit sur le corps elle est supérieure à l'autorité royale, parce qu'elle la juge sans pouvoir être jugée ellemême par aucune autre puissance humaine, parce qu'elle la crée pour ainsi dire par le sacre (instituere habet ut silz7). BERNARD pouvait en conclure, sans forcer la pensée du Victorin, que le pape, en un sens très vrai, possédait les deux glaives de l'Évangile. Un premier texte se trouve dans une lettre à Eugène III pour réclamer son intervention en faveur des Églises d'Orient (1146) II est temps de tirer les deux glaives, ccmme à la Passion du Sauveur, car le Christ souffre de nouveau là où il a souffert jadis. Mais qui le tirera, si ce n'est vous? L'un et l'autre appartiennent à Pierre, l'un est tiré à sa demande (ou avec son assentiment, suo nutu), J'autre de sa propre main en cas de nécessité. Du premier, il a été dit a 36. De Consideratione, 1,6,7 et II, 6, 9 11 P. L. 182, 735-736, 747749. M. Rivière. Le problème de l'Église et de l'État au temps de Philippe le Bel, Louvain, 1926, p. 405-423 montre bien le double aspect de la doctrine politique de saint Bernard; elle lui vaudra l'honneur d'être mis à contribution par les deux camps dans les querelles du quator-

zième siècle. 37. De Sacramentis,

11,

2, 2-3.

P. L. 176, 416-418.

Pierre « Remets le glaive au fourreau »; il lui appartenait certes, mais ce n'était pas à lui de le tirer38.

Mais c'est le passage suivant du De Consideratione qui a surtout retenu l'attention des théologiens Vous me direz peut être ceux que vous me demandez de paître ne ne sont rien moins que des brebis, ce sont des scorpions et des dragons. Raison de plus, vous dirai-je, pour entreprendre de les soumettre, non avec le fer, mais par la parole. Pourquoi d'ailleurs chercheriez-vous encore à vous servir du glaive qu'on vous a ordonné un jour de remettre au fourreau? Il est vrai, on ne saurait nier que ce glaive vous appartienne sans oublier les termes dont s'est servi le Seigneur quand il vous a dit « Remets ton glaive au fourreau! » Il est donc bienà vous, ce glaive; s'il ne peut être tiré par votre main, il ne doit pas l'être, semble-t-il, sans votre aveu (ttto forsitan nutu, etsi non manu tua evaginandus). En effet, s'il ne vous appartenait pas, le Seigneur n'aurait pas répondu à ses apôtres, quand ils lui dirent « Voici deux glaives)), «c'est assez », mais« c'esttrop ) rel="nofollow">.L'un et l'autre appartiennent donc à l'Église, et le glaive spirituel et le glaive matériel l'un doit être tiré pour elle, l'autre par elle; l'un par la main du prêtre, l'autre par la main du chevalier, mais sur la demande du prêtre et sur l'ordre de l'empereur (ad nutum sacerdot-'s et ad jussum imperatoris™ .)

Quelle qu'ait été la vraie pensée de saint Bernard sur le mode de possession du glaive temporel par l'Église, on ne peut nier qu'elle représente un important développement dans le symbolisme des deux glaives. Il insiste sur la parole du Seigneur « ton glaive » donc ce glaive appartient bien à Pierre. Il doit être maintenu « dans le fourreau », parce qu'un autre doit le manier au nom du pape. Enfin, le Seigneur n'a pas dit « c'est trop », mais « c'est assez» preuve nouvelle qu'il jugeait légitime la possession des deux glaives par son Église. Tous ces détails, inconnus à l'exégèse antérieure", feront fortune on les répétera à satiété et, comme nous le verrons, on y ajoutera encore. 38. Epist. 2 56, n. i. P. L. 182, 463-464. 3q. De Consideraitone, iv, 3, 7. P. L. 182, 776.

Sans qu'on puisse affirmer dans le cas un lien de stricte dépendance, un autre texte, postérieur de quelques années fait écho à la thèse de saint Bernard c'est un passage du Polycraticus de JEAN de Salisbury. Dans le livre IV où il traite de l'autorité et des devoirs du prince, il caractérise ainsi ses relations avec l'Église Son glaive, le prince le reçoit de la main de l'Église, puisque l'Église n'a pas le glaive du sang, ou plutôt, elle l'a, mais elle en use par la main du prince à qui elle confère le pouvoir de contraindre les corps, en réservant à ses pontifes l'autorité en matière spirituelle. Le prince est donc en somme le ministre de l'Église; il exerce cette partie des fonctions sacrées qui semblent indignes des mains sacerdotales40.

A n'en pas douter, c'est la cérémonie du sacre qui a retenu l'attention du théologien anglais, et qui inspire ses conclusions on peut y voir la preuve qu'il dépend plus étroitement d'Hugues de Saint-Victor que de saint Bernard. De tous ces textes la postérité saura retenir l'essentiel elle l'exprimera dans l'axiome fameux Papa habet utrumque gladium. Il vaut la peine de rechercher maintenant comment cette formule fut adoptée peu à peu dans l'ensemble de la chrétienté, puisqu'elle se trouve intimement liée à l'argument scripturaire dont nous suivons l'histoire. Les canonistes furent, semble-t-il, les premiers conquis". Leur chef de file, GRATIEN, dont le « Décret e (v. 1140) est antérieur aux deux textes de saint Bernard que nous avons cités, reste fidèle aux opinions traditionnelles. Il reproduit un extrait de Nicolas II (1059-1061) sur la nécessité d'un accord entre les deux glaives pour châtier les pillards de biens d'Église42. Il affirme aussi à plusieurs reprises que l'Église Polycraticus, iv, 3. P. L. 199, 5i6. Ce traité fut composé vers ii55-ii5q; le quatrième livre du De Consideratione vers n53. 41. Comme ils seront aussi les derniers défenseurs de l'argument. 42. C. 2, Auctoritatem, C. i5, p. 6. Gratien attribue ce texte à Nicolas Ior; il est suivi par son dernier éditeur FRIEDBERG, et par Jiffé (1" édition); en réalité, ce texte est de Nicolas II, cf. Jaffé2, 4447. 40.

n'a que le glaive spirituel un texte douteux de Nicolas Ier est formel sur ce point « L'Église de Dieu n'a que le glaive spirituel, elle ne tue pas mais elle vivifie13. » Mais Gratien n'hésite pas à s'expliquer lui-mêmeaprès avoir cité une lettre de Nicolas Isr à Rodolphe de Bourges, il avoue son étonnement de voir le pape excuser, semble-t-il, un mari qui tue sa femme surprise en adultère, et il ajoute « La discipline ecclésiastique ordonne de frapper les coupables, non pas avec le glaive matériel, mais avec le glaive spirituel4*. » Ailleurs, enfin, il se livre à des réflexions semblables à celles de Geoffroy de Bath sur le Converte gladium tuum in vaginam4* Sa pensée apparaît donc nettement favorable à l'indépendance réciproque des deux pouvoirs. Etienne de TOURNAI, l'un de ses premiers commentateurs, l'exprime fort bien à la première page de sa Summa Decreti (vers 1160) In eadem civitate sub eodem rege duo populi sunt, et secundum duos populos duae vitae, et secundum duas vitas duo principatus, secundum duos principatus duplex jurisdictionis ordo procedit. Civitas, ecclesia; civitatis rex, Christus; duo populi, duo in ecclesia ordines, ctericorum et laicorum; duae vitae, spiritualis et carnalis; duo principatus, sacerdotiumet regnum; duplex jurisdictio, divinum jus et humanum. Redde singulasingulis et convenient universa46. Mais dès cette époque les commentateurs sont divisés. Leur divergence apparaît dans l'explication d'un texte que Gratien attribue à Nicolas II et qui est en réalité de saint Pierre Damien

Illam (Ecclesiam Romanam) solus ille fundavit, et super petram fidei mox nascentis erexit, qui beato aeternae vitae clavigero terreni simul et coelestis imperii jura commisit47.

Comme l'a montré M. Rivière18, saint Pierre Damien 43. 44. 45. 46. 47. 48.

C. 6,

Inter haec, C. 33, q.

2.

C. 5, Interfectores, C. 33, q. 2. C. 23, q. 8, Préambule. Summa Decreti, Prologue, éd. SCHtiLTE, 1891, p. 1-2. C. t, Omnes, D. 22. Rivière, le Problème de l'Église et de l'État. p. 387-393.

n'avait d'autre intention que celle de reproduire en substance les paroles du Tu es Petrus. Certains des premiers décrétistes ne s'y sont pas trompés mais d'autres interprétant les terreni simul et cœlestis imperii jura au sens de « dignités sacerdotale et impériale », en concluaient que Pierre avait reçu du Seigneur le pouvoir temporel comme le pouvoir spirituel. Rufin et Etienne de Tournai signalent déjà les deux opinions, et Rufin marque une complaisance visible à l'égard de la seconde49. Un peu plus tard, vers 1190, le canoniste Huguccio écrit à propos du même texte dans son commentaire encore inédit « Quelques-uns tirent de là argument pour prouver que le pape a l'un et l'autre glaive, c'est-à-dire le spirituel et le temporel, et que l'empereur reçoit du pape le pouvoir du glaive50. » Mais lui-même déclare être d'un avis opposé et il reste fidèle à la doctrine authentique de Gratien et de la tradition « Je dis que l'empereur tient le pouvoir du glaive, non du pape, mais des princes et du peuple par l'élection. Aussi en signe de cette distinction et de cette division des deux pouvoirs, impérial et apostolique, il a été dit Voici deux glaives51. » 49.

RUFIN, in c. t, Omnes, D. 22, éd. SINGER, 1902, p. 47-48. Etienne DE TOURNAI, ibid., éd. SCHULTE, p. 30. Vers 1 180-1 190, Etienne

alors abbé de Sainte-Geneviève de Paris écrivant à Guillaume aux Blanches Mains, archevêque de Reims, lui disait « Utroque gladio accinctus estis, regni pariter et sacerdotii, qui in defensionem Christi usque hodis patientis, testante ipso Domino, satis esse legantur. » (E-p. 169, P. L. 211, 457-458). Il faisait sans doute allusion à son titre de prélat consécrateur, et à sa dignité de grand seigneur du royaume Guillaume était fils de Thibaut de Champagne, et beau-frère du roi de

France.

Bibliothèque nationale, l. ms. 38çi, fol. 22 « Alii sumunt hinc argumentum quod papa habet utrumque gladium, sel. spiritualem et temporalem, et quod imperator habet potestatem gladii a papa. » 51. In c. 6, Cum ad verum, D. 96, ibid., fol. 98 « Ego vero dico quod imperator potestatem gladii et dignitatem imperialem habet non ab apostolico, sed a principibus et populo per electionem. Item in figura hujus rei quod discretae et divisae sunt illae duae potestates, sel imperialis et apostolica, dictum fuit « Ecce duo gladii hic. » 50. HUGUCCIO, in c. t, Omnes, D. 22,

Vers la fin du douzième siècle, l'unanimité n'était donc pas encore faite parmi les canonistes quant à la réponse à la question habetne papa utrumque gladium ? et il est à noter que chez certains d'entre eux le texte de saint Luc vient corroborer l'opinion négative. Pourtant la thèse adverse est en progrès constant vers 1210-1215, elle l'emporte visiblement. A cette époque on trouve encore des gloses, celles de LanFRANC, de Vincent L'ESPAGNOL, qui défendent la position d'Huguccio et maintiennent la simple coordination des deux pouvoirs (ex eodem principio procedunt) 52. Mais voici, par exemple, en sens opposé, la glose d'ALAIN, l'un des commentateurs de Compilationes antiquae Certains disent que l'empereur tient son pouvoir des princes. Il est plus vrai de dire qu'il tient son glaive du pape. Le corps de l'Eglise en effet est unique et il ne doit avoir qu'une seule tête. Item le Seigneur s'est servi de l'un 'et l'autre glaive. Mais il a constitué Pierre son vicaire sur terre, donc il lui a laissé les deux glaives. Item si le Seigneur a eu le glaive matériel, qu'on nous dise quel prince il s'est choisi comme vicaire pour cette fonction. Item Moise a eu les deux glaives et le pape sous la nouvelle alliance est son successeur. Item Pierre a dit lui-même « Voici deux glaives », donc ces glaives étaient alors en son pouvoir. Il faut donc dire que l'empereur tient du pape le glaive matériel53.

On entrevoit dans ce texte la série désormais classique des preuves sur lesquelles les canonistes appuieront leur thèse. L'allégorie des deux glaives n'est pas, bien entendu, leur seul argument, mais elle figure toujours en bonne place, à côté des raisons tirées de l'unité du corps mystique, du sacerdoce et de la royauté universelle du Christ. Elle est étayée également par une autre proposition que l'on ne se lassera pas non plus de répéter a Le Christ a usé des deux glaives a, Gloses inédites, citées par Gillhann, A rchiv fur kath. Kirchenredit, t. XCVIII (1918), P.407-+09. 53. Glose inédite, citée par SCHULTE, Sitsungsberichte der kaiserl. Akid. der Wissenschaften zu Wien. Phil. hist. Klasse, t. LXVI (1871), 52.

p. 89-90.

l'expulsion des vendeurs du temple servant d'exemple à l'appui. L'enseignement d'Alain se trouve intégralement reproduit dans la glose du canoniste bolonais LAURENT l'Espagnol54 il concorde en substance avec celui de TancrÈde, disciple de Laurent (vers I2i5-i22o)53. Il devait triompher définitivement après la publication du commentaire de JEAN LE TEUTONIQUE, sur le Décret de Gratien, ouvrage qui allait s'imposer comme Glossa ordinaria. Deux passages de ce dernier auteur sont à noter. Tout d'abord, une remarque brève, mais catégorique sur le texte de saint Pierre Damien que nous avons déjà cité Argumentum quod papa habet utrumque gladium, se contente-t-il de noter =G, sans aucune allusion aux divergences qui avaient préoccupé Rufin, Étienne de Tournai et Huguccio elles n'avaient plus sans doute aucune importance à ses yeux. En outre, le texte attribué à Nicolas Ier, Ecclesia gladium non habet nisi spirit liaient, subit une addition significative. Jean le Teutonique rectifie en effet quoad executiohoc ideo dico, quia imper ator habet illum a papa57' Prénem cieuse glose que retiendront désormais les décrétistes on la trouvait dans Tancrède38 et déjà, sous une forme analogue, dans Rufin qui distingue entre le jus auctoritatis et le jus amministrationis59 mais son admission dans la glose ordinaire lui assurait une influence durable. Elle exprime de façon claire la pensée dès canonistes sur le pouvoir temporel l'attribution des deux glaives au pape n'est pas pour 54. Glose inédite, citée dans SCHULTE, op. cit., p. 86. 55. Glose inédite sur les Compilationes antiqtiae, citée par GILLMANN, Op. cit., p. 408. 56. In c. i", Omnes, D. 22. 57. In c. 6, Inter kaec, C. 33, q. 2. f 58. Dans Gillmanx, op. cit., p. 408 « Executionem gladii materialis

quoad judicium sanguinis imperatoribus et regibus Ecclesia commi-

sit-» (59. In

c. 1, Omnes, D. 22, éd. SINGER, p. 47 « Summus itaque patriarcha, quoad auctoritatem jus habet terreni imperii; Ipse vero princeps post ipsum auctoritatem habet saeculares regendi, et praeter ipsum, officium administrandi. »

eux une simple figure de rhétorique mais en toute vérité ils le considèrent comme souverain du temporel l'empereur n'est plus, dans cette perspective, que l'administrateur délégué de l'Église, il exerce pour le compte de l'Église la juridiction sur les laïques ou pour parler comme un juriste de la fin du moyen âge, JEAN Montaigne « L'Église a la nue propriété de la juridiction séculière, l'empereur n'en est que l'usufrui-

tier60.»

Après Jean le Teutonique, les Décrétistes et les Décrétalistes du treizième siècle paraissent avoir réalisé l'accord sur la question du pouvoir temporel du pape"- Il serait fastidieux de transcrire leurs textes où le Ecce duo gladii hic continue de voisiner avec les versets évangéliques sur la primauté de Pierre, et les considérations sur l'unité du corps mystique. Citons seulement parmi les plus célèbres Barthélémy DE Brescia62, Bonaguida d'Arezzo03, INNOCENT IV04, HENRI DE Suse (Hostiensis) °3 et Guillaume DURAND, évêque de Mende6G. Grâce aux travaux de ces grands maîtres, tout particulièrement ceux d'Hostiensis, la tradition est fixée pour longtemps chez les canonistes. 60.

Jew Montaigxe, De Parlamentis, p. 2, n. i5, dans Tractatus uni-

| Ecclesia est pro-

versi juris, Venise, 1584-1 586, t. XVI, fol. 177 v° « prietaria, seu habet proprietatem nudam jurisdictionis saecularis S imperator autem et alii principes sunt usufructuarii. » 61. Pendant le premier tiers du treizième siècle, signalons encore parmi les voix discordantes celle de Damasus, canoniste de Bologne. Après avoir montré que le pouvoir temporel est donné à l'empereur par Dieu seul, il ajoute ironiquement « Quomodo papa utrumque gladium et cœlum et terram a Deo in solidum acceperit, Deus novit. »I (BxsscTzardica, Regula 127; éd. de Cologne, 1564, fol. 88). In c. 6, luter haec, C. 33, q. 2. 62. In c. i, Omnes, D. 22. 63. De dispensationibus, 87; dans Tractatus universi juris, t. XIV, I I Venise, 584, fol. 174. 1 64. Apparatus ad quitique libros Decretalium, c. 10, Licet, 11, 2; de Lyon, 1578, fol, 129. 65. Summa super til. Decretalium, iv, 17, Qui filii sint legitimi, n. 9;t éd. de Bâle, 1573, col. 1098. In Decretal. c. i3, Novit, n, 1 éd. de Venise, i58i, fol, 5. • 66. Spéculum judiciale, éd. de Bâle, 1574, t. I, p. Si.

éd.

Après les canonistes, les théologiens, avec un certain retard, semble-t-il, vont se rallier peu à peu aux propositions de saint Bernard et de Jean de Salisbury. 11 faut remarquer d'ailleurs que, jusqu'à la fin du treizième siècle, leurs Sommes ou leurs Commentaires ne renferment pas de traité spécial sur l'Église. Leurs remarques sur les rapports des deux pouvoirs sont dispersées au hasard de leurs digressions. PIERRE Lombard, contemporain de saint Bernard, ne touche à notre sujet que pour reproduire dans son traité du mariage la prétendue citation de Nicolas Ier déjà recueillie L'Église n'a que le glaive spirituel67 ». par Gratien « ROBERT PULLEYN, qui appartient à la même génération, ne connaît que l'ancienne exégèse sur les deux glaives Notre Seigneur a jugé que les deux glaives suffisaient lors du combat de sa Passion. La sainte Église, qui est son corps, et qui soutient aussi la lutte contre le monde, a besoin également de deux glaives pour le combat. L'un d'eux est confié aux clercs, l'autre aux laïcs. Si, en effet, l'un et l'autre étaient remis à un seul, ni l'un ni l'autre ne seraient maniés comme il faut. Pierre avec l'un coupa l'oreille à Malchus, mais il a jugé que l'autre ne lui appartenait pas. Donc la dignité sacerdotale et la puissance séculière se partagent entre elles ces deux glaives. Celle-ci soumet les corps à sa domination, celle-là les esprits08.

C'est l'explication traditionnelle, avec une différence dans l'interprétation du geste de Pierre le glaive matériel qu'il a dégainé contre Malchus devient ici le signe du pouvoir spirituel. Un peu plus tard, vers 1161-1162, pendant la lutte entre Frédéric Barberousse et Alexandre III, GERHOH, prévôt de REICHERSBERG, s'élève très énergiquement contre la confusion des deux glaives a Où seront les deux glaives de l'Évangile, si le pape est tout, ou si César est tout. Il est préférable que chaque puissance demeure dans ses limites, de peur qu'en accaparant un bien étranger, elle ne s'expose à 67. Liber Sentenliaràm, IV, dist. 37, c. 2. 68. Sententiae, vi, 56 P. L. 186, goS-goô cf. ibid., VII,

7

P.

L. 188, 020.

perdre du sien 69. » Ailleurs encore, après avoir évoqué les deux glaives évangéliques, symbole de la distinction des pouvoirs, il se plaint de voir sortir un troisième glaive, détestable produit de leur fusion70. A la fin du douzième siècle, PIERRE LE Chantre ne s'exprime pas encore avec clarté sur l'attribution des deux glaives au Souverain Pontife. Il voit dans les deux glaives des apôtres, dans le glaive à deux tranchants de l'Apocalypse l'image de la puissance spirituelle et temporelle. Il ajoute qu'on ne dit pas des évêques-comtes ou vicomtes qu'ils ont la duplex potestas, parce qu'ils font mettre à mort les voleurs. Peut-on le dire du pape, vicaire du Christ ? L'auteur est muet sur ce point71. Il faut arriver au début du treizième siècle pour voir les théologiens se rallier à la thèse papa habet utrumque gladium. Parmi les Quaestiones inédites des environs de 1200, Mgr Grabmann en relève deux qui traitent ce sujet ex professo. Simon DE TOURNAI se demande si « le prince tient son glaive matériel du pontife romain ». Et-il répond « Le glaive matériel a sa cause dans le pouvoir spirituel. Ces deux glaives sont unis de telle sorte que l'un ne peut être sans l'autre. D'où la parole du Seigneur « Voici deux glaives D, comme pour dire qu'ils vont ensemble, mais que le glaive matériel dérive du glaive spirituel » Un autre 69. De

Lite,

Investigatione Antichristi, I,

72,

dans M. G. H. Libelli de

392. 70. « At nunc videmus quiddam tercium ex duarum potestatum permixtione confectum n, ibid., I, 35, p. 344. et gladius spiritualis et materialis de 71. « Vel sic distinguitur quibus dicitur « Ecce gladii duo hic », et dictum est « Sufficit. 111,

Et inde est quod in Apocalypsi angelus habet in ore gladium bis acutum, propter duplicem potestatem, ut dictum est. Quod non dicitur de illis episcopis vel archiepiscopis, qui sunt comités vel vice-comites, quorum auctoritate latrones interficiuntur. » (Sumnta dicta Abel, dans PITRA, Sficilegium Solesmense, H, p. 3o3.) 72. « Redditur materialem gladium causam habere a spirituali. Conjuncti enim sunt isti duo gladii, ut alter non possit esse sine Ecce gladii duo hic », quasi simul conaltero. Unde dominus

«

théologien de la même époque intitule clairement l'une de ses Questions Quod uterque gladius sitEcclesiae73. Parmi les Sommes théologiques contemporaines des travaux de Tancrède et de Jean le Teutonique, voici la Summa aurea de GUILLAUME d'Auxerre elle n'est pas moins nette que la glose des canonistes a En vérité, l'Église a deux glaives, l'un dont elle use elle-même et dont elle a l'exercice il n'en est pas ainsi de l'autre, mais elle en a seulement la collation 74.» On entrevoit par ces textes le sens profond que revêt pour ces théologiens, comme au douzième siècle pour Jean de Salisbury et Hugues de Saint-Victor, le sacre royal ou impérial il n'est pas un pur rite extérieur, une cérémonie pompeuse, mais vide bien au contraire, par l'onction et la tradition des insignes, l'Église remet au prince pour l'exercer en son nom un pouvoir qu'elle possède de droit, mais dont le Seigneur lui a interdit l'usage immédiat. Chez Alexandre DE HALÈS, nous rencontrons par deux fois la citation expresse du texte de saint Bernard mais ce qui l'intéresse dans le passage du De Considération, ce n'est il l'admet pas tant l'attribution des deux glaives au pape, que la distinction entre ju bere et innuere. sans réticence, Il en déduit que seuls les princes peuvent ordonner {jubere) le châtiment des malfaiteurs, l'Église n'ayant à cet égard qu'un simple droit de demande ou de prière (innuere) TS. Son compatriote et contemporain, ROBERT Grossetête, évêque de Lincoln, est rallié lui aussi aux thèses de saint Bernard et juncti, sed materialis a spirituali est. » (Quaestiones, dans Cod. Berol. cité par Grabmann, scholastischen Philipp. iqqj, Methode, fol. 81 B. v°-82 p. 545, Geschichte ~r der il,r°,Freiburg,1911, ycAc~~MC/~K /)/~c~, B. l[, Freiburg, ton, p. 5~5, note.) 73. B. DE Lang (cet auteur n'est pas autrement connu), q. i35, dans Codex Vatic., lat. 42Ç7 cf. GRABM4NN, ibid., p. 5oi. 74. « In veritate Ecclesia duos habet gladios unum quo utitur et quem habet in executione, alterum non sic, sed solum in conferendo.» (Summa aurea, L. III, tr. 26, c. 4; éd. de Paris, i5oo, fol. 241 v" cf. L. ni, tr. 23, c. 3 fol. 233 r°.)

note.)

75. Summa theologica, P. III, q. 34, m. 2, a. 3 éd. de Venise, 1575, t. III, fol. 140; cf. P. III, q. 47, m. 3, a. 2, § 2 fol. 172.

de Jean de Salisbury; en 1236, dans une lettre au trésorier Guillaume de Raleger, il y fait allusion pour établir les différences profondes qui séparent la dignité des princes de celle des évêques Les princes reçoivent de l'Église tout ce qu'ils possèdent de puissance et de dignité légitime; mais les princes de l'Église ne reçoivent d'aucune puissance séculière leur pouvoir et leur dignité ecclésiastique, ils la reçoivent immédiatement par collation divine. Les princes du siècle, en effet, doivent savoir que l'un et l'autre glaive, le matériel comme le spirituel, est le glaive de Pierre mais les princes de l'Église qui tiennent le rôle et la place de Pierre se servent eux-mêmes du glaive spirituel et ils usent du glaive matériel par la main et l'office des princes séculiers, qui doivent dégainer et remettre au fourreau le glaive qu'ils portent, en accord avec les princes de l'Église et sur leur demande76.

Dans ce texte très intéressant, la stricte possession du glaive matériel est accordée à l'Église sans équivoque possible. Pour l'auteur, le ministre de l'Église, dans la cérémonie du sacre, est plus qu'un simple instrument de la divinité s'il n'était que cela, il faudrait affirmer la collation divine immédiate de la dignité royale, ce que nie énergiquement Robert en réalité, le prélat consécrateur, au nom de l'Église, vraie propriétaire du glaive matériel, en confie l'exercice au prince séculier et la royauté n'a plus, dans ces conditions, qu'une origine divine médiate77. A partir du milieu du treizième siècle, il est curieux de voir les théologiens aux prises avec le même axiome qui avait déjà embarrassé les canonistes. Il s'agit toujours de la prétendue citation de Nicolas Ier que le Lombard avait reproduite à la suite de Gratien « L'Église n'a que le glaive spirituel. » Lettres, éd. Lu«id, p. 9o-9t (Rolls Series, Londres, i858 sqq., t. XXV). Même doctrine avec citation de saint Bernard dans une lettre du disciple et ami de Robert, le franciscain ADAM DE Marsh Epist. 246, n° to, éd. BREWER, p. 436 (Rolls series, t. IV, 1). 77. Il y aurait lieu de discuter les théories sacramentaires de Robert Grossetête; il s'agit ici seulement de mettre en évidence sa véritable 76.

pensée.

Saint BONAVENTURE en fait l'objet d'un dubium en l'opposant aux affirmations de saint Bernard « II faut dire, répond-il, If que l'un et l'autre appartiennent à l'Église, mais différemle glaive spirituel doit être dégainé par la main de ment l'Église, l'autre non manu sed tantum nutu et voilà la difficulté^résolue78. » II y a donc accord foncier entre saint i

Bonaventure et les canonistes la même réponse se retrouve en substance chez tous les théologiens de la fin du treizième siècle Saint Thomas79, PIERRE DE Tarentaise80, RICHARD DE MiddlETON81. A cette époque, le principe papa habet utrumque gladium, avec sa référence au texte de saint Luc, est devenu le bien commun des théologiens, comme celui des canonistes. On le retrouve partout dans les sermons de JACQUES DE Vitry82, dans le traité d'éducation de GUIBERT DE TOURNAI, à l'usage du fils de saint Louis S3, dans les Commentaires d' Albert LE GRAND sur saint Luc et sur saint Jean8*, dans les Quodlibeta d'HENRi DE Gand55. Il est en bonne place avec la citation de saint Bernard dans le premier des traités de l'Église, celui de JACQUES DE Viterbe86. 78. In IV" Sententiarum, d. 37, dubium IV; éd. de Quaracchi, t. IV, p. S12. 79. In 7V° Sententiarum, d. 3j, ex-p. text. « Habet spiritualem

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(gladium) tantum, quantum ad executionem sed habet etiam temporalem, quantum ad ejus jussionem. » 80. In IV Sententiarum, d. 37, ex-p. litt. « Ecclesia utrumque (gladium habet), sed uno utitur per se immediate, sel. spirituali, altero per saeculare brachium mediate et indirecte, sel. materiali.» 81. In 1V° Sententiarum, d. 3y, circa litt. « Utrumque gladium habet ecclesia; sed sicut dicit Bernardus, ubi prius materialis est exercendus pro ecclesia, militis manu, ad nutum saccrdotis, ad jussum imperatoris; spiritualis vero est ab ecclesia exercendus. » 82. Serme ad fratres ordinis militaris, éd. PITRA, Analecta novissima, t. II, p. 405. 83. Eruditio regum et -princi-pum, ep. 1, 2 et ep. ni, 7 éd. DE POOR' TER, Louvain, 1914, p.7 et 75. Le traité est de 1239. 84. In Luc. 22, 38; éd. Vives, t. XXIII, p. 688. In Jo., 18, n éd. Vives, t. XXIV, p. 63 1. 85. Quodlib., VI, 23; éd. de Paris, i5i8, fol. CCXLIV. 86. De Regimine christiano, II, -to; éd. ARQUILLIÈRE, Paris, 1926, p. 289.

A plusieurs reprises nous avons déjà insisté sur le sens

plénier qu'il faut accorder à cette possession des deux glaives par l'Église. On ne chicane pas encore, comme on le fera aux quatorzième et quinzième siècles sur les possessifs tuum et snum des versets évangéliques, pour prouver qu'il ne s'agit pas en l'espèce d'une vraie propriété ST. On s'accorde à reconnaître, il est vrai, que ce pouvoir du pape sur le temporel reste habituellement lié, ou plutôt délégué aux princes et à*` l'empereur, qu'il ne s'exerce directement que dans certains cas, par exemple, ratione peccati ou vacante imperio 88. Mais qui ne voit que ces restrictions ne touchent en rien à la propriété du glaive elle-même? Bien mieux, les docteurs considèrent comme plus parfait ce mode de possession qui ne s'abaisse pas aux humbles détails de l'exécution matérielle et en laisse à d'autres l'exercice89. Aussi, JACQUES DE VITERBE croit pouvoir dire à bon droit « Dans les chefs de l'Église, dans le Souverain Pontife en particulier, la puissance royale réside tout entière, pleine et parfaite elle ne se trouve dans les princes du siècle que partielle et amoindrie90. z Pour achever cette étude sur l'argument des deux glaives chez les théologiens, nous citerons le développement de GILLES DE RoME sur ce thème. Il s'écarte un peu de celui de saint Bernard dans la forme, mais le fond reste le même La puissance ecclésiastique a les deux glaives, comme nous l'avons dit plus haut. Car les disciples du Seigneur, auxquels Voir à ce sujet les curieuses explications de l'auteur du Songe du Vergier (c. 63, dans GOLDAST, Monarchiae J. romani Imperii, Francfort, 1612-1621, t. I, p. 80), ou celle d'ANTOINE DE Roseixis (Monarchia, 1, 49, dans GOLDAST, op. cit., t. I, p. 279-280). 88. HENRI DE GAND prévoit trois cas affaire dificile, ratione delicti, vacante imperio (Quodlib,vi, 23; Paris, 1518. fol. CCXLIV). Cf. JACQUES DE VITERBE (op. cit., II, 8 p. 234 et 255) et GILLES DE Rome (De Ecclesiastica -potestate, ni, 8; éd. Scholz, Weimar, 1929, p. 185-90). Il ne faut pas se 89. JACQUES DE VITERBE, op. cit.. 11, 7 p. 236-7. méprendre sur le sens de certaines expressions, comme « mediate o, « indirecte », chez PIERRE DE TARENTAISE, par exemple (cf. note 80); elles n'ont rien à voir avec le pouvoir indirect. 90. Op. cit., il, 10 p. 288-289. 87.

succèdent les prélats de l'Église, ont affirmé avoir deux glaives en leur possession, selon cette parole y a deux glaives ici », et par ces glaives on peut entendre les deux puissances spirituelle et terrestre. Donc les disciples avaient les deux glaives, et l'Église les a de même. Et si on considère bien les paroles de l'Évangile, par ces deux glaives se trouve très bien figurée la manière dont l'Église possède les deux pouvoirs. Il y avait deux glaives, en effet, et pourtant nous lisons qu'un seul a été tiré, et que Pierre s'en est (.servi pour frapper le serviteur du grand prêtre et lui couper l'oreille' droite. Que signifie que, des deux glaives, l'un ait été tiré, l'autre soit resté au fourreau, sinon que l'Église a deux glaives, le spirituel quantum ad usum, qui est figuré par le glaive dégainé, le matériel non quantum ad usum, sed quantum ad nutum, qui est figuré par le glaive resté au fourreau Mais qui s'est servi du glaive et qui a coupé l'oreille droite (de Malchus)? Pierre. C'est pourquoi le Souverain Pontife, qui succède à Pierre, a l'usage de ce glaive; c'est à lui qu'appartient la puissance ecclésiastique et le pouvoir de chasser les méchants par les censures ecclésiastiques et de les écarter de la communion des fidèles. Si d'autres exercent ce glaive, ils le font par l'autorité du souverain pontife. Les disciples avaient donc deux glaives, mais ils n'ont usé que d'un seul; ils ont eu l'autre non ad usum mais ad nutum. Ainsi l'Église a les deux glaives, ce qui ne serait pas vrai si les princes terrestres, qui ont l'exercice du glaive matériel et le pouvoir de prononcer des jugements capitaux, n'étaient au service et sous l'obéissance de l'Église. Et si les princes terrestres sont au service de la puissance ecclésiastique, il en résulte que les biens temporels, sur qui règne la puissance terrestre, se trouvent placés sous la souveraineté (dominium) de l'Église 91.

«II

?.

L'auteur s'écarte de saint Bernard, parce que, d'après lui, le glaive dégainé symbolise le pouvoir spirituel, le glaive resté au fourreau, le pouvoir temporel, tandis que pour saint Bernard, le glaive dont Pierre a fait usage et que le Christ lui a ordonné de remettre au fourreau, figure le pouvoir temporel32. Le symbolisme est donc un peu différent de part et d'autre, mais la thèse générale demeure la même. On sait que le traité de Gilles de Rome représente la forme extrême j

gi. De Ecclesiastica -potestate, 11, 5 éd. Scholz, p. 56-5 7. 92. GILLES s'explique longuement sur cette divergence avec saint Bernard, op. cit., Il, i5; p. 138-140.

de la doctrine théocratique il va jusqu'à donner à l'Église le pouvoir de déposséder les infidèles et les excommuniés93. Les légistes, on le pense bien, ne s'abandonnèrent pas sans résistance à la poussée théocratique qui entraînait théologiens et canonistes. La manière dont ils utilisèrent au treizième siècle le texte évangélique des deux glaives, est, à cet égard, tout à fait significative. Tandis que Jean le Teuto-

nique et Guillaume d'Auxerre faisaient prévaloir définitivement dans les milieux théologiques la thèse papa habet utrumque gladium, le grand romaniste bolonais AccursE rencontrait dans ses commentaires la sixième Noveîle de Justinien « Les deux plus grands dons qui aient été accordés aux hommes par la bienveillance divine, disait l'empereur, sont le sacerdoce et l'empire l'un s'occupe des choses divines, l'autre assume la direction et le soin des affaires humaines l'un et l'autre dérivent d'un même principe et règlent la vie humaine04. » Texte précieux qui affirmait l'indépendance relative des pouvoirs et leur simple coordination le glossateur n'a garde de le laisser passer sans remarque « En vérité, dit-il (le sacerdoce et l'empire) sont de très grands dons, puisque le monde est régi par eux, d'où cette parole « Il y a ici deux glaives » ét il ajoute « Le pape ne doit se mêler en rien du temporel, l'empereur»à son tour ne doit pas intervenir dans le spirituel95. » Comme on le voit, c'est l'ancienne exégèse du texte de saint Luc qui prévaut ici, celle d'avant saint Bernard, celle que tenaient encore un certain nombre de théologiens et de canonistes à la fin du douzième siècle. La majorité des feudistes et des romanistes y resta fidèle pendant tout le treizième siècle. Le Miroir DE SAXE [Sachsenspiegel), coutuç3. Op. cit., 11, 11 p. 96-100. On peut consulter sur le système politique de GILLES DE ROME la récente étude de M. l'abbé S. BROSS, Gilles de Rome et son traité « De Ecclesiastica -potestate », Paris, Beau-

chesne, iç3o. 94. Novellae, 1, 6. 9?. In Antkenticum, I, 6; éd. de Lyon, i558, p. 41.

mier germanique des environs de 123o, débute ainsi « Dieu a placé sur terre deux glaives pour défendre la chrétienté, au pape a été donné le glaive spirituel, à l'empereur le glaive matériel96. » Une ancienne glose ajoute « Pierre a eu l'un des glaives, et après lui le pape Jean a eu l'autre, et après lui l'empereur". » Dans son De Regimine civitatum (vers i26o), JEAN DE VITERBE commente ainsi la sixième Novelle Par là nous est donné à entendre que deux glaives suffisent au genre humain, selon la parole du Seigneur. Comme on avait en effet apporté deux glaives à la Cène du Seigneur, et que le Christ avait dit « Que celui qui n'a pas de glaive vende sa tunique pour acheter un glaive », l'un des disciples repartit « Il y a ici deux glaives » et le Maître répondit « C'est assez. Puisque ces deux glaives, qui furent apportés à la table du Seigneur, diffèrent l'un de l'autre à cause de la diversité des fonctions, il s'ensuit qu'ils doivent avoir des ministres différents, de telle sorte que l'un frappe du glaive de la parole ceux qui le méritent, et que l'autre punisse avec le fer les >>

coupables 98.

La même idée de la concorde et de la simple coordination des glaives prévaut de même chez le juriste anglais BracTON 99, comme chez notre feudiste français de la deuxième moitié du treizième siècle, PHILIPPE DE Beaumanoir100. Parmi les rares traités de droit romain ou de droit féodal, qui ont adopté résolument le point de vue des canonistes et

i54.

Twei swert liet Got in ertriche zu berchirmende die kristenheit deme pavese ist gesazt daz geistliche, dem kaisere daz weltliche (Landrechtbuch, I, 1 éd. Homeyer, Berlin, 1861, t. I, p. 153). 96.

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97. Ibid., p. 98. De Regimine civitatum, n.

»

éd. SALVEMINI, dans GAUDENZI, Bibliotheca juridica medii aevi, t. III, Bologne, 1901, p. 266. Jurisdictiones (saeculares et ecclesias99. De Legibus, 111, 8, 5 « ticae) limitatae sunt et separatae, nisi ita sit quod gladiusjuvare debet gladium est enim magna differentia inter sacerdotium et regnum » (éd. TwiSS, t. II, p. 59, dans les Rolls series, Londres, i858 sqq., n. 70) cf ibid., III, 16, 3 p. 3g6. 100. Coutumes de Beauvaisis, c. 46, sect. 1474-1475 éd. SALMON, Parmi les rares théologiens de la fin Paris, 1899, t. II, p. 246-247. du treizième siècle qui s'en tiennent encore au point de vue des légistes, signalons le chanoine Jourdain D'OSNABRUCK, grand défen128

des théologiens, signalons le MIROIR DE Souabe (Schwabenspiegel), coutumier germanique de la fin du treizième siècle. La forme générale du préambule est analogue à celle du Miroir de Saxe, mais elle trahit dans sa rédaction l'influence du courant théocratique Puisque Dieu est appelé Prince de Paix, il a laissé sur terre, avant de remonter au ciel, deux glaives pour défendre la chrétienté. Notre Seigneur les a donnés tous les deux à Pierre l'un est celui de la juridiction spirituelle, l'autre celui de la juridiction temporelle. Le glaive temporel de la justice est confié par le pape à l'empereur; le pape retient l'autre pour exercer la justice spirituelle101.

Avant les grands conflits politiques du quatorzième siècle, on ne trouverait pas, semble-t-il, beaucoup d'autres témoignages qui attestent aussi clairement la pénétration des thèses théocratiques dans le droit séculier. En face de cellesci, feudistes et romanistes eurent grand soin de se tenir sur la réserve ils trouvaient préférable, pour sauvegarder les prérogatives royales ou impériales, d'insister sur les textes célèbres de Gélase et de Justinien qui affirmaient avec tant d'énergie l'autonomie relative des deux pouvoirs. Les deux glaives de l'Évangile leur paraissaient devoir symboliser à seur des prérogatives impériales Il Dominus egressum mundum, bis approbavit et honoravit Caesarem, sive Romanum Imperium. Primo dum dicentibus apostolis « Ecce duo gladii hic », respondit « Satis est. » Ecce quod duo gladii, qui duas potestates significant, in hoc praesenti saeculo satis sunt. Et quid est dicere « Satis est », nisi, sufficit et nihil deest. Protestatus ergo Dominus est, sua ipsius voce, potestatem sacerdotalem et potestatem imperialem, quae tune maxime vigebant, mundo sufficere et ei quoad regimen tam in spiritualibus quam intemporalibus nihil déesse » {De praerogativa Romani Imferii, I éd. WAITZ, Gôttingen, 1868, pp. 45-46). joi. « Sit nu Got des frides furste haizet, so liez er zwei swert uf ertriche, do er ze himel fuor, ze schirme der cristenhait diu lech unser herr sante Peter beidiu, einz von geistlichem gerihte, daz ander von weltlichem gerihte. Daz weltliche swert des gerihtes, das lihet der babest dem chaiser, daz geistlich ist dem pabest gesezet, daz er da mite rihte. » (Landrechtbuch, Vorwort éd. LASSBERG, Tübingen, 1840, p. 4-5.)

hie

merveille la concorde aussi bien que l'indépendance réciproque du sacerdoce et de l'empire.

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I

Pour être complet, il nous reste à suivre l'histoire de l'argument des deux glaives dans la littérature officielle, lettres des papes et constitutions des empereurs. Quand les papes commencèrent-ils à se laisser influencer par la nouvelle exégèse des canonistes ? Quelle fut la réaction des empereurs ? Finirent-ils, eux aussi, par céder à la poussée théocratique ? Questions pleines d'intérêt et graves de conséquences. Disons-le tout de suite avant les conflits qui éclatèrent entre Frédéric II et Grégoire IX, les papes, comme les empereurs, n'utilisèrent le texte de saint Luc que pour insister sur la distinction et l'accord des deux puissances. Les Actes de FRÉDÉRIC Barberousse y font par deux fois une allusion très nette en octobre n57, il proteste contre l'assimilation de la couronne d'empire à un fief pontifical, « attendu que, par l'élection des princes, notre royauté et notre empire vient de Dieu seul, qui, lors de la Passion de son Fils, a jugé nécessaire de soumettre le monde au gouvernement de deux glaives102 ». En 1160, il prend sur lui de réunir un concile à Pavie pour régler le conflit entre l'antipape Victor IV et Alexandre III, et déclare dans le préambule de sa convocation Pendant sa Passion,

le Christ a déclaré que deux glaives suffi

saient de ces paroles l'explication nous est donnée, croyons-nous, par l'existence même de l'Église romaine et de l'Empire romain, œuvres d'une Providence admirable, puisque par ces deux têtes et principes des choses le monde entier est ordonné au double point de vue divin et humain 103.

Dans ces deux textes, la dualité des pouvoirs est fortement soulignée, non moins que le droit divin de la dignité impériale. On ne trouvera guère autre chose dans les dévelopm

1

|

23

H. Constitutiones et Acta, I, p. io3. M. G. H. Constitutiones et Acta, i, p. 253.

102.

M. G.

1.

pements d'INNOCENT III sur le thème des deux glaives. Lui aussi dit aux rois qu'ils « tiennent de Dieu l'usage du glaive matériel » l04. Il recommande en mainte occasion la concorde des glaives: « Puisque les deux glaives matériel et spirituel doivent s'entr'aider mutuellement, écrit-il aux nobles de Sicile, selon la parole « Il y a ici deux glaives », le roi nousa supplié de contraindre par la censure ecclésiastique ceux qui ne craignent pas l'autorité temporelle. » 103 Mais il n'hésite pas non plus à mettre en pleine lumière l'indépendance réciproque des deux pouvoirs, comme on peut le voir par cette exhortation à l'empereur élu Otton IV, le 16 janvier 1209

A nous deux a été confié le gouvernement du monde. Si Dietr est pour nous, rien ne sera contre nous, car nous avons deux glaives, selon la parole des Apôtres « voici deux glaives n; et le Seigneur répondit:« Cela suffit ». L'autorité papale et le pouvoir royal que nous possédons tous les deux dans leur plénitude et qui sont figurés par ces deux glaives, suffisent pour remplir heureusement notre tâche, si nous nous soutenons 106.

Un seul passage des lettres d'Innocent III pourrait faire croire qu'il a faite sienne sans réserve la thèse des canonistes. Le 7 février 1205, dans un message à Philippe Auguste, il parle des hérétiques « qui ne craignent pas le glaive que Pierre per seipsum exercet107 ». Cette dernière expression fait aussitôt songer à sa corrélative, au glaive que Pierre per manum principis exercet. Mais sur ce simple indice, est-il prudent d'attribuer à Innocent III la thèse de: saint Bernard et des canonistes, alors qu'il n'y fait allusion nulle part ailleurs. Sans doute ce grand pape a revendiqué, ratione peccati, une large juridiction sur le temporel 108 il a



Cf. Reg. ix, 217; 104. Au roi de Hongrie, Reg. nr, 3; P. L. 214, 871. P. L. 215, 1060; Reg. XI, 28 P. L. 215, i358. Cf. Reg. vil, 54; P. L. 215, 33a; 105. Reg. X, 141 P.L.215, r235. Reg. super neg. Imp., 2 P. L. 216, 997. 106. Reg. superneg. Imp. 179; P. L. 216, 1162. 107. Reg. VII, 212; P. L. 215, 527. 108. Reg, vu, 42; P. L. 215, 325, inséré dans les Décrétales, c. i3,

Novit, X, II,

1.

cherché à faire entrer un grand nombre d'États dans la vassalité du Saint-Siège mais il n'a jamais considéré, semblet-il, le pouvoir civil comme une simple délégation de l'autorité de l'Église. Il n'en va pas de même de ses successeurs, GRÉGOIRE IX et INNOCENT IV. De premier, on pourrait croire tout d'abord qu'il en est resté aux positions traditionnelles. Voici comment il s'exprime en effet dans une lettre à Frédéric II, datée du 27 août 1233 Les deux pouvoirs recherchent tant l'union entre eux que, lorsque le Seigneur eut parlé seulement de l'achat d'un glaive, on lui en montra sur-le-champ deux au même endroit, selon la réponse des disciples à qui avait été prescrit l'achat mystique (des glaives): «il y a ici deux glaives », c'est-à-dire, non pas l'un est ici et l'autre ailleurs, mais (tous les deux sont) ici au même endroit pour accomplir la seule œuvre nécessaire, à savoir le redressement de tout l'homme qui, composé de deux substances, s'efforce de poursuivre deux biens divergents 109.

Mais une lettre un peu antérieure, destinée à Germain de Constantinople, nous prouve avec évidence que dès cette époque Grégoire IX faisait siennes les expressions de saint Bernard et les théories des canonistes Si vous convenez que le glaive matériel appartient à la puissance tamporelle, prenez garde à ce que le Seigneur dit à Pierre dans l'évangile de saint Matthieu « Remets ton glaive au fourreau. » En disant « ton », il désignait le glaive matériel avec lequel il avait frappé le serviteur du prince des prêtres. L'un et l'autre giaive est remis à l'Église; mais elle se sert elle-même du premier, l'autre est dégainé, pour le compte de l'Église, par la main du prince séculier; l'un est manié par le prêtre, l'autre par le chevalier ad nutum sacerdotis no.

Les mêmes idées se retrouvent dans deux autres lettres du même pape, l'une adressée à Frédéric II (23 octobre 12 36), et 109. M. G. 'R.Efistolae saec. xnr, 1, p. 447. 110. MANSI, Sacrorum concilioruin nova et p. 60.

ampl. collectio, t. XXIII.

l'autre

saint Louis (i5 février i236)111. Mais avec son successeur, INNOCENT IV, elles atteignent une ampleur inconnue jusqu'alors il écrit dans son encyclique de 1245 à

C'est dans le sein de l'Église fidèle que sont déposés les deux glaives, emblème du double pouvoir, et celui qui ne fait pas partie de l'Église ne peut avoir ni l'un ni l'autre glaive, tandis que l'un et 1 autre appartiennent à Pierre. Car en parlant du glaive matériel, le Seigneur n'a pas dit « jette», mais « remets ton glaive », ajoutant « dans le fourreau », comme pour dire à Pierre tu ne le tireras plus toi-même; et il s'est servi de l'expression « ton glaive», c'est-à-dire, le tien et non pas celui d'un autre. Par conséquent, le pouvoir du glaive est implicite dans l'Église, et il s'exerce par le moyen de l'empereur qui le tient d'elle. Ce pouvoir, qui est dans le sein de l' Église à l'état latent et potentiel, passe à l'acte quand il est transféré au prince. C'est ce que montre bien le rite du couronnement à l'empereur, qu'il vient de couronner, le Saint Père montre un glaive enfermé dans son fourreau le prince le reçoit, dégaine, et l'agite en signe de la fonction qu'il vient de

recevoir 112.

On notera dans ce texte la déclaration que le pouvoir temporel lui-même ne se trouve pas de droit chez les infidèles et le développement nouveau sur le thème des deux glaives le Christ n'a pas dit à Pierre de rejeter son glaive, mais de le remettre au fourreau. Cette remarque et les explications qui suivent révèlent à l'évidence les idéesdu pape sur la possession du glaive matériel par l'Église il s'agit, à n'en pas douter, d'une strfcte possession de droit, mais qui doit s'exercer par un délégué, l'empereur. Certains rites du sacre viennent à l'appui de la thèse. Grégoire IX y avait déjà fait allusion113 mais Innocent IV entre dans le détail et montre bien quel sens profond revêt à ses yeux la cérémonie de la tradition du glaive114. Aucun autre pape ne semble être allé

m. M. G. H. Efistolae saec. XIII, I,

p. 604 et 56S. 112. Encyclique Aeger cui levia, dans WlSKEtMANN, Acta Imperii inédit a, II, n° io35, p. 698 13. Lettre ait duc d'Autriche (18juillet 122g): M. G.H. Constitutiones et1Acta, G. H. Lettre àa /~<Mc)-!e II, p. 397. Frédéric II (27 octobre 1232):M.M.G.H. Efistolae saec. XIII, I, p. 3()2. 114. Le rite décrit par Innocent.IV concorde parfaitement avec celui

~a,

– Z.e

plus loin dans la voie de ce qu'on est convenu d'appeler le pouvoir direct. Pour qui a lu sa célèbre encyclique Aeger cui levia (1245), les expressions de Boniface VIII dans la bulle Unam Sanctam paraîtront un peu pâles. Son pontificat marquait la victoire complète des canonistes et des théologiens. Avant de citer la bulle de Boniface VIII sur laquelle s'achève l'évolution pacifique de l'argument des deux glaives, il nous reste à préciser l'attitude de la puissance séculière pendant le treizième siècle. Qu'a pensé de son pouvoir temporel, le grand ennemi de Grégoire IX et d'Innocent IV, l'empereur Frédéric II ? Ces théories théocratiques n'ont-elles pas fini par influencer les princes de Germanie ? Même dans le moment d'accalmie, lorsque les deux autorités suprêmes de la chrétienté paraissaient marcher la main dans la main, FRÉDÉRIC II n'a jamais songé à renier la tradition de ses prédécesseurs, celles d'Henri IV et de Frédéric-Barberousse. On en jugera par ce curieux passage, extrait d'une lettre à Grégoire (3 décembre 1232). Après avoir assimilé le glaive à deux tranchants de l'Apocalypse aux deux glaives que montra Pierre à la Cène, il ajoute: Il y a deux glaives, mais leur fourreau est une seule et même mère,

l'Église, qui nous a enfantés à la foi. Que telle soit la pensée de Pierre, la signification propre de l'abverbe de lieu le montre avec évidence. En disant « ici » {hic), il a voulu signifier que les deux glaives étaient en un même lieu, d'où il résulte irréfutablement, d'où il est prouvé nécessairement qu'unique est la substance de ces glaives, puisqu'il est impossible qu'un seul et même lieu contienne deux substances. Ainsi la présence de ces deux glaives dans un même fourreau leur donne une unité telle que l'un ne peut pas plus être séparé de l'autre en gardant son intégrité que la partie ne peut être enlevée au tout sans corruption du sujet. Ou bien, pour faire voir à l'œil ce que l'intellect peut-être ne comprend pas, supposons qu'on ait placé deux glaives dans un même fourreau matériel, si on retire l'un d'entre eux, il est impossible que l'autre reste bien calé dans le fourreau. Loin de nous, père et pasteur de l'Église, la pensée simpliste et grossière de vouloir briser cette unité substantielle des glaives, l'union du père et du fils. Bien au contraire, nous croyons fermement que nous deux, comme le Père et le Fils, nous sommes

un. Nous deux qui nous appelons un et qui certes avons les mêmes sentiments, employons-nous, d'une seule âme, à sauver la foi commune uo.

Cette explication laborieuse, dans laquelle les principes de métaphysique scolastique viennent fournir un renfort assez inattendu, est au fond très habile. L'expression de la concorde qui doit régner entre les deux pouvoirs est poussée aussi loin que possible et néanmoins l'indépendance des glaives est sauvegardée pas un mot ne donne à entendre que le pape possède la double juridiction, que le pouvoir temporel de l'empereur n'est qu'une délégation de l'autorité pontificale. Mais allait-on en rester là ? Les théories théocratiques ne réussiront-elles pas à s'imposer aux princes séculiers eux-mêmes ? Une déclaration des PRINCES électeurs en 1279, sous le roi Rodolphe, révèle, à n'en pas douter, une certaine influence des canonistes et des théologiens C'est lui (le roi) ce petit luminaire, au firmament de l'Église militante, éclairé par le grand luminaire, le vicaire du Christ. C'est lui qui, sur le signe du pape (ad ipsius nutum) dégaine le glaive matériel et le remet au fourreau, pour que, avec son aide, le pasteur des pasteurs unisse les brebis qui lui ont été confiées sous la protection de son glaive spirituel, les corrige et réprime leurs écarts au moyen du du glaivetemporel,« pour la punition des mauvais, les louanges des croyants et des bons » [I. Petr. 2"]» no. de l'Ordo du Cod. Vatic. 4748 étudié et édité par Diemind: Das Ceremoniell pp. 32-35 der Kaiserkronungen von Otto I bis Friedrich II Miinchen, 1 894, siècl*. Ordo remonte au début du treizième siècte. !2&34. Cet O~o pp. 32-35 et 126-134. Après le Graduel, l'empereur reçoit d'abord des mains du pape un glaive nu; après la prière Accife gladium, le glaive est remis au fuurreau et le pape en ceint l'empereur en disant Accingere gladio duo. « La prière finie, l'empereur dégaine, agite énergiquement son glaive par trois fois et le remet au fourreau; cf. DlESUND, op. cit., p. 84. Voir aussi l'Ordo R-omanus XIV, P.L.7B, 1242. 11 5. Huiixard-Bréhoixes: Historia diplomalica Fréd. II, t. IV, 1; p. 408, sg. 116. M. G. H. Consiitutiones et Acta, IV, p. 2i3.

et

par

Ce texte, où l'ad ipsius nutum fait songer au fameux passage de saint Bernard, est d'autant plus intéressant que le préambule d'où il est tiré reproduit à peu près textuellement

celui d'une déclaration antérieure (23 avril 1220) I1T. Une seule différence grave les sépare la citation précédente manque dans ce dernier document qui se contente de mentionner « les deux glaives placés dans la maison du Seigneur ». Nous sommes donc bien en face d'une concession aux idées régnantes dans les milieux ecclésiastiques. Mais ce texte, tout comme celui du Miroir de Souabe, son contemporain, reste isolé. Même à la fin du treizième siècle, on peut donc considérer comme faible l'emprise des idées théocratiques sur les juristes et les autorités politiques. La simple coordination des pouvoirs leur apparaît préférable, parce que mieux appuyée par l'ancienne tradition, parce que sauvegardant mieux les intérêts et l'indépendance de la puissance séculière. En résumé, voici quelle semble avoir été la situation au début du quatorzième siècle, au moment où parut la bulle Unam Sanctam à l'égard de la thèse papa habet utrumque gladium, juristes et princes laïques continuent de se tenir sur la réserve, en France très spécialement, un peu moins en Germanie comme nous avons pu le constater. Par contre, les théologiens, les canonistes, les papes paraissent ralliés presque unanimement à la réponse affirmative; leurs divergences portent seulement sur l'exercice du pouvoir temporel par le pape. Dans quelle mesure est-il lié ? Dans quelles circonstances peut-il entrer en jeu ? Tels sont les points litigieux; ils n'atteignent pas la thèse essentielle. Remarquons d'ailleurs qu'à cette époque, on n'avait pas encore tiré toutes les conséquences de la Politique aristotélicienne quant aux rapports de l'Église et de l'État. Des théologiens comme saint Thomas, Gilles de Rome, Jacques de Viterbe avaient déjà traité des origines de l'État d'après la théorie d'Aristote. Mais cet 117. Constitutiones et Acta,

II,

p. 85.

exposé n'était que le préambule d'une question beaucoup plus difficile, celle des rapports avec l'Église de l'État ainsi défini. Saint Thomas n'avait pu que l'esquisser118. Gilles de Rome, qui fait une large place au Stagirite dans son De Regimine principum, paraît l'oublier complètement dans son De ecclesiastica protestate119 Jacques de Viterbe, qui a eu le courage d'aborder le problème, se trouve fort embarrassé le pouvoir civil qu'il avait d'abord établi sur le droit naturel, fond comme cire au soleil lorsqu'il le met en face de l'Église il n'est plus qu'un pouvoir « informe », un pouvoir inchoatif, autant dire à peu près rien 12°. La doctrine théocratique régnait donc souveraine à l'aurore du quatorzième siècle. BONIFACE VIII ne l'a pas définie; mais toute la bulle Unam Sanctam (iS nov. i3o2) s'en inspire et on peut la considérer à bon droit comme le précis de la doctrine commune à cette époque121. Toutes les idées qu'elle exprime peuvent être appuyées par des citations prises aux théologiens et aux canonistes du douzième et treizième siècles. Citons seulement pour la forme son développement sur le thème des deux glaives après les citations précédentes, il ne nous apportera rien de nouveau Nous sommes instruits par les paroles évangéliques que deux glaives sont au pouvoir (de Pierre), le spirituel et le temporel. Comme les apôtres disaienten effet « II y a deux glaives ici », c'està-dire dans l'Église, le Seigneur ne répondit pas: il en faut moins, mais « c'est assez ». Certainement, celui qui nie que le glaive temporel soit en la puissance de Pierre, oublie la parole du Seigneur

14.

anté-I iiS. De Regimine -princifiitm, I, j. 119. Son De Regimine princtpum (éd. de Venise, 1498), est rieur d'une quinzaine d'années au De ecclesiastica potestate (éd. Scholz I 1930).

De regimine christiano, il, 7 éd. Arquillière, Paris, 1926, p. a32Cf. l'Introduction, p. 31. 121. Sur cette bulle voir une excellente étude dans le livre de M. Rivière, Le problème de l'Église et de l'État au temps de Philippe le Bel. Paris, 1926, p. 79-91 cf. dans le même ouvrage, l'Appendice II (p. 394404) sur les rapports de la bulle avec le De ecclesiastica potestate de 1 20.

GILLES DE ROME.

J

«remets ton glaive au fourreau ». L'un et l'autre glaive sont donc au pouvoir de l'Église, le matériel et le spirituel, mais celui-là est manié pour le compte d'Église, celui-ci par l'Église; celui-ci par la main du prêtre, celui-là par la main des rois et des chevaliers, sur le signe (ad nutum) et avec le consentement {patientiani) du prêtre. Il faut en effet qu'un glaive soit sous l'autre et que l'autorité temporelle soit soumise au pouvoir spirituel 122.

Nous arrêtons à Boniface VIII cette étude sur le développement de l'allégorie des deux glaives. Après la controverse que provoqua la bulle Unam Sanctam, ceux qui l'utiliseront encore (et ils sont nombreux jusqu'au dix-septième siècle) n'y apporteront pas de subtilités nouvelles. Comment le pourraient-ils, d'ailleurs?Tous les mots du texte évangélique ont été pesés et interrogés ils ont été sommés de livrer leur secret. Il semble qu'on ait atteint ici les limites extrêmes du raffinement dans le symbolisme. La postérité n'y pourra rien ajouter. Comme on a pu le constater, le même texte a été utilisé dans deux directions opposées. Il a longtemps servi à prouver la distinction et l'indépendance réciproque des deux pouvoirs, sans préjudice de leur concorde qu'il représentait également en ce sens, il est demeuré jusqu'à la fin l'argument favori des légistes et des empereurs. Puis, à partir de saint Bernard, on l'a utilisé pour démontrer le pouvoir du pape sur le temporel, sous prétexte que les deux glaives apparteLe texte complet de la bulle se trouve dans P. DuPUY. Histoire du différend d'entre le pape Boniface VIII et Philippe le Bel, Paris, i655, p. 54-56; ou bien dans le Corpus Juris c. i., in Extra comm., I, 8. De la bulle Unam Sanctam, on peut rapprocher le discours du cardinal MATTHIEU D'AQUASPARTA au Consistoire du mois d'août i3o2 « On peut distinguer entre celui qui a de droit la juridiction temporelle, et celui qui l'a seulement pour l'usage et l'exécution. De droit, elle appartient au pape comme vicaire du Christ et de Pierre, et le nier c'est nier cet article de foi que le Christ juge les vivants et les morts. Mais, quand à l'usage et l'exécution, la juridiction temporelle n'est pas du ressort du pape, c'est pourquoi le Christ a dit à Pierre « Mets ton glaive dans le fourreau. (Dans Dupuy, op. cit. p. -j3 cf. HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Histoire des Conciles, VI, p. 420.) Il est difficile de mieux affirmer la stricte possession du glaive temporel par le pape. 122.

naient à Pierre. Nous ne disons pas qu'il a été dans un sens ou dans l'autre l'unique ou même le principal argument. Mais ce serait une erreur de croire qu'il n'a eu, dans la pensée des théologiens d'alors, que la valeur d'une simple comparaison si déconcertante qu'elle soit pour nos esprits modernes, l'interprétation allégorique de la Bible s'imposait à cette époque avec la force d'une très vieille tradition. En fait, pour la période qui va du onzième à la fin du treizième siècle, l'argument des deux glaives a été employé de part et d'autre avec grand sérieux de part et d'autre on l'a disséqué, on en a passé au crible tous les termes, comme on opère de nos jours sur un texte capital qui se disputent deux écoles théologiques mais personne n'a eu l'idée de soumettre le texte lui-même à une étude critique qui, en rétablissant le sens obvie des expressions, aurait ruiné par la base l'argumentation qu'on en prétendait tirer. Un tel progrès n'a été réalisé qu'à partir du quatorzième siècle il est l'oeuvre des théologiens et de polémistes, comme Jean de Paris, Dante, Marsile de Padoue et Occam, premiers représentants d'un esprit nouveau, plus critique, plus positif, rationaliste dirions-nous, si le mot n'était trop fort. Ce n'est pas qu'ils aient fait triompher surle-champ l'exégèse littérale du texte fameux mais leurs attaques et celles de leurs successeurs forcèrent les théologiens plus conservateurs ou à s'expliquer ou à opérer un changement de front. Une telle lutte qui se prolongea jusqu'à la fin du dix-septième siècle vaut la peine d'être racontée elle intéresse à la fois l'histoire de l'exégèse et celle de la méthode théologique. JOSEPH

LECLER.

LES INSCRIPTIONS CAPPADOCIENNES ET LE TEXTE

DE LA VITA SIMEONIS AUCTORE ANTONIO Nous avons montré, l'année dernière, dans les Recherches de Science religieuse, comment une inscription grecque* de Thèbes permettait de reconnaître la vraie teneur de l'Epistula ad Monachos de saint Athanase, non point dans la recension grecque découverte par Montfaucon et tenue, depuis ce temps, pour authentique, mais dans une ancienne version latine publiée jadis par du Tillet1. Nous voudrions présenter aujourd'hui quelques observations de même genre sur un groupe d'inscriptions cappadociennes relatives à la vie -de saint Siméon Stylite. Elles se trouvent dans une chapelle de Zilvé, remontant à la fin du neuvième ou à la première moitié du dixième siècle d'après les critères que nous avons récemment exposés au Congrès byzantin d'Athènes 2, et accompagnent les images de quatre épisodes qui, à vrai dire, seraient inintelligibles sans elles, tant la peinture a souffert. Rédigées dans une langue barbare, à l'orthographe purement phonétique, elles ont pu être lues intégralement et interprétées, à l'exception d'une seule trop mutilée dont nous ne tiendrons pas compte Ces légendes sont tirées d'une Vie de Siméon par Antoine, i. R. S. R., t. XX, ig3o, p. 329-544. Dans le tableau qui accompagne cette Note, le lecteur aura corrigé de lui-même un lapsus à la ire colonne, ligne 16 au lieu de à»' ûp.wv, il faut lire &?' %ôv. 2. Cette communication est publiée dans les Échos d'Orient, t. XXX, I93i, p. 5 – 27 La chronologie des -peintures de Cappadoce. 3. La chapelle est décrite, des photographies en sont publiées et les copies d'inscriptions sont reproduites et discutées dans nos Églises

qui a joui, au moyen âge, d'une grande popularité, si nous en jugeons par le nombre des manuscrits conservés en grec et en latin. L'auteur est inconnu et se donne pour un disciple du saint. Nous n'avons pas à examiner ici la valeur historique du document, que le R. P. Delehaye considère comme point du tout négligeable du moins dans sa teneur primitive 4. Retenons seulement qu'au dire de l'éminent Bollandiste, les diverses recensions de cette Vie portent les marques d'une tradition extraordinairement compliquée dont il ne faut pas espérer retrouver tous les chaînons. Après des publications fort méritoires, il estime qu'un grand travail reste à faire pour déterminer les stades par où la composition a passé 5. Peut-être les inscriptions de Zilvé pourront-elles apporter quelque secours à qui voudrait s'atteler à cette tâche. Un texte latin de la Vita Sancti Simeonis auctore Antonio a été publié par le jésuite Héribert Rosweyd, au livre Ier de ses Vitae Patrum (Anvers, i6i5). Il est reproduit dans la Patrologie latine de Migne, t. 73, col. 325-334. Au même volume, on peut lire, dans les Prolégomènes de Rosweyd, la description de quelque vingt éditions antérieures de Vitae Patrum, toutes moins complètes que la sienne, mais de caractère plus ou moins semblable, d'où il ressort que, dès 1478, courait imprimé un texte latin de la Vita Simeonis 6. rupestres de Capfadoce, t. I, chap. xvm, sect. I; n°s 3, 4. 4. Delehaye, Les

2e

album, pl. 143,

Saints Stylites, Bruxelles, 1923, p. i, III-IV, ix-xvil.

Ibid., p. v. 6. Ces vingt éditions peuvent être réparties en trois groupes qui vont se développant progressivement. Le premier groupe, trois éditions sans titre, sans date, sans nom d'imprimeur, ne donne qu'un recueil assez maigre, correspondant à peu près aux livres II, III, V de Rosweyd. Le deuxième groupe s'ouvre par l'édition de Nuremberg, 1478, et comprend d'autres éditions publiées à Nuremberg, « en Allemagne », à Venise, à Lyon, de 1483 à 1537. Le texte correspond, en substance, aux sept premiers livres de Rosweyd on y lit la Vita Simeonis. Le troisième groupe, qui s'ouvre par l'édition de Cologne, 5.

Une autre édition latine fut donnée par les Bollandistes, au tome 1~ des Acta ~aMctofWH de janvier (Anvers, 1643, p. 260-274), d'après quatre manuscrits qui avaient échappé à Rosweyd. Recension peu différente de la précédente variantes assez nombreuses, mais pour la plupart purement verbales. Cependant, la rédaction est en général plus développée et deux groupes d'épisodes, comme deux blocs erratiques, s'insèrent au milieu de la série des miracles'. Dans le volume des Acta .S'<ïHC
série des premières éditions en langue vulgaire italienne, Venise, 1476; française, Lyon, t486; flamande, 1400, anglaise, Westminster, t4o5; allemande, s. d. 7. De ces deux blocs, le premier (n"" 22, 23) manque aux recensions publiées par Lietzmann (deux épisodes pour condamner l'avarice), 1~ second se retrouve presque textuellement dans la version latine de Lietzmann (n"" 27-31, correspondant à Lietzmann 22-24 et 26-27). 8. H. Lietzmann, Das Leben des Act~t Symeon Stylites, Leipzig, 1908.

qui fournissent trois recensions une latine (deux ms. L, M) et deux grecques l'une basée sur deux manuscrits (X, Y), parmi lesquels le l'autre sur sept (A, B, C, D, E, F, G, Petrop. E). Pour les deux premiers groupes, l'apparat critique donne la collation intégrale des manuscrits (du reste, voisins). Pour le groupe A-G, le nombre et les divergences des éléments obligent à ne donner qu'un choix de variantes. Mais, à titre d'exemple, toutes les variantes de B sont insérées. De sorte que nous disposons, en réalité, de trois recensions grecques (A, B et X-Y) et d'une latine (L-M). Si nous ajoutons le texte de Papadopoulos-Kérameus et la traduction des Bollandistes, nous avons cinq recensions de la Vie grecque. Pour les vieilles versions latines, avec celles des Acta Sanctorum et des Vitae Pat~m (Rosweyd), nous avons trois recensions. Dans l'ensemble, et malgré certaines exceptions de détail, les recensions grecques sont plus développées que les versions latines. Sauf pour quelques épisodes, la version de Lietzmann l'est plus que celles des Acta Sanctorum et de ~Po~J. Elle s'écarte moins que les autres de l'ordonnance et de la rédaction des textes grecs, ce qui a permis à l'éditeur de la mettre en parallèle avec eux. Au jugement de Lietzmann, les textes grecs, et en particulier celui de A, manuscrit du onzième siècle méritent la préférence les versions latines de L-M seraient des abrégés ~°. A /or<îort, la même conclusion devrait s'imposer pour la version des Acta 5'NMCtorMMt et plus encore pour celle de Rosweyd.

Pourtant, au seul examen des textes, le P. Delehaye a soupçonné que la vérité pourrait être juste le contraire~. Nous allons voir que les légendes cappadociennes correspondent non aux rédactions grecques, mais aux vieilles versions latines, notamment à celle des Acta Sanctorum. Évi9. Dans l'édition, il est donné en premier lieu et en gros caractères. c!< p. 207-208. io. Lietzmann, Delehaye, Les Saints Stylites, p. III-IV.

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demment, le peintre a dû abréger. Il ne pouvait, sur la paroi, transcrire des pages entières. Il a coupé, ne regardant que les membres de phrases plus significatifs. Mais, presque toujours, ces membres se superposent mot pour mot à ceux de la vieille version latine des Acta .Sattcto~MtK. Voyons les faits. Puis nous conclurons. v

Premier épisode Vocation de Siméon. Il nous retiendra peu; car le texte de Zilvé est court et répond à des paroles à peu près semblables dans toutes les recensions. Toutefois, un détail le rapprochera spécialement de la version des Acta ~attc~o~ww et un accident survenu dans la transmission manuscrite des versions latines méritera de retenir notre attention. Voici comment se résume l'épisode entré jeune dans une église, Siméon entend lire un passage de l'«Apôtre B qui recommande la continence; il se le fait expliquer par un vieillard et la réponse décide de sa vocation~. Ce que le peintre cappadocien a résumé dans la légende Dans les deux versions parallèles de Rosweyd et de A. S., il n'est fait mention que d'une seule visite de Siméon à l'église. Dans les recensions grecques et dans la version latine de Lietzmann, il est dit que le saint gardant les troupeaux (et on le compare à David) allaitil l'église tous les dimanches, qu'il écoutait la parole divine et les Écritures sans les comprendre; qu'un jour, étant plus avancé en âge et poussé par l'esprit de Dieu, il vint à l'église et entendit lire I' « Apôtre )),etc. On voit le développement, d'un groupe de recensions à l'autre. Autre indice dans le même sens lorsque le vieillard explique à Siméon les pratiques de la vie pénitente, il ajoute, dans la version de Rosweyd si quis /KM
XM SMSexWTTf~ XO~ TOUIMV

X~ EV -M~ jJLOVMtTf~tO!? p. 22.) D'autre part, la fin du dialogue se

T& obt0~ou9o:, X
(Lietzmann, rec. A, trouve écourtée dans ces dernières recensions. ewreXoS~Mt.

suivante, que nous transcrivons en conservant l'orthographe, mais en séparant les mots pour en rendre l'intelligence plus facile

0

A CY.MEON EPOTA TINA FEPONTA KTP HATtP AE rEPON AEFI AYTON Tt ECTÎN 1 ANAFNOCHC

0

TEKNON IlEPI ENKPATIAC TrX(ï<)

Nous transcrivons ci-dessous le passage équivalent des deux versions latines, en mettant en italiques les mots qui répondent exactement au grec de l'inscription Rosweyd,i z

/ï.2

Interrogansque (Simeon) unum seniorem, ait Domine quid est istud quod legitur? Senex respondet ei Pro substantia aM:Mae, ut discat homo timere Deum ex toto corde et ex tota mente sua.

Et interroga1zs (Simeon) quemdam ~eMCM ait Z70.V~' PA TER

quid est quod ~~<<MfCui ~~M
On voit que, dans la version des Acta Sanctorum, le premier membre est un décalque parfait du texte de Zilvé, qui doit se comprendre (en rectifiant l'orthographe) 6 ~(ym~) Kup ~KT'/ip, T. ETT~ K~ct~MCt;, cette Xu~EM~ EpMTM TM6f ytpovTK version est seule à fournir l'équivalent rigoureux du Kup DoHMtte pater. Toutes les recensions grecques accesT~KT/p sibles" portent Enrs~ot iMt-~ (dans la traduction des Bollandistes Dic Mttht pater) et la version latine de Lietzmann Rogo dicas.. le second membre, il n'en est plus ainsi mais l'anomalie est fortuite. Notre texte doit se lire 6 Se yepM~ ~y~ Te~M ~ept Eyxpe:T6m; ~u~ Notons d'abord que le mot ctùïM Texv~ se retrouve dans la deuxième version Fili; et dans

Pour

t3. Ici, la recension B de Lietzmann fait défaut, car le manuscrit est tronqué de ses premiers feuillets.

il

celle-là seule manque à toutes les autres recensions tant grecques que latines. Après, nous sommes obligés de chercher l'équivalent dans le texte de Rosweyd, et ne trouvons qu'une phrase inintelligible Pro substantia animae. Il est clair qu'il y a là une bévue. La version primitive devait rendresyxpot-rs~ (c'est le mot qu'on lit dans les recensions grecques) par:t!~t~gn
Nous verrons mieux le travail d'amplification au deuxième épisode, sur lequel nous nous arrêterons davantage. Prenons d'abord le récit fait, du l'traMt de Siméon, par Théodoret, d'après des témoins oculaires « Un jour, ayant pris une corde de fibres de palmier (c'est !4. Dans la version de Lietzmann, la traduction est exacte Z?~c~M<
't

t5. Autres indices analogues. Dans la version de Rosweyd, le vieillard expose les pratiques qui mènent au ciel, puis il 'ajoute et quie_ contrario ista non custodit, hic A<<<
t

les

quelque chose de très rude, même au toucher de la main), Siméon s'en entoura les reins, non au dehors, mais directement sur la peau et il serra si fortqu'il se forma sur toute cette partie une plaie circulaire. Étant demeuré ainsi plus de dix jours, et la plaie s'envenimant, du sang en coulait goutte à goutte et quelqu'un qui s'en aperçut lui en demanda la cause. Comme il répondait que ce n'était rien, l'autre, par force, y mit la main et comprit et s'en fut le dire au supérieur. Aussitôt celui-ci, ayant blâmé Siméon et l'ayant fortement réprimandé pour avoir exercé sur lui-même une telle cruauté, enleva non sans peine la corde. Mais il ne put le décider à soigner de quelque façon la blessure~ » Le récit est sobre et naturel. Il ne contient rien que de vraisemblable. On va voir ce qu'il devient peu à peu. Tantôt le rédacteur ajoute pour rendre sa narration plus concrète ou plus édinante, tantôt pour corser un tableau réaliste. Il ne craint pas l'horrible, et même il s'y complaît. Deux parties dans l'histoire la pénitence du saint, qui ne figure pas dans nos peintures; le dialogue de Siméon et de l'abbé, seul représenté à Zilvé. Première partie. Version de Rosweyd~ Un jour, Siméon, allant au puits, en prend la corde et se l'enroule autour du corps depuis les ?~!M~ /M~M'aM cou. Puis on ne voit pas bien pourquoi le narrateur lui fait dire un inutile mensonge Exivi haaurire aoMCMt et non ttfuent funem in situla. Et illi dt~ey~Mt T~c~ frater ne forte agnoscat abbas. Conséquence ~M~CtMM! est CM~tK corpus ~H~ de obligatione et a-s~ef~a~ j~MM~, quia secabat ëMMU~~e ad ossa; ingressus est enim caf~gM ita ut T.'f.~ appareret. A retenir, le vix, qui dis-

paraîtra bientôt. Suit une digression

les jeûnes du saint qui ne mangeait que le dimanche et, les autres jours, distribuait sa nourriture aux pauvres. Sur quoi les « frères & vont se plaindre à Théodoret, Historia religiosa, xxvi, Migne, P. G., t. 82, col. 1468. !7. Migne. P. L., ~3, 326. 16.

5.

Dans Lietzmann, p. 4.

l'abbé intolérable est l'exemple de cette rigueur exagérée intolérable, l'odeur qui s'échappe du corps de Siméon et cMMt ambulat, vermes de corpore ejus cad~Mf, lectusque ejus plenus est vermibus. Dans cette première partie, les autres recensions ajoutent peu. Le latin des Acta ~aMcto~MM précise que la corde de palmier s'appelle ~~CM.x le grec dit ~Kc~~ ou {t'<7~ Celui de Lietzmann, par souci de la modesmot inconnu. tie, note: recessit secreto ~M~mM et ~n/c'~T. ~Mw (funem) in omne corpus ~MMMt. (On voit qu'il y a progrès.) Enfin il nous dit que la pénitence dure quasi per cMMMMt MWM7H. (Nous sommes loin des dix jours de Théodoret !) Pour finir, le narquestion rateur institue un dialogue plainte d'un « frère de l' « archimandrite » gMOKo~o uM~m~at tr~d~tOHM? explications qui se terminent par une menace renvoie-le ou c'est nous qui partirons tous. Le grec donne les mêmes détails, mais la durée de la pénitence devient « une année et plus" » M

Venons à la seconde partie. L'abbé, étant al!é se rendre compte de la vérité de ce qu'on lui dit, interpelle Siméon. Ici nous rencontrons la légende de Zilvé, qui se lit ainsi AEFÏ AYTON

0

APXtMANAPtTIC IHE MY TEKNO AYT! 1 AlCOAtA HOC EEEAXETE An ECOr KE <=HTMOetC 0 APXIMAN&PtTtC AEFt AtlOATCATE ATTON !AOME!\ (~08) EN ETIA ATTI KE AnOATCANTEC AYTON EB(po~) TO CCXmiON nEPinAETJMENON TO COMA(Tt) AYTOY KE M(ET<x) nCAOT MO(~)eOY AnECHACAN An AYTOY TO (c)XTNÎON AnO TI CAIIICIC AYTOY CAPKOC

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t8. Ainsi dans A, E, X-Y. B fait encore défaut. Dans la traduction des Bollandistes c~c!~
K'JTM, ~M;J!.M

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vmv Tupt~e~eytAe~o~ TM c<&n.KTt etmoS~ xan u-eirst 'no~Qu t~oy~ou cn~ec6t- MUTOU TQ C/CMM~ <XWO T~~
Voici, dans les deux versions parallèles, le passage correspondant

Rosweyd,3

~t.7 7

Tunc vocauit illum et ~M
De la comparaison de ces deux textes, il ressort que le second est plus développé que le premier. Et si on les rap]o. Suit une invitation à suivre la voie commune appuyée d'un appel à l'Évangile (Mat., 10, 24) qui est propre à ces deux versions et ne se trouve ni dans les recensions grecques, ni dans la version de Lietzmann. Ce peut être un développement du traducteur (ou du manuscrit sur lequel il traduisait); mais on va voir que les autres

recensions introduisent aussitôt d'autres développements bien plus considérables.

proche de l'inscription de Ziivé, on voit que, sauf pour deux détails insignifiants c'est le second qui fournit l'équivalent le plus exact. En particulier, c'est lui qui introduit, comme dans l'inscription, au discours direct, les paroles de l'abbé aux frères". D'autre part, comparé au récit de Théodoret, celui-ci, même sous sa forme la plus sobre, apparaît fortement dramatisé. Cependant, en corsant l'histoire, le narrateur garde encore un certain souci de la vraisemblance. Mais veut-on savoir jusqu'où peut aller l'imagination des rédacteurs? Qu'on prenne la version latine de Lietzmann et surtout les recensions grecques. Omettons les développements moins typiques. Voici seulement quelques exemples. La constatation faite par l' « archimandrite H devant le lit vermibus plenum lui arrache cette exclamation Novus /o& nobis advenit! Le discours qui suit s'amplifie ~ed Hec hoc &OMMW est quod nec g'~M~rî~ K~C~a~'M~ voluisti KO~CMttM dare. Phrase quelque peu mystérieuse que le grec rend plus claire « Pourquoi trompes-tu les frères?. Ne serais-tu pas un fantôme Es-tu bien un homme né de parents comme nous ? C'est peut-être pour cela que tu as voulu nous cacher ton origine et ta Siméon se met à pleurer. Le grec spécine « L'endroit où il se tenait en est baigné. » L'abbé ordonne de le dévêtir. C'est impossible, car la

?.

patrie.

20. Le premier discours de l'abbé, sans le mot talis, et la phrase de conclusion avec le mot ~K~c, équivalent de Tro~ou. 2[. Dans ce discours, le changement de personnes videte, lËM~v

est sans importance. Plus notable est la variante,au dernier membre de phrase de l'inscription una fMM carne, otito T~! oxpxJ!. On en trouve la justification dans les recensions grecques qui portent soit a~a t~ 6M[et

0:jJLO[

e~OtV~

ZTCO

EYVMpMTEv) TO

t~MMKt~T)

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SttpXt* xcd O'~X

TMW TOtpitM~ TMV

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XSXO~[MVMV

CuSs~

6V
Cependant notre inscription peut faire douter qu'une telle exp!ication soit nécessaire.



tunique adhère aux chairs pourries. Il faut arroser le malheue pendant trois jours sans reux d'eau tiède et d'huile arrêter a, ajoute bravement le grec 22. On enlève la tunique en arrachant des lambeaux de chair. Mais c'est à peine si on aperçoit le fin bout de la corde 23. Admirons ce détail vertM!Um autem ~M~tttiMMt multitudo ab interiori plaga mOM~at (équivalent dans le grec). La version continue tunc .stM~e/actt omnes fratres videntes <)!.sa<MM~w ~!a~aw cogitabant intra se quali argumento (grec w~~ xon ~&~ ~'oyK~~at TTo~cot~'re;) ~oH~feitt ab eo ~MM~m. Intervention de Siméon qui dit « Laissez-moi mourir.a (le grec ajoute 70~ x~ût To~ ~o-
28.)

:TH TpH; &ÙV ~{JLSOCtt OUX ETtBtUO~TO OtKËpS~O~TE; KUTM !!3zït )(X[OfpM 22. A o~ s~a't~. (Lictzmann, p. {j).dwv T&< 33. La plupart des textes portent qu'on ne voit rien, e! Kj:~oh; To~
c'Mxo!? et le copiste ox.:xa:c xcn ~ovov on

tout!

essaie de donner à la phrase un sens d TK? ne voit plus que les chairs, et de la corde rien du

seul, dans la recension de Papadopoulos-Kérameus. « Des médecins », dans le latin de Lietzmann et deux manuscrits grecs. 25. H ne faut point supposer que l'inscription de Zilvé procéderait de quelqu'une de ces recensions longues au moyen de coupures comme nous en pratiquerons au quatrième épisode. En effet, si certaines expressions sont pareilles de part et d'autre, comme it est 24. Un

f !)!

Nous serons bref sur les deux derniers épisodes. Le troisième est la guérison d'une femme qui avait avalé un « serDans la peinpent JI ou, plus exactement, une sangsue ture, deux légendes, semble-t-il, s'y rapportaient. La seconde est indéchiffrable et nous la négligeons. La première est la suivante

r\NI

AË TIC AfFICA A1A NYK.TOC

KE niOTCA KATEn(tE) 0'MAION KE EMINEN (M) T(t xu)Aï(at atu)TIC ETI TPIA

ru~

~E

E~iEME~ M

T~

O~~M~, Xiït

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T~ X.0i.m

CtUT?i{ ~TT)

TpKt.

tt

Rapprochons encore ces paroles des deux versions latines parallèles Rosweyd, Mulier quaedam sitiens nocte, venit ad hydriam aquam bibere, in qua erat parvulus serpens; et bibens deglutivit illum, et crevit in utero ejus.

S.,

J7

/)/t~tc~ ~<M~
Les mots soulignés dans la deuxième colonne fournissent 1

inévitable, d'autres sont très différentes. Voici, par exemple, d'après A les passages parallèles à l'inscription Ka:t xp~T7i
ejt~KV~ YeVO~.EVO;

CtUTOV, 6~t(~)~

[SM~ev

0 0:a~[M.<X~5s{'CTj! ~~YM TO~ [AOVK/0?;' 'ATtO~U
8u?M8:a

TTo8E~

i[Sr~

Ka~ oSTMt

{JUT~t

T!G~ o5~v;t

TjSuv~O~tXV omo35<Ti!tt OUTOV

Xotl EUp~XOU
TM
L'accident n'est pas rare en Orient où beaucoup de fontaines en sont infestées. Mais il atteint surtout les chevaux et autres animaux buvant à même, sans prendre garde. 26.

un décalque rigoureux de notre inscription, laquelle correspond à l'ensemble du texte après qu'on y a fait une simple coupure. Il est vrai qu'une bonne part de ces expressions se retrouvent dans la version de Rosweyd mais un détail y manque les trois ans de séjour du serpent dans le ventre de la femme. Ce trait caractéristique ne se retrouve dans aucune des autres recensions les textes grecs et la version latine de Lietzmann le remplacent par quelque chose de tout à fait différent. Voici, par exemple, le passage correspondant de cette dernière a Mulier quaedam sitiens per noctem accepto vase ut biberet suscepit simul cum aqua serpentem modicum, et nutritus in ventre ejus factus est validus et devorare intestina illius coepit, et erat vultus ejus quasi herbae virentis 2'. » Le tribus aKMM de la version des Bollandistes constitue donc un hapax. Et qui ne jugerait que par les textes littéraires pourrait être tenté de l'attribuer à l'auteur de la version ou à un scribe postérieur. Mais, par l'inscription de Zilvé, il devient évident que ce détail n'a pas été inventé en Occident et qu'il se lisait dans l'original grec. Nous verrons tout à l'heure les conséquences à tirer de cette constatation. Passons sur la guérison de la femme qui, par la vertu de Siméon, vit sortir de sa bouche un serpent de trois ou quatre coudées suivant les recensions 28. Zilvé ne fournit rien à ce sujet. Mais notons un détail qui montre les incertitudes de la

tradition manuscrite. D'après la version des Acta Sanctorum, lorsque la femme, 27. Texte parallèle de

X

!!5«)0, XZt ~jn~tëo~E~AtXYO~tOV

yu~ '-[? S'~Msat Stà n~; 58~t~

(TU~Tt~et K;JtX TOU SoK'M! 0!p!S[OV [MXpOW, s!Sso6 T~ xotX~ct acuT-f~ xod e~eveTo Spxxo)v ~YUTTOç x~

eu~ETpo:~ T~! Y~euxo? ~Tt6p eîSse /dp-rou ~M?ou. xoM

vuxro? f)66~
(Lietzmann, p. 41.) Avec des variantes (r~ xetAmv pour ~yo~tov, etc.) les autres textes grecs sont équivalents. Manifestement ce n'est aucun d'eux qui a pu inspirer l'inscription de Zilvé. 28. Ici, par une exception qui se reproduira à la fin de l'épisode suivant, c'est le latin de Lietzmann qui est le plus sobre. La conclusion est simplement et ut cognovit serpens virtutem aquae egressus est; et omnes videntes glorificaverunt Z7~MM!.

après avoir consulté vainement les médecins, est amenée à Siméon, ille iussit de terra et de aqua in ore eius mitti ce qui correspond à certains textes grecs (X-Y) p~M~e ex ToS S~tXTO~ XKt T~~ Y~< et~ To oTo~at KÙT~ Mais ailleurs T~ y~<; est ? devenu ~'pi!; et, pour donner un sens à la phrase, le~ copiste de A arrange ainsi ex ToS SSatTO< Touïou xatt ex T%5 mT~t TauT~. A son tour, la recension de Papadopoulos-Kérameus a une leçon différente &x ~Mï u~ctTOt; x<xt TOU T~j~oG T~~ ']~, dont on peut se demander si elle ne représenterait pas le texte ~primitif. Deux coupures différentes auraient transformé ir~oS < ï~< 'f~<, en T~~ Y~<, qui est acceptable, et nny~, qui ne l'est pas. Et voici autre chose. La version de Rosweyd donne, seule entre toutes, le détail suivant at ille jussit poni eam ad } i~~fatM et de aqua tMOKa~~fM os ejus MM~î. Il semble très probable que les mots poni eam ad terram ne sont qu'une traduction de e~ -yvit (ei~ y~;) correction de l'embarrassant i~Y~. D'autres se sont simplement affranchis de la formule gênante, tel le copiste de B qui écrit pa~eTE eiç To oTo~at auT~t i

ex Tou e~Ktou TM~ ocynd~ !)!

Le dernier épisode représente la visite et la mort de la mère de Siméon Ayant appris, après bien des années (vingt on vingt-sept d'après le grec) où était le saint, sa mère vient le voir et se Autre constatation analogue. Sorti de la bouche de la femme, le serpent s'avance vers la colonne de Siméon et passant la tête à travers barrière, il crève ~p~e~tt ëjjLxpotCew irou t~Tu~ou xad 6e~ T~ xscpaM~ ctiMpLMovTMwxctYitE~MW 6t)<M~t~ (B). Dans A, xofYXE~MD (ailleurs xayxe)~mv) est devenu xE~X~mv le serpent s'avance entre les cellules! Mais il a fallu que le mot soit devenu quelque part ftyYE~Mv pour que nous arrivions à l'étrange traduction des Bollandistes (p. 266) ~w~t~M? ante, columnam et virum medio Angelorum inferentem caput. Le trait manque aux deux anciennes versions de Rosweyd et des Acta Sanctorum. 3o. Cet épisode est connu de Grégoire de Tours (De gloria contessorum, XXVt, Migne, P. L., t. 7:, col. 849). Toutefois il ne fait pas allusion à la mort de la mère, 20.

la

neurte à la muraille qui interdisait aux femmes l'approche de la colonne. Elle essaye vainement de la franchir. A ses instances, elle reçoit comme réponse, de la part de son fils, l'assurance qu'ils se verront bientôt dans l'autre vie. Elle meurt. Siméon fait introduire le corps qui, à sa voix, tressaille et sourit, et il le fait enterrer au pied de la colonne. A Ziivé deux légendes résument les faits. La première est mutilée et quelques restitutions peuvent
·

(o~)EEE

MHP XPO-

NON OAirON KE OEACAME-

0 AAIAOTC (t) A EMî(we)N T(n) <MN(~) (xE

COT AKOTCO

Eu)0EOC AnOCeAN(ou~:)

10 K.Kt (MtOUOUOiX Mio'Tlop, ~M~~)!;

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~po~o~ d~~ov

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x~~om

X«t eMsM~ 'MCoQattoStKt.

A la place de ces quelques phrases, toutes les recensions rapportent un long dialogue dans lequel le peintre a dû choisir Rosweyd,99 Post multum vero temporis, audiens mater ejus famam de eo, venit videre eum; sed prohibita est videre eum, quia locum illum mulier non ingrediebatur. Cum autem audisset beatus Simeon

~.5'

t4 Post multum vero temporis, cognoscens mater sua de eo, veniens volebat videre eum; et prohibita est quia mulier in illum locum

non ingrediebatur. Et dicit illi Sustine, mater, modicum ~M~M,

3t. Il est du reste manifeste que, pour cet épisode, les deux versions parallèles présentent plus d'une trace de remaniement.

vocem

matris suae, dixit ei Sustine, mater, modicum tempus, et simul nos videbimus, si Deus volucrit. At ilia haec audiens, flere coepit et rogare ut eum videret32. Audiens beatus Simeon vocem < Renitricis suae, posuit faciem suam in manus suas, et ploravit amare, t mandavitque illi dicens Domina mater, quiesce modicum tempus, et videbimus nosin aeternarequie. Atillacoepitdicere: Per Christum qui te plasmavit, si est possibilitas t videndi te in tanto tempore alienum a me, permitte me videre te, aut si non, vel vocem tuam audiam et statim moriar, quia pater tuus t. in tristitia propter te mortuus est.

et simul nos ~t~MM~, si Deus voluerit. At illa haec audiens coepit plangere ac rogare vt videret

eum~ Audiens ille voces, ponit

faciem suam in manus suas et plorat amare mandans illi et dicens Quiesce modicum, mater, etvidebimusnosin aeternarequie. At
On voit que, sauf pour un membre de phrase où la première version reproduit exactement notre texte, on peut encore trouver dans la seconde un équivalent fort exact Mais il a fallu faire des coupures considérables. Il n'en-sera pas de même pour le dernier texte de Zilvé qui se rapporte à la fin du même épisode. discours de la mère qui est un morceau de rhétorique ajouté après coup. Il manque aux recensions grecques et au latin de Lietzmann qui dit seulement cum audiret haec mater eius w<M
C
<M

~~M ~C~K't.

La phrase est tronquée par accident, et il faut rétablir ici l'équivalent du ~~M
Yj

ESTtW

b

KY:0? 2ujJt.6~V Xat 8pOpLO!tM; EMoUTOt ~9s~Tj
~TOSOUTMV ~TMV, KM

T!0~a: X~ûtIOUTa 6~

TO

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CtUTO~

xal

ou TUVE/Mp~O~

8aMM8a[[ <xuïov xoft S~o? <xÙT7] & ~ytOt 2u~e
On lit sur la muraille TOTE HYICAC EYXIN YtIEP AYTIC AnE&OKEN TO nNEMA TO KO KE ICIrArON AYTIN nPOC AYTON EMnPOCOEN AYTOY KE IPE(Mïo) 0 MAKAPIOC KAEIN KE AEFIN 0 OC nP(oc)A(E~)ET(e) C EN XAPA KE TAYTA AErON(-ro~) TOY M(atx<x)PIOY EMtAïACEN TO nP(o)C(o~)ON AYTIC TOTS ITOi.CM~

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UTT~ KUTY~ (X~E~M~M TO T~eS~.<X TMKuptM

Et
x~KtE~ xcct ~eyE~

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TO~ TOU {jmXatOMU

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X<Xt ~p~XTO 6 [Jt.a[)KXptO;

Trpoo~~ETiXt ce M y~px

K~

T<x5T<x ~~0~-

TO 1:pOCM~O~ <XUT?iC.

Voici la suite dans les deux recensions parallèles

~i4-!5

Rosweyd,g9 Haec dicens, prae tristitia et Et de tristitia et planctu in somplanctu in somnum conversa est num conuersa est. Habebat autem habebat autem tres dies et tres tres dies et tres noctes non cessans noctes, non cessans deprecarieum. deprecari eum. Tunc B. Simeon Tunc beatus Simeon oravit ad /
sions parallèles mais, avant le sourire de la morte, elles introduisent une longue oraison funèbre (qui, dans nos versions latines, est placée *rf 8~ otttouMMK T[
Comme au passage précédent, les deux versions sont très semblables. Nous aurions pu souligner les points de contact avec la première. Cependant quelques mots (faciens orationem pro illa, coë~ flere dicens) appellent plutôt l'attention sur la seconde. Mais un terme aura surpris qui ne répond pas au grec sudavit au lieu de risit. L'erreur s'explique aisément par le latin de Rosweyd. La version originale portait ridebat que le copiste distrait a lu sudabat. Puis un autre scribe, changeant le temps, a transformé sudabat en ~M~a-utt~ Et ceci, comme le substantia du premier épisode, prouve la dépendance de nos deux versions à l'égard d'un même original latin. Leur ressemblance, du reste, permettait déjà de le deviner deux traducteurs travaillant indépendamment n'arrivent pas à une telle similitude de forme. Mais dans ces mots latins estropiés de part et d'autre, il est évident que nous voyons répéter une faute, non de traducteur, mais de copiste 37.

Il est temps de conclure. De tout ce que nous avons dit, il ressort que, du moins EOtUT~V

6~TK

TTp
EuQeM; KTTsSfOXEVTO TrVEU[J).OC T<~Q~<5. ~~8ov S~ 0~ 1

VtXO~ X0!l <XV~YYE[~0[V TO E~O~CV'~CO:! 0!UT'!jV XOtt ~!)poV (XUT~jV 'CM ŒY?M Trep~ OtUT~. à 8~ o:xouoo:~ XE~suEt otuT~t~ E!(r6ve~9'fj~a[t xod -rf8'~<:[v a:u-r~v

TtpOTp.OVCLOtOt

~rt

p. 38.)

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XOt~

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8o:]tp~(0~

7}p~O:TO

SuVKjtEM<, 0 oS~YO; TOU tpMTd; ~EVEtpOV T~V SE~t~V (TOU XM SE~OH 6?p~j TÏ)V '{'U/~V T~t SouÂT)!
imaginer une autre explication. Les termes sudabat, sudavit répondraient à une fausse lecture du grec E~aS~M (~<MJ factus est) pour t~e:S[MEw. Mais aucune des recensions accessibles ne porte ce terme (les seules variantes sont EXt~efïoxod E~LEtStME~, ESovE~ro XM eu.E[Jt9[) la forme et l'accentuation très différente des deux termes ne permet guère de confusion. II est plus naturel d'expliquer l'erreur par le latin. 37. Au contraire, comme le lecteur a pu s'en apercevoir, il est manifeste que la version L-M de Lietzmann est indépendante de celles-ci et remonte'à un original grec de forme différente. 36. On pourrait

pour les épisodes figurés dans leur chapelle, les moines de Zilvé, vers l'an 900, lisaient un texte de la Vie de Siméon très voisin de celui qui a servi à établir la vieille version latine des Acta Sanctorum. Probablement même les deux textes étaient identiques. Si l'on considère que les moines devaient lire cela en des manuscrits vieux d'un bon nombre d'années, abstraction faite des accidents de cette ancienne version transmission acquiert une grande importance. Lietzmann, pour donner la préférence à des recensions plus développées, invoque leur antiquité elles sont connues par des manuscrits du onzième, peut-être du dixième siècle. Mais voici surgir un témoin au moins contemporain et probablement plus ancien que les plus âgés de ces manuscrits. D'autre part, un examen impartial fait reconnaître, dans les recensions longues, un travail d'amplification qui s'est développé sur plusieurs générations. (L'étude des deux premiers épisodes a été caractéristique à cet égard.) Et nous voici d'accord avec ceux qui posent en maxime générale qu'en matière hagiographique les récits les plus sobres ont chance d'être les plus proches des textes primitifs" Toutefois la maxime ne doit pas être appliquée avec une rigueur absolue. Et nous en avons ici même la preuve. Des deux versions latines de Rosweyd et des Acta Sanctorum, la première est en général la plus brève" Toutes deux,



38. Outre de menus accidents comme celui qui vient d'être signalé au dernier passage (ci-dessus, note 36), nous pensons surtout à ces deux « blocs erratiques » introduits dans la série des miracles, principalement au premier qui semble appartenir non à la version originale, mais au manuscrit utilisé par les Bollandistes (voir ci-dessus, note y). 39. On peut voir une application de ce principe dans les considérations par lesquelles le R. P. Delehaye (Les Saints Stylites, p. 111-IV)' montre que, vraisemblablement, la version latine de Lietzmann qui omet de faire mourir la mère de Siméon (voir ci-dessus, note 35) répond au texte primitif d'Antoine. Celui-ci aurait porté xo:t TO[3-M: xxoucMtM Ev ~6-rà Ba!xpuMv SMUMTC, ce qui aurait donné naissance à la leçon Kupt'w ETTxufKt-ro, et par suite à l'épisode de la mort et des funérailles. En tout cas, cet épisode est ancien puisque nous le trouvons à Zilvé. 40. Pas toujours, cependant on peut s'en rendre compte par les deux passages comparés p. 355-356. Un autre exemple plus typique est

avons-nous dit, dérivent d'un même original. Affirmeronsnous que la plus sobre est la plus fidèle, que les suppléments de l'autre sont des additions postérieures ? Nous en sommes empêchés par les inscriptions de Zilvé. Outre que plusieurs fois elles suivent pas à pas le texte le plus long, indiquant par là quelle devait être la teneur de la les source grecque, elles contiennent au moins un détail trois ans de séjour du serpent dans l'estomac de la femme propre à ce texte. Impossible d'admettre qu'il ait été inventé par le,traducteur ou par un copiste, car la rencontre avec la légende de Zilvé serait inexplicable. Le détail a donc figuré dans l'original grec et, par suite, dans la traduction primitive. De même jugerons-nous que les appellations Domine Pater, Fili du premier épisode, que le discours direct Expoliate eum du second appartenaient à la version originale. Si ces détails et quelques autres ont disparu dans la version de Rosweyd, c'est qu'elle est abrégée ou qu'elle dépend d'un abrégé. GUILLAUME DE

JERPHAJ~ION.

aux chapitres vi, vu de Rosweyd qui développent un épisode (latentation de Siméon) absent de la version parallèle et de plusieurs des recensions de Lietzmann. Même dans celles où il figure, il est raconté plus brièvement, ce qui prouve que nous avons là une amplification due à un copiste tardif.

NOTES ET MÉLANGES

LE PROJET DE SOMME THÉOLOGIQUE DU P. JACQUES LAYNEZ Ignace de Loyola disparaît de ce monde (3i juillet r556) brusquement, dans le silence de l'humilité, sans un geste ni un mot final qui soit un adieu à ses enfants ou une suprême consigne. Mais on peut dire qu'avant de mourir il a laissé des écrits, qui sont des legs d'où sa famille tirera une fortune éternelle. Parmi ces legs, les Exercices ~~f~M~ et les Constitutions sont au premier rang. Sans être inspirés, ils sont de Dieu; ils émanent d'une intelligence et d'un cœur tout remplis des clartés d'en haut. Ils ont véritablement donné l'être à la Compagnie de Jésus. De la fidélité à ces deux livres dépendra infailliblement la survie et la fécondité apostolique des Jésuites dans l'avenir. On le sait aussi, vaincu par les instances de Nadal, après de longues hésitations et de ferventes prières, Ignace se décida (4 août i553) à raconter sa vie au P. Luis Gonzales de Camara. Il le fit à de longs intervalles (août i553, mars-octobre i555). Les notes de Gonzales, prises au jour le jour, équivalent à une autobiographie dictée par le saint'. Cette merveilleuse histoire explique les Exercices et les Constitutions; elle présente dans un resplendissement magnifique la magnanimité dont Ignace fut un si rare exemple. II n'est point exagéré de dire que le Directoirede Polanco pour les confesseurs (i55~) et le Z~~e~ de Christophe de Madrid sur la communion (i556) sont comme deux codicilles du testament d'Ignace. Si convaincu qu'il fût des surnaturelles origines de son œuvre et de la fidélité de la Providence à conserver un Ordre religieux voulu par elle, le prudent fondateur n'était pas homme à abandonner au hasard quoi que ce fût qu'il pût lui dérober. Par les deux opuscules de Madrid et de Polanco, il voulut donner aux

j..S'< de

Ignatio, I, 3t-35. 2. Le livre fut réédité bien des fois. Voir Sommervogel, VI, g3o-943. 3. J'ai réédité et traduit ce Livret dans Pour la communion fréquente et quotidienne. Paris, Beauchesne, tgto. -S'.

siens, avant de s'en aller dans l'éternité, les directives de leur apostolat par le confessionnal et la Table sainte. Il aurait aimé aussi que Laynez écrivît une manière de Guide ou de Somme des prédicateurs' Mais ce vœu ne fut jamais réalisé qu'en partie~. Il devait advenir de même d'un projet de Somme théologique, mis encore à la charge de Laynez, et dont je voudrais ici raconter l'histoire. Les anciens historiens du serviteur de Dieu ne touchent pas ce point. Ribadeneyra n'en dit mot, dans la Vie qu'il publia en 1594. Francisco Dilarino (pseudonyme de Rainaldi) fait de même quatrevingts ans après. Les modernes gardent la même discrétion. Boero~, à qui nous devons d'utiles notices sur les compagnons de saint Ignace, n'est pas sans consacrer un chapitre aux écrits de Laynez, mais il se contente d'en dresser une liste et de reproduire en appendice celle qu'avait dressée Sotwel, dans sa ~'&/M//M<'< en 1676. Le P. Ignacio Torre avait entrepris de traduire Boero, en le complétant pas des pièces inédites. Il s'est arrêté après un premier volume; et c'est tout juste s'il indique le projet de Somme théologique9. A Grisar" nous devons mieux la publication de quelques-uns des écrits de Laynez; mais, dans ces deux volumes dont nous reparlerons, on cherchera vainement, ailleurs que dans la préface, trace de la Somme théologique qui nous occupe. Heureusement, les MonuMey~a ~M<~M ~e~~<~ /~M sont venus au secours de notre ignorance de là proviennent presque tous les détails de la présente étude. 4. Mon. Soc. Jesu, Ep. et Inst., XI, 283. 5. Possevin a imprimé dans sa F~'Mtf~M sacra (1. V, ch. XLI)

un Tésumë des avis de Laynez; Grisar l'a reproduit, en le faisant précéder d'une traduction latine de l'Instruction que Laynez avait écrite en espagnol (Disput. trid., 11, 506-542). Dans la Vie de Borgia, qu'il publia en r5o4, Ribadeneyra mit en appendice un Tratado ~yc du saint, ~a~t los ~e<~c<<~M del Santo /MMg~M. Le même Traité fut aussi reproduit par Nieremberg dans la biographie de Borgia (t644). Il est intéressant de rapprocher ce Traité des Avis de Laynez la différence des deux hommes, l'un plus docte, l'autre plus affectif, s'y révèle au premier coup d'œil. Encore que Laynez ait prêché plus que Borgia et avec les succès les plus apostoliques. 6. Vida del P. M. Z't~gf Laynes. Madrid, Madrigal, i5o4. 7. Vita. Rome, 1672. 8. Vila. Firenze, Ricci, r88o. 9. Vida del siervo de /?<M Padre Diego Laynez. Barcelona, Rosal, ~897, p. 3i8.

to. Disputationes tridentinae. Innsbruck, Rauch, 1886.

1

Longtemps après qu'Ignace de Loyola sera mort, la Compagnie aura son Ratio .î/M~~MM (iSp~), qui sera comme la charte constitutionnelle de son enseignement. Déjà, de son vivant, le fondateur, par le moyen de Nadai, avait organisé les études de son Ordre; en prenant pour modèle le modus ~a~K~MM, sauf à lui insuffler l'esprit nouveau de la Renaissance; à la base, les langues anciennes (latine, grecque, hébraïque); puis les arts libéraux et la philosophie; au sommet, les sciences sacrées. Établi par Nadal" à Messine (1548i55z), le système passera en Portugal, en Espagne, à Rome, en Allemagne. En i553, la Compagnie existe depuis treize ans; elle est répandue dans la plus grande partie de l'Europe, dans les deux Indes et en Afrique; il est question de fonder un collège à Jérusalem; les fils de saint Ignace dirigent les Universités de Gandie, de Messine, ils enseignent dans celles d'Ingolstadt et de Vienne. Saint Thomas est le maître préféré. Mais on suit aussi d'autres auteurs; ainsi, en i54~, le P. Winck expose à Messine la théologie de Durand; et la même année, à Palerme, le P. Lanoy commente Pierre Lombard 12. Nadal 13, tout en donnant à saint Thomas le premier rang, trouve la Somme ~ecZ~~Me trop longue à expliquer; il souhaiterait un texte plus bref, dégagé de toutes les querelles des thomistes, des scotistes et des nominalistes et sans doute aussi plus accommodé aux besoins de la controverse protestante. Cette controverse était plus vive et plus pressante en Allemagne, berceau du protestantisme. Du roi des Romains, Ferdinand, vint l'initiative de demander aux professeurs de la Faculté de théologie de Vienne de composer, à l'usage des prêtres, un C<s'M~K~M~c ~
n.

Cron., I, 364, 370,372. i2. Cron., I, 371; III, 387. ]3. ~/cM. praect., Qt). Broet., 372-373. 14.

où un bon chrétien pourrait trouver « tout ce qu'il lui convient de savoir ». Sa Majesté aimerait que l'ouvrage fût de la plume « de ses théologiens »; qu'il « s'imprimât à Vienne », et qu'il devînt le livre Le Jay était un de texte « de toutes les écoles du royaume homme très humble, vieilli avant l'âge par ses travaux. Il confessait et prêchait beaucoup et il avait tous les jours sa classe de théologie à faire a l'Université. D'autre part, il lui répugnait fort d'entrer dans l'usage des Allemands d'alors, pour qui un livre est « l'affaire d'une nuit 15». Mais comment se dérober aux instances du roi des Romains; d'autant que l'ouvrage demandé sera si utile? Le Jay pria donc humblement Ignace de lui dire sa volonté au cas où il agréerait le projet de Ferdinand, il était supplié « par l'honneur et Dieu » de mander à Vienne un Jésuite libre de ses loisirs, et capable de mettre sur pied la .S<wMM~ demandée par Sa Majesté. Lanoy et lui étaient d'ailleurs disposés à « y aider de tout leur pouvoir"' )). Nous n'avons pas malheureusement le texte de la réponse d'Ignace. Mais nous en avons le sens, par le résumé de son registre de correspondance il est vain, dit-il, d'espérer du secours de la maison de Rome; que les Pères de Vienne s'arrangent au mieux pour rédiger le manuel souhaité par le roi des Romains 17. A Vienne, il semble que Le Jay et le Hollandais Gaudanus mirent en commun leur travail et leur savoir 18. Lorsque Canisius vint'" les rejoindre (9 mars i552), Claude Le Jay, qui n'avait plus que quelques mois à vivre, lui recommanda de laisser tout le reste, pour s'occuper uniquement de cet ouvrage 20. Mais, dans la lettre douloureuse et tendre où il annonce à saint Ignace la mort de Le Jay (6 août), Canisius confesse que le livre en est encore à ses commencements 21. Le Jay, après dix ans vécus en Allemagne, ne savait pas l'allemand, qu'il jugeait fort difficile22. Malgré ce déficit, partout où il avait passé, ses qualités intellectuelles et morales lui avaient assuré une grande influence; tout le monde savait~ qu'il avait paru aux diètes de Ratisbonne et de Worms, restauré l'Université d'Ingolstadt (i5~5)et représentéàTrente l'évêqued'Ausgbourg, Truschess(i545). A Vienne, il attirait autour de sa chaire de théologie un nombreux clergé, non seulement par sa piété, sa modestie et sa bonne grâce,

))'

t4~. 17. 18.

iq.



15. 373. HI, '725. C~M., II, 767-769. C~tK. I, 48. I, 4H. 21.

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373.

– 16.

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I, 412. 20. 379. 92. 23. C~M., I, 112, 132, 152, 182, 2i5-2!6-2i7,4io,4t5;

F~

373-374.

II,

563.

mais aussi par la clarté, la méthode, la pénétration et l'agilité de ses leçons sur les plus difficiles matières de la controverse protestante 24. Au contraire, Lanoy réussissait peu et n'avait guère d'élèves, ses dons étaient plutôt des dons de gouvernement25. Canisius, dernier venu, était accablé par son travail de professeur à l'Université et la préfecture des classes du collège. En terminant ce tableau de la situation de la Compagnie à Vienne, Canisius s'écriait « Oh si un Laynez, ou un Salmeron, ou un Olave était ici, combien facilement CfM~Mf~M demandé par Ferdinand~! se réglerait cette affaire Ignace~~ suivit les suggestions données. Tout de suite, il nomma Lano\ recteur (3o août); et Polanco ne tarda pas à pressentir sur le CcM~m~Mw Salmeron et Laynez (22 octobre). Salmeron, fort occupé à Naples, dut observer que Laynez lui semblait plus désigné; car Polanco fit passer cette lettre à l'intéressé (12 novembre); et finalement il manda à Vienne que Laynez et Olave feraient le livre (29 novembre). Dans le courant de i553, on rappelle parfois à Laynez cette besogne28; mais l'homme de Dieu s'y est mis, en dépit de son labeur apostolique écrasant; et, dès le 25 et le 27 juillet, Polanco peut annoncer à Canisius que deux parties sont déjà rédigées~" et que le reste suivra, quoiqu'on redoute qu'emporté par l'abondance de son savoir et le désir d'exactitude, l'auteur ne soit trop long3o. Enfin, en octobre, Laynez mande à Rome trois cahiers sur la Trinité, le Verbe et le Saint-Esprit: il se rend bien compte que ses développements sont trop amples; mais lui ou un autre pourront tirer de là un abrégé". Le paquet reçu, Polanco dit librement son avis les reviseurs seront désignés et en même temps qu'ils formeront leur opinion, ils pourront s'aider de tant de doctrine; les cahiers sont déjà partis pour Naples32 où Salmeron était fort curieux de les voir; évidemment, il faudra faire un abrégé; mais nul n'est plus qualifié que l'auteur lui-même pour cette rédaction nouvelle, dût-il pour cela renoncer, pour un temps, aux travaux de l'apostolat; peut-être pour-

du

24. Can. 26. 27.

e~t~.j I,

7&1,4:2.

223.

407.

Instr., IV, 39!,

z5. Ibid., I, 411.

483, 486, 504, Szô.

28.V,t43,i77. Mon. Lainii, I, 223. 2Ç. /~< V, 22g

t

Ibid., V, 243. 3t. Mon. Lainii, I, 32. L'envoi fut fait le 28 octobre t553 (~. et Instr., V, 647). Il y eut quelque aléa dans le port (Ibid., V, 697, yoS, 734) 30.

rait-il se retirer, à cette intention, au collège de Florence; quant au style, on le polira, s'il convient, lorsque l'ouvrage sera terminé 33. Canisius est informé de la bonne nouvelle (23 novembre) et les censeurs se mettent à l'œuvre. Aux premiers jours de février i554, par un jeune candidat à la Compagnie qui se rendait à Rome~, Salmeron renvoya les écrits soumis à son examen, en y joignant un résumé du jugement dont il avait directement fait part à Laynez. La censure est d'autant plus intéressante que c'est la seule qui nous soit parvenue. Nous en reparlerons. Par diverses lettres de Polanco, et par son CVcM~M, nous savons que tous les censeurs étaient d'accord avec Laynez lui-même, pour estimer que son travail, à cause de son ampleur, ne saurait servir de texte dans les écoles de théologie; donc, Laynez fera un résumé de ce qu'il a écrit 36. Laynez, qui avait sur les bras un travail énorme et épuisant, aurait préféré qu'un autre s'employât à abréger les cahiers envoyés à Rome. On avait d'abord songé à le faire aider par Salmeron, convoqué d'urgence à cet effet, pour rejoindre Laynez à Gênes. Mais Salmeron s'arrêta à Rome, convainquit Ignace qu'il n'avait pas de loisir. On revint donc sur ce projet de collaboration~. L'avis prévalut que Laynez devait finir son livre selon son plan premier, et par après en faire un Compendium. C'était la pensée d'Ignace et de tous On n'en faisait pas à Laynez un commandeles Pères consultés ment on s'en remettait à son zèle pour le bien et à sa bonne volonté de réaliser au plus tôt le désir témoigné par le roi des Romains. A défaut des théologiensjésuites qu'il voudrait voirà ses côtés comme collaborateurs, l'auteur ne pourrait-il pas s'inspirer de l'Examen
et

/M~ V, 63o.

34.V,722.

35. C~M., IV, 172. 36. Ibid., V,6o, 65. C'est le 20 mai que Polanco a envoyé à Laynez

les observations de chacun des reviseurs. 37. Ep. et Instr., VI, 387, 6oo, 611 VII, 99. 38. Ibid., VII, 160, 168. 39. /<& VII, 126. 40. Ibid., VII, 160. 4i- Ibid., VII, 207.

Durant toutes ces négociations, Canisius, Gaudanus, le roi des Romains avaient été exhortés à patience. A la Faculté de Vienne, en attendant que l'ouvrage fût achevé, Gaudanus pourrait prendre un manuel de Paris qui est assez bien fait, ou tout simplement le Maître des Sentences Ferdinand était prié de remarquer que le même ouvrage ne pouvait servir de texte à l'Université et de manuel pour les curés; selon les moyens de ses fils, avec l'aide de Dieu, Ignace promettait de faire au plus tôt l'un et l'autre ouvrage, une fois le carême passé Canisius, de son côté, s'était mis à t'œuvreet avait remis au roi des Romains la première partie de sa Summa ~cc~-M<x cA/~MK~j et Sa Majesté en avait eu tant de plaisir qu'elle avait décidé d'imposer ce livre (en allemand et en latin) à toutes les écoles de ses Etats (16 mars i554). Polanco, saisi de la question, bénit le zèle de Canisius; mais il lui fait observer qu'à Rome on fait ce qu'on peut pour contenter Ferdinand la Summa <~c~K<x sera pour la jeunesse; le Compendium que Laynez rédigera sera pour la Faculté de théologie; et pour les curés, André des Freux, sur l'ordre d'Ignace, est en train de faire un manuel; it a abandonné ses leçons sur saint Paul; Olave, au besoin, l'aidera dans ce travail, et encore les autres théologiens de la maison de Rome 45. Mais, à cause des travaux immenses dans lesquels les hommes de la Compagnie sont alors engagés, la fin de l'été vint sans qu'Ignace pût offrir à Ferdinand autre chose que des promesses et des espérances 46. Nous savons que le prince s'en contenta pour le moment; Canisius était plus pressé; il aurait voulu que les deux livres fussent prêts pour l'année scolaire qui allait suivre, et offrir « au roi du Ciel comme un nouveau présent des Mages*" ». Hélas! ce vœu ardent ne devait jamais être exaucé. Le P. des Freux mourut (6 août i556) sans avoir achevé son manuel des curés. Ignace disparut (3r juillet r556) sans que Laynez eût conduit à son terme les six parties de sa grande Somme théologique, ni guère commencé le Compendium dont le roi des Romains souhaitait depuis cinq ans l'apparition. Aucun effort de Canisius ne valut après que Laynez eut été nommé vicaire général de la Compagnie, tout espoir était perdu qu'il pût vaquer à écrire des livres. Cependant, le vaillant apôtre de l'Allemagne hasarda un projet. Profitant d'une nouvelle instance du chan-

t

42. 43. 44. 45. 46. 47.

Ep.

et Instr., VI, 39o.

Ibid., VI, 397. I, 454. Can. Ep. et Instr., VII, 245, 2~9; Can. et Instr., VII, 248. I, 485. Can.

~t~

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e~ I,

473.

celier, qui, par l'intermédiaire du D~ Viglio de Zuichem, demandait un livre de texte remplaçant le Maître des Sentences, il s'offrit à faire avec Gaudanus l'abrégé des cahiers de Laynez. Peut-être, ajoutait-il, des théologiens plus accomplis, tels que ceux d'Espagne ou de Portugal, feraient-ils encore mieux cette besogne. Et en tout cas, Laynez ne pourrait-il pas rédiger une introduction à l'étude de la théologie, qui indiquerait u la manière et l'ordre H d'en traiter? Ce serait pour lui, même au milieu de ses graves occupations, chose « de peu de fatigue ». Et combien tous s'en réjouiraient. « et a/M, suo lempore super aedificarent, et sequerentur ~<MK M~!CM.!
~~CCMCM~

))

1

Pendant la Congrégation générale de i558 qui donna Laynez pour successeur à saint Ignace 49, Canisius, venu à Rome en qualité de provincial d'Allemagne, eut le loisir de traiter de vive voix l'affaire qui lui tenait tant à cœur les documents que nous avons montrent par leur silence qu'aucune suite ne fut donnée à son projet. Tout au plus est-il trace d'une commission donnée au P. Victoria de s'occuper de l'éternel Compendium; et Canisius en profite pour manifester une fois de plus son idée « On pourrait, écrit-il à Laynez, abréger la grande Somme de V. R.; que si on ne peut le faire, il ne manque pas en Allemagne des gens qui en seraient capables » Rien ne répondit à ce suprême appel. Et l'année suivante, dans une lettre à Polanco, le provincial d'Allemagne, découragé, conclut qu'il n'y a plus à attendre ce CfM~cM~KM qu'il a si souvent réclamé~.

II Laynez a beaucoup écrit. Sacchini, Ribadeneyra, Possevin, ont publié quelques textes. Il a fallu attendre Raynaldi, puis Theiner et Ehses, pour avoir des précisions sur le rôle de l'éminent jésuite au Concile de Trente, et les huit volumes des ~M<~M/
P~a del

~c di Dio P.


Laynez, 338, 3~0.

professeur d'histoire ecclésiastique à l'Université d'Innsbruck, édita, je l'ai déjà rappelé, deux volumes 53. Les professeurs de théologie se jetèrent dessus avec avidité, pour chercher là un texte meilleur, ou même complètement inédit, des consultations, discours et votes de Laynez au Concile de Trente sur le pouvoir des évêques dans ses rapports avec la primauté pontificale; sur la question de la communion sous les deux espèces, sur les indulgences, la messe, la réforme de l'Église. Le P. Grisar offrait tout cela, dans un livre bien ordonné, enrichi de sobres commentaires et de la correspondance des légats avec saint Charles Borromée sur la juridiction épiscopale. H ajoutait même, ad <~KM<~ïM/MM, un traité de l'usure, un autre de la simonie, un autre des impôts; des instructions sur les bénéfices ecclésiastiques, sur la visite des diocèses par les évêques, sur un plan d'éducation chrétienne; et même une consultation en sept chapitres de /KCC et ornatu MK~K/M. A ces Z?~K~MKM ~<M~ les savants firent bon accueil elles montraient à l'oeuvre un des premiers représentants de la théologie moderne, un défenseur intrépide de la doctrine catholique en général et nommément de cette monarchie pontificale que, bien avant Luther et Calvin, les théologiens gallicans et régaliens s'étaient étudiés à mutiler. Malheureusement, Grisar faisait comme son devancier Boero il signalait certains manuscrits, en les numérotant avec soin, et il les laissait dans leurs cartons poudreux. Parmi ces délaissés, se trouve l'ouvrage dont la présente note raconte l'histoire. Voici textuellement ce que dit Grisar Nu 33. Prolegomenon in MM<M~MM.f<M~!W. Lib. 34. De Trinitate libri magis elaborati ac perfecti. 35. De regno Dei. 36. /M~c.t' 37. 5'MM~~ ~M~~a*

scolasticae. Utinam ingenio acerrimo

Lainii tantum opus perficere licuisset! Quid expectandum fuisset, jam ipsae aliorum operum reliquiae demonstrant Les éditeurs des ~M~M~a ont relevé ce texte, pour y dénoncer une erreur, la même qu'ils dénoncent dans Sommervogel (IV, 1599), à savoir que le n° 34 et le n° 3y « unum idemque opus ~KM~ H. Et ils en appellent à Laynez lui-même. Celui-ci, en effet, a écrit à saint Ignace, le i~ juillet i553 Quant au livre dont Polanco interroge, je pensais le diviser en six 53. 54. 55.

Jacobi Laynez.Z)~M<~«?M~<M~<M~Innsbruck,Rauch,1886.

Z?! trid., I, 29". ~aZM., I, t!2.

parties, inégales it est vrai, parce que les matières sont plus vastes les unes que les autres. Première partie, une introduction à la théologie, ou prologue; je ne l'ai pas commencée. Deuxième partie, un traité de la nature et des propriétés divines communes à toute la Trinité. Troisième partie, de la génération du Verbe. Quatrième partie, la procession du Saint-Esprit. Cinquième partie, la création du monde. Sixième partie, la Providence et le gouvernement du monde; là entrent l'Incarnation, et presque tout ce que nous savons de Dieu; ce sera la partie la plus longue A cette descriptioncorrespond manifestement le n° 3~ de Grisar De Trinitate libri et comme nous savons, par Laynez lui-même et tout ce que j'ai raconté plus haut, que la deuxième, la troisième et quatrième partie du plan indiqué furent les seules rédigées, il s'ensuit, de toute évidence, que la Somme de théologie ~e~-M~M, qui est le n° 37 de Grisar, est le même ouvrage que le n" 34; à moins toutefois que la Summa (n° 37) ne soit le résumé du n" 64. La comparaison des deux manuscrits imposerait la même conclusion, peut-être. Mais il est difficile de la faire ils ont disparu. Toutes mes recherches aux archives de l'Ordre et près ju P. Grisar ont été vaines. Et c'est d'autant plus dommage que l'on vient de ramener l'attention sur les articles érudits, écrits il y a quarante-cinq ans par le P. Ehrle, au sujet des théologiens qui, à la suite de Francisco de Vitoria, rénovèrent à la fois la gloire de Salamanque et la vieille scolastique Combien il eût été intéressant de comparer ces traités trinitaires de Laynez, par exemple, avec les commentaires encore manuscrits de Domingo de Soto sur la première partie de la Somme de saint Thomas J'en appelle aux jeunes, qui ont des yeux de lynx et l'esprit de 1

conquête. Que si un jour le travail que je souhaite se fait, nous apprendrons quelque chose. Malgré quoi, il restera toujours un regret pendent opera interrupta. La cinquième et sixième partie de la Somme commencée par Laynez ne semblent pas avoir été rédigées. Il eût été particulièrement curieux de voir comment, dans la notion du gouvernement divin, Laynez aurait exposé la chute d'Adam, l'économie de l'ancienne loi, l'Incarnation, la Rédemption, et l'Église enfin, dont l'enseignement, les sacrements, le culte, la divine autorité 56. Mon. Lainii, I, z33. 57. Le P. March a traduit en espagnol (dans Estudios escolasticos, avril, juillet, octobre !Q2Q, avril ig3o) ces articles parus sans nom d'auteur, en 1884 et en i885, dans Der ~~oZ<~ de Mayence.

fournissent aux chrétiens, avec la règle de leur croyance et de leur conduite, les moyens du salut éterne!. Laynez avait peu de livres sous la main; mais il en avait lu beaucoup et comme ses compagnons jésuites, Bobadilla Salmeron et Nadal, par exemple, il avait des notes innombrables. Lui-même l'a dit au Concile de Trente, il avait coutume de lire les livres d'un bout à l'autre, et d'en prendre des extraits; même les dix-sept volumes de Tostat ne lui firent pas peur; dans ses papiers, il y a encore un Index, en plusieurs volumes, où des notes de lectures sont rangées par ordre alphabétique Par ailleurs, les discussions du Concile de Trente avaient familiarisé cet homme avec toutes les questions théologiques les plus brûlantes. Plus tard, par sa mission en Allemagne (i555) avec le cardinal Morone, et son voyage en France (i56i) aux côtés du cardinal d'Este, il avait touché du doigt les réalités complexes dans lesquelles la politique des souverains rejoint et embarrasse la doctrine pure. Il avait donc, pour écrire une théologie des sacrements et de la hiérarchie catholique, une riche expérience, en même temps que le savoir le plus étendu. Mais les affaires et l'apostolat l'ont emporté; les loisirs lui manquant, l'homme d'étude s'est effacé devant l'homme d'action.

III Avant de clore ces pages, il convient de revenir un instant aux censeurs qui furent chargés par saint Ignace d'examiner l'essai théologique de Laynez. Sauf des Freux, tous sont Espagnols, mais fort différents les uns les autres. Nicolas Bobadilla(i5ii-i5f)o) est l'un des compagnons de Montmartre. En i554, il a une longue expérience apostolique de réformateur des monastères et de visiteur des diocèses. Durant son séjour en Allemagne, qui dura six années, il a paru aux diètes de l'Empire; et c'est le fait d'avoir attaqué l'Interim fort discutable de CharlesQuint qui l'a ramené en Italie. Son esprit est vigoureux, son savoir très personnel, sa franchise absolue. II faut regretter de n'avoir pas c'eût été probablement un son jugement sur l'écrit de Laynez morceau de haut goût. Polanco (i5i6-i577) est en contraste une tout autre carrière et une tout autre nature. Après avoir étudié à Paris les lettres et la philosophie, il est entré en iS~i dans la Compagnie naissante. De

<

Boero,
bonne heure, il est devenu le secrétaire de saint Ignace. Homme de bureau et de gouvernement, aux idées claires, au jugement pondéré, d'une intelligence vive et ordonnatrice. Christophe de Madrid (i5o3-i573) et Martin Olave (1516-1556) sont des recrues récentes de l'Ordre. Olave, nourrisson glorieux des Universités d'AIcalâ et de Paris, chapelain de l'empereur en Allemagne, rencontre les jésuites à Delingen et au Concile de Trente où il est théologien du cardinal d'Augsbourg. C'est un homme de piété et de savoir qui devient jésuite à Padoue, tandis que le Concile de Trente était suspendu, en i5o2. Dès i553, il enseigne la théologie au Collège romain. Il ne survit guère à saint Ignace. Christophe de Madrid, avant de devenir fils de saint Ignace, était théologien du cardinal de Cupis. Même à la cour de ce prince de l'Église, il fit preuve de zèle réformateur. Dans la Compagnie, il fut surtout un homme de gouvernement et passa à Rome la plus grande partie de

sa vie. André des Freux ( ?-r556) est Français et Chartrain. Humaniste, théologien, exégète, il offre un type assez complet de l'homme d'Église instruit, de cette époque. Dans sa carrière, il connut toutes les expériences, celles de l'apostolat aussi bien que celles du professorat et du gouvernement il fut le premier recteur au Collège germanique. < Salmeron (1515-1585), nous le savons par une lettre de saint Ignace, garda longtemps une figure toute juvénile. Mais cela ne l'empêchait pas d'avoir un esprit robuste et un très vaste savoir. Théologien pontifical, avec Laynez, au Concile de Trente recteur à Naples, en mission en Allemagne et en Pologne, prédicateur, controversiste, ce Tolédan réunissait tous les mérites; son zèle apostolique égalait sa doctrine. Tels sont les juges auxquels saint Ignace confia le soin d'examiner la Somme théologique de Laynez. Comme je l'ai déjà noté, tous leurs jugements nous manquent, celui de Salmeron excepté. Et encore, ce que nous avons n'est-il qu'un résumé des remarques envoyées directement à Laynez. II faut transcrire ici ce texte en entier 60. Nous savions déjà par Theiner et le diaire de Masarelli le rôle de Salmeron dans les discussions sur l'Eucharistie. Le P. Manuel Alonso, professeur à Comillas,vient de le mettre récemment en relief, en publiant un opuscule inédit dans lequel sont ramassés les textes des Pères grecs et latins sur le sacrifice de la Cène. (El Mc~to eucaristico de la t<~M
Le livre me paraît très docte et utile; c'est une entreprise à mener jusqu'au bout, comme elle a commencé. Mais il y aurait quelques corrections à faire. La première est que l'auteur devrait se restreindre dans les citations des Pères et des docteurs elles sont nombreuses et très longues. Deuxièmement, pour aucune des matières qu'il traite dans chaque chapitre, il n'indique aucun argument, ni objections contraires, ni solution de ces objections; or, il y a là, peut-être, plus de doctrine que in corpore articuli, comme on dit. Troisièmement, il me semble qu'il faudrait aussi, au début de chaque chapitre, définir les termes, indiquer leurs significations diverses de ces distinctions résulte une grande lumière sur les questions traitées; et le P. Jacques, quand il dispute ou professe, s'acquitte fort bien de tout ceci. Quatrièmement. Parmi les textes de l'Écriture allégués, il serait expédient peut-être d'en commenter quelqu'un, et de lui donner vie, afin de conclure plus efficacement ce qu'on prétend; ceci donnerait au lecteur plus de satisfaction que la simple lecture de tous les textes

réunis. Dans le livre troisième, où il est parlé de la génération du Verbe, il me semble qu'il manque un chapitre, dans lequel on aurait pu avantageusement disputer An gentiles et ~A<7f~ myster;um ~M~~CMM Verbi et Trinitatis a~M
Dans ces lignes se retrouvent les qualités intellectuelles de Salmeron son goût pour la précision, la clarté, la force des preuves, et les excursus érudits; et enfin cette justesse d'esprit si frappante en ses ouvrages. Dans ses lumineux Commentaires sur l'histoire évangélique, ce grand homme n'a pas manqué de toucher le point qu'il reprochait à Laynez d'avoir omis dans la Somme c'est au traité XXIII, où il explique mundus eum non cognovit D'après le cette parote de saint Jean témoignage de l'Écriture et des Pères, et par le simple raisonnement, il expose comment les païens n'ont pu connaître la Trinité. Puis il

~Sa~t.,

61. n2-u3. 62. Édit. Cologne, t6t2, II, t85-t88.

parle de Platon, de Mercure trismégiste, des oracles de Delphes et de Sérapis, observant que les ressemblances et analogies que l'on a coutume d'aligner au sujet de la Trinité, si elles ne valent point pour convaincre, sont bonnes pour incliner l'esprit à admettre l'union des trois personnes divines en une seule nature. Il termine en examinant dans quelle mesure ce fut la faute des païens de ne point connaître le Verbe. Les autres remarques de Salmeron, sur la Somme de Laynez, touchent à la méthode d'exposition; il a raison sur toute la ligne; et nous sommes sûr que Laynez en aura convenu. Certes, celui-ci avait l'esprit agile et vigoureux et le don de mettre la doctrine en vive lumière. Quiconque aura lu, par exemple, ses dissertations*~ sur l'origine de la juridiction épiscopale, ou sur l'usage du calice pour les laïques, ou sur l'usure et le change, n'en saurait douter. Tout cela est admirable de netteté, d'ampleur et de force. Les leçons faites du haut de la chaire des églises avaient les mêmes qualités, avec un accent direct et prenant. Nous avons encore ses leçons sur l'oraison et la tribulation, à Rome, au début de son généraiat* elles sont nourries, on s'y attend, des enseignements de l'Ecriture et des Pères; mais tous ces textes ont passé dans ~a substance vive du prédicateur, ils sont devenus sa pensée propre; et il excelle à les illustrer par les comparaisons les plus populaires. Rien donc ne lui manquait pour cet exposé vivant, persuasif, que Salmeron aurait aimé retrouver dans la Somme théologique. Mais cet homme n'avait pas le temps de vivre. Bousculé de toutes parts, au milieu d'occupations incessantes et diverses, fondateur de collèges, provincial d'Italie, théologien du pape, confesseur et prédicateur, il grappillait comme il pouvait, dans ses journées trop pleines, quelques rares moments de loisir, pour consulter ses notes et dresser à la hâte une rédaction. L'opération consistait forcément à vider ses portefeuilles; d'où résultait une compilation massive. Pour faire mieux, le temps de composer lui a fait défaut. Et si nous arrivions à mettre la main sur ce qu'il a écrit, encore devrions-nous admirer qu'il ait pu, dans une vie disputée par tant d'œuvres absorbantes, ébaucher presque la moitié de la Somme théologique demandée par le roi des Romains pour les écoles de ses États. PAUL DUDON.

<

cit., I, 97-370; II, 24-74, 227-321. 63. Grisar, 64. Grisar (II, 543-56o) a publié quelques extraits des leçons l'oraison

j'ai eu entre les mains le texte italien intégral.

sur

BULLETIN DES RELIGIONS BABYLONIENNE ET ASSYRIENNE

Grande édition de l'Épopée de Gilgamesh. Réédition des Annales de Sargon II. Le Droit babylonien au temps de Hammourabi. Strophes sumériennes au troisième millénaire avant J.-C. CAMPBELL

77~ ~!c of C~ga~t, Text, Transliteration and Notes. In-folio de 93 pages et 59 planches. Oxford, ig3o; Humphrey Milford, Oxford University Press, Amen House, London, E. C. 4. Prix 2 £, to sh. A. G. LIE, The Inscriptions of Sargon Il King of Assyria. Part I, The Annals Transliterated and Translated With Notes. Grand in-8 de XI-92 pages. Paris, 1929; Geuthner, Librairie Orientaliste. Prix R.

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Le temps est loin où Paul Haupt, alors jeune assyriologue, plus tard virtuose de la philologie sémitique, préparait une édition de l'épopée de Gilgames, en copiant, au British Museum, tous les fragments de ce fameux poème. Avec une juvénile ardeur (au témoignage du P. Strassmaier), il copiait les mêmes textes plusieurs fois, à un jour ou deux d'intervalle, avec des encres de couleur différente, pour contrôler ensuite ses copies les unes par les autres. Le résultat de ce travail fut l'édition complète des textes cunéiformes de l'épopée, connus jusqu'alors, Das Babylonische Nimrodepos, 1884. Un peu plus tard, parurent les savantes transcriptions et traductions de Jensen (1900), de Dhorme (1907), la traduction de Ungnad. Depuis l'ouvrage de Paul Haupt, d'autres fragments ont été découverts; de plus, en sumérien, en sémitique et hittite, des

textes voisins ou parallèles, et même quelques parties du poème. Une nouvelle édition était à désirer. On peut féliciter M. R. Campbell Thompson de s'en être chargé. Sa compétence est attestée par trente années de travaux assyriologiques, par la publication et l'interprétation de divers textes d'un caractère technique, parfois énigmatique. L'épopée de Gilgames (ou Gilgamis) se présente aujourd'hui à nous dans un magnifique volume, qui en donne la copie cunéiforme et la transcription édition somptueuse et œuvre scientifique des plus soignées. On n'y trouvera pas la traduction anglaise du poème l'auteur l'a publiée à part en 1928. Cette version anglaise, note l'assyriologue Jensen « utilise quelques petits fragments non encore publiés )). Jensen aurait dû reconnaître de bonne grâce que son ancienne version de 1900 est largement complétée et très heureusement remplacée par celle de Thompson. Non seulement Thompson exploite de nouveaux fragments inédits, recueillis dans les trésors du British Museum, mais il utilise tous ceux que l'on a découverts et édités depuis vingt-cinq ans, et qui restaient dispersés et enfouis dans des Revues difficilement abordables. De la sorte, des compléments considérables sont apportés au texte connu en 1900 et 1907. Beaucoup de lacunes sont comblées~ de plus, l'ordre du texte établi par Jensen est modifié d'une façon notable, surtout dans la première partie du poème. Le P. Dhorme remarquait fort justement « La deuxième tablette s'ouvre par une sorte de complainte de Gilgames sur Éabani. Que s'est-il passé? Le texte de la première colonne ayant disparu, l'on ne peut savoir l'événement qui motive les larmes du héros. Et voici que nous trouvons à la colonne III, Éabani en train de maudire la prostituée d'ÉrechSamas écoute cette malédiction et reproche à Éabani de l'avoir proférée. » (Choix de Textes religieux assyro-babyloniens, p. 204.) Or, suivant l'arrangement de M. Campbell Thompson, le passage où Gilgames pleure sur Enkidou (Éabani) appartient à i. O~M<~M<7~ Literaturzeitung, 1929, col. 644. Dans cette recension (col. 643-653), Jensen a saisi l'occasion de réchauffer quelques éléments de ses vieilles élucubrations de 1906, sur les personnages de l'Ancien et du Nouveau Testament qui seraient tous, ou à peu près tous, des copies de Gilgames et d'Enkidou (Éabani). Il est impossible de calculer le travail utile qu'aurait pu réaliser dans son domaine propre un assyriologue de la valeur de Jensen, s'il n'avait pas perdu la moitié de sa vie à combiner et à tâcher de consolider des constructructions plus ou moins ingénieuses ou purement fantastiques, dépourvues de toute base scientifique.

la tablette VIII, qui contient les lamentations de Gilgames sur la mort de son ami. Les malédictions proférées par Enkidou contre la prostituée, et les reproches du dieu Samas à ce sujet, font partie de la tablette VII. Par contre, dans la nouvelle édition, la tablette II contient l'entrée d'Enkidou à Érech, et à la fin, le trait que Lagrange, dans sa fine analyse du poème (tablette IV), trouvait obscur « II y a du bruit dans Érek; mais il est impossible, dans l'état du texte, de discerner la suite des faits. On voit Éabani fermer une porte à Gilgames c'est sans doute parce qu'il a peur. » (Études sur les Religions sémitiques, 2° éd., p. 35 i.) D'après Thompson, qui place ce passage à la fin de la tablette II, il s'agit d'une lutte entre Gilgames et Enkidou, à propos de l'hiérodule, les deux héros, dans l'admiration réciproque de leur vaillance, deviennent amis. Bien que la suite des événements, sur quelques points, ne soit pas la même, les remarques judicieuses, qui abondent dans le commentaire de Lagrange, gardent leur valeur. La campagne de Gilgames et d'Enkidou contre Houmbaba, sorte de géant, gardien de la forêt des cèdres, n'a pas pour but, comme il le montrait, de chercher l'arbre de vie, mais, suivant Thompson, d'aller prendre des cèdres pour l'embellissement de la ville d'Érech. Le sens de imittu (tablette VI, 1. 179 ou 161), insinué discrètement par Lagrange, (p. 355), est admis par Thompson. Dans une introduction substantielle, M. Thompson énumère d'abord les travaux de ses devanciers. Il insiste sur le mérite de George Smitbqui, en 1872, découvrit avec une perspicacité géniale le récit épique du Déluge (Tablette XI de l'épopée de Gilgames), parallèle au récit biblique, et le publia en i8y5. Une grande partie de l'épopée, dans la rédaction sémitique, remonte certainement, pense M. Thompson, au commencement du second millénaire, ou peut-être plus haut, et, pour une partie au moins, il existait une édition sumérienne bien plus ancienne. Après la description matérielle des douze tablettes, l'auteur donne la division logique du poème, en soulignant les principaux épisodes I. L'amitié de Gilgames et d'Enkidou. 2. L'épisode de /7
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étrange, terminée brusquement sur une idée assez banale, en sorte que toute cette tablette a l'air d'un appendice ». M. Thompson paraît un peu exigeant sur la composition logique et la parfaite ordonnance d'un poèmp de cette nature. H explique ensuite le nom et les origines de Gilgames, l'étymologie du nom d'Enkidou, lu autrefois Eabani. La plus grande partie du volume est occupée par la transcription du texte babylonien avec les variantes en notes. Ces pages, un peu sèches par elles-mêmes, sont rendues attrayantes par l'harmonie impeccable des caractères typographiques. A la fin, dans des notes parfois assez étendues, l'auteur justifie diverses lectures qu'il a cru devoir adopter; il discute les opinions de ses devanciers avec une parfaite courtoisie et le souci fort délicat de reconnaitre ce qu'il doit à chacun. La copie des textes cunéiformes, admirablement nette et sûre, en cinquante-neuf planches, termine le volume.

Voici encore un texte dont la réédition s'imposait les Annales de Sargon II. Une nouvelle édition des inscriptions de Sargon paraissait « très désirabie )) au regretté professeur Luckenbill (Historical Records of Assyria, 1927, vol. II, p. 2). M. F. Thureau-Dangin notait dans la Revue d'Assyriologie (t. XXIV, p. 75) que les copies de Winckler des textes de Khorsabad « contiennent beaucoup de restitutions qui ne sont pas toujours signalées comme telles ». En effet, la transcription et la traduction de Winckler sont accompagnées d'un tout petit nombre de notes, sans nulle proportion avec l'état souvent précaire des inscriptions. De plus, par suite d'un procédé véritablement étrange, cette interprétation, donnée comme premier volume (1889), ne correspond pas toujours à la disposition et à la teneur du texte cunéiforme, autographié avec un rare dévouement par Ludwig Abel, et publié par Winckler comme deuxième volume en 1889. En général, Winckler ne s'explique pas dans cet ouvrage sur les diverses conjectures qui l'ont amené à ordonner les textes, à les combiner et compléter les uns par les autres. Un avertissement sommaire dans l'introduction est loin d'être suffisant. Remercions donc M. A. G. Lie de la nouvelle transcription et traduction des Annales de Sargon Il, qu'il vient de publier à la Librairie Orientaliste de Paul Geuthner. C'est un travail méthodique et consciencieux, où règne un remarquable souci de l'exactitude. Où Winckler transcrivait sans hésitation « Sib-' (amilu) tur-tan-nu-su ~-j~MM-M~a. )), M. Lie lit « Sib-'e M[m-MM-cM]-~ a-na

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~-Ma ~-[~] M-~M ~-[~-e)-M~ ?» (ligne 53 27 dans l'édition de Winckler.) M. Lie Turtan n, ne convient pas ici; car Sibé

dans l'édition de Lie; ligne note que ~K~<MMM~M, « son est appelé lui-même 7'M~aM (générât en chef) du pays d'Égypte, dans l'inscription des Fastes, ligne 25. Mais Winckler n'était pas embarrassé pour si peu la conjecture par laquelle il restitue un mot, en partie effacé et en partie mal copié, doit prévaloir contre un texte clair et bien conservé; dans ce second texte il soupçonne que le mot ~x~aa provient d'une faute de copiste (Vol. I, p. ioj, Die ~MM~MM<:Af/ 1. 25.) On pourrait citer bien d'autres exemples M. Lie signale, en passant, les principaux avec beaucoup de calme et de patience. Dans l'introduction (p. VIII), il a écrit cette phrase qui, tout compte fait, ne paraît pas trop sévère « Les copies de Botta reproduisent plus exactement les textes de Khorsabad que l'édition revisée de ces textes donnée par Winckler. Un double index, des noms propres de personnes et des noms géographiques, termine cet ouvrage, dont on souhaite de voir paraître M

bientôt la suite.

Dans un grand ouvrage intitulé Études sur le Droit Babylonien, les Lois Assyriennes et les Lois Hittites, M. Édouard Cuq étudie les documents juridiques appartenant à l'époque de la première dynastie babylonienne, qui « par leur nombre et par leur variété, par l'intérêt qu'ils présentent au point de vue scienti&que, forment un ensemble plus important que ceux des autres époques )) (p. 3). Ces études, publiées en partie dans diverses Revues, au cours des vingt-cinq dernières années, ont été complétées et souvent refondues par le savant juriste, réunies et ordonnées, « pour faire connaître les traits essentiels et le développement historique du droit babylonien M. Elles ont pour objet le mariage d'après les lois de Hammourabi, l'adoption, l'affranchissement, les successions, les donations, la propriété foncière, l'exploitation du domaine royal, les contrats, le prêt à intérêt, les sociétés, le cautionnement, le gage. Le remarquable « Essai sur l'organisation judiciaire de la Cha)dée )) remplit les soixante-dix pages du chapitre xin. Il avait paru en 1910 dans la Revue d'Assyriologie; l'auteur n'ignore pas les travaux publiés depuis, en particulier, celui d'Arnold Walther, Das Altbabylonisclae Gerichtswesen, 1917 il les mentionne souvent et, à l'occasion, il discute leurs conclusions. Enfin, les textes récemment découverts, contrats de Kerkouk, lois assyriennes, lois hittites, sont analysés méthodiquement et interprétés du point de vue juridique à la fin du volume.

La législation babylonienne, antérieure de mille ans à celle des Hébreux, dénote pourtant un état de civilisation plus avancé. M. Cuq le montre en détail; il remarque tout d'abord « Dans la législation hébraïque, le droit n'est pas encore séparé de la religion. Dans les lois de Hammurabi la séparation est faite, il n'y a pas de trace du droit théocratique ». (p. 34) « Pas de trace », c'est peutêtre beaucoup dire. Au sommet de la stèle où le code est gravé, Hammourabi s'est fait représenter devant le dieu Samas, qui lui dicte les lois. Des restes intéressants de l'ancien caractère religieux survivent en plus d'un détail des lois et de la procédure. Le serment, par exemple,garde toujours sa valeur de preuve ou de garantie exceptionnelle. « L'ensemble des énonciations contenues dans les actes de vente ou d'échange est confirmé par un serment prêté par les deux parties. L'usage de confirmer par un serment un acte juridique n'est pas particulier à la vente et à t'échange il s'applique également au mariage, à l'adoption à charge d'entretien, à l'institution d'héritier, à l'affranchissement. )) (p. 204). Dans un procès criminel, le prévenu n'aura pas recours à un faux serment pour se disculper, par horreur du parjure, par crainte d'encourir la colère divine. « Ibgatum a été tué, et des effets mobiliers ont été soustraits de sa maison en l'absence de ses fils. Les soupçons se portent sur les serviteurs du défunt. Les apparences sont contre eux ils ont manqué à leur devoir en négligeant d'informer les fils du décès de leur père. Ils sont cités en justice. Les juges leur proposent: i° de reconnaître qu'ils n'ont pas notifié le décès aux enfants de leur maître; 20 de jurer qu'ils n'ont rien dérobé. Les inculpés n'acceptent pas la décision des juges. » Un second tribunal prononce le même jugement; ils refusent encore. « Devant le refus persistant des inculpés, les fils d'Ibgatum prennent le parti de s'adresser au roi [.S~M~M-~KM~, successeur de Hammourabi]. Celui-ci, au lieu de demander la prestation d'un serment de purification à la porte de la déesse Ningal à Sippar, renvoie les plaideurs au jugement d'un dieu àBabylone. » Cette fois, l'aveu des coupables est obtenu (pp. 397399).

Le caractère religieux de l'ancienne organisation judiciaire survit en partie, à l'époque de la I" dynastie babylonienne, dans la distinction des juges du temple et des juges civils. M. Cuq maintient, contre M. Arnold Walther, que la substitution de la juridiction civile à la juridiction sacerdotale n'est pas encore entièrement accomplie au temps de Hammourabi. Les dernières études, sur les lois assyriennes et les lois hittites, placent ces lois dans leur milieu historique, en discutent l'interprétation sur plusieurs points, et en marquent le caractère propre.

Les lois assyriennes ont un quadruple objet le mariage, la propriété, le gage, les crimes et déiits. Elles donnent incidemment quelques renseignements sur l'organisation de la justice et les modes de preuve. On y trouve même une indication intéressant l'histoire de la chirurgie la ligature des vaisseaux et des artères, dont on attribue ordinairement l'invention à Ambroise Paré, le grand chirurgien français du seizième siècle, était pratiquée en Assyrie douze à quatorze siècles avant notre ère » (p. ~34). «

Voici de nouveau la collaboration du juriste et de l'assyriologue dans la personne et le travail de M. G. Boyer, professeur agrégé à la Faculté de Droit de Toulouse. L'interprétation de quarante-cinq tablettes de la collection des Hautes Études vient bien à propos à côté de l'ouvrage de M. Cuq. Car « les textes contenus dans ce volume remontent tous à la 1~* dynastie babylonienne (xx° et xxi" siècles avant notre ère). La plupart sont datés des règnes d'Hammourabi et de son successeur Samsuiluna. Ils sont tous originaires de la Mésopotamie méridionale, de la ville de Larsa et de la région environnante » (p. v). Adoption, partages, vente et échange, bail et louage de service, donation, ventes de marchandises, prêts et reconnaissances de dettes, livraisons et payements, procédure et administration, tels sont les sujets variés des contrats et pièces juridiques réunis dans ce recueil. La transcription et la traduction de chaque texte sont suivies d'un commentaire, où M. Boyer explique diverses formules et expressions techniques, avec la compétence que lui donne sa connaissance du droit ancien. Dans la discussion des opinions qu'il n'admet pas, il apporte des raisons judicieuses,,en un style clair et précis, bien approprié au sujet. Ainsi, sur la question de savoir à quoi se rapporte l'expression <M~M/'M, « il a reçu », c'est à bon droit qu'il repousse l'interprétation subtile de Koschaker et de Ungnad s'appuyant sur un grand nombre de textes qui contiennent la même expression, il conclut « L'examen de ces textes prouve de façon indubitable que le reçu porté dans cette expression vise les marchandises elles-mêmes et non leur prix » (p. 29). Autre exemple dans la tablette 133 l'indication d'une somme d'argent et d'une certaine quantité de grains, prêtés par Samas, est suivie de la formule « Quand il sera en vie et en santé, à Samas il restituera. » Selon Koschaker, il s'agit simplement du vœu, fait par un malade, de donner à Samas, si le dieu lui rend la

santé, la quantité d'argent et de grains mentionnée; en réalité, le malade n'emprunte rien à SamaSj le prêt est une pure fiction. « Pour le P. Scheil, au contraire, les prêts contenant cette clause ne sont nullement fictifs, mais constituent des secours accordés à des malades pauvres, qui s'engagent à restituer l'argent ou les grains reçus, s'ils reviennent à la santé. Les temples de SamaS joueraient à cet égard le rôle d'établissements de bienfaisance. Cette interprétation paraît plus logique. Koschaker rejette l'opinion du P. Scheil, parce que, dit-il, l'idée d'une assistance aux pauvres, assurée par les temples babyloniens, le laisse sceptique. Cet argument, fondé uniquement sur une impression, paraît assez faible » (p. 5i). La copie des textes cunéiformes, à la fin du volume, est non seulement fort nette, mais élégante et d'une main exercée. La table générale, des matières fait défaut.

Un troisième volume de Perles de la Poésie sumérienne est sorti récemment des presses des Franciscains de Jérusalem. Le P. Maur Witzel y continue ses savantes études sur les hymnes religieux de <;ette époque très reculée. II a voulu réunir six pièces de la grande liturgie d'Isme-Dagan (roi de la I" dynastie d'Isin, vers 2100 avant Jésus-Christ), ce qui l'oblige à renvoyer les index à uh prochain fascicule de Perles, qui sera le quatrième de cette série spéciale, le huitième des ~e~'M~c~M~ Studien. Le texte des pièces interprétées ici a été publié par Langdon, Zimmern ou Chiera. Pour l'une ou t'autre, il a même été déjà traduit. Mais les traductions de Langdon, par exemple, ne peuvent pas inspirer une entière confiance. D'un prompt coup d'œit, cet infatigable déchiffreur pénètre le sens général d'un texte sumérien; puis, on dirait qu'il se contente de le rendre ligne par ligne, sans trop s'inquiéter de la cohérence de l'ensemble; il en résulte que la lecture des plus beaux morceaux produit parfois un effet comique ou ahurissant. De plus, on l'a remarqué souvent, Langdon ne résiste guère à la manie de faire des allusions, incorrectes ou maladroites, aux croyances et aux usages de la religion chrétienne. On connaît l'insuccès retentissant de sa découverte du Paradis, du Déluge et de la Chute de l'Homme. Le voici maintenant qui s'abandonne aux fantaisies de son imagination ~ur le (t dieu-homme sumérien, destiné à vivre et à mourir pour son peuple », alors que le texte exploité dans ce sens, comme le P. Witzel le fait remarquer, ne se prête nullement à de pareilles déductions. L'interprétation du P. Witzel est, au contraire, parfaitement plau-

sible elle tient compte à la fois de la valeur de chaque terme et de la suite du sens dans le contexte. « Avec tant d'exemples sous les yeux, dit-il, on ne pourra plus douter de la structure strophique de la poésie lyrique sumérienne je veux parler du fait que les poèmes sont composés de telle sorte que des séries de 2, 3, 4, 5 ou même 6 lignes offrent chacune le développement d'une seule idée )) lp. v). Voici, aussi brièvement que possible, le sujet des six poèmes, d'après l'analyse détaillée du P. Witzel (p. 70-77). Le i est un long chant de lamentation sur la ruine du temple, de la ville et du peuple. Le dieu Enlil, touché de compassion, enverra la déesse Istar au secours des affligés il se servira d'Isme-Dagan pour abattre les ennemis et réparer tous les maux. N. 2. A la prière de la puissante déesseBaou, la dignité royale est accordée à Isme-Dagan. – N. 3. Isme-Dagan, avec la déesse Istar, au service d'Enlil, a soin des temples il est appelé à la dignité de <( Seigneur ». N. 4. IsmeN. 5. Prière d'Isme-Dagan avant et Dagan au service d'Istar. après son intronisation. N. 6. Installation de la statue divine d'Isme-Dagan dans le temple. En rapprochant ces poèmes remarquables, dont plusieurs, à son jugement, sont de vrais chefs-d'œuvre, le- savant sumérologue a reconstitué la « liturgie d'Isme-Dagan », c'est-à-dire une série de chants qui ont pour objet ou pour occasion la déification de ce roi, son élévation à la dignité de « Seigneur », en. Comme le P. Witzel l'explique dans les dernières pages, en manière de conclusion, la « seigneurie » est conférée à un roi quand sa statue est installée dans le temple alors il a droit aux honneurs divins mais il contracte de nouvelles obligations il doit prendre soin des temples et veiller au service régulier des oracles et des conjurations car il est maintenant, d'une façon spéciale, le dispensateur des faveurs divines pour le peuple.

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Museum Dans la partie XLI des Cuneiform in ~M/M/! (i93i). M. C. J. Gadd achève de publier les tablettes du B. M. appartenant à l'immense collection de présages intitulée Summa <~K ina mêlê ~a~'K, « Si une ville est située sur une colline ». Les parties XXXVIII et XXXIX (1925, 1926; cf. Recherches, 1927, p. 50) contenaient déjà un grand nombre de ces textes. La partie XL (1927) réunissait la suite des présages tirés des accidents de toutes sortes qui arrivent aux constructions, puis, ceux que présente l'observation des serpents, scorpions, insectes divers, bœufs, ânes, chevaux,

chiens, éléphants, lions, loups, gazelles, renards, différents oiseaux. Voici maintenant (p. XLI) des présages fournis par l'aigle, le corbeau, l'hirondelle, la colombe, etc., et plusieurs volatiles non identifiés; puis, par les poissons et autres animaux aquatiques. La seconde moitié de ce volume publie des tablettes contenant divers commentaires de ces textes relatifs aux présages.

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H nous était impossible de présager que l'éditeur du Reallexikon Il der Assyriologie (Walter de Gruyter & Co, Berlin et Leipzig) ne laisserait pas à l'auteur du Bulletin le temps d'écrire la recension des fascicules 3 et 4, et au directeur des jP~rcZ'c.! de Science religieuse une suffisante latitude pour la publier à l'heure opportune dans cette Revue. Signalons seulement, en passant, deux chiffres à modifier p. t~S a, la ruine de Ninive est à placer en 612, pas en 614 (cf. p. 303 a). P. 3oo b, ligne 14 le règne de Mérodachbatadan en 703 702, d'après la liste de rois publiée par Pinches, dura neuf mois M. L. W King a eu autrefois l'obligeance d'examiner la tablette cunéiforme au British Museum et de me répondre « Le signe est très clair: c'est neuf mois, pas six mois. »

Lyon, /OM~fy~,

avril

7~.?/. ALBERT

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CONDAMIN, S. J.


Imprimerie J. DuMOUHX, à Paris

J.

DUMOULIN.

DE LA CONNAISSANCE DE FOI

DANS SAINT JEAN

Pour saint Jean, Jésus est la Vie. Cette Vie est la Vérité et la Vérité est la Lumière des hommes. Elle a brillé dans les ténèbres et les ténèbres ne l'ont pas comprise. Le Fils de Dieu est venu parmi les siens et les siens ne l'ont pas reçu. Une des façons d'aborder le quatrième évangile, c'est de le considérer comme le tableau pathétique de cette lutte entre la la Lumière incarnée dans le Lumière et les ténèbres, Christ, les ténèbres personaiËées dans les Juifs, c'est-à-dire, pour saint Jean, au premier plan, les chefs de la nation, grands-prêtres et pharisiens. Montrer comment une âme va à la lumière et comment elle s'en écarte, c'est donc toucher à une doctrine capitale du quatrième évangile. Le simple groupement des textes autour de cette doctrine de la connaissance religieuse est déjà fort instructif. Il permet de prendre un premier et sérieux contact avec la pensée de saint Jean et donne des principes directeurs pour la lecture intégrale de son œuvre. I. La fol son objet La connaissance religieuse envisagée par saint Jean est celle des disciples qui ont entendu la prédication du Verbe i. Audition immédiate pour les contemporains du Christ que met en scène le quatrième évangile; audition médiate pour les lecteurs supposés de la première épître johannique, que nous utiliserons dans cette étude, conjointement avec le quatrième évangile.

incarné et y ont adhéré. Cette connaissance du chrétien, dans sa condition d'homme voyageur, est exprimée le plus ordinairement dans les écrits johanniques par le verbe TrurreusM (96 fois dans'le quatrième évangile, 9 fois dans la première épître de Jean). Le substantif ~cr~ n'est employé qu'une fois, 7 jean, v, 4 « La victoire qui a triomphé du monde, c'est notre foi, T~cT~ -~MV. » Sauf trois exceptions, les mots ~creusM et m
Cette foi est vie de l'esprit, vie totale, donc vie éclairée, adhésion à la vérité, non sentiment aveugle. Cet aspect intellectuel apparaît clairement dans un certain nombre de textes où l'objet qui est proposé à croire est une trois exemples d'un emploi différent sontJean, il, 24, où il est dit que « Jésus ne se confiait pas aux Juifs de Jérusalem, ne leur livrait pas le secret de sa personne et de sa mission (Lagrange); ou, suivant d'autres auteurs, « ne se fiait pas à eux », c'est-à-dire à leur foi qu'il jugeait fragile; Jean, IX, 18, où les chefs juifs ne veulent pas accorder créance aux dires de t'aveugle-né, guéri par Jésus et 1 Jean, tV, t, où les fidèles sont avertis de « ne pas ajouter foi à tout esprit )!, mais de pratiquer le discernement. 3. « Hoc est recipere eum, in eum credere, quia per fidem Christus habitat in cordibus nostris » (Isz loan., c. I, lect. V, n" 4. Édit. de Parme, t. X, p. 3o3 A). 2. Les

vérité déterminée, un < énonciable <. Citons comme exemples de ces vérités déterminées qui sont objet d'un acte de foi i° L'origine divine de Jésus et de sa mission l'amour dtr Père est acquis aux disciples, parce qu'ils ont cru que Jésus était sorti de Dieu (~M, XVI, 27), que le Père l'avait envoyé Immédiatement avant de rappeler Lazare (Jean, xvii, 8). à la vie, Jésus élève une prière d'actions de grâces vers son Père, pour le remercier de l'avoir exaucé, afin que la foule qui l'entoure croie qu'il est l'envoyé du Père, ~ac wto-reusM~v C'est à reconnaître en oït o'j [M cMtM-rstXM~ (Jean, xi, 42). Jésus un envoyé de Dieu, sans atteindre distinctement sa messianité ou sa nliation divine, qu'allait la foi des Juifs de Jérusalem qui crurent en Jésus à la vue des miracles qu'il faisait dans leur ville (/MK, il, 2 3 vil, 3l). ainsi dans la confession de 20 La messianité de Jésus Nathanaël (/MM, l, 40), que Jésus loue comme un acte de foi, TKrrEu~ (JëQM, l, 5o). Sous les deux noms dec Fils de Dieu a et de e Roi d'Israël s, Nathanaël reconnaît Jésus pour le Messie La première épître de Jean fait aussi de la messianité, sans plus, l'objet d'un acte de foi « Quiconque croit que Jésus est le Messie, est né de Dieu f (1 /~tw, v, i). 3° La messianité de Jésus avec la filiation divine, toutes deux explicitement énoncées. Tel est le contenu de la profesJe crois que tu es le Messie, le Fils sion de foi de Marthe de Dieu, qui devait venir en ce monde (Jean, XI, 37). C'est pour confirmer ses lecteurs chrétiens dans cette même foi et formulée de la même façon, que saint Jean a composé son évangile ces miracles, dit-il à la fin du chapitre xx, « ont été écrits afin que vous croyiez (i. e. continuiez à croire 5) que



M

Saint Thomas s'accorde avec les Grecs, saint Jean Chrysostome, Théophylacte, Euthymius, pour interpréter ici « Fils de Dieu x comme une désignation du Messie, sans déclaration explicite de la filiation divine proprement dite. « Si enim intellexisset eum esse Filium Dei per naturam, non dixisset Tu es rex Israel solum, sed totius mundi ') (/? /MM., c. I, lect. xvr, n" 4. Éd. de Parme, t. X, 4.

p.

3~ A).

5.

En grec, le présent m~e~'M, qui indique la continuité et

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Messie, le Fils de Dieu, et afin que, croyant, Ces deux vous ayez la vie en son nom )) (J~aM, xx, 3l). mêmes vérités se retrouvent dans la formule, « croire au nom du Fils de Dieu, Jésus-Christ (7 Jean, 111, 23). Comme la messianité est parfois seule énoncée dans les professions de foi, de même et plus souvent, c'est la filiation divine qui est seule exprimée (J~M, i, 64 III, 18, 36 VI, 40 Z /MN, II, 23 ;iv,i5; v, 5,10,i3, 20). 4° Objet de foi encore les prérogatives de Jésus, Messie et Fils de Dieu incarné qu'il est le Verbe de Dieu (/MM, l, i), la vraie lumière (/eaM, l, 7, 8), la lumière du monde (Jean, vin, 12; xil, 35, 46), la plénitude de la grâce (/ëan, l, 14, 16) et de la vérité (/MM, l, 14, 16 xiv, 6), l'agneau de Dieu qui doit ôter le péché du monde (Jean, l, 29), le Sauveur donné par Dieu au monde (~sw, 111, 14-16; 42 7 Jean, il, 2 iv, 14) pour être élevé en croix (/MM, 111, 15) et attirer tout à lui (/eatt, xil, 32), l'instaurateur du culte divin en esprit et en vérité (/~tt, IV, 21), le pain de vie descendu du ciel, tel que celui qui en mange ne mourra pas (/M~, vi, 5o, 58), le Fils de l'homme dont la' chair est vraie nourriture et le sang, breuvage véritable (~MM, vi, 53-56), la porte du salut (/MM, x, 9), le pasteur suprême du seul vrai troupeau (/MM, X, 11-16), l'unique chemin qui mène au Père (Jean, xiv, 6), la résurrection (Jean, vi, 40; xi, 25) et la vie (~at~t, xi, 25; xiv, 6), la vraie vigne à laquelle il faut adhérer, comme le rameau au cep, pour être sauvé (Jean, xv, 1-6), le Fils inséparablement uni à son Père dont il est la parfaite image (/MM, xiv, 9), de qui il reçoit toute puissance et connaissance (jean, 111, 35 v, 19, 2i XIII, 3 xiv, Io xvn, 2), d'auprès de qui il envoie l'Esprit-Saint (/6aM, xiv, 26; xv,

Jésus est le

M

iv,

progrès de la foi plutôt que sa première apparition.- Westcott, dans son CoMM~K~~c des ~Mn~ de saint /MK, Londres, !go5, p. 120, indique l'emploi des remarquable différents temps le préser~ de m
s6) et avec qui il vient habiter dans ses fidèles (/MK, xiv, 23-24). Ces textes suffisent à montrer que, dès ses origines, la foi chrétienne a eu un caractère dogmatique, une valeur intellectuelle propre et positive.

Parmi ces vérités qui sont proposées à la foi des disciples, il en est une qui est essentielle, fondamentale, de laquelle toutes les autres découlent, si bien qu'une vérité particulière ne saurait être objet de foi, qui n'aurait aucun rapport avec cette vérité essentielle. Nous disons la première par ordre d'~ft~o~cMC~, non pas nécessairement la première coMMMc*\ Cet objet essentiel de la foi chrétienne est une vérité complexe, on serait tenté de dire une vérité à double face. C'est notre vocation à la fin surnaturelle, « la vie éternelle » à nous offerte dans le Christ et par le Christ, Fil& de Dieu incarné ou, sous une autre forme, le Christ, Fils unique du Père, donné par Dieu aux hommes comme source de la vie éternelle. Et donc notre bien appartient à l'objet premier de notre foi s'il est distinct, il n'est pas séparable de la vérité à croire. La foi au Christ est essentiellement la foi en un Dieu Sauveur. Quelques textes de saint Jean expriment d'une façon particulièrement nette cet objet essentiel de la foi chrétienne la vie éternelle procurée par le Christ, ou le Christ source du salut éternel des hommes. Nous avons déjà rencontré la formule très explicite de l'apôtre à la fin du chapitre xx de son évangile « Ces miracles ont été écrits afin que vous croyiez que Jésus est le Messie, le Fils de Dieu, et afin qu'en croyant vous ayez la vie en son nom (Jean, xx, 3i). Un passage de la première épître de saint Jean n'est pas moins ordinairement l'existence même de la révélation, le fait que Jésus est l'envoyé de Dieu, « ut credant quia
(/MM, XI, 42).

M

l'auteur nous dit que nous devons accepter le témoignage de Dieu, croire à Dieu se révélant dans son Fils et par son Fils. Quel est ce témoignage? L'apôtre'répond a En cela net

c'est-à-dire tel est son contenu consiste le témoignage, essentiel à savoir, que Dieu nous a donné la vie éternelle, laquelle est dans son Fils (7 /~aw, V, 11). Dans les autres textes où saint Jean nous propose une vérité à croire, la divinité du Christ ou un mystère de sa vie, c'est toujours implicitement et souvent explicitement en tant que cette vérité nous regarde essentiellement, est pour nous un bien, et sa connaissance, un bienfait, en vue de la vie éternelle. Croire que le Christ est le Fils de Dieu, c'est croire qu'il est la Lumière et la Vérité, mais une Lumière qui nous éclaire (/~w, l, 9 ix, 5), qui nous tire des ténèbres (J~a~, vin, 12 xii, 46), qui allume au plus intime de nous-mêmes le foyer d'une flamme vivante et qui conduit à la vie. a Je suis la Lumière du monde; qui me suivra ne marchera pas dans les ténèbres, mais possédera la lumière de vie B (Jean, vin, 12). Croire que le Christ est le Fils de Dieu, c'est croire qu'il est la Vie, mais la Vie qui se communique (7 /MM, iv, 4), qui fait jaillir en nous une source toujours en explosion, dont les flots pressés portent celui qui la possède jusqu'à la vie éternelle. Quiconque boit de cette eau aura encore soif, disait Jésus à cette femme de Samarie rencontrée sur le bord du puits de Jacob; mais qui boira de l'eau que je lui donnerai n'aura plus jamais soif et l'eau que je lui donnerai deviendra



e

&

Le P. Zoreit, dans son Z~~Mc? du N. T., au mot

[jLOtp-ru~K,

S
7.

traduit

i

KSr'~ 7j xo~ r&n¡ 8. A. E. Brooke note justement sur cette fin de phrase, xal

This clause is part of thé « witness )), not an additional statement made about thé Hfe. The witness is thé gift of a life which is in thé Son (~4 Cy~Ma~
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u:tj) cturou esT:~

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en lui une source d'eau jaillissante jusqu'à la vie éternelle (/<~M, iv, 13-14''). Croire que le Christ est le Fils de Dieu, c'est croire qu'il est le Pain de vie, le Pain descendant du ciel, non plus comme la manne du désert qui n'entretenait qu'une vie éphémère, mais tel que celui qui en mange ne mourra pas et vivra éternellement (/MM, vi, 47 sqq.). Croire que le Christ est le Fils de Dieu, c'est croire qu'il est la vraie Vigne, la Vigne par excellence, qui nourrit ses rameaux d'une sève toujours vivace, et hors de laquelle tout rameau séparé se dessèche et meurt (J~aM, XV, 1-6), c'est croire qu'il est la Résurrection, le Vainqueur qui triomphe de la mort et en fait triompher ses fidèles (/6a~, v, 24; vi, 40; XI, 25) le Juge souverain à la voix duquel les uns ressusciteront pour la vie, les autres pour la damnation (jean, V, 20). Croire à la divinité du Christ, c'est croire que le Verbe fait homme a habitéparmi nous (Jean, 1, 4), qu'il a conversé avec nous (f Jean, i, i-3), pour nous donner de sa plénitude grâce et vérité (/MM, i, 16). Inversement, ne pas croire dans le Christ, c'est mourir dans ses péchés (J~M, VIII, 24), encourir le jugement qui condamne (/eaK, 111, 18; XII, 45), rester sous la colère de Dieu (/e<w, 111, 36), se priver de toute fécondité spirituelle (/gt!t!, xv, 6), s'exclure de la vie éternelle (~an, ni, 36; 7 ~ott, v, 12). De tous ces textes qui se succèdent en des formules qui varient peu, produisant ce que le P. Rousselot appelait a un éblouissement de splendeur uniforme a, se dégage la doctrine que nous énoncions précédemment l'objet essentiel de la foi P. Lagrange donne de ce texte ce commentaire suggestif et pittoresque « Telle source, comme celle du Bir Eyoub à Jérusalem, jaillit avec les fortes pluies et semble donner naissance à une rivière elle s'épuise promptement et disparaît dans le sable. D'autres sources ne tarissent pas et donnent naissance à ces fleuves qui vont jusqu'à la mer. Ainsi la source dont parle Jésus parvient à la vie éternelle, y conduit, peut-on dire, celui qui la possède en soi » (Évangile selon saint Jean, p. to8). 9. Le

chrétienne est notre vocation gratuite à la vie éternelle par le Christ et dans le Christ ou, en d'autres termes, le Christ, plénitude du don de Dieu et source unique pour les hommes du salut éternel. La foi chrétienne exigera donc, avec la croyance à la bonté de Dieu qui nous appelle à la fin surnaturelle, la croyance au Christ qui est la Voie nécessaire pour atteindre cette fin.

Saint Jean, dans son évangile, n'a directement en vue que le cas des Juifs à qui le message du Christ a été ouvertement prêché. Il ne pose pas la question de savoir s'il peut se rencontrer une foi salutaire, sans connaissance explicite du Christ. On sait que, de nos jours, les théologiens, s'appuyant sur un texte de l'épître aux Hébreux (xi, 6), admettent comme minimum de foi explicite suffisant au salut, pour ceux qui n'ont pas reçu le message évangélique, la foi en un Dieu provident, dont la miséricorde récompense ceux qui le cherchent. Mais pour qui a présents à l'esprit les textes si forts de saint Jean a Je suis la Voie, la Vérité et la Vie personne ne vient au Père si ce n'est par moi » (jean, xiv, 6); « Celui qui possède le Fils, possède la vie; celui qui ne possède pas le Fils de Dieu, ne possède pas la vie (I Jean, v, 12), il apparaît clairement que ce minimum de foi salutaire ne peut faire abstraction totale du Christ comme source unique de la grâce et principe nécessaire du salut. La croyance explicite à la Providence paternelle de Dieu devra inclure la croyance implicite au Christ, le désir, au moins en germe, d'une explicitation du don de Dieu, l'aspiration, au moins initiale, vers une plus grande lumière, qui n'est autre concrètement que le Verbe incarné. Cette foi implicite apparaît donc comme une foi déficiente, incomplète, à laquelle manque son développement normal ce n'est qu'une lueur vacillante comparée à cette flamme vive qu'est la foi explicite au Christ et à son Église.

II.

nature et ses éléments constitutifs (intelligence, volonté, grâce)

La foi

sa.

De cette doctrine johannique sur l'objet premier de notre foi, on peut tirer plusieurs conséquences i°Le Dieu de saint Jean, le Dieu qui nous appelle à la béatitude et nous donne le Christ pour nous y conduire, est le Dieu charité. « Dieu est amour » (/ Jean, iv, 8) et cet amour s'est manifesté à notre égard par le don de son Fils unique (Jean, 111, 16 1 Jean, rv, 9). Qui dit amour en Dieu, c'est Lui qui le premier dit initiative gracieuse et libre, initiative dont il serait nous a aimés (7 Jean, iv, 10, 19), l'amour n'a d'autre raison que vain de chercher la raison, initiative qui non contente de poser une fois l'amour, pour toutes un certain nombre de causes, dure éternellement dans sa nouveauté première10. Car l'amour de Dieu est l'amour « d'un Dieu vivant, toujours nouveau, à nulle nécessité assujetti de la part de cette création qu'il a tirée du néant, un .Dieu éternellement inventeur de ce Ciel où il réside et dont les démarches nous sont à jamais imprévues ll ». Aussi la foi qui accueille cet amour de Dieu est-elle un don renouveler sans cesse. Cette définition de Dieu donnée par saint Jean « Dieu est amour » (/ Jean, iv, 8) peut servir à éclairer un aspect de la vertu de foi. La foi est assentiment à un certain nombre de vérités proposées par l'Église, et c'est ce caractère qu'examinent les traités de théologie. Cependant la vertu de foi s'étend plus loin. Si Dieu est amour, toute sa Providence à l'égard de l'homme voyageur sera une Providence d'amour, dans son ensemble comme dans son détail, tout le filet et chacune des mailles. C'est une Providence d'amour qui domine toute l'histoire de ce monde et achemine l'humanité vers ses desti-

à

to. Apocalypse, XXI, 5.

n. Paul Claudel, Introductiond un poème sur Dante, dans le Cor-

respondant, septembre 1921, p. 801.

nées éternelles. La vertu de foi, l'esprit surnaturel sera la reconnaissance aimante de cette Providence amoureuse. Il se peut que nous ne voyions pas le comment de cette Providence qui nous aime, dans tel événement qui nous atteint mais si le comment reste mystérieux, l'esprit de foi affirme que l'amour de Dieu est li et que, suivant le mot de saint Paul (Rom. vin, 28), « il fait tout concourir au bien de ceux qui l'aiment » On voit ainsi que la foi n'est pas seulement pouvoir de donner son assentiment à des articles définis, mais qu'elle est encore un principe d'interprétation du monde et de la vie, une renaissance de l'intelligence élargie et approfondie. Maurice Barrés écrivait en 1909 dans son Carnet « Je me rappelle l'inscription de la tombe lorraine Qu'il soit béni celui qui posa l'espérance sur les tombes Et je pense qu'ils qu'ils ont un ont, ceux qui nourrissent un espoir, horizon plus large que le mien, un horizon que je ne puis concevoir et je rêve d'entrer dans cette vallée élargie de l'imagination humaine. » La foi est cette vallée élargie, non pas seulement de l'imagination, mais de l'intelligence humaine, s'ouvrant aux horizons infinis. « Et nous, nous avons connu et nous avons cru l'amour 13 que Dieu a pour nous » (I jean, iv, 16).

La foi johannique est une foi dogmatique c'est donc contredire le quatrième évangile que de séparer l'ordre du vrai de l'ordre du bien, de renoncer au premier pour ne garder que le second, de ramener la foi à un pur pragmatisme, sans valeur intellectuelle absolue, comme font les protestants libéraux. Le premier, Luther leur avait donné l'exemple de cette scission, en mesurant la valeur des dogmes moins à la vérité absolue qu'àleur puissance d'excitation et de consolation. « Christ, disait Luther, a deux natures. En quoi est-ce que cela me regarde ? S'il porte ce nom de Christ, magnifique et consolant, c'est à cause du ministère et de la tâche qu'il a pris sur lui c'est cela qui lui donne son nom. 2°

12.

Dans le grec,

« TteTri<sTEÛxaf*.£v ttjv à-^iTcr^

».

Qu'il soit par nature homme et Dieu, cela c'est pour lui-même. Mais qu'il ait consacré son ministère, mais qu'il ait épanché son amour pour devenir mon Sauveur et mon Rédempteur, c'est où je trouve ma consolation et mon bien. Croire au Christ, cela ne veut pas dire que Christ est une personne qui est homme et Dieu, ce qui ne sert de rien à personne cela signifie que cette personne est Christ, c'est-à-dire que pour nous il est sorti de Dieu et venu dans le monde c'est de cet office qu'il tient son nom". » Il est vrai qu'un Christ qui nous serait totalement étranger et ne nous apporterait aucun bien, ne saurait être objet ni de La foi chrétienne s'adresse à notre foi ni de notre amour un Christ Rédempteur et Sauveur, au Fils de Dieu donné aux hommes pour leur procurer la vie éternelle (Jean, 111, 16 1 Jean, iv, 9). Mais cette doctrine évangélique ne donne nullement le droit de diviser le Christ, d'établir entre ce que le Christ est en soi et ce qu'il est pour nous une séparation si radicale que la foi chrétienne puisse se contenter du second aspect et négliger totalement le premier. Tout au contraire, Cité dans Harnack, Dogmengeschichte, t. III4, p. 662. 14. Comme le dit expressément saint Thomas, « si par impossible Dieu n'était pas le bien de l'homme, celui-ci n'aurait aucune raison de l'aimer. Dato per impossibile quod Deus non esset hominis bonum, non esset ei ratio diligendi » (Ia IIae, q. xxvi, art. i3 ad 3). De ce texte de saint Thomas on peut rapprocher ce passage de saint François de Sales dans son Traité de l'Amour de Dieu, 1. X, ch. x « Si, par imagination de chose impossible, il y avait une infinie bonté à laquelle nous n'eussions nulle sorte d'appartenance, nous l'estimerions certes plus que nous-mêmes, mais, à proprement parler, nous ne l'aimerions pas. » Les deux saints Docteurs parlent ici directement de l'amour de Dieu, mais ce qu'ils en disent vaut pour la foi pleine, pour la foi animée par la charité, qui est celle que saint Jean suppose habituellement, comme nous le verrons plus loin, et aussi, à un certain degré, pour la foi du pécheur, en tant que cette foi, étant volontaire et libre, renferme, comme dit saint Thomas, « un certain appétit du bien promis ». Si, « par imagination de chose impossible », le Christ nous était totalement étranger, la connaissance qu'on en pourrait avoir serait une connaissance purement « spectaculaire », et non, à proprement parler, la foi chrétienne. 13.

cet office de Sauveur et de Rédempteur où Luther disait trouver « sa consolation et son bien », le Christ ne peut le remplir que parce qu'il est une personne qui est homme et Dieu. Il ne nous est pas étranger, précisément parce qu'il est personne transcendante. Il n'est pour nous la plénitude du don de Dieu que parce qu'il est le Verbe incarné, Dieu luimême se donnant au monde. « Ce qui ne servirait de rien à personne », ce serait de croire en un Christ Sauveur et Rédempteur qui ne serait pas homme et Dieu.

Inversement, comme on ne peut séparer l'ordre du vrai de l'ordre du bien pour ne garder que le second, on ne peut, quand il s'agit de connaissance religieuse, faire la séparation contraire, ne conserver que l'ordre du vrai, en lâchant l'ordre du bien. Nous l'avons vu, nous ne sommes mus à croire au Christ qu'autant que nous désirons le salut, la vie éternelle. « En cela consiste l'essentiel du témoignage divin, que Dieu nous a donné la vie éternelle, laquelle est dans son Fils » {I Jean, v, n). Saint Thomas résume bien la pensée évangélique, quand il écrit « Nous sommes mus à croire aux vérités révélées, en tant que nous est promise, si nous croyons, la récompense de la vie éternelle 15. » La foi, en même temps que connaissance, sera donc tendance, appétit, désir, commencement d'amour. « Celui qui n'aime pas, ne connaît pas Dieu, parce que Dieu est amour » (/ Jean, iv, 8). On ne peut connaître Dieu qui est amour, sans sympathiser en quelque façon avec cet amour. Cette « sympathisation » avec l'amour divin dit présence de Dieu en nous, union de deux sujets, rencontre de deux amours. « Quiconque confesse que Jésus est le Fils de Dieu, Dieu demeure en lui et lui en Dieu » (1, Jean, iv, i5). « Si l'enseignement que vous avez reçu dès le commencement demeure en 3°

i5. De Veritate, q. XIV, art. i « Movemur ad credendum dictis, in quantum nobis repromittitur, si crediderimus, praemium vitae seternae ».

vous,vous aussi vous demeurerez dans le Fils et dans le Père » (I Jean, II, 24). Après avoir rappelé que « l'évangéliste qui aime à représenter le Christ comme la Vérité est aussi celui qui aime à concevoir le salut comme une connaissance « C'est là la vie éternelle, de te connaître, toi seul, Dieu véritable, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ» (Jean, xvn, 3), le P. Le breton ajoute cette remarque aussi juste que profonde « On dénaturerait étrangement cette parole en n'y voyant qu'une connaissance abstraite et spéculative il faut y reconnaître une possession totale de Dieu par l'âme, en même temps qu'une pénétration totale de l'âme par Dieu c'est ainsi que saint Jean lui-même s'en explique dans sa première épître « Nous savons que le Fils de Dieu est venu, et nous a donné l'intelligence pour connaître le Véritable; et nous sommes dans le Véritable, en son fils Jéstis-Christ » (I Jean,V, 20)- On saisit là mieux que dans tous les commentaires ce qu'est le Dieu Vérité, et ce qu'est la connaissance qui l'appréhende10. Il Dès lors, l'on entrevoit le rapport qui existe entre l'adhésion aux formules de la foi catholique et notre initiation à l'Amour divin. Les formules de la foi catholique sont nécessaires, puisque, pour connaître et nous exprimer, nous avons besoin de signes et que dans toute société humaine le langage est l'indispensable moyen de communication, mais elles resteraient inefficaces, elles ne seraient pas pleinement acceptées, si elles n'étaient vivifiées par une réalité profonde, la présence du Christ en nous, la compénétration de notre être par Celui qui est la Vérité et la Vie 1T.

16.J. Lebreton,Histoire du De cettedoctrine johanniqueOrigines,

édit., Paris, 1927, p. 519-520. De cette doctrine johannique on peut rapprocher la description que saintThomas fera de la foi comme d'une union de l'esprit de l'homme à la connaissance de Dieu active, à l'Esprit divin « fides hominem divinae cognitioni conjungit per assensum(De Veritate, q. XIV, art 8). 17. A cette même doctrine se rattachent les développements de saint Augustin sur le Maître intérieur, par ex. dans son Commentaire de la la Joannis « Jam hic videte magnum sacramentum, fratres sonus verborum nostrorum aures percutit, magister intus est. Nolite



Ces considérations s'appliquent à la foi pleine, à la foi animée par la charité (fides formata) qui est celle que saint Jean suppose habituellement 18, comme aussi saint Paul. « En vérité, en vérité je vous le dis, celui qui croit en moi a la vie éternelle » {Jean, vi, 47). Mais ce qui a été affirmé de la foi pleine, animée par la charité, vaut, mutatis mutandis, c'est-àdire à un degré moindre, de la foi du pécheur, la fides informis. En elle aussi, puisque l'évangile lui donne le nom de foi et que son objet essentiel est le même que celui de la foi du juste, il faut admettre la présence d'une tendance, d'un appétit, qui, pour ne pas s'épanouir en charité comme chez le juste, inclut pourtant un certain désir de la vie éternelle Sans prendre les moyens efficaces, dont le premier serait de désavouer sa faute, le pécheur garde le désir du salut comme putare quemquam aliquid discere ab homine. Admonere possumus per strepitum vocis nostrae si non sit intus qui doceat, inanis fit strepitus noster. Adeo, fratres, vultis nosse ? Numquid non sermonem istum omnes audistis ? Quam multi hinc indocti exituri sunt ? Quantum ad me pertinet, omnibus locutus sum sed quibus unctio illa intus non loquitur, quos Spiritus sanctus intus non docet, indocti redeunt. Magistena forinsecus, adjutoria quaedam sunt et admonitiones. Cathedram in caelo habet qui corda docet. Interior ergo magister est qui docet, Christus docet, inspiratio ipsius docet. Ubi illius inspiratio et unctio illius non est, forinsecus inaniter perstrepunt verba » (P. L.,t. XXXV, col. 2004). On peut voir encore dans le même sens les Tractalus in foannis evangelium, P. L., t. XXXV, col. 1S57, 1609-1610.

Que pour saint Jean il puisse y avoir une foi des pécheurs, foi réelle, mais qui pourtant n'est pas animée par la charité parfaite, c'est ce qui ressort par ex. de ce passage du quatrième évangile (XII, 42-43), où il est dit que plusieurs des chefs juifs crurent en Jésus, mais qu'ils n'osaient professer ouvertement cette foi, crainte d'être exclus de la synagogue « car ils préférèrent l'honneur humain à la gloire qui est due à Dieu ». Tel fut aussi le cas de Simon-Pierre après son reniement. Cette réalité de la foi du pécheur suffit à montrer que pour saint Jean la foi n'est pas la fides fiducialis des luthériens, impliquant essentiellement la confiance qu'on est justifié. ig. Saint Thomas dira « Quidam appetitus boni repromissi » (De Veritate, q. xiv, art. 2 ad io) et dans la Somme théologique « Fides quae est donum gratiae inclinat hominem ad credendum secundum aliquem affectum boni, etiamsi sit informis » (IIa IIae, q. v, art. 2, ad 2). 18.

de sa fin ultime, et c'est ce désir du salut qui agira en lui comme principe de relèvement et amorce de la conversion. Si dans l'objet à croire l'aspect bien, tout en étant distinct de l'aspect vérité, n'en est pas séparable, il s'ensuivra aussi que, dans l'acte spirituel qui atteint cet objet, l'activité intellectuelle, pour être distincte de l'activité volontaire, n'en sera pas séparable. Il n'y aura pas d'abord un acte qui serait purement intellectuel, puis un second acte qui serait purement volontaire, mais un seul acte qui sera adhésion intellectuelle sous l'influence de la volonté libre20. Dans l'analyse de la connaissance religieuse on sera donc amené à concevoir intelligence et volonté comme deux facultés distinctes, mais qui se compénètrent réciproquement, si bien que le désir meut l'intelligence et que l'intelligence illumine le désir. Expliquant la prière du Christ après la Cène, Bossuet faisait observer que dans cette connaissance de Dieu et de Jésus-Christ, en quoi consiste la vie éternelle (jean, xvn, 3), « il ne faut point regarder ces deux opérations de l'âme, connaître et aimer,. comme séparées et indépendantes l'une de l'autre, mais comme s'excitant et se perfectionnant l'une l'autre21 ». Ce ne sont pas deux efforts successifs, mais simultanés, non pas même deux démarches parallèles, mais deux mouvements

Cette liberté ressort principalement de la responsabilité et de ses conséquences, mérite ou démérite, que suppose dans saint Jean l'appel à la foi (Jean, ni, 1S-21 v, 40; VI, 67; vil, i7; xv, 22-24). Dans les textes mêmes où est nettement exprimée l'action de la grâce, c'est d'un libre mouvement que l'homme va (£p/£Tat) au Père {Jean, vi, 45). On peut noter, d'ailleurs, que pour saint Jean, comme plus tard pour saint Augustin (cf. Gilson, Introduction à l'étude de saint Augustin, Paris, 1929, p. 206 sqq.), la « vraie » liberté n'est pas seulement usage du libre arbitre, mais usage du libre arbitre pour le bien sous l'influence du Christ « En vérité, en vérité je vous le dis, quiconque tait le péché, est esclave du péché » (Jean, vin, 34). « Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples et vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres. Si le Fils vous rend libres, vous serez vraiment libres » {Jean, VIII, 3i-32, 36). l'Évangile. La Cène, 2e partie, 37e jour. 21. Méditations sur 20.

intérieurs l'un à l'autre, deux aspects inséparables d'un même acte 22.

Intellectuelle et libre, la foi pour saint Jean est aussi surnaturelle le désir qui meut l'intelligence, èst œuvre de grâce, et de même cette connaissance qui éclaire et guide le désir, est don de Dieu. C'est une seule et même grâce qui est illumination et inspiration, qui nous éclaire et qui nous porte. Sans cette grâce, on ne peut aller au Christ, ni reconnaître la vérité de sa parole. Aux Juifs qui murmuraient parce que Jésus avait dit « Je suis le pain vivant qui suis descendu du ciel », et qui objectaient « N'est-ce pas là Jésus, le fils de Joseph, dont nous connaissons le père et la mère? », Jésus répond « Ne murmurez pas entre vous » comme si j'avais dit chose fausse et incroyable; vous ne pouvez être juges compétents de mon enseignement pour entendre mes paroles comme un disciple intelligent, il faut le secours de Dieu23. « Personne ne peut venir à moi si le Père qui m'a envoyé ne l'attire, et moi je le ressusciterai au dernier jour. Il est écrit dans les prophètes Ils seront tous enseignés par Dieu24. Quiconque a été à l'école 4°

22. «

Movetur. mens in Deum et per intellectum et per affectum, et

hi duo motus mentis simul esse possunt, quamvis non simul cogitari possint » (Saint Thomas, In IV Sent., disp. xvir, quaest. I, art. III, quaestiunc. V, sol. m). 23. Knabenbauer, in loc. a Nolite murmurare quasi rem falsam et incredibilem ego pronuntiaverim; si enim non capitis verba mea, non idée vera non sunt, sed quod non habetis in vobis lumen illud divinum quod necessarium est ad veniendum ad me. » 24. Citation empruntée à Isaie, LIV, 13, dans la description de la Jérusalem nouvelle. Jérémie avait accentué le caractère intérieur de cet enseignement (xxxi, 33-34) • Voici quelle sera l'alliance que je ferai avec la Maison d'Israël, quand ces jours-là seront venus, déclare Iahvé le mettrai ma loi en eux et dans leur cœur je l'écrirai. Et je serai leur Dieu et eux seront mon peuple (Trad. Condamin).

du Père25 et a appris son enseignement, vient à moi

»

(jean,

VI, 43-45).

Cette grâce de la foi est présentée comme une nouvelle naissance, dont Dieu est le principe. « Quiconque croit que Jésus est le Christ, est né de Dieu » (1 jean, v, 1). « Tout ce qui est né de Dieu triomphe du monde, et la victoire qui a triomphé et triomphe du monde, c'est notre foi » (7 Jean, v, 4). Cette renaissance est œuvre de l'Esprit Saint et ne tombe pas sous les sens force puissante et cachée, on peut en constater les effets, on ne la voit pas en elle-même. « Le vent souffle où il veut et tu entends sa voix, mais tu ne sais pas d'où il vient et où il va ainsi en est-il de quiconque est né de l'Esprit» (Jean, ni, 7). Ces textes nous indiquent en même temps pourquoi une nouvelle naissance, une naissance d'en haut, est nécessaire pour voir le royaume de Dieu. Ce royaume est le royaume de Dieu qui est esprit, c'est-à-dire transcendant à la chair et à toutes les puissances naturelles. « Dieu est esprit et ceux qui l'adorent, doivent l'adorer en esprit et en vérité » (Jean, iv, 24) « en esprit n, èv TCV£uii.airi, c'est-à-dire en tant qu'ils entreront en participation de l'Esprit même de Dieu. La doctrine du royaume de Dieu est vivifiée par l'Esprit tout l'enseignement du Christ, instaurateur de ce royaume, vie26 ». « Les « est une effusion de l'Esprit et un don de la paroles que je vous ai dites sont esprit et vie » (jean, VI, 63). « Celui que Dieu a envoyé dit les paroles de Dieu, car (Dieu) ne lui mesure pas l'Esprit (Jean, 111, 34). C'est ce même Esprit qui éclairera les disciples et les guidera dans l'intelligence du mystère chrétien. « Quand il viendra, lui, l'Esprit de vérité, il vous guidera vers la vérité tout entière » (jean, xm, i3). Son témoignage sera irréfragable, car l'Esprit, comme le Christ, « est la vérité » (I Jean, v, 6). Mais pour connaître l'Esprit, il faut renaître de lui, être 25. Dans le grec àxouffaç iratpcc, « recevoir 26. Lagrange, in /«., VI, 63.

instruction de.

».

recréé par lui, spiritualisé, divinisé. « Ce qui est né de la chair est chair;ce qui est né de l'esprit est esprit » (Jean, III, 6). La chair ni aucune puissance naturelle ne peuvent faire un citoyen du royaume céleste; ni la semence charnelle ni le désir de la chair, ni la volonté de l'homme ne peuvent engendrer un fils de Dieu (Jean, i, i3) Il faut que Dieu communique sa propre vie. Cet Esprit, on ne le connaît qu'en l'accueillant, qu'en y participant connaissance suppose présence. « Je prierai le Père et il vous donnera un autre Intercesseur pour être toujours avec vous, l'Esprit de vérité que le monde ne peut recevoir parce qu'il ne le voit pas et ne le connaît pas. Vous, au contraire, vous le connaîtrez, parce qu'il demeurera chez vous et qu'il sera en vous » (Jean, xvi, 16-17 27). On pourrait prouver que cette foi est grâce de Dieu, par d'autres considérations. Pour saint Jean, la vie éternelle, c'est de connaître le Père, seul Dieu véritable, et Celui qu'il a envo3ré; -Jésus-Christ (Jean, xvn, 3). La foi, commencement de cette connaissance, est commencement de la vie éternelle. « Celui qui croit dans le Fils, a la vie éternelle » (Jean, ni, 36). « En vérité, en vérité je vous le dis celui qui écoute ma parole et qui croit à Celui qui m'a envoyé a la vie éternelle et il ne vient pas en jugement, mais il est déjà passé de la mort à la vie » (Jean, v, 24). – « Celui qui croit en moi, « Je vous ai écrit ces a la vie éternelle » (jean, vi, 47). choses, afin que vous sachiez que vous avez la vie éternelle, vous qui croyez au nom du Fils de Dieu » (I jean, v, i3). Mais cette vie éternelle est don de Dieu, comme l'envoi du Fils qui l'apporte aux hommes elle est pure bienveillance, faveur gratuite ( jean, in, 16 iv, 10 vi, 33 xvn, 2 1 Jean, ni, i IV, 9)' Et donc la foi, qui est commencement de la vie éternelle, qui est à la béatitude céleste ce que le bouton est à la fleur, ce que l'aube est au plein midi, est, elle aussi, don Spiritus sanctus« videri et sciri, quemadmodum videndus et sciendus est, non potest a nobis, si non sit in nobis » (P. L., t. XXXV, col. 1829). 27. Saint Augustin, in loc.

de Dieu. Saint Jean le dit d'ailleurs explicitement dans sa première épître. La foi est perfection de l'intelligence à qui

Dieu donne un pouvoir nouveau de discernement, qu'il enrichit d'une pénétration accrue. « Et nous savons que le Fils de Dieu est venu et qu'il nous a donné intelligence (#iavoiav) pour connaître le Véritable; et nous sommes dans le Véritable, en son Fils Jésus-Christ » (/ Jean, v, 20). Cette grâce est encore appelée par saint Jean « une onction venant de Celui qui est le Saint28, ypîcfia. àrco too àytou « l'onction signifie ici un don de l'Esprit qui (7 Jean, 11, 20) a consacréles fidèlesà Dieu et cette onction est mise en relation avec la connaissance que les chrétiens possèdent des mystères du salut grâce à elle, tous les fidèles connaissent la vérité qui sauve. a Vous avez l'onction qui vient de celui qui est le Saint et tous vous savez (oXBcne xotvTs;) je vous écris, non que vous ignoriez la vérité, mais parce que vous la connaissez » (/ Jean, 11, 20-21). Cette onction est un don qui demeure dans les croyants et dont la présence doit les garder dans l'enseignement reçu « dès le commencement29 ». « Pour vous, l'onction que vous avez reçue de lui [c'est-à-dire du Christ] demeure en vous et vous n'avez pas besoin que quelqu'un vous enseigne », quelque nouveau révélateur autre que le Christ « mais son onction vous instruit sur tout » (7 Jean, 11, 27); vous n'avez pas à attendre d'autres Messies, à vous mettre à l'école des Antéchrists qui prétendent surpasser le message évangélique. Une parole de Jésus à ses adversaires juifs résume toute cette doctrine. « Celui qui est de Dieu, écoute les paroles de Dieu si vous n'écoutez pas, c'est que vous n'êtes pas de Dieu » {Jean, VIII,47). leurs commentaires des épîtres johanniques, nous rapportons « le Saint », non au Père, mais au Christ qui envoie le Paraclet (/*««, xvl, 7); cette interprétation est confirmée par le27 de ce même chapitre où l'apôtre rappelle à nouveau l'onction que les chrétiens ont reçue de Lui, c'est-à-dire, d'après le contexte, du Christ. 28. Avec Westcott et Brooke, dans

29.

Jean, II, 24; III, 11.

III.

La foi, connaissance par témoignage. Les signes de la Révélation

Cette connaissance complexe, tout à la fois intellectuelle, libre, surnaturelle, n'est pas vision intuitive. « Dieu, perJean, iv, 12). Le Christ sonne ne l'a jamais vu » {Jean, i, 18 est le seul sur cette terre qui puisse dire-qu'il a vu le Père (Jean, vi, 46). La vision de Dieu,« comme il est », dégagée de toute image et de tout symbole, sera le plein épanouissement de notre filiation divine (/ Jean, m, 2), dans la nouvelle Jérusalem30. Il en est de même de la gloire éternelle du Verbe incarné. Cette gloire, dont les disciples ont déjà reçu participation (Jean, xvn, 22), ils ne la verront parfaitement que lorsqu'ils auront rejoint le Christ ressuscité, « là où il est », auprès du Père (Jean. XVII, 24). La foi est acceptation d'un témoignage, non pas humain mais divin. du témoignage que le Père rend à son Fils ou que le Fils rend à son Père. « Nul n'a jamais vu Dieu un Dieu fils unique qui est dans le sein du Père, lui-même en a parlé » (Jean, 1, 18). « Celui qui vient du ciel atteste ce qu'il a vu et entendu et personne n'accepte son témoignage. Mais celui qui a accepté son témoignage, a signé de son sceau31 que Dieu est véridique (Jean, m, 32-33). « Si nous recevons le témoignage des hommes, le témoignage de Dieu est plus grand, parce qu'en cela consiste le témoignage de Dieu, qu'il a rendu témoignage au sujet de son Fils. Celui qui croit dans le Fils de Dieu, a le témoignage (de Dieu) en lui celui qui n'ajoute pas foi à Dieu 32, le fait menteur en ne croyant pas au témoignage que Dieu a rendu au sujet de son Fils » (7 Jean, v, 9-10). 3o. A-poc, xxii, 4. 31. 'Eocppâyicev. Le sens de ce verbe est

mettre son sceau, en guise de signature, pour confirmer l'exactitude d'un écrit » (H. Pernot) donc, reconnaître authentiquement. cri32. Nous lisons b \l\ irtatstiwv tû Ôîw avec toutes les éditions tiques leçon la mieux attestée et réclamée par le sens. «

Cette révélation de Dieu sur lui-même, ce témoignage divin, nous arrive par une parole qui sonne comme une parole humaine parole du Christ, parole des envoyés du Christ. Mais dans cette prédication qui s'exprime en langage humain, ce que nous devons reconnaître, c'est une pensée divine. « Celui que Dieu a envoyé dit les paroles divines » (Jean, 111, 34). « La parole que vous entendez, n'est pas de moi, mais du Père qui m'a envoyé » (Jean, xiv, 24). Et cette pensée divine, nous devons l'accepter, y croire, non sur l'autorité d'un témoin humain, mais sur l'autorité même de Dieu, de sorte que Dieu est tout ensemble et l'objet de notre foi et son garant. On croit tout à la fois que c'est Dieu qui parle et qu'il nous révèle le mystère de sa vie divine pour nous y associer. Saint Thomas ne sera que l'écho de cette doctrine johannique, lorsqu'il dira que dans l'acte de foi nous croyons à Dieu, credimus Deo, comme à celui qui révèle, qui porte témoignage, nous croyons Dieu, credimus Deum, comme vérité proposée à notre adhésion, nous croyons en Dieu, credimus in Deum, nous nous portons vers lui comme vers le Bien suprême autant d'aspects, ajoutera le Docteur Angélique, d'un seul et même acte 33. Croire à Dieu qui révèle, accepter son témoignage, c'est rendre hommage à sa véracité, « reconnaître authentiquement que Dieu est véridique (Jean, 111, 33). Inversement ne pas croire à Dieu qui révèle, repousser son témoignage, c'est faire injure à sa véracité ou, commé dit saint Jean en son style énergique, c'est le faire menteur (l Jean, v, 10). Cette double attitude possible d'hommage ou d'injure à la véracité de Dieu, et non directement à sa bonté, est une nouvelle preuve que pour saint Jean la foi n'est pas simple confiance en la bonté divine, mais implique l'adhésion à un contenu intellectuel positif, attesté par Dieu. Croire à Dieu ou au Christ comme à celui qui porte témoi-

ad7«

dicendum quod credere Deo et credere Deum et credere in Deum non nominant diversos actus, sed diversas circumstantias ejusdem actus virtutis ». 33. De Veritate, q. XIV, art. 7

gnage, se dit dans saint Jean mcreueiv avec le datif (Jean, iv, 21 v, 24, 38, 46; vi, 3o vin, 45, 46; x, 37, 38; xiv, 11 I Jean, v, 10). Même construction quand il s'agit des signes sensibles du témoignage divin, « les œuvresdu Christ, qui attestent qu'il est l'envoyé de Dieu (iric-reueiv toîç epyoiî, Jean, x, 38). Même construction encore, quand il est question des Écritures ou de Moïse, en tant qu'ils rendent témoignage au Christ (Jean, 11, n v, 46, 47). Quand Dieu et le Christ sont considérés non plus comme témoins qui attestent, mais comme vérité attestée, saint Jean recourt à d'autres constructions outre la construction propositionnelle mazvkiv on, il emploie le plus ordinairement d'où les expressions, iriGTeueiv TctcTeueiv avec aç et l'accusatif êï; tov 'ivioouv, v.c, aÙTOV (le Christ), e.lç tov ulov, stç to epwç, eîç to ovo[Aa tou uloG TOU 0eoû, eî? Tù Ôvoj/.a aÙToiï (du Kils) 3i, eiç ttjv [/.«pTupiav (le témoignage pris au sens passif) en tout, trentesept exemples 3S. Deux fois saint Jean emploie l'accusatif sans eïç, mais dans ces deux cas le complément de iriGTEuetv n'est ni un nom de personne ni un pronom personnel une première fois, Tîtaxeueiv est suivi d'un pronom neutre, toOto,

dans

34. Unique est la construction mdTeustv to rel="nofollow"> ovojkiti 23, où le datif indique non le témoignage actif, mais

fean, III,

son contenu croire au nom de Jésus-Christ, fils de Dieu, c'est-à-dire croire que Jésus-Christ, fils de Dieu, est bien ce que son nom signifie. Partout ailleurs saint Jeau emploie m<jT£tkiv eîç to ovo[/.oc (Jean, 1, 12; 11, 23, m, 18; I /eau, v, i3). Bauer et Zorell, dans leurs lexiques, Belser et Windisch dans leurs commentaires des épîtres catholiques, regardent les deux expressions comme équivalentes. Westcott et Brooke pensent que la construction avec eï; et l'accusatif marque davantage adhésion et dévotion à une personne. 35. Sur cette construction de Tri
qui rappelle une affirmation précédente (Jean, xi, 26) l'autre fois, le complément est un nom commun (iî£TC«îT£UKa;ev ttiv àfaiirM, I Jean, IV, 26). On ne relève dans saint Jean aucun exemple de tcicteusiv avec èv et le datif36. En deux passages, Jean, vi, 29-30 et vin, 3o-3i, les deux constructions iricTeueiv avec zU et un pronom à l'accusatif, iciGTEueiv avec un pronom au datif, – les pronoms dans les deux cas se rapportant au Christ, – sont juxtaposées et il peut paraître un peu subtil de chercher une différence de sens pourtant, observe J. H. Moulton à propos de Jean, vi, 29-3o, « la variation ne doit pas être purement accidentelle 37 ». En Jean, vi, 29, Jésus, qui se prépare à commencer le discours sur le Pain de vie, demande< xplicitement une foi inconditionnée en sa personne (eîç avec l'accusatif), tandis que les Juifs charnels en sont encore à réclamer des signes pour croire au fait préliminaire de la révélation (itigteusiv avec le datif)33. On comprend d'ailleurs que Jean passe facilem, i5, les éditeurs modernes suivent la leçon du Vaticanus, qui est aussi, d'après Wordsworth-White, celle de la Vulgate hiéronymienne Yvs iraç b ui(7-eû(ov iv otÙTw ê//|Çwijv odiovtov, de préférence à stç œÙtov du Sinaiticus. Les commentateurs qui adoptent cette leçon s'accordent généralement àjoindre êv aùtS) à IjfVj et non à irtffTeûwv (ainsi Schanz, Westtott, Knabenbauer, Lagrange, Bauer). L'anglican J. H. Bernard, dans son commentaire de saint Jean (collection The International Critical Commentary, 1928), se prononce pour si; aurôv qu'il rapporte à ittSTEucov. 37. A Grammat of N av Testament Greek, t. Ier, 2e éd., Edinburgh, 36. En Jean,

1906, p. 67.

38. En Jean, VIII, 3o-3ij la différence, pour être moins accusée, peut cependant, ce semble, être maintenue. La Vulgate, en conformité avec le texte grec, traduit maTEÔeiv 6?ç aùxdv, credere in eum, et xsareùeiv au-cû, credere ei. Sauf de rares exceptions, comme le R. P. Durand qui dans son Commentaire de saint Jean a nettement marqué ces nuances de sens, les traducteurs français les négligent dans les deux passages en question et rendent de la même manière Tticreûeiv avec eéç et l'accusatif et icicxeusiv avec le datif croire en Jésus (ainsi Segond, Crampon, la Bible protestante du Centenaire, Loisy, Lagrange, Joüon). Au contraire, la version anglicane (Revised Version) distingue les deux expressions elle traduit Jean, VI, 29, believe on him, et VI, 3o, believe thee; de même, en Vin, 3o, believed on htm, et vin, 3i, believed htm; ainsi

ment d'une construction à l'autre, puisque le Christ est tout à la fois le Révélateur auquel il faut croire et la Vérité révélée en laquelle il faut croire39. Cette doctrine que le témoignage du Christ n'exige la foi qu'autant qu'il fait un avec le témoignage même de Dieu, explique certaines antinomies apparentes qui se présentent dans les discours de Jésus. En Jean, v, 3i-32, Jésus concède aux Juifs que son témoignage ne suffit pas à garantir la vérité absolue de sa révélation cette garantie souveraine, c'est un autre qui la donne, son Père. A l'inverse, en Jean, VIII, 14-20, Jésus déclare aux Juifs que son témoignage est une garantie suffisante de la vérité de son message. Dans le premier cas (Jean, v, 3i-32), Jésus argumente ad hommem. « Discutant pour la première fois avec les Juifs sur les preuves de sa mission commeenvoyé de Dieu au titre unique de Fils40 », il se place sur le terrain de ses adversaires qui regardent son témoignage comme un témoignage purement humain et réclament une autre garantie que sa simple affirmation, personne n'étant arbitre en sa propre cause. Sans discuter présentement cette règle de droit humain, Jésus en appelle au témoignage du Père, manifesté par les œuvres qu'il lui a donné d'accomplir et par les Écritures. « Si c'est moi qui rends témoignage de moi-même, mon témoifont Westcott et J. H. Bernard'dans leurs commentaires du quatrième évangile. L'Allemand Bauer observe la même distinction en Jean, VI, 2g-3o, mais en Jean, vin, 3o-3i, il assimile it'.aTeûeiv avec le datif à •HKiTEik'.v avec eîç et l'accusatif (Glauben an ihn). 39. Après saint Augustin (In loan., Tract. XXIX, n. 6, P. L., XXXV, t63o-i63t), saint Thomas fait justement observer que si nous pouvons croireà un homme, c'est-à-dire à sa parole, nous ne pouvons croire en lui, par un hommage inconditionné de tout notre être. Seul Dieu, Vérité absolue et Fin suprême, peut exiger cet hommage » Mens nostra solum in Deum fertur sicut in finem » {In loan., c. vi, lect. m, n. 7. Édition de Parme, t. X, p. 409 A). Il est remarquable que saint Jean et les autres écrivains du Nouveau Testament n'emploient Biç-reÛEtv avec eIç que pour la foi dans le Christ ou en Dieu le Père. 40. Lagrange, in îoc.

gnage n'est pas véridique; c'est un autre qui rend témoignage de moi et je sais que le témoignage qu'il rend de moi, est véridique. » Dans la seconde discussion avec les Juifs (Jean, vin, 12 sqq.), Jésus revendique la valeur absolue du témoignage qu'il se rend à lui-même, parce qu'alors il le considère dans sa réalité propre. Il en est de son témoignage comme de sa personne Jésus affirme nettement la valeur divine de celui-là comme il a clairement conscience de l'origine divine de celle-ci. « Bien que je me rende témoignage à moi-même, mon témoignage est vrai, parce que je sais d'où je suis venu et où je vais (Jean, vin, 14). Le Christ venait de se proclamer« la lumière du monde » (vnr, 12) et, comme le remarque saint Augustin, c'est le propre de la lumière de se rendre à elle-même témoignage « Elle ouvre les yeux sains et elle s'atteste elle-même pour se faire connaître41. » Cette garantie divine, qui permet de croire à la parole du Christ comme au témoignage même de Dieu (Jean, m, 34; Xiv, 24), est une, mais comprend un double élément, extérieur et intérieur. Nous croyons à Dieu nous proposant extérieurement des signes et nous unissant intérieurement à sa propre connaissance. Ces signes extérieurs de la révélation sont variés. Le plus souvent, dans l'évangile, c'est l'argument du miracle physique, qui amène à la foi les contemporains du Christ42. Les miracles pour saint Jean sont des signes (cTijAêîa13), un langage, « verba quia signa sunt » (saint Augustin 44), le témoiTestimonium sibi perhibet lux aperit sanos oculos et sibi ipsa testis est ut cognoscatur luxs (Saint Augustin, In loan. evangelium, tract, xxxv, n. 4. P. L., XXXV, 1659). 42. Jean, II, 11, 23; ni, 2;IV, 53; vi, 2, 14; VII, 3i; IX, 33, 38; XII, 41.

11

«

XX, 29.

43. Jean, n, 11, 18, 23; III, 2; IV, 48, 54; VI, 2, 14, 26; vu, 3i IX, 16; X, 41 XI, 47 XII, 18, 3y xx, 3o. 1 {P. L., XXXV, 1713). 44. In Ioan. evangelium, tract. XLIV,

n.

gnage de Dieu authentiquant Jésus comme son envoyé. Cette connexion entre ses miracles et sa mission est affirmée par Jésus lui-même, soit de tel miracle en particulier, soit de ses miracles en général. Avant de ressusciter Lazare, Jésus présente le miracle qu'il va opérer, comme une intervention du Père, pour attester qu'il est bien son envoyé. « Père, je te rends grâce de ce que tu m'as exaucé. Pour moi je savais que tu m'exauces toujours, mais c'est à cause de cette foule qui m'entoure que je dis cela, afin qu'ils croient que c'est toi qui m'as envoyé » (Jean, xt, 42). Ce caractère de témoignage divin en sa faveur, Jésus le revendique pour toutes les manifestations de sa puissance miraculeuse. « Les œuvres (rà êpya) que mon Père m'a donné à accomplir et que précisément j'accomplis, rendent de moi témoignage que c'est le Père qui m'a envoyé » (Jean, v, 36). « Je vous parle et vous ne me croyez pas. Les œuvres que je fais au nom de mon Père, ces œuvres mêmes rendent témoignage de moi » (Jean, x, 25 4S). Ces « oeuvres » dont parle Jésus, ne sont pas à restreindre, ce semble, aux seuls miracles physiques, elles peuvent s'entendre, en plusieurs textes, des manifestations de l'activité du Christ pour l'établissement du règne de Dieu, prédication comprise40, mais les miracles sont un élément important de cette activité que l'évangile met en spécial relief 47. Accepter les miracles comme signes (GYijma), c'est accepter le témoignage du Père, c'est identiquement reconnaître que Jésus est son envoyé. Aussi la connaissance du miracle comme signe sera-t-elle exprimée par le même mot que la connaissance de la mission divine de Jésus tîktte'jeiv, croire48. 45. Même affirmation de Jésus, Jean, x, 38; XIV, 11; et de l'évangéliste dans la conclusion en Jean, XX, 3i « Ces miracles-ci (arrêta)

ont été écrits afin que vous croyiez que Jésus est le Messie, le Fils de Dieu, et afin que, croyant, vous ayez la vie en son nom. » 46. Ainsi, ce semble, en Jean, IX, 3, 4; XIV, 12; XV, 24. 47. Jean, v, 20, 36; x, 25, 32, 38; xiv, 10, 11. 48. L'un des caractères de la foi étant de connaître par signes, la foi ne sera pas conclusion d'un syllogisme. Dans la connaissance par signe, c'est par un même acte de connaissance qu'on atteint le signe

Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez pas. Mais si je les fais, même si vous ne voulez pas me croire (c'est-à-dire, croire à ma simple affirmation), croyez à mes œuvres, toîç epyoiç TCicTeuere » {Jean, x, 37-38). Et de même la reconnaissance de Jésus comme envoyé de Dieu ou comme Messie, et pas encore comme Fils de Dieu au sens Fropre, est dite TrtffTsuetv, croire (Jean, i, 5o il, n vu, 3i ix, 35-38 XII, 11 XII, 44; XVII, 8;I Jean, v, 1). X, 24-25 XI, 41-42 Pour les Juifs, reconnaître que Dieu parlait en Jésus, c'était déjà deviner et accepter le mystère d'une divine condescendance, d'une divine .«v6pwTCta c'était, dans l'ordre de la connaissance surnaturelle, faire un premier pas qui devait les conduire à une foi plus pleine et plus lumineuse. Comme le remarque saint Jean Chrysostome à propos des foules qui, témoins de la guérison du paralytique à Capharnaüm, rendaient gloire à Dieu de ce qu'il avait donné aux hommes un tel pouvoir 50, « c'était peu de chose encore de tenir Jésus pour plus grand que tous les hommes et pour un envoyé de Dieu. Mais si ces gens s'étaient bien affermis en cette croyance, ils se seraient avancés peu à peu jusqu'à le reconnaître pour le Fils de Dieu. Mais ils ne surent pas retenir fermement cette foi première et, à cause de cela, ils ne purent pas la dépasser51 n. Mais les miracles physiques ne sont pas les seuls signes «

comme signifiant et la chose signifiée, qu'on comprend le sens d'un mot et qu'on saisit l'idée qu'il exprime, puisque comprendre le sens d'un mot, c'est précisément concevoir l'idée qu'exprime ce mot. Dans le cas du miracle, la connaissance par signe reste libre soumission à l'autorité divine, si l'on admet que le miracle, tout en étant certain, n'est pas nécessitant. 49. Jésus rendant grâce à son Père de ce qu'il lui a accordé la résurrection de Lazare, « afin qu'ils croient que tu m'as envoyé ». Sur ce texte, Lagrange note, après saint Thomas « Ce qui est exprimé ici nettement, c'est la mission de Jésus, non pas sa divinité, qui est seulement suggérée par sa qualité de Fils envoyé. « 50. Matth., IX, 8. 51. P. G., LVII, 36i. Cité et traduit par J. Lebreton, Histoire du dogme de la Trinité, 16, Paris, 1927, p. 276, n. t.

extérieurs de la révélation, ni même les plus parfaits. Ce n'est pas un paradoxe de dire que dans le quatrième évangile ils apparaissent comme des signes mieux adaptés à une foule encore faible spirituellement, à une masse juive encore charnelle. D'où, chez Jésus, la pratique constante de ne pas opérer de signes qui, à leur caractère prodigieux, ne joignent une note, quelquefois de justice (par exemple le figuier stérile), le plus souvent de bonté bienfaisante, le Seigneur changera l'eau en vin, mais non le pain en pierre, comme si le simple caractère prodigieux n'était pas, dans le Nouveau Testament, une raison suffisante du miracle physique. D'où aussi les reproches que Jésus fait à ceux qui, pour croire, sont toujours en quête de signes et de prodiges. « Si vous ne voyez des signes et des prodiges, vous ne croyez pas » (Jean, iv, 48). Aux Juifs qui l'ont vu à l'œuvre pendant la plus grande partie de son ministère public, comme aux disciples qui l'ont connu familièrement, sa seule affirmation devrait suffire pour qu'ils y ajoutent foi s'il les renvoie à « ses œuvres », c'est comme une concession à leur faiblesse. « Si je les fais les œuvres de mon Père, même si vous ne voulez pas me croire à moi [c'est-à-dire sur ma simple parole], croyez (du moins) à mes oeuvres » (Jean, x, 38). « Croyez m'en, je suis dans le Père et le Père est en moi sinon, croyez à cause de mes oeuvres » [Jean, xiv, 11). L'apôtre Thomas, qui n'a voulu se rendre qu'après avoir constaté par lui-même la résurrection du Christ, est présenté comme un type de croyant moins parfait que ceux qui n'ont pas eu besoin d'un si éclatant prodige. « Parce que tu as vu, Thomas, tu as cru; bienheureux ceux qui ont cru sans avoir » (Jean, xx, 29). Ceux-ci ne sont pas loués comme s'ils avaient cru sans raison, les yeux fermés, à l'aveugletteune telle attitude ne serait que blâmable. Mais ce sont des âmes vraiment illuminées, capables de discerner la vérité chrétienne à des indices plus spirituels que le miracle physique 3S.

vu

52. Cf.

J. Lebreton, La vie chrétienne au premier siècle de 1'Église,

L'Évangile nous fait connaître quelques-uns de ces indices autres que le miracle physique. Sans parler des Écritures qui auraient dû conduire au Christ les docteurs de la Loi, si au lieu de s'encenser réciproquement, ils avaient cherché la gloire qui vient de Dieu seul (lèan, v, 44-46), la sainteté de Jésus et de sa doctrine peuvent suffire à des âmes bien disposées pour qu'elles en reconnaissent l'origine divine. Jésus ne craint pas d'en appeler à son impeccabilité comme à une preuve qu'il ne ment pas et que, si les Juifs étaient, comme ils s'en vantent, des amis de la vérité, ils devraient croire à sa parole. « Qui d'entre vous peut me convaincre de péché ? Si je dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas ? » (jean, VIII, 46). Même appel à la perfection de sa doctrine veritas index sui, sa seule présentation en manifeste la vérité aux âmes droites qui font généreusement la volonté de Dieu. « Mon enseignement n'est pas de moi, mais de Celui qui m'a envoyé. Si quelqu'un veut accomplir sa volonté, il reconnaîtra si cet enseignement vient de Dieu ou si je parle de mon propre chef (Jean, vu, i5-i7'3). Pour les hommes qui Paris, 1927, p. 267. Rapprochant cette doctrine de celle de saint Jean de la Croix, le même auteur ajoute en note « C'est pour cela que le grand docteur mystique. avertit ses disciples de ne pas rechercher avidement les miracles, mais de se complaire dans l'obscurité de la foi. C'est pour cela, dit-il encore, que le Christ, après sa résurrection, a voulu amener ses apôtres à la foi, non en se manifestant d'abord à eux, mais en les instruisant par des témoignages Montée du Carniel, 1. III, c. xxx, 6-7. » 53. A deux reprises au moins, dans son Commentaire, saint Thomas fait observer que la foi qui s'appuie sur des motifs tirés de la doctrine, est plus parfaite, plus spirituelle, que celle qui s'appuie sur le miracle physique. « Commendabiliores sunt qui propter doctrinam credunt, quia sunt magis spirituales, quam qui propter signa, qui sunt grossiores et magis sensibiles (In loan., c. 11, lect. m, n° 5, édition de Parme, t. X, p. 341 A). En Jean, vu, 3i, sur les Juifs témoins des miracles « Et ideo videntes miracula quae Christus faciebat, inducebantur ad fidem ejus. Sed tamen fides eorum infirma erat, quia non a doctrina sed a signis moventur ad credendum ei; cum tamen ipsi, qui fideles jam erant et per legem instructi, magis a doctrina moveri debuissent » (ln loan., c. vu, lect. ni, n° 9, édition de Parme, t. X, p. 434 B).

viendront après le Christ, l'union des fidèles dans la charité sera un signe de la mission divine de Jésus. Dans la prière après la Cène, Jésus recommande à son Père non seulement ses disciples immédiats, mais aussi ceux qui doivent croire en lui grâce à leur parole, « afin que tous soient un, comme toi, mon Père, tu es en moi et moi en toi, afin qu'eux aussi soient en nous, pour que le monde croie que tu m'as envoyé » (Jean, xvn, 20-21). A ces signes extérieurs, qui se tiennent du côté de l'objet, doit se joindre dans le sujet l'opération de la grâce divine l'amenant à croire. Saint Jean, nous l'avons vu précédemment, la représente comme une attraction du Père (Jean, vie 44), une onction de l'Esprit (I Jean, 11, 27), ou encore

comme un témoignage divin intérieur « Celui qui croit dans le Fils de Dieu, a le témoignage de Dieu en soi » (/ Jean, v, 10). Saint Matthieu avait dit « une révélation » « Tu es bienheureux, Simon fils de Jean, car ce n'est pas la chair et le sang qui te l'ont révélé, mais mon Père qui est dans les cieux » (Mallh., xvi, 17). Rapprochant heureusement les deux termes, attraction dans saint Jean, révélation dans saint Matthieu, saint Augustin montre que les deux expressions désignent une seule et même grâce54, qui donne à la fois de comprendre le message révélé, « quod intelligusit, intus datur, intus coruscat », et d'y consentir, « docendo delectat'5 ». Ainsi donc, pour saint Jean, la foi tout entière est divine et surnaturelle, parce qu'elle s'appuie tout entière, subjectivement et objectivement, sur le témoignage divin lumière divine intérieure, signes divins extérieurs, les deux constituant un seul et unique témoignage « sibi ipsa testis est ut cognoscatur lux(saint Augustin). 54. «

Ista revelatio ipsa est attractio

»

(In loan., tr.

P. L., t. XXXV, col. 1609). 55. In loan., tr. xxvi, n. 6 (P. L., t. XXXV, col.

1609,

XXVI,

loto).

n.

5.

IV.

L'incrédulité des Juife

Devant la prédication de l'Évangile et les signes qui l'accompagnent, les hommes prennent deux attitudes différentes les uns croient et se mettent dans la voie du salut, les autres ne croient pas et s'engagent dans le chemin de la perdition (Jean, ni, i5-i8). Même après les plus grands miracles, il en est qui ne croient pas. L'évangéliste le constate chez les chefs du peuple à la fin du ministère public de Jésus à Jérusalem. « Malgré les si grands miracles qu'il avait faits sous leurs yeux, les Juifs ne croyaient pas (Jean, XII, 37). Ceux qui ne croient pas, jugent la doctrine de Jésus diabolique, œuvre d'un possédé ( jean, vu, 20; VIII, 48, 5i-52; X, 20). Ils la trouvent non seulement politiquement dangereuse (jean, XI, 48), mais injurieuse à Dieu, blasphématoire, et voudraient lapider son auteur (Jean, vin, 59; x, 33). Jésus est un séducteur (Jean, vu, 12, 47) et ceux-là qui le suivent ne sont qu'une tourbe ignorante, maudite de Dieu (Jean, vu, 48-49). Le reproche le plus bénin, fait à son enseignement, c'est qu'il est dur à avaler et tout bonnement incroyable (Jean, VI, 61). Ce qui est dit de la doctrine, est dit des miracles ils sont eux aussi signe de contradiction. Après la guérison du paralytique à la piscine de Bézatha, « les Juifs attaquaient Jésus, parce qu'il opérait des guérisons le jour du sabbat » (Jean, v, 16). Après la guérison de l'aveugle-né, « certains des Pharisiens disaient « Cet homme ne vient pas de Dieu, car il n'observe pas le sabbat D (Jean, ix, 16). Ce qu'ils rejettent, ce n'est pas seulement que Jésus soit Fils de Dieu, mais qu'il soit l'envoyé de Dieu, et en cela ils commettent le péché d'incrédulité. « Cet homme ne vient pas de Dieu. Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur. Nous savons que Dieu a parlé à Moïse pour celui-ci, nous ne savons d'où il sort (Jean, ix, 16, 24, 29).

Les Juifs incrédules ne savent pas où est la vraie révélation ce sont des aveugles, des aveugles volontaires, mais des aveugles, à l'inverse des croyants qui sont des voyants « l'infidélité est cécité, comme la foi est illumination 58 ». Dans cette incrédulité, on peut distinguer comme deux degrés. D'abord les Juifs ne savent pas d'où vient Jésus, parce qu'ils ne veulent pas savoir. C'est le cas des Pharisiens qui, devant la guérison de l'aveugle-né, affectent d'ignorer l'origine divine de Jésus (Jean, ix, 29) et refusent de se livrer à une enquête loyale 57. Bien que se prévalant de l'infirmité humaine, à laquelle les signes de la révélation ne s'imposent pas avec une évidence nécessitante, ils sont déjà coupables, surtout eux les chefs de la nation et ses directeurs spirituels, de se dérober à l'examen d'un problème que la guérison de l'aveugle-né, succédant à beaucoup d'autres merveilles, pose nettement devant eux. En se raidissant dans cette attitude et en se complaisant dans la lumière qu'ils croient posséder à titre de « disciples de Moïse (Jean, IX, 28), comme si elle était définitive (ix, 3i), ils glissent graduellement de cette ignorance affectée et de ce refus de croire à une certaine « impuissance à croire ». A la fin du ministère public de Jésus à Jérusalem, l'évangéliste dit des chefs juifs non seulement qu'ils ne croyaient pas, mais « qu'ils ne pouvaient pas croire, parce qu'Isaie aussi a dit Il a aveuglé leurs yeux et endurci leurs cœurs, de peur que leurs yeux ne voient et que leurs cœurs ne comprennent et qu'ils ne se convertissent et que je ne les guérisse » (Jean, xii, 39-40). C'est affaiblir la portée de ce texte que de l'expliquer avec saint Jean Chrysostome du simple refus de croire. L'évangile affirme davantage une impuissance à croire. On peut, ce semble, l'expliquer ainsi par leur endurcissement progressif, n après tant de miracles» (Jean, xn, 37), les chefs juifs avaient perdu le pouvoir proCaecitas est infidelitas et illuminatio fides (Saint Augustin, In loan., tract. XLiv, n. i. P. L., t. XXXV, col. 1713). 57. On peut comparer l'attitude des Sanhédrites dans Marc, xi, 33. 56. «

chain de croire en Jésus, de passer facilement et comme d'emblée de l'incrédulité à la foi. Mais l'évangile n'exclut pas nécessairement chez les Juifs le pouvoir éloigné de croire, c'est-à-dire le pouvoir de poser des actes qui les eussent graduellement libérés de leurs préjugés et les eussent préparés progressivement à la foi au Christ. Ainsi, en nos temps, on peut dire de beaucoup d'incrédules qu'ils ne peuvent pas croire, au sens de se convertir soudainement ou même rapidement, la carapace des préjugés étant trop épaisse pour que la lumière de foi la perce en un instant mais il leur reste le pouvoir de ne pas refuser a priori d'examiner le problème religieux, problème du Christ ou de l'Église, et ce premier pas, loyalement fait, pourra être le début de toute une marche qui les conduira, lentement peut-être, mais sûrement, jusqu'à l'adhésion de foi. Ces expressions « Dieu a aveuglé leurs yeux, il a endurci leur cœur ):, ne sont pas à interpréter à la lettre, comme si elles exprimaient en Dieu vouloir positif du mal. Elles signifient que Dieu, en ne contraignant pas l'homme qui se refuse au don divin, permet par le fait même la désobéissance humaine et que, n'étant assujetti à nulle nécessité de la part de sa créature, il fait tout rentrer, retrait de sa grâce et désobéissance de l'homme, dans le plan de sa Providence. Ces Juifs aveugles en sont arrivés à ce point d'endurcissement qu'ils se figurent y voir clair, et même rendre hommage à Dieu, quand ils persécutent Jésus ou ses disciples (jean, xvi, 2). Loin d'avoir le sentiment de leur misère, ils s'en glorifient comme d'un état de santé spirituelle et repoussent le médecin qui voudrait les sauver. «Je suis venu en ce monde, dit Jésus, pour que se fasse le discernement afin que ceux qui ne voient pas aient la vue et que ceux qui voient deviennent aveugles. » Entendant cela, des pharisiens qui se trouvaient avec lui, lui dirent « Est-ce que nous aussi nous sommes aveugles ? '» Jésus leur répondit a Si vous étiez aveugles (c'est-à-dire, si vous aviez le sentiment de votre cécité et RECHERCHES sciesce

efl.

XXI.

14

cherchiez à en guérir58), vous n'auriez pas de péché. Or vous dites Nous voyons clair Votre péché demeure » (Jean, ix, 39-41). Car cet aveuglement est un aveuglement coupable, au cas où l'évangile a été suffisamment proposé et prêché. « Celui qui croit en lui (le Fils unique de Dieu) n'est pas condamné. Celui qui ne croit pas, est déjà condamné, parce qu'il n'a pas cru et continue à ne pas croire s9 – au nom du Fils unique de Dieu » (Jean, m, 18). « Si j'étais venu sans leur faire entendre ma parole, ils n'auraient pas de péché mais maintenant ils n'ont point d'excuse pour leur péché. Si je n'avais fait parmi eux les œuvres que personne autre n'a faites, ils n'auraient pas de péché mais maintenant, alors qu'ils ont vu, ils m'ont pris en haine ainsi que mon Père » (Jean, XV, 22, 24). La prédication publique du Christ,. accompagnée de signes éclatants et aussi, remarque saint Thomas 00, de la grâce intérieure offerte par Dieu en même temps qu'était proposée la révélation extérieure, tout cet ensemble rend les Juifs inexcusables. Leur haine a été une haine « sans raison» (Jean, xv, 25). Et cependant ces Juifs qui ne croient pas connaissent la Loi (jean, vu, 49), scrutent les Écritures (Jean, v, 39). Mais la science de la Loi et des Écritures ne suffit pas à conduire au Christ, s'il ne s'y joint l'amour de la lumière, la simplicité du cœur ou, du moins, le germe du renoncement à l'égoïsme. L'aptitude à croire ou à ne pas croire se mesure, Si vos caecos adverteretis, si vos caecos diceretis et ad medicum curreretis, si ergo ita caeci essetis, non haberetis peccatum » (Saint Augustin, In Ioan., tract. XLiv, n. 17. P. L., t. XXXV, col. 1719). 5ç. En grec, le parfait TcgTri'uTsuxev. 58.

«

Est attendendum quod Christus attraxit verbo, signis visibilibus et invisibilibus, scilicet movendo et instigando interius corda. Est ergo quod Dominus dicit Si opera non fecissein in eis quao nemoalius tecit, intelligendum non solum de visibilibus, sed etiam de interiori instinctu, et attractu doctrinae quae quidem si- in eis non fecisset, peccatum non haberent » {In Ioan., c. xv, lect. v, n. 4. Edit. de Parme, t. X, p. 573 B). 60. «

mon à la valeur scientifique de chacun, mais à sa rectitude morale, à la fidélité à la lumière reçue61. Un passage du chapitre troisième cie l'évangile énonce d'une façon particulièrement expressive ce principe directeur de l'itinéraire d'une

âme vers Dieu. « Celui qui croit [dans le Fils] n'est pas condamné. Celui qui ne croit pas est déjà condamné. Or voici (la raison de) la condamnation c'est que la lumière étant venue dans le monde, les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. Car quiconque fait le mal hait la lumière et ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient blâmées. Mais celui qui pratique la vérité vient à la lumière, pour qu'il apparaisse que ses œuvres ont été faites en Dieu » (Jean, 111, 18-21). Toute action mauvaise est éloignement de la lumière, chute dans les ténèbres; c'est l'un des effets du péché d'obscurcir l'œil de l'âme, d'obnubiler sa vision des choses divines, d'émousser en elle le sentiment de ses fautes 62, et cette obscurité s'épaissit d'autant plus que l'âme s'enfonce davantage dans son péché telle une pierre qui rejetée d'une paroi à l'autre descend dans les profondeurs d'un insondable précipice. Au contraire, toute pratique sincère de ce qu'on croit être le vrai, toute action a faite en Dieu », dans une atmosphère divine, « c'est-à-dire en vue de Dieu, en contact avec et par conséquent sous son impulsion 63 », est acheminement à une plus grande lumière, à une connaissance de Dieu plus intime. C'est dans le même sens que Jésus disait « Quiconque est de Dieu écoute les paroles de Dieu (Jean, VIII, 47) quiconque est de la vérité, entend ma voix » (Jean, XVIII, 37),

lui.

61. « Les dispositions du cœur, moralement insuffisantes ou fran-

chement mauvaises, sont seules en cause, si on ne devient pas l'enfant de Dieu.R.P. Frey, Le Conceft de « vie dans l'Évangile de Saint Jean, Biblica, t. 1 (1920), p. 217. 62. « Initium operum bonorum confessio est operum malorum » (Saint Augustin, In loan., tract. XII, n. i3. P. L., t. XXXV, col. i49«)63. Lagrange, in lac.

c'est-à-dire, quiconque cherche la vérité avec pureté d'intention s'inspire dans toute sa conduite de cette vérité autant qu'elle lui est accessible, quiconque peut se rendre, comme Newman, le témoignage de n'avoir pas péché contre la lumière, celui-là est tout disposé à écouter la parole de Dieu. De même que pour un chrétien la charité est source de lumière6'1, de même pour celui qui ne croit pas encore au message évangélique, la fidélité à ce qu'il connaît de la volonté divine est principe de progrès spirituel et acheminement au Christ (Jean, VIII, 47). · Les Pharisiens ont beau se dire les fils d'Abraham (Jean, vin, 39), les disciples de Moïse (Jean, ix, 28). Ils ne comprennent pas Moïse, parce qu'ils n'observent pas sa Loi (Jean, vu, 19) et qu'ils n'imitent pas les œuvres d'Abraham (Jean, vin, 39 sqq) leur vrai père, c'est le diable, celui en qui il n'y a pas de vérité et qui de son fonds ne peut proférer que le mensonge (Jean, VIII, 44). Ils peuvent lire et relire les Écritures, ils n'ont pas en eux la parole de Dieu comme un principe de vie (Jean, v, 38), parce qu'ils sont dominés par leur égoïsme, leur orgueil, leurs préoccupations de vaine gloire ou leurs intérêts politiques. « Je suis venu au nom de mon Père et vous ne m'avez pas reçu si un autre vient en son propre nom, vous le recevrez. Comment pourriez-vous croire, vous qui tirez de la gloire les uns des autres et ne cherchez pas la gloire qui vient de l'Unique?»(Jean, v, 43-44). La lumière a brillé devant les docteurs de la Loi, et ils ne l'ont pas comprise, parce que « leurs péchés les avaient rendus ténèbres 65 » 64. « Celui qui aime son frère demeure dans la lumière et il n'est pas

pour lui de trébuchet. Celui qui hait son frère est dans les ténèbres et il marche dans les ténèbres et il ne sait où il va, parce que les ténèbres ont aveuglé ses yeux » (I Jean, 11, 10-11). 65. Saint Augustin. Nul n'a senti plus vivement que ce grand Docteur la corrélation qui existe entre les mauvaises dispositions de la volonté et la cécité spirituelle: « Non ideo cogitent [stulta corda] quasi absentem esse lucem, quia eam videre non possunt ipsi eni;n

En résumé, tout ce qui est pharisaïsme, c'est-à-dire orgueil, suffisance, éloigne de Dieu et de son Christ; en rapproche, au contraire, tout ce qui tend à grandir une âme, à l'élever, à l'éprendre de la vérité et de la lumière. Qui facit veritatem, venit ad lucem. Lyon-Fourvière.

JOSEPH

HUBY.

ter -peccata tenebrae sunt. Et lux in tenebris lucet et tenebrae eam non comprehenderunt. Ergo, fratres, quomodo homo positus in sole caecus, praesens est illi sol, sed ipse soli absens est; sic omnis stultus, omnis iniquus, omnis impius, caecus est corde. Praesens est sapientia, sed cum caeco praesens est, oculis ejus absens est non quia ipsa illi absens est, sed quia ipse ab illa absens est. Quid ergo faciat iste ? Mundet unde possit videri Deus quomodo si propterea videre non posset, quia sordidos et saucios oculos haberet, irruente pulvere vel pituita vel fumo, diceret illi medicus Purga de oculo tuo quidquid mali est, ut possis videre lucem oculorum tuorum. Pulvis, pituita, fumus, peccata et iniquitates sunt toile inde ista omnia, et videbis sapientiam quae praesens est quia Deus est ipsa sapientia, et dictum est Beati mundo corde quoniam ipsi Deum videbunt » {In loan., tract. l, n. 19. P. L., XXXV, i388). prof

DEUX AUGUSTINIENS FOURVOYÉS BAÏUS ET JANSÉNIUS

I.

– Baïus

II n'y a aucun des théologiens qui

ne se plaigne que la doctrine de saint Augustin, louée par le Saint-Siège, a reçu une plaie incurableparla Constitution de saint Pie V.» Ainsi gémit Gerberon, écho de tous lesdisciples de saint Augustin1 Plaintes à part, la constatation n'est-elle pas exacte ? Nombreux sont en effet (plus nombreux aujourd'hui que jamais) les historiens de la théologie, non seulement protestants, mais catholiques, qui pensent que le baïanisme, comme l'avait été pour une bonne part l'hérésie de Luther, et comme devait l'être plus encore celle de Jansénius, est un fruit authentique de l'augustinisme. Selon ces historiens, dans l'exégèse appesantie qu'il fit de son docteur préféré, Baïus, pour l'essentiel, ne se serait pas fourvoyé. « Disciple servile » du maître qu'il s'était choisi pour rompre avec la Scolastique, incapable de jamais lui « résister », il aurait eu le tort de négliger les autres sources de la foi, ou même certains aspects de l'oeuvre d'Augustin, mais non de s'être mépris sur quelques-unes de ses doctrines les plus fondamentales. Tout au plus devrait-on dire que sa pensée, « étonnamment mûrie, donne à l'augustinisme une cohérence et une rigueur qu'il ne connut jamais auparavant », même dans la conscience de son premier «

i. Voir Du CHESNE, S. J., Histoire du Baianisme, Douai, 1731, préface; et Renversement de la Religion. par toutes les Bulles et Brefs donnés depuis près de deux cents ans contre Baius, Jansénius, etc. (par l'abbé Le Clerc), Rome, 1756. Les citations de Baius seront faites d'après l'édition de Gerberon, 1696 (les Baiana sont au tome second).

auteur. En sorte que, lorsque nous entendons Baïus en personne se plaindre, dans son Apologie à saint Pie V, que la Bulle qui censurait ses propositions frappât du même coup non seulement les termes, mais les doctrines mêmes des Saints Pères, force nous serait d'avouer que c'est là tout chose qu'une simple récrimination de professeur, (( autre mécontent de voir condamner ses thèses » et, pourêtre « francs » nous devrions ajouter que, « en condamnant Baïus, il semble que l'Église catholique ait définitivement faussé compagnie au docteur d'Hippone ». La pensée théologique aurait été ainsi délivrée « d'un poids majestueux, mais d'un poids », et, le baïanisme étant reconnu pour une hérésie, l'augustinisme, par le fait même, se trouverait frappé d'une suspicion qui le mettrait dorénavant hors d'état de nuire. Que si quelque auteur protestant venait alors à soutenir que l'Église romaine s'est progressivement éloignée de la doctrine d'Augustin, jusqu'à une « répudiation énergique »2,pour ne pas lui donner trop bruyamment raison, nous répondrions seulement que c'est là une assertion dont un catholique, ayant pour règle de foi la tradition vivante de l'Église, « peut se dispenser de vérifier l'exactitude historique ». iTelle était déjà, semble-t-il, l'opinion du Père Annat, bien qu'il ait donné pour titre à l'un de ses ouvrages Augustinus a Baianis vindicatus'. « En condamnant les cinq propositions, disait-il avec désinvolture, le pape ne s'est pas mis en peine Thoiusius, Histoire des Dogmes. On le sait, c'est un lieu commun chez les théologiens protestants, que l'Église catholique est devenue, 2.

pour le moins, semi-pélagienne. Voir les assertions de Melchior Leydeckerus, professeur d'Utrecht (Baiana, p. 211 et 2i3) de Jurieu L'Église romaine tolère (dans le molinisme) un pélagianisme tout « pur et tout cru » (cf. la réponse de BOSSUET, ;1" Avertissement aux protestants) et, plus récemment, de HARNACK. 3. Quelques expressions de ce paragraphe sont empruntées à l'ouvrage du P. Jansen, Baius et le Baianisme, Louvain, 1927 (pp. 49, 139, 17, 18, i35, t34, 110, 169). Mais nous devons ajouter aussitôt que le présent article doit beaucoup à cet ouvrage, si documenté et si éclairant sur bien des points. 4. i652.

de savoir s'il condamnait ou non saint Augustin. » Le grand Arnauld s'en indigne, comme d'un « blasphème5 ». Il exagère. Du moins la thèse apparaît assez grave pour qu'on ne l'adopte pas sans contrôle. Elle a le mérite, assurément, de rompre avec certain concordisme, qui, faisant état de textes rares, isolés, mal compris ou indûment pressés, s'efforce parfois, selon le point de vue, soit de « sauversaint Augustin en le ramenant à la doctrine jugée seule orthodoxe, soit de fonder sur son autorité des théories qu'on estime trop fragilement étayées par ailleurs. Les concordismes ne sont plus en faveur aujourd'hui, et il convient de s'en féliciter. Mais doivent-ils entraîner saint Augustin lui-même dans leur disgrâce ? Une méthode plus rigoureuse aurait-elle pour résultat de nous obliger, le comprenant mieux, à l'abandonner ? Qu'on leremarque, ce qui est ici en jeu, ce n'est pas seulement la mémoire de celui qui fut nommé le Docteur de la Grâce car, même après les condamnations de Baïus et de Jansénius, l'Église a continué de lui décerner ce titre, et elle continue de le désigner avec instance aux théologiens comme leur guide. On sait, par exemple, les fortes déclarations de Clément VIII à la Congrégation de Auxiliis, déclarations maintes fois réitérées depuis lors 6. Certes, ce ne sont point là des définitions de foi Cesont au moins des indices très nets d'une pensée qui ne s'est jamais démentie, jamais atténuée. Certes encore, il ne s'ensuit pas que tout doive être canonisé dans la doctrine de saint Augustin, même en matière de grâce. Il n'est pas un de ses plus 5. Réponse au Père Annat, cf. ibid., p. 196 ss.).

second Mémoire {Œuvres, t. XIX, p. 181

6. Congrégation du 20 mars 1601

Sancti Augustini doctrina, quam et Ecclesiae doctrinam esse nemo vestrum ignorat », etc. Ex Actis Coronelli; cf. Aug. LE BLANC (Serry), Historia Congregationum de Auxiliis, 1700, col. 388 et 402, et Petau, Dogm. theol., t. I, 1. IX, ch. VI. « Avoir (saint Augustin) de son côté, concluait Leporcq, c'est avoir pour soi la doctrine de l'Église et de l'Évangile. » (Sentiments de saint Augustin sur la grâce. préface.) Enfin, la récente encyclique de Pie XI (Ad saluterri) est encore dans toutes les mémoires. «

fervents admirateurs qui n'y reconnaisse, notamment, des qu'il n'est peut-être pas traits d'un pessimisme excessif, inexact d'attribuer à quelques réminiscences manichéennes7. Mais que son idée de fond, dégagée en sa pure logique, mène à l'hérésie qu'elle n'ait pas seulement été plus ou moins en fait, mais qu'elle soit en droit, si on la prend dans sa rigueur, génératrice des systèmes d'un Luther, d'un Baïus, d'un Janfort. vrai, Il est sénius le paradoxe semble un peu « le plus catholique des Pères » a connu plus d'une fois « cette infortune posthume de voir se recommander de son nom des erreurs et des altérations graves de la vérité catholique ». Mais il reste à savoir si cette infortune était méritée. Pour le baïanisme en particulier, plutôt qu'un augustinisme systématisé, poussé à ses dernières conséquences, ne serait-il pas un augustinisme travesti ?

Laissant d'abord de côté, par un juste souci de méthode, les affirmations du disciple et de son maître sur l'état présent de l'humanité déchue (affirmations qui, chezBaïus au moins, sont manifestement dérivées), on découvre, chez l'un et chez l'autre, un principe apparemment commun. Pour Baïus et c'est de là que tout comme pour Augustin, dit-on, découle, l'homme est ainsi fait qu'en toute hypothèse il a besoin, pour accomplir sa destinée, du secours divin. Pour l'un comme pour l'autre, un état où l'homme serait remis à sa propre sagesse et réduit à ses propres forces, où il aurait à s'achever seul, un tel état est inconcevable. Aucun des deux Encore que certains auteurs fassent une part bien généreuse à ces réminiscences. Grotius, Richard Simon, de Launoy au dixseptième siècle: et, de nos jours, à la suite de Dom ROTMANNER, MARGIVAL, TURMEL, HUMBERT, PAQUIER, etc., renouvellent contre saint Augustin, avec plus ou moins de nuances, l'accusation de manichéisme dont l'accablait déjà Julien d'Eclane (cf. Contra duas efistulas Peiagianorum, 1. I, n.4 et 1. II, n. 1 Contra fulianum of, impert., !• I, c. Llx, et 1. II, c. ix). 7.

ne fait donc de place, en ce sens, à l'idée d'une

pure nature ». La ressemblance, il faut l'avouer, est frappante. Ne seraitce pas, comme il arrive, qu'elle est toute en surface ? Sous l'identité des formules, sachons discerner combien l'inspiration est diverse. Diversité radicale, qui en entraîne mille autres, et qui transforme, pour qui sait lire, une ressemblance apparente en une irréductible opposition. Tandis qu'Augustin, parle principe qui vient d'être énoncé, se refuse à concevoir un état où l'homme se suffirait davantage, où il serait plus indépendant de Dieu, un régime où Baïus, lui, se Dieu, moins bon, serait aussi moins grand, révolte à la pensée d'admettre que l'homme, avant le péché, doive déjà s'abandonner, dans l'affaire de son salut, au bon plaisir de son Créateur. Du coup, les conclusions divergent. D'une thèse qui, sous sa forme négative, paraissait de part et d'autre identique, Augustin conclutque rien, dans l'homme, n'échappe à la grâce; Baïus, que la grâce n'a rien à voir, sinon en un sens tout à fait impropre, avec l'homme innocent de par la loi même de la nature, l'homme a sur Dieu des droits stricts, si bien que l'indispensable secours divin n'est plus l'initiative dictée par un débordement de bonté tout gratuit, mais le payement d'une dette de justice. Selon Augustin, ce secours a pour effet de nous porter jusqu'à une condition bienheureuse qu'en aucune manière un effort créé ne mérite selon Baius, il n'est qu'un moyen mis à notre disposition afin de nous permettre de mériter humainement, d'un mérite qui, à son tour, exige, sa récompense. Tandis qu'aux yeux d'Augustin tout, à le bien prendre, est grâce, parce que la nature elle-même est donnée en vue de la grâce, aux yeux de Baïus au contraire la grâce elle-même ne mérite pas son nom, parce qu'elle est au service de la nature. Enfin, là où saint Augustin dit, à la suite de saint Paul, que la charité est la plénitude de la loi, Baïus traduit que l'observance de la loi, voilà la* vraie charité8. Entre l'homme et Dieu, qu'on ne 8. De justitia, c. Il

«

In tantum justus dicitur, qui de lege Dei nihil umquam praetermisit. » De justificatione, c. i. «

parle plus d'un mystère d'amour ce sont des relations de comptoir. L'homme exige, mérite, réclame Dieu fournit l'instrument de travail, puis il paye la note, exactement9. Telle est l'idée maîtresse à laquelle aboutit, au terme de longues réflexions sur les œuvres de son Docteur jalousement Baïus, nous dit Valère André, avait lu neuf fois cultivé, tout saint Augustin et soixante-dix fois les écrits sur la l'homme qui prétendait dégager son enseignement grâce, des théories adventices que l'influence d'Aristote y avait mêlées, rendre à sa pureté première une doctrine que la Scolastique avait laissé corrompre. En vérité,, sous les espèces d'une reproduction matérielle intégrale, on ne saurait imaginer, non seulement déformation, travestissement, mais corruption plus totale de la pensée augustinienne. Comme le reconnaîtra Jansénius, et comme le proclamera la Bulle de condamnation du Concile de Pistoie 10, ce n'est pas d'Augustin que Baïus est ici l'écho, c'est de Pélage. Du Chesne, auteur d'une Histoire du Baïanisme aussi passionnée contre Baïus que Gerberon, éditeur des Baïana, l'est en sa faveur, a bien vu ce point capital. « Ce théologien, dit-il, donne tout à la nature dans l'état d'innocence, et rien à la grâce: voilà son crime". » La différence avec Pélage n'est que dans le mode. On définirait assez exactement, semble-t-il, la doctrine baianiste sur l'état primitif de l'homme en l'appelant un pélagianisme impuissant. Selon Pélage, en effet, l'autonomie humaine consiste en ce que la nature a une puisDe meritis operutn, 1. I, et 1. II, c. IX (in fine). Cf. les propositions i3, 14, 15, 32, 33. Baius, dit Du Chesne analysant le traité De meritis operum, compare « le ciel à un État bien policé, où la Justice commutative rend à chacun selon ses œuvres avec une proportion géométrique » sans le péché, la vie éternelle y eût été « reçue à pur titre de rétribution » [pp. cit., p. 63). Au contraire saint Augustin Enchiridion, c. CVI et cxcvn Contra Julian., 1. IV in fine; Epist. 106 et 178, etc. 10. Augustinus, t. II, De gratia primi hominis. Et Dz-B., i5i6 Favens haeresi pelagianae ». 11. Op. cit., p. 177. 9.



sance propre en face de Dieu selon Baïus, elle consiste en ce que l'homme, en face de Dieu, a des droits. L'homme de Pélage est plus orgueilleux, l'homme de Baius plus exigeant; mais ni l'un ni l'autre n'a l'attitude d'un fils à l'égard de son père. Deus me hominem fecit, justum ipse me facio l'essence du pélagianisme tient en cette formule hautaine. Selon le baïanisme, la créature raisonnable ne peut d'ellemême parvenir à sa fin (d'où une discontinuité, un recours à l'intervention divine), mais elle peut cependant y prétendre (d'où une affirmation persistante d'autonomie). Ce que Dieu lui donne n'est pas reçu comme un bienfait ce lui est encore quelque chose de naturel, non sans doute naturel de constitution (comme eût dit Pélage), mais d'exigence ce n'est pas une partie intégrante de sa nature, mais c'est quelque chose de nécessaire à l'intégrité de cette nature, et par conséquent d'essentiellement requis par elle. Pélage, au dire de saint Jérôme, pensait que Dieu avait monté l'homme, une fois pour toutes, comme une horloge, puis s'était endormi l'horloge de Baïus exige d'être remontée sans cesse. Le pélagien parfait, c'est l'orgueilleux qui ne veut rien devoir à personne le baïaniste parfait serait le plaideur chicanier qui crie toujours misère en réclamant son dû. Baïus, c'est un Pélage qui se fait quémandeur. Pélage, ou l'ascèse pure. Baïus, ou le juridisme pur. Qui ne le voit ? Plus encore qu'il n'est exigé, le surnaturel est ici méconnu, – comme est méconnue, par un choc en retour, la nature. On ne peut se dissimuler ce qu'offre d'incohérent, et même de barbare au point de vue philosophique, aussi bien que d'offensant au point de vue religieux, une pareille théorie. Le pélagianisme lui-même est déjà une position instable (comme son correspondant dans l'ordre théorique, le déisme) entre la pleine reconnaissance de la religion et un naturalisme absolu. Excluant Dieu de la vie humaine, il est bien près de le nier, ou de transférer à l'homme ses attriLe naturalisme latent n'est pas ici moins fort, mais buts. il se double d'un extrinsécisme radical la nature, sans

être ouverte à la grâce au sens où l'entend le christianisme authentique, puisque sa fin reste à la mesure de ses exigences créées, ne possède pas non plus cette intériorité sans la profession de laquelle il n'est pas d'entrée dans la philosophie, puisqu'à son opération naturelle est indispensable une intrusion étrangère. Aussi peut-on dire que, si l'esprit du baïanisme vivra aussi longtemps qu'il y aura des hommes (et de fait on l'a discerné très justement dans la philosophie d'un penseur qui, selon toute vraisemblance, n'avait guère entendu parler de Baïus, Charles Renouvier), du moins la condamnation définitive du baïanisme en tant que tel, projetée au Concile du Vatican, aurait eu surtout un intérêt archéologique. Le traditionalisme rigide, avec son idée d'une révélation extérieure nécessaire à l'éclosion de l'intelligence, doctrine apparentée philosophiquement au baïanisme, ne tente plus aujourd'hui personne. Et qui donc, philosophe ou théologien, voudrait, sans reconnaître franchement l'ordre surnaturel, réclamer comme nécessaires à l'intégrité humaine des dons qui cependant « n'appartiennent pas à la perfection essentielle de l'homme » ?

Certains font pourtant profession d'admirer la puissance du théologien de Louvain. Son œuvre témoigne en effet d'une réelle vigueur systématique. « Souscrivez à son principe, il vous enlace, il vous entraîne et vous précipite avec lui13. » De plus, des positions qui nous paraissent à bon droit être si défectueuses et manquer à tel point de profondeur, avaient alors de quoi séduire des esprits dégoûtés de l'indigence compliquée où se débattait trop souvent la pensée théologique. Le simplisme doctrinal d'un Baïus pouvait leur produire l'effet d'une libération, un peu (toutes proportions gardées) à la manière du fameux Cogito, au siècle suivant. Ils goûtaient ces traités rapides, « débarrassés des termes et 12.

Op. cit., p. 179.

des questions de pure scholastique ». Par son point de vue tout « pragmatique », attentif à la valeur de l'acte plus qu'à la dignité de l'opérant, Baïus pouvait sembler aussi réagir assez heureusment contre un réalisme outré qui tendait à devenir, au vrai, matérialisme13. Mais sa pensée se révèle, en revanche, étonnamment courte, étriquée, réduite qu'elle est à un thème squelettique incessamment retourné. Par ce caractère comme par le fond de la doctrine, elle diffère autant qu'il est possible de la pensée d'un Augustin, si vaste, si complexe, si jaillissante. Rien ici qui rappelle cet esprit si largement humain jusque dans les thèmes les plus rigoureux11, cette conscience des profondeurs mystérieuses de la nature et de la grâce, qui font le charme des écrits du grand Docteur. Rien, comme chez ces authentiques augustiniens qui fleurirent aux environs du douzième siècle, de ces vues sur ,les destinées collectives de l'humanité, de cette ample philosophie de l'histoire, ni de cette aspiration mystique de l'âme, image de la Trinité, qui ne trouve son repos que dans l'union divine. On ne saurait imaginer climats plus divers. Pas plus que d'un génie original, nous ne sommes en présence d'un vrai disciple. Comment se fait-il, cependant, qu'un si farouche admirateur de saint Augustin lui soit, en réalité, aussi infidèle? En effet, si admirable chez un saint Thomas, le réalisme scolastique avait vite dégénéré, et ce n'était pas seulement la façon de concevoir la « distinction réelle » qui s'était épaissie. Lorsque Baïus s'oppose aux théologiens qui « meritum non ex operis integritate sed ex operantis dignitate metiendum existimant » (De meritis operum, 1. II, c. i), il a tort, sans doute, d'accepter une telle dissociation. Mais en est-il absolument l'auteur ? 14. Voir, par exemple, De Civitate Dei, II, c. XXIX, sur les vertus romaines et sur le principe naturel de la vertu, qui attend de la vraie religion sa pureté et son achèvement; De doctrina christiana, 1. II, n. 28 et 40; etc. Le R. P. F. Cayré s'est attaché très heureusement à remettre en lumière un aspect trop méconnu de saint Augustin, ce qu'on peut appeler son humanisme, et même son optimisme cf. Contemplation et raison d'après saint Augustin, Revue de philosophie, juillet-décembre 1930, p. 38i. 13.

Comment un tel écart, et si inconscient, a-t-il pu se produire entre sa pensée et celle de son maître? Comment, de plus, chez un chrétien aussi sincère et aussi attaché à l'Église, a-t-il pu se glisser une erreur religieuse aussi grave ? C'est que pour comprendre un auteur, il ne suffit pas, sans plus, de le lire. N'insistons pas sur le fait que, au temps de Baïus, la critique historique était encore dans les langes (elle faisait en ce moment même de sérieux progrès avec les Centuriateurs et Bellarmin), et que lui-même n'a pas fait preuve d'un flair bien remarquable, ayant lu soixante-dix fois Y Hypomnesticon sans y reconnaître la trace d'une autre main que celle de l'évêque d'Hippone13. La raison véritable est qu'il fut victime de son préjugé « positif ». Préjugé tout contraire à la pratique même de saint Augustin, et particulièrement néfaste quand il s'agit d'étudier une doctrine comme la sienne, qui, plus que toute autre, exige qu'on fasse un effort de pensée pour en ressaisir, sous la lettre, l'esprit. Dans un louable souci de réaction contre les abus de la méthode dialectique, Baïus se laissa entraîner à partager l'illusion, fréquente alors, de ces théologiens dont le clairvoyant Dominique Soto parlait en ces termes Philosophiam abjiciunt, arbitrantur absque theseo pec se posse, cum sanctorum Patrum, tum etiam sacrae Paginae adire voluminaia. Loin de suffire à tout, la théologie positive ne se suffit d'abord pas à elle-même. Refusant de faire consciemment de la philosophie, sous prétexte d'échapper aux errements de son siècle, Baïus allait en faire inconsciemment, et de la pire, et nul plus que lui ne serait dépendant de son siècle. Comme Luther, dont il n'avait certes pas l'envergure, il allait d'autant plus subir les idées courantes qu'il prétendrait s'inspirer uniquement du passé. Pas plus que Luther saint Paul, il ne

et.

Sur cet ouvrage, qui fut longtemps attribué à saint Augustin, voir P. L., t. XLV. 16. De natura et gratia, 1. I, Praefatio, p. 2 (Anvers 155o). L'auteur ajoute, s'adressant aux Pères du Concile de Trente « Cui profecto malo, nisi obviam publiciter occuratis. totum brevi christianum orbem errores ebullire dolebimus. » 15.

comprendrait saint Augustin par lui, la thèse augustinienne sur le mérite sans la grâce serait aussi faussée que, par Luther, la thèse paulinienne sur la foi sans les œuvres17. C'est ainsi que, parlant avec saint Augustin de « nature », et croyant même s'entendre avec lui pour en donner une définition identique, il la comprend en un tout autre sens sans qu'il s'en doute, Aristote a passé par là. De même pour la notion corrélative de « grâce » et pour celle de « mérite » l'extrinsécisme d'un Duns Scot, le nominalisme d'un Occam et d'un Biel, le juridisme fruit de l'un et de l'autre, il ne faut rien de moins pour rendre compte de la signification que Et nous voilà bien prennent ces deux mots chez Baïus. loin du cinquième siècle, bien loin du saint Augustin de l'histoire et de la tradition catholique. Avec saint Augustin, avec la tradition catholique, on parlera encore de vita aeterna, de regnum coelorum, d'inhabitatio Spiritus sancti, d'adoptio filiorum Dei, etc. mais ce ne sont plus là que des formules vides de sens 1S. Sinon, à moins de L'influence d'Erasme avait fait beaucoup pour répandre les illusions de la méthode positive; du côté protestant, elles étaient partagées par Mélanchton (cf. son discours d'inauguration à l'Université de Wittenberg en i5i8). On peut noter que, par le même préjugé de méthode, beaucoup d'humanistes reprochaient à saint Augustin d'être trop « métaphysisien », et pour cela se détournaient de lui, lui préférant saint Jérôme. 18. Baïus, remarquons-le, raisonne toujours comme si l'Ancien Testament nous avait apporté sur l'état primitif de l'homme et sur sa fin une lumière définitive. Un verset de la Genèse et un autre de l'Ecclésiastique (De meritis oferum, 1. I, c. ni; Apologia S. Pont. Pio V, in prop. 2 am et4 am; etc.), c'en est assez pour lui ces deux textes, qu'il répète incessamment, lui ont livré le dernier mot de l'énigme. Le Nouveau Testament n'est admis ni à les réformer ni à les compléter, il n'est censé donner aucune clarté nouvelle sur le rapport qui doit unir l'homme à Dieu. Par exemple, le « mystérieux dessein » dont parle saint Paul ne peut être le secret de notre destinée; il ne porte aucunement sur la fin, mais seulement sur un moyen. Le spiritus adoptionis, le consortium divinae naturae, ne sont que des sortes de remèdes concédés par la miséricorde divine pour remettre en état la nature adamique, et lui permettre ainsi de poser l'acte d'obéissance qui lui méritera sa récompense. On le voit': dans 17.

ne s'entendre pas soi-même, comment pourrait-on en même temps affirmer une présence du Saint-Esprit et refuser de reconnaître une « exaltation» de la nature où il réside ? Comment une participation à la filiation du Verbe n'engendreraitelle qu'une activité au mérite tout humain ? Comment l'acte d'obéissance, que toute créature doit à son auteur, aurait-il pour effet, par sa propre vertu, d'introduire la créature au sein de la vie divine ? Baïus, sous les influences que nous avons dites, a perdu l'intelligence du mystère de la grâce. Dès lors, il peut bien continuer d'employer les expressions traditionnelles il peut même protester contre les a innovations D d'autres théologiens il n'est pas maître de retrouver, sous les mots, l'idée primitive. Et, sans qu'il s'en aperçoive, son vocabulaire même, finalement, le trahira lui, l'intransigeant augustinien, il en viendra à parler du « mérite de la persévérance D, de cette persévérance finale où son maître Augustin célébrait la grâce des grâces, le « don » par excellence. Il faut noter avec soin ce dernier trait. Nemo salvus fiet, nisi nterito perseverantiae 19. Baïus nous sauve, tout comme Adam s'il était demeuré sans faute, par nos propres mérites. Le surnom que lui décernait Louis Bail, a Pélage du paradis terrestre20 », ne donne donc pas la mesure entière de son erreur. Sans doute il admet que dans notre monde pécheur, l'intervention de Dieu pour l'acte salutaire est désormais totalement gratuite, indebita. Mais, ce qui constitue cet acte salutaire étant selon lui, comme on l'a vu, le seul fait de

l'obéissance à la loi, fait qui entraîne pour récompense la

cette conception, le Christ est un pur « réparateur »; comme son rôle est très réduit, sa révélation est aussi très restreinte. C'est dans le cadre de l'Ancien Testament, clos à jamais, que son œuvre tout entière doit s'insérer. Baius méconnaît la grande nouveauté du Christ omnem novitatem attulit. 19. De meritis oferum, 1. II, c. VI. Cf. Apologia Summo Pontifier Pio V, in proposit. 2 axn. a Quasi Pelagii 20. De benefieio crucis (i653). De même Ripalda sententia in statu naturae integrae vera fuerit, et solum damnata et falsa in statu naturae lapsae n, Adversus Baium, disp. 3, sect. I.

gloire céleste, il s'ensuit que le secours et la présence même du Saint-Esprit, obtenus par la rédemption du Christ, ne sont de cet acte qu'une pure condition, ou, tout au plus, qu'un pur instrument. Nécessaires pour permettre au sujet humain de mériter, ils n'entrent néanmoins pour rien dans la substance de l'acte méritoire, ne lui confèrent aucune dignité supérieure. D'où cette autre conséquence, que si une action conforme à la loi est accomplie par un homme avant la rémission de ses péchés, cette action ne laissera pas d'être méritoire, au même titre que celle des justifiés. Le don de Dieu, si gratuit qu'il devienne après la chute, est ainsi toujours naturalisé. Au Paradis, la présence de l'Esprit était requise 21 aujourd'hui, cette présence, non moins nécessaire, est accordée par pure grâce; mais pas plus aujourd'hui qu'au Paradis terrestre, la récompense n'excédera, en fin de compte, notre propre mérite humain 22. Nos mérites ne sont pas des dons, pas même le mérite de la persévérance. Par conséquent, en couronnant nos mérites, Dieu ne couronnera pas ses dons. Bref, ce qui, pour saint Augustin, était vrai d'Adam aussi bien que de nous, sine gratia, nec tune ullum meritum esse potuisset 23, n'est, pour Baïus, pas

ci:

frima hominis justitia, « Quod primi hominis rectitudo non fuerit sine inhabitante Spiritu sancto ». 21. De

Saint Augustin dit bien que la miséricorde avec laquelle le juste sera jugé, au rebours de la miséricorde qui lui a valu la première grâce, sera en quelque sorte le prix de ses bonnes œuvres, et qu'ainsi la vie éternelle sera due à ses mérites (Enchiridion, ch. cvn « Vitam aeternam, quae certe (etiam nunc) merces est bonorum operum »; De correptione et gratia, n. 41 « Tunc pro bonorum operum meritis justo judicio etiam ipsa misericordia tribuetur. »). Mais, selon lui. de tels mérites sont les fruits de la grâce « Confitendum est, ideo gratiam vitam aeternam vocari, quia his meritis redditur, quae gratia contulit homini » (De corrept., ibid.); les bonnes œuvres ont valeur divine, parce qu'elles ne sont pas seulement conditionnées par la grâce, mais enfantées par elle « Percipientis vero gratiam consequenter sunt bona opera. quae gratia pariantur » (De div. quaest. ad Simplicianum, 1. I, n. 3). 23. Enchiridion, c. CVI. Et Augustin ne joue pas sur le mpt de grâce « Gratia vero, nisi gratis est, gratia non est » {ibid., c. cvn). 22.

plus vrai de nous que d'Adam. Le renversement est complet. Ce n'est pas seulement, en effet, parce qu'il savait d'expérience ce qu'est l'homme, et ce qu'est le péché, qu'Augustin comprenait la nécessité de la grâce. Mais il savait l'abîme qui sépare la créature du Créateur, en même temps que le rêve fou qu'elle forme, prévenue par Lui, de s'élever jusqu'à Lui pour une union éternelle. Et dans la révélation du Christ,> ce qu'il reconnaissait, c'était avant tout l'annonce que ce rêve fou pouvait devenir réalité, parce qu'il correspondait au dessein, tout gratuit, qui avait présidé à la création. Rien de tout cela n'éveille de résonance dans la tête étroite d'un Michel de Bay. C'est un monde auquel il est fermé. La plus légère échappée sur ce monde, où l'âme d'un Augustin s'épanouissait comme dans son atmosphère naturelle, lui eût révélé, en même temps que le caractère mesquin, l'irréligion, de son système. Parmi les propositions condamnées par saint Pie V, il en est une ainsi conçue Humanae naturae sublimatio et exaltatio in consortium divinae naturae debita fuit integritati primae conditionis, etproinde naturalis dicenda est, et non supernaturalis. Cette proposition, Baïus ne l'a pas écrite lui-même, il ne pouvait pas l'écrire en propres termes 24. (On sait que le recueil ne fut- pas composé d'après les seuls écrits de Baïus, mais aussi d'après ceux d'Heffels, de différents frères mineurs, d'après des cahiers de cours et des disputes orales.) Les notions qu'elle renferme jurent trop évidemment de se trouver accouplées il n'aurait pu se décider à les joindre, quelque tyrannisé qu'il fût par les exidict. Vacant, s. v. Baius (t. II, col. 60). Comparer, en effet, la proposition 26, qui reproduit textuellement le titre du chapitre iv du De frima hominis justitia « Integritas mon fuit indebita humanae naturae exaltatio, sed naturalis ejus conditio ». Baius se plaint ainsi, dans son Apologie à saint Pie V « Ipse vero collector, de divinae naturae consortio adjunxit quae voluit, ut rem odiosam faceret, etc. » Baiana, p. 192. Les propositions 21 à 24 visent les doctrines du De frima hominis justitia, sans en reproduire letexte exact. 24. Voir LE BACHELET,

gences de sa conception de la nature. Celle-ci aurait fini par céder devant les exigences contraires de sa foi, clairement aperçues; ou du moins, pour continuer de satisfaire aux unes et aux autres, il aurait fait ce que font un peu tous les kommes, le sacrifice de la logique, et la foi qui, selon le mot de Crétineau-Joly, dans son cœur l'emporta sur l'orgueil, l'eût également, dans son esprit, emporté sur l'erreur.. On l'a dit très justement « C'est leur sens systématique intérieur à la doctrine de Baïus et cohérent avec l'ensemble de cette doctrine, qui des propositions de Baïus fait des erreurs 25 ». Certes, cette série de soixante-dix-neuf propositions ne constitue pas une synthèse l'une ou l'autre, nous venons d'en voir un exemple, exige même une sorte de traduction pour y pouvoir être intégrée. Il n'empêche que, malgré les protestations de l'intéressé, elles ont été, en général, fort judicieusement choisies souvent elles reproduisent les titres mêmes que Baïus donnait à ses chapitres, et dans leur ensemble elles expriment, non des à-côté ni des conséquences, mais les principes qui sont à la base de la doctrine26. En particulier, ce n'est pas sans raison que les vingt premières ont été tirées du De meritis operutn. Cet opuscule n'est pas le premieren date, et il est aussi court que les autres. Mais il livre la pensée maîtresse de son auteur. Qui le possède, possède tout Baïus. Or, la lecture en est rassurante si, presque à chaque page de ce livret sans mystère, des formules augustiniennes sont répétées, l'esprit d'Au25. Janspn, op. cit., p. 198. 26. Nombreuses furent les

réclamations de Baius au nonce Morillon « Les articles ont été mal recueillis. il y en a aucuns en la Bulle qui ne sont pas siens » (lettre de Morillon à Granvelle, 1S68) à saint Pie V « Collector valde dormitavit. » {A-pologia èrevis (insent. 52), 1569 cf. Baiana, p. i36) devant les évêques et l'Université « Cette Bulle contient environ quarante propositions qui ne me sont jamais venues à l'esprit » (1570). Ses partisans continuèrent Cf. Baiana, p. 233 « Ex quibus nemo non intelligere valet, quanta fuerit eorum quihujusmodi sententias collegerunt. adversusM. Baium aemulatio, audacia, ac nequitia, imo et erga Sanctam Sedem irreverentia », etc.

gustin en est manifestement absent. Dès lors on n'est plus tenté, pour éviter le baianisme, de « fausser compagnie saint Augustin. Mais on peut en toute sécurité prononcer contre Baïus le verdict que prononçait jadis contre un autre, augustinien malheureux, Gerland, son adversaire Hugues Métel Confidis in verbis Augustini. Ne confidas. Non est tecum. Erras tota via. Asseris quod ille asseruit, sed non sentis quod ille sensit. Ut video, rodis crustam, sed non tangis micam. Auctoritati Augustini niteris, sed deciperis. Augustinum enim quem tibi parasti advocatum, si bene investigaveris, reperies tibi contrarium 2r.

à

Quelques exemples serviront à confirmer ce verdict, en mettant en relief quelques-unes des « déceptions » de Baïus. A propos de trois points de doctrine, la formation de l'âme par l'Esprit-Saint, l'hypothèse d'un mérite entièrement naturel, l'assimilation du libre etdu volontaire, nous allons le prendre sur le fait. A première vue, le concept de natura integra paraît correspondre assez bien, chez Baïus, au concept augustinien de mens formata. L'esprit, selon saint Augustin, ne peut être pleinement « formé » sans l'action justificatrice de Dieu in ipsa vita nostram mentent justificando formare non potest, itisi Deus De même que ce n'est pas la chair qui fait vivre la chair, mais un principe supérieur à la chair, ainsi ce n'est pas l'esprit qui fait vivre l'esprit, mais un principe supérieur à l'esprit 29. En d'autres termes, l'âme humaine n'est pas achevée, tant qu'elle n'a pas reçu la forma filiorum Dei; elle n'est vraiment a formée » que lorsqu'elle est devenue « déiforme ». Mais Augustin est bien loin de nier qu'avant d'avoir atteint ce terme, elle ne soit déjà complète, tiae Hugonis Metelli (P. L., e-pist. t. cxxxxvni, col. 1273,de1274)*. sanctissimo Eucharis~Mf/M~4- ad Gerlandum 27. sacramento 28. De Trinitate,1. III, c. XIV. 29. Confess. I. X, c. vi et xx De Civ. Dei, 1. XIX, c.

xxvetxxvi.

en un certain sens. Elle vit déjà, bien que d'une « vie informe », avant de vivre de la « vie sage et bienheureuse » elle est « vie avant de devenir « lumière ». Sevrée de tout influx de grâce, elle est pourtant, par ses propriétés naturelles, par son essence même, au moins inchoativement l'image de Dieu. Alors même qu'elle se sera positivement détournée du Verbe, lorsqu'elle ne vivra plus que d'une « vie stupide et misérable », cette image de Dieu sera déformée, effacée, mais non totalement détruite. Quoi qu'il en soit, par conséquent, d'une terminologie un peu flottante30, il semble que pour interpréter correctement la pensée de saint Augustin, l'on doive distinguer (au moins abstraitement) comme un double degré dans la formation de l'âme un premier degré, celui de la formation naturelle ou essentielle, et un second degré, celui de la formation naturelle ou spirituelle". Ces réserves échappent à Baïus. Pour lui, la nature humaine ne peut être a intègre », complète en son essence, que par le Saint-Esprit. Ne voulant connaître que le second degré de la « formation » de l'âme, par le fait même il le comprend à la manière du premier. D'où un imbroglio, qu'a essayé de démêler Scheeben « Baïus prétend qu'il n'y a dans l'homme aucune image de Dieu qui lui soit naturelle, en ce qu'elle découle des principes de la nature, et nie, par conséquent, cette image fondée sur la nature de l'homme que nous appelons naturelle; c'est comme s'il disait que notre âme n'est pas spirituelle par son essence, mais seulement psychique, au sens des gnostiques. Cependant, comme il doit se trouver dans la nature de l'homme, pour qu'elle soit entière et parfaite, une certaine ressemblance divine, le même Baïus appelle naturelle en ce sens celle qui est surnaturelle en principales explications sur la créature spirituelle formée » sont données par saint Augustin dans le De « informe» et « Genesi ad litteram, 1. I, n. 9 à 32, et plus brièvement dans les Confessions, 1. XIII, n. 2 à 6. Cf. Enchiridion, c. LI. 31. Cf. Et. Gilson, Introductionà l'étude de saint Augustin, Vrin. 30. Les

1929, p. 161 et 162.

réalité, et assure, par cela seul, non pas que ce qui est déjà formé est élevé à une forme supérieure, mais que ce qui n'a aucune forme en reçoit une par la grâce 32. » Saint Augustin montrait l'achèvement de la nature dans sa surnaturalisation. Baïus, lui, naturalise le surnaturel. Il

transforme une doctrine spirituelle en thèse d'ontologie. Et sans doute il est bien vrai que la doctrine d'Augustin a une portée ontologique mais l'ontologie de Baïus, toute physique, n'a pas également une portée spirituelle. Le fond de la pensée d'Augustin est mystique, le fond de la pensée de Baïus est naturaliste. Les formules se rencontrent, la différence est surtout affaire de perspective et d'orientation mais les dissentiments les plus fonciers ne sont-ils pas de cet ordre ? Lorsqu'un saint Grégoire écrit Anima in corpore vita est carnis, Deus vero vita est animarum33 lorqu'un saint Jean C'est dans la Trinité que l'âme de la Croix dit à son tour achève son œuvre d'entendement, de connaissance et d'amour34 », ils sont les échos fidèles de saint Augustin, parce que le mouvement de leur esprit est le même. Ils élèvent l'homme au-dessus de sa propre nature, en commençant par l'abaisser humblement devant Dieu. Le mouvement de Baïus est inverse c'est pour installer la nature en elle-même qu'ilréclame l'intervention de l'Esprit, nous avertissant d'ailleurs que, s'il le pouvait, il s'en passerait volontiers. Les dons reçus par Adam, il veut qu'ils deviennent sa propriété35. L'homme selon Baïus prétend ainsi se servir de Dieu pour développer et parfaire sa nature; une fois qu'il

«

32. Casinius, Qu'est-ce que l'homme ? Traduction Cros, 1864. Introduction par Scheeben, p. 27. 33. In Ezech., 1. II, hom. 5, 9 (P. L., t. LXXiv, col. 990). Il ajoute « Si

igitur tantae est magnitudinis ut comprehendi non possit vita vivi. ficata, quis intellectu comprehendere valeat quantae majestatis sit Vita vivificans ? » Cf. In septein Psalmos poenit. Anima, sanctae Trinitatis fide formata (P. L., t. LXXIX, col. S5i). 34. Cantique spirituel, strophe 39 (Hoornaert, t. IV, p. z32). 35. Cf. De prima hominis justitia. c. 11. « Dieu, dira dans le même esprit un auteur janséniste du dix-huitième siècle, ne peut faire un corps parfait sans toutes ses parties il ne peut faire une créature

s'en est servi, il reste homme, tout comme avant un lion ne cesse pas non plus d'être lion pour s'être nourri d'une proie humaine. Mais celui qui, dans un élan de générosité désin. téressée parti du fond de son être, se donne à Dieu, celui-là s'achève en Dieu, devient Dieu. Le premier, à supposer que l'Esprit-Saint puisse consentir à venir l'animer, ne capterait ce divin principe de vie que pour entretenir en lui la vie de la nature le second, lui, est entré dans la Vie surnaturelle. L'homme selon Baïus a donc beau reconnaître qu'il ne se suffit pas ce n'est pas humilité, ce n'est qu'une arrogance de plus, puisqu'il exige que l'Esprit de Dieu lui-même vienne lui conférer son « intégrité ». Mais en même temps cette ambition est basse car avec ce moyen surnaturel elle ne vise qu'un terme naturel, comme la vision est naturelle à l'œil30. Il est de ces hommes doublement égarés, flétris par Ruysbroeck, « qui veulent être bienheureux dans les limites de leur pure nature" ». S'il nie la gratuité de l'ordre surnaturel, c'est parce que, plus profondément, il nie la réalité même de cet ordre. Belleli n'avait donc pas si tort, malgré les cris indignés dont Saléon devait accueillir son propos, lorsqu'il disait qu'au fond, tandis que saint Augustin repousse l'idée d'un état purement naturel, Baïus, au rebours, n'en admet point d'autre. Loin de déclarer la nature pure impossi l'on entend par là un être dont la fin serait stricsible, Baïus, en réalité, la déclarait seule tement naturelle, possible. Jugement qui n'est qu'en apparence un paradoxe. On ne saurait, croyons-nous, mieux définir l'opposition de Baïus à saint Augustin 3R. intellectuelle, qu'il ne lui donne sa grâce » [Abrégé de la Sainte Bible ex forme de questions et de réponses familières, 3" éd., par le P. Dom Robert Guenard, de la C. de Saint-Maur; Rouen, 1711). Et Swerts, exposant la doctrine de Baius«.primae integritatis partes, ipsam naturam in suo esse constituentes » (apud Berti, t. VIII, p. 382). 36. Apologia S. Pont. Pio V, in propos. 21. La comparaison de la vue est d'ailleurs de saint Augustin (De gestis Pelagii, c. ni, etc.), mais elle ne porte pas sur le même point (cf. infra, Jansénius, note2g). 37. Le livre de la -plus haute vérité, ch. iv. 38. Berti prit vivement la défense de Belleli contre Saléon De theo-

Un second exemple montrera bien le genre de déformation subtile que, sans s'en douter, le disciple fait constamment subir à la pensée du maître. Dans le De meritis operum, Baïus écrit Natura humana, etiam Spiritu sancto destituta, si Dei mandata illibate servaret, esset de proemio secura39* Il s'appuie sur le texte suivant de

.si

saint Augustin Natura humani generis potest sibi sufficere ad implendam-legem perficiendamque justitiam, de praemio debet esse secura, hoc est de vita aeterna. Non enim injustus est Deus, qui justos fraudet mercede justitiae40. La ressemblance est manifeste. Mais, manifestement aussi, c'est là pour saint Augustin une supposition impossible. Cela revient à dire « Si, sans Dieu, l'homme faisait cependant œuvre divine. » L'adversaire qu'il a en vue prétend que les infidèles font vraiment le bien. Il répond S'il en était ainsi, ils auraient la vie éternelle. Mais en quoi consiste ce bien ? Il ne le dit pas ici, le disant assez ailleurs pas de bien- véritable qui, tendant à Dieu, n'ait Dieu pour principal auteur. logicis disciplinis, t. VIII, p. 422. Déjà Sylvester Maurus avait fait explicitement la même remarque à propos de Jansénius. Opus theologicum, t. 11,1. vi, tract. 7, q. 44 (Rome, 1687) « Ostenditur Jansenium solum voce tenus negasse possibilitatem puraenaturae, re autem ipsa concessisse puram naturam fuisse de facto in Adamo et in Angelis. » On voit en quel sens précis cela doit s'entendre. Car si l'on entend par état de pure nature l'état d'un être qui, sans tare originelle, ne jouit pas non plus de la grâce ni d'aucun don « préternaturel », il faut alors renverser les termes de l'opposition signalée entre Baius et saint Augustin. « Sur ce point capital des exigences imprescriptibles de la nature humaine, dit très justement le P. Boyer, saint Augustin a été mal compris par Balus et par Jansénius. » Dieu pouvait-il créer l'homme dans l'état d'ignorance et de difficulté ? Étude de quelques textes augustiniens, dans Gregorianum, jan.-mart. ig3o. Cf. GILSON, op. cit., p. 184-186. Mais les deux problèmes doivent être soigneusement distingués. Trop de théologiens les confondent encore, au moins en pratique (De Rubeis est un des rares auteurs qui aient su éviter cette confusion De peccato originali, c. Li-Liii; 1757). Sur le sens de la fameuse proposition 55, cf. X. LE BACHELET, loc. cit., col. 71-73. 39. L. II, titre du chapitre m. Cf. ch. II « Bono operi, non ex praevia aliqua dignitate operantis, sed ex natura et qualitate boni operis, vita debetur aeterna. » Et Apologia, in prop. 42. 40. De natura et gratia, c. II.

Augustin n'accepte donc l'hypothèse que parce qu'elle est formulée par l'adversaire procédé de discussion légitime, et courant. Mais il la tient, en soi, pour inconcevable, pour contradictoire. Tandis queBaïus, ne voyant dans l'inhabitation du Saint-Esprit, dans l'élévation surnaturelle, dans l'adoption à l'état d'enfant de Dieu, qu'une pure condition extrinsèque permettant à l'homme de réaliser l'acte méritoire (sans influence aucune sur la nature de cet acte)~ peut poser une telle dissociation comme parfaitement pensable, sinon réalisable en fait. Elle ne le choque pas. Tout mérite n'est-il pas, à ses yeux, naturel ? et, de même, toute justice ? Le « surnaturel » n'est jamais que dans le mode pour Adam, simple condition extrinsèque pour nous, de plus, gratuite et miraculeuse. Mais, quelles que soient les collaborations divines, le résultat est tout humain 41. C'est par une erreur analogue, enfin, que Baïus pense reproduire l'enseignement de saint Augustin sur la libertés L'un et l'autre établissent une équivalence entre le « libre )' et le « volontaire a. Mais Baïus prononce < Tout ce qui est volontaire est libre a, tandis que saint Augustin disait « N'est volontaire au plein sens du mot que ce qui est libre: seul l'acte libre a vraiment le droit d'être appelé volontaire. On voit la dinérence l'un définit la volonté par la liberté~ l'autre fait l'inverse. Saint Augustin dira, par exemple Fo~MM~~ nostra, nec voluntas esset, nisi esset in ~o~ra potestate. Ou encore IHc~ aMMMa~, quidquid /
/M~

4t. De ~tMa A<7?M<Mt~ c. VI (« quod vera justitia fuerit primo homini naturalis ))), ix, x, xi. De meritis c~~MM, 1. II, c. ni. ~<7&~M, in prop. 2 am « Opera sanctorum. non ulterius egent gratia Christi, ut sint vitae aeternae meritoria, sed illis sufficit gratia, quae ~<ï~c~<< ut fiant. » 42. De libero arbitrio, ]. III, c. III; De duabus anim., n. 17. On peut

la voulant reconnaître que dans l'exercice d'une royale liberté. Qu'on juge, dès lors, s'il aurait pu écrire: Quod voluntarie fit, etiamsi ex necessitate fiat, libere
(A suivre.)

HENRI DE LUBAC.

consulter à ce sujet A. Martin, Augustini ~A<7<w~t< p. S, c. xt.vnxux (éd. J. Fabre, :863, p. 656-662), et J. Martin, Saint ~M~M~tM, 2" éd., p. iy6-tyo. 43. Proposition 3g. 44. Nous supposons l'interprétation classique, d'ailleurs conforme à la doctrine générale de saint Augustîn. En réalité, cette maxime se rapporte non à l'amour de Dieu, mais à l'amour du prochain Marie Comeau, Z.'cz~M
NOTES ET MÉLANGES

BÉTHANIE AU DELA DU JOURDAIN TELL EL MEDESCH OU SAPSAS ? libelli. Qui'oserait nier, après expérience, qu'il se dessine, jusque dans les austères problèmes de la topographie Habent

~Ha

palestinienne, des courants d'opinion, on serait tenté de dire irrespectueusement des modes? Aucun exégète n'ignore aujourd'hui la brillante identification proposée en 1908 par le P. Féderlin, des Pères Blancs de Sainte-

Anne, pour la Bétlaanie d'au delà du /~«~M. A 3 km. 5oo du gué de GAf~w~, aujourd'hui pont Allenby, à gauche de la route d'Es-Salt et d'Amman, sur la rive septentrionale de l'ouady Nimrin, le persévérant explorateur remarqua une colline arrondie, Tell el et, à i5omètres à l'est du Tell, les ruines d'un gros village. Pour le P. Féderlin, c'est la Béthanie transjordanique. Voici la fin de sa démonstration « Dans les premières pages de cet article, discutant les données topographiques fournies par les textes de l'Évangile, j'ai démontré que ces textes affirment 1° l'existence de Béthanie sur la rive orientale du Jourdain; 2° qu'ils obligent à chercher cette localité dans la partie déserte du Ghôr et à proximité du fleuve. Les textes sacrés nous obligent, nécessairement, à chercher Béthanie dans le voisinage du gué central de Judée; dans le désert, le Précurseur ne pouvait trouver que là de nombreux auditeurs juifs; là seulement, il pouvait sans péril baptiser dans le fleuve 3° ce n'est qu'au gué de Ghoranyé et dans le delta du ouady Nimrin que saint Jean pouvait montrer des pierres aux pharisiens. « Tell el Medesch et les environs, réalisant toutes les conditions exigées par le texte sacré, et ce village ruiné étant le seul qui existe à proximité du gué de Ghoranyé sur la rive orientale, le seul qui soit si près du fleuve dans toute la Pérée méridionale, l'identification du Kh. Tell el Medesch avec Béthanie me paraît s'imposer avec toute la force de l'évidence(2?<MM~
~<

i. En réalité, le pont Allenby est au km. 64,500 et le Tell el Medesch est en face du km. 6t, soit à 3 km. 5oo du fleuve à vol d'oiseau, la colline est plus rapprochée du fleuve.

rapprochée du Neuve. L'identification du R. P. Féderlin est donc très plausible, sans être encore confirmée par l'onomastique locale o (Évangile selon M<~ /MK, 1925, p. 39). Le P. Lagrange a-t-il senti par la suite fléchir cette demi-assurance? Dans l'Évangile de Jésus-Christ il écrit avec plus de circonspection « li y a quelque chance de reconnaître ce lieu au pied d'une ruine, le Kh. ~-y
7~<<-A.

(~

cette vallée, une colline la surplombe, où sont les ruines d'un édifice qui fut sans doute une église. Du gué on atteignait facilement ce point retiré, où a pu exister aussi quelque petit village. Cela convenait idéalement à Jean-Baptiste, qui y trouvait la possibilité d'y réunir des élèves et de les mener au fleuve pour le baptême. C'est là, dès lors, qu'il faudrait supposer l'emplacement de la Béthanie transjordanique (les Itinéraires de /<~M, éd. française, Payot, ig3o, p. 127. La première édition allemande C~e und Wege /~M est de 1924). Là, c'est-à-dire sur la rive méridionale de Kharrar, et non pas sur la rive septentrionale de l'ouady Nimrin. Entre les deux sites il y a une distance de 7 ou 8 kilomètres. Nous avons également la satisfaction.de constater que, dans la carte de leur Saint Luc, les PP. Valensin et Huby situent Béthanie juste en face de Jéricho, par conséquent sur les rives de l'ouady el Kharrar. Nous écrivions nous-même en 1922 « Ces données, assurément très divergentes, semblent néanmoins établir que, dès le cinquième siècle, on localisait le théâtre oriental du ministère johannique dans. une zone assez restreinte, CK face du Qasr el Fc/~K~, soit à 7 ou 8 kilomètres au nord de la mer Morte. Comme il n'y a pas de raison pour suspecter cette tradition, il est permis de conjecturer que Béthanie se trouvait .!M~ quelque point de cette zone, à une faible distance dit Jourdain » (Saint Jean-Baptiste, p. 219-220). Et après avoir discuté la thèse de 7~ ~y~M~A, nous ajoutions « Ces diverses raisons conseillent de s'en tenir de préférence aux données des premiers pèlerins, en continuant de situer Béthanie quelque part en face de Béthabara » (ibid. p. 221), nous voulions dire la Béthabara palestinienne de la carte de Madaba. Enfin, parlant de la grotte de Sapsafas ou Sapsas, où la tradition byzantine vénérait le centre du ministère de saint Jean-Baptiste en Transjordanie, nous disions « Cette identification est désormais acquise. Sapsafas ou Sapsas se trouvait donc sur la rive orientale du Jourdain, à un peu plus d'un kilomètre du fleuve, au sud du ouadi Kharrar, le Chorath des anciens» (ibid. p. 3c)~). Depuis que ces lignes sont écrites, une étude plus approfondie du sujet nous avait conduit à deux conclusions qui se formulaient avec une netteté grandissante la première est que l'identification de Béthanie avec le Tell el Medesch de l'ouady Nimrin était dépourvue de tout appui traditionnel et évangélique; la seconde est que Béthanie devait être cherchée sur la rive méridionale de l'ouady el Kharrar, à Sapsas, lieu où la tradition byzantine gardait le souvenir du ministère joannique.

l'a~

Des circonstances nouvelles, dont il sera fait mention tout à l'heure, nous ayant amené naguère à reprendre une fois de plus l'étude de ce problème, it nous faut redire brièvement sur quelles raisons ces deux conclusions sont appuyées.

I. Béthanie

ne saurait être Tell el

~~C~

– don-

F~M~ Nimrin.

Dans un problème où la tradition est appelée à fournir les nées principates, on est surpris de constater que l'identification de Béthanie avec Tell f/ ne peut aUégupr aucun témoignage traditionnel. Pas la moindre indication, pas la moindre suggestion, pas la moindre référence ancienne ou tardive. Le P. Féderlin le reconnaît, il a été le premier à chercher et à découvrir Béthanie en ce lieu. Si l'endroit a été vénéré, comme il le suppose, il n'est resté aucune trace de ce culte, dans le récit d'aucun pèlerin, au cours des dix-neuf siècles écoulés. Cette carence absolue de la tradition ne paraît pas avoir impressionné l'heureux explorateur du ghôr, tout à la joie de sa découverte. Mais on s'étonne que les topographes venus après lui, habitués qu'ils sont à passer au crible de la critique les titres de toutes les identifications bibliques, ne se soient pas montrés ici plus exigeants. On s'étonne d'autant plus que l'identification nouvelle s'écartait d'un ensemble de témoignages anciens qui tendent à fixer ailleurs le souvenir de Béthanie, et précisément sur les bords de t'f~M~y ~/Mrfor. A ce silence de ta tradition, tes partisans de Telle! Medesch croient trouver une compensation dans les données de t'évangiie relatives au ministère de saint Jean-Baptiste. Le P. Féderlin « allègue la proximité du gué principal (du Jourdain), appelé Ghoranyé, )a présence de pierres dans le lit du ouadi Nimrin, par-dessus tout, les ruines d'un ancien v illage, ce !?7~e étant le seul qui existe à proximité du gué de GAp~Mt'C ~M/' la rive orientale )) (.S<MM< Jean-Baptiste, p. 220). Ce raisonnement présuppose un principe qu'on retrouve exprimé à peu près dans les mêmes termes chez tous les partisans de 7W/ « Le Précurseur prêchant à proximité du Jourdain ne pouvait le faire pratiquement que dans le voisinage du gué principal » (P. Féderlin, op. cit., p. 6). Mais comment ne pas discerner le caractère précaire d'une telle affirmation aucun moment de son ministère, saint Jean-Baptiste ne nous est montré installé sur le bord des chemins, évangélisant les voyageurs de passage. Les commerçants et les nomades eussent peut-être fait d'assez médiocres auditeurs. Le Précurseur évangélise dès l'abord les foules accourues tout exprès pour l'entendre. C'est pour lui qu'on venait du pays de Judée, de Jourdain arrose. Les pèlerins Jérusalem et de tout le pays

A

accouraient par groupes et par catégories pharisiens, publicains, soldats, foules anonymes. A ces hommes venus de loin, je le répète, tout exprès pour voir et entendre le Précurseur, peut-être le Messie, que pouvait bien faire une distance de quelques kilomètres de plus ou de moins?De vulgaires caravanes, chargées de blé ou de tében, eussent hésité à faire un coude hors de la voie principale. Mais des Juifs, stimulés par la fièvre messianique, se fussent rendus, pour rejoindre leur Messie, au sud de la mer Morte, par delà les plateaux de Moab, n'importe où. Sur les bords de l'ouady el Kharrar, à quelque sept kilomètres au sud du Ghoranyé, le Précurseur était loin d'être inaccessible et il était loin de se dérober. Passé le Jourdain, au gué principal, si l'on y tient, les pèlerins s'engageaient dans l'agréable jungle de saules et de tamaris; en une heure et demie, ils étaient en vue du A*A<< et ils voyaient sur la berge abrupte se profiler la. silhouette ascétique du prophète, fils de Zacharie. Hâtons-nous d'ajouter à supposer qu'ils aient franchi le Jourdain au Ghoranyé, le gué principal, et non pas à l'un des deux ou trois gués secondaires qui s'échelonnaient en aval du fleuve; ou bien encore, à supposer qu'une barque de pêcheur ne se soit pas trouvée là dès cette époque, pour exploiter commercialement le mouvement populaire, ou, si l'on préfère, pour le seconder avec un religieux désintéressement. Aujourd'hui les quelques pêcheurs qui surveillent le poisson succulent du fleuve rendent gracieusement ou moyennant bakchiche ce service au pèlerin. Ces barques existaient déjà au sixième siècle, car le mosaïste de Madaba n'a pas jeté en travers du fleuve ces deux énormes avirons pour le seul décor esthétique, parmi les poissons qui évoluent dans les eaux saintes. Peut-être, au temps du Précurseur, les mêmes besoins avaient-ils été satisfaits de la même manière. En tout cas, la localisation de Béthanie est indépendante de la position des gués. Le P. Féderlin tirait argument, en faveur de Tell el des pierres qui remplissent ou bordent l'ouady Nimrin, pierres, disait le Précurseur, que la puissance divine pourrait changer en fils d'Abraham. Remarquons que la parole a été dite de l'autre côté du Jourdain, en Palestine, dans le désert de Juda. Mais, à supposer qu'il fallût lui trouver un répondant en Transjordanie, il va de soi qu'àce point de vue, un ouady en vaut un autre, et que l'ouady el Kharrar, comme tous les cours d'eau, a roulé et poli galets et quartiers de roche. Précisément la butte de Sapsas, dont il sera parlé bientôt, garde encore les arasements d'un mur circulaire fait de grosses pierres du torrent; et Daniel l'higoumène écrivait poétiquement « Là se trouve un beau torrent plein d'eau qui coule sur des cailloux vers le Jourdain. »

~A,

Enfin les partisans de Tell el Medesch font état des ruines byzantines qui surplombent la colline au nord-est, '< ce village étant le Cet argument seul qui existe à proximité du gué du Ghoranyé )). à son tour perd de sa force du fait que nous venons de découvrir sur la rive gauche de l'ouady el Kharrar les vestiges d'un village important, demeuré jusqu'ici inconnu.

II. Béthanie est le

A'Ai!

Cette identifiSapsas de Z'CKa~ cation s'appuie sur une série de témoignages qui vont du sixième au quatorzième siècle. Ces textes, déjà publiés pour la plupart dans Saint jean-Baptiste, doivent être examinés ici de nouveau 2. Le premier en date est peut-être celui de la carte de Madaba, qui, à l'est du Jourdain, en face de Jéricho et du monastère de saint Jean (en grec le Prodromos, en arabe le (7a~ Fc~cM~), figure deux petits ronds superposés avec l'inscription ~~c~ ~M est maintenant .Sa~.M/<M, A!vûM ~Oz wv b XomsK~x~. La présence d'Enon en cet endroit a de quoi nous surprendre. Le quatrième Evangile nous apprend qu'après son ministère en la Béthanie transjordanique, le Précurseur repassa en Judée et alla s'établir à .~EwM près de ~a~~ (111, 23, 26). La tradition du quatrième siècle fixait ~Enon à huit milles au sud de Beisan-Scythopolis, et nous avons cru naguère le retrouver d'une manière précise à Ain ~-Z?~ (Saint /MK Z~~M~,p. 221-229). Comment donc le mosaiste de Madaba a-t-il pu localiser en Transjordanie un site notoirement palestinien ? La première pensée qui se présente, c'est que le mosaiste a commis une confusion grossière. Mais on s'aperçoit bien vite que cette inculpation n'est pas recevable, attendu qu'il connaît et distingue deux tEnon, celui de Transjordanie qu'il identifie avec Sapsafas, et celui de Palestine, proche de Salem, A!'i'M'< s~u; roC SxX~. 11 est vrai, ce dernier est par lui situé à quelque distance au nord de Galgala, beaucoup plus bas que ne le faisait la tradition du quatrième siècle. Mais cette différence importe peu au sujet qui nous occupe. Il suffit que le mosaïste connaisse un ~Enon palestinien pour le disculper de l'avoir confondu avec l'~Enon transjordanique. S'il n'y a pas eu confusion, comment l'artiste a-t-il pu créer de toutes pièces cet ~Enon d'au delà du Jourdain? Voici l'explication qui nous paraît la plus satisfaisante. Le nom de Béthanie ne résista pas à la critique d'Origène il semble que, dès le troisième siècle, il ait disparu de l'onomastique locale, bien qu'il se perpétuât dans la plupart des manuscrits du quatrième évangile. Dès lors, comment Nous sommes redevable à l'obligeance du R. P. Abel, 0. P., de quelques indications précieuses. 2.

désigner le lieu où le Précurseur avait exercé son ministère ? Le nom de Béthabara eût dû recueillir l'héritage de Béthanie, comme il l'a fait en Origène, Eusèbe, saint Jérôme, saint Chrysostome. Mais le mosaïste se privait volontairement des avantages de cette succession, en disposant du vocable pour la berge occidentale du Jourdain. Pour une raison qui nous échappe et qui devait lui être personnelle, il écrit en toutes lettres le nom de Béthabara le long du Jourdain, entre le fleuve et le couvent de saint Jean-Baptiste, peutêtre, comme le pense le P. Abel, parce que cet endroit était (( connu sous le nom de Z~A '~l~araA, c'est-à dire lieu du ~MMgc )) (~~H~ Biblique, 1913, p. 240), en souvenir du passage des Hébreux. A défaut de Béthabara, comment dénommer le site joannique? Peut-être l'artiste a t-il pensé ne pouvoir mieux faire que d'étendre l'appellation évangélique d'Enon à cette localité devenue anonyme. Il est possible que la similitude des lieux ait favorisé cette identité des vocables. ~E~~ signifie les sources ou un endroit pourvu de sources. Sapsas était par excellence un ~K~K, autant et plus que son homonyme de Palestine, puisque, dans un espace restreint, une dizaine de sources jaillissent sous le berceau des saules ou parmi les fourrés des roseaux. Pour distinguer les deux localités joanniques, le mosaïste se donne la peine de préciser que la première est proche de Salim, comme le disait la notice du quatrième évangile (III, z3), et que la seconde se dénommait de son temps Sapsafas ou le Saule. De toute manière, il est hors de doute est un vocable joannique, impliquant une référence au ministère du Précurseur. Remarquons que la carte de Madaba ne figure en cet endroit ni monastère ni église. Nous en concluons qu'à cette date, il n'y avait encore ni l'un ni l'autre. Mais on y voit deux petits ronds concentriques. Les interprètes de la mosaïque pensent qu'ils représentent la grotte de saint Jean-Baptiste qui était vénérée à partir de ce même sixième siècle. Ne représentent-ils pas plutôt le mamelon de .Sa~M, appelé aujourd'hui djebel mar Elias, montagne de saint Élie ? Dans cette hypothèse, le petit rond intérieur aurait pour fonction de dessiner la perspective de la hauteur. Une troisième hypothèse consiste à dire que le petit rond, pareil à un œil, figure la source (~K) principale du lieu. Un détail du dessin, relevé par le P. Maurice Gisler, et omis par la plupart des reproductions, favoriserait cette interprétation. Une sorte de coin enfoncé dans le petit rond inté~ rieur, lequel est de couleur verte, pourrait représenter une source jaillissant de la verdure. Bien que la carte ne figure pas de torrent en cet endroit, ~EnonSapsafas se trouve bien dans les parages du Kharrar, puisqu'il fait

qu'c~

face à Jéricho et au monastère de saint Jean. Ses environs immédiats, au nord et au sud, devaient être des fourrés, comme semblent l'indiquer les deux arbustes, jetés là avec une naïve gaucherie par le mosaïste. Plus éloquente encore la figuration d'un lion lancé à la poursuite d'une gazelle effarée. La gazelle, sur le point d'être atteinte, tourne peureusement la tête vers le lourd fauve, dont il ne subsiste que les deux massives pattes de derrière et la queue en bataille Le commentaire que nous demandions inutilement au mosaïste trop sobre nous est offert dans le Pré spirituel de Jean Mosch. Il y est raconté qu'un moine du monastère d'Eustorge, près de Jérusalem, se rendant au Sinaï, fut contraint par la fièvre de s'arrêter à un mille du Jourdain. S'étant retiré dans une grotte, il y fut favorisé de deux apparitions de saint Jean-Baptiste qui lui enjoignit de se fixer en ce lieu, plus illustre que le Sinal, dit le saint, car « le Seigneur Jésus y est entré souvent pour me visiter H. Le moine obéit. Il transforma la grotte en une église qui devint bientôt le centre d'une confrérie ou d'une laure, Tco~M; Tb c~~ancv exMvo sxx~T,
Les siècles suivants ont continué de vénérer ce même souvenir Épiphane (787 d'après Diekamp 840 moine lieu. Le même ce en d'après Rohricht) écrit « Au delà du Jourdain, à trois milles environ, il y a une grotte où habitait le Précurseur. H y a le lit où il se reposait, banc naturel du rocher même de la caverne, et une petite voûte. II y a une source hors de la caverne. Et sous la voûte Jean le Précurseur laquelle baptisait dans saint est une source, (P. G. CXX, 269). L'higoumène Daniel, en 1106, écrit poétiquement: « A deux portées de flèche vers l'Orient est aussi la grotte de saint Jean-Baptiste. Et là se trouve un beau torrent plein d'eau qui coule sur des cailloux vers le Jourdain; son eau est très froide et très agréable au goût, et c'est l'eau que buvait Jean, le Précurseur du Christ, quand il habitait cette grotte sacrée M (éd. Khitrowo, p. 20). Jean Phocas en 1187 « A deux jets de Sèche coule le Jourdain. Près de la rive, à un jet de pierre, est un édifice élevé sur une quadruple voûte, autour duquel coulait auparavant le Jourdain et où descendit nu celui qui revêt les cieux de nuages. En face du ~M~c du baptême s'aperçoivent les touffes d'arbres, où se trouve la caverne du Précurseur » (P. G. CXXXIII, 952, 953). Nicéphore Calliste (quatorzième siècle), d'après une source du onzième siècle, nous a conservé des données intéressantes sur les édifices construits en ces lieux, bien qu'il les attribue à l'impératrice Hélène. « Elle (l'impératrice) gagna le Jourdain où le Christ fut baptisé; elle le traversa et trouva la caverne où le Précurseur avait habité elle y bâtit une église du nom de Jean le Baptiste. En face de la caverne est un lieu plus élevé duquel saint Élie fut enlevé au ciel elle ordonna d'y bâtir un temple très majestueux au nom du prophète Elle et alla à la ville de Tibériade. » (Publié par Nau, R. O. C. 1905, i65). Nous sommes partis du sixième siècle, comme d'un terrain ferme. et nous sommes arrivés à la fin du douzième ou du quatorzième, époque à laquelle le souvenir du Précurseur en Transjordanie sombre dans le malheur des temps islamiques. Constatons que, durant ces huit ou neuf siècles, la tradition est constante et qu'elle n'a pas de rivale. Elle vénère le lieu du séjour et du ministère de saint Jean-Baptiste sur la rive gauche de l'ouady el Kharrar, à. une assez faible distance du Jourdain, dont l'évaluation varie entre un, deux et trois milles, au point dit Sapsafas ou Sapsas. M. Heidet la résume en termes excellents « La nature des lieux, les distances, les caractères des ruines, tout est trop bien la reproduction des descriptions de la tradition pour que l'on puisse' hésiter et se méprendre H (Z~ de la Bible, ~fA~t~a, I, 165o). Le P. Abel avait M

dit aussi « Il s'impose de rechercher ce nouvel tEnon à l'est du Jourdain, en face du Qasr el-Yehoud » (R. B. i9i3, 242). A ces déclarations il manque seulement la conclusion dernière, qu'il semble que divers auteurs ont entrevue sans !a formuler distinctement. Cette conclusion, la voici Puisque le site du ministère transjordanique du Précurseur s'appelle dans le quatrième évangile Fe
sixième siècle ? Est-elle due à l'imagination ou à la piété de ce moine gyrovague dont nous parle le Pré spirituel ? D'après le récit de Jean Mosch, le moine uurait d'abord séjourné dans la grotte, sans se douter qu'il y avait été précédé, cinq siècles auparavant, par le Précurseur. C'est une vision qui lui révéla la vérité insoupçonnée. Peut-on ajouter foi à une vision du Pré spirituel ? Le lecteur qui n'aurait pas de peine à croire à la réalité de l'apparition en conclurait qu'après un temps d'oubli, la chrétienté palestinienne retrouva miraculeusement en ces lieux un souvenir authentique qu'elle n'aurait jamais dû perdre de vue. Le critique qui n'admettra pas le caractère surnaturel de cette histoire conclura seulement que Jean Mosch a donné un tour poétique à une réalité plus modeste. Sans doute y avait-il déjà de son temps une tradition dans les milieux monastiques des laures du Jourdain. Le moine venu du monastère d'Eustorge ne fut pas l'initiateur de la tradition, mais seulement du culte et de la vie érémitique en ce lieu. C'est un genre littéraire, pratiqué par quelques auteurs pieux, à différentes époques, d'attribuer à une vision ou à une révélation les initiatives dues à un mouvement ordinaire de la nature ou de la grâce. Cette interprétation serait la véritable, s'il était confirmé que la carte de

Madaba était antérieure au Pré spirituel. Un fait du moins est constant, c'est qu'aucun des pèlerins suivants n'élève le moindre doute,. ne laisse voir la moindre hésitation sur la tradition de Sapsas ou duKharrar. C'est pourquoi nous disons tradition constante depuis le sixième siècle, et peut-être antérieure au sixième siècle. Pouvons-nous, en restant sur le terrain ferme des faits, dépasser cette conclusion et remonter plus haut vers les origines?Ici se présente à nous la tradition des cinquième, quatrième et troisième siècles sur Béthabara. Contentons-nous, pour le moment, d'enregistrer les textes sans en tirer de conséquences. Saint Jérôme mentionne Béthabara au delà du /C~'<~[KM,
CM~ M'

/M~,

.du Jourdain, près de la rive du Jourdain, qui aurait été le théâtre du ministère de saint Jean-Baptiste, où l'on raconte que /MM avait baptisé. Ce n'est pas sortir des vraisemblances de conjecturer que les trois

docteurs, Origène, Eusëbe et Jérôme, veulent parler du même site, appelé par eux Béthabara de préférence à /MM!c. Où se trouvait cet endroit? Il est bien dommage que ces maîtres de l'histoire et de la géographie palestiniennes ne nous aient pas fourni quetques précisions de plus. En l'absence de toutes autres indications circonstanciées, nous ne donnerons pas comme certain que Béthabara soit à chercher sur les rives de l'ouady el Kharrar. Mais cette conjecture ne manque pas de probabilité aucun autre point du territoire transjordanique, proche ou éloigné du fleuve, n'a jamais revendiqué l'honneur de cette identification; le vaste terrain en face du Qasr el Yekoud, propriété des Grecs orthodoxes, qui va du Jourdain aux sources de l'ouady el Kharrar, est encore aujourd'hui appelé Béthabara par ses propriétaires et par les tribus circonvoisines. Ajoutons que le souvenir du baptême de Jésus, aussi loin que la tradition remonte (quatrième siècle), a toujours été fixé à ce point du Jourdain entre le Qasr el Y~/MM~ et l'ouady el Kharrar, et que les souvenirs relatifs au Précurseur, dès qu'ils sont localisés avec quelque précision, aussi bien en Palestine qu'en Transjordanie, nous ramènent à ce même endroit du fleuve sacré, ou à ses abords immédiats, sur l'une et sur l'autre rive. C'est proprement la zone du baptême de Jésus et du ministère de son Baptiste. Et il n'y en a point d'autre. Concluons il faut tenir pour certain que la tradition, du sixième au quatorzième siècle, a vénéré sur les bords de l'ouady el Kharrar, à Sapsas, le ministère transjordanique du Précurseur, autant dire la Béthanie au delà du Jourdain; et il est probable que cette identification remonte, au delà du sixième siècle, jusqu'au quatrième et jusqu'au troisième. Prévoyons une question qui, du reste, se pose à propos de n'importe quelle résurrection de cette Béthanie. Comment expliquer que le nom d'une localité si glorieuse soit si vite tombé dans l'oubli? Quelle que soit l'explication, le fait est là, le nom n'est pas resté. Faut-il rappeler tant d'autres analogies de ruines à jamais déchues de leur antique noblesse onomastique? Ceux qui sont heureux de trouver à des faits de cette sorte quelque semblant de raison, aimeront peut être à conjecturer que la Bétbanie de Lazare, de Marthe et de Marie a tué dans la mémoire des chrétiens la Béthanie de Jean-Baptiste. Le nom de Béthanie fut remplacé au troisième siècle, nous l'avons

vu, par celui de Béthabara. Au sixième siècle, Béthabara s'éclipse à son tour, et l'on ne sait plus donner à ces lieux que des vocables vulgaires ~EM<w, !e~ sources, ou Sapsalas, le saule". ~EM~K et Sapsafas ou Sapsas étaient des vocables trop artificiels pour se maintenir en cette solitude peu à peu abandonnée. Ils tombèrent à leur tour, et le torrent, tous ces débris emportés, ne garda plus que son vieux nom cananéen à peine détormé, el Kharrar, pendant que la plaine de son estuaire reconquérait le vocable sonore qui lui est resté, 7?e~
Ici je dois faire un aveu pénible. Depuis près de vingt ans consacrés à l'étude du saint Pré-

III. jE'c/'<~
curseur, il ne m'avait pas été donné de visiter ces lieux réputés à peu près inaccessibles. J'enviais l'intrépidité du R. P. Féderlin et de ses Pères Blancs qui, en 1890, avaient réussi à visiter ces parages, celle de M. Dalman et des membres de l'école allemande qui les avaient traversés en ioj3 (Z~Z<M~M/<~Z'M~, 1913, p. 24). J'étais réduit, pour mon compte, à attendre des jours meilleurs qui me permettraient d'aller vérifier sur place la valeur des conclusions établies au seul contact des textes. L'an dernier, je m'étais déjà concerté avec le vaillant P. Bonaventure Ubach, supérieur des Bénédictins de Montserrat à Jérusalem, en vue d'une expédition dans ces fourrés. Le dimanche 5 octobre ic)3o, grâce à un concours de circonstances favorables, nous avons pu, le P. Ubach et moi, réaliser cette exploration avec toute la facilité désirable. Nous l'avons dit, les Grecs orthodoxes sont les propriétaires de l'~M~~ Kharrar et des terrains circonvoisins, jusqu'au Jourdain, soit une magnifique propriété de 8yi dOunOums ou 87 hectares. La propriété entière porte le nom de Béthabara. En quoi les Grecs se montrent fidèles à la leçon préférée d'Origène, d'Eusèbe, de saint Jérôme, de saint Chrysostome, tout en se conformant aux indications du quatrième évangile qui plaçait Béthanie-Béthabara au delà du Jourdain. Incapables d'exploiter ces terrains par eux-mêmes, sollicités de ne pas les laisser davantage incultes, ils se sont décidés à les affermer pour une période de quarante-cinq ans à M. Ibrahim Kattan de Bethléem. A peine installé sur les lieux, M. Kattan a changé la face des choses. La plaine a été nettoyée de ses fourrés de tamaris et de 3. Le saule est bien le nom le plus vulgaire de cette

plaine, dont plusieurs ruisseaux portent encore aujourd'hui l'appellation arabe,

~~a~c~.

saules, et transformée en une magnifique bananeraie. En lisière de quatre mille bananiers adultes, des champs de mais, d'aubergines, de tomates, comme mus du besoin de compenser hâtivement leur millénaire infécondité, multiplient leurs fruits énormes et succulents. L'eau du Jourdain, élevée par un moteur, se répand par des canaux et des rigoles à travers ces jeunes cultures. Un jour viendra peut-être où les nombreuses sources du Kharrar, qui, actuellement, se perdent avant d'atteindre le fleuve, pourront être captées pour assurer l'arrosage parfait de la plaine entière. C'est M. Kattan et ses fils qui nous faisaient le 5 octobre les honneurs de leur exploitation de Béthabara. La route passe par Jéricho, le monastère de saint Jean, qui sera bientôt, nous dit-on, relevé de ses ruines, et l'on arrive au Jourdain, au lieu traditionnel du baptême. La barque de M. Kattan nous passe sur l'autre bord. C'est là. A cinquante pas de la rive se voient les restes d'un édicule carré, de 4 mètres de côté, bâti sur arcades, qui pourrait être la chapelle -édifiée par l'empereur Anastase (~<)i-5i8), la parva quadrala ecclesia d'Adamnanus (Geyer, 266). Souhaitons que l'on puisse prochainement dégager et étudier, comme elle le mérite, cette ruine vénérable. A quelque cent mètres à l'est, se voit un autre édicule carré, en mauvaise maçonnerie, dédié au souvenir de sainte Marie l'Égyptienne. Sans nous attarder davantage à ces vestiges plus connus, nous prenons la route de l'ouady el A'Aa~ sous la conduite de M. Kattan et de son fils aîné, Emmanuel. L'higoumène Daniel aurait sans doute quelque peine à reconnaître les lieux. L'ouady n'est plus « le beau torrent plein d'eau, qui coule sur des cailloux, vers le Jourdain n. Actuellement, environ à un kilomètre du fleuve, les ruisseaux, émanés de neuf sources diverses, qui se frayaient de timides passages à travers les fourrés de roseaux, de tamaris et de saules, disparaissent et se perdent dans le sol. Ce n'est qu'A la saison des pluies que le trop-plein des eaux de l'ouady traverse la plaine, et, endigué dans un canal de date récente, parvient jusqu'au Jourdain. L'ouady el Kharrar n'a qu'un minuscule parcours de 2 kilomètres. Nous le remontons, en suivant la berge abrupte qui le surplombe à une hauteur de 10 à 20 mètres. Tout le long de la route, le pied foule de vulgaires cubes de mosaïques blanches, qui abondent dans toutes les installations byzantines de Palestine. A son extrémité, l'ouady se bifurque dessinant les deux branches d'un V très évasé. .Sur la branche méridionale se dresse la butte autour de laquelle ~converge toute la tradition byzantine. Le P. Féderlin est, à ma connaissance, le premier voyageur

moderne qui en ait reconnu l'importance. « Après trente minutes de marche, dit-il, nous apercevons une sorte de promontoire de teinte rougeâtre et ayant la forme d'un mamelon. Sur la surface du promontoire nous trouvons des pierres de taille à moitié effritées sous l'action corrosive du sel, des poteries, des cubes de mosaïque. Impossible de retrouver les lignes exactes des constructions qui sont bouleversées cependant, à quelques pas du mamelon, nous distinguons les arasements d'une ruine carrée d'environ i:5 mètres d& côté et où les mosaïques abondent. Nous pensons qu'il y avait là un ensemble de bâtiments d'une superficie de 800 à i ooo mètres carrés de surface; des fouilles pourraient seules permettre de reconstituer le plan. Selon nous, la grotte mentionnée par Jean Mosch se trouvait dans le mamelon lui-même, car, à cause des galets et du gravier dont il est composé, à l'encontre des terres voisines, ce tertre offre de la consistance )) (Z~ Terre Sainte, 1902, p. i54, i55; p. i53, une photographie de Sapsas). Le promontoire qui, vu du nord ouest et du sud-ouest, donnerait l'impression d'une rotonde affaissée, accuse en réalité sa forme ovale, qui s'allonge du sud-est au nord-ouest il mesure environ 80 mètres de long sur 4o de large. Presque à la base, du côté del'ouest, un robuste mur assez fruste, en gros cailloux de torrent, suit la courbe de la colline sur une longueur de i5 à 20 mètres. Les pierres de taille vues par le P. Féderlin sur le promontoire ou dans la ruine voisine ne sont plus en place. Elles ont été utilisées par les Grecs orthodoxes pour trois mauvaises constructions laissées par eux inachevées. Elles ont surtout été transportées à un kilomètre du Jourdain, toujours sur la rive méridionale du Kharrar, sur la dernière terrasse qui domine la plaine et le fleuve. Les moines avaient dessein de bâtir en cet endroit un grand monastère ils en avaient tracé les fondations, y avaient amassé chaux et sable, et deux ou trois cents belles pierres de taille, arrachées aux ruines saintes du Kharrar. Etiam periere n~M. Grâce à ce douloureux ravage utilitaire, nous ne trouvons plus aujourd'hui au-dessus du sol une seule pierre de ce qui fut peut-être l'église et le monastère de saint Jean-Baptiste au sixième siècle. Il ne reste que des vestiges d'un long mur entièrement implantés en terre, au sud du mamelon, sur l'esplanade. Nous parlons d'une église au singulier, d'après Jean Mosch. Si l'on peut s'en rapporter à Nicéphore Calliste, il y aurait eu en réalité, presque côte à côte, deux églises celle de saint Jean-Baptiste élevée au-dessus de la grotte du Précurseur, et celle de saint Elie, bâtie « en face de la caverne le monticule de son ascension au ciel.

sur

Nicéphore Calliste est le seul auteur qui place nettement la grotte hors du monticule. Si elle n'en faisait point partie, elle devait s'ouvrir à quelque distance dans la berge marneuse du torrent, où l'on voit encore, de-ci de-là, quelques cavernes, qui semblent avoir été des cellules d'ermites. Aujourd'hui qu'ont disparu tous les vestiges visibles de ces constructions, seules des fouilles intelligentes parviendraient à projeter un peu de clarté dans le chaos des textes et des ruines. Le monticule porte présentement le nom de djebel mar Elias, montagne de saint Élie. Nous savions qu'au début de son ministère, le prophète s'était retiré sur les bords du torrent le même sans doute que le Chorath byzantin et notre moderne el Kharrar. Nous savions aussi que le prophète, sur le point d'être enlevé, avait de nouveau passé le fleuve, et que là, en Transjordanie, non loin du Jourdain, il avait disparu sur un char enHammé aux coursiers de feu. L'enlèvement du prophète semble avoir toujours été fixé dans les parages du Kharrar. II n'en était pas de même de son séjour près du torrent, que l'on localisait au quatrième siècle dans la partie supérieure de la vallée du Jourdain (Éthérie, Geyer, 59). A partir du sixième siècle, ce dernier souvenir se déplace et va rejoindre l'autre sur les bords du Kharrar. Voici quelques textes. Le Pèlerin de Bordeaux (333) Il y a une colline sur l'autre rive, CM ~7~ fut enlevé au ciel, MOM~M/M~ in illa ripa, ubi raptus est Helias in ea~f (Geyer, 24). Théodose (53o) A l'endroit où le Seigneur /«< baptisé au delà du Jourdain, se trouve une petite montagne qui s'appelle ~l~MC~M là saint Élie fut enlevé, ibi est mons Mc~'e/M. ibi sanctus Helias raptus est (Geyer, 146). Antonin (570) Dans la même vallée se trouvait Élie, quand le corbeau lui portait le pain et la viande, in ~J
CZ~

tout disséminés, et les tessons striés de poterie byzantine. Le sol est tapissé d'un sable salé qui couvre tout d'un linceul uniforme. Au premier coup d'oeil aucune ruine n'affleure. En regardant de plus près, on ne tarde pas à discerner çà et là quelques traces de maçonnerie. I! suffit d'écarter le manteau léger de sable, et des traces de murs de maisons se révèlent un peu partout. Au sud de la butte, un mur, long d'une vingtaine de mètres, pourrait être un vestige du couvent attenant à l'église, en tout cas d'un des édifices dont parle Nicéphore Calliste. A partir de ce point, dans la direction de l'ouest, le long de l'ouady, de petites maisons s'entassent presque contiguës et sans ordre apparent. Nous en comptons dix, vingt, trente, cinquante. H n'est pas exagéré de porter le nombre à la centaine. Tout un village, que personne jusqu'ici n'avait reconnu, dont M. Dalman seul avait conjecturé l'existence. H avait écrit en 1924 « Du gué on atteignait faciiement ce point retiré, où a pu exister aussi quelque petit village » (Itinéraires, p. 124). La preuve est faite désormais, le village existait. Il suivait, étroit et allongé, la berge de l'ouady, sur une longueur de 5oo mètres environ. Mes compagnons suggèrent immédiatement l'analogie du village d'Artas, au sud de Bethléem, qui s'étage et s'étire le long de son ouady fertile. Comme Artas, le village devait avoir ses cultures dans la vallée, tandis que les maisons prenaient air et lumière sur la terrasse, de manière cependant que chaque propriétaire eût vue sur son verger. Ces vestiges de maisons évoquent tout de suite le texte d'Antonin de Piaisance « Tout autour de cette vallée il y avait quantité d'ermites, in c!y''M'<M vallis illius /MK&~M~c ~cyeM~a~K~ » (Geyer, i65). A la réflexion, on se demande si le texte convient exactement à ce village ruiné. Les ermites n'avaient pas coutume d'habiter ensemble, cellule contre cellule, à la façon des villageois. Ils demeuraient dans des cellules isolées, à quelque distance l'une de l'autre, et l'ensemble constituait une laure. On se souvient que le moine de Jean Mosch avait fondé en ce lieu une laure, et Antonin, sachant bien ce que les mots veulent dire, et que les ermites ne sont pas des moines, écrit qu'il y avait quantité d'ermites. Ces solitaires, du reste, occupaient tout le tour de la vallée, in circuitu vallis illius. Si les restes retrouvés étaient les vestiges de leurs cellules, nous devrions en retrouver de semblables tout le long du torrent, sur la rive droite comme sur cette rive gauche. Or, sur la rive droite, nous n'avons pas remarqué la moindre trace d'habitaticn, et, sur la rive gauche, les vestiges cessent, passées les ruines de ce groupement

considérable. Il semble dès lors que ces restes ne soient pas des cellules

d'ermites ni les ruines d'une laure. Ce sont proprement des restes de village. A quelle époque attribuer le village? Est-il d'une époque byzantine assez tardive? S'il est byzantin, a-t-il remplacé sur ce gracieux observatoire un village plus ancien, lequel pourrait être, par suite, de l'époque hérodienne? Nous ne pouvons le décider avant que des fouilles méthodiques ne nous aient davantage renseignés. Nous formons le vœu que cette petite exploration archéologique puisse être entreprise sans retard. En attendant, puisque ce groupement ne saurait être une laure, et puisque la présence en ce lieu d'un village byzantin n'est attesté par aucun document, nous croyons ne pas dépasser les bornes de la probabilité, en conjecturant que ces vestiges sont antérieurs à l'époque byzantine, qu'ils sont de l'époque hérodienne; en somme, que nous avons là les restes de la ~<~<~M<' au delà du Jourdain. Si cette déduction est jamais confirmée par l'archéologie, la valeur de la tradition byzantine, appuyée sur ces ruines, en serait singulièrement accrue. Ce jour-là la probabilité qui s'attache à cette tradition se changerait en certitude. Nous estimerions avoir déjà atteint un premier résultat si les spécialistes de la topographie palestinienne convenaient qu'il y a lieu de revenir sur l'identification de la Béthanie transjordanique avec Tell el Medesch et s'ils reconnaissaient l'existence d'une tradition presque millénaire en faveur de Sapsas et de l'ouady el Kharrar. Bethléem.

DENIS BUZY, S. C. J.

PETAU ET LA PRÉFACE DE SON « DE TRINITATE Petau, on le sait, a exposé à deux reprises, dans ses Dogmes <~c* logiques, la pensée des Fère& grecs sur le mystère de la Sainte Trinité aux chapitres 3-6 du livre 1er de son De Trznitate et dans la Préface dont il l'a fait précéder. L'idée qu'il en donne est d'une complexité qui a paru aller jusqu'à la contradiction. Les chapitres qui y sont consacrés au cours même de l'ouvrage produisent l'impression très nette que Petau croit avoir trouvé chez les écrivains de cette période des formules propres à énoncer l'erreur même d'Arius. Sous l'influence des doctrines platoniciennes, ils ont subordonné le Fils au Père, au point de lui attribuer une génération s'accomplissant au début du temps et faisant de lui l'exécuteur des volontés du Père.

Tum [illum] a supremo Deo ac Patre productum esse dixerunt, cum hanc rerum universitatem moliri statuit, ut iiïum velut administrum adhiberet. Aevo, dignitate ac potentia superiorem esse Verbo Patrem arbitrati sunt, ac, tametsi de Patris substantia sive natura Filium asserunt, qua una re ab caeteris, quae creaturae proprie vocantur, illius conditionem diversam faciebant, non minus tamen quam creaturas initium habuisse, hoc est, minime ex aeterno, distinctam hypostasim fuisse putarunt Aussi, lorsqu'il arrive à Arius lui-même, Petau conteste-t-il que, comme on le lui a reproché, il ait tenu un langage inouï jusque-là. En fait, lui aussi s'est mis à l'école de Platon et ce qu'il dit n'est pas uniquement de son invention on le trouve déjà chez beaucoup d'écrivains antérieurs Planissime constat germanum platonicum Anum exstitisse, tum illorum veterum secutum esse dogma, qui, nondum patefacta constitutaque re, ad eumdem errorem offenderunt. Quamobrem, quod Arium illius dogmatis architectum fuisse, cujusmodi hactenus auditum non erat, Alexander [Alexandrinus] in epistola queritur. oratorio more et per exaggerationem dici arbitror, siquidem magna est a nobis producta copia priscorum, qui idem quod Arius ante tradiderunt La préface, au contraire, se fondant sur la distinction à faire de la doctrine et de son expression, de ce qui est la substance du dogme et de ce qui en représente seulement quelques aspects secondaires ou dérivés, conclut à l'orthodoxie foncière, en matière de la Trinité, de la plupart de ces mêmes écrivains.

Complures antiquorum illorum multum a nobis diversa scripserunt verum et paucissimi illi sunt, qui in re dissentiunt a communi fide et, si sinceros purosque catholicos quaerimus, omnino nulli. In re ipsa dixi. Nam, in loquendi modo, paululum quosdam variasse. monstravimus. Deinde, cujusquemodi tandem istorum scripta et testimonia sunt, in praecipuis tamen et quae ad summam spectant mysterii totius, ut concordes invicem sunt, ita nobiscum congruunt 3. Tametsi nonnulli [suis] m libris quaedam admiscuerint haud satis sincera, quae Arianorum errori gratificari videntur, errores illi ac labes opinionum privatarum vel magis in loquendi modo quam in re ipsa consistunt. vel ad ipsam communis dogmatis substantiam non pertinent, sed ad quaedam capita illius et consequentia décréta, dum L. I, cp. v, n" 8; éd. Vivès, t. II, p. 316a. 2. L. I, cp. VIII, n" 2 éd. Vivès, t. II, p. 320". 3. Cp. i, n" 12; éd. Vivès, t. II, p. sSo".

mysterii ipsius fldeique summam, in qua omnes invicem congruunt, alius aliter disserit 4. En somme, résume-t-il alors, les quelques écrivains anténicéens signalés au 1. I", si l'on met à part les hérétiques manifestes, tels que Tatien et, dans la pensée des Anciens, Tertullien, peuvent se diviser en deux groupes 1° ceux qui, tout en tenant la foi commune et la substance même du dogme, s'en écartent sur quelques points secondaires tels sont saint Justin, Athénagore et Théophile d'Antioche,2°ceux qui, d'accord pour tout avec la doctrine actuelle, ne l'expriment pas dans les termes requis pour qu'à la rectitude de la pensée corresponde l'exactitude du langage tels sont Clément d'Alexandrie, saint Irénée, saint Grégoire de Néocésarée, saint Méthode, auxquels se peuvent joindre, pour la plus grande partie de leurs écrits, des hérétiques tels que Tertullien et Origène. 1

Ces conclusions furent très remarquées. Elles introduisaient dans l'histoire du dogme, de sa transmission et de ses énoncés, une idée d'évolution qui, jusque-là, y était à peu près totalement étrangère. Catholiques et protestants étaient également habitués à considérer la vérité révélée comme ayant revêtu dès l'abord son expression définitive et immuable. Aux mots près, elle devait avoir été également connue et formulée à toutes les époques. Les incorrections, les hésitations, les inexactitudes signalées par Petau firent donc, en certains milieux, crier au scandale. On s'y montra d'autant plus empressé à les relever qu'elles parurent fournir des armes' pour les querelles et les disputes du moment. Les partisans de Jansenius et d'Arnauld semblent avoir été les premiers s'en servir. Dès avant i65o, l'abbé de Bourzeis avait accusé le savant Jésuite de faire « nier la divinité du Fils de Dieu o à presque tous les Pères des trois premiers siècles: la fin de son tome IV", Petau lui-même dénonce ce ~~M~ illiberale mendacium. D'autres allèrent plus loin et se plurent à insinuer,que, si Petau ne professait pas luimême l'arianisme, il en faisait tout au moins le jeu. Telle fut, en particulier, l'explication que se plut à donner des conclusions de Petau l'anglican Bull dans la Defensio ~M M'MC~M (~<~M/KM, VIII, ~L

à

t. II, p. 277b. cavillationes, cp. XI, n" 9; éd. Vivès, t. VII.

4. Cp. vi, n° 1; éd. Vivès, 5

Adv.

p. 374-375.

/te~c~'t

p. 8) publiée en i685 pour tes réfuter. Les Ballerini, au dix-huitième siècle, devaient reprendre cette accusation Pour l'étayer, on allégua les relations bien connues de Petau avec Grotius le jésuite se serait laissé entraîner par le savant protestant à servir la cause des Sociniens Et les Sociniens, de fait, se réjouirent de trouver chez lui des constatations qui semblaient favoriser leur doctrine. De même, le ministre Jurieu, dans ses Lettres Pastorales contre les Variations reprochées aux protestants par Bossuet. Tout à l'encontre de l'anglican Bull, il fit siennes les conclusions de Petau sur les variations relevées par lui et s'en servit comme d'un argument contre l'invariabilité du dogme prêchée par l'évêque de Meaux. Mais il s'attira par là des réponses de Bossuet, qui vengèrent le grand théologien de toutes ces incompréhensions intéressées. Pourquoi ne tenir compte que des chapitres insérés au 1.1~ et ne pas se référer à la Préface, où l'auteur « s'explique, où il s'adoucit, où il se rétracte, si l'on veut; en un mot, où il enseigne la vérité à pleine bouche '< ? Cependant, les « explications H, les si l'on veut)), ainsi donnés, « adoucissements », les « rétractations, on en mit en doute la spontanéité et la sincérité. Petau n'y auraitil pas été contraint? A plus d'un demi-siècle de distance, l'Histoare janséniste, citée par Bayle, l'affirma: c'est la Sorbonne qui, pour autoriser l'impression, aurait exigé cette correction C'est quelque chose de surprenant et d'inconcevable de voir comment, dans ses Dogmes, il a abandonné aux Ariens les Pères des trois premiers siècles, et comment il les a tous rendus fauteurs de l'arianisme. Il est vrai qu'il crut réparer sa faute en quelque manière par une préface, que les docteurs de Sorbonne l'obligèrent de faire mais c'était mettre le remède auprès du mal et non pas le guérir. Il fallait brûler cet ouvrage infortuné et il se serait ainsi épargné beaucoup de honte. Le P. Godet a repris cette explication

il parle de « la préface, que la Sorbonne avait par prudence exigée de Petau 10 M. Mais M. Turmel, invoquant le précédent, « que le Père Morin de l'Oratoire fut obligé par l'autorité supérieure de supprimer [un chapitre]

<

dissert. II, cp. i, § t (P. L. ti. 86B). 7. Bruit rapporté par RicmRD SIMON, qui n'y croit pas; Lettres choisies, 4; t. I, p. 21. 8. Avertissements aux protestants, vi, n° 100; voir aussi n° iot-io3 et I, n'' 28. 9. Dictionnaire hist. et crit., t. II (t72o), p. 2268, note C. du dogme, dans ~
f/t!

dans son traité de la Pénitence », a préféré faire intervenir les supérieurs mêmes du P. Petau. Il est probable que le De Trinitate de Petau était déjà imprimé quand les supérieurs en purent connaissance. Du moins on ne voit guère d'autre explication au fait que les appréciations sévères du premier livre. ne soient l'objet d'aucun adoucissement, d'aucune atténuation dans l'ouvrage lui-même et que la préface produise donc l'impression d'une rétractation, composée à un moment où la rédaction du De Trinitate ne pouvait plus être corrigée, c'est-à-dire in

extremis

Pas plus que la précédente cependant, cette suggestion n'est accompagnée d'aucun commencement de preuve. Sans y regarder davantage, l'abbé Jules Martin va encore plus fort il écrit carrément que « Petau publia sa Préface, au bout de six ans, en i65o, avec le traité de l'Incarnation~)). Non la Préface parut dès 1644, en tête du tome II, et, recherches faites aux meilleures sources, il n'y a pas trace dans la correspondance des supérieurs de Petau d'une difficulté quelconque au sujet de son ouvrage. Aucune trace non plus d'une intervention des docteurs de la Sorbonne. Petau n'avait pas à leur demander une approbation quelconque; son livre De la pénitence publique et de la préparation à la communion, paru la même année que ses Dogmes théologiques, n'en porte aucune Arnauld et Hermant 14 le relèvent et s'en font une arme contre ce qu'ils appellent sa prétention à régenter ses lecteurs. Petau reste donc bien le vrai et le seul responsable de ses conclusions sur la doctrine des Pères anténicéens; pour les apprécier, il s'impose de les considérer telles que luimême les présente dans son ouvrage.

II Or, s'il est vrai que sa Préface, comme il arrive d'ordinaire, suppose le livre déjà fini, il est néanmoins facile de constater qu'elle ne se présente nullement comme un appendice destiné à le corriger. Les explications générales qu'il y donne sur l'interprétation Quelques Zt<~<MC.f éminents de l'Église de France: Rev. C~. fr., t! janvier 1902, p. 370-381. 12. Les grands théologiens: Petau (tOto), p. l3. t3. La tradition de l'Église sur le sujet de la ~M?'<<'MC< et de la fré~MCM~ communion (të~), p. 5. 14. Mémoires, t. I, p. 233. 11.

des inexactitudes relevées chez les écrivains anciens sont si peu imaginées par lui après coup qu'il en avait posé le principe dès son introduction générale atout l'ouvrage. Parmi les précautions à prendre dans l'utilisation des Pères, il avait d'abord signalé la vigilance à ne pas les noter trop vite d'erreur A~ ~M7~ illos, ac nisi magno cum judicio notemus erroris; sed, si ~M eorum libris ~~KK~Mr ambigue dicta ~.fCM~S~MC ~
tio. » Ibid. 20. < Eae velut generales erunt regulae, in quas intuens et intendens oculos theologus complura, quae apud eos absona et interdum quoque pugnantia secum ac fidei contraria catholicae specie prima videntur, explicabit facile ac tam se ab errore quam illos ab foedissimae labis suspicione vindicabit.(Éd. Vivès, t. II, p. t0'').

lettres, s'expliquent par le manque de précision qui, de leur temps, régnait encore dans l'énoncé de ce mystère Ut erant tempora, nondum mysterio illo satis liquido cognito, nonnulla periculose dicta /c<MM< Et il cite à ce propos les paroles de saint Jérôme et de saint Augustin constatant, eux aussi, les imprécisions ou les inexactitudes de langage qui caractérisent les époques antérieures En même temps, aux discussions que font surgir les hérésies comme il le fera dans la Préface, il distingue, pour ceux des anténicéens qui furent vraiment catholiques au moins quelque temps, deux catégories de passages répréhensibtes les uns trahissent quelque réelie erreur, les autres ne pèchent que contre la rectitude du langage Plerosque constat de Sanctissima Trinitate ~<7M~

~MMt& genere ipso KfW~A~ ad CM/M !M~C~ videri more sensisse, posse. C'est dans cette dernière catégorie que lui sembtent devoir se ranger les saints ou les Pères proprement dits. Aussi, se garderat-il de les accuser d'hérésie; mais la vérité, d'autre part, lui interdit de dissimuler ce qu'ils ont de moins exact ou de moins conforme à la règle catholique Quod posterizis ad .MK~ ~c/~Mz~MW! atque omni dignos veneratione Patres attinet, ~MM ~~KC culpare debeo aut in Aa~MM ~e/C?'M~ crimen adducere, neque, si quid minus ab iis accurate dic tum existat atque ab CC~~C~MC MC~~Ma
imposé après Nicée, mais ils n'en admettent pas moins la réalité de trois personnes divines Quamvis eorum aliqui MC~~MM ~MtMM catholici decreti ~yc/fw~ ~MM~'M~, sed loquendi saltem ~M~c dissenscrint ab ea regula quae post A'Ma~Maw constituta ~'MC~M~ est, ut in primo libro ~K/aM'MM~, ~MM ~~f/M~ ~y~ divinas reipsa distinctas e~ee~ Bien plus, six ans après, quand l'abbé de Bourzeis l'accusera d'avoir fait nier la divinité du Verbe aux Pères 21. Cp. ni, n° 22. Ibid.

j édit. Vivès, t. II, p.

Ibid.; Vivès, p. 292. 24. Vivès, t. II, p. 5~. 23.

291-292.

anténicéens, Petau, en renvoyant le calomniateur aux précisions contenues dans sa Préface, les appuiera du texte même de saint Jérôme, qui, dans le livre, lui avait déjà. servi à expliquer leurs erreurs ou leurs inexactitudes de langage

III Du livre à la Préface, il n'y a donc aucune réelle opposition de doctrine. Toutefois, il est incontestable que le ton en est bien différent. Au lieu que les chapitres du livre s'appliquent à dégager et à mettre en lumière les textes favorables à l'arianisme. ceux de la Préface les estompent et en atténuent la portée. Là, Petau s'était appliqué à montrer qu'Arius avait des prédécesseurs à qui se rattacher ici, il prétend découvrir jusque chez ces prédécesseurs la preuve de la tradition qu'il lui oppose. Mais cette diversité de but est précisément ce qui permet de saisir le rapport exact de ces deux séries d'études. Ceux qui ont cru discerner dans les dernières une correction ou une rétractation des premières ont négligé d'observer la diversité du point de vue qui commande les unes et les autres. Au livre I" de son De Trinitate, Petau ne fait œuvre que d'historien. L'historien même, ici, s'attache uniquement à relever les opinions plus ou moins inexactes dont ce mystère a été l'objet. Le titre du livre le dit en propres termes Liber primus, in quo mysterii illius, hoc est opinionum < eo, Ta. :
praeeuntem habui, cujus ad id usus sum testimonio o, (~~K~t;): ad 1. XIII. De /MM~Ma<
d'hérésies ou d'opinions fausses aux premiers siècles de l'Église, t'a perfidie arienne, en particulier, dérive de là. Et c'est exactement ce que Petau se propose de montrer au cours de ce premier livre. Consacré aux erreurs qui concernent la Trinité, il s'ouvrira par une étude directe des théories platoniciennes ainsi pourra être atteint le but poursuivi, qui est de montrer la source et le point de départ d'erreurs qui ont affecté jusqu'à certains écrivains pieux et saints. /K~ enim, quod volo, constabit fontem ~/K/M/«~~ vel stirpem ~Tf-

rum omnium, ~M~M~ genere non &M~~M solum ac christianae communitatis desertores sed MfMMKZ~ etiam ~M sanctique ycy~/c~~ afflati ~MM~ 29. Voilà, pourrait-on dire, la thèse historique que se propose d'établir Petau au cours de ce premier livre l'influence néfaste des théories platoniciennes. Et les chapitres 3-5, consacrés aux écrivains anténicéens, en sont comme la démonstration. En l'abordant, Petau rappelle encore une fois que tel en est le but ne s'est occupé d'abord des Platoniciens que pour permettre de mieux saisir comment s'est exercée leur influence Nunc illud !~MM, cujus gratia Platonicorum de Trinitate sententiam accurate pervestigavimus, expendamus &~ capite luis antiquorum a~M<7< de eodem dogmate sensus extiterit ac quemadmodum Platonis in christianam religionem commentum de Trinitate paulatim ab iis introductum sit, qui ex illius secta institutioneque ~aM~
il

videtur, neque ex uUa alia re gravier christianae fidei noxa et pernicies importata fuisse » (L. I, cp. i, n° 2; éd. Vivès, t. If, p. 28za).

/&

zg. 3o. Cp.

in, n"

r

éd. Vivès, t. II, p.

291

que

de signaler ce qui, dans leurs ouvrages, est moins sûr ou

dangereux Hoc nobis propositum fuit, non quid absolute de Trinitate sensissent illi persequi, verum quae, in eorum scriptis, cavenda periculoseque dicta essent adnotare.

Saint Augustin a montré par son exemple que cette sorte d'examen est légitime et utile. On ne lui en voudra donc pas à lui-même de se l'être permis pour les œuvres de quelques saints personnages de cette époque lointaine; d'autant plus que ce qu'il a trouvé à y reprendre tient moins, pour le plus grand nombre, à la doctrine ellemême qu'à son expression Maxime, cum non tam de re ipsa quam de vocabulis at: loquendi more modoque complures a me fuerint appellati et hac qualicumque castigatione perstricti".

C'est donc aller à l'encontre de la pensée formelle de Petau que de voir dans ces chapitres une appréciation foncière de la doctrine des Pères anténicéens. De là vient cependant l'opposition qu'on a cru découvrir entre ces observations et le jugement définitif qui se formule dans la Préface on ne s'est pas rendu compte que la différence du ton tient à la différence du but poursuivi. Tout autre, en effet, se présente le dessein de la Préface. Petau veut y établir par la tradition le dogme dont, au livre II de l'ouvrage, il a montré la source dans l'Écriture. En ce sens, il est très vrai que, si la Préface ne « corrige pas le livre, elle le « complète )). Ce cornt plément même s'y rattache si étroitement qu'à son défaut, l'on devrait y dénoncer une lacune de la plus grave importance. Il y manquerait totalement le chapitre qui va le plus directement au dessein avoué des Z3ogMM Théologiques la preuve du dogme trinitaire par l'autorité des Pères. Le livre 1~, encore une fois, n'a rien d'une démonstration de ce genre; Petau ne s'y occupe que des auteurs, antérieurs ou postérieurs à Nicée, dont certaines formules sont susceptibles de faire difficulté à cette démonstration ceux dont le témoignage lui permettra, dans lapréface, de prouver la continuité de la tradition catholique sont ici passés sous silence ou à peine mentionnés il ne parlera qu'alors de saint Clément de Rome, de saint Ignace d'Antioche, du Pasteur d'Hermas, de saint Polycarpe, de saint Cyprien, du pape saint Denys. 3t. L. I, cp. 6, n° 4; éd. Vivès, t. H, p. 322".

IV Dans ces conditions, la seule question à se poser est celle du motif qui a fait placer ainsi en tête de l'ouvrage ce qui devait, en quelque sorte, en être la partie centrale. Logiquement, de fait, l'essentiel de cette Préface se fût inséré entre le livre II, consacré à la preuve par l'Écriture, et le livre IV, où sont abordées les questions proprement théologiques qui supposent cette preuve déjà complétée par celle de la tradition. Le livre III, qui occupe cette place, se donne, tout au contraire, pour une ajoute faite au dernier moment. Petau lui-même, dans l'avant-propos dont il le fait précéder, atteste cette modification du plan primitif. Sa pensée avait été d'abord, dans un ouvrage tout consacré à l'antiquité, de ne pas s'occuper des sectes modernes qui renouvellent les erreurs combattues jadis par les Pères De ils tacere ~M~ aut ~vM~M/M ~~M'~M
a~<

3z. L. III, ~M'c~M<«M. 1; éd. Vivès, t. II, p. 5ot~. 33. Ibid. Il s'agit du De KMC Deo Patre libri duo, publié en i63tpar Jean CRELL(i59o-t633), régent de l'évêché des Unitaires de Cracovie. Petau précise que ses citations sont faites sur une nouvelle édition

datée de 1639. 34. Ibid., 3; 5o3a.

livre

III sous le coup de l'émoi que lui avait causé le livre de Creli,

Petau n'aurait-il pas redouté que les Sociniens ne fissent servir à la diffusion de leurs erreurs ses conclusions sur la doctrine des anténicéens ? Non content de les réfuter directement, il aurait pris la précaution de revenir sur la question et ainsi s'expliquerait à la fois la place de la Préface et l'impression qu'elle produit d'un correctif opportun à des affirmations dangereuses. Mais cette conjecture n'est pas seulement, elle aussi, sans appui dans le texte de Petau j elle lui prête en outre une tactique qui est tout à l'opposé de sa manière propre. Le grand théologien est un trop fougueux polémiste pour ne faire que se couvrir habilement contre des attaques possibles. Son genre à lui est d'aller droit à l'adversaire et de l'appeler par son nom. La preuve en est au livre X de son tome I"\ On y peut voir comment Petau se met en défense contre une doctrine précédemment dégagée de l'histoire. H vient, au livre IX', et à l'encontre de plusieurs théologiens catholiques, de prouver que saint Augustin a très réellement soutenu ]a prédestination ante praevisa merita. Or, cette doctrine, lui ne l'admet pas, et le voici donc qui la réfute. Mais sa position, en cela, entre saint Augustin, dont il est aussi franche que possible s'applique à montrer ce qu'il croit être une erreur, et les catholiques, auxquels il reconnaît le droit de s'y attacher comme à une opinion libre, mais contre les partisans de Jansenius, auxquels il conteste celui de l'imposer à tous comme de foi parce que du grand docteur. Tel est Petau il regarde en face. De même avec Crell il suffit d'ouvrir le livre qu'il lui consacre pour se rendre compte du ton sur lequel il le prend. L'invective se mêle à l'argumentation et l'argumentation elle-même suit pas à pas, dans ses affirmations, le nouveau Photin, le nouveau Paul de Samosate, le nouvel Ebion. Rien de tout cela dans la Préface qui nous occupe. Les Sociniens n'y sont pas ignorés y a cent ans, rappelle Petau en passant (ch. i, n° r), que leurs livres courent en Allemagne, en Hongrie et en Pologne. Mais, à cette allusion près, que suit un renvoi au livre III ajouté après coup, ils n'y sont nullement pris à partie on dirait exactement la brève mention, dont le début de ce livre III rappelle qu'on avait d'abord songé à se contenter pour eux. L'intention, par conséquent, ne se discerne aucunement ici de parer un coup de revers de leur part. Etait-il bien à craindre d'ailleurs? De l'aveu de Petau (De 7'WM/ 1. III, ~-o<wM., n° 2 et De Incarnat., 1. XVI, protheoria; éd. Vivès, t. II, p. 5o3a et t. XII, p. 281''), le livre de Crell était, à ce moment, le seul ouvrage socinien dont il eût pris personnellement connaissance, et il avait constaté que,

il

loin d'y invoquer la tradition, l'auteur s'y attachait uniquement à l'Ecriture et aux difncultés rationnelles contre le dogme. La divinité du Christ y était niée et, sur ce point particulier, Petau renvoyait la discussion à son traité de l'Incarnation. Mais sur la Trinité ellemême, la pensée de Crell et des Sociniens en général était exactement à l'inverse de celle des Ariens. C'est le sabellianisme qu'ils renouvelaient. Au lieu d'accentuer la distinction des Personnes, ils la supprimaient; en quoi, n'omettait pas de faire remarquer Petau, ils se montraient pires qu'Arius où lui reconnaissait le Verbe incarné, qu'il continuait à appeler le Fils de Dieu, eux ne voyaient absolument qu'un homme Mais il résultait clairement de là que, loin d'avoir à craindre d'avoir fait leur jeu en relevant chez les écrivains anténicéens les expressions où se marque le plus la diversité des Personnes, on se trouvait leur avoir opposé d'avance la plus efficace des réfutations. Aussi bien, l'hypothèse que la Préface générale du De Trinitate soit dirigée contre eux se heurte-t-elle au témoignage de Petau lui-même. Dans le préambule du livre XVI de son De Incarnatione, publié six ans plus tard, quand il reprend comme il l'avait promis, la réfutation des Sociniens, il revient sur les réponses qui leur avaient déjà été faites dans le De Ainsi rappelle-t-il que le livre III a été consacré alors à la réfutation de Crell; même il ajoute que le livre II, sans le viser directement, contenait beaucoup de choses atteignant à plein ses erreurs trinitaires (éd. Vivès, VII, 281'*). Mais aucune allusion n'est faite à ce propos à la Préface générale; et ce silence prouve bien que Petau n'avait nullement conscience de l'avoir voulu opposer aux attaques des

Z'a~.

Sociniens. Lui-même d'ailleurs atteste en propres termes que, loin d'y avoir là un appendice de son traité, c'en est, tout au contraire, la partie capitale. Il en avertit son lecteur s'il l'arrête ainsi au seuil de son livre, c'est qu'il s'agit du fruit principal à en retirer

es,

Quisquis paucis hic detinere volo te, et, qui praecipuus ex his libris de Trinititate capi fructus debet, eum tibi ante oculos ponere (cp. l, 2 éd. Vivès, t. II, p. 2~.) Le but qu'il y poursuit est celui-là même qui fait l'objet principal Photinianorum nefaria et pestilens opinio, adeo Arianis tetrior et horribilior, ut ne hoc ipsum quidem Filio Dei reIiquum faciat, quod Arius ei concesserat ut omnia ante tempera et saecula constiterit creatura quaedam excellens et angelis potior (1. III, Prooem. I; éd. Vivès, t. II, p. 5oib cf. cp. n, i et 15; ibid., p. 59o et 600). 35. Haec est

de ses efforts dans l'ensemble de ses Dogmata theologica rattacher les articles de notre foi à leur source première c Etenim in id potissimum incumbimus toto in hoc T'&M~~co'MM ~CM~MM opere, ut singula fidei christianae. capita, suam ad originem fontemque revocemus (ibid.). Cet effort se poursuit à travers les diverses parties de l'ouvrage; mais le dogme de la Trinité étant le fondement de tous les autres, et ayant été pour ce motif l'objet des attaques les plus violentes et le plus longtemps soutenues de l'hérésie, il a voulu lui faire une application spéciale de la méthode. Quod officium. per totius operis membra dissipatum est; sed in eo, quod praecipui momenti esse docui, Tnnitatis mysterio, singulare istud faciam uti professionis illius ductum ac velut filum repetam ab initio Ecclesiae ad Nicaena usque tempora (cp. 1, n° 3 ibid.).

Voilà donc, d'après les paroles mêmes de Petau, la raison d'être de cette Préface fameuse. Partie essentielle de son De Trinitate, il la met en tête pour lui donner plus de relief. Et, de fait, il ne s'agit de rien de moins que de prouver la réalité même du dogme. Avant d'aborder l'histoire des erreurs dont il a été l'objet, Petau veut en établir la vérité sur les bases solides de la tradition catholique. Mais, pour cela, il lui faut revenir sur ce qu'il avait dit déjà (t. Prolegom., cp. l, n° 7-9) de l'importance et de l'usage de ce locus theologicus. Aussi, au moment d'en faire l'application au mystère de la Trinité, Petau achève-t-il d'en préciser la nécessité et la portée. Le premier chapitre de sa Préface actuelle devient ainsi comme un petit traité De la tradition (n° 3-7). Les deux tâches qui lui appartiennent transmettre des vérités qui ne y sont soigneusement distinguées sont pas écrites, dégager le sens exact des affirmations obscures de l'Écriture. Cependant la théorie ainsi exposée ne l'est qu'en vue de l'application à en faire au mystère de la Trinité; et voici le but de la Préface qui s'énonce une fois de plus Hoc enim demonstrare volumus quemadmodum, in asserenda Trinitatis professione, ad fontem recurramus, id est, ad apostolicam traditionem, et inde canalemin nostra tempora dirigamus (n'a; éd. Vives,

I"

t.n,

p. 257").

Mais, voici également indiquée la place que lui attribue Petau dans sa démonstration du mystère. Distinction faite, pour les mystères en général, de ce qui peut en être appelé la substance et des conclusions qui en découlent, il rappelle (n° 10) qu'au livre II il a

déjà montré la substance du dogme trinitaire énoncée dans l'Ancien et le Nouveau Testament. Seulement, parce qu'il n'y a pas de texte si clair dans l'Écriture qui, comme on l'a vu avec les Ariens et avec les hérétiques de tous les temps, ne puisse prêter matière à contestation, force est, pour décider souverainement du sens à y reconnaître, d'en appeler en dernier ressort à l'autorité de l'Eglise A la démonstration par l'Écriture, en d'autres termes, se doit ajouter la démonstration par la tradition, et tel est l'objet propre de la Préface. Aussi, après en avoir ainsi indiqué la nécessité et la connexion avec le reste de son ouvrage, Petau en achève-t-il ce premier chapitre par la vue d'ensemble où il énonce sa pensée de fond sur les Pères anténicéens (n° 12-1~). Cette thèse fameuse, lui-même le dit, n'est que l'esquisse de l'argument général destiné à prouver la continuité dans l'Eglise de la foi à la Trinité. Haec esse generalis formula potest nostrae ratiocinationis, qua catholicae de Trinitate professionis traditio colligitur (n° 13; éd. Vivès, t. II, p. 260").

Ainsi présente-t-il la Préface comme l'achèvement de la preuve du dogme établie au livre II. On n'est sans doute pas autorisé pour cela à conclure qu'il l'avait d'abord conçue comme devant venir immédiatement après lui; mais on ne saurait contester non plus que, dans sa pensée, elle en soit la suite logique et le complément nécessaire. Quel que soit donc le motif pour lequel elle a été mise en tête du traité, il reste qu'elle en est une partie essentielle. Imaginer que l'idée en est venue après coup, comme d'une précaution contre des détracteurs éventuels, serait méconnaître le but avoué des Dogmes y~o~~M~ et supposer que Petau avait d'abord laissé, au cœur de son De Trinitate, la plus évidente et la plus ruineuse des lacunes. Englxien. 36. Si majore contentionis

PAUL

GALTIER.

studio. inducti homines. Scripturae

sententiis illudere pergant, quid erit consilii capiendum?. Nempe, quod jam dixi, ad interpretandi magistram eundum erit Ecclesiam, quae de locorum illorum sensu consulentibus respondeat (n" ti;ëd. Vivès, t. II, p. zjo~).

'vnoMONH

DANS LA TRADITION GRECQUE

Deux études, du P. de Guibert dans les /?M/we~ du P. Spicq dans la Revue des Sciences Phil. et Théologiques 2, ont eu soin de définir les termes d'espérance et de patience chez les auteurs du Nouveau Testament. Insistant sur les origines paléotestamentaires d'u'non.o~, le P. Spicq néglige délibérément la littérature profane dit-il, n'apporterait pas de lumière nouvelle sur cette notion u « qui, Il ne semble pas en effet que la tradition grecque ait influé ici. Mais tout justement la confrontation n'est pas vaine, dès là qu'à l'intérieur d'un sentiment commun et nécessairement commun, elle révèle des nuances où car, païen ou chrétien, l'on souffre s'affirme le désaccord. Le parallèle n'est, au vrai, instructif que si l'on découvre le sens spécial propre à uTto~ov~ en l'un ou l'autre camp. Et ce sens spécial ne peut être fixé à prendre le mot absolument ici et là même vie, même souffrance, donc même fond de patience. La diversité n'apparaît que dans les rapports qui lient uTto~o~àà d'autres vertus annexes. En la voyant parmi ses sœurs, on lui reconnaît une famille. Cela suffit pour la distinguer. Si l'on remonte jusqu'à Platon, l'on note dès l'abord le lien entre uTK~stv et xctpTepE~. Un passage du Lachès le marque excellemment. C'est un des dialogues qui s'emploient à (( définir ». Et l'on prend pour exemple le courage viril, xvSps'fx. Elle est, dit Lachès, une sorte de xaprepM de l'âme (192 b). Non pas cependant, reprend Socrate, n'importe quelle force d'âme c'est une force d'âme jointe à de la t~o~tr: c'est-à-dire à de la raison c'est une force d'âme raisonnable, 7j spo~t~oç Kpct xafpTEp~x xK~o! Tov s<<~ ~oyo~ tvSosMt ct\) et'~ (192 d). Mais en quoi encore est-elle raisonnable? Et, par exemple, lequel sera le plus viril, de celui qui, dans la guerre, témoigne d'une âme forte et prompte à la bataille ev TcoXe~M xxpTEpoS~r' o~Spo! xa~ MeXovM ~x~E~Oftt, et dès lors, choisissant bien son lieu, attaque un ennemi plus faible ou de celui-là qui, sous l'attaque de l'ennemi, tient bon et résiste fortement <} TOV SV TME~K~'C~M CTpOtTQTtEBM eSE~O~TOt UTCOjJLEVEtV TE X0!t 'Yno~ov~, c'est donc exactement le fait de tenir xctpTEpE~ (]o3 a)?. bon contre un ennemi plus fort en ce « soutien » se montre la force d'âme, x<xpTEp!<x, qui convient à un homme, a~So~at.

104.

t. Rech. Sc. Rel., IV, t9t3, 565 sq. « Sur l'emploi d'e~u: et de ses synonymes dans le Nouveau Testament ». 2. R. Sc. Ph. ?7: janv. [o3o, ~5 sq. ~T)to~o~patientia. » 3. L. cit., p.

Un autre texte, tiré de la ~~M~w (iv 440 c-d), confirme ce point de vue « Lorsque quelqu'un se croit injustement lésé, ne le voit-on brûler d'une juste colère, et, bataillant à l'appui de son droit, souffrant pour cela faim, froid, tous les maux, tenir bon jusqu'à ce qu'il vainque, sans arrêter son généreux labeur qu'il n'ait triomphé ou ne meure, xat uno~~M~ vtxK xai yev~mw mp~ &v)) StMpc~ifjToct T~~u-n~~Tj? Ce ton cornélien exprime au mieux le sens de notre urn~o~. Un troisième exemple nous est offert par le Gorgias (507 a-b). C'est dans le beau passage où Socrate aboutit à la définition de l'âme et des attributs qui lui M tempérante )) –
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Le texte est révélateur, car il nous situe l'uTMjj.o~ à l'intérieur du système moral qui depuis Platon commande la pensée grecque. De ce système il est l'une des pièces et, par le fait des circonstances, non pas la moindre. Cela Toute la morale consiste à se mettre en ordre, x
joue son rôle dans la sagesse, apparaissant à 'son heure, vertu seconde, auxiliaire, destinée à protéger l'ordre contre l'ennemi du dedans, du dehors, en sorte que rien ne trouble l'heureuse et rare paix du sage 4. Une dernière petite phrase des 'Opot décèle admirablement l'esprit où l'on doit entendre t'u~o~M~ païenne (412 c) xapTepm En uiMjjLO~ ~mrït! evexaf roS xa!~5 'u~o~o~ Tto~Mv ëvexe Tou x«).o! vue du beau. » Il faut méditer ces trois mots, et, songeant que l'homme xa~o! x~a~o; est la fleur de l'humanité grecque, se rendre compte aussi qu'il n'y a place en ce chef-d'œuvre pour le sens aigu de la misère humaine qui fera jaillir, au cœur chrétien, l'espérance. Ce sont les mêmes idées que l'on retrouve, et presque les mêmes termes, dans 1'-&M~ à Nicomaque. Aussi bien que chez Platon, t'Mo~ov~ se joint ici à l'avSpEiat comme l'une des pièces maîtresses qui servent à édifier ta sagesse. En un passage où le philosophe montre que l'habitude, et donc la vertu, naît de l'exercice, il nous présente l'homme !
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On sait que les

peut-être du quatrième siècle, étaient déjà reconnus inauthentiques dans l'antiquité. Cf. Ueberweg-Praechter, 1926, p. 194, io5, 109, et l'excellente introduction aux "Opot dans la collection Bude, Paris, !o3o. 5. Cf. "0:ot 412 c et Eth. Eud. III a i ?) vep av~pEM a~xoXou~1229 i, s'; T<;) My~ (cf. le KXOAOuQM! t~ ~
beau, et que le contraire est laid. » Être beau, se maintenir à ses propres yeux en état de beauté malgré les blessures de la vie, tel est bien toujours l'idéal. Et peut-être y sent-on déjà quelque nuance nouvelle. Cette noble résistance aux peines, c'est le plus difficile, c'est le plus grand, ce qu'on loue davantage et ne serait-ce donc le plus beau trait du sage? rm 5<j Awrïjcx u~ojjt.evetv otwopMOt ~e~ovra:. Sm VK~EnMTtOOW Y&p Xttt STI~UTtOV ?) KvSpS'Ct, Xat StXC~Mt tTtCttVeTrXt 'j~ojJLMetv T(5v VjSsM~ ŒTrs~so9o[t a 32-35)

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Tout cet enseignement de l'École est excellemment résumé dans le MpT~atOtov faussement attribué à Andronicus. « Puisque l'âme est tripartite, selon Platon au siège de la raison revient le discernement raisonnable, -rou ~v ~oYurTtx~u f):pEï}j i, apo~m; au siège des passions nobles la douceur et le viril courage, rou~ Qu~ottSoCf;7j Trpxd-njt xa~ -!) (Mope~K au siège des passions inférieures la tempérance et la maîtrise de Soi, TOU 3~ E~tBu~-rtXoS '!j TMSpOTUV~ XOct EYXpXTStK 8. L'K'<Sp6!<Ï ainsi placée se définit cette vertu qui fait qu'on ne se laisse pas abattre par la crainte ou par la mort, et se divise elle-même en un certain nombre de parties « propres », o!xHK[, dont toutes à des titres divers, d'une manière explicite ou non, font appel à t'u~o~o~. Ainsi la résolution, ~rj~o!,consiste-t-elteà entreprendre avec élan ce qui doit l'être et à tenir ferme en ce choix raisonné, e~ opEyo~EVY) Elt'/eipeïv TE o:ç Yp~xatuTro~e~etv ot ~OYo~o~oE[", laforce d'âme, x<xpTep~, tient ferme contre la douleur et les peines en vue d'une fin belle, u~o~ov~ ~uTr-~ i5 'KWuK ëvexa Tou xa~o!! ~°, etc. Sur &o;M~ dans l'Eth. Eud., cf. en partie. t22g a 18-20, b 3o-34, t23o a 4-20, où l'auteur montre que t'uTtOjAo~ qui s'accompagne d'E~Ttt;, de la confiance en un secours, n'est pas véritablement u~c~ovi!. H faut r~v 'x!5M (3o a i~), pour s'élever à ses patienter pour l'honneur, propres yeux, parce que c'est beau. 7. Cf. Rech. Sc. Rel., XX, 5, oct. ig3o, p. 385 sqq. 8. Mullach, III 574. 9. III 575. Cf. ~A. Nie. inô a 14, Eth. ~M~. III 4, t232 a 17 ~oytcUTtO~LeVE'V T<)V <mo~OY:
ôt

TtMt Xs~O~EV, E'pVjTûtt TtpOTtpOf, OTt EVSXCt Ttvoç TTMTOC C
T~vo; '~ot~o'e:

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coêesSt ÙTro~LMEtv, &
o!oo~v (plus

haut Aristote a rejeté aussi J'e~; ou l'E~etp~, l'assurance qu'on aura un secours et l'espoir qu'on trouvera un bien plus grand), ofXX'o'ï: xo:).o~, x~Xav a~X& [<.avtxow, ou~ u~o~Et cM~pbv Y
Une tâche analogue revient à l'u~ojMW) si l'on considère les passions inférieures. Partie propre de l'oMpe~t qui gouverne les passions nobles, elle l'est aussi de l'eyxporrE~ qui maintient en ordre les passions inférieures et dont l'office est double contraindre sous la raison les désirs de jouissances mauvaises, et supporter avec fermeté d'âme l'indigence et la peine inhérentes aux conditions mêmes de la nature, ~ya Se otuT- (~xp~r~a;) ro SuvzcOcu xzTe~w ty ~oytttjtf? ETt!eUji'0[~ Op~MOOt~ e~ T&t 'MtU~ût! OUtO~CtUeEt! TMV V.S&VMV TO XOtRTEptXOW /tttt u'!t0~6YETtxb\' St~Kt T~<; XKTK ~UOtV EDOS~! TE )M~ XuTt7)< Ainsi toute la tradition de Platon et du Stagirite offre-t-elle la même doctrine, qui se rattache à la notion du sage. Le sage doit vivre en homme ordonné. II est lui-même un « monde )) à l'intérieur du monde'2. A ce double titre, il doit laisser en lui dominer la raison, et ce gouvernement suppose des vertus auxiliaires qui, soumettant les passions, permettent le règne du Xoyo~ il doit aussi soumettre sa raison à l'ordre universel, rendre à chacun son dû, aux dieux la piété, aux hommes la justice, et cette soumission suppose des vertus auxiliaires qui, fortifiant l'homme contre maux et misères, lui permettent de tenir ferme en ce qu'il a reconnu juste. Dans les deux cas, l'uTto~ov~ est une vertu défensive, une vertu de police, destinée à maintenir l'ordre, à préserver l'heureuse tranquillité du sage. Elle est servante de la sagesse. Celle-ci, ainsi défendue, se suffit à soi seule. Elle s'achève en cette vie. L'unique prix qu'elle attende est le plaisir qu'elle éprouve à s'exercer elle-même.

Une philosophie morale optimiste, ainsi qu'il apparaît chez Platon et le Stagirite, laissera 1'uito~ov~ en ce rang de subordonnée. L'idée

Il. III

576.

'2. Sur l'homme « microcosme » qui semble d'origine pythagoricienne (cf. Jamblique, F~a ~'y~M~wt, H4, Kiessling, Carcopino, Virgile et le mystère de la /P~ Egl.; p. loo-tot, 155-156), cf. Diog. d'Apollonie fragm. 4-5 (Diels 1 335, t3, ig) où l'idée à vrai dire est encore confuse; (cf. surtout le résumé de Théophrate, de Sens. 42, Diels 1 331, 28: oTt OE o E~To~;{x~p cdoOo~s'Kt! jjuxpo~ &v p.opto\' To5 QMS, a savoir de l'air qui est principe divin unique du monde). Xénophon, ~M. I, 4, 8 Platon, PA~c~, 3o a-b, 7'<Mt. 43 d., Aristote, PAyj. VIII 2, 252 b 25 (joli texte), Anim. Mot. 703 a 28-b 2, Philon, Quis rcr. div. Ac~. t53 sqq., de 0~<7. 60, t43-t44 ~cf. Bréhier, Les idées ~/ttZoMPhiques ~<~K~ntM~~
p.

qui prime est celle d'ordre. Et l'ordre peut être atteint. La sagesse, bien sûr, est difficile, requiert maintes conditions~ Mais elle n'est pas impossible. Que si la vie se montre trop amère, c'est le lieu pour ùxojio~ de jouer sa Vienne un temps où se fait plus vif le sentiment de la peine de vivre, du mal qu'il y a à être sage, et notre u~ojMv~ y gagne plus d'éclat. Désormais l'accent est mis non plus sur l'ordre, mais sur les obstacles qui l'entravent. Le sage a moins loisir de contempler. Tous ses soins, toutes ses forces tendent à l'abstraire de la douleur ou à l'aider à la vaincre. De là une double attitude qu'annonçait déjà l'jË~~Mc ou s'éloigner des plaisirs et, par le fait même, des peines, oHts~e
partie.

~<

Nic. 1 y, to~Sai5 9, 1090 a 5t, b 2 i3. Sur ces conditions, cf. !ioo a 20, noi a 8, 14 sqq.; IX !t, t!?! a 21, etc., et l'excellent résumé de Rodier, La mur. aristot., in Études de ~A~. grecque, 1926, p. 200-202. M Bax~u Trpocct~MVTKt '!Mv i4. Arnim 111 263. Cf. 286. T~

~Sps~

&Tm~E~tT6MV

6S(TO!V

STt[Tr~}JLT~.

t5. Arn. 264. t6. Stob. ecl. II 60, 9 W. Cf. encore 63, 6

Ttpo~YOU~ewt); TcSv 6 &el uTio~ivet~,

bon quand il le faut. 17. Arn. 265. t8. Cf. Stob., n. t6 supra.

W

= Arn. 280

l'objet propre de

l'<xvSo6Mt

~Bp€!a~

est de tenu

)*~ K~pS~ '<)TE UT!Q[t.o~, ?~ XapTEp~~ XQt~oSctK, e~tSTI~Fortitudo est, em.jjt~eTEMV xal eux e~ev~TSM~ chez Cicéron <(

TXXMt)

m~

inquit(Chrysippus), scientia rerum perferendarum vel affectio animi, in ~c/~M~ ac perferendo summae legi parens sine timoré~ » t'~ojjLo~ s'identifie à la x~prep~ C'est l'ordonnance classique comme une partie propre de l'~Spe~ ordonnée à protéger et à défendre ta tranquillité du sage. Et c'est aussi le même esprit l'x'~pE~ov est, avec le juste, S!xa!ov, l'ordonné, xd?~)~, enfin l'intraduisible ETttarTïjjM'~xo~, l'une des quatre Mais voici le vin nouveau quelle insistance à espèces du beau Ni la maladie ne l'atteint, montrer le Sage inaccessible aux maux ni la peine. L'argument est bien connu. Vienne la maladie, viennent aussi la peur, le brisement de l'âme, l'abattement. Or, rien de pareil chez l'homme fort. Or, nul n'est sage qui ne soit fort. Et donc la maladie ne touche pas le sage. « Verisimile est, in quem cadat aegritudo, cadere in eundem timorem et infractionem quidem animi et demissionem. Non cadunt autem haec in virum fortem; igitur ne aegritudo quidem. At nemo sapiens nisi fortis; non cadet ergo in sapientem aegritudo 23. » De même pour la douleur morale: « Luctus non habet locum in incorruptis; atqui tam sapientia quam virtus omnis incorruptibilis est »; donc. Point de chagrin possible pour le sage « Verum optime diligentia habendain hoc, quod nec planctum neque luctum usurpasse sapientem inducit 24. H L'on songe invinciblement à l'admirable promesse de l'~cca~~e(2i ~) « Et absterget Deus omnem lacrimam ab oculis eorum, et mors ultra non erit, neque luctus neque clamor neque dolor erit ultra, quia prima obierunt~. » Le sage ne pleure, ni l'élu mais là où le sage se raidissait, l'élu vivait d'espérance. Confronter l'un et l'autre texte, c'est mettre en plein relief la discordance. Car l'on pourrait allonger cette étude, montrer, dans la mesure où l'on se rapproche du christianisme, la philosophie du Portique insistant, de plus en plus, sur cette force » contre les maux~ L'on <(

:9. ~OM. II 18, StahHn II 154 =Am. 2/5. Cf. aussi le petit traité sur la « persévérance n, o TrporpETCTtxo~; s!; u~o~o~v, Stâhl. III 22t. 20. Tusc. IV 24, 53 = Arn. 285.

2i. Diog. Laert. VIII, 24, 53 = Arn. III, 83. 22. Arn. III, n° 56y-58t. 23. Cic. Tusc., III, !4=:Arn. 570. 24. Philo, Quaest. <M Gen., IV, 73= Arn. 57!. 25. Cité en latin en vue du rapprochement avec les textes des notes

23

et 24. 26. Cf., par exemple, Sénèque qui, sur ce point, voudrait toute une étude, en part. le de Constantia, le de ?'7-aM
aurait toujours la même image, le sage, système clos, autonome. absolu, quasi divin. Rien ne le trouble ni ne l'atteint. H n'attend rien, n'espère rien, il se suffit. Son urn~o~ est rien moins qu'une attente de qui, de quoi pourrait-il rien attendre? Bien plutôt un mépris, l'affirmation de sa force, et de la paix qu'elle fonde. 'TxojM~xapMp~SpeMt, jadis vertus de protection, où s'accentue maintenant le sens de la domination de soi-même, donc du monde, à l'encontre d'un destin méchant, ce sont toujours, dans le système qui les suppose, des vertus nourries d'orgueil et ce qu'elles ont de plus admirable, en leur tension, est tout justement le point qui, davantage, les éloigne du Christ. Le sage ne peut se voir malade sans perdre sa force, n'être plus sage; il se renie, s'il fait appel au Christ il doit dédaigner l'espérance". Or, c'est bien, au contraire, l'attente et l'espérance qui forment le cortège de l'espérance chrétienne. Bien que, selon le P. de Guibert, u~o~ov~ « désigne surtout la patience qui sait attendre, ~MtOtOe~! l'acte de mettre sa confiance en quelqu'un ou en quelque choseeA.Tt~ plutôt l'espérance même, fondée sur une promesse, une garantie, en pratique ces mots ont été souvent pris comme équivalents n. Et le P. Spicq a finement analysé cette nuance d'attente, d' « exspectatio))qui, dans la Bible, distingue uTto~ov~ « Qu'il s'agisse d'un bien ou d'une personne seeourable, elle caractérise toujours l'attente t. IV (le de Tranq. an. de Plutarque, Bernardakis III, 208, n'est pas d'inspiration stoicienne), les Consolationes, id., t. III. Epictète, sur uTMjjLov~, n'est pas riche. Cf. 94, 8; izo, 20; 176, 2; 258, 21 Schenkl. 27. On parle de l'heureuse joie des Grecs quelle erreur! contre laquelle s'élève, justement, Méautis, la Tristesse d'Achille, Rev. des ét. grecques, janv. to3o. Cf. entre cent textes sur la tristesse de vivre, ~ya.t. 554-555 (à Eurysacès) ev

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Pourquoi faire appel aux dieux? Les maux viennent d'eux.

1225 sq.

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SMpa!, xo~ txyw(Mvo' mp, (ïv~Yx~ M) Y~p TroX!< !p~pTEpot T6TXa[~t6v a[v6pMTtOt C'est

eto:

proverbe

*'AMm 9E&~ [t~ B
XE~TM.

comme un refrain

H. à Déméter, t4y-t48, 2t6-2t7

Sur cette indifférence des dieux, cf. 7"McA., 1264 sq. (Hyllos rapportant Héraklès), OQ3j$., Antig., 922~ Philoct., 4*6~ 428.?~ 446 sq., 1020 sq.

28. Loc. ct< p. 566. C'est nous qui soulignons. Plus loin, p. 56~. l'auteur, à sa liste, ajoute npMSoxSv, ttpo~S~M~t, toujours dans le même

sens d'attente.

une possession x Rien n'est plus contraire à t'uTto~o~p~?~' Le sage n'attend aucun secours. S'il attendait un secours, il déclarerait sa faiblesse. Or, « nemo sapiens nisi fortis Sans doute, cette lumière de l'espérance n'empêche point qu'on ne souffre uTto~o~ garde toujours le sens de résistance, de persévécette patience du chrérance ~°. Mais et c'est ici tout le discard tien se fonde non pas sur les forces du chrétien lui-même et sur la conscience qu'il prend de sa noblesse d'homme et de sage, zvSpe~, mais sur la force d'un autre, d'un Sauveur, dans lequel il croit duquel il attend, « espère l'assistance. Le lien s'exprime à mer« Avec force et veille en cette phrase de aKx /7~MMa: (12~) persévérance (um~ov)]), courons dans cette lice qui s'étend devant nous, l'œil fixé sur le héros qui a fondé notre foi et qui la conduira ou la tendance vers

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au terme, JésUS,

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Ainsi, fille de la foi confiance, sœur de l'espérance, l'ù~o~c~-e~n du Nouveau Testament se révèle d'une tout autre race que l'~TtOjjLo~xxp-repMt de la sagesse antique. L'on a même ici un lieu où l'identité des mots dissimule, entre les âmes, le désaccord le plus grave. Car enfin. cette maîtrise du sage, c'est la cime de la perfection. C'est ~L~3~~ 1 idéal vers quoi, tristement, l'on s'efforce, quitte, si le but est trop ? inaccessible, à disparaître, librement 33. Toute la tradition grecque aboutit à ce point. A le renier, elle se renierait toute. Voilà pourquoi l'Évangile fut long à prendre chez les habiles. Aux yeux d'un Marc Aurèle, c'est une doctrine de faibles. Les martyrs ne l'ont point conquis des révoltés, dit-il; « sois prêt à mourir, mais mTpa-ftd~Mj;, sans pose de théâtre Del'u~o~o~ d'un Pothin, d'une M. Blandine qui se hâtent vers le Christ, ~<meu8o~ itpo: Xots-coo, et dans lesquels le Christ lui-même souffre, ew M ~M)~ Xp:
t~

4

~cc. cit., p. q8. Cf. aussi p. too. 30 Mt., 10~, zt~, 24~; Mc., t3~; Le., 21 3). Sur la plénitude du mot T~oir: cf. de Guibert, ~oc. cit., p. 569. 32. Même lien entre ù~o~o~ et ~'
33. E~

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MtTpMMtH, TOT: X~

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XKXVO{ Xûd <XTtSp~OjJL<[[.

M. Aur. V 29, t-2. 34. XI, 3; 2, 35. Eus. V, [, 6 36. Cf. 41 pXs~MTMv a~TMv. S:i T~; ~Ss~ei~; (Blandine)

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APOCALYPSE i, 'lMKVt~ TC[[; ~T:& EXX~
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Xpt~Tou. Dès l'antiquité on s'est demandé qui sont les sept esprits qui (sont) devant le trône M de Dieu' D'après les uns, il s'agit de sept esprits distincts appartenant à cette catégorie des purs esprits auxquels nous donnons le nom générique d' « anges )). D'après les autres, les sept esprits seraient un être unique, la personne même de l'Esprit-Saint, qui serait ici considérée comme ttUToS, x<[t KTro t~cot! <(

EOTKUpM~OV, t'VOt TtS~r/j To!); XtSTeuOVTOf~ si!; au-TOV OTt T[5; 6 t)T~p -?,; XpHJTOU B
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38. 5i

toujours le recours au Christ. 40. Sur cette joie et. cette tristesse, cf. A. Bremond, ~0
A~

Moine

et le

~<M!

principe de sept dons. Nous ne voulons pas discuter ces deux opinions, mais seulement apporter en faveur de la première un argument de stylistique qui n'a pas, autant que nous pouvons voir, attiré l'attention des exégetes. Les sept esprits sont caractérisés par ceci qu' « ils (sont) devant le trône » de Dieu. C'est là une abréviation de la locution oY ~vMmov -co5 QeoS ~rc~itM~ « qui se tiennent debout devant Dieu », laquelle est employée dans 8, z en parlant des sept anges. Or, « se tenir debout devant quelqu'un » est une locution hébraique ('a~a~ lifné), qui suggère l'idée de service et qui peut même aboutir à « servir quelqu'un, être au service de quelqu'un H. Ainsi dans 1 Samuel 16, 22 David se tienne (debout) devant moi )) équivaut à peu près à « Que David soit à mon service H. Dans 1 Rois i, 2, les gens de « Que David lui disent « Que l'on cherche pour monseigneur le roi une tiendra devant le roi. H, c'est-à-dire « elle jeune vierge, et <~e servira le roi H, comme on le voit au v. 4, où l'expression est rempla« ministrare H. La formule ~y'~MM~ '~r '
que

Paris.

PAUL

JOÛON.

BULLETIN DU JUDAÏSME ANCIEN

Dictionnaires et Recueils1 Le /!<~e~ Lexicon s'achève par un quatrième tome, qui comprend deux gros volumes2. Nous retrouvons les qualités signalées dans les premiers volumes c'est le manuel pratique, où le chercheur pourra rencontrer sur presque toutes tes questions juives des indications rapides et une première orientation; nous désirerions souvent une bibliographie plus riche et plus à jour. Nous apprécions particulièrement les nombreux articles sur le droit et les usages Nous avons remarqué dans ces deux derniers volumes les articles Médecine dans la Bible et le Talmud, Messie (trop bref), Mischehe (évolution de la législation sur le mariage mixte et statistiques précieuses), Moses (personnage réel, mais dont l'histoire est enveloppée de légendes), Palestine ancienne et nouvelle (114 col.), Parsismus (assez pondéré, mais accordant encore trop aux influences persanes), Presse(statistiques), Religion Juive (vues justes sur la religion judéorabbinique), Statistique (accusant le déplacement constant vers l'Ouest des populations juives), Synagogue, Talmud. Inutile de rappeler que l'esprit dominant est assez radical. Peu de pages sur le Christianisme, et montrant toujours la même information vraiment trop sommaire et la même inintelligence de nos dogmes à propos du Nouveau Testament, il est parlé du « père de l'Eglise, Fabien, qui a composé le Diatessaron » les confusions abondent plus particulièrement dans les pages sur la Trinité

juifs.

IV. Me-R, EinCMCy~C~ad'wAM HrzndBucla S-Z, Wissens. BandLexicon. encyklo~âdackes~ftM~&MC/t des Judischeya /M~tJf~K J. jùdisches ~M~KJ. Band IV. Me-R, xxxn p. et i Sc~ col. BandV, S-Z, xxxîi p. t663 col. Berlin, Jüdischer Verlag, :o3o. M. 35 le vol. Encyclopaedia /M
et

comment en serait-il autrement ? la cohérence du dogme apparaît-ette autrement que dans la foi chrétienne ? De bonnes remarques sur le Pater, malgré le parti pris de n'y voir qu'une prière juive. Somme toute, instrument précieux pour tout ce qui touche au Judaïsme seul, et fort agréable à manier, en raison de l'impression soignée et de l'illustration abondante et réussie. L'Encyclopaedia judaica poursuit assez rapidement sa publication, toujours splendidement imprimée et présentant les caractères déjà décrits les années précédentes. Sans doute, à notre gré, les articles de géographie et biographie juive surabondent, mais cela nous vaut des notices développées sur quantité de rabbins et leurs principales sentences et aussi le résumé de la Haggada sur les personnages bibliques. Pour écrire sur le Christianisme, M. Jacob Ernst aurait pu se documenter d'une manière plus compréhensive et moins unilatérale le Christianisme, écrit-il, est la religion qui reconnaît en Jésus le Messie; Jésus-Christ ne voulait pas fonder une nouvelle religion, il ne songeait pas à supprimer le sabbat ni les lois alimentaires; la trahison de Judas pourrait bien être une légende. Il était intéressant d'étudier l'influence que les deux religions exercèrent l'une sur l'autre. Je ne vois rien, ou presque, sur l'action du christianisme il y a cependant des infiltrations d'esprit et de pratiques cultuelles et par ailleurs les érudits admettent de plus en plus une sorte de choc en retour, la Synagogue abandonnant certaines croyances à cause de leur rôle prépondérant dans l'Église. Il est constant que les exégètes chrétiens ont emprunté à leurs devanciers juifs, et que notre philosophie du moyen âge doit beaucoup à Maimonide, Ben Gabirol et autres mais peut-on dire, comme le font couramment nombre d'écrivains juifs, que la Réforme et les mouvements qui y préludent (?), par exemple l'Albigéisme, se rattachent en quelque mesure au Judaïsme? Parlant de Gamaliel et de son attitude bienveillante envers les apôtres, le rédacteur ajoute « Si toutefois le discours que lui attribue Act. V, 34 est authentique) qu'adviendrait-il de l'histoire rabbinique, si nous traitions avec pareille sévérité les textes talmudiques ? Voici quelques glanures à conserver. Il ne faut pas rapporter aux

Pharisiens tout ce qui est dit des ~a~M cette institution s'est surtout développée depuis la seconde moitié du deuxième siècle. L'écrit énigmatique des sectaires de Damas ne serait pas sadducéen, mais recèlerait des marques de Pharisaïsme; pourrait-on le dater de ~7° av. Jésus-Christ en raison de prétendues dépendances à l'égard de Jubilés et autres apocryphes disparus? L'argument ne paraît guère

établi. L'article considérable sur les anges est plein de données utiles au point de vue méthode, nous voudrions que, surtout en une matière où l'évolution est fort accusée, il fût tenu compte de la date des maximes rabbiniques invoquées. Pour assurer que les Pharisiens ont eu peu d'intérêt pour ces doctrines, l'argument tiré du silence de Josèphe prévaut-il contre l'affirmation expresse d'Act. XXIII, a Nous aurions à signaler quantité d'articles bien venus, rarement originaux, mais résumés suffisants des résultats acquis ainsi sur les questions de droit juif, traitées d'ordinaire amplement; sur Dieu (par Marmorstein, qui a condensé là son grand ouvrage sur ce sujet); sur la langue hébraïque par Torczyner; sur les témoignages des écrivains latins et grecs relatifs aux Juifs; sur la Gnose (trop simplifié chez les Juifs gnosticismes et doctrines ésotériques sont-ils identiques ?) sur l'Hellénisme (lapénétration par l'hellénisme dequelques Juifs Palestiniens traditionnalistesdemanderait à être étudiée).

8

L'/M~œ

Union College de Cincinnati a pris l'habitude, depuis roa~, de publier des recueils de travaux, œuvres de ses membres et d'autres savants. Le volume, paru en 1029, réunit dix études de valeur. Citons, pour mémoire, les dissertations de M. Englander sur Mendeissohn, traducteur et exégète; de M. Bettan, sur les sermons de Judah Moscato; de M. Gaster, sur le Bet Zebul, de Eliezer Crescas, lequel est une liste des références au Talmud et au Midrash, qu'on peut joindre à chaque verset biblique; de M. Gandz, sur la termino-

logie de la multiplication dans les sources hébraïques et arabes et sur le premier traité hébreu de géométrie (~M<), écrit vers i5o ap. Jésus-Christ. Lisons plus attentivement les travaux,suivants, qui nous touchent davantage~. Tous, sauf un, relèvent de la méthode comparative, et présentent le trait commun aux fervents de cette méthode mettre sur le même plan des textes et des usages de temps, de provenance et de sens très divers, et conclure à la parenté ou à la dépendance; fonder des inductions semblables sur des rapprochements très légers et

superficiels.

M. Julian Morgenstern, sous le titre « the Gates of Righteousness)) (p. 1-~8), rapporte quelques traditions musulmanes et chrétiennes sut la « Porte dorée )), ou porte orientale du Temple, et montre qu'elles remontent en partie à des traditions rabbiniques une seule de ces généalogies est-elle pleinement justifiée? Voici le plus important primitivement cette porte était ouverte deux fois par an, aux 3. Nous réservons l'étude de M. Lauterbach sur les Pharisiens et

leur enseignement pour la section suivante.

équinoxes de printemps et d'automne, afin que le soleil levant, passant par l'ouverture, vînt illuminer le Saint des Saints et reçût les hommages des israélites, ce qui ouvre un jour suggestif sur l'ancienne religion d'Israël et les éléments solaires qu'elle contenait4. Ces rites, qui ont fini par perdre leur signification originelle, se perpétuent dans la liturgie chrétienne hiérosoiymitaine la porte était ouverte le jour des Rameaux et le jour de l'exaltation de la Croix. Impossible de reprendre un à un les rapprochements et les conjectures, qui font la trame de cette étude. Qu'il suffise d'observer que le mont des Oliviers (A) se trouve environ à 810 mètres, le site du sanctuaire à 740 (C) et la Porte dorée (B) quelque peu au-dessous: réaliser la trajectoire que devront décrire les rayons du soleil levant suivant A. B. C. M. Bernard Bamberger étudie les termes qui expriment les notions d'amour et de crainte de Dieu dans l'A. T. (p. 3~-54). « Crainte de Dieu perd le sens premier de terreur pour signifier adoration, religion, obéissance à la loi de Dieu, honnêteté morale. « Amour de Dieu )), qui ne se trouve que rarement et en des textes récents, n'indique guère une attitude de sentiment, mais une disposition d'obéissance fidèle à Dieu et presque de crainte. Les deux expressions sont souvent unies et interchangeables. II fant donc reviser, à la lumière de ces constatations, le schéma trop simpliste la religion de l'A.T. est une religion de crainte; et il s'impose de modifier et de nuancer davantage les traductions de j~<~ Yahwe. Il y a beaucoup de vrai dans ces remarques cependant définir une religion d'après quelques formes littéraires, c'est tabler sur une base trop étroite; il faut surtout tenir compte des aspects réels et intimes de cette religion. Le Révérend docteur Gavin, qui a déjà produit un volume sur /f~M~ Antecedents <s'/<~ eA~/MM.S'~e~M~M~, considère les parallèles rabbiniques, qu'on peut relever dans les ordos ecclésiastiques primitifs, que sont la Z?!~e~, la Tradition apostolique d'Hippolyte, la Didascalia apostolorum et autres. Voici quelques rapprochements en ce qui concerne le baptême les canons anciens prescrivent généralement d'user d'eau courante et de ne laisser au candidat aucun ornement les rabbins discutent sur la quantité d'eau de puits per-

<

4. Notre auteur présente

ce

~<~f comme une introduction à un

grand ouvrage sur les éléments solaires dans la conception de Yahwe et dans la religion d'Israël à la période biblique et sur les fêtes solaires dans les religions sémitiques en général et dans la religion d'Israël en particulier. Il demande aussi qu'on tienne compte de ses précédentes études sur le calendrier de l'ancien Israël.

mise dans les bains de purification et ils interdisent tout objet qui empêcherait le contact de l'eau y a-t-il emprunt ? Peut-on rapprocher la traditio symboli de la monition, que les rabbins faisaient au prosélyte durant le bain d'initiation ? Il est plus loisible d'admettre une

certaine parenté et dépendance entre l'agape (distincte de l'eucharistie) et le quidduch mais nous connaissons si mal l'une et l'autre. Il convient donc de ne pas être trop affirmatif de ne pas assurer que les bénédictions chrétiennes dérivent des formules rabbiniques parce qu'elles présentent quelques expressions génériques, qui se rencontrent en ces dernières. M. Marmorstein, qui connaît si parfaitement la Haggadah, s'applique à en déterminer la signification en considérant la raison d'être ou la forme spéciale de certaines sentences (the Background of the Haggadah, p. 141-204). Quelques polémiques ne seraient-elles pas dirigés contre des gnostiques juifs, qui auraient adopté les positions de Marcion, son dualisme et ses critiques du démiurge? Ce n'est pas impossible. De toute façon ces considérations nous valent des documents intéressants sur l'apologétique juive et la remarque, qu'il nous plaît d'enregistrer, à savoir que les fameux minim ne peuvent être des chrétiens, puisqu'ils défendent des vues qu'un chrétien ne peut soutenir. Sont ensuite étudiées certaines formes dialectiques de la Haggadah dialogues plus ou moins fictifs, formules comme celles-ci « Si quelqu'un te cela pour répondre à ceux qui disent. » Ces procédés ne seraient-ils pas imités de la diatribe stoïcienne? Peut-être; mais il aurait fallu déterminer la fréquence de ces formules, qui ne paraissent pas tellement usuelles; se demander également si elles ne correspondraient pas à des formes analogues de la discussion halachique. Une plus exacte acribie dans les références rendrait les ouvrages de M. Marmorstein plus agréables et

dit.

utilisables 5. M. Aptowitzerrecherche les antécédents juifs de quelques théories arabes sur la création (p. 205-246) contribution intéressante au chapitre, encore mal étudié, des origines juives des traditions musul-

manes. Certains rapprochements paraissent vraiment forcés la ressemblance est très partielle ou superficielle, ou bien les textes invoqués ne signifient pas ce que prétend notre auteur ainsi sur Adam « der Urkôrper », ou « der Urstoff » de la création. Par Références trop vagues ainsi (p. 204, n. 58) Tosefta Sota 3oo (= IV, 7); ou prêtant à confusion Pes. RK. est aussi app'elée Pes. B. Plusieurs références inexactes ainsi (p. 199, n. 43) Gen. r. 67. 4 éd. Theodor 75 f.; cette dernière indication est fausse. Pes. b. [6ta ne contient pas la sentence de Hanina b. Hama. 5.

ailleurs que peuvent signifier des rencontres avec des textes sporadiques et puisés dans des écrits des époques et des provenances les plus diverses? Ici encore les remarques n'auraient une véritable portée que si elles portaient sur des doctrines assez répandues et permettaient ainsi des conclusions d'ensemble.

Histoire du Judaïsme

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L'éditeur Payot doit être remercié pour avoir mis à la portée des lecteurs français la History of the jewish Peo-ple (from creation to the pèsent day, r925), nous fournissant d'un ouvrage intermédiaire entre les manuels classiques et la traduction, un peu vieillie, de l'édition populaire de Graetz. La traduction suit fidèlement le texte américain, reproduit la bibliographie (sans y ajouter d'autres ouvrages français, qui pourraient y figurer), la table, trop matérielle; mais elle supprima les tables chronologiques et, ce qui est plus regrettable, les cartes géographiques. Dans ce livre, l'histoire du Judaïsme, depuis la catastrophe de 70, occupe la plus grande partie (pp. 192-680). La période antérieure est contée brièvement, et pour les temps les plus anciens elle se fait encore plus sommaire, se tenant à la lettre de Bible, mais entendue, toujours d'ailleurs très discrètement, suivant une exégèse assez naturaliste et dans un esprit libéral. Le reste de l'histoire juive est présenté d'une manière compréhensive, décrivant les événements extérieurs et aussi les mouve ments de pensée. Cette histoire, qui ne prétend pas être une œuvre de science originale, se fonde sur une base solide. Elle est conçue dans un esprit de sincère nationalisme juif, mais sans sectarisme on n'y trouve pas, comme en tant d'autres ouvrages similaires, un accent d'acrimonie et de jalousie rancunière contre le Catholicisme et l'Église.

Margolis et Alexandre MARX. Histoire du Peu-pie juif. Traduit de l'anglais par J. ROBILLOT. Payot, Paris, iç3o. ln-8, 750 p., 6. Max L.

francs. Georg ROSEN. Judeti und Phonizier. Das antike Judentum als Missionsreligion und die Entstehung der jüdischen Diaspora. Neu bearbeitet und erweitert von Friedrich Rosen und Georg Bertram. Mohr (Siebeck), Tübingen, 1929. In-8, VIII. 18S p. M. 11. Joachim Jeremias. Jérusalem sur Zeit lesu. II Teil, Die sozialen Verhaltnisse. B. Hoch und niedrig; 1 Lieferung, Die gesellschaftliche Oberschicht. Leipzig, Eduard Pfeiffer, 1929. In-8, 142 p. R. P. Jacobus-M. Voste, O. P. De sectis Juàaeorum tempore Christi. Romae, Collegio Angelico, ig2g. In-8, p. 53. 60

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La diffusion presque universelle du peuple juif au moment de l'avènement du Christianisme et son accroissement si considérable dans la diaspora posent à l'historien et à l'ethnologue un problème intéressant. Cette augmentation extraordinaire est communément ramenée à deux causes une abondante prolifération et l'accession de prosélytes, qui rapidement s'incorporent à la nation, laquelle coïncide avec la religion qu'ils ont élue. Remarquons que les statistiques signalent dans l'ensemble de la population juive de 190c à 1930 un accroissement d'environ S 400 000 cela montre l'importance du premier facteur et nous engage à ne pas trop demander au second, à l'agrégation d'éléments étrangers. D'autant qu'il faut tenir compte aussi de l'autre donnée du problème une certaine unité du type physique, sans que toutefois on puisse parler d'une véritable race anthropologique. M. Georg Rosen, au cours de sa carrière consulaire, fut intrigué par le problème ayant observé que le développement des groupements juifs correspond avec la disparition des Phéniciens, il conçut l'hypothèse que les deux phénomènes étaient corrélatifs les Phéniciens ont été absorbés par les Juifs cela explique à la fois l'accroissement de ceux-ci et la conservation de leur type physique. Le travail, qu'il avait entrepris sur ce sujet, a été après quarante ans repris par son fils, qui, avec l'aide d'un spécialiste, le professeur Bertram, parvient enfin à le publier. Cette persévérance dans le travail scientifique de deux amateurs, par ailleurs très occupés, méritait d'être signalée. Le travail comprend deux parties la première n'est pas encore la démonstration de la thèse, mais est destinée à la préparer. Les Phéniciens ont, comme tous les Syriens, quantité de traits de ressemblance avec les Israélites, ce qui facilitera la fusion. Oui mais la barrière religieuse, qui, du côté juif, se fait de plus en plus infranchissable et irréductible? Nos auteurs, pour ainsi parler, « boivent l'obstacle » en multipliant à l'envi les points communs entre les deux religions conception identique du dieu, cultes similaires, trinités divines, religion astrale. et autres thèses de Baudissin et Nielsen, qu'il serait infini de reprendre. Par ailleurs, le Judaïsme se prépare à la conquête en se faisant religion missionnaire par sa diffusion dans le monde, par son universalisme, son caractère moral, son hellénisation croissante, surtout dans la dias pora, par les efforts et les succès incontestables de sa propagande. Nous avons là quantité de détails intéressants, sinon originaux, sur le prosélytisme juif; mais comment admettre l'affirmation, dont la portée tendancieuse est manifeste pour se faire plus accueillant,

le Judaïsme s'ouvre toujours davantage, cédant au mouvement général de syncrétisme? La deuxième partie apporte la démonstration Juifs et Phéniciens se sont répandus dans les mêmes contrées isolés en ces payss étrangers, les sémites se sont unis en un même groupe; la religion juive, plus adaptée, est devenue l'unique religion des groupements; ainsi les Juifs finissent par assimiler tous les autres Syriens. Nos auteurs font la preuve de la diffusion commune dans les limites de l'empire romain et ils reconnaissent que, pour le reste du monde, il est impossible de l'établir. La fusion des deux peuples n'est qu'une conjecture est-elle démontrée par le fait qu'à Rome, par exemple, les défunts des catacombes juives portent des noms où entrent des noms de dieux honorés par les Phéniciens, ou bien ont exercé des métiers que condamne la religion juive, mais qu'on trouve professés par des Phéniciens. et autres indices aussi minces? Conjecture aussi, le ralliement à la religion juive. Nous attendrions, en outre, qu'il nous fût expliqué en quoi consiste la disparition des Phéniciens. En bref, thèse possible, mais pas encore démontrée. De ses études si denses et objectives sur Jérusalem au temps de Jésus, M. Joachim Jeremias consacre le dernier cahier à la classe dirigeante le sacerdoce, la noblesse laïque, les scribes et les Pharisiens. Pour Josèphe, les prêtres détiennent dans la nation juive la noblesse héréditaire et le pouvoir. M. Jeremias nous livre en 86 pages quantité de renseignements sur le grand prêtre et les familles dans lesquelles il est choisi; les âp^tepeïç, que mentionnent le N. T. et aussi Josèphe, et qui constituaient une aristocratie sacerdotale, possédant sa juridiction propre et son tribunal les classes supérieures, ou officiers, des prêtres et des lévites; les simples prêtres et les lévites. Impossible de résumer ce chapitre il considère surtout les fonctions sacrées du sacerdoce, un peu sa condition sociale, presque pas son autorité politique. Les seules critiques, que nous adresserions aux données présentées ici, c'est que, d'une part, il est trop fait état de textes tardifs et des spéculations des rabbins postérieurs, si peu renseignés sur tout ce qui touchait le Temple, et, d'autre part, certains usages, en vigueur en yo, pourraient bien être de création récente, comme l'assure M. Biichler 7. Avant d'en venir aux autres classes dirigeantes, signalons deux autres travaux sur ce même sujet il ne sera pas superflu de prendre

Priester und der Cultus im letzten Jahrzehnl des } erusalemis*hen Tempels. Wien, 1895. 7. Die

trois guides pour mieux nous diriger en cette question du Phari. saïsme, que la multitude croissante des études, destinées à l'élucider, ne fait qu'embrouiller davantage. L'Opusculum du R. P. Vosté sur les sectes juives au temps de Jésus-Christ présente les caractères d'une dissertation, visant à donner à des étudiants des notions claires et une première orientation sur les Pharisiens, les Sadducéens, les Esséniens, les Zélotes, les Hérodiens, les Samaritains et les Prosélytes (ces trois dernières catégories sont traitées plus brièvement en appendice) ces pages atteignent parfaitement leur fin par leur netteté, leur solidité. Dans le recueil de l'Hebrew Union College de Cincinnati, M. Jacob Z. Lauterbach publie trois conférences sur les Pharisiens et leur enseignement (p. 69-139) exposition faite à grandes lignes et d'inspiration libérale. A l'aide de ces trois études, envisageons la question dans son entier. Nos sources nous fournissent-elles des informations complètes et sûres? M. Lauterbach les déclare, toutes, suspectes ou inadéquates, parce que provenant d'auteurs ou de milieux qui ne connaissaient plus l'origine des deux partis et ne comprenaient donc pas leur raison d'être ni leur nature propre de ces documents on ne peut tirer que quelques hints. Cela paraît vrai des rares données que contient la littérature rabbinique; et le R. P. Vosté a parfaitement raison de se référer aux indications du N. T. et surtout aux témoignages de Josèphe, qu'il dit majoris momenti, malgré quelques inexactitudes et déformations. Un point de vue, qui a été la cause de beaucoup de confusions, est celui qui identifie Scribes et Pharisiens. Le P. Vosté note « In Novo Testamento observatur apfarens synonymia inter Pharisaeos et Scribas. Attamen non omnes Pharisaei erant scribae, cum inter Pharisaeos quidam designentur nomine idiotae seu Miterait, alii vero nomine sapientis vel doctoris; sed plerique scribae erant tunc Pharisaei. » M. Jeremias insiste sur cette distinction fondamentale. Et il nous présente ces docteurs bien que n'appartenant pas nécessairement à l'aristocratie, qui était primitivement avec les prêtres l'unique classe dirigeante, ils devaient à leur science l'accès à des charges importantes, et en particulier au Sanhédrin, où leur compétence juridique leur conciliait une influence croissante. Ces docteurs, plus tard appelés rabbins, se rencontrent tant chez les prêtres et lévites que parmi les Sadducéens et les Pharisiens. M. Lauterbach nous donne à peu près les mêmes renseignements. M. Jeremias s'applique à définir la science des scribes; il se plaît à

accuser son côté ésotérique, non sans exagération 8; il est certain pourtant que les traditions rabbiniques comprenaient des chapitres secrets et que, dans son ensemble, la loi orale apparaît comme un dépôt réservé à une caste de privilégiés de là leur autorité et les honneurs dont ils sont entourés. Le Sanhédrin, où siègent les scribes, comprenait, à côté des prêtres, des laïques, les « anciens » ou les « grands »; c'étaient les représentants de la noblesse laïque, les chefs des familles patriciennes, hommes riches et importants. Cette aristocratie était étroitement liée à l'aristocratie sacerdotale. Peut-on dire, avec M. Jeremias, qu'elle constituait un groupe fermé, une sorte de communauté? Le fait qu'on parle d'eux au pluriel {zequenim ou gedolim) me paraît insuffisant à étayer cette induction. Il serait prématuré également d'identifier tout simplement cette aristocratie avec les Sadducéens il faut attendre pour cela la constitution et l'opposition des deux partis. De l'origine des deux partis, MM. Jeremias et Lauterbach donnent en gros la même explication, mais ce dernier ajoute des vues plus aventureuses. Les uns et les autres sortent du sacerdoce, les Pharisiens réclamant une observation plus exacte des lois, obligeant les prêtres à une pureté particulière, et l'extension de ces lois à tous les fidèles. Il est probable que cette divergence se manifesta peu après le retour de l'exil et ne cessa de s'accroître; nos auteurs (P. Vosté, p. 10) estiment que la séparation était chose faite au temps d'Antiochus Épiphane, puisqu'ils tiennent pour des Pharisiens, les 'Ac.Saîoi, en qui les Macchabées trouvèrent leur principal appui. Les Esséniens, ces Pharisiens au superlatif, comme dit le P. Vosté, sont aussi un produit de cette scission. Cette conjecture, si vraisemblable, rend compte de la nature des deux partis. En soi et originairement, ce ne sont pas des partis politiques ni des castes sociales, bien qu'en fait ils aient nécessairement pris dans la suite cet aspect ce sont essentiellement des partis religieux, représentant deux conceptions de la religion. Les Sadducéens ont leurs docteurs, leurs principes juridiques et leur code, ainsi que leur théologie; bien que leur prestige aille toujours déclinant, ils imposent parfois leurs décisions, même par Cette insistance sur l'ésotérisme amène notre auteur à affirmer que l'Apocalyptique, « telle qu'elle nous a été conservée dans les écrits pseudépigraphes. appartenait au fond traditionnel ésotérique des scribes 107).' L'assurance est peut-être un peu trop générale, mais elle suggère la conclusion que cette littérature des Apocalypses n'était pas la propriété d'une école, isolée du grand courant officiel. 8.

(p.

la violence. Leur provenance les oblige à être conservateurs; sortis du sacerdoce et de l'aristocratie, ils se perpétuent dans ces deux milieux; bien que tous les prêtres ne soient pas sadducéens, le rapport proposé par M. Jeremias est assez juste les prêtres sont les représentants du parti sadducéen, comme les scribes le sont du parti pharisien. Ces derniers, comme le soulignent nos deux auteurs, sortent plutôt des milieux populaires, ce sont les démocrates (M. Lauterbach écrase un peu cette note), mais ils comptent dans le sein du sacerdoce des adhésions et des sympathies; ils ont sur la foule une autorité, qui les rend intangibles à un Hérode, parce qu'ils apparaissent comme les authentiques représentants de la religion, les saints (Paruch est souvent l'équivalent de saint); si tous les Pharisiens ne sont pas scribes, ils ont la réputation de mieux connaître la loi et leurs docteurs finissent par l'emporter: d'où l'habitude de conjuguer les deux noms et de les prendre comme corrélatifs; cependant, « nomen scribae designat officium seu munus, nomen Pharisaei sectam religiosam » (Vosté, p. 9) les Pharisiens sont les plus nombreux. M. Jeremias cherche aussi à reconstituer l'organisation interne du Pharisaisme; il tient à le présenter comme une communauté, ou un groupe de communautés, ayant leurs chefs, leurs réunions, leurs tribunaux. Il paraît plausible (comme le fait aussi le P. Vosté) d'identifier les Pharisiens aux chaberim, si soucieux de pureté; les documents attestent l'existence avant 7o de leurs confréries à Jérusalem mais les soumettre à la législation des chaburot, élaborée à Uscha vers i5o, semble quelque peu imprudent. Également je ne crois pas que la sainte assemblée de Jérusalem », à laquelle Rabbi le saint se réfère plusieurs fois, soit identique à la communauté pharisienne ce serait plutôt une école ou un tribunal juridique. Pourrions-nous voir dans la communauté de l'alliance, dont le document sadoquite nous a conservé les statuts, le type de ces communautés pharisiennes ? M. Jeremias le croit. Il nous dit peu de choses de la doctrine pharisienne. M. Lauterbach s'étend longuement sur ce sujet. Voici les principes qu'il met à la base de son exposition. Pour les prêtres et pour ies sadducéens, leurs héritiers, Dieu est un monarque redouté, qu'il faut rapprocher de ses créatures; la loi ne prend sa valeur obligatoire que du serment de l'alliance par suite, elle doit être gardée à la lettre, sans rien, chercher d'autre. Pour les Pharisiens, héritiers des prophètes, la religion consiste à élever l'homme vers Dieu dans un sentiment d'amour; la loi, qui doit servir à cette fin, a été donnée aux hommes, pour les aider à imiter Dieu elle est en harmonie <<

avec notre raison et doit être interprétée suivant les lumières de cette raison, qui est aussi la voix de Dieu d'où le caractère progressiste du Pharisaïsme et son attachement aux traditions, qui com-

plètent la loi écrite. Dans le même esprit sont reconstituées les autres doctrines, prétendues pharisiennes, sur Dieu, sur le culte tout spirituel et laïque, sur l'universalisme absolu de la religion (Israël potentially embraces ail mankind). Nous ne nous attarderons pas à analyser tous les traits de cette théologie notre auteur a projeté sur le portrait qu'il trace de ses ancêtres ses croyances et son idéal. Nous préférons l'esquisse, plus sobre et fondée sur les textes, que trace le P. Vosté.

Doctrines° La théologie pharisienne vient de nous être déclarée toujours conforme à la raison voici que le Judaisme nous est présenté, non comme l'unique religion de la raison, mais comme la religion qui réalise cette qualité de la manière la plus haute et la plus originale. L'ouvrage qui aborde ce thème, nous pouvons aisément le supposer, ne sera pas un exposé nu des doctrines bibliques et post-bibliques, mais avant tout une synthèse philosophique. Herman Cohen, célèbre par ses travaux sur Kant et par son propre système, qui prolonge le criticisme idéaliste, avait toujours fait place en sa synthèse aux idées religieuses, au Messianisme, par exemple, « auquel doit aboutir toute théodicée véritable»; il consacra ses dernières années à la philosophie de la religion. La religion, affirmait-il, doit s'ajouter à la morale, comme un complément nécessaire; car, seule, elle con-

Hermann COHEN, Religion der Vernunft aus den Quellen des Juâentums. Zweite Auflage. J. Kauffmann, Frankfurt am Main, 1929. 9.

In-8, 629, p. M. 18. C C. Montefiore, Rabbinic Literature and Gospel Teachings. Macmillan and Company, London, ig3o. In-8, XXII, 442 p. Shil. i5.

Wolfgang WICHMANN. Die Leidens-Theologie. W. Kohlhammer. Stuttgart, 1930. In-8, vin, 97 p. M. 5,6o. Immanuel BERNFELD, Eid und Gelubde nach Talmud und Schulchan Aruch. 3e éd. Philo Verlag, Berlin, ig3o. Petit in-8, 24 p. M. 0,95. Samuel BIALOBLOCKI, Materialien zum islamischen und jùdischen Ehereckt. Tôpelmann, Giessen, 1928. In-8, 54, p. M. 3,50. Moses JUNG, The jewish Law of Theft. Dropsie College, Philadelphia, 1929. In-8, vi, r45 p. Josef WOHLGEMUTH. Bas Tier und seine W erlttng im alten fudentum. J. Kauffmann, Frankfurt am Main, ig3o. Petit in-8, 149 p. M. 4.

sidère l'homme concret, le problème de la souffrance et du péché. Le présent volume, publié après la mort de l'auteur, expose ses idées sur la religion et montre comme ces conceptions s'accordent avec le Judaïsme: Judaïsme dont il prend l'expression avant tout dans la Bible, et particulièrement dans le Deutéronome et Ézéchiel, mais aussi dans la littérature postérieure. Voici la méthode ^habituelle les grandes idées religieuses sont établies d'après la raison et on nous montre ensuite que ces mêmes idées sont contenues dans les textes sacrés. Ainsi pour Dieu, il importe souverainement de le dire, non pas un, concept négatif, qui s'oppose au polymais l'unique, le seul qui possède l'être. C'est cette théisme, notion que signifie le mot caractéristique du Judaïsme, Yachad. Ychud, que symbolise l'apparition de Dieu dans le buisson et qu'exprime le tétragramme il est l'être, ou plutôt, celui qui existe. Ce livre si plein défie toute analyse. Il est difficile aussi de définir son esprit. H. Cohen retient beaucoup des données traditionnèlles est-cé toujours au sens historique ? Il ne semble pas, il dit trop souvent qu'il dégage le sens du mythe. Il garde aussi les expressions consacrées, mais parfois avec une valeur nouvelle la révélation, à laquelle il attache une importance primordiale, est définie « la création de la raison » en même temps il mentionne la révélation du Sinaï. Il traite pareillement le Messianisme, avec toutes ses phases cosmiques et nationales, la résurrection et tout le reste. Cependant, ces pages respirent la portée est un sens religieux profond et une véritable piété, indiquée des pratiques du culte. Somme toute, comme l'écrivait la veuve du philosophe, son livre reflète« une inébranlable confiance en la durée de la puissance vitale du Judaïsme, dont il apercevait dans le Messianisme le point culminant et par le moyen duquel il s'était senti, pendant sa longue vie, étroitement uni aux Pro phètes ».

et

Impossible également d'analyser dans le détail le volume de M. Montefiore il le présente comme une sorte de supplément à son commentaire des Synoptiques; il y considère, plus complètement que dans ce dernier ouvrage, les doctrines rabbiniques, qui peuvent être mises en parallèle avec les enseignements religieux et moraux des évangiles. Cette comparaison, qui porte en très grande partie sur saint Matthieu (341 p.) et qui ne réserve que trente-cinq pages à saint Luc, apour but de déterminer le degré d'originalité, par rapport au Rabbinisme et, partant, par rapport au Judaïsme, des versets évangéliques étudiés et des notions qu'ils contiennent. En fait, M. Montefiore, reconnaissant tout le prix des documents accu-

mulés par Strack et Billerbeck dans leur Commentaire du N. T. d'après le Talmud et le Midrasch, a voulu rendre plus accessibles ces richesses et surtout discuter les conclusions des savants allemands. Les textes rabbiniques qu'il utilise, il confesse les avoir presque tous tirés de l'abondante mine précitée, sauf quelques fruits de ses lectures personnelles; il exploite aussi à l'occasion le Judaism de Moore, le livre de Bùchler sur le péché et autres ouvrages similaires; il a eu recours au contrôle et à la collaboration de M. Loewe, professeur d'hébreu rabbinique à Oxford. Comme Billerbeck, il prend une à une les péricopes évangéliques, abordant ainsi quantité de sujets: le résumer et le discuter pied à pied serait infini, d'autant que la pensée est très nuancée, balançant successivement le pour et le contre. Excellente occasion toutefois pour déterminer les méthodes qui s'imposent en ces études comparatives, si multipliées aujourd'hui notre auteur définit la méthode qu'il s'est prescrite il nous sera facile de l'examiner et aussi de peser les résultats qu'a donnés son application. Voici le détail de la méthode

Pour chaque texte évangélique ou pour chaque doctrine particulière, je me demande 1° cet enseignement est-il familier aux rabbins ou virtuellement identiqueà ce que nous trouvons souvent et communément dans la littérature rabbinique (et cela peut arriver, même s'il n'y a pas un parallèle verbal rigoureusement correspondant) ? Ou bien: 20 cet enseignement est-il rabbinique en son fonds, mais se trouve-t-il prolonger, intensifier, généraliser ou élargir l'enseignement des rabbins ? Ou bien 3° cet enseignement est-il inusité chez les rabbins, mais sans être opposé en aucune manière à la religion rabbinique en ce qu'elle a de meilleur? Ou bien::4° se trouve-t-il prolonger, intensifier, généraliser ou élargir cet enseignement inusité ? Ou bien 5° est-il hors de la ligne rabbinique, opposé à la doctrine rabbinique prédominante, ou tout au moins à l'esprit essentiel de la religion rabbinique? Dans les quatre premiers cas cet enseignement peut sans difficulté s'ajuster à la doctrine rabbinique et a fortiori au Judaïsme. Ce n'est que dans le dernier cas qu'il ne peut s'ajuster, ni certainement pas à la doctrine rabbinique, ni peut-être à aucune forme du Judaïsme (p. xix). Le principal vice de cette méthode nous paraît être sa forme fragmentaire. Avant d'instituer une sérieuse comparaison entre deux doctrines, il est nécessaire d'exposer l'une et l'autre dans tout son ensemble et de définir quel est l'esprit particulier, la pointe, de chacun des systèmes; alors seulement il appert qu'il n'est pas légitime d'affirmer la parenté entre tels ou tels points, qui présententt -des ressemblances superficielles, mais qui s'opposent profondément

par leur tendance. Cette marche est indispensable quand les termes à confronter sont le Judaïsme et le Christianisme:s'ils coïncident en bien des parties, ils s'opposent sur certains principes fondamentaux de manière irréductible. En conséquence, nous ne croyons pas qu'on puisse, sans plus, dire que les doctrines, envisagées sous (3) et (4), peuvent s'ajuster à la doctrine rabbinique. Par ailleurs, comparer isolément les éléments doctrinaux conduit soit à les déformer de part et d'autre, afin de les mieux rapprocher; soit, afin d'effacer les différences, à recourir à des considérations générales, à reprendre cet exposé d'ensemble par lequel il aurait fallu commencer M. Montefiore n'échappe à aucun de ces inconvénients. Il est aussi une autre question de méthode qu'il aurait fallu résoudre dès le départ: dans quelle limite sont prises les doctrines comparées?Nous voyons, d'après la suite de l'ouvrage, qu'à un Jésus, dessiné suivant quelques pages des Synoptiques, est opposé le Rabbinisme, envisagé dans tout son développement. Nous trouvons injuste, unfair (mot cher à notre auteur), de se donner une figure de Jésus rapetissée l'historien ne peut renoncer aux données et à la lumière que fournit saint Jean; encore moins ne doit-il pas, pas, aveuglé par des prétendus préjugés critiques, ou par les « bésicles libérales (que M. Montefiore confesse chausser, p. xix), suspecter des textes gênants ou rejeter des pans entiers de doctrine (par exemple l'eschatologie) comme n'ayant pas d'intérêt religieux. Et nous n'admettons pas qu'il soitfait état d'un rabbinisme indéfini, de textes talmudiques et de textes midrachiques récents, quelles que soient leur date ou leur provenance, sous prétexte qu'ils reflètent l'esprit rabbinique, lequel n'a pas évolué. A ce compte, pourquoi également exclure le christianisme des Pères de l'Église? En outre, s'il est vrai que la théologie juive n'a guère progressé, il est des croyances qu'elle a évacuées par réaction contre les dogmes chrétiens, d'autres qui n'apparaissent qu'assez tardivement (c'est avoué pour le Messie d'E-phraim, p. 3o5-3og), et on peut distinguer des écoles et des tendances divergentes. Enfin, quelle est la pierre de touche qui décèlera qu'un texte représente l'authentique esprit rabbinique? Problème épineux dans une littérature qui peut produire sur le même sujet des témoignages qui paraissent se contredire particularisme et universalisme, formalisme et sens intérieur, faveur pour les prosélytes et hostilité. Nous souscrivons à la règle si sage qu'il faut tenir compte de l'ensemble des textes; mais elle ne dirime pas toutes les difficultés. Et qui peut se targuer de posséder « cette science, ce flair, cette absolue impartialité » (p. 26S), qui permettent de juger que telle proposition est négligeable, parce que plaisanterie, paradoxe ou exagéra-

tion, genre fréquent chez les rabbins (p. 264, 2i3, 189.) ou que telle doctrine est rabbinique, bien que les parallèles verbaux fassent défaut? (P. 3oo, 371.) M. Montefiore jouit de ce privilège. Au surplus, il est animé d'un large libéralisme et d'une haute loyauté; il avance qu'il « s'applique moins que la plupart des écrivains juifs, soit à mettre sur le même niveau que les enseignements de Jésus les enseignements des rabbins, soit à déprécier les enseignements de Jésus quand ils paraissent (aux écrivains chrétiens) dépasser le niveau rabbinique » (p. xvi). Et, en effet, il dénonce sans ambages les défauts des rabbins « franc particularisme » (p- 2°7j 69» 76, 81.), légalisme, formalisme, religion mécanique et extérieure (p. 33o, 369, 178, 260), conception étroite et trop arithmétique de la rétribution et du mérite (p. 21, 295, 144, 365), orgueil de leur science (p. 324), haine pour les ennemis (p. 68, 74). Il n'hésite pas à reconnaître que souvent Jésus, ou l'évangile, sont supérieurs (p. 261, 267, 286, 342), que l'évangile ne contient rien d'absurde (p. 352), il se plaît à proclamer sur quantité de points l'originalité de Jésus (surtout p. 162, et p. 47, io3, 221, 299, 365.). Néanmoins, M. Montefiore, qui accuse M. T. Herford d'être quelque peu prévenu en faveur des rabbins (p. 73), ne se lasse pas, il son tour, de les défendre; et il ne semble pas, en cette tâche, qu'il ait suivi la voie moyenne qu'il se proposait (p. i63). Les mesquineries des rabbins trouvent de multiples excuses ils devaient sauver le petit reste (p. 2i5); d'où leur intransigeance, force qui est aussi leur faiblesse (p. 75);leur culte pour la Pentateuque les détournait des Prophètes, servilité qui ne se trouve pas chez Jésus, qui connaissait moins les Écritures, et qui, en outre, se conduisanten « franc-tireurs, était tenu à moins de responsabilité (p. 262, 319, 35i, 377); leur horreur pour l'idolâtrie et l'hérésie explique leur âpreté (p. 82, 215, ioo), au reste, à cet égard, que n'ont pas fait les chrétiens (p. 75, 21S, 373) ? Et voici qu'interviennent les arguments ad Jwminem (p. 45, 46, 38i). Bien plus, il est dit, au sujet des doctrines essentielles, que les rabbins n'ont rien à apprendre de Jésus (p. i35, 3i5.), les deux sont mis sur le même pied (p. 109, n5, 147, 35o.) ou renvoyés dos à dos, comme « étant également dans l'erreur » (p. 201). Et Jésus finit par être condamné il a prescrit d'aimer les ennemis, mais n'en a pas donné l'exemple, tout au contraire (p. io3, 322); il est souvent paradoxal (p. 23i, 274), il prêche une morale impossible et idéale en vue de la consommation prochaine (p. 282). Le lecteur chrétien ne comprend plus. Les contradictions des rabbins trouvent une excuse du chef qu'ils n'ont pas de système cohérent (p. i63) leur apologiste aurait-il quelque part de cet esprit ? Il est clair qu'il a entrepris une besogne malaisée confesser

particularisme des rabbins et montrer qu'ils professent une charité universelle (p. 59-109), reconnaître qu'ils ont une confiance absolue en la puissance de la liberté et dans le mérite des œuvres et prouver qu'ils s'attendent aussi à la grâce divine (p. 154-201) comment dénouer ces antinomies et autres pareilles ? Pour Strack-Billerbeck, le particularisme et le légalisme constitueraient le fonds de la doctrine rabbinique, les propos de tendance universaliste et de piété intérieure viendraient s'y joindre à titre de correctifs et de précautions, mais sans obtenir un effet sérieux, tels des ornements plaqués sur l'édifice nomiste (IV, p. i5). Cette explication blesse douloureusement M. Montefiore il estime les deux composantes du système rabbinique aussi essentielles l'une que l'autre. Pour le démontrer, il s'est laissé entraîner, semble-t-il, à oublier les règles d'une sage critique. Il déforme les doctrines qu'il compare. Pour ce qui touche le rabbinisme, les jugements contestables portent surtout sur la valeur et la hiérarchie, dans l'ensemble des croyances, des divers éléments doctrinaux ainsi peut-on dire « Le particularisme n'importait pas tellement au Judaïsme, car il n'appartenait pas à l'essence de la religion » ? Pour ce qui concerne le christianisme, nous souffrons de voir nos croyances incomprises et dénaturées ainsi le dogme de la foi et des oeuvres, confusion habituelle chez les Juifs, la notion de foi et sa relation au miracle, le rôle de l'idée de salut dans la prédication de Jésus. La thèse que le rabbinisme n'a rien à apprendre du christianisme exige encore d'attribuer aux deux religions des concepts à peu près identiques, sur des sujets où elles diffèrent profondément par exemple, la foi, le péché originel, le problème du mal. Et force est aussi d'opposer aux textes évangéliques des textes rabbiniques, même quand le parallélisme est purement verbal et le rapport fort lointain ainsi à propos de l'attitude de Jésus envers le les pécheurs, « qui n'a pas de parallèle rabbinique », sont rappelées des histoires de rachats de prisonniers, voués à la débauche (p. 221223) les préceptes du Christ sur le renoncement à soi-même (doctrine qui déplaît à notre juif libéral) sont comparés aux normes rabbiniques, par ailleurs si indulgentes et concessives, sur le martyre (p. 355); à la parabole du Samaritain, dont l'authenticité est du reste si fort contestée par notre auteur, sont assimilées des histoires qui ne reflètent pas le même esprit (p. 344-349). Je m'excuse de ces critiques, qui paraîtront acharnées et trop minutieuses qu'elles soient une marque de l'estime que je fais du livre de M. Montefiore, remarquable par sa noble impartialité et précieux pour nous par nombre de jugements et de témoignages, pertinents et autorisés, sur le rabbinismele

Méthode rigoureuse et intelligente dans l'emploi de la littérature rabbinique, telle est la qualité qui frappe dans la dissertation de M. Wichmann; clarté, esprit judicieux et compréhensif, marquent aussi cet essai, gage et promesse pour l'avenir de travaux solides sur les doctrines du Judaïsme. « Théologie de la douleur », ainsi est appelée la doctrine qui propose une explication de la douleur, et donc une solution du problème du mal, en se fondant sur la notion étroite de rétribution pas de faute ni de mérite sans punition ou récompense, et réciproquement. Cette théologie rencontre sa formule nette et complète chez Aquiba et ses disciples, sous la pression des événements, ruine de Jérusalem et écrasement de la révolte de Bar Kochba; elle réapparaît ensuite autour de Johanan. La voici, réduite à ses termes essentiels le juste est puni ici-bas pour ses légers péchés, afin de recevoir dans l'au delà une récompense sans mélange l'impie est récompensé ici-bas de ses légers mérites, car il ne peut attendre dans l'au-delà que punition d'où la béatitude de la souffrance, gage de salut, puisque expiatoire. Cette exposition repose sur une étude des textes rabbiniques, conduite suivant toutes les exigences de la critique, ce qu'on trouve si rarement dans les ouvrages similaires pour chaque sentence les diverses recensions sont collationnés, l'authenticité est discutée et n'est admise que si le nom de l'auteur est transmis par des témoins sûrs. Cette théologie de la douleur, qui apparaît arrêtée dès le début du second siècle, se retrouve dans des écrits antérieurs, tout au moins dans ses éléments constitutifs ainsi dans 2 Mac., Ni, 12-17;Luc, XVI, 25; Ni, 24; 1 Cor., xi, 32, et dans l'Apocalypse syriaque de Baruch. La préoccupation « comparatiste » semble avoir poussé M. Wichmann à voir une forme ou une trace de sa théologie là où se discerne à peine un rapport lointain; mais il convient souvent que, par exemple, l'idée de la valeur expiatoire de la souffrance est, dans tel texte, supposée et non affirmée. L'auteur et non les auteurs de 2 Baruch aurait-il pour fin de redresser les erreurs et les obscurités de4 Esdras sur cette question de la souffrance? La démonstration ne m'a pas convaincu. Puissent quantité de monographies pareilles venir inventorier la farrago rabbinique et la mettre à la disposition des exégètes et des

théologiens L

Une des accusations, que les antisémites ressassent volontiers contre les Juifs, est celle de fausseté, en particulier dans les serments et les vœux M. Bernfeld repousse cette imputation. Il rapporte la doctrine de la Bible et de la littérature postérieure sur ces deux sujets montre que la fameuse formule Kol nidre rel="nofollow"> si souvent

il

attaquée, ne comporte que l'annulation des engagements pris envers Dieu, auxquels on aurait manqué par oubli; il examine les textes rabbiniques, où sont relatées, soit des histoires de docteurs trompant des étrangers, soit ia permission, en certains cas, de manquer à 'la vérité. L'exposé est complet et loyal, malgré une légère pointe apologétique les Juifs n'ont-ils jamais abusé du serment et sur ce point les réprobations du Talmud vont-elles plus loin que le Sermon sur la Montagne ? Un islamisant aussi compétent que le P. Lammens a souvent exprimé le vœu que le savant, qui veut étudier l'Islam commence par prendre connaissance du Judaisme, et en particulier du Judaïsme rabbinique, en raison des nombreuses dépendances du premier à l'égard du second. M. Bialoblocki rappelle cette nécessité et la démontre en général en relevant les sources juives de certaines sentences du Hadith (sentences traditionnelles qui rapportent la coutume sacrée ou Sonna). Il recherche ensuite sur quel points la législation musulmane du mariage se rencontre avec le Judaïsme. Certaines de ces ressemblances s'expliquent suffisamment par les anciens usages sémites dont l'un et l'autre proviennent. Dans nombre de cas ces coïncidences ne se justifient que par des emprunts, que l'Islam a faits, soit à la législation juive, soit à des traditions juives particulières. La preuve est administrée par l'étude des usages matrimoniaux de l'Islam et leur rapprochement des documents juifs, depuis la Bible jusqu'au Talmud et ses commentaires les plus anciens. Certains de ces rapprochements paraissent un peu forcés, ainsi entre la coutume du mariage Mut'(union temporaire de jouissance) et ce qui est raconté de Rab il cherchait dans ses divers séjours des épouses provisoires. Cette dissertation, introduction à un prochain ouvrage sur le droit islamique, contient des études assez poussées sur presque toutes les parties de la législation matrimoniale juive, sur le sens de quelques mots ou la portée de quelques pratiques particulières elle aboutit à cette conclusion « Le mariage mahométan pénètre moins profondément que le juif dans la vie des époux» (p. Si), parce qu'il n'est pas empreint de ce sens religieux profond que reflète le verset connu de Gen. m, 24. Bien des indices permettent de conjecturer que, suivant une conception juive, le divorce était une concession accordée à Israél et n'appartenait pas au droit naturel

fondamental. #

Encore une étude de droit comparé. M. Jung présentait, devant le Dropsie College for Hebrew and cognate Learning (Philadelphia), une thèse de philosophie retraçant le développement de la législation

juive relative au vol, et la comparant, sur certains points, avec les droits romain et anglais. Il estime, à bon droit, qu'un pareil travail exige à la fois des connaissances juridiques et une érudition rabbinique, rarement réunies. Il expose le droit juif d'après la Bible, le Talmud, les divers codes qui font autorité et leurs commentaires classiques, et il explique en juriste ces dispositions. Impossible d'analyser cette dissertation, sobre de considérations générales, mais riche de précisions juridiques. Notons qu'elle contient, non seulement un chapitre de droit pénal, mais aussi quantité de détails et d'élucidations sur des questions qui intéressent le droit et la morale les divers modes d'acquisition, la kawwana, qui comprend l'intention et le bon escient, la coopération, la présomption, les élargissements introduits dans les lois pour le bien de la paix. L'auteur observe que la loi juive anticipe bien des notions modernes, qu'elle est supérieure à beaucoup d'autres législations, parce que plus humaine. Elle semble aussi, par endroits, terriblement asservie à la lettre. Il nous semble que s'imposaient, en outre, des réflexions sur la réalité de ces lois; on se demande de plus en plus si certaines prescriptions juives étaient applicables et n'étaient pas plutôt des spéculations purement scholastiques. Prenons, par exemple, l'institution de la HatercHah un criminel n'est tenu pour pleinement coupable et ne peut être frappé de la peine capitale que s'il a été dûment averti par deux personnes, immédiatement avant le crime, de l'illégalité de son action et de lasanction qu'elle entraîne. Évidemment, de pareilles précautions attestent l'importance attachée à la mens rea, mais n'aboutiraient-elles pas à énerver toute répression? Par ailleurs, à confronter d'une part Maimonide (Sanh., XII, r, S££.), et de l'autre Sanh., 40Ô et autres textes talmudiques, on saisit un progrès, mais dans l'ordre théorique. Et, au surplus, cette disposition s'appliquaitelle au crime de vol? N'a-t-on pas tiré d'illégitimes inductions du principe admis (Sanh. 72b) qu'on peut tuer le voleur par effraction nocturne (Exode, xxn, 1, 2), parce qu'il y a là un avertissement équivalent? Une supériorité qu'Israël aime à revendiquer pour sa morale religieuse, c'est que seule elle prescrit des devoirs envers les animaux, depuis l'interdiction de manger une partie d'un animal vivant, jusqu'à la défense de museler le bœuf qui foule le grain sur l'aire. Il semble que, dans la plupart des cas, ces lois sont inspirées par un vrai sentiment de compassion envers les bêtes. M. Wohlgemuth voit encore plus dans l'attitude de la Bible et du Midrasch envers les animaux, il y retrouve une conception qui lui est chère

si

l'homme est séparé de l'animal par un abîme, il n'en subsiste pas moins entre lui et ses frères inférieurs une vraie parenté, fondée sur des origines et des qualités communes. L'humanité primitive avait conscience de cette parenté; ce sentiment a toujours persisté en Israèl, alors qu'au dehors, surtout sous l'influence du christianisme, il ne cessait de se dégrader. Les témoignages de cette attitude, on les trouve à toutes les pages de la Bible et de la littérature postérieure les nombreux préceptes favorables aux animaux; le vocabulaire qui distingue bêtes et hommes, mais les met souvent sur le même pied; les égards manifestés pour tout ce qui a vie; toutes les qualités attribuées aux bêtes elles prient, elles sont responsables, leur sort est étroitement uni à celui de l'humanité; il n'est jamais parlé d'elles en termes désobligeants comme en beaucoup de langues modernes (en allemand on dit des hommes qu'ils mangent, et des bêtes qu'elles dévorent.). Ce petit livre est donc comme un bestiaire de l'Ancien Testament et de la littérature juive; démontre-t-il à l'évidence tout ce qu'il prétend? Sauf pour les lois visant la protection des animaux, dont le sens primitif serait à établir, une enquête dans les autres littératures fournirait une moisson de documents fort analogues et permettrait donc d'attribuer aux autres peuples la même conscience d'un lien entre l'animalité et l'humanité. D'ailleurs, que de traits indûment majorés! Les rabbins discutent sur la validité d'un erub qu'établirait un enfant, un dément, un éléphant ou un singe (Erubim, 3i b) prenait-on pour autant les animaux comme des délégués possibles? (P. 17.) Et combien de déductions aventurées!Du rôle du sang animal (le sang en qui est l'âme) dans les sacrifices, est-il légitime de tirer des conclusions sur l'âme de l'animal et sa solidarité avec l'âme de l'homme?

Les Apocryphes 10 Xous sommes heureux de saluer enfin un travail français, et qui se présente avec une modestie, garantie de véritable science son auteur ne veut point imiter les savants, qui recherchent « la paternité de la religion chrétienne », mais « suivre les traces de ceux qui lentement, patiemment examinent les textes dans leur ensemble selon les règles de la grammaire, pour donner une base aussi solide que possible à la connaissance de la période qui a vu se former le Robert EPPEL. Le piétisme juif dans les Testaments des douze Patriarches. Études d'histoire et de philosophie religieuses, publiées par la Faculté de théologie protestante de l'Université de Strasbourg Paris, Alcan, 1930. Grand in-8, vm et 202 p. 3o francs. 10.

mouvement chrétien n. C'est dans ces excellentes dispositions et des l'étude Testaaborde si Eppel méthode M. sage que cette avec ments des douze Patriarches. Dans un premier chapitre sont réunies les notions d'introduction clair, judicieux et qui contient sur ce sujet tant au livre exposé étudié plusieurs apports personnels. Les plus nouveaux sont relatifs au lieu et à la date de composition cette littérature des Testaments aurait été écrite en Galilée ou Syro-Phénicie, – c'est possible,-peu après 198 pour le gros de l'ouvrage, « les allusions à la corruption du sacerdoce auraient été ajoutées à l'époque de Jason et de MénéHs (174 à 170 environ) » les arguments invoqués ne sont pas sans valeur, il nous semble pourtant que certaines données se comprennent mieux pendant les années glorieuses de la dynastié asmonéenne. Dans les autres chapitres est définie la méthode des Testaments et anahsée, d'une manière objective et souvent très complète, la doctrine (ou les doctrines) qu'ils professent. Nous ne pouvons songer à résumer ce résumé on y trouvera toute la théologie de cet apocryphe si attachant. Les interprétations contestables paraissent, presque toutes, provenir d'une préoccupation « comparatiste ». Car M. Eppel, malgré ses bonnes résolutions, s'est trop souvent laissé séduire par le démon du « comparatisme », esprit qui, comme ceux que les Patriarches dénoncent à leurs enfants, trouble toujours quelque peu les regards. Il est vrai qu'ici la tentation était inévitable devant un problème de souveraine importance les Testaments présentent plus que tous autres écrits juifs des accents chrétiens s'ils ont subi des influences extérieures et ont à leur tour exercé un rôle considérable « dans la formation de la doctrine chrétienne primitive », voilà un argument de plus pour intégrer le christianisme dans le grand mouvement de syncrétisme qui marque le début de notre ère. La solution de ce problème capital dépend de la réponse à apporter à plusieurs autres questions. Dans quelle mesure les doctrines des Testaments ont-elles subi l'influence d'autres doctrines religieuses? Le fait sera d'autant plus vraisemblable que sur les points douteux Féloignement des positions juives classiques apparaîtra plus marqué de là la note assez fréquente, accusant l'écart entre le Judaisme et notre livre; impres. sion encore corsée par certains qualificatifs, qui rangent ces nouveautés en des systèmes inconciliables avec la pensée d'Israël animisme, dualisme, vues mythologiques. Qu'en est-il? Contentons-nous d'examiner quelques cas. Les Testaments professent-ils un vrai dualisme? Pas plus que le christianisme, pas plus que saint Paul, qui oppose aussi Béliar à Dieu; si la lutte est constante,

l'empire et le triomphe de la lumière sur les ténèbres sont toujours affirmés. Voir dans l'ange gardien une sorte de double ne repose sur aucune base positive et c'est ruiner l'hypothèse que la fonder sur la parole de Jésus-Christ, Mat., XVIII, io; dans Sota 36 b, ii n'est pas dit que le double de Jacob apparut à Joseph, mais qu'il vit en rêve une ressemblance de son père {deioqân, que les lexicographes rapprochent de sîxwv). Pour ce qui regarde les pratiques extatiques, il est tout aussi faux d'avancer que les rabbins s'appliquaient par une technique savante à développer leurs facultés occultes que de soutenir que « la doctrine du char deviendra bientôt suspecte et sera frappée d'anathème » (pp. 176, 177) presque tous les rabbins célèbres se sont livrés à ces spéculations ésotériques? L'ascétisme des Testaments est plus rigoureux que l'ascétisme juif courant, mais il ne fait que prolonger la même ligne; ce qui est taxé de misog) nie ou d'encratisme se retrouve dans les prescriptions rabbiniques relatives à la chasteté et au danger du commerce des femmes. Il ne faut donc pas creuser trop profond l'abîme entre le Judaïsme traditionnel et les Testaments; on éprouvera d'autant moins le besoin d'assigner aux doctrines de ces derniers des origines étrangères. Il est admis dans le Talmud que les noms des anges venaient de Babel et il est probable que des éléments babyloniens, persans et autres ont été assimilés par le Judaïsme; mais M. Eppel, qui a étudié ce chapitre, sait mieux que moi combien la question est complexe, combien est difficile la chronologie des stratifications dans la religion de l'Iran, et combien les spécialistes se gardent des affirmations tranchées et péremptoires. Pour ce qui regarde les rapports entre les Testaments et le christianisme, il importe d'abord de bien délimiter l'étendue des interpolations chrétiennes elles sont évidentes; sont-elles toutes introduites, vraiment interpolées, dans la ou les versions grecques? Ou bien sont elles le fait du traducteur, pénétré lui-même de pensées et d'expressions chrétiennes? Dans ce dernier cas surtout, il sera bien difficile de prononcer ce qui est premier, les textes du Nouveau Testament apparentés aux textes de l'apocryphe juif ou ces derniers. Ce départ est particulièrement important et nécessaire dans les passages messianiques M. Eppel ne semble pas l'avoir suffisamment considéré; il n'accorde pas assez au Messie davidide 11 et il accorde par contre trop au futur grand prêtre lévitique. A la

u. Le R. P. Lagrange donne une présentation plus équilibrée

du

Messianisme des Testaments, parce qu'il ne s'est pas asservi aux interprétations et corrections de Charles, si souvent arbitraires Le Messianisme chez les Juifs. Paris, 1909, pp. 72-78.

lumière de ces remarques et de ces réserves, la situation paraît assez claire. Il est tout naturel qu'apparaissent de nombreuses ressemblances entre le Judaisme, et donc aussi les Testaments, et le christianisme; mais en ce qui touche la morale, le Messianisme et la conception du monde, la nouvelle religion accuse sa note particulière et partout reconnaissable. En conséquence, les rencontres verbales seront faciles à apprécier suspectes, si elles coïncident trop étroitement, et surtout si l'écrit juif fait entendre l'accent spécifiquement chrétien; peu significatives, si elles décèlent seulement une parenté doctrinale, que le christianisme ne songe aucunement à renier. Toutes ces observations indiquent combien peu nous recevons une des conclusions de l'auteur « Si les auteurs des Testaments sont fort éloignés des milieux officiels du judaïsme, ils sont tout proches des cercles dans lesquels apparaîtra l'Évangile galiléen et où se développeront les premières formes du christianisme primitif (p. i85). » Par contre, nous jugeons heureusement choisi le terme par lequel sont désignés les auteurs du livre des piétistes; et cela les rapproche fort de ces hasidim anciens, si peu connus, malgré les pages sympathiques que leur consacrait Kauffmann Kohler 12, ces hasidim qui peuvent être tenus pour les ancêtres à la fois des Pharisiens et des Esséniens; mais M. Eppela trop vu dans les Hasidéens de 1 Macc. n, 42. un parti politique et dans ses piétistes des novateurs, tributaires d'un « syncrétisme qui ne laisse pas d'être parfois révolutionnaire vis-à-vis de l'ancienne foi », pour les identifier. Ce travail si sérieux et si approfondi, que M. Eppel a consacré aux Testaments des douze Patriarches, nous fait attendre avec impatience la traduction qu'à plusieurs reprises il nous en promet.

Les textes 13 Le nouveau volume de la traduction du Talmud de Goldschmidt

comprend les traités Joma, Sukka, Jom tob (ou Besa), Ros hasana, Taanit, suivant l'ordre ancien, qui est aussi celui de Maïmonide, The Origins of the Synagogue and the Church. New-York, Macmillan Co, 192g, pp. 29-133. Cf. Recherches, juin-août ig3o, p. 325, sq. 13. Der babylonische Talmud, neu ûbertragen durch Lazarus GOLDSCHMIDT. Vol. III. Jùdischer Verlag, Berlin, 1930. Petit in-8, 751 p. M. i5. D. W. Staerk. Altjudisclle liturgisclze Geàete,2e éd. Kleine Texte fur Vorlesungen und Uebungen, 58. Verlag von Walter de Gruyter et O. Berlin, ig3o, 32 p. M. 1,70. 12.

mais qui n'a pas été suivi dans les éditions courantes du Babli. Nous retrouvons les qualités déjà signalées14 impression très soignée et version qui permet un premier contact avec cette littérature, fermée pour quiconque n'a pas fréquenté une école rabbinique. La traduction, habituellement décalque du texte original, exige, pour être comprise, une profonde réflexion, une exégèse particulière et souvent le recours aux commentaires classiques; et il ne saurait en être autrement. Nous voudrions qu'en certains passages la traduction, pourtant si littérale, le fût encore davantage, rendant les formes spéciales de la dialectique rabbinique et aussi certaines minuties, tels les calculs de Yoma 6 b, qui ont été omis. Les lecteurs de Berakot et aussi tous ceux qui s'intéressent au Judaïsme seront heureux d'avoir à leur disposition, dans une édition maniable, les plus anciennes prières de la liturgie juive. M. le professeur Staerk les a transcrites, -vocalisées et munies de notes qui indiquent les références bibliques et donnent la traduction des mots qui n'appartiennent pas à l'hébreu biblique; de brèves introductions renseignent sur la destination et l'antiquité de ces formules, dont beaucoup sont antérieures à la destruction du Temple. Le texte reproduit est le texte en usage dans le rite allemand, sauf pour les semone esre, données en édition critique, suivant la recension palestinienne et la forme actuelle. Ce petit fascicule contient les bénédictions qui précèdent et suivent la récitation du sema, le matin et le soir; les semone esre, et leur résumé, le habhinenu; les prières demusapk pour le sabbat et certaines fêtes; quelques prières pour le sabbat; l'ancienne litanie de pénitence ablunu malkenu; et deux quaddil, celui de l'orphelin et celui des docteurs. Enghien (Belgique). 14.

Voir Recherches, juin-août

JOSEPH

BONSIRVEX.

1930, p. 340 sqq.

Le Gérant

Imprimerie J. Dumoulin, à Paris

J. Dumoulin.

DEUX AUGUSTINIENS FOURVOYÉS* BAIUS ET JANSÉNIUS

II.

Jansénius

L'augustinisme de Jansénius est encore plus couramment garanti que celui de Baïus. « Il est certain, écrivait Bayle, que l'engagement où est l'Église romaine de respecter le système de saint Augustin la jette dans un embarras qui tient beaucoup du ridicule. Il est si manifeste à tout homme qui examine les choses sans préjugé, et avec les lumières nécessaires, que la doctrine de saint Augustin et celle de Jansénius, évêque d'Ypres, sont une seule et même doctrine, qu'on ne peut voir sans indignation que la Cour de Rome se soit vantée d'avoir condamné Jansénius, et d'avoir conservé à saint Augustin toute son autorité et toute sa gloire 1. » Depuis Richard Simon, plus d'un,historien pense, au fond, de même, et si l'on ne fait pas de difficulté de reconnaître que l'Augustinus moderne renferme un venin plus actif, c'est qu'on y voit une « saisissante condensation » des doctrines qui restaient éparses à travers l'œuvre du grand Docteur 2. Pas plus, cependant, que les légers opuscules du théologien de Louvain, l'énorme in-folio de l'évêque d'Ypres ne ressuscita la pensée augustinienne. Malgré ses allures d'exégèse littérale, il n'aboutit lui aussi, nous espérons le montrer, qu'à une «

consciencieuse méprise3».

Voir Recherches d'octobre ig3i.

Dictionnaire, article Saint Augustin, remarque E, et article ]ansénius,

remarque H. 2. H. MARGIVAL, Richard Simon, ch. in. 3. L'expression de M. Maurice BLONDEL, Le jansénisme et l'autiest lansènisme de Pascal, Revue de Métaphysique et de Morale, 1923, p. l37. Recheeches SCIENCE bel. XXI. – 17

Il peut sembler qu'au principe de cette nouvelle hérésie se trouve une erreur inverse à celle que nous avons rencontrée chez Baïus. Tandis que celui-ci concevait les rapports entre Dieu et la créature même, au bout du compte, en notre monde présent sur le modèle d'un bilan de banque ou d'un contrat de travail, Jansénius n'est-il pas hypnotisé, tout au contraire, par l'image biblique de l'argile dans la main du potier ? ne subordonne-t-il pas tout à la vision d'un Dieu terrible en sa toute-puissance, qui ne connaît pas de loi, n'a de compte rà rendre à personne, sauve l'un, damne l'autre selon son bon plaisir ? Si tous deux méconnaissent à leur manière la sublime nouveauté de la révélation chrétienne, chez le premier c'est surtout inintelligence du terme mystérieux où elle nous convie, tandis que, chez l'autre c'est oubli de la voie d'amour qu'elle nous trace. Tous deux hommes de • l'Ancien plutôt que du Nouveau Testament, in novo, non Baïus semble avoir retenu autem de novo testamento, surtout l'esprit de ces pharisiens qui, forgeant entre l'homme et Dieu une sorte de convention juridique, vivaient avec lui dans un procès continuel, tout leur espoir étant d'obtenir au jugement une sentence de justification Jansénius, lui, semble avoir hérité un autre caractère du judaïsme charnel (qui fut aussi celui de Mahomet), l'étroitesse de celui qui se croit l'élu du Seigneur 1. Le premier supprimait en fait l'idée le second ne l'exagère-t-il en quelque sorte, en la concevant comme une manifestation de puissance d'autant de la grâce

plus adorable qu'elle apparaît plus arbitraire et plus tyrannique ? Enfin, si l'un et l'autre tendent à dissoudre l'union entre Dieu et l'homme en quoi consiste essentiellement le mystère du Christ, n'est-ce pas que l'un dresse l'homme en face de Dieu, tandis que l'autre l'anéantit? Ces différences sont indéniables. Elles apparaîtraient plus réelles encore si, au lieu de s'en tenir au seul Jansénius, on

4.Cf.E.

<~ la justification Z-f problème ~cM~M«' de ~M saint LoUTobaCjLe /~K~, Lou/M.f<<-a<MK dans .M!M~ Paul, 4. Cf. E. TOBACj vain, 1908, p. 11. « Propositions mahométanes ». disait Richard Simoa

des propositions condamnées.

envisageait dans son ensemble le vaste mouvement religieux auquel il a donné son nom. Autant et plus que dans l'Augustimts, ce mouvement a son origine dans l'âme de l'abbé de Saint-Cyran. Or, chez Saint-Cyran, il n'y a pas de trace du postulat initial de Baïus sur l'état primitif de l'homme. Son point de vue est tout immédiat, tout concret. Que les mystères f de la foi soient terribles, que Dieu soit un Dieu redoutable, il ne tombe pas une seule goutte de que la grâce soit rare, grâce pour les païens, que Jésus-Christ ne soit mort que pour un petit nombre avant toute théologie, il y tient. Ces vues austères l'enchantent. S'il doit accueillir bientôt avec enthousiasme les thèses que son ami le docteur élabore dans le secret, c'est que leurs conclusions dernières rejoignent sa première intuition. Du coup, il assurera leur fortune. Le jansénisme doit à Saint-Cyran et sa grandeur, et son succès. Il n'eût été, sans lui, qu'une hérésie de professeur espèce assez peu dangereuse, digne objet du mépris d'un Campanella 5. ` Il reste cependant que la théologie de Jansénius venait à point nommé justifier, au nom de saint Augustin, la religion de Saint-Cyran. UAugustinus allait être « l'épine dorsale jansénisme. Or, ce n'est pas en vain que, malgré tout, son auteur se trouve être, par l'intermédiaire de Janson, le disciple presque immédiat de Baïus. Il a pris la plume ad excusandas apophases Magistri nostri Michaelis, certains même nous disent qu'il aurait d'abord intitulé son ouvrage « Apologie de Baïus6 Et la pierre d'assise qu'il pose en vue de sa construction doctrinale est également une thèse sur l'état primitif de la nature humaine. En sorte que si nous xi' avons pas seulement égard, dans le jansénisme, à son inspiration concrète, mais si nous considérons la doctrine dont il se

du

».

Cf. L. BLANCHET, Camfanella, Alcan, 1920, p. 89. 6. Du CHESNE, Histoire du Baianisme, p. 3oo et 3oi. A plusieurs reprises, VAugustinus discute la Bulle de saint Pie V t. II, p. 272-277 et p. 402-404; t. III, p. 304. La préface du Catéchisme de la Grâce (165o, par Faydeau) louera. Jansénius d'avoir puissamment défendu la cause de Michel Baïus. 5.

réclame, force nous sera de constater qu'il prolonge exactement le baïanisme. S'il en atténue légèrement les formules, il le renforce en réalité, lui donnant a du corps, de la consistance, de la couleur' ». Jansénius commence par repousser avec énergie l'opinion « de Luther et de Calvin », selon qui la justice originelle était naturelle au premier homme, comme la santé à l'animal ou le froid à l'eau. « Monsieur d'Ypres, notera Arnauld dans sa seconde Apologie8, n'a jamais fait ce tort à la grâce, que de croire que sans elle ni les anges, ni le premier homme avant le péché aient pu rien faire de bon. > Plus que Baïus, qui, tout en parlant de grâce, avouait que c'était en un sens impropre, il précise qu'on doit l'entendre d'une « véritable grâce », d'une « grâce surnaturelle ». C'est là, proclame-t-il, un dogme de foi". Mais dès qu'il en vient à la décrire, dès qu'il veut expliquer ce qu'était l'homme avant la chute originelle, malgré ses visibles efforts pour éviter l'écueil où avait sombré son maître, il finit par l'y rejoindre10. Sans doute, il y insiste encore, la grâce n'était pas due aux mérites d'Adam, et la gloire finale n'était point davantage à la portée de ses efforts naturels mais l'une et l'autre n'étaient-elles pas cependant postulées par des exigences essentielles ? Il l'affirme équivalemment, lorsque, après avoir dit que Dieu se doit à lui-même d'accorder son secours à l'être qu'il vient de créer, il en assigne comme raison moins l'élévation de la fin à laquelle Dieu le destine, que la faiblesse de la créature, qui, tirée du néant, conserve toujours une pente vers le néant. Qu'on en juge par le commentaire de Feydeau, l'un de ses plus exacts disciples Dieu n'était « obligé par aucune considération des mérites de la créature, qui n'était point encore, et qui, par conséquent, n'avait aucun mérite, mais comme il 7. Du Chesxe, loc. cit., p. 186. 8. L. II, ch. XVI {Œuvres, t. XVII, p. 167). 9. De gratia frimi honzinis, c. x (t. II. p. 53); ibid., c. xi et xn. 10. C'est ce qui apparaîtra plus nettement encore chez ses disciples;

cf. la 34e et la 35e des propositions condamnées de Quesnel.

pourrait faire un corps parfait qui n'eût toutes ses parties, ainsi il ne peut faire une créature intellectuelle dans l'ordre, qu'il ne lui donne sa grâce11 ». En revanche, et c'est logique, une fois munie de cet appoint nécessaire, la nature adamique est exaltée au point de n'en avoir besoin, pense-t-on, que comme d'un moyen extérieur, d'un pur instrument au service de son libre arbitre « en l'état d'innocence, la volonté, étant saine et libre, appliquait la grâce et la faisait agir 12 a. S'il est donc bien vrai que le surnaturel n'est pas ici expressément nié, tout au moins son idée est-elle, comme chez Baius, étrangement travestie. Or, de ce travestissement initial, tout le reste découle. De là, en effet, ce naturalisme latent dans l'exposition de l'état de nature intègre la grâce n'y est pas nécessaire pour assurer le concours efficace de la liberté humaine dans une oeuvre plus qu'humaine, puisque le libre arbitre y apparaît déjà pleinement constitué avant son intervention. De là encore, dans l'état de nature déchue, ce déterminisme hors duquel on ne peut échapper à l'impiété de Pélage car si la liberté conservait alors quelque pouvoir, la grâce ne lui servirait toujours que d'instrument, et il faudrait avouer que le pélagianisme, qui au Paradis terrestre aurait eu quelque chose de vrai, continuerait encore d'en avoir en notre monde présent on jouera donc sur le mot « libre a, appelant ainsi tout ce qui pourra être dit volontaire à un titre quelconque, même déterminé au mal, et la notion de liberté sera corrompue, comme l'était tout à l'heure la notion de grâce. De là, enfin, par une suite également nécessaire, dans l'état de nature relevée, ce déterminisme inverse et parallèle, fruit d'une grâce toujours efficace qui vient, comme une force extérieure, suppléer aux ne

h. Catéchisme de la grâce, ch.

I, q. 10. 12. Ibid., q. 7. Cf. Arnauld, 1. II, ch. xw « Le libre arbitre des anges, étant la première cause qui donnait le mouvement à la grâce, et la faisait agir lorsqu'il voulait, sans que la grâce fit autre chose que le suivre, il avait la principale part dans l'action. » {Œuvres, t XVII, .) P- 171-1

forces déchues du vouloir sainte délectation, symétrique, analogue de tout point à la délectation de la concupiscence charnelle 13.

Ainsi tout est commandé par la thèse sur les rapports de la grâce et du libre arbitre en Adam. Jansénius a bien reconnu, et plusieurs de ses adversaires l'ont ensuite clairement discerné, que c'était là le point capital Mais où il s'abuse, c'est quand il croit y reproduire l'enseignement de saint Augustin. Tel ou tel trait peut bien être emprunté, comme l'était déjà telle ou telle proposition de Baïus, à des textes augustiniens authentiques ses contradicteurs, n'ayant pas toujours lu ces textes d'assez près, ne sauront pas toujours assez le reconnaître. Mais cet emprunt matériel n'empêche pas qu'ici encore, l'augustinisme soit entièrement corrompu. Car, d'une formule où saint Augustin n'avait eu dessein que de répondre, non sans maint correctif, à des questions embarrassantes, Jansénius s'empare, il l'érige en principe, et en déduit un système. D'un texte qui ne fait allusion qu'à un problème très délimité, d'un argument qui ne vise qu'un point précis de controverse, il croit pouvoir tirer le fond de la pensée augustinienne sur la nature humaine. On ne s'étonne plus qu'après cela, il trouve que son auteur « recule parfois un peu13 ». Mais, au lieu que cette remarque le fasse hésiter sur la sûreté de son interprétation, il oublie bientôt ces Dans la conception janséniste, note M. BLONDEL, dégageant ainsi l'une des plus importantes conséquences du système,« quand l'homme déchoit, il déchoit tout entier, et tout d'une pièce. Et il ne pourra être retiré du bourbier que par l'attrait senti, par la domination d'une concupiscence inverse et toute sainte. La grâce reste extrinsèque; elle ne tombe pas dans la promiscuité d'une nature toute corrompue; et c'est pour cela qu'il faut, pour que l'œuvre du salut s'opère, un attrait subi et senti ce qui ouvre l'accès aux illusions et aux exaltations décevantes de la conscience individuelle. » Loc. laud., p. 142. 14. De plus, tandis que sur la nature, la distribution et l'efficacité de la grâce du Christ on doit noter entre les auteurs jansénistes des divergences assez considérables et, particulièrement chez Arnauld et Nicole, des atténuations (plus ou moins logiques) et des variations. sur ce point au contraire ils demeurent d'accord. i5. Lettre à l'abbé de Saint-Cyran, 1622. 13.

reculs », et, en fin de compte, il base toute son œuvre sur Sous contre-sens. sa conduite, les jansénistes pourront un le bien reprendre en le réduisant d'ailleurs à l'extrême langage des anciens augustiniens, et maudire avec eux « les ennemis de la grâce de Dieu » la conformité sera toute verbale. Entre les uns et les autres, il y aura eu substitution «

de

réalité.

III

r

Du point de vue auquel nous restons constamment placé dans'cette étude, le problème se concentre presque tout entier sur un texte. Il s'agit de l'interprétation à donner des chapitres xi et xn du livre De correptione et gratia, où saint Augustin oppose les rapports entre la grâce et la liberté chez Adam et chez nous. C'est la difficile question de Vadjutorium sine quo non et de Vadjutorium quo. Cette distinction des deux secours devait jouer dans la controverse jansénienne un rôle analogue à celui qu'avait joué, dans la controverse luthérienne, la distinction des deux sens scripturaires comme Luther au De spiritu et littera, les défenseurs de Jansénius s'accrochent au De correptione et gratia. Et ce bastion n'apparaît pas si mal choisi, s'il faut en croire Fénelon, disant à ce propos au janséniste qu'il met en scène dans son Instruction dialoguée « Vous dites tout ce que votre parti peut dire de plus fort10.» Saint Augustin n'avait pas à se battre contre un naturalisme supra-lapsaire, tel que devait être celui de Baïus, mais contre un naturalisme directement infra-lapsaire, qui niait la nécessité, ou au moins le véritable rôle de la grâce dans l'état présent de l'humanité. Dans ses écrits antipélagiens, c'est donc cet état présent, et le rôle présent de la grâce, qu'il a premièrement en vue. Pour en juger, il interroge,. avec l'Écriture et la tradition de l'Église, son expérience sénius 16. Instruction {Œuvres, Paris, Lebel, 1823, de dialogues sur le système de Jan-pastorale en forme ~MMM (Œ;M~M, Paris, Lebel, t823. t. XV), p. 3S5. Augustinus, 385. Cf. ~MgM~tKtM, fassint, surtout De gratia frimi hominis, c. XV ss.

personnelle, qu'il interprète à la lumière de la réflexion philosophique. Il ne s'enquiert pas d'abord de l'état primitif d'Adam, comme d'un objet de curiosité (rien ne serait plus contraire à l'esprit général de sa théologie), mais il cherchera seulement à le définir, après coup, par opposition au nôtre et pour mieux comprendre le nôtre17. A supposer que telle explication qu'il en donne ne se révélât pas parfaitement adéquate, on n'aurait donc pas de peine à l'excuser, pour peu que l'on prît garde combien il est difficile, dès qu'on tâche à préciser en quoi pouvait bien consister l'état d'innocence de notre premier père, de ne point pécher par quelque endroit. Mais convient-il vraiment ici de plaider, avec plusieurs interprètes, les circonstances atténuantes ? Serions-nous contraints de nous y résigner, comme si la distinction entre l'adjutorium sine quo non mis à la disposition d'Adam et l'adjutorium quo qui nous est départi se trouvait malaisément soutenable en toutes ses conséquences ? Cette fameuse distinction, aux yeux de Jansénius, est capitale. C'est d'elle, à ce qu'il semble, qu'il célèbre la découverte dans sa lettre à Saint-Cyran du i5octobre". Il la cite (Dechamps en a fait le compte) jusqu'à cent soixante-dix fois. Elle est, dit-il, à la doctrine de la grâce ce que sont les axiomes à la géométrie. Base immobile, qui soutient tout l'édifice unique clef, qui ouvre l'entrée des écrits de saint Augustin lumière sans laquelle on y trébuche comme un aveugle en plein midi fil qu'il faut toujours tenir à la main pour ne pas s'y égarer comme dans un labyrinthe 19. A son tour, Arnauld la fait ressortir et la commente copieusement dans la Synopse analytique qu'il compose du De correptione et gratta, où « cette divine doctrine est divinement expliquée20 ». On peut leur 17. De correptione et gratia, n. 26 « Hic exoritur alia quaestio.e 18. Jean Laporte, Saint-Cyran (Paris, 1922), p. 46-47. 19. De gratia frimi hominis, c. XVII. Analyse du livre saint Augustinde la correction dela grâce (Paris, 1644). que l'insertion de cet ouvrage dans grande

20.

Onsait

de

et

la récla-

édition de saint Augustin par les Mauristes provoqua de vives

accorder qu'elle est en effet d'importance, bien qu'Augustin qu'une fois, vers la fin de sa vie, en 426 21. ne l'emploie Mais ont-ils raison de voir dans l'adjutorium sine quo non un équivalent de leur « grâce de simple pouvoir », de cette grâce « suffisante » qui, au rebours de ce qu'elle est maintenant, eût été au paradis suffisante en toute vérité22, et, dans Yadjutorium quo, le synonyme de leur « délectation victorieuse », de la grâce « efficace par elle-même23 » ? Pour saint Augustin, la grâce dont jouissait Adam n'était qu'un secours sans lequel la persévérance eût étéimpossible, tandis qu'aujourd'hui le justifié reçoit le secours même qui fait persévérer, la force qui emporte la persévérance. Mais



mations. Cf. F.-A. Zacharias, s. i., De adjutorii sine quo non et adjutorii quo vera germanaque notione Diatriba (apud Zaccaria, t. V, p. 637-65i) « .quam etiam Maurini Patres, sancti Augustini editores, indignantibus bonis omnibus, libro illo praemittere non dubitarunt, et si deinde saniore consilio avulsa ab ipsis est. » 21. Il faut en rapprocher (à la suite d'Arnauld, qui le fait avec insistance) un passage du De dono perseverantiae, n. i3. 22. » II a plu à Molina. de nous proposer, pour la véritable grâce que Jésus-Christ est venu donner aux hommes, celle qui n'a été propre qu'au premier homme, dans sa force et dans sa santé. a Arnauld, Réponse au Père Annat, second Mémoire {Œuvres, t. XIX, p. 189). 23. La question a été maintes fois traitée. Nous ne lui apporterons pas de solution inédite. Mais notre excuse pour la reprendre une fois de plus est que nous cherchons à l'aborder dans une perspective un peu nouvelle. Ce qui intéressait la plupart des adversaires de Jansénius (et d'autant plus que le problème touchait ainsi de près à leurs propres discussions,intestinessur l'efficacité de la grâce), c'était l'adjutorium quo secours que, à juste titre, ils ne voulaient pas être la grâce efficace par elle-même ». Leur point de vue, dont l'intérêt était immédiat, ne nous paraît pas cependant le plus important pour juger de l'opposition radicale entre Jansénius et saint Augustin. Par delà le problème de la grâce, le débat doit être porté sur le problème du surnaturel. Aussi, ce qui nous intéresse dans cette étude, c'est surtout l'adjutorium sine quo non, c'est le rapport de l'homme et de Dieu, indépendamment du péché originel. Ces pages étaient rédigées, lorsqu'a paru l'excellent article du P. Charles Boyer Le système de saint Augustin la grâce, d'après sur le De correptione et gratia (Recherches, décembre 1930, p. 481 à 505). Malgré la différence des points de il nous a été précieux de voir vue, la plupart de nos interprétations confirmées par les siennes.

s'il marque une telle différence entre les deux situations, c'est beaucoup moins, dans sa pensée, parce qu'Adam possédait une nature plus saine et plus forte que le justifié d'aujourd'hui, que parce que, de fait, nous savons qu'Adam a péché – acceperat posse si vellet, sed non habuitvellequod posset, nam si habuisset, persévérasse^ – tandis que le justifié,

car il s'agit ici uniquement « des saints prédestinés au royaume de Dieu par la grâce divine25 ». En tout cas, ce n'est pas du tout parce que cette nature plus saine et plus forte aurait permis à Adam d'agir en moindre dépendance de la grâce. Tout, dans la conscience religieuse d'Augustin, proteste contre une telle inversion des rôles, comme tout, dans sa pensée métaphysique, s'insurge contre une telle opposition entre la grâce et le libre arbitre, ou, pour employer des termes qui prêtent moins à l'équivoque, entre l'activité de la créature et l'influence efficace du Créateur. Au reste, la chose apparaît clairement à propos des anges. Saint Augustin lui-même nous invite à rapprocher leur cas de celui de l'homme. Si parmi les anges les uns ont persévéré et non les autres, ce n'est pas simplement parce que les pre7 miers ont mieux usé de la grâce que les seconds, ou du moins cette raison n'explique pas tout (comme il le faudrait logiquement, selon l'interprétation que donne Jansénius de Yadjutorium sine quo non, puisqu'il est ici question, de même que pour Adam, d'êtres dont la nature est encore intègre). Le mystère est plus profond Isti aut minorent acceperunt amoris divini gratiam, quam illi qui in eadent perstiterunt aut, si utrique boni aequaliter creati sunt, istis main voluntate cadentibus, illi amplius adjuti, ad eam beatitudinis plenitudinem. pervenerunt26 Tout de même, ce

par définition, agit bien et se sauve

24. De correftione et gratia, n. 3i. 25. Ibid., n. 3ç. 26. De Civitate Dei, 1. XII, c. IX. Ce

texte était embarrassant pour les jansénistes. « Il fallait être M. d'Ypres, écrit Arnauld, c'est-à-dire, avoir pénétré aussi avant que lui dans la doctrine de saint Augustin, par une étude infatigable et une piété consommée, pour trouver la

n'est pas entre Adam pécheur et un pécheur d'aujourd'hui, ni entre Adam avant son péché et un juste d'aujourd'hui que saint Augustin établit sa comparaison c'est entre Adam qui persévère27. qui aujourd'hui Voilà qui le juste péché et ce a lui permet de dire Haec prima est gratia quae data est primo Adam; sed hac potentior est in secundo Adam 28. Toute obscurité n'est pas dissipée. Mais nous trouvons en maint endroit de l'œuvre augustinienne, et notamment en ce chapitre il du De correptione, une autre distinction qui, sans être équivalente à celle qui nous occupe, du moins en éclaire le sens. Adam, nous est-il dit, avait besoin, tout comme nous, de la grâce pour bien agir, mais nous avons besoin, en plus, d'un secours préalable pour nous y disposer. L'œil d'Adam était sain (on reconnaît la comparaison dont Baïus devait abusivement tirer une théorie), le nôtre doit d'abord être guéri29. La grâce ne nous est donc pas plus nécessaire qu'à Adam, et elle n'a pas davantage à suppléer nos forces. Elle ne doit pas nous mener plus loin, mais elle doit venir nous chercher plus loin, et plus bas. Majoribus donis adjuvanda remansit infir mitas™. Et c'est pourquoi l'on peut dire (même avant de considérer, comme tout à l'heure, l'œuvre accomplie) que la condescendance divine est plusgrande aujourd'hui envers nous qu'elle ne fut jadis envers l'homme qui venait de sortir de ses mains Ille in bonis crat, quae de bonitate sui Conditoris acceperat. in quivéritable intelligence de ce passage. » Seconde Apologie, 1. II, ch. XVII (Œuvres, t. XVII, p. 176). On peut voir dans ce chapitre au prix de quelles subtilités s'achète cette « véritable intelligence ». 27. De correptione et gratia, n. 33. Cf. n. 34 « Itemque ipsa adjutoria distinguenda sunt.» 28 Ibid., n. 3i. 29. Voir aussi De natura et gratia, n. 29 et 56; Enchiridioti, c. CVI et cvii; De perfectione justitiae, n. 9 « Sicut ergo non est opus sanis medicus, sed male habentibus, ita non est opus liberis hberator, sed servis ». 3o. De correptione et gratia, n. 29. Cf. n. 32 « Ut reciperet bonum, gratia non egebat, quia nondum pcrdiderat. »; « tunc ergo dederat homini Deus bonam voluntatem.»

bus prorsus nullum patiebatur malum. Sancti vero in hac vita, ad quos pertinet liberationis haec gratia, in malts sunt, ex quibus clamant ad Deutn libera nos a malo. En d'autres termes, il n'est pas absolument exact (malgré les appa-

rences) d'avancer qne, selon saint Augustin, la grâce n'eut à opérer en Adam que le pouvoir, tandis qu'elle doit opérer en nous « le vouloir et le faire » saint Augustin dira expressément le contraire31. Il n'est pas vrai que, devant maintenant se faire opérante, il lui eût alors suffi d'être coopérante. Mais ce qui est vrai, c'est que, sans être en son fond plus merveilleuse qu'au paradis terrestre, elle revêt aujourd'hui comme un caractère miraculeux qu'elle n'avait pas alors 32. Ce qui est encore vrai, c'est qu'en Adam l'attrait de la lumière (ainsi que l'a bien remarqué Malebranche) n'avait pas besoin, comme en nous, de se faire sensible, ce qui ne signifie pas du tout que cette lumière n'eût pas besoin de se faire attirante car, pour saint Augustin, la lumière divine, en elle-même, est déjà un attrait Docendo delectat. Ista revelatio, ipsa est attractio 33. 31. Contra julianum opus

imferf., 1. V, c. lvii « Quomodo verum erit, fecit Deus hominem rectum? An rectus erat non habens voluntatem bonam, sed ejus possibtlitatem? Ergo et pravus erat, non habens voluntatem malam sed ejus possibilitatem. Et a seipso est voluntas bona, falsumque scriptum est praeparatur voluntas a Domino, et Deus in vobis operatur et velle. » Comparer avec Jansénius, t. III, De gratia Christi Salvatoris, 1. II, c. xxvi. 32. Si saint Augustin applique une fois (et, d'ailleurs, comme par parenthèse) sa théorie des raisons séminales du second ordre à la grâce du Christ par laquelle est sauvé le pécheur (De Genesi ad litteram, 1. IX, n. 33), c'est précisément à cause de ce caractère « miraculeux » Mais ce ne serait, semble-t-il, que par une extention abusive qu'on ferait appel à cette théorie des raisons séminales pour résoudre le problème des rapports entre la nature et le surnaturel. 33. Tract. in fo., 26, n. 5. Ibid. « Trahit Christus revelatus a Pâtre quid enim fortius desiderat anima, quam veritatem ? » La délectation, l'attrait supérieur auquel Adam lui-même était soumis, c'était la Il délectation de la vérité », laquelle n'avait rien de « sensible », et n'offusquait en rien son libre vouloir. Or, c'est encore essentiellement la même, que produit le Christ au fond des coeurs. De l'homme inno-

N'est-ce pas exactement, pour le fond, la distinction que reprendra saint Thomas, lorsqu'il parlera de Yauxilium Dei moventis, nécessaire en tout état de cause, et, devant le prénaturam céder pour nous pécheurs, d'un auxilium gratiae sanantis ou encore, lorsqu'il dira Homo post peccatum ad plura indiget gratia, quam ante peccatum, sed non magis31 ? Une chose est donc certaine. Tant à cause des affirmations très nettes de saint Augustin lui-même que de sa conception intrinsèque des rapports entre le libre arbitre et la grâce So et de ses autres explications sur la différence entre l'état d'Adam et le nôtre, il est impossible d'admettre que l'adjuto!Mt!t sine quo non équivaille à la grâce suffisante dont Jansénius semble vouloir doter uniquement notre premier père, ni Yadjutorium quo, à la grâce efficace par elle-même, qui serait la seule que Dieu accordât, par Jésus Christ, aux rares élus cent à l'homme racheté par le Christ, il y a une continuité profonde que méconnaît Dans tout ce paragraphe, nous commentons De natura et gratia, n. 56. Le chapitre lvii de l'Enchiridion est aussi très éclairant dans sa brièveté « Homo in paradiso ad se occidendum relinquendo justitiam idoneus erat per voluntatem; ut autem ab eo teneretur vita justitiae, parum erat velle, ni si ille qui eum fecerat adjuvaret. Sed, post illam ruinam, major est Dei misericordia, quando et ipsum arbitrium liberandum est a servitute, cui dominatur cum morte peccatum. » 34.1 2 ae, q. 119, a. 3, et i a, q. 95, a, 4 ad 1 m. Cf. 2 Sent. 29, a. 2 ad 3 m Il Homo post peccatum indiget gratia ad plura quam ante, sed ad justitiam habendam non minus indigebat gratia ante quam post; et ideo gratia operante indiguit ante peccatum, sicut et post. » La réponse ad 2m explique bien la chose, avec des précisions qui ne sont plus augustiniennes Adam avait besoin comme nous de l'infusio gratiae, mais non de la remissio culpae. Bellarmin, De gratia primi hominis, c. IV, donne une explication qui revient à celle-ci. Voir aussi Hugues de S. Victor (P. L. 176, 273), et Bossuet. Traité du libre arbitre, ch. v (éd. Lachat, t. XXIII. surtout p. 35. De gratia et libre arbitrio, c. xv de spiritu et littera, c. xxx epist. 157, c. il, n. 8-10; epist. 194, c. 11, n. 3; De correptione et gratia, c. VIII, etc. Sur les rapports tout intérieurs de la grâce et du libre arbitre dans la pensée de saint Augustin, on peut lire M. Jacquin, 0. P., La question de la prédestination auxcinquième et sixième siècles, Revue d'histoire ecclésiastique, 1904, p. 744-745.

Jansénius.

a

453-454).

tirés de la masse réprouvée, la seule dont ils pussent, non pas même tirer profit, mais passivement bénéficier. Cette distinction ne peut avoir un tel sens, parce que, aux yeux de son auteur, le problème à résoudre était- tout autre que ne sera plus tard le problème de la grâce efficace, débattu avec tant d'âpreté entre écoles, catholiques et hérétiques 3(l. Quel en est donc, en définitive, le sens précis ? Quel problème saint Augustin cherchait-il, par elle, à résoudre? Nous l'avons insinué tout à l'heure, et il semble que l'oratorien Leporcq, disciple de Thomassin, l'ait, dans son grand ouvrage contre Jansénius, solidement établi. Dans le chapitre du De correptione où la distinction se rencontre, il est question, remarque-t-il, de la persévérance jusqu'à la fin, problème qui, dans les controverses sur la grâce, préoccupait

de plus en plus le docteur d'Hippone37. Celui-ci enseigne que, étant donné la rectitude de sa nature (rectitude qui n'allait pas sans une étroite union au Créateur) Adam n'avait pas besoin, pour accomplir définitivement sa destinée, d'un secours spécial en plus des secours que Dieu lui aurait accordés pour chacun de ses actes. Ce secours supplémentaire, qui nous est maintenant indispensable pour nous sauver, loin de comprendre les seules grâces prévenantes, consiste dans tout l'ensemble des moyens, intérieurs et extérieurs, employés par Dieu pour mener infailliblement de la justification à la persévérance finale. Tel est l'adjutorium quo, secours qui, n'étant accordé par définition qu'aux prédestinés, les délivre à jamais du mal liberationis haec gratta secours qui, sans les empêcher forcément de tomber au cours de leur vie dans le péché (nul n'est dispensé d'implorer chaque jour la remise 36. C'est encore un point que Malebranche a bien vu. Il note à plu-

sieurs reprises que saint Augustin ne cherche pas à établir contre Pélage l'invincibilité de la grâce, mais seulement sa nécessité {Première lettre touchant celles de AI. Arnauld, n. 3o ss., etc.). Puis, tant la logique interne du problème que le développement de la controverse l'amenèrent à traiter de la prédestination. 37. J. LEPORCQ, Sentiments de saint Augustin sur la grâce, opposés tr ceux de Jansénius (Paris, r682). Cf. BOYER, loc. laui., p. 490.

de ses dettes), les empêche d'y demeurer jusqu'à la fin, de s'abandonner « à ce péché qui va à la mort » secours enfin qui donne, non de vouloir simplement, mais de vouloir per-

sévérer™.

Comme saint Jean lorsqu'il scrute les profondeurs des âmes pour y discerner, sous les apparences, leur attitude définitive en face de la lumière, et comme saint Paul lorsqu'il célèbre les voies infaillibles par lesquelles Dieu conduit ses élus, saint Augustin, dans ses réflexions sur la grâce, embrasse la vie humaine d'une vue synthétique, et, pour en juger, se place volontiers au terme. C'est là chez lui autant une habitude de sa pensée philosophique que le résultat de ses méditations scripturaires 39. Il faut se le rappeler pour comprendre pleinement son adjutorium quo, qui bientôt va se concrétiser et comme se ramasser dans le dernier secours, le donum perseverantiae: comme s'il suivait en lui-même, à mesure qu'il approchait de son propre terme, les transformations de l'action divine dans la continuité d'un appel toujours plus pressant40. Il franchit même en esprit la dernière limite, si bien qu'en définitive l'opposi Telle est encore l'interprétation du capucin Charles-Joseph, dans sa traduction du De correfttione, p. 377 (Paris, i683), et, avec des nuances, de Petau, de Thomassin, etc., cf. DANIEL, Défense de saint Augustin {Œuvres, t. II, 1 724), p. 270 à 283. On a proposé d'autres exégèses, qui se compénètrent plus ou moins, et qui paraissent moins soutenables, ayant le tort, comme celle de Jansénius, de chercher dans le texte de saint Augustin une solution directe au problème de l'efficacité de la grâce. Par exemple Dieu donnerait aujourd'hui, en plus des secours pareils à ceux que reçut Adam, d'autres grâces encore, infailliblement efficaces. Fénelon ne rend pas compte non plus de toute la pensée augustinienne, lorsqu'il fait consister l'adjutorium quo dans « une prompte mort ». « Comme la vie est le mal, dit-il, la mort est la grâce de la délivrance » « saint Augustin borne évidemment le secours quo au seul dernier moment. » Loc. cit., p. 423-458. 39. Voir les justes réflexions de C. Van COMBRUGGHE, à propos de la théorie de saint Augustin sur la Volonté salvifique La doctrine sotériologique de saint Augustin, Revue d'histoire ecclésiastique, Louvain, 1904, p. 5oi. 40. Le De correptione est de 426, le De fraedestinatione sanctorum et le De dono perseverantiae sont de 428 ou 429. Augustin mourra en 43o. 38.

tion qu'il souligne avec tant de force est moins entre l'état d'Adam et l'état présent du juste qu'entre l'état du paradis terrestre et l'état du ciel. En effet, dans la même page où se lit la distinction que Jansénius devait fausser comme on l'a vu, il écrit: Prima libertas voluntatis erat, posse non peccare novissima erit muîto major, non posse peccare. Prima immortalitas erat, posse non mori novissima erit multo major, non posse mori. Prima erat persévérait liae potestas, bonum posse non deserel'e novissima erit felicatas perseverantiae, bonum non posse deserere. C'est cet état suprême, cette liberté, cette félicité parfaites, cette éternelle stabilité, que dans l'adjutoriurn quo saint Augustin chante par anticipation u. Faut-il parler ici de déterminisme ? Faut-il agiter de nouveau le spectre de Manès? Il serait aussi juste de s'en gratia, n. 33. Voir les mots qui suivent immédiatement « Or, parce que les derniers biens seront plus grands que les premiers, est-ce à dire que les premiers ne furent rien ou furent 41. De correptione et

peu de chose? » Au même chapitre encore, n. 34, l'adjutorium quo est appelé le secours qui donne la béatitude; et tout le chapitre suivant traite ex professo de la persévérance finale. Saint Augustin résout ici le double problème posé par la controverse pélagienne. Il unit, dans son concept de Vadjutorium quo, les deux idées pour lesquelles il a tant lutté que l'homme ne peut, sans la grâce, atteindre à la perfection de la justice, et que, même avec la grâce, il n'y peut atteindre absolument ici-bas. De plus en plus, en effet, sous l'action de la controverse, l'opposition entre le pécheur (ou l'homme de la loi ancienne) et le juste (ou l'homme de la loi nouvelle) faisait place, dans sa pensée, à l'opposition entre l'homme qui lutte sur terre contre le mal et celui qui, dans la patrie, est entièrement libéré. Il dira, Contra fui, op. imfi., 1. VI, c. XV « Nec ipsa lex nova. testimonium est liberae, sed liberandae potius voluntatis. » Et, comme il lui est arrivé en d'autres rencontres, c'est au moyen d'une exégèse des plus contestables qu'il réalisait ce développement doctrinal. Au temps où il rédigeait ses Questions à Simplicien, il entendait encore du pécheur te texte de saint Paul « velle adjacet mihi, perficete autem bonum non invenio ».Istae nunc voces, disait-il, sunt sub lege hominis constituti, nondum sub gratia; non enim quod vult facit bonum, qui nondum est sub gratia n (q. t, n. 11). Mais il dira, dans ses Rétractations (1. II, ch. i, n. i) « Longe postea etiam spiritualis hominis (et hoc probabilius) esse posse illa verba cognovi. » Cette seconde interprétation constitue tout le thème du De perfectione jiisti-

prendre à saint Jean, dont on connaît la doctrine sur l'opposition de la lumière et des ténèbres, sur l'homme qui, né de Dieu, ne pèche plus, sur le jugement déjà prononcé, sur ceux qui s'en vontparce qu'ils n'étaient pas des nôtres». \utant que l'Évangéliste, dont le regard d'aigle s'est prolongé dans le sien, saint Augustin voit, dans l'instant présent, plus que sa réalité d'instant; il refuse de considérer une situation passagère autrement que dans son rapport à l'état définitif. Mais il est loin de réduire à de vains fantômes les vicissitudes de ce monde, les alternatives de bien et de mal dans les consciences il espère ou redoute, jusqu'à la dernière heure, les conversions ou les perversions, toujours possibles'12. Ceux qui répéteront ses profondes formules pour « la stabilité de en extraire leurs théories désespérantes

sur

tiae. Répondant à Célestius, qui prétend que l'homme peut être sans péché, Augustin déclare « Quod neque nos negamus; quando autem possit, et per quem possit, hoc quaeritur » (n. t6). Sa réponse dernière sera dans Vadjutorium quo, secours grâce auquel il nous est donné de • perficerebonum»,de parvenir « ad saturitatem justitiae », de posséder enfin parfaitement la santé de l'âme, la justice, la liberté, la charité ce qui ne peut avoir lieu qu'au ciel, « quando videbimus (Deum) sicuti est» {ibid., n. 7, 8, 9, 17 ss.). On sait que cette idée augustinienne de la perfection de la justice, ^'opposant à l'idée pélagienne de l'impeccance, est considérée par le t'. Merlin, le continuateur parfois trop subtil et trop systématique de Petau, comme la Véritable clef des ouvrages de saint Augustin contre les Pélagiens (titre de la première partie de l'ouvrage intitulé Réfuta:ion des critiques de M. Bayle sur saint Augustin, Paris, 1732). Comme Jansénius à propos de Vadjutorium quo (cf. supra, p. 9), il dit, en présentant son livre aux lecteurs, avoir fait là une « découverte », dont les conséquences heureuses et solides » doivent éclairer la doctrine de saint Augustin jusque dans ses moindres détails (Mémoires de Trévoux, décembre 1736, p. 2605-2616). 42. De correptione et gratia, n. 26 et 40. Vadjutorium quo, s'il n'empêche pas les défaillances passagères, établit finalement dans un état d'impeccabilité. Or, saint Augustin n'admet pas, on vient de le voir, qu'un tel état soit possible sur terre (voir encore Enchiridion, c. Liv et LV Epist. ad Galat. expositio, n. 47; Evpos. quarumdam proposit. etepist. ad Rom., c. XIII; In ]o. tract. 1, n. 6; etc.). Il sait au besoin distinguer explicitement le point de vue du temps et le point de vue de l'éternité, et reconnaître la réalité du premier « In illa ineffabili praescientia Dei multi qui foris videntur, intus sunt, et multi qui

la justice chrétienne », témoigneront de leur impuissance à se hausser jusqu'au faîte d'où il domine, sans la nier, la dispersion du temps. C'est pour ceux-là que Tauler semble avoir prononcé les paroles qu'il adressait à certains auditeurs inintelligents de son maître Eckhart « Jadis un illustre Docteur vous a parlé de ces choses, mais vous ne l'avez pas compris. Il vous parlait du point de vue de l'éternité, vous l'avez entendu du point de vue du temps". » Tauler, le comprirent selon « Beaucoup de gens, ajoutait les sens, et ils en devinrent des hommes empoisonnés. » m

m

Dans l'introduction au tome second de son Augustinus Jansénius, définissant la méthode de la théologie, gémit sur les effets désastreux que produit l'intrusion de la raison philosophique, mère de toutes les hérésies, et lui oppose l'étude de la Tradition. Cette Tradition, on sait que lui-même la comprenait d'une façon plus que stricte, puisqu'en fait elle était représentée à ses yeux tout entière par le seul saint Augustin. Or, malgré une application digne de l'exemple attentione acri, et adnotatione dilique lui léguait Baïus, genti4i, il n'a pas su le lire. Après lui, tout son parti s'en ira proclamant « la céleste doctrine de saint Angustin »,comme autrefois les Juifs criaient « le temple du Seigneur! le temple du Seigneur! », mais il ne l'entendra pas intus videntur, foris sunt. » Il précise encore « Sunt filii Dei qui nondum sunt nobis, et jam sunt Deo et rursus sunt quidam qui filii Dei propter susceptam vel temporaliter gratiam dicuntur a nobis, nec sunt tamen Deo. De baptismo, 1. 5, n. 38; in Jo. tract. 45, n. 12; in efist. primam fo. tract. 3, n. 4, 5, 8, 9 De ferfectione justitiae, n. 39. 43. Sermon pour la veille des Rameaux. Cf. trad. HUGUENY, t. I, p. 297. 44. Augustinus, Synopsis vitae auctoris. Il en était arrivé, nous assure-t-on, à savoir saint Augustin par cœur. (Renversement de la religion. t. I, p. 478.)

davantage que les Juifs aveuglés ne comprenaient les Écritures'15. Nous n'en serons pas étonnés, si nous remarquons dans quel esprit, et sous l'empire de quelle préoccupation, Jansénius abordait son auteur. « Le fond doctrinal du jansénisme, a-t-on dit, n'est pas à proprement parler une vue particulière sur la prédestination, ni même sur la liberté c'est une conception optimiste de l'état normal de la créatureraisonnable*6.Saint Augustin, nous l'avons vu, partait de ce qu'est l'homme en ce monde présent, dans le but de s'opposer à Pélage et c'était déjà la méthode qu'il employait au temps où, réfléchissant sur sa propre histoire, il en venait à critiquer les conceptions manichéennes et néo-platoniciennes, comme erronées ou impuissantes. La perspective de Jansénius est exactement inverse, comme un simple coup d'œil jeté sur le plan de l'Augustinus permet de s'en rendre compte. Selon un procédé qui, chez les théologiens médiévaux, avait prévalu surtout comme un artifice d'exposition, mais auquel il se laisse prendre, il pose d'abord en thèse l'état d'Adam et détermine a priori, d'après des vues philosophiques bien éloignées de l'augustinisme, le rôle qu'y devait jouer la grâce. Or, cette thèse se trouvant fausse (l'« optimisme » qui la caractérise venant en droite ligne de Baïus), toute sa doctrine en est viciée. En effet, une fois admis comme point de départ que le paradis terrestre était placé sous le régime de la grâce suffirégime considéré comme l'idéal, il n'y a plus sante, moyen d'éviter la grâce efficace par elle-même, à moins de verser dans le semi-pélagianisme.Car la grâce médicinale ne peut plus être conçue comme venant, véritablement, guérir la Fénelonjfoe. cit., p. 122 et i3i. Comme Baius, Jansénius répudie les Scolastiques. Il s'élève contre « ces clabaudeurs de l'Ecole qui ont si fort corrompu la théologie, que c'est merveille que l'Église ait échappé à l'erreur » (lettre à Saint- Cyran, 5 mars 1621). Dans son dédain des Pères grecs, il est plus exclusif que son maître, qui croyait pouvoir à l'occasion alléguer l'autorité d'un Cyrille d'Alexandrie. 46. J. PAQUIER, le Jansénisme, Bloud, 1909, p. i3o. 45.

volonté elle vient, lui restant extérieure, prendre sa place. Si donc on ne lui attribue pas tout, on attribue quelque chose à la volonté en dehors d'elle. Dilemme redoutable, où les jansénistes ne furent pas les seuls à s'embarrasser. Les deux cas symétriques de Malebranche et de Thomassin nous le montrent. Malebranche, c'est Fénelon qui le remarque47, se fait de la grâce une idée trop étroitement parallèle à celle de la concupiscence, et en cela il se rapproche de Jansénius voulant néanmoins éviter son erreur, il se trouve rejeté sur une erreur inverse, et soutient que, pour être méritoire, notre action doit aller plus loin que la délectation prévenante ne l'y pousse, en sorte que nous avancions par nousmêmes vers le vrai bien De son côté, Thomassin résumera en ces termes l'antithèse entre la nature innocente et la nature déchue Adanw certe adhuc stanti permiserat Deus clavum et moderamen omne sui, et perseveranliam demque finalem. Atqui, nulla ex eis rebus metimus mérita, quae non nostra @

P. Malebranche sur la nature et la grâce, ch. xxxiii et xxxiv. « Transposition molinienne de la délectation janséniste », dit M. Laporte de la doctrine de Malebranche (op. 47. Réfutation du système du

cit., p. 126, n. 8) 48. Comme Jansénius lisait saint Augustin (malgré qu'il en eût) en théologien scolastique, Malebranche l'interprétait en philosophe cartésien il était dès lors inévitable que l'un et l'autre le trahissent, au moins quelque peu. Néanmoins, sur le point en question, peut-êtie Malebranche est-il plus sauvable qu'il ne parait. D'abord, à cause de diverses précisions qu'il apporte à sa thèse en particulier, lorsqu'il dit que le « consentement » est le fait de la volonté seule, il n'entend pas « le vouloir et le faire », mais seulement « le consentement au vouloir et au faire », car il n'oublie jamais que le vouloir et le faire sont eux-mêmes de Dieu, en sorte que la volonté, par son consentement, se laisse simplement aller où Dieu l'emporte. (Resterait à savoir si cette distinction, qui fait du consentement quelque chose de tout négatif, est bien intelligible.) Ensuite et surtout, à cause de sa conception de la nature, qui se rapproche beaucoup de la conception augustinienne; par grâce, Malebranche entend ici seulement la grâce médicinale, et pour lui la nature, même innocente, est incapable de tout bien sans la grâce du Créateur on peut donc dire, sans trahir sa pensée, que la nature qui, pour mériter, doit aller plus loin que la grâce ne la pousse, en réalité n'emprunte qu'à une autre grâce, plus intime, la force de ce nouvel élan.

posita sunt in potestate. Angeli denique et Adamus auxiliis sibi concessis moderabantur, nunc illa ttobis moderantur. On

reconnaît, sous un latin plus conforme au goût du grand siècle, la distinction des deux secours, sine quo non et quo, mais avec une nuance qui l'incline au sens de Jansénius43. Qu'on incline d'un côté ou de l'autre, c'est toujours la même erreur initiale sur l'état d'Adam, commandée par la même erreur sur le rôle de la grâce par rapport au libre arbitre, et, en fin de compte, sur le surnaturel lui-même, sur le mystère de l'adoption divine. C'est toujours, plus ou moins avouée, la thèse naturaliste la nature créée est considérée comme parfaite en elle-même, sinon en dehors de tout secours divin, du moins en dehors de sa relation à Dieu. Seulement Jansénius, logicien étroit, a poussé la thèse jusqu'au bout. Son « optimisme » supra-lapsaire a déterminé son pessimisme pratique, et il a pris à la lettre le mot de saint Paul « Ayant été affranchis du péché, vous êtes devenus les esclaves de la justice », sans noter, comme l'avait fait Augustin, le correctif qui suit aussitôt « Je parle à la manière des hommes, à cause de la faiblesse de votre chair î0. » C'est sur les ruines de la nature, autrefois maîtresse d'ellemême, que règne aujourd'hui la grâce de Dieu. Mais est-ce bien encore, au sens chrétien du mot, la grâce? Tantôt instrument aux mains de l'homme, tantôt force envahissante qui supplée toute activité naturelle, comment leconnaître en elle cette initiative de l'Amour créateur venant, pour le rendre efficace, au-devant de l'effort humain qu'il a lui-même suscité, et opérant l'union merveilleuse dont l'Incarnation du Verbe offre à la fois le gage et le modèle suréminent ? Tel était cependant avant tout, aux yeux Consensus scholae de

gratia (Vivès, 1870, t. 6, p. 56). On sait d'ailleurs que Thomassin conçoit tout autrement que Jansénius l'effi49-

cacité de ce qu'il appelle encore l' insuperabile adjutorium « ». 5o. Rom. 6, v. 18-19; saint Augustin, Enchiridion, XXX. De même c. Baius, dans son légalisme, prenait à la lettre l'expression lex fidei « » iRom. 3, v. 27).

d'Augustin, le mystère de la grâce, qui revêt des modalités diverses, mais demeure identique en son fond dans les divers états de l'humanité. L'homme et Dieu n'étaient pas pour lui deux forces en présence, ni deux individus étrangers. Il ne s'agissait pas d'opposition, mais d'inclusion non de lutte, mais d'union non d'anéantissement, mais de transformation. Un grand principe dominait tout, où s'exprimait toute son âme Deus, interior intimo meo. Dès lors, pour lui comme en ce pour saint Paul, même en notre monde déchu, monde où la concupiscence mauvaise adhère si fortement à notre être qu'elle est, peut-on dire, ce que nous avons de plus se faisant sainte concupiscence pour mieux en propre, triompher de l'autre, la grâce ne lui devient pas seulement symétriquement inverse. Elle lui reste opposée dans ses caractères non pas extérieure à l'esprit, mais intérieure non pas captivante, mais libératrice. Tout n'est donc pas dit lorsque, à la suite de saint Augustin, on a posé la dichotomie caritas-cupiditas. Il faut encore la comprendre, et ne pas prêter à la charité les traits de la cupidité. C'est ici surtout que les mots sont trompeurs. « Arnauld n'avait pas tort, écrit M. J. Laporte", quand il revendiquait pour les disciples de saint Augustin d'avoir compris, mieux qu'aucune autre école théologique, cette idée de la charité ou de l'amour, qui fait l'essence de la religion chrétienne et, ajoutait-il, sa beauté. » Certes, ce n'est pas pour avoir revendiqué en faveur de la charité une place éminente, que l'on doit condamner le jansénisme, et le Dictionnaire des livres jansénistes était au moins mal avisé, lorsqu'il lui reprochait de dire que la loi chrétienne était la loi de charité52. Le Vénérable Vincent Huby n'est pas janséniste pour avoir dit « Le paradis est le royaume de la charité, et la charité seule peut l'ouvrir» B3, ni saint Ignace de Loyola, 5r. Pascal et la doctrine de Port-Royal, Revue de Métaphysique et de Morale, 1923, p. 261. » Édition de 1755, t. II, p. 5ç. 52. 53. Œuvres, 1761, p. 234.

qui écrivait « La charité, sans laquelle nul ne peut obtenir la vie, est cette dilection par laquelle nous aimons le Seigneur notre Dieu pour lui-même, et toutes les autres choses pour lui31. » Le jansénisme n'est pas davantage condamnable pour avoir célébré les charmes victorieux de la célèbre délectation un antijanséniste, jésuite encore, le Bienheureux Claude de la Colombière, les célèbre avec lui35. On s'entendait, jusque-là, de part et d'autre, sous le patronage de saint Augustin. L'expression delectatio victrix est de lui 56 de lui aussi, la maxime Regnat carnalis cupiditas, ubi non est Dei caritas*7. Mais ce qui est grave, et qui fausse entièrement le sens des textes qu'on allègue, c'est d'entendre la charité comme une cupidité retournée comme si, entre la délectation céleste qui fait goûter à l'âme son vrai bien, et la délectation terrestre qu'engendrent les biens trompeurs, il y avait différence d'objet seulement, non de nature ss comme si la cupidité ne tendait pas à la distraction, à l'écroulement de l'être qu'elle possède en le tirant au dehors, au lieu que la charité le recueille et l'unifie en Dieu. Ce qui est grave, c'est de méconnaître aussi bien les humbles cheminements de la caritas inchoata dans l'âme du pécheur, que les sublimes Lettres, éd. Bouix, p. 7. Sermon pour le jour de la Pentecôte, 3° point. 56. De j>eccatorum meriiis et remissione, 1. II, n. 32. (Par contre, l'expression « gratia victrix », que Jansénius prétendait avoir lue « non raro » dans les œuvres d'Augustin, ne semble pas s'y trouver. De gratia Christi Salvatoris, 1. II, c. xxiv.) La remarque en a souvent été faite, le mot « victrixne signifie pas du tout que la grâce vainque la volonté encore qu'elle la pourrait vaincre autrement mais qu'elle donne à la volonté de que ne l'explique Jansénius vaincre la concupiscence. De même le fameux adverbe « insuperabiliter », si l'on a soin de le replacer dans son contexte (De correptione et gratia, n. 38 cf. n. 35, et Ad Simflicianum, 1.1, n. 10). 54. 55.

57. Enchiridion, c. CXVII. 58. « Celui, dira très bien

le Père Grou, qui ne connaît que les plaisirs des sens, et dont l'âme est plongée dans la matière, ne peut comprendre qu'il y ait d'autres plaisirs d'un ordre supérieur, des plaisirs analogues à l'âme, et spirituels comme elle.» Morale tirée des Confessions de saint Augustin, 65.

ascensions de la caritas perjecta dans l'âme du mystique et du saint 59. C'est de transformer ainsi en un rigorisme étroit et mesquin la doctrine la plus compréhensive et la plus consciente qui fut jamais des profondeurs de la vie spirituelle. Si grossières que soient ces méprises, on risque d'y tomber, lorsqu'on cherche l'enseignement de saint Augustin sur le Surnaturel uniquement dans ses écrits de controverse sur la grâce. Non qu'il faille corriger ceux-ci par les autres sa doctrine était déjà formée, pour l'essentiel, avant que Pélage eût fait parler de lui. Mais il ne faut pas leur demander ce qui n'est pas leur objet. Arnauld, répétant Baïus, Jansénius, et tous ceux de son parti, écrivait « La différence si célèbre entre la grâce des anges et celle du premier homme, et celle de Jésus-Christ, est la clef de toute la théologie de saint Augustin en cette matière00. » Si « cette matière » c'est la grâce, comprise en un sens restreint, la chose, à la rigueur, se peut soutenir. Mais si c'est tout l'ensemble doctrinal que, dans la théologie moderne, nous avons coutume d'exposer sous le vocable de « Surnaturel », Arnaud se trompe absolument. Les spéculations sur Adam ont servi de méthode à de nombreux théologiens pour développer leur conception de l'homme et de Dieu, pour étudier, en quelque sorte, le Surna. turel à l'état pur, sans les complications introduites par le péché. Ce procédé, qui a ses avantages, n'a pas été celui de La doctrine des deux amours, empruntéesaint Augustin et odieusement travestie » P. Charles, Les civilisations non chrétiennes et l'amour du -prochain, « Semaine sociale de Paris », 1928, p. 198. Une autre conséquence de ce travestissement est de réduire toute la spiritualité à la « pénitence n, à l'obsession du salut ou de la damnation. 60. Œuvres, t. XIX, p. 445. Cf. t. XVII, p. 167 « La maxime fondamentale de toute sa doctrine, qui est la différence des deux grâce= du Créateur et du Rédempteur, de la volonté saine et forte avant le péché, et de la volonté malade et faible après le péché. n Voir aussi Du Pin, Mémoire historique, ms., cité par Carreyre, dict. Vacant, s. v. Jansénisme, fasc. 61, col. 478. Déjà Pierre Soto, qu'on a pu regarder comme le timide précurseur de Baïus, posait, au principe de sa discussion avec Ruard Tapper, la distinction augustinienne des deux secours, de la grâce de pouvoir et de la grâce d'action. 5g.

«

saint Augustin. Constamment, il enseigne que la grâce est nécessaire pour réparer la liberté, pour guérir la nature mais cette liberté, cette nature, qu'Adam possédait intactes avant question Telle les comprend-il? la péché, comment est son capitale. Or, à cette question, les traités antipélagiens sur la grâce ne suffisent pas à répondre. Ils ne donnent pas la réponse naturaliste que Jansénius, lisant avec les yeux de son maître Baïus, croyait y discerner mais la réponse opposée, qui est authentiquement celle de saint Augustin, c'est dans son œuvre entière qu'il la faut aller chercher61. On n'y trouvera pas toujours, bien entendu, les termes où nous l'exprimons aujourd'hui. Le traité De Deo élevante est de facture toute moderne. Corrélatifs du mot a nature », les mots même de surnaturel et de grâce ont une histoire étonnamment complexe. L'emploi prépondérant qu'Augustin fait de ce dernier pour désigner la séparation du péché par les mérites du Christ, facilita l'illusion de ses interprètes. Chez lui, comme dans toute la tradition théologique qui se rattache à lui, l'idée de grâce évoque plus directement l'idée de miséricorde que l'idée de libéralité. La grâce, c'est d'abord, c'est presque toujours la grâce médicinale, grâce du Rédempteur; c'est le fruit de l'initiative miséricordieuse par laquelle Dieu nous tire de la a masse de perdition02 ». Par opposition à l'état présent de déchéance où nous avons besoin de ce secours spécial pour nous relever, l'état de l'homme innocent est couramment appelé naturel63. Mais, encore une fois, les Si l'on s'efforce de saisir simultanément la doctrine augustinienne en tous ses aspects, « on s'aperçoit qu'elle est grosse d'une idée à la fois philosophique et théologique du surnaturel, qui n'a peut-être jamais encore été entièrement explicitée ». M. Blondel, Pour le /5e centenaire de saint Augustin, Revue de Métaphysique et de Morale, io.3o, p. 464. 62. De correptione et gratia, n. 26, 28 et 40. Cf. Ad Simpliciamim, '• I> q. 1, n. 7 e Gratia donante peccata. » et in ]o. tr. ni, 9. 63. Voir, par exemple Retract. I, 25; Efist. 118 ad Innocent.; De Civitate Dei, 1. XII, I, etc. De même saint Prosper et saint Léon c. (InNativ. témoin Dovn. sertno 4, n. 2 de jejunio decimi mensis sermo 1). Comme témoin de la tradition augustinienne, citons saint Bonaventure Bonaventure 61.

mots importent peu04. Saint Augustin doit bénéficier ici de la défense qu'il instituait de saint Jean Chrysostome contre les pélagiens Vobis non litigantibus, securius loquebatur6:i. Pas plus pour lui que pour ses devanciers les Pères grecs, la nature créée n'était ce qu'elle est devenue pour beaucoup, depuis que s'est ouverte l'ère de la philosophie séparée. Dans la mesure même où elle était « formée », où elle était plus que de la matière d'esprit, il voyait l'âme humaine illuminée et fortifiée par l'incessante action de Dieu. Toute sa réflexion baignant dans une atmosphère surnaturelle, il n'éprouvait pas constamment le besoin, comme il nous le faut bien aujourd'hui, de forger un vocabulaire « surnaturaliste ». Mais pour qu'il ne soit pas permis de se méprendre sur sa vraie pensée, il suffit qu'il ait professé, plus qu'aucun autre, l'entière dépendance, en tout état de cause, de la créature raisonnable vis-à-vis de son Créateur que cette dépendance ait été à ses yeux, non un joug de misère, mais le signe d'une grandeur en quelque sorte infinie, puisqu'elle l'élève jusqu'à Dieu et qu'enfin, il ait montré le principe, comme la règle et la fin de tout dans l'Amour. Qu'il parle encore, après cela, des « mérites » d'Adam80 il n'en reste pas moins vrai que Diligenter considera quam generose a summo artifice sis facta per naturam, quam vitiose a tua voluntate deformata sis per culpam, quam gratiose a divina bonitate soepe reformata sis per gratiam. » {Soliloquium de quatuor mentalibus exercitiis;éd. de Quaracchi, t. VIII. «

p. 3o.)

Ainsi, dans les Confessions, on trouve à peine douze fois le mot grâce, et pas toujours au sens de grâce intérieure. Or, les Confessions sont la source à laquelle il faut toujours revenir pour comprendre la doctrine de saint Augustin en cette matière. cou« Gratia ramment employé pour désigner un événement providentiel Sermo 64.

est

99, n. 6, etc. 65. Contra Julianum, 1.1, n. 22. Des remarques analogues pourraient

être faites sur l'emploi des mots foi et raison par saint Augustin. Souvent il met la foi en relation avec l'état d'infirmité intellectuelle où le péché nous a réduits. Il n'admet pas pour autant que le rationalisme eût été, au paradis terrestre, le vrai. 66. « Humana merita. quae perierunt per AdamDe praedestinatione sanctorum, n. 3i Cf. Contra }vl. of. imferf., 1. XII, n. 37.

jamais il ne lui attribue, dans aucune œuvre bonne, ni l'initiative ni le rôle principal. « Non seulement le libre arbitre, dont on peut bien ou mal user, mais encore la bonne volonté, dont on n'use jamais mal, ne peut venir que de Dieu. Que si notre libre arbitre, par lequel nous pouvons faire le bien et le mal, ne laisse pas de venir de Dieu parce que c'est un bien, et que notre bonne volonté vienne de nousmêmes, il s'ensuivra que ce qu'on a de soi-même vaudra mieux que ce qu'on a de Dieu, ce qui est le comble de l'absurdité on ne le peut éviter, qu'en reconnaissant que la bonne volonté nous est donnée divinement07.» Rien en cela qui suppose la chute. Qu'il s'agisse de l'homme innocent ou de l'homme pécheur, l'acte salutaire qui achève en lui l'image divine est une vraie création création de l'être spirituel, qui est la véritable existence », comme le dira Bérulle. « L'homme, sans doute, y coopère, mais Dieu en est toujours, de toute nécessité, le principal auteur. Par la première création, il a pofté dans l'être la nature il produit, entretient, rend efficace son activité, il préside à son développement. Mais pour cette accession à un autre genre d'être que doit réaliser le libre effort de la volonté morale, pour ce passage à un autre ordre, un second cycle de création doit s'ouvrir don supérieur, par où l'esprit créé, dépassant sa nature, entre dans l'ordre surnaturel. Tune efficimur vere liberi, quando Deus nos fingit, id est, forviat, et creat, non ut homines (quia iamfecit), sed ut boni homines simus Seulement, l'homme en feccat. meritis et remiss., 1. II, n. 118. Même raisonnement (à propos d'Adam), Contra fui. o-p. imf., 1. V, c. LVII «. Ut per se ipsum bonus sit homo, non per Deum, aut certe melior per se ipsum quam per Deum. » De gratia Christi, n. 26 « Ut agant quod bonum est, ab illo aguntur qui bonus est. » De ferfectione justitiae, n. io « Non se ipse homo, sed Deus bonum hominem fecit. n De vera religione « Ab eo autem est omnis salus, a quo est omne bonum. n Cf. De Civ. Dei, 1. XII, c. IX, n. 1 in Psalm. 70, sermo 2, n. 6 Encitir., ci etc. HARNACK avait noté la chose, mais pour y dénoncer, à son habitude, une contradiction (Précis de l'histoire des dogmes, tr. Choisy, 67. De

P. 263).

ayant repoussé le bienfait, cette création nouvelle doit être maintenant une re-création, elle doit commencer par un pardon, et pour ce motif elle mérite particulièrement le nom de grâce quod nunc gratia sua facit, ut simus in Christo Jesu nova creaturci"* Depuis les sereines réflexions du jeune converti de Cassiciacum jusqu'aux rudes polémiques du vieil évêque, la pensée de fond du Docteur de la grâce apparaît constante elle est toute « surnaturelle ». A la scruter, on s'aperçoit vite qu'il est « bien autre chose que le vainqueur du pélagianisme c>' ». Ou plutôt, il est le vainqueur de ce pélagianisme éternel qu'il avait rencontré déjà sous diverses formes dans ses excursions à travers les systèmes de Manès et de Plotin7t), et dont l'esprit devait revivre, en s'abritant sous ses propres formules, dans l'hérésie de Baïus et de Jansénius. Contre ces docteurs, qui n'abaissent tant l'homme en sa misère présente que parce qu'ils l'exaltaient indûment, orgueilleusement (et, d'ailleurs, bassement) en sa « santé » primitive*, écoutons le cri de son âme Absit ut sit vel dicatur voluntas bona quae in seipsa, non in Domino gloriatur71 Lyon. HENRI de LUBAC. 68. Enchindion, c. XXXI. 69. HuBY et ROUSSELOT, Christus1, p. 808. L'auteur veut dire que saint Augustin n'est pas seulement le docteur de la grâce. Mais on peut l'entendre aussi du docteur de la grâce lui-même. 70. Voir, Co;ztra diras e-pist. Pelagian., 1. II, n. 3, le parallèle entre Pélagiens et Manichéens. Et l'on sait que c'est en visant Plotin que dans ses Confessions, quinze ans avant le début de la grande controverse, Augustin trouve les formules définitives qui scandaliseront

Pélage. 71. Pour compléter ce tableau d'un contraste foncier, sous desconsonances verbales, entre saint Augustin et ses disciples Baïus et Jansénius, il conviendrait d'étudier ce qu'il pense de l'humilité, et de U prière d'Adam. On verrait d'abord que, selon lui, Adam pouvait se glorifier de ses mérites, et qu'il n'avait pas besoin de prier; mais on s'apercevrait bientôt que cette double thèse, si abrupte que soient ici ou là les formules où elle s'exprime, est bien éloignée de nier chez Adam la nécessité d'une attitude humble et priante.

CLÉMENT D'ALEXANDRIE ET L'UTILISATION DE LA PHILOSOPHIE GRECQUE

Dans un précédent article1, nous avons essayé de montrer le rôle qu'assigne Clément d'Alexandrie aux lettres et aux sciences profanes dans l'élaboration de la pensée chrétienne. Mais il ne faut pas se borner là car ce serait appauvrir considérablement ce trésor dont les Grecs, en des siècles d'efforts et de réflexion, avaient enrichi l'intelligence humaine, et le ramener arbitrairement à des proportions bien mesquines, que de le réduire à ces lyxux'Xia {/.aôvîfJtaTa. Les Grecs sont allés plusloin ils ont cherché dans la philosophie l'explication dernière du monde et des êtres, et aussi une règle de vie morale. Cette philosophie, métaphysique et morale, Clément, devenu chrétien, prétend ne pas la renier non plus il veut l'utiliser et la faire servir à l'édifice nouveau2. l'utilisation des sciences et de la littérature profanes. Recherches, février ig3i, p. 38-66. faut avertir le lecteur que sous la plume de Clément, le mot siXoaosi'ot prend souvent un sens assez spécial. H fidcpêapoç ç., c'est la pensée juive (cf. par exemple, Strom. V, 92 édit. Stâhlin, t. II, p. 453 « Le diable, dont parle sans cesse la philosophie barbare. ») ou même la pensée chrétienne (cf. par exemple, Strom. II, 5, t. II, p. n5 « La philosophie barbare, que nous suivons, est réellement parfaite et véritable. ». Dans Strom. VIII, I; t. III, p. 80, les mots ïj fiâcëacoç tptXoaotpia introduisent une citation de l'Évangile Matth., 7, 1.

Les idées de Clément d'Alexandrie sur

Il

'H «tXoaocpfo, c'est bien souvent (nous en avons relevé vingtsix exemples), la sagesse chrétienne, la perfection chrétienne (cf. par exemple, Strom. I, 90; t. II, p. 58 « La vraie philosophie, qui a été transmise par le Fils. n. Strom. II, 22 t. II, p. 124 « L'Écriture dit qu'il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille,

7).

qu'à un riche d'être philosophe. » IIXoÛoîov (ÇrtXocospeïvglose ici le sic Trtv pasiXeîav tou Osoù elasktëv du texte.) II faut enfin rappeler le titre



I.

Les Philosophies grecques.

La Philosophie Clément est parfaitement au courant de l'histoire de la philosophie grecque, de ses écoles et de leurs différents représentants. Il n'est que de feuilleter ses œuvres pour y rencontrer presque à chaque page les noms de Thalès, d'Héraclite, de Pythagore, de Xénophane, de Parménide, de Socrate, de Platon, d'Aristote, de Zénon, de Cléanthe, de Chrysippe, d'Épicure, etc. Tout un chapitre du F" Stromate, le XIV" est consacré à établir leur chronologie, depuis les Sept Sages jusqu'à Epicure. A quelle source Clément a-t-il pu emprunter ces renseignements ? N'a-t-il pas même tout simplement transcrit l'ouvrage d'un devancier ? Peu nous importe ici. Quelque réponse que l'on fasse à ces questions, il n'en est pas moins sûr que Clément connaissait bien l'histoire de la philosophie connaissance de seconde main, peut-être, mais grecque connaissance avertie malgré tout. Voici qui est plus important s'il connaît bien les différentes écoles, il ne veut s'attacher exclusivement à aucune d'elles il le déclare plusieurs fois, nulle part peut-être aussi nettement que dans ce passage du 1~ Stromate Ce que j'appelle philosophie, ce n'est pas le Stoïcisme, ni le Platonisme, ni l'Épicurisme, ni l'Aristotélisme, mais tout ce que chacune de ces différentes écoles a dit de bon, et qui enseigne la justice avec une science pieuse, 3:x<ïtoeru~'f)V {t6T' euTEëo~ e~tCT~u.ViC, c'est tout cela que j'appelle la philosophie éclectique.

Et,

en plusieurs endroits, il nous indique les raisons de son choix. Elles sont significatives, car elles nous montrent Stromates, xaT& T~v at~VjOt) ~t~o
dans la philosophie, c'est-à-dire, recherche Ctément que ce aspirations pensée, de fond et le définitive, ses propre sa en les plus intimes C'est surtout aux Épicuriens et aux Stoïciens qu'il s'en prend, et un passage du 1~ Stromate nous fait connaître ce

qu'il leur reproche plus particulièrement' Il s'agit du texte de saint Paul, Col. 2, 8 t Prenez garde à ne pas vous laisser séduire par la « philosophie n, et Clément précise La philosophie contre laquelle il nous met en garde, ce n'est pas

n'importe laquelle, mais l'Épicurisme, dont Paul fait mention dans les Actes des Apôtres, qui supprime la Providence et divinise le plaisir; c'est aussi toute celle qui estime exagérément les « ëtéments a, sans mettre à leur tête la cause créatrice et sans montrer le démiurge. Ce sont aussi les Stoïciens, dont il fait mention, qui disent à tort que Dieu est corps, et qu'il est répandu à travers la matière la plus vulgaire. Ce qu'il reproche à Epicure,

prince de l'impiété~ a, c'est, en deux mots, d'avoir introduit dans la philosophie un matérialisme absolu qui supprime la Providence, et d'avoir divinisé le plaisir". Les reproches qu'il adresse aux Stoïciens sont, en partie du moins, du même ordre. En fait, son attitude à leur égard est double il rejette leur physique et leur métaphysique, mais il approuve leur morale «

Pour se faire une idée tout à fait juste de la pensée de Clément à ce sujet, il importe de noter que de son temps les vieilles philosophies, ionienne, éléate, etc., n'avaient plus qu'un intérêt historique. Seules étaient vivantes les écoles stoicienne, épicurienne, néopythagorici~nne. Il ne faut donc pas s'étonner si c'est de celles-là seulement Clément s'occupe en détail. D'ailleurs, les préoccupations métaque physiques et cosmologiques des anciennes philosophies lui sont tout à fait étrangères. 6. Strom.I, 5o,5t;tII,p.33.–Cf. Act.t~, 18: saint Paul à Athènes: 5.

T~~ S~ TM~ 'ËTCtXCUpfNV XtXl SïOtKM~ 'Ot~OTOCfXOV CU~ëocM~OV ZurS.. 7. Strom. I, i;t. II, p. 3 oHeoi~-M; xmTap~ovtt. 8. Cf. par exemple, Protrept. V, 66; t. I, p. Si. Strom. VI, 67, t. II, p. 465 oï Te -rf~'Emxoupou otOsoT~ xcu T~ ~Sov~v M~ o<:<xo[UomM~ tov op(~ ~.0-~ ME


Ils disent que Dieu est corps, et qu'il est répandu à travers !a matière la plus vulgaire. Je n'oublierai pas non plus les Stoïciens. qui disent que l'être divin circule à travers toute la matière, même la plus vulgaire, et qui déshonorent tout simplement la phiiosophie

Ailleurs, pourtant, il les loue et, semble-t-il, sans réserve « Cléanthe de Pédase, le Philosophe du Portique, n'enseigne pas une théogonie poétique, mais la vraie théologie. Il n'ignora pas la nature de Dieu, ni sa sagesse~" » Voici encore un passage du V Stromate Marchez derrière votre Dieu et gardez les commandements (Deut. t3, 4). En suite de cela les Stoiciens ont dit que la fin de la philosophie, c'était de vivre selon la nature, et Platon, que c'est ressembler à Dieu, comme nous l'avons dit dans le II* Stromate Il.

On sait enfin quel usage Clément a fait, dans tes II'' et IIP livres du Pédagogue, d'un ouvrage de Musonius, l'un des plus nobles esprits du Stoïcisme finissant, le maître d'J~pictete~. Il n'est pas de notre sujet d'étudier cette question, mais il ne nous fallait pas oublier que, voulant tracer pour les nouveaux chrétiens un programme de vie morale. Clément n'a rien trouvé de mieux que d'emprunter à un Stoïcien les éléments de la peinture qu'il voulait faire des vertus et des vices. Il est facile maintenant d'expliquer l'attitude de Clément en face des Stoïciens il repousse leur physique trop matérialiste à son gré il admire, il utilise même leur morale, Protrept. 66 t. I, p. 5o. Cf. Strom. V, 8ç t. II, p. 384. ]o. Prôtrept. 72; t. I, p. 5~, citant Cléanthe (fr. ~5 Peaj-son~

9.

TZ-y<x6~ tpMtS; [Jt' o!<M BOT' MMOS 5)] TETa~SW~, SfxûtMV, 6'TtOV, M
Cf. Strom. IM, ]7; t. II, p. 33~, rapprochant de saint Paul, II Thés. 3, I, un autre fragment de Cléanthe (fr. ioo Pearson). 11. Strom. V, 94, ç5 t. II, p. i6y. t2. Cf. P. WENDt.AND, Quaestiones ~K~~K~Mt! De ~/M.MM!C y
précise, rigoureuse, fondée sur une analyse et une classification exacte des vertus et des vices, et en même temps animée d'un grand idéal et marquée d'une indéniable gran-

deur". Quant à Platon, il l'admire à peu près sans réserve c'est pour lui le Philosophe. Il le cite sans cesse, et six fois, il accole à son nom l'épithète o
Ce que recherche la philosophie, c'est cette sagesse de i'âme,

c'est la rectitude du jugement et la pureté de la vie; elle est pleine d'amitié et d'amour pour la sagesse, et fait tout pour l'atteindre. On appelle philosophes chez nous ceux qui aspirent à la sagesse du Créateur et du Maître universel, c'est-à-dire à la connaissance du Fils de Dieu; chez les Grecs, ce sont ceux qui s'occupent des discours sur la vertu. La philosophie consisterait donc dans les enseignements irréprochables de chacune de ses sectes (je parle des '3. Comparer tout un long passage du

Stromate, Sg-oi t. II, p. 384-386 Clément reproche aux différentes écoles leurs erreurs sur la nature de Dieu et sur le premier principe les Stoïciens disent que Dieu est matière les Stoiciens encore, et Platon et Pythagore, et Aristote, ignorent le premier principe unique, et placent la matière à l'origine des choses. Mais il reconnaît que ces philosophes ont atteint la vérité au sujet de la survivance de l'âme et des rétributions après la mort. C'est toujours la même façon d'apprécier les philosophies. Même appréciation à double face des Stoïciens chez JUSTIN, 11 Apo). VII, 7, 8 VIII, i éd. Pautigny, p. 164. i4 Strom. VI, i3g; t. II, p. Sos. 'S. Strom. I, g3; t. II, p. 60. Txyx&oS ~MT~ est de Platon, VII, p. 534 B C. V~

sectes, ctt'peMt!, de la philosophie), rassemblés dans un choix éctectique, dç p.~w ex~oy~, avec une vie conforme à ces enseignements"

Science du bien et de la vérité, rectitude du jugement et pureté de la vie, voilà ce que Clément demande à une doctrine pour qu'elle ait le droit de s'appeler philosophie~. Ce bien et cette vérité, but suprême de la philosophie~, ne sont autre chose que Dieu lui-même, que les philosophes ont entrevu à travers beaucoup d'erreurs, comme nous apercevons dans l'eau l'image déformée des objets. Clément rapproche cette comparaison platonicienne de l'expression de saint Paul, 1 Cor., i3, 12 ~t*eco~rpou sv ott~y~KTt, et il ajoute « C'est par reflet et par transparence que ceux des Grecs qui ont philosophé exactement aperçoivent Dieu à cause de leur impuissance, ils ne voient que des images de Dieu, mais des images vraies,
Et encore Quant à l'espérance après la mort, ce ne sont pas seulement les tenants de la « philosophie barbare » qui savent qu'elle est bonne pour les gens de bien, et le contraire pour les méchants mais les pythagoriciens aussi car eux aussi disaient que l'espérance est le terme de la philosophie. Aussi Socrate dans le Phédon dit-il que les âmes bonnes quittent cette vie « avec une belle espérance », et il leur oppose le malheur des méchants, « qui vivent, dit-il, avec une mauvaise espérance~ ».

Voilà donc, semble-t-il, suffisamment définie la conception que se fait Clément de la philosophie pour lui, elle consiste presque exclusivement en une morale et une religion 21.

IL

La Philosophie grecque

son utilisation <

La philosophie est chose utile, Clément le déclare sans ambages y~oco~Mt rotw~T!ro).um(pE~ T~ ~p~~K~ Quelle est cette 23. Strom. IV, 144; t. II, p. 3t2.–Pn-rox, /~f.~M, p. 67 C; ~Pf~. I, p. 33o E. 24. Nous n'aborderons pas ici les théories de Clément sur l'origine de la philosophie. Pour lui, elle vient de Dieu. Qu'il suffise de citer
En disant, d'après l'opinion universelle, que tout ce qui est nécessaire et utile à la vie nous est venu de Dieu, nous ne nous tromperions pas. Nous croyons donc que la philosophie a été donnée aux Grecs comme un testament qui leur était particulier, et qu'elle était pour eux un échelon vers la philosophie selon le Christ. » (Strom. VI, 67 t. II, p. 465. Trad. Bardy, p. 55). « Comment n'est-il pas absurde que ceux qui attribuent au diable l'injustice et le désordre en fassent l'auteur de cette chose recommandable qu'est la philosophie ? Il est plus vraisemblable qu'elle soit l'œuvre de la Providence et de la sagesse divine, qui l'a donnée avec bienveillance aux Grecs, pour qu'ils deviennent des hommes de bien. La philosophie qui fait des hommes vertueux n'est pas l'œuvre de la méchanceté. II reste qu'elle soit l'œuvre de Dieu, dont le propre est de rendre bon. Ce que la Loi a été pour les Juifs, la philosophie l'a été pour les Grecs, jusqu'à la venue du Christ. )' (Strom. VI, i5o; t. II, p. 5 i3, ;:4. Trad. Bardy, p. 56, 57). Que la philosophie ait été transmise aux Grecs « directement ou «indirectement)), ou même que les Grecs l'aient «dérobée))aux Hébreux, cela n'intéresse pas notre propos. 35. Strom. I, 71, t. II, p. 45.

utilité que Clément trouve à la philosophie, c'est ce qu'il nous faut maintenant préciser. Un assez long passage du 1~ Stromate va nous y aider Quand plusieurs hommes tirent un navire, on ne dit pas qu'ils sont plusieurs causes, mais qu'à plusieurs ils forment une seule cause (car chacun n'est pas à lui seul cause du déplacement du navire, mais il l'est avec les autres); ainsi, la philosophie, étant une recherche de la vérité, contribue à appréhender la vérité; elle n'est pas cause de cette appréhension, mais avec les autres elle est cause et coopère. Et s'il faut donner des précisions pour ceux qui aiment à discuter, nous dirons que la philosophie concourt et coopère cuvatmov xal auvepyov à la véritable compréhension, qu'elle est une recherche de la vérité, et nous avouerons qu'elle est une préparation pour le gnostique, sans appeler pourtant cause unique et qui a son principe en elle-même la cause qui ne fait que concourir et coopérer, et sans dire que la philosophie est une cause sine ~

Il est difficile de traduire exactement en français ces distinctions entre a~'Tto~, cu'~T[OK et
On peut dans ces pages, parmi des considérations assez embrouillées sur la causalité principale et secondaire, distin-

guer trois oa quatre idées maîtresses qui reparaissent ailleurs. La philosophie justifiait les Grecs pour sa part, elle était un échelon qui les conduisait à la foi actuellement encore, elle sert, pour la foi, de préparation, de défense et d'apologétique. Ces formules, qu'il nous faut maintenant étudier dans le détail, indiquent assez bien la façon dont Clément se représente une utilisation possible de la philosophie. A.

LA PHILOSOPHIE JUSTIFIAIT LES GRECS

La philosophie justifiait les Grecs Clément est trop généreusement optimiste pour croire que Dieu se soit désintéressé des Gentils, et qu'il ait réservé aux seuls Juifs les moyens de salut. Au VIe Stromate~, il cite un long passage du Kerygma Petri qui se termine sur ces mots « Dieu a conclu avec nous une nouvelle alliance car l'Hellénisme et le Judaïsme sont maintenant choses anciennes et c'est vous qui honorez Dieu d'une façon nouvelle, comme une troisième race, vous les chrétiens. n Et Clément ajoute était connu par les Hellènes de façon païenne, par les Juifs de façon juive, est connu par nous de façon nouvelle et spirituelle. En outre, il a montré que c'est le même Dieu, chorège des deux Testaments, qui a donné aux Hellènes la philosophie hellénique par laquelle le Tout-Puissant est glorifié chez les Hellènes. Enfin, de même que Dieu a voulu sauver les Juifs en leur donnant les prophètes, ainsi il a suscité les meilleurs des Grecs comme des prophètes qui seraient de chez eux par la langue, et il les a séparés du commun des hommes, pour qu'ils fussent capables de recevoir les bienfaits de Dieu; c'est ce que montre, avec le Kerygma Petri, l'apôtre saint Paul quand il dit Prenez les livres helléniques, lisez la Sibylle 29. H a, je pense, clairement montré que Dieu, qui

Strom. VI, 41 t. II, p. 4~2, 453. Kerygma Petri, fr. 2, 5, Dobschutz, T. U., XI, I, p. 13, 22. 29. Actes ~P~M~?), Dobschütz, T. U., XI, I, p. t23, t2~. =S.

Et cela revient plusieurs fois, surtout dans le VIe Stromate Strom. VI, 44 (t. II, p. 453) a De même que la prédication (de l'Évangile) est venue maintenant à son heure, ainsi à son heure la Loi a été donnée aux Barbares, ainsi que les Prophètes, et la philosophie aux Grecs, préparant leurs oreilles

à la prédication*

»

7~ 67, p. ~65

En disant, selon l'opinion universelle, que tout ce qui est nécessaire et utile à la vie nous est venu de Dieu, nous ne nous tromperions pas. Nous croyons donc que la philosophie a été donnée, surtout aux Grecs, comme un testament qui leur était particulier, et qu'elle était pour eux comme un échelon vers la philosophie selon le Christ~

Et enfin, dans une phrase qui résume tout La philosophie est l'oeuvre de la Providence et de la sagesse divine, qui l'a donnée avec bienveillance aux Grecs pour qu'ils devinssent hommes de bien. Ce que la Loi a été pour les Juifs, la Philosophie l'a été pour les Grecs jusqu'à la venue du Christ~.

Ces formules risquent de nous étonner, surtout cette idée que la philosophie justifiait les Grecs, comme la Loi faisait des Juifs. Cela semble au premier abord si étranger au christianisme! Est-ce que Clément ne mériterait pas, lui aussi, le reproche d'avoir rendu inutile la Croix du Christ~? S'il a attribué une telle importance, décisive semble-t-il, à la sagesse antique, ne peut-on lui reprocher, comme à Origène Porphyre, d'avoir vécu en chrétien sans doute, mais d'avoir 3o. Un peu plus bas (p. 454), il oppose TO?; XM&

xstTK fOj~o~ Stxc~o:;

et ro~

<j)t~OM
3]. Trad. Bardy, p.

55.

3z. Strom. VI, i5o t. II, p. 5i3. 5:-t. – I! faut faire ici une remarque très importante ces idées et ces formules ne sont pas spéciales au VIe Stromate elles apparaissent déjà dans le I* quoique antérieur de plusieurs années au VIe (BARBEtHEWER, G. A. K. L., t. II, p. 67). Elles reflètent donc bien la vraie pensée de Clément. – Strom. I, 27, 28 t. II, p. 17, 18 « Ceux qui ont été justifiés par la philosophie. Avant la venue du Seigneur, la philosophie était nécessaire pour la justification des Grecs,u 33. 1 Cor. I, 17.

pensé en Hellène~, ou, pour transposer la question en termes théologiques, serait-il un Pélagien avant la lettre ? Il faut noter ici trois choses, qui nous permettent de comprendre ces théories de Clément en nous éclairant sur leur origine. D'abord, si cette formule paradoxale est propre à Clément, l'idée qu'elle recouvre n'est pas absolument étrangère à la tradition chrétienne. Les passages du K~ygttta Petri et des Actes de Paul rappelés plus haut suffiraient à le prouver. Et s'il est vrai que le K~ry~HM est d'origine égyptienne~, n'est-il pas permis de croire que ces idées étaient courantes dans le milieu d'Alexandrie, où Clément les aurait empruntées ? Mais de plus, ce n'est peut-être là que le développement d'une idée de saint Paul « Ce qui peut se connaître de Dieu, ils le lisent en eux-mêmes. Quand des païens, qui n'ont pas la Loi, accomplissent naturellement ce que la Loi commande, n'ayant pas la Loi, ils se tiennent lieu de Loi à eux-mêmes~, n Et enfin, Clément lui-même semble rappeler ces enseignements de saint Paul, quand il écrit, à la suite d'un passage que nous avons cité tantôt Si vivre honnêtement, c'est aussi vivre selon la loi, et si vivre raisonnablement, c'est vivre selon la loi, pour ceux donc qui ont vécu avec rectitude avant la loi, cela leur a tenu lieu de foi, m nhr:~ sÀOY~6t;(ra!v~, et ils ont été déclarés justes, S~xMO! EÏvM ExpM~tTOM, ilest évident que ceux qui ont été en dehors de la loi, et qui ont vécu avec certitude selon le caractère propre de leur âme, même s'ils étaient dans l'Hadès et en prison, entendant la voix du Seigneur, soit qu'elle opère par elle-même, soit qu'elle agisse par les Apôtres, il est évident qu'alors ils se sont convertis au plus vite et qu'ils ont cru~.

Eus., H. E. VI, j~, 7 éd. SCHW~RTZ, t. II, p. 56o. DOBSC~TZ. T. U., XI, I, p. 73. Rom. I, ig; 2, t4. Cf. LAGR~X&E, Z~.
34. PORPHYRE, ap.

35. 36. o. 48, 49. 37-

), 3o.

Noter les rapprochements avec le texte de saint Pau!, Rom. 4, 3.

38. Strom. VI, 47;

t.

II, p. 455.

Négligeons ces allusions à la descente du Christ aux Enfers et à une évangélisation des païens après leur mort. Ce sont ici détails secondaires, qui n'intéressent pas le fond de la pensée de Clément. Quant à ce fond lui-même, on est en droit de conclure qu'il n'y a rien ici de bien original ni de bien extraordinaire. Seule la formule La philosophie justifiait les Grecs appartient en propre à Clément. Encore ne l'explique-t-il pas nulle part il ne nous dit si les Grecs ont été justi&és de la même manière qu'ont été sauvés les justes de l'Ancienne Loi, ni comment s'opérait cette justification. I] est bien regrettable que sur cette grave question Clément ne nous ait pas donné de réponse plus précise. Nous avons déjà vu que les problèmes moraux l'intéressaient beaucoup plus que les questions métaphysiques et dogmatiques. Ici encore, il n'est pas allé plus loin que cette formule, qui satisfaisait son optimisme, qui répondait à l'élan de sa générosité, et qui lui permettait d'incorporer à l'économie du salut tout le passé de la philosophie grecque. cc

B.

LA PHILOSOPHIE ET

LA

FOI

N'était-ce pas aussi pour lui une façon de légitimer le rôle et l'importance qu'il entendait donner à la philosophie dans le christianisme ? Il la fait intervenir à trois reprises dans l'ascension de l'âme vers la vérité chrétienne, vers le christianisme total elle prépare l'âme à acquérir la foi elle l'aide à défendre cette foi contre les attaques du dehors elle coopère à l'édification de la gnose. Clément nous avait déjà dit que « la philosophie avait été donnée aux Grecs et préparait leurs oreilles à la prédication (de

l'Évangile)"

.).

Il reprend souvent cette idée <

Avant la venue du Sauveur, la philosophie était nécessaire pour la justification des Grecs; maintenant elle est utile pour la piété, car elle est une propédeutique ~MmuSEKt pour ceux qui arrivent à la foi 39. Strom. VI, 44; t.

II, p. 453.

par la démonstration. Maintenant la philosophie reste une prépararation, qui met sur le chemin -~oMpMiteut! npoo8<MMto5<m, celui qui est perfectionné par le Christ~ Nous disons donc que la philosophie consiste à chercher avec la raison toute seule la vérité et la nature des choses; elle est une préparation au repos dans le Christ, elle exerce l'esprit et éveille l'intelligence, elle la rend rapide et chercheuse. Par ces sciences, l'âme est purifiée des choses sensibles et enflammée, afin de pouvoir un jour contempler la Même si la philosophie n'embrasse pas dans toute sa grandeur toute la vérité, et si elle est encore impuissante à accomplir les divins commandements, du moins elle prépare la voie à la royale didascalie, elle assagit en quelque sorte et façonne d'avance le caractère, elle apprête à recevoir la vérité celui qui croit à la

vérité'

Providence~.

Et enfin, ce passage sur lequel il nous faudra revenir, et qui pourrait servir de conclusion à ce qui vient d'être dit, en même temps que d'introduction à ce qui viendra plus loin La philosophie grecque, pour ainsi dire, purifie l'âme et la prépare d'avance à recevoir la foi, sur laquelle la vérité édifie la gnose4'.

Tout cela, encore une fois, n'est pas assez clair à notre gré. Il nous semble que cette préparation à la foi que Clément demande à la philosophie ne diffère guère de cette sorte de purification intellectuelle qu'il attendait déjà de la géométrie et de l'astronomie. Il n'y a rien ici de ces préambules rationnels à la foi de nos modernes traités d'apologétique. Ne demandons pas à Clément plus que ce qu'il prétend nous donner.

D'autre part,

Clément et la chose est à souligner, sait à l'occasion montrer que cette philosophie n'est à la vérité qu'une préparation, à laquelle il ne faut pas s'arrêter, à 40.

Strom.

I,

28; t. II, p. ty-iS.

«

~MOUjj~)Q~.

4'.Strom. I, 32,

t. II, p. 21, 22. 42. Strom. I, 8o t. II, p. 52. 43. Strom. VII, 20, t. III, p. t4. 33

Perfectionné N, ou ((achevé)),

laquelle il ne faut plus revenir quand une fois le but suprême a été atteint Paul dans ses épîtres n'accuse pas la philosophie, semble-t-il, mais il estime que celui qui est arrivé aux hauteurs de la gnose ne doit plus revenir à la philosophie grecque; il désigne allégoriquement celle-ci par les mots « éléments du monde~* », elle est comme une préparation « élémentaire » de la vérité, TTo~tM-rtx~ ïtvct ous<xv xx' TcpoTMtS~av T~ <xX-f,9E
Connaissance élémentaire le mot est à retenir. Sans montrer dans le détail, comme l'a fait par exemple J. Meifort, tout ce qui sépare le christianisme de Clément du véritable platonisme~, il fallait dire, au moins d'un mot, combien pour lui la vérité chrétienne l'emporte sur les philosophies humaines «

Puisque le Verbe lui-même est venu du ciel vers nous, nous ne devons plus aller vers un maître humain, ni nous occuper indiscrètement d'Athènes et du reste de la Grèce, ni non plus de l'Ionie. Maintenant le Maître enseigne et désormais tout est devenu pour nous Athènes et la Grèce, grâce au Verbe. Nous sommes les disciples de Dieu, les possesseurs de la véritable sagesse, que laissaient seulement entrevoir les plus habiles philosophes, mais que les disciples du Christ possèdent pleinement et qu'ils ont prêchée~.

Quel rôle doit maintenant jouer la philosophie en face de la foi déjà possédée par le chrétien ? Il n'y a sur ce point rien .1

44. Col. 2, 8 OTOt/EMt TOU XOO~OU. 45. Strom. VI, 62; t. II, p. 463. Cf. Col., ibid.

Même remarque un peu plus bas, Strom. VI, 117 t. 11, p. 490. 46. J. MEIFORT, Der fZa~KMMK~ bei C~MCKJ ~aM~MK~. – C. R. du P. LEBRETON dans Recherches, 1020, p. 3yo. 47. Protrept. nz, n3, t. I. p. 79. Trad. Bardy, p. 5o, légèrement modifiée. Voir encore, par exemple, Strom. t, 53 (t. II, p. 34) « Les philosophes ne sont que de petits enfants, v~not, tant qu'ils n'ont pas été virilisés par le Christ. » (Allusion à Gal. 4, i-5.) Cf. J. LEBRETON, Recherches, ~28, p. 4$y-458.

ajouter à ce que nous avons précédemment dit à propos de la dialectique' Clément assigne à la philosophie une tâche défensive et apologétique «Fortine la sagesse, ditSalom<Mi, et elle t'élèvera, elle te ceindra d'une couronne de volupté. Fortifie-la solidement, jusqu'au faîte, grâce à la philosophie, de manière à la rendre inaccessible aux sophistes~ Clément est plus original certainement, et plus intéressant, quand il essaye de définir le rôle de la philosophie dans l'édification de la gnose. Il n'est pas, lui, de ceux qui se conxan ~X~ ir~r~ Il est tentent de la foi pure et simple, de ceux qui conçoivent la philosophie, « non seulement comme instrument d'apologétique, mais comme moyen de intellectuel et moral' perfectionnement individuel C'est ici surtout, on l'a déjà souvent montré, que Clément a laissé son christianisme s'imprégner d'hellénisme. Non toutefois que sa pensée n'ait jamais varié sur ce point. S'appuyant sur les recherches de W. Bousset, le P. Lebreton a montré qu'il y avait eu là-dessus, une évolution assez marquée dans les idées de Clément. A Alexandrie d'abord, au Didascalée, en face des G nostiques hérétiques, « Clément s'oppose fortement à la distinction radicale que ses adversaires veulent établir entre diverses classes de chrétiens, et dans sa propre théorie de la gnose et de la foi, il se tient en garde contre ce danger. La gnose est sans doute exaltée, mais comme une perfection où tout fidèle peut et doit prétendre la foi en contient déjà le germe, et, par suite, tout chrétien, dès son baptême, est parfait. o Plus tard, au contraire, en Palestine, « il s'abandonne à l'enthousiasme de ses maîtres pour une vie exempte de passions, nxée dans une contemplation perpétuelle, soulevée au-dessus de l'humanité. Et cette ambition très haute, mais non dépourvue

~ceA~c/

février tf)3!, p. 5t-53. Clément ne distingue guère ici la philosophie de la dialectique. 49. Strom. I, 28; t. II, p. 17. 50. Strom. I, 43; t. II, p. 38. Cf. Strom. V, n t. II, p. 332. Si. DUCHESNE, Histoire ~M~K~ l'Église, t. I, p. 335. 48.

d'illusion, entraîne dans sa conception du christianisme, et particulièrement des rapports de la foi et de la gnose, des conséquences très graves~ ». 11 faut cependant remarquer qu'un long passage du 1'~ Stromate contient déjà des expressions très significatives de cette attitude tout intellectualiste de Clément~ Ce n'est pas la nature
foi ouv~cn de la f01 irt'-7-rpt aaY~evx (ilJVLEVOC. ?ac Ev EVT'/i ~svo~s~x 't. 'lt'LC¡TEL TCC

o'~y Oto~ O'.JZ OW,/ ?s "E

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Et Clément ajoute que celui qui est averti des autres disciplines pourra plus facilement atteindre la Ter<M non pas d'ailleurs que la science y soit indispensable, mais elle facilite la tâche xan p<x<~ x~a x~ 6atTTO~ cu~ T'~ 'npoira~~Et~ SïsocTX~ Kv TMCt T7)~ KpETY)~ &~0'XoyoUjJ[.E\

Tout cela est-il grec ou chrétien ? Remarquons que pour atteindre la vertu, Clément ne compte pas sur l'exercice ou la grâce, mais sur la science il ne dit pas xcx~cEt ou yxpm, mais {jt.K&fcet. Nous retrouvons ici, comme a dit très heureusement M. de Faye, a l'idée essentiellement grecque que la vertu s'apprend~ a. Au progrès dans la connaissance, correspond un progrès dans la vertu. Et comme la science, la vertu Car c'est bien de vertu qu'il s'agit ne peut plus se perdre ici Clément ne parle'pas de co<pot, mais dexx~o~ x~yo~. Il ne se contente pas de faire de la philosophie (ou des 52. Revue d'Histoire Ecclésiastique, XIX, !~23j p. 4()6-4<)/. Cf. W. BOUSSET, .S'c~MM~t' ch. VIII, p. 248-263. 53. Strom. I, 34, 35 t. II, p. 22-23. Trad. Bardy, p. !o5-to6. 54. E. DE FAYE, Clément d'Alexandrie, p. 57, 58. Idée essentiellement socratique. Cf. A. CROISET, Hist. de

la Litt.

g~c~M~t.IV.2''ëd.,p.2t():<(La vertu est une science. Vertu, science, sagesse sont synonymes. ') Voir Protagoras, p. 345 D E, éd. A. CROISET, p. 66. Mémorables, I, Voir aussi le Ménon. 2, ig et 21 III, p, i, 4, 5. 55. « Il est impossible que la gnose accompagne des œuvres mauvaises. » Strom. IV, 13o; t. II, p. 3o5.

sciences), la condition du progrès moral il laisse entendre, de plus, que sans elles on « ne peut comprendre les données En d'autres termes, la science serait indispende la foi sable à celui qui veut pénétrer les secrets de la foi, parvenir à la contemplation. Mais tout cela est-il bien évangélique ? Ce christianisme est fortement imprégné d'un hellénisme Il hautain, aristocratique, très peu évangélique on est loin ici de saint Paul « Où est le sage ? où est le scribe ? où est le disputeur de ce siècle ? » (I Cor., 8, 20) on est loin du Christ Jésus louant son Père d'avoir caché ses secrets aux sages et aux intelligents et de les avoir révélés aux petits (Mat. 11, 25) pour Clément, au contraire, c'est aux sages et aux intelligents que le Christ les a révélés s. Clément est-il en cela fidèle à l'idéal du christianisme primitif ? Il semble difficile de répondre affirmativement. Quoi qu'il en soit, il faut noter à quel point sa gnose se nourrit de science. Il faudrait rappeler ici tous les textes que nous avons apportés naguère sur l'utilisation des sciences encycliques, et insister particulièrement sur les passages où Clément montre comment le gnostique, par la géométrie, la dialectique et la philosophie, se débarrasse peu à peu de la connaissance sensible et, s'élevant jusqu'à l'intelligible, arrive à s'unir à Dieu. Le P. Lebreton, qui cite ces textes, et les rapproche de passages analogues de philosophes grecs, conclut en ces termes « Clément se révèle tout entier dans ce passage. C'est le mystique chrétien, s'unissant au Christ par la sainteté mais c'est aussi le dialecticien grec, qui s'efforce d'atteindre Dieu par la méthode platonicienne de l'abstraction'7. » Et il ajoute un peu plus bas
Ce n'est pas ici le lieu d'insister sur ce fait et de montrer dans quelle mesure le christianisme de Clément a été modifié

et, pour ainsi dire, coloré par sa philosophie. Mais il fallait dire avec quelle foi et quelle ferveur Clément a cru à la philosophie grecque s'il a voulu l'incorporer à la synthèse dogmatique qu'il a entrevue et ébauchée~, ce n'est pas à son insu, sous l'influence d'une éducation première dont il serait resté pénétré malgré lui c'est, au contraire, avec une pleine conscience de la valeur de la philosophie et des services qu'il en pouvait attendre, qu'il a voulu l'utiliser pour l'élaboration de sa théologie. Nous verrons plus loin s'il fut en tout ceci un initiateur; mais soulignons ici, une fois de plus, son optimisme tout ce qui est beau et bon, poésie, sciences et philosophie, tout cela vient de Dieu et doit aider les hommes à retourner à Dieu~. a Peut-être, quand le Seigneur a nourri avec deux poissons et cinq pains d'orge la foule de ceux qui s'étaient assis sur l'herbe en face de Tibériade, voulait-il faire allusion à la préparation des Grecs et des Juifs. La philosophie grecque, engendrée et portée sur les vagues du paganisme, était représentée par les poissons, donnés comme une nourriture excellente à ceux qui étaient encore couchés à terre, et si tu veux raffiner, conclus que l'un des deux poissons représente la science encyclique, et l'autre la philosophie elle-même, prise en général°" » Est-ce que cette allégorie, qui est si bien dans sa manière, ne résume pas tout ce que nous avons pu dire de Clément ?r Son originalité a consisté, d'une part, à introduire dans l'idéal de la perfection l'élément intellectuel et platonicien de la connaisle gnostique est parfait en doctrine et en conduite, sance, et de l'autre, à introduire dans son élément moral la pratique de la vertu stoicienne de l'apathie. J. TIXERONT, des Dogmes, 1 (8~ éd. 19t5), p. 202. Cf. DE FAYE, p. 220. Sa. Cf. Strom VI, t56, t5o, t. II, p. 5t2, 5i3. 60. Strom. VI, 04 j t. II, p. 470. 58.

«

M

//<

Originalité de Clément d'Alexandrie III. de'conclusion, indiquer avec manière voudrions, Nous en de l'originalité ceci quelle fut précision tout de en assez Clément, et le comparer sommairement avec ceux qui furent en cette voie ses prédécesseurs et ses continuateurs. Il n'est pas exagéré de dire qu'en prenant l'attitude que nous avons esquissée, Clément fut un novateur. Il est inutile de rappeler ici, après tout le monde, les violentes invectives d'un Tatien ou d'un Tertullien, celui-ci à peu près contemporain de Clément* Mais il y a plus, et on sait que, même dans le milieu d'Alexandrie, Clément dut rencontrer une opposition décidée. Bien des passages des Stromates nous font entendre l'écho des contradictions que dut subir Clément, et peut-être aussi des luttes qu'il eut à soutenir pour défendre ses idées. Le début du I"' Stromate est consacré à revendiquer pour le chrétien le droit, non seulement d'écrire, mais aussi de travailler sur les données de la connaissance religieuse, et d'élaborer une gnose Ailleurs, il nous parle, avec une certaine mauvaise humeur, de « cette multitude qui a peur de la philosophie, comme les enfants ont peur de

croquemitaine~ ». Il n'a d'ailleurs pas pour ces adversaires une bien grande estime « Ils craignent que la philosophie ne les entraîne. Mais si la foi (car je ne voudrais pas dire la gnose) est assez faible chez eux pour être détruite par les apparences spécieuses, qu'elle soit détruite, puisqu'ils avouent par là même qu'ils n'ont pas la vérité. Car la vérité, dit-on, est invincible~. n 6î. TATIEN, Orat. 2, 3. TERTunjEN, de Praescr. 7, a-i3. Contre ces oppositions, voir les plaintes d'Origène, de ,f~M< IV, 8. 63. Strom. I, 1-11 t. II, p. 3-8. 63. Strom. VI, 80; t. II, p. 472 ot ~0)~0~ Se xsfOomep o: Tro~Be? M.opp-o~uxeMt, oSïfOi; SeS~M! T<,w E~'f~Lx~ o'XoooBMV. La même comparaison est empruntée (consciemment Paedag. I, 33 I, elle retrouve se p. 110 ou non, qui le dira?) à Platon, Phédon, p. 77 E (Stahlin indique le rapprochement pour le passage du Pédag., et il l'omet pour celui du VIe Strom., où pourtant l'imitation est beaucoup plus sensible). 64. Strom. VI, Si t. II, p. 472. Trad. Bardy, p. 264.

C'est que ces o~koo~MTCtt* ne semblent pas avoir été toujours des gens bien recommandables « Ce sont les mêmes qui blâment la philosophie, qui attaquent la foi, qui louent l'injustice, et proclament le bonheur d'une vie livrée aux

plaisirs"

~t~x~u'.o' ces

simples '), qui ne veulent que la foi « toute nue », et qui ont peur de la philosophie, semblent en tout cas avoir bien gêné et bien agacé Clément ils furent peut-être même assez dangereux pour que C. Bigg ait cru pouvoir écrire, en parlant des conceptions de notre auteur « Ce fut une vue non seulement sage, mais courageuse. » « It was not only a wise, but a courageous view x C'est, en effet, que ces opposants n'étaient pas seulement des simples, obstinément et farouchement hostiles à toute culture intellectuelle, et sans doute aussi les constatations un peu amères de Clément nous le laissent deviner–fermés à tous les sentiments un peu nobles et un peu élevés. Clément devait rencontrer également de l'opposition, et peut-être également de l'incompréhension, chez de nobles esprits et de grandes âmes, laïcs, prêtres ou évêques, que les errements lamentables des gnostiques avaient mis en défiance contre toute gnose, même orthodoxe °". Cette attitude avait été celle de saint Irénée « Mieux vaut laisser toute autre recherche scientifique pour ne connaître que Jésus-Christ Fils de Dieu, crucifié pour nous, plutôt que d'être entraîné dans l'impiété par les subtilités et les minuties des questions~ Sans doute, d'ailleurs, saint Irénée n'avait-il pas tort, et Ces

a

Strom. I, 4! t. II, p. 3o. Strom. V, 85 t. II, p. 3Sz. Strom. V, ta, 43, 99 t. II, p. !3, 20. 63. Christian Platonists, p. 4g. Cf. DucHESNE, p. 333. E. DE FAYE, p. i37 Les Simpliciores le~ Simpliciores et Clément, p. t5o Cette opposition s'est d'ailleurs encore prolongée pendant des siècles. Cf. GRÉGOIRE DE NAZIANZE. Éloge de'BasiIe, XI, éd. Boutenger, p. 78. (Voir M. CROISET, V, p. 937.) 65. 66. 67. 68. 69.

yo. Adv.

/y< 11, 26, I-V. J. LEBRETON, 485, 487, 4o3.

Clément était-il un peu trop naïvement optimiste. La philosophie, pour beaucoup, était un obstacle plutôt qu'un acheminement au christianisme Clément lui-même nous avoue que a les philosophes refusent volontairement d'entendre la vérité, e~oxM~MCt r~v ix~Qe~v, soit par dédain du langage des barbares, soit par crainte de la mort que les lois civiles tiennent suspendue sur la tête des fidèles 72 e. La sympathie que le christianisme pouvait rencontrer auprès des philosophes n'était donc pas assez forte pour leur faire vaincre la crainte d'avoir à risquer leur vie, ni même pour leur faire surmonter d'assez futiles préjugés

littéraires. Nous serions curieux de savoir la part qu'eut la philosophie dans la conversion de Clément. Malheureusement, les Mais on a pu textes ne nous laissent rien entrevoir remarquer que, dans la conversion de Justin, la philosophie Le christianisme a assouvi avait tenu bien peu de place toutes ses aspirations intellectuelles, mais ce n'est pas sa philosophie qui l'a converti au christianisme. Car au fond, comme le dit Mgr Duchesne ce qui a permis au christianisme de se développer, de conquérir les intelligences et les âmes, ce n'est pas la philosophie, « ce ne sont ni les raisons, ni les discours, c'est la force intérieure, révélée et rayonnant dans la vertu, dans la charité, dans l'ardente foi des chrétiens de l'âge héroïque. C'est cela qui les amenait à JésusrChrist; c'est par là que les apologistes eux-mêmes avaient été pris c'est avec cela que l'on a fait adorer des Romains un Juif crucifié et que l'on est parvenu à faire entrer dans des têtes grecques des dogmes comme celui de la résurrection D. 7'. Cf. i~K

du

HARNACK, ~'y.it'om

L, p. 246; 4o8-4t0

ft~Mt. II, p. 209-2!2.

.M~. G. BOISSIER,

72. Strom. VI, 67 II, p. 465. 73. BARDENHEWER, G. A. K. L. II, p. 40. 74. JUSTIN, Dialogue, VII-VIII; éd. Archambault,

A. PuEca, les Apologistes, p. 48-50. 75. Histoire ancienne de l'Église, t. I, p. 213.

la

p. 36-40. Cf.

Ces restrictions faites pour apprécier à sa juste valeur l'attitude de Clément, quelle est donc maintenant son originalité ? Car il ne fut pas le premier à manifester cette sympathie, large et intelligente, à tout ce qui, même en dehors du christianisme, est un reflet de la Vérité unique. Dans cette voie il trouvait des prédécesseurs et des modèles 76. Faut-il rappeler saint Paul ? Cor. 3, 21-23 Tout est à vous, et Paul, et Apollos, et Céphas, et le monde, et la vie, et la mort, et les choses présentes et les choses à venir. Tout est à vous, mais vous, vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu. Philip. 4, 8 Au reste, frères, que tout ce qui est vrai, tout ce qui est honorable, tout ce qui est juste, tout ce qui est pur, tout ce qui est de bonne renommée, s'il est quelque vertu et s'il est quelque louange, que ce soit ià l'objet de vos pensées. Éprouvez tout, retenez ce qui est bon. 1 Thess. 5, 21 1

Mais le véritable prédécesseur de Clément en cette matière, c'est saint Justin, qui lui ressemblait à tant d'égards. Lui aussi s'était converti au Christ après avoir cherché un peu partout la vérité, et, devenu chrétien, il continua à porter le manteau court du philosophe. Lui aussi il avait compris la nécessité d'une philosophie chrétienne en face du paganisme et de l'hérésie lui aussi avait tenu école. Avant Clément, Justin est « le premier, parmi ceux-ci (les chrétiens), qui semble s'être préoccupé de juger sérieusement la philosophie païenne. Et ce jugement, est tout autre chose qu'une condamnation sommaire Les textes sont bien connus il sufnra d'en rappeler quelques-uns Je suis fier d'être reconnu chrétien, je revendique ce nom de toutes mes forces. Non pas que les enseignements de Platon soient 76. Il

nefaut pas omettre de rappeler, au moins d'un mot, l'influence

de la tradition judéo-aiexandrine et de Philon. 77. M. CROISET, Histoire de la littérature grecque, t. V, p. y~ ~!J<0:rede ~
la

p.

tx n~TMv<x StSsty~Tx Xpt~oS/mais ils n'y sont pas semblables en tout. (11'* Apologie, Tou étrangers à ceux du Christ, ou~ ot: ct~Mpm M-r:

i3,3;)

Ceux qui ont vécu avec le Verbe, o! {teTa Myou p~MVT6t, sont des chrétiens, bien qu'ils aient été regardés comme athées, par exempte chez les Grecs, Socrate et Héraclite, et ceux qui leur furent semblables. (Ire Apologie, 36, 2).

Mais ces ressemblances ne doivent pas nous tromper. On sait qu'il est difficile d'établir que Clément ait subi l'innuence de saint Justin, ni même qu'il l'ait seulement connu 18. On ne peut donc affirmer que Clément ait directement emprunté à son prédécesseur ses vues sur l'hellénisme. Ce sont deux grandes âmes, qui se ressemblent par leur optimisme, par leur souci de montrer les « harmonies du christianisme »; mais nous ne savons pas ce que l'un doit à l'autre. Clément, d'ailleurs, se distingue assez nettement de Justin. Il marque un progrès sérieux dans l'histoire des rapports du christianisme avec l'hellénisme. Dans toute l'oeuvre de Justin, une grande idée était sous-jacente, à savoir que tout ce qui est bon dans le monde vient de Dieu; ce grand principe affleurait, çà et là, en de brèves déclarations comme celles que nous avons rappelées, mais c'est tout. Clément va plus loin et, comme nous avons essayé de le montrer, il se demande, à propos de chacune des sciences humaines, la part de vérité divine qu'elle contient, l'utilité qu'elle peut avoir pour la préparation à la foi et l'édification de la gnose, la manière dont il convient que l'utilisent le chrétien et le gnostique. Ce qui n'était chez Justin qu'aspiration généreuse devient, chez Clément, théorie consciente et rénêchie; ce qui n'était chez Justin qu'indication à peine esquissée est, chez Clément, longuement développé. Les Stromates, dans certaines de leurs parties, c'est-à-dire les I", Ve, Vle et VII" Cf., par exemple, HARNACH, 6'c~~t'c/~M~, p. [o! mens und Origenes, ist bisher kein Citat nachgewiesen. » y8.

K

Bei Cle-

Stromates sont une véritable introduction à la théologie, et montrent comment toutes les sciences humaines peuvent aiderà construire une science de la religion. Il serait sans doute excessif de dire avec M. de Faye que « Clément est le véritable créateur de la théologie ecclésiastique ~° a cet exposé synthétique du christianisme, nous le trouvons, avec combien plus de force, de cohérence, de sûreté, chez saint Irénée. Il reste cependant vrai que Clément, ne se bornant plus, comme tel de ses prédécesseurs, à exposer le dogme ou la morale, à défendre la foi contre les païens ou les hérétiques, fut le premier à montrer l'aide précieuse que pouvait apporter au théologien l'utilisation dee la philosophie humaine, de ses procédés et de ses résultats; il fut le premier à envisager l'approfondissement et la mise en œuvre, au moyen d'éléments rationnels fournis par la philosophie, des éléments surnaturels fournis par le dogme. Il montra aux théologiens comment la philosophie de Platon ou d'Aristote peut les aider à tirer de la révélation tous les enseignements qu'elle contient en germe. C'était là une grande idée, dont on ne saurait exagérer le retentissement et la portée. Malheureusement, elle ne resta qu'à l'état d'ébauche. Beaucoup plus moraliste et mystique que métaphysicien et théologien, Clément ne nous a laissé que des fragments de cette synthèse qu'il avait entrevue. Seul son disciple Origène la réalisera. Et si nous ne pouvons guère apprécier les critiques que Photius adressait à Clément, nous entrevoyons cependant qu'elles ne devaient pas être absolument dénuées de fondement. Dans cette voie où il marchait le premier, Clément a pu aller parfois trop loin. Sa pensée n'était pas assez ferme, et il a imprudemment laissé Mais quoi son christianisme se colorer de philosophie la parfaite cohérence de la pensée de Clément sur ce point. Quoique composés à des dates différentes, les divers livres des Stromates concordent absolument sur cette question. /Q. On voit ici

80. Clément d'Alexandrie, p. 2. St. Cf. TiXEROXT, Hist. des Z~WM, o~. cit., p. 355.

I, pp.

2S6, 287, 28o.

Pl ECH,

qu'il en soit de ces griefs, rien que d'avoir entrevu cette synthèse de la philosophie et de la révélation, c'est déjà pour Clément un mérite immense, et c'est par là qu'il dépasse de beaucoup saint Justin. Afin de mieux caractériser l'attitude de Clément, essayons, pour terminer, de le comparer maintenant avec tel de ses successeurs. Le Discours aux Jeunes de saint Basile est aussi un traité de l'utilisation de la culture profane 82. Mais quelle différence d'avec Clément saint Basile est beaucoup moins confiant, beaucoup moins large, beaucoup moins optimiste. Et pourtant, il est nourri d'hellénisme comme Clément, plus et mieux peut-être que Clément. Clément n'a pas assisté comme Basile au renouveau de la sophistique au quatrième siècle; il ne semble pas avoir profité d'un enseignement scolaire aussi poussé et aussi méthodique que celui que distribuaient les rhéteurs d'Athènes. Il semble ignorer la rhétorique, alors que Basile en est pétri, comme son ami Grégoire de Nazianze Et malgré cela, Basile ne paraît pas avoir cru autant que Clément à l'utilité de la culture profane. Son point de vue est beaucoup plus étroit que celui de Clément. Puisque ses neveux doivent, pour leur formation humaine, étudier les auteurs profanes, qu'ils sachent aussi en tirer parti pour leur formation spirituelle

Nous avons à livrer le plus rude des combats; nous devons donc faire tous les efforts possibles pour nous y préparer, et fréquenter les poètes, les historiens, les orateurs, et tous ceux qui peuvent nous être de quelque utilité pour le soin de l'âme

Et si nous sommes encore trop faibles pour arriver à praP. G. XXXI, 563-590. Cf. A. PuECH, c~. cit., t. III, p. 277-278. La bibliographie dans BARDENHEWER, G. A. K. L., t. III, p. 146. 83. Cf. M. CROISET, Hist. de la Litt. Gr., V, pp. 547, ~
A'e.

tiquer la morale chrétienne, la morale naturelle nous y préparera Nous nous serons habitués à voir dans l'eau l'image du soleil, et nous pourrons regarder sa lumière ette-même Tout n'est pas inutile pour l'âme dans les sciences du dehors [Mt
Et longuement, il détaille les exemples de vertu que l'on

peut rencontrer chez les poètes modération, longanimité, patience, endurance, courage, tempérance, chasteté. Tout cela sans doute nous le trouverons avec plus de perfection,

même dans nos propres écrits mais c'est comme une esquisse de la vérité dont, pour l'instant, nous dessinerons les contours à l'aide ocov 8e cxtctYpM!o! T~i r?~
6X TM~ E~MOEV TTXtSeU~CHM~ TrEp!YOO[~O~.E8m

G. Büttner a montré que l'ouvrage est en grande partie inspiré des traditions de la diatribe stoïcienne. La part personnelle de l'auteur y serait assez restreinte, et saint Basile d'ailleurs ne remplit pas tout le programme qu'il s'était proposé

569.

85. P. G., XXI, 56S. Voir plus haut, p. 546. 86. P. G., XXXI, 87. Ibid., 569-572. 88. Ibid., 588. L'image se retrouve dans Clément, Strom. I, II; t. II, 8. 8g. G. BUTTNER, Bastleios' des Grossen ~a~MM'~ an die /M~K~ ~'<M~ 0M~M~MMM~yyMeAMH~, tço8. Voir p. ôt-66. Litt. Gr., V, p. 036 « La théorie 90. Cf. M. CROISET, fondamentale du discours est insuffisante, étroite, ou vague et, si on la scrute rigoureusement, on croit y sentir un esprit qui n'a pas toute

sa liberté, ou qui manque de hardiesse.

»

Le point de vue de Basile est donc, on le voit, beaucoup plus restreint que celui de Clément. Il est moins optimiste, moins confiant, nous l'avons dit peut-être aussi est-il plus sage et plus réaliste. Près de deux siècles se sont écoulés. On commence apparemment à sentir davantage la différence profonde qui sépare les deux cultures, les deux conceptions de la vie, la païenne et la chrétienne. Peut-être aussi des générations grandies et nourries dans le christianisme réalisent-elles, mieux que des convertis, toutes les insuffisances de l'hellénisme, et toutes les tares que masquait une civilisation trop brillante. Ici, saint Basile tient une place intermédiaire entre la position qui fut celle de Clément, et celle que prendront certains Pères Latins, comme saint Jérôme et saint Augustin. Saint Basile admet encore que l'on puisse chercher et trouver dans la littérature païenne des leçons et des exemples de morale naturelle. Mais il y faut du discernement, car dans ces œuvres, le bien et le mal se mêlent. Clément n'aurait pas fait cette restriction. S'il juge les philosophes d'après leur théologie, nulle part on ne le voit rejeter un poète pour son immoralité. Plus tard, au contraire, on ne pensera même plus à utiliser de la sorte les auteurs profanes 91. On se contentera de chercher en eux des maîtres à raisonner, et des maîtres à écrire les théologiens empruntent aux philosophes leurs formules et leurs syllogismes les prédicateurs composent leurs discours selon les règles de la rhétorique et de la sophistique tous cherchent à parer la vérité chrétienne des ornements et des attraits de la prose classique. On a 91. Cf. par exemple, M. CROISET,Histoire de la littératuregrecque,V, G. BoissiER, Fin du Paganisme, I, livre HI Conséquences p. 327de l'éducation paienne pour les auteurs chrétiens, pp. 221-343. H. GcELZER, la Latinité de saint Jérôme, p 8. P. de LABRIOLLE, Histoire de Za littérature latine chrétienne, p. t5-3<). Voir encore les travaux cités plus haut de L. MERiDiER, F. BouLENGER, et plusieurs ouvrages récents: G. CoMB&S, Saint ~M~M~K culture classique; H. PINAULT,~a~MMM~ PlUAULT, Platonisme de M!M~ saintGrégoire C~~O! de A~SMK. /Vas<SHSe; E.~<7M FLEURY, ~W~. Hellénisme et Clzristianiszne. Saint Grégoire de Nazianze et son temps.

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E.

répudié ce qui faisait le fond de l'hellénisme, pour n'en garder que l'extérieur. Au quatrième siècle, aurait-on pensé à considérer la philosophie et la révélation comme deux chemins, aussi bons l'un que l'autre, pour arriver à la vérité unique ? Les aurait-on l'une et l'autre comparées à une drachme, que l'on appelle de différents noms, selon l'usage que l'on veut en

faire"'?

Clément est véritablement au carrefour des deux cultures. II n'était pas de notre sujet d'en parler, mais on sait avec quelle ferveur il était chrétien" D'autre part, nous avons eu l'occasion de montrer combien dans son christianisme il était resté grec, à quel point il avait gardé ardentes la curiosité, la passion intellectuelle, la confiance en la raison, qui sont des éléments essentiels de l'hellénisme. Faut-il encore, pour finir, citer une page des Stromates, où l'on sent vibrer un si grand amour de Dieu, parce qu'il est le Maître, la vérité, la lumière ? Platon s'y mêle asssez curieusement à l'Évangile t. II, p. 18. p. 62. Comparaison empruntée au stoicienAriston, fr. 376 Stoïe. f~. f rag. I, p. 86. ç4. Il faut le dire, et y insister. Certaines formules trop intellectualistes pourraient faire croire le contraire. Ainsi, par exemple, cet emploi du mot mt~o~ow'K pour désigner le christianisme (v. plus haut p. S~t); alors que les premiers apôtres s'étaient toujours défendus de prêcher une philosophie. A trop presser ces formules, nous serions loin ici de la « folie de la Croix n, et Clément ne serait qu'un de ces Grecs, qui « cherchent une Sagesse. » (Cf. TiXERONT, Histoire des Dogmes, I. p. 200.–DUCHESNE, Histoire ancienne de l'Église, t. I, J. LEBRETON, Recherches, 1928, p. 457-458). Mais nous avons p. 355. dit avec quelle ferveur Clément, dans le ~ro~r~t~M~, a exalté le Verbe, le Maître unique, qui rend inutiles tous les maîtres humains tt2-t:3 t. I, p. 79). Au surplus, n'est-ce pas dans le Protreptique et dans le Pédagogue, plutôt que dans les Stromates, qu'il faut chercher le vrai christianisme de Clément ? De même que celui d'Origène est plutôt dans les /~M~lies que dans le De /~<Mc~M. 92. Strom. ï, aç g3. Strom. 1,~8

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Reconnaître son ignorance, c'est la première chose que doit apprendre celui qui marche selon le Verbe. S'il ignore, il cherche; s'il cherche, il trouve le Maître; s'il le trouve, il croit en lui; s'il croit, il espère en lui, il l'aime, et dès lors devient semblable à l'aimé, il désire être ce qu'il a commencé par aimer. C'est par une méthode analogue que Socrate enseigna Alcibiade qui lui demande donc que je puisse savoir autrement ce qui est juste?« Penses-tu Et crois tu que je n'aurais pu le Tu le peux, si tu l'as trouvé. trouver? Tu l'aurais pu, à condition de l'avoir cherché Et tu penses que je ne l'aurais pas cherché? Tu l'aurais cherché, si tu avais cru l'ignorer.Pareilles aussi aux lampes des vierges sages, allumées dans la nuit, dans les ténèbres épaisses de l'ignorance, que symbolise la nuit dont parle l'Écriture, les âmes sages, pures comme des vierges, conscientes d'être dans l'ignorance païenne, allument leurs lampes, éveillent leur esprit, éclairent les ténèbres, chassent l'ignorance, cherchent la vérité, et attendent l'apparition du Maître

Aucune autre image ne pouvait mieux exprimer le rôle de la sagesse profane dans la préparation à la foi consciente de ses limites, elle excite l'âme, et la tient éveillée dans l'attente du Maître unique qui dissipera les ténèbres et illuminera les cœurs. Clément d'Alexandrie est un chrétien qui n'a rien voulu renier de l'hellénisme, mais qui a voulu le mettre tout entier au service de sa foi. Des insuffisances et des maladresses dans la réalisation n'empêchent pas que, pour avoir tenté une pareille entreprise, Clément ne soit pour nous une des figures les plus attirantes du christianisme antique. C'en était assez pour justifier cette étude. PIERRE CAMELOT, Facultés catholiques de Lille.

95. Strom. V, 17 t. II, p. 336, 33y. PLATON, Ier Alcibiade, p. iog E (cd. M. Çroiset, p. 69, 70) Matth., 2$, i-t3.

NOTES ET MÉLANGES e

L'INSCRIPTION DITE DE NAZARETH M. Franz Cumont a publié, l'an dernier, dans la ~'z'M~y~M~, une inscription qui présente, tant par son contenu que par sa provenance, le plus vif intérêt et qui a déjà suscité, depuis un peu plus d'un an, une véritable littérature C'est un texte grec, ayant appartenu à la Collection Froehner et passé aujourd'hui au Cabinet des Médailles de la Bibliothèque Nationale de Paris, qui est donné comme venu de Nazareth 3. « Une simple plaque de marbre blanc sans ornement (H. o m. 60; L.: o m. 3y5) porte en caractères bien nets, mais gravés assez irrégulièrement, les lignes suivantes, dont l'orthographe laisse parfois à désirer &t?.T<XY;Jt.OC

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tc)3o, p. 24~-266.

Cuq, Revue historique du droit français et étranger, ig3o, p. 385-4:0; R. P. Abel, Revue biblique, t~So, p. 567-570, avec note du R. P. Lagrange, ibid., p. 570-571 Goguel, Revue d'Histoire j~A
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397. 3. L'inventaire manuscrit de Froehner porte cette seule indication « Dalle de marbre envoyée de Nazareth en 1878

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En voici la traduction française, telle, à une variante insignifiante près, que la donne M. Carcopino, dans son article de la Revue ~~i'~y~M~ qui semble bien avoir dit, jusqu'à nouvel ordre, le dernier mot sur la question « Ordonnance de César. Je désire que les sépultures et les tombeaux qu'on a faits par religion pour ses ancêtres ou ses enfants ou ses proches demeurent immuables à perpétuité. Si nonobstant quelqu'un est convaincu par un accusateur, soit de les avoir renversés, soit d'avoir de quelque autre manière déterré les morts, soit de les avoir, par manœuvre dolosive et pour les outrager, transférés en d'autres lieux, soit d'avoir changé de place les pierres ou les dalles de leurs tombes, moi j'ordonne qu'il soit condamné, comme s'il s'agissait des dieux, quand il s'agit des religions dont les hommes sont l'objet. Car beaucoup plus faudra-t-il honorer les morts. Qu'il soit absolument interdit de les déplacer. Sinon, moi je veux que, du chef de violation de sépulture, le coupable soit condamné à mort. » On se trouve donc en présence d'une ordonnance impériale relative au délit de violation de sépulture. M. Cumont a exposé les raisons pour lesquelles cette ordonnance doit être regardée comme un rescrit plutôt que comme un édit 5, c'est-à-dire visant un cas concret qui avait été soumis au prince 6. 4. Tome CLXVI, p. 81. 5. Absence de ~aMo'~
l'empereur au début, concision et rudesse de la forme, traduction maladroite du latin faite sans doute dans les bureaux du gouverneur. (Cumont, art. cit., p. 244~45). 6. M.

Wenger, art. cité, se prononce, au contraire, pour l'édit plutôt que pour le rescrit, sans exclure cependant la possibilité du rescrit. L'hypothèse de l'édit est a priori beaucoup moins vraisemblable les

De quel défit ou quels délits s'agit-it? Il y a, dans leur présentation, un manque de clarté apparent, puisque le texte semble énu mérer d'abord les divers cas de violation de sépulture, destruction de la tombe, transfert d'un corps dolo malo, enlèvement des inscriptions ou de la pierre du tombeau, en les déclarant punissables, sans spéciner la nature de la peine, et qu'ensuite il s'en prend au déplacement du corps, quel qu'il soit, même sans la circonstance aggravante du dolus malus, et qu'il stipule alors la mort. Ceci n'a pas été sans causer aux commentateurs quelque embarras. Le texte, en effet, se compose à première vue de deux parties, dont la seconde commence avec~oM) yàp [<.N)J.ov. M. Cumont' avait alors proposé de voir dans la deuxième partie <( un post-scriptum ajouté de la main même de l'empereur » et visant un cas d'espèce qui lui avait été soumis par le gouverneur de la province. Mais il n'est pas besoin, en réalité, comme l'ont observé successivement le P. Lagrangeet M. Carcopino', d'adopter l'hypothèse, un peu forcée, d'un postscriptum personnel de l'empereur. H semble plutôt que celui-ci, après avoir rappelé les divers cas de violatio M~Zc~ et l'obligation de les punir, sans rappeler les peines ordinaires, qui sont censées connues et qui n'étaient plus, au début de l'époque impériale, que des peines pécuniaires, a tenu à préciser. Il faudra, proclame-t-il, beaucoup plus, TtoM) jjLS/.Ao~, honorer les morts, ce qui veut dire, soit et c'est peut-être le sens le plus obvie les honorer beaucoup plus que par le passé, soit beaucoup plus, combien plus exigeant doit-on être quand il s'agit des morts eux-mêmes que quand il s'agit seulement de leurs tombeaux, et si leur transfert dolo malo vient déjà d'être à nouveau déclaré punissable, un transfert quelconque, fût-il opéré de bonne foi, mais qui constitue toujours une violence s'il est arbitraire, le sera aussi et la peine sera la peine capitale. De toute façon, le rescrit innove la peine capitale, en cette matière, encore qu'elle constitue un retour à un droit très ancien, revêt, comme t'a très bien remarqué M. Carcopino~, un caractère exorbitant d'exception sa remise en vigueur réclame donc une explication exceptionnelle, que la nature et la rédaction du texte « nous invitent à rattacher aux vicissitudes de la province d'où il est parvenu jusque

innovations juridiques que représente, comme on va le voir, notre texte s'expliquent bien mieux dans l'hypothèse d'un cas concret soumis à l'empereur. 7. A rt. cité, p. 255-256. S. Note additionnelle à l'article du P. Abel. Revue biblique, ~cc. c~ o.

rt. cité, p. So-83. Ibid., p. 82.

A

10.

nous"N. Quel faitparticulier et évidemment grave, ou ayant été jugé tel par l'autorité locale et par l'autorité impériale à cause de l'émotion qu'il avait produite, a pu provoquer pour la PaJestine, puisqu'il s'agit d'un rescrit adressé au gouverneur de cette province, une telle aggravation ? C'est pour répondre à cette question que la détermination, si elle peut être obtenue, de la date comme de la provenance exacte de l'inscription s'impose. L'une des premières solutions de la double question ainsi posée a conduit à formuler une hypothèse particulièrement intéressante pour l'histoire des origines chrétiennes. On sait que l'inscription a été « envoyée de Nazareth ». Le premier mouvement est d'en induire qu'elle y a été trouvée. D'autre part, si l'appellation de César tout court semble devoir s'appliquer avant tout à Auguste 12, ce nom désigne aussi de manière courante l'empereur quel qu'il soit, comme dans le passage de l'Evangile « Rendez à César ce qui est -t César. )) I! a donc paru admissible qu'il s'agît ici d'un des successeurs d'Auguste; cependant, la paléographie de l'inscription, qui ne saurait être plus tardive que la première moitié du premier siècle de notre ère, interdit que l'on descende au delà de Tibère". Mais, si l'empereur auteur du rescrit est Tibère et si 1 inscription provient de Nazareth, immédiatement une idée vient à l'esprit, que M. Cumont a tenu à exposer, sans pourtant l'adopter le rescrit impérial, qui serait de Tibère, aurait un rapport étroit avec les données évangétiques le bruit de l'enlèvement du corps de Jésus, répandu, au témoignage de saint Mathieuli, par les chefs du sacerdoce juif, aurait inquiété le procurateur de Judée, qui aurait demandé au prince des instructions. D'où le rescrit impérial, et son affichage à Nazareth, patrie de Jésus, demeurée, pendant sa vie, hostile à son enseignement, et, sans doute, après sa mort, sceptique devant les récits de résurrection. Hypothèse à coup sûr fort séduisante. Mais on doit reconnaître qu'il n'en reste pas grand'chose après l'étude très serrée de M. Car!4y<. cité, p. 82. Et non à Jules César, toujours appelé sur tes monuments C. Juhus Caesar ou C. Caesar. '3. M. Bro~n a voulu l'abaisser jusqu'au règne d'Hadrien, où une aggravation de peine insolite s'expliquerait, selon lui, par la situation de ]a Palestine lors de la révolte de Barchocheba. Aucun expert en épigraphie grecque n'admettra une date aussi basse. M. Wenger, dont l'étude a paru presque en même temps que celles de M. Brown et de M. Carcopino, ne regarde comme possible que l'attribution à César, à Auguste ou à Tibère. 14. Math., xxvm, ta-i5.

copino, dont les conclusions sur la provenance et sur la date de l'inscription ne permettent pas de la maintenir. La provenance d'abord. Rien n'attestait a priori que ce fût Nazareth même. L'indication attachée par Froehner lui-même au marbre de sa collection n'est pas celle de Nazareth comme lieu de provenance, mais seulement comme lieu d'envoi. Une enquête tout récemment menée à la Bibliothèque Nationale, sur la demande de M. Carcopino 15, a nettement établi, par la différence des mentions inscrites sur différentes pièces, que, pour Froehner, les deux choses ne se confondaient nullement~. Et, d'autre part, aux questions posées sur place par M. Carcopino encore, qui passa l'an dernier à Nazareth, aux gens les plus capables de le renseigner, il a été répondu qu'il ne se conservait aucun souvenir de la découverte d'une inscription, que ses dimensions seules auraient déjà faite importante, dans la bourgade actuelle de Nazareth, où d'ailleurs aucun vestige antique n'a jusqu'ici été relevé. Le marbre qui porte le StXTayM impérial vient donc de la Palestine du Nord, sinon il eût été expédié de Jérusalem, mais il ne vient apparemment pas de Nazareth même. D'un autre côté, sa date ne saurait, sans motifs décisifs, être abaissée jusqu'au règne de Tibère. Sans parler de la paléographie, qui, d'après les experts, devrait déjà lui faire attribuer celui d'Auguste comme i'
Cf..A~~M'f
p. 34-35.

Une autre enquête menée par M. Wenger, art. cit., p. 3yo, à Heidelberg et à Weimar, où sont allés les papiers et la bibliothèque de Froehner, n'a également abouti qu'à un résultat négatif en ce qui concerne la provenance palestinienne de l'inscription, que l'auteur n'en appelle d'ailleurs pas moins inscription de Nazareth. Les papiers de Froehner ne mentionnent qu'une seule trouvaille faite à Nazareth, et ce n'est pas notre inscription. 17. Carcopino, art. cit., p. 84-85. Ainsi se trouvent décidément écartées les hypothèses de De Sanctis et de Brown, faisant descendre rétrospectivement notre rescrit, le premier, parce qu'il croit l'inscription de provenance galiléenne, au temps de Caligula; le second, pour la raison indiquée précédemment, au temps d'Hadrien.

vivre, comme royaume autonome, sous le de continua elle car sceptre d'un tétrarque, jusqu'en l'année 39 de notre ère, c'est-à-dire jusqu'à la troisième année de Caligula. Reste donc la Samarie, et c'est ici que l'opportune utilisation d'un passage de l'historien Josèphe 18 est venue fournir à M. Carcopino la plus ingénieuse et, reconnaissons-le, la plus satisfaisante des explications: sous le gouvernement du procurateur Coponius (6-8 de notre ère), au moment des fêtes de Pâques, des gens de la Samarie, pour donner une marque éclatante de leur mépris pour le sanctuaire détesté de Jérusalem en le souillant par un contact abominable, vinrent y jeter des ossements de morts. Et le texte, malheureusement aussitôt après lacunaire, de Josèphe semble dire que les Romains adoptèrent alors, évidemment pour éviter le retour de pareils faits, des règlements nouveaux n'est-ce pas une allusion au SMTKY;j.a impérial que le marbre Froehner a conservé? Il rerait difficile de ne pas incliner, comme M. Carcopino, à le penser. On a pu, il est vrai, faire à cette interprétation une objection assez l'horrible scandale causé par le geste des Samaritains spécieuse est en fonction directe du sentiment juif à l'égard des morts; leur présence en un lieu saint le souilla. Or, rien n'apparaît de cette idée dans le rescrit, qui se fait plutôt le défenseur des morts eux-mêmes que des vivants. Et cela est en effet conforme à l'idée romaine, quoique Rome écaHe aussi les morts de la cité des vivants. Mais pourquoi, si le dispositif de l'ordonnance doit donner satisfaction aux Juifs comme à l'autorité d'occupation qui tient, par raison politique, àce qu'ils n'aient pas de sujets de plaintes, pourquoi les considérants, alors que c'est l'empereur qui parie, n'auraient-ils pas été des considérants exclusivement romains ? C'est plutôt le contraire qui étonnerait. On le voit, l'inscription « envoyée de Nazareth M, mais qui n'est pas de Nazareth, si elle intéresse, et à plus d'un titre, l'histoire religieuse, n'a pas pour celle des origines chrétiennes l'intérêt immédiat qu'on a été tenté un moment de lui attribuer. Elle en a pourtant un indirect, et qui n'est pas négligeable la gravité de la peine, édictée un quart de siècle environ avant la Passion du Christ, contre les violateurs de sépultures, par un rescrit à l'usage spécial de la Palestine, eût difficilement permis aux Apôtres de douter qu'en enlevant le corps l8. Antiquités /M<MM, XVIII, 2~-3o. J9. Objection faite, à la séance du 6 février de l'Académie des Inscriptions, par M. Salomon Reinach à M. Carcopino après sa communication, dont l'article de la Revue historique est le développement. Cf. art. citP, p. ~t, n. 4.

de leur Maître, ils n'auraient pas risqué moins que leur tête. On n'imagine guère que ces timorés eussent pu avoir pareille audace. Peut-être certains regretteront-ils tout de même, d'un point de vue apologétique, l'abandon de l'hypothèse un instant envisagée par M. Cumont et prise aussi en considération par M. Wenger~ qui venait à l'appui du récit de saint Matthieu sur l'accusation portée par les Juifs contre les disciples. Mais elle eût aussi pu donner à croire que cette accusation avait pris corps et donc qu'elle n'avait point paru invraisemblable. Ce qu'elle avait ainsi de très réellement séduisant pour l'apologétique chrétienne n'allait pas sans contre-partie. Une fois de plus, il n'y a qu'à se réjouir de ce que, après quelques tâtonnements, la vérité, autant qu'il est permis de l'attendre en cet ordre de choses, ait pu être établie elle porte toujours avec elle la. récompense de qui la cherche et la trouve~ JACQUES

ZEILLER.

LE SENS DU MOT PASSIO DANS LA LETTRE LXIII DE SAINT CYPRIEN Dans l'Ëpître LXIII, saint Cyprien démontre l'obligation d'employer du vin dans la célébration de l'eucharistie, en partant de ce principe qu'autrement notre sacrifice ne correspondrait pas à la passion du Seigneur « Apparet sanguinem Christi non offerri, si desit vinum calici, nec sacrificium dominicum legitima sanctificatione celebrari, nisi oblatio et sacrificium nostrum responderit passioni )) (n. 9). Qu'entend-il par la passion du Seigneur? Si c'est le drame du Vendredi saint où le Christ donna sa vie pour le salut du monde, on ne voit pas à première vue comment son argument peut tenir. 20. Art. cité, p. 396-397. 2r. M. Goguel, qui, dans son

article de la Revue d'Histoire et de Philosophie religieuses, faisait déjà toutes réserves sur le rapprochement avec le passage de saint Matthieu et sur sa valeur apologétique, qu'il réduisait d'ailleurs à l'excès, s'était, par contre, réjoui de trouver dans l'inscription un argument supplémentaire à opposer à ceux qui dénient toute réalité historique à Nazareth, ignorée de l'Ancien Testament, du Talmud et de Josèphe et que les Évangiles auraient inventé pour expliquer « les termes de Jésus le Nazaréen ou le Nazarénien qui se seraient originairement rapportés à tout autre chose qu'au village d'où Jésus aurait été originaire M (a~. cité, p. 3g3). Il faut évidemment renoncer à ce supplément de preuve.

Peut-être de quelque façon indirecte et plus ou moins mystérieuse ? Mais alors il eût bien fait de s'expliquer et de préciser; tandis qu'au contraire on a le sentiment qu'il fait appel à une évidence immédiate. Le manque de correspondance doit selon lui sauter aux yeux du lecteur, sans pouvoir être contesté. On s'est avisé alors que la passion signifierait sous sa plume la cène. Si c'est cela qui s'apneHe passion, alors aucune difficulté dans la preuve. Il est bien évident en effet qu'à moins de contenir du vin, notre calice ne contiendra pas la même chose que celui du Christ, et que, par conséquent, entre notre rite et celui de la « passion », entendue au sens de cène, il n'y aura pas de correspondance. Aussi, voit-on Mgr Batiffol dans ses Leçons sur la Jfesse (chapitre vi, p. 176) noter ceci:«Dans cette lettre de Cyprien, le mot passio désigne constamment la cène, observation capitale pour l'intelligence du texte cité.)) Que penser de cette assertion? Tout dépend du sens qu'on lui donne. Veut on dire que dans la langue de Cyprien le mot passio a parmi ses significations celle de cène, comme par exemple sacraMM~M signifie serment, aussi bien que mystère, ou figure, ou sacrement? Ou bien veut-on dire que passio signifie bien la passion du Christ, et non pas autre chose, mais que cette passion a son lieu en la cène, aussi bien qu'en la croix, ou en n'importe quel autre point de la tragédie qui se déroule de la colline de Sion à celle du Calvaire? En ce cas, visant ta cène, il est loisible à Cyprien de dire: )a passion, comme nous faisons en parlant de la comparution devant Hérode, ou de la flagellation, ou du portement de croix. Ainsi de quelqu'un qui est chargé d'une croix, ou frappé de verges, ou couvert d'opprobres, nous disons qu'il imite la passion du Seigneur. La première acception, qui ne peut guère être celle de Mgr Batiffol, serait inadmissible. Nulle part dans la littérature chrétienne, pas plus de l'Afrique que d'ailleurs, on ne trouve le mot passio affecté de cette relation sémantique à l'idée de cène. Nulle part dans les autres écrits de Cyprien lui-même. En toutes ses oeuvres, Cyprien entend par la (( passion » ce que nous entendons tous. Par exemple, dans le Liber de bono patientiae (n. y) Sub~ipsa autem passione et cruce, priusquam ad crudelitatem i. Ce mot sub s'oppose à ce qui précède immédiatement: le Christ n'acessé de s'employer à rassembler les Juifs « usque ad crucis et passionis horam ». L'opposition des deux phrases montre à l'évidence f)ue (conformément d'ailleurs aux règles de la syntaxe) la proposition sub, accompagnée de l'ablatif, doit se traduire: à l'heure même de la passion.

necis et effusionem sanguinis veniretur, quae conviciorum probra patienter audita, quae contumeliarum tolerata ludibria Née maiestatem suam sub ipsa saltem passione profitetur. » Ou encore dans l'Epistola ad Fortunatum (c. u), où il s'agit de la mère des Machabées et de son troisième fils « Tertius. manus quoque amputandas constanter extendit, multum beatus genere isto sup. plicii,cuicontigit,extensis ad poenam manibus, passionis dominicae instar imitari. » Mais, ce qui est plus décisif, dans la lettre LXIII elle-même, il est question à plusieurs reprises de la « passionH prise dans le sens courant du mot, sans que soit visée spécialement la cène. Par exemple, la prophétie de Jacob sur le lion de Juda nous est présentée comme se vériSant en ce sens que JésusChrist « recubet dormiens in passione et surgat(n. 6). Entendez cela de sa mort et de sa résurrection le mot recubet n'a ici aucun rapport avec le triclinium de la cène (<~MCHM& Matt., xxvi, 20; ~MC~M~, Luc, xxn, 14, discumbentibus, Marc, xiv, 18); il n'est pas mis en relation avec un festin, mais avec le sommeil (dormiens), auquel fait suite un réveil (surgat) qui est celui du divin ressuscité Et voici, au cours de la même lettre, quelque chose de plus évident encore: « Christus. finditur ictu lanceae in passione ». Tout de même, ce n'est pas la Cène Plus loin, Cyprien fait remarquer que le calice du Christ a été béni et distribué aux disciples « le jour de la passion M, sub die passionis (n. 9). N'allons pas supposer qu'il a voulu dire le jour même de la Cène. Cela aurait eu peu de spl. Ces exemples, auxquels d'autres pourraient s'ajouter, suffisent pour nous garantir dans plusieurs passages de la lettre LXIII ellemême l'emploi du mot passio dans un sens qui n'est pas formellement celui de cène, mais bonnement celui de la passion. Mais alors imaginera-t-on Cyprien s'amusant à embrouiller son lecteur, et, dans le corps d'un même opuscule, employant le mot passio dans deux sens différents, et cela sans prévenir du change ment, sans nous aviser de cette innovation, qui tranche non seulement sur l'usage commun des autres auteurs, mais sur son propre usage partout ailleurs? Evidemment non. La première hypothèse étant écartée, reste la seconde. Si Cyprien, dans les endroits de cette lettre où il a en vue la cène, au lieu de dire la « cène)), dit la « passion », c'est qu'il lui apparaît que déjà à la cène il y a la passion. En figure seulement? Il ne semble pas; car alors il aurait dû dire il faut une correspondance entre nos sacrifices et ce rite de la cène, qui représentait la passion. Or, en fait, c'est directement qu'il met en comparaison la messe et la « passion », sous ce rapport du vin qui a place dans l'une et dans

l'autre.

Alors, si la passion est pour de bon à la cène; si, non pas en figure seulement, mais en réalité, on doit la reconnaître comme un événement qui déjà y est en cours, il n'y a qu'une manière de justifier la locution de Cyprien c'est que la cène fait partie de la « pas. sion )). Il n'est donc pas étonnant que Cyprien souligne le synchronisme de la passion du Seigneur et de la consécration du calice. La consécration se fit « le jour même de ia passion )) « Calicem etenim sub die passionis accipiens, benedixit et dédit)) (n. p). Computation quelque peu din'érente de celle à laquelle nous a habitués le ~M pridie du Canon Romain, sans cependant s'identifier non plus absolument avec la computation orientaie empruntée à saint Paul iou par saint Paui à l'usage liturgique des milieux où se fit sa formation) ~

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esse gestum, quod fuerat ante praedictum M(n. 5). Cette fois, pas d'échappatoire la cène, la cène eucharistique, est bel et bien enclose dans la passion; elle en fait partie; et par conséquent reproduire la cène, c'est reproduire la passion, non pas sans doute dans son tout, mais dans une de ses parties. C'est imiter ce qui s'est fait dans la passion; c'est mettre la correspondance voulue entre notre sacrifice et la passion. Est-ce le seul cas où un épisode particulier de la passion se trouve chez Cyprien, désigné sous ce nom absolu la « passion H ? Nullement. Qu'on relise le passage cité plus haut sur le jeune homme martyrisé par Antiochus. En tendant les mains à qui va les lui couper, il a entre tous les autres cette bonne fortune d' « imiter l'exemple [à venir] de la passion du Seigneur))(passionis Domint instar imitari). Tendre les mains aux bourreaux ne fut pourtant pas le tout de la passion du Sauveur, mais un incident momentané. Et cela s'appelle « la passion du Seigneur )); et faire de même, c'est retracer « la passion du Seigneur )). Si l'on objecte que la parité ne vaut pas, parce que ce fut chose bien plus centrale dans la passion d'étendre les bras sur la croix que de célébrer la cène, cela nous amène à nous demander quelle place tient aux yeux de Cyprien la cène dans la passion. Il ne nous le laisse pas ignorer. Premièrement, à la cène le Seigneur a offert .f< sacrifice « In sacri6cio quod Christus obtulit, nonnisi Christus sequendus estH (n. 14); le seul exemple à suivre en ce qui regarde sacrifice qu'il <~7'i', est l'exemple du Christ lui-même, qui y a empio)eé du vin. « In Genesi per Melchisedech praecedit ante imago sacri ficii Christi, in pane et vino scilicet constituta )) (n. 4); la Genèse nous montre dans le pain et le vin de Melchisédech une image anticipée dis sacrifice du Christ. Deuxièmement, à la cène le Seigneur ~'Mf offert en sacrifice « Sacrificium Deo Patri se ipsum primus obtuiit, et hoc Geri in sui commemorationem praecepit » (n. 14) le premier, il s'est offert en sacrifice à Dieu son Père; et il nous a donné l'ordre de réitérer la chose en sa mémoire. Troisièmement, à la cène, il y a eu oblation de son sang, comme cela se fait à la messe « Apparet sanguinem Christi non offerri, si desit vinum calici H (n. 5) faute de la ressemblance voulue avec la cène, il est clair qu'il n'y a pas entre nos mains oblation du sang du Christ, si dans le calice n'a pas été versé de vin. Libre à qui voudra de supposer que, pour saint Cyprien, le Seigneur, « au jour de sa passion », « dans sa passion », par ce rite du calice qui fait partie de sa passion au point d'en mériter littéralement le nom, le Seigneur Jésus aura offert un sacrifice qui n'était pas celui de sa passion, mais quelque autre; un sacrifice non rédempteur.

bien qu'inséré dans la trame du sacrifice rédempteur. Seuiement, on devrait bien expliquer pourquoi saint Cyprien se contentant de mentionner, et cela à propos de la passion, le sacrifice de la cène, ne fait aucune allusion à cet autre sacrifice, qui serait, j'imagine, le sacrifice de la passion, le sacrifice rédempteur; et de même il serait intéressant de savoir pourquoi saint Cyprien, si abondant pour nous expliquer en quoi a consisté l'oblation du sacrifice de la cène, se tait complètement (dans cette hypothèse) sur l'oblation du sacrifice de la passion, sur ce qu'on pourrait appeler le rituel du sacrifice rédempteur. C'est peut-être que ce rituel était justement celui de la cène, et que de la cène et de la croix, il ne se faisait qu'un sacrifice, et non pas deux.

Quoi qu'il en soit, qui voudra attribuer à saint Cyprien cette idée de deux sacrifices de son corps et de son sang, de deux sacrifices concomitants, l'un contenant l'autre, et chacun des deux s'appelant la « passion », devra au moins reconnaître que l'interprétation est gratuite. Saint Cyprien ne l'insinue pas d'un seul mot. Au contraire, il s'exprime tout le temps comme s'il n'y avait qu'un seul sacrifice à ses yeux. li dit le sacrifice, sans donner à entendre qu'il en connaisse deux. Mais il y a plus. Parlant, non plus directement de la cène, mais de la messe, il dit « Passio est enim Domini sacrificium quod offerimus » (n. 17) ce que nous offrons en sacrifice, c'est la passion du Seigneur. Mais alors, cette loi de correspondance, qui joue le rôle d'un premier principe, entre notre oblation et celle du Seigneur, comment sera-t-elle sauvegardée, si à la cène il n'y a pas eu oblation de la passion du Seigneur? Si, au contraire, cela a eu lieu à la cène, il n'y a plus rien pour nous surprendre dans ce langage qui fait de la cène la « passion H cité-même, comme des supplices et de la crucifixion. La cène n'était pas alors un élément quelconque de la passion c'en était un des sommets, qui regarde l'autre la croix. Tous deux émergent, aux yeux de Cyprien, dans une unité qui n'a plus rien de factice. Rome.

MAURICE DE

LA TAILLE

NOTE SUR LES THÉORIES POLITIQUES D'ALVARO PELAYO A PROPOS D'UNE THÈSE RÉCENTE

Le conflit qui mit aux prises Jean XXII et Louis de Bavière fut, comme la querelle précédente entre Boniface VIII et Philippe le Bel, l'occasion d'une importante polémique littéraire. De grands noms émergent dans cette controverse, ceux des impérialistes Marsile de Padoue et Guillaume d'Occam. Les théologiens pontificaux demeurent plus effacés qui connaît aujourd'hui, par exemple, le franciscain Alvaro PelayoP Courageusement, M. l'abbé Nicolas lung a entrepris de le tirer de l'oubli; ce n'a pas été sans quelque appréhension, nous dit-il « Au début de nos recherches, nous nous sommes souvent demandé si nous n'allions pas ressusciter la mémoire d'un homme sans intérêt historique. » Ce labeur ingrat a reçu sa récompense la thèse de M. lung apporte à l'histoire de la pensée politique au quatorzième siècle une importante contribution. Elle tiendra une place honorable dans la collection /E~.M l'État <M Moyen Age que dirige l'éminent professeur d'histoire ecclésiastique à l'Institut catholique de Paris, M.Arquillière~. Né en Galice, vers 1280, Alvaro Pelayo fit ses premières études de droit à Bologne, sous la direction du fameux canoniste Guy de Baysio, dit « l'Archidiacre ». Il fut admis en i3o~ chez les Frères Mineurs; s'il se rallia aux Spirituels, il ne suivit jamais les plus exaltés dans leur révolte contre l'autorité pontificale. Vers 1229, Jean XXII, qui l'estimait beaucoup, le fit entrer à la Pénitencerie~. Trois ans après, il le nommait à l'évêché de Coron, en Grèce. Alvaro n'y .resta qu'un an et fut transféré à Silves, en Portugal. Il mourut vers i35o. Son œuvre capitale est le De ~/<~K Planctu Ecclesiae3. Comme docteur en théologie. Alvaro Pelayo, évêque et Pénitencier de Jean XXII. Paris, Vrin, !a3t. In-8, 243 pages et l'État au Moyen Age, n° 3). 2. M. lung ne paraît pas connaître l'ouvrage du docteur GoLLER Die ~~J~'eAc /'CM!~K
i. Nicolas

lUNG,

(f~c

le montre très bien M. lung, elle n'est pas d'un seul tenant. H y a première, achevée en 1332, comprend ies La rédactions. trois eu quarante premiers chapitres du Livre 1~, et le second Livre presque (i335 et 1340) dotèrent le Livre 1er de en entier. Les deux autres

trente chapitres supplémentaires (ch. 4r-7o), sans qu'on puisse déterminer avec certitude la part respective de ces dernières rédactions. Nous n'avons pas l'intention de refaire après l'auteur un exposé des idées d'Alvaro sur le pouvoir pontifical, la dignité impériale et les rapports entre les deux puissances. On lira avec fruit cette étude consciencieuse et largement appuyée de citations. Nous voudrions seulement consigner avec brièveté les remarques qu'elle nous a suggérées.

Dans tous les traités politiques du moyen âge, la recherche des sources présente une grande importance elle permet de faire le départ entre les assertions originales et les rabâchages d'école. Besogne difficile, parce qu'à cette époque toute production littéraire était regardée comme un bien commun; on pouvait sans scrupule la piller et la démarquer. M. lung nous fournit à ce sujet quelques précieuses indications nous savons, par exemple, qu'Alvaro a consciencieusement exploité la Determinatio f~m~~M~M, le De Regimine christiano de Jacques de Viterbe, le De Regimine Z~KW de saint Thomas 4. Mais il eût fallu, semble t-il, pousser plus loin les investigations. L'auteur nous signale que la fin du chapitre 45e du Livre Ier est empruntée à Gilles de Pérouse (p. 41); mais il ne s'est pas aperçu que tout ce long chapitre est tiré à peu près textuellement du .S~c~MM 7uns de Guillaume Durand (-}-1296)°. On pouvait aussi se demander si notre théologien, rallié au parti des Spirituels, ne s'était pas inspiré de quelque ouvrage de controverse sur la

lung paraît croire (p. 4;) que saint Thomas n'est pour rien dans la composition du De Regimine .ff!MC!MM il oublie que le livre premier et les quatre premiers chapitres du livre second sont certainement son œuvre; cf. GRABMANN, Die echten ~c/~t/~K A~A~. Thomas MM Aquin, t~2o, p. 216-2ig. A la page suivante (42), l'auteur dit « Le De Renuntiatione ~t~M a été utilisé par Gilles de Rome »; mais cet ouvrage est de Gilles de Rome lui-même il l'a écrit peu après la démission de Célestin V. Ajoutons que du même Gilles de Rome, il eut fallu citer la nouvelle édition critique du De potestate ecclesiastica, par R. Scholz, Weimar, .929. 5. Guillaume DURAND. ~~CM~MM juris, lib. I, part. I, § 6; éd. de Francfort, t5o2, p. 45 et suiv. L'évêque de Mende n'est pas un inconnu pour Alvaro; celui-ci le cite à plusieurs reprises. 4. M.

pauvreté du Christ le P. L. Oliger, 0. F. M., le récent éditeur du Tractatus de Christi et /1~M~/<7~«M ~aM~~a/e de Bonagratia de Bergame (i322), fait justement remarquer l'étroite parenté qui existe entre le chapitre 60 du second livre du De P/cM<< Ecclesiae et l'ouvrage du célèbre Spirituel le pian est identique et, par endroits, le texte lui-même". Sans aucun doute, avec un peu de patience, on pourrait faire bien d'autres rapprochements. M. lung nous fait connaître par de longs extraits les ouvrages d'Alvaro Pelayo mais il eût été utile de noter que beaucoup de ces citations ne sont pas le bien propre de notre franciscain. Le texte cité page 168, note 3 (t et quamvis omnibus apostolis Christus post resurrectionem suam parem potestatem. (De Planctu, 1,65), est de toute évidence un passage de saint Cyprien'. Le texte de la page suivante, note i, se retrouve mot pour mot dans la bulle ~MM Sanctam. Alvaro s'inspire beaucoup de saint Augustin; il parait bien l'avoir connu autrement que par les florilèges; dans ces conditions, on eût apprécié des renvois plus fréquents aux œuvres du grand Docteur. A propos de la pseudo-donation de Constantin, l'auteur fait remarquer que pour le théologien espagnol, elle est essentiellement une restitution; avec raison, il renvoie aux passages correspondants de Jacques de Viterbe et d'Agostino Trionfo (p. 201), mais il eût été bon de rappeler que le pape Innocent IV a soutenu cette doctrine dans la bulle fameuse Aeger /~M 8. Bien mieux, l'ouvrage même d'Alvaro Pelayo permet d'en reporter l'origine au début du treizième siècle il reproduit en effet (I, 13) une glose inédite du canoniste Laurent l'Espagnol où la fausse donation de Constantin est présentée comme la remise à son légitime possesseur d'un bien injustement usurpé". Ces remarques montrent clairement, semble-t-il, quelles difficultés l'on rencontre quand on n'a pas d'édition critique à sa disposition. Si l'on ne possède pas, par ailleurs, une connaissance suffisante de la litté/ature politique de l'époque, on se trouve fort embarrassé M

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6. /l~&
ecclesia, praesertim postquam Christus concessit jura utriusque imperii beato Petro; quod intelligens Constantinus in resignatione regalium resignavit beato Sylvestro gladium, ostendens non legitime usum fuisse gladii potestate, nec legitime se habuisse quum ab erclesia non receperit. » (De Planctu, I, !3; éd. de Lyon, t5!7, Il v°

f

Alvaro, pour mesurer la valeur et auteur situer comme un » pour « le degré d'originalité de son travail.

qui

M. lung a décrit en un chapitre la « préparation idéologique aboutit, vers la fin du treizième siècle, à l'épanouissement de la doctrine théocratique (p. 67 77). Entreprise louable, mais difficile. L'auteur ne nous en voudra pas de formuler aussi sur ce point

quelques critiques. Il s'en prend donc à la thèse de M. Rivière, d'après laquelle ni le système pontifical ni la doctrine impérialiste n'étaient en.core clairement formulés à l'époque de Grégoire Vit. A l'entendre, la plénitude des revendications spirituelles et temporelles de Grégoire VII est telle que ses successeurs n'y pourront guère ajouter; les docteurs Jes âges suivants se contenteront d'y apporter les précisions et les distinctions nécessaires (p. 68 69). li y a peut-être quelque confusion dans cet énoncé. Sans doute, pour l'énergie dans l'action vis-à-vis du souverain coupable, Grégoire VII ne le cède ni à Grégoire IX, ni à Innocent IV, ni à Boniface VIII. La vigueur de ses déclarations sera difficilement i-urpassée. Mais, à notre humble avis, entre le douzième et le quatorzième siècle, une évolution importante s'est produite dans les principes qui réglaient l'intervention du pape en matière temporelle. Pour Grégoire VII, ce principe d'intervention est tiré de la supériorité intrinsèque du spirituel et de la nécessité d'assurer avant tout la fin surnaturelle de l'Église; les deux pouvoirs, bien qu'inégaux, testent coordonnés; l'un et l'autre remontent à Dieu, comme à leur origine; le pape ne se mêle du temporel que pour protéger les mtérêts des âmes; même s'il dépose les rois et s'immisce dans les affaires séculières, il prétend bien n'agir toujours et exclusivement que comme chef spirituel des princes et des peuples. Depuis la seconde moitié du douzième siècle, les théologiens et surtout les canonistes 10 reprennent à leur compte, pour l'approfondir, la doctrine commune sur le primat du spirituel. Leurs réBexions sur la cérémonie du sacre et sur le texte évangélique des deux glaives, sur la royauté universelle du Christ et t'unité de son corps mystique le" amènent peu à peu à conclure le pouvoir spirituel n'est pas seulement supérieur au temporel, il le contient éminemment, il en est l'origine et l'Église, en ta personne du pape, possède de droit les 'o. Pour désigner les canonistes, M. lung emploie souvent le terme juristes )) (v. g., p. yo); il nous semble que ce mot s'applique de préférence aux professeurs de droit séculier, romanistes, légistes, feudistes.

deux glaives. Dès lors, les interventions pontificales dans les affaires séculières ne sont plus seulement légitimées par des motifs surnaturels, elles s'expliquent comme l'exercice d'un pouvoir normal sur les choses de ce monde. Mais les canonistes ne sont pas des révotutionnaires et ils s'empressent d'ajouter par une disposition divine, l'exercice de ce pouvoir n'est pas d'ordinaire laissé au pape, il doit être délégué à l'empereur, second ministre de la chrétienté, et ne fait retour à l'Église que dans des cas exceptionnels, v. g. ratione ~ceca~ ou vacante imperio. Les conclusions pratiques des canonistes rejoignaient ainsi celles de la doctrine commune, mais il est indéniable que leurs principes dépassaient sensiblement ceux de Grégoire VII et même d'Innocent III. C'est dans le courant du treizième siècle que les papes, à leur tour, finirent par les adopter. Il nous semble donc inexact de ne voir aucune évolution réelle entre les conceptions politiques de Grégoire VII et celles de ses successeurs. A la rigueur, on peut accorder que le système théocratique est en germe dans ses actes et dans ses déclarations; mais il a fallu, pour l'élaborer, le patient travail d'une armée de canonistes et de théologiens. Venons-en maintenant aux idées politiques d'Alvaro Pelayo. Depuis les grandes controverses de la génération précédente, les théologiens catholiques s'étaient divisés. Les uns restaient fidèles la tradition théocratique, tels Gilles de Rome, Jacques de Viterbe et, un peu plus tard, Agostino Trionfo. D'autres, franchement ralliés au système d'Aristote sur l'origine naturelle de la société civile, cherchaient une Ma WM~M entre les deux partis extrêmes, impérialistes et théocrates; ils s'efforçaient de garder à l'un et l'autre pouvoir son indépendance relative. Le dominicain Jean de Paris et l'auteur anonyme de la Quaestio in utramque partem peuvent être considérés comme les premiers représentants de cet esprit nouveau. Dans quel camp faut-il ranger notre théologien espagnol? M. lung n'hésite pas à faire de lui un partisan de la via media (p. 229). Pour qui a lu Jean de Paris, cette conclusion paraît assez surprenante. Mettons en parallèle, en effet, les thèses fondamentales des deux auteurs. Voici d'abord celle de notre franciscain; elle est claire et les adverbes précisent admirablement sa pensée Apud papam residet vere et originaliter utriusque potestatis et jurisdictionis plenitudo, sed temporalem potestatem regulariter concedit

imperatori".

< << I, 3?, par. R; fol. vin v°.

Parmi les théologiens du moyen âge, Alvaro est certainement l'un de ceux qui

ri.

ALVARO PELAYO,

tout thèse mais moins catégorique, n'est est Paris de sa pas Jean

autre: Et sic sunt distinctae (potestates) quod una in aliam non reducitur scll. sicut spiritualis immediate a Deo est, ita et saecularis. Unde imperium a solo Deo est. et papa non habet gladium ab imperatore et imperator non habet gladium a papa~ Il serait difficile de trouver une opposition plus tranchée. Pour le dominicain, la puissance séculière vient immédiatement de Dieu; pour le franciscain, elle réside d'abord dans la personne du pape qui la concède ensuite à l'empereur. M. lung a beau dire qu'Alvaro spiritua!ise autant que possible la notion de la puissance tempo« relle du pape, cette spiritualisation ne détruit pas la thèse essentielle. Elle peut bien restreindre et minimiser l'exercice du pouvoir temporel par l'Église, qu'importe si le droit reste intact! II y a cependant, dans l'ouvrage d'Alvaro Pelayo, un chapitre qui fait aussitôt songer à une thèse importante de Jean de Paris c'est le chapitre 57 du Livre II. M. lung n'a pas manqué d'en tirel parti (p. i38 et suiv.). Dans ce long exposé, notre théologien paraît contredire tout simplement les thèmes fondamentaux de son premier Livre sur la royauté temporelle du Christ. S'il faut prendre à la lettre certaines de ses expressions, elles rappellent tout à fait celles de son confrère dominicain". Pourtant, relisons attentivement le chapitre, en nous souvenant qu'Alvaro est un Spirituel convaincu il a beau défendre les prérogatives pontificales, il entend rester fidèle à la doctrine de son parti sur la pauvreté du Christ. L'auteur nous met sous les yeux deux séries de textes les uns 1

exaltent le plus le pouvoir pontifical sur l'expression quasi Deus cit., p. 94-06 à ce pour caractériser la dignité du pape, cf. lung, sujet, l'étude de M. Rivière, u Sur l'expression Papa-Deus au moyen âge n, dans les ~~c~KaK~a .S'& t. II, Rome, 1924, p. 2~6-289, aurait rendu service à l'auteur. M. lung (p. 96) s'étonne qu'Alvaro, si prodigue en épithètes honorifiques à l'égard du pape, lui refuse le titre de «M~c~M~ papa s'il s'était reporté à la référence que donne Alvaro lui-même (de Planctu, I, 4$;fol XIV rD), il eût trouvé l'explication de cette anomalieon trouve en effet dans Gratien, Dist. 90, c. 5, un texte célèbre de Grégoire 1~ où le Souverain Pontife se défend de prendre lui-même le titre de papa «MM'f~M~.f. Le texte de Grégoire I"' se trouve dans une lettre adressée à Eulogius, évêque d'Alexandrie en 598 (P. L., LXXVII, 933). t2. JEM DE PARIS, De ~o<M~~ regia et papali, 10 dans Goi.DAST, Monarchiae s. Rom. Hanovre, :668, t. II, p. nS-izo. l3. JEAN DE PARIS, c~. cit., 8-9, p. n6n8.

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tendent à prouver que le Christ, même comme homme, a une souve-

raineté temporelle; les autres, beaucoup plus nombreux, tendent à le nier, à partir de l'argument suivant le Christ a payé d'exemple or, il a conseillé de renoncer à tous les biens de ce monde donc, il a renoncé sur terre à toute propriété et souveraineté: Mais Alvaro n'oppose ces deux thèmes que pour essayer de les concilier; il y réussit, grâce à une distinction entre l'état du Christ pendant sa vie mortelle et la condition du Christ ressuscité. Voici à ce sujet un texte intéressant qui paraît avoir échappé à l'attention de M. Iung après avoir cité le passage de l'Apocalypse, et in vestimento f!' in /CM<W ~MC ~C~~MMRex ~~MM ~OMMHM
.litud dictum est post resurrectionem de Christo secundum divini-

tatem ostensive et notificative secundum humanitatem autem dictum est de Christo post resurrectionem effective et commissive, et non ante resurrectionem actu complétive~. Alvaro peut dès lors conclure les deux séries de textes, loin de se contredire, s'accordent foncièrement il suffit de savoir tes entendre

Christus non solum in quantum Deus, sed etiam in quantum homo toi. cxc v< 2. i5. Ibid., fol. cxc V, i. 14. (?~. c<< II,

Sy

Verbo unitus, habuit dominium generale in regnis et rebus temporalibus, sicut quilibet rex habet in regno suo et sic intelliguntur primae allegationes. Dominium vero particulare in aliqua re aut in rebus

quibus utebatur non habuit postquam praedicavit et consilia de paupertate dedit, et sic intelliguntur secundae".

Défenseur de la pauvreté du Christ, notre Spirituel n'a donc pas nié pour autant sa royauté temporelle, même comme homme. Grâce à une précieuse distinction entre le pouvoir virtuel et le pouvoir effectif, le domaine éminent et le domaine utile, il laisse intacte thèse essentielle de son traité

la

Sicut nullus fidelis dubitat quin Chnstus fuerit rex et sacerdos, et rex coeti et terrae. bic nullus catholicus dubitare debet quin summus vicarius ejus generalis in terris pariter utramque habeat potestatem (1. ~7).

Alvaro Pelayo est décidément bien loin de Jean de Paris, même sur la question de ta royauté temporelle du Christl7,et nous persistons à croire qu'il faut le placer dans la tignée des théocrates, avec Gilles de Rome et Agostino Trionfo. M. lung ne nous en voudra pas d'avoir longuement discuté sa thèse ces critiques n'atteignent en rien le inérite de son travail, elles visent seulement à éclairer un peu mieux )a question passionnante, mais difficile, des rapports entre l'Église et l'État au moyen âge. JOSEPH

LECLER.

MUSCIPULA de par son étymotogie, – MM~, M'~< désigne primitivement une ratière ou une souricière. Saint Augustin fait plusieurs fois usage de ce mot dans une exposition populaire du dogme de la Rédemption il suppose que la mort du Sauveur fut un appât auquel le démon se laissa prendre, et qui lui coûta cher car la mort du Juste fut la délivrance et le salut du genre humain, jusque-là captif du démon. Aux exemples déjà signalés par M. l'abbé Le mot

MM~M~M/a,

0~. cit., n, 5~; fol. cxci v". 17. Comme l'on sait, Bellarmin, après Jean de Paris et bien d'autres, a nié la royauté temporelle du Christ en tant qu'homme cette thèse lui a valu bien des ennuis, comme on peut le voir dans l'article du P. LE BACHELET, « Bellarmin à l'Index », 2~K
P. 227-246.

J. Rivière~, Serin., cxxx,2; cxxxiv, 5, 6; ccLXHi,i, on peut main-

tenant ajouter deux autres exemples, dans les ~~MC~c~K~Hc~ reperti, si magnifiquement édités par Dom Germain Morin~,pp. 5o8, 23-25 et 662, i3-i4. On admettra probablement assez volontiers que et plutôt bizarre n'est pas la ce détail d'exposition populaire meilleure gloire du grand docteur africain. Mais, à ce propos, il n'est pas indifférent de noter que le mot ~MM~M/a avait subi une extension de sens et, dans l'usage africain tout au moins, désignait un piège quelconque. Ainsi dans le psautier africain, c'est l'équivalent ordinaire du ~a~M~Mj de la Vulgate. On pourra s'en convaincre en consultant saint Augustin, ~Ma~a~cM~ M Z*M~M. sur Ps. ix, 16. 28; LXIII, 6; xc, 3; cxxin, 7, cxxxix, 6, CXL, 9; CXLI, 4. Dans tous ces passages, la Vulgate porte ~M~ et saint Augustin MMc~a. Nous ne connaissons qu'une exception, c'est Ps. cxvm, 110, où saint Augustin lui-même a laqueus. II ressort de ces exemples que M~~c~K~ désigne couramment toute sorte de pièges où peuvent se prendre les hommes, ou encore un lacet d'oiseleur. L'observation n'a sans doute pas une très grande portée; tout de même, elle permet de conclure à l'avantage de saint Augustin, qu'il n'a pas précisément assimilé la croix de Notre Seigneur à. une souricière. ADHÊM4R

D'ALÈS.

i. Le Z~~Mf de la A'M~!<7M C/M'g J~tM~~M~M~M.p. 5o. Parts. 1928. 2. Roma, ig3o. ~t<Mstudio 3.3.Voir Voir Paul Capel!e, le Texte du ~K /MK~r Psautier latin Faut Capelle, Monachorum CH ~K
7'

BULLETIN D'HISTOIRE

DES ORIGINES CHRÉTIENNES 1

La Mystique de saint Paul

J/y~

l'Apôtre Pax~est peut ni négliger ni complètement faire connaître; une discussion de tous les problèmes soulevés ici demanderait un livre entier; et, d'autre part, l'effort est si puissant qu'on ne peut le passer sous silence sans injustice ni sans dommage. La personnalité même de l'auteur provoque l'attention théologien, médecin, musicien, et par-dessus tout missionnaire, cet historien de saint Paul dirige aujourd'hui dans le Congo Français un hôpital qu'il a fondé, et c'est de là, de Lambaréné, qu'il date le livre que nous avons sous les yeux. La rédaction, commencée en ipi3, a été interrompue par un long séjour dans l'Afrique équatoriale elle a été reprise et achevée au cours d'un congé passé en Europe, de 1927 à 1929. Tout cela montre que la foi chrétienne n'est pas, pour ce théologien protestant, un simple thème d'étude, mais vraiment une force vivante, et l'on n'entreprend pas sans respect ni sans attention la lecture du livre. Au reste, l'attention est soutenue par l'éclat et la chaleur du style; tous ceux qui ont lu les ouvrages antérieurs de Schweitzerconnaissent sa manière; ils la retrouveront ici. Le sujet est d'importance capitale c'est l'interprétation de la religion de saint Paul; on a prétendu en chercher la source dans la religion hellénique, etparticutièrement dans les mystères; Schweitzer la ramène tout entière à l'eschatologie judaïque. C'est ainsi qu'il avait interprété la vie et l'enseignement de Jésus; par là il défend la Le livre d'A. Schweitzer sur la un de ces ouvrages qu'un Bulletin ne

Albert SCHWEITZER, Die Mystik des Apostels Paulus. xv-407 p. in-S". Tùbingen, Mohr, ig3o. Prix t6 Mk. Cet ouvrage vient d'être traduit en anglais par W. Montgomery, avec une préface de F.-C. Burkitt. 2. Avant tout, le grand ouvrage publié en 1906 sous le titre Von Reimarus 2M Wrede, et réédite plusieurs fois depuis tgt~, sons le titre CMe&«-A~ der Zf~M./MM-Cf.K-AMM~.

continuité de pensée entre Jésus et Paul, et c'est un bien, mais cet avantage n'est-il pas acheté bien cher, si toute l'histoire du christianisme primitif, jusqu'àla mort de Paul, est dominée par le mirage eschatologique? L'auteur a fait effort pour conjurer ce danger; une brève discussion nous fera reconnaître s'il a réussi. L'avant-propos nous marque déjà très clairement la thèse du livre: la théologie de Paul est libre d'influence hellénique, et dominée par l'eschatologie; l'hellénisme l'envahira au second siècle, avec Ignace, Justin et Jean. Pour connaître Paul, on partira des sept lettres reconnues authentiques, les quatre grandes, I Thess., Philiff. etPIiilémon. On y trouve une mystique puissante, non pas une « mystique de Dieu », mais une « mystique du Christ »; la vie en Dieu est affirmée sans doute dans le discours d'Athènes, mais ce discours n'est pas paulinien (p. 6). Paul n'enseigne point une « nouvelle naisc'est là une conception d'origine hellénique qui appasance », raîtra plus tard, il ne parle pas non plus de divinisation, mais d'union à la mort et à la résurrection du Christ; c'est une conception essentiellement réaliste; le symbolisme n'a pas de place dans la mystique de saint Paul; le rite du baptême n'est pas interprété symboliquement; mais au baptême, le néophyte est saisi par le Christ; avec lui il meurt et il ressuscite, c'est le principe d'une existence nouvelle (p. 17; cf. 102). Cette mystique, estime Schweitzer, dérive d'une conception authentique de Jésus (p. 106 sqq.), mais elle a été transformée par la mort et la résurrection de Jésus; elle résout des difficultés qui, sans elle, sont insolubles le sort des chrétiens qui sont morts dans le Christ, le sort de ceux que la parousie trouvera vivants et qui ressusciteront sans mourir déjà la résurrection des morts est commencée. Les élus subissent, dans leur corps, l'action de la mort et de la résurrection de Jésus, et deviennent le corps du Christ (S. remarque que Paul ne parle pas du « corps mystique » du Christ). De là vient entre les élus et le Christ une union de nature; il dira « nous sommes dans le Christ »; mais tout aussi bien: « le Christ est en nous »; « le Christ est pour nous », et « nous sommes pour le Christ »; il écrira: « Nous, les vivants, nous sommes livrés à la mort pour Jésus, afin que la vie de Jésus soit manifeste dans notre chair mortelle. » La phrase de Col., i, 24, sur les souffrances de l'apôtre, complétant celles du Christ, est-elle de Paul? C'est douteux niais la pensée est bien paulinienne, et se retrouve dans PMI., I, 20; 29; 11, 17. Tout cela n'est pas un symbole, mais une réalité profonde, et tout cela saisit la vie entière (p. 122-127). Cette mystique n'a rien d'hellénique, mais elle éclaire tout le paulinisme « Elle se relie étroitement à la prédestination; elle montre

expérience subjective, mais que la vie dans le Christ n'est pas une collective; elle n'a rien de symbolique; elle fait comprendre que la vie entière du croyant, jusque dans ses détails quotidiens, est conçue évidence Christ; comprend dans le développant avec on se comme que l'efficacité de la mort du Christ qui agit dans les élus puisse réagir sur d'autres comme la vie du Christ. Ainsi tout l'ensemble et tous les détails de la mystique de Paul s'expliquent incomparablement mieux par l'eschatologie que par l'hellénisme » (p. i3g). Les grands traits de cette mystique apparaissent gravés dans la vie même de saint Paul, dans les souffrances de son corps, dans le rayonnement de son action (p. 141 sqq.). Schweitzer étudie ensuite la conception de l'esprit (p. 159 sqq.), de la loi (p. 175), de la foi (p. 201), des sacrements (p. 322), enfin les rapports de la mystique et de l'éthique (p. 285). Le chapitre sur la foi est digne d'attention; il marque une réaction outrancière contre la tradition luthérienne: « Longtemps on a cru que la doctrine (de la justification par la foi) développée dans l'épître aux Galates et dans l'épître aux Romains était la pièce centrale de la théologie paulinienne; mais, en partant de cette doctrine, on se rendait impossible l'intelligence de la pensée paulinienne; on la modernisait inconsciemment » (p. 214-215). On s'est laissé entraîner là, parce qu'on ne pouvait pas comprendre la sotériologie de saint Paul: l'apôtre la conçoit comme une action collective, cosmique on en fait une action individuelle; il y voit une transformation de nature, on n'y aperçoit qu'une adhésion de notre pensée à ce que le Christ est pour nous. En réalité, la doctrine de la justification par la foi n'est qu'un fragment de la sotériologie (p. 216); dans cette conception du salut, le « cratère central », c'est la mystique, la vie dans le Christ; la doctrine de la justification par la foi n'est qu'un « cratère latéral » (nebenkrater). Dans l'interprétation des sacrements, l'effort est violent pour tout ramener à l'eschatologie le baptême est l'inauguration du règne messianique (p. 256); les néophytes meurent et ressuscitent avec le Christ; ils se dépouillent de tout ce qui différenciait leurs existences; ils forment tous une nouvelle humanité dans le Christ. La Cène est un repas d'action de grâces, présage du repas messianique que l'on partagera avec le Christ; le calice d'action de grâces est la communion du sang du Christ; le pain est la communion du corps du Christ (p. 260). Les paroles de Jésus ne sont pas considérées par Paul comme des paroles d'institution ni de consécration; elles signifient seulement que ceux qui participent à l'Eucharistie ne forment plus qu'un corps entre eux et avec le Seigneur (p. 264). Le changement du pain et du vin au corps et au sang du Christ apparaîtra chez

n

1

Ignace, Justin et Jean, sous l'influence de l'hellénisme (p. 265 sqq.). Le chapitre sur la mystique et l'éthique est un des meilleurs du livre; il montre bien la grandeur singulière de la morale de Paul « Elle est tout entière surnaturelle, mais sans devenir pour cela antinaturelle » (p. 288). Contrairementà ce qu'on déplore chez bien des mystiques, l'éthique garde ici toute sa valeur; l'homme spirituel est libre, et n'est jugé par personne; mais cependant il aura souci des faibles, et évitera de les scandaliser; il estime les dons de l'esprit, mais, par-dessus tous, la charité; il est le véritable disciple de Jésus par son attente enthousiaste du règne, mais aussi par le caractère moral de sa foi; il prêche le détachement du monde, mais non pas la fuite au désert; il recommande la fidélité au travail quotidien et la soumission aux autorités; et tout cet idéal moral resplendit dans la vie de Paul (p. 3n sqq.). Cette mystique de Paul n'était pas hellénique, mais elle était susceptible de le devenir; on pouvait helléniser la foi au Christ, en faire une croyance à l'immortalité reçue du Christ, et c'est ce qui arriva (p. 324 sqq.). Au début du deuxième siècle, l'attente eschatologique durait encore; elle n'était plus assez ardente pour tout consumer; alors apparaît l'influence hellénique. Ignace et Polycarpe vivent en Paul; mais ils n'ont plus l'essentiel de sa mystique l'union à la mort et à la résurrection du Christ (p. 33o sqq.); chez Paul, la chair était absorbée par l'esprit; chez Ignace, la chair demeure, mais se spiritualise (p. 332); dans la doctrine sacramentaire, le premier rôle, tenu jusque-là par le baptême, passe à l'eucharistie; l':Église devient un être mystique, qui prend son origine dans une Église préexistante; la théologie du Logos apparaît. Tout cela se développe chez Justin et dans l'évangile de Jean (p. 338 sqq.). « L'énigme littéraire de cet évangile est insoluble; jamais nous n'apprendrons quel en est l'auteur, ni comment il a été conduit à mettre son récit sous le patronage de Jean, le disciple du Seigneur » (p 340); ce qui est sûr, c'est la transformation qui s'est opérée de Paul à Jean; Deissmann a fait de Jean le plus authentique interprète de la mystique de Paul; autant vaudrait présenter Beethoven comme le meilleur interprète de Bach (p. 36i); la doctrine paulinienne, c'est l'expérience d'une personnalité puissante; la doctrine d'Ignace et de Jean, c'est le développement d'une théorie (p. 362). Dans un dernier chapitre, Schweitzer affirme avec éclat la valeur permanente de la mystique de Paul (p. 365 sqq.) « Paul'a consacré pour toujours le droit de la pensée dans le christianisme. Au-dessus de la foi traditionnelle, il élève la connaissance qui vient de l'esprit du Christ; on sent vivre en lui un respect illimité et irrésistible de la vérité. Et 'c'est pour tous les temps un fait d'une haute signifi-

cation, que la symphonie du christianisme s'élève avec une puissante dissonance entre la foi et la pensée, pour se résoudre ensuite n'était eschatologique 365-366). (p. Le messianisme harmonie » en qu'une forme précaire, mais qui contenait une vérité éternelle, la mystique du Christ, c'est-à-dire l'union conçue par la pensée et réalisée par l'expérience de la vie, avec le Christ, Notre Seigneur (p. 367). L'essence de cette mystique chez Paul n'était pas l'eschatologie, mais l'union intime de deux éléments trop souvent dissociés, l'établissement du règne universel de Dieu et notre rédemption par le Christ; cette croyance est indépendante de ses conditions temporelles; c'est une foi toujours vivante, qui doit rester le patrimoine des chrétiens de tous les temps (p. 370). A travers notre analyse, le lecteur aura saisi, nous l'espérons, la force et la faiblesse de ce livre. Sa polémique contre Reitzenstein, Bousset, Deissmann est efficace la religion de saint Paul est enracinée, non dans l'hellénisme, mais dans l'Ancien Testament et dans l'Évangile; c'est là une vérité capitale, et il faut savoir gré à Schweitzer de l'avoir mise en pleine lumière. Son interprétation personnelle contient, elle aussi, d'excellentes parties: l'union de la mystique et de l'éthique, l'intime cohésion de tout cet ensemble religieux où la rédemption des élus apparaît dans la perspective du règne de Dieu, où la mort et la résurrection du Christ saisissent toute notre vie, en même temps qu'elles renouvellent le monde entier, tout cela est vraiment capital dans la pensée de saint Paul et dans le christianisme. Mais, à côté de ces vérités si fortement saisies, il y en a d'autres que la synthèse de Schweitzer laisse échapper ou qu'elle mentionne à peine, et ce sont avant tout celles qui concernent la vie divine le Fils de Dieu considéré dans sa divinité, dans son union ineffable avec le Père, l'adoption divine qui fait de nous les enfants de Dieu, l'Esprit Saint qui prie et gémit en nous, et tout cela est essentiel au paulinisme; mais si 'l'on creuse tout cela, on voit que la « mystique du Christ» s'épanouit en « mystique de Dieu » on retiendra tout ce qui est dit de notre union à la mort et à la résurrection du Christ; mais on ajoutera tout ce que Schweitzer rejette de la nouvelle naissance, comme aussi cette conception des sacrements et particulièrement de l'Eucharistie, reconnue chez saint Jean, mais niée chez saint Paul. Ainsi, la mystique de Paul nous paraîtra beaucoup plus riche qu'elle n'est ici décrite; ce qui fait sa force, ce n'est pas le messianisme seulement, c'esfetaussi et surtout la divinité du Sauveur. Et l'on n'aura pas à craindre qu'en faisant rentrer toute cette théologie dans le paulinisme, on y incorpore l'hellénisme cette divinité du Père, du Fils, de l'Esprit-Saint, ce n'est point à la lueur des mys-

tères païens qu'elle nous est apparue, c'est dans la splendeur de la révélation chrétienne.

La Théologie de saint Irénée et ses sources

II.

Le i3 janvier 1928, Friedrich Loofs était surpris par la mort. Le professeur de Halle n'occupait pas, dans le monde scientifique international, la position exceptionnelle que tenait son collègue de Berlin, Adolf von Harnack, qui devait mourir si peu de temps après lui. Loofs n'avait pas le style lucide et brillant de Harnack, ni sa prodigieuse facilité de travail il était, dans ses recherches scientifiques, plus systématique, plus étroitement personnel; mais il avait, par contre, un don très rare d'analyse minutieuse et pénétrante. Son Lettfaden sur Dogmengeschichte est riche de vues originales, souvent discutables, mais presque toujours évocatrices; souvent, le lecteur compétent se refuse à le suivre mais là même il trouve un grand profit à le lire. Ces qualités et ces défauts apparaissent en plein relief dans le livre posthume laissé par Loofs et publié par J. Ficker le Livre de Théophile d'Antioche contre Marcion et les autres sources théologiques d'Irénée 3. Loofs avait consacré à ce livre un travail acharné et il y attachait un grand prix. L'éditeur du livre, J. Ficker, admire la puissance de cet effort, mais estime que ces recherches érudites étaient le fait d'une génération qui disparaît, et dont Loofs était un

des derniers représentants. Peu de lecteurs, pense t-il, auront le courage d'étudier cette œuvre, moins encore de l'imiter. Nous avons pensé que parmi les lecteurs des Recherches, bien peu, sans doute, auraient le loisir de discuter de près cette critique des sources d'Irénée. Et cependant l'intérêt du problème est capital. Nous croyons qu'il ne sera pas inutile de l'exposer ici. Dom B. Capelle écrivait naguère « Tant qu'on n'aura pas scruté ses rapports avec ses devanciers, il sera impossible d'apprécier complètement l'originalité et la valeur d'irénée 4. » Beaucoup d'historiens sentaient la nécessité de ces recherches et s'y étaient appliqués 5. Fr. LOOFS, Tkeopkilus von Antiochien adversus Marcionem und die anderen theolo gischen Quellen bei Irenaeus (Texte und Untersuchungen, 46, 2). Leipzig, Hinrichs, 1930. xi-462 p. in-8°. 4. Revue Bénédictine, 39 (1927), p. i52. Cf. Recherches de Théol. 3.

ancienne

et médiévale,

1930, p. i97*-i99*.

mentionne particulièrement la dissertation de Harnack, Der Presbyter-Prediger des Irenaeus (iv, 27, i-32, 1), Philotesia. Berlin, 1907, p. 1-37, et celle de Bousset, Judischer und christlicher Schulbetrieb in Alexandrien und Rom. Gottingen, 1915, p. 272-282. 5. LOOFS

1

)

Irénée lui-même les y conviait il se référait volontiers à ses devanciers, à saint Justin 6, à Papias 7, aux « presbytres de l'Eglise 8 », en particulier à l'un d'entre eux pour lequel il a une vénération particulière 9. A défaut même de ces références explicites, la composition même des livres d'Irénée trahit sa dépendance, et il ne fait rien pour en effacer les traces ce n'est pas un pur hasard si le millénarisme apparaît par affirmations massives dans les cinq derniers chapitres de V Advenus kaereses et est abandonné dans la Démonstration™ il faut expliquer aussi pourquoi l'expression si caractéristique des mains de Dieu, appliquée au Fils et au SaintEsprit, manque dans les trois premiers livres de l'Adversus hacreses, et apparaît fréquemment dans les deux derniers Et en dehors même de ces indices manifestes, la composition de VAdversus haereses rend plus vraisemblable la fréquence des emprunts non seulement les cinq livres de cet ouvrage ne se rattachent entre eux que par des liens assez lâches, mais au sein d'un même livre, les chapitres sont moins fondus que juxtaposés fragments puissants, souvent admirables, mais isolés on sent que le missionnaire des Gaules n'a eu ni la prétention ni le loisir de es fondre dans une rédaction suivie. En face de ces pièces magnifiques, on est en droit de se demander si elles ont été taillées et sculptées par Irénée ou ramassées par lui dans quelque chantier. Loofs y voit, en effet, des emprunts les plus belles conceptions d'Irénée ne sont pas de lui, mais de Théophile d'Antioche la vision de Dieu vie de l'homme, la formation progressive de l'humanité, la conception si ferme de l'unité divine des trois personnes, l'union de la chair et de l'esprit dans le Christ, tout cela vient de Théophile, de la source IQT, ainsi que l'appelle Loofs 12. L'influence de Justin sur Irénée a été étudiée par J. A. Robinson, St. Irenaeus, The Démonstration of the apostolic Preaching (London, 1920), p. 6-24 cette étude ne semble pas avoir été connue par Loofs. 6. 4, 6,

2

5, 26, 2.

7. 5, 33, 3.

8. 4, praef. 2, 22, 5 4, 28, 1 5, 5, 1 5, 3o, 1; 5, 33, 3 5, 36, J. 9. r, praef. 1, i3, 3 1, i5, 6 3, 17, 4 3, 23, 3 4, 27,1 – 28, 1 4, 30, 1 4, 3o, 4 j 4, 32, 1 5, 17, 4 4, 41, 1 4, 4, 2. Ces fragments, ainsi que les précédents (n. 5), ont été réunis et commentés par Gebhardt et Harnack Presbyterorum reliquiae, Patrum a-postolicorwn opéra (Lipsiae, 1878), I, 2, p. 105-114. 10. C. 61. Cf. la note de Harnack. 22, IJ,579,cf. 570. 11. Cf.Histoire du dogme 3, 12. Il lui attribue Adv. haer., 1, 22, 1 2, 28, 2 2, 3o, 9ç 3, 8, 3 '& rel="nofollow"> 7 3, i8, 7 3, 20, 4 3, 24, 2 une phrase du prol. de 4 4, 7, 4

dela

t

A une autre source (IQU) sont attribués les chapitres où Irénée explique l'histoire de la chute du premier homme et de la tentation du Christ (5, 21-24) ici encore, c'est Théophile qui est suivi par Irénée (p. 97). Cette thèse des emprunts d'Irénée à Théophile est la partie la plus neuve, et aussi la plus fragile, du livre de Loofs; nous y reviendrons ci-dessous. Une influence beaucoup plus apparente est celle du prèsbytre vénérable dont Irénée rapporte l'enseignement (iv, 27, 1 – 32, 1). Ce presbytre, estime Loofs (p. 102), a vécu et enseigné en Asie 13; la date de cet enseignement doit être reportée aux années i5o à 160. A l'occasion de ce presbytre, Loofs consacre une centaine de pages (114-210) à ce qu'il appelle la « Geistchristologie », c'est à dire cette doctrine qui appelle « esprit » la nature divine du Christ. Cette dissertation très érudite sera consultée avec intérêtmais elle apparaît dans le livre comme un « Exkursus les conclusions de l'auteur dépassent de beaucoup la portée des textes. Une autre source (IQA) est reconnue dans les chapitres i-i3 du Ve livre relatifs à la résurrection 14; en comparant les textes d'Irénée au traité de Justin 15 sur la Résurrection, Loofs relève entre les deux livres des contacts et des divergences, et conclut que tous deux dépendent d'une source commune, qui serait un livre composé en Asie, entre 140 et 160. Il étudie ensuite les citations des presbytres, et les ramène à une source IQS (p. 3io sçq.); puis l'enseignement de Papias, contenu dans les dermers chapitres du V livre c'est la source IQE (p. 325 sçq.).

et

4, 25, 2 4, 33, io-i5 4, 38, i. 3 4, 3c, 2-4 4, 37-39 5, 28, 4. Cette liste, qui résume le 1er chapitre du livre, se lit p. 43, n. 3. 13. Harnack, Philotesia, p. 20. avait été plus réservé « C'est en Asie qu'il faut très probablement le chercher, ou du moins c'est en Asie qu'il avait reçu sa formation. Le itpsaêûtepoç dont Loofs discute l'influence est celui dont Irénée rapporte l'enseignement au IVe livre, il laisse de côté, comme sans intérêt théologique (p. 376 et n. 3), le TcpeuêÙTTjç dont il est question au premier livre et au troisième (I, prol., 2 I, i3, 3 I, i5, 6 III, 17, 4). Ce presbytre a été identifié, non sans vraisemblance, avec Pothin Tillemont, Mémoires (éd. de Venise, 111, surtout A. d'Alès, « Le mpearëû-ny; de saint Irénée ». Revue des p. 89) Études grecques, 1929, p. 398-410. 14. Ces rapprochements avaient été déjà signalés, du moins partiellement, en particulier par Zahn, Zeitschr, f. Kirchengesch., 8, 3i1 sq., cité p. 216. 15. Loofs reconnaît (p. 222) que ces fragments sur la Résurrection appartiennent à une œuvre authentique de Justin. 4, 20, 1-4, 21,3 5, 5, 1 6, 1

5,



et

Tous ces emprunts étant admis, on peut se demander si Irénée a une théologie qui lui soit propre, et où l'on peut la trouver. Loofs estime qu'on la rencontre dans les deux premiers tiers du IIIe livre (ch. i, i – 18, 6), et il s'efforce de la déterminer (p. 342 sqq.), tout en nous avertissant que cette théologie irénéenne dépend en grande partie de Justin. En concluant cette longue enquête, Loofs reconnaît qu'Irénée en sort bien diminué il a emprunté à ses sources, surtout à Théophile, des pensées profondes et belles il ne les a saisies que superficiellement (p. 43z). Ce jugement sévère est-il sans appel? Loofs lui-même semble en douter parfois là où il a cru reconnaître des emprunts à Théophile, ne peut-on pas voir la pensée propre d'Irénée ? Si on l'admet, ditil, on renverse tout ce que j'ai essayé d'établir (p. 428-429). C'est très vrai, et il faut ajouter que ce verdict s'impose à tout lecteur attentif. Théophile d'Antioche n'est pas pour nous un inconnu; ses trois livres à Autolycos le font assez connaître il impose le respect par l'élévation morale de son âme, mais il est impuissant à fixer l'attention par une pensée qui est sans force, un style sans relief. M. Puech lui a été sans doute trop sévère quand il a écrit « Je ne me sens aucune tentation de défendre contre Geffcken ce bavard superficiel, chez qui le style et le vocabulaire rivalisent de pauvreté avec la pensée 10 »; mais sans mépriser à ce point Théophile, nous devons admettre que c'est un théologien médiocre. Avant de lui attribuer la paternité des plus hautes doctrines d'Irénée, on voudrait des preuves, et les preuves manquent. Loofs reconnaît (p. 71) que ta source d'Irénée ne saurait être les livres à Autolycos cette source est un livre perdu, le traité contre Marcion (p. 74), dont nous n'avons pas une ligne, dont nous ne connaissons que le titre. Ce qui justifie la paternité de Théophile, c'est que nous trouvons dans les livres à Autolycos quelque écho des grandes thèses irénéennes. Irénée a dit dans des formules inoubliables « On ne peut vivre si l'on n'a pas la vie; or, on ne possède la vie qu'en participant à Dieu; et participer à Dieu, c'est le connaître, c'est jouir de sa clémence. Il faudra donc que les hommes voient Dieu pour qu'ils vivent. La gloire de Dieu, c'est la vie de l'homme; et la vie de l'homme, c'est la vue de Dieu. » (IV, 20, 5-7). « La vision de Dieu est le principe de l'immortalité, et l'immortalité unit à Dieu » (IV, 38, 3). De ces textes Loofs (p. 63) rapproche quelques passages de Théo16.

Les Apologistes grecs, p. 210. Cf. notre Histoire du Dogme de la

Trinité, II,

507.

Dieu est vu par ceux qui peuvent le voir, quand ils ont les yeux de l'âme ouverts » (I, 2). « Une vie sainte et juste permet de voir Dieu » (I, 7). « Quand le principe mortel sera mort et aura revêtu l'immortalité, alors tu verras Dieu comme il le mérite » (ib.). Ce rapprochement nous laisse bien loin de compte, et Loofs luimême le remarque (p. 64) Irénée enseigne que la vision de Dieu produit l'immortalité; Théophile, que pour voir Dieu il faut être devenu immortel. Entre les deux enseignements, il n'y a de commun que l'affirmation d'une étroite corrélation entre la vie et la connaissance mais cela a été depuis longtemps affirmé par saint Jean, et plus clairement que par Théophile, et sous une forme beaucoup plus voisine de la doctrine d'Irénée « La vie éternelle, c'est de te connaître, toi seul Dieu véritable, et celui que tu as envoyé, JésusChrist » (r7,3). En réalité, la théologie de la connaissance religieuse est, chez Irénée, incomparablement plus riche que chez Théophile, et elle ne doit rien à ce dernier: parmi ses devanciers, il n'y a que Justin que l'on puisse rapprocher d'Irénée, et il est beaucoup plus pauvre 17. Si i'on considère la théologie de la Trinité, les conclusions de Loofs apparaissent encore bien plus insoutenables de tous les apologistes, Théophile est celui qui a le plus spécialement distingué les deux états du Verbe, IvStâÔetoc et icpocpopotô;18. Cette distinction malheureuse, qui sera plus tard expressémentproscrite,estdéjàrepoussée par Irénée phile

«

·

Celui qui parle de la raison de Dieu, et qui prête à cette raison une émission qui lui soit propre, fait de Dieu un composé, comme si Dieu était autre chose que la Raison suprême. Le prophète dit en parlant de lui (du Logos) Qui racontera sa génération? Mais vous, vous avez deviné sa génération par son Père, vous avez appliqué au Verbe de Dieu l'émission du verbe humain, telle qu'elle se fait parla langue, et, par un juste châtiment, vous montrez que vous ne connaissez ni les choses humaines, ni les choses divines. (II, 28, 4-6, cité et commenté Hist.dn Dogme de la Trinité, II, p. 55i-553). Si l'on se demande comment un historien aussi attentif que Loofs a pu méconnaître la force de ces objections, il faut se rappeler la thèse historique que le livre sur Paul de Samosate19 énonçait déjà, et que le livre que nous discutons aujourd'hui prétend démontrer il existe une théologie antiochienne, dont la source principale fut 17. Cf. Histoire du Dogme de la Trinité, 18. II, 10 et 22. Cf. Hist. du Dogme de la i9. Cf. RSR, 1925, p. 367 sq.

II, p. 411-427 527-539. Trinité, II, p. 5oS-5n.

Ignace20, dont le grand théologien fut Théophile; de Théophile dépendent non seulement Irénée, mais Tertullien et Hippolyte 21; c'est cette théologie que l'on retrouvera plus tard chez Paul de Samosate, chez Eustathe, et aussi chez Diodore, Théodore, Nestorius, Théodoret (p. 445). C'est une théologie unitaire, qui s'allie à une christologie dyophysite. A côté de cette théologie, un autre courant, représenté au deuxième siècle par les apologistes, porte vers une théologie pluraliste et une christologie monophysite; enfin, un courant asiatique, qu'on reconnaît dans la source IQA, entraîne Irénée vers ce qui sera plus tard la théologie alexandrine on maintient énergiquement la théologie unitaire, et on l'allie à une christologie monophysite ou pneumatique22. Tout cela est très ingénieux, et très fragile. Loofs opère avec tous les sigles qu'il a créés, IQT, IQU, IQA, IQS, IQE, comme avec des livres réels; ce ne sont que des valeurs imaginaires. L'influence de Justin sur Irénée est réelle, et plus grande que Loofs ne l'a reconnu; celle de Papias et des presbytres est évidente, mais étroitement limitée; celle de Théophile est inexistante. Et par delà ces emprunts, ce que nous retrouvons quand nous reprenons en main l'Adversus haereses, c'est Irénée lui-même il est très vrai qu'on retrouve en lui, plus qu'en aucun de ses contemporains, toute la tradition antérieure, les prophètes et la Sagesse, saint Paul et saint Jean, saint Ignace d'Antioche et Papias et les presbytres, et saint Justin. Tous ces enseignements ont été pieusement recueillis, non pas seulement par une mémoire fidèle, mais par une âme profonde et vivante, où tout cela s'unit, se féconde et porte son fruit la théologie d'Irénée, la plus riche et aussi la plus personnelle que nous ait transmise la tradition des trois premiers siècles.

III.

Les Origines de la primauté romaine

L'histoire de la primauté romaine, vivement débattue au cours de ces dernières années23, a fait l'objet, cette année encore, de plusieurs études. En 1910, Hugo Koch faisait paraître son livre sur Cyprien et 20. P. 1 94-205 21. « D'après

448 sq.

toutes les vraisemblances, Tertullien et Hippolyte ont connu les écrits de Théophile, et en dépendent » (p. 448). 22. Aux termes « monophysite » et « dyophysite », précédemment employés par lui, Loofs substitue ceux de «monoprosopisch » et « henprosopisch » (p. 450); la pensée reste la même. 23. Cf. Recherches, 1938, p. 426 sqq. les deux dissertations de GOETZ, sur saint Pierre considéré comme fondateur de l'Église, et de CASPAR, Primaius Petri; Recherches, 1929, p. 346 sqq.: Mgr BESSON,Saint Pierre

la primauté romaine; il reprend aujourd'hui le même thème"* il cherche à défendre sa thèse, très vivement attaquée; il veut aussi profiter des récentes recherches d'E. Caspar. L'objet de cette discussion n'est pas le fait, mais la doctrine de la primauté romaine. Koch laisse donc de côté le cas des évêques espagnols ou de Marcien d'Arles; il veut étudier la conception de l'Église, telle que Cyprien l'a exposée et défendue.r Un chapitre d'introduction est consacré à Tertullien. Koch estime que l'adversaire visé dans le De pudicitia est bien Calliste, l'évêque de Rome (p. 6); que le texte de l'édit n'a pas été forgé par Tertullien, comme le pense Caspar, mais cité par lui; que ce texte, d'ailleurs, n'affirme qu'un droit épiscopal, commun à tous les évêques, et non pas le pouvoir particulier de l'évêque de Rome, comme successeur de saint Pierre (p. i3); l'expression omnis Ecclesia Petri propinqua doit s'entendre de toute Église légitimement gouvernée par son évêque,à l'exclusion des Églises hérétiques et schismatiques. L'étude de saint Cyprien constitue l'objet central du livre (p. 32154) l'auteur reprend et discute les textes controversés super unum aedificat ecclesiam; epi&copatus. cirius a singulis in solidum pars ienetur ecclesiae catholicae matricem et radicem; ecclesiam priticipalem seconde version du De unitate. Sur tous ces points, Koch, dont les interprétations antérieures ont été vivement attaquées, les défend plus vivement encore. Je ne pense pas qu'il y gagne beaucoup d'adhérents; il se plaint que les interprétations contraires du P. d'Alès aient été suivies, de préférence aux siennes, par Salin35; bien des lecteurs suivront en cela l'exemple de Salin; soit, par exemple, le dernier texte étudié ad Petri catlaedram atque ad ecclesiam pHncipalem, unde imitas sacerdotalis exorta est (p. 95 sqq.) principalis, pense Koch, doit s'entendre au sens de principis « L'Église de Pierre, le premier en date des apôtres »; unde se rapporte non à cathedramni à ecclesiam, mais à principis, implicite dansprincipalem;c'est là une interprétation artificielle, que tous les efforts de l'auteur ne réussissent pas à rendre vraisemblable. Pour l'authenticité de la deuxième version du De unitate, Koch, qui précédemment avait réservé son jugement, l'attaque maintenant

la

la Primauté romaine; Dom J. CHAPMAN, Études sur la Papauté primitive; S. H. SCOTT, les Églises orientales et la Papauté. 24. Hugo KOCH, Cathedra Petri. Neue Untersuchungen uber die Anfànge der Primatslehre. Giessen, Topelmann, iq3o. XH-1S8 p. in-8. et les Origines de

Prix

12

Mk.

Dans son livre Civilas Dei (Tübingen, livre, cf. Recherches, 1928, p. 43i. 25.

1926)

p. 2, n.

1

sur ce

apocryphe (p. 114-144); les historiens protestants eux-mêmes et, tout récemment encore, Caspar (p. 144-146), l'ont tenue pour authentique Koch juge qu'ils ont eu tort. Le livre se termine par un chapitre sur le dogme de la papauté, et son élaboration progressive telle que Koch se la représente (p. 1S4les prérogatives personnelles de Pierre ont été attribuées 179) d'abord à l'épiscopat tout entier, puis au siège de Rome. Dans la littérature des trois premiers siècles, bien des textes ont été invoqués en faveur de la primauté romaine; Koch s'efforce d'en éluder la force20 et de leur opposer des textes contraires, avant tout ceux qu'il emprunte à Cyprien et à l'épiscopat africain. Son dernier mot résume toute sa thèse « L'Église du troisième siècle reconnaît le pouvoir épiscopal, et en voit la création dans Mi., XVIII, 18 elle ne connaît pas la papauté. » Dans tout ce livre, on sent l'effort d'un polémiste qui, depuis plus de vingt ans, multiplie ses attaques contre la primauté romaine; le polémiste est vigoureux; il a lu et relu les textes anciens; si les attaques échouent, c'est que la tradition primitive est ferme. Il est bon de le constater une fois de plus. comme

En même temps que l'ouvrage de H. Koch, paraissait le premier volume de l'Histoire de la papauté, d'E. Caspar 27. Sur l'origine de la hiérarchie ecclésiastique et de la primauté romaine, M. Caspar propose des hypothèses hardies et, en partie, nouvelles la conception hiérarchique de l'Église, qui se trouve chez saint Clément, s'oppose à la conception mystique de saint Paul; elle n'est pourtant pas une innovation; elle se rattache à la tradition primitive de

celui de saint sq. est discuté le texte de saint Ignace et Irénée Ignace est un « Geistestrager » il ne peut admettre la primauté hiérarchique de l'évêque de Rome; si cet argument était efficace,il vaudrait non seulement contre la primauté romaine, mais contre toute hiérarchie, ce qui est évidemment contraire à la pensée d'Ignace. Irénée a été un pacificateur; il a rappelé à Victor l'attitude tolérante d'Anicet; cela est vrai, mais si Irénée recommande à Victor d'user prudemment de ses droits, il ne les lui conteste pas, et ce souci de paix ne lui fait pas oublier la -potentior principalitas. 27. Erich CASPAR, Geschichte des Papsltums voit den Anfangen bis zur Romanum. Hohe der Weltherrschaft. Erster Band. Romische Kirche und Im-perium ~'MMMMM. Tubingen, Tübingen, 1930. to3o. Cet ouvrage ne nous a pas été envoyé pour compte rendu. Nous n'en faisons pas ici l'analyse ni la critique; nous voulons seulement relever la position de l'auteur sur la question des origines de la primauté romaine. 26.

P.

175

l'Église de Jérusalem2*; cette constitution hiérarchique, que les circonstances imposaient, trouvait aussi son modèle dans les synagogues juives; l'organisation charismatique (apôtres, didascales, prophètes) disparaît peu à peu et est absorbée dans l'Église des épiscopes, des presbytres, des diacres. L'autorité se transmet par succession à Jérusalem, par une succession charnelle, créée par les liens du sang; à Rome, par une succession spirituelle les anciens catalogues, recueillis par Hégésippe et Irénée, nous font connaître les successeurs des apôtres ce sont des documents dignes de foi, mais ils laissent dans l'ombre le nœud de la question « Les premiers dépositaires de cette succession apostolique, Lin, Anaclet, Clément, etc., ont-ils occupé une position officielle, et quelle position dans le gouvernement de la communauté romaine, ceci ne pourra jamais être établi avec certitude » (p. n). Ces successeurs des apôtres n'étaient pas des évêques, mais les précurseurs des évêques « Plusieurs dizaines d'années, semblet-il, se sont écoulées avant que l'esprit de la succession apostolique, garantie de la tradition apostolique, ait pris corps dans l'épiscopat monarchique (ib.). » Cette conception de la tradition primitive est la partie la plus originale, mais aussi la plus fragile de toute cette construction ces successeurs des apôtres avaient reçu d'eux, non seulement une doctrine, mais une autorité, un pouvoir hiérarchique; c'est ainsi qu'ils apparaissent déjà dans les Pastorales et dans la lettre de saint Clément. A aucune époque, pas plus aux origines qu'aujourd'hui, l'Église du Christ ne se présente comme une école philosophique où des maîtres se succèdent, se transmettant plus ou moins fidèlement la doctrine du fondateur, Platon ou Aristote. M. Caspar s'est laissé séduire par une assimilation illusoire; il mérite le reproche que M. Koch lui fajt volontiers il est historien, il est philologue, mais il n'est pas théologien; il a pris contact avec la tradition chrétienne, il ne l'a pas pénétrée. Sur les origines de la hiérarchie ecclésiastique, on lira avec intérêt la courte brochure ï3 où le Dr Ch. Gore, ancien évêque d'Oxford, réfute les thèses du Dr Streeter; les lecteurs des Recherches conClément, Caspar croit retrouver non seulement les conceptions, mais même la langue théologique de l'Église de Jérusalem Pierre et Paul sont « les colonnes grandes et justes (ch. 5), de même que Jacques, Céphas et Jean étaient les colonnes (Gal., n, 9). 29. Dr Streeter and the Primitive Church. London, Mowbray. Cette brochure reproduit le texte d'une conférence donnée le 4 novembre 1930, et publiée ensuite dans le Church Times. 28. Chez

naissent le livre brillant et décevant de cet historien sur la Primitive l'origine, toute l'autorité de l'Église aurait été aux mains Église 3. des prophètes; puis, sous la pression des circonstances, la hiérarchie se serait constituée, selon des types divers, et à des dates diverses, selon les provinces. A cette hypothèse, le Dr Gore oppose le fait de la tradition apostolique et de l'épiscopat qui s'y rattache. L'ancien évêque d'Oxford a établi cette thèse dans son livre The Church and the Ministry; il en résume ici les conclusions dans un raccourci vigoureux. Sur la primauté romaine, on peut lire encore un livre de Mgr Chrysostome Papadopoulos, archevêque grec d'Athènes31. C'est moins une étude historique qu'un véhément réquisitoire contre les revendications romaines. A Césarée de Philippe, Pierre n'a pas parlé en son propre nom, mais au nom de tous les apôtres, et la réponse du Christ s'adresse également à tous; la pierre sur laquelle est fondée l'Église est la confession de Pierre, et non la personne de Pierre (p. 5 6). « II est aujourd'hui reconnu par la science, comme un fait historique incontestable, que le fondateur de l'Église de Rome a été l'apôtre Paul, et non l'apôtre Pierre »; « Paul, avant l'arrivée de Pierre, a organisé l'Église de Rome, et ordonné les premiers évêques Lin et Anaclet n (p. io-ii). « Après Paul et Pierre, l'autorité sur l'Église universelle appartint à l'apôtre Jean qui exerçait son apostolat en Asie Mineure » (p. 12). Ces quelques exemples feront connaître au lecteur le caractère de l'ouvrage. Toute discussion serait inutile. Du moins, nous accueillons le vœu que l'auteur exprime dans sa préface que le Père céleste montre à tous les chrétiens la vérité, et qu'il les achemine vers l'union.

à

IV.

Apocryphes juifs et chrétiens

La lettre d'Aristée est un des documents les plus anciens et les plus intéressants du judaïsme alexandrin; elle a été bien des fois éditée et étudiée32; elle n'avait pas jusqu'ici été l'objet d'un com30. Recherches, ig3o, p. 356-359. 31. T4 icpwxMov to\> èicicxôiTOu 'Pwjwi;. Athènes, iq3o, XVI-337 p. in-8. 32. En particulier par P. Wendland, Aristeae ad Philocratem epis-

tula (Lipsiae, igoo), et par H. St. J. Thackeray, The Letter of Aristeas, appendice à l'ouvrage de Swete, An Introduction to the Old Testament in Greek (Cambridge, 1902), p. 499-574. Wendland a publié aussi une traduction allemande de cette lettre dans la collection des Apocryphes de l'A. T. de Kautzsch (1900), et Thackeray une traduction anglaise (1908, Jewish Quarterly Review, XV, 337-391). Dans la collection des

mentaire détaillé; dans un article consacré à cette lettre, E. Bickermann écrivait naguère 33 « A bien des points de vue, il serait utile et nécessaire d'expliquer ce document remarquable de la civilisation alexandrine par un commentaire attentif qui en éclairât également la langue et la substance. » Nous possédons maintenant ce commentaire31: c'est l'œuvre posthume du P. Tramontano; le P. Strazzulli y a ajouté un appendice et le P. Vaccari une préface. Une introduction de plus de deux cents pages discute les nombreux problèmes que soulève cette lettre l'auteur se présente sous le nom d'Aiistée, écrivant à son irère Philocrate, et lui racontant comment Ptoiérnée II Philadelphe l'a envoyé à Jérusalem auprès du grand prêtre Eléazar pour en obtenir des traducteurs grecs du Pentateuque Eléazar a fait droit à cette requête et a envoyé à Alexandrie soixante-douze interprètes qui, non seulement ont fait leur travail avec une exactitude admirable, mais qui, de plus, ont émerveillé les Alexandrins par leur sagesse. La lettre, qui prétend avoir été composée du vivant de Philadelphe (mort en 246 a. C.), est certainement d'une date plus basse, et son auteur n'est pas le païen Aristée, mais un Juif alexandrin. La date, que beaucoup d'historiens ramènent maintenant au rer siècle av. Jésus-Christ, est fixée, par le P. Tramontano, comme par Schurer et par le P. Vincent, aux environs de l'an 200 la légende des Septante commence à se former, mais n'a pas encore le caractère merveilleux qu'elle revêtira chez Philon les soixante-douze sont des hommes très sages; ce ne sont pas des prophètes inspirés de Dieu (p. T76 sq ). Du récit d'Aristée, le P. Tramontano croit pouvoir tirer quelques faits historiques qu'il juge fermes (p. 122 sqq.) la version de la Loi a été faite sous Ptolémée Philadelphie, pour répondre aux besoins de la communauté juive d'Alexandrie; le roi a prêté son appui à l'entreprise, a écrit à Eléazar: le texte hébreu a été envoyé de Jérusalem; il était écrit en lettres hébraiques, non vocalisé; la version ainsi faite fut tenue à Alexandrie, dans la

Afocryfha and Psetidefigrafha de Charles, II, 83-122, H. T. Andrews a publié une traduction anglaise précédée d'une introduction et accompagnée d'un commentaire. 33. Zur Datierung des Pseudo-Aristeas. Zeitschrift jûr die N.T. Wissenschaft, igio, p. 296. 34. Raflfaele TRAMONTANO, S. J. La Lettera di Aristea a Filocrate. Introduzione, Testo, Versione e Commente. Prefazione del R. P. A. Vaccari. Napoli, iq3i. Xvr-208-266 p. in-8. Prix lire 5o. 35. Par Bickermann, entre 145 et 127.

communauté juive, pour une version authentique et officielle. La description que l'auteur juif nous a laissée de la Terre sainte, et surtout de Jérusalem et du Temple, est d'un haut intérêt 36. Son exégèse es>t d'un allégoriste, mais ne connaît pas l'outrance qu'on trouvera, par exemple, chez le pseudo-Barnabé [p. i3i); sa théologie ne mentionne pas le Logos, ni tous les intermédiaires qui joueront un si grand rôle chez Philon (p. 147). Ces exemples, choisis entre bien d'autres, montreront l'intérêt de ce livre. Le texte est édité avec soin; le commentaire et l'introduction sont très attentifs, un peu longs peut être et un peu diffus. On sent que l'auteur n'a Das pu mettre la dernière main à son œuvre37; mais, telle qu'elle est, cette oeuvre rendra service aux historiens et aux exégètes. De l'évangile de Pierre nous ne possédons qu'un fragment, découveit à Akhmim, en 1886-1887, au cours des fouilles conduites par M. Grébaut, et publié pat M. Bouriant en 1892. Ce fragment, qui, dans l'édition des Atttilegomena de Preuschen, ne couvre guère que 4 pages, est étudié par M. Vaganay dans un livre considérable38 près de zoo pages d'introduction, près de i5o pages de commentaire. Nous ne nous plaindrons pas de cette richesse. Ce court récit de la passion et de la résurrection du Seigneur a provoqué, surtout dans les dix années qui suivirent son apparition, des commentaires si nombreux et si divers, qu'on avait peine à se reconnaître dans cette immense littérature. M. Vaganay y sera notre guide; il expose avec clarté les interprétations qui s'affrontent et, de toute cette discussion, dégage des conclusions fermes. L'évangile de Pierre ne peut aucunement être comparé, comme valeur historique, aux évangiles canoniques. Lui-même dépend de nos quatre évangiles cette dépendance, très marquée vis-à-vis de Matthieu (p. 52) et de Marc (p. 54), moins accusée mais certaine encore vis-à vis de Luc (p. 58), est, par rapport à Jean, hautement vraisemblable (p. 65). L'histoire évangélique est d'ailleurs traitée 36. V. les deux articles du P. Vincent, Revue biblique, 190S, p. 520532, et 1909, p. 535-575. Cf. le commentaire de Tramontano, p. 99 sqq. 3/. Le P. Strazzulli nous avertit que l'introduction a été composée après le commentaire et que, dans les cas de divergence, c'est dans l'introduction qu'il faut chercher la pensée définitive de l'auteur. On sent de même, ici ou là, quelque divergence entre la traduction et le commentaire, par exemple n. 265 en ce cas on donnera la préférence au commentaire. 38. Léon VAGANAY, l'Évangile de Pierre. Préface par le R. P. Lagrange. Paris, Gabalda (Collection Études bibliques), 1930, XXIII357 p. in-8°. Prix

5o fr.

librement; elle semble s'inspirer de la prédication populaire, donnant au récit un caractère apologétique très accusé; les traces de docétisme ne prouvent pas que l'écrit ait été l'oeuvre de sectaires; on y verra plutôt l'influence d'une christologie populaire, analogue à celle des Actes de Pierre, des Odes de Salomon, ou même de Clément d'Alexandrie (p. 119). Cet évangile doit être daté des années I2O-i3o, son origine doit être cherchée dans la région d'Antioche. Ces conclusions nous paraissent très judicieuses; sur quelques points peut-être on les pourrait compléter39; mais ces compléments sont accessoires et ne modifient pas les grandes lignes de l'ouvrage. Cette édition nous donne un excellent instrument de travail, et nous en sommes reconnaissants à M. Vaganay.

Les Origines de la littérature chrétienne et du dogme chrétien V.

En 1906, paraissait la sixième édition de V Introduction au Nouveau Testament du professeur de Marbourg, A. Jiïlicher; la septième vient de paraître40. Pendant ces vingt-cinq ans, bien des questions se sont renouvelées, et le livre est en partie nouveau. L'auteur, frappé de cécité en r925, a pu se remettre au travail et suivre encore ['immense littérature du sujet. Il s'est associé pour la préparation de cette édition le professeur E. Fascher, récemment nommé à Iéna. Les deux auteurs se sont partagé le livre Jülicher s'est chargé des épîtres de saint Paul, de l'histoire du canon et du texte du Nouveau Testament Fascher, de l'Introduction, des pastorales, des épîtres catholiques, des évangiles.

Vaganaynote justement (p. 206) «Pour lui, les Juifs en général sont bien les seuls bourreaux de Jésus » la remarque est trèsjuste, et peut-être pourrait-on y insister davantage l'évangile de Pierre a un caractère antijudaique qui fait contraste avec celui des évangiles canoniques et qui, par contre, l'apparente avec la Didascalie; voir sur ce point les remarques de C. Schmidt, Ges-pràche ]esu (Leipzig, 1919, p. 667 sq.). On pourrait faire une remarque semblable à l'occasion du jeûne des apôtres, du rôle d'Hérode dans la Passion, de l'apparition chez Lévi, etc. Sur ces différents points, cf. Connolly, Didascalia Apostolorum, p. 181, i83, 189, igo. M. Vaganay a raison d'écarter la thèse de Harnack, faisant de l'évangile de Pierre la source unique de tous les détails apocryphes qu'on remarque dans la Didascalie; mais je pense qu'il en a un peu réduit l'influence. 40. Ad. JOlicher, Einleitung in das N. T. 7te Auflage, neubearbeitet in Verbindung mit E. Fascher. Tübingen, Mohr, ig3i,xvi-629p. in-8°. 39. M.

Prix

20 Mk.

Le caractère du livre reste le même un manuel, destiné avant tout mais qui peut être lu avec intérêt par le grand public; étudiants, aux la polémique est réduite au minimum; dans ces questions si vivement controversées, les auteurs se prononcent avec décision et clarté. Le professeur Fascher est, on le sait, un représentant de l'école de la Formgeschichte il en expose et en défend volontiers les thèses, de même que celles de l'école comparatiste. Il écarte d'ailleurs toutes « Schallanalyse41 » et tout autant les négations les fantaisies de téméraires de Drews, de Couchoud et de Chamberlain (p. 28). Dans la vie de saint Paul, la chronologie a été de nouveau étudiée par Julicher il reconnaît, comme tous les autres historiens, l'importance décisive de l'inscription de Delphes42; partant de là, il détermine ainsi les grandes dates de la vie de saint Paul conversion, en 33; concile de Jérusalem, 49; arrivée en Macédoine, 5i; séjour à Corinthe, automne 5i jusqu'au printemps 53; séjour à Éphèse, été 5.; jusqu'à l'automne 56; arrivée à Jérusalem et captivité, été 58; arrivée à Rome, printemps 61 j martyre, 63. L'hypothèse, acceptée par bien des historiens récents, d'une captivité à Éphèse, est écartée (p. 43 sqq.). Parmi les épîtres, les quatre grandes sont d'une authenticité incontestable; de même, Thess., PhiL et PMlèmon; les pastorales sont certainement apocryphes; II Thess., Ephes. et Col. sont douteuses. La question des destinataires de l'épître aux Galates a été débattue avec une passion que son importance ne justifie pas; l'hypothèse de la Galatie du sud est peu probable (p. 73). La composition Cor. soulève des problèmes qui ne sont pas résolus avec certide tude il semble toutefois que les chapitres x-xiii sont postérieurs au reste de l'épître et constituent une nouvelle lettre. Dans l'étude de laquestion synoptique, Fascher se rallie à l'hypothèse des deux sources principales, Q et Marc; Mt. et Luc ont encore utilisé d'autres sources écrites; ils sont indépendants l'un de l'autre. La date de Matthieu est rapportée aux années 80-100; Marc, apiès 70 Luc, entre 80 et 110. Le quatrième évangile date du second siècle; l'auteur est inconnu; le livre ne nous apprend rien de l'his-

la

41. Les tenants de cette méthode prétendent reconnaître au « son » de la voix les différents auteurs d'un document ainsi, dans l'épître aux

Romains, Sievers distingue le son de la voix de Paul, de Silvanus, de Timothée et d'un anonyme. 42. P. 41, cf. 32 on s'étonne de voir mentionné le seul Deissmann heureusement, Deissmann lui-même a rendu hommage à Bourguet qui

publié l'inscription, et à ceux qui en ont les premiers signalé la portée pour la chronologie paulinienne A. J. Reinach, W. M. Ramsay, H. Coppieters. L. Tatabert_~rt"caa~ L.. J~tdUC~t.

1

toire de Jésus, mais il a une grande importance pour l'histoire ancienne de l'Église. Ces thèses sont radicales; du moins respectent-elles l'unité littéraire de la plupart des livres du Nouveau Testament. On se félicite de ne pas retrouver ici les dissections littéraires auxquelles se complaît, depuis une quinzaine d'années, M. Loisy. L'ouvrage de M. Goossens, sur les Origines de l'Eucharistie*3, est publié dans le recueil des thèses de Louvain; c'est une honorable recommandation, et il en est digne. Depuis trente ou quarante ans, les recherches et les hypothèses ont pullulé autour des origines de l'Eucharistie; la plupart de ces travaux viennent des critiques indépendants; peu de catholiques ont le loisir de suivre cette immense littérature; et parmi ceux qui s'y consacrent, la plupart sont lassés par ce jeu décevant. Et pourtant tout ce labeur n'est pas entièrement stérile il n'est pas sans intérêt pour l'historien du dogme de constater, par exemple, que les travaux de l'école comparatiste ramènent la plupart des critiques indépendants à l'interprétation réaliste des textes de saint Paul. Faut-il aller plus loin, et chercher dans les religions à mystères des analogies, bien lointaines sans doute, mais suggestives, par lesquelles on s'efforcera d'éclairer la signification primitive de l'Eucharistie, sacrement, sacrifice, et aussi drame mystérieux? Tous ces problèmes ont été souvent agités au cours de nos Bulletins. Nous nous réjouissons de les voir étudiés d'ensemble par M. Goossens. Dans une première partie (p. 1-98), l'auteur expose « les opinions récentes touchant les origines de l'Eucharistie » dans la seconde (p. 99-248), il étudie « l'Eucharistie dans les écrits du Nouveau Testament »; dans la troisième (p. 249-384), il recherche « les origines chrétiennes de l'Eucharistie ». Ces études montrent un écrivain érudit, judicieux, et dont les dissertations se lisent sans peine; on souhaiterait parfois une discussion plus poussée ainsi on est un peu désappointé de lire, p. 59, au début du chapitre consacré au sacrifice eucharistique « Nombreux sont les articles provoqués par les controverses nouvelles, surtout par le dernier ouvrage (du P. de la Taille). Quelque intérêt qu'elles présentent, l'objet de notre dissertation nous défend de les aborder. » Il semble pourtant que l'étude de ces controverses eût 43. Werner GOOSSENS, Les Origines de

V

Eucharistie, Sacrement et

Sacrifice. Gembloux, Duculot; et Paris, Beauchesne, 1931, XXIII-390Pin-8". Prix 5o fr.

intéressé les origines de l'Eucharistie plus que ne pouvait le faire la discussion de mainte fantaisie, par exemple de R. Eisler, sur VaphiSomen(p. 8-i5;cf. p. 377). M. Goossens attache la plus grande importance à la notion de mystère; il tient à montrer que « l'Eucharistie conçue comme un rite sacramentel, sacrificiel et mystérique est une institution qui a pour auteur Jésus lui-même » (p. 373); que les traits essentiels de l'Eucharistie catholique se concentrent en trois foyers « le mystère-commémoration, le sacrifice et le sacrement » (p. 366), et de ces trois éléments, l'élément « mystérique » lui paraît le plus important (p. 248) c'est la notion fondamentale, celle qui fournirait un cadre où toute la doctrine eucharistique viendrait s'insérer à souhait. Je ne puis m'empêcher de voir dans cette préférence un peu d'exagération je n'ai que de la sympathie pour les travaux de Dom Casel; dès l'année 1924 (Récite ches, p. 348-352), je me suis efforcé d'en montrer le grand intérêt et la portée; mais il ne me viendrait pas à l'esprit de donner, dans l'interprétation de la doctrine eucharistique, plus d'importance au « mystère » qu'au sacrement et au sacrifice cette représentation vivante et dramatique de la Passion du Seigneur est sans doute un aspect très saisissant de notre liturgie; mais cet aspect importe incomparablement moins que la réalité elle-même et cette réalité, c'est la présence du corps du Christ, livré pour nous; c'est le sacrement, et c'est le sacrifice. Ce sont ces deux termes seuls que M. Goossens a retenus dans le titre de son livre « les Origines de l'Eucharistie, Sacrement et Sacrifice »; c'est à eux que nous reviendrons de préférence, en laissant au second plan l'élément « mystérique ». Le professeur R. Stapper, de Münster, réédite, en le développant,

de liturgie catholique44. Après un chapitre d'introduction sur la liturgie catholique, l'auteur étudie les édifices liturgiques, l'année liturgique, la prière liturgique, la messe, les sacrements et les sacramentaux. Cet exposé rapide et son manuel

44. R. STAPPER, Katholische Liturgik. Münster, Aschendorff, 1931, viil-314 P- in-8°. Prix Mk. 7,45. Dans son avant-propos, il écarte les

exagérations de la théorie « mystérique » « On en vient à dire qu'à chaque consécration de la messe, à chaque baptême ou administration des autres sacrements, toute la vie de Jésus, depuis sa conception jusqu'à sa parousie, acquiert « en mystère » une nouvelle présence substantielle. Tant qu'on n'aura pas allégué, pour justifier ces hypothèses, de meilleures preuves que celles qui ont été produites jusqu'ici, je penserai qu'on ne peut en faire le fondement d'un enseignement théologique. »

illustré par un bon choix de photographies guidera utilement les étudiants. Le chapitre le plus important est celui qui est consacré à la messe (p. 174-264) l'auteur part de l'idée du sacrifice, il étudie ensuite le sacrifice de la croix, puis l'institution de l'Eucharistie; il conduit ainsi son lecteur, dès les premières pages, au cœur de la doctrine eucharistique. Aux lecteurs de langue française je n'ai pas besoin de rappeler l'encyclopédie liturgique, Liturgia, dont le P. d'Alès a rendu compte dans son dernier Bulletin (p. 256).

La dissertation de M. J. Rybinski sur l'Ange de IahvêiS a été présentée à la Faculté de théologie de Fribourg en Suisse comme thèse de doctorat. L'auteur remarque qu' « il n'a trouvé aucun travail où la question de l'Ange de Iahvé fût étudiée pour elle-même et considérée sous tous ses aspects ». Il a voulu combler cette lacune. Dans une première partie (p. 9-61), il étudie les théophanies de l'A. T.; la deuxième partie contient quatre chapitres le premier consacré à l'Ange du Seigneur dans le N. T. (p. 63-72); le deuxième, à l'interprétation des théophanies chez les Pères antérieurs à saint Augustin (p. 73-102); le troisième, à saint Augustin (p. 103-114); le quatrième, à saint Thomas (p. n5-i2o). Toutes ces études tendent à une conclusion unique l'Ange de Iahvé n'est pas une personne divine et n'a jamais été considéré comme tel; c'est un ange, envoyé par Dieu et le représentant. Nous nous rallions sans peine à cette thèse théologique; mais nous devons faire plus d'une réserve sur les arguments mis en œuvre, surtout sur l'exégèse des textes patristiques. Nous nous en sommes longuement expliqué ailleurs; nous jugeons superflu d'y revenir ici46. L'ouvrage de M. J. Biard sur les Dons du Saint-Esprit 47 comprend deux parties la première (p. 11-7S) est consacrée à l'exposé et à la critique de la doctrine de saint Thomas; la deuxième (p. 77-194) est une enquête sur la théologie de saint Paul. Cette deuxième partie seule intéresse l'histoire des origines chrétiennes. 45. J. Rybinski, Der Mal'ach lahwe. Paderborn, Schoningh, 1930. 123 p. in-8°. 46. Dans le second volume de l'Histoire du Dogme de la Trinité, et,

plus récemment, dans une dissertation publiée dans les Miscellanea Agostiniana, II, p. 821-836, « Saint Augustin théologien de la Trinité. Son exégèse des théophanies ». 47. J. BIARD, Les Dons du Saint-Esprit, d'après saint Thomas d'Aquin et d'après les épîtres de saint Paul. Avignon, Aubanel fils aîné, io3o. 206 p. in-8°.

L'auteur analyse successivement les épîtres pauliniennes et, dans chacune d'entre elles, il relève l'enseignement de l'Apôtre sur les dons du Saint-Esprit, les fruits, les béatitudes, les charismes. Cette étude est très attachante; elle est difficile, l'apôtre ayant souci des grâces divines telles qu'elles s'épanouissent dans les âmes, au milieu de mille souffrances, luttes ou joies, mais prêtant moins d'attention aux classifications théoriques. La difficulté s'accroît encore du fait de la langue paulinienne, si pleine de sève, si concrète, mais souvent si rebelle aux précisions des lexicographes; dans le sujet qui nous occupe, il suffit de considérer le mot « esprit » pour sentir l'extrême complexité des idées qu'il évoque et aussi des questions qu'il soulève. Ces difficultés n'entravent-elles pas parfois l'exposé de M. Biard? Je n'oserais pas le dire48; malgré tout, on lui saura gré d'avoir consacré à la doctrine spirituelle de l'apôtre ces chapitres pleins de foi et de piété. L'ouvrage de M. R. Asting sur la 'Sainteté dans le christianisme primitif*9 est une thèse préparée sous la direction de Bultmann et présentée à la Faculté de théologie protestante de Marbourg. C'est une étude lexicographique, mais surtout théologique et religieuse; l'auteur part du vocabulaire sacré et s'efforce de déterminer l'idée de sainteté, dans le judaïsme d'abord, puis dans le christianisme tel que nous le font connaître les écrits du N. T. et ceux des Pères apostoliques. Dans les évangiles synoptiques, Asting reconnaît la plus ancienne tradition chrétienne, celle qui maintient le plus fidèlement l'empreinte juive; dans le titre donné à Jésus, « saint de Dieu », il voit Ainsi l'interprétation donnée, p. i37, de Cor., 14, 14, « mon esprit prie, mon intelligence est stérile », me semble inexacte « Mon esprit désigne ici sans conteste tout le côté émotif de l'âme. mon intelligence, c'est la faculté des idées claires, de la science naturelle et surnaturelle. » Le P. Prat, Théol. de s. Paul, II, 491, l'entend mieux «Son esprit, c'est-à-dire lui-même sous l'impulsion de l'EspritSaint, priait et bénissait Dieu; mais son intellect était inactif. » Je regrette aussi l'insistance avec laquelle l'auteur, surtout dans sa première partie (p. 8, zo, 33-58), interprète les dons du Saint-Esprit par analogie avec l'instinct des animaux; il y gagne de mettre l'accent sur le caractère comme inné qui fait de ces dons le principe d'une nouvelle nature mais il s'expose à les trop rapprocher de ces poussées physiologiques qui sont en nous l'élément le plus trouble; l'action du Saint-Esprit vient d'en haut, et non d'en bas. 49- R. Asting, Die Heiligkeit im Urchristentum. Gottingen, Vandenoeck, ig3o. xn-332 p. in-8«. Prix Mk. 48.

iq,5o.

un titre messianique 50; il étudie avec beaucoup de soin la prière du Seigneur, « que ton nom soit sanctifié »; il voit dans cette sanctification la condition de l'avènement du règne51; puis il expose la doctrine du Saint-Esprit, et particulièrement du péché contre le Saint-Esprit; sur ce point, son interprétation est tout à fait invraisemblable S2} on laissera tomber ce trait, et l'on retiendra que l'Esprit est saint parce qu'il est divin (p. 98, cf. i33). Dans le christianisme apostolique contemporain de saint Paul, ces conceptions se développent et s'enrichissent: entre la conception juive et celle qui s'épanouit maintenant, il y a la relation de la pro: phétie à la réalité Jésus est venu, le Saint, le Serviteur de Iahvé, l'Élu de Dieu, le Messie, qui accomplit sur terre l'œuvre de Dieu (p. 188, cf. n3); les chrétiens sont le peuple de Dieu, le nouvel Israël; ils sont saints (p. 133 sqq.). Asting estime que ce titre est réservé d'une façon spéciale aux chefs de l'Église 53, et particulièrement de l'Église de Jérusalem. Saint Paul a, par son expérience personnelle54, puissamment enrichi la conception de la sainteté; l'aspect mystique et moral est beaucoup plus marqué (p. 195, 202); la nouveauté de cette doctrine morale consiste surtout dans la possession du Saint-Esprit et l'incorporation au Christ (p. 2i5). Le chrétien reçoit cette grâce; il doit la développer et tendre, par l'action morale, à l'accomplissement de la sainteté (p. 229). Après une étude des Pères apostoliques, l'auteur passe aux écrits johanniques, l'Apocalypse et le quatrième évangile. Sur ce point, son étude est faussée par l'acceptation de l'hypothèse de l'influence mandéenne (p. 309 sqq.); on y relèvera cependant des traits intéressants, par exemple l'intime union du Père et du Fils dans tout l'évangile (p. 307). 5o. La preuve manque

attesté.

ce titre messianique n'est pas autrement

5t. Ce sens est plausible, mais je doute qu'il s'impose;ilme semble que cette prière se comprend aussi bien en dehors de toute préoccupation eschatologique cette sainteté du Père, que Jésus adore, doit être partout reconnue et adorée. 52. Cette condamnation sévère marquerait que l'Esprit-Saint est un

tabou.

point est particulièrement discuté p. 159-187; même interprétation de l'Apocalypse, xvin, 20 (p. 392). Cf. dans le sens contraire, Delehaye, Sanctus (Bruxelles, 1927), p. 27, n. 2. 54. Asting estime que Paul a subi en ce point l'influence hellénistique beaucoup plus que l'influence juive (p. 191); je ne vois pas qu'il l'ait 53. Ce

prouvé.

Notre rapide analyse aura montré l'intérêt capital des problèmes soulevés au cours de ce livre. La solution proposée provoquera souvent des réserves mais la discussion n'aura pas été stérile. L'hypothèse des influences mandéennes, invoquée une fois de plus par M. Asting, a été de nouveau réfutée avec beaucoup de force par M. Lietzmann, dans une communication à l'Académie de Berlin; il rappelle la réserve de l'éditeur des textes mandéens, Lidzbarski, les avertissements pressants de M. Peterson en Allemagne, de M. Burkitt en Angleterre, du P. Lagrange en Fiance; ils n'ont pas été entendus; et pourtant ils méritaient de l'être « Les Mandéens n'ont aucune relation avec les disciples de Jean; les écrits qui nous sont parvenus sont, aussi bien que leurs usages rituels, très fortement influencés par un christianisme ecclésiastique déjà pleinement formé. D'aucune façon, ils ne peuvent être considérés comme des témoins d'un mouvement contemporain des origines chrétiennes. Tout cela peut être prouvé »; et, en effet, M. Lietzmann le prouve 55. Espérons que sa voix sera mieux écoutée que celle de ses devanciers. Les lecteurs des Recherches connaissent le livre de M. Glover sur V Influence du Christ dans l'Ancien Monde'6. Le même auteur reprend aujourd'hui le même thème, sous un autre aspect le Monde du Nouveau Testament 57. Laissant de côté la conquête chrétienne, il décrit le monde hellénique et romain que le christianisme a conquis. D'autres historiens s'attacheront à dépeindre les tares du monde païen, et exploiteront Juvénal et Martial; d'autres encore chercheront à ressusciter les religions orientales et les mystères, et prétendront les mieux connaître que ne les ont connus les anciens. Glover juge plus équitable et plus prudent d'étudier l'antiquité telle qu'elle se présente en pleine lumière, et dans ce qu'elle a de meilleur. Ainsi l'on connaîtra le monde que l'Eglise dut conquérir; l'immensité de la tâche et la grandeur de la victoire feront comprendre la puissance du christianisme. C'est ainsi que l'historien décrit: le Grec; Alexandre; le Romain; le Juif; l'empire romain; la cité grecque; le citoyen de l'empire. Ces chapitres sont brillants, écrits presque tous sauf celui qui est consacré au Juif avec une vive sympathie. L'hellénisme surtout H. Lietzmann, Ein Beitrag zut Mandâerjrage. Extrait du compte rendu des séances de l'Académie de Berlin. Berlin, De Gruyter, ig3o. 15 p. in-4°. Prix i Mk. 56. Cf. Recherches, ig3o, p. 35o sq. 57. T. R. GLOVER, The World ot the N. T. Cambridge University Press, iç3o. 191 p. in-120. Prix 6/ net. 55.

est pleinement compris et aimé c'est l'idéal athénien tel qu'il est proposé par Périclès, au second livre de Thucydide que tout citoyen tende à devenir meilleur, développe son individualité, comprenne le monde où il vit, consacre toutes ses forces au progrès de l'État (p. m); c'est encore cet amour de la vérité si vivement rendu par Euripide « Quand une fois j'ai vu la vérité fait-il dire à Phèdre, il n'y a pas de charme au monde qui puisse faire que je ne la voie pas ni que je perde ce que j'ai vu. » Le Romain n'a pas cette curiosité toujours en éveil, mais il a été formé par la Loi tout enfant, il a appris par cœur les XII Tables, « de même que le petit Grec, l'Iliade et l'Odyssée; le petit Écossais, le catéchisme; le petit Anglais, rien du tout » (p. 73); il saura gouverner le monde, il y établira cette Pax Romana que tous les sujets de l'empire, païens et chrétiens, ont célébrée à l'envi (p. 120). Tout cela est grand, et tout cela a été conquis par l'Évangile! C'est le dernier mot du livre. De Cambridge encore nous vient un autre petit livre, écrit sur un grand sujet par un historien qui le connaît bien et qui le rend accessible à tous les Origines de la théologie chrétienne, par le chanoine Mozley 58. Les sept chapitres de ce livre sont des conférences diffusées les sans-filistes auxquels elles sont adressées ne sont pas des spécialistes de la théologie chrétienne; on ne cherchera donc pas ici de discussion technique, mais on y trouvera un exposé très lucide des grands problèmes des origines chrétiennes et de leur solution. Le Nouveau Testament est né de la foi de l'Église, il ta reflète et il nous révèle le Christ, objet central de tous ces livres; c'est la même foi que les Pères apostoliques prêchent, que les apologistes proposent au public païen, que les controversistes défendent contre les gnostiques. Les derniers chapitres esquissent la philosophie des maîtres d'Alexandrie, exposent le rôle de l'Écriture, du symbole, de l'Église, et enfin l'histoire du concile de Nicée. Ces conférences du chanoine anglican de Saint-Paul mettent bien en lumière la foi traditionnelle de l'Église; l'historien en aimera l'exposé lucide et il y apprendra comment les plus hauts problèmes religieux peuvent être présentés à des auditoires profanes et, sans être déformés, peuvent être mis à leur portée.

La même démonstration apparaît, avec plus de puissance et d'éclat, dans les Conférences du P. Pinard de la Boullaye59. Dans 58.

J. K. Mozley, The Beginnings of Christian Theology. Cambridge

University Press, ia3i. i38 p. in-12. Prix 5/ net. 59. H. PINARD DE LA BOULLAYE, Jésus Messie. Le Thaumaturge et le

les carêmes de içSo et

içSi, on retrouvera la méthode que nous

décrivions l'an dernier (p. 344 sqq .) en parlant des conférences de 1929: l'orateur lui-même la caractérise ainsi au début de sa conférence sur la résurrection de Jésus « Pour l'honneur de la cause que je défends, comme par respect pour vous-mêmes, permettez-moi, aujourd'hui plus que jamais, de parler raisons et d'éviter développements et digressions oratoires. Allons aux preuves! » La démonstration se poursuit ainsi, rigidement tendue, vers la thèse qu'il faut établir: ce Jésus, dont la réalité historique a été établie en 1929, est démontré Messie; en 1930, cette démonstration est fondée sur le témoignage de Jésus, son autorité, son caractère; sur le témoignage des prophètes; enfin, sur la preuve décisive de sa résurrection en"' igii, sur les miracles et les prophéties de Jésus. Ces arguments sont très puissants; ils dépassent même la conclusion où le conférencier s'arrête; lui-même le remarque à la fin de sa dernière conférence

J'ai cru plus opportun de distinguer avec soin ces deux problèmes, la mission surnaturelle du Christ, sa divinité, et de n'aborder le second qu'après avoir exposé quelques-unes au moins des raisons qui nous permettent de donner au premier une réponse irrécusable. Pour ce motif, au lieu de laisser les textes et les faits répandre toute leur lumière, fréquemment, j'en ai voilé l'éclat. Dans un an, s'il plaît à Dieu, nous reprendrons cette étude.

L'an prochain, nous nous remettrons avec confiance sous la conduite de ce maître prudent et ferme, et nous pénétrerons, guidés par lui, jusqu'au Saint des saints.

VI.

Études d'histoire ancienne de l'Église et de théologie patristique

Le manuel de Patrologie de G. Rauschen a été, en 1921 et 1026, lemanié et réédité par J. Wittig; B. Altaner, professeur à Breslau, en donne aujourd'hui une dixième édition60. L'éditeur a pris un soin spécial de mettre à jour la bibliographie; il nous dit dans sa préface qu'il a relevé 2 3oo publications, datant pour la plupart des années 1925-ig3i; il en a retenu 1800. La lecProPhète. Conférences de Notre-Dame de Paris. Années iq3o et iq.3i. Paris, Éditions Spes, 1930, io3i. 270 et 286 p. in-8°. Prix: 13 fr. le volume. 60. RAUSCHEN-ALTANER, Patrologie. Freiburg, Herder, 1931. xx-442 p. in-8». Prix: loMk.

ture du livre confirme les promesses de la préface; la bibliographie, française aussi bien qu'allemande, est relevée avec le plus grand soin, du moins pour les six dernières années. Pour les ouvrages anciens, on en trouvera une liste plus complète chez Bardenhewer; mais, en attendant une réédition de cette Histoire, on devra, pour la bibliographie récente, se référer à la Patrologie de Rauschen. Le travail de M. Altaner ne s'est pas borné à ces recherches bibliographiques; plusieurs questions, dont l'étude a été renouvelée depuis dix ou quinze ans, ont été, dans cette nouvelle édition, entièrement revues; ainsi l'histoire des origines du symbole (p. 24 sqq.); celle des apocryphes clémentins (p. 60), de la Didascalie (p. 28), de la Tradition apostolique (p. 27), de la Lettre des apôtres (p. 45), etc. Ainsi rajeuni, ce Manuel est un excellent instrument de travail, et nous sommes heureux de le recommander. Les apocryphes clémentins, nous venons de le remarquer, sont un des recueils anciens que la critique de ces dernières années a le plus étudiés et avec le plus de fruit; il y a deux ans, nous faisions connaître le travail de C. Schmidt et ses conclusions cl. Ces recherches critiques, activement poussées en Allemagne, étaient moins familières aux Français; les lecteurs de cette Revue ont pu lire d'excellents articles de M. Cerfaux et de M. Cadiou62; une étude d'ensemble nous manquait; M. Cullmann nous la présente dans la Collection d'Études publiées par la Faculté de théologie protestante de Strasbourg 63. Son travail provoque de graves réserves; il pourra rendre cependant des services très appréciables. Après une longue introduction où l'état des textes est exposé et les hypothèses critiques passées en revue (p. i-57), l'auteur propose son sentiment sur l'histoire littéraire des écrits clémentins (p. 58-169). Il suit dans son ensemble le système élaboré par Waitz et corrigé par C. Schmidt, mais en l'amendant sur quelques points: à l'origine, un écrit fondamental, composé probablement en Syrie, entre 220 et 23o (p. i56 sqq.); cet écrit utilisait des livres antérieurs les Prédications de Pierre, composition ésotérique, imprégnée d'une gnose juive, datant, d'après Cullmann, des premières années du deuxième siècle et écrite en Transjordane (p. 96-98); l'Itinéraire de Pierre, remaniement plus orthodoxe de l'écrit précédent, composé en Syrie au début du troisième siècle (p. n5); une Apologie juive, d'origine 61. Recherches, 1929, p. 373-375. 62. Recherches, 1925, p. 489-511; 1926, p. 5-20; 1928, p. 143-163; 1930, p. 5o6-528. 63. O. CULLMANN. Le Problème littéraire et historique du roman pseudo-clémentin. Paris, Alcan, 1930. vm-272 p. in-8°. Prix 35 fr.

orientale, composée peu avant i35 (p. i3o); tout cela était encadré dans un roman d'origine orientale (p. 141). Cet écrit de base a été à son tour remanié sous diverses formes les Homélies, composées en Syrie par un auteur judéo-chrétien, probablement avant Nicée (p. 160 sqq.); les Reconnaissances, qu'on situe aussi en Syrie, qu'on date de la fin du troisième siècle, mais dont l'auteur ne semble pas judéo-chrétien (p. 164 sqq.); enfin, les Êpitoniés, où tout vestige hétérodoxe est effacé et où la forme légendaire est plus libre (p. 16S). Cette analyse nous paraît, dans l'ensemble, judicieuse; sur quelques points, Cullmann corrige utilement Schmidt bi; parfois, au contraire, ses conjectures personnelles sont fragiles ainsi surtout la date très reculée des Prédications de Pierre; je ne vois aucune raison de les reporter aux premières années du deuxième siècle, et non pas aux années i35-i38, comme l'avait supposé Waitz, ou même 200, comme le pensait Schmidt. Je crains bien que la principale raison qui entraîne Cullmann à cette date reculée soit le désir de reporter au christianisme primitif la gnose juive qu'il voit dans les Prédications.

Cette thèse d'une gnose primitive, conçue comme une source du christianisme, est en effet la préoccupation constante de l'auteur il l'établit dans son Avant-propos, et il consacre à la démontrer la troisième partie de son ouvrage « Le problème historique posé par les pseudo-Clémentines » (p. 170-260). Cette démonstration est très tragile. H est certain qu'au premier siècle la gnose s'attaquait déjà au judaïsme, comme bientôt elle s'attaquera au christianisme C5 mais il est bien périlleux de vouloir imaginer cette gnose d'après les livres mandéens et c'est un grave contresens que d'expliquer par elle le quatrième évangile; dans cet essai, M. Cullmann dépend grandement de Reitzenstein; dans les livres du philologue allemand, on est souvent ébloui par la richesse de l'érudition; on oublie la thèse, qui est précaire, pour cueillir au passage des rapprochements curieux et souvent suggestifs. Chez M. Cullmann, la thèse apparaît seule, avec son irrémédiable fragilité. On regrette tant d'efforts prodigués en vain; la littérature clémentine est obscure; projetée dans ce monde imaginaire, elle devient Si l'on écarte ces spéculations, on retiendra l'analyse littéraire

inintelligible.

Ainsi, p. 104, il a raison d'utiliser contre Schmidt les remarques publiées ici par Cerfaux. Dans la référence, on corrigera une faute d'impression Recherches, igsS et non ig2g. 65. Cf. notre Histoire du Dogme de la Trinité, II, p. 81-93. 64.

des écrits clémentins; le problème était ardu, nous savons gré à M. Cullmann de nous aider à le résoudre. M. Resch a voulu reprendre et poursuivre l'histoire de l'ascétisme commencée par son confrère M. Martinez l'étude de celui-ci se

siècle™.

bornait aux trois premiers siècles de l'Église; le nouveau livre expose la Doctrine ascétique des premiers maîtres égyptiens du quatrième C'est un très beau sujet, mais dont l'étude est assez difficile: sur les grands maîtres de l'ascétisme égyptien, Antoine, Macaire, Pacôme, bien des problèmes littéraires se posent, qui ne sont pas tous résolus. M. Resch en a eu conscience, mais il a estimé justement que « les lignes générales de l'ascétisme, telles qu'elles sont tracées dans son étude, n'auront pas trop à souffrir de l'incertitude du problème des textes» (p. xxx). Dans une première partie, l'auteur décrit « la Voie de la perfection »; son terme la vertu et l'union à Dieu les étapes qui y conduisent enfin, l'appel à la vie parfaite, l'attrait que les paroles du Christ et l'exemple des saints, particulièrement de saint Antoine, ont exercé sur les âmes. Dans la seconde partie, M. Resch décrit les « renoncements », ceux qui sont provoqués par les conseils évangéliques virginité, pauvreté, fuite du monde; puis ceux que la loi chrétienne impose à tout chrétien lutte contre les péchés et les vices. La troisième partie décrit « la marche vers l'idéal » les soutiens qu'elle trouve dans la prière, l'eucharistie, l'exemple des saints, la direction; puis la pratique des vertus, la foi, la mortification, l'humilité, la générosité. De tout cela se dégage un idéal de sainteté, austère sans doute, mais sans dureté, sans orgueil, paisible, charitable, accueillant. C'est par la contemplation de cet idéal que s'achève le livre. De cette monographie je suis heureux de rapprocher le livre du P. Viller sur la Spiritualité des premiers siècles chrétiens*7. C'est une esquisse, écrite pour la Bibliothèque catholique des sciesices religieuses. Il fallait resserrer l'étude de cet immense sujet en un petit volume de moins de 200 pages. Heureusement servi par une connaissance approfondie de tout le passé chrétien, le P. Viller l'a fait revivre tout entier, depuis les évangiles et les épîtres de saint Paul jus-

P. RESCH, la Doctrine ascétique des premier;, maîtres égyptiens du quatrième siècle. Paris, Beauchesne, iq3i. XXXvm-286 p. in-8°. 67. M. VILLER, la Spiritualité des premiers siècles chrétiens. Paris, Bloud, 1930. 189 p. in-12. Prix. 6E.

12

fr.

qu'aux Dialogues de saint Grégoire. Ces chapitres rapides ne sont pas des nomenclatures d'écrivains et de livres, mais des tableaux pleins de vie, par exemple sur le martyre, sur la virginité, sur la vie des Pères du désert, sur les mystiques grecs, sur la sainteté dans le monde, sur les formes antiques de la dévotion chrétienne. Les spécialistes eux-mêmes trouverontà apprendre dans ces pages si denses, par exemple sur Diadoque, sur Evagre, sur saint Maxime; tous les chrétiens trouveront à s'y édifier. Méthode d'Olympe, longtemps négligé, attire maintenant l'attention des éditeurs et des historiens l'an dernier, nous signalions les deux thèses de M. Farges; cette année, nous avons sous les yeux l'édition que M. Vaillant vient de donner du De Autexusio 88. Ce traité Du Libre Arbitre, dont le texte grec nous est parvenu incomplet, nous a été transmis presque intégralement dans une version slave, représentée par un bon nombre de manuscrits. Cette version avait été étudiée et traduite en allemand par N. Bonwetsch; elle vient d'être éditée, avec beaucoup de soin, par M. Vaillant, professeur à l'Ecole nationale des langues orientales vivantes. En face du texte slave est édité le texte grec; pour les chapitres où il fait défaut, il est suppléé par une version grecque faite sur le texte slave; une traduction française accompagne ces deux textes. Un index slave et un index grec suivent l'édition; une longue introduction la Les slavistes trouveront là, sur le texte slave, daté du milieu du dixième siècle, une étude très détaillée; je ne suis pas compétent pour l'apprécier; sur Méthode lui-même et sur son livre, M. Vaillant nous donne, dans la première partie de son introduction, une étude ferme et précise; Méthode subit d'abord l'influence d'Origène; dans le traité Du Libre Arbitre, il doit beaucoup à Origène, mais, tout en l'imitant, il le corrige (p. xxxii sçç.); ce livre parut anonyme ou peut-être pseudonyme, ce qui expliquerait son attribution par Eusèbe à un Maxime inexistant69. Un disciple inconnu de Méthode lui fit écho bientôt après et le cita dans le Dialogue qui porte le nom d'Adamantius. « Toute cette affaire du faux Maximus et du faux

précède.

68. 6S. A. Vaillant, VAtLLANT,le « De Autexusio A~A~ d'Olympe. ~'0~/M~. Version ~M~M~o »)' de Méthode « Z~

slave et texte grec traduits en français. (Patrologia orientalisXXII, 5.) Paris, Firmin-Didot, ig3o. XCIV-164 p. ia-40. 69. M. VAILLANT écrit: « L'attribution du De Autexusio à un certain Maximus, écrivain chrétien, réel ou fictif, du deuxième siècle, fait l'effet d'une supercherie pieuse des antiorigénistes. Toutefois, l'hypothèse d'une simple erreur n'est pas exclue. » L'hypothèse d'une fraude littéraire n'est pas improbable, mais elle est faiblement appuyée.

Origène doit se ramener aux jeux littéraires d'une école, qui sans doute voulait duper les origénistes, et qui y a parfaitement réussi» (p. xxiv). Quoi qu'il en soit de ces hypothèses, intéressantes mais incertaines, ce livre doit retenir notre attention c'est un ouvrage de discussion philosophique et religieuse, mais qui se présente sous la forme d'une conférence littéraire prononcée par Méthode dans une école de philosophie chrétienne; il s'apparente aux oeuvres de Clément, d'Origène, de Denys. Il nous manifeste l'effortfait par l'Église, à la fin du troisième siècle, pour créer une philosophie chrétienne; cet élan, alors si riche de promesses, fut momentanément brisé par la crise arienne; toutes les forces des Pères du quatrième siècle seront absorbées par la défense du dogme; les paisibles études philosophiques ne refleuriront que plus tard. Le Dr Max Rauer, actuellement privatdozent à Breslau, est connu des lecteurs des Recherches comme l'auteur d'un bon travail sur saint Paul ro. L'ouvrage qu'il fait paraître aujourd'hui a plus d'importance encore. C'est une édition des Homélies d'Origène sur saint Luc". Les éditeurs antérieurs avaient publié les 39 homélies traduites par saint Jérôme et quelques fragments mais il suffit de parcourir ces collections de textes 72 et de les comparer avec l'édition présente pour mesurer le chemin parcouru. Au reste, cette édition est le fruit d'un long labeur y a vingt ans déjà que Sickenberger, le maître de Rauer, l'entraînait à ces recherches; en 1920, Rauer publiait une étude très attentive sur le Commentaire de saint Luc attribué à Pierre de Laodicée C'est ainsi qu'a été préparé le livre que nous avons sous les yeux i l'ouvrage est digne de ce long labeur. Ajoutons que le sujet le méritait les Homélzes sur saint Luc n'ont sans doute pas la portée du Commentaire sur saint Jean; Origène homéliste n'a point les grandes

il

70. Recherches, 1924, p. 337 sq. 71. RAUER, Origenes Werke, IX. Die Homilien zu Lukas in der Uebersetzung des Hieronymus und die griechis chen Reste der Homi-

lien und des Lukas-Kommentars. Leipzig, Hinrichs, in-8°. 72. On les trouve dans Migne,

1930. LXVI-324 p.

et XVII, 3n38o cette seconde collection, qui contient beaucoup de matériaux mais négligemment édités, vient de la Biblïotlïeca de Gallandi cf. Rauer, p. XL. L'édition de Lommatzsch (t. V, p. 237-244) ne contient que les fragments édités par le P. de la Rue. 73. Cf. Devreesse, art. Chaînes, Suffi, au Diet. de la Bible, col, 1

i83 sq.

P. G., XIII,

1901-1910

hardiesses qui nous étonnent dans les tomes mais c'est là surtout que se révèle son amour de l'Église et du Christ 7*; il faut avouer, d'ailleurs, qu'on y retrouve aussi parfois des doctrines origénistes qui devaient choquer au quatrième siècle et que saint Jérôme pourtant a fidèlement traduites73. Les beautés du commentaire l'ont rendu indulgent à ces défaillances. Le lecteur d'aujourd'hui lui sera reconnaissant de cette fidélité, et il aimera à relire ces documents vénérables de l'antique prédication chrétienne. Le P. Zorell a donné une nouvelle édition de son Lexique grec du Nouveau Testament™ Cette nouvelle édition n'est pas une refonte comme celle du lexique de Preuschen par Bauer; ici, c'est l'auteur lui-même qui reprend son ouvrage, non pour lui substituer une œuvre nouvelle, mais pour le mettre à jour; il y a très bien réussir la bibliographie récente a été utilisée, d'abord les travaux exégétiques et théologiques, mais aussi les études lexicographiques et grammaticales, sur la langue vulgaire, la langue des papyrus et des inscriptions. Dans les questions librement controversées, par exemple de topographie, l'auteur est réservé, et il faut l'en louer lorsque le sens théologique des livres saints est en cause, il prend nettement position. Moins détaillé, moins riche de références que le lexique de Bauer, il sera pour le lecteur un guide pius sûr, et l'orientera plus habituellementvers les travaux catholiques, éditions,

commentaires, revues.

La BibliscJte Zeitschrtft, publiée chez Herder par les professeurs Goettsberger et Sickenberger, avait cessé de paraître il y a un an. Elle vient d'être reprise par l'éditeur Schbningh, à Paderborn, sous la direction des professeurs Walde et Freundorfer. Nous avons sous les yeux les deux premiers fascicules de l'année ia3i; ils sont dignes des anciens. Nous sommes heureux de saluer cette reprise d'une oeuvre bienfaisante et qui, pour la bibliographie biblique, est un instrument de travail indispensable.

J'en ai éité quelques passages dans l'Histoire du Dogme de la Trinité, II, p. 23g sqq. 75. Ainsi la préexistence des âmes {hom. 4, p. 25, 3 sqq.) la transformation des saints en anges (hom. 39, p. 226, 21sqq.) le salut des anges déchus à qui le Sauveur prêche la pénitence (hom. z3, p. rg sqq.) )a défaillance de la foi de la sainte Vierge à la Passion {hom. [7, P- 117, 6 sqq.}. Ces points ont été relevés par Rauer, p. XIX. 76. F..Zokexjl, Lexicon graecum îVovi Testamenti. Paris, Lethielleux, 193 1. xv p. et1 5o2 col. in-8° raisin. Prix i5o fr. 74.

Le Florilegium Bonnense, dont le P. d'Alès a présenté dans son Bulletin (p. 233 sq.) quelques fascicules, nous a envoyé d'utiles éditions de textes patristiques de saint Cyprien, le De Lapsis, édité par le Dr J. Martin de saint Augustin, le De be'ata Vita et le De videndo Deo (lettre 147), édités par le Dr M. Schmaus; le De Doctrina Christiana, par H. J. Vogels, la correspondance de saint Augustin et de saint Jérôme, par J. Schmid De ces fascicules, le premier surtout est un excellent travail d'édition les manuscrits de saint Cyprien ont été collationnés, le texte revu avec soin et éclairé par une annotation très attentive. Les éditeurs des autres opuscules ont fait confiance au texte établi par leurs devanciers mais ils ont fait effort, surtout M. Schmid, pour l'éclairer par leurs préfaces et leurs notes. Ces fascicules seront pour les étudiants et les professeurs de très utiles instruments de travail l'emploi constant de la langue latine leur permet de servir de livres de texte, non seulement dans les séminaires d'Allemagne, mais dans ceux des autres pays. La correspondance de saint Augustin et de saint Jérôme, éditée dans un de ces fascicules, vient d'être étudiée dans un mémoire présenté à l'Académie de Berlin par le Dr Lietzmann sur l'histoire de la formation du recueil des lettres d'Augustin. Un des derniers travaux de Harnack avait été consacré à l'étude des grandes collections épistolaires anténicéennes lettres de saint Paul, de saint Ignace, de saint Cyprien, etc. 7S. M. Lietzmann consacre aujourd'hui à saint Augustin une étude semblable 79: l'étude des familles de manuscrits lui permet de déterminer quelques groupes de lettres qui, à l'époque carolingienne encore, attestent une tradition indépendante remontant à l'origine de ces collections, il montre comment les principales d'entre elles se sont constituées, par les soins d'Augustin lui-même correspondance avec Paulin de Noie, avec Nebridius, avec saint Jérôme d'autres recueils moins considérables ont été semblablement publiés par Augustin correspondance avec Maximus, Pascentius, Longinianus, Volusianus, Marcellinus. Le reste, qui constitue la plus grande partie de ce que nous lisons aujourd'hui, a été conservé et publié par les destinataires. On comprend ainsi que les recueils se soient lentement constitués, par -77. B. GEYER et J. ZELLINGER, Florilegium Patristicum. Bonn, Hanstein, i93o-i93i, fascicules XXI, XXII, XXIII, XXIV, XXVII. Prix Mk.

5,6o; i,5o;6; 1. 78. Cf. Recherches, 1926, p. 352-354. 79. Zur Entstekungsgeschichte der Briefsammlung Augustins. Berlin, De Gruyter, 1930.

2

apports successifs, et que, selon la remarque de l'éditeur Goldbacher, plus les manuscrits sont anciens, moins ils contiennent de lettres. Dans son Bulletin, le P. d'Alès saluait le premier volume des Miscellanea Agastiniana publiés par les Ermites de Saint-Augustin en l'honneur du saint Docteur, à l'occasion de son centenaire. Le second tome, qui vient de paraître, complète dignement le premier. C'est un magnifique volume de près de uoo pages in-40 où vingt. huit collaborateurs, sous la direction du P. A. Casamassa, ont offert au grand Docteur l'hommage de leurs travaux 80. Il nous est impossible de parcourir ici toutes ces études; contentons-nous d'en mentionner quelques-unes. Les premières ont trait à la biographie du saint Mgr Wilpert reproduit son plus ancien portrait (p. 1-4) Mgr Manucci étudie la conversion de saint Augustin (p. 23-48); P. Monceaux, dans son mémoire sur saint Augustin et saint Antoine, montre comment Augustin subit la séduction du grand solitaire et réalisa cependant un autre type de vie monastique (p. 61-90) le P. Lapeyre, des Pères Blancs, nous donne une monographie très détaillée sur saint Augustin et Carthage (p. 91-148).

Sur les écrits de saint Augustin, les travaux sont nombreux le catalogue dressé par Possidius est étudié par Dom Wilmart et Dom De Bruyne (p. 3iy-32o). La tradition manuscrite fait l'objet de deux mémoires du professeur E. A. Lowe (235-252) et de Dom Wilmart (25"]-3i6). Un travail de plus de 100 pages (417-520) est consacré par A. Kunzelmann à la chronologie des sermons de saint Augustin ses conclusions (5i2-52o) sont très intéressantes81. Dom De Bruyne établit (p. 327-340) contre Dom Morin l'authenticité de l'opuscule De octo quaestionibus ex Veteri Testamento; dans une longue et très importante étude (p. 521-606), il nous fait admirer saint Augustin reviseur de la Bible. Le P. Cavallera compare les Quaestiones in Genesim de saint Jérôme à celles de saint Augustin (p. 359-372); le P. Lagrange étudie les Rétractations exégétiques de saint Augustin (p. 373.396); M. Bardy, le De haeresibus et ses sources (397-416); A. Souter, le De catechizandis rudibus (253-256). F. Di Capua Agnstiniana. Testi e Studi. Volume II. Studi Agosiinianu Roma, Tipografia poliglotta Vaticana, iç3i. XXXVi-1042 p. 311-4° et une planche en couleurs hors texte. Prix: i5o lire. 81. On les comparera aux conclusions, partiellement différentes, auxquelles est parvenu Dom De Bruyne dans la Revue Bénédictine, •93i, p. 185.193. Cf. Kunzelmann, p. 5 10, n. i. 80. Miscellanea

consacre une étude très détaillée au rythme de la prose de saint Augustin (607-764) dans certains ouvrages, particulièrement le observé De Civitate Dei, le cursus est avec plus de soin mais toujours Augustin s'en est soucié l'auteur se sert de ce critère pour contrôler, et confirmer, les jugements portés sur l'authenticité des sermons de saint Augustin. · Les dernières études sont consacrées à la doctrine de saint Augustin, à sa démonstration philosophique de l'existence de Dieu (A. I. Sestili, p. 765-794); à la théorie des raisons séminales (P. Ch. Boyer, 795-820); à son exégèse des théophanies (P. Lebreton, 821836) à sa sotériologie (J. Rivière, 837-852); à sa théologie de la prédestination (P. A. M. Jacquin, 853-878) et de la concupiscence (0. Bardenhewer, 879-884), etc. L'ouvrage se termine par une étude éloquente du professeur P. Gerosa saint Augustin et l'impérialisme romain. L'écrivain nous montre comment, dans le De Civitate Dei, notre époque encore peut trouver sa lumière. M.

J. Bidez, professeur à l'Université de Gand, à flui nous devons

une excellente édition des lettres de l'empereur Julien S2, a fait paraître sa Vie83. L'oeuvre est telle qu'on pouvait l'attendre de l'historien qui, depuis trente ans, étudie les écrits du prince. Il porte à son héros une profonde sympathie et ne s'en cache pas; il admire ce beau jeune homme (p. 54), il se complaît dans sa piété romantique et sentimentale (p. 59), il célèbre l'homme d'État hardi dont la tentative, telle du moins qu'elle apparaît au début du règne, ne lui semble pas chimérique (p. 84); il décrit avec émotion « la morale mithriaque qu'il a réalisée dans sa vie » (p. 219-224). Et cependant, l'historien attentif et sincère marque aussi les faiblesses morales qui apparaissent dès les premières années, par exemple au sujet du panégyrique de Constance, rédigé par le César et envoyé à l'empereur; c'est une duplicité et une inconvenance « Julien était de ces natures volontaires qui, une fois tendues vers un but, sacrifient tout à leur désir d'y parvenir(p. 146). Et quand Julien est devenu le maître, ces passions, que rien ne contient plus, s'exaspèrent; il est emporté par ses rêves théocratiques (p. 261 sq_q.~) et son sectarisme (p. 266) à des persécutions de jour en jour plus imprudentes (p. 294); il tendait en vain toutes les forces de l'État au service d'une cause perdue (p. 314, cf. 236). Ce spectacle pathétique éclairepuissamment l'histoire de l'Église, 82. Cf. Recherches, 1924, p. 372 sq. 83. J. BIDEZ, la Vie de l'empereur Julien. Paris, Société « Les Belles Lettres », ig3o, x-402 p. in-8e. Prix r 25 fr.

d'édition

et les sympathies du biographe pour son héros rendent la leçon plus

évidente; on peut être tenté de récuser Allard qui, avant de se faire l'historien de Julien l'Apostat, avait été l'historien des persécutions on ne peut récuser Bidez, le biographe de Porphyre, si détaché du christianisme et si favorable au prince. On n'en est que plus frappé de voir tant de dons brillants, tant de force et de talent, sombrer dans cette lamentable aventure et menacer d'y entraîner l'empire 8*. En 1925, l'Eglise fêtait le centenaire du concile de Nicée; le P. d'Alès avait, dans une série de conférences données à l'Institut catholique de Paris, raconté l'histoire du concile et exposé sa doctrine. Cette année io3i rappelait le concile d'Ëphèse, et ce nouveau centenaire a été l'occasion d'un semblable hommage 8\ Le doyen de la Faculté de théologie avait d'ailleurs la bonne fortune de pouvoir, pour ce travail, mettre en oeuvre des documents nouveaux la collection conciliaire publiée par Ed. Schwartz lui fournissait des pièces que les anciens historiens n'avaient pas connues8". 84. Parmi les traits justement relevés par Bidez, on remarquera (p. 34) la sincérité de la foi chrétienne de Julien pendant ses premières années; plus tard, l'influence décisive qu'exerça sur lui la séduction de la magie; on relira, par exemple, la lettre à Priscus, citée p. 73, et éditée Iuliani Epistulae, iz, p. i5; l'influence de l'initiation mithriaque fut particulièrement profonde et durable (p. 79-81). Enfin, pendant les derniers mois de sa vie, sa passion païenne s'exaspère « En se mettant en route pour la Perse, Julien, d'après l'affirmation concordante de plusieurs auteurs, aurait annoncé qu'à son retour il reprendrait la guerre contre le christianisme avec plus de vigueur qu'auparavant, et qu'il ferait disparaître jusqu'au nom de cette secte malfaisante. On a eu tort d'hésiter à le croire. Pour l'adepte du mysticisme de Jamblique, comme pour beaucoup de ses contemporains, les ordres du Ciel se lisaient dans l'aspect que prenait le cours des choses. Puisque la première partie de son règne avait si mal réalisé ses désirs, c'est qu'il n'avait pas été, au service de la divinité, un ministre assez clairvoyant. Il devait s'être trompé dans la direction qu'il avait donnée à sa politique religieuse. Il avait péché par omission. II ne s'était pas assez appliqué à assainir l'empire. La souillure de l'athéisme devait être écartée, le salut de l'empire était à ce prix. Ce fut là sans doute une des préoccupations qui donnèrent le plus à réfléchir au restaurateur de l'hellénisme, tandis qu'en dépit de tous les mauvais présages, il se préparait à franchir les frontières de l'Orient.» (P. 299.) 85. A. D'ALÈS, le Dogme d'Éphèse. Paris, Beauchesne, 1931. vi-3i3 p. in-8°. 86.

Cette collection est décrite p. 63-68. Parmi les textes nouveaux

y

Ayant à sa disposition ces immenses dossiers, ces nova et vetera, le savant théologien a puisé à pleines mains dans ce trésor, et il nous raconte l'histoire d'Éphèse avec une précision à laquelle ses devanciers n'avaient pu parvenir 87 Le conflit qui s'est déroulé à Éphèse fut assez grave pour mériter tous ces efforts à Nicée avait été sauvegardée la consubstantialité des personnes divines; à Éphèse, l'unité de la personne du Fils de Dieu incarné et la maternité divine de Marie. Comment ces dogmes avaient été mis en péril, et comment ils furent défendus, c'est une histoire vraiment pathétique; dans ce conflit apparaît en pleine lumière l'action providentielle de Dieu, se servant de grands saints, de grands docteurs, qui restent, par certains traits, des hommes faibles et imparfaits 88, et triomphant, par eux, de la présomption ignorante de Nestorius 89, des cabales de cour et des caprices impériaux. Entre les deux protagonistes, Cyrille et Nestorius, le tiers parti des Orientaux groupés autour de Jean d'Antioche, et là encore bien des faiblesses et bien des vertus l'évêque d'Antioche, impulsif, « prompt au commandement, mais politique, semble-t-il, plus que pasteur d'âmes »; à côté de lui et meilleur que lui, le jeune évêque de Cyr, Théodoret, embarrassé par sa formation antiochienne, mais'sincère et généreux, et faisant à la vérité les sacrifices qu'elle réclame. Ces faits sont loin de nous; mais l'instruction qu'ils portent est précieuse à recueillir. Nous remercions le P. d'Alès de nous l'avoir proposée dans un livre si solide et si clair.

VII.

Dictionnaires et Encyclopédies

Le Lexikon fur Theologie und Kirche publié par Herder, sous la

utilisés dans ce livre, on remarquera particulièrement la lettre très importante de saint Cyrille à Acace de Bérée (p. 202-207); elle n'était jusqu'ici connue qu'en traduction latine; l'original grec se trouvait dans la Collectio Atheniensis et a été publié par Schwartz. 87. L'éditeur de la collection nouvelle, Schwartz, est lui-même corrigé parfois, par exemple au sujet du discours prononcé par Cyrille, « quand les sept vinrent à l'église Sainte-Marie» (p. 227, n. 1). 88. L'attitude de Cyrille trahit parfois l'opposition traditionnelle d'Alexandrie contre Constantinople « Cyrille avait hérité du siège de son oncle, et aussi un peu de ses rancunes » (p. 276); les cadeaux faits par lui à divers personnages de la cour impériale sont indéniables, mais ne sont pas sans excuse (p. 2ii-2i5). 89. La personne et la doctrine de Nestorius ont été, depuis vingt appréciées; le jugement du P. d'Alès (p. 228-263) ans, bien diversement est très ferme et très bien motivé.

direction de Mgr M. Buchberger, a fait paraître le tome II, Bartholotnàus-Colonna. L'historien des origines chrétiennes y relèvera surtout les articles Basilius (Chr. Baur), Beitht (B. Kurtscheid), Bergpredigt (J. Schmid), Bethlehem (A. E. Mader), Bisckof (J. Krieg), Brüder Jesu (J. Sickenberger), Bussdisziplin (K. Adam), Chiliasmus (K. Algermissen), Christentum (A. Rademacher), Christenver/olgungen (A. Bigelmair), Chrysostomus (Chr. Baur). Dans ce tome, comme dans le premier, ces articles sont brefs; ils n'ont pas l'ampleur de ceux qu'on lit au Dictionnaire de Théologie; mais ils sont précis et bien documentés ils orientent très utilement le lecteur; la bibliographie est toujours très riche, parfois trop des livres comme celui de G. M. de la Garenne sur les Frères du Seigneur ne méritaient pas d'y figurer. Du Supplément au Dictionnaire de la Bible nous avons reçu le fascicule VI, Chypre 90 -Critique biblique. Le P. Power y parle de Chypre (i-23); M. Venard, des Citations de l'A. T. dans le N. T. (23-54); le P. Lemonnyer, des Citations implicites (5i-55) et du Comma johannique (67-73); il conclut ainsi cet article « De 25 1, où nous apparaît pour la première fois, chez saint Cyprien, la glose du verset des trois témoins terrestres en doctrine trinitaire, à38o, où, chez Priscillien91, nous rencontrons le Comma comme citation biblique, la pensée chrétienne a eu le temps de s'assimiler cet acquis de bon aloi et de grande valeur. La glose est d'origine africaine, le Comma lui-même comme texte biblique paraît être d'origine espagnole. Mais rien n'autorise à l'attribuer à Priscillien, qui le cite comme texte johannique et ne le crée pas. » L'article de M. Bardy sur les Commentaires patnstiques de la Bible (73-io3) ne prétend pas être une histoire complète de l'exégèse patristique, mais seulement une introduction à ce grand sujet. Il remplit très bien son but. Mentionnons encore les articles du P. Lemonnyer sur le Concile de Jérusalem (n3-i2o), de M. Coppens sur la Confirmation (i2o-i53), de M. Charbonneaux sur la Crète (159-175). Le Dictionnaire d'Archéologie chrétienne et de Liturgie

soutient son allure rapide; depuis notre dernière chronique, quatorze fascicules ont paru (98-nr, Lit-Mariage). De cette immense production, Dom Leclercq est le principal artisan; cependant, on trouve, sur les Litanies, un article de Dom Cabrol, et sur la Littérature copte, un article de M. O'Leary. Ainsi qu'on le voit par ce dernier exemple, le Dictionnaire reprend, sous certaines rubriques générales, des articles qui n'ont pas trouvé place dans les fascicules antérieurs Littérature 90.

Le titre de la couverture porte par erreur

Chypre. 9«- Ou plutôt

chez Instantius.

Crète au lieu de

arménienne (1576-1599) et Littérature copte (i599-i635); sous le titre Loi, un double fascicule entier est consacré aux Lois des barbares (1947-2186) et aux Lois romaines (2186-2273). Dans l'article Lucien de Samosate, on trouvera dix colonnes (2620-2630) sur Alexandre d'Abonotichos sous la rubrique Livres canoniques, des articles sur le canon de l'A. T. (1792-1810) et du N. T. (r8io-i835). Dans l'article Lyon, qui est d'ailleurs un des meilleurs, une longue étude sur saint Irénée (127-143). A travers toutes ces richesses, parfois inattendues, on s'oriente sans trop de peine grâce aux tables très détaillées qu'on trouve en tête de chaque fascicule. C'est là un secours précieux, que l'on regrette de ne pas rencontrer dans les autres Dictionnaires. Du Dictionnaire de Théologie catholique, six fascicules ont paru depuis dix-huit mois (91-96, Nestorzus-Othon de Freising). L'historien des origines chrétiennes doit noter surtout les articles de M. Amann sur Novatien et son schisme (816-849), de M. Michel sur l'Ordre l'institution du sacerdoce par Jésus-Christ (1193-1207), l'origine et le développement de la hiérarchie (1207-1235), et surtout de M. Bardy sur Origène (1489-1565). Sur le grand écrivain alexandrin, nous

n'avons encore aucune monographie complète et digne de confiance; ainsi que le dit M. Bardy (i563), le « très important ouvrage » de M. de Faye « est, somme toute, décevant », et il renvoie à l'appréciation « sévère, mais solidement motivée, de A. d'Alès ». Dans cet état de la question, on est heureux de pouvoir, sur un sujet si important et si difficile, se référer à l'article très attentif de M. Bardy.

L'encyclopédie de Gunkel et Zscharnack, Die Religion in Geschichte und Gegenwart, progresse très rapidement et sera bientôt achevée. Depuis notre dernier bulletin, ont paru les fascicules 77-109, Niederlande- Vergeltung. L'ouvrage remplit ses promesses; l'histoire des religions, l'Ancien Testament et le judaïsme, l'histoire de l'Église, la philosophie religieuse, la sociologie, c'est vraiment la Religion dans l'histoire et dans le présent qui est décrite ici; on sait toutefois qu'elle est étudiée presque exclusivement du point de vue protestant on le constatera une fois de plus en lisant dans ces fascicules les articles Papsttum, Tridentinum, Vatikanum, etc.; on remarquera toutefois que les directeurs ont tenu à faire suivre le grand article Protestantismus du professeur de Marbourg, Hermelink, par un court article du P. Przywara, S. J., le Protestantisme jugé du point de vue catholique.

L'historien des origines chrétiennes remarquera surtout les articles suivants de Bultmann, Ofenbarung im N. T. (661-664), Pastoralbriefe (993-997), Urgemeinde (1408-1414), et surtout Paulus (1019-1045); de Feine, Philifferbrief (1184-1188) Feine accueille la

conjecture de Lohmeyer, d'après laquelle Plzil. II, 5-n, ferait écho à un hymne chrétien; Rômerbrief (2070-2075); de Klostermann, la venue de Pierre à Rome et son martyre sont Petrus (no5-no7) bien attestés par la tradition; E. Vischer Pradestination im N. T. (1370-1372) Rechtfertigung im N. T. (1745-1748); de Stauffer, Sittlichheit des Urchristentums (53o-54i); Taule ine Urchristentum (1002ioio) de Schmitz, Offet im N. T. (717-723): la Cène célébrée par Jésus n'a pas eu le caractère d'un sacrifice; Szinde und Schuld im N. 7. (884-888); de Mundle, Reich Gottes im N. T. (1818-1822); de Eissfeldt, Religionsgeschichtliche Scltule (1898-1905) l'auteur expose avec sympathie le mouvement comparatiste, marque la vigoureuse opposition que lui a faite l'école dialectique et pense que l'école comparatiste surmontera ces attaques en fortifiant sa position théologique; de Baethgen, Papsttum in Altertum (896-goi) remarque que la critique s'est, en quelques points, rapprochée des thèses catholiques, mais reste encore bien éloignée d'une adhésion d'ensemble elle n'attaque plus l'authenticité de Matth., xvi, 18, mais elle ne voit là que des promesses faites à la personne de Pierre, non à ses successeurs; elle reconnaît du moins comme probables, la venue et le martyre de saint Pierre à Rome, mais ne voit pas en lui le fondateur de l'Église romaine et n'admet pas l'existence d'un épiscopat monarchique à Rome avant la moitié du deuxième siècle. Considérés d'ensemble, tous ces travaux marquent la grande distance qui nous sépare des théologiens, exégètes et historiens des diverses écoles critiques; ils nous montrent cependant que, sur bien des points, les objections classiques des théologiens protestants ont perdu aujourd'hui leur force. JULES LEBRETON.

TABLE GÉNÉRALE DE 1931 I.

TABLE DES ARTICLES t. Articles de fond

La Prédication de l'Évangile

par le Christ Notre Seigneur, 6, par

J. LEBRETON. Les Idées de Clément d'Alexandrie sur l'utilisation des Sciences et de la Littérature profane, 38, par P. CAMELOT. Les Communautés juives à Rome aux premiers temps de l'Église (fin), 129, par J.-B. FREY. Le Centenaire d'Éphèse, 169 et 269, par P. GALTIER. Le Symbole d'Union de l'année 433 et la première École nestorienne, 257,

par A. d'Alès.

L'Argument des deux Glaives, dans les controverses politiques du moyen âge, 299, par J. LECLER. Les Inscriptions cappadociennes et le texte de la Vita Simeonis attctore Antonio, 340, par G. DE Jerph
et Mélanges

La Religion des primitifs d'Amérique, 67, par G. HORN. La Condition du Corps du Christ dans la mort, 200, par A. d'Alès. Autour de Denys l'Aréopagite, 201, par G. BARDY. Le projet de Somme Théologiqae du Père Jacques Laynez, 36i, par

P. DUDON. Béthanie au delà du Jourdain, 444, par D. Buzy. Petau et la Préface de son De Trinitate, 462, par P. GALTIER. TnOMONH dans la tradition grecque, 477, par A. M. FESTUGIÈRE. Apocalypse I, 4, 486, par P. JoiioN. L'Inscription dite de Nazareth, 570, par J. ZEILLER.

le sens du mot

Passio dans la lettre LXIII de

saint Cyprien, 576, par

M. DE LA TAILLE.

Note sur les Théories politiques d'Alvaro Pelayo, 582, Mmcifula, 589, par A. d'AlèS.

par

J. LECLER.

Bulletins techniques Bulletin d'Histoire des Religions. I. Introductions générales, Manuels, II. Religions des non-civilisés. III. Religions Livres de texte. des civilisés, 74, par G. HoRN. Bulletin d'ancienne Philosophie grecque. I. Ouvrages généraux. II. La philosophie antéplatonicienne. III. Platon. IV. Aristote, io5, par E. DES PLACES. Bulletin de Théologie historique. I. Saint Augustin. II. Les III. Les Scolastiques. IV. Acta Tridentina. V.'ThéoPères. logiens modernes. L'Église. VI. Sacrements, 2o5, par A. d'ALÈS. Bulletin des Religions babyloniennes et assyriennes. Grande édition de l'Epopée de Gilgamesh. Réédition des Annales de Sargon II. Le- Droit babylonien au temps de Hammourabi. – Strophes sumériennes au IIIe millénaire avant J.-C., 375, par A. CONDAMIN. Bulletin du Judaïsme ancien. Dictionnaires et Recueils. Histoire du Judaïsme. Doctrines. Les Apocryphes. Les Textes, 488, par J. BONSIRVEN. Bulletin des Origines chrétiennes. I. La Mystique de saint Paul. II. La Théologie de saint Irénée et ses sources. III. Les Origines de la Primauté romaine. IV. Apocryphes juifs et chrétiens. V. Les Origines de la littérature chrétienne et du dogme chrétien. VI. Études d'histoire ancienne de l'Eglise et de théologie patristique. VII. Dictionnaires et Encyclopédies, 591, par J. Lebreton. 3.

II.

TABLE DES AUTEURS

Aies A d'. La Condition du Corps du Christ dans la mort, 200. Bulletin de Théologie historique, 2o5. Le Symbole d'Union de l'année 433 et la première École nestorienne, 257. Muscipula, 589. BARDY G. Autour de Denys l'Aréopagite, 201 Bonsirven J. Bulletin du Judaïsme ancien, 488. BUZY D. Béthanie au delà du Jourdain, 444. CAMELOT P. Les Idées de Clément d'Alexandrie sur l'utilisation des Sciences et de la Littérature profane, 38. Clément d'Alexandrie et l'utilisation de la Philosophie grecque, 541. CONDAMIN A. Bulletin des Religions babyloniennes et assyriennes, 375. Dudon P. Le projet de Somme Théologique du Père Jacques Laynez, 36i. Festugière A. M. TI10M0NH dans la tradition grecque, 477.

FREY J.-B. Les

Communautés juives à Rome aux premiers temps de

l'Église (fin), 129. Galtier P. Le Centenaire d'Ephèse, 16961269. Petau et la Préface de son de Trinitatt, 462. Horn G. La Religion des Primitifs d'Amérique, 67. Bulletin d'Histoire des Religions, 74. HUBY J. De la connaissance de Foi dans saint Jean, 385. JERPHANION G. DE. Les Inscriptions cappadociennes et le texte de la Vita Simtonis auctore Antonio, 340. JoiioN. Apocalypse I, 4, 486. LA TAILLE M. DE. Le sens du mot Passio dans la lettre LXIII de saint Cyprien, 576. Lebreton J. La Prédication de l'Évangile parle Christ Notre SeigneurJ' p. 6.

Bulletin des Origines chrétiennes, p. 591. LECLER J. L'Argument des deux Glaives dans les controverses politiques du moyen âge, p. 299. -Notes sur les théories politiques d'Alvaro Pelayo, p. 582. LUBAC H. DE. Deux Augustiniens fourvoyés, Baïus et Jansénius, p. 422 et 5i3. Places E. DES. Bulletin d'ancienne Philosophie grecque, p. io5. ZEILLER J. L'Inscription dite de Nazareth, p. 570.

III.

TABLE DES OUVRAGES RECENSÉS

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ROMANI,

1928, p. 5o6. BIARD J. Les Dons

249.

du Saint-Esprit, d'après saint Thomas d'Aquin et d'après les éPîtres de saint Paul, ig3o, p. 612. Bidez J. La Vie de VEmpertur Julien, 1930, p. 626. BILL A. La morale et la loi dans la philosophie antique, 1928, p. 102. BITTREMIEUXJ. Articles dans le Divus Thomas et les Ephemertdes Theologicae Lovanienses, p. 235. Blic J. DE. Barthélemy de Médina et les origines du Probabilisme, iqjo, p. Boyer G. Contributioraà l'Histoire juridique de la première dynastie Babylonienne, 1928, p.

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HANSMANN K.

Ein neuentdeckUr Kommentar zum johannes Evangelium,

1930, p. 217. HARWARD J. The Epinomis of Plato, translated with introduction and notes, 1928, p. 124. HERVÉ J.-M. Manuale Theologiae dogmaticae, vol. I, 1929, p. 243. HOCEDEZ E. Aegidii Romani theoremata de esse et essentia, texte précédé d'une introduction historique et critique, 1930, p. 228. HURTEVENT S. L'Unité de l'Église du Christ, isfîo, p. 241. JANIN R. Les Églises séparées d'Orient, i93o, p. 242. JEREMIAS J. Jérusalem sur Zeit Jesu, 1929 p. 495. JUELICHER AD. Einleitung in das N. T., 7te Auflage, 1931, p. 608. JUGIE M. Theologia dogmatica christianorum orientalium, t. III et IV, ig3o-ig3i, p. 244. JUNG M. The jewlsh Law of Theft, 1929, p. 5o6. JUNG N. Alvaro Pelayo, évêque et pénitencier de Jean XXII, I93i, p. 582. JUNOD H. A. The Life of a South African Tribe, 1927, p. 90.

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of saint Thomas

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P. La doctrine ascétique des premiers maîtres égyptiens du quatrième siècle, 1931, p. 620. REVIRON J. Jonas d'Orléans et son De institutione regia, 1930, p. 218. Rey A. La Science dans l'antiquité. I. La Science orientale avant les

RESCH

Grecs, 1930, p. 107. ROBIN L. La Pensée grecque et les origines de l'esprit scientifique, 1928, p. 106. ROBINSON TH. Introduction à l'histoire des Religions, p. 78. ROSEN G. Juden und Phônisier, 1929, p. 494.

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Encyclopaedia ludaica, Band V-VII, p. 489. Florilegium patristicum, p. 233 et 624. Jiebrew Union College Annual, vol. VI, p. 490. fùdisches Lexicon, Band IV-V, p. 488. Lexicon fur Theologie und Kirche, t. II, p. 628. Liturgia, p. 256. Mélanges Mandonnet, 2 vol., p. 232. Miscellanea A gastiniana, t. I-II, p. zo5 et 525. Reallexikon der Assyriologie, fasc. 3-4, p. 384. Die Religion in Geschichie und Gogenwart, fasc. 77-109, p. 630.

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Somme Théologique du 36i Père Jacques Laynez

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Du même auteur f VERDUN ORDRE SOCIAL CHRÉTIEN. Jalons de Route (1880-1907). C'est la cinquième editiol de ce livre célèbre que l'on vient de nous donner. Elle ne manquera pas d'avoir au moins autant de succès que les précédentes, car si les idées du marquis de La-Tour-duPin n'ont pas le mérite de la nouvcauM, elles ont du moins celui d'être l'expression la plus remarquable de la conviction que l'ordre social ne peut être assuré que par l'union de la religion chrétienne, du système corporatif et du régime monarchique. On sait par ailleurs que ce travail est celui dont se réclame aujourd'hui le parti royaliste en matière sociale; il a donc, au moins à ce point de vue, un intérêt d'actualité et, en tout cas, it est un témoin do premier ordre de l'histoire des idées politiques (Les Fiches du Mois.) et sociales en France à la Bn da xt** siècle.

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RECHERCHES DE

SCIENCE RELIGIEUSE PARAISSANT TOUS LES DEUX MOÏS

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Le Roy et te magistère ecclésiastique.



– Les dangers

de M. Le Roy. L'argument du mouvement. – L'argument de la – Les d'une La méthode d'analogie. La notion d'Etre necttcausalité. Le nominalisme de M. Le Roy. La Preuve par la J!Mt<é meraie Les raisons d'une saire. L'argument de la contingence. substitution. La preuve classique par les aspirations infinies. – L'agnosticisme fondamental de Un vocabulaire litigieux i'étolutionLa nouvelle preuve par la réalité morale. M. Le Roy. Démonstration pantMisttqme. Conclusion. Appendices La Critique BeroMmenne de l'idée de néant. nisme



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DU-PIN LA CHARGE. La Science sociate. La Conservation sociale. Le Droit de Dieu. La AYant-ptopoa. TABLE La Révolution. L'Egalité. Le Société. Le Droit historique. Le Régime corporatitLa Question sociate. La LégislaPouvoir Mcial.– La Justice sociale. La Politique sociale. tion sociale. La Théocratie. L'&riatocratte. La Démocratie. La Bureaucratie. Lt PiouLe Parlementarisme. L'tudi'tduatiame. Le Libéralisme. Le Césarisme. Le tocratie. Socialisme d'Etat. Le Catholicisme iibérat et te Socialisme chrétien. L'Usure. Le Socialisme. La Rente Foncière. La Liberté du travail. La d'Etat. La Rente Industrielle. La Rente La Question ouvrière. Le Salariat. Le PauLiberté de la propriété. La Liberté du crédit. La Socialisation des instrumenta de production. La Crise périsme. Le Droitl'existence. L'Appropriation des biens. La Naturalisation du soi. agricole. La Question agraire. constitutionnelle. Foyer.La Commune. La Province. -La Crise L'Education intêgrate. Le Régime représentatif. L'Atelier. La Corporation. Le Corps d'Etat.

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L'entance § t. Caractères et sources des récifs etMtnoett
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II. Le mftttstere en J~dee. La passion. La résurrection. CHAp
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CBAprrM Il, Jéaus en Samarie et en Judée § t. Les dtsctpie:; § a. Les conditions du service: § 3. Le bon &tmarf
La dernière semaine § t. L'onction de Bethamie § 3. Le traître Judas § 4. Le figuier dépêche; § 6. Jésus dans le temple; § 6. Jésus et § 3. L'entrée triomphale CHAPITRE VI, La Cène les pharisiens § 7. La consommation du siècle et la parousie. Setgneur § La date de la Cene;~9. Les preparatt/s de la Cène. Le taoement des pteds § 3. La Cène § 4. Le Discours après la Cène t) 5. Le Discours après la Cène (suite) CHAPITRE VII, La Passion de Notrela oraie vigne; § 6. La prière du Fils de Dieu. ptTHE V,

du

L'agonie; a. L'arrestation;§3. Le procès JMi/; 4. Le procès romain; t. 5. Jésus devant Hérode; 6. Jésus devant Pifate; 7. La condamnation, le crttei~emfnt,

Seigneur

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§

§

§

CttAprrM VIII, La résurrection. Les apparitions. L'Ascension § i. La !a mort. résurrection dans la catéchèse apostolique; § 9. La sépulture. Le tombeau trouvé vide. Les apparitions en Galilée; § L'Ascension. Les apparitions de Jérusalem et d'Emn)aas;§3. de Jésus. La révélation du Fils de Dieu – EpiMGCE, Les fruits du ministère La foi et t'incredntttt. La grâce du Calvaire; § a. La révélation du Fils de Dieu § Table des te-rfes de l'évangile. Table alphabétique des § 3. Jésus Christ notre vie.

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