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BIOGRAPHIE Alberto Giacometti (1901, Stampa en Suisse – 1966, Coire en Suisse)est le 1er fils du peintre et graveur impressionniste Suisse Giovanni Giacometti (1868-1933). 1919. S'inscrit à l'École des Beaux-Arts puis à l'École des Arts et Métiers de Genève. Un premier voyage en 1920 en Italie lui révèle Tintoret, Giotto, Cimabue, mais aussi l’art égyptien. Il y découvre le Futurisme italien. 1922. S'installe à Paris pour étudier la sculpture en fréquentant épisodiquement jusqu'en 1926 l'académie de la Grande Chaumière, dans l'atelier d'Antoine Bourdelle. Il expérimente alors plusieurs langages plastiques : celui de l’avant-garde (le Cubisme tardif de Picasso, Laurens, Lipchitz), comme celui des arts archaïques et primitifs très présents à Paris. Son intérêt se porte ainsi sur la sculpture égyptienne, sumérienne et cycladique, sur l’art nègre, l’art océanien et d’Amérique latine, mais aussi sur l’art de la Renaissance italienne connu au cours de ses voyages en Italie. Ses sculptures sont en plâtre, parfois peintes secondairement, ou coulées en bronze, technique qu'il pratiquera jusqu'à la fin de sa vie. Hiver 1923-1924 : visite l’expo d’art africain et océanien au musée des arts décoratif de Paris 1925. Giacometti « subi » la mode de la Revue nègre à Paris, art qu’il juge plus apte pour établir une « sculpture vivante ». // Interview par Jean Marie Drot en 1963 : « Si je regarde de profil, j'oublie la face, c'est à dire la sculpture au fond occidentale…gréco-romaine disons, qui veut toujours faire une tête telle quelle est. C’est la sculpture la plus abstraite et la plus construite, la sculpture nègre où on fait de grandes têtes plates, elle est beaucoup plus près de la vision du monde que la sculpture gréco romaine. » En 1929, Giacometti se rapproche des surréalistes ce qui l'amènera à devenir membre du groupe surréaliste d'André Breton d'où il sera exclus en 1934, moment où il décide de revenir vers le modèle. Tout au long de sa vie, plusieurs expositions (Galerie Pierre Matisse à New York, Galerie Maeght à Paris) ainsi que des rétrospectives (New York, Londres, Allemagne). 1961. Il remporte le premier prix de sculpture à l'exposition Pittsburgh International ainsi qu'en 1962 avec une exposition personnelle à Venise. 1965. Il reçoit le grand prix national des Arts, décerné par le ministère français des Affaires culturelles.

FICHE TECHNIQUE La Femme cuillère aurait été modifiée au moins deux fois entre sa conception/exposition en 1927 (Salon des Tuileries) et sa fonte en 1954. État en 1927, hauteur d'environ 120 cm. Seulement connu par le dessin. On remarque que Giacometti avait pour projet de réaliser des bras au niveau des tenons. Fin 1929, le bas de la cuillère est repris au plâtre. (illustration de Marc Vaux) 1933, Giacometti allonge le bas de la cuillère pour venir en avant du socle. 1936, moule de l'oeuvre visible dans l'annexe de l'atelier (illu.166. Plâtres dans l'annexe de l'atelier. 1936. Anonyme n°535) Exposition 1936 à Londres = Moulage d'un état antérieur avec la cuillère distincte de la plinthe du socle. 1953, nouvelle version en plâtre : Femme cuillère, 1926 (version de 1953), (146,5 x 51,6 x 21,5 cm) Coll. Fondation Alberto et Annette Giacometti, Paris (illu.85 n°80) 1954, Version fondue par la Fonderie Susse, tenons des bras supprimés, fusion entre le bas de la cuillère et le socle est réalisée. Premier plâtre retouché (?) a probablement été moulé à creux perdu. > Technique du moulage à creux perdu: Le moulage à creux perdu ne permet l’obtention que d’un unique moulage appelé l’épreuve originale. Cette technique se fait par prise d’empreinte d’un modèle, souvent fragile (terre), sur lequel est appliqué un fil permettant la découpe du futur moule. Plusieurs couches de plâtres liquide sont ensuite appliquées afin d’obtenir ce moule qui sera divisé en 2 avant le séchage complet et généralement renforcé par une armature. Une fois sec, le modèle est éliminé du moule qui sera nettoyé et lubrifié avant la coulée de l’épreuve qui, une fois dégagé par la destruction du moule, pourra a son tour servir de modèle pour une reproduction en bronze selon la fonte au sable.

Plusieurs bronzes de la Femme cuillère nous sont connus: - Femme-cuiller, 1926 (cast 1954), Bronze édition ?(1?)/6, (145 x 51 x 21 cm) Fondation Maeght. - Spoon Woman, 1926 (cast 1954) Bronze, édition 2/6, 56 3/4 x 20 x 9 in. (144.1 x 50.8 x 22.9 cm) Raymond and Patsy Nasher Collection, Dallas, Texas 1984.A.37 (inscription à l'arrière : "Alberto Giacometti 2/6" - côté gauche du socle : "Susse Fondeur Paris"); - Spoon Woman, 1926 (cast 1954) Bronze, édition 3/6, 56 5/8 x 20 1/4 x 8 1/2 in. (143.8 x 51.4 x 21.6 cm). Solomon R. Guggenheim Museum, New York 55.1414. (inscriptions ?) - Femme Cuiller, 1926 (cast 1954) Bronze, édition ?/6 (?) , 120 cm (?). Zurich, Kunsthaus, Alberto Giacometti Stifung. - Spoon Woman, 1926 (cast 1954) Bronze, édition ?/6, 57 x 20 1/4 x 8 1/4" (144.8 x 51.4 x 21 cm). Museum of Modern Art, New York 158.1986 PROBLEMATIQUE Au travers de l’étude de son œuvre, nous tenterons de définir par quels moyens Giacometti illustre t’il le vivant? Quelle représentation sculpturale de la vie nous offres Giacometti? ANALYSE PLASTIQUE Probablement motivé par ce type de représentation, de la vie, du vivant, Giacometti crée sa première œuvre « monumentale » en 1926 traditionnellement connue sous l’appellation de Femme cuillère. Le premier modèle en plâtre fut exposé au Salon des tuileries en 1927 sous le nom de « Sculpture » et se sera Pierre Matisse qui, lors d’un salon en Novembre 1954 suite à la fonte des bronzes par la fonderie Susse, la nommera « Femme cuillère » appellation que Giacometti conservera par politesse mais dans une lettre adressée a Matisse, datant du 17/04/1955, il demande a ce qu’un autre nom lui soit attribué. C’est pourtant celui qui restera.

L’idole primitive commande l’angle de vision du spectateur: face et profil; Giacometti travaillant aussi bien l’un que l’autre. Femme cuillère, vue de face, se présente sur une base + ou – carrée faisant office de pieds. Les jambes se matérialisent par un unique cône s’évasant dans la région du bassin supportant la dite cuillère « sex-ventre géant resserre à la taille, sous un petit buste que domine dressé, un œil dans la tête minuscule ». Le ventre cuillère, jouant avec le contraste ondulant de la partie inférieure creusé alors que la partie supérieure est en saillie. Également, comme la nature qui ne crée aucune ligne parfaitement droite, le profil de sa composition en est absente où le socle lui-même n’est pas d’équerre et les axes sont légèrement biaisés. La femme cuillère présente également un aspect de surface rugueux et griffé (déjà visible par les traits sur les croquis, et les gouttes sur le modèle de plâtre). Enfin, peut-on remarquer le jeu entre une forme imposante de la sculpture de face et un mince profil presque « tranchant » (ligne du ventre) lui conférant une certaine tension. Assimilable aux Idoles africaines et cycladiques, représentées les bras croisés le plus souvent, et où les détails anatomiques sont simplement gravés dans le tronc où le ventre peut être exagéré en symbole de grossesses. La morphologie de ces figures à d’ailleurs pousser les archéologues à les rapprocher d’un culte de la fertilité ou de la déesse mère. Cette sculpture fait référence à plusieurs objets usuels africains : cuiller anthropomorphique de style Dan selon Rosalind Krauss1, pelle à grain de la Nouvelle-Guinée selon Reinhold Hohl2, ou encore plat à piler les tubercules de tarob cuites au four du Nord-Vanuatu selon Jean Guiart3.

COMMENTAIRE C’est avant tout en abordant l’art africain au travers de ses effets sur l’œuvre de Lipchitz (1891-1973) (Figure, 1926 /1930 (cast 1937), plâtre peint, 220x95x75 cm, Musée national d'art moderne, Paris) ou de Brancusi (18761957) (Adam et Eve, 1921, 238.8 x 47.6 x 46.4cm, Châtaigne (Adam) et chêne (Eve), sur base de calcaire, Solomon R. Guggenheim Museum, New York 53.1329.) que Giacometti l’étudiera directement à partir de 1926, lui permettant ainsi de dépasser le cubisme et d’approcher la sculpture « vivante », un retour au concept même de la vie. Ainsi, dès ses débuts, Giacometti s’interroge sur la nature même de la sculpture comme médium, sur ses spécificités et limites. En réponse au cubisme, il fixe ses objectifs : « Certes une sculpture abstraite 1 Rosalind Krauss, « Giacometti », in Catalogue d’exposition, Primitivism in XXth Century Art Affinity of the Tribal and the Modern, Museum of Modern Art, New York, 1984, vol. 2, p. 503-533. 2 Reinhold Hohl, Alberto Giacometti, Lausanne, La Guilde du livre et Clairfontaine, 1971. Repris par Dominique Boudou, in Catalogue d’exposition, Alberto Giacometti, Sculptures, Peintures, Dessins, Musée d’art moderne de la ville de Paris, 1991, notice 24, p.106. 3 Conversation du 15octobre 1990 entre Jean Guiart et Dominique Boudou, op. cit., p.106.

ne peut être une fin en soi […] Je suis persuadé que si elle doit avoir comme objectif de représenter la vie, elle doit rester absolument de la sculpture et qu’elle ne doit pas être seulement un compromis comme tant le font aujourd’hui, simplement en cubisant les formes. En somme elle doit être ellemême, être vivante par elle-même et non pas représenter la vie par autre chose et devenir une chose morte au fond. » 4 Dès lors, S’il s’intéresse très tôt à la magie et l’occulte de la sculpture égyptienne, africaine et océanique c’est qu’il trouve en cet art la capacité non d’imiter la vie, mais de la créer. La facture de la Femme cuillère nous donne l’illusion que celle-ci aurait été usée, employée à diverse reprise, créant un statut intermédiaire entre l’objet et la sculpture, un aspect totémique aux angles de vue privilégiés (face et profil) et ainsi une inversion de la tendance anthropomorphique africaine : si l’art africain fait des cuillères en forme de femme, Alberto Giacometti fait une femme en forme de cuillère. Cette figure, de taille humaine, relève une pureté des formes dans la transition homogène faite du plein et du creux entre la partie supérieure saillante et inférieure concave du ventre (ondulation) et d’une simplification du langage. Par l’importance accordée à l’élément central, la concavité de la cuillère renvoyant à l’utérus féminin, la femme est ici, ramenée à sa fonction primaire de mater-matrice contenant la vie. La cuillère devenant la métaphore de la fécondité avec ce passage du plein au creux, et vice versa, rappelant alors « la réponse du corps dans la relation sexuelle et évoquant aussi la grossesse, ce qui est marquer le rôle de la sexualité et de la fécondité dans l'accord de l’être humain et de l'univers »5 Femme cuillère, dans son imposante frontalité annonce une présence marquée de l’être humain, que l’artiste a recherchée sans cesse, un corps tout autant qu’une âme. Cependant, dans cette idée d’une présence d’être, pleinement positive puisque rappelant les forces élémentaires de la vie, Femme cuillère révèle parallèlement d’un grand malaise en elle-même dans son interprétation. Elle est signe de positivé par la forme du ventre, qui fait penser à une cuillère, éveillant ainsi tout un jeu de correspondances: la nourriture, l’évocation de la faim apaisée. Également une analogie qui fait de la femme, comme nous l’avons évoqué, un support de vie et en quelque sorte la substance du monde. La réunion de ces divers éléments semblent alors indiquer la valeur et l’immanence de la réalité naturelle, tous concentrés par/dans la représentation du ventre où la voluminosité de celui-ci par rapport au buste et à la tête est alors justifié. (>ventre très volumineux car représente des éléments importants de l’Être - la vie, la réalité naturelle; tous ces éléments sont représentés par/dans ce ventre). // citation : « C’est dans la Femme cuillère la vie toute physique qui prime, mais une vie du corps, que de grands symboles ont réintégrée dans le tout, 4 ? 5 Yves Bonnefoy, Alberto Giacometti : biographie d'une œuvre, Flammarion, Paris, 1996, p.142

c’est-à-dire encore, remarquons-le, dans l’esprit. »6 Cependant signe de malaise donc, la femme cuillère est très droite et érigée. Le mental est rabattu sur une tête aux dimensions infimes, un buste aux angles durs et aux faces qui ne rappellent en rien un corps fait de chair. Là où le ventre renvoie à la vie, nous pourrions parler d’étranglement de la taille, renvoyant à une certaine idée d’aliénation et aux formes empruntes de dureté et de froideur. Également si nous reprenons l’idée de fécondité, de don de la vie de la femme représentés par le ventre, l’absence de bras, que Giacometti avait envisagés et cependant non réalisés ! (élément révélateur), laisse alors envisager que la femme, la mère, ne pourra faire preuve d’aucune affection envers l’enfant (sein dur de pierre - pas de bras - tête/yeux minuscules). Enfin, le ventre qui est une succession d’une partie convexe et concave, d’un plein et d’un vide révèle une présence aussi bien qu’une absence. Ainsi l’enfant serait néant tout autant qu’être. De ce fait, comme le souligne Yves Bonnefoy : « Là où l’on pensait retrouver la vie naturelle […] c’est une ambiguïté, une irréalité qui se réaffirment.»7, évoquera-t-il aussi : « .. Une grande déesse aussi bien destructrice que créatrice.. »8 L’oxymore développé par la Femme cuillère peut être accentuée par le choix même du matériau. En effet nous avons pu voir que les Idoles africaines, où Giacometti puise ses sources, sont en bois ; matière organique qualifiée de chaude et marquée par « son histoire » apparaissant la plus apte à représenter le concept même de la vie. Nous pouvons alors nous demander pourquoi Giacometti ne poursuit il pas l’emploi de cette matière comme l’a fait Brancusi pour Adam et Ève. Le bronze quand à lui est inerte et froid nous renvoyant ainsi au coté « morbide » de l’œuvre décrit par Bonnefoy de l’enfant livré au néant qui le qualifie, ne pouvant recevoir l’amour de sa mère, reléguée au simple rang de génitrice. Plus simplement le choix du bronze peut s’expliquer par la volonté de production en série (6 exemplaires) de même que pour renforcer la frontalité totémique de l’œuvre. En définitive, Giacometti semble illustrer ses propos tenus en 1963 sur la représentation du monde ; en cherchant à représenté la Vie par l’icône fertile selon les arts primitifs, il y évoque une certaine difficulté voire injustice où la mère apparaît inadaptée à maintenir la vie qu’elle engendre dans un monde hostile. « Personne comme Giacometti n’a sondé la dimension de l’être et du temps qui le consume, de l’être et du néant qui se donnent en même temps »9 6 Idem. 7 Idem, p. 144 8 Idem, p. 145 9 Margherita Leoni-Figini, L’atelier d’Alberto Giacometti, 17 octobre 2007 – 11 Février 2008, Centre

Wiesinger souligne: « Giacometti cherche à faire advenir la présence de l’œuvre d’art elle-même comme sujet, la présence de son être-œuvre, et son caractère de chose vivante en soi […] »10

Pompidou, Direction de l’action éducative et des publics, octobre 2007. (site internet) 10 Véronique Wiesinger, « L’Atelier comme terrain infini d’aventure » in L’Atelier d’Alberto Giacometti, Collection de la Fondation Alberto et Anne Giacometti, catalogue de l’exposition, Éditions Centre Pompidou, 2007.

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