Basarab Nicolescu, Le Role De La Diaspora Roumaine

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LE RÔLE DE LA DIASPORA ROUMAINE

La mémoire de la souffrance Un grand nombre des personnes ont choisi la voie d’un exil sans retour pendant la période du régime communiste. Ces personnes se sont intégrées, souvent avec de grands efforts, dans leurs nouveaux pays et, en particulier, dans les pays européens. Si elles ont contribué, comme anonymes ou comme personnalités célèbres, au développement culturel, scientifique et économique de leurs nouveaux pays, elles gardent néanmoins, d’une manière consciente ou inconsciente, la mémoire de leur pays d’origine. Elles gardent surtout la mémoire de leur propre souffrance. Après la chute du communisme, l’exil s’est transformé en diaspora. Avec l’entrée de la Roumanie dans la Communauté Européenne, le nombre, déjà considérable, des Roumains à l’étranger ne va cesser d’augmenter. Le souffle de sens, si nécessaire à l’Europe de demain, viendra aussi de peuples qui ont vécu dans leur chair, récemment, la perte des libertés politiques et spirituelles. La diaspora roumaine est le dépositaire de la mémoire de l’immense souffrance générée par le système totalitaire du communisme. Nous devons veiller à ce que la mémoire de la souffrance soit précieusement gardée si nous ne voulons pas retomber dans les griffes du totalitarisme. Le retour d’un totalitarisme dur semble, bien entendu, exclu, mais un totalitarisme mou, engendré par l’idéologie de homo economicus, n’est pas impossible. La diaspora roumaine apparaît comme le gardien de la mémoire de la souffrance. La francophonie comme réseau de résistance Les deux dangers extrêmes de la mondialisation sont l'homogénéisation culturelle, religieuse et spirituelle et le paroxysme des conflits ethniques et religieux, comme réaction d'autodéfense des cultures et des civilisations. La francophonie, la latinité, la civilisation méditerranéenne constituent autant de réseaux de résistance à ces deux dangers d'homogénéisation et d'hétérogénéisation extrêmes. Trois mots caractérisent ce qu’on peut appeler l’ Ecole Française : rigueur, finesse et humanisme. La rigueur est celle du langage : chaque mot a sa place et sa fonction. La finesse est celle de la pensée : la nuance est privilégiée par une pensée qui tente de faire son chemin à

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travers les mots qui sont souvent impuissants pour exprimer la réalité dans son entièreté. Enfin, l’humanisme est d’ordre spirituel : tout est centré sur l’homme tout en le transcendant. L’influence de l’Ecole Française a comme véhicule essentiel la langue française, langue partagée par toutes les cultures francophones. Son influence en Roumanie a été immense : le français fait partie de l’identité nationale de la Roumanie moderne. La diaspora roumaine a, dans ce sens, un grand rôle à jouer dans la propagation de la rigueur, la finesse et l’humanisme, dans un monde trop marqué par l’ambiguïté du langage, par une pensée grossière car elle néglige la dimension spirituelle de l’homme et par un antihumanisme de fait, car l’être humain n’est conçu que comme instrument de consommation. Par rapport a d’autres membres de la communauté francophone, la diaspora roumaine a l’avantage de la traversée des cultures et des systèmes politiques. A l’intersection entre les différentes cultures quelque chose de nouveau peut être créé. Il existe un espace entre les cultures qui est le germe de ce qui pourrait être la culture européenne de demain. Le métissage culturel Le métissage culturel est, à mon sens, inévitable dans l’Europe de demain. Les membres de la diaspora roumaine sont des précurseurs de ce métissage. Ce métissage culturel ne signifie pas une homogénéisation, mais la création d’une nouvelle culture – celle de l’Europe de demain, culture qui va coexister avec les cultures nationales. Les roumains n’ont jamais été véritablement des étrangers en France, tout du moins sur le plan culturel et spirituel. Ils se sont intégrés naturellement, en contribuant à l’édification de la culture et de la science françaises modernes. Les roumains n’ont jamais constitué un groupe ethnique ou religieux séparé, tout simplement parce qu’ils étaient des français à part entière. Les grands créateurs roumains ont toujours été des êtres de transgression. Transgression de normes culturelles établies, transgression de la langue, transgression des croyances profondément enracinées. Mais cette transgression, dans son essence, n’est pas agressive, mais constructive. Elle n’est pas, malgré les apparences, impertinente, mais respectueuse de la tradition. Brancusi, Ionesco, Eliade, Lupasco, Cioran, Tzara, Ghérasim Luca, Andreï Serban sont tous des êtres de transgression des frontières entre les différents domaines de la connaissance et entre les différentes cultures. Sans se prêter à une psychanalyse de l'âme roumaine, on peut se demander si la cruauté de l'histoire n'a pas poussé le peuple roumain à donner naissance au génie de la transgression, pour équilibrer cette cruauté indéniable.

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La dimension spirituelle de la démocratie Il y a, de toute évidence, nécessité d’une forme novatrice de spiritualité politique en Europe. L'utopie a été dévaluée par les expériences meurtrières du 20e siècle. Mais cette échec ne peut pas occulter le fait que l'être humain ne peut pas vivre sans une utopie. Il y a actuellement une grande pauvreté spirituelle sur la Terre. Elle se manifeste par la peur, la violence, la haine et le dogmatisme. Il y a un grand besoin d’une trans-spiritualité, conciliant technoscience et sagesse, pour éradiquer la pauvreté spirituelle et pour éviter la guerre des civilisations. Les membres de la diaspora roumaine ont un rôle à jouer dans l’émergence d’une dimension spirituelle de la démocratie. Ils peuvent contribuer à cette émergence grâce à leur propre expérience de vie. Ils ont vécu une spiritualité sans démocratie et, ensuite, une démocratie sans spiritualité. Leur quête d’une dimension spirituelle de la démocratie est donc tout à fait naturelle. Cette dimension est indispensable pour la survie même de la démocratie, en Roumanie et ailleurs. Basarab NICOLESCU Membre d’Honneur de l'Académie Roumaine Physicien théoricien au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) Président de l’association « Les Roumains de France »

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