Annexe sur le spectacle
Adaptation théâtrale des poèmes de Jacques Prévert
Création au théâtre Mansart de DIJON Par l’association Esplanade Mise en théâtre, mise en scène : Sabrina Bardot
PRÉSENTATION DU SPECTACLE Ce spectacle a été créé dans le cadre de l’association étudiante Esplanade, sous la direction de l’auteur de ce mémoire, et a été représenté pour la première fois le vendredi 31 mars 2000 au théâtre Mansart de Dijon. Il s’agit d’une création théâtrale avec pour support des poèmes de Jacques Prévert, dont nous joignons les titres dans cette annexe : TEXTE : d’après les poèmes de Jacques Prévert MISE EN SCÈNE : Sabrina Bardot JEU : Bertrand Sautreau, Marie-Lise Bollotte, Charles Thérond, Emilie Herbert, Emmanuelle Jeannot, Sabrina Bardot MUSIQUE : Sylvain Lebreuil et David Ménard COSTUMES MAQUILLAGES : Sophie Guinouët DECOR : Nicolas Danjean et Céline Raquin PARTICIPATION : Stéphanie Hoerter Sur la terrasse du café « Rouge de Cœur », six habitués se côtoient et se lient plus ou moins, dans leurs espoirs et leurs souffrances. Alors qu’une riche bourgeoise méprise ses voisins de table, un jeune couple se déchire et se cherche tour à tour. Un artiste des rues tente d’éblouir la serveuse, séductrice malgré elle, sous le regard observateur d’un clochard anarchiste. Chacun se prend à son propre « je » mais découvre en l’autre le reflet de ses propres passions.
L’association étudiante Esplanade, nouvellement créée, propose dans ce premier spectacle, à mi-chemin entre écriture dramatique et lyrique, une mise en théâtre des poèmes de Jacques Prévert, dont nous fêtons le centième anniversaire.1
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Présentation du spectacle dans le programme trimestriel du Théâtre Mansart mars- juin 2000
CONSTRUCTION DE LA PIECE L’idée d’origine était de rendre hommage à Prévert, non en représentant sa personnalité à travers ses poèmes mais d’exploiter la pluralité des « je » et de mettre ainsi en scène six des personnages de sa poésie. Les poèmes sont joués en monologue mais aussi mis en dialogue. La difficulté étant de trouver une unité à notre spectacle, il fallait délimiter un lieu précis, en l’occurrence une terrasse de café, tout droit sortie de l’imaginaire de Prévert. Cette terrasse devient alors le lieu de rendez-vous d’amoureux, d’un clochard, d’une bourgeoise riche et solitaire, et d’un artiste des rues amoureux de la serveuse du « Rouge de Cœur ». Le travail d’écriture consistait à retrouver ses personnages dans les textes, en réunir quatre à cinq pour chacun. Ces poèmes devaient à la fois se ressembler mais permettre aussi au personnage d’évoluer au fur et à mesure que l’on avancerait dans le récit. L’intrigue de la pièce est fort simple, comme on le constate dans le résumé joint. Le spectacle reste en équilibre entre l’écriture poétique et dramatique, et à l’image de Prévert, montre des « tranches de vies ». En outre, d’autres poèmes mis en dialogues permettaient de faire se rencontrer ces personnages, de partager un message, et de lier les différents monologues par un fil directeur. Lors de cette écriture, la première étape était donc de délimiter les personnages pour sélectionner les poèmes…tout en laissant une part d’ombre qui s’éclairerait au rythme des répétitions, les textes, comme nous l’avons dit dans ce mémoire, construisant les personnages autant que les personnages construisent les textes.
1e étape : Six personnages en quête d’histoires… Le premier personnage à mettre en scène est évidemment La Serveuse. Sa présence se justifie par le lieu de l’action, elle est le lien entre tous les autres personnages, se rapprochant en partie du rôle des servantes et valets du théâtre traditionnel. Elle a vingt cinq ans et c’est une séductrice fatale. Ayant souffert de l’amour, elle se complaît dans l’indifférence, face à un mime, fou d’amour pour elle. Elle rappelle par certains traits Garance, et nous pouvons dire que son poème-symbole est « Je suis comme je suis ». Hantée par un souvenir du passé que l’amoureux ravive avec « Barbara » (c’est le prénom de la serveuse) elle laisse échapper sa souffrance dans « Déjeuner du matin » et sa déception des hommes dans « Il a tourné autour de moi ». S’il s’agit d’une partisane de l’amour libre, sans promesse, son intervention dans les poèmes cruciaux « Cri du cœur » et « Cet amour » montre derrière son indifférence un cœur fragile. Le Mime, frère jumeau du Baptiste des Enfants du Paradis, a lui aussi vingt cinq ans. Il aime se produire vers le « Rouge de Cœur » pour les raisons évoquées plus haut. Dans sa grande naïveté, ses interventions de mime, « Eteignez les lumières » et de magicien « Le ruisseau »font de lui le relais entre la poésie et le théâtre. Il tente désespérément d’attirer l’attention de la serveuse et ressent, par sa déception et sa colère le dégoût du monde extérieur, rejoignant sur ce point le clochard ; ils partagent ainsi les idées de « Ne craignez rien ». Son jeu est souvent sans parole, mais pour le moins en relation avec les symboles prévertiens, notamment de la rose rouge. Le Clochard est beaucoup plus âgé que les autres personnages. Il vit dans la rue et si celle-ci n’a aucun secret pour lui, dans « Le baptême de l’air » ou « Quelqu’un », il est pour nous un personnage mystérieux. Nous ne savons rien de son passé et il est peut-être le meurtrier d’un honnête homme comme le fait penser « La grasse matinée ». Par sa position, il est constamment opposé à La Riche. Pour lui le monde n’est qu’une mascarade absurde, dont il
s’échappe par la boisson, qui lui permet par ailleurs d’oublier une de ses blessures dans « Ne craignez rien ». Eprouvant une certaine tendresse pour l’Amoureuse, il se reconnaît dans sa folie, tout en partageant la sensibilité artistique de L’Amoureux. Sa figure rappelle celle du clochard des Portes de la nuit. La Riche accuse une trentaine d’années solitaires et ennuyeuses. Egoïste, son passe temps – et nous verrons que lorsqu’« Il faut passer le temps », c’est fatigant- est de narguer les autres avec son argent ou en jouant les démoralisant dans « Les enfants de bohème ». Elle forme avec L’Amoureuse un couple antinomique alors qu’elle a déjà à dos La Serveuse qu’elle ne paie jamais et Le Clochard. Mais elle découvre peu à peu sa solitude et aspire à l’amour plus qu’elle ne veut l’avouer dans « Cœur de rubis ». Elle découvre son besoin d’amour tandis que son antonyme choisit l’indépendance. L’Amoureuse a une vingtaine d’années tout au plus, et connaît un lourd passé tant sur le plan familial - son père a assassiné sa mère et a fini guillotiné - que sur le plan psychique - dans sa folie, elle avoue dans « Adrien » l’assassinat de Brin d’Osier, le fox terrier et bat régulièrement un autre chien, sans remords. Après avoir passée quelques années en prison, elle a retrouvé Barbara son amie d’enfance et s’est éprise d’Adrien (le propriétaire du chien dont la dépouille est soigneusement conservée dans le frigo). Elle affirme, dans « C’est l’amour qui m’a faite », son pouvoir de séduction, et rejoint son amie dans ce jeu, mais en reconnaissant son attachement à son amoureux. Mais dès qu'elle le retrouve, elle semble s’éloigner de lui, avec « Dans ma maison » paradoxalement par lucidité et par folie. L’Amoureux est un mélancolique qui se complaît dans les souvenirs, avec « Fiesta » « Barbara » ou « Sanguine »jusqu’à oublier de vivre le présent. Sa préférence pour l’art au détriment de l’amour charnel, dans « Sous le ciel bleu de Méthylène », le fait ressembler à Claude Lantier2, héros de Zola que Prévert appréciait particulièrement. Il écrit, compose, peint. Un peu nonchalant, homme de la rue, il ressemble à la fois au mime et au clochard tout en ayant la classe de Jacques Prévert lui-même. C’est un promeneur dont le poète aurait pu faire son ami sans adhérer totalement à son monde.
2e étape : l’organisation des textes 2
Claude Lantier apparaît dans Le Ventre de Paris que Prévert envisageait d’adapter au cinéma et dans L’œuvre.
Les textes sont organisés de façon à former une situation de départ en acte I qui évolue en acte II jusqu’à constituer une situation d’arrivée, ou conclusion, en acte III. Les poèmes se répartissent donc en trois actes d’une même journée sur un même lieu.
a) Les schémas relationnels entre les personnages Situation d’exposition à l’acte I Le clochard
L’amoureuse
La riche
la serveuse
L’amoureux
Le mime
X Réciprocité Sentiment de y pour z Amour Amitié Haine Trêve, début d’entente
Situation de conclusion à la fin de l’acte III
Découverte du monde extérieur, sorte de passion V = amour du passé Le clochard
L’amoureuse
La riche
la serveuse
L’amoureux
Le mime
W = amour du passé Les rapports entre les deux amoureux sont problématiques, on peut déterminer si Sanguine aime ou non Adrien Deux informations sur le passé de deux personnages éclairent leurs désirs amoureux méconnus au début de la pièce.
b) Structure des actes, fonctions des poèmes L’acte I a fonction d’exposition et les textes s’enchaînent selon des liens explicites. En effet, certains poèmes de Prévert semblent se répondre comme s’ils construisaient une troisième histoire : Texte 1 Histoire 1
Texte 2 Histoire 2
Lien par la mise en scène Histoire 3 créée Les poèmes se répondent naturellement et décrivent dans un premier temps les affinités des personnages, dans un second temps les premières bribes de leur histoire. « Il faut passer le temps » pose La Riche dans son rôle d’égoïste et de bourgeoise, « La grasse Matinée » décrit le clochard comme son opposé et constitue une réponse à l’indécence de La Riche. Avec « Barbara » L’Amoureux pose la question d’un départ, « Déjeuner du matin » permet à la serveuse d’y répondre. « Sous le ciel bleu de Méthylène » annonce la rupture décidée par L’Amoureux, L’Amoureuse réagit grâce à « C’est l’amour qui m’a faite ». Par ailleurs, l’acte débute par une allégorie poétique : « Eteignez les lumières » que le mime transforme en petit spectacle, qui annonce l’importance de l’amour et de la mise en lumière dans la mise en scène ; il se termine sur un poème parabole, « Le message », qui reprend les événements tragiques de l’histoire de L’Amoureuse. Cette rupture constitue le premier fait dramatique, le premier rebondissement de la pièce et se situe donc à la fin du premier acte.
L’acte second met donc en scène L’Amoureuse abandonnée. Cette fois, la situation étant exposée, les poèmes font référence à une situation passée connue des personnages et du public. « L’addition » rappelle la méchanceté et la prétention de La Riche, « Le désespoir est assis sur un banc » dis par L’Amoureuse rappelle sa détresse. Les liens sont plus implicites et l’on retrouve des cohérences entre les textes qui se suivent par les thèmes secondaires : « Les enfants de bohème » et « Adrien » se suivent mais leur rapport est dans le jeu de scène, non dans le texte ; Toutefois, ils ont le personnage du chien en commun. « Sanguine » permet la réconciliation des amoureux après un premier rapprochement grâce aux « Feuilles mortes ». « Cri du Cœur » conclue l’acte par une mise à nu des sentiments de chaque personnage. Aux textes s’ajoutent des jeux de scènes primordiaux pour la compréhension mais que nous ne décrirons pas pour laisser au futur spectateur sa curiosité intacte. L’acte III entreprend un parallélisme avec l’acte I en commençant par un tour de magie. Les autres poèmes grâce à « Cri du cœur » font découvrir les faces cachées des personnages, comme le tempérament de séductrice mais aussi la fragilité de la Serveuse dans « Je suis comme je suis », l’amertume avec « Rien à craindre », du Mime et du Clochard, l’euphorie d’un Amoureux enfin décoincé dans « Fiesta », la folie gratuite mais aussi la clairvoyance de l’Amoureuse plus réaliste qu’on ne l’aurait cru, et surtout plus indépendante avec « Dans ma maison », la solitude et la détresse de La Riche dans « Cœur de rubis », et enfin la ressemblance de tous autour de l’amour avec le poème « Cet amour ». L’acte et la pièce se terminent sur l’aveu d’Adrien au public, avec « Voyage ». Le spectacle se construit comme une biographie que l’on ouvre sur le texte de la naissance de Prévert, « Fêtes », et que l’on referme sur la phrase sur sa mort, « quand je ne serai plus… ». Le spectacle commence avec la montée du Mime sur scène, venu du public, et de termine sur l’adresse de l’Amoureux à ce public, comme si le spectacle venait et retournait à lui. Si le Mime fait la jonction entre scène et salle, c’est qu’il est un personnage lunaire, tout comme nos spectateurs que nous qualifions de « sélénites ». Il s’agit donc d’une structure symétrique construite sur le rapport Scène/Salle, autrement dit sur un jeu de miroir entre l’apparence et le réel : l’apparence donnant les clefs d’une réflexion sur notre existence.
LES TRAITS ESSENTIELS DE LA MISE EN SCÈNE L’univers de la pièce est avant tout surréel, c’est-à-dire qu’il se situe entre le vraisemblable et l’onirisme. Le café autour duquel évolue les personnages n’est pas situé géographiquement, il s’agirait plus d’un café de l’imaginaire de Prévert. Ce café est en fait le symbole de la « tête » de Prévert, un lieu où tous les personnages de son univers se rencontrent : ceux des Enfants du Paradis, des Portes de la Nuit, ou simplement de sa poésie… Ainsi, le décor est-il minimaliste : trois tables, six chaises suffisent pour meubler l’espace scénique, une toile sert de façade, sur laquelle sont superposés, créant un effet de relief, l’encadrement de la vitrine et l’enseigne. S’y ajoute un rosier pour parfaire la symbolique prévertienne. La façade grise crée un contraste frappant avec le rouge du rosier et de l’enseigne, pour mettre en valeur les grandes tendances psychologiques des personnages à travers les couleurs de leurs costumes : du noir et blanc pour le Mime et la Serveuse, du sombre pour Le Clochard, du noir et bleu pour La Riche, et par opposition à cette couleur froide fondamentale, le rouge, couleur chaude elle aussi fondamentale, et le noir, pour Les Amoureux. Dans cet univers théâtral, la musique et les lumières sur les scènes du Mime cultivent la poéticité des expressions. Elles ponctuent aussi ses interventions muettes. La musique est un mélange de créations originales et de variations sur le thème des « Feuilles Mortes » qui constitue, du point de musical comme du point de vue sémantique, l’unité de la création. Tandis qu’elle sert aussi de support pour les textes-paraboles du « Message » et « Voyages », la lumière renforce les émotions que font passer les comédiens, avec des tendances bleuté et rouge principalement. La succession des textes et la mise en scène a pour but de présenter des scènes tristes, gaies, fortes ou légères, sans pour autant tomber dans le registre de la comédie ou de la tragédie. La création tente de maintenir un juste équilibre entre les différents sentiments de la vie des personnages, se voulant à l’image des œuvres de Jacques Prévert. Pour cette raison, les poèmes dans leur écriture n’ont pas été modifié, le metteur en scène s’en est tenu à les respecter tout en les mettant en dialogue ou en orientant leur sens vers une signification plus spécifique au spectacle, dans son ensemble. En fait, on pourrait considérer que la mise en scène, sans vouloir réduire le sens des textes, choisit une interprétation particulière dans l’éventail des possibilités du texte. Les poèmes ont ainsi leur sens propre tout en constituant tous ensemble une histoire principale qui forme la structure englobante. Le jeu des comédiens est donc l’élément principal de la pièce, qui pourrait avant tout se définir comme le lieu de rencontre de leurs multiples paroles3.
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Ces informations sur le spectacle ne résument en rien la mise en scène et le spectacle, et ne peuvent remplacer la représentation.
Rideau de scène
Pendrions, trois sorties
Façade, en pointillé entrée sortie du café
rosier
Table
Rideau de scène
Enseigne et encadrement vitrine suspendu Table
tab le
Pendrions, trois sorties
Cube du mime
Salle avec deux entrées possibles de la scène. Une utilisée par le mime en début de spectacle
EXPOSITION DU 26 MARS AU 31 MARS 2000 HALL DE LA MAISON DE L’UNIVERSITÉ. Photographies des répétitions réalisées par Monsieur Jacques TOURNIER pour l’Association Esplanade
« Et la mer efface sur le sable Les pas des amants désunis »
« Deux hirondelles dans la lumière… »
a
« C’est l’amour qui m’a faite L’amour qui m’a fait fête L’amour qui m’a fait fée Et je vous change en bête Chaque fois que ça me plaît »
« Il court Amour dans la ville à la recherche d’un autre maître amour pour faire le beau amour pour se faire caresser amour pour se faire battre
amour pour se faire tuer amour pour dévorer dévorer dévorer »
« je suis comme je suis je suis faite comme ça »
« Et toutes les étoiles de verre Du bonheur et de la beauté Resplendissaient dans la poussière De la chambre mal balayée »
« Il est terrible le petit bruit de l’œuf dur cassé sur un comptoir d’étain il est terrible ce bruit »
« Un homme avait un chien Un chien qui appelait Amour »
« Ne craignez rien Gens honnêtes et exemplaires Vos morts sont bien morts Vos morts sont bien gardés »
Le décor du « Café Rouge de Cœur »
La troupe au complet