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L’histoire du meurtre de Martin Begnaud, en 1896, nous plonge dans l’histoire d’une région et d’une population d’origine française Par Jean-Paul Bouchon
Meurtre en Louisiane ous-titré «L’affaire des frères Blanc», Meurtre en Louisiane fait partie de ce type de récits d’affaires criminelles dont De Sang froid, de Truman Capote est le chef-d’œuvre absolu, rayon histoires vraies, et Simenon le maître, rayon romans. On y trouve bien les ingrédients habituels du genre : un crime, une victime, une enquête, une résolution, un procès suivi du châtiment du coupable. Mais audelà, il y a quelque chose d’autre, qui met hors de pair le récit ou le roman. Ici, ce quelque chose d’autre, c’est le milieu très particulier dans lequel se produit le drame. Nous sommes en 1896, à Scott Station, un village du sud de la Louisiane peuplé d’Acadiens. Propriétaire du magasin général du village, banquier de certains de ses concitoyens, Martin Begnaud, arrière grand-oncle de William Arceneaux, est retrouvé assassiné de 52 coups de couteau le matin du 23 avril. Et délesté des 7 000 dollars que contenaient son coffre-fort…
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Ci-dessus : Martin Begnaud, la victime. Ci-dessous : La plantation Boudreaux où résidaient les frères Blanc avant leur crime.
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Chargé de l’enquête, le shérif Broussard, de la paroisse de Lafayette, s’intéresse au cas d’un enfant du département de la Vienne (Lusignan !), installé dans le secteur depuis quelques années. Alcoolique et joueur, Gustave Balin n’a guère exercé d’activités honorables jusqu’à présent. Sous l’identité de docteur Davidson, il a en fait joué les charlatans au détriment de malades qui, pour certains, ne s’en sont pas relevés. Et il a vécu une semaine chez Martin Begnaud avant de prendre pied dans le pays. Il connaissait donc la richesse de ce dernier et la place du coffre-fort. Arrêté avec un autre individu dont tout laisse penser qu’il a participé au crime, Balin est promis à la potence malgré ses dénégations quand survient, quelques mois plus tard, un coup de théâtre. Deux jeunes parisiens, les frères Blanc, employés sur une plantation voisine, et qui avaient quitté la région peu après le meurtre pour aller toucher un héritage et rejoindre la France, reviennent. L’argent n’a pas duré longtemps à Paris… Appréhendés à leur tour, ils avouent : il n’y avait pas d’héritage et ce sont eux les assassins de Martin Begnaud. Condamnés à mort, ils sont pendus le 2 avril 1897 par le shérif Broussard lui-même à Lafayette. Sur cette trame affreusement banale, mais rendue parfaitement vivante par ses recherches et le soin avec lequel il a établi le portrait des participants à la tragédie de Scott Station, William Arceneaux dit les travaux et les jours des Acadiens de la Louisiane profonde, catholiques et francophones. Il retrace les événements tragiques qui les ont menés jusqu’ici, après la perte du Canada par la France. Avec complétude mais sans excès, il évoque le profil, le parcours et les combats quotidiens de ceux qui, à compter du Grand Dérangement, ont tissé, venus d’Acadie ou de France, l’arbre généalogique de la famille Begnaud, pour aboutir aux Begnaud et apparentés de 1896. Sans phra-
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ses, et par la seule évocation des itinéraires des accusés successifs du meurtre, il montre enfin la persistance des liens entre l’ancienne métropole et les Acadiens. C’est d’ailleurs, paradoxalement, une des causes lointaines de l’affaire. Venus en Amérique après avoir lus les «westerns» de Gustave Aimard, les frères Blanc, qui ne parlaient pas anglais, s’étaient rabattus sur la Louisiane où l’on parlait français. Ils y avaient amélioré, si l’on peut dire, leur culture «western». C’est ainsi qu’après avoir lu des fascicules à la gloire de Jessie James, ils avaient décidé de l’imiter plutôt que de continuer à mener la dure vie réelle des garçons vachers des plantations locales. Très mauvaise idée pour trois personnes. «Tenez-vous loin des mauvais livres.» Telle fut du reste la conclusion du discours public d’Ernest Blanc avant que la trappe ne s’ouvre sur son frère et lui, et ne ferme, définitivement, leur rêve américain. On peut naturellement gloser sur ce message final. Des millions de lecteurs de Fenimore Cooper, Gustave Aimard et alii se sont allongés pour l’éternité sans avoir cherché à voler ou tuer leur prochain. Et à l’inverse, la lecture précoce et assidue des évangiles de tous bords n’a pas dissuadé certains de débarrasser leurs frères humains de leur portefeuille ou du fardeau de la vie. Ce qui est en tout cas certain, c’est que l’ouvrage de William Arceneaux, lui, est un bon livre. A l’heure des romans noirs louisianais de James Lee Burke, nous tenons dans ce récit historique fouillé un «polar» vrai chez les véritables Cajuns d’avant la Première Guerre mondiale. ■
Né à Scott (Louisiane) le 19 août 1941,
liens particuliers et émouvants avec le
universitaire, haut responsable de
Poitou. Les Begnaud sont en effet
l’Education en Louisiane de 1972 à
issus du mariage, en 1786 et en
1988, William Arceneaux est l’auteur
Louisiane, de François Begnaud,
notamment, outre l’ouvrage consacré
ancien matelot breton, et d’Honorine
à l’affaire des frères Blanc, de
Doiron, ancienne paroissienne avec
Acadian General : Alfred Mouton and
ses parents, acadiens, de l’église
the Civil War. C’est dire l’importance
Saint-Jean-l’Evangéliste de
pour lui de ses origines acadiennes.
Châtellerault, au temps du marquis
Par sa mère, Régina Begnaud, William
des Cars et de la colonie
Arceneaux détient également des
acadienne du Poitou.
Alexis et Ernest Blanc, les meurtriers de Martin Begnaud. Les frères Blanc sur l’échafaud. Dessin de Floyd Sonnier.
Meurtre en Louisiane, de William Arceneaux, traduction de Guy Vadeboncoeur, éd. Atlantique, 350 p., 19 € ■ L’ACTUALITÉ POITOU-CHARENTES ■ N° 81 ■
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